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MANUEL PRATIQUE
DU
PLANTEUR DE CANNE A SUCRE.
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PARIS- — IMPRIMERIE D'Е. DUVERGER,
RUE DE VERNEUIL, N° 6.

MANUEL PRATIQUE
DU PLANTEUR DE
CANNE A SUCRE
EXPOSE COMPLET
DE LA CULTURE DE LA CANNE A SUCRE
ET DE LA FABRICATION DU
SUCRE DE CANNE
SELON LES PROCÉDÉS
LES PLUS RÉCENTS ET LES PLUS PERFECTIONNÉS
PAR
LÉONARD WRAY, ESQUIRE
Description et comparaison des diverses méthodes
pratiquées dans les Indes orientales et occidentales,
et sur les côtes du détroit de Malacca, avec les frais
et les bénéfices de chacune de ces méthodes, d'après

une expérience de seize ans de pratique dans ces di-
verses contrées.

P A R I S
DUSACQ, LIBRAIRIE AGRICOLE DE LA MAISON RUSTIQUE
RUE JACOB, 26
1853


PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.
La révolution de 1848, qui a causé en Europe un
ébranlement si profond, a produit au delà de l'Océan
un événement considérable, le seul peut-être, parmi
tous ceux qu'elle a amenés, qui soit destiné à lui sur-
vivre. L'abolition de l'esclavage dans les colonies
françaises ne procède pas, en effet, de l'idée révo-
lutionnaire préconisée à la suite de l'insurrection
de 1848. Considérée en elle-même, c'était là plutôt
une idée de civilisation et de progrès; elle n'est deve-
nue pernicieuse et subversive que par la forme inique
et téméraire dont la revêtirent les hommes aux mains
desquels furent remises à Cette époque les destinées
de la France.
Ce n'est pas le but de cet écrit d'exprimer ce qu'au-
rait dû être le grand fait de l'abolition de l'esclavage ;
un simple rapprochement suffira. Depuis trente an-
nées, les plus solides esprits, livrés à l'étude de cette
haute question, élaboraient les moyens propres à lui
donner une solution sage, pacifique, équitable. Or ce

VI PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.
qu'ils cherchaient, ce qu'ils préparaient dans la mesure
de la paix et de la justice, quelques anarchistes au
pouvoir l'ont décrété en quelques heures dans une
pensée de spoliation et de guerre civile.
Quoi qu'il en soit, et en dehors des phases déplora-
bles qu'à traversées l'émancipation des nègres à la
Guadeloupe et à la Martinique, leur affranchissement
n'est pas seulement aujourd'hui un fait accompli, c'est
encore un fait unanimement accepté ; il domine dés-
ormais l'existence politique et agricole des colonies
françaises, et la partage en deux versants : d'un côté le
travail forcé, de l'autre le travail libre; en deux mots,
le passé, l'avenir.
La traite des noirs, qui, au début de la colonisation
des Antilles, a concouru au développement de leur
prospérité en les dotant d'une population appropriée
aux exigences du climat, est devenue plus tard, par
l'abus immense de ce mode de recrutement, la cause
principale de l'épuisement des fortunes coloniales, et
par conséquent de l'état d'impuissance où sont tombées
ces belles contrées. Nous avons pu, en effet, assister
aux dernières années de cette société, jadis si brillante,
dont la génération actuelle n'a guère reçu en héritage
que les tristes errements agricoles ; et nous pouvons
dire qu'un déplorable préjugé proportionnait la con-
sidération de l'habitant au nombre des esclaves atta-
chés à son exploitation. De là cette quantité considé-
rable de nègres à la houe, inoccupés ou mal occupés;
force improductive, accumulée au prix de sacrifices

PRÉFACE D E L'ÉDITEUR. VII
répétés, d'engagements onéreux : voie funeste dont le
le terme n'a été que trop souvent l'abîme où se sont
perdus la fortune et l'avenir de familles entières.
Mais, si l'institution de l'esclavage a été, dans une cer-
taine mesure, une cause prochaine d'embarras financiers
pour la société coloniale, elle a eu encore d'autres in-
convénients non moins graves. Je ne parlerai pas de ce
que je pourrais appeler le tort politique d'une situation
devenue en notre temps tout à fait anormale et contre
laquelle la voix du siècle s'élevait avec un acharnement
passionné; c'était là évidemment pour le pays une po-
sition pleine d'éventualités périlleuses, mais de nature
à peser principalement sur son avenir. A mes yeux,
l'esclavage a produit un mal bien plus immédiat, mal
profond, dont les colonies françaises sont mourantes
à l'heure où j'écris ces lignes : je veux dire l'annulation
du progrès agricole.
Il semblerait que le propriétaire d'une exploitation
agricole, pourvu d'un nombre considérable et perma-
nent d'ouvriers sur lesquels la loi lui accordait des
droits étendus, fût placé dans la condition la plus fa-
vorable pour exécuter ce qu'il voulait accomplir. Cette
erreur a été partagée par tous ceux qui, jugeant de
loin le régime de l'esclavage, n'ont pas été à même
d'apercevoir ce qu'il y avait d'illusoire dans l'omni-
potence du maître, de virtuel dans la résistance pas-
sive de l'esclave. Cette résistance occulte, latente, mais
incontestable, a été l'obstacle invincible contre lequel
sont venues échouer les rares tentatives d'améliora-

VIII PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.
tion agricole essayées de loin en loin par quelques
planteurs. Ce fait posé, il ne faut pas en chercher
l'explication ailleurs que dans le régime même fait aux
travailleurs, sans le concours intéressé desquels aucune
amélioration n'est possible. Or quel était, dans nos
colonies, l'intérêt de l'esclave à mieux taire? Placé dans
les conditions d'une existence matérielle relativement
bonne, à l'abri de toute préoccupation d'avenir, le tra-
vail était un devoir qu'il acquittait en dehors de toute
pensée de spéculation, et à la routine duquel rien n'au-
rait pu l'arracher. Aussi peut-on dire qu'avec un ate-
lier nombreux, mais composé de forces et d'intelli-
gences disparates, et dépourvu de toute initiative
individuelle, l'ancien propriétaire d'une habitation
était invinciblement condamné à l'attitude stérile du
maître, au détriment du rôle d'agriculteur.
Cette immobilité, cette absence d'aspiration vers les
améliorations agricoles, devait avoir des conséquences
étendues et désastreuses. De là, en effet, une situation
que chaque année rendait plus critique au milieu de
la marche progressive de toutes les industries rivales,
et à laquelle est venu mettre un terme brutal le cata-
clysme de 1848.
Loin de moi, assurément, la pensée de louer un évé-
nement dont les résultats immédiats ont été la ruine
d'un si grand nombre de mes compatriotes, et qui a
fourni à la métropole de ces colonies si délaissées une
nouvelle occasion d'abandon et d'iniquité ! En indiquant
un des inconvénients économiques de l'esclavage, je se-

P R É F A C E DE L'ÉDITEUR. I X
rais bien mal compris si je devais paraître l'apologiste
des mesures qui ont jeté le propriétaire créole, épuisé
par l'esclavage, dépouillé par la liberté, sur ce terrain
inexploré et rempli de périls du travail libre. Toute-
fois, plus je suis convaincu des inconvénients du passé
et des maux du présent, plus je me crois autorisé à
dire que, si l'abolition de l'esclavage ne devait être
qu'une transformation politique, si la société coloniale,
incapable d'une régénération devenue indispensable,
ne pouvait rien pour elle-même que formuler des
plaintes justes, mais inécoutées, il faudrait désespérer
de son salut. Mais la substitution du travail libre au
travail forcé renferme en elle-même des conséquences
salutaires qu'il ne s'agit que de développer, et dont la
plus féconde serait, sans contredit, une transformation
agricole radicale. Admettons, en effet, que les colonies,
trouvant enfin dans la mère patrie la protection à la-
quelle elles ont droit, reçoivent d'elle, par un complé-
ment d'indemnité, par l'introduction d'immigrants,
par la création de fermes modèles, les moyens d'en-
trer d'une manière non fictive dans les conditions où
se trouvent placés les pays libres vis-à-vis des travail-
leurs : comment ne consentiraient-elles pas à expéri-
menter les voies agricoles et industrielles qui ont permis
à ces pays de surmonter les questions, si difficiles et si
délicates partout, du travail?
Deux points également incontestables résument la
question pendante aux Antilles : l'élévation progres-
sive
du taux des salaires, qui se combine avec la rareté

X PRÉFACE D E L'ÉDITEUR.
progressive des travailleurs; l'avilissement des pro-
duits, dont la valeur tend rationnellement à s'abaisser
en raison de la concurrence. Entre ces deux circon-
stances, dont la marche inverse et rapide donne la mi-
sère aujourd'hui, amènera la ruine demain, comment
établir l'harmonie? Ce problème si grave, si impor-
tant à résoudre, n'est pourtant que le problème de
toutes les industries, partout et toujours; et je me
hâte d'ajouter qu'en fait d'industrie agricole, le poser
dans ses véritables termes, l'étudier avec sagesse et
persévérance, c'est en rendre la solution infaillible.
Produire à bon marché pour donner à bon compte,
tel est le but ; pour l'atteindre, il faut surtout procéder
à l'aide de moyens simples, assurés, économiques. De
tous ceux auxquels l'agriculture peut avoir recours, le
moins simple, le plus coûteux, le plus inconstant, est as-
surément la main de l'homme, parce qu'il faut lutter
avec ses préjugés, son avidité, son ignorance. La substi-
tution des machines au travail manuel est donc l'atténua-
tion la plus considérable de la nécessité d'une coopéra-
tion dont, en raison des éléments divers dont est formée
la population, il est indispensable à plus d'un égard de
diminuer l'importance. D'ailleurs l'introduction des
machines en agriculture ne peut être un fait isolé ; elle
comporte, au contraire, l'admission d'une série de prin-
cipes essentiels dont l'application, en réalisant une
véritable transformation agricole, peut seule arrêter le
pays sur la pente où il est si rapidement entraîné.
Pénétré de la gravité du mal, et non moins con-

PRÉFACE DE L'ÉDITEUR. XI
vaincu qu'il faut chercher son remède dans l'adoption
d'un mode rationnel et économique d'agriculture ana-
logue aux systèmes qui ont produit des résultats si
merveilleux en Angleterre, en Belgique, aux États-
Unis et en France, et en même temps approprié à la
nature du pays, à son industrie particulière et à sa po-
pulation, je conçus la pensée d'un ouvrage qui m'a
paru ne pas exister en France, et dans lequel j'aurais
tenté d'exposer le plus clairement possible une m é -
thode pratique d'agriculture perfectionnée, applicable
à nos colonies. Une expérience personnelle de ces m é -
thodes fécondes, puisée dans leur application à des
propriétés considérables dont j ' a i , pendant dix années,
dirigé en France l'exploitation, et dont le succès m'avait
placé, en qualité de président, à la tête d'un des co-
mices agricoles les plus importants du département du
Loiret ; la connaissance des questions coloniales, due
à la longue administration des biens que je possède à
la Guadeloupe, me donnaient l'espoir de ne pas rester
au-dessous de cette entreprise ; mais, dans la recher-
che que je fis à cette occasion de tous les documents
propres à compléter l'étude à laquelle je me livrais, l'ou-
vrage anglais de Léonard Wray, intitulé Manuel pra-
tique du Planteur de Canne à sucre,
s'offrit à mes investi-
gations. La lecture de ce livre m'engagea bientôt à un
examen approfondi des doctrines qu'il renferme, et, re-
connaissant dans cette œuvre l'apologie des idées et des
principes queje me proposais de développer moi-même,
j'ai jugé que. par la traduction de cet ouvrage remar-

X I I P R É F A C E DE L'ÉDITEUR.
quable, j'ajouterais à ma volonté d'être utile à mes
compatriotes la certitude de leur offrir le traité le plus
complet et le plus autorisé qui existe sur ce grave sujet.
En proposant le manuel pratique aux méditations des
planteurs de nos Indes occidentales, je suis loin d'af-
firmer qu'il soit sur tous les points à l'abri de la criti-
que. M. Léonard Wray doit les connaissances étendues
dont il donne dans le cours de son ouvrage des preuves
parfois surabondantes, aux circonstances qui lui ont
permis de pratiquer tour à tour aux Indes orientales
et dans les îles du golfe du Mexique la culture de la
canne à sucre ; de là une diffusion plutôt apparente
que réelle, mais qui, toutefois, s'oppose à ce que l'es-
prit distingue toujours spontanément à laquelle de ces
contrées s'appliquent les théories qu'il décrit. Je ne
dissimulerai pas encore que l'auteur anglais a quelque-
fois poussé ses doctrines jusqu'à des limites qui paraî-
tront extrêmes, et qui le sont en effet. Ainsi, à l'oc-
casion de la nécessité qu'il démontre d'introduire dans
nos îles des races nouvelles de travailleurs plus labo-
rieux, plus aptes aux améliorations agricoles que la race
noire, M. Léonard Wray formule des vues si gigantes-
ques que cette question, si elle était maintenue dans
des termes aussi peu réalisables, courrait le risque
d'être rangée parmi tant d'utopies dont la discussion
et la réfutation n'ont eu d'autre résultat que de fati-
guer les esprits et d'augmenter l'inertie des hommes,
dont il importe au contraire de réveiller la confiance
et le courage.

PRÉFACE DE L'ÉDITEUR. XIII
Mais le lecteur judicieux saura dans cette circon-
stance, comme dans d'autres que je n'indiquerai pas,
faire la part de l'entraînement auquel un esprit dis-
tingué, mais absolu dans ses convictions, est presque
infailliblement exposé. Il saura également discerner,
dans la série des mesures qui lui sont recommandées,
celles dont l'adoption immédiate serait une témérité,
parce qu'elles ne peuvent être, par leur essence même,
que le couronnement d'un système dont il importe
surtout de gravir avec prudence et sagesse les pre-
miers degrés.
Si j'ai cru devoir accompagner de ces quelques ré-
serves la publication de l'œuvre de M. Léonard Wray,
dont j'ai confié la traduction à la plume exercée et peut-
être parfois trop scrupuleuse de M . Ysabeau, ancien pro-
fesseur d'histoire naturelle, je ne la crois pas moins émi-
nemment propre à seconder puissamment le mouvement
de réforme agricole et industrielle dont on signale le dé-
but sur certains points de nos colonies. Ce mouvement
ne doit pas rester le fait de quelques établissements; il
doit s'étendre pour être véritablement fécond; car c'est
dans la prospérité de tous que repose le gage le plus assuré
du bien-être de chacun.
J'ai conçu dans cette vue d'uti-
lité générale l'idée que j'exécute aujourd'hui ; je l'offre
avec ce caractère à mes compatriotes. Puissent-ils y
voir surtout un témoignage de mes sentiments pour
eux et pour un pays auquel les liens de l'affection me
lient plus étroitement encore que ceux de l'intérêt!
LE MESLE.


AU TRÈS HONORABLE
COMTE D'ELGIN ET DE KINCARDINE,
Gouverneur général du Canada,
Ex-Gouverneur de la Jamaïque, etc.
MYLORD ,
A une époque où le désespoir commençait à s'emparer
de tous les planteurs, Votre Seigneurie, en sa qualité de
gouverneur de la Jamaïque, s'appliqua à relever leur cou-
rage abattu et à faire renaître chez eux la confiance qui les
avait presque complétement abandonnés. E n faisant appel
personnellement à l'intelligence des colons, Votre Seigneu-
rie savait bien que les hommes réellement pratiques, doués
de quelque énergie de volonté, seraient amenés à entre-
prendre le grand travail du perfectionnement, que les esprits
seraient conduits à s'occuper de la recherche des effets et
des causes, si nettement expliqués par la science, et qu'en-
fin, en continuant leurs recherches, ils ne pourraient man-
quer de découvrir tout un monde nouveau de notions des
1

2 DÉDICACE.
plus utiles. Dans leur travail pour disputer les prix mis au
concours p a r Votre Seigneurie avec la libéralité et la saga-
cité qui la caractérisent, plusieurs des concurrents furent
forcés de consulter les ouvrages des chimistes et ceux d'au-
tres savants qui leur étaient précédemment inconnus. C'est
ainsi que, presque sans s'en apercevoir, ils ont acquis la con-
naissance de faits que jusqu'alors ils avaient complétement
ignorés. L'excellent mémoire écrit à cette occasion p a r feu
M. Whitehouse met parfaitement en évidence la réalisation
complète des prévisions de Votre Seigneurie. Ce colon, de
si regrettable mémoire, avait été tellement sensible à l'in-
justice dont il avait été victime dans la répartition du prix
pour lequel il avait concouru, qu'il exposa, dans une revue
fort judicieuse des traités couronnés aussi bien que des
autres, leurs diverses erreurs, en démontrant l'exactitude
de ses propres vues. L a discussion sur un tel sujet sur-
excita naturellement l'attention des colons quant aux points
en litige; elle fit naître des recherches nouvelles sur les
perfectionnements proposés. Ce fut ainsi que prirent nais-
sance un nouvel esprit de progrès et une curiosité nouvelle
qui ne pouvaient manquer de s'étendre, de se propager,
au profit des INTÉRÊTS COLONIAUX. Ce résultat est l'œuvre de
Votre Seigneurie. Elle-même personnellement a implanté
chez les colons l'activité et l'esprit investigateur. Nourris
par ses encouragements, protégés par l'influence de son

DÉDICACE. 3
rang et de sa haute position, les colons des Indes occiden-
tales se sont empressés de témoigner hautement à Votre
Seigneurie leur respect et leur gratitude pour ses travaux
si bien appréciés, dont le souvenir ne s'effacera jamais dans
ces colonies.
J'habitais les Indes orientales à l'époque que je viens de
rappeler ; convaincu que les efforts do Votre Seigneurie pro-
fiteraient au corps entier des planteurs de canne à sucre,
j'ai toujours souhaité depuis ce moment, comme faisant
moi-même partie de ce corps, de vous offrir l'expression de
ma reconnaissance personnelle.
En publiant ces pages, j ' y trouve l'occasion la plus fa-
vorable de satisfaire ce désir. Permettez-moi donc, Mylord,
de dédier cet ouvrage à Votre Seigneurie, et faites-moi
l'honneur d'en accepter l'hommage comme un humble tribut
d'estime, de respect et de gratitude; souffrez aussi que j ' y
joigne mes vœux sincères pour que le ciel accorde à Votre
Seigneurie une longue suite d'années de santé et de bonheur.
Je suis, Mylord,
de Votre Seigneurie,
le très humble et très obéissant serviteur,
LÉONARD WRAY.
Londres, avril 1848.


PRÉFACE.
Quoique des capitaux énormes et des intérêts immenses
soient engagés dans la culture de la canne à sucre et la con-
version du suc de cette plante en sucre et en rhum ; quoique
des modifications économiques extraordinaires soient sur-
venues depuis quinze ans, et qu'elles aient compromis ces
intérêts au point de mettre sur le penchant de leur ruine
celles de nos colonies où la canne à sucre est cultivée ; néan-
moins, de 1830 jusqu'à nos jours, aucun ouvrage capital n'a
été publié pour aider les planteurs ou leur servir de guide ;
il n'y a qu'une seule exception : c'est le livre de M. G . - R .
Porter.
En 1830, M. Porter publia son livre sur la canne à sucre;
il en fit en 1843 une seconde édition; il n'y a pas de plan-
teur qui ne connaisse la première et la seconde édition de
cet ouvrage. Mais M. Porter ne possédait p a s par lui-même
do connaissances pratiques. Quoique très digne de la con-
fiance qui lui a été accordée, son travail ne peut cependant
être regardé que comme une compilation excellente on
elle-même, et qui A ÉTÉ d'une grande utilité. N'est-il pas
remarquable que ce soit l'unique ouvrage écrit à l'usage des

6 PRÉFACE.
planteurs anglais pendant une si longue période, sur un sujet
si important et à une époque si critique, alors que chaque
mois qui succède à l'autre apporte avec lui de nouvelles
causes d'anxiété et de terreur? C'est un fait réellement sur-
prenant et dont il est difficile de se rendre compte.
Quant aux petits traités, essais et brochures, durant ces
dernières années on en a publié au moins une vingtaine sur
la canne à sucre. Les trois quarts de ces écrits avaient été
provoqués par les prix mis au concours par le comte d'Elgin,
lorsqu'il était gouverneur de la Jamaïque. Cet homme d'Etat
éminent fit appel à l'expérience et à l'intelligence des colons
eux-mêmes, et offrit généreusement des prix de cent livres
sterling chacun pour les deux meilleurs traités, l'un sur la
culture de la canne à sucre, l'autre sur la fabrication du su-
cre de canne. La Société royale d'agriculture de la Jamaïque
m'a fait l'honneur de me donner huit de ces opuscules.
Tandis qu'ils étaient publiés aux Indes occidentales, j'avais
l'avantage d'adresser à la Société d'agriculture et d'horti-
ticulture de l'Inde un petit traité applicable aux colonies des
Indes orientales, sur le même sujet. Mon travail, public-
dans le journal de cette Société, m'a valu de sa part un vote
de remercîments et une généreuse gratification de 300 rou-
pies (environ 750 francs).
Mais ces productions de peu d'étendue n'ont aucun des
caractères qu'exige, pour être bien traité, un sujet d'une si
haute importance et d'une si vaste portée. Aussi tous les
planteurs de nos différentes colonies réclament-ils en ce
moment un ouvrage complet, qui expose les systèmes prati-

PRÉFACE. 7
qués dans les différentes parties du monde, avec leurs r é -
sultats, et qui présente sous la forme la plus claire les pro-
cédés les meilleurs applicables dans chaque localité. Il est
évident que, pour être en état d'accomplir une semblable
tâche, il faut non-seulement avoir visité les divers pays où
la canne à sucre est cultivée, mais encore avoir habité ces
contrées, avoir pratiqué dans chacune d'elles la profession
de planteur; car c'est seulement ainsi qu'on peut avoir ac-
quis des notions réellement utiles à faire connaître.
Il est très rare qu'il se rencontre un planteur à même de
réunir ces notions et de comparer les différents systèmes.
Pour moi, je n'en connais qu'un seul, sans plus, avec moi, qui
soit dans ce cas.
Seize années de pratique comme planteur à la Jamaïque,
au Bengale et dans les colonies des détroits ( presqu'île de
Malacca) me permettent, je crois, de me regarder comme
en mesure d'effectuer un tel travail. A ce titre, j'espère ob-
tenir du public colonial l'attention dont peut-être, en le li-
sant, trouvera-t-on mon livre digne par son utilité.
J e serai heureux d'apprendre que le résultat de mon ex-
périence n'a pas été inutile aux intérêts de l'industrie su-
crière de nos colonies. Mon désir sincère de servir mes frè-
res les planteurs doit me mériter de leur part un peu do
bienveillance, et attirer sur le sujet de cet ouvrage leurs
plus sérieuses réflexions.


MANUEL PRATIQUE
DU
PLANTEUR DE CANNE A SUCRE.
CHAPITRE PREMIER.
Coup d'œil rapide sur l'histoire de la canne à sucre. — Diffé-
rentes espèces de cannes a sucre. — Leurs qualités distinc-
tives.

§ 1 . — Différentes espèces de cannes et leurs propriétés.
e r
La canne â sucre est-elle ou n'est-elle pas indigène de
l'Amérique? C'est une question fort controversée. Les uns,
appuyant leur opinion sur de solides arguments, soutien-
nent qu'il est peu probable que la canne soit originairement
américaine ; d'un autre côté ce fait est affirmé avec une
grande assurance par plusieurs anciens auteurs. Si l'on
considère sans partialité ces assertions opposées, on doit

avouer que, nos premiers navigateurs ayant trouvé la canne
a sucre croissant avec un grand luxe de végétation dans les

Iles de l'océan Pacifique, il ne faut pas un grand effort
d'imagination pour se la représenter croissant de même sur
le continent américain longtemps avant qu'elle y ait été
apportée par les Portugais et les Espagnols. Il ne me serait


10 HISTOIRE
pas difficile de produire de nombreuses raisons à l'appui de
cette opinion. Mais j e pense qu'une discussion semblable
serait ici également ennuyeuse et déplacée.
Les Chinois affirment qu'on fait du sucre de canne à la
Chine depuis plus de trois mille ans. Sans vouloir contester
avec la florissante nation pour quelques siècles de plus ou de
moins, nous devons convenir qu'elle a des droits incontesta-
bles à s'attribuer l'exercice de l'industrie sucrière depuis une
antiquité réellement très reculée. Mais j e ne puis m'empê-
cher d'être persuadé que c'est de l'Inde et non de la Chine que
le sucre de canne nous est venu pour la première fois. Que
cela soit ou non, c'est d'ailleurs ce que nous n'avons aucun
moyen de vérifier. La question n'est heureusement d'aucun
intérêt pour les planteurs. Bornons-nous à constater que,
de nos j o u r s , on trouve la canne à sucre croissant dans
presque toutes les contrées tropicales de notre planète.
Variétés de cannes à sucre. — Leurs propriétés. — D'après
ce que j ' a i vu par moi-même, je n'hésite pas à dire que vou-
loir décrire toutes les variétés connues de cannes à sucre,
c'est entreprendre une tâche fastidieuse, je pourrais dire
désespérante; car il est certain, à mon avis, qu'elle ne peut
offrir aucun avantage qui en compense l'ennui. P a r ce motif,
j e ferai mention seulement des variétés que j ' a i été le plus
à même de bien étudier, espérant n'omettre dans cette revue
aucune de celles que la généralité de mes lecteurs peut avoir
connues.
Trois variétés de cannes sont communément cultivées à
la Jamaïque : ce sont la canne de Bourbon, la canne d'Otahiti
et la canne de Batavia.
Au Bengale, ce sont la canne jaune et la rouge à rubans
d'Otahiti; la canne de Bourbon ou de Maurice; la canne de

DE LA CANNE A SUCRE. 11
Singapore, nommée en malais tibboo leeut (tibboo ou tubboo
est le nom malais de la canne à sucre) ; la grande canne
rouge de Java,
la canne rouge d'Assam ; la petite canne dure
commune de la Chine,
et une dizaine d'autres variétés indi-
gènes, dont le diamètre varie d'un pouce et demi à un demi-
pouce (de 37 millimètres à 12 millimètres) ; les plus petites
ressemblent à une badine propre à remplacer la cravache
d'un cavalier.
Dans les colonies des détroits malais, à Pinang, dans la
province de Wellesley, à Malacca et à Singapore, les varié-
tés cultivées sont la canne de Singapore (en malais tibboo
cappor
) ; la canne tibboo leeut ; la canne tibboo teelor ou
canne aux œufs; la canne tibboo étam ou canne noire; la
canne tibboo mérah ou canne rouge; la canne tibboo Bata-
vie ou canne de Batavia ; la canne tibboo China ou petite
canne de la Chine, et quelques autres qui ne valent pas la
peine qu'on en fasse mention.
Afin de bien spécifier les variétés qui précèdent, j e les
décrirai successivement dans l'ordre où je les ai nommées.
§ 2. — Canne, de Bourbon.
L'origine de cette variété ne me semble pas expliquée
d'une manière satisfaisante.
L'opinion générale, c'est que les Indes occidentales l'ont
reçue de l'île Bourbon, mais qu'elle provient primitivement
de la côte de Malabar, où elle aurait été trouvée croissant à
l'état sauvage. On affirme que, quand cette canne fut d'a-
bord découverte, elle était de petite dimension, mais ten-
dre et juteuse, et que bientôt le changement de climat et
la culture qu'elle reçut à l'île Bourbon augmentèrent prodi-

12 HISTOIRE
gieusement son volume et sa richesse en j u s ; de sorte qu'elle
fut adoptée de préférence aux anciennes variétés, qu'elle a
fini par remplacer avec le temps dans toutes les planta-
tions de l'île.
D'après ma propre expérience comme planteur à la J a -
maïque, je puis attester que c'est une excellente canne;
mais je la soupçonne fortement d'être en réalité la même
que la canne tibboo leeut de Singapore, quelquefois nom-
mée canne d'Otahiti, un peu modifiée par le changement de
sol et de climat. J'ai étudié cette variété avec une attention
soutenue; j ' a i soigneusement observé la canne tibboo leeut
croissant dans des sols entièrement différents, dans des si-
tuations diverses, sous l'empire des circonstances le plus
essentiellement opposées : je ne puis arriver à une autre
conclusion, sinon que la canne de Bourbon et la canne tib-
boo leeut sont identiquement les mêmes.
§ 3. — Canne jaune d'Otahiti.
La canne d'Otahiti offre deux variétés : la canne jaune ou
de couleur paille, et la canne rayée de pourpre ou canne à
rubans.
La première de ces deux cannes et la canne de Bour-
bon sont tellement semblables l'une à l'autre sous tous les
rapports, elles sont si bien mêlées et confondues dans les
plantations des Indes occidentales, qu'il est fort difficile de
les distinguer : je les ai longtemps regardées comme étant
une seule et même variété. Si l'on se rappelle que la canne
de Bourbon a été prise dans cette île pour être envoyée à la
Martinique, d'où, avec le temps, elle s'est répandue dans
les îles des Indes occidentales; que la canne d'Otahiti a
été expédiée directement de cette île pour les Indes occi-

DE LA CANNE A SUCRE. 13
dentales , et en même temps pour Calcutta et les colonies
des détroits malais; que la canne tibboo leeut, évidem-
ment originaire d'Otahiti, a été envoyée de Manille au
détroit de Malacca; si nous réfléchissons sur tous ces faits,
nous verrons qu'il n'y a pas lieu de s'étonner s'il existe en-
tre la canne de Bourbon, la canne tibboo leeut et la canne
d'Otahiti
si peu de différence ; nous devons au contraire être
vivement frappés de leur ressemblance, que tant de cau-
ses extraordinaires de changement n'ont pas pu détruire.
Réunissez ces cannes, plantez-les dans des circonstances
absolument identiques, et je tiens pour certain qu'il n'y a
pas d'homme capable de les distinguer l'une de l'autre ; en
tout cas, j e n'hésite pas à en convenir, je n'ai jamais pu
faire moi même cette distinction, ce qui m'a confirmé dans
ma conviction que c'est une seule et même canne venue ori-
ginairement d'Otahiti.
Prenant ces trois cannes pour une seule variété, une des-
cription unique peut servir pour toutes les trois ; j'en par-
lerai donc d'après cette donnée. Dans un bon sol et sous
l'influence d'une saison favorable, la plante s'élève souvent
pendant sa première année à la hauteur de 12 ou 15 pieds
(3 .60 à 4 .20),
m
m
ayant 15 centimètres de circonférence, et
une distance de 20 à 22 centimètres entre les nœuds. J e
n'entends donner ces dimensions ni comme la moyenne d'un
champ en particulier, ni comme celle des champs de canne
en général; j'entends seulement que, dans chaque champ,
il s'en trouve qui atteignent pleinement ces dimensions.
Des cannes de cette force, telles qu'on en récolte commu-
nément à la Jamaïque, au Bengale et dans les colonies des
détroits malais, rendent par acre 2,500 et môme 3,000 kil,
de sucre prêt à livrer au commerce; c'est un rendement

14 HISTOIRE
d'environ 5,900 à 7,000 kil. par hectare. Une production
aussi considérable par acre est, je le répète, une chose très
ordinaire et de notoriété publique. Mais généralement les
planteurs comptent sur 2,000 kil. de sucre par acre de
plant de cannes, c'est-à-dire de cannes de première année.
Je n'ai observé aucune différence à l'égard des produits de
cette canne dans les deux Indes ; quand le sol est bon, ces
produits sont tels que je viens de les indiquer.
Lorsqu'elle est plantée dans la saison convenable, et bien
soignée ultérieurement, cette canne atteint souvent sa ma-
turité en dix mois ; elle dépasse très rarement douze mois.
Il peut être utile do la laisser sur pied pendant quatorze
mois dans quelques circonstances particulières, par exem-
ple quand la terre est excessivement fertile, ou lorsque la
saison est très humide ; mais le détail de ces circonstances
sera mieux à sa place dans un autre chapitre ; je l'exposerai
complétement en temps et lieu.
Cette canne demande un sol généreux, soigneusement
enclos, et une culture attentive. Bien des terres appro-
priées à d'autres variétés ne conviennent point à celle-là ;
elle ne peut y prendre son développement normal. Elle est
beaucoup plus fortement endommagée que les autres par
les bêtes à cornes lorsqu'elles viennent à envahir les champs
de canne à sucre. Le feuillage de la canne d'Otahiti est
d'un vert pâle ; ses. feuilles sont larges et très retombantes.
Quand la plante approche de sa maturité , elle fleurit assez
souvent, ce qui donne aux plantations de cette espèce de
canne l'aspect le plus gracieux.
§ 4. — Canne rayée de pourpre ou à rubans.
La canne pourpre rayée d'Otahiti diffère très peu, quant à

DE LA CANNE A SUCRE. 15
son apparence, de la canne à rubans de Batavia; mais la
première porte de larges raies pourpre sur un fond d'un
jaune verdâtre, tandis que la seconde est rayée d'un rouge
de sang sur un fond de couleur paille transparent. On la
nomme souvent canne à rubans d'Otahiti, pour la distinguer
de la canne à rubans de Batavia. Son feuillage est d'un vert
beaucoup moins foncé que celui de la variété jaune ; ses
feuilles sont aussi beaucoup moins retombantes. C'est une
variété robuste, une canne recommandable par ses fortes
dimensions; elle est tendre, juteuse et douce; le sucre
qu'on en obtient est aussi abondant que celui de l'espèce p r é -
cédente, mais de qualité un peu inférieure.
§ 5. — Canne de Batavia.
Les cannes de Batavia, du moins celles dont j'ai connais-
sance, sont au nombre de quatre : la jaune violette, la
pourpre violette ou canne de Java, la transparente ou canne
à rubans, et la tibboo Batavie, ou canne de Batavia des colo-
nies des détroits malais.
La canne jaune violette, ainsi nommée dans les Indes oc-
cidentales, diffère de la canne de Bourbon en ce qu'elle est
plus petite, moins riche en j u s , beaucoup plus dure et plus
leute dans sa croissance ; son feuillage est aussi d'un vert
plus foncé, et plus redressé. Quand elle est mûre, elle est
ordinairement de couleur paille ; son écorce est épaisse et
sa moelle d u r e , mais son jus est riche et abondant. La
canne jaune violette ne demande pas un sol aussi riche que
celui qu'exige la canne d'Otahiti ; elle se contente des terres
de qualité inférieure. Cette circonstance la rend précieuse
pour les vastes plantations où quelques pièces de terre peu-

16 HISTOIRE
vent se trouver trop peu fertiles pour les cannes des espèces
supérieures que j'ai décrites ci-dessus. A la Jamaïque, dans
les champs les moins fertiles, on est dans l'usage de planter
la canne jaune violette; on voit souvent ainsi des parties
considérables de cette canne croître d'une manière floris-
sante au milieu de vastes champs de canne de Bourbon.
L'aspect de cette végétation peut faire naître des idées très
fausses chez l'observateur qui ne serait pas en même
temps praticien. Le feuillage d'un vert foncé de la canne
jaune violette offre un contraste frappant avec le vert pâle
des cannes de Bourbon qui l'environnent. On pourrait être
porté à en conclure que ces zônes d'un vert plus foncé sont
dues à un plus haut degré de fertilité ou de fraîcheur dans ces
portions do terrain. C'est précisément le contraire. Le sucre
obtenu de cette canne est de très belle qualité ; mais elle en
fournit beaucoup moins que la canne de Bourbon. Un usage
très fréquemment suivi par les planteurs de la Jamaïque
consiste à mêler le plant de canne jaune violette et le plant
de canne de Bourbon dans de justes proportions, dans le
but de corriger le jus de cette dernière canne et d'éviter
pendant la cuite les accidents de brûlure ou autres qui sans
cela pourraient être à redouter.
La canne pourpre violette ou grande canne noire de Java est
aussi forte que celle d'Otahiti. Ses nœuds sont espacés entre
eux de 3 à 7 pouces (de 0 .075 à 0 .175);
m
m
sa hauteur
est habituellement de 8 à 10 pieds (de 2 .40
m
à 3 mètres);
ses feuilles sont d'un vert plus clair que celui des feuilles de
la canne jaune violette. Les entre-nœuds de la partie supé-
rieure offrent quelquefois des lignes pâles qui disparaissent
aux entre-nœuds inférieurs, lesquels sont d'une nuance
pourpre des plus foncées. Très souvent ils sont revêtus

DE LA CANNE A SUCRE. 17
d'une pellicule résineuse à travers laquelle la couleur de la
canne ressemble à celle du plus beau raisin violet recouvert
de ce léger enduit blanchâtre que les jardiniers nomment
la fleur du raisin. L a croûte résineuse est parfois assez
épaisse pour que la couleur pourpre de la canne soit à peine
visible sur quelques-uns des entre-nœuds. Quand elle est à
son point de parfaite maturité, la canne pourpre violette four-
nit un jus riche et très sucré. Comme elle est très ferme, elle
est assez difficile à broyer, et son jus est comparativement
peu abondant ; il est d'ailleurs quelquefois difficile à t r a -
vailler, en raison de la substance résineuse ou gommeuse
et de la matière colorante qu'il contient. C'est une canne
très rustique, croissant bien dans les terres pauvres et sè-
ches. A la Jamaïque, on en met souvent des rangées exté-
rieures autour des champs plantés d'autres espèces de cannes,
afin qu'elles soutiennent le choc des bestiaux à leur pas-
sage. Ceux-ci, soit en broutant le long des chemins, soit en
renversant les clôtures, brisent les cannes et les foulent aux
pieds. Ces dégâts auraient en fin de compte des conséquen-
ces très graves ; mais heureusement la canne pourpre violette
est tellement robuste que le dégât est bientôt réparé ; car
elle repousse avec une rapidité à peine croyable. Elle a été
introduite aux Indes occidentales à la même époque que la
canne de Bourbon ; elle y est de plus en plus cultivée. Dans
les colonies des détroits, les Malais la nomment tibboo étam
(des mots malais tibboo, canne, et étam, noir) ; ils la cultivent
beaucoup autour de leurs maisons pour leur propre consom-
mation.
La canne transparente ou canne à rubans est beaucoup
moins développée dans toutes ses dimensions que la canne
à rubans d'Otahiti; elle est d'un rouge transparent lustré,
2

18 HISTOIRE
avec de nombreuses lignes ou stries d'un rouge de sang, qui
courent sur toute la longueur de la tige, et dont la largeur
varie d'un quart de pouce à un pouce (de 0 .006 à 0 .025) ;
m
m
ses nuances étant fort vives, elle offre un aspect très agréa-
ble. Ses feuilles sont du même vert que celles de la canne
jaune violette, mais elles sont plus redressées. Elle s'élève
de 6 à 10 pieds (1 .80 à 3 mètres) ; ses nœuds sont espacés
m
entre eux de 4 à 8 pouces (de 0 .10 à 0 .20); la tige a
m
m
4 pouces (0 .10) de circonférence.
m
On plante généralement la canne transparente dans les
terres légères et siliceuses où d'autres variétés ne viendraient
pas ; on la plante aussi quelquefois en mélange avec la canne
jaune violette. Bien que son écorce soit épaisse et que toute
sa substance soit assez dure, elle n'en donne pas moins une
bonne quantité de j u s , facile à convertir en beau sucre de
bonne qualité. Souvent les planteurs font broyer cette canne
en mélange avec la canne de Bourbon, par les motifs qui
les portent à en user de même avec la canne jaune violette.
La canne tibboo ou canne de Batavia est commune dans
les colonies des détroits ; elle y est cultivée p a r les Malais.
Son aspect offre beaucoup de ressemblance avec celui de la
canne violette ; elle n'en diffère que par sa couleur verdâtre,
partiellement nuancée de cramoisi. S u r quelques-uns des
entre-nœuds inférieurs, la nuance cramoisie est belle et
brillante ; elle est plus tendre et moins foncée sur ceux du
haut de la tige. Les intervalles entre les nœuds y ont r a -
rement plus de 3 à 6 pouces de longueur (0 .075 à 0 .150).
m
m
Pour la hauteur, les dimensions, le feuillage, elle ressem-
ble exactement à la cannne jaune violette ; elle en diffère
néanmoins en ce qu'elle est plus t e n d r e , plus riche en j u s ,
et généralement moins robuste; mais, dans son ensemble,

DE LA CANNE A SUCRE. 19
elle est inférieure à celle d'Otahiti, bien qu'elle ne soit pas
moins exigeante quant à la qualité du sol.
§ 6. — Canne de l'île Maurice.
Une espèce particulière de canne a été envoyée de l'île
Maurice à Pinang, dans la province de Wellesley, sous le
nom de canne de Maurice. J'ai eu plusieurs fois occasion
d'observer cette canne, mais seulement pendant la première
période de sa croissance. Elle diffère essentiellement des
autres cannes provenant de l'île Maurice ; elle m'a fait
l'effet d'une canne des Indes orientales améliorée par la
culture.
§ 7. — Canne d'Assam.
Je n'ai vu dans l'Indostan que trois variétés de grandes
cannes supposées appartenir en propre à ce pays. L'une de
ces trois cannes est nommée canne rouge d'Assam; M. Keith-
Scott, chirurgien civil au service de la Compagnie des Indes
à Gowhatty, dans le pays d'Assam, a eu l'obligeance de m'en
envoyer des échantillons. M. Keith-Scott a établi à Gow-
hatty une plantation où il fabrique du sucre; il connaît
donc à fond la véritable canne rouge d'Assam, ce qui donne
un grand poids à son opinion sur cette canne. Voici ce qu'il
m'écrivait à ce sujet :
« Ce matin je vous ai expédié, par le bateau de la Com-
pagnie du thé d'Assam, deux pieds de canne rouge d'As-
sam, en priant le secrétaire de la Compagnie de vous les
faire parvenir. C'est une espèce que vous ne devez avoir ja-
mais vue précédemment ; elle est riche en jus et fort douce ;
le sucre qu'on en obtient est d'un grain excessivement fin et

20 HISTOIRE
d'une bonne couleur. Elle est en outre d'une croissance vi-
goureuse, beaucoup moins sujette à verser que la canne
d'Otahiti, à laquelle d'ailleurs elle n'est point inférieure, ni
pour les dimensions, ni pour l'abondance et la bonne qua-
lité de son j u s . J e vous prépare aussi quelques échantillons
des fleurs de cette canne, à divers degrés de développe-
ment ; je vous les enverrai quand ils seront parfaitement
secs; en ce moment (janvier), des cannes que j ' a i plantées
au mois de mai sont en fleurs. »
Ainsi la canne rouge d'Assam fleurit à l'âge do huit mois
environ; de sorte que, dix mois après qu'elle a été plantée,
elle peut être coupée et travaillée pour l'extraction du sucre.
Je regrette de devoir ajouter qu'étant restées deux mois
en route, ces cannes me sont parvenues mortes et dessé-
chées.
Quelque temps après, le docteur Keith-Scott m'expédia de
nouveau deux caisses de boutures de canne rouge d'Assam ;
malheureusement aucune ne survécut à un trajet rendu
excessivement long par des circonstances accidentelles.
Plus t a r d , j'ai pu avoir avec mon excellent ami le docteur
Keith-Scott, une longue et intéressante conversation au su-
jet de cette canne; il m'a confirmé de vive voix tout ce qu'il
m'en avait écrit, en y ajoutant un grand éloge des qualités
de la canne rouge d'Assam. D'après toutes ces données, j ' a i
dû m'en former l'opinion la plus avantageuse.
Dans le Bengale inférieur ( aux environs do Calcutta ) et
dans les colonies des détroits malais, on trouve en abondance
une grande canne rouge; ressemblant si exactement à la canne
rouge d'Assam du docteur Keith-Scott, que je la regarde
comme étant identiquement la môme variété, seulement un
peu améliorée par la culture dans le riche et fertile pays

DE LA CANNE A SUCRE. 21
d'Assam. J e dois faire observer toutefois que je n'en parle
pas avec une certitude absolue, n'ayant jamais vu le feuil-
lage de la canne rouge d'Assam.
§ 8. — Canne rouge du Bengale ou tibboo mérah.
La canne rouge du Bengale est une grande et belle canne,
fort cultivée aux environs de Calcutta pour la fabrication
du sucre. Les naturels du pays m'ont apporté du sucre de
cette canne, extrait par eux au moyen de leurs procédés
grossiers et tout à fait primitifs. Ce sucre avait un grain
énorme, très dur et très brillant. Toutefois ils prétendent
que la canne rouge ne vaut rien pour faire du sucre, que
son jus est trouble et son sucre toujours fortement coloré. Je
n'attache pas à ces assertions une bien grande importance,
sachant comment ces inconvénients peuvent être évités.
D'abord le paysan bengalais a une manière à lui d'atta-
cher les unes aux autres les cannes de chaque ligne avec
des liens faits de feuilles de cannes tressées. Il en résulte
qu'à mesure qu'elles croissent, la substance résineuse qui
exsude de leur écorce s'accumule au dehors sur toute la
longueur de chaque canne; elle y noircit, et contribue, avec
les déjections des nombreux insectes qui viennent y cher-
cher le logement et la nourriture, à rendre excessivement
sale la surface des cannes. Ajoutez à cela l'absence de l'air
et do la lumière, si nécessaires à la parfaite élaboration du
jus, et il n'y aura pas lieu de s'étonner si ce jus est trouble
et difficile à clarifier. D a n s les colonies des détroits malais,
J'ai vu la même canne aussi propre que toute autre, touffue,
droite et vigoureuse. Les Chinois prétendent que, lorsqu'on
la broie, elle donne une grande quantité de matière colo-

22 HISTOIRE
rante, ce qui serait sans aucun inconvénient s'ils savaient
bien clarifier le jus ; mais c'est C8 qu'ils ne font pas. D'après
ces considérations , je suis porté à la regarder comme une
belle, et, dans certaines circonstances, comme une bonne
espèce de canne. Les Malais la nomment tibboo mérah
(canne rouge).
Les deux autres grandes cannes des Indes orientales
sont la canne noire du Népaul et la canne jaune du Népaul.
J'ai reçu directement du royaume du Népaul quatre échan-
tillons de chacune de ces deux cannes, croissant dans des
caisses. Après une longue série d'aventures en voyage,
elles me parvinrent saines; et sauves, en bonne santé, pro-
mettant de devenir de belles et bonnes cannes ; mais une
longue et douloureuse maladie m'ayant forcé de changer
d'air, pendant mon absence elles furent mangées par des
chèvres. C'étaient des cannes de forte taille et d'un bel
aspect, égales en apparence à la canne rouge d'Assam. Mes
messagers, aussi bien que des Indiens du Népaul que j'avais
à mon service, en faisaient le plus grand éloge. Je regrette
d'avoir à dire que jamais je n'ai eu depuis une nouvelle oc-
casion de revoir ces deux variétés de cannes.
Quant aux cannes de petite dimension cultivées dans
l'Inde, leurs variétés sont si nombreuses que je n'entrepren-
drai pas de les décrire. Du r e s t e , lorsqu'on les compare à
celles dont je viens de parler et à celles dont j ' a i encore à
donner la description, elles paraissent tellement misérables
que, si je ne savais qu'elles sont cultivées très en grand par
les naturels de l'Inde, pétris de préjugés, je ne les aurais
pas jugées dignes d'une simple insertion. J'aurai occasion
d'en parler avec détail quand je traiterai de la culture de la
canne à sucre dans l'Inde.

DE LA CANNE A SUCRE.
23
§ 9 . — Canne de la Chine.
La canne de la Chine fut reçue directement de la Chine au
jardin botanique de Calcutta, en 1796; elle avait été de-
mandée en Chine par l'ordre exprès du gouvernement, à la
requête du docteur Roxburgh, qui la regardait comme une
espèce nouvelle, botaniquement parlant, et qui lui avait im-
posé le nom de saccharum Sinense (canne à sucre de la Chine).
En 1799, le docteur Roxburgh écrivait : « Cette canne est
cultivée avec le plus grand succès ; on en a distribué dans
tout le pays du plant par centaines de mille à ceux qui se
livrent à ce genre de culture. »
Le docteur Royle a dit en parlant de la même canne, dans
son traité des Ressources productives de l'Inde, page 92 :
« Elle possède l'avantage d'être si ferme et si solide qu'elle
résiste aux piqûres de la fourmi blanche et à la dent du
chacal, deux grands ennemis des plantations de canne à
sucre aux Indes orientales. Toutefois on a trouvé trop de
difficulté à en exprimer le jus avec les moulins à sucre dont
on se sert au Bengale ; mais le docteur Roxburgh pense que
cet inconvénient disparaîtrait si l'on adoptait au Bengale
l'usage du moulin à la fois simple et puissant employé dans
les sucreries du Coromandel. Il attribue à la canne à sucre
de la Chine la propriété de résister à la sécheresse mieux
que les autres espèces admises dans les plantations, et de
produire une récolte abondante jusqu'à sa troisième année,
tandis que les cannes communes de l'Inde doivent être plan-
tées tous les ans. D'après le rapport de MM. Touchet, r é -
sident commercial à Radnagore, et R. Carden, surintendant
de la plantation de cannes à sucre de la Compagnie des Indes

2 4 HISTOIRE
à Mirzapore-Culna, la canne de la Chine brave les attaques
de la fourmi blanche et du chacal ; en outre, elle donne des
produits doubles de ceux de la canne commune du Ben-
gale. »
Indépendamment de ce témoignage, dont j e connais la
parfaite exactitude, j e puis donner ici celui de ma propre
expérience. J e reproduirai donc ce que j'écrivais à ce sujet
il y a environ quatre ans et demi. Le jardin de la Société de
Calcutta m'avait envoyé des cannes de la Chine; le navire
qui me les apportait resta plus de deux mois en route ; elles
arrivèrent cependant parfaitement fraîches et vertes, tandis
que des cannes d'autres espèces faisant partie du même
envoi étaient mortes ou tout à fait flétries. J e divisai en
boutures de deux nœuds chacune les trois cents cannes de
la Chine que je venais de recevoir; j ' e n eus de quoi plan-
ter une petite pièce de terre. Le produit de cette pièce, em-
ployé de même à faire des boutures, me suffit pour planter
environ deux hectares, et j ' e n eus quelques-unes de reste
pour distribuer à mes voisins. Elle est d'un tempérament
aussi robuste que prolifique ; pendant la dernière saison
chaude, tandis que toutes les autres étaient ou brûlées, ou
dévorées jusqu'au niveau du sol p a r l e s fourmis blanches,
elle n'a éprouvé aucun dommage. Lorsque les pluies com-
mencèrent à tomber, les cannes de la Chine donnèrent une
quantité prodigieuse de rejetons ; quelques pieds en avaient
jusqu'à trente. Au mois de septembre, ces rejetons étaient
devenus de belles cannes d'environ 12 pieds (3 .60) de
m
haut, et 3 pouces (0 .075) de circonférence; les nœuds étaient
m
espacés entre eux de 6 à 8 pouces (0 .15 à 0 . 2 0 ) . Au
m
m
mois d'octobre, ces cannes furent coupées et plantées; quoi-
que l'hiver ait été assez sévère , le froid ne parut exercer

DE LA CANNE A SUCRE. 25
sur leur croissance aucune influence défavorable ; les cannes
du pays, plantées à la même époque, furent au contraire
complétement détruites. J e puis donc moi-même personnel-
lement attester l'extrême rusticité de la canne de la Chine,
qui résiste également bien à la chaleur, au froid, aux a t t a -
ques des fourmis blanches et à celles des chacals. Je la con-
sidère comme une variété très digne d'être propagée dans
les plantations des Indes orientales. Telle était l'opinion
que j'exprimais à son sujet il y a près de cinq ans ; depuis
cette époque, j e n'ai eu que des motifs de reconnaître com-
bien elle était exacte et fondée.
Un planteur du Bengale, très versé dans la culture de la
canne à sucre, m'écrivit sur la canne de la Chine dans les
termes suivants :
« Vous pouvez vous rappeler que j e vous ai écrit il y a
quelques mois pour vous demander des informations et des
conseils concernant la canne de la Chine, dont vous avez
parlé avec tant d'éloge dans le Journal de la Société d'agri-
culture et d'horticulture.
C'est avec un vrai plaisir que j e
vous fais part des résultats de mes propres essais sur cette
canne.
" Ainsi que vous me l'aviez conseillé, j'écrivis à la So-
ciété pour lui demander 500 cannes de la Chine ; je les reçus
en très bon état. J'en fis des boutures ayant un seul nœud
chacune. J e les fis planter en lignes à l . 2 0 les unes des
m
autres en tout sens ; après quoi elles eurent à subir les m ê -
mes chances auxquelles étaient exposées les cannes d'Ota-
hiti et celles du Bengale dans mes plantations. Le succès a
dépassé mes espérances, et cela à la suite d'une saison ex-
cessivement défavorable , qui avait gravement endommagé
mes cannes du Bengale. Quant aux cannes d'Otahiti , les

26 HISTOIRE
vents brûlants , les fourmis blanches , la prolongation des
pluies et la dent des détestables chacals m'en avaient à
peine laissé quelques-unes, tandis que les cannes de la Chine
n'avaient pas souffert. Avez-vous jamais vu les jeunes pous-
ses de la canne d'Otahiti dévorées par les chenilles? J'ou-
bliais de porter ces insectes dévorants sur la liste des enne-
mis de la canne d'Otahiti : c'est assurément un de ses
ennemis les plus formidables; j'en ai eu la preuve dans la
destruction partielle de mes plantations sur une assez grande
étendue ; les chenilles attaquent les jeunes pousses lors-
qu'elles ont à peine un décimètre hors de terre ; beaucoup
d'entre elles ne repoussent plus.
« J'apprends que les plantations d'indigo sont souvent
entièrement détruites de la même manière, quoique cet ac-
cident puisse ne pas se reproduire pendant quelques an-
nées. J'ai donc résolu d'essayer encore une seule fois, sans
plus, la culture de la canne d'Otahiti: si je ne réussis pas,
je m'en tiendrai exclusivement à la canne de la Chine, que
je propage peu à peu, autant que le nombre de mes plantes
me le permet. Je suis dégoûté de la canne du Bengale ; je
ne tarderai pas à la supprimer tout à fait. »
Ces témoignages me semblent suffisants pour établir ce
fait, que la canne de la Chine est une variété parfaitement
appropriée aux conditions de la culture dans l'Indostan. Je
crois inutile de faire observer qu'elle est cependant in-
finiment inférieure à la canne d'Otahiti, qui doit lui être
préférée partout où elle peut réussir. Introduite dans l'Inde
en 1796, la canne de la Chine était déjà en voie de ra-
pide propagation en 1799 dans tout l'Indostan. Elle est
actuellement commune au Bengale, où les gens du pays la
regardent comme indigène, parce qu'il y a longtemps qu'ils

DE LA CANNE A SUCRE. 27
la cultivent; ils lui ont donné dans leur langue un nom que
j'ai oublié. Je l'ai rencontrée dans plusieurs localités, où j e
l'ai parfaitement reconnue, et j e n'ai jamais trouvé qu'un
seul Bengalais qui sût que cette canne n'était pas indigène
du Bengale. Il est certain que, p a r une culture négligée d e -
puis un demi-siècle dans l'Indostan, elle a dû sensiblement
dégénérer. C'est pourquoi j e conseille à tous ceux qui veu-
lent en essayer la culture de s'adresser au jardin de la So-
ciété, à Calcutta, pour s'en procurer du plant de bonne
qualité.
C'est une canne de petite dimension, qui dépasse rare-
ment un pouce ou un pouce et quart (0 .025, à 0 .030) de
m
m
diamètre; mais elle est douce et donne un très beau et très
bon sucre. Les Chinois prétendent qu'elle est préférable à
toute autre pour la fabrique du sucre candi.
§ 10. — Canne de Salangore.
Huit espèces do cannes sont principalement cultivées
dans les colonies des détroits malais, à P i n a n g , dans la
province de Wellesley, à Singapore et à Malacca. L a pre-
mière et la plus répandue est la canne de Salangore; les Ma-
lais de la province de Wellesley la nomment tibboo bittong
bèraboo
( canne à écorce poudrée ) ; les Malais de Singapore
et de Malacca la nomment tibboo cappor (canne chaulée),
Parce que sa tige est quelquefois recouverte d'une quantité
considérable de matière résineuse blanche. C'est LA PLUS
BELLE
espèce de canne qui existe dans les colonies des dé-
troits malais, et peut-être DANS LE MONDE ENTIER. Elle est
universellement cultivée dans toute la province de Welles-
l e y ; les planteurs ne la connaissent que sous le nom de

28 HISTOIRE
canne de Chine, uniquement parce que les Chinois établis
dans cette province cultivaient la canne de Salangore long-
temps avant qu'aucun Européen eût entrepris la spécula-
tion de l'industrie sucrière dans ces colonies.
Il m'est arrivé de couper, sur une seule touffe de cette es-
pèce, jusqu'à cinq cannes des plus grandes dimensions. Cha-
cune d'elles était longue de 10 à 15 pieds (3 mètres à 4 .50),
m
non compris les feuilles du sommet ; leur circonférence,
mesurée aux entre-nœuds du bas, était de 7 pouces 1/2
(0 .18) ; chaque canne pesait alors 17 à 25 livres (de 8
m
kilogr. à 11 kilogr. 750 grammes). J'ai gardé pendant
quelques semaines à la maison celle qui pesait 25 livres ;
elle était visitée par nombre de curieux ; sa longueur était
de 13 pieds (3 . 90) et son diamètre de 2 pouces 1/2 (0 .0562) ;
m
m
c'était sans contredit la plus grosse canne que j'eusse jamais
vue. Le terrain sur lequel je l'avais trouvée croissante était
une jungle récemment défrichée; un Malais s'y était con-
struit une cabane ; il y cultivait autour de sa demeure du
riz et environ 3 acres ( 1 hectare 26 ares ) de canne à sucre.
Il avait mis en terre ses boutures de cannes sans aucune
régularité ; elles n'avaient reçu aucun soin de culture. J'ai
cependant compté dans son champ jusqu'à 25 cannes de
dimensions énormes sur une seule touffe, et il y en avait
beaucoup de semblables. On se tromperait si l'on croyait
que c'est là un cas isolé ; dans toute bonne terre de jungle
défrichée, la canne de Salangore prend une grosseur et une
hauteur extraordinaires. Je puis affirmer qu'il n'y a pas de
plantation, dans la province de Wellesley, où l'on ne puisse
trouver des cannes de cette espèce pesant 15 livres ( 7 kil. ).
Il est évident que, sur une plantation de 500 acres (235 hect.),
le poids moyen des cannes reste beaucoup au-dessous de

DE LA CANNE A SUCRE. 29
7 kilogr.; j'ajoute que de trop grandes cannes sont plutôt
un inconvénient qu'un avantage pour la fabrication du
sucre.
La canne de Salangore est remarquable par la quantité
de piquants ( on les nomme, aux Antilles anglaises, cane itch )
qu'on trouve sur la portion de la feuille par laquelle celle-ci
tient à la tige. Souvent, en touchant sans précaution des
cannes de cette espèce pendant leur croissance, j'ai eu la
main couverte de piqûres qui, pénétrant par milliers dans
les chairs, y causaient une inflammation douloureuse. Les
fleuilles sont fort larges, profondément dentées sur les
bords, et très retombantes ; elles sont d'un vert un peu plus
foncé que celles de la canne du pays ; elles adhèrent forte-
ment à la tige et tombent rarement d'elles-mêmes lors-
qu'elles sont sèches, comme celles de la plupart des autres
espèces de cannes; les feuilles de la canne de Salangore
doivent être détachées à la main. Cette canne repousse du
pied mieux que toutes celles qu'on cultive dans les colonies
des détroits malais. J'en ai vu dont les rejetons de troi-
sième année donnaient 40 piculs par orlong de sucre graine
non desséché. ( Le picul vaut 133 livres 1/2 ; l'orlong vaut
une acre 1/3). D'après ce que j ' e n ai v u , j e suis porté
à croire qu'aux Indes occidentales, à l'île Maurice et dans
l'Indostan, on trouvera que la canne de Salangore repousse
du pied mieux que toute autre variété de canne.
Au point de vue du rendement, j ' a i eu connaissance de
plantations où, en prenant la moyenne de plusieurs acres,
la canne de Salangore donnait 65 piculs par orlong, de sucre
grainé; ce qui revient à 6,500 livres p a r acre (7,275 kilogr.
par hectare). Un colon français de la province de Wellesley
m'a dit bien souvent qu'il avait obtenu par acre de la même

30 HISTOIRE
canne au delà de 7,200 livres de sucre grainé non desséché,
duquel il était certain de tirer 5,800 livres (2,436 kilogr.)
de sucre bien séché au soleil, prêt à livrer au commerce
maritime.
Pour mon propre compte, malgré l'état d'imperfection
des procédés d'extraction du jus et de fabrication du sucre,
j'ai toujours constaté comme produit ordinaire de la canne
de Salangore, dans toute terre de bonne qualité, dans les
colonies des détroits malais, un rendement de 3,000 livres
de sucre sec par acre (3,119 kilogr. par hectare); mais en
tenant compte de la grande richesse du sol dans les îles des
Indes occidentales, à Démérary et à l'île Maurice, je ne s e -
rais point étonné qu'elle y pût rendre 3,000 kilogr. par acre
(7,142 kilogr. par hectare).
L a canne de Salangore pousse droite et ferme ; elle se
soutient sans verser, beaucoup mieux que la canne d'Ota-
hiti; elle donne un jus très abondant, doux, facile à clari-
fier, cuisant bien, produisant un sucre également beau et
bon, d'un grain dur et étincelant. Somme toute, je crois
cette canne meilleure que toute autre, et je voudrais avoir
songé à en faire l'essai aux Indes occidentales et à l'île Mau-

rice.
Elle me paraît être particulière à la presqu'île de Ma-
lacca ; l'on dit qu'elle était dans l'origine spécialement abon-
dante sur le territoire du rajah de Salangore (entre Pinang
et Malacca). Aujourd'hui qu'elle est cultivée dans quinze
ou vingt grandes plantations de la province de Wellesley,
à Pinang, on peut s'en procurer de grandes quantités dans
cette colonie.

DE LA CANNE A SUCRE.
31
§ 11. — Tibboo leeut (canne d'argile) et tibboo teeloor
(canne aux œufs).
La canne tibboo leeut (canne d'argile), quelquefois nom-
mée canne d'Otahiti, a déjà été décrite ci-dessus comme ap-
partenant à cette variété.
La canne tibboo teeloor ( canne aux œufs ) a été longtemps
regardée par les planteurs de la province de Wellesley
comme la canne d'Otahiti; mais ils étaient entièrement dans
l'erreur. C'est évidemment la canne décrite p a r Cook et
d autres navigateurs comme particulière à l'île de Tanne,
l'une des Nouvelles-Hébrides. Cook dit, en mentionnant
cette canne seulement pour mémoire : « La canne à sucre
de ces îles nous parut de beaucoup supérieure à celle d'O-
tahiti, étant plus tendre, plus riche en jus, plus propre,
d'un jaune plus pâle et plus brillant, et en même temps
d'une végétation plus belle et plus luxuriante. »
Plusieurs relations, à ma connaissance, en parlent dans le
même sens ; j'ai eu de plus occasion de savoir plus complète-
ment à quoi m'en tenir, lorsque j e me suis trouvé à Singapore
avec le propriétaire d'un navire qui avait plusieurs fois
visité les Nouvelles-Hébrides. C'était un homme de sens et
un très bon observateur. Il me dit que lui et ses officiers
avaient particulièrement remarqué l'extrême propreté et l'a-
spect lustré de la canne de Tanne comparée à celle d'Ota-
hiti. A son arrivée à Singapore, son dabash (nom qu'on
donne à un naturel du pays qui se charge d'approvisionner
le navire tant qu'il est dans le port) vint à son bord avec un
panier de fruits parmi lesquels se trouvaient plusieurs mor-
ceaux de canne à sucre; chacun reconnut ces morceaux

32 HISTOIRE
comme appartenant à la canne de l'île de Tanne. Le dabash
leur dit qu'à Singapore on nommait cette variété canne aux
œufs. Ce navigateur vérifia plus tard l'identité de la canne
tibboo leeut avec la canne d'Otahiti. « Il n'y a pas, me disait-
il, un seul matelot de mon équipage qui ne puisse, dans le
jardin du premier Chinois venu, vous montrer sans hésita-
tion ces deux variétés de cannes. » J'ai reconnu en outre
que la canne aux œufs a été introduite à Manille (îles P h i -
lippines) depuis nombre d'années, et que c'est de là qu'elle
a été apportée à Singapore, où les Chinois la cultivent pour
le marché, où elle est très recherchée pour la consommation
en nature. Elle est à peu près égale, quant à ses dimen-
sions, à la canne d'Otahiti, en même temps qu'elle l'emporte
sur toutes les autres cannes par sa netteté et sa belle appa-
rence.
Quelques particularités propres à la canne aux œufs ne
peuvent échapper à l'observation, et ne doivent point être
oubliées. Indépendamment de son extrême propreté et de
sa bonne mine, cette canne est remarquable par les carac-
tères suivants : absence à peu près complète de piquants
[cane itch) ; souplesse de ses feuilles ; manière curieuse dont
les bourgeons sortent des nœuds (c'est ce qui lui a fait don-
ner par les Malais le nom de canne aux œufs, le bourgeon
sortant sous la forme d'un œuf) ; dispersion des feuilles au-
tour de la plante lorsqu'elles sont sèches ; délicatesse de sa
structure, qui l'expose à verser et très souvent à être rom-
pue ; enfin volume des yeux ou bourgeons tout le long de la
tige ; ces bourgeons prennent un développement tout à fait
extraordinaire ; ils s'ouvrent plus rapidement que dans au-
cune autre variété de canne qui existe à ma connais-
sance.

DE LA CANNE A SUCRE. 33
cune autre variété de canne qui existe à ma connaissance.
Elle est très prolifique ; je n'en connais aucune autre , à
l'exception de celle de la Chine, qui puisse être si prompte-
ment propagée; car chaque œil formé sur la tige pousse
avec vigueur, et chaque pied donne généralement depuis
cinq jusqu'à quinze cannes.
Elle fournit autant, pour ne pas dire plus, de jus de ri-
che qualité que toute autre canne ; ce jus peut donner un
bon et beau sucre, d'un grain sec et brillant. Mais avec tant
de qualités recommandables, elle a des défauts très graves
qui s'opposent d'une manière à peu près absolue à son adop-
tion dans les plantations. Sa nature fragile, sa disposition
à verser et à se briser, c'est-à-dire à se détruire entièrement,
ne permettent de l'admettre que dans les terres bien abri-
tées contre les vents, et qui ne sont ni trop humides, ni trop
fertiles.
J'ai souvent rencontré des localités semblables ; il y a,
par exemple, ce qu'on nomme à la Jamaïque les fonds; ce
sont les terres situées entre les collines; ces fonds, sans
excès de fertilité, sont en général d'une nature suffisam-
ment riche pour cette espèce de canne. Bien des emplace-
ments seraient, sans aucun doute, admirablement appro-
priés à la culture de la canne de l'île de Tanne, ou canne
aux œufs des Malais ; elle y serait parfaitement à l'abri
du vent et exposée au plein soleil, dont l'action lui est très
nécessaire; sans quoi son j u s deviendrait aqueux et mu-
cilagineux. Mais là où le sol lui convient et où rien ne lui
dérobe l'influence des rayons solaires, aucun jus n'est
plus limpide, et il n'y en a pas de plus riche en matière sac-
charine.
Au moment où j'écris, cette canne est soumise à diverses
3

34 HISTOIRE
expériences dans deux plantations sur l'une desquelles il
y en a cinquante ares bientôt prêtes à livrer au moulin. J u s -
qu'à présent, autant qu'on peut en juger par les essais pré-
cédents, ses produits sont très satisfaisants, malgré le déficit
résultant de celles qui sont versées ou brisées ; mais les
cultivateurs chinois engagés en font peu de cas.
§ 13. — Tibboo étam obat (canne noire médicinale).
J'ai déjà décrit la canne de Batavia, celle de la Chine, la
rouge, et une canne noire; j e n'en ai par conséquent plus
qu'une à mentionner. On la nomme canne noire ( tibboo étam ) ,
mais en y joignant u n surnom pour spécifier le caractère qui
lui est propre ; elle se nomme en malais tibboo étam obat,
ou canne noire médicinale, d'après l'idée reçue dans le pays
qu'elle est une panacée souveraine dans bien des maladies.
J'ai tout à fait oublié quelles sont ces vertus médicales si
fort estimées; je sais seulement qu'on la rencontre très
fréquemment dans les jardins des Malais, qui tiennent à
l'avoir sous la main en cas de besoin. C'est une canne pe-
tite, mais propre et jolie, d'une riche nuance de pourpre,
dont elle fait part aux mains et à la bouche de ceux qui la
mangent. Pour moi, qui n'avais jamais rien observé de sem-
blable chez aucune canne, je ne fus pas peu surpris de voir
que celle-çi déteignait sur nos mains et sur nos visages.
Une autre de ses particularités, non moins remarquable,
c'est la belle nuance d'un cramoisi délicat des très jeunes
feuilles; à mesure qu'elles se développent, cette nuance
devient plus foncée; elle se fond harmonieusement avec
un beau vert, et donne au feuillage un aspect singulier et
des plus agréables.

DE LA CANNE A SUCRE. 35
D'après tout ce qui précède, les deux meilleures variétés
connues de cannes à sucre sont celles d'Otahiti et de Salan-
gore. On voit aussi que d'autres espèces peuvent, dans cer-
taines localités, et sous l'empire de certaines circonstances,
rendre de grands services et être fort dignes de l'attention des
planteurs. Ces vérités deviendront plus frappantes à mesure
que j'entrerai plus avant dans mon sujet ; je me borne donc à
ajouter que le choix d'une variété de cannes est de la plus haute
importance, et qu'il n'y a pas plus de peine à prendre ni plus
de frais à débourser pour cultiver une canne de qualité su-
périeure, devant donner des produits et des bénéfices cer-
tains, que pour cultiver une canne de qualité inférieure,
ne pouvant donner pour résultat que perte et déception. Je
ne pense pas non plus qu'il convienne d'adopter exclusive-
ment une seule variété de cannes dans une plantation ; il en
faut toujours admettre deux ou même trois, dont une sera
la plus généralement cultivée.


CHAPITRE II.
La canne à sucre. — Influence du sol, du climat et des saisons.
§ 1 . — La canne à sucre (saccharum officinale).
e r
La canne à sucre (saccharum officinale), dont les bota-
nistes ont fait un genre de la triandrie digynie, est une
plante gigantesque de la tribu des graminées ; cette plante
est, sous tous les rapports, l'une des plus importantes parmi
toutes celles que nous devons à la bienfaisante Providence.
L'un de ses produits, le sucre, est tellement usité, il con-
tribue tellement au bien-être de l'humanité, qu'aucun effort
ne doit être négligé pour arriver à le mettre au plus bas
prix possible, à la disposition des plus pauvres d'entre nos
semblables.
§ 2. — Propriétés du sucre de canne.
Les usages du sucre sont excessivement multipliés ; on
s'en sert spécialement pour édulcorer et rendre agréables
au goût une foule de mets et de liqueurs ; on en prépare des
sirops qui adoucissent, épaississent et conservent les sucs
végétaux employés en médecine. Les fruits cuits dans le
sirop prennent le nom de confitures ; ils se gardent indéfini-
ment en cet état, et peuvent être expédiés dans toutes les par-
l e s du monde connu. C'est un fait bien constaté que l'homme
peut, non-seulement ne pas mourir de faim, mais encore vi-
vre en bonne santé, sans autre aliment que du sucre et de

38 LA CANNE A SUCRE.
l'eau. La preuve de ce fait a été fournie par l'équipage d'un
navire qui transportait en Angleterre une cargaison de
sucre ; ce navire, ayant essuyé plusieurs tempêtes alternant
avec des calmes, fut tellement retardé dans sa traversée que
tous les vivres à bord furent consommés; l'équipage fut
forcé de recourir au sucre ; non-seulement le sucre soutint
la vie de ces marins, mais encore il fit disparaître le scorbut,
qui avait exercé parmi eux de cruels ravages avant qu'ils
eussent été forcés d'avoir recours à cette suprême et provi-
dentielle ressource; grâce à cette agréable nourriture, ils
parvinrent au port sains et saufs. (Voir une note de Porter,
extraite de la Gazette de Santé, n° 44, année 1785.) Ce n'est
point un exemple isolé des propriétés antiscorbutiques du
sucre ; les propriétés nourrissantes et engraissantes du su-
cre sont parfaitement prouvées par l'expérience dans toutes
les plantations de cannes à sucre qui existent dans le monde
entier; le doute à cet égard n'étant pas possible, j e crois
inutile d'insister sur un point aussi bien établi. Le sucre
est aussi un excellent antiseptique ; il l'emporte, à cet égard,
même sur le sel marin ; Orfila le recommande comme anti-
dote en cas d'empoisonnement par le vert-de-gris et l'oxyde
de cuivre.
Les qualités admirables du sucre ne sont pas appréciées
par l'homme seulement; les animaux, les oiseaux, un grand
nombre de reptiles et d'insectes aiment sa saveur douce, et
engraissent lorsqu'ils en consomment.
Un absurde et vulgaire préjugé a cependant été répandu
contre l'usage du sucre, à quelque dose que ce soit ; on le
disait malsain, engendrant des vers dans l'estomac, faisant
gâter les dents, produisant des nausées, etc., etc. L'expé-
rience a pleinement démontré que les effets du sucre sont

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 39
précisément le contraire de tout cela; aucune substance
n'est plus salubre que le sucre, plus anthelmintique, moins
capable de nuire aux dents ou de donner des nausées. Quand
le sucre cause des nausées, c'est toujours la faute, non du
sucre en lui-même, mais des affreuses drogues qu'on y
mêle sous prétexte de bonbons. S'il pouvait y avoir le plus
léger doute sur ce fait, on en aurait immédiatement la
preuve par l'analyse de ces préparations prises dans n'im-
porte quelle boutique de confiseur.
Comme point de départ, on veut, par la culture de la
canne à sucre, obtenir tous les ans, d'une étendue de terre
déterminée, la plus forte quantité possible de beau sucre,
avec la moindre dépense possible de temps , de travail et
d'argent. C'est ce qu'on ne peut espérer que quand la canne
à sucre est portée au moulin dans son plus grand état
possible de maturité et de perfection, que les appareils de
fabrication sont les plus perfectionnés possibles, et qu'en-
fin la fabrication du sucre est conduite dans toutes ses
branches avec savoir, économie, soins éclairés et propreté
minutieuse.
On voit par là que le succès de l'opération dépend de
trois circonstances qui doivent exister de concert ; si l'une
des trois manque, il y a perte plus ou moins grave ; quel-
quefois la perte est si considérable qu'elle rend l'opération
entière tout à fait ruineuse.
La première des conditions exigées m'oblige à décrire
l'organisation particulière de la canne à sucre, et à montrer
quelles sont les circonstances sous l'empire desquelles le
principe sucré cristallisable est élaboré et sécrété par la
canne en plus grande abondance. Les variations indiquées
Par le saccharimètre, et les désappointements dont se plai-

40 LA CANNE A SUCRE.
gnent continuellement les planteurs quant à la richesse en
sucre du jus de la canne, prouvent combien le corps des
planteurs en général comprend mal ce point essentiel, et
combien il est nécessaire de lui accorder une attention pro-
portionnée à son importance.
§ 3. — Variations dans la nature sucrée du jus de canne.
On peut se former une idée de la perte énorme éprouvée
par les planteurs, lorsqu'on réfléchit qu'il y a des exemples
de jus de canne marquant au saccharimètre de Baumé
12 degrés, représentant 21 pour 100 pleins de sucre pur,
et que très souvent le jus travaillé dans les chaudières de
la sucrerie n'a pas plus de 6 degrés , ne dépassant que très
rarement 8 ou 10 degrés.
Je vais plus loin ; je ne pense pas qu'on ait jamais constaté
d'une façon satisfaisante jusqu'où un système rationnel de
culture peut porter la richesse en sucre du jus de canne;
20 pour 100 peuvent bien être un maximum , mais je suis
disposé à croire qu'il ne peut môme pas être atteint.
M. Crawford affirme qu'à Java, la moyenne de la richesse
en sucre du jus de canne est de 25 pour 100; c'est sans con-
tredit une évidente absurdité, ainsi que j'aurai occasion
ultérieurement de le démontrer. J e me suis parfaitement
assuré, d'après les meilleures autorités, qu'à Java une r i -
chesse de 14 pour 100 est regardée comme très élevée, la
moyenne n'étant pas de plus de 10 pour 100. Je n'insiste
pas sur ce point, qui sera discuté plus loin ; je crois en avoir
dit assez pour prouver l'impérieuse nécessité d'améliorer
notre système de culture de la canne à sucre ; j'appelle avec
les plus vives instances toute l'attention des planteurs sur
les observations que j'ai à présenter à ce sujet.

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 41
La grande influence exercée par les particularités du sol,
du climat et des saisons sur une plante aussi délicate que
la canne à sucre, est évidente pour tout le monde ; il s'en-
suit nécessairement que, mieux la nature de cette influence
nous est connue, plus le succès de notre culture doit être
certain.
Je démontrerai premièrement les causes qui affectent
matériellement la croissance de la canne à sucre, son déve-
loppement normal et l'élaboration de ses sucs.
§ 4 . — Physiologie végétale de la canne.
Pour rendre cette démonstration plus claire, j e dois es-
quisser l'économie végétale de la plante, sa structure, la
manière dont elle puise dans le sol par ses racines les sub-
stances qui forment sa séve, et en même temps la manière
dont sa séve circule et dont elle est transformée, par l'action
des feuilles et des autres parties vertes, en aliments utiles
à la plante, ainsi que les circonstances particulières dans
lesquelles la matière saccharine cristallisable est déposée
dans ses cellules avec son maximum d'abondance. Je dois
déclarer explicitement q u e , pour bien élucider ces q u e s -
tions , je me base sur les opinions de Liebig, de Raspail et
des autres auteurs éminents qui ont écrit sur la chimie or-
ganique , étant pleinement d'accord avec eux; j'essayerai
d abréger et de simplifier leur texte, pour rester dans le ca-
ractère propre de cet ouvrage, sans me croire dans l'obli-
gation de citer continuellement les noms de ces savants.
Tout planteur sait que la canne se multiplie de boutures ;
on réserve ordinairement pour cette destination les nœuds
supérieurs de la plante, les plus rapprochés de la touffe de

42 LA CANNE A SUCRE.
fouilles qu'on nomme vulgairement la tête de la canne. Quel-
quefois aussi la canne entière est coupée en morceaux pour
faire des boutures ; toute portion portant un œil ou bour-
geon bien formé produit une plante.
Les boutures doivent avoir un, deux ou plusieurs nœuds,
pris sur n'importe quelle partie de la tige ; chaque nœud
porte un œil ou bourgeon. Quand la bouture est mise en
place, l'œil se développe; de nombreuses racines sortent en
même temps tout autour du cercle de chaque nœud ; ces
racines servent à nourrir la jeune plante jusqu'à ce qu'elle
soit assez développée pour émettre des racines qui lui ap-
partiennent en propre. (Voir figure l . )
r e
Figure 1.
A. Tête de canne, ou bouture plantée.
B,B,B,B. Jeunes pousses sortant des nœuds.

C,C,C,C. Racines émises par les nœuds, fournissant la nourriture
aux plantes.
D,D,D,D. Nœuds desquels sortent de jeunes pousses et des racines.
Si l'on retranche aux boutures les racines sorties des
nœuds, les jeunes pousses continuent à vivre pendant quel-
que temps ; puis elles meurent avant d'avoir acquis assez de
force pour émettre leurs propres racines. Si l'on place, à
titre d'expérience, quelques tronçons de canne dans de la
paille à demi pourrie, dans un lieu à la fois chaud et hu-
mide, en peu de jours on voit sortir des nœuds un grand
nombre de racines délicates. Quand ces racines ont environ
4 à 5 centimètres de long, coupez net ces racines fibreuses
avec un canif, sans blesser ni déranger les morceaux de
canne ; si de nouvelles racines semblables sont produites,
coupez-les comme précédemment. Pendant ce temps, les

Figure 1.


INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS.
45
bourgeons qui se seront développés auront continué à
croître ; mais peu de jours après le retranchement des ra-
cines, les pousses commencent à dépérir graduellement et
finissent par mourir, quelque soin qu'on prenne d'ailleurs
pour tâcher de les faire vivre. Ces faits prouvent que, bien
que les tronçons de canne plantés comme boutures abon-
dent en sucre, gluten, mucilage et autres principes immé-
diats des végétaux, ils ne peuvent cependant à eux seuls
faire subsister les jeunes pousses ; celles-ci ont un besoin
absolu de la présence des racines, qui, par leur mode parti-
culier d'action, leur fournissent le genre de séve que j e
nommerai séve ascendante, formée d'une solution aqueuse
de sels terreux. Dans la canne, cette séve est fournie par
les racines émises par le tronçon bouturé, jusqu'à ce que
les jeunes pousses soient elles-mêmes pourvues de racines
qui leur soient propres. Alors la bouture qui a formé la
plante meurt et se détruit peu à peu. (Voir fig. 2.)
Figure 2.
A. Tête de canne.
B,B,B,B. Jeunes pousses de canne sortant des nœuds D,D,D,D.
C,C,C C. Restes des anciennes racines figurées en C,C,C,C,
fig. 1 .
E,E,E,E. Jeunes racines produites par les jeunes cannes elles-
mêmes, et qui les font vivre indépendantes de la bouture
de canne A, actuellement détruite.

F,F,F,F. Jeunes bourgeons ou yeux formés sur les nœuds de la
jeune plante, devenant eux-mêmes des cannes.
Le développement des yeux a donc lieu en même temps que
la formation des racines; la combinaison de ces deux ac-
tions constitue l'effort fait par la canne pour opérer la re-
production.
Avec la formation de la feuille ou des feuilles, commence
un nouvel acte de la vie végétale, qu'on peut définir la

46 LA CANNE A SUCRE.
transformation des substances organiques; la solution
aqueuse des sels terreux constituant la séve ascendante
arrive pour la première fois des racines aux feuilles, et là,
elle subit une élaboration qui en change les caractères. Les
fonctions des feuilles et des autres parties vertes des végé-
taux consistent à absorber l'acide carbonique et à s'appro-
prier son carbone à l'aide de la lumière solaire et de l'hu-
midité ; aussi les nomme-t-on organes d'assimilation. Ces
fonctions commencent avec la première formation des feuil-
les ; elles s'appliquent d'abord à leur propre développe-
ment ; plus tard elles donnent naissance à la fibre ligneuse
et auxautres substances nécessaires à l'accomplissement du
but de la vie végétale de la canne.
§ 5 . — Séve ascendante et descendante.
Puisque j ' a i déjà mentionné la séve que j ' a i nommée
ascendante par opposition avec la séve descendante, j e
préfère en finir avec cette importante question de la cir-
culation de la séve et de ses transformations chimiques,
pour n'avoir plus à y revenir. Il est évident que les ra-
cines sont en rapport immédiat avec les vaissaux séveux,
qui reçoivent la séve et la transmettent à toutes les par-
ties de la plante. Mais ce n'est pas tout; car il y a deux
classes de vaisseaux séveux ; il y a ceux de la séve ascen-
dante et ceux de la séve descendante ; les uns et les autres
sont en communication avec les divers organes d'assimila-
tion. La circulation présente aussi deux caractères ; il y a
la circulation cellulaire et la circulation vasculaire.
§ 6. — Séve, et organes d'assimilation.
La circulation cellulaire a lieu dans les cellules; elle a

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 47
pour caractère deux courants simultanés contigus, diri-
gés en sens opposés, sans se mêler l'un à l'autre ; la circu-
lation vasculaire a lieu dans le réseau vasculaire ; elle ne
présente qu'un seul courant continu dans chaque partie des
vaisseaux tubulaires. Le fait bien constaté du pouvoir que
possèdent les membranes végétales d'aspirer et d'expirer
les liquides environnants explique le moyen par lequel la
circulation s'établit. Les racines fournissent alors aux
vaisseaux séveux une solution aqueuse de sels terreux, ou
séve dépourvue de tendance à s'organiser ; à travers ces
vaisseaux, cette séve monte et se distribue jusqu'aux ex-
trémités des feuilles ; elle s'en retourne alors, transformée
en séve disposée à s'organiser, à travers les vaisseaux de
la séve descendante, jusque dans les racines.
Dans sa marche à l'intérieur de la plante, la séve passe
successivement dans les divers organes ; la portion assimi-
lable est assimilée; le reste est rejeté et passe outre, jus-
qu'à ce qu'à la longue les parties non assimilées, arrivées
aux racines, sont évacuées sous forme d'excréments.
§ 7. — Racines. — Leurs fonctions particulières.
Nous voyons ici les racines remplir deux fonctions dis-
tinctes : celle de recueillir les principes nutritifs pour les
transmettre à la plante, et celle de dégager les excréments.
Nous trouvons que, pour les mettre en état de bien remplir
ces devoirs importants, les racines possèdent de puissants
organes d'aspiration, par lesquels elles sucent les solu-
tions aqueuses constituant la séve ascendante ; elles ont
aussi d'autres organes par lesquels elles expulsent les
substances rejetées par les organes d'assimilation au tra-

4 8 LA CANNE A SUCRE.
vers desquels elles ont passé, soit parce qu'elles n'étaient
pas assimilables, soit pour toute autre cause.
On a fréquemment observé l'extrême ténacité avec la-
quelle quelques racines s'accrochent à des roches, des
pierres, des morceaux de gravier, du sable, des os, du
bois, ou d'autres substances; on trouve particulièrement
les racines de la canne à sucre adhérentes de la même ma-
nière aux petits fragments de gravier, de sable ou de bois qui
entrent dans la composition du sol. Je crois pouvoir affir-
mer que, sur vingt personnes, il y en a dix-neuf qui igno-
rent que cette adhérence est causée par la succion, en
d'autres termes par la puissante aspiration des racines,
qui seule produit cette succion. C'est cependant bien ainsi
que les choses se passent, et ce fait fournit une preuve in-
vincible de la merveilleuse puissance déployée par ces or-
ganes d'aspiration. Douées de cette propriété, les racines
ne peuvent extraire du sol la nourriture des plantes que
par l'intermédiaire de l'eau qui rend solubles les éléments
du sol propres à la végétation. On voit combien le succès
de la culture dépend, non-seulement de la richesse du sol,
mais encore de la quantité d'eau fournie à la plante. Toute-
fois il arrive souvent que l'eau est en excès, ce qui tend
à nuire au sucre contenu dans la canne à certaines périodes
de sa croissance, surtout si la canne doit être livrée à la
fabrication du sucre lorsque pour cette cause son jus est
trop aqueux.
La nature du sol doit aussi réagir fortement sur la qua-
lité de la séve, et influer soit sur la quantité, soit sur la
qualité du sucre produit par la plante ; toutefois ces con-
sidérations se rattachent plus spécialement à une autre di-
vision du sujet que je traite.

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 49
Dans cette description abrégée des fonctions des racines,
j'ai expliqué comment la séve ascendante, ou séve dépour-
vue de tendance à s'organiser, est transmise aux feuilles
et aux autres parties de la plantes, et subit une élaboration
qui la transforme en séve descendante. J e dois actuellement
dire quelques mots de la manière dont s'opère cette trans-
formation.
§ 8. — Appropriation du carbone, de l'hydrogène et de l'oxygène,
à la nourriture de la canne.
Sous les tropiques, on peut dire que la journée est divi-
sée en deux parties égales, 12 heures de jour et 12 heures
de nuit ; par conséquent les feuilles et autres parties vertes
de la canne absorbent de l'acide carbonique et rejettent de
l'oxygène pendant les 12 heures de j o u r ; elles absorbent
de l'oxygène et rejettent de l'acide carbonique pendant les
12 heures de nuit.
Tant qu'il fait jour, l'acide carbonique est absorbé ; son
carbone est incorporé à la plante; dès qu'il fait nuit, la
marche de l'assimilation s'arrête ; l'acide carbonique ne
continue pas à être décomposé ; il est dissous dans le jus
répandu dans toutes les parties de la plante, et il s'é-
chappe continuellement à travers les feuilles et les autres
parties vertes. Mais, si la présence de la lumière du jour
est si nécessaire sous ce rapport, elle ne l'est pas moins
pour l'assimilation de l'hydrogène. L'hydrogène est reçu
Par la plante sous forme d'eau qu'elle décompose à l'aide de
la lumière, rejetant l'oxygène et s'appropriant l'hydrogène.
D'autre part l'oxygène est aussi nécessaire à la plante ;
c'est pourquoi nous voyons que, tandis qu'elle absorbe l'eau
Par ses racines et l'acide carbonique par ses feuilles, elle les
4

50 LA CANNE A SUCRE.
décompose l'un et l'autre, et ne rejette pas la totalité de
l'oxygène rendu libre ; elle en retient et s'en approprie une
quantité proportionnée à ses besoins, absolument comme
pour l'hydrogène et le carbone.
C'est en considérant les quantités d'eau et d'acide carbo-
nique absorbées par les différentes parties des plantes qu'on
peut se former une idée de la grande quantité d'oxygène
qu'elles dégagent à l'état libre. Les racines par exemple, dans
un sol humide, transmettent continuellement à la plante une
grande abondance de séve aqueuse; l'eau décomposée de cette
séve rend libre l'oxygène qu'elle contenait. L'acide carboni-
que absorbé subit la même évolution dans sa décomposition.
Quoique les plantes absorbent pendant la nuit l'oxygène
de l'atmosphère, la quantité d'oxygène que les plantes lui
rendent est plus grande que celle qu'elles lui empruntent.
La décomposition n'est pas plus tôt arrêtée faute de lumière,
que commence une véritable opération de chimie, par suite
de la réaction de l'oxygène de l'air sur les substances orga-
niques composant les feuilles et les autres parties vertes des
végétaux.
Cette explication simple et abrégée suffit, je crois, pour
établir clairement que la plante obtient, par la décomposi-
tion de l'eau et de l'acide carbonique, l'hydrogène, le car-
bone et l'oxygène, ce dernier élément lui étant aussi fourni
par absorption pendant l'obscurité. Ces principes servent à
constituer la séve descendante ou séve tendant à s'organiser.
§ 9. — Distribution des feuilles; leurs fonctions spéciales dans le
développement parfait des nœuds.
A chaque nœud de la canne est attachée une feuille dont
l'office particulier est de fournir aux divers organes cellu-

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 51
laires et vasculaires compris entre deux nœuds la provision
de séve élaborée, chargée de sels terreux et d'azote com-
binés avec le carbone, l'oxygène et l'hydrogène. Il s'ensuit
nécessairement que, si le nœud est dépouillé de sa feuille
avant que celle-ci n'ait complétement rempli ses fonctions,
il doit en résulter perte et dommage d'autant plus considé-
rable que chaque entre-nœud dépend dans ce cas, pour son
alimentation, de ce qu'il peut attirer de séve descendante
déjà épuisée, provenant de l'entre-nœud placé immédiate-
ment au-dessus de lui. Aussi voyons-nous qu'en effet tout
nœud privé de sa feuille ne se développe jamais complète-
ment; il se contracte, il reste défectueux. Nous y voyons
la preuve de la nécessité pour la plante de conserver ses
feuilles jusqu'à ce qu'elles aient pleinement rempli leur
office. Quand l'influence chimique de l'oxygène de l'air
change la couleur des feuilles, c'est la preuve qu'elles peu-
vent être enlevées impunément.
§ 10. — Pratique ordinaire de l'enlèvement des feuilles.
Les planteurs sont généralement habitués à planter les
cannes beaucoup trop près les unes des autres, ce qui les
engage à les dépouiller trop complétement en faisant en-
lever leurs feuilles à la main, dans le but de laisser arriver
librement sur la tige l'air et la lumière.
Assurément il ne faut pas un grand effort d'intelligence
pour se convaincre que c'est une pratique erronée, qui en-
gendre de funestes conséquences. Sur les terres d'une r i -
chesse exceptionnelle, les cannes plantées en lignes à 0 .90
m
ou 1 .20 les unes des autres, poussent si serrées et si touf-
m
fues qu'à grand'peine peut-on circuler entre les lignes, et

52 LA CANNE A SUCRE.
qu'un rayon de lumière ne saurait y pénétrer. Que fait alors
le planteur ? Il envoie ses travailleurs une, deux, trois fois,
avec ordre d'arracher hardiment non-seulement les feuilles
sèches, mais aussi celles qui sont encore vertes, en excep-
tant seulement celles qui forment la touffe du sommet. Les
pauvres cannes restent ainsi dans un piteux état, nues et
misérables, hors d'état d'ajouter désormais quelques nœuds
pleinement développés à leur tige.
Sûrement nos planteurs intelligents ne continueront pas
à suivre une pratique si peu intelligente. S'ils veulent tant
soit peu réfléchir aux besoins de la plante qu'ils cultivent,
ils réaliseront, en modifiant cette coutume, économie de
temps, de main-d'œuvre et d'argent; les produits de leurs
cannes seront accrus en qualité comme en quantité.
§ 1 1 . — De la formation des graines parfaites par la canne à sucre.
J'entends souvent parler de graines de canne à sucre, et
dernièrement encore une enquête a été entreprise avec beau-
coup d'empressement dans le but de décider la question de
savoir s'il y a ou s'il n'y a pas dans le monde un coin de terre
où la canne à sucre soit réellement multipliée de ses se-
mences. Cette enquête a fini, je crois, par constater que,
quoi qu'il ait pu se passer à cet égard dans les temps les
plus reculés, il n'y a de fait actuellement aucun pays connu
où la canne à sucre se reproduise par le semis de ses grai-
nes. Bryan-Edwards, dans son ouvrage sur les Indes occi-
dentales (tome II, livre xxv, page 240), dit qu'en Abyssinie
et dans d'autres pays do l'Orient, la canne à sucre est ai-
sément multipliée par ses graines. Il cite à l'appui les voya-
ges de Bruce. Ayant, d'après cette citation, compulsé les

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 53
voyages de Bruce, j e trouve qu'il dit (tome I , chapitre IV,
e r
page 81):
§ 12. — Affirmation de Bruce à ce sujet.
« Environ quatre milles plus loin est le village de Nizelet-
el-Arab, consistant en misérables huttes. Là commencent
de grandes plantations de cannes à sucre, les premières que
j'aie encore aperçues. On était occupé à en charger des b a -
teaux pour les transporter au Caire. Je m'en procurai autant
que j'en désirais. Les cannes ont environ 3 centimètres de dia-
mètre Je fus étonné de voir, sous une latitude si avancée
au nord, cette plante à un tel état de perfection. Nous som-
mes sous 29 degrés de latitude nord, et rien n'est plus beau
ni plus parfait que les cannes de ce canton. J e suppose que
la canne est une plante de l'ancien continent transportée
dans le nouveau monde dès les premiers temps qui suivi-
rent sa découverte, parce qu'ici, en Egypte, elle vient de
graine. Je ne sais s'il en est de même au Brésil ; mais la
canne à sucre a été de tout temps un produit de l'Egypte. »
Tel est le texte de Bruce ; telle est son affirmation si sou-
vent alléguée comme une preuve positive que la canne est
multipliée par le semis de ses graines !
Porter répète que la canne à sucre n'est pas indigène en
Amérique, donnant comme preuve qu'elle n'y a jamais
mûri sa semence. Il lui donne (sur l'autorité de Bruce) les
contrées de l'Orient pour point de départ.
« Ce qui fait présumer, dit P o r t e r , que la canne à sucre
n'a jamais été trouvée croissant naturellement dans les co-
lonies de l'Amérique, c'est que, bien qu'elle y fleurisse, ses
organes reproducteurs y semblent dépourvus de la puissance
fécondante. Les fleurs donnent quelquefois une poussière

54 LA CANNE A SUCRE.
blanchâtre, une sorte de semence ; mais lorsqu'on a tenté de
la semer, il n'y a pas d'exemple connu que cette semence ait
jamais végété aux Indes occidentales, tandis que dans l'O-
rient la canne se multiplie de graines. » (Voyages de Bruce.)
§ 1 3 . — Absence d'expériences prouvant la formation des graines
de la canne.
Cette idée, constamment reproduite, que la canne est mul-
tipliée de graines en Egypte et aux Indes orientales, a donné
lieu à la ferme croyance que cette plante pourrait être sin-
gulièrement améliorée par une culture intelligente, si les
cultivateurs européens en pouvaient obtenir de ces semences
prétendues. De nombreuses tentatives publiques ou privées
ont été faites en conséquence pour se procurer de la graine
de canne à sucre. La Société d'agriculture de la Jamaïque
s'est emparée de ce sujet, et a déployé beaucoup d'activité
pour recueillir des renseignements certains ; et, bien que je
croie savoir le contraire, peut-être à l'heure qu'il est pour-
suit-elle encore ses recherches. M'étant beaucoup occupé
personnellement de cette question, et m'étant livré à beau-
coup d'essais et d'expériences pour ma propre satisfaction
et celle des autres, je saisis cette occasion pour exposer ce
que j ' a i pu savoir de certain à ce sujet.
Premièrement. — Je ne connais pas de variété de canne
à sucre qui mûrisse sa graine (ou enfin qui produise rien
qui ressemble à une graine) dans l'Inde, à la Chine, aux
colonies des détroits malais, en Egypte, ni même dans les
îles de la mer du Sud ; car, dans tous ces pays, la canne à
sucre est exclusivement multipliée de boutures.
Secondement. — J'ai personnellement expérimenté toutes

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 55
les méthodes qu'il m'a été possible d'imaginer pour faire
porter graine à la canne à sucre. J e n'hésite pas à dire que
plusieurs de ces moyens étaient fantastiques et peut-être
loin de la possibilité du succès, ce qui me dispense de les
publier et d'en entretenir plus au long le lecteur. Il me suf-
fira de rapporter deux de mes expériences pour montrer sur
quels principes elles étaient basées.
L'expérience et la réflexion m'ont fait acquérir la convic-
tion qu'il est parfaitement inutile d'attendre aucun bon ré-
sultat des essais de fécondation artificielle de la canne à
sucre par les fleurs d'une autre canne, qu'elle qu'en soit la
variété. Je résolus donc d'essayer pour cet usage le maïs
de Guinée, ou bajra, et le maïs de l'Inde, ou boota, pour fé-
conder la canne à sucre, ces plantes appartenant à la môme
tribu, celle des graminées. Chacune de ces deux plantes
mûrit parfaitement sa semence. J e me pris à espérer qu'en
les plantant l'une contre l'autre, les fleurs du maïs de G u i -
née et du maïs de l'Inde pourraient féconder et faire fruc-
tifier celles de la canne à sucre. Dans ce but, j'engrais-
sai le sol avec les substances les plus propres à favoriser la
croissance des plantes ; alors, quand les cannes commen-
cèrent à grandir, j'enlevai avec précaution, et sans en
rien laisser, l'œil de chaque nœud, dès que je jugeai ce re-
tranchement possible, en coupant cet œil à l'intérieur de la
feuille sans supprimer celle-ci, dans le but de faire profiter
l'œil principal. Au bout d'un temps raisonnable, je plantai
les deux espèces de maïs à côté des cannes ainsi préparées ;
je mis leurs fleurs en contact les unes avec les autres, en
secouant vivement les épis de temps en temps, pour que le
pollen de chaque épi se répandît sur chaque plante récipro-
quement; j'enlevai les bourgeons du maïs à mesure qu'ils

56 LA CANNE A SUCRE.
se montrèrent, forçant ainsi la plante à reporter toute sa
force reproductive dans l'épi mâle, au lieu de la répartir
entre les épis femelles. En tout ce qui touche à la croissance
des plantes, leur floraison simultanée, la production de se-
mences à la base de l'épi mâle du maïs, le succès de l'expé-
rience fut complet; mais malgré tous mes soins et toute mon
attention, j e n'eus pas la satisfaction de voir des graines se
former sur les plantes de canne à sucre soumises à ce traite-
ment. L'observation microscopique ne m'y fit découvrir au-
cun changement quant à la fécondation de la semence. Ce
mécompte dans cette tentative, ma dernière espérance, fixa
mes idées quant à cette question.
§ 14. — Semences de canne à sucre, inconnues et improbables.
Je m'étonne d'autant moins de n'avoir pas réussi à faire
fructifier la canne à sucre, que je ne trouve pas d'exemple
bien authentiquement constaté de reproduction de la canne
à sucre par ses graines ; enfin je ne connais pas d'autorité
suffisante sur la foi de laquelle je puisse croire qu'une carne
ait jamais été produite de graine. En ce qui regarde le récit
de Bruce, je me rends très bien compte à moi même, et j e
crois qu'il n'est pas difficile de faire comprendre aux autres,
de quelle manière il a pu être induit en erreur à ce sujet.
Souvent des gens avec qui je m'entretenais de la semence
de la canne à sucre, m'ont dit : « Mais est-ce un fait bien
constaté que la canne ne porte pas de graines? Je ne puis
certainement pas me le persuader; car j ' a i vu des champs
entiers de cannes en fleurs, et leurs fleurs inclinées comme
si elles ployaient sous le poids des semences. »
Un autre me racontait qu'il avait souvent passé dans des

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 57
champs parfaitement ameublis à leur surface ; ayant de-
mandé aux gens du pays ce qu'ils y plantaient, on lui avait
répondu : «Des cannes à sucre.» Assurément, si ces champs
eussent été plantés avec des boutures de cannes, il en au-
rait vu les bouts sortir de terre ; n'ayant rien vu de sem-
blable, ces champs devaient avoir été ensemencés avec des
graines de canne, et non plantés de boutures. J'ai souvent
recueilli des assertions de ce genre de la bouche d'Anglais
intelligents qui avaient habité l'Inde pendant plusieurs
années; comme tant d'autres, ils n'avaient pas pris la peine
de s'informer de la vérité d'un fait qui ne rentrait pas di-
rectement dans le cercle de leurs propres affaires.
§ 15. — Semences de canne n'existant ni en Égypte ni ailleurs.
Quelquefois un naturel du pays laisse dans un coin de son
champ un petit groupe de cannes qu'il ne récolte pas, j u s -
qu'à ce que sa terre soit prête pour recevoir une nouvelle
plantation. Si vous lui demandez pourquoi il a laissé ces
cannes debout, il vous répond : « Ma terre n'était pas prête,
j'ai laissé ces cannes pour la semence. » Un étranger, sur-
tout s'il voit les cannes en fleurs, peut aisément croire, d'a-
près une telle réponse, que le cultivateur indigène attend
que son sol soit bien préparé et que les graines de ses cannes
soient parfaitement mûres.
En outre les cultivateurs de l'Inde, et, j ' e n suis sûr aussi,
ceux d'Egypte , ont une manière à eux de planter la
canne à sucre, puis d'unir ensuite la surface du sol si
complétement que celui qui ne connaît pas leur procédé
ne croirait jamais qu'il y a des boutures de cannes plantées
dans les champs ainsi façonnés. Nous sommes trop accou-

58 LA CANNE A SUCRE.
tumés en toutes choses à nous payer de paroles. Que d'er-
reurs circulent dans le monde, rien que par l'ignorance où
étaient souvent les voyageurs de la langue des pays qu'ils
ont parcourus, et sur lesquels ils n'en ont pas moins écrit
des livres !
Bruce n'a jamais conversé avec les Égyptiens directement ;
on sait trop à combien de méprises donne lieu l'intervention
des interprètes ; j ' e n ai fait moi-même bien souvent l'expé-
rience. En Égyte, où j'étais il y a quelques semaines, ce fait
m'a particulièrement frappé. J'avais un drogman très éveillé,
très intelligent; c'était un Egyptien qui parlait couram-
ment l'anglais, l'égyptien, le turc et l'arabe; et pourtant
j'avais la plus grande peine à en obtenir quelques informa-
tions, et j'étais la plupart du temps forcé, en désespoir de
cause, de renoncer à le questionner. Je puis donc facilement
me figurer combien Bruce a pu souffrir du même inconvé-
nient. Mes recherches personnelles en Egypte, soit chez les
Européens, soit chez les gens du pays, démentent absolu-
ment le fait avancé par lui, de la reproduction de la canne
par ses semences.
Je ne puis pas trop non plus m'expliquer pourquoi
les planteurs se montrent si désireux de posséder de la
graine de canne ; ils ne peuvent espérer, assurément, une
variété meilleure que celle d'Otahiti ou de Salangore, canne
qui, dans de bonnes conditions de culture donne de 2,000
à 3,000 kil. de sucre sec par acre (de 5,000 à 7,500 kil.
par hectare). Que peuvent-ils souhaiter de plus? Quelle
autre plante donne un revenu aussi élevé? Il faut voir la
masse de cannes nécessaire pour produire cette quantité
de sucre, avant de pouvoir se former une idée de l'énorme
production végétale que peut donner une acre de terre.

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 59
Pour mon propre compte, je ne vois pas de motif pour ne
pas me contenter des cannes actuellement cultivées; je ne
puis pas non plus supposer que des cannes venues de grai-
nes, s'il était possible, eussent aucune supériorité réelle
sur les cannes venues de bouture. Le défaut de succès des
tentatives pour conquérir la graine de canne n'est donc, à
mes yeux, qu'un désapointement sans aucune conséquence
sérieuse.
§ 16. — Différence de culture de la canne aux Indes orientales
et aux Indes occidentales.
Lorsqu'on établit une grande culture de cannes à sucre,
la connaisssance de la composition du sol est un point de la
plus haute importance. Il se forme tous les jours de sembla-
bles plantations sur divers points du globe ; comme il arrive
trop souvent qu'on se fait une idée fausse de la nature du
sol formé des débris de diverses roches, il est à désirer que
ce sujet soit attentivement examiné.
Peut-être mes lecteurs dans l'une des parties du monde
recevront-ils avec plaisir ce que j'écris en ce moment pour
l'avantage de tous les planteurs en général ; quelques-uns
sont placés dans des conditions très diverses ; des notions
d'une extrême importance pour les uns pourront sembler à
d'autres dépourvues d'intérêt immédiat. Je ne crains pas de
recommander au planteur d'étendre ses observations au
delà des notions que peut fournir la pratique locale. Je ne le
sais que trop, malheureusement, le planteur de profession
est sujet à bien des vicissitudes qui peuvent contraindre
ceux d'un pays à aller cultiver dans un autre, où il se trou-
vent perdus dans un déluge do perplexités.
Avant d'aller plus loin, je ne crois pas hors de propos

60 LA CANNE A SUCRE.
d'expliquer en peu de mots comment ces perplexités peu-
vent naître, et par quels motifs j'attache tant de prix à bien
convaincre les planteurs qui me liront, de la nécessité pour
eux d'étudier les détails des méthodes suivies dans les au-
tres pays.
Pour ma part, je dois loyalement l'avouer, à mon arrivée
dans l'Inde, je n'arrêtai pas assez ma pensée sur les diffé-
rences excessives qui existent entre l'Inde orientale et les
Indes occidentales. J e voyais pratiquer un système tout
primitif de culture de la canne et de fabrication du sucre.
Une foule de choses, dans cette pratique, choquaient mes
idées comme planteur des Indes occidentales. J e trouvais
là une race perverse, pétrie de préjugés, armée, sous les
apparences d'une humilité servile, d'une résistance passive
et d'une volonté tenace de ne pas changer, capable de jeter
le planteur dans le découragement. Quant à mes voisins
européens, je les trouvai imbus de tout l'entêtement des
gens du pays; si bien que, sur la plupart des points, leurs
opinions étaient opposées au bon sens, sur d'autres points
elles étaient exactes, par conséquent très bonnes; mais
les voyant en général si fort erronées, j e ne me décidais
pas à les adopter, même quand elles le méritaient.
Le temps et l'expérience m'ont démontré plus tard com-
bien j'avais eu tort dans ma défiance absolue ; et pourtant,
encore aujourd'hui, j ' a i peine à concevoir comment un
homme, en pareille circonstance, pourrait agir autrement.
J'ai souvent eu connaissance de planteurs des Indes orien-
tales venant échouer dans l'Inde orientale, et le blâme ne
leur était pas épargné ; il serait désobligeant de les dési-
gner ; je me borne à ma propre expérience; elle parle assez
d'elle-même.

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 61
Pour établir et faire marcher une plantation dans un pays
neuf, le planteur doit posséder une ferme confiance en lui-
même, beaucoup de sang-froid, et une patience à toute
épreuve ; il doit être fertile en expédients, de façon à abor-
der sans crainte toutes les difficultés. Mais, quelque con-
fiance que puisse avoir le planteur en lui-même dans le pays
auquel il est accoutumé, transportez-le, par exemple des
Indes occidentales aux Indes orientales, pour établir une
plantation, il va se trouver accablé de mille embarras divers ;
le sol, le climat, les saisons, le langage, les coutumes, les
préjugés locaux, tout se dresse contre lui pour paralyser
son activité et le jeter dans le trouble et la confusion. Il va
peut-être se trouver à quelques centaines de milles dans
l'intérieur du pays, loin de toute sorte de ressources, forcé
d'y suppléer en exerçant son génie inventif sur tous les
points qu'il est possible d'imaginer.
L'état de dépression de nos colonies des Indes occiden-
tales est tel, que nombre de planteurs saisissent la première
occasion d'aller tenter la fortune dans l'Est, où l'immense
étendue du champ d'opérations semble offrir à leur entre-
prise des chances favorables. Bien que l'Inde orientale soit
un pays extrêmement différent de l'idée qu'on s'en forme
communément, à tel point que, sur dix planteurs qui y vont
chercher fortune, il y en a huit qui ne songent qu'à s'en re-
venir aux Indes occidentales ; cependant, d'après une foule
de circonstances variables, je ne doute pas qu'il n'y ait lieu
pour beaucoup d'entre eux de juger par eux-mêmes de ce
qu'il leur convient de résoudre, soit pour s'engager dans
cette spéculation, soit pour la rejeter.
Je ne puis donc trop engager les planteurs à considérer
combien il leur importe de s'instruire à fond de ce qui touche

62 LA CANNE A SUCRE.
à l'exercice de leur profession, dans tous les pays où les
chances variées de la vie du planteur peuvent les conduire.
§ 17. — Composition du sol. — Formation granitique. — Pierre
calcaire. — Pierre ferrugineuse. — Pyrite ferrugineuse.
Revenons de cette digression à notre sujet; j e dirai quel-
ques mots des sols appartenant aux formations ci-dessous
énumérées, qui sont celles auxquelles j ' a i fait allusion ci-
dessus plus particulièrement.
Le granit varie beaucoup quant à son apparence, à ses
principes constituants. (Voir la Minéralogie du docteur
Thompson.) Cependant il est communément composé de
feldspath, mica et quartz ; mais quelquefois le horn-blende
y prend la place du mica, et l'albite celle du feldspath ;
quelquefois aussi ils s'y rencontrent ensemble.
Le feldspath est blanc ou gris, souvent d'un ton r o u -
geâtre carné, quelquefois aussi verdâtre ; il contient, sur
100 parties : silice 64, potasse 14, alumine 20, chaux 2,
et parfois un peu d'oxyde de fer et d'eau.
Le mica est de diverses nuances de gris, passant au vert,
au brun ou au noir ; le lithia-mica est ordinairement d'un
rose fleur de pêcher ; il contient : silice 47.19, péroxyde de
fer 4.47, chaux 0.13, potasse 8.35, alumine 33.80, oxyde
de manganèse 2.58 , acide fluorique 0.29, eau 4.07, pour
100 parties 8 8 .
Les nuances de quartz sont très variables ; quand il est
transparent et incolore, ou le nomme vulgairement cristal
de roche ; il ne contient, lorsqu'il est p u r , rien que de la
silice ; mais on y trouve quelquefois des traces d'alumine,
d'oxyde de fer et d'oxyde de manganèse.

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 63
Le horn-blende est de couleur vert bouteille ; il contient :
silice 48.83, magnésie 13.61, protoxyde de fer 18.75,
acide fluorique 0.41, chaux 10, alumine 7.48, protoxyde
de manganèse 1.15, eau 0.50, pour 100 parties 8 9 .
La nuance de l'albite est variable ; elle est habituellement
blanche, quelquefois bleue teintée de rose ou de vert; elle
contient : silice 70.48, soude 10.50, alumine 18.45, chaux
0.55, pour 99 parties 98.
On voit par ces analyses que les sols formés p a r la d é -
composition du granit contiennent divers principes consti-
tuants très bien appropriés à la végétation de la canne à
sucre : tels sont la silice, l'alumine, la potasse, la chaux,
la soude, la magnésie, le péroxyde et le protoxyde de fer,
le protoxyde de manganèse et l'acide fluorique. Ces sub-
stances, avec d'autres matières minérales et des débris a c -
cumulés de végétaux en décomposition, constituent un sol
d'une grande fertilité. Les cristaux désagrégés se décom-
posent constamment, quoique lentement. Mais souvent les
planteurs ont un préjugé contre ces terres ; en y voyant un
grand nombre de ces fragments de cristaux, ils les déclarent
d'avance sableuses et impropres à la culture de la canne.
Combien n'ai-je pas vu de pièces de terre abandonnées sans
culture, rien que par suite de ce préjugé mal fondé ? Un
Français établi aux colonies des détroits malais, me mon-
trant son exploitation, me signala quelques pièces de terre
voisines de son habitation comme les plus mauvaises de la
propriété, si mauvaises, disait-il, qu'il se proposait de les
abandonner. Non content de cela, il me disait que les can-
nes croissant alors dans ces terres n'avaient que sept
mois, tandis qu'elles en avaient onze. Il avait tellement à
cœur la réputation de sa propriété qu'il avait mieux aimé

64 LA CANNE A SUCRE.
me tromper que de me donner une mauvaise opinion des
terres de son domaine. Toutefois, avec le temps, ces cannes,
dont c'était la troisième récolte obtenue sur le même sol,
furent récoltées et livrées à la fabrication du sucre. La quan-
tité et l'excellente qualité du sucre qu'on en obtint parurent
si satisfaisantes qu'il ne fut plus question de renoncer à la
culture de ces pièces de terre.
Loin de là, les Chinois engagés comme cultivateurs don-
nèrent à ces champs une légère fumure et y replantèrent
des cannes. On observa alors que le travail pour nettoyer,
éclaircir, butter, couper et enlever les cannes, était sensi-
blement diminué, tandis que le sucre de ces cannes l'em-
portait, et de beaucoup, en qualité sur celui des cannes de
tous les autres champs de l'exploitation. Avec toute la viva-
cité qui caractérise ses compatriotes , ce planteur français
s'enthousiasma pour le mérite de cette nature de sol (granit
décomposé). Il aurait voulu que tous les champs de son ex-
ploitation fussent de la même qualité.
Dans les colonies des détroits malais, la formation gra-
nitique est très commune ; elle donne toujours un sol réel-
lement bon et bien approprié à la végétation de la canne à
sucre, parce qu'il est toujours mélangé de débris de végé-
taux accumulés depuis des siècles par une végétation luxu-
riante. Dans les terrains bas et humides des provinces de
Wellesley et de Malacca, on trouve généralement les dé-
bris granitiques en abondance dans le sol, mêlés à des dé-
pôts d'alluvion et à du terreau végétal ; le tout ensemble
forme la plus riche qualité de sol qu'on puisse désirer.
Toutefois, dans quelques cantons, le sol est de qualité
très variable, à raison de la manière capricieuse dont les
couches de granit décomposé se trouvent distribuées. Les

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 65
bords de la rivière de Malacca en offrent des spécimens tels
qu'on en trouve rarement ailleurs ; la couche superficielle de
terreau végétal, dont l'épaisseur varie de 2 centimètres 1/2 à
30 centimètres, repose sur une couche d'argile plastique
grise, au-dessous de laquelle le sous-sol paraît entièrement
formé de feldspath décomposé, d'un blanc pur ; l'argile grise
plastique abonde en veines rouges ou jaunes, et contenant
une grande quantité de cristaux désagrégés, mais presque
point décomposés. On rencontre cette sorte de terrain
par places, tandis que, tout à côté, en contact immédiat
avec ces places , le sol offre des caractères entièrement
différents.
Quelques espèces particulières de roches de granit r é -
sistent à un degré remarquable à l'action des éléments ;
c'est ce que prouvent les deux obélisques de Rome, érigés
depuis plus de trois mille ans. D'autres, au contraire, surtout
quand le feldspath y domine, s'émiettent et se détruisent
très facilement.
Somme toute, on ne peut considérer la formation grani-
tique que comme favorable à la composition d'un bon sol
dans lequel la terre argileuse abonde ; mais sa valeur com-
parative dépend en grande partie de la présence du terreau
végétal ou d'autres substances avec lesquelles le sol grani-
tique peut être mélangé.
Dans les îles des Indes occidentales , l'Inde orientale
et les colonies des détroits malais, on rencontre quelques
espèces de roches de porphyre et de t r a p p . Je n'essayerai
Pas de les décrire ; je me bornerai à mentionner les roches
calcaires, les argiles ferrugineuses rouges, brunes et j a u -
nes, et les pyrites de fer.
Les roches calcaires abondent à la Jamaïque, spéciale-
5

66
LA CANNE A SUCRE
ment dans la partie nord de l'île, où on les désigne commu-
nément sous le nom de rayons de miel, à cause des formes
bizarres qu'elles ont prises sous l'action de l'atmosphère.
On en trouve aussi en abondance dans toute l'Inde orientale,
sous une forme ou sous une autre. Aussi, on beaucoup de
localités, les naturels du pays fouillent dans le sol ou dans
le lit des rivières pour en extraire une espèce de concrétion
calcaire constamment en voie de formation, qu'ils nom-
ment kunker. Les principes constituants de ces kunkers sont
très variables, en raison de la manière indéterminée dont la
chaux, à cause de sa puissante affinité pour les acides, se
combine indifféremment avec le premier acide qui se trouve
à sa portée.
A une profondeur variable de 5 .40
m
à 6 mètres dans le
sol, j'ai fréquemment trouvé sur les bords des rivières, dans
l'Inde, des formations considérables de chaux combinée à la
silice, d'un gris foncé, d'un grain grossier, irrégulier, ex-
cessivement dur, donnant une multitude d'étincelles sous
les coups de marteau ; c'est peut-être plutôt un bisilicate
de chaux qu'une véritable pierre calcaire. Celle-ci, à pro-
prement parler, consiste en chaux combinée à l'acide car-
bonique, avec une petite quantité de corps étrangers.
J e sais par expérience que cette formation exerce une
influence très favorable sur la végétation de la canne à
sucre et la qualité de son j u s . Je me rappelle très bien ma
petite propriété montagneuse de la paroisse de Trelawney,
à la Jamaïque, au sol tellement pierreux que, dans la plu-
part des champs, on ne pouvait effectuer la plantation qu'à
la main, là où l'on pouvait apercevoir une apparence de
terre; cependant les racines des cannes s'insinuaient entre
les pierres et les débris de roches et savaient y découvrir

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 67
des matières alimentaires apparemment de première qualité,
comme le prouvait la supériorité du sucre produit par ces
cannes. J e puis dire avec assurance que leur j u s était le
plus propre et le meilleur que j'eusse jamais vu dans aucune
partie du monde, Le sucre préparé dans des chaudières
communes découvertes l'emportait sous tous les rapports
sur n'importe quelle moscouade (cassonade) à ma connais-
sance, sans en excepter celle qu'on prépare dans des appa-
reils où l'on fait le vide. Assurément cette excellence du jus
de canne devait tenir à la formation calcaire du sol pierreux ;
il n'est pas douteux que, partout où cette formation existe,
les racines de la canne y puisent ce genre particulier de
nourriture approprié à leur végétation, qui donne lieu à un
si remarquable dépôt de matière saccharine dans les cellules
de la plante.
On trouve dans les colonies des détroits malais divers
genres de pierres ferrugineuses ; à Malacca et à Singapore,
les plus communes sont :
A. — L'hématite rouge, d'une nuance d'un brun rouge, en
niasses ou stalactites sous forme de rognons, en poudre
rouge, ou sous forme fibreuse. Elle est composée, d'après
Thompson, de péroxyde de fer, d'acide colombique et
d'eau.
B. — Pierre ferrugineuse argileuse, ou pierre ferrugineuse
siliceuse rouge, appartenant à la même classe ; c'est de
l'oxyde de fer plus ou moins mêlé à d'autres substances.
C. — Argile brune ferrugineuse et argile jaune ferrugineuse
de l'espèce nommée peroxyde de fer hydraté. Sa couleur
varie du jaune brun au brun châtain, brun foncé et brun
noir, strié de jaune brun. Cette argile ferrugineuse con-

68 LA CANNE A SUCRE.
tient du péroxyde de fer et de l'eau avec une petite
portion de sesquioxyde de manganèse et de silice ; on y
trouve aussi quelquefois des traces d'alumine.
D. — Pyrites magnétiques (sulfure de fer) et pyrites ferru-
gineuses ou pyrites cubiques (bisulfure de fer).
Ces pyrites sont très communes aux Indes occidentales
et à Malaca. La première de ces deux substances est d'une
nuance intermédiaire entre le jaune bronzé et le rouge cui-
vré ; elle est composée d'un atome de soufre et d'un atome
de fer. La seconde, d'une nuance spéciale de jaune bronzé,
avec des stries d'un brun noir, contient deux atomes de sou-
fre et un atome de fer. (Voir Thompson, Minéralogie, géo-
logie et analyse minérale.)
Dans les terres où elles abondent,
et qui ne sont pas convenablement drainées, ces pyrites
nuisent à la végétation. Par leur exposition à l'air, et l'ac-
tion prolongée de l'oxygène, elles se convertissent en sulfate
de fer et en acide sulfurique qui, restant en dissolution dans
l'eau dont le sol est submergé, le rendent aigre et acide.
Durant la saison sèche, l'évaporation est rapide ; l'eau aci-
dulée, filtrant à travers la couche épaisse de terreau végétal
qui occupe souvent la surface, rend à ce terreau son oxy-
gène, et les pyrites reviennent à leur état précédent. Tant
que la terre n'est pas drainée, ces transformations se re-
nouvellent à chaque inondation suivie d'absorption ; mais
par un bon système de drainage, ces réactions s'arrêtent,
et les récoltes sont préservées du tort qu'elles en recevaient
précédemment.
Dans les colonies des détroits malais, la terre pyriteuse
est nommée par les Malais masam (acide ou aigre); leurs
récoltes de riez y sont souvent très endommagées ou

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 69
détruites. Dans les mêmes localités, les Chinois, par leur
culture habituelle mieux entendue, n'en éprouvent aucun
inconvénient. Cette circonstance fait croire que les Chinois
savent choisir les terres les plus douces et les plus fer-
tiles, tandis qu'il arrive neuf fois sur dix que la terre culti-
vée par eux ne diffère en rien de celle que cultivent les
Malais. Pour l'instruction des planteurs de canne à sucre
et des autres colons des détroits malais, je dirai comment
ce sol est modifié par le genre de culture des Chinois.
Quand un Chinois se met à cultiver, il part de ce principe
qu'il y a plus de profit à bien cultiver un hectare qu'à en
cultiver deux d'une manière imparfaite ; aussi nomme-t-on
vulgairement leur système culture jardinière, et cette dési-
gnation est exacte. C'est un système réellement rationnel
et digne d'admiration, par lequel ils savent obtenir de 40
ares de terre plus que ne produisent 80 ares ou 1 hec-
tare 20 ares soumis à la culture ordinaire du pays.
§ 18. — Culture chinoise. — Culture malaise.
D'après cette règle, le Chinois choisit une pièce de terre
d'une étendue en rapport avec ses moyens de culture. Il en
coupe les broussailles, les fait sécher et les brûle; puis il
se met à déroder les racines et les souches de tous les arbres
et buissons qui encombrent le sol. Il les extirpe avec grand
soin et en forme des tas qu'il recouvre de terre. Bientôt,
par la chaleur intense du soleil des tropiques, ces tas de
racines sont suffisamment desséchés. Alors le Chinois y
met le feu, veillant avec grande attention à ce que tout soit
bien consumé. Les cendres et la terre brûlée sont très éga-
lement réparties sur la surface du sol ; alors seulement la

70 LA CANNE A SUCRE.
terre est façonnée à la houe et très soigneusement retour-
née. Pour assainir la pièce de terre ainsi défrichée, le Chi-
nois l'entoure d'un fossé et d'un talus ; il assure en même
temps l'écoulement des eaux stagnantes des terres incultes
contiguës à la sienne. Finalement il donne un second labour
à la houe; puis il plante des cannes, ou bien il livre le sol
à toute autre culture. Après la première averse qui sur-
vient, l'eau de pluie dissout les alcalis contenus dans les
cendres mêlées à forte dose au sol défriché ; elle les y intro-
duit sous forme de solution ; ils s'y combinent bientôt avec
l'acide sulfurique et les autres acides que le sol peut conte-
nir, comme je l'ai dit plus haut; ils forment avec eux des
composés insolubles. Aussi n ' a i - j e jamais entendu un
Chinois se plaindre de l'acidité de la terre qu'il avait défri-
chée. Il y a certainement des Chinois paresseux, comme il
y a des paresseux européens, assez insouciants pour né-
gliger ces mesures de précaution ; ce sont des exceptions à
la règle générale. Ceux-ci, de même que les Malais, éprou-
vent de fréquents désappointements par la perte de leurs
récoltes.
Ce n'est point à ceux qui connaissent le caractère des
Malais et leur indolence soit pour défricher le sol, soit pour
en continuer la culture, que j ' a i besoin de dire combien
leur pratique diffère de celle des Chinois. Un Malais croit
avoir fait tout ce qu'il faut quand il a coupé et brûlé les
broussailles selon sa méthode fort imparfaite, et qu'il a
donné au sol une façon à la houe, de nature à discréditer ce
mode de labour; il sème alors du riz ou toute autre plante
à sa convenance. S'il a le bonheur d'obtenir un résultat favo-
rable, c'est un homme heureux et satisfait, lier de sa propre
industrie, enchanté d'en voir le résultat magnifique. S'il

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 71
arrive, au contraire, que sa culture échoue après une p r e -
mière ou une seconde tentative, il n'en est pas moins con-
tent de lui-même et de son talent comme agriculteur ; il
déclare la terre masam ( acide ), et il va défricher dans un
autre endroit. Il ne lui vient pas un seul instant à la pen-
sée de douter de l'excellence de sa méthode de culture.
Si vous lui parlez de la méthode des Chinois, en lui con-
seillant de la suivre , il vous répond : « Butool tuan !
C'est vrai, monsieur, la méthode chinoise est bonne, ex-
cellente, mais très difficile ; je ne suis pas en état de la pra-
tiquer. La méthode malaise, c'est différent; elle n'exige
pas de travaux si pénibles. » C'est ainsi que, parce qu'un
tel système est, comme ils disent, banniah susah, très diffi-
cile, ou, pour mieux dire, parce qu'il exigerait de leur part
un peu plus de travail, ils persévèrent dans leur méthode
sans raison et sans profit ; ils continuent à flétrir du nom
de masam (acides) des terres qui, bien drainées et ra-
tionnellement cultivées, valent les meilleures du même
pays.
Si les malheurs résultant de ces notions fausses n'attei-
gnaient que le Malais pauvre et ignorant, je n'aurais pas
donné tant d'étendue à mes observations sur ce sujet ; mais
bien des Européens, planteurs ou autres, sont quelquefois
exposés à de graves mécomptes par ces assertions des Ma-
lais ; j e ne puis donc trop insister pour leur représenter
combien il est absurde de se fier à une semblable autorité.
Aux Indes occidentales, le drainage et l'emploi d'une petite
quantité de chaux, lorsqu'on peut s'en procurer, délivrent
complétement le planteur de toute crainte quant aux effets
funestes des pyrites sur ses récoltes.

72
LA CANNE A SUCRE.
§ 19. — Principes salins du sol. — Terre à briques.
Souvent, dans les colonies des détroits malais, ainsi
qu'à Démérary, à la Louisiane et ailleurs , les terres
sont fortement imprégnées de substances salines qui con-
tribuent sans doute à donner à la canne une végétation
luxuriante, mais qui réagissent en mal sur le j u s , et consé-
quemment sur le sucre qu'on doit en extraire. Dans la pro-
vince de Wellesley, j ' a i su qu'on avait récolté sur des terres
de cette nature, la première année de leur défrichement,
des cannes dont le jus avait donné un sucre tout à fait salé ;
le même inconvénient s'est produit dans les terres basses
voisines des embouchures du Gange dans le golfe du Ben-
gale, nommées sunderbunds, à tel point que les plantations
de canne à sucre ont dû être abandonnées. A Démérary, les
colons ont aussi pour la même cause supporté de grandes
pertes et éprouvé de nombreux embarras.
On lit dans l'ouvrage du docteur Ure :
« M. Torstall, à La Nouvelle-Orléans, me communiqua
l'analyse suivante du jus de canne, faite par un chimiste
français :
« 10 gallons anglais de 231 pouces cubes chaque
(45 .43) de jus de canne marquant 8 degrés 1/2 de
l i t r .
Beaumé, il y avait 5 onces anglaises 3/4 ( 1 5 7
. 2 5 3 ) de
g r a m .
sels, savoir :
Sulfate de potasse .. 17 gram. 840
Phosphate de potasse 16 — 028
Chlorure de potassium 8 — 365
Acétate de potasse 63 — 750

Acétate de chaux 36 — 010
Silice gélatineuse 15 — 270

157 gram. 242

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 73
" L'auteur de cette analyse attribue avec beaucoup de-
raison la déliquescence et l'altération du sucre, lorsqu'il est
conservé quelque temps ou transporté au loin, à la forte
proportion des sels déliquescents dont il reste, dit-il, la
moitié dans le sucre. Le jus analysé provenait probable-
ment de cannes cultivées dans les riches terres d'alluvion
de la Louisiane, plus abondantes en matière saline que n e
le sont les terres de qualité moyenne des colonies des Indes
occidentales. Peut-être les mêmes proportions de ces sels
existent-elles dans le jus des cannes de Démérary, ce qui
expliquerait la perte en poids que subit le sucre de ce pays
par la dessiccation qu'il est nécessaire de lui faire subir lors-
qu'il arrive en Europe. »
Partout où l'on reconnaît la présence du sel dans la terre,
comme dans celle que submerge l'eau de la mer pendant les
hautes marées du printemps, il n'y a rien à faire, sinon d'é-
vacuer l'eau salée au moyen des travaux nommés bunds, e t
d'un bon système de drainage «. Le sol étant ensuite bien r e -
mué, tout l'excès de substances salines est entraîné par l'eau
des pluies après une année ou deux de culture ; cette eau
lave le sol et est emportée par le drainage ; une partie du
sel passe aussi dans les cannes ou les autres produits du
sol. C'est ce qui a lieu dans la province de Wellesley, et il
en sera toujours ainsi partout, à moins que le sol ne soit
d une nature sableuse ou poreuse qui permette au sel ou à
(1) Dans le midi de la France, et sur les côtes du royaume de Va-
lence, en Espagne, on dessale parfaitement les terres du littoral im-
prégnées de sel, en y semant plusieurs années de suite la salsola soda
et la salicorne, qu'on fauche et qu'on brûle ensuite pour en extraire la
soude. Ce procédé simple réussit toujours; j'en ai fait personnellement

l'expérience dans le département du Var. (Note du traducteur.)

74 LA CANNE A SUCRE.
l'eau salée de s'infiltrer durant toute la saison des marées
de printemps. Quand une fois la canne s'est pénétrée de
cette quantité nuisible de sels, elle s'incorpore dans son
jus ; il serait inutile d'essayer de l'en chasser. Le seul moyen
applicable aux terres en cet état, c'est, après y avoir prati-
qué le drainage, d'y cultiver du maïs de l'Inde ou de Guinée,
ou de l'herbe de Guinée pendant deux ou trois ans, jusqu'à
ce que la matière saline soit en partie épuisée ; on peut alors
les livrer sans crainte à la culture de la canne. J'ai déjà dit
que le sol qui a produit le meilleur sucre dont j'aie jamais
eu connaissance, était de formation calcaire; les livres de
cette exploitation en font foi ; la canne y a repoussé de r e -
jetons pendant vingt ans ! E t pourtant, en raison de sa situa-
tion dans la montagne, j e doute que, du temps où nous
vivons, cette plantation puisse encore être cultivée avec
bénéfice. Je n'insisterai donc pas davantage en faveur de
ce sol ; je passerai à celui qu'on connaît sous le nom de
terre à brigues (brick-mould ) .
Aux Indes occidentales et orientales, on trouve fréquem-
ment des terres de cette nature ; elles réunissent un si grand
nombre d'avantages, qu'on peut les classer avec raison parmi
les meilleures que le planteur puisse désirer.
La terre à briques est de couleur variable ; sa puissance
productive varie également. Elle se compose d'un mélange
de sable et d'argile dans des proportions telles que l'air et
l'eau y puissent pénétrer à une certaine profondeur avec
assez de facilité, et qu'elle soit labourée aisément et promp-
tement, à la charrue comme à la houe. Ce genre de sol est mêlé
de végétaux et de débris de diverses substances qui peuvent
en augmenter la fertilité ; mais cela dépend en grande partie
de la nature de l'argile qui entre dans sa composition. L'ar-

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 75
gile varie sensiblement quant à ses caractères, par consé-
séquent aussi quant à sa valeur. Elle est formée de terre
argileuse (alumine) et de silice; très souvent il s'y trouve
de l'oxyde de fer qui communique à la masse une couleur
rouge, brun rouge ou brun noir : on la nomme dans ce cas
argile ferrugineuse.
Le sol argileux ne peut pas être considéré comme fertile
en lui-même, bien qu'il abonde en cléments de fertilité,
d'autant plus que l'argile est de sa nature si compacte et
douée de tant de cohésion, qu'elle est entièrement fermée
aux influences atmosphériques ; mais, quand elle est mêlée
dans de justes proportions au sable et au terreau végétal,
elle est dans les meilleures conditions pour profiter de ces
mêmes influences. L'air et l'eau y pénètrent avec le degré
désirable de liberté ; ils remplissent leur part importante
dans la réaction non interrompue qui s'exerce sur les élé-
ments alcalins et les débris des végétaux contenus dans
le sol.
§ 20. — Causes de stérilité. — Terre couleur chocolat.
Arrêtons-nous un moment à rechercher la nature de ces
factions, dont la suspension rend aride et improductif un
sol dans lequel abondent les éléments de la fertilité. Nous
trouvons d'abord que l'air atmosphérique, dans la compo-
sition duquel entrent le gaz acide carbonique et le gaz oxy-
gène, avec une petite quantité d'ammoniaque et d'hydro-
gène , doit pénétrer dans le sol et y porter son oxygène ;
l'oxygène de l'air rend libres les alcalis contenus dans les
divers éléments du sol; il fait naître, dans le terreau végé-
tal ou humus, un mouvement de fermentation putride qui
produit un dégagement d'acide carbonique; par l à , les

76 LA CANNE A SUCRE.
plantes croissant dans le sol reçoivent, au moyen de leurs
racines, une provision sans cesse renouvelée d'aliments sous
forme d'alcalis en solution et d'acide carbonique Mais ce
n'est pas tout; le gaz acide carbonique et l'ammoniaque de
l'air atmosphérique sont absorbés par les oxydes de fer et
d'alumine, et fixés dans le sol, prêts à être offerts sous
forme soluble aux racines des plantes à la première pluie.
E n second lieu nous voyons que l'eau est absolument n é -
cessaire pour dissoudre les alcalis et les sels terreux conte-
nus dans le sol, et pour les offrir aux racines des plantes sous
forme de solution ; mais, outre ces fonctions et d'autres éga-
lement importantes, la même eau cède aux plantes son hy-
drogène et une partie de son oxygène, afin de les rendre
capables d'opérer les transformations chimiques dont j ' a i
parlé plus haut (page 49).
Donc l'air et l'eau doivent avoir accès dans le sol ; sinon
il est stérile. Lorsqu'une proportion convenable de sable
est combinée avec l'argile, rien ne s'oppose à l'action de l'air
et de l'eau. Quand l'argile est riche, le sable siliceux, le
terreau végétal abondant, on a le meilleur sol qu'il soit
possible de souhaiter pour l'agriculture. Il possède à un
degré très remarquable la propriété de retenir l'humidité,
même pendant les plus fortes chaleurs, tandis que pendant
les pluies torrentielles, partout où le drainage existe, l'excès
d'humidité trouve un rapide écoulement; ainsi, dans ces
terres bien gouvernées, il n'y a jamais ni excès d'humidité,
ni absence de fraîcheur. Elles sont aisément rompues par
la charrue ou par la herse, sans imposer trop de dépenses à
l'exploitation ou trop de fatigue aux travailleurs; elles payent
par leurs produits les frais des façons qu'on leur donne, mieux
que toute autre espèce de sol. Les planteurs ont donc rai-

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 77
seu d'estimer et de rechercher la terre à briques ; car non-
seulement, la première et la deuxième année, la canne y
donne d'excellents produits , mais encore elle y repousse
du pied pendant plusieurs années, au grand avantage du
planteur.
J'ai connu plusieurs propriétés où de beaux champs bien
nivelés, d'un sol riche, argileux, eussent été très faciles à
convertir en excellente terre à briques en les amendant avec
du sable qui existait en abondance dans les mêmes d o -
maines ; mais, soit défaut de connaissance, soit négligence
ou tout autre motif, ces champs ne recevaient pas cette
amélioration. Les terres d'un de mes amis, dans une des
colonies des détroits malais, sont précisément dans ce cas
en ce moment, et bien qu'il déploie toute son activité pour
leur donner la dose nécessaire de sable, ses bêtes de service
sont si faibles, et ses moyens d'action si limités, que j ' a i
grand'peur que d'ici à bien longtemps ses champs ne puis-
sent recevoir une quantité d'amendement sableux telle que
le réclame leur nature.
Je ne dois pas oublier de mentionner une variété parti-
culière de sol très propre à la culture de la canne à sucre,
existant dans la paroisse de Trelawney, à la Jamaïque. Ce
sol est couleur chocolat, tournant au rouge de diverses
nuances plus ou moins vives ; lorsqu'il vient d'être labouré,
il offre un aspect brillant et étincelant; s'il est humide, il
colore les mains comme le ferait la peinture fraîche.
Bryan-Edwards, Porter et d'autres auteurs font mention
de ce genre de sol ; mais j e n'ai trouvé nulle part l'explica-
tion de son origine. J'ai eu beaucoup de terres de cette na-
ture à cultiver aux Indes occidentales, et j ' e n ai vu beau-
coup aussi à Malacca; je suis d'avis que ce sol appartient à

78 LA CANNE A SUCRE.
la variété micacée du fer spéculaire nommé quelquefois en
anglais iron froth (écume de fer), combinée à haute dose avec
la chaux et d'autres substances. C'est ce que les Allemands
nomment eisenrham, substance composée de parties écail-
leuses, friables, salissant fortement les mains par leur con-
tact, d'une couleur entre le rouge-cerise et le rouge brun,
très peu consistante. (Voir Thompson, Minéralogie, géologie
et analyse minérale,
tome I , page 435.) On la rencontre
e r
souvent en poudre écailleuse parmi les roches primitives ;
on l ' a , pour cette r a i s o n , rapportée à la chlorite ; mais
c'est sans aucun doute une variété de mica. Ses principes
constituants sont : silice 48.166, alumine 16.851, per-
oxyde de fer 19.100, potasse 6.558, magnésie 2.916, chaux
2.675, eau 2.350, pour 98 parties 616. (Ouvrage cité,
tome I , page 362.)
e r
A Trelawney, partout où se rencontre cette terre de cou-
leur chocolat, c'est la formation calcaire qui domine; on
peut rationnellement admettre que la grande quantité de
chaux dissoute, et entraînée dans le sol par suite des intem-
péries des saisons, sert à neutraliser tout excès d'acidité
résultant de la présence des oxydes minéraux. C'est, au
total, un bon sol, friable, facile à travailler, conservant sa
fraîcheur intérieure, donnant de belles récoltes de cannes
qui repoussent très bien du pied et dont le sucre est beau,
abondant et bien graine.
Les oxydes de fer et d'alumine, par leur abondance,
doivent tendre à rendre ce sol fertile, par la grande quan-
tité d'ammoniaque qu'ils retiennent de l'atmosphère, et
qu'ils fixent dans le sol pour la mettre à l'état soluble à la
disposition des racines des plantes après chaque ondée de
pluie. (Voir Liebig, Chimie organique, page 80.)

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS.
79
§ 21. — Climat et son influence. — Effets funestes de la gelée.
Le climat le mieux approprié à la végétation de la canne
à sucre est un climat chaud et humide avec des intervalles
d'une durée modérée de chaleur sèche, tempérée par les
brises de mer rafraîchissantes. On a toujours trouvé la
canne à sucre déployant tout le luxe de sa végétation dans
les îles, ou sur les côtes maritimes des continents, ce qui
me porte à penser que les particules salines apportées par
la brise de mer favorisent énergiquement la croissance de
la canne. Toutefois l'influence favorable de cette brise
s'exerce de plusieurs manières : en donnant au sol un peu
de fraîcheur, même pendant la saison la plus chaude et la
plus sèche ; en apportant à la canne la plus grande partie
des substances salines qu'elle doit contenir, et en mettant
en contact avec ses feuilles des principes qu'elles peuvent
s'assimiler, sans parler de la rosée, qui influe d'une manière
certaine sur sa végétation.
La canne à sucre atteint sa plus grande perfection sous
les tropiques. Le moindre degré de froid s'oppose à sa
croissance et à son développement ; c'est pourquoi sa cul-
ture ne réussit pas en Europe, bien qu'elle ait été essayée
souvent en Espagne et ailleurs.
A la Louisiane, la gelée survient souvent avant que les
planteurs aient eu le temps d'enlever leurs récoltes de
cannes; le froid réagit tellement sur les cannes que leur
jus ne peut plus être amené à cristalliser, à moins que la
canne n'ait pu être coupée et travaillée avant qu'il ne sur-
vienne un dégel.
Cet effet fâcheux est dû à l'excès du froid, qui, brisant

80 LA CANNE A SUCRE.
les enveloppes des cellules ou des organes de la canne ren-
fermant ses fluides, permet leur immixtion avec le prin-
cipe azoté. Tant que le froid continue, l'abaissement de
la température rend impossible la fermentation; mais,
s'il survient un dégel, la température de l'air se relève
assez pour donner lieu à une fermentation visqueuse qui
fait que, quand le jus aura été concentré, il ne pourra plus
cristalliser.
Si, après un froid vif, un dégel ou bien une période de
temps comparativement doux se prolonge suffisamment, la
fermentation se continue jusqu'à ce que tout le sucre con-
tenu dans le j u s de la canne soit décomposé, et que les
fluides mélangés se soient résolus en une matière visqueuse,
mucilagineuse, qui ne possède ni saveur douce ni acidité.
Ces modifications doivent s'opérer dans le j u s de la canne,
même lorsque celle-ci n'est pas coupée ; mais elles se ma-
nifestent aussi dans le j u s exprimé de la canne, dans d'au-
tres circonstances particulières. Il ne sera pas hors de pro-
pos d'en mentionner un exemple ; car, dans un cas comme
dans l'autre, la matière tendante à s'organiser devient en
effet organisée, bien que ce soit de deux manières fort dif-
férentes l'une de l'autre.
Raspail dit, dans sa Chimie organique, page 329 :
« Vauquelin, examinant du j u s de canne à sucre qui,
avant de lui être envoyé de la Martinique, avait été chauffé
à 53 degrés dans des flacons bien bouchés, dans le but d'ab-
sorber l'oxygène de l'air contenu dans les flacons, trouva
que, pendant le trajet de la Martinique en France, ce jus
s'était changé en une matière gluante, mucilagineuse, dif-
ficile à faire sortir des flacons ; cette matière était insoluble
dans l'alcool. Traitée p a r l'acide sulfurique, elle ne donna

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 81
pas un grain de sucre ; l'acide nitrique la changea en acide
oxalique sans aucune trace d'acide mucique ; le sucre était
devenu un tissu ; la substance tendant à s'organiser était
devenue organisée. »
Dans les districts élevés de l'Inde, la gelée endommage
souvent les récoltes de cannes ; mais ni les Européens ni les
naturels du pays ne comprennent bien la manière dont le
dommage est effectué. La canne est, sous tous les rapports,
une plante tropicale ; elle a besoin de cette continuité de
forte chaleur et de vive lumière qui n'existe que sous le
climat des tropiques.
§ 22. — Influence des saisons. — Pertes subies faute d'y avoir égard.
L'influence des saisons est un point important sur lequel
j'appelle particulièrement l'attention du planteur. Je dois
d'abord diviser ce sujet en deux parties séparées, afin de trai-
ter isolément du climat du grand continent indien ; car les
saisons y diffèrent essentiellement de ce qu'elles sont dans
les îles des Indes occidentales, à Maurice et dans les colo-
nies des détroits malais.
Les saisons, aux Indes orientales, à l'île Maurice, à
Ceylan et aux colonies des détroits malais, sont tout à fait
semblables ; on peut dire que leur climat offre la plus grande
analogie par la chaleur moyenne, l'égalité de température
et la durée des pluies ; mais il y a des variations provenant
des différences de situation locale ; j ' e n parlerai en traitant
du climat de chacun de ces pays.
Dans toutes les colonies que je viens d'énumérer, on ne
peut pas dire qu'il y ait une saison froide ; mais il y a des
périodes plus ou moins bien marquées de chaleur, de séche-
6

82 LA CANNE A SUCRE.
resse et de temps pluvieux, avec de légères variations
dans les mois où ces périodes surviennent. Aux Indes occi-
dentales, ces périodes sont bien définies et tout à fait régu-
lières ; les planteurs choisissent ordinairement le prin-
temps et l'automne comme les meilleures époques pour la
plantation des cannes; mais, dans quelques exploitations,
on plante des cannes et l'on fabrique du sucre sans inter-
ruption toute l'année.
Je ferai observer ici qu'il arrive quinze fois sur vingt,
aux Indes occidentales, que celui qui dirige une exploita-
tion n'a pas la liberté d'agir selon son propre jugement,
étant forcé de suivre les ordres qu'il reçoit de l'agent ou
procureur du domaine [attorney) comme on le nomme dans
ces colonies. P a r ce motif, il n'est pas toujours juste de re-
jeter sur le régisseur ou surveillant (overseer), ainsi qu'on le
nomme à la Jamaïque, le blâme du système erroné de cul-
ture qu'il suit, et du mauvais succès d'une plantation dont
il n'a la direction que nominalement. Il ne faut pas non plus
s'étonner qu'un régisseur placé dans un tel état de dépen-
dance hésite à risquer ses moyens d'existence, souvent
ceux de sa famille, en se faisant un ennemi du procureur
du domaine, ce qui serait le plus souvent le résultat de son
opposition à ses volontés. On ne peut trop déplorer l'exis-
tence d'un tel état de choses; car évidemment de nombreux
inconvénients doivent résulter d'un tel déni de confiance
envers le régisseur, et du défaut de sûreté de sa position.
Toutefois ceci se rattache particulièrement à une autre di-
vision de mon travail; si j ' e n fais ici mention, c'est seule-
ment afin de pouvoir m'épargner la tâche désagréable de
signaler les erreurs nombreuses commises par rapport aux
saisons dans les plantations des Indes occidentales.

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 83
Une des plus grandes causes de perte dans les plantations
de canne à sucre, c'est l'emploi comme chauffage de la ba-
gasse, ou des résidus desséchés de la canne broyée, à la place
du bois et de la houille. Pour avoir un approvisionnement
suffisant de ce chauffage, le plus coûteux de tous, que de sa-
crifices ne fait-on pas ? Que de pertes de temps, de tourments
et d'embarras proviennent de ce seul usage ! Quelle influence
fâcheuse, je devrais dire ruineuse, n'exerce-t-il pas quant
aux intérêts et au bien-être de la plantation? Enfin cela
dérange tout le système de culture ; cela seul suffit souvent
pour déconcerter des plans bien conçus et très exécutables
sous tous les autres rapports. Ai-je besoin d'expliquer ici
comment cela arrive, et comment le sujet que j e traite en ce
moment en est particulièrement affecté ? Je ne le pense pas.
Une occasion plus favorable pour cette explication se r e n -
contrera prochainement. Je me bornerai donc à faire remar-
quer que le planteur, ayant à sa disposition une provision
abondante et assurée d'un bon chauffage, tel que la houille
ou le bois, peut profiter de tous ses avantages quant au
temps et aux saisons pour planter ses cannes et en travailler
les produits. Un temps nuageux non plus qu'une pluie fine
ne l'empêcheront pas de récolter ses cannes ; tout au con-
traire, ils lui feront un devoir de se hâter ; il déploiera toute
son énergie pour que ses cannes mûres soient coupées et
livrées à la fabrication avant que leur j u s soit rendu aqueux
par les pluies torrentielles, et pour avoir en même temps
une bonne provision de boutures pour faire ses plantations
durant cette saison si favorable à leur réussite.
Peu importe que le temps soit clair ou nuageux ; quelques
champs de belles cannes ont besoin d'être moissonnés : mois-
sonnez-les ; d'autres doivent être plantées, et la saison est

84 LA CANNE A SUCRE.
favorable : plantez-les. Il n'y a pas à s'inquiéter, pas de ris-
ques à courir, avec une bonne provision de houille ou de bois
sous sa main ; la rapide fabrication du sucre est assurée.
Sans ce genre de chauffage, on ne peut profiter qu'en partie
des bonnes saisons pour planter la canne et fabriquer le
sucre.
§ 23. —Fléchage ou floraison de la canne aux Indes occidentales
Aux Indes occidentales et dans toutes les colonies des
détroits malais, la canne à sucre manifeste toujours une
grande disposition à flécher, c'est-à-dire à fleurir durant les
mois de janvier, février et mars; à tel point que j'ai vu
souvent fleurir abondamment des rejetons de canne à cette
époque de l'année, bien qu'ils n'eussent pas plus de sept
mois. L'intervalle de décembre à juillet est décidément la
meilleure saison pour la fabrication du sucre de canne. Du
mois d'août à la fin de novembre, c'est ce qu'on peut nom-
mer la saison des pluies; mais sur les détroits malais, les
saisons sont quelquefois très capricieuses.
Quand la canne approche de sa maturité, deux ou trois
mois d'un temps chaud, sans excès de sécheresse, lui font
acquérir son maximum de saveur douce et la rendent capa-
ble de donner un sucre abondant, de belle qualité. Quelques
ondées de pluie de temps en temps, à de longs intervalles,
loin de nuire à la qualité du jus de la canne, servent au
contraire à maintenir la plante dans toute sa vigueur sans
en affaiblir le j u s . Quand la saison se comporte ainsi, le
planteur se réjouit d'avance d'avoir à travailler une bonne
récolte.
Dans l'Inde, l'année se divise en trois saisons, la froide,

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 85
la chaude, et la pluvieuse, lesquelles, excessives toutes
trois, soumettent par conséquent la canne à de rudes
épreuves.
Il m'est arrivé de planter des cannes du pays au mois de
décembre, mois très froid dans l'Inde supérieure; elles ne
sont pas sorties de terre avant que la saison fût redevenue
chaude, en février de l'année suivante.
Ne voyant pas d'apparence de végétation pendant une
si longue période, j e pensais à replanter mes champs de
cannes ; mes voisins me dirent que, si j'attendais le retour
des chaleurs, j e verrais mes cannes plantées pousser de la
manière la plus satisfaisante ; c'est un fait bien connu que
la canne du pays ne pousse pas, quand on la plante pen-
dant la saison froide ; c'est ce que j ' a i toujours vu dans la
suite. Les cannes d'Otahiti et de la Chine n'en sont pas
aussi affectées dans leur croissance, quoiqu'elles en soient
toujours très retardées. Les cannes plantées au commence-
ment d'octobre ont déjà pris un certain accroissement en dé-
cembre ; le froid de décembre les fait complétement dispa-
raître, jusqu'à ce que les chaleurs de février et une légère
ondée de pluie leur fassent pousser des rejetons vigoureux.
Les vents chauds qui soufflent au commencement d'avril,
souvent même dès le mois de mars, continuent jusqu'au mi-
lieu de juin, grillant et rôtissant les plantes que sauve souvent
l'arrivée des premières pluies. A ce moment, la rapidité de
leur croissance tient réellement du prodige ; en quatre mois
de temps, là où tout était desséché et brûlé, on voit s'éle-
ver des masses touffues de cannes de la plus riche végéta-
tion : le changement est réellement merveilleux.
Si la plantation est dans un canton où la gelée ne soit
pas à craindre, il peut quelquefois être avantageux de lais-

86 LA CANNE A SUCRE.
ser les cannes sur pied jusqu'en février ; à cette époque, le
jus sera plus riche que lorsqu'il est exprimé immédiatement
après la saison des pluies.
Mais s'il y a lieu de redouter les gelées, alors il vaut
mieux planter les cannes à une bonne distance, et les débar-
rasser périodiquement des feuilles mortes, afin que l'air, la
lumière et la chaleur leur arrivent librement dans toutes les
directions ; de cette manière, les cannes peuvent être cou-
pées et livrées à la fabrication en novembre.
§ 24. — Influence de l'atmosphère.
L'électricité attirée par les feuilles de la canne au mi-
lieu d'une atmosphère qui en est surchargée pendant la
saison des pluies, et les orages accompagnés de tonnerre,
impriment une grande activité à leur végétation. Bien
qu'on ne puisse donner une explication satisfaisante de
son mode d'action, il n'est pas possible de nier que l'élec-
tricité n'exerce une influence prodigieuse sur la végéta-
tion. A part cette action, on sait positivement quelle quan-
tité d'ammoniaque et d'acide carbonique existe dans l'at-
mosphère des contrées tropicales ; ces deux substances
sont introduites dans le sol par l'eau des pluies ; elles en
entretiennent la fertilité. L'ammoniaque existe dans l'at-
mosphère des contrées tropicales en quantités beaucoup
plus grandes que dans celle de l'Europe, parce que la pu-
tréfaction s'y exerce continuellement avec bien plus de rapi-
dité que dans les pays tempérés ou froids. Dans l'Inde,
outre 200 millions d'êtres humains, des myriades d'oi-
seaux, de quadrupèdes et de poissons pullulent de toutes
parts, produisant tous plus ou moins d'ammoniaque libre,

INFLUENCE DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS. 87
soit pendant leur vie, soit après leur mort; on peut juger
par là combien l'ammoniaque y est abondante. Les cultiva-
teurs indous connaissent très bien les avantages que leur
sol peut retirer des labours fréquents donnés pendant la
saison pluvieuse ; mais ils ne savent pas probablement à
quoi tient le renouvellement de sa fertilité. Ce qui est cer-
tain, c'est qu'il n'y a pas de pays au monde où l'on fasse
moins usage d'engrais et où la terre soit plus fatiguée, plus
complétement épuisée ; elle donne néanmoins tous les
ans, grâce à des labours multipliés, des récoltes passa-
bles. A quoi cela tient-il? A l'influence atmosphérique, sans
aucun doute. Mais, tout en mettant ce fait en relief sous les
yeux des planteurs, j'insiste en même temps sur un autre
fait : c'est que, si le principe de la fertilisation par l'at-
mosphère est vrai sous un rapport, son exagération est
absurde et stupide. 11 n'y a pas de terre cultivée qui
puisse continuer à produire par le seul effet de l'influence
atmosphérique ; il faut absolument lui rendre sous forme
d'engrais une portion de ce qu'on lui a pris sous forme de
récoltes. Le principe de l'agriculture chinoise, de demander
à la terre tout ce qu'elle peut produire et de la maintenir
à son maximum de fertilité, est le seul exact, le seul vrai
sous tous les rapports. Ce qu'on nomme, dans les colonies
des détroits malais, forcer la terre jusqu'à épuisement, est
une expression d'une ignorance éminemment absurde, qui
n'a pas de sens ; car, si, par exemple, une terre bien gou-
vernée peut produire 2,000 kilogrammes de sucre par
40 ares vingt ans de suite, elle continuera certainement de
même indéfiniment, pourvu qu'elle continue à être sou-
mise au même système rationnel de culture. La bienfaisante
Providence a réglé les saisons de façon à apporter au cul-

88 LA CANNE A SUCRE. INFL. DU SOL, DU CLIMAT ET DES SAISONS.
tivateur une aide dont il doit profiter ; mais il ne doit pas se
négliger dans ses travaux et les applications de son indus-
trie, en comptant absolument sur les opérations de la na-
ture.

C H A P I T R E I I I .
Mode de culture de la canne, comprenant : labours, plantation,
binage, sarclage, buttage, nettoyage., etc., — aux Indes occi-
dentales, aux Indes orientales, et aux colonies des détroits
malais. — Choix des meilleurs travailleurs pour cette culture.

§ 1 . — Remarques préliminaires.
e r
Il est nécessaire de traiter séparément de la culture de la
canne à sucre dans chacun de ces trois p a y s ; car ils diffè-
rent essentiellement les uns des autres, et cette division de
mon travail le rendra plus intelligible.
Je m'occuperai en premier lieu des îles des Indes occi-
dentales. J e ferai remarquer que, bien que je possède une
connaissance générale des systèmes de culture suivis dans
toutes ces îles, cependant mon expérience pratique à cet
égard se borne à l'île de la Jamaïque. Mes observations
s'appliqueront donc particulièrement à cette colonie, quoi-
qu'elles doivent être, je n'en fais aucun doute, parfaitement
comprises également dans les autres. Démérary diffère tel-
lement du reste des Indes occidentales, que j'en parlerai
séparément.
En abordant la description de la culture de la canne à
la Jamaïque, je ne me dissimule pas la nature toute spé-
ciale de la tâche que j'entreprends. Je proteste contre toute
pensée de blesser qui que ce soit ; cependant il s'agit d'un

90 MODE DE CULTURE
système tellement compliqué de pratiques funestes encou-
ragées et maintenues par l'intérêt privé, l'attachement aux
vielles coutumes, l'entêtement et des préjugés profondé-
ment enracinés, que c'est une entreprise également difficile
et désagréable que celle d'en exposer une partie quelconque;
car vous n'avez pas plus tôt mis au jour une erreur que
d'autres vous apparaissent en foule, se rattachant à la
première et demandant au même titre à être mention-
nées. Ainsi, dans une revue sincère et impartiale de ce
système de culture, on ne peut manquer de blesser plus
ou moins les parties intéressées. Cependant il m'est impos-
sible d'espérer de rendre intelligibles aux propriétaires et
aux intéressés dans les propriétés qui n'habitent pas les
colonies, les causes qui s'oposent à la prospérité de leurs
domaines des Indes occidentales, si je n'écris librement la
vérité, sans me mettre en peine des préjugés et des intérêts
individuels.
C'est ce que je suis obligé de faire pour présenter les
fruits de mes observations et de mon expérience sous la
forme la plus utile.
§ 2. — Erreurs du système suivi aux Indes occidentales.
Après ces courtes remarques préliminaires, je diviserai
les domaines de la Jamaïque en deux classes : 1 ceux qui
o
peuvent être labourés à la charrue ; 2° ceux qui ne peuvent
être labourés qu'à la houe. Je dois dire que, sous l'empire
des circonstances présentes, pour ceux de la première
classe, il y a encore de l'espoir ; pour ceux de la deuxième
classe, il ne me semble pas qu'il en reste la moindre lueur.
Mais les planteurs emploient-ils la charrue pour tous leurs

DE LA CANNE. 91
travaux? Cherchent-ils autant qu'il est en leur pouvoir à
substituer le travail des animaux à celui de l'homme ? Rem -
placent-ils la houe primitive et insuffisante par des instru-
ments de labour bien construits et bien appropriés aux be-
soins de leurs exploitations ?
Non. Nous ne voyons rien de semblable; au contraire,
la houe est toujours employée de préférence ; nous trouvons
que, là où la charrue a été essayée, elle l'a été avec mauvais
vouloir, conséquemment sans donner une attention suffisante
aux considérations les plus importantes, encore moins à celles
de détail. J'ai vu de mes propres yeux une douzaine de
bêtes à cornes prises, dans un pâturage d'herbe de Guinée,
toutes gorgées et gonflées de cette riche nourriture verte,
pour les atteler à une lourde charrue toute en fer, et les
faire labourer sans les avoir en aucune façon dressées à
ce travail, ou préparées par une alimentation convenable.
J'ai vu ces bestiaux tomber d'épuisement sur le sol après
avoir labouré pendant vingt minutes, la langue pendante;
j'ai vu leurs conducteurs les accabler de coups de fouet
et les frapper avec de lourds bâtons sur la tête, et les tor-
turer de toutes les manières, afin de les forcer à faire un
travail pour lequel on avait omis de les préparer. Peut-
on imaginer rien de plus cruel et de plus absurde tout à la
fois? Qu'on se figure un bœuf gonflé d'une herbe fraîche,
aqueuse, attelé à une charrue ; on lui demande du travail à
l'ardeur du soleil des tropiques ; on veut qu'il laboure une
terre argileuse, tenace, peut-être pendant plusieurs heures,
alors que, dans l'état où elle est, la pauvre bête aurait déjà
bien de la peine à se traîner elle-même seulement pendant
une heure ! Ou bien, changeons le tableau : figurons-nous
douze bêtes à cornes au dernier degré de maigreur, de la

92 MODE DE CULTURE
misère et de la faiblesse, appliquées au même travail, déchi-
rées à grands coups de fouet pour les contraindre à faire
une besogne dont, affaiblies et exténuées par la faim, elles
sont parfaitement incapables. Cela est-il moins cruel ou
moins absurde? Mais est-ce tout ce dont nous avons à nous
plaindre ? Vraiment non ; bien loin de là ! J'ai vu des
bœufs essayant de labourer avec des colliers (on les avait
envoyés d'Angleterre) tellement grands qu'il leur était tout
à fait impossible de marcher avec, chose dont, si je ne l'avais
vue, je n'aurais jamais pu croire un homme capable de s'a-
viser. Assurément, s'il passe par la tête d'un régisseur ou
d'un propriétaire anglais d'envoyer dans une plantation des
Indes occidentales des colliers fabriqués en Angleterre, le
bon sens dit qu'il doit premièrement essayer ces colliers sur
des bœufs anglais de moyenne taille, au lieu d'envoyer aux
colonies des colliers bons pour des éléphants adultes.
D'un autre côté j ' a i vu des bœufs travaillant avec des
jougs tellement pesants qu'un seul faisait plus que la charge
d'un homme, alors qu'un joug du quart de ce poids eût été
plus que suffisant pour la besogne qu'il s'agissait d'exé-
cuter.
Ces détails peuvent sembler affectés de trivialité; ils
serviront du moins à montrer par combien de raisons, à la
Jamaïque, la propriété foncière ne donne pas de revenus ;
en faisant voir que les grandes dépenses résultant de la
perte annuelle des bestiaux ne sont pas occasionnées par
leur mort naturelle, mais par les traitements absurdes et
cruels dont ils sont victimes. Ce qui doit étonner, c'est
que quelques animaux survivent à des traitements si ré-
voltants. Quand on réfléchit qu'un jeune bœuf, à la J a -
maïque, coûte de 250 à 375 francs, on voit clairement com-

DE LA CANNE. 93
bien il importe de faire un bon choix d'animaux et ensuite
de les bien traiter, si l'on veut en obtenir, dans un temps
donné, le plus possible de bons services avec le moins pos-
sible de risques et de dépense. Mais c'est là ce qui ne se
fait jamais à la Jamaïque ; sur beaucoup de domaines,
le procureur s'y oppose ; sur d'autres, les régisseurs
ont trop de préjugés ou d'indolence pour essayer de chan-
ger la routine établie. Dans presque toutes les planta-
tions, on peut voir les bestiaux nuit et jour dans des enclos
ouverts, jusqu'aux jarrets dans la fange et le fumier,
gorgés de fourrage vert une partie de l'année, demi-
morts de faim le reste du temps, misérables, dévorés par la
vermine, surchargés de travaux le jour, nourris plus que
pauvrement le soir. J e n'ai vu dans aucune exploitation une
bonne étable, bien couverte, bien tenue, où des bœufs pus-
sent être bien nourris et à leur aise. Jamais je n'ai vu faucher
et mettre en réserve du foin pour les animaux de travail, de
manière à les maintenir bien en chair, en état de supporter
un travail pénible et soutenu. Loin de là, j ' a i vu partout
l'oubli complet de ce genre de prévoyance entraînant la ruine
des propriétés, ruine honteuse, ruine la plupart du temps
volontaire, j ' e n ai la conviction.
Parmi tous ces domaines, j ' e n choisis un situé dans le
nord de l'île, que je connais parfaitement, d'une étendue
d'environ 750 acres (300 hectares), fabriquant annuellement
150 hogsheads de sucre de 1,800 livres chacun, et 7,500 gal-
lons de rhum (122,000 kilogr. de sucre et 34,050 litres de
rhum) ; l'exposé de cette exploitation frappera, je crois, d'é-
tonnement quiconque ne connaît pas à combien de maux
donne naissance l'existence des agents dans les plantations.
Il y avait sur cette propriété 250 têtes de bétail à cornes,

94 MODE DE CULTURE
valant, selon la plus juste estimation, en moyenne 200 fr.
la pièce, soit 50,000 francs; environ 40 mules à 500 francs
la pièce = 20,000 fr. ; en tout 70,000 fr. de capital, rien
qu'en bestiaux, somme que chacun doit trouver énorme. Eh
bien, tous les ans il fallait renouveler le bétail de cette ex-
ploitation pour remplacer les morts !... C'est là, sans doute,
un très grand mal. Mais que dira-t-on, quand j'aurai affirmé
que tous les ans les animaux nécessaires n'étaient point
achetés sur les marchés les plus avantageux, où il eût été fa-
cile de procurer au propriétaire, à des prix modérés, des
bêtes capables d'un bon service? Pas du tout; l'agent ou le
porcureur de la plantation, comme on le nomme, ordonne au
régisseur d'aller chez un éleveur qu'il lui désigne, à Sainte-
Anne ou à Sainte-Elisabeth, et d'y faire choix d'un certain
nombre d'animaux pour les envoyer à la plantation et les
porter en compte au prix le plus élevé possible, sans rapport
avec leur qualité. Ainsi le régisseur sait où il y a à vendre
des bestiauxjeunes, excellents, à 250 francs la pièce; ces ani-
maux, bien nourris, nés dans les environs, sont précisément
ce qu'il lui faut ; il ne peut pas les acheter ; il faut qu'il aille
chez l'éleveur qui lui est désigné, à cinquante ou cent milles
plus loin, chercher les animaux les moins bien appropriés à sa
culture ; il aura de plus la mortification de savoir que l'exploi-
tation sera grevée de 300 à 400 francs par tête de bestiaux,
dont un ou plusieurs doivent probablement mourir en route
avant d'arriver à la plantation et dont le tiers ou la moitié
mourra très certainement trois mois après y être arrivé.
Exprimera-t-il son mécontentement en cette circonstance :
le procureur le mettra immédiatement à la porte. E t pour-
quoi? Parce que l'éleveur fournissant les bestiaux, c'est le
procureur lui-même, ou l'un de ses parents, ou son as-

DE LA CANNE. 95
socié, et que son intérêt privé était engagé dans l'opération.
J'ai su que la même exploitation payait, par les mêmes
raisons, ses mules 20 à 25 livres sterling (500 à 525 fr. ),
alors qu'elle aurait pu en acheter de plus fortes, meilleures
sous tous les rapports, dans son voisinage, au prix de 425 à
450 francs. Mais ce qui se passe dans cette plantation, est-
ce un cas isolé ? N'est-ce pas, de notoriété publique, l'usage
commun à la Jamaïque? Tout planteur sait que c'était (c'est
probablement encore) le système en vigueur, avec des frau-
des encore plus grandes et plus étendues; c'est général,
tout le monde le sait. Assurément l'exposé de ce système
jette un grand jour sur le mystère de l'état anti-progressif
des plantations à la Jamaïque ; j ' e n dis autant de la persé-
vérance routinière dans l'emploi des moulins tournés par
des animaux ; de l'usage d'entretenir trop de bestiaux sur
les plantations ; de la répulsion pour toute amélioration
dans la manière de fumer les terres et de fabriquer le
sucre ; de l'absence de toute attention quant à ce qui
touche au bien-être et à la conservation des mules et des
bêtes à cornes.
Il est reconnu qu'à la Jamaïque un bon bœuf et une
bonne vache peuvent en moyenne, sous l'empire de circon-
stances favorables, travailler pendant 10 ans ; avec un peu
plus de soins, leur temps de service peut durer 15 ans ; tan-
dis qu'une mule, même assez négligemment soignée, fournit
une carrière de travail de 20, 30 et même 10 ans. J'ai eu
en ma possession quatre mules de l'âge de quarante-cinq à
cinquante ans, constaté par les preuves les plus authenti-
ques ; toutes les quatre faisaient leur tour d'attelage comme
les autres régulièrement. C'est un grand avantage pour le
propriétaire que d'avoir des animaux dont les services peu-

96 MODE DE CULTURE
vent se prolonger jusqu'à cet âge ; mais c'est une chose épou-
vantable pour le procureur, qui est en même temps éleveur de
bestiaux, soit par lui-même, soit par des amis ou des gens sous
son patronage. Comment trouvera-t-il le placement de ses
bœufs et de ses mules ? J'ai connu des procureurs de planta-
tions qui envoyaient acheter des mules en Espagne ; à leur ar-
rivée, ces mules étaient marquées, puis revendues, aux planta-
tions des commettants de ces mêmes procureurs, comme mulets
créoles,
nés dans les colonies. Plus on examine de près cet abus,
plus on en reconnaît la tendance ruineuse. Tel a été le grand
obstacle à l'amélioration de la culture de la canne et de la
fabrication du sucre ; il faut y mettre un terme, si l'on veut
que les plantations de canne à sucre puissent prospérer. La
force d'une machine à vapeur revient à beaucoup meilleur
marché que celle des animaux de service. Ce qu'on nomme,
à la Jamaïque, gren trash, formé des sommets des cannes
avec leurs touffes et des feuilles encore vertes des cannes
coupées vertes et fraîches, telles qu'elles sortent du moulin,
fournit, quand elles entrent en décomposition, un engrais
très supérieur à celui du bétail ; la houille fournit un chauf-
fage si abondant, à bon marché, qu'il est sous tous les r a p -
ports préférable aux déchets de canne desséchés (bagasse).
Quelle cause peut donc s'opposer à l'introduction de ces
améliorations? Rien autre chose, neuf fois sur dix, que l'in-
térêt privé, qui présente les faits sous un aspect faux, et
fait naître des difficultés sans existence réelle ; c'est lui seul,
sans aucun doute, et cela montre à quelle condition misé-
rable est réduit le régisseur chargé de la culture dans les
plantations. A la Jamaïque, on le nomme surveillant
(overseer) ; les employés qui le secondent sont nommés te-
neurs de livres.

DE LA CANNE. 97
Mais le surveillant d'aujourd'hui n'est plus l'homme
rude et grossier d'autrefois ; il est en général de bonne fa-
mille; il a reçu une bonne éducation ; le plus souvent, il a
fait toutes ses classes ; c'est par conséquent un esprit supé-
rieur, un homme éclairé. Cependant cette classe d'hommes
est traitée à peine avec plus d'égards que n'en éprouvaient
ceux auxquels elle succède; ils doivent faire ce qu'or-
donne le procureur, quand même ses ordres sont arbi-
traires et préjudiciables aux intérêts du propriétaire; au-
trement ils perdent leur position, et sont exposés à rester
des mois entiers sans emploi. Il n'y a entre le surveillant
et le procureur aucune communication suivie, aucun
échange d'avis concernant la prospérité de la plantation ; il
n'y a du moins rien qui mérite ce titre. E n effet tout le
système s'oppose entièrement à ce qu'ils se traitent réci-
proquement avec confiance et considération. Le procureur
emploie un surveillant pour qu'il mène la plantation à sa
guise ; le surveillant ou régisseur doit suivre en tout les
volontés du procureur. D'un autre côté le surveillant doit
chercher en tout à servir les intérêts et à améliorer la po-
sition de celui qui l'emploie ; il ne connaît en cette qualité
que le procureur, auquel il doit chercher à plaire par tous
les moyens possibles. Il sait qu'à tout moment, avec ou
sans motifs, le procureur peut le renvoyer; faut-il s'étonner
s'il évite de rien faire ou de rien dire qui puisse blesser celui
dont sa place dépend?
On comprend qu'il peut y avoir quelques procureurs fai-
sant exception à une règle malheureusement trop générale,
je suis forcé de le dire. Je ne prétends pas non plus
qu'une surveillance supérieure ne soit pas nécessaire; je
pense au contraire que le propriétaire, ou le procureur qui
7

98 MODE DE CULTURE
1o représente, ne peut ni exercer trop de vigilance, ni inter-
venir trop souvent, quand il trouve que, dans son domaine,
quelque chose va de travers. Mais je pense aussi que le
surveillant doit être amené à s'identifier avec la propriété
dont il est le régisseur, qu'il doit pouvoir la regarder comme
sa propre demeure et être bien assuré que sa position lui
est garantie par la bienveillance et l'intérêt bien entendu
du propriétaire ou de celui qui le représente. Un grand
nombre d'avantages fort importants peuvent résulter de
cette bienveillance lorsqu'elle existe et qu'elle est soigneu-
sement ménagée. P a r exemple, prenez pour surveillant ou
régisseur un homme intelligent, d'un sens droit, ayant de
l'éducation et de l'expérience ; mettez-le à la tête d'une
plantation, faites lui une position convenable au point de
vue pécuniaire ; qu'il ait une idée bien nette de ce que vous
attendez de lui ; qu'il soit certain de posséder votre con-
fiance, d'avoir une situation stable et d'être traité avec une
bienveillante considération ; je suis convaincu qu'au lieu
de se préoccuper de la venue possible d'un successeur, il
étudiera à fond l'économie de l'exploitation, et qu'il dé-
ploiera toute l'énergie, toute l'activité de son intelligence,
pour en préparer par degrés l'amélioration.
Dans l'état actuel des choses, le surveillant pense avant
tout à conserver sa position, si peu assurée la plupart du
temps qu'il pense que ce serait de sa part une folie de se
livrer à des calculs pour combiner des plans exigeant du
temps pour être mis à exécution. C'est un système fatal,
qui doit à tout prix être changé ; s'il ne peut prendre en
main avec coeur et confiance ses fonctions dans la planta-
tion, il est impossible au surveillant de les bien remplir.
J'ai cité l'exemple d'une petite plantation ayant en bes-

DE LA CANNE. 99
tiaux un capital de 70,000 francs, et ne faisant pas au delà
de 122,000 kilogrammes de sucre par an, ayant par consé-
quent à dépenser au delà de son produit tous les ans pour
renouveler son bétail. N'en est-ce pas assez pour faire ou-
vrir les yeux? Conçoit-on rien de plus ridicule, de plus ex-
travagant? Comparons cet état de choses avec ce qu'exige
réellement une plantation pour donner 250,000 kilogrammes
de sucre par an. D'abord je tiens pour certain que 150 acres
(60 hectares), cultivées d'une façon rationnelle, doivent,
si les saisons se comportent comme d'ordinaire, donner
250,000 kilogrammes de sucre et 100 puncheons (environ
38,000 litres ) de rhum. Je suppose ensuite que les 60 hec-
tares sont en plaine et labourables à la charrue; enfin j ' a d -
mets de plus qu'on introduit dans leur culture toutes les
améliorations simples et peu dispendieuses.
§ 3. — Système qui devrait être adopté.
Implantation, que je suppose de 500 acres (200 hectares),
comprendra des champs de cannes, des champs de fourrages,
des pâturages communs, des terres pour les nègres, etc., etc. ;
150 acres (60 hectares) seront constamment occupées par
les cannes, savoir 30 hectares en plantation nouvelle et
30 en rejetons de première année. L'exploitation aura ses
bâtiments au centre des terres ; elle aura une bonne et hon-
nête machine à vapeur de la force de 10 chevaux, des ap-
pareils améliorés d'évaporation et de concentration; elle
emploiera la houille comme unique chauffage (je donne
plus loin le calcul de ces articles de dépense) ; son bétail
consistera en 75 bêtes à cornes jeunes et vigoureuses, du
prix moyen de 250 francs la pièce, ainsi réparties :

100 MODE DE CULTURE
Attelages de 2 charrues a 6 bœufs chacune, et 3 bœufs
de relai 15
Attelages de 6 chariots légers, mais solides, à 6
bœufs chacun, et 4 de relai 4 0
Vaches mères pour le renouvellement du bétail . . 20
Total 75
Les 15 bœufs de service, hors les heures d'attelage des
charrues, seront tenus en stabulation permanente et nourris
de foin sec et de maïs, ou de sommets de cannes broyés.
Les attelages des chariots seront soumis au même régime,
logés dans des étables et nourris de fourrage sec, sauf le
dimanche, où tous les bestiaux ensemble auront une jour-
née de pâturage au vert.
Pour l'entretien de ce bétail, une pièce de terre sera cul-
tivée en herbe de Guinée pour faucher; cette pièce ne sera
en aucun temps livrée au pâturage des bestiaux ; la plante
fourragère y sera semée en lignes suffisamment espacées
pour que la charrue ou d'autres instruments de culture puis-
sent y fonctionner continuellement. De cette manière, la
prairie artificielle d'herbe de Guinée peut être tenue en bon
état et produire sans interruption, avec des frais insigni-
fiants. Les faucheurs se chargent en effet à l'entreprise de
couper ce fourrage et de le porter sur les chemins ( inter-
valles ménagés pour les chariots), à raison d'un dollar
(5 fr. 25) pour 50 bottes, chacune du poids de 30 livres
( l 3 kilogr. 1/2). C'est un prix que je considère même
comme élevé dans de semblables conditions ; mais à la J a -
maïque, j ' a i souvent payé ce travail à ce même taux. Avec
trois de ces bottes par jour, un cheval peut être maintenu
en très bon état. Partagez 200 de ces bottes, ou leur équi-

DE LA CANNE. 101
valent en nourriture sèche, à 55 bêtes à cornes, je suis cer-
tain qu'elles seront dans la condition la meilleure pour bien
travailler.
Ces 200 bottes reviendront à l'exploitation au prix de
4 dollars, soit 17 schellings et 4 pences de monnaie anglaise
(21 fr. 25). Tout planteur sait que le bétail ainsi nourri
et tenu peut faire le double d'ouvrage que sous son r é -
gime ordinaire, et que cela n'entraîne aucune espèce de dif-
ficulté pour le planteur lui-même. Mais je propose de
donner de plus aux bœufs, les jours où ils travaillent, un
litre de maïs, non pas entier, mais concassé au moulin.
C'est un surplus de dépense de 1 schelling et 8 pences
par jour ( 2 fr. 05 ) qui fera monter la dépense d'entretien de
15 bœufs de labour à 6 schellings et 3 pences par jour
(7 fr. 80).
Avec ces soins et cette ration, les bœufs peuvent travail-
ler de 6 à 10 heures du matin; on leur donne 4 heures, de
10 à 2 heures après midi, pour le repas et le repos. Ils re-
tournent au travail jusqu'à 6 heures du soir; ils ont par
conséquent en tout 8 heures d'attelage sur les 24 de la jour-
née. Ce temps de travail suffit pour que chaque charrue la-
boure profondément 40 ares dans une journée. Aucun plan-
teur ne peut dire qu'il n'est pas possible d'obtenir cette
somme de travail des attelages ; je sais avec la certitude la
plus positive qu'on le peut. J'ai eu à moi un attelage de
6 bœufs qui labourait par jour 40 arcs en travaillant
8 heures, moitié le matin, moitié l'après-midi, pendant six
semaines de suite, ne prenant que rarement un jour de r e -
P°s. Il y a plus : tout en travaillant ainsi, mes bœufs de
labour engraissaient, et je n'en avais pas un seul de malade
C'étaient, sous tous les rapports, les bêtes de toute l'exploi-

102 MODE DE CULTURE
tation qui se maintenaient dans le meilleur état. La charrue
dont je me servais était une légère charrue de bois avec
soc et versoir en fer ; elle avait été construite par les gens
de la plantation ; elle me revenait à 25 francs.
Rien de plus simple qu'un tel instrument ; il fonctionnait
si bien que jamais je ne pourrais désirer un labour meilleur
que celui de cette charrue. A la Jamaïque, deux paires de
bœufs peuvent traîner cette charrue aisément et sans excès
de fatigue; j ' e n attelais six, en raison de la couche argileuse
de quelques pièces de terre. Je suis convaincu que, pendant
un mois de 24 jours de travail, un tel attelage peut labou-
rer profondément 25 acres (10 hectares). E n comptant le
salaire de labour à 4 schellings ( 5 francs) par jour et celui
de deux garçons à 1 fr. 55 chacun par jour, ce travail
ne coûtera pas plus de 12 livres sterling 3 schellings 6 de-
niers (304 fr. 35). La même terre devant ultérieument rece-
voir une façon à la herse et une au haingher ou rouleau , puis
1
être sillonnée par des lignes à l . 8 0 les unes des autres pour
m
la plantation des cannes, ce qui dure un autre mois et occa-
sionne une nouvelle dépense montant comme la première à
304 fr. 35, on voit que la préparation complète du t e r -
rain ne revient pas à plus de 608 fr, 70 pour 25 acres;
c'est moins d'une livre sterling (25 francs) par acre de
40 ares. Cela fait, un ouvrier peut aisément mettre en place
les boutures de cannes en les recouvrant en partie de terre
(1) Le haingher est. un instrument employé par les Indous pour
briser les mottes et pulvériser la surface du sol. Sa pièce principale
est un grossier morceau de bois ayant ordinairement 2 . 4 0 de long,

m
18 centimètres de large et 6 à 8 d'épaisseur. Le haingher est traîne
par quatre bœufs ; deux conducteurs sont posés debout dessus, pen-
dant qu'il fonctionne.

DE LA CANNE. 103
avec son pied , à raison de 40 ares par jour, au prix d'un
dollar ( 5 fr. 25) !
§ 4. — Sommaire des opérations recommandées.
Ainsi, en 3 mois ou 72 jours de travail, deux de ces char-
rues auront labouré 76 acres (30 hectares), et leurs attelages
les auront hersées et complétement façonnées. Tout ce tra-
vail, y compris la plantation des cannes aux prix ci-dessus
indiqués, coûtera à l'exploitation environ 90 livres sterling
(2,250 francs), tandis qu'avec le vieux système de creuser
à la houe les trous pour planter les cannes, le même travail,
la même étendue de terrain coûte 9,375 francs ! La seule
comparaison de ces deux sommes montre l'avantage im-
mense en faveur du labour à la charrue. Nous devons exa-
miner de très près quelques points qui s'y rattachent, pour
comprendre pleinement à quel degré les intérêts du p l a n -
teur sont liés à ce mode de culture.
Il faut prendre en considération :
1° Les améliorations que procure au sol le soin avec lequel
il est labouré, hersé, pulvérisé, ce qui opère le parfait mélange
des éléments dont il est formé, en dispersant les matières
excrémentitielles produites par les racines de cannes, en
ameublissant le sol pour le rendre poreux, accessible à l'air et
à l'eau dont j ' a i exposé les importantes fonctions (page 49) ;
enfin, en déracinant toutes les mauvaises plantes vivaces.
2° La manière assurée, efficace, expéditive et économique
dont la besogne est effectuée.
3°La grande économie sur les boutures et la main-d'œuvre.
En effet, par cette méthode, les cannes sont plantées en
lignes à 1 .80 les unes des autres, les boutures à 60 cen-
m

104 MODE DE CULTURE
timètres entre elles dans les lignes, ce qui donne 2,346
cannes par acre (5,865 par hectare). Dans une terre si bien
ameublie, il n'en manque, pour ainsi dire, pas une; plus
tard, il n'y rien ou presque rien à regarnir.
4° La facilité avec laquelle le cultivateur, la houe à che-
val, la charrue elle-même, peuvent fonctionner entre les
lignes de cannes pour nettoyer le sol et l'ameublir.
5° Enfin l'avantage peut-être le plus grand de tous, l'im-
mense économie de travail manuel.
§ 5. - Observations sur ces opérations.
Dans un pays où les ouvriers sont rares et où ils se font
payer fort cher, comment une considération d'une importance
tellement vitale peut-elle être perdue de vue par le planteur?
Qu'il réfléchisse seulement qu'il peut avoir 15 têtes de gros
bétail entretenues dans le meilleur état et 75 acres de
terre (30 hectares) admirablement façonnés et plantés, en
employant seulement 10 ouvriers travaillant 72 jours ! Mais
ces mêmes bêtes de labour ne sont-elles pas disponibles les
neuf autres mois de l'année, pendant lesquels elles peuvent
exécuter tous les travaux des champs avec le cultivateur,
la houe à cheval et la charrue? N e peuvent-elles pas sarcler,
biner, buter les jeunes cannes, travailler les champs d'herbe
de Guinée, transporter les engrais, la houille, rendre, en
un mot, toute espèce d'autres services? Quand ces ani-
maux ne travaillent pas, ils sont dans une étable commode,
bien nourris et bien tenus, faisant provision de forces pour
le moment où il y aura lieu de les employer avec avantage.
Le planteur peut compter avec une entière confiance sur un
bétail ainsi traite, lorsqu'il s'agira d'activer sa besogne;

DE LA CANNE. 105
il peut aisément par là prolonger la durée moyenne de leurs
services de dix à quinze ans. De tels animaux rendent cent
fois en bon travail ce qu'ils consomment, et, après de longs
et bons services, on peut les vendre au boucher plus cher
qu'ils n'ont été achetés dans l'origine.
Les 40 bêtes à cornes qui ne labourent pas, et qui mènent
seulement la charette, recevront la même ration, à l'ex-
ception du maïs en grains ; elles feront ainsi le double de
bon ouvrage, dureront de longues annés en bonne santé, et
seront d'une utilité inappréciable à la plantation On peut
toujours employer utilement les charrettes de manière ou
d'autre, soit pendant la saison des récoltes, soit hors de
cette saison ; mais il importe essentiellement d'avoir des
charrettes bien appropriées au genre de transport qu'elles
doivent effectuer. Il faut une charrette à cannes, une à la
bouille, une à fourrage, un chariot pour le transport du
sucre, chacun de ces instruments de transport disposé pour
le service qu'il doit faire. On n'attèlera pas à chaque char-
rette plus de quatre ou six bœufs. Si ces animaux sont
vraiment bons, robustes, nourris de fourrages secs, et
convenablement soignés, un attelage de 4 bœufs suffit
Pour traîner une charrette à pleine charge, partout où les
chemins sont passablement praticables et exempts de fortes
pentes.
Pendant la saison de la récolte, toutes les charrettes de
la plantation auront assez d'ouvrage à transporter les
cannes des champs à la sucrerie et à rapporter la b a -
gasse fraîche en même temps que les boutures pour les
nouvelles plantations. Hors de cette saison, ou quand ce
genre de travaux ne les occupe pas entièrement, on peut
les employer constamment à transporter de la houille du

106 MODE DE CULTURE
port à l'exploitation, enlever le fumier des étables, voitu-
rer du sable de mer pour amendement, si les terres en
ont besoin, enlever les fourrages secs pour la provision
du bétail, apporter du port des planches ou d'autres ob-
jets nécessaires, aider aux labours, sarclages et buttages
des jeunes cannes; ou peut, enfin, les utiliser pour toute
espèce de travaux. Un planteur des Indes occidentales
serait bien étonné de la quantité d'ouvrage que peuvent
ainsi expédier 40 bœufs ; il le serait surtout en voyant que,
pour les soigner, leur donner leurs aliments et les faire
travailler, il ne faut pas plus de 10 hommes et 7 garçons,
en tout 17 ouvriers.
La nourriture de 40 bœufs pour les charrettes, logés à
l'étable et bien nourris de bon fourrage sec, coûtera par
an 303 livres sterling = 7,575 francs.
En admettant que 6 charrettes et 36 bœufs travaillent
5 jours de chaque semaine, ou 260 jours par an, les gages
des 13 ouvriers nécessaires pour les conduire coûteront par
an 325 livres sterling = 8,125 francs.
A quoi il faut ajouter, pour les bœufs de labour nourris
pendant 9 mois et travaillant 180 jours, y compris les
gages des laboureurs et des garçons, une somme de 202 li-
vres sterling = 5,050 francs. Nous trouvons que, pour
cette somme de 730 livres sterling (18,250 francs), à coup
sûr très modérée, nous arrivons à accomplir les travaux
importants sus-mentionnés en diminuant la main-d'œuvre
au profit de la faisance-valoir ! Cette amélioration n'est pas
restreinte à ce point de vue particulier ; l'île entière en
profite, donnant ces bras épargnés au service de la terre a
toutes les autres industries.
On trouve pour total la somme très modérée de 730 livres

DE LA CANNE. 107
sterling (18,250 francs), moyennant laquelle les nombreux
et imporants travaux ci-dessus énumérés sont exécutés
avec grande économie de travail humain, grand profit pour
la plantation, grand avantage pour la colonie entière, puis-
qu'on diminue d'autant la demande, par conséquent la cherté
du travail.
J'ai établi un calcul semblable pour 20 vaches mères ;
elles peuvent être sous la conduite d'un seul vacher jusqu'à
ce que l'accroissement du nombre des bêtes d'élève exige
le concours d'un jeune garçon. Leur entretien pendant
5 ans revient à 175 livres sterling — 4,375 francs. En
comptant, ce qui n'a rien d'exagéré, sur 15 veaux par
an, le calcul donne au bout de 5 ans les résultats sui-
vants :
15 jeunes bêtes de 4 ans, valant 150 liv. sterl. = 3,750 fr.
15 — _
3 _ _ 105 — — = 2,625
15 — — 2 — — 75 —- — = 1,875
15— — 1 — — 50 — — = 1,250

Ensemble, 60 bêtes d'élève, valant 380 liv. sterl. = 9,500 fr.
Les vaches mères, convenablement soignées, peuvent
non-seulement continuer à vivre et à se bien porter, mais
même donner des veaux pendant 1 5 à 20 ans ; j ' e n ai vu
souvent des exemples très authentiques. Néanmoins j e ne
conseille pas de conserver des vaches aussi vieilles pour
la multiplication ; il est de beaucoup préférable d'engrais-
ser celles qui prennent de l'âge, pour les vendre et les
remplacer par de jeunes génisses de leur propre descen-
dance.
Dans une période de 5 ans, un ou deux des bœufs de travail

108 MODE DE CULTURE
peuvent mourir, il faut absolument en acheter d'autres
pour les remplacer ; mais cette dépense ne sera considérée
que comme une simple avance faite au compte des bêtes d'é-
lève, avance que ce compte soldera largement avec les in-
térêts composés.
On ne laissera pas prendre trop d'accroissement à cette
portion du bétail; elle sera contenue dans de justes limites
pour la vente de temps à autre de quelques bêtes vieilles
ou jeunes. A la Jamaïque, les occasions no manquent pas
pour mettre ce système en pratique. L'entretien des vaches
pour la reproduction procure à la plantation 3 genres diffé-
rents d'avantages : 1° la valeur des bêtes d'élève, supé-
rieure à l'entretien, y compris les gages du vacher et de
son aide ; 2° la quantité de fumier que ces animaux pro-
duisent ; 3° la parfaite acclimatation des animaux dans la
plantation où ils sont nés et élevés, où ils doivent conti-
nuer à vivre ; leur supériorité sous ce rapport sur de jeunes
bêtes achetées sur d'autres points de l'île, bétail dont, dès
la seconde année, la moitié doit mourir, cause de perte
énorme et d'embarras incessants pour la plantation.
Ce sont là des considérations fort importantes pour le
propriétaire ; on dira qu'à la Jamaïque, il y a dès à présent
des plantations où des vaches sont entretenues pour la mul-
tiplication; mais je ne puis approuver que ces animaux soient
tenus, comme ils le sont à la Jamaïque, dans des enclos
découverts et fangeux, pêle-mêle avec les bœufs de travail-
Lorsqu'elles sont ainsi traitées, on ne peut pas compter
sur plus d'une vache entre trois qui donne son veau et le
nourrisse ; car, outre les intempéries des saisons et les mi-
sères de toutes sortes, les vaches sont continuellement tour-
mentées et maltraitées par les bœufs de travail.

DE LA CANNE. 109
Je crois avoir prouvé clairement qu'avec 55 bœufs de la-
bour et 20 vaches mères (coûtant ensemble 750 livres
sterling = 18,750 francs) toute la besogne de la planta-
tion peut être parfaitement exécutée, et que le troupeau
peut être tenu toujours au complet et même au delà. Quand
j'avance que la méthode que je viens d'exposer économise
les deux tiers de la dépense en main-d'œuvre exigée par
l'ancien système, je suis certain de ne rien affirmer qui ne
soit le fruit de ma propre expérience de chaque jour, rien
dont un planteur intelligent ne puisse se convaincre par lui-
même.
Le seul travail additionnel exigé dans les champs de
cannes préparés, plantés, nettoyés, binés et buttés avec la
charrue ou d'autres instruments de culture consiste à éclair-
cir une, deux ou trois fois, s'il est nécessaire, en enlevant
les feuilles jaunies, et, quand les cannes sont mûres, à cou-
per les cannes, les botteler et les porter jusqu'aux cha-
riots. En prenant les précautions convenables, une partie
de ce dernier travail peut même être épargnée en faisant
entrer les chariots dans les champs de cannes pour prendre
une demi-charge , chaque roue posant sur un intervalle
entre deux lignes de cannes. Mais pour tous les transports,
je pense qu'il est de beaucoup préférable d'avoir de légers
chariots menés facilement par deux bœufs. Voici quelles
doivent être leurs dimensions : longueur, 2 . 1 0 ; largeur,
m
1m.35; essieux, 2 . 1 0 ; roues, l . 5 0 9 de h a u t ; jantes des
m
m
roues, un décimètre de large. Les jantes doivent être très
minces et aussi légères que possible. Une pièce de bois ou
perche doit occuper le centre du chariot; elle aura la force
nécessaire et le moindre poids possible. Cette perche devra
pouvoir s'élever ou s'abaisser au besoin pour permettre au

110 MODE DE CULTURE
chariot de tourner. Un chariot de ce genre peut être con-
struit si léger, et si solide en même temps, que deux bœufs
puissent le manœuvrer facilement avec avantage ; 2, 3 ou 4
de ces chariots seront employés journellement à l'enlève-
ment de la récolte de cannes, et à transporter directement
au sortir du moulin le marc de cannes broyées, (bagasse)
pour le répandre comme engrais entre les sillons de champs
cultivés.
Il est bon d'avoir un ou plusieurs de ces chariots exclu-
sivement employés à emporter les cannes broyées, chargées
au moulin par les chariots servant à l'enlèvement des
cannes entières, ét à les distribuer dans les raies ouvertes
pour la plantation des cannes, pendant que les autres conti-
nuent à enlever la récolte. Lorsqu'ils font ce service, ces
chariots doivent avoir un fond supplémentaire et des gar-
nitures sur le devant et les côtés, pour pouvoir y charger
une bonne quantité de bagasse, dans le genre des ridelles
qu'on ajoute en Angleterre aux charrettes à charger des
fourrages ; seulement, au lieu d'être à claire-voie, ces garni-
tures seront en planches ou bien en bambous tressés assez
serrés pour que les morceaux de cannes broyées ne puis-
sent tomber.
Je dois faire remarquer ici que la totalité des feuilles su-
périeures ou de ce qu'on nomme têtes de cannes, avec le marc
frais provenant des cannes soumises à la presse, est réser-
vée pour fumer les champs qui ont porté la récolte de can-
nes, et doit être enterrée toute fraîche et encore humide,
pour tenir lieu d'engrais végétal ; il est nécessaire, pour
cette raison, de donner aux jeunes cannes un bon buttage,
assez élevé pour qu'après la récolte des cannes, tout ce qu'il
y a de matière végétale accumulée, sèche ou fraîche, puisse

DE LA CANNE. 111
être recouvert par le nivellement des billons provenant du
buttage.
La main-d'œuvre étant abondante et à bon marché aux
Indes orientales, j ' y faisais toujours exécuter avec la houe
à bras le nivellement des billons. Je me suis encore assuré
qu'il pouvait aussi se faire aisément et à bon marché au
moyen d'un instrument que je décrirai plus loin et que peu-
vent tramer les bœufs de labour. Le point important est
de déposer convenablement la bagasse dans la raie; en
faisant passer dans chacune d'elles une charrue entre les
billons, on surmonte facilement toute difficulté. Les ou-
vriers ont soin de déposer dans ce sillon, en les foulant
sous leurs pieds, les feuilles qu'ils détachent des cannes.
Ce procédé cause peu d'embarras ; on fait ensuite don-
ner un nouveau trait de charrue pour enterrer les feuilles
de cannes, qui pourrissent immédiatement. Ce travail est
répété aussi souvent que le champ de cannes a besoin
d'être épaillé (éclairci) par l'enlèvement d'une partie des
feuilles, ce qui se renouvelle deux ou trois fois. Mais
quand les cannes sont bonnes à couper, ce procédé n'est
plus nécessaire; il serait d'ailleurs difficilement applica-
ble ; car les cannes sont alors si touffues que les bœufs
de labour ne sauraient y pénétrer. Au lieu de ce moyen,
on veille à ce que les ouvriers qui coupent les cannes
déposent très également et très complétement dans les
raies les feuilles et les têtes des cannes, sans en rien lais-
ser sur les billons. Puis on répand par-dessus du marc de
cannes broyées ; si cette besogne est bien exécutée, après
qu'on a nivelé les billons, le tout se trouve complétement
enterré. Au reste tout ce surplus de peine est en pres-
que totalité supporté par les animaux de service, très ca-

112 MODE DE CULTURE
pables de bien remplir cette tâche sans être harassés par
un travail excessif. Le seul surcroît de travail qui retombe
effectivement sur les ouvriers, c'est le soin qu'ils doivent
apporter à distribuer régulièrement la bagasse dans les
raies ; il y a aussi le travail de quatre jeunes garçons pour le
service des deux chariots à transporter cette bagasse fraî-
che, et pour étendre le marc dans les sillons où il doit être
enterré. Enfin tout ce travail n'a rien de grave, et les avan-
tages qui en résultent pour la plantation sont immenses.
Car les récoltes se succèdent pendant un temps indéfini ;
on peut même dire qu'elles vont en s'améliorant. La mé-
thode de brûler les débris de cannes est sujette à beaucoup
d'inconvénients; on ne peut, en tout cas, l'appliquer plus
souvent qu'une fois tous les cinq ou six ans ; encore faut-il,
même alors, qu'il y ait urgence ; car ce sont les cendres et
les résidus de la sucrerie, le fumier des étables, des parcs
au bétail, des écuries, et les autres débris de toute sorte
qui viennent efficacement en aide à la force productive du
sol. P a r ces engrais joints aux feuilles et à la bagasse, et
aux bienfaits des labours fréquemment répétés, la terre de-
meure suffisamment riche en éléments de fertilité.
Dans la culture communément pratiquée aux Indes occi-
dentales, on est fort embarrassé des feuilles et des touffes
des cannes qui empêtrent la charrue ; on s'en débarrasse en
les brûlant ; les planteurs privent ainsi leurs champs de ce
que ces débris ont de plus actif comme engrais. La difficulté
disparaît quand on pratique la méthode de butter fortement
les cannes, d'autant plus que le bétail de la plantation fait
toute la besogne avec la charrue et les autres instruments de
de labour. Il est bien vrai qu'il en résulte un surcroît de
peine, mais tellement insignifiant qu'il mérite à peine d'être

DE LA CANNE. 113
mentionné en présence des avantages nombreux qui en ré-
sultent.
Pour que les billons puissent être nivelés avec les instru-
ments de labour, ils doivent être dressés en lignes parfaite-
ment parallèles, sans quoi le travail des instruments n'au-
rait pas un succès assuré. Un bon laboureur conduisant un
bon attelage en vient facilement à bout. La régularité re-
marquable de ce travail bien exécuté a quelque chose de
surprenant. Je me souviens d'avoir eu des champs ainsi fa-
çonnés avec une régularité telle que chacun croyait que j ' a -
vais fait usage de la règle et du cordeau. J'ai trouvé quel-
quefois nécessaire de recourir à l'emploi du cordeau ou de la
chaîne pour diriger le laboureur et ses aides ; partout où l'on
fait usage d'un instrument aratoire pour niveler les billons,
je recommande d'employer la chaîne. Je donnais au labou-
reur deux cordes longues et fortes et trois perches de 6 pieds
anglais de long (l .80) au moyen desquelles il prenait ses
m
mesures et plaçait ses lignes l'une au bout de l'autre à la
longueur voulue. Alors la charrue, versant la terre à droite,
suivait les cordes tendues, les bœufs d'attelage marchant
de chaque côté de la ligne, de manière à ce que celle-ci fût
toujours au milieu de leur intervalle. Arrivé au bout de la
ligne, l'attelage s'arrêtait un moment jusqu'à ce que le cor-
deau fût replacé à l . 8 0 plus loin; puis un second sillon
m
était ouvert, en versant cette fois la terre à gauche, toujours
en suivant le cordeau, et ainsi de suite. Dans ce travail, je
donnais toujours au laboureur un jeune garçon de plus pour
diriger l'attelage ; mes champs étaient, par ce procédé, cou
pés par des lignes aussi droites que possible pour la planta-
tation des cannes. Si l'on désire employer, pour terminer les
raies, une charrue à double versoir (buttoir), on le peut avec
8

114 MODE DE CULTURE
beaucoup de facilité, à très peu de frais et très rapidement.
4 bœufs attelés et un instrument léger, conduits par deux
jeunes garçons, repasseront ainsi 4 ou 5 acres par jour
(1 hectare 60 ares à 2 hectares), et donneront aux raies
toute la perfection désirable.
En s'astreignant à tous ces soins, d'abord quelle facilité
ne trouve-t-on pas pour l'exécution de toutes les opérations !
Ensuite avec quelle certitude ne peut-on pas compter sur
l'effet utile de chaque instrument employé ! E t cependant
ces soins n'exigent que peu ou point de peine et de dépense;
ils ne demandent que très peu d'attention ; ils épargnent
tout un monde de difficultés, de vexations et de frais inter-
minables. Le planteur doit étudier tous ces points en met-
tant de côté ses vieux préjugés ; il doit en faire l'essai de
bonne foi et avec la résolution bien arrêtée de surmonter
toutes les difficultés qui n'existent qu'en apparence.
Avant d'aller plus loin, récapitulons brièvement quelques-
unes des opérations successives à faire faire par les attela-
ges, telles queje viens de les décrire.
1° Une très légère charrue de fer ou de bois, traînée par
4 ou 6 bœufs donne à la terre un labour profond.
2° Le cultivateur, ou la herse attelée de 4 bœufs, suivi du
rouleau, brise les mottes, pulvérise le sol et en ameublit
parfaitement la surface.
3° Les raies pour les cannes sont ouvertes avec une char-
rue simple, au moyen de la perche et du cordeau, à l . 8 0 les
m
unes des autres, exactement mesurés. On les termine, lors-
qu'on le juge désirable, avec une charrue à deux versoirs ;
les boutures de cannes y sont plantées à la main à 0 . 6 0 les
m
unes des autres.
4° Le premier et le second binage sont donnés avec un

DE LA CANNE. 115
instrument pour cette destination , qui sera décrit plus
loin.
5° Le premier, le second, et, s'il est nécessaire, le troi-
sième sarclage, sont donnés avec le cultivateur ou tout autre
instrument propre à cet usage.
6° Le premier et le second buttage sont donnés avec des
charrues appropriées à ce genre de travail.
7° Avant chaque éclaircie des feuilles des cannes, répétée
deux ou peut-être trois fois, on ouvre un sillon entre les bil-
lons pour recevoir les feuilles détachées des plantes ; après
quoi la terre est retournée pour recouvrir ces mêmes feuilles
et remplir le sillon. Une charrue commune fait très bien cette
besogne.
Il n'y a plus rien à faire jusqu'à la récolte des cannes ;
on peut dire que c'est tout, quant à la première récolte, en
ce qui concerne la culture. Les soins à donner à la seconde
récolte commencent immédiatement de la manière suivante.
1° Les légères charrettes dont j ' a i parlé plus haut t r a n s -
portent directement du moulin sur les champs où les cannes
viennent d'être coupées, la bagasse fraîche de cannes qu'on
répand entre les billons.
2° La machine à niveler, attelée de 6 bœufs, passe dans
les billons ; elle enlève 10 à 12 centimètres de terre qu'elle
verse sur les débris de cannes fortement comprimés. Ce
travail, répété selon le besoin deux ou trois fois, couvre
presque entièrement les feuilles enfouies, et laisse très peu
de chose à faire aux ouvriers. Leur travail consiste à cou-
per, avec une houe très tranchante, les racines des cannes,
et à égaliser le peu de terre qui reste des billons, de sorte
que le champ se retrouve encore une fois parfaitement
nivelé. Peu de jours après avoir été ainsi coupées , les

116 MODE DE CULTURE
souches repoussent de nombreux et vigoureux rejetons qui
réclament aussitôt un léger binage.
3° L'instrument employé pour biner les jeunes pousses
ou les rejetons une, deux ou trois fois, selon le besoin, à
divers intervalles, ne doit pas pénétrer en terre assez avant
pour déplacer l'engrais végétal déposé dans les raies ; tout
cet engrais doit être décomposé avant que le moment soit
venu de donner le second buttage, pour peu que le sol soit
poreux.
4° Si les rejetons des cannes ont ensuite besoin d'être
sarclés, cette façon leur est donnée avec un cultivateur ou
un autre instrument du même genre, ce qui suffit pour les
tenir propres.
5° Le buttage se donne, comme la première année, à la
charrue, à plusieurs reprises selon le besoin, à une époque
où, comme je viens de le dire, tous les débris de cannes
enterrés provenant de la précédente récolte se sont con-
vertis en un excellent engrais.
6° Les sillons entre les billons pour recevoir les feuilles
enlevées aux cannes sont ouverts et comblés comme l'année
précédente; les cannes restent en cet état jusqu'au moment
de les couper, ce qui termine les travaux de la seconde
récolte.
Cette récolte étant terminée, il est nécessaire de replanter
la terre qui vient de donner ses rejetons de première année,
pour suivre le système que je recommande. On agit exacte-
ment comme ci-dessus quant à l'enfouissement des feuilles,
des sommités des cannes et du marc frais de cannes pres-
sées, et, quant au nivellement des billons, au moyen d'in-
struments de labour; mais ici l'opération diffère de la pré-
cédente ; on fait agir la charrue ordinaire pour niveler le

DE LA CANNE. 117
peu qui reste des billons et pour déraciner toutes les an-
ciennes souches de cannes, de sorte que la terre puisse être
entièrement nivelée, puis hersée et façonnée au haingher,
et qu'elle se trouve parfaitement pulvérisée et égalisée.
Tandis que ce travail s'exécute, quelques jeunes garçons
enlèvent activement les vieilles souches des cannes déra-
cinées et les disposent en tas, pour les brûler quand elles
seront tout à fait sèches.
Alors une corde est tendue à la place précise où doivent
se trouver les raies; la charrue ouvre, comme dans l'opé-
ration ci-dessus décrite, un sillon le long de la corde, en
allant et en revenant ; au besoin, elle est suivie de la char-
rue à double versoir. Les raies sont ainsi terminées, prêtes
a recevoir les boutures de cannes ; celles-ci s'enracinent et
croissent juste au-dessus de la couche de riche terreau
végétal accumulé dans les raies par des récoltes antérieures.
C'est ainsi qu'un engrais abondant et de la meilleure espèce
possible est assuré aux jeunes cannes pour leur période de
croissance, engrais qui, d'année en année, continue à a u g -
menter la richesse et la force productive du sol.
Quand on laboure sur les anciennes raies, il ne faut pas
que le soc pénètre assez avant pour toucher aux débris de
cannes enfouis ; on doit, au contraire, éviter avec soin cette
faute, et se borner à labourer à la profondeur exactement
nécessaire.
Les cannes, pendant leur croissance, ont entre elles et
le lit de terrain végétal une couche de terre à travers laquelle
leurs racines pénètrent aisément jusqu'au magasin de riche
nourriture placé au-dessous d'elles.
Mais le planteur demandera : « Que ferai-je du fumier
des parcs aux bestiaux, des écuries, des étables, et des

118 MODE DE CULTURE
déchets de la sucrerie ? » La réponse est simple, mais impor-
tante; on en donnera la moitié aux rejetons de cannes, et
l'autre moitié aux prairies artificielles d'herbe de Guinée.
Le fumier peut être porté dans les champs de rejetons de
cannes, au moyen des légers chariots ci-dessus mention-
nés, et déposés le long des raies lorsque les jeunes pousses
ont environ un mois. Un de ces chariots, avec deux hom-
mes armés de pelles légères ou de fourches, et un jeune
garçon pour conduire l'attelage, peut fournir par jour au
delà d'une acre de 40 ares. Aussitôt la fumure donnée, le
binage doit commencer sans interruption; les deux opé-
rations doivent marcher ensemble; autrement le fumier
perdrait une grande partie de sa force fertilisante. La
portion d'engrais réservée pour l'herbe de Guinée sera
déposée le long des touffes, et enterrée par un trait de
charrue, par un temps pluvieux. Au moyen de ce secours
nécessaire, le fourrage de la prairie artificielle sera toujours
riche et abondant.
Ce peut être un point à examiner pour le planteur, de
savoir s'il convient ou non de planter du maïs ou de l'herbe
de Guinée parmi ses cannes ainsi engraissées. C'est à lui
à calculer, d'après les circonstances locales, la dépense
qu'exigent l'achat du maïs pour semence, la plantation ou les
semailles au semoir, et la main-d'œuvre pour arracher et
enfouir les jeune plantes ainsi obtenues. S'il enterre son
maïs quand les épis sont pleins et avant que les tiges ou les
feuilles commencent à jaunir, alors que toute la plante,
tige et feuilles, est verte et succulente, et qu'après les avoir
fait étendre dans les raies par des ouvriers, il les fasse
recouvrir par un trait de charrue, il peut compter avec
certitude qu'il procure à ses cannes un immense avantage

DE LA CANNE. 119
en leur distribuant ainsi une fumure d'engrais végétal vert,
dont il n'est pas de planteur qui ne doive connaître l'effica-
cité. Que l'on enlève ou non les épis à demi mûrs du maïs,
peu importe quant à la fertilité actuelle du sol ; les feuilles
et les tiges fraîches enfouies font plus que compensation.
Mais quand on fume, comme il est dit ci-dessus, les reje-
tons de cannes avec du fumier de bestiaux, il y a un motif
de plus pour semer dans les intervalles du maïs à enfouir ;
cette raison, c'est l'effet nuisible produit sur le jus de la canne
par l'excès d'azote provenant de l'ammoniaque contenue
dans cette espèce d'engrais ; la végétation du maïs sert à en
débarrasser les cannes. Il est donc évidemment absurde de
dire que, dans ce cas, le maïs altère et appauvrit le jus des
cannes; mais il est bien entendu que je parle seulement
du maïs enfoui dans le sol alors qu'il est encore vert et
succulent.
J'espère avoir démontré qu'avec 55 bœufs de travail,
bien nourris, bien logés, régulièrement employés, une plan-
tation de 150 acres de cannes (60 hectares) peut être régu-
lièrement exploitée et produire tous les ans 250,000 kil. de
sucre. Il n'y a pas de planteur expérimenté qui ne sache
qu'on peut obtenir des cannes plantées sur 40 ares 2,000 kil.
de sucre, et 1,500 kil. d'une acre de rejetons de première
année, même en suivant l'ancien système pour la fabrica-
tion du sucre. J'ai eu soin de me borner au produit moyen
par acre selon l'antique et défectueuse méthode de fabri-
cation du sucre ; je crois qu'il ne me serait pas difficile de
convaincre la partie éclairée du corps des planteurs de la
possibilité d'obtenir, par un système rationnel de fabrica-
tion , le double de la quantité de sucre précédemment
obtenue.

120 MODE DE CULTURE
On remarquera que je calcule uniquement d'après le ren-
dement des cannes plantées et des rejetons de première
année. C'est que je crois fermement que, sous tous les rap-
ports, il est plus avantageux de renouveler la plantation
tous les deux ans que de continuer à laisser pousser les
rejetons, sauf à n'avoir que moitié ou un tiers d'une
bonne récolte. Ce n'est autre chose que pratiquer le sys-
tème des Chinois, qui consiste à mettre la terre en état de
donner, pendant une suite indéfinie d'années, la plus forte
somme de produits qu'elle puisse rendre; c'est enfin le sys-
tème le plus sage, le plus vrai, le meilleur de tous, et, en
fait, ce système s'imprime de jour en jour, et de lui-même,
dans la conviction des cultivateurs européens.
Tous les points que j ' a i traités, toutes les améliorations
que j ' a i conseillées, sont à la portée de tout planteur à la
Jamaïque, pourvu qu'il cultive une propriété qui puisse être
cultivée à la charrue. Je n'ai proposé aucun plan pouvant
occasionner un surcroît de dépense; mes conseils tendent
uniquement à économiser l'argent et la main-d'œuvre ; l'ar-
gent rare, très rare, et la main-d'œuvre encore plus rare et
plus difficile à se procurer. Sous ce dernier rapport, je puis
affirmer que, par l'emploi de la charrue et des autres instru-
ments de labour, une plantation peut être cultivée avec un
tiers seulement
des ouvriers qu'exige le système actuel ; s'il
était possible d'employer ces instruments généralement dans
toutes les plantations, je suis certain que le prix de la main-
d'œuvre baisserait autant que par l'introduction à la Ja-
maïque de 100,000 travailleurs.
La population des travailleurs à la Jamaïque, employés
aux travaux des champs, peut être estimée par aperçu à
environ 150,000 individus; mais chacun sait combien elle

DE LA CANNE. 121
a d'aversion pour tout ce qui ressemble à un travail con-
tinu. Cela est à tel point que les planteurs eux-mêmes, bien
que le fait soit exact, peuvent à peine croire que les t r a -
vailleurs soient en si grand nombre.
§ 6. — Plantations abandonnées de cannes à sucre.
N'est-il pas prodigieusement étonnant que les planteurs
ne préfèrent pas à la main-d'œuvre, rare et chère, le t r a -
vail abondant et peu coûteux des bestiaux! N'est-il pas
triste et déplorable de penser aux belles terres de plaine,
faciles à travailler, abandonnées sans culture, parce que
des hommes se refusent à écouter la voix de la raison, et
qu'ils aiment mieux, avec une véritable folie, suivre obsti-
nément le vieux système suranné dont chaque jour met à
nu les vices et les inconvénients ruineux? Ce n'est pas non
plus faute d'avertissements, donnés avec instance et sous
des formes polies, qu'ils persévèrent dans l'erreur. Que
d'exhortations n'ont-ils pas reçues pour les porter à chan-
ger de système ? Que d'écrits n'a-t-on pas publiés à ce sujet ?
Je rappelle ici spécialement avec combien de correction et
de clarté feu M. W . F . Whitehouse, de Sainte-Marry, a
traité ce sujet dans son admirable essai sur la culture de la
canne à sucre, et dans son excellent ouvrage intitulé
l'Agriculture tropicale , par Agricola : et pourtant il ne
paraît pas qu'un grand bien en soit résulté. Je ne puis
mieux exprimer mon opinion sur les plantations de la J a -
maïque qu'en affirmant que les propriétés actuellement lais-
s e s à l'abandon à la Jamaïque peuvent être achetées et
peuvent, sous un bon système ordinaire de culture, non-
seulement couvrir leurs frais, mais encore donner un revenu
très satisfaisant.

122
MODE DE CULTURE
§ 7 . — Elles pourront être reprises avec des capitaux
et une bonne direction.
Je suppose un capitaliste qui achète, en vente publique
ou de la main à la main, une propriété consistant en terres
de bonne qualité, en plaine, faciles à cultiver, située à peu
de distance d'un bon port de mer; il considère cette pro-
priété comme une terre en friche sur laquelle il se propose
d'établir une plantation de canne à sucre d'après un sys-
tème rationnel, à l'aide d'instruments et d'appareils perfec-
tionnés. La seule économie que présente son acquisition,
s'il y a réellement économie, consiste dans les bâtiments,
les chemins, les clôtures, les logements des nègres, les
enclos pour le bétail, etc., etc.; mais ce sont là des avan-
tages que je tiens pour fort problématiques; car, dans la
plupart des plantations à vendre, les bâtiments sont très
mal placés et encore plus mal appropriés à leur destina-
tion; j ' e n dis autant des chemins, des murs de clôture et
des haies vives, qu'on peut supposer dans le plus triste état
de dégradation. Dans ces circonstances, les avantages à
retirer de chacun de ces objets sont extrêmement douteux;
nous savons tous qu'il est beaucoup plus difficile et plus
coûteux de changer, de réparer et de remettre en état ce
qui n'a jamais rien valu, que de refaire le tout bien et entiè-
rement à neuf. Toutefois, sachant combien toute construc-
tion coûte cher, surtout à la Jamaïque, je suppose que les
bâtiments d'habitation, les logements pour les nègres et les
hangars pour le bétail resteront en place et seront seule-
ment légèrement réparés pour les mettre en état de servir.
J'admets encore que les clôtures extérieures, entourant 150
acres (60 hectares) de champs de cannes et 50 acres (20 hec-

DE LA CANNE. 123
tares) de prairies d'herbes de Guinée, seront réparées, ainsi
que les chemins d'exploitation partout où ils sont bien pla-
cés; sinon ils seront labourés et remplacés par d'autres
mieux situés. Le capitaliste entreprenant la plantation
établit une bonne et solide presse de la force de 12 à 14
chevaux, avec un moulin bien monté, des chaudières d'éva-
poration, des appareils de concentration et un alambic per-
fectionné; je donnerai, dans un chapitre à part, les détails
concernant tous ces objets. Il achète le nombre de bestiaux
précisément nécessaire pour faire marcher son exploitation,
avec la résolution de n'en pas entretenir davantage. De même
en fait de charrues, herses, cultivateurs, machines à nive-
ler, houes à cheval, et autres instruments les mieux appro-
priés à sa culture ; il achète le nécessaire, rien de plus. Ses
charrettes, tombereaux, chariots, sont légers, et calculés
sous tous les rapports pour bien faire le service qu'on en
attend. Bref, toute chose, dans la plantation, est telle que
l'exigent le bon sens et une sage économie ; la houille ame-
née directement d'Angleterre au port le plus voisin de la
plantation est seule employée comme combustible, soit
pour l'évaporation, soit pour la machine à vapeur, et la
totalité de la bagasse de cannes est rendue à la terre comme
engrais végétal. Enfin les cannes sont comprimées à fond,
et le jus est traité par les méthodes les plus avancées. Que
ce capitaliste essaye d'opérer ainsi ; il n'est pas permis de
douter qu'il n'obtienne le succès le plus complet. On trou-
vera plus loin, dans un autre chapitre, les chiffres relatifs
à l'estimation d'une plantation ainsi établie et dirigée. J'ap-
pelle non-seulement l'attention des planteurs et des capi-
talistes, mais encore l'examen le plus minutieux, sur cha-
cune de mes affirmations.

124 MODE DE CULTURE
Dans les pages suivantes, j ' a i toujours basé mes calculs
sur la somme de travail actuellement disponible dans les îles
des Indes occidentales ; mais il n'y a pas de raison pour croire
que les choses continuent à suivre leur cours actuel abou-
tissant à la ruine ; la nation britannique ne peut pas per-
mettre une catastrophe aussi épouvantable que la consom-
mation de la ruine de nos colonies des Indes occidentales.
§ . 8 . — Emigrants chinois, cultivateurs pour les Indes occidentales.
Un peuple qui a payé 20 millions sterling (500, 000, 000
de francs) pour l'abolition de l'esclavage dans ses colonies,
et qui continue, au prix d'énormes dépenses annuelles, à en-
tretenir toute une flotte de croiseurs pour s'opposer par-
tout au commerce des esclaves ne pourra pas, ne voudra
pas, priver ses colons des moyens de se procurer des
ouvriers libres pour la culture de leurs terres, afin qu'ils
puissent soutenir la lutte contre les colonies à esclaves des
autres nations, actuellement que le sucre obtenu du travail
des esclaves est en si grande faveur dans ce pays. La
justice, l'humanité, le bon sens et la plus équitable politi-
que nationale exigent que nos précieuses colonies soient
soutenues, et qu'elles conservent leur importance. La di-
gnité de la nation, sa bonne foi et sa politique commerciale
y sont également et profondément intéressées, tandis que la
richesse et les ressources de la Grande-Bretagne lui donnent
les moyens de fournir à ses colonies les éléments de la plus
solide et de la plus durable prospérité. Ce qu'il leur faut
avant tous les autres bienfaits qu'elles réclament, c'est une
population laborieuse, industrieuse, nombreuse et habituée
au travail ; ce n'est pas ce rebut qu'on lui expédie de l'Inde

DE LA CANNE. 125
sous le nom de coolies, dont le passage seul coûte de 15 à
20 livres sterling par individu (de 375 à 500 francs) ; elles
n'ont que faire de ces gens si coûteux et si indolents ; elles
ont besoin des Chinois, intelligents, entreprenants et indus-
trieux, la meilleure nature d'émigrants qui existe sous le
soleil !
Voilà le peuple qu'il faut dans nos îles fertiles de l'ouest ;
ces gens émigreront par milliers et par centaines de milliers,
pourvu qu'on leur en offre les moyens; ce sont là les tra-
vailleurs qui, par leur esprit d'entreprenante activité,
sauront se créer un bien-être pour eux-mêmes, sauver les
planteurs de leur ruine totale, et élever nos îles de l'Inde
occidentale à un degré de prospérité qu'elles n'ont jamais
connu, même au jour de leur plus grande splendeur.
Un sujet d'une si haute importance, pour quiconque a
des rapports avec les Indes occidentales, et même pour tout
l'empire britannique, offre par lui-même un vif et profond
intérêt; ce sera mon excuse pour exposer ici les détails qui
se rattachent à l'émigration des Chinois aux îles des Indes
occidentales. Je ne puis trouver une meilleure occasion pour-
cet exposé que la partie de mon sujet que je traite en ce
moment, puisque je vais avoir, comme on le verra, à parler
de la culture de la canne à sucre à la houe seulement; ce
qui me paraîtrait tout à fait superflu, si nous ne pouvions
nous convaincre par nous-mêmes de la possibilité d'intro-
duire et de fixer à la longue dans nos colonies des Indes
occidentales une nombreuse population de travailleurs.
Mon expérience de l'état des choses à la Jamaïque me donne
lieu de croire qu'il n'y a pas dans toute l'île une propriété
où la canne puisse être cultivée exclusivement à la houe,
sans donner pour résultat une perte annuelle positive ; je

126 MODE DE CULTURE
croîs donc nécessaire de montrer comment il est possible
de procurer aux plantations qui, par la nature rocailleuse
du sol ou l'inclinaison des pentes, ne peuvent être cultivées
à la charrue, une main-d'œuvre assez abondante pour en
rendre la culture profitable.
De tous les travailleurs que j ' a i jamais eu occasion d'ob-
server, je n'en connais pas qu'on puisse comparer au
laboureur chinois pour l'esprit d'entreprise, l'énergie, la
sobriété, l'intelligence, l'assiduité, la force physique et la
persévérance à toute épreuve, jointes à la bonne humeur et
à une prudente économie.
Ce n'est pas une assertion hazardée de ma part ; j'affirme
qu'elle est au contraire le résultat de l'examen le plus ap-
profondi, des observations les plus attentives pendant une
période de seize ans d'expérience pratique, partagées entre
les Indes occidentales, le Bengale et les colonies des détroits
malais. Durant cet intervalle de temps, j ' a i eu des centaines
(je pourrais dire des milliers) de nègres, d'Indous, de Ben-
galais, de Chiulais, de Malais et de Chinois travaillant sous
mes ordres et ma direction. On doit bien avouer que j ' a i eu
toutes les occasions désirables pour bien connaître au point
de vue pratique leur valeur relative et leur mérite comme
laboureurs. Sans cette circonstance, je ne me bazar-
derais pas à parler avec tant d'assurance sur un si grave
sujet.
§ 9 . — Emancipation des nègres.
Il serait étranger à la question de rechercher si, à une
époque déjà fort éloignée de la nôtre, l'émancipation des
nègres s'est faite avec plus ou moins de sagesse. Mais tous

DE LA CANNE. 127
les esprits réfléchis de l'empire britannique seront d'ac-
cord avec moi quand j'exprimerai ma conviction que, si le
gouvernement, pendant la période de six ans allouée pour
l'apprentissage, avait importé dans ses colonies des Indes
occidentales deux millions de travailleurs chinois, au lieu
de dépenser 20 millions de livres sterling (500 millions de
francs) en indemnités pécuniaires, l'émancipation des
nègres serait un fait accompli pour la gloire de l'Angleterre,
l'avantage de tous les planteurs, et la prospérité durable
de ces riches et importantes colonies. Nous n'aurions pas
vu des plantations abandonnées, des planteurs ruinés, une
désolation générale, un découragement universel; nous
aurions au contraire, à l'heure où j'écris, une extension de
culture telle qu'on n'en a jamais vu précédemment ; le corps
des planteurs grandirait en nombre et en prospérité ; la
production s'accroîtrait dans des proportions énormes;
l'aisance et l'activité régneraient dans toutes ces colonies ;
enfin, et ce n'est pas le résultat le moins important, les
produits de tous les genres de manufactures de la G r a n d e -
Bretagne auraient gagné deux millions de consommateurs.
Je sais que bien des gens reculeront devant la pensée d'une
immigration aussi vaste que celle de deux millions d'hommes ;
je sais trop bien que des propriétaires et d'autres intéressés
n'auraient pas accueilli ce projet avec grande faveur. Mais
les intérêts égoïstes de ces gens à vues étroites semblent
tout à fait insignifiants, lorsqu'on les compare au bien-
être général et à la prospérité durable de nos colonies et
de la mère-patrie. Mais, hélas! une fatale influence a
prévalu; la somme monstrueuse de 20 millions sterling
(500 millions de francs), a été distribuée et dissipée sans
causer un bénéfice réel à personne ; et voici nos belles colo-

128 MODE DE CULTURE
nies précipitées, avec la vitesse d'un train de chemin de fer,
vers une ruine irréparable.
§ 10. — Besoin de travailleurs et d'un emprunt.
J'ai regardé autour de moi dans toutes les directions,
cherchant à découvrir quelques moyens praticables de re-
tarder cette imminente catastrophe finale; et, bien que
quelques améliorations puissent être réalisées, pourtant,
sans aucun doute, il n'y a qu'un seul grand remède, l'intro-
duction d'une nombreuse population de travailleurs. L'ar-
gent nécessaire à cet effet doit être avancé par la mère-pa-
trie, moyennant un mode de remboursement qui offre une
juste sécurité alliée à une indulgence suffisante envers les
colonies. Les fonds doivent être alloués, non pas d'une main
parcimonieuse, mais avec la libéralité prévoyante qui con-
vient à un grand et noble empire. Point de secours mesquins
et misérables ; ils seraient indignes d'un opulent et puissant
royaume, et d'ailleurs ils manqueraient complètement leur
but.
Quand nous voyons nos princes dépenser 80,000 livres
sterling (2 millions de francs) pour la construction d'un pa-
lais des singes, d'une écurie ou de tel autre édifice du même
genre ; quand nous voyons des nobles dépenser 100,000 li-
vres sterling (2,500,000 francs) pour bâtir une serre ou
pour équiper un yacht ; quand nous voyons notre gouver-
nement, avec une généreuse humanité, allouer 8,000,000
de livres sterling (200 millions de francs) pour soulager la
détresse de l'Irlande ; quand nous voyons tout cela, et bien
d'autres choses analogues, ne sommes-nous pas fondés à
espérer que les Indes occidentales seront sauvées avant qu'il

DE LA CANNE. 129
soit trop tard, par uno avance temporaire dans les mêmes
proportions? Un emprunt sur des bases justes et raisonna-
bles pourrait-il leur être refusé? Je ne puis le croire. N'en
doutons donc pas, et poursuivons l'examen des mesures de
salut proposées.
La route la plus courte de la Chine aux Indes occiden-
tales est évidemment celle des îles Sandwich et de l'isthme
de Panama, pour rayonner de ce port sur les divers points
des colonies de l'Ouest. Il y a aussi la route du détroit de
la Sonde ou de Lembock. En suivant l'une ou l'autre de ces
routes, un navire peut prendre une partie de sa cargaison
en riz à Samarang, Sourabaya ou Lembock; de là il se di-
rige sur le cap de Bonne-Espérance.
Tous les ans, vingt-cinq mille Chinois laboureurs émi-
grent pour Singapore et Pinang. Chassés par la famine et
par l'esprit d'entreprise, ils émigrent à l'aventure ; on les
voit arriver sur des navires de toutes sortes et de toutes n a -
tions ; ils y sont tellement entassés que les propriétaires
de ces navires réalisent, en les transportant, des sommes
fort raisonnables.
§ 11. — Emigration des cultivateurs chinois pour les Indes occidentales.
Quand le flot de cette émigration aura bien pris sa direc -
tion vers l'Ouest, nul doute que quelques-uns de ces émi-
grants ne se risquent jusqu'à Panama, dès qu'ils seront
sûrs d'y trouver des agents qui feront l'avance du prix de
leur passage et qui les dirigeront vers leur destination d é -
finitive.
Je dois bien faire remarquer ici que j e ne me fais nulle-
ment le prôneur de ce mode de déplacement sans aucun
9

130 MODE DE CULTURE
contrôle ; l'humanité s'y oppose Je le rapporte seulement
comme une circonstance particulière de l'émigration chi-
noise, qui exige une mention particulière. Par exemple, des
Chinois arrivent à Pinang à l'aventure, sans argent, sans
autres vêtements que le pantalon en lambeaux qu'ils portent
sur eux ; ils conviennent, soit avec des Chinois déjà établis
dans le pays, soit avec des Européens, de servir la première
année pour la nourriture et le logement, à condition que
leur passage sera payé, et qu'ils recevront un grossier
moustiquaire, un matelas, deux habillements en coton, con-
sistant en larges pantalons et vestes ou jaquettes, le tout
ensemble d'une valeur d'environ 2 dollars (10 francs 50 c. )
par individu.
Mais, excepté pour des Chinois établis qui engagent d'au-
tres Chinois, c'est là un procédé fort embarrassant; car la
plupart des nouveaux venus ne peuvent songer honnêtement
à travailler pour eux-mêmes hors du temps qu'ils doivent
à leur maître ; ils se cachent donc de lui, ou bien ils travail-
lent à son compte si mollement que le planteur en est la
dupe; mais si ce planteur est lui-même un Chinois, il est
plus difficile aux engagés de le tromper. Je pense, pour
cette raison, qu'un planteur européen fait toujours mieux
d'envoyer son principal Chinois ( chargé de la culture des
cannes à forfait) à bord du navire, et de lui laisser choisir
autant d'hommes qu'il lui en faut, en payant leur passage et
la fourniture des objets qui leur sont nécessaires comme
ci-dessus, et leur faisant comprendre qu'ils auront immé-
diatement la même solde que les autres Chinois occupés sur
la plantation ; qu'il leur sera fait seulement de mois en mois
une retenue pour le remboursement des avances de leur
voyage et de leur installation. Alors les arrivants sont ré-

DE LA CANNE. 131
partis entre les divers chefs de culture à forfait, qui de-
viennent leurs maîtres immédiats ; ceux-ci, étant respon-
sables du remboursement des avances, auront grand soin
qu'ils n'apportent ni paresse ni négligence dans leurs t r a -
vaux.
On voit que, des deux manières, la dépense du passage
et de l'équipement d'un Chinois arrivant à une plantation
retombe à la charge de ce même Chinois ; il se trouve trop
heureux d'avoir pu seulement, par ce moyen, échanger une
vie de misère et de disette pour une existence d'abondance
et de bien-être relatif. Actuellement les Chinois, depuis des
années, sont habitués à ce genre d'émigration à l'aventure,
soit dans les colonies anglaises, soit dans d'autres colonies.
La méthode de remboursement sur le prix de leur travail
des avances faites pour leur passage et leur trousseau, est
passée en coutume établie ; je n'ai pas besoin de dire que,
pour les Chinois, une coutume établie a la force et presque
l'autorité de la loi. Il est bon de porter notre attention sur
ces habitudes spéciales de ces émigrants ; nous trouverons
qu'elles mènent à une solution satisfaisante de la grande
question du remboursement des avances à obtenir du gou-
vernement.
Il ne sera pas hors de propos de dire ici quelques mots de
la question du remboursement ; des données précises et
abrégées à ce sujet ne seront sans doute pas mal accueillies
de ceux que cette question intéresse. J'ai d'abord à exami-
ner par qui le remboursement doit être effectué, et dans
combien de temps il peut l'être.
Trois modes de remboursement se présentent ici comme
praticables. Le premier est à la charge des émigrants eux-
mêmes; car, s'ils viennent dans l'île, c'est pour s'y procurer

132 MODE DE CULTURE
des moyens de subsistance qu'ils ne trouveraient pas dans
leur propre pays, et pour acquérir une aisance relative qui
leur permette de venir au secours des membres de leur fa-
mille qu'ils ont laissés dans leur patrie, et d'amasser une
somme d'argent suffisante pour retourner à la Chine et s'y
établir dans une bonne situation.
Un Chinois caresse toujours l'idée de retourner dans sa
patrie ; mais, après un certain nombre d'années, il est sou-
vent obligé par les circonstances de renoncer à cette idée
et il se résout à vivre et à mourir dans le pays où il a
émigré. Une famille grandit autour de lui; presque tous
ses parents restés en Chine ont dû disparaître; puis, il
a amassé assez de fortune pour craindre d'être pillé par
les mandarins ; tels sont les principaux motifs qui le dé-
terminent à rester ; il en a bien d'autres encore, qu'il
serait oiseux de rapporter ici en détail. Tout bon Chi-
nois émigrant ainsi envoie très ponctuellement chaque
année une somme d'argent grande ou petite, selon ses
moyens, à ses parents en Chine, en partie pour eux, en
partie pour qu'ils puissent accomplir en son nom les rites
religieux obligatoires envers les ancêtres décédés. Souvent
aussi il finit, comme je l'ai dit, par s'en retourner lui-même
avec l'argent qu'il est parvenu à amasser dans la colonie.
Il est nécessaire de rapporter ces circonstances, pour mon-
trer les avantages que l'émigrant et sa famille obtiennent de
l'exercice de leur industrie ; c'est le gouvernement qui, en
leur procurant le passage aux îles des Indes occidentales,
les a amenés sur un marché où leur main-d'œuvre trouve
un débouché certain et avantageux ; c'est de ce fait seule-
ment que nous pouvons arguer pour trouver un motif ra-
tionnel de faire retomber, en totalité ou en partie, les frais

DE LA CANNE. 133
du transport de l'émigrant à la charge de l'émigrant lui-
même.
Il est impossible de ne pas établir une distinction entre
un émigrant qui s'établit à demeure dans un pays où il
dépense tout son argent, et un émigrant qui, pendant
nombre d'années, fait sortir celui de la colonie pour l'envoyer
à sa famille, et qui finira peut-être par s'en retourner au
lieu d'où il est parti, en emportant avec lui toutes ses
épargnes.
La différence entre ces deux sortes d'émigrants est très
tranchée ; elle devient frappante, si l'on admet la supposi-
tion que dans une seule colonie, à la Jamaïque, par exemple,
il pourrait y avoir 100,000 émigrants chinois dont chacun
enverrait à la Chine, tous les ans, seulement la modique
somme de 5 dollars (26 francs 25 cent.); ce serait une
exportation annuelle de 500,000 dollars (deux millions
625,000 francs). Il est évident qu'une telle exportation de
numéraire doit plus ou moins tourner au détriment de la
colonie de laquelle sort cet argent ; ce fait nous oblige à
reconnaître qu'il est juste et nécessaire de prendre des m e -
sures pour que de tels émigrants remboursent, sinon la
totalité, au moins la moitié de la somme déboursée par la
colonie pour leur importation
§ 12. — Position et caractère des Chinois dans les colonies
des détroits malais.
Nous avons ensuite à examiner la valeur de leur travail
pour le planteur qui les emploie, et le grand bien qui résulte,
pour toute la colonie, de la présence des émigrants chinois,

134 MODE DE CULTURE
de leur activité entreprenante, et de l'emploi sur les lieux
d'une grande partie du capital qu'ils réussissent à accumu-
ler. Dans les colonies des détroits malais, il y a des milliers
de Chinois riches, ayant à eux des terres, des navires, des
maisons, avec chevaux et équipages ; ce sont des hommes
éclairés, animés d'un grand zèle pour le bien public, des
hommes jouissant de beaucoup d'influence, de considéra-
tion et d'autorité, hautement estimés et respectés de tous.
Les personnes qui ont des relations avec les colonies des
détroits savent combien ce que j'avance ici est vrai; il peut
être b o n , pour l'instruction des autres , d'ajouter que
plusieurs d'entre ces Chinois possèdent des fortunes de
100,000 à 500,000 dollars (525,000 francs à deux millions
625,000 francs); l'un d'eux est juge de paix pour Singa-
pore et sa banlieue ; ce même Chinois a construit pour ses
compatriotes malades un hôpital avec dispensaire, le tout
entretenu à ses frais. D'autres Chinois contribuent à sou-
tenir des institutions européennes de bienfaisance; on en
voit qui vont jusqu'à prendre part à une souscription pour
réparer ou agrandir une église européenne à laquelle ils
n'appartiennent pas. J e dois aussi rapporter ici que tout
récemment, à la mort d'un pauvre Chinois nommé TAN-
KING
(familièrement appelé Tom-King), ruiné, mais très
honorable, excellent homme sous tous les rapports, chacun
s'empressa de témoigner son respect et ses regrets. On vit
les négociants, les planteurs, les officiers des navires de
guerre de Sa Majesté, des militaires, des capitaines de na-
vires marchands, tout le monde enfin, suivre le cortége de-
ses funérailles, précédé par la musique de l'amiral sir Tho-
mas Cochrane, envoyé tout exprès pour rendre hommage à
la mémoire du Chinois TAN-KING ! Est-il besoin de rien

DE LA CANNE. 135
ajouter pour montrer combien les Chinois profitent aux
pays où ils émigrent? Alors je poserai cette simple ques-
tion : SINGAPORE avec son prodigieux commerce, PINANG
avec son commerce aussi très étendu, la province de W E L -
LESLEY
avec ses belles et nombreuses plantations de canne
à sucre, d'épices et d'autres produits précieux ; MALACCA,
dans son état respectable de tranquille prospérité; qu'est-
ce que tout cela serait, au moment où j'écris, sans les émi-
grants chinois ?
Il est donc avéré que, si les émigrants chinois et leurs
familles demeurées à la Chine retirent un bénéfice de leur
transplantation dans les pays où ils viennent travailler, ils
sont aussi, pour ces mêmes pays, une source de profits les
plus positifs. On doit, par conséquent, admettre dans ces
circonstances des obligations mutuelles résultant d'avan-
tages réciproques. Je pense donc qu'il est de toute justice
de débiter les colonies d'une portion des frais de transport
nécessaires pour obtenir un résultat si désirable. Mais ici
se présente la question : Comment prélever cette moitié des
frais de transport ? Sera-t-elle répartie entre les planteurs
qui prennent à leur service des émigrants chinois, ou bien,
doit-on établir une taxe générale pour l'émigration, répartie,
entre tous les habitants de l'île, de la manière qui serait
déterminée par l'autorité compétente?
Si la charge des frais d'émigration était supportée par
moitié par les émigrants et ceux qui les emploieraient, la
chose pourrait marcher de la manière la plus simple et la
Plus facile ; il me paraît évident que cette méthode n'offre
Pas, en effet, les inconvénients qu'elle semble présenter au
premier aperçu. Car, dans cette supposition, ni les négo-
ciants , ni les boutiquiers, ni le reste de la population,

136 MODE DE CULTURE
n'ayant à supporter la moindre part de cette taxe, la classe
des travailleurs pourrait se procurer les objets de consom-
mation et même d'un certain luxe à meilleur marché, ce qui
permettrait aux émigrants chinois, comme aux autres tra-
vailleurs, de se contenter d'un salaire moins élevé que celui
qui leur était précédemment nécessaire, et de telle sorte,
ainsi que je suis en droit de le supposer, que tout s'arran-
gerait à la satisfaction générale ; si bien qu'à ce que je crois,
tout se balancerait. Mais si, par la raison que toute la colo-
nie doit profiter de l'émigration, on se décidait en faveur
d'une taxe générale d'émigration, il resterait à déterminer
comment cette taxe serait perçue. Je craindrais qu'elle ne
soulevât beaucoup d'opposition, par le motif qu'elle pèserait
sur les classes laborieuses, et qu'elle aurait pour objet d'in-
troduire de nouveaux travailleurs venant leur faire concur-
rence. Je ne puis pas dire que je sois suffisamment préparé
à suggérer quelque mesure à prendre quant à ce point déli-
cat ; mais je risquerai quelques remarques sur l'égale répar-
tition des frais entre les émigrants et ceux qui doivent les
occuper, ainsi que sur la forme des contrats d'engagement.
§ 13. — Modèle de contrat entre un planteur et des émigrants chinois.
Bureau d'émigration du gouvernement de la Jamaïque, à Kingston.
Je soussigné James Smith, propriétaire (ou régisseur) de
la plantation de L'Espérance, paroisse de Saint-André, dé-
clare m'engager par le présent contrat, ainsi qu'il suit :
1° A employer pendant le terme de douze mois à partir de
ce jour: — Lim Atchong, — Lim Attyee, — Lim Allowee,—
Lim Assook, — Lim Sam, — L i m Amasoon, — Lim Atchee,
— Lim Sing, — Lim Apwhce, — Lim Attong, — cultivateurs

DE LA CANNE. 137
chinois, tous de la tribu de Lim, en les payant chacun à
raison de 5 dollars d'Espagne par mois de 30 jours (26 fr.
25 c ) , en leur laissant les dimanches pour eux;
2° A avancer et payer pour leur compte à John Brown, e s -
quire, agent de Sa Majesté pour l'émigration, la somme de
4 livres sterling (100 francs) pour chacun des cultivateurs
ci-dessus désignés, somme égale à la moitié de la dépense
laite par le gouvernement pour leur transport, somme dont
je me rembourserai par une retenue de 2 dollars 1/2 (13 fr.
12 c. 1/2) par mois sur la solde de chacun de ces culti-
vateurs ;
3° A leur fournir pour leur logement, soit une maison
isolée, soit une portion de maison convenable, et de plus,
en cas de maladie, les soins d'un médecin, s'ils le désirent ;
4° A leur donner l'usage du quart d'une acre de terre
par tête, pour cultiver à leur profit en jardinage et en
légumes ;
5° Enfin, en considération des services des cultivateurs
ci-dessus désignés, assurés à ma susdite plantation par le
contrat ci-annexé, fait et conclu en présence et avec la sanc-
tion de John Brown, esquire, agent de Sa Majesté pour
l'émigration, acte par lequel les Chinois susnommés s'en-
gagent bien et dûment à me servir pendant l'espace d'une
année, j e promets et j e m'engage personnellement, ainsi
que ma propriété susdite, à payer entre les mains dudit
John Brown, esquire, ou dans celles de son ou de ses suc-
cesseurs, pour le compte du gouvernement de Sa Majesté,
la somme de 40 livres sterling (1,000 francs), seconde moi-
tié de la somme dépensée par le gouvernement pour l'impor-
tation desdits cultivateurs chinois, en quatre paiements de
10 livres sterling chacun (250 francs) tous les trois mois.

138 MODE DE CULTURE
En foi de quoi j'appose ici ma signature et mon cachet,
en présence de John Brown, esquire, agent de Sa Majesté
pour l'émigration. (Ici la date de l'acte.) — Certifié conforme
l'acte ci-dessus.— Signé : John Brown, agent d'émigration
( et les autres ainsi qu'il est dit). — Signé : James Smith.
§ 14. — Modèle de contrat entre des émigrants chinois
et un planteur.
Bureau d'émigration du gouvernement de la Jamaïque, à Kingston.
Nous soussignés Chinois émigrants, cultivateurs, — Lim
Atchong, — Lim A t t y e , — Lim Allowee, — Lim Assook,
— Lim Sam, — Lim Amasoon, — Lim Atchee, — Lim Sing
— Lim Apwhee et Lim Attong, — avec et sous la sanction
de John Brown, esquire, agent de Sa Majesté pour l'émi-
gration, nous engageons conjointement et individuelle-
ment à servir en qualité de cultivateurs, sur la plantation
de L'Espérance, propriété de James Smith, esquire, pen-
dant l'espace de douze mois à partir de ce jour, aux con-
ditions ci-dessous.
Nous, travaillerons de six heures du matin à onze heures
du matin, et d'une heure après midi à six heures après midi,
pendant six jours de chaque semaine, à toute besogne con-
cernant l'exploitation de ladite propriété, qui pourra nous
être commandée.
Nous obéirons exactement et de bonne foi à tout ordre
juste et légal qui pourra nous être donné par le susdit
James Smith, esquire, et ceux qu'il pourra charger de la
direction des travaux ; nous remplirons nos devoirs dans
l'exploitation avec zèle et fidélité, durant la susdite période
de douze mois.

DE LA CANNE. 139
Moyennant les avances, v e r s e m e n t s et autres considéra-
tions ci-dessous énoncées :
1° Le susdit James Smith, esquire, avancera et ver-
sera pour le compte de chacun de nous, entre les mains de
John Brown, agent de Sa Majesté pour l'émigration, la
somme de 4 livres sterling (100 francs), somme égale à
la moitié des frais de transport de chacun de nous de la
Chine à la Jamaïque, laquelle somme nous nous enga-
geons conjointement et individuellement à rembourser audit
Smith, sur notre salaire; la somme de 2 dollars 1/2 (13 fr.
12 c. et 1/2 par mois), pour chacun de nous jusqu'au rem-
boursement complet de cette avance.
2° Le susdit James Smith, esquire, nous payera à cha-
cun 5 dollars (26 francs 25 cent.) de gages par mois,
(sauf la retenue ci-dessus mentionnée) pendant toute la
durée de notre engagement; il est toujours entendu que
nous travaillerons vingt-six jours par mois, et que nous
aurons le repos du dimanche. Mais, dans le cas ou quel-
qu'un d'entre nous quitterait la besogne sans permission, le
salaire pour le temps perdu ne sera pas payé ; nous nous
soumettons en outre, en cas d'absence trop fréquente, à
subir toute autre punition, conformément à la loi.
3° Une maison ou une portion de maison saine et lo-
geable nous sera fournie ; nous aurons chacun le quart
d une acre de terre pour cultiver en jardinage et légumes à
notre usage; les soins médicaux et les médicaments, en
cas de maladie, seront à notre disposition.
4° James Smith, esquire, payera aussi de sa propre bourse
à John Brown, agent d'émigration sus-mentionné, la somme
de 40 livres sterling (1,000 francs) formant la seconde

140 MODE DE CULTURE
moitié des avances faites par le gouvernement pour notre
transport de la Chine dans cette colonie.
5° Enfin l'exploitation de L'Espérance entretiendra un
interprète qui puisse nous mettre en communication avec
ceux qui nous feront travailler, afin que nous puissions
comprendre exactement leurs ordres.
E n foi de quoi nous avons ici apposé nos signatures
(ou nos marques), en présence de John Brown, esquire,
agent de Sa Majesté pour l'émigration. (Ici la date.) —
Certifié conforme l'acte ci-dessus. — Signé : John Brown,
agent d'émigration (et les autres signatures). — (Suivent
les signatures des Chinois. )

§ 15. — Observations sur les émigrants et leurs contrats.
Cette forme de contrat me paraît réunir tout ce qui est
nécessaire ; toutefois, pour être parfaitement comprise, elle
a besoin de quelques observations et éclaircissements.
Je fixe à une année la durée de l'engagement, parce
que je suis certain que c'est le terme qui sera reconnu le
plus conforme aux intérêts des deux parties contractantes ;
un an de séjour mettra les Chinois parfaitement au fait du
pays, et des ressources qu'ils peuvent trouver pour leur
entretien partiel dans les produits de leur jardin, de leur
basse-cour, de leur porcherie et du travail de leurs heures
de loisir ; ils auront acquis une idée nette de leur position
et de leur avenir; ils verront clairement comment ils de-
vront s'arranger pour en venir à leur mode favori de tra-
vail à la tâche ou à l'entreprise, celui de tous que je regarde
comme le plus heureux et le plus profitable, soit pour les
intérêts des planteurs, soit pour ceux de toute la colonie.

D E LA C A N N E .
141
En outre, pendant cette période d'une année, le Chinois
sait qu'il travaille pour payer son passage ; il se dispose à
une situation meilleure, où il devra tirer tout le parti pos-
sible de son travail. Animé du véritable esprit de spécula-
tion et d'entreprise, il aspirera à voir la fin de ce terme de
douze mois, afin de réunir ses ressources à celles de ses
amis pour entreprendre à forfait la culture d'une certaine
étendue de terre, son salaire étant alors déterminé d'après
la somme des produits qu'il en aura su obtenir. Pour moi
personnellement, si j'étais propriétaire ou régisseur d'une
plantation dans une colonie des Indes occidentales, et que
j'eusse engagé, par exemple, une centaine de Chinois pour
le terme d'un an, je choisirais parmi eux quelques-uns des
plus intelligents et des plus influents ; j e prendrais la peine
de les instruire de tout ce qui concerne la connaissance a p -
profondie du pays, les marchés, les ressources de la plan-
tation; je leur démontrerais les avantages qu'ils trouve-
raient à s'organiser entre eux en cong-sees ou compagnies,
et à prendre à l'entreprise la culture des terres. Ces asso-
ciations offrent, j e pense, le plus de chances de succès
lorsqu'elles sont formées chacune de vingt-cinq individus,
dont deux sont les chefs de la cong-see ou compagie. Alors
les Chinois entreront avec joie en arrangement sur cotte
base, et de ce moment le planteur pourra se regarder
comme débarrassé de plus de la moitié des soins et des
soucis de son exploitation.
Poursuivons toutefois nos explications. J'ai donné dans
le modèle d'acte le nom de chacun des émigrants, en le
faisant précéder du nom de famille, que j ' a i supposé être
Lim, indiquant que les émigrants sont de cette tribu ; je
pense qu'il est très avantageux de comprendre dans le

142 MODE DE CULTURE
même acte d'engagement des émigrants de la même tribu,
pourvu qu'ils soient en nombre suffisant.
J'ai supposé que dix émigrants seulement étaient com-
pris dans l'acte d'engagement ; ce nombre n'a aucune im-
portance; il n'y a pas de raison pour qu'il ne soit pas porté
à vingt, cinquante ou même cent sur un même contrat;
cependant, si l'expédition de l'acte est peu coûteuse, comme
elle doit l'être, il semble inutile d'entasser un trop grand
nombre de noms d'émigrants sur le même engagement. Les
émigrants doivent en garder une expédition, le planteur
une autre, et l'agent d'émigration doit conserver une copie
des deux actes sur son registre.
Le dimanche, n'étant pas jour de fête pour les Chinois,
n'est pas pour eux entièrement consacré au repos ; ils l'em-
ploient à se reposer, visiter leurs amis, s'amuser ou tra-
vailler à leurs jardins; le matin du dimanche, ils peuvent
aussi aller au marché, s'il y en a un à leur portée. Mais, à
part cette facilité, ils ne manqueront pas d'envoyer un
d'entre eux au marché, au moins une fois par semaine, pour
vendre leurs légumes et acheter pour leur propre usage
quelques provisions salées, du tabac, de l'eau-de-vie, du
riz, de la farine et d'autres denrées ; mais probablement
ceux qui s'absenteront pour ces commissions demanderont
une permission ; faute de quoi la solde du temps perdu
devra leur être retenue, mesure de toute nécessité pour les
tenir en respect. J'ai pris le chiffre de 8 livres sterling
(200 francs) comme montant probable des frais du passage
des émigrants de la Chine à la Jamaïque ; je suis en mesure
de démontrer qu'elle est, en effet, amplement suffisante;
j'ai dit aussi que, pour chaque émigrant à leur service, les
planteurs payeraient la moitié de cette somme au moment

DE LA CANNE. 143
de la signature des engagements. Le paiement pourrait être
remis à un mois plus t a r d ; mais je trouve préférable qu'il
soit fait immédiatement.
Quant au remboursement de ces avances au moyen de la
retenue stipulée à cet effet sur le salaire des engagés, le
planteur ne doit pas exercer cette retenue pendant le pre-
mier ni même pendant le second mois; dans tous les cas,
elle ne saurait être dès le début de 2 dollars 1/2 (13 fr.
12 c. 1/2 ) par mois ; les émigrants arrivent dans un état si
complet de misère et de dénûment qu'on doit supposer
qu'ils ont besoin d'une foule d'objets, vêtements, ustensiles
de cuisine, moustiquaire, matelas et couvertures pour leur
coucher; ils doivent pouvoir se les procurer à bas prix, et,
dans ce but, les acheter eux-mêmes.
On peut aussi regarder comme insuffisante la somme de
2 dollars 1/2 par mois ( 13 fr. 12 c. 1/2) qui reste à chaque
Chinois pour son entretien jusqu'à ce qu'il ait remboursé
les avances des frais de son passage ; mais je suisconvain eu
que cette somme est suffisante. D'abord les Chinois se
nourrissent toujours en commun, par compagnie de vingt,
trente ou cinquante individus, de sorte qu'ils font toute
leur cuisine en grand, d'après les principes les plus ration-
nels de l'économie domestique. Ils ont d'ailleurs un talent sin-
gulier pour l'art culinaire; ils savent préparer un mets savou-
reux avec des substances qui feraient le désespoir d'un ar-
tiste cuisinier français. De plus, avec leurs jardins et leurs
cultures potagères, non-seulement ils auront bientôt tout
autant de légumes frais qu'ils en peuvent consommer, mais
encore ils ne tarderont guère à en inonder les marchés des
environs, ce qui leur fournira les moyens de se procurer
toute sorte de denrées. La première période de trois mois

144 MODE DE CULTURE
sera réellement la seule pendant laquelle ils auront à lutter
contre quelques difficultés sérieuses, jusqu'à ce que leurs
légumes soient bons à récolter ; c'est une des raisons pour
lesquelles je pense qu'au commencement, la retenue sur
leur salaire ne doit pas être exercée avec trop de rigueur.
Les logements pour les Chinois devront être assez spa-
cieux pour qu'ils puissent habiter vingt-cinq ou trente en-
semble ; car ils sont habitués à la vie commune et possè-
dent beaucoup d'ustensiles en commun.
J'aborde ensuite ici la question déjà précédemment dé-
battue du remboursement de la seconde moitié du prix du
passage des émigrants. J e ne pense pas qu'il soit nécessaire
de rien ajouter à ce sujet, si ce n'est pour appeler toute
l'attention des intéressés, mais particulièrement celle du
planteur, sur ce qui est en définitive le point essentiel, sur
la somme actuelle que chacun de ses ouvriers chinois lui
coûte chaque mois, en moyenne, pendant l'année pour la-
quelle il est engagé. On trouvera que cette somme s'élève
à 1 livre sterling 6 schellings 8 deniers par homme (33 f. 30 c),
non compris les soins médicaux; mais j e m'imagine que ces
derniers frais seraient assez peu sensibles , les Chinois
n'ayant pas l'habitude de se droguer comme le font les
Européens. Je ne mentionne pas le loyer des maisons ni
celui des jardins, ces objets devant rentrer dans les comptes
généraux de l'exploitation.
Trente trois francs 30 c. par mois de vingt-six jours de
travail, c'est, à une fraction près, 1 fr. 28 c. par jour; c'est,
je pense, sous l'empire des circonstances actuelles, une
main-d'œuvre à aussi bas prix que le planteur la peut rai-
sonnablement désirer; plus tard, quand les émigrants
chinois seront bien établis dans le pays, le prix de la main-

DE LA CANNE. 145
d'œuvre doit nécessairement tendre à diminuer ; ils doivent
aussi verser sur les marchés une masse de denrées qui doit,
en rendant les subsistances à meilleur marché, faire baisser
le taux général des salaires. J e sais très positivement qu'il
n'y a pas de planteur (à la Jamaïque, p a r exemple) qui
ne fût satisfait de payer sur le pied de 1 fr. 30 c. par jour
des ouvriers aussi habiles cultivateurs que les Chinois ;
je suis également convaincu qu'il n'y en a pas un seul qui ne
fût satisfait du système que je propose pour le partage des
frais du remboursement et du passage, entre l'émigrant
chinois et celui qui le fait travailler.
§ 16. — Laboureurs chinois aux Indes occidentales.
Après cet exposé rapide des mesures à prendre pour
rembourser les sommes qui devraient en premier lieu être
avancées par le gouvernement, examinons dans quelles
limites l'introduction des émigrants chinois peut être néces-
saire, et par quels moyens il est possible de la réaliser.
Ainsi que je l'ai déjà fait observer, l'opération, pour être
de quelque utilité, doit être effectuée sur une très grande
échelle, bien que je n'aie pas déterminé p a r l e calcul le nom-
bre des émigrants chinois qui peuvent trouver à vivre en
travaillant dans les îles des Indes occidentales, et que j e
n'aie pas même fixé ce chiffre à la dixième partie de ce qu'il
pourrait être. Je me bornerai à l'importation d'un nombre
d'émigrants chinois en rapport avec les besoins du moment,
laissant à l'avenir et aux progrès de la colonisation le
soin d'élever ce nombre au chiffre qu'il lui est donné d'at-
teindre.
Le chiffre des besoins actuels, dans ma conviction et d'a-
10

146 MODE DE CULTURE
près mes connaissances personnelles, est de 250,000 hom-
mes ou femmes pour toutes les colonies des Indes occiden-
tales, savoir : la Jamaïque, 100,000; Démérary, 50,000; la
Trinité, 50,000; les autres 50,000, à répartir selon le
besoin entre les îles de moindre étendue.
§ 17 — Femmes chinoises comprises dans cette émigration.
Il serait difficile quant à présent de déterminer le nombre
des femmes qui pourraient être disposées à émigrer avec les
hommes ; mais j e ne fais pas le moindre doute qu'il ne s'en
trouve un nombre considérable prêt à tenter la fortune hors
de leur pays avec les hommes de leur nation. E n fait, on ne
peut nier qu'elles n'émigrent, et même en grand nombre;
j ' e n ai vu moi-même émigrer des centaines. Des Chinois
intelligents et bien informés m'ont dit que, dans les ports
du nord de la Chine, on trouverait à cet égard les plus
grandes facilités; que le préjugé contre l'émigration n'est
pas plus grand chez les femmes que chez les hommes, et
qu'enfin hommes et femmes sont également heureux lors-
qu'ils trouvent l'occasion d'échanger p a r l'émigration l'af-
freuse misère de leur situation présente, qui consiste à
mourir littéralement de faim, contre l'aisance et l'abondance.
On a cru que les femmes chinoises n'émigraient p a s , en
voyant les vaisseaux européens qui amènent des émigrants
chinois aux colonies des détroits débarquer exclusivement
des hommes ; mais cette circonstance tient uniquement à
ce que ce mode d'émigration est l'objet d'une spéculation;
les propriétaires des navires affectés à ce service ne peuvent
compter, pour le remboursement du prix du passage des
émigrants, que sur leur engagement immédiat; ils n'embar-

DE LA CANNE. 147
quent donc que des travailleurs, faciles à placer. Le même
obstacle n'existe pas à bord des jonques chinoises, sur les-
quelles les femmes peuvent émigrer à volonté.
Quel que soit le nombre des femmes chinoises qui pren-
dront part à l'émigration, on peut les considérer comme
établies à demeure dans le pays où elles viendront habiter ;
elles seront le noyau d'une race de créoles chinois pur
sang, qui finiront par former le fond de la population des
colonies des Indes occidentales, population dont l'indus-
trieuse activité les rendra florissantes sous les générations
à venir. Il sera donc très avantageux qu'un nombre consi-
dérable de femmes se joigne à l'émigration chinoise; elles
fixeront dans les colonies ceux de leurs compatriotes qui les
auront épousées; de plus les planteurs les trouveront très
utiles pour tous les travaux qui n'exigent que peu de force,
comme les soins de culture et la récolte du café et du piment,
travaux où elles déploient une grande habileté. Elles s'oc-
cuperont à préparer à la maison les aliments pour leurs
maris et les autres travailleurs; elles soigneront le jardin,
la volaille, les cochons, les enfants; elles iront au marché
acheter et vendre, pendant que les hommes se livreront aux
travaux des champs.
Une erreur contre laquelle il importe de bien se tenir en
garde, c'est de laisser sanctionner par les agents d'émigra-
tion au service de l'État, des engagements entre les femmes
chinoises emigrantes et les maîtres de maison dans les villes.
Nul doute que, parmi les habitants des villes, il ne s'en
trouve beaucoup de l'un et de l'autre sexe, qui voudront
prendre à leur service des Chinoises émigrantes, soit comme
servantes, soit comme femmes de chambre ; c'est ce qu'il ne
faut permettre pour aucune considération. Les femmes

148 MODE DE CULTURE
faisant partie de l'émigration chinoise doivent prendre des
époux parmi leurs compatriotes, et contribuer à les rendre
heureux et satisfaits dans le pays qu'ils viennent coloniser.
Serait il sage, serait-il juste et humain de faire manquer un
résultat d'une telle importance, en laissant ces femmes s'en-
gager comme servantes dans les villes, où. la plupart d'entre
elles tomberaient inévitablement dans la prostitution ? C'est
une question qui ne doit pas même être examinée; les femmes
chinoises doivent venir aux colonies dans un but spécial
d'une haute importance; si ce but ne doit pas être atteint,
il vaut mieux les laisser où elles sont.
Puisque j'indique l'utilité de l'émigration des femmes
chinoises en même temps que celle des hommes, je dois
aussi aborder, en ce qui les concerne, la question du rem-
boursement des frais de leur importation. Peu de mots
suffiront pour exposer mes vues à ce sujet.
J e ne suppose pas que la proportion des femmes par rap-
port au nombre des hommes dépasserait d'abord 10 pour 100,
bien qu'il fût possible, si la chose était jugée nécessaire,
d'élever cette proportion à 15, 20, et 25 pour 100. J'admets
donc dix femmes pour quatre-vingts-dix hommes. Tout
planteur prenant des émigrants chinois à son service de-
vrait s'astreindre à recevoir des femmes dans cette propor-
portion ; par exemple, un planteur ayant besoin de cent
émigrants prendrait dix femmes et quatre-vingt-dix hommes.
Chaque femme devrait être mariée avec un homme de son
choix ; les dix couples seraient engagés par un acte isole ;
le mari et la femme seraient solidairement responsables
envers le planteur pour le remboursement de la moitié du
prix de leur passage ; le remboursement de l'autre moitié
serait, comme à l'égard des hommes non mariés, à la charge

DE LA CANNE. 149
du planteur. Sous tous les rapports, l'engagement des
Chinois mariés doit être semblable à celui des Chinois
célibataires.
Les femmes engagées ne devront pas être trop chargées
de travail pour l'exploitation en raison de leurs gages ; elles
seront beaucoup mieux employées à la cuisine et à d'autres
travaux domestiques devant contribuer au bien-être de
leurs compatriotes. Je ne puis penser que le planteur soit
assez aveugle sur ses propres intérêts, pour reculer devant
la dépense de la moitié des frais du passage des femmes
chinoises ; car, d'une part, il peut compter sur le rembour-
sement exact de la moitié ; de l'autre, la moitié à sa charge
n'est rien pour lui, s'il la compare à la stabilité qu'il donne
à son exploitation en y attachant des familles d'émigrants
chinois.
Mais il est inutile d'insister sur ce point; car je suis
pleinement convaincu que tout planteur serait on ne peut
plus empressé de profiter des avantages résultant de l'éta-
blissement de ces familles sur sa plantation. Quant aux
désordres de mœurs des femmes chinoises avec les émi-
grants, ils ne devraient jamais exister, et je suis certain
qu'en fait, ils auraient lieu très rarement, pourvu qu'on
eût soin que les femmes chinoises fussent légitimement
mariées selon la coutume de leur pays, ce qui serait accepté
avec bonheur des hommes comme des femmes. Une fois
mariées, les désordres ne seront plus à craindre, du moins
ils ne le seront pas plus que parmi toute autre population ;
je suis même porté à croire qu'ils seraient beaucoup moins
fréquents.
A l'époque de l'émancipation, la population nègre de la
Jamaïque comprenait un peu plus de 300,000 individus,

150 MODE DE CULTURE
hommes, femmes et enfants; il n'y en avait pas plus de
150,000 qui fussent réellement employés aux travaux de
l'agriculture ; encore c'est un fait bien connu qu'ils travail-
laient sans aucune régularité.
Ceci posé, nul ne peut contester que 100,000 émigrants
chinois ne puissent trouver à s'employer à la Jamaïque, aux
prix que j ' a i indiqués précédemment; je serais plus près de
la vérité en disant que cette colonie en peut occuper deux
ou trois fois ce nombre. Que le gouvernement fasse seule-
ment connaître son intention de commencer l'entreprise,
et l'on verra accourir les planteurs, l'argent à la main, pour
s'assurer des travailleurs aux conditions que j ' a i formulées;
j e ne crois pas me tromper en affirmant que la moitié des
avances faites par le gouvernement serait payée dans les
trois jours qui suivraient le débarquement des émigrants
chinois, et que des sûretés seraient données pour le rem-
boursement de l'autre moitié.
A Démérary, à la Trinité et dans les autres colonies des
Indes occidentales, on trouverait chez les colons le môme
empressement à se procurer des travailleurs chinois, et à
rembourser les avances faites à ce sujet par le gouver-
nement.
Je dois maintenant entrer dans quelques détails relatifs
aux approvisionnements, à l'embarquement et au passage
des Chinois engagés, et sur ce qu'il en coûterait probable-
ment, dans l'état actuel des choses, pour les débarquer à la
Jamaïque.
§ 18. — Emigration chinoise d'Amoy, Shanghaë et Hong-Kong.
Avant tout, il serait indispensable d'avoir des agents
respectables pour l'émigration, dans les différents ports de

DE LA CANNE. 151
la Chine, notamment à Amoy, Shangaë et H o n g - K o n g ; ils
seraient chargés de recruter et d'engager des Chinois ; tout
le succès de l'opération dépendrait du choix judicieux de
ces agents. Leurs fonctions consisteraient à choisir de
jeunes Chinois vigoureux des deux sexes ; à les munir du
peu d'objets dont ils auraient besoin pendant le voyage; à
veiller à ce qu'ils fussent embarqués sur des navires sains
et solides, pour les transporter à leur destination ; à s'as-
surer si les approvisionnements des navires sont de bonne
qualité, et en quantité suffisante selon les besoins des pas-
sagers ; enfin à s'occuper de tous les objets de détail rela-
tifs aux devoirs de leur charge. Il s'agirait de faire arriver
les émigrants chinois aux colonies des Indes occidentales
avec le plus possible de sûreté, de promptitude et d'écono-
mie ; la première question à résoudre est celle du choix
entre la voie des îles Sandwich et de l'isthme de Panama,
et la voie du détroit de la Sonde et du cap de Bonne-
Espérance.
§ 19. — Passage des Chinois aux Indes occidentales.
La distance par Panama est beaucoup plus courte ; cette
route se recommande aussi par la douceur de la tempéra-
ture et le temps généralement beau sur lequel on peut
compter en allant de la Chine à Panama, comparativement
avec ce qu'on éprouve en passant par le cap de Bonne-
Espérance. D'un côté c'est un été continuel, de l'autre ce
sont les tempêtes et les vents froids du Cap, contre lesquels
il faut lutter. Mais si la route de Panama offre des avan-
tages, elle a aussi ses inconvénients, sans aucun doute ; les
deux principaux sont le manque de cargaisons de retour
pour les navires amenant des émigrants à Panama, et la

152 MODE DE CULTURE
nécessité de se procurer des navires pour transporter les
émigrants de Chagres aux colonies des Indes occidentales,
La première de ces difficultés est la plus sérieuse ; car,
lorsqu'un navire ne peut pas compter sur une cargaison de
retour, le prix du passage doit être très élevé pour que,
tous frais payés, il reste un bénéfice au propriétaire du
bâtiment. Il n'y a, par ce motif, que deux circonstances qui
peuvent engager les capitaines de navires à prendre des
émigrants de la Chine pour l'isthme de Panama : 1° quand
un bâtiment anglais, américain, où d'une autre nation, se
dirige des Indes orientales vers la côte de l'Amérique du
Sud, de Guayaquil à Valparaiso, pour y prendre une car-
gaison, ou qu'il va dans le même but vers un point de la
côte américaine de l'Orégon à la Californie; 2° quand le
prix du passage est suffisamment élevé pour que les navires
puissent se consacrer exclusivement à aller sans interrup-
tion toute l'année des ports de la Chine à ceux de l'isthme
de Panama, sans compter sur le fret, sauf à charger des
marchandises, s'ils en trouvent à transporter par occasion,
comme bénéfice supplémentaire.
Dans la première hypothèse, un navire part de l'Inde
orientale pour l'Amérique du S u d ; à Pinang ou à Singa-
pore, il charge du riz pour la Chine ; il prend à Amoy des
émigrants chinois et en même temps quelques caisses de thé
et d'autres articles. Alors il fait voile pour Honololu, dans
les îles Sandwich ; là, il débarque une partie de ses marchan-
dises dont il vend le plus possible, et qu'il remplace par
d'autres, selon ce qui lui semble le plus avantageux; puis
il se dirige vers l'isthme de Panama, où il débarque ses
Chinois. Il fait voile de ce point vers les ports de l'Amérique
du Sud qu'il a pris pour destination définitive; il visite ainsi

DE LA CANNE. 153
successivement tous les ports à portée desquels il passe, en
se dirigeant au sud pour aller doubler le cap Horn et reve-
nir en Angleterre ou aux États-Unis. C'est décidément une
navigation qui peut être passablement profitable pour un
vaisseau solide et spacieux, tel qu'il en existe beaucoup
dans la marine américaine.
Je suppose ensuite qu'un navire met de même à la voile
pour la Californie et l'Orégon, qu'il prend des émigrants
à la Chine, et, comme supplément de chargement, une partie
de thé, de sucre et de spiritueux ; comme dans l'hypothèse
ci-dessus, il touche aux îles Sandwich avant de se rendre
à l'isthme de Panama ; il y débarque ses émigrants chinois,
puis il va placer le reste de son chargement de marchan-
dises, en partie à la Californie, en partie à l'Orégon. Là,
d a à débattre la question de savoir quelle direction il doit
prendre ; évidemment il n'a rien de mieux à faire que de
charger du froment, de la farine, du poisson salé et d'autres
produits de l'Orégon et de la Californie, qu'il placera facile-
ment sur le marché des îles Sandwich et des autres archi-
pels de la mer du Sud, ou qu'il importera directement dans
son pays, selon les circonstances.
Enfin voici, comme dernière supposition, des navires
allant sans interruption de la Chine à Panama et de P a -
nama à la Chine, sans compter sur autre chose que sur le
prix du passage payé par les émigrants chinois, pour cou-
vrir leurs frais et réaliser des bénéfices. Dans ce cas, les
conditions sont matériellement et profondément modifiées,
et il faut rechercher pour quelle somme un navire bien
équipé peut tenir la mer pendant toute une année.
La question se présente encore ici sous deux aspects,
selon qu'il s'agit de navires de la marine britannique ou de

154 MODE DE CULTURE
navires étrangers ; on sait, en effet, que plusieurs nations
étrangères naviguent à moins de frais que les navires de la
Grande-Bretagne. Commençons par les navires britan-
niques ; nous trouvons que ceux de 500 tonneaux naviguent
à meilleur marché que ceux de 300 tonneaux, et qu'en
outre ils conviennent mieux pour la destination spéciale
qui nous occupe. Un navire de 500 tonneaux peut embar-
quer à l'aise 350 émigrants avec leurs effets et leurs pro-
visions, et recevoir encore 300 à 400 tonneaux de mar-
chandises, si l'occasion s'en présente. E n admettant que
chaque voyage dure six mois, un navire en fera deux par
a n ; il transportera par conséquent 700 émigrants, pour
lesquels, sur le pied de 8 livres sterling chacun (200 fr.),
il aura reçu 5,600 livres sterling (140,000 francs). Si l'on
déduit pour les provisions 700 livres sterling (17,500 fr.),
il reste pour le compte du navire 4,900 livres sterling
(122,500 francs), soit environ par mois 408 livres ster-
ling 6 schellings et 8 deniers (10,208 fr. 33 c.). Il reste
à savoir si, moyennant cette somme, les navires britan-
niques peuvent naviguer avec profit; sinon, s'il y a moyen
d'embarquer, outre les émigrants, des marchandises quel-
conques de la Chine pour les îles Sandwich et Panama, ou
de Panama et des îles Sandwich pour la Chine, et si le prix
de ce fret additionnel peut suffire pour rendre cette navi-
gation suffisamment profitable. Quelques armateurs n'éva-
luent pas les frais de leurs navires à la mer à moins de
20 schellings par tonneau par mois (25 francs), ce qui porte
le prix de la navigation d'un navire de 500 tonneaux à la
somme énorme de 6,000 livres sterling (150,000 francs) ;
ce taux semble fort exagéré. En calculant d'après les bases
ordinaires, il est difficile, à moins d'être armateur, d'arriver

DE LA CANNE. 155
à un chiffre aussi élevé. D'autres établissent ce chiffre à
17 schellings 6 deniers (21 fr. 85 c.); d'autres enfin l'éva-
luent encore un peu plus bas par tonneau et par mois.
Toutefois c'est au corps de la marine marchande qu'il
appartient de résoudre la question de savoir s'il est ou s'il
n'est pas possible de trouver des navires pour transporter
des émigrants chinois de la Chine à Panama pour la somme
de 8 livres sterling par tête (200 francs). A ce prix, il y
aurait à ajouter, pour le transport de Panama aux colonies
des Indes occidentales, 30 schellings à 2 livres sterling
par émigrant (37 fr. 50 c. à 60 francs), ce qui porterait le
prix total de la traversée de chaque émigrant à 9 livres
sterling 10 schellings ou 10 livres sterling (237 fr. 50 c.
à 250 francs). D'après ce calcul, il semble donc que le pas-
sage des émigrants par l'isthme de Panama doive coûter par
tête de 30 à 40 schellings (de 37 fr. 60 c. à 50 francs) de plus
que par la voie du cap de Bonne-Espérance. La cause en
est, dans cette circonstance, qu'entre la Chine et Panama
la ligne de navigation ne présente pas un commerce offrant
aux navires des occasions de prendre des cargaisons pour
l'allée ou pour le retour, indépendamment du transport des
émigrants. Entre les Indes orientales et les Indes occiden-
tales, cette difficulté n'existe pas, comme j e le montrerai
tout à l'heure. Mais avant d'entrer dans ces explications,
il n'est point inutile de placer ici quelques autres observa-
tions, relatives à la voie par Panama.
Il y a longtemps qu'on parle d'un canal ou d'un chemin
de fer pour mettre en communication à Panama l'Atlan-
tique avec l'océan Pacifique; il y a longtemps aussi, je
pense, que la possibilité de creuser à travers l'isthme un
canal navigable pour les vaisseaux est parfaitement établie ;

156 MODE DE CULTURE
les causes qui se sont opposées jusqu'à présent à l'exécution
de ce canal tiennent plutôt à la politique qu'à aucune diffi-
culté dépendant de la nature du pays. Dans les évaluations
qui ont été publiées, les frais d'exécution ont été estimés
à une somme très élevée ; la somme de main-d'œuvre né-
cessaire a aussi été considérée comme un obstacle d'autant
plus sérieux qu'il semblait impossible de réunir le nombre
de bras indispensable. Mais on peut se procurer à la Chine,
en nombre illimité, les travailleurs les mieux appropriés,
non-seulement à la culture des colonies, mais encore à tout
autre genre de travaux, spécialement pour l'exécution si
désirable du canal à travers l'isthme de Panama. S'ils y
étaient employés en grand nombre, une partie des vivres
dont ils auraient besoin pourrait leur être apportée des Indes
orientales par les navires employés continuellement au
transport des émigrants chinois destinés aux colonies des
Indes occidentales; ainsi la réalisation de chacun de ces
deux projets aiderait à celle de l'autre. Dans l'état actuel
des choses, il est très vrai qu'il n'existe pas de commerce
qui puisse engager les navires à naviguer entre l'Asie orien-
tale et Panama; mais, une fois que l'attention aurait été
appelée sur ce point, nul doute qu'un trafic sur cette ligne
ne prît naissance en peu de temps. Le transport des émi-
grants à travers l'isthme et le creusement du canal donne-
raient lieu à l'établissement d'une foule de branches de
commerce.
Jusqu'ici, je n'ai considéré la question que dans ses
rapports avec le transport des émigrants chinois par navires
britanniques seulement ; quelques mots d'explication suffi-
ront pour faire comprendre la réduction des frais résultant
de ce transport par navires étrangers. Je crois que, généra-

DE LA CANNE. 157
lement parlant, les navires marchands étrangers naviguent
à un prix qui dépasse un peu la moitié des frais de la navi-
gation par navires britanniques. Ceci ne doit pas nous porter
à penser qu'en dehors de notre marine il n'y a pas de bons
vaisseaux : loin de-là ! Voyez les navires américains, fran-
çais, hollandais, espagnols, autrichiens, portuguais et ceux
des autres nations maritimes ; vous y trouverez des bâtiments
distingués, excellents et en grand nombre, surtout dans la
marine américaine, riche en vaisseaux non-seulement très
bien établis pour le service, mais de plus, élégants, bien
installés, bien approvisionnés, effectuant des traversées
plus rapides en moyenne que celles de nos propres navires.
Les navires étrangers étant admis, concurremment avec
les navires britanniques, à transporter les émigrants chinois,
les agents anglais à la Chine n'auraient à se préoccuper que
défaire choix de bâtiments solides, spacieux, bien établis,
convenables sous tous les autres rapports; ils devraient
veiller à la stricte exécution des conditions qui seraient
imposées aux capitaines de ces bâtiments. Les navires de
toutes les nations pourraient être utilisés pour ce service,
pourvu qu'ils satisfissent aux conditions exigées; toute
restriction vexatoire et inutile serait supprimée. Dans l'état
actuel des choses, on ne peut rien objecter à l'emploi des
navires étrangers au transport dos émigrants de la Chine à
Panama, puisque la Chine et Panama sont deux pays étran-
gers ; s'il en était autrement, personne ne songerait à une
semblable tolérance.
Du moment où le transport des émigrants pourrait être
effectué par navires étrangers, nul doute qu'il ne fût possible
de les débarquer à Panama pour moins de 6 livres sterling
(150 francs) par tête ; ainsi leur transport jusqu'à leur des-

158 MODE DE CULTURE
tination définitive aux Indes occidentales ne coûterait pas
au delà de 8 livres sterling (200 francs) par tête.
Aussitôt débarqués à P a n a m a , les émigrants chinois
partent à pied avec des guides, pour traverser l'isthme;
chaque individu porte un sac de voyage du poids d'environ
20 livres (8 kil. 500 gr.) contenant du riz, du poisson salé
et des épices ; ces provisions doivent leur suffire pendant
leur voyage par terre et pendant la traversée jusqu'à la
Jamaïque, par exemple. Les émigrants, guidés sur la route
la plus courte, n'ayant d'autre bagage que la charge insi-
gnifiante de 16 kil. 1/2 de provisions, traverseraient l'isthme
en cinq jours ; ils arriveraient à la Jamaïque après une tra-
versée de dix jours, soit, pour les deux trajets, quinze jours;
des provisions du poids mentionné ci-dessus seraient am-
plement suffisantes. Les navires mettent généralement de
cinq à dix jours pour aller de Chagres à la Jamaïque. Quand
cette route serait adoptée pour l'émigration chinoise,
nombre de navires allant de Santa-Marta, de Carthagène
et d'autres ports à la Jamaïque, viendraient toucher à Cha-
gres pour embarquer des émigrants chinois. D'autres, en
grand nombre, ne manqueraient pas de s'offrir, attirés par
le prix payé pour une traversée de quelques jours seule-
ment. Quant aux dispositions à prendre pour faire traverser
l'isthme à pied par les Chinois, elles sont des plus simples,
et la route est tout à fait praticable.
La traversée par le cap de Bonne-Espérance a été précé-
demment regardée comme la meilleure ; c'est peut-être celle
qui sera définitivement adoptée pour l'émigration chinoise;
je crois donc devoir donner sommairement quelques parti-
cularités sur cette route.
On peut évaluer à cent vingt jours de navigation la durée

DE LA CANNE. 159
de la traversée d'Amoy à la Jamaïque, en passant par le
détroit de la Sonde et le cap de Bonne-Espérance; les plus
longues traversées ne durent pas au delà de cent trente-
cinq jours. Mais les navires qui feraient ce trajet pourraient
profiter de divers avantages qui ne se rencontrent point
actuellement sur la route de Panama ; ces avantages con-
sistent dans la facilité de prendre, outre les émigrants, des
cargaisons de marchandises pour les Indes occidentales.
La Chine produit, sans aucun doute, un grand nombre
d'articles dont on pourra composer des cargaisons très
lucratives pour les Indes occidentales, une fois que les
communications directes seront bien établies. Mais, à part
ces articles, on sait qu'on peut acheter à Lembock, à Sou-
rabaya, à Samarang, du riz en quantité très considérable,
au prix de 3 livres sterling 10 schellings à 4 livres sterling
les 1,000 kilogrammes (87 fr. 50 c. à 100 francs). Ce riz,
transporté aux Indes occidentales, peut toujours y être
vendu avec un bénéfice important, les frais de transport
étant couverts. Un navire de 500 tonneaux peut donc par-
tir d'Amoy avec trois cents émigrants, faire voile pour
Lembock, y compléter son chargement avec 400 tonnes de
riz, et repartir pour le cap de Bonne-Espérance, le tout
sans se détourner de sa route directe, et sans ajouter à la
durée de son voyage plus de deux ou trois jours. Il est aussi
probable que les vaisseaux Américains, dans leur trajet de
la Chine aux États-Unis, prendraient volontiers cent ou
deux cents émigrants chinois, outre leur cargaison, pour
les débarquer, chemin faisant, aux Indes occidentales. Bref,
on devrait faciliter par tous les moyens possibles l'émigra-
tion chinoise ; tout vaisseau en bon état devrait être admis
à y prendre part.

160 MODE DE CULTURE
J'ai un peu longuement insisté sur tous ces détails : c'est
que je désire vivement qu'ils soient exactement compris ;
mais il y a une foule d'autres faits essentiels qui ne peuvent
trouver place dans cet ouvrage . Toutefois, avant de quitter
1
ce sujet, j'appellerai l'attention du lecteur sur une circon-
stance qui n'est pas de peu d'importance pour nos colo-
nies des Indes occidentales. Les Chinois, malgré leur pré-
férence marquée pour le riz, ne sont pas, à cet égard, aussi
esclaves de l'habitude que les naturels de l'Indostan ; au
contraire un Chinois mange de tout ce ce qui peut être
mangé. Dans les colonies des détroits malais, on voit les
Chinois cultiver l'igname, le cocotier, le bananier, la batate
douce et d'autres végétaux alimentaires en grande abon-
dance, sur lesquels ils fondent en grande partie leur nour-
riture habituelle. Il n'y a donc pas de motif raisonnable
pour ne pas admettre que les Chinois établis comme culti-
vateurs à la Jamaïque ou dans les autres colonies des Indes
occidentales renonceraient, au bout de quelque temps, à
l'usage exclusif du riz et se nourriraient en grande partie
avec les végétaux provenant de leur propre culture. Il est
possible que l'importance de cette circonstance ne soit pas
saisie du premier coup d'oeil; mais, si l'on veut réfléchir
que la ration de riz d'un homme est d'une livre (420 gram-
mes) par jour, on trouvera facilement par le calcul que
2
cent mille personnes se nourrissant de riz mangeront en une
année pour 225,000 livres sterling de riz (5,625,000 fr.).
(1) L'auteur se propose de publier incessamment une brochure ou
il exposera dans ses plus minutieux détails tout ce qui concerne l'é-
migration chinoise.

(2) Un Chinois qui travaille mange facilement deux livres de riz
dans sa journée.

DE LA CANNE. 161
la livre de riz ne pouvant coûter, à la Jamaïque, moins de
15 centimes. Cette somme, c'est de l'argent à exporter de
la colonie pour les pays producteurs du riz. Au contraire,
cette même somme resterait dans le pays, à son grand avan-
tage, si, comme j'en suis persuadé, les Chinois s'habituaient
à se nourrir d'aliments produits par le sol de la Jamaïque.
Ayant ainsi suffisamment fait connaître mes vues quant
aux moyens de procurer à nos colonies des Indes occiden-
tales la main-d'œuvre qui leur manque, j'aborde l'exposé
de la culture à la houe, en supposant, bien entendu, que la
nature du sol ne permet pas la culture à la charrue. Ceci
me reporte au point où j ' e n étais en commençant cette
digression ; le lecteur est prié de s'y reporter lui-même.
Dans les parties du pays qui sont encombrées de pierres
et de rochers, ou en pentes abruptes, il arrive souvent que
le sol est de la meilleure qualité, et qu'on dispose de chutes
d'eau d'une grande puissance comme forces motrices pour les
machines. Ces deux conditions engagent beaucoup de plan-
teurs à passer par-dessus les inconvénients résultant de la
difficulté de travailler des terres semblables ; aussi voyons-
nous beaucoup de propriétés cultivées dans de telles situa-
tions. Outre l'excédant de dépenses résultant du labourage
à la houe, les planteurs ont encore à lutter, dans ce cas,
contre les difficultés du transport des cannes, de la fumure
des terres, contre les ravages des rats, et une foule d'au-
tres frais et embarras.
Mais que la Jamaïque soit suffisamment approvisionnée
de Chinois, et ces terres pourront être cultivées avec le
plus grand succès.
11

162
MODE DE CULTURE
§ 2 0 . — Travaux pris à l'entreprise par les Chinois.
Le système à suivre à cet effet consiste dans la culture à for-
fait ou à l'entreprise, ce qui peut se faire par deux procédés
différents : 1° à tant par acre de terre ; 2° à tant par quintal
de sucre provenant d'une étendue de sol déterminée. Par
le premier procédé, en supposant qu'il s'agisse d'une terre
inculte, les Chinois s'engagent, pour une somme fixe tout
à fait indépendante du rendement en sucre, à exécuter les
opérations suivantes : arracher et brûler les herbes et les
broussailles; défricher le sol, planter les cannes, les soi-
gner jusqu'à leur maturité; les couper, les lier en bottes,
et les déposer sur un chemin ou un sentier où les char-
rettes ou les mules de la plantation viendront les enlever.
P a r le second procédé, fort préférable au premier selon
moi, les Chinois sont payés en proportion de la quantité de
sucre obtenue, quelle que soit l'étendue du sol cultivé.
Ainsi un ou deux Chinois actifs et entreprenants s'offriront
pour entreprendre la culture de 50 acres de terre (20 hec-
tares), planter les cannes, les soigner, les couper à l'époque
de leur maturité, les lier en bottes, et les déposer à proxi-
mité d'un chemin pour qu'elles soient transportées à la
sucrerie.
Pour effectuer cette besogne, l'entrepreneur chinois en-
gage une cinquantaine de ses compatriotes qu'il établit
dans une maison convenable sur la terre qu'il s'agit de
cultiver. Au moyen de quelques dollars que lui avance
celui qui l'emploie, il achète pour ses laboureurs des mar-
mites, des soupières, des hachoirs, des seaux, une paire
de grandes chaudières, des lampes et d'autres ustensiles

DE LA CANNE. 163
indispensables ; il fait aussi provision de vivres pour un
mois, de houes et d'autres outils, afin d'installer à l'ouvrage
sa bande ou congsée . Tout étant ainsi disposé, les Chinois
1
se mettent à la besogne, dirigés par les deux entrepreneurs
chinois ; mais le planteur doit faire l'appel deux fois par
jour, afin de voir combien d'hommes sont effectivement au
travail. A la fin du mois, on fait l'addition des journées;
le total divisé par 26 donne la moyenne par j o u r ; les
journées du mois écoulé sont payées au taux convenu
d'avance. Supposons, par exemple, que la solde soit de
5 dollars par mois de vingt-six journées de travail : dans
ce cas, je conviens avec mes entrepreneurs de leur donner
3 dollars pour chaque somme de vingt-six journées de t r a -
vail faites sous leur direction sur ma plantation ; ceux-ci
distribuent cet argent entre leurs ouvriers, selon la quan-
tité de travail faite par chacun; je n'ai rien à y voir; je
vérifie vingt-six jours de travail dans un mois; j e paye aux
entrepreneurs 3 dollars pour cette période ou cette somme
de besogne faite; je les laisse, eux et leurs compatriotes,
arranger leurs comptes à leur manière. Cela n'offre jamais
la moindre des difficultés ; car les Chinois sont peut-être, de
tous les peuples de la terre, celui qui apporte dans le règle-
ment de ses comptes l'exactitude la plus minutieuse. Dans
ce cas, les entrepreneurs nourrissent leurs ouvriers et
tiennent exactement compte de tout ce qu'ils leur four-
nissent, ainsi que du travail exécuté chaque jour ; dès que
le planteur a compté l'avance dont il est convenu, les entre-
preneurs appellent leurs hommes et répartissent la somme
(1) Quand la plantation des cannes est achevée et que les plantes
ont reçu un premier buttage, l'entrepreneur réduit toujours le nombre
de ses ouvriers; il en congédie quelquefois la moitié.


164
MODE DE CULTURE
entre tous, selon ce qui peut leur revenir. Le planteur est
ainsi affranchi d'une grande partie de ses soucis ; car les
entrepreneurs sont là pour avoir un œil attentif sur les tra-
vailleurs ; ceux-ci, de leur côté, combinent leurs efforts
pour mener à bien l'entreprise ; ils gardent et surveillent
avec une extrême vigilance les pièces de terre plantées en
cannes, pour les préserver de toute dégradation pendant
leur croissance. Dès que les cannes sont récoltées, un ou
deux des Chinois de chaque congsée se tiennent à poste fixe
au moulin et à la chaudière pour voir broyer et presser les
cannes et travailler le j u s , en attendant que le sucre soit
prêt à être mesuré. Le mesurage se fait dans les refroidis-
soirs, au moment où le sucre va être mis dans les moules ;
on a pour cet usage une caisse de bois dont on a vérifié
d'avance la contenance en poids ; le nouveau sucre y est
d'abord mesuré, puis enlevé par les metteurs en formes.
Le Chinois soigneux de ses intérêts est là, prêt à donner
un coup de main avec obligeance, mais marquant attenti-
vement chaque quintal de sucre à mesure qu'il est pesé et
appelé à haute voix. Quand la totalité des cannes produites
par les 50 acres (20 hectares) a été travaillée, on fait le
calcul du nombre de quintaux de nouveau sucre fabriqué
au prix convenu d'avance ; on déduit sur ce prix les avances
faites de temps en temps à la congsée, après quoi le compte,
de quelque façon qu'il se balance, est soldé aux entrepre-
neurs, et définitivement clos par ce paiement. Mais, bien
que le planteur ait arrêté ses comptes avec les entrepre-
neurs, ceux-ci ont à s'arranger avec leurs compatriotes
conformément aux conventions secrètes qui existent entre
eux. Pendant tout ce temps, on donne aux jeunes rejetons
des cannes les soins nécessaires, et leur culture est recom-

DE LA CANNE, 165
mencée par les mêmes entrepreneurs, très probablement en
vertu d'un nouveau traité ; ainsi les entrepreneurs et ceux
qui les emploient, en veillant chacun de leur côté à leurs
propres intérêts, ne peuvent que garantir leurs intérêts r é -
ciproques. D'une part, le Chinois sait qu'il ne peut pas être
trompé, mais qu'il sera bien certainement payé pour chaque
livre de sucre extraite des cannes de ses cultures ; de l'autre,
le planteur sait qu'un bon nombre d'yeux vigilants surveil-
leront sa propriété, et que, de quelque manière que les
choses tournent, il ne payera que pour la quantité de sucre
effectivement fabriquée ; ainsi un quintal de sucre dans le
refroidissoir lui revient, lorsqu'il est sec et paré, à un prix
déterminé dont il faut bien qu'il prenne son parti, qu'il y
gagne ou qu'il y perde.
Il peut faire son calcul d'avance en approchant de très
près de la réalité. La responsabilité de l'exploitation est
partagée entre plusieurs intéressés ; il n'a plus seul en p a r -
tage l'espoir, la crainte, l'anxiété ; il est entouré de toutes
parts de gens qui partagent ses craintes et ses espérances ;
leur vigilance et leur infatigable activité sont appliquées en
entier à assurer le succès de ses cultures. Ainsi le travail
des Chinois à l'entreprise est très avantageux, et, pourvu
que le planteur, tout en montrant une j u s t e fermeté à leur
égard, soit avec eux poli et raisonnable, il aura la satisfac-
tion de voir sa besogne marcher au gré de ses désirs.
Dans les rapports du planteur avec les Chinois, la fer-
meté est la qualité la plus indispensable ; mais elle ne doit
pas dégénérer en entêtement. La politesse, l'affabilité, la
ponctualité et la condescendance sont aussi nécessaires; mais
la fermeté surtout ne doit pas être perdue de vue un seul
instant. Le planteur doit toujours être sur ses gardes à cet

166
MODE DE CULTURE
égard ; il faut qu'au bout d'un temps fort court, le Chinois
sache que celui qui l'emploie n'est pas homme à se laisser
duper ou à souffrir qu'on se moque lui.
Quelle que soit la localité où un Chinois prend une terre
à cultiver à l'entreprise, à tant par quintal de sucre, le
planteur doit lui laisser suivre sa méthode de culture ; il
lui suffit de veiller à ce qu'il ne commette aucune erreur
évidente et sérieuse ; il doit aussi s'abstenir de rapports
avec les simples laboureurs chinois ; ses ordres doivent
s'adresser exclusivement aux entrepreneurs. S'il y a quel-
ques fautes à signaler, quelques réprimandes à faire, le
planteur doit toujours avoir soin que ce soit hors de la pré-
sence des ouvriers, afin que l'autorité des entrepreneurs
sur leurs hommes n'en soit pas affaiblie. Quant aux simples
détails de culture, les planteurs et les entrepreneurs chi-
nois les entendent passablement les uns et les autres.
Il est évident qu'une partie des règles indiquées comme
nécessaires à observer dans les exploitations cultivées à la
charrue trouvent également leur application dans les plan-
tations cultivées à la houe ; je n'ai donc pas besoin de les
répéter; je ferai remarquer seulement que, dans un cas
comme dans l'autre, la canne à sucre est toujours la même
plante et qu'elle réclame le même traitement. Beaucoup
d'exploitations situées dans les montagnes ne peuvent pas,
néanmoins, utiliser comme engrais tous les résidus des
cannes broyées et pressées ; on ne peut alors fumer les
champs de cannes qu'avec la portion do ces résidus dont on
n'a pas besoin pour faire du feu ou pour d'autres usages.
Quant aux autres différences du même genre qui peuvent
se présenter, elles sont parfaitement connues des planteurs;
je laisse leur sagacité le soin de déterminer les modifica-

DE LA CANNE. 167
tions que leur expérience personnelle leur fera juger néces-
saires d'après les circonstances locales.
§ 2 1 . — Le climat des Indes occidentales et les Chinois.
Avant d'abandonner le sujet de la culture de la canne à
sucre aux Indes occidentales par des émigrants chinois,
quelques observations sommaires me semblent nécessaires
quant au climat des Indes occidentales et quant à ses effets
sur le tempérament des Chinois. J'ai entendu bien des gens
(à la vérité, ils n'y entendaient rien) déclarer que les émi-
grants chinois ne pourraient éviter la fièvre jaune dans les
Indes occidentales ; c'était la seule raison qu'ils eussent à
alléguer contre leur emploi dans ces colonies. J e n'hésite
pas à dire, d'après ma propre expérience positive et une
attentive observation, que j e ne partage point ces craintes ;
enfin je pense qu'à l'exception de celui des nègres, aucun
tempérament humain n'est en état de mieux supporter le
climat des Indes occidentales que celui des Chinois.
L'effrayante mortalité qui décime les troupes euro-
péennes et les émigrants aux Indes occidentales, ce qui fait
frissonner le lecteur anglais, s'explique d'abord par plu-
sieurs circonstances particulières ; ensuite il n'y a qu'un
esprit irréfléchi qui puisse un instant comparer le tempéra-
ment d'un Chinois avec celui d'un Européen; ce serait
pousser l'absurde à l'excès. On pourrait tout aussi bien
supposer que des travailleurs européens iraient remplacer
les centaines de milliers de Chinois qui travaillent dans les
champs et dans les marais de Burmah, Siam, Quedah, P i -
nang, la province de Wellesley, Malacca, Singapore, Java,
Bornéo, Manille et d'autres pays, où l'on peut les voir en

168 MODE DE CULTURE
toute saison, depuis le point du jour jusqu'à la nuit, livrés aux
plus rudes travaux, sous les rayons du soleil le plus ardent,
et généralement au milieu du limon et des eaux stagnantes.
N ' y a-t-il pas dans toutes ces contrées des fièvres ma-
lignes, des dyssenteries et d'autres maladies mortelles
aussi redoutables et même plus dangereuses que celles qui
sévissent aux Indes occidentales ? Des laboureurs européens
pourraient-ils supporter une seule semaine de travail dans
de tels pays? Non, certainement. Je suis convaincu que les
Chinois trouveront les Indes occidentales aussi salubres et
aussi agréables qu'ils peuvent le désirer.
§ 22. — Grande supériorité du laboureur chinois.
J'ai souvent pensé, en voyant, dans une des colonies des
détroits, un Chinois travailler à sa t e r r e , combien j'aime-
1
rais à voir une demi-douzaine de nègres esclaves travail-
lant pendant toute une journée, à côté du même nombre de
Chinois, tous armés de la pioche de leur pays (chankol),
alors que le thermomètre marque 23 degrés dans l'intérieur
des appartements les plus frais. Cette supposition, dont je
me suis souvent occupé, m'a laissé la ferme conviction
qu'aucun nègre ne pourrait supporter cette fatigue pendant
toute une journée ; il serait épuisé rien que par le poids de
sa houe, tandis que Jean le Chinois travaille avec le môme
instrument sans aucun effort et sans fatigue apparente. Ceci
n'est point une comparaison faite à la légère; j e suis per-
suadé qu'elle est parfaitement exacte ; c'est ce que le planteur
(1) Il faut remarquer qu'un Chinois qui travaille à sa propre terre
à l'entreprise n'est pas du tout le môme homme que celui qui tra-
vaille à la journée et pour un salaire.

DE LA CANNE. 169
des Indes occidentales vérifiera un jour à venir. J e ne pense
pas qu'il soit nécessaire de rien ajouter de plus quant à la
possibilité pour les Chinois de supporter le climat des Indes
occidentales ; il pourra certainement se présenter quelques
exceptions individuelles; mais je ne doute pas que les Chinois
et le climat ne se conviennent parfaitement de part et d'autre.
§ 2 3 . — Plantations à Démérary. — Leurs particularités.
J'ai maintenant à exposer le système suivi pour la culture de
la canne à sucre à Démérary; ce système est différent de celui
qu'on suit dans les îles des Indes occidentales ; on peut le
considérer comme étant tout à fait spécial à cette colonie.
Il faut se préoccuper avant tout d'ouvrir des canaux ou
fossés et de se procurer les moyens de réunir et faire éva-
cuer les eaux superflues des terrains endigués qu'il est
nécessaire de préserver des inondations causées par les
fortes marées. Trois choses sont donc indispensables à
l'existence des plantations à Démérary ; ce sont : 1° des di-
gues solides construites à grands frais ; 2° des canaux ou
fossés d'écoulement; 3° des machines d'épuisement pour
élever l'eau et la déverser par-dessus les digues. La nature
du pays exerce aussi une grande influence sur le mode de
culture. Les plantations sont toutes situées en face de la
mer; de fortes digues, dont la construction est très dispen-
dieuse, les protégent contre l'envahissement des vagues ;
elles ont des écluses pour l'écoulement des eaux accu-
mulées à la surface des terres ; mais comme le niveau du sol
cultivé est tellement bas qu'il est impossible d'utiliser ces
écluses, si ce n'est pendant les plus basses marées, les plan-
teurs sont obligés de recourir à de nombreux moyens m é -

170 MODE DE CULTURE
caniques pour assurer le parfait assainissement de leurs
terres. Ainsi l'on peut voir diverses machines d'épuisement
importées d'Angleterre avec des frais énormes, mises en
activité par des machines à vapeur, des moulins à vent, des
mules ou des bœufs. MM. Blith et C , de Limehouse,
i e
ont envoyé à Démérary plusieurs excellentes machines
destinées à cet usage ; j ' e n ai vu les dessins. J'ai su que les
propriétaires qui ont été assez entreprenants pour faire la
dépense de l'acquisition de ces ingénieuses machines ont
trouvé dans l'accroissement de fertilité résultant de leur
emploi, non seulement un ample dédommagement pour les
frais d'achat et d'entretien, mais encore des ressources
suffisantes pour les autres améliorations que peuvent ré-
clamer leurs domaines. Tout le monde connaît les améliora-
tions qui sont résultées dans la qualité des sucres de canne,
de l'emploi des appareils pour l'évaporation dans le vide
par des procédés perfectionnés ; mais peu de planteurs se
rendent bien compte de l'importance du drainage parfait,
tel qu'il est actuellement pratiqué à Démérary. Dans l'ori-
gine, le sucre de cette colonie était brun et de qualité tout à
fait inférieure ; depuis quelque temps, l'usage des appareils
d'évaporation dans le vide, et le drainage parfait des terres
où la canne est cultivée, ont complétement modifié le sucre
de Démérary, qui est maintenant de la plus belle qualité.
Le drainage des terres étant regardé comme d'une haute
importance, les champs sont coupés de canaux, les uns en
lignes parallèles, les autres à angle droit avec les premiers;
à l'époque de la récolte, les cannes sont portées au moulin
sur des nacelles qui parcourent les eaux dans toutes les
directions.

DE LA CANNE.
171
§ 24. — Machine à vapeur mobile. — Sa grande utilité paur les
labours, etc.
Les planteurs de Démérary ont aussi essayé de labourer
leurs terres au moyen de la force de la vapeur, d'une ma-
nière à la fois simple et avantageuse. Les plantations ont
ordinairement environ 400 à 500 yards de large (320 à
400 mètres) sur une longueur de 3,000 à 5,000 (de 5,000 à
8,300 mètres); un canal les traverse par le milieu; deux
autres petits canaux, parallèles au canal central, règnent
sur les limites de la plantation, à chacune de ses extrémités.
La machine à vapeur, établie sur un bateau qui parcourt le
canal central, donne le mouvement à la charrue au moyen
d'une chaîne sans fin ou courroie attachée à une roue placée
sur un autre bateau, lequel prend successivement position
sur l'un des petits canaux parallèles au grand ; l'on obtient
ainsi un mouvement de va et vient de la charrue entre deux
canaux.
Dès que la charrue arrive au bout du champ, les deux
bateaux avancent à la distance requise ; on change le sens
du mouvement de la machine, et la charrue revient. P a r
cette simple disposition, les labours de toute une plantation
s effectuent d'une façon très expéditive.
Il est fort honorable pour les colons de Démérary d'avoir
pris l'initiative d'une pareille innovation. Mais ce qui est
mille fois pitoyable, c'est que, pendant qu'ils étaient en
train, ils n'aient pas donné aux applications de la force de
la vapeur toute leur extension. Une machine à vapeur éta-
blie sur un bateau pour effectuer le labour des terres, net-
toyer les cannes et faire diverses autres besognes analogues
peut tout aussi bien, moyennant quelques modifications

172 MODE DE CULTURE
très simples, être utilisée pour le transport des cannes des
champs jusqu'aux bateaux sur le canal central, pour le
curage des canaux et fossés, pour faire fonctionner la
machine à draguer, scier les planches à l'usage de l'exploi-
tation, enfin rendre une multitude d'autres services.
Mais est-ce seulement à Démérary qu'une plantation de
canne à sucre peut utiliser une machine à vapeur portative\\
Pour fonctionner, exige-t-elle absolument un sol bas et
marécageux où des canaux puissent être aisément ouverts?
Ne peut-elle pas être de même appliquée aux travaux d'une
terre à peu près de niveau, pas trop pierreuse, et pourvue
de chemins praticables ? On ne saurait assurément alléguer
contre l'emploi d'une machine à vapeur portative dans
toutes les plantations où ces conditions se rencontrent,
aucune bonne raison ; tout parle, au contraire, en sa fa-
veur.
J e m'étais à dessein abstenu précédemment de faire men-
tion de la machine à vapeur et des services efficaces qu'elle
peut rendre dans les plantations, parce que c'est aux plan-
teurs de Démérary que revient l'honneur de s'en être servis
les premiers, bien que partiellement; j ' a i dû, par consé-
quent, attendre pour en parler jusqu'à ce que j'aie abordé
la description du système de culture de la canne à sucre en
usage à Démérary.
La première idée de faire des recherches à ce sujet m'est
venue en voyant avec quelles difficultés sont labourées les
terres basses et marécageuses de la province de Wellesley
(presqu'île de Malacca), où, après deux jours de pluie, les
buffles de labour ne peuvent souvent faire un pas sans en-
foncer jusqu'au ventre ; on doit laisser écouler deux jours
de soleil pour raffermir le sol avant d'y remettre la charrue.

DE LA CANNE. 173
Un tel retard ne peut être que désastreux ; il m'avait fait
songer aux avantages que pourrait offrir dans ce cas le
labourage par la machine à vapeur. Je ne cessai d'y réflé-
chir jusqu'à ce que je me fusse formé une idée nette du bien
immense qui pourrait résulter de l'emploi dans les colonies
de ce mode de labour.
A la Jamaïque et dans les autres îles des Indes occiden-
tales, un grand nombre de plantations pourraient utiliser
la machine à vapeur appliquée aux labours ; au Bengale et
dans les colonies des détroits, toutes les plantations de-
vraient en avoir, et sans doute, avec le temps, toutes en
auront. Ce que le planteur doit rechercher dans l'emploi de
la machine à vapeur, c'est principalement sa grande p u i s -
sance, son travail invariablement égal et sa précision; il
ne doit pas avoir en vue la rapidité d'exécution des travaux
qu'il peut en attendre, soit que la machine soit établie à
poste fixe, soit qu'elle se déplace sur les divers points de
la plantation. Ceci, toutefois, sera mieux compris lorsque
j'aurai énuméré les principales séries de travaux qu'il est
possible de faire exécuter par la puissance auxiliaire de la
vapeur ; ces travaux comprennent :
1 Le labourage des champs de cannes dans toutes les
o
conditions ;
2° Les façons à la herse et au haingher, jusqu'à parfaite
pulvérisation ;
3° L'ouverture des raies de 2 en 2 mètres pour planter
les boutures de cannes ;
4° Le sarclage, le binage et le premier buttage des
jeunes cannes ;
5° Le transport des cannes récoltées jusqu'aux chariots
sur la route ;

174 MODE DE CULTURE
L a traction des chariots ou charrettes chargés de
cannes jusqu'au moulin, et leur retour avec une charge de
marc ou bagasse ;
L a distribution de cette bagasse sur un champ récem-
ment récolté ;
8° Le nivellement des ados pour enterrer la bagasse
fraîche de cannes, etc., etc.
9° Le transport et l'épandage des fumiers dans les
champs ;
10° Le transport du sable là où cet amendement peut
être utile ;
11° Le sablage et la compression des chemins en cas de
besoin ;
12° Le jeu des pompes pour irriguer en cas de besoin;
13° Le drainage des terres humides ;
14° Le transport des chariots au port avec des denrées
diverses, et leur retour avec du charbon de terre ;
15° Le sciage du bois pour l'exploitation et le planage
des planches. Sans parler d'une foule de travaux moins im-
portants qui se présentent de temps à autre.
Je sais qu'il suffirait de cette simple énumération pour
faire devenir fou d'indignation et de surprise un vieux plan-
teur routinier ; mais des vérités raisonnables et évidentes
ne peuvent être niées ; non-seulement elles finiront par se
faire écouter, mais encore elles triompheront de toutes les
oppositions. Quelques explications rendront les faits plus
clairs qu'ils ne le sont par un simple énoncé.
Il est tout à fait évident que, si une machine à vapeur
peut être établie sur un bateau qui la transporte d'une
extrémité d'une plantation à l'autre extrémité, elle peut
tout aussi bien être adaptée à des roues et se transporter

DE LA CANNE. 175
elle-même sur des chemins ordinaires, d'autant plus qu'elle
n'a pas besoin de voler sur ces chemins ; il suffit qu'elle y
puisse avancer tout tranquillement. Arrivée sur le terrain
qui doit être labouré, elle dépose le cadre supportant la
roue à laquelle est fixée la courroie ou la chaîne sans fin au
point où le labour doit être commencé ; puis elle avance de
l'autre côté du champ, sur un chemin parallèle au premier ;
elle y prend position, le champ étant entre les deux parties
de l'appareil. La machine et ses dépendances étant ainsi
placées en regard, directement en opposition, le laboureur
et le mécanicien ajustent à la roue (ou volant) la chaîne
sans fin ; ils placent solidement contre le sol les attaches ou
supports. Alors ils font partir la charrue du pied de la ma-
chine, en lui donnant sur le sol à labourer la position exi-
gée; puis ils attachent la chaîne sans fin et mettent l'appa-
reil en mouvement, en dedans d'un côté et en dehors de
l'autre. Le laboureur guide sa charrue jusqu'à l'extrémité
du champ, l'instrument étant traîné par la chaîne sans fin.
Le mécanicien, sans modifier la position du tambour, change
en sens inverse le mouvement de la machine, lorsque la
charrue doit revenir dans la même raie, comme il le faut
pour ouvrir les sillons destinés à la plantation des cannes.
S'agit-il d'un plein labour à plat : les roues du tambour de
deux machines, chacune avec ses accessoires, sont amenées
sur leur flèche à la distance requise (au moyen de pignons
dentés, ou de pas de vis si on le préfère), et, la machine étant
mise enjeu, la charrue retourne à l'autre bout du champ,
en traçant un sillon simple ou double . Quand les roues du
1
(1) Dans les terres suffisamment légères, la machine à vapeur peut
toujours mettre en mouvement une charrue à deux socs et faire le
double du travail que ferait une charrue simple.


176 MODE DE CULTURE
tambour ont fonctionné sur toute la longueur de leur flèche,
la machine et ses accessoires sont déplacés précisément
d'un espace égal à leur propre longueur, et le travail se
continue ainsi jusqu'à ce que tout le champ soit labouré .
1
La machine et ses accessoires occupent les mêmes posi-
tions pour préparer la surface du sol, sarcler, biner et but-
ter les cannes, amener au bord du chemin les cannes récol-
tées, distribuer sur le sol le marc de cannes et les autres
engrais, niveler les billons et enfouir la fumure de marc de
cannes ; la manière de faire fonctionner la machine peut
seulement varier selon le genre de besogne à exécuter. Par
exemple, pour l'enlèvement des cannes récoltées, les bottes
de cannes sont accrochées par une disposition fort simple
à la courroie sans fin ; cette courroie, p a r un mouvement
lent, amène les bottes de cannes jusque auprès de la ma-
chine à vapeur ; parvenues là, les bottes sont successive-
ment reprises par une autre petite courroie qui les dépose
sur les chariots amenés tout contre la machine (fig. 3).
Ainsi, à partir du moment où la courroie sans fin est mise
en mouvement, il n'y a pas de temps d'arrêt ; ceux qui lient
les bottes se démènent activement pour être toujours prêts
à les livrer à la courroie qui doit les emporter, sans inter-
ruption. Quand les chariots sont chargés de bottes de
cannes, le mécanicien arrête la machine, dégage la courroie
sans fin, et dispose tout pour que la même machine puisse
remorquer les chariots jusqu'au moulin de la sucrerie, où ils
laissent leur charge de cannes et prennent pour le retour
une charge de bagasse. Revenue à sa première station, la
machine à vapeur reprend la courroie sans fin, au moyen
(1) Pour effectuer cette besogne, la machine doit être protégée par
une bonne couverture.

.
3

Figure
12


MODE DE CULTURE DE LA CANNE. 179
de laquelle la bagasse fraîche est distribuée comme fumure
à la surface du champ ; des ouvriers, hommes et enfants,
stationnant à des distances régulières, recommencent à
accrocher les bottes de cannes qui doivent être enlevées.
Aussitôt que les chariots sont rechargés, les hommes se
hâtent de se remettre à lier les bottes de cannes, tandis que
les enfants travaillent à distribuer également la bagasse
dans les raies ; puis la machine et ses dépendances font
quelques pas en avant pour prendre une nouvelle position
et recommencer l'enlèvement des cannes et le chargement
des chariots. L a courroie sans fin agit ainsi successivement
sur toute la surface du champ, emportant les cannes et r a p -
portant la bagasse à mesure qu'elle avance. Pour activer et
faciliter la besogne, il est bon d'avoir un nombre suffisant
de liens pour les cannes ; ce sont tout simplement des bouts
de cordes de 12 millimètres de diamètre, d'environ 1 mètre
de long, bien goudronnés, avec un crochet de fer ou un
anneau à chaque bout. On s'en sert pour lier ensemble p l u -
sieurs petites bottes de cannes en une plus grosse que la
chaîne sans fin fait arriver jusqu'aux chariots. Quelques
liens semblables, mais plus longs, seront très utiles pour
rattacher les paquets de bagasse telle qu'elle sort du
moulin, afin que les chariots puissent, sans embarras ni
retard, emporter ces paquets sur le sol à amender. Le
même moyen de transport et d'épandage du sable et de
toute espèce d'engrais serait plus économique que tout
autre.
On remarquera qu'il faudrait que les chemins fussent
bien dégradés pour que leur mauvais état pût être objecté à
l'emploi de la vapeur comme force motrice pour le trans-
port des cannes au moulin et des fumiers sur les terres. Les

180 MODE DE CULTURE
machines ayant des roues larges et avançant avec lenteur,
les chemins par leur passage ne seraient pas défoncés, et
les machines elles-mêmes ne seraient pas endommagées par
des secousses trop violentes, E n fait, ni les chariots ni les
bœufs d'attelage n'auraient plus besoin de circuler sur les
chemins de la plantation ; par conséquent, partout où il y
aurait des ornières, elles seraient l'œuvre des machines à
vapeur et de leurs chariots ; mais comment les chemins en
mauvais état seraient-ils excusables, si l'on disposait à vo-
lonté d'un travailleur aussi fort et aussi actif que la machine
à vapeur? En toute saison les chemins pourraient être ré-
parés, nivelés et sablés par la machine elle-même quand
elle n'aurait rien à faire de pressé; les chemins seraient
donc entretenus constamment dans le meilleur état possible.
Les chemins publics que la machine pourrait avoir à par-
courir pour transporter les produits jusqu'au port ne se-
raient peut-être pas des meilleurs ; mais, comme je l'ai fait
observer plus haut, il ne serait pas nécessaire d'aller bien
vite; au contraire, on devrait avancer lentement pour ne
pas trop secouer la machine. Souvent il arrivera que la plan-
tation sera située sur le bord d'une rivière, ou bien elle
aura communication avec une crique de la côte ; dans ces
deux cas, il n'y aurait pas de nécessité d'employer les cha-
riots au transport des produits de l'exploitation. Il y a
d'autre part bien des plantations dont la situation, par rap-
port au port de mer le plus prochain, ne permet pas l'em-
ploi de la machine à vapeur pour l'envoi des denrées à
exporter et le transport de la houille en retour. Je pense
néanmoins que, sur dix plantations pouvant être entière-
ment cultivées à la charrue, il y en a huit où la machine à
vapeur peut faire les labours et les transports ; quand même

DE LA CANNE. 181
il y aurait nécessité d'avoir en outre quelques animaux de
service, cela n'aurait pas de bien graves conséquences.
La machine à vapeur peut toujours être utilement em-
ployée au drainage des terres, comme elle l'est à Démérary ;
sa force étant appliquée à toute sorte de travaux pendant
le jour, lorsque vient la nuit, on l'embarque pour l'adaptera
la machine à drainer ; elle y travaille toute la nuit et revient
le matin à sa besogne de tous les jours.
Quand les terres doivent être irriguées comme elles le
sont dans les Indes orientales, la machine à vapeur peut
être d'un grand secours pour élever l'eau, aux heures où
l'on n'a pas besoin de sa force pour d'autres usages; ainsi,
lorsqu'il existe sur la plantation un grand réservoir, on
peut le remplir pendant la nuit et en appliquer l'eau à l'ir-
rigation pendant le jour suivant. L'irrigation peut aussi
avoir lieu pendant les nuits de clair de lune, de même que
souvent on donne les labours aux terres pendant la nuit
dans l'Indostan durant les mois d'avril, mai et juin.
Le sciage du bois et le planage des planches pour les
besoins des plantations sont assurément au nombre des
travaux les plus utiles que puisse exécuter la machine à va-
peur, surtout quand on peut se procurer du bois de char-
pente en grande quantité, comme cela est possible dans
l'Indostan, dans les colonies des détroits malais et dans
quelques parties des Indes occidentales ; ce travail exige, à
la vérité, que le planteur fasse l'acquisition d'une scie de
forme circulaire, instrument à bas prix, quoique suffisam-
ment bien approprié à sa destination, et d'une machine à
aplanir les planches, également simple et à bon marché. Le
meilleur modèle de ce dernier instrument est le planeur
américain breveté.

182 MODE DE CULTURE
Ainsi que je l'ai dit plus haut, ce fut pendant le cours de
mes travaux comme planteur que l'idée d'une machine à
vapeur mobile, telle que je viens de l'indiquer, s'offrit à mon
esprit, ainsi que la nécessité de substituer le travail par la
vapeur au travail des animaux d'attelage ; ce ne fut que
longtemps après que j'appris que la même idée avait été
mise en avant par M. W h i t t y . Plus tard, je sus en effet
que M. W h i t t y avait proposé quelque chose de ce genre;
si ma mémoire est fidèle, la machine qui, en qualité de
locomotive, devait faire les labours, les transports et les
autres travaux analogues, était aussi destinée à broyer les
cannes. Je n'ai jamais connu les plans de M. W h i t t y dans
tous leurs détails ; j ' a i seulement entendu dire très vague-
ment qu'il avait proposé ce que j e viens d'énoncer. Toutes
les explications dans lesquelles je viens d'entrer m'appar-
tiennent donc en propre; j'en ai combiné les plus minu-
tieuses particularités, après une étude approfondie.
Revenons de cette longue digression au système de cul-
ture des planteurs de Démérary. Il est bon de faire obser-
ver que la qualité inférieure du jus de leurs cannes tient en
grande partie à deux erreurs, dont la première consiste à
ne pas les éclaircir pendant leur croissance, et la seconde,
à les laisser couchées sur la surface du sol . La première
1
erreur est assurément fort grave, et la seconde ne l'est pas
moins ; elles donnent d'autant plus de prise à la censure que
les frais à faire pour y porter remède seraient amplement rem-
boursés par l'accroissement en quantité et la qualité supé-
rieure du sucre que les colons obtiendraient de leurs cannes.
(1) Mes informations sur ce sujet portent entièrement sur le té-
moignage d'autrui ; je serais mortifié et désappointé s'il se trouvait
que j'eusse été mal renseigné.

DE LA CANNE.
183
§ 2 5 . — Eclaircissement et buttage des cannes à Démérary.
L'opération d'éclaircir les cannes est simple et peu dis-
pendieuse; les avantages qui en résultent sont évidents.
Pourquoi le planteur de Démérary hésite-t-il à faire usage
d'un moyen si facile d'augmenter la richesse en sucre du jus
de ses cannes ? Le procédé pour empêcher les cannes de
tomber sur le sol est plus coûteux ; mais c'est une difficulté
facile à surmonter à l'aide de la charrue et de la machine à
vapeur établie sur un bateau; car les cannes, à mesure
qu'elles croissent, peuvent être buttées une, deux, trois fois,
jusqu'à ce que le buttage soit suffisamment relevé ; alors
les cannes, bien consolidées à leurs racines, ne tomberont
pas, ou du moins il n'en tombera qu'une très petite partie.
Après le dernier buttage, il sera bon d'employer quelques
ouvriers à donner aux billons la netteté et la solidité dési-
rables ; cette besogne peut être très rapidement expédiée
avec la houe et la bêche. Quel que soit le montant de la d é -
pense nécessaire pour ces opérations, il ne saurait être com-
paré aux avantages qui en résultent. Mais pour faire pro-
duire aux applications de ce système tout le bien qu'on en
peut attendre, il faut que les cannes soient plantées en lignes
pour le moins espacées entre elles d'un mètre 80, et que le
sol ait été drainé à fond ; en prenant toutes ces mesures
avec l'attention nécessaire, le jus des cannes récoltées
dans les mêmes champs passe de 6 ou 7 degrés au saccha-
rimètre à 8 ou même 11 degrés, ce qui, pour la totalité
d'une récolte, donne une énorme différence en faveur d'une
plantation.
Un colon français, homme fort entreprenant, établi dans

184 MODE DE CULTURE
une des colonies des détroits malais, essaya dans un ou
deux de ses champs, au sol bas et marécageux, de suivre
la méthode en usage à Démérary sans éclaircir les cannes
et sans les butter. Toutes les cannes versèrent et s'allon-
gèrent outre mesure sur le sol. Récoltées à l'âge de quinze
mois, leur jus ne donna pas plus de 5 degrés au sacchari-
mètre ; cet essai le dégoûta de la culture à la façon de
Démérary ; il permit désormais à ses Chinois de suivre leur
méthode, d'éclaircir et de butter les cannes comme cela se
pratiquait sur les autres champs de son exploitation.
§ 26. — Mauvais émigrants chinois (jail birds) à la Trinité
et à l'île Maurice.
Si l'émigration chinoise venait à se réaliser selon les vues
que j ' a i exposées, les Chinois ne tarderaient pas à rendre
manifestes les bons effets de leurs procédés de culture dans
les plantations de Démérary. J e pense que, de toutes les
manières de cultiver la canne, c'est la leur qui convient le
mieux à cette colonie. Quelques émigrants chinois, si je
suis bien informé, furent une fois introduits de Singapore
où de Pinang à la Trinité ; on s'accorde à reconnaître que
cette importation ne répondit pas à ce qu'on en avait espéré;
j e crois qu'à l'île Maurice, on éprouva d'un essai semblable
le même désappointement. Mais, lorsque j'habitais Pinang
et Singapore, on m'a maintes fois rapporté qu'on avait em-
barqué pour Maurice et la Trinité le véritable rebut des
Chinois, un ramas de vagabonds si bien connus pour ce
qu'ils étaient à Singapore, Pinang et Malacca (sans parler
des colonies hollandaises) que les habitants de ces colonies
ont saisi comme une bonne fortune l'occasion de les em-

DE LA CANNE.
185
barquer pour des pays lointains. Ces gens se trouvaient
de leur côté fort heureux d'émigrer, d'abord dans l'espoir
de récolter de riches produits dans les pays vers lesquels
on les dirigeait, ensuite parcequ'ils avaient commis tant de
méfaits dans les colonies des détroits malais qu'ils savaient
que la justice surveillait leur conduite et que leur séjour y
devenait impossible. Ainsi les planteurs de Maurice et de la
Trinité, au lieu de recevoir un bon nombre de travailleurs
sobres, honnêtes et laborieux, avaient vu s'abattre sur eux
une bande de malfaiteurs, de gibiers de potence.
Causant un jour de l'émigration des Chinois aux Indes
occidentales avec un grand propriétaire d'une des colonies
des détroits malais : » Fort bien, me dit-il ; s'ils ont besoin là-
bas d'émigrants Chinois, j'espère qu'ils enverront encore ici
pour s'en procurer; car, la dernière fois, nous avons ra-
massé pour les leur expédier tous les vauriens et les vaga-
bonds dont nous avons nettoyé le pays. Aujourd'hui, soit
parceque les Hollandais expédient à Singapore leurs Chinois
repris de justice, soit pour d'autres raisons encore, il y a
dans les colonies des détroits un véritable encombrement
de filous et de voleurs ; quelques cargaisons de ces honnêtes
gens à expédier sur Maurice, la Trinité et la Jamaïque
feraient parfaitement notre affaire ; nous nous empresserions
de les embarquer au plus vite. »
Après cela, je serais fort étonné que les planteurs de
ces colonies eussent eu à se louer de semblables émigrants.
Enfin, on doit bien s'attendre à ce que l'importation d'un
tel rebut de leur nation ait produit contre les Chinois et leur
caractère une impression défavorable ; je ne doute même
pas que le souvenir de leurs méfaits ne s'y soit conservé
aussi vivace que pénible. Il n'est cependant que juste de

186 MODE DE CULTURE
tenir compte de la différence entre les bons et les méchants,
à quelque nation ou à quelque classe qu'ils appartiennent ;
mais, quoique sans nul doute il doive s'être trouvé parmi
ces émigrants quelques hommes récemment arrivés de la
Chine, honnêtes gens au moment de leur embarquement,
la majorité étant mauvaise, la contagion du mal a dû se ré-
pandre sur tous.
§ 2 7 . Culture de la canne aux colonies des détroits malais.
La culture de la canne à sucre dans les colonies des dé-
troits malais ne remonte qu'à une date très récente; ses
particularités sont généralement peu connues; je crois, par
ce motif, devoir entrer dans quelques détails sur la tenue
des terres et quelques autres objets qui ne manquent point
d'intérêt. Dans la province de Wellesley, les planteurs
achètent directement leurs terres à la compagnie des Indes
orientales, sur le pied de 5 roupies l'acre (environ 12 f. 50 c.
les 40 ares ou 31 francs l'hectare). La terre ainsi vendue
devient pour l'acheteur propriété incommutable. A Malacca,
les terres sont concédées moyennant le service d'une rente
à un taux très bas, ou bien louées par bail une roupie l'acre
par an ( 6 fr. 25 c. l'hectare). A Singapore, on n'a pas encore
adopté de système fixe à cet égard ; mais en même temps
les terres cultivées sont frappées d'une certaine rente par
an, au moins celles qui sont exploitées par des Européens.
Quant aux cultivateurs chinois établis dans le pays, ils
semblent agir absolument comme il leur plaît sous ce rap-
port; ils cultivent une terre aussi longtemps qu'on ne leur
réclame pas de loyer. S'agit-il de payer une rente : ils
abandonnent à l'instant leur culture et vont défricher un

DE LA C A N N E . 187
autre morceau de terrain, prêts a décamper de même dès
qu'une rente leur sera demandée. Dans l'île de Pinang
même, il n'y a qu'une seule plantation où la canne soit cul-
tivée; mais sur la côte opposée de la province de W e l -
lesley, il existait au mois de mai dernier (1849) treize plan-
tations et deux en projet appartenant à des Européens;
plus de 1,000 acres (400 hectares) étaient en outre culti-
vées en cannes par plusieurs Chinois.
Quelques-unes de ces plantations n'ont pas moins de
500 acres (200 hectares) chacune en culture de cannes;
elles sont cultivées par des Chinois qui travaillent à l'en-
treprise ; elles ont toutes d'excellentes machines à vapeur,
des évaporateurs perfectionnés, des concentrateurs (dont
un par le vide) et des alambics de cuivre. A Malacca, toutes
les plantations de cannes ont été établies par des E u r o -
péens; le gouvernement local ( sauf l'approbation du gou-
vernement du Bengale) a concédé pour cette destination
des terres d'une grande étendue à un Français et à un Alle-
mand du Hanovre ; ils ne doivent payer aucune rente pen-
dant cinq ans, après quoi ils payeront une redevance de
60 centimes par acre ( 1 fr. 50 c. par hectare) pour tout le
temps pendant lequel Malacca restera au pouvoir de la
Grande-Bretagne.
A Singapore, il y a deux plantations, dont l'une a
200 acres (80 hectares) et l'autre 300 acres ( 120 hectares )
cultivées en cannes. La première a une machine à vapeur,
la seconde dispose d'un cours d'eau pour faire tourner une
roue de moulin. Il y a donc en tout, dans les colonies des
détroits, seize plantations en pleine activité et quatre en
voie de formation ; il reste à Malacca et à Singapore une
grande étendue de terres incultes disponibles, admirable-

188 MODE DE CULTURE
ment appropriées à la culture de la canne à sucre; ces
terres attendent des bras et des capitaux .
1
Les terres livrées à la culture de la canne dans la pro-
vince de Wellesley sont basses ; tant qu'elles n'ont pas été
drainées, elles sont humides et marécageuses. Il y a donc
nécessité de creuser des fossés et des canaux; le travail et
les frais pour cet objet sont, comme on le verra, partagés
par égales portions entre le planteur et les entrepreneurs chi-
nois qui cultivent sa propriété.
Lorsqu'un planteur achète une pièce de terre, on lui en
remet une sorte de plan grossièrement tracé, au bureau de
la vente des terres du domaine ; il en détermine d'après ce
plan les limites avec le compas, la chaîne et la règle d'ar-
pentage ; il mesure le tout et place des blocs de granit debout
pour tenir lieu de bornes. Il dresse le plan de ce qui lui
appartient; ce plan lui sert jusqu'à ce que l'arpenteur
du gouvernement puisse être envoyé pour en lever un
plus correct.
Les Chinois viennent alors s'offrir à cultiver certaines
portions de terrain, conformément aux prix et conditions
en usage ; il en résulte des engagements qui comprennent
généralement de 25 à 50 orlongs par congsée ou compagnie
de Chinois. L'orlong (mesure locale) est de 240 pieds
carrés anglais ; c'est à peu près un are et un tiers. Le
modèle d'acte ci-dessous peut donner une idée générale
suffisamment exacte de la plupart des actes semblables ac-
tuellement en vigueur dans la province Wellesley.
(1) A Pinang et dans la province de Wellesley, les terres de pre-
mier choix pour la culture de la canne sont dès à présent occupées.

DE LA CANNE.
189
§ 28. — Contrats avec les Chinois dans la province de Wellesley. —
Plantations de canne à sucre dans cette province.
Nous, Leong Appong et Lim Allowee, Chinois, cultiva-
teurs de canne à sucre, nous engageons comme suit, par le
présent contrat, vis-à-vis de M. James Smith, propriétaire
de la plantation de L'Espérance, province de Wellesley.
Nous entreprenons la culture de 50 orlongs de terres in-
cultes, qui seront mesurés en notre présence sur la plan-
tation de L'Espérance ; nous devrons couper, enlever et
brûler toutes les broussailles croissant sur ces terres
(sauf les arbres, s'il s'en rencontre), arracher toutes les
touffes d'herbes, toutes les racines, et les détruire à fond
en les brûlant.
Nous défoncerons ladite terre à la houe selon l'usage du
pays; nous y planterons des cannes en lignes à 1 .80 de
m
distance; nous remplacerons celles qui manqueraient; nous
devrons biner, sarcler, butter, éclaircir les cannes, et les
soigner sous tous les autres rapports jusqu'à l'époque de la
maturité ; alors, sur l'ordre qui nous en sera donné, nous
devrons les couper, les lier en bottes et les déposer sur le
bord d'un chemin, ou bien les charger sur des bateaux pour
qu'elles soient portées au moulin.
Nous creuserons tous les fossés principaux et les fossés
qui couperont les premiers à angle droit, qui seront jugés
nécessaires sur nos 50 orlongs ; la terre, si cela nous est
ordonné, sera déposée sur l'un des côtés pour servir de
chemin; nous entretiendrons les fossés toujours propres.
Nous emploierons et mettrons immédiatement à l'ou-
vrage sur cette terre cinquante laboureurs chinois, bons

190 MODE DE CULTURE
ouvriers ; jusqu'à ce que la totalité des 50 orlongs de terre
soit plantée en cannes et que les jeunes cannes aient reçu
leur second buttage, nous entretiendrons nos cinquante
ouvriers au complet ; après quoi nous serons libres d'en
réduire le nombre à vingt-cinq, constamment occupés sur
la plantation.
Nous obéirons à tous les ordres qui nous seront donnés
par M. James Smith ou ses délégués, concernant l'exécution
du présent engagement.
M. James Smith, pour nous mettre en état de remplir
nos obligations, nous avancera la somme de 250 dollars
(1,312 fr. 50 c. ) que nous emploierons à acheter des houes
et d'autres instruments de travail, à bâtir une maison lo-
geable pour nos ouvriers, et à faire provision de vivres,
d'objets indispensables, d'ustensiles de cuisine, etc., etc.
M. James Smith nous avancera par homme 4 dollars
(21 francs) par mois de trente journées de travail; les
journées seront vérifiées par l'agent malais de M. James
Smith, qui fera l'appel nominal de nos hommes le matin et
le soir.
Quand les cannes provenant du terrain cultivé par nous
seront livrées à la fabrication, le nouveau sucre dans le re-
froidissoir sera pesé en notre présence ; pour chaque picul
de nouveau sucre obtenu par lui, M. James Smith nous
payera 1 dollar et 1/4 (6 fr. 56 c. ), sur quoi il retiendra les
avances mentionnées ci-dessus, et toute autre avance qu'il
pourrait nous avoir faite.
Tous les comptes seront clos et soldés un mois après que
les cannes auront été travaillées pour l'extraction du sucre.
Moi James Smith , j'approuve et j'accepte l'engagement
ci-dessus, et je m'engage ici à en exécuter la part qui me

DE LA CANNE. 191
concerne ainsi qu'à faire les avances nécessaires, pourvu,
bien entendu, que les conditions convenues soient bien et
loyalement exécutées.
Signé : James SMITH. — Leong APPONG. — Lim ALLOWEE.
— Province de Wellesley, janvier 184 . — S i g n a t u r e s de
deux témoins. )

Aussitôt que l'engagement est ainsi contracté, le plan-
teur trace sur le terrain les chemins et les fossés ; le creu-
sement des canaux et fossés est pris à l'entreprise, généra-
lement au prix d'un centième de dollar ( un peu plus de
5 centimes) pour 10 pieds cubes anglais de terre dépla-
cée; c'est le prix que j ' a i moi-même payé plus d'une fois.
(Ce prix revient à peu près à 4 fr. 80 centimes par mètre
cube.)
Tous les fossés secondaires et ceux qui les croisent dans
chaque lot de terrain sont creusés par les Chinois, à leurs
frais ; ils débouchent directement dans les canaux ou fossés
principaux qui en reçoivent les eaux. Le planteur n ' a pas
de grands frais à supporter pour ses chemins d'exploita-
tion ; de chaque côté de l'espace indiqué comme l'emplace-
ment d'un chemin, les Chinois creusent un fossé dont la
largeur est ordinairement de quatre pieds (1 .20) ; ils r e -
m
jettent au milieu la terre prise dans ces fossés ; elle y reste
jusqu'à ce qu'elle soit bien sèche ; c'est la part du cultiva-
teur dans cette besogne ; il reste au planteur à faire enlever,
comme son engagement l'y oblige, la terre superflue en la
nivelant avec soin, pour avoir son chemin terminé; un peu
de sable répandu plus tard à la surface le rend aussi so-
lide que l'exigent les besoins du service.
Quand les entrepreneurs chinois voient leur terre prête à
être plantée, ils ont recours au planteur pour avoir des

192 MODE DE CULTURE
boutures de cannes. Celui-ci est obligé d'en acheter chez
ses voisins ; il les paye rendues sur le terrain, environ un
dollar le mille (5 fr. 25 centimes). Ce sont, à ce prix, des
boutures de choix ; lorsqu'elles sont plantées avec assez de
soin, il en manque rarement une seule. Les Chinois sont très
portés à planter deux boutures dans le même trou, ce qui
fait qu'il leur faut de 7 à 8 mille boutures de cannes pour
chaque orlong de terre, tandis qu'en bon terrain, si les bou-
tures sont de bonne qualité, les lignes étant à l . 8 0 de di-
m
stance entre elles, 4,000 boutures par orlong sont suffi-
santes, bien entendu, en ne plantant qu'une bouture dans
chaque trou au lieu de deux . J e suis toutefois porté à
1
regarder 5 dollars (26 fr. 25 centimes) comme une moyenne
raisonnable de ce que doivent coûter les boutures par or-
long ; ces frais sont à la charge du planteur. D'ici à peu de
temps, les boutures de cannes pour les plantations seront
à beaucoup plus bas prix. Jusqu'à présent, les planteurs qui
ont de nouvelles exploitations à établir se sont fait concur-
rence comme acheteurs de cet article.
Les portes d'écluses sont construites aux points les plus
convenables ; le soin de les ouvrir et de les fermer à propos
est confié à un garde spécial ; fort souvent l'entrepreneur
chinois qui cultive les champs tenant à l'écluse est investi
de ces fonctions.
E n ce qui concerne la culture, le planteur n'a pas d'autre
article de dépense à supporter que ceux qui viennent
d'être énumérés, il a seulement à se préoccuper de veiller
(1) Dans la province de Wellesley, les lignes de cannes sont sou-
vent plantées à huit ou neuf pieds les unes des autres (2 .40
.70),
m
à 2.m
mais, c'est seulement dans les terres les plus riches, provenant de
forêts récemment défrichées.


DE LA CANNE. 193
à ce que les entrepreneurs emploient constamment le nombre
d'ouvriers convenu, et qu'ils remplissent bien les conditions
de leur contrat. Quelques inspections personnelles du plan-
teur et la surveillance assidue de son régisseur malais suffi-
sent largement pour obtenir ce dernier point ; le planteur
dispose donc de la plus grande partie de son temps pour
établir sa sucrerie et travailler sa récolte lorsqu'elle arrive à
maturité.
De cette manière, le sol est défriché et mis en culture
avec le plus possible de régularité, de méthode et de satis-
faction pour le planteur. Là où la configuration du sol le
permet, les pièces de terre sont partagées en comparti-
ments carrés égaux entre eux, séparés par des chemins et
des fossés, les uns parallèles, les autres à angle droit. Les
bâtiments d'exploitation sont toujours placés sur l'un de
ces compartiments choisi avec soin, aussi central que p o s -
sible, satisfaisant à plusieurs conditions essentielles, comme
la proximité de l'eau potable, d'un cours d'eau navigable,
du bois à brûler : on a égard aussi à la salubrité de l'habi-
tation, etc., etc.
Au point de vue de ces derniers avantages, les colonies
de la province de Wellesley, de Malacca et de Singapore
sont particulièrement favorisées; il y faut ajouter la fer-
tilité supérieure du sol et l'abondance des vivres de toute
espèce.
Dans des circonstances si éminemment favorables, il est
facile de conjecturer que le sucre peut être produit à un prix
de revient peu élevé : c'est en effet ce qui a lieu ; mais il
n'est pas du tout certain pour cela que le planteur sache
(dans ces colonies) se mettre réellement en état de livrer le
sucre à bon marché. Pour expliquer cette anomalie, il est
1 3

194 MODE DE CULTURE
nécessaire de faire remarquer que la canne est cultivée en-
tièrement à la main; la houe (chankol) est l'instrument le plus
en usage ; la charrue n'a été essayée qu'à titre d'expériences
partielles.
Comme exception à cette coutume générale, je dois men-
tionner la plantation d'un Américain, homme entreprenant
établi à Singapore, chez lequel la charrue a été en usage
sur une grande échelle. Sauf cette exception, mon assertion
subsiste rigoureusement exacte, et l'on conçoit quelle lourde
taxe pèse sur les produits d'une plantation par l'emploi ex-
clusif du travail humain. Il est assurément au pouvoir des
planteurs de changer de système. Je sais bien qu'au com-
mencement, les Chinois s'y opposeraient énergiquement;
mais c'est là un obstacle de peu d'importance dont on peut
triompher avec un peu de persévérance et de fermeté. Jus-
qu'à ce jour, diverses excuses ont pu être alléguées ; les
trois quarts des plantations actuelles sont nouvellement
établies ; les souches et les racines dont le sol est encore
obstrué rendent l'action de la charrue difficile et dans quel-
ques localités tout à fait impossible. Mais il arrive neuf
fois sur dix que, partout où le sol a été cultivé en cannes
pendant un an ou deux, cet empêchement n'existe plus ; dès
lors le planteur qui n'adopte pas les labours à la charrue
peut être taxé avec justice de nonchalance excessive et de
véritable folie.
On remarquera que les contrats en usage dans la province
de Wellesley stipulent expressément l'entier enlèvement et
la destruction complète des racines et des souches des arbres
et des buissons; partout où le planteur surveille les entre-
preneurs de ses cultures, cette clause est exactement rem-
plie; après la première récolte, la charrue et les autres

DE LA CANNE. 195
instruments d'une bonne agriculture peuvent fonctionner
librement.
§ 29. — Nécessité des labours à la charrue. — Eléphants, buffles
et bœufs de labour, etc.
On peut se procurer, dans les colonies des détroits, des
centaines de jeunes éléphants pleins d'activité, au prix de
60 à 100 dollars pièce (260 à 525 francs), admirablement
appropriés aux travaux de toute sorte à faire dans une
plantation, mais particulièrement au labourage. Un de ces
animaux peut labourer à fond dans une journée une acre
de terre (40 ares) sans s'imposer le moindre excès de fatigue;
il faut seulement qu'il soit dirigé par son cornac, indépen-
damment du laboureur qui tient la charrue. Pour faire la
même besogne, c'est-à-dire pour défoncer à la houe (chankol)
une acre de terre dans un jour, il ne faut pas moins de cin-
quante laboureurs chinois ; c'est un fait que personne ne
peut contester. N'est-il pas évident d'après cela que, j u s -
qu'à ce que la charrue soit généralement adoptée pour les
labours, il est impossible de savoir au juste à quel bas prix
de revient le sucre peut être produit dans les colonies des
détroits? Quiconque visite Singapore peut voir un petit
dépliant nommé Rajah, labourant tous les jours sur les
plantations du consul américain M. J. Blaestier, esquire.
Bien que cet animal n'ait pas plus de cinq ans, il laboure avec
la plus grande facilité son acre de terre par j o u r ; maintes
fois je me suis promené sur cet éléphant, et j ' a i tracé un
sillon avec lui; j ' a i toujours été charmé de sa manière de
travailler. Un homme tient la charrue; un autre (le cornaci
marche à côté de l'éléphant et dirige sa besogne.

196 MODE DE CULTURE
Cette docile petite créature obéit à chaque parole qu'on
lui adrese, et, bien qu'il laboure toute la journée à portée
des champs de canne à sucre, Rajah n'en prend jamais une
seule, bien qu'à coup sûr il doive en être vivement tenté.
Je garantis qu'il ne faut pas, j e le répète, moins de cin-
quante Chinois pour labourer la même étendue de terrain
que j ' a i vu maintes fois ce petit éléphant labourer en une
journée. Mais, indépendamment des éléphants, les buffles
et les bœufs d'attelage sont en abondance dans les colonies
des détroits ; ils n'y valent pas plus de 10 dollars la pièce
en moyenne (52 fr. 50 c.) ; ces bestiaux, bien nourris et bien
gouvernés, sont excellents pour exécuter les labours et les
autres travaux des plantations.
§ 30. — Force motrice la plus économique pour la charrue. — Frais
de la culture à la charrue. — Différence de frais entre ce labour et
le labour à la houe.

Mais, dans ces colonies, une petite machine à vapeur
portative est de toutes les forces à employer celle qui peut
le mieux répondre aux besoins du planteur pour son exploi-
tation. Avec cette force, il peut labourer ses terres, en
pulvériser la surface, bref, accomplir tous les genres de
travaux spécifiés ci-dessus (page 89), à l'exception du
transport des produits à la mer, ce qui, dans ce pays, n'est
nullement nécessaire, puisque partout les transports par
eau y sont faciles et extrêmement économiques. Une ma-
chine de ce genre est particulièrement bien adaptée aux
conditions économiques des plantations des provinces de
Wellesley, de Malacca et de Singapore, en raison de l'iné-
puisable provision de bois dur dont les colons y disposent,
de la nature basse et marécageuse des terres où les cannes

DE LA CANNE. 197
sont habituellement cultivées, et des chances de perte que
peuvent occasionner les éléphants, les buffles et les bœufs,
sans parler de l'immense économie qui peut en résulter
dans toutes les branches de l'exploitation. Je ne puis donc
trop vivement recommander l'utilité de ces machines à va -
peur portatives à toute l'attention des planteurs dans les
colonies des détroits. Mais, en dehors de l'application de
cette force motrice à la charrue et aux autres instruments
de culture, considérons une plantation dans l'une de ces
colonies, où toutes les terres défrichées sont labourées par
les moyens applicables et disponibles dans l'état actuel des
choses, au lieu de l'être par la houe si coûteuse et si insuffi-
sante, et voyons le petit nombre de faits saisissants qui
vont s'offrir d'eux-mêmes à notre examen.
Dans les trois colonies des détroits malais, le taux des
gages alloués au moment où j'écris (1849) aux cultivateurs
chinois est de 3 dollars par mois (15 fr. 75 c ) . A Singa-
pore, dans la plantation du docteur Montgomerie, les enga-
gements avec les entrepreneurs chinois sont exactement les
dénies sous tous les rapports que ceux que j ' a i rapportés
ci-dessus (page 189). Il y a seulement une différence maté-
rielle importante en ce que l'avance stipulée à faire aux
entrepreneurs n'est que de DEUX DOLLARS p a r homme et par
mois (10 fr. 50 c ) , au lieu de QUATRE DOLLARS, montant de
l'avance par homme et par mois stipulée habituellement
jusqu'à ces derniers temps dans la province de Wellesley.
Maintenant que le travail des Chinois vigoureux, patients
et intelligents ne coûte plus que 3 dollars p a r mois, le sucre
Peut être produit à très bon marché, même quand tout le
travail de la culture s'exécute à bras d'hommes, avec la
houe. Mais de combien le bas prix de revient du sucre ne

198 MODE DE CULTURE
peut-il encore être diminué, si ce travail à si bon marché est
combiné avec la culture par des instruments perfectionnés,
et la fabrication du sucre par les procédés et les appareils
scientifiques les plus parfaits? Dans la pratique actuelle, un
entrepreneur chinois qui s'engage à cultiver une terre ayant
déjà produit des cannes emploie pour 50 orlongs, qui font
environ 67 acres (26 hectares 80 ares), vingt-cinq à trente
laboureurs constamment occupés ; il tombe ordinairement
d'accord avec le planteur de recevoir comme paiement défi-
nitif UN DOLLAR (5 fr. 25 c.) par picul de sucre granulé pro-
duit par les cannes provenant de ses cultures.
§ 31. — Labours par des éléphants ou par des buffles.
Mais, si l'entrepreneur chinois emploie une paire de
jeunes éléphants actifs et bien dressés ou une dizaine de
bons buffles, pouvant, comme je l'ai dit, avoir les deux élé-
phants pour 150 dollars (787 fr. 50 c.) et les dix buffles pour
100 dollars (525 francs), il ne lui faut plus avec les élé-
phants que quatre hommes, et avec les buffles que huit
hommes pour faire travailler ses attelages. Cela lui permet
de cultiver 50 orlongs (26 hectares 80 ares) avec quatorze
hommes et deux éléphants; il a, en cas de besoin, deux
charrues ou autres instruments attelés, et dix laboureurs
constamment à la besogne. Quand il n'a pas besoin des élé-
phants, il dispose de trois hommes de plus, un homme étant
suffisant pour soigner et garder les deux éléphants; il a
donc toujours dix hommes, et quelquefois treize, dispo-
nibles pour planter les cannes, les butter, et faire les autres
travaux de culture. De cette manière, bien que l'entrepre-
neur paye ses ouvriers sur le pied de 4 dollars par homme

DE LA CANNE. 199
et par mois pendant quinze mois, il ne dépense en main-
d'œuvre que 840 dollars. Si l'on ajoute à cette somme, pour
la nourriture des éléphants, 200 dollars; pour l'aménage-
ment de la congsée ou compagnie chinoise, 60 dollars ; pour
le bénéfice de l'entrepreneur sur 50 orlongs cultivés, à rai-
son de 10 dollars par orlong, 300 dollars ; on trouve que le
total des frais de culture, y compris la récolte des cannes,
se monte à 26 dollars par orlong, soit 1,300 dollars
(6,825 francs). On peut hardiment estimer le rendement en
sucre des cannes de cette terre à 40 piculs de sucre non
séché par orlong, soit pour 50 orlongs 2,000 piculs. S'il est
payé sur le pied de 65 centièmes de dollars, le sucre rend
à très peu près 1,300 dollars, ce qui, comme je l'ai montré,
laisse au Chinois entrepreneur de la culture un bénéfice
raisonnable.
On peut évaluer avec sécurité à un tiers la différence
entre le poids du sucre non desséché dont j ' a i fait mention
t le poids du sucre sec prêt à être livré au commerce ;
e
néanmoins, dans la province de Wellesley, où les planteurs
ont d'excellents évaporateurs et où ils opèrent la concen-
tration de leurs sirops d'après le principe de la basse tem-
pérature, le dessèchement des mélasses et la perte sur la
dessiccation ne s'élèvent pas, à beaucoup près, à la propor-
tion d'un tiers. Adoptons toutefois cette proportion; nous
trouvons que 2,000 piculs non desséchés représentent
1,334 piculs de sucre sec marchand, qui ne perdra pas une
once de son poids pendant son transport en Angleterre.
Ce sucre coûte donc au planteur environ un dollar par picul,
ce qui revient à 4 fr. 50 c. environ le quintal pour frais de
culture, sans tenir compte de la valeur des mélasses. On
Peut évaluer la quantité des mélasses à un cinquième, soit

200 MODE DE CULTURE
400 piculs; les mélasses distillées avec les écumes et les
dépôts des chaudières donneront 1,000 gallons d'alcool va-
lant, pris à la plantation, au prix le plus bas, 35 centièmes
de dollar le gallon, soit en totalité 1,400 dollars (7,350 fr.).
On voit que j'ai à dessein alloué un temps largement suf-
fisant pour cultiver et travailler la récolte, tandis que j'ai
évalué le produit au plus bas ; le sol ayant été parfaitement
préparé et travaillé, ce rendement serait certainement plus
élevé en réalité. Une terre bien cultivée, à laquelle on res-
titue la bagasse qu'elle a produite, doit donner par acre
deux tonnes (2,000 kilogrammes) de belle moscouade (cas-
sonade), même en se servant pour la fabrication du sucre
des appareils et des chaudières actuellement en usage dans
les colonies des détroits malais. E n outre, dans les colonies
des détroits malais, jamais les produits ne doivent varier ;
aucune portion des feuilles ni de la bagasse n'étant em-
ployée à d'autres usages qu'à servir d'engrais aux terres,
celles-ci ne peuvent que conserver et même augmenter leur
fertilité.
Ce n'est pas l'usage, dans les colonies des détroits malais,
de laisser repousser les rejetons des cannes, sauf ceux de la
première année; on trouve plus avantageux de renouveler
la plantation après deux récoltes. E n conséquence, quand la
culture se fait exclusivement à la houe, il faut que l'entre-
preneur emploie sur une terre de 50 orlongs, en premier
lieu trente laboureurs, jusqu'à ce que toute sa terre ait été
retournée et plantée, et que les jeunes cannes aient reçu
leur second buttage, ce qui les occupera bien pendant dix
mois, et même au delà. Les cannes étant à ce point, il peut
se débarrasser de cinq de ses hommes ; il en garde vingt-
cinq pour continuer la culture jusqu'à la récolte. Cette

DE LA CANNE. 201
seconde période peut être fixée à huit mois, bien qu'elle en
dure souvent dix ; mais admettons que la durée entière de
la culture soit de dix-huit mois.
30 hommes pendant dix mois, à 4 dollars par mois
chacun, coûteront 1,200 dollars
25 hommes pendant dix mois, à 4 dollars par mois
chacun, coûteront 800
Avances pour l'établissement de la congsée 100
Total des frais de culture 2,100 dollars
2,000 piculs de sucre brut à 1 dollar par picul. . . . 2,000
D'où il ressort pour l'entrepreneur une perte d e . . 100 dollars
C'est à l'entrepreneur à réaliser, s'il peut, un bénéfice sur
les hommes qu'il emploie. Il le peut facilement, parcequ'il
les nourrit et leur rend sur leur solde le reste de leur argent.
Par cet arrangement et l'économie si remarquable des Chi-
nois, l'entrepreneur peut non-seulement gagner sa nourri-
ture et celle de son commis aux écritures, mais encore
avoir quelques dollars dans sa poche au bout du compte.
Ces dollars peuvent être en bien petit nombre ; un déficit
d une centaine de dollars dans les produits peut absorber,
ou peu s'en faut, tout le profit ; mais l'esprit de spéculation
et d'entreprise est vivace chez le Chinois ; il le soutient aussi
longtemps qu'il peut conserver l'espoir d'un bénéfice,
même faible.
Dans les deux suppositions, j'ai estimé le prix de la main-
d'œuvre à 4 dollars par homme et par mois ; mais, ainsi
que je l'ai dit plus haut, ce prix a été réduit dans ces der-
niers temps à 3 dollars, taux auquel il est probable qu'il se
maintiendra.
Cette différence donne lieu à une modification considéra-

202 MODE DE CULTURE
ble dans la position et les bénéfices des entrepreneurs; je
n'ai cependant jamais vu aucune circonstance où le planteur
pût engager l'entrepreneur à accepter moins d'un dollar par
picul. Quoi qu'il en soit, c'est au planteur à s'arranger à ce
sujet avec les entrepreneurs. Il est très évident que, si l'on
compare les deux modes de culture, l'un par la charrue,
l'autre par la houe, la réduction du taux des salaires influera
également des deux côtés, à très peu de chose près, dans la
proportion du nombre des travailleurs employés dans cha-
que système. Il y aura, sans nul doute, une différence à
subir dans le paiement des laboureurs et des cornacs des
éléphants, différence qui sera d'un dollar environ par homme
et par mois; de manière que, tandis que les travailleurs
ordinaires ne recevront que 3 dollars, ceux-là en recevront
4 par mois, peut-être même plus, dans certains cas parti-
culiers, ce qui les rendra attentifs à bien faire leur besogne,
et à ne pas s'exposer à perdre un emploi si bien rétribué.
Là où les buffles seront employés au lieu des éléphants, un
plus grand nombre d'ouvriers sera nécessaire pour les faire
travailler ; mais la différence des frais pourra être portée
au compte nourriture, article pour lequel j ' a i alloué 200 dol-
lars nécessaires pour le fourrage des éléphants.
Je considère les éléphants de petite taille comme préfé-
rables aux buffles, dans une plantation de cannes à sucre
des colonies des détroits ; il n'y a pas de doute qu'un seul
éléphant fera plus d'ouvrage et se rendra plus utile de
toute manière que cinq buffles. E n labourant, l'éléphant
applique son poids à la traction d'une manière particulière
et tout à fait extraordinaire; il maintient une impulsion
constante et tout à fait uniforme, au lieu de ces mouve-
ments vifs et par soubresauts qu'on lui attribue si fré-

DE LA CANNE. 203
quemment. Les éléphants sont plus capables que les buffles
de supporter la chaleur du soleil, et je ne pense pas qu'ils
soient sujets à autant de maladies ; car, avec des soins très
ordinaires, on a vu des éléphants fournir un travail tou-
jours le même pendant plus de cinquante a n s .
1
D'après ce qui précède, en supposant que le planteur ait
à choisir entre la machine à vapeur portative, l'éléphant,
le buffle et le boeuf, selon que ses préjugés ou les condi-
tions économiques de son exploitation peuvent l'y décider,
toujours est-il que la culture de la canne à sucre au moyen
de la charrue et d'autres instruments doit prévaloir sur la
culture par la houe.
Un autre point sur lequel le planteur des colonies des
détroits fera bien de porter la plus sérieuse attention, c'est
de rendre au sol les résidus frais de canne à sucre, ainsi
que les feuilles vertes et sèches des cannes, au lieu d'en
employer une partie comme chauffage, une autre comme
fourrage, et de brûler le reste sur place, ainsi que cela se
pratique actuellement. Il est bien connu dans les colonies
des détroits que les Chinois préfèrent prendre à l'entre-
prise la culture des jungles et des terres en friche, plutôt que
celle d s terres défrichées et livrées depuis longtemps à la
production des cannes à sucre. Pourquoi cela ? C'est assu-
rément parce que la terre, après avoir produit une récolte
de cannes, est entièrement effritée, par l'emploi des
cannes à la fabrique, sans qu'il en soit rendu rien au sol ;
2° par l'emploi des feuilles et des sommités des cannes
comme fourrage pour les bestiaux; 3°par la combustion de la
(1) On a constaté que, dans l'Inde supérieure, chez les cultivateurs
hindous, des éléphants ont l'ait un bon service pendant quatre-vingts
ans.

204 MODE DE CULTURE
bagasse de cannes, et par la coutume chinoise de brûler sur
place les feuilles sèches des cannes après la récolte. Après un
petit nombre de récoltes obtenues sans fumure, la terre est
naturellement fort appauvrie ; le Chinois entrepreneur de
culture vous dit alors : Donnez - moi des jungles à défricher;
je n'aime pas cette terre ; elle exige beaucoup de travail et
ne donne pas de profit. En conséquence, le planteur prend
un autre morceau de terrain en friche, et il abandonne celui
qu'il avait précédemment défriché et cultivé. Si les colonies
des détroits malais étaient dépourvues de bois de chauffage,
ce motif pourrait être admis comme excuse pour rejeter
l'emploi de la vapeur comme agent d'évaporation et de
concentration ; mais c'est précisément le contraire ; on peut
s'y procurer en quantités illimitées du bois de chauffage de
la meilleure qualité. Les planteurs ont à leur dispositon des
milliers des meilleurs bûcherons qui existent dans le monde,
empressés de fournir aux exploitations du bois livrable à
l'habitation même, au prix le plus bas possible. Le planteur
a donc là, pour ainsi dire sous la main, une incroyable quan-
tité d'excellent chauffage ; et néanmoins il persiste à priver
ses champs de canne de leur fumure naturelle, d'un engrais
sans égal, afin de brûler cet engrais pour cuire son sucre !
Ce n'est pas tout ; il faut considérer en outre à quel prix
élevé revient dans les plantations le chauffage par la ba-
gasse de cannes ; ce prix est excessif dans la plupart des
exploitations, à cause de la fréquence des pluies. Souvent,
dans quelques sucreries, tout le travail est interrompu pen-
dant plusieurs jours, parce que la bagasse n'est pas sèche ;
des ondées de pluies qui se succèdent tout le jour ne per-
mettent pas d'exposer la bagasse à l'air libre ; la bagasse
sèche dont on dispose est promptement consumée, et tant

DE LA CANNE. 205
qu'on manque de chauffage, le moulin ne fonctionnant pas,
la fabrication du sucre est arrêtée.
Dans la province de Wellesley, il y a assurément des pé-
riodes de beau temps sec, pendant lesquelles cet inconvé-
nient si grave n'existe pas; mais j ' a i vu dans ce pays des
périodes très longues de temps pluvieux survenir précisé-
ment quand le planteur était le plus pressé de faire sa ré-
colte. Souvent il y a là de 50 à 80 acres (de 20 à 32 hect. )
de cannes bonnes à couper, ou dont une portion est même
déjà gâtée lorsque la pluie survient, soit par torrents, et
continue, soit seulement par ondées, ce qui suffit pour
empêcher la bagasse de sécher; en conséquence la fabrica-
tion du sucre est forcément interrompue, quelque désas-
treuse que soit cette interruption. Quelquefois le plan-
teur occupe les travailleurs à proximité du moulin, afin de
pouvoir rentrer la bagasse en cas de pluie soudaine. Un
rayon de soleil brille, on en profite pour l'étendre et la faire
sécher ; un nuage se montre, tous les bras sont mis en r é -
quisition en un moment; quelques gouttes de pluie tombent
et le nuage passe : c'était une fausse alerte ; chacun retourne
à sa besogne. Voici un autre nuage ; nouvel enlèvement de
la bagasse ; nouvelle dispersion des ouvriers quand le
nuage s'est dissipé. En voici encore un; il tombe quelques
gouttes d'eau, les ouvriers sont appelés en toute hâte; ils
accourent de tous côtés; mais, hélas! il est trop tard. Les
ouvriers de la sucrerie, les domestiques même de la maison,
sont inutilement mis à l'ouvrage ; la pluie tombe par tor-
rents : en peu de minutes la bagasse est aussi mouillée que
si elle venait d'être retirée d'une pièce d'eau. Comme il faut
plusieurs jours de soleil pour que ce désastre puisse être
réparé, le moulin est arrêté; les coupeurs de cannes se

206 MODE DE CULTURE
mettent à une autre besogne; la fabrication du sucre est
suspendue au grand préjudice de toutes les parties de l'ex-
ploitation. Ce retard apporté à l'enlèvement de la récolte
lui cause un énorme dommage.
Des scènes semblables se renouvellent dans toutes les
plantations des détroits malais; elles s'y reproduisent con-
stamment, et jusqu'ici personne n'a songé à adopter un
remède bien simple, la cuisson du sucre par la vapeur. On
a sous la main une inépuisable provision de bois de chauf-
fage au prix le plus bas pour faire cuire le jus de cannes;
si l'on en profitait, le sucre y gagnerait en quantité comme
en qualité ; la bagasse serait rendue à la terre comme en-
grais ; elle en maintiendrait la fertilité. Les entrepreneurs
chinois préféreraient toujours la culture d'une terre en cet
état à la mise en culture d'une terre de jungles; ajoutons à
tous ces avantages que, dans ce cas, la culture des cannes
serait exécutée à plus bas prix que de toute autre manière.
§ 3 2 . — Différence du prix du fret entre les détroits malais
et les Indes occidentales.
Si les planteurs des colonies des détroits malais voulaient
suivre les quelques conseils que je leur donne ici, nul doute
qu'il ne leur fût possible de produire le sucre à aussi bon
marché, à meilleur marché même que les planteurs du
reste du monde. La seule différence en leur défaveur serait
celle du prix du fret, qui leur coûte par tonneau (1,000 kil)
2 livres sterling (50 francs) de plus qu'aux Indes occiden-
tales. Ce prix revient à 2 schellings par quintal ( 2 fr. 50 c.
pour 42 kilogrammes), ce qui n'est assurément pas beau-
coup en comparaison des avantages dont jouissent les co-

DE LA CANNE. 207
lons des détroits malais. E t pourtant, quand on considère
ce que coûte le sucre produit par le travail des esclaves, la
dépense du transport semble fort lourde; p a r exemple,
une plantation qui produit par an 500 tonnes de sucre
(500,000 kilogrammes) a 1,000 livres sterling (25,000 fr.)
de frais de surplus à supporter avant que son produit
puisse arriver sur le marché anglais, indépendamment des
frais de culture de la canne et de fabrication du sucre.
Néanmoins, même avec cette charge additionnelle, je ne
craindrais rien pour la prospérité d'une plantation dans les
colonies des détroits, si l'on y mettait en pratique les pro-
cédés que j e viens d'exposer.
§ 33. — Avantages des travaux à l'entreprise dans les plantations.
Il y a encore un autre mode d'engagement à l'entreprise,
mais je n'ai jamais connu qu'il ait donné aucun résultat
satisfaisant ; cet engagement se fait à tant par orlong. Mais
ce genre de contrat se divise en deux classes ; la première
ressemble de tout point au contrat à tant par picul, sauf le
mode de compensation; on donne à l'entrepreneur chinois,
selon l a n a t u r e du sol cultivé, de 4 0 à 55 dollars pour
chaque orlong de cannes parvenues à maturité, coupées,
liées en bottes et déposées au bord du chemin, tout à fait
indépendamment de la quantité de sucre qu'on en pourra
faire. La seconde élusse de contrats de ce genre se nomme
engagement à prix fait ou travail-spéculation (job-work).
par exemple, l'entrepreneur se charge de défricher et pio-
cher la terre, d'y planter des cannes, de leur donner un
premier buttage, et tous les soins de culture qu'elles récla-
ment, jusqu'à ce qu'elles aient atteint la hauteur d'un mètre

208 MODE DE CULTURE
environ. Il n'a plus dès lors à s'en occuper, et reçoit par
orlong le prix convenu, qui varie en général de 20 à 25 dol-
lars. Quand les cannes ont besoin d'être sarclées, etc., la
même pièce de cannes est donnée de nouveau à l'entreprise,
souvent au même entrepreneur, qui doit sarcler, butter deux
fois, éclaircir les cannes et en prendre soin jusqu'à leur
parfaite maturité, puis les couper, les lier en bottes et les
déposer le long d'un chemin, au prix de 25 à 35 dollars
par orlong.
Quelques planteurs ont même essayé de ce dernier genre
de contrat partiellement ; ils ont donné sur certaines pièces
de terre le sarclage, le buttage, l'éclaircissement et la ré-
colte des cannes à des spéculateurs différents, à mesure
que ces diverses opérations devenaient nécessaires ; mais
je ne crois pas que ce mode d'entreprise ait donné au plan-
teur des résultats avantageux.
Partout où l'intérêt de l'entrepreneur de culture n'est-
pas directement engagé, le planteur n'est nullement assuré
de sa coopération intelligente ; il manque à cette association
cet intérêt si nécessaire à son succès, qui délivre l'esprit
du planteur de tant d'inquiétudes, toute association de-
vant être créée par une communauté d'intérêts, de risques
et d'espérances de bénéfice.
Ainsi l'entrepreneur termine sa tâche, et ses gens quit-
tent le champ de cannes ; il leur est parfaitement indifférent
qu'une heure après, la récolte soit détruite par le feu, man-
gée par les éléphants sauvages, volée par des maraudeurs,
ou endommagée de toute autre manière. Enfin, s'il leur ar-
rive de voir couper et emporter des bottes de cannes à sucre,
ils ne se regarderont pas comme obligés à remplir les fonc-
tions d'agents de police, et à avertir le propriéraire du champ

DE LA CANNE. 209
de la présence des voleurs : non, ils ne le feront pas. Mais
si l'entreprise est à tant par picul, l'entrepreneur ou ses
gens sauront bien chasser de la plantation tout quadrupède
ou bipède malfaisant.
Ainsi va le monde; l'intérêt domine l'Anglais tout aussi
bien que le Chinois ; peut-être Jean le Chinois pousse-t-il
ce principe plus loin que beaucoup d'autres; toutefois,
dans cette circonstance particulière, ce sentiment peut
tourner au profit du planteur, et c'est certainement sa
propre faute s'il n'en tire point avantage.
§ 34. — Mode de culture des Chinois dans les colonies des détroits.
Après avoir donné des détails sur les contrats d'entre-
prise dans les colonies des détroits, je donnerai un exposé
sommaire de la manière dont le Chinois dirige la culture de
la canne à sucre.
Avant tout, la première opération consiste à enlever les
broussailles, et à les couper quand elles sont sèches ; le Chi-
nois procède alors au labourage du sol à la houe, enlevant
à la pioche toutes les souches, les racines d'arbres et les
broussailles ; il les empile en grands tas, et les recouvre
généralement d'une couche de terre et d'argile, de manière
qu'en mettant le feu à ces tas, ils brûlent graduellement, en
fournissant une riche provision de cendres, de charbon, de
terre brûlée, d'argile brûlée, pour la répandre sur la terre
et l'enrichir. Les grands fossés et les petits qui les coupent
à angle droit doivent être alors creusés, et la terre doit être
préparée pour la plantation des cannes. Doux longs cordeaux
et une couple de perches mesurant chacune 6 pieds (ou 7,
selon qu'on le désire) sont apportés sur le champ ; les cordes
14

210 MODE DE CULTURE
étant espacées entre elles de 6 pieds, le Chinois entame
légèrement le sol le long de la corde ; ensuite il enfonce sa
houe dans la terre à une certaine profondeur, en appuyant
sur le manche pour ouvrir le sol ; puis deux boutures de
cannes y sont plantées. La houe retirée du sol, la terre
retombe sur les boutures, dont 2 pouces seulement res-
sortent hors de terre. A la distance d'environ 20 pouces à
2 pieds (55 à 60 centimètres), deux autres boutures sont
placées de la même manière, et ainsi de suite tout le long
du cordeau, jusqu'à ce que le champ soit entièrement planté.
Je dois faire remarquer que cette coutume est tout à fait
inintelligente et pernicieuse; car, en temps humide, on perd
par la pourriture un tiers à deux tiers des boutures ainsi
enterrées, qui doivent plus tard être remplacées avec une
dépense nouvelle en main-d'œuvre et en achat de boutures.
Ce genre de plantation ne peut bien réussir que lorsque le
temps est tout à fait sec; mais je le rejette, quant à moi,
d'une manière absolue. En effet j ' a i toujours vu, surtout
dans les terres fortes, argileuses, les boutures ainsi enter-
rées ne point émettre les pousses qui autrement seraient
sorties des yeux de leurs nœuds inférieurs. On peut voir
(fig. 1) que chaque nœud porte un œil ou bourgeon qui
dans les circonstances ordinaires, se développe en une
plante ; mais il est évident que, si la bouture de canne est
enfouie dans une terre lourde où elle se trouve comprimée
de haut en bas par une masse d'argile froide et humide, les
nœuds inférieurs dans de telles conditions, au lieu de pro-
duire des rejetons, ne peuvent que mourir; de sorte que
tout au plus peut-on espérer que de jeunes pousses sortiront
des joints supérieurs, à moins que la plante ne finisse par
être tuée tout à fait. Il est en général très préférable de ne

DE LA CANNE. 2 1 1
pas couvrir du tout les boutures de cannes et de se borner
à les poser dans les raies à des distances régulières, aux-
quelles chaque œil donne un bourgeon vigoureux.
Quand les jeunes plantes ont environ 12 à 15 pouces de
haut (30 à 38 centimètres), il est fort à propos de leur donner
un léger binage ; par suite de cette opération, elles ne man-
queront pas de croître rapidement et de fournir de nom-
breuses pousses sortant des nœuds récemment formés,
ainsi que le montre la figure 2 (planche 1). En adoptant ce
mode de plantation, on économise largement la moitié du
plant, outre l'économie de la main-d'œuvre nécessaire pour
remplacer ceux qui manquent. Cette méthode est particuliè-
rement bien appropriée aux colonies des détroits malais où
les ondées de pluie et même les pluies torrentielles sont si
fréquentes ; mais il est évident que, s'il survient une période
de sécheresse, les boutures de cannes ont besoin d'une
couverture de terre pour les protéger tant que la tempéra-
ture reste sèche ; ce n'est toutefois qu'une exception à ce
que je considère comme la règle ; il n'y a pas un planteur
qui doive permettre que les plants de cannes soient couverts
de terre, sauf en temps de sécheresse. Une précaution qui
doit être prise conjointement avec la précédente, et que j e
trouve essentiellemennt nécessaire, c'est celle de donneraux
cannes un léger binage, quand elles ont atteint la hauteur
d'environ 12 pouces (30 centimètres) ; autrement elles brû-
lent et dépérissent complètement, si bien qu'elles ne de-
viennent jamais autre chose que des cannes chétives ; tandis
que celles qui ont été consciencieusement binées continuent
à pousser fermes et vigoureuses, et deviennent de belles
cannes de la plus grande taille.

212
MODE DE CULTURE
§ 35. — Parties défectueuses de la culture chinoise dans ces colonies.
Une autre faute que commettent souvent les Chinois,
c'est de dégarnir les cannes jusqu'à une trop grande hauteur
à partir du bas, ce qui prive la plante d'une partie des feuilles
indispensables pour compléter la maturité des entre-nœuds
auxquels cesfeuilles appartiennent. Le planteur s'appliquera
spécialement à faire bien comprendre à l'entrepreneur chi-
nois combien il importe de ménager ces feuilles tant qu'elles
sont vertes et qu'elles ne se fanent pas. J'ai souvent vu des
cannes saignantes (c'est l'expression usitée en pareille cir-
constance, bleeding) pour avoir été trop sévèrement dépouil-
lées des feuilles encore vertes à leur partie supérieure.
Quand je faisais des représentations aux Chinois sur les
inconvénients de cette pratique, ils ne me répondaient rien
autre chose sinon que, de cette manière, ils n'avaient pas
besoin de retourner avant un temps donné dans le même
champ pour en éclaircir les feuilles. Il est vrai en effet que,
si l'on permet aux Chinois d'enlever les feuilles vertes qui
auraient dû, encore pendant plusieurs semaines, contribuer à
faire profiterles cannes, on épargne aux cultivateurs la peine
de retourner quinzejours ou trois semaines plus tard, repren-
dre ces mêmes feuilles devenues sèches ; mais la somme de
travail économisée est hors de toute proportion avec le tort
souffert par les cannes : c'est donc une économie déplorable.
Un point sur lequel je dois ensuite appeler l'attention du
planteur, est aussi d'une grande importance ; il s'agit d'une
pratique pernicieuse dans laquelle les Chinois persistent
avec une obstination contre laquelle le colon doit user de
toute sa fermeté vis-à-vis des entrepreneurs de ses cultures.

DE LA CANNE. 2 1 3
Les Chinois ont la détestable habitude de couper les cannes
à 12 et même 15 pouces (de 30 à 38 centimètres) au-dessous
du sol ; c'est ce qu'ils font en fouillant dans le billon produit
au pied des cannes par le buttage pour les soutenir, et met-
tant ainsi à découvert une partie considérable de la tige
inférieure des cannes, partie qui pendant plusieurs mois a
été sous terre où elle a émis des racines. Les Chinois agis-
sent ainsi pour ne rien perdre de ce qu'il y a de bon dans la
canne ; par la même raison, ils retranchent le moins possible
du sommet de la plante. On voit ainsi porter au moulin des
cannes dont la partie inférieure, sur une longueur de 12
à 15 pouces (30 à 38 centimètres) est piquée des vers et de-
venue tout à fait acide par son long séjour sous terre,
et dont le sommet sur une longueur de 4 à 10 pouces
(10 à 25 centimètres) est tout à fait blanc et mou, n'ayant
pas atteint sa maturité. Cette dernière portion aurait dû
faire partie des tronçons pour boutures. Mais le Chinois,
dans sa rapacité, s'embarrasse peu des boutures, pourvu
qu'il profite d'un peu plus de jus de cannes. Ce jus ne ren-
dra pas de sucre ; il fera un tort considérable au reste du
jus, il donnera beaucoup d'embarras pendant la cuite, et
finalement il n'en restera qu'une plus forte proportion de
mélasse. Tout ce dommage, tout cet embarras, toute cette
peine, retombent sur le planteur ; il en souffre de toute
manière, et après tout, il faut qu'il tienne compte à l'entre-
preneur chinois de tout le sucre non desséché, tel qu'il sort
des refroidissoirs , mélasses comprises : c'est là précisé-
ment ce que veut le rusé Chinois entrepreneur. Mais cela
n'est pas inévitable; chaque planteur peut s'en exempter par
une clause spéciale du contrat d'engagement stipulant que
cette pratique sera abandonnée : il n'en faut pas davantage.

214
MODE DE CULTURE
§ 36. — Avantages de la culture de la canne à sucre aux colonies
des détroits malais.
En terminant mes observations sur la culture de la canne
à sucre dans les colonies des détroits, j e dois insister une
fois de plus près des planteurs quant à l'urgente nécessité
de donner la plus sérieuse attention à chacun des divers
points que j'ai tenté de leur signaler. Ils sont certainement
très heureusement placés quant à la fertilité du sol ; ils ont le
transport par eau et le drainage, d'excellent bois de chauffage
à discrétion, l'exemption de tout droit d'importation où d'ex-
portation ; enfin ils sont secondés par les meilleurs cultiva-
teurs du monde entier, au plus bas prix possible. Ils sont
en possession de ces avantages extraordinaires et de bien
d'autres encore ; il est seulement nécessaire qu'ils prennent
toutes les mesures qui doivent assurer le succès de leurs
cultures à l'avenir. Le sucre des colonies à esclaves doit
être admis sur les marchés de la Grande-Bretagne sur le
pied de l'égalité avec le nôtre ; il faut donc que le planteur
des colonies des détroits aussi bien que celui des Indes
occidentales rectifie toutes les erreurs de son mode d'ex-
ploitation, et entre résolument dans la voie que la raison
lui signale. Il est en son pouvoir de réaliser de grandes
améliorations, soit dans la culture de la canne, soit dans la
fabrication du sucre ; il peut ariver à produire le sucre pour
la moitié de ce qu'il lui coûte actuellement. Je viens de lui
mettre sous les yeux la démonstration de la première pro-
position; dans un des chapitres suivants j'essayerai de lui
rendre également évidente la seconde. Que le planteur des
colonies des détroits reprenne donc courage; qu'il ne se
manque pas à lui même; qu'il persiste dans sa résolution

DE LA CANNE. 215
de réaliser les améliorations indispensables; alors je ne
crois pas qu'il y ait aucun motif de craindre même la sup-
pression absolue du droit protecteur actuel.
§ 37. — Culture de la canne à sucre au Bengale.
En traitant de la culture de la canne à sucre au Bengale,
je dois diviser mon sujet en deux parties : montrer d'abord
comment cette culture est pratiquée par les naturels du
pays, et ensuite de quelle manière opèrent les Européens
établis dans cette partie de l'Inde orientale. Il faut aussi ne
pas perdre de vue que le pays est si grand, que le climat de
ses diverses parties est si variable, qu'il doit en résulter des
différences dans les procédés de culture des habitants, et
aussi dans la qualité des cannes qu'ils récoltent. Les obser-
vations que j ' a i à présenter sont applicables aux provinces
comprises entre Allahabad et Calcutta, comprenant Allaha-
bad, Bénarès, Jaunpore, Azimghur, Goruckpore, Patna,
Monghyr, Burdwan et quelques autres. Si l'on admet le chif-
fre de 100 millions pour celui de la population soumise aux
Anglais dans les Indes (ce qui est au-dessous du chiffre réel),
en n'estimant pas en moyenne la consommation du sucre à
plus d'une livre par tête et par mois, nous arrivons au chiffre
énorme de 535,714 tonnes de sucre par an (535 millions de
kilogrammes environ), et cela indépendamment des quanti-
tés immenses exportées dans les États voisins et en Europe.
Mais, pour quiconque est familier avec les mœurs et
coutumes de l'Inde, il est évident que cette population
consomme plus du double de la quantité de sucre indiquée
ci-dessus ; elle en consomme peut être le triple, non pas
tout sous forme de sucre , mais partie en sucre, partie en

216 MODE DE CULTURE
mélasses et autres substances sucrées qui cependant pro-
viennent toutes de la même plante et peuvent donner une idée
de l'extension de la culture de la canne à sucre aux Indes
orientales. Ce que les plantations dirigées par des Européens
en produisent est tout à fait insignifiant; c'est pourquoi
je commencerai par décrire les procédés de culture des
Indous.
§ 38. — Mode de culture suivi par les naturels, — par les Européens.
On rencontre ça et là quelques Bengalais qui, grâce au
voisinage d'un Européen, cultivent quelques touffes iso-
lées ou même quelques champs de peu d'étendue de cannes
d'Otahiti ou des autres cannes de qualité supérieure;
sauf ces rares exceptions, on ne cultive généralement
que les diverses espèces de cannes du pays. J'ai déjà dit
(page 11) que ces variétés sont nombreuses , mais de
qualité inférieure ; celles qu'on cultive communément aux
environs de Calcutta sont infiniment supérieures à ces plantes
misérables cultivées sous le nom de cannes dans le haut
Bengale. Ces dernières diffèrent aussi beaucoup entre elles ;
joignez-y les différences de sol, de procédés de culture et
de soins de la part des cultivateurs, vous vous rendrez
compte aisément des différences frappantes dans les quan-
tités de sucre brut obtenues d'une acre de terrain. Ainsi j'ai
eu connaissance de produits par acre de 8 maunds de goor,
ou sucre brut dans l'état le plus grossier; j ' e n ai connu
d'autres s'élevant à 30 maunds par acre. La mesure locale
nommée maund pèse 80 livres anglaises de 420 grammes ;
la première production revient à peu près à 672 kilogram-
mes par hectare, et la seconde à 2,520 kilogrammes par
hectare. Je crois que 15 maunds par acre (1,260 kilogram-

DE LA CANNE. 217
mes par hectare) sont, au moment où j'écris, la moyenne du
produit en sucre de la culture des Bengalais. Le goor se
vend généralement sur les marchés indous de 2 roupies 1/2
à 3 roupies le maund (environ 6 fr. 25 c. les 33 kilogr., soit
de 19 à 23 centimes le kilogramme). L'acre dans ces condi-
tions ne rend pas plus de 4 livres sterling 10 schellings
(112 fr. 50 c ) , ce qui peut sembler un résultat bien minime
pour le travail, le temps et l'embarras qu'exigent la culture
de la canne et la fabrication du sucre. La culture de la canne
par les Bengalais est une chose des plus simples, qui leur
donne cependant beaucoup de peine ; on en jugera par l'ex-
posé suivant de leur procédé. C'est habituellement pendant
les mois de février, mars et avril que les Bengalais plantent
leurs cannes à sucre. La terre est premièrement préparée
Par un labour à la charrue et une façon au haingher, j u s -
qu'à ce que la couche superficielle soit complétement pulvé-
risée et parfaitement égalisée. Il ne faudrait pas toutefois
s'imaginer que l'instrument que je désigne sous le nom de
charrue, offre le moindre trait de ressemblance avec l'instru-
ment anglais du même nom; il en est, au contraire, entière-
ment différent. Néanmoins, tel qu'il est, les gens du pays
savent s'en servir pour écorcher leur terre à leur entière
satisfaction, à force de promener cet instrument sur la sur-
face en long et en large. Il est reconnu qu'un champ doit
recevoir quatre labours semblables pour le moins, avant
d'être façonné au haingher. Le passage de la charrue par
petites raies très rapprochées de l'est à l'ouest, d'un bout à
autre du champ, se nomme la première chasse; le même
travail du nord au sud constitue la deuxième chasse; deux
autres sont données du nord-est au sud-ouest et du nord-
ouest au sud -est. Ces quatre labours étant achevés, la terre

218 MODE DE CULTURE
se trouve passablement égratignée ; le haingher commence
alors à fonctionner, il broie toutes les petites mottes de
terre et réduit la surface à un état parfaitement uni. Quel-
quefois, la terre étant très dure, la charrue ne peut pas
l'entamer ; il faut alors recourir à la houe (chankol) qui lève
le sol en gros blocs. Au bout de quelque temps, on y met la
charrue, qui, à force de les tourner et de les retourner, finit
par briser assez les blocs et les mottes de terre pour que
le haingher puisse achever de les broyer. Si le laboureur
indou est un homme industrieux, avant de planter les
cannes, il retournera peut-être encore son champ une ou
plusieurs fois, et il lui donnera une légère fumure consistant
en quelques paniers de cendres ; il arrive très rarement
qu'on emploie pour cette destination le fumier des vaches
à cause du manque de bois de chauffage ; les bouses dessé-
chées sont généralement employées comme combustible.
La terre étant préparée, l'Indou y remet la charrue pour
ouvrir de petits sillons dans lesquels il plantera ses cannes.
Afin d'assurer le succès de son opération, il attache au
soc de la charrue une botte de plantes sauvages qui fait les
fonctions d'une sorte de versoir ; il parvient ainsi à ouvrir
une raie d'une largeur suffisante. Ces raies sont ouvertes
très près les unes des autres, sans aucune régularité; des
femmes et des enfants suivent la charrue et laissent tomber
en marchant des tronçons de canne dans les raies. On s em-
presse alors d'amener le haingher et de le faire agir le plus
rapidement possible, avant que le soleil ait eu le temps de
dessécher le peu d'humidité de la terre remuée par la char-
rue ; en quelques minutes, le champ tout entier est nivelé
et rendu parfaitement uni, si bien qu'on ne peut y aperce-
voir aucun vestige de cannes. Une ondée de pluie est re-

DE LA CANNE.
219
gardée comme une circonstance favorable pour la planta-
tion des cannes en février ; mais on ne peut espérer une
seule goutte de pluie en mars, avril, mai et la première
moitié de juin. Les cannes plantées pendant l'un ou l'autre
de ces mois doivent donc être immédiatement arrosées;
elles doivent être maintenues vivantes par une, deux ou
plusieurs irrigations subséquentes, jusqu'à ce que les pluies
surviennent vers le milieu de juin.
Dans le haut Indostan, les vents chauds qui surviennent
habituellement en mars ou pendant la première quinzaine
d'avril brûlent tout jusqu'au commencement de la saison
des pluies ; toutes les cannes plantées dans ce pays du mois
de janvier au mois de juin doivent donc être irriguées à
plusieurs reprises. Avril est un mois excellent pour la plan-
tation des cannes ; c'est celui que les Indous préfèrent pour
cette opération ; ils s'épargnent par là le travail de deux
négations et de plusieurs façons à la houe.
Les cannes plantées en avril coûtent à peu près en
moyenne les prix ci-dessous indiqués, par pucka-beegah,
mesure locale égale aux deux tiers d'une acre anglaise (en-
viron 28 ares).
Préparation du sol et plantation .... 4 roupies » = 10 fr. 00 c.
3 irrigations à une roupie et 1/2 4 — 1/2 = 11 25
12 binages à la houe, à 6 annas chacun. 4 — 1 / 2 = 1 1 25
Rente de la terre 4 — » = 1 0 »
Total 17 roupies » = 4 2 fr. 50 c.
Ces frais suffisent pour conduire la culture des cannes
jusqu'à leur maturité, qui survient en novembre ou dé-
cembre suivant, c'est-à-dire au bout de sept ou huit mois.
à dater de la plantation.

220 MODE DE CULTURE
Quelquefois cependant le loyer du terrain est beaucoup
plus élevé; il est de 5 à 10 roupies au lieu de 4 ( 12fr. 50 c.
à 25 francs au lieu de 10 francs). L'évaluation qui précède
est très approximative, bien qu'on ne doive pas en con-
clure que les pauvres Indous dépensent effectivement un
centime de monnaie réelle : ils n'en ont point. On ne peut
évaluer que le travail qu'ils y emploient, auquel il faut
ajouter, comme on va le voir, quelques autres articles. S'il
est trop pauvre pour avoir des bœufs, le cultivateur indou
en loue une paire pour exécuter ses divers travaux agri-
coles ; il paye le loyer de cet attelage soit en grains, soit
en journées de travail, soit aussi en cédant au propriétaire
des bœufs une portion du sucre obtenu des cannes récoltées.
Sa femme et sa famille l'aident à biner, irriguer et surveiller
ses champs de cannes, ou bien il s'associe avec quelque
voisin qui reçoit probablement pour indemnité une part
dans la récolte. Il en résulte que, quand le sucre est fabri-
qué, il ne lui en reste à lui-même qu'une bien petite part;
la pauvre créature se trouve satisfaite d'avoir trouvé dans la
culture de la canne l'emploi d'une partie de son temps. Il
en utilise le reste à diverses occupations dont la nature dé-
pend beaucoup de la caste à laquelle il appartient. Ainsi l'on
voit des Indous cultiver leur champ, et peu de jours après,
souvent le lendemain même, on les voit activement occupes
d'un commerce ou d'un métier quelconque ; ou bien ils se
font porteurs de palanquins, pêcheurs, ou ils se livrent a
d'autres travaux qui les mettent en possession de quelque
monnaie. C'est ainsi seulement qu'ils peuvent supporter les
taxes exorbitantes, l'usure dévorante, le bas prix des pro-
duits du sol, et les autres misères sans nombre qui pèsent
sur eux. Les espèces tout à fait inférieures de cannes qu ils

DE LA CANNE. 221
cultivent, et les procédés grossiers et primitifs qu'ils em-
ploient pour en extraire le sucre, rendent pour eux cette
culture peu lucrative ; il n'y a d'ailleurs, je le crains bien,
aucune chance de parvenir à leur faire adopter une voie
meilleure.
La canne à sucre a dans l'Inde des ennemis inconnus
partout ailleurs ; tels sont les fourmis blanches, les chakals,
les sangliers, les éléphants sauvages et les vents brûlants,
qui tous s'opposent sérieusement à sa culture ; il y faut
ajouter un article de dépense très lourd, consistant dans
les frais fort élevés du transport par bateaux à Calcutta des
sucres produits dans le haut Indostan. Je ne comprends pas
comment les naturels du pays pourraient produire le sucre
à meilleur marché qu'ils ne le produisent en ce moment, tant
qu'ils persisteront à ne planter que la canne commune de
l'Indostan, et à suivre les mêmes procédés imparfaits de
fabrication.
Mais s'il était possible de faire naître parmi les cultiva-
teurs indous un esprit d'émulation et d'entreprise, et de leur
faire ainsi adopter une variété de cannes moins ingrate et
une méthode d'extraction du sucre plus propre et plus r a -
tionnelle, nul doute que le sucre de la meilleure qualité ne
put être produit dans l'Inde à des prix excessivement bas.
Une autre difficulté sérieuse résulte du caractère rapace
des zémindars ou propriétaires indous et des mahajuns ou
marchands de la même nation. Les premiers portent leurs
rentes au taux le plus élevé que peut supporter la patience
proverbiale de leurs vassaux ; les seconds poussent leurs
extorsions au point de réduire le cultivateur à la plus maigre
ration pour lui et sa famille La grande majorité des ryots
ou cultivateurs indous est, au moment où j'écris, esclave de

222 MODE DE CULTURE
fait des zémindars et des mahajuns; ils s'engraissent de
leurs travaux et les laissent dans une misère sans espoir.
La culture de la canne dans l'Inde par les Européens
est d'une grande importance, en raison de l'immense déve-
loppement dont elle est susceptible et du mauvais résultat
de la plupart des tentatives faites jusqu'à présent.
Des sucreries dirigées par des Européens ont été établies
dans les districts de Tirhoot, Goruckpore, Jaunpore et
quelques autres ; mais le premier de ces districts peut être
regardé comme le grand centre des entreprises de ce genre.
Je serais heureux si je pouvais dire que le succès a cou-
ronné les efforts des planteurs ; des renseignements d'une
date toute récente établissent malheureusement la preuve
du contraire.
Cinq causes principales agissent contre les progrès de la
culture de la canne dans l'Inde : 1° les terres dont on fait
choix sont ordinairement impropres à cette culture ; 2° les
insectes et les animaux sauvages causent des dégâts extra-
ordinaires ; 3° on manque d'un bon système de fumure et
d'irrigation ; 4° on cultive généralement la canne du pays
au lieu des espèces les plus avantageuses ; 5° enfin il faut
lutter contre les habitudes particulières et les préjugés des
cultivateurs indous. J e connais par expérience combien la
fourmi blanche est destructive ; peu de personnes peuvent
se former une juste idée de ses effroyables ravages. J'ai
toujours recommandé, pour échapper aux dégâts commis
par cet insecte, de cultiver la canne dans les terres basses,
sujettes à être tous les ans inondées par les débordements
des rivières ; bien entendu les champs de cannes seront à
1
(1) Dans l'Inde, les rivières débordent, et leurs eaux couvrent le
pays à plusieurs milles de leurs rives, jusqu'à ce qu'elles rentrent

DE LA CANNE. 223
une certaine distance des bords immédiats des rivières, et
l'on élèvera tout autour une digue de 2 mètres environ de
hauteur et d'autant d'épaisseur, pour en exclure l'eau des
inondations. On sait que tous les districts de l'Inde con-
tiennent des terres d'une grande étendue dans ces condi-
tions, et que les Indous ont l'habitude d'entourer de digues
semblables leurs jardins et leur petites cultures de man-
guiers .
Une semblable clôture, bien faite et bien couverte, peut
coûter environ 1,000 roupies (2,500 francs) pour une
longueur d'un mille (1,666 mètres), soit 4,000 roupies
(10,000 francs) pour 4 milles (6,664 mètres) servant à
enclore 650 acres (256 hectares) et à les rendre particuliè-
rement propres à la culture de la canne à sucre. Les terres
basses de cette nature, sujettes à être inondées p a r les d é -
bordements des rivières, sont presque entièrement exemptes
de fourmis blanches, qui ne peuvent subsister là où l'eau
peut envahir leurs demeures souterraines ; elles infestent
de préférence les terres élevées, où elles n'ont pas à craindre
de semblables désastres.
Les terres basses sont aussi généralement plus fertiles
que les terres élevées ; elles conservent beaucoup mieux
leur fraîcheur, circonstance très favorable à la canne. Il
est au pouvoir de tout planteur européen qui se propose
d établir une sucrerie dans l'Inde, de mettre en sûreté une
pièce de terre semblable en l'entourant de digues, ce qui lui
offre un moyen certain d'échapper aux ravages de la fourmi
blanche, l'ennemi le plus redoutable de la canne d'Otahiti
naturellement dans leur lit. Elles se répandent graduellement, de
sorte qu'il n'y a pas lieu de craindre qu'elles emportent les digues
servant de clôture aux champs de cannes.

224 MODE DE CULTURE
dans l'Inde, à ma connaissance. Il est rare que les éléphants
se hasardent à franchir cet obstacle, surtout si l'on y ajoute
un fossé de défense expresse contre eux, autour de l'en-
clos, ce qui ne sera pas une dépense, la terre prise dans ce
fossé servant à construire la digue.
Quant à l'établissement d'un bon système de fumure et
d'irrigation, rien n'est à la fois plus nécessaire et plus fa-
cile. Je me figure que, dans ces derniers temps, les planteurs
des Indes orientales auront reconnu que le sol du Bengale
n'est pas d'une fertilité telle qu'il puisse donner d'abon-
dantes récoltes sans engrais ; s'ils ont heureusement re-
noncé à cet égard à leurs vieilles idées, rien ne doit plus
les empêcher d'adopter un système rationnel de fumure.
Bien que le mode d'irrigation des terres pratiqué par les
Bengalais soit dans un certain sens à assez bon marché, je
n'ai pas besoin de dire qu'il paraît également embarrassant
et dispendieux, lorsqu'on le compare avec ce qu'on peut
attendre de l'emploi des machines européennes. Ces deux
points seront discutés plus à fond lorsque je traiterai des
engrais et des irrigations en particulier.
Parmi les diverses variétés de cannes énumérées dans la
première partie de cet ouvrage, le planteur peut sans diffi-
culté choisir les mieux appropriées à la culture dans l'Inde.
Le jardin botanique de la Compagnie des Indes à Calcutta
les réunit presque toutes ; on peut se les procurer en s'a-
dressant à cet établissement. Les cannes d'Otahiti et de Sa-
langore, ainsi que la canne de la Chine, semblent les meil-
leures pour les plantations au Bengale ; il ne faut que pren-
dre les soins nécessaires pour en obtenir le rendement
élevé en sucre des cannes de premier choix.
Le planteur doit étudier les habitudes et les préjugés des

DE LA CANNE. 225
cultivateurs bengalais, et essayer de les dompter, s'il y
peut réussir. Je connais les difficultés que ces préjugés lui
opposent à chaque pas ; mais je sais aussi qu'en s'y pre-
nant adroitement, on finit par faire bien des choses qui, au
premier aspect, semblaient impossibles. J e pense qu'il se-
rait fort utile de stimuler leur activité en leur assignant
une part dans les résultats de la culture, au lieu de les r é -
duire aux gages les plus minimes pour lesquels il soit pos-
sible à des hommes de travailler.
Je dois rapporter ici l'application habituelle de la main-
d'œuvre, telle qu'elle se pratique dans les plantations de
canne à sucre au Bengale, et faire voir les avantages com-
paratifs des deux genres de culture dont l'une se nomme
ryote, et l'autre neez.
§ 39. — Culture ryote ou assameewar.
On entend par culture ryote ou assameewar, celle qui
se fait à l'entreprise par des assames ou ryots (paysans
indous) ; elle est fort en usage dans les plantations du Ben-
gale où l'on cultive l'indigo et la canne à sucre. Quelquefois
la terre appartient au ryot lui-même, ou bien elle lui est
fournie par l'Européen qui le fait travailler. Dans un cas
comme dans l'autre, le planteur fait au ryot l'avance de
l'argent nécessaire pour acheter des boutures de cannes ; de
temps en temps, il lui avance en outre quelques roupies pour
vivre jusqu'à ce que les cannes à sucre soient bonnes à ré-
colter. Les arrangements pris entre le planteur et le ryot
sont très variables ; ils ont néanmoins un caractère com-
mun, résultant de l'estimation par arbitres de la valeur des
cannes. Par exemple, quand les cannes sont mûres, le ryot
15

226 MODE DE CULTURE
vient en faire la déclaration ; le planteur désigne deux ex-
perts qui confèrent avec deux autres nommés par le ryot ;
les uns et les autres sont des gens du pays ; ils inspectent
ensemble le champ de cannes, et fixent la valeur de la ré-
colte, par beegah (mesure agraire locale).
Cela fait, le planteur envoie ses ouvriers couper les
cannes, et ses chariots les charger pour les porter au mou-
lin, après avoir payé au ryot le prix fixé par les arbitres,
déduction faite des avances que le ryot a reçues. Cet ar-
rangement se recommande par de solides raisons, bien que
j'aie vu quelquefois le pauvre cultivateur durement pres-
suré par suite de contrats de cette nature. Un autre arran-
gement, pris parmi les innombrables clauses en usage, con-
siste à allouer une somme fixée par beegah au ryot, pour
labourer, planter, irriguer, sarcler, et donner aux cannes les
autres soins de culture, jusqu'à leur entière maturité. Dans
ce cas, il est nécessaire de spécifier le nombre des labours,
binages, irrigations, éclaircissements, et d'allouer, selon les
circonstances locales, une rétribution convenable pour cha-
cune de ces opérations.
Mais je pense qu'il serait de beaucoup préférable de
donner au ryot une somme déterminée par beegah, somme
qu'on peut, si on le juge convenable, faire fixer pas experts,
et de plus, tant pour cent pour chaque maund de sucre fa-
briqué, en dehors de l'estimation de la valeur des cannes.
On peut aussi le payer d'après le nombre de maunds de
sucre obtenu, de la môme manière que les entrepreneurs
chinois sont payés dans les colonies des détroits malais. Ce
point étant une fois bien réglé avec les Ryots, et la confiance
étant mutuellement bien établie, le planteur n'a plus qu'à
parcourir à cheval ses terres en tous sens et à toute heure,

DE LA CANNE. 227
pour exercer une surveillance continuelle et découvrir
toute tentative de fraude de la p a r t de l'assame ou des
ryots.
Je suis fort disposé à accorder une préférence décidée à
la culture ryote ; elle épargne au planteur une foule d'em-
barras ; elle est moins coûteuse que la culture neez ; elle
est plus sûre et mieux surveillée.
Je suis convaincu qu'en outre on peut toujours, lorsqu'on
sait s'y prendre, amener les ryots à consentir à se ser-
vir des instruments perfectionnés de labourage (pourvu
1
qu'ils ne fatiguent pas leurs attelages plus que l'antique
charrue du pays) et à cultiver pour leur propre usage toute
sorte de grains. Quant à planter les cannes en lignes régu-
lièrement espacées, et à les dégarnir de feuilles quand ils
en seront requis, les ryots, dès à présent, n'élèveraient au-
cune objection contre ces pratiques.
Il résulte aussi du système de culture ryote une grande
économie dans le nombre des bestiaux et des chariots dont,
en dehors de ce système, une plantation a besoin ; les ryots,
pour les travaux de labourage et d'irrigation, emploient
leurs propres attelages de bœufs ; ils sont toujours dispo-
ses à entreprendre, au prix le plus modéré par beeghah, l'en-
lèvement des cannes et leur transport à l'exploitation. Ce
mode de culture permet aussi de se débarrasser de toute
une tribu de lallahs, korindahs, péons, chokédars, etc.,
et de faire marcher toute la besogne de l'exploitation le
plus paisiblement et de la manière la plus satisfaisante
possible.
(1) Je n'ai jamais pu décider les Indous à l'aire usage de la charrue
américaine avec leurs propres bœufs; ils disent que cette charrue
éreinte leurs attelages ; ce qui néanmoins est un pur préjugé.

228
MODE DE CULTURE
§ 40. — Culture neez.
La culture nommée dans l'Indostan neez est conduite
directement par le planteur ou les régisseurs à ses gages,
par des cultivateurs salariés.
Pour appliquer ce système, le planteur doit avoir un
grand nombre de bestiaux et une foule de surveillants de
tout grade ; tous les ordres doivent émaner de lui-même ;
il lui faut avoir l'œil de très près sur son monde pour s'as-
surer que ses ordres sont exécutés ; il doit essayer d'obte-
nir du travail de ses ouvriers quelque chose qui ressemble
à une compensation pour les gages qu'il leur paye. Il est
en butte à une foule de soucis, de vexations et de dépenses
dont le système ryot l'exempte en grande partie. Cepen-
dant quelques considérations importantes engagent par-
fois le planteur à préférer le système neez au système
ryot. D'abord, il peut ainsi adopter toute sorte d'amé-
liorations sans se heurter aux préjugés des Indous ; le
planteur peut donc dans ce cas suivre les procédés de cul-
ture qui lui conviennent le mieux. S'il arrive que les gens
du pays refusent d'entrer en arrangement à des conditions
raisonnables, le planteur n'a pas d'autre alternative que
d'adopter le système de culture neez. Quand ce système
est appliqué, quelle qu'en soit la cause, les ouvriers indous
se présentent au point du jour pour avoir de l'ouvrage. Le
lallah (écrivain indou) prend leurs noms par écrit ; puis les
différents péons ou péadahs choisissent leurs hommes et
les conduisent à la besogne ; à mesure que leurs noms
sont inscrits, le péon chargé de diriger les laboureurs les
conduit au parc des bestiaux, où ils vont prendre leurs atte-

DE LA CANNE. 229
lages pour les conduire aux champs. Tant qu'ils sont à
l'ouvrage, le péon reste avec eux ; il est responsable envers
son maître de l'exécution des travaux. Le soir, il doit veil-
ler à ce que les charrues soient remises en lieu de sûreté,
et faire faire la remise des bêtes d'attelage à l'homme chargé
d'en avoir soin.
Les autres péons choisissent de même leurs hommes ; ils
les conduisent à la besogne dont ils sont particulièrement
chargés et dont l'exécution est placée sous leur responsabi-
lité. Le lallah fait sa tournée deux fois par jour pour vé-
rifier la présence des ouvriers inscrits sur ses listes; le
planteur lui-même, ou les employés qui le remplacent,
comptent de même chaque escouade, afin de tenir en échec
le lallah et les péons. Dans le partage des travailleurs en
escouades, on a surtout égard à la caste à laquelle chacun
d'eux appartient, afin de ne pas offenser leurs préjugés
religieux.
§ 41. — Culture par les planteurs européens. — Charrues recommandées
au planteur du Bengale. — Charrue américaine perfectionnée.
Après cet aperçu des systèmes ryot et neez, j'entrerai
dans les détails de la culture de la canne, telle que je con-
seille aux planteurs du Bengale de la pratiquer.
Le planteur peut choisir entre deux sortes de terres : celles
qu'il peut obtenir par concession de la Compagnie des
Indes, et celles qu'il peut louer aux zémindars. Dans le
premier cas, le planteur peut tailler et rogner à son gré :
la terre lui appartient. Mais aussi c'est généralement une
terre de jungles qu'il faut débarrasser des broussailles et
des racines qui l'encombrent, avant de pouvoir y mettre la

230 MODE DE CULTURE
charrue et y planter une seule canne. Dans le second cas,
c'est ce qu'on nomme de la terre de village, en culture pro-
bablement depuis des siècles.
Toutefois ce n'est pas une chose facile que de tomber
d'accord avec les propriétaires indous pour le loyer de ces
terres, bien qu'une douceur adressée au zémindar, conduise
d'ordinaire l'affaire à bonne fin. Les difficultés à cet égard
étant surmontées, le reste est comparativement simple, la
terre étant tout à fait propre et toute prête à être cultivée en
cannes immédiatement. L'un des grands défauts des terres
des zémindars q u a n t a la culture de la canne d'Otahiti, c'est
qu'elles ont absolument besoin d'une forte fumure, et qu'il
est difficile de se procurer en même temps une quantité
d'engrais suffisante pour fumer à la fois une grande étendue
de terrain. Dans de telles circonstances, le meilleur procède
à adopter, c'est de donner au sol un labour très profond
pour ramener à la surface une portion du sous-sol; travail
qu'il est impossible de faire exécuter par la charrue du pays.
On peut employer avec grand avantage pour cette opération
la petite charrue de bois représentée figure 4. J'ai déjà
Figure 4

DE LA CANNE. 231
parlé (pages 102 et 114) de ce petit et très utile instrument
aratoire ; il est nécessaire d'y revenir un peu plus en détail .
l
En 1841, la société d'agriculture et d'horticulture de
l'Inde m'adressa une petite charrue de bois sous la déno-
mination de charrue américaine pour la culture du cotonnier.
Je m'empressai de la faire fonctionner (dans un district du
haut Indoustan), pour vérifier jusqu'à quel point elle pouvait
convenir à la culture de la canne à sucre.
N'ayant pas trouvé qu'elle marchât aussi bien que je le
souhaitais, je la modifiai par degrés et je l'amenai au point
où elle est actuellement, en lui donnant le nom de charrue
américaine perfectionnée.
Non-seulement j ' e n ai fait person-
nellement usage, mais encore j ' e n ai fourni à plusieurs
planteurs de mes amis qui se sont adressés à moi pour se la
procurer; enfin je puis dire qu'au moment oùj'écris, cette
charrue est connue dans toute l'Inde. J'ai labouré et défoncé
avec elle quelque 3 ou 4 cents acres de terre ( 120 à
160 hectares) destinées à la canne à sucre ; je puis donc en
(1) L'instrument représenté figure 5 est une charrue à double ver-
Figure 5.
soir, excellente pour défoncer; lorsque cette charrue suit la charrue
n°1, elle relève très nettement la terre des deux côtés.


232 MODE DE CULTURE
toute sûreté la recommander en raison de sa solidité, du
bon travail qu'elle exécute et de son utilité pratique. Un
homme, un enfant et deux bêtes d'attelage suffisent pour
la manoeuvrer, le sol étant léger et facile à travailler.
L'homme prend la charrue sur son épaule et s'en va aux
champs suivi du garçon qui mène l'attelage ; le labour dure
de 5 heures 1/2 du matin à 9 heures 1/2, et le soir, de 3 à
6 heures. Pendant les 5 heures 1/2 du milieu du jour, les
bêtes d'attelage se reposent; elles reçoivent une ration de
pois et une de fourrage, puis on les met au pâturage pen-
dant une couple d'heures, de sorte que, l'après-midi, elles
sont tout à fait délassées lorsqu'elles se remettent à l'ou-
vrage. Les bœufs de labour dont j e me suis servi dans l'Inde
sont de deux races, celle qu'on nomme tirhoot, sans cornes,
à oreilles pendantes, et la race commune des bœufs indous
cornus ; les uns et les autres coûtent environ 16 roupies la
pièce (40 francs). E n donnant à ces animaux un seer (environ
l kilogramme) de gram (espèce de pois) et du boonah (four-
rage sec) à discrétion, puis en les laissant pâturer une couple
d'heures par jour, ayant soin de les loger la nuit dans une
étable bien sèche, je trouvais qu'ils pouvaient, dans une
journée de travail, labourer un beegah (28 ares) et tracer
les raies pour la plantation des cannes sur 3 beegahs
(84 ares), les lignes étant espacées entre elles à 1 . 2 0 .
m
Mes attelages exécutaient cette besogne sans interruption,
et ne manifestaient aucun signe de fatigue excessive: loin
de là, ils gagnaient visiblement en vigueur et en bonne santé.
Avant de tracer les raies pour la plantation des cannes,
ma terre avait reçu deux chasses et une façon soignée au
haingher.
L'ensemble de ces trois opérations employait trois jours

DE LA CANNE. 233
et demi pour 2 beegahs ; il coûtait environ une roupie par
beegah d'après le tarif ci-dessous : gages du laboureur avec
son garçon de service, ensemble 3 annas (environ 45 centi-
mes) par jour. — Pois pour les bœufs, 2 annas (30 centimes).
— Ration des bœufs d'attelage, 4 annas par jour (60 centi-
mes). — Total 9 annas (1 fr. 35 c ) .
Le planteur des Indes occidentales sera bien étonné d'ap-
prendre qu'au Bengale la terre peut être labourée deux fois,
bien ameublie avec les raies proprement tracées pour la
plantation des cannes, le tout pour 2 schellings et 7 pences
par acre (environ 8 francs par hectare) ; c'est cependant la
vérité. Quelques éclaircissements de plus sur ce que coûtent
la charrue et les bœufs de travail ne seront pas hors de
propos. La charrue peut être fabriquée, à l'exploitation
même, au prix de 5 roupies, y compris la ferrure de l'instru-
ment. On peut se procurer en quantité illimitée d'excel-
lents bœufs d'attelage, jeunes et admirablement dressés
à leur service, au prix de 10 à 20 roupies la pièce (25 à
50 francs), ce qui porte le prix de revient de la charrue
attelée, à environ 35 roupies (87 fr. 50 cent.). Il n'y a pas
un cultivateur, soit indou, soit européen, qui, après avoir
vu le travail effectué par cette charrue, puisse hésiter un
instant à avouer qu'une chasse donnée avec cet instru-
ment vaut plus que 20 chasses données avec la charrue
ordinaire du pays : telle est la charrue américaine perfec-
tionnée.
Avec la charrue commune du pays, le planteur peut faire
donner à sa terre deux chasses par beegah pour une roupie,
à l'entreprise, le laboureur amenant avec lui ses bœufs et
sa charrue. Mais la manière négligée dont ce travail estexé-
cuté par cet instrument, qui ne peut que gratter la terre,

234 MODE DE CULTURE
le rend tout à fait impropre aux labours appliqués à la
culture de la canne. Je voudrais pouvoir faire pénétrer bien
avant dans l'esprit des planteurs du Bengale la conviction
de l'urgente nécessité pour eux de donner à leurs terres
des labours profonds, ce qui est matériellement impossible
avec la charrue du pays. J'insisterai sur le bien qui résulte
toujours dans l'Inde d'un labour profond, et sur les avan-
tages qu'on obtient en ramenant à la surface une bonne
portion du sous-sol. C'est ce que fera la petite charrue
américaine perfectionnée,
sans fatiguer les attelages outre
mesure ou leur nuire en aucune façon. Il ne faut qu'un peu
de patience pour que les laboureurs et les attelages s'habi-
tuent à la faire fonctionner, après quoi l'ouvrage marche
tout seul. Je n'ai jamais personnellement attelé plus de
deux bœufs à une charrue ; mais si l'on juge à propos d'en
mettre trois ou même quatre, la dépense n'en est que très
légèrement augmentée.
Je n'ai pas éprouvé la moindre difficulté à engager les
cultivateurs indous à se servir de cette charrue sur mon
exploitation ; tout au contraire ; ayant augmenté leur solde
de quelques centimes par jour, j ' a i eu constamment à mon
service de bons laboureurs de profession; l'un d'eux seule-
ment était presqu'un enfant, et il ne faisait pas sa besogne
moins bien que les autres.
Il peut arriver, et il arrive en effet assez souvent, que le
planteur doit prendre possession d'une terre immédiate-
ment après qu'on vient d'y enlever une récolte de grains
(froment ou avoine), ce qui a lieu dans les premiers jours
de mars ; s'il se propose d'y planter des cannes en avril, il
n'a qu'un mois devant lui pour la préparer, ce qui ne lui
permet pas de la fumer. Toutefois cela n'a pas une grande

DE LA CANNE. 235
importance; c'est le commencement des pluies qui donne
le signal pour commencer l'opération.
Dans les provinces de Ghoruckpore et de Ghazeepore,
on tire souvent parti des nuits éclairées par la lune pour
labourer, lorsque les vents brûlants soufflent avec violence
à l'époque de la plantation. J e regarde cette pratique comme
excellente partout où elle peut être adoptée ; car, dans ce
cas, la terre n'est jamais aussi brûlée qu'elle le serait si les
labours étaient donnés pendant le jour.
§ 42. — Plantation de la canne au Bengale. — Saison favorable.
Si le planteur peut obtenir des ryots les terres aussitôt
après l'enlèvement de la récolte du riz, il a largement le
temps de leur donner des labours profonds, une fumure, et
toutes les façons préparatoires pour planter les cannes en
février, mars et avril ; de cette manière les cannes seront
bonnes à récolter en novembre et décembre.
Je regarde le mois d'avril comme le plus favorable pour
la plantation des cannes, pourvu qu'on dispose de moyens
suffisants pour les irriguer au moment de la plantation et
plus tard périodiquement. Pendant les sept ou huit mois
lue dure leur végétation, on peut admettre que les cannes
exigent une irrigation lorsqu'on les plante, deux autres à
des époques ultérieures, six binages et six éclaircissements
de leurs feuilles. Si la plantation est faite en mars, il leur
faut un plus grand nombre de binages et d'irrigations, sans
parler du temps plus long pendant lequel elles seront expo-
s e s aux ravages des fourmis blanches et des animaux sau-
vages, et aussi pendant lequel ceux qui les surveillent de-
vront être payés. Bref, en plantant en avril, la dépense et

236 MODE DE CULTURE
les risques sont réduits de onze ou douze mois à sept ou
huit mois, ce qui est fort important.
La plantation en septembre, octobre et novembre a aussi
ses avantages, consistant principalement en ce que les
cannes tallent avec vigueur pendant la saison chaude ; mais
aussi elles réclament le secours de l'irrigation pendant les
mois de chaleurs sèches, et elles sont généralement plus
exposées à être rongées par les fourmis blanches et par
leurs autres ennemis ; c'est pourquoi j e trouve préférable
la plantation pendant les mois de printemps. Mais le plan-
teur est souvent obligé de planter des cannes alors qu'il
préférerait ne pas planter. Toutefois, s'il dispose d'une
bonne machine à irriguer et qu'il soit d'ailleurs dans des
conditions favorables, il n'a pas besoin de se regarder
comme fort à plaindre à cet égard ; car il ne lui sera jamais
bien difficile de faire fonctionner à la fois une douzaine ou
même deux douzaines de charrues, telles que celle que j'ai
décrite. Avec ce nombre de charrues, on peut façonner et
planter en cannes une grande étendue de terrain en trente
jours, ou pendant toute autre période que les circonstances
peuvent rendre encore plus courte pour ces opérations. La
difficulté la plus sérieuse sera celle de se procurer une assez
grande quantité de têtes et de tronçons de cannes pour
boutures, pour pouvoir planter à mesure que la terre sera
labourée et que les raies y seront tracées. On aura bien des
cannes du pays tant qu'on en voudra; il y en a partout de
disponibles en grande abondance ; mais, comme elles ne
sont pas de l'espèce qui mérite la préférence, il est bon de
se mettre en mesure d'avoir un approvisionnement de bou-
tures de cannes d'Otahiti, de Salangore et des autres es-
pèces d'élite. Le planteur qui ne peut pas s'en procurer

DE LA C A N N E . 237
dans son voisinage doit avoir recours au jardin de la société
à Calcutta, où l'on peut toujours en obtenir. Ces cannes,
plantées et cultivées avec des soins judicieux, fourniront
bientôt autant de cannes pour boutures qu'on en pourra
désirer.
Ce procédé peut sembler long et ennuyeux ; c'est cepen-
dant celui que moi et bien d'autres nous avons dû suivre ;
néanmoins la canne d'Otahiti est devenue actuellement plus
commune dans l'Inde, et cette difficulté est probablement
moins grande qu'elle ne l'a été précédemment. E n atten-
dant que la pépinière de cannes d'Otahiti fournisse de quoi
cultiver cette espèce sur une assez grande échelle, il n'y a
pas de mal à planter comme récolte immédiate les cannes
du pays les moins mauvaises qu'on peut se procurer ; ainsi,
peu à peu, la canne d'Otahiti chasse celle du pays jusqu'à
ce qu'elle la remplace exclusivement dans les cultures.
On sait que les quelques entre-nœuds supérieurs de la
canne, formant ce qu'on nomme sommité (top), sont ce
qu'il y a de meilleur pour planter comme bouture; mais
comme tout entre-nœuds muni d'un seul œil doit donner un
rejeton, il arrive souvent que le planteur, en l'absence
d'une quantité suffisante de têtes, coupe des cannes par
tronçons nommés dans ce cas boutures de cannes, et qu'il
en forme ses plantations par nécessité.
Ceci me conduit à parler de la méthode particulière en
usage parmi les Indous, souvent aussi pratiquée par les
Européens, d'enterrer les boutures de cannes dans une
sorte de couche, jusqu'à ce qu'elles commencent à pousser;
ils les enlèvent alors avec précaution, et les mettent en
place dans leurs champs. E n les plaçant dans la couche, il
importe d'avoir soin qu'elles soient disposées en rangées

2 3 8 MODE DE CULTURE
régulières, avec de la paille et un peu de terreau entre
chaque rangée ; lorsqu'on les retire de la couche, il faut les
manier avec beaucoup de délicatesse, sans quoi les jeunes
pousses qui sont blanches et tout à fait tendres pourraient
être rompues et détruites. J'en ai fait personnellement
l'essai plusieurs fois ; j ' a i trouvé que, quand les boutures
étaient mises en place dans une terre à la fois humide et
chaude, elles reprenaient très bien; mais dans un sol froid
et mouillé, elles avaient tant à souffrir que bien peu for-
maient de bonnes plantes ; dans un sol chaud et sec, ne pou-
vant être irrigué, elles sont en général brûlées et totale-
ment détruites.
J'en conclus que, durant la saison froide, les boutures
ainsi préparées ne peuvent pas être plantées dans un sol
humide; pour mieux dire, en pareil cas, elles ne réussi-
raient dans aucun terrain ; mais en février, quand la terre
a été rafraîchie par une ondée de pluie bienfaisante, et du-
rant la saison chaude, quand les champs ont été irrigués
immédiatement avant la plantation, j ' a i trouvé que ce genre
de boutures réussissait à souhait ; elles demandent seule-
ment pendant la saison chaude à être enterrées à une cer-
taine profondeur. Au total, je ne crois pas, en exceptant
toutefois la saison chaude, que ce système de préparation
des boutures puisse amener aucun bon résultat; mais pen-
dant les chaleurs, j ' a i certainement constaté ses avantages,
bien qu'il entraîne une augmentation de frais de culture en
raison des précautions qu'exige la mise en place des bou-
tures en végétation .
1
(1) On peut couper une ample provision de boutures et les con-
server ainsi sur couche (ou en jauge) sur le terrain jusqu'à ce que

DE LA CANNE. 239
Les cannes d'Otahiti, lorsque la plantation est faite en
février, mars, avril ou mai, doivent être plantées en lignes
régulières à l .80
m
de distance, les boutures espacées entre
elles de 0 .60
m
dans les lignes. On place en ce cas deux
sommités ou boutures dans chaque trou ; mais si les bou-
tures sont à 0 .30
m
seulement dans les lignes, une seule
bouture suffit pour chaque touffe. Je préfère la méthode de
placer les boutures à 0 .30
m
l'une de l'autre dans les lignes ;
on évite ainsi l'inconvénient d'avoir souvent deux plantes
croissant presque côte à côte sur un trop petit espace.
Quand la plantation est terminée et qu'on a remplacé au
besoin les boutures qui n'ont pas poussé, on irrigue les
champs de cannes, qui sont ensuite binés et sarclés jusqu'à
la saison des pluies; alors, elles commencent à végéter
avec une étonnante rapidité. L'attention du planteur doit
se porter ultérieurement sur les opérations du sarclage, du
buttage et de l'éclaircissement des feuilles de cannes.
Sans le buttage, les cannes dont les sommités sont fort
pesantes verseraient ; mais étant bien buttées, elles tiennent
solidement en terre et sont assurées contre les chances de
verser. Dans les terres très fertiles, il est nécessaire pen-
dant la saison humide d'éclaircir souvent les feuilles, en
ayant soin d'enlever toutes les feuilles sèches ou fanées,
sans toucher aux feuilles encore vertes et utiles à la plante,
L'opération doit être périodiquement répétée jusqu'à la fin
de la saison des pluies ; après cette période, on ne doit plus
éclaircir qu'à de longs intervalles, selon que les circon-
stances l'exigent.
le sol ait reçu les façons qui précèdent la plantation; autrement ces
boutures seraient desséchées au moment de s'en servir.

240 MODE DE CULTURE
Si, comme il est probable, on a besoin des cannes pour la
fabrication du sucre en novembre et décembre, les cannes
devront être effeuillées une fois en octobre, et une dernière
fois pendant la semaine qui précède la récolte. Les circon-
stances peuvent quelquefois rendre utiles deux éclaircisse-
ments des feuilles dans le courant d'octobre; c'est ce qui a
lieu, par exemple, quand les cannes ont poussé trop ser-
rées les unes contre les autres, et qu'elles paraissent trop
aqueuses; mais, alors même qu'il est nécessaire d'éclaircir
le plus possible, les feuilles vertes, agissant encore en faveur
de la plante, ne doivent pas moins être respectées.
En se conformant soigneusement à ces indications, le
planteur aura de belles cannes à porter au moulin en no-
vembre et décembre; elles auront à cette époque l'âge de
9 à 10 mois seulement; elles fourniront un jus riche et
abondant dont on obtiendra du sucre d'exellente qualité.
§ 4 3 . — Machines à vapeur mobiles pour les plantations
aux Indes orientales.
J'ai particulièrement insisté (pages 171 et suiv.) sur les
avantages que peuvent procurer, dans les plantations des
Indes occidentales et des colonies des détroits malais, la pos-
session et l'usage d'une machine à vapeur portative. Il n y a
aucun pays dans le monde entier, où une pareille machine
puisse rendre plus de services qu'au Bengale. Je pense tou-
tefois que, dans ce pays, deux où trois de ces machines
ayant chacune une force d'environ 4 chevaux de vapeur
sont préférables à l'emploi d'une seule machine portative de
la force de 8 où 10 chevaux.
Ces petites machines si maniables peuvent se porter

DE LA CANNE. 241
elles-mêmes près des divers puits, étangs ou cours d'eau
existant sur une plantation, et pomper l'eau pour les irri-
gations dans la saison chaude ; elle peut labourer pendant
les nuits de clair de lune, et exécuter une foule d'autres
travaux. Le planteur du Bengale comprendra bientôt, j e
l'espère, la nécessité d'établir une exploitation sur un plan
méthodique et régulier, au lieu de prendre en location aux
propriétaires indous des pièces de terre détachées de peu
d'étendue, d'où il résulte que les cultures d'une plantation
s'étendent sur un espace de plusieurs milles. J e sais qu'il
est difficile d'avoir de grandes pièces de terre d'un seul
morceau ; mais la difficulté n'est pas insurmontable, et je
connais beaucoup de zémindars dont, avec un peu de p a -
tience et de libéralité, il est possible d'obtenir en location
par bail 500 beegahs de terre tout d'une pièce (140 hec-
tares), ce qui constitue assurément une belle plantation.
Une terre ainsi agglomérée permet de mettre à exécution
une culture systématique, impraticable là où les champs de
cannes sont morcelés et très éloignés les uns des autres,
tels qu'ils le sont d'ordinaire actuellement dans l'Inde.
§ 44. — Bœufs préférables aux éléphants pour les labours au Bengale.
J'ai dit précédemment combien les éléphants peuvent
rendre de services pour la culture de la canne dans les co-
lonies des détroits malais ; on pourrait croire qu'il en est de
même au Bengale, ce qui est vrai jusqu'à un certain point ;
mais d'une part, dans les terres éloignées des jungles, la
nourriture des éléphants serait très coûteuse ; de l'autre,
dans la saison des pluies, le pied large et le poids énorme
des éléphants pétriraient le sol d'une manière fâcheuse ;
16

2 4 2 MODE DE CULTURE
puis, dans la saison chaude, les éléphants ne supportent
pas aussi bien que les bœufs un travail continu. Par-dessus
tout, le prix d'achat d'un éléphant dans l'Inde est égal à
celui de huit bons jeunes bœufs, capables de faire autant ou
même plus de travail utile qu'un éléphant.
J'ai su du docteur Keith-Scott que les éléphants lui ren-
dent d'excellents services dans sa plantation de Gowhattie,
au royaume d'Assam; ils labourent ses champs, traînent
ses chariots et font toute sorte d'autre besogne. Il les repré-
sente comme les animaux les plus utiles dans une planta-
tion, et en même temps les moins coûteux; j e suis con-
vaincu que, pour le royaume d'Assam, tout cela est
parfaitement exact; mais, entre l'Asssam et le Bengale, il
y a des différences telles qu'au Bengale je crois les bœufs
préférables aux éléphants pour les labours. Je dois faire
observer au planteur que je parle ici des labours exécutés
par de bons bœufs d'attelage, bien nourris, logés dans de
bonnes étables et convenablement soignés, et non des
labours faits par des animaux tenus sans aucun soin, et a
demi morts de faim et de misère.
Le planteur peut, à ce propos, faire son profit du change-
gement complet qui, durant ces dernières années, s'est
manifesté dans la manière de nourrir, de traiter et de faire
travailler les chevaux en Angleterre. Rien n'est plus rare
aujourd'hui que de voir à Londres, ou même dans les cam-
pagnes, un cheval maigre ou mal nourri. A mon retour de
l'Inde, je fus tellement frappé de ce changement que j'en
fis l'observation à l'un de mes amis, qui me répondit aus-
sitôt : « Ah ! c'est que les gens qui ont des chevaux de travail
ont trouvé, tout compte fait, que, mieux leurs chevaux sont
nourris, plus ils en obtiennent de travail utile; ils payent

DE LA CANNE. 243
l'intérêt composé de leur râleur et de leur entretien, tandis
qu'avec les animaux demi-morts de faim, ils perdent de
l'argent. Oui, mon cher monsieur, c'est l'intérêt personnel
et non l'humanité qui porte ces gens du peuple à bien
nourrir leurs chevaux, ainsi que vous l'avez remarqué. »
§ 4 5 . — Soins à donner au bétail dans l'Inde orientale
pendant la saison chaude.
Peut-être le planteur du Bengale pensera-t-il qu'il ferait
bien d'essayer du même système; j ' e n ai l'espoir; car, dans
l'état actuel des choses, son bétail est honteusement négligé.
Je me souviens qu'un de mes voisins perdit en une fois
400 têtes de gros bétail sur 1 , 2 0 0 qu'il possédait; je ne
fus pas peu étonné de l'entendre attribuer sérieusement à
une épizootie, alors que, sur 200 bœufs, j e n'en avais perdu
que deux qui étaient malades depuis fort longtemps. J'allai
voir mon infortuné voisin et un ou deux autres planteurs
qui avaient aussi éprouvé des pertes énormes de bestiaux
par suite d'une prétendue épizootie ; la cause de mortalité
des bœufs était évidente à mes yeux. Le fait est que, tout
simplement, les chaleurs excessives avaient grillé et fait
disparaître tout vestige d'herbe ; ces nombreux troupeaux
de bœufs avaient donc été réduits à vivre de feuilles et de
jeunes plantes dans les bois, recevant en outre quelques
feuilles de cannes coupées la saison précédente pour être
livrées à la fabrication du sucre. Cette nourriture si insuffi-
sante avait rendu encore plus cruel pour les pauvres bêtes
le rude travail qu'on exigeait d'eux à la même époque. J e
vis travailler 1 8 à 20 bœufs dans chaque moulin à broyer les
cannes ; deux de ces moulins étaient en activité dans une

244 MODE DE CULTURE
plantation. A force de coups, on était parvenu à leur faire
broyer la quantité de cannes exigée ; les attelages de ces
bœufs-squelettes se relayaient tour à tour de 5 heures du
matin jusqu'à la nuit ; les moulins cessaient alors de fonc-
tionner. S'ils avaient été dans de bonnes conditions, le
service des moulins par relais n'eût été pour ces boeufs
qu'un travail ordinaire ; tout le mal venait d'une fausse
économie apportée dans l'approvisionnement en fourrage
pour les mois des fortes chaleurs : ceci a besoin d'explication.
Dans plusieurs districts de l'Inde, les cultivateurs indous,
aux approches de la saison chaude, envoient loin de leurs
villages leurs troupeaux de bœufs sur des prairies natu-
relles qu'ils nomment ter ai, où dans des lieux incultes
où les animaux trouvent à subsister durant les mois des
grandes chaleurs. Le planteur européen qui ne songe pas
à en faire autant est forcé, s'il veut conserver ses bœufs,
d'acheter aux villageois des environs autant de paille de riz
et de fourrage qu'il en faut pour la consommation de ces
animaux pendant trois où quatre mois. Ce n'est pas une
petite affaire d'avoir à nourrir ainsi 1,200 bœufs ; et pour-
tant, pas moyen de l'éviter. Mon voisin paraissait avoir
omis cette précaution, ou bien il n'avait pas pu la prendre;
un grand nombre d'entre ses bœufs mourut de faim ou
d'excès de travail avant le retour de la saison pluvieuse.
Dès que parut la première herbe toute pleine d'eau, le bétail
affamé en dévora des quantités prodigieuses, ce qui eut
pour effet de le parger avec excès. Dans leur état de
maigreur, les bœufs ne purent supporter cette purgation
excessive ; ils en moururent en masse, comme s'ils étaient
tombés victimes d'une épizootie. Telle est la solution aussi
simple que complète de la question, solution confirmée

DE LA CANNE. 245
d'ailleurs par ce fait que, durant la même période, sauf les
deux bœufs malades dont j ' a i parlé plus haut, je n'avais
pas perdu une seule tête de bétail. C'est que mes bœufs,
pendant la saison chaude, étaient amplement pourvus de
fourrage; ils n'étaient mis au pâturage, au retour de la sai-
son des pluies, que pendant peu de temps chaque j o u r ; ils
étaient nourris de foin sec, et pouvaient lécher des blocs
de sel brut à discrétion. Il résulte de ce qui précède qu'au
Bengale, le gros bétail doit être abondamment approvi-
sionné pour le temps de la sécheresse, et que les bœufs qui
travaillent doivent être maintenus dans le meilleur état
possible, sinon l'on ne peut espérer qu'ils feront d'une
manière satisfaisante rien qui ressemble à une bonne be-
sogne. J e ne puis omettre de mentionner une coutume bru-
tale des laboureurs indous, qui tressent la queue de leurs
bœufs ; aucun Européen ne devrait permettre qu'une telle
cruauté fût pratiquée sur son bétail. Presque tous les bœufs
de travail qu'on rencontre dans l'Inde ont la queue tressée
ou tortillée de toute sorte de manières, ou bien ils n'en ont
pas du tout. Quelques-uns ont leur queue tout entière, mais
disloquée à chaque vertèbre ; d'autres n'ont que la moitié
de leur queue, d'autres en sont totalement privés. Si le
premier qui, dans une plantation, s'aviserait de torturer
ainsi les bœufs était sévèrement puni, la coutume serait
bientôt abandonnée ; j'en ai fait l'expérience.
Après ces détails, un peu longs peut être, mais que j ' a i
crus nécessaires, sur la manière de traiter les bestiaux et
de les faire travailler, je terminerai mes observations sur
les plantations de canne à sucre au Bengale, en appelant
l'attention sur deux points dont je n'ai point encore fait
mention quant à l'indostan.

246
MODE DE CULTURE
§ 4 6 . — Rejetons de la canne. — Ne sont pas avantageux au Bengale.
La premier, c'est l'emploi de la bagasse comme chauffage;
au lieu de l'employer frais comme engrais ; le second, c'est
la convenance de replanter les champs de cannes tous les
ans, où pour le moins tous les deux ans. J'ai déjà déduit
amplement les raisons qui défendent de se servir de la ba-
gasse comme chauffage, ces débris devant être rendus à la
terre et non pas brûlés ; mais la manière d'en tirer parti
diffère de ce que j'ai conseillé pour les plantations des Indes
occidentales et celles des colonies des détroits ; ceci tient à
ce que les terres au Bengale, surtout celles du haut Bengale,
sont infestées de myriades de fourmis blanches. La vraie
méthode consiste à réunir le marc frais des cannes broyées,
leurs sommités fraîches et leurs feuilles sèches, dans des
réservoirs creusés en terre à proximité des puits, étangs
ou cours d'eau de chaque plantation ; ces substances y sé-
journent jusqu'à ce qu'elles soient décomposées; alors, on
les fait servir à fumer les champs de cannes ainsi que je
l'expliquerai en détail dans un des chapitres suivants. On
ne doit employer comme chauffage que le bois et la houille
qu'il est possible de se procurer sans aucune difficulté.
Quant à l'utilité du renouvellement des plantations de
cannes tous les ans ou tous les deux ans, je dois dire qu il
ne m'est jamais arrivé de voir dans l'Inde des cannes réel-
lement bonnes provenir de rejetons (rattoons). On peut
laisser croître les premiers rejetons ; mais il y a perte de
temps, de main-d'œuvre et d'argent, à compter sur les se-
conds ou les troisièmes rejetons, s'ils doivent être de la
qualité de ceux que j'ai vus. J'ai aussi remarqué que les

DE LA CANNE. 247
fourmis blanches pullullent entre les racines des cannes
qui donnent des rejetons, et que ces insectes causent à la
végétation des cannes un immense dommage. Au contraire,
lorsqu'on plante tous les ans ou tous les deux ans, le bon
travail d'ameublissement que reçoit la terre brise les de-
meures souterraines des fourmis blanches, les dérange et
les fait périr. Les façons continuelles données au sol, com-
prenant les labours préparatoires et plus tard les sarclages,
binages et buttages des cannes, produisent l'effet le plus
salutaire contre ces terribles ennemies de la canne à sucre ;
on a constaté que les fourmis blanches finissent par éva-
cuer, du moins en grande partie, les champs où elles ont
été continuellement troublées par les labours.
Dans l'Inde, la dépense du renouvellement de la planta-
tion des cannes est si peu de chose, il en résulte un si
grand accroissement de produits, que pas un planteur, j e
pense, ne doit hésiter à adopter cette pratique, surtout s'il
réfléchit au bien qu'il fait à sa terre, et au mal qu'en éprou-
vent ses ennemies capitales les fourmis blanches.
Lorsqu'on renouvelle la plantation, toutes les vieilles
racines de cannes doivent être brûlées ; les nouvelles
cannes doivent occuper le milieu des intervalles des raies
de la première récolte, afin de ne pas se trouver à la même
place que les anciennes. Lorsqu'on se décide à laisser
pousser les rejetons pour en obtenir une seconde récolte,
il est à propos de niveler les biilons formés par le buttage,
et aussi de rabattre les vieilles souches des cannes, de fa-
çon à ce que le champ paraisse tout uni. Le retranchement
des souches de cannes peut se faire avec une houe à bord
bien affilé ; si l'ouvrier est adroit, il n'endommage pas les
parties que les planteurs nomment stools (escabeaux) et des-

248 MODE DE CULTURE
quelles les rejetons doivent sortir. Pendant la saison chaude,
les cannes venues de rejetons ont besoin d'irrigation comme
les jeunes cannes de bouture. Un bon arrosement leur
sera probablement nécessaire aussitôt après le nivellement
des billons et le rabattage des souches, afin de favoriser la
pousse vigoureuse des rejetons. On peut regarder cette
première irrigation comme indispensable quand les pre-
mières cannes ont été récoltées en novembre et décembre,
la terre étant à cette époque tout à fait sèche ; on peut au
contraire s'en dispenser s'il est tombé de bonnes ondées de
pluie après la récolte des cannes.
Quelques-unes des indications contenues dans les pages
précédentes sur la culture de la canne à sucre aux Indes
orientales, ne trouveront pas leur application dans les dis-
tricts plus heureusement situés quant aux saisons que ceux
en vue desquels j ' a i écrit ; les planteurs ( s'il y a lieu), dans
ces localités plus favorisées, auront égard aux différences
qui pourront se manifester.
§ 47. — Observations générales sur les plantations de canne à sucre.
— Avantages particuliers de la colonie de Malacca pour l'industrie
sucrière.
J'ai peut-être été un peu long à décrire les systèmes de
culture suivis aux Indes orientales, aux colonies des dé-
troits et au Bengale, comme aussi dans mes conseils sur
les pratiques particulières qui me semblent le mieux appro-
priées à chacun de ces pays. Je n'ajouterai plus que quel-
ques observations sur l'établissement et l'organisation des
plantations sucrières en général, pour lesquelles je réclame
toute l'attention du lecteur avec les plus vives instances.
Une bonne terre fertile, un climat approprié à la végé-

DE LA CANNE. 249
tation de la canne, un ordre favorable de saisons, sont n é -
cessaires à la croissance et au parfait développement de
cette plante ; mais, lorsqu'on forme une plantation, il est
d'autres considérations auxquelles il faut aussi avoir égard.
Telles s o n t , entre autres, la facilité des communications
jusqu'à un port de mer; l'abondance de l'eau potable, du
bois, de la houille, de la main-d'œuvre et des denrées ali-
mentaires ; la bonne disposition des terres facilement la-
bourables ; enfin la salubrité de la localité. Tels sont les
objets principaux auxquels il faut penser d'avance ; il y en
a d'autres encore, quoique de moindre importance, que ne
perd pas de vue le planteur prudent et expérinenté. La
possession d'un domaine réunissant tous les avantages dé-
sirables peut très bien n'être pas le gage de l'heureux suc-
cès d'une entreprise de ce genre, si les terres en sont ex-
ploitées d'après un plan mal conçu, et que le planteur
montre peu de jugement dans la direction des travaux.
Pour réussir dans le vrai sens de cette expression, une
plantation doit être d'une étendue modérée, point morcelée
et d une surveillance facile.
A la Jamaïque, même en 1831, 500 acres (200 hectares)
plantées en cannes étaient considérées comme une grande
plantation; je puis affirmer que, dans quelque partie du
monde que ce soit, un tel espace de terres cultivées consti-
tue une belle propriété, d'une étendue suffisante.
Mais l'étendue des cultures ne constitue pas une belle
et bonne plantation dans le vrai sens de cette expression,
à moins qu'elle ne soit parfaitement plantée, et administrée
avec un esprit judicieux. J e prends donc la supposition
d'une propriété de 500 acres (200 hectares) pour montrer
comment elle pourrait et devrait être organisée.

250 MODE DE CULTURE
Pour que les économies soient sérieuses, elles doivent
porter sur l'appropriation de chaque partie, afin d'assurer
la marche facile de l'ensemble ; ainsi une plantation de
cannes à sucre doit fonctionner aussi régulièrement, aussi
aisément qu'une pièce de mécanique bien construite. Nous
prendrons bientôt l'habitude de juger de la capacité d'un
planteur d'après la constance des quantités et de la qualité
du sucre produit par les terres qu'il cultive chaque année,
et par le chiffre des dépenses qui auront été faites pour
obtenir cette production.
Nous nous affranchirons de l'idée fausse qu'une terre
puisse finir par s'épuiser, lorsqu'elle est convenablement
exploitée ; cette excuse ne servira plus au gérant respon-
sable d'une plantation contre les revers qui résulteront de
l'exercice de sa profession nous ne verrons plus alors le
planteur essayer de cultiver plus de terres qu'il n'en peut
exploiter dans les meilleures conditions.
Si une acre de terre peut donner 2 ou 3 tonnes de bon
sucre marchand, l'on ne souffrira aucune des fautes ou des
désordres qui peuvent affaiblir ce rendement annuel. Il est
beaucoup plus économique et moins pénible sous tous les
rapports de cultiver 100 acres de terre (40 hectares) assez
soigneusement pour en obtenir une moyenne annuelle de
250 tonnes de sucre, que d'obtenir le même produit par la
culture de 250 acres ( 100 hectares). On ne s'en formerait
pas une juste idée si l'on en jugeait seulement par les efforts
que fait le planteur pour avoir à montrer une grande éten-
due de terre cultivée. Il faut le voir courant d'un champ
de cannes à l'autre, faisant donner quelques miettes de
fumier à celui-ci, un binage à celui-là, un semblant déri-
soire de sarclage et d'éclaircissement des feuilles à un troi-

DE LA C A N N E . 251
sième ! Ceux qui ont été en contact avec un tel système, ou
mieux avec une telle absence de tout système d'exploita-
tion, savent seuls à quel point il fatigue et éreinte tout dans
une plantation, depuis celui qui la dirige jusqu'à ses misé-
rables bestiaux.
Et après tout, quel résultat obtient-il de tant de tour-
ment et de fatigue ? L a moitié, le tiers peut-être de ce que
le même terrain, mais convenablement cultivé, aurait pu
produire ; en d'autres termes, il n'a que ce que la moitié ou
le tiers de sa terre lui aurait donné moyennant un système
dont l'application aurait réduit de moitié ses frais, sa peine
et ses inquiétudes.
Le lecteur comprend maintenant pourquoi je nomme une
grande plantation celle qui compte 500 acres (200 hec-
tares) cultivées en cannes; il ne doit pas s'étonner si j'af-
firme que, tous les ans, des champs d'une semblable éten-
due doivent fournir de 750 à 1000 tonnes de sucre sec.
Ce produit moyen se maintiendra pendant une série indé-
terminée d'années successives; il n'y a pas de diminution
à craindre ; la fertilité du sol doit croître plutôt que s'affaiblir,
si l'on suit exactement les conseils que je viens d'exposer.
J'ai dit que 500 acres (200 hectares) suffisent pour con-
stituer une belle et bonne plantation bien exploitée, ayant
son directeur et sa sucrerie ; s'il s'agit de former un très
grand établissement, comme dans le cas où une puissante
compagnie financière entreprendrait l'industrie sucrière
coloniale, il conviendra de diviser la terre en exploitations
de 500 à 600 acres chacune (200 à 240 hectares).
Ainsi, dans une propriété de 5,000 acres (2,000 hec-
tares), il y aurait lieu de constituer 10 plantations de 500
acres ayant chacune une machine à vapeur pour elle seule,

252 MODE DE CULTURE DE LA CANNE.
un moulin, des clarificateurs, et un directeur avec ses em-
ployés ; une grande sucrerie centrale recevant de toutes
ces plantations le jus clarifié pour le convertir en sucre et
en rhum. Chaque plantation aurait à broyer ses cannes et
à clarifier le j u s , qui serait transporté à la sucrerie cen-
trale dans des vases appropriés à cette destination. Tous
les résidus y seraient également transportés dans des vases
séparés pour servir à la fabrication du rhum.
Ces transports pourraient s'effectuer, soit par eau, soit
par des chemins ordinaires, en traîneau, selon les facilités
résultant de la nature des localités. Si les dispositions sont
bien prises, le jus de canne, pendant ce temps, ne peut subir
aucune altération. Rien ne serait même plus facile que de
faire arriver à la sucrerie centrale le jus de canne non cla-
rifié (légèrement chauffe), sans qu'il fût exposé à s'aigrir;
on éviterait ainsi la nécessité d'avoir des clarificateurs dans
toutes les plantations. J e ne crois pas, toutefois, que cette
dernière économie fût d'une grande importance ; j'aurai oc-
casion d'y revenir en temps et lieu.
Il n'y a pas de système de culture de cannes et de fabri-
cation du sucre qui puisse être conduit aussi bien et à aussi
bon marché si l'on opère en petit que si l'on opère sur une
très grande échelle ; mais chaque division doit fonctionner
sincèrement, de manière à concourir au succès de l'ensem-
ble. Dans la presqu'île de Malacca , un établissement
1
aussi étendu aurait beaucoup plus de chances de succès que
dans tout autre pays du monde à ma connaissance.
(1) Un ouvrage sur les trois colonies de Singapore, Pinang et
Malacca, par l'auteur de ce traité, est sous presse; les avantages
particuliers de ces colonies pour les plantations de canne à sucre et
pour d'autres cultures y seront soigneusement exposés.

CHAPITRE IV.
Des engrais considérés chimiquement.
§ 1 — Objet spécial de l'emploi des engrais.
e r
Lorsque nous donnons de l'engrais à nos terres, l'objet
que nous avons en vue, c'est d'en entretenir la fertilité à
un degré constant, qui nous permette d'en obtenir tous les
ans la plus forte somme de produits possible.
Il est rationnel d'admettre qu'on épuise le sol par l'en-
lèvement des récoltes successives, à moins qu'on ne lui
rende sous une forme quelconque les substances dont il a
été privé; l'expérience de tous les jours prouve qu'en effet
les choses se passent ainsi. On a déjà souvent démontré
que, si les plantes croissant sur un espace de terre déter-
miné sont enfouies dans le sol par le labour alors qu'elles
sont encore à l'état frais et succulent, elles en augmentent
sensiblement la fertilité.
Ce fait tient à la quantité d'aliments que ces plantes ont
empruntée à l'atmosphère pendant leur croissance, de sorte
que, lorsqu'elles sont enterrées dans le sol même sur lequel
elles ont végété, elles lui rendent beaucoup plus qu'elles
n'en ont reçu ; elles l'enrichissent par conséquent plus ou
moins selon la quantité de principes utiles qu'elles lui four-
nissent.
Quelques plantes produisent sous ce rapport des effets
beaucoup plus remarquables que d'autres ; par exemple.

254 DES ENGRAIS
le trèfle enfoui dans la terre pendant qu'il est en fleurs
l'enrichit excessivement. E n Europe, il est fort employé
pour cet usage. C'est ce qu'on nomme une fumure verte,
qui porte dans l'intérieur de la couche cultivable le carbone
et l'ammoniaque puisés par lui dans l'atmosphère pendant
le cours de la végétation de la plante enfouie. Cette plante
s'est aussi approprié les matières excrétées par les autres
plantes que le sol a pu porter antérieurement ; elle y dé-
pose ses propres excréments, qui serviront à alimenter les
plantes croissant après elle dans la même terre. En Europe,
et sous tous les climats froids, ces matières excrémentitielles
rejetées par les végétaux mettent bien plus de temps à se
décomposer que dans les régions tropicales ; la nécessité
d'adopter une rotation rationnelle de récoltes (assolement)
est par ce motif plus pressante en Europe que sous les tro-
piques.
§ 2 . — Conversion de la matière organique en humus.
Toutes les plantes rejettent des excréments qui, soumis
dans le sein de la terre à l'action de l'air et de l'humidité,
entrent en putréfaction et deviennent de l'humus, formé de
débris végétaux à l'état de décomposition. Ce dépôt de ma-
tière organique est commun à toutes les plantes ; il exerce
sur la terre une influence favorable en lui fournissant une
substance capable d'être convertie en humus, dont la pré-
sence est très désirable dans le sol. Mais la même plante ne
peut pas continuer longtemps à être cultivée dans le même
sol sans ressentir l'action sérieusement nuisible de ses pro-
pres déjections ; à la longue, cette seule cause fait qu'elle
refuse absolument d'y croître. Toutefois on peut aider arti-

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 255
ficiellement à la plus rapide conversion de ces déjections
en humus ; c'est ce qu'on fait en retournant fréquemment
le sol avec la houe ou la charrue, ce qui expose les déjec-
tions des plantes à l'action de l'atmosphère, et aussi en i r -
riguant le sol avec de l'eau de rivière. On sait que l'eau des
rivières et les diverses eaux courantes contiennent en solu-
tion de l'oxygène qui opère la rapide et complète décompo-
sition des matières excrémentitielles contenues dans le sol
où cette eau pénètre. (Liebig. )
J'ai commencé à aborder les engrais, en traitant ce qui
me paraît être la clef du système exigé par la culture de la
canne à sucre. Je voudrais pouvoir rendre évident ce simple
fait que, par le secours des labours fréquents, la canne peut
se fournir complétement à elle-même son propre engrais,
et que, là où l'on y ajoute l'irrigation, la fertilité du sol peut
en être augmentée.
Avant tout, remarquons que, dans ce cas, nous ne p r e -
nons à la terre que le jus de la canne, tout le reste lui étant
immédiatement restitué. Pour compenser même cette perte,
il nous faut rendre au sol toutes les cendres, soit de bois,
soit de houillle, provenant de nos foyers, aussi bien que les
résidus de la cuisson du sucre et de la distillation du rhum,
et, au besoin, quelque portion du fumier de nos bestiaux.
Avant d'aller plus loin, ce compte ouvert entre le planteur
et sa terre demande à être examiné à fond; je pense qu'il
résultera de ce compte que la terre n'a réellement à suppor-
ter aucun dommage.
Constatons d'abord ce que nous enlevons au sol quand
nous en obtenons une récolte de 5,600 livres de sucre
(2,350 kilogrammes) et la proportion ordinaire de rhum. L e
sucre pur est composé de carbone, d'hydrogène et d'oxy-

256 DES ENGRAIS
gène, soit carbone 12+ eau 11. Mais le sucre à l'état de
moscouade (cassonade) contient en outre des substances
minérales et des matières organiques, bien qu'elles y soient
en petite quantité quand la fabrication du sucre est ache-
vée. Le feuillage des cannes croissant sur une acre de bonne
terre offre, en y comprenant les autres parties vertes de
la plante, une surface trois ou quatre fois plus grande que
la superficie de la terre elle-même ; il a été très clairement
démontré que ces parties des plantes possèdent la faculté
d'attirer et d'assimiler le carbone de l'atmosphère. Cette
provision fournie par l'air est certainement limitée ; mais
elle est suffisante pour donner la quantité de carbone con-
tenue dans 5,600 livres de sucre (2,350 kilogrammes); elle
en donne même beaucoup au delà, l'on ne peut raisonna-
blement en douter.
§ 3 . — Carbone fourni par l'atmosphère, etc.
Liebig estime que l'atmosphère contient en carbone
3,000 billions de livres hessoises (la livre hessoise est d un
dixième plus pesante que la livre anglaise ; elle pèse conse-
quemment 462 grammes). Cette quantité de carbone atmo-
sphérique dépasse le poids de toutes les plantes et de tous
les dépôts de charbon minéral existant sur notre planète.
Le carbone est donc en quantité plus que suffisante pour
tous les besoins qu'il est appelé à satisfaire. Tant que dure
la végétation des cannes, elles ne cessent de déposer dans
la terre, par leurs racines, les matières excrémentitielles
dont j'ai parlé ci-dessus.
Quand ces déjections ne sont pas dérangées, elles s'ac-
cumulent à tel point que la terre ne peut plus se prêter à la

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 257
végétation des cannes; mais si, par de fréquents labours,
elles sont exposées aux influences atmosphériques , elles se
décomposent pour se transformer en humus ; l'humus four-
nit une provision sans cesse renouvelée de nourriture aux
racines des plantes, sous forme d'acide carbonique et d'am-
moniaque. Ainsi ces véritables déjections que la plante dé-
pose dans le sol deviennent par leur exposition à l'air, et
par l'oxydation qui en est la suite, une source abondante
de nourriture très convenable, pour elle-même d'abord,
puis pour les autres membres de sa famille qui lui succèdent
dans la même terre. La plus grande partie de cette matière
organique est incontestablement puisée dans l'atmosphère,
ainsi que l'ont prouvé surabondamment plusieurs expé-
riences directes ; on voit donc que, pendant toute la durée
de leur végétation, les plantes se préparent à elles-mêmes
un approvisionnement constant en engrais, et que l'inter-
vention de l'homme est nécessaire seulement pour faire su-
bir à cet engrais les changements qui doivent le rendre
assimilable aux végétaux.
§ 4 . — Influence atmosphérique.
Cependant les labours donnent encore lieu à d'autres
modifications que celles qui opèrent la conversion des ma-
tières excrémentitielles en humus. Les éléments minéraux
du sol sont, eux aussi, exposés, par suite des labours, aux
influences atmosphériques ; il en résulte une désintégra-
tion
d'une portion de leurs principes, qui, par l'intermé-
diaire de l'eau, deviennent aptes à servir de nourriture aux
végétaux.
Chaque labour que reçoit la terre peut donc être consi-
17

258 DES ENGRAIS
déré comme une FUMURE PAR L'ATMOSPHÈRE. » Un soc de
charrue toujours brillant, dit Cobbett, est l'amélioration la
moins coûteuse dont un fermier puisse se prévaloir. » Non-
seulement j e suis de l'avis de Cobbett, mais encore je de-
meure convaincu que le planteur qui tient les socs de ses
charrues toujours clairs en les faisant fonctionner trouvera
qu'il ne peut pas employer pour ses champs de moyen de
fertilisation moins dispendieux. Nous voyons alors la terre
constamment améliorée p a r l a fréquence des labours, et les
matières excrémentitielles rejetées par les cannes, transfor-
mées pour passer de l'état de substance nuisible à celui de
substance utile à la végétation, si bien que, le même sys-
tème continuant à être appliqué, la canne à sucre peut être
cultivée dans la même terre pendant des siècles. Il faut en
outre tenir compte de la quantité de cendres fournie par le
fourneau de la machine à vapeur et celui des évaporateurs,
ainsi que des résidus de la cuisson du sucre et de la distil-
lation du rhum.
§ 5 . — Consommation de la houille comme chauffage.
Une bonne machine de la force de 12 chevaux de vapeur
viendra facilement à bout de broyer des cannes et d'en
exprimer le j u s nécessaire à la fabrication de 5,600 livres
de sucre, dans l'espace de neuf heures ; elle aura brûlé dans
cet intervalle environ 1,080 livres (453 kil.) de houille de
qualité ordinaire, ou environ 2,500 livres de bois (l,040kil.).
Le premier chauffage donnera 5 pour 100 de cendres, soit
54 livres; le second à peu près aussi 5 pour 100, soit
125 livres.
L'évaporation et la concentration du jus consistant en

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 259
5,600 gallons exigeront la combustion d'environ 5,600 livres
de houille (2,350 kilogr. ), qui donneront environ 360 livres
de cendres (151 kilogrammes); si l'on brûle du bois, il en
faudra 12,000 livres (5,040 kilogrammes), qui donneront
600 livres de cendres (252 kilogrammes). E n se basant sur
ces calculs, qui sont assurément très près de la réalité, on
trouve que l'on peut disposer pour la fumure des terres de
360 livres de cendres par chaque quantité de 5,600 livres
de sucre fabriqué (2,350 kilogrammes) si l'on a brûlé de la
houille, et de 725 livres si l'on a brûlé du bois ; en d'autres
termes, telle est la quantité de cendres disponible pour
chaque acre de terre. On ne peut calculer d'avance avec
exactitude la quantité de résidus et débris pouvant servir
d'engrais ; mais il n'est pas de planteur qui ne sache quelle
grande masse de ces déchets s'accumule dans le réservoir
souterrain
de toute exploitation où il existe un de ces récep-
tacles malsains et sales. La terre reçoit donc toutes ces
substances en échange du jus des cannes qui ont végété à
ses dépens ; on trouvera l'évaluation de leur pouvoir fer-
tilisant dans le tableau des engrais, que je donnerai plus
loin.
Mais si tout cela, joint à la fumure atmosphérique perpé-
tuelle mentionnée ci-dessus, ne suffit pas pour compenser
cette production de sucre, alors le planteur doit recourir au
fumier des bestiaux et aux autres substances fertilisantes
qu'il peut avoir à sa disposition. Dans ce qui précède, je
n'ai tenu compte que des compensations que la terre r é -
clame pour le jus des cannes seulement ; je regarde comme
un devoir pour le planteur de rendre à la terre tout le reste
de la substance des cannes.
Je ne connais rien de plus extravagant que l'emploi de la

260 DES ENGRAIS
bagasse comme chauffage ; c'est pour une plantation un vé-
ritable suicide ; je crois que pas un planteur ne persévérera
dans ce système, lorsqu'il pourra se procurer comme com-
bustible du bois ou de la houille. J'ai dit plus haut que
6,600 livres de houille (2,350 kilogrammes) suffisaient à
broyer et presser la quantité de cannes nécessaire pour
donner 5,600 gallons de jus, et pour évaporer ce même jus
de manière à produire 5,600 livres de sucre ; c'est sur le pied
de 2,640 livres de houille ( 1,108 kilogrammes) pour chaque
tonne de sucre fabriqué . Dans les colonies des Indes occi-
1
dentales, la houille peut être débarquée au prix d'une livre
sterling par tonne (environ 25 francs les 1,000 kilogr.), de
sorte qu'une plantation qui fabrique par an 250 tonnes de
sucre peut avoir la houille nécessaire à cette fabrication pour
la modique somme de 290 livres sterling (7,250 francs) .
2
Supposons une plantation qui ne soit qu'à une distance
peu considérable d'un port de mer; la dépense pour le trans-
port de la houille ne sera certainement pas égale aux frais
nécessaires pour dessécher le résidu de la canne, l'emma-
gasiner, et finalement l'apporter là où il doit être employé.
De plus, avec la houille, pas d'interruption dans la fabri-
cation faute de combustible, interruption qui peut survenir
juste au moment où il sera le plus nécessaire de se hâter, ou
chaque minute pourra être précieuse. On n'aura pas non
plus à craindre que le feu ne prenne à la bagasse, soit au
(1) La tonne anglaise étant d'un peu plus de 1,000 kilogr., c'est, a
peu de chose près, poids pour poids de houille brûlée et de sucre pro-
duit. (Note du traducteur.)
(2) Je n'ai aucun moyen d'évaluer le prix de revient du bois a
brûler aux Indes orientales; je puis dire seulement que, dans beau-
coup de districts, il est très abondant et à très bas prix.

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 261
dehors, soit même à l'intérieur des bâtiments, auquel cas
toute l'habitation peut être incendiée, comme cela est arrivé
fréquemment à la Jamaïque.
§ 6 . — Abondance excessive du bois aux colonies des détroits.
Dans les colonies des détroits malais, l'emploi de la ba-
gasse comme combustible serait sans excuse ; car le bois de
chauffage abonde, et les Malais le fournissent aux colons à
si bas prix, rendu à l'habitation, que, pour alimenter au bois
le foyer d'une machine à vapeur de la force de 12 chevaux
pendant seize heures, il n'en coûte pas plus d'un dollar
(5 fr. 40 c ) .
Enfin il y a tant de bois disponible, et le paysan malais
est naturellement si habile bûcheron, que, quand même il y
aurait mille six cents plantations au lieu des seize qui existent
actuellement, elles n'éprouveraient pas la moindre diffi-
culté à s'approvisionner en bois de chauffage en quantité
illimitée. A Pinang et à Singapore, la houille peut être obte-
nue au prix de 7 à 9 dollars la tonne (37 fr. 80 c. à 48 fr. 60 c.
les 1,000 kilogrammes) ; nul doute qu'elle n'y soit à beau-
coup meilleur marché quand les mines de houille de Bornéo
seront en pleine exploitation ; en tout cas, je pense qu'il y
aurait plus d'économie pour le planteur des colonies des
détroits à brûler de la houille, même en la payant 9 dollars
la tonne, qu'à voler à ses champs de canne à sucre le meil-
leur des engrais qu'il soit possible de leur donner.
J'ai déjà mentionné les frais qu'entraîne la dessiccation
du marc de canne dans les colonies des détroits malais, et
l'impossibilité souvent prolongée pendant plusieurs s e -
maines d'effectuer cette dessiccation, ce qui rend le marc

262 DES ENGRAIS
de cannes un chauffage aussi infidèle que dispendieux.
Aussi dans ce pays, à part la très grande valeur de la ba-
gasse comme engrais, les motifs les plus graves font aux
planteurs un devoir impérieux d'employer une autre sorte
de combustible.
Je n'ai point à combattre des préjugés anciens et pro-
fondément enracinés chez les planteurs des colonies des
détroits malais, comme ils le sont chez ceux des Indes occi-
dentales, et je me plais à croire qu'ils n'hésiteront pas à
adopter une marche si évidemment indiquée par la raison.
J'ai fait dans le chapitre précédent tous mes efforts pour
bien faire comprendre aux planteurs la nécessité de rendre
au sol la totalité du marc et des feuilles des cannes dans
l'état le plus frais et le plus récent possible; ces substances,
considérées comme engrais, appartiennent plus spéciale-
ment au sujet de ce chapitre, et doivent en conséquence être
ici traitées en particulier.
Quelques observateurs savaient de temps immémorial
que les parties d'une plante enfouies en terre autour de ses
racines leur fournissent la meilleure nourriture qu'il leur
soit possible de recevoir; néanmoins il s'en faut de beau-
coup que ce fait soit généralement bien compris.
Quant aux planteurs de canne à sucre en particulier,
nous trouvons que de grands troupeaux de gros bétail sont
entretenus sur leurs plantations, qu'ils font venir à grands
frais d'Europe des engrais artificiels, et qu'ils mettent en
œuvre divers autres moyens, dans le but de maintenir leurs
terres à un degré de fertilité fort au-dessous de ce qui serait
désirable et possible ; tandis qu'en même temps ils brûlent
inconsidérément l'engrais de choix que fournit la canne
elle-même par ses feuilles et le marc de ses tiges broyées.

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 263
Il y a sans doute des planteurs convaincus de l'énergie
fertilisante de la bagasse employée comme engrais ; mais il
y en a aussi d'autres qui tiennent au bon vieux système
de parcs volants et de fumure le panier au bras, et qui
ne craignent pas de faire venir d'Angleterre des engrais
artificiels de toute espèce ; gens de la bonne vieille école,
qui traitent tout essai d'amélioration d'innovation dange-
reuse.
Pour leur instruction, et pour celle de tous ceux qui
n'ont point eu précédemment occasion d'être informés de
faits dignes de les intéresser, j e donnerai ici un extrait de
quelques notes puisées dans le livre célèbre du baron Liebig
sur la chimie organique. Il s'agit de la vigne et de la manière
de la fumer; mais comme ces observations sont de tout
point applicables à la canne à sucre, j e crois être fondé à
placer ici une citation un peu étendue peut-être, mais très
instructive.
DE LA MANIÈRE DE FUMER LES VIGNES.
§ 7 . — Vignes fumées avec leurs propres débris. — Le même principe
applicable à la canne à sucre.
« Les observations contenues dans les pages suivantes
méritent d'être publiées ; car elles fournissent une remar-
quable preuve de la vérité des principes établis dans la pre-
mière partie de cet ouvrage, tant sur le mode d'action des
engrais que sur l'origine du carbone et de l'azote des plantes.
Elles prouvent que la vigne peut conserver sa fertilité sans
l'emploi des matières animales, quand les feuilles et les sar-
ments provenant de la vigne elle-même sont coupés en
petits morceaux, et utilisés comme engrais. Dans le p r e -

264 DES ENGRAIS
mier des deux exemples que je vais rapporter, et qui sont
l'un et l'autre parfaitement authentiques, la fertilité de la
vigne a été maintenue à son maximum, par ce procédé,
pendant huit a n s , et pour le second exemple pendant
dix ans.
« Durant ces longues périodes, la terre n'a pas reçu de
carbone, puisque celui des sarments était son propre pro-
duit, la vigne étant sous ce rapport exactement dans les
mêmes conditions que les arbres dans une forêt où ils ne
reçoivent pas de fumier. Dans les circonstances ordinaires,
il faut employer pour la culture de la vigne un engrais con-
tenant de la potasse, sans quoi la fertilité du sol va en dimi-
nuant; c'est ce qui a lieu dans tous les pays vignobles, si
bien que le sol doit s'appauvrir en alcalis dans une forte
proportion. Toutefois, si la méthode que j e viens d'indiquer
pour fumer la vigne était généralement adoptée, la quan-
tité d'alcali enlevée au sol dans le vin n'excéderait pas ce
que la désintégration progressive du sol, tous les ans, per-
met aux plantes d'en absorber.
«• Sur le Rhin, la production est estimée à 1 litre par mè-
tre carré. Maintenant, si l'on suppose que le vin est aux
trois quarts saturé de crème de tartre, proportion fort au-
dessus de la réalité, le vin seul enlève à la terre l . 8 de
g r
potasse. Un litre de vin de Champagne ne contient pas
plus de 1 .64 de crème de t a r t r e ; 1 litre de vin de W a -
g r
chenheim en contient 1 .72 ; le résidu de la dessiccation de
gr
ce vin, après avoir été chauffé au rouge, s'est trouvé con-
sister en carbonates. Les vignobles portent en moyenne un
cep de vigne par mètre carré, et 1,000 parties de sarments
retranchés de ces vignes contiennent de 56 à 60 parties de
carbonate et de 38 à 40 parties de potasse pure. Il en ré-

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 265
suite évidemment que 45 grammes de ces sarments con-
tiennent plus de potasse que 1,000 grammes ou 1 litre de
vin; or, sur la même surface de 1 mètre, on enlève tous les
ans de dix à vingt fois cette quantité de sarments.
« De la fumure du sol dans les vignobles. — Un article
inséré dans votre recueil, n° 7 , 1838, et n° 29, 1839, me
fournit une occasion que j e ne veux pas laisser perdre
d'appeler l'attention publique sur ce fait que, pour bien
fumer la vigne, rien n'est plus nécessaire que les sarments
retranchés à la vigne elle-même. Il y a huit ans que ma
vigne est constamment fumée de cette manière, sans rece-
voir aucune espèce d'autre engrais ; il serait difficile de voir
de plus belles récoltes que celles dont elle se charge tous
les ans. Dans le principe, j e suivais la méthode en usage
dans ce district; il me fallait en conséquence acheter du
fumier pour une somme considérable. Actuellement cette
dépense est supprimée, et ma terre n'en est pas moins en
très bon état. Quand je vois les travaux pénibles qu'entraîne
la nécessité de fumer les vignes, travaux qui, sur le flanc
des montagnes, écrasent de fatigue les hommes et les che-
vaux, je suis tenté de dire à tout le monde : Venez voir ma
vigne, et reconnaissez comment le créateur a pourvu à ce
que la vigne se fumât elle-même comme les arbres dans les
forêts, et beaucoup mieux encore. Dans les forêts, les
feuilles ne tombent des arbres que quand elles sont flétries ;
des années se passent avant qu'elles soient décomposées ;
les sarments de la vigne, au contraire, sont retranchés de
la vigne à la fin de juillet ou au commencement d'août, alors
qu'ils sont humides et verts. S'ils sont coupés par petits
morceaux et mêlés au sol, ils s'y décomposent si compléte-
ment qu'au bout de quatre semaines, ainsi que j e m'en suis

266 DES ENGRAIS
assuré par expérience, il n'en reste pas la moindre trace.
« Dans la Bergstrasse, les sarments sont depuis fort
longtemps employés comme engrais. « J e me souviens, dit
M. Frauenfelder, qu'il y a vingt ans, un homme nommé
Pierre Muller avait une vigne qu'il fumait avec les sarments
retranchés à ses ceps eux-mêmes, et il suivait cette pra-
tique depuis trente ans. Son procédé consistait à les enfouir
en terre à l'aide de la houe, après les avoir coupés en petits
fragments. Sa vigne était toujours en si bon état que les
paysans de ce canton en parlent encore aujourd'hui, s'é-
tonnant que le vieux Muller ait eu une si bonne vigne, bien
qu'il ne lui donnât pas de fumier .
1
« Dernièrement, Wilhelm Ruf de Shriesheim écrivait :
« Depuis dix ans, je n'ai pas pu donner de fumier à la vigne,
parce que je suis pauvre et que je n'ai pas le moyen d'en
acheter. Il m'était pénible cependant de laisser dépérir ma
vigne, ma seule ressource pour vivre dans mes vieux jours;
souvent je me promenais dans ma vigne, en proie à l'anxiété,
ne sachant quel parti prendre. A la fin, la nécessité, qui me
pressait de plus en plus, me rendit plus attentif ; je remar-
quai qu'en certains endroits où les sarments tombaient a
terre, l'herbe était plus grande qu'ailleurs. Cela me fit ré-
fléchir, et je me dis à moi-même : Si l'influence du sarment
peut rendre l'herbe grande, forte et verte, elle doit pouvoir
aussi rendre la végétation de mes ceps de vigne plus vigou-
reuse. Je piochai donc ma vigne le plus profondément pos-
(1) Le même fait est signalé par Henderson dans son Histoire des
vignes (ou des vins) des temps anciens et modernes. Le meilleur en-
grais pour les vignes, dit cet auteur, ce sont les sarments de la vigne

elle-même coupés en petits morceaux et immédiatement enfouis dans
le sol.
(Note de l'éditeur.)

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 267
sible, et, ayant coupé les sarments par petits morceaux,
j'en remplis des trous, et je les recouvris d é t e r r e . Dans la
même année, j'eus la très vive satisfaction de voir ma vigne,
précédemment stérile, reprendre toute sa beauté. Je per-
sévérai tous les ans dans la même pratique, et maintenant
mes vignes offrent une splendide végétation qui reste verte
tout l'été, même pendant les plus grandes chaleurs. Tous
mes voisins s'étonnent de voir une vigne si florissante, por-
tant des grappes si nombreuses, quand tout le monde sait
que je n'y ai pas mis de fumier depuis dix ans. »
Ces citations nous offrent de nombreux exemples du pro-
digieux pouvoir des sarments de la vigne, comme engrais
pour la vigne elle-même ; nous y voyons que rien n'avait
été donné à la terre en compensation de ce qui lui était en-
levé tous les ans sous forme de raisin; rien ne lui était
restitué, sauf les sarments de la vigne, et pourtant les
vignes ainsi traitées sont restées pendant dix ans dans
l'état le plus florissant, fournissant chaque année une quan-
tité de leur fruit précieux régardée comme un maximum de
production.
C'est précisément ce qu'on peut, dans ma conviction,
attendre de la fumure des champs de cannes à sucre avec
la canne elle-même, sauf seulement le jus qu'on en a ex-
trait.
Si toutes les feuilles vertes et tout le marc frais des
cannes pouvaient être enfouis dans le sol tandis qu'ils sont
encore frais, je tiens pour certain que les champs de cannes
n'auraient pas besoin d'autre engrais, sauf celui qui résulte
du labourage et que j ' a i précédemment nommé fumure
atmosphérique.

Plusieurs planteurs et divers autres habitants des colo-

268 DES ENGRAIS
nies ont évalué à 50 pour 100 seulement du poids total des
cannes la quantité de jus qu'on en obtient lorsqu'elles ont
été broyées par les moulins en usage pour cette destination
aux Indes occidentales, bien qu'il soit parfaitement constaté
que la plante consiste en 90 parties liquides et 10 parties
de fibre ligneuse. J'éclaircirai ultérieurement ce point plus
en détail ; je crois néanmoins nécessaire de faire remarquer
ici qu'au moyen des moulins dont j e donne plus loin la
description, on peut obtenir et l'on a effectivement obtenu
75 pour 100 de la canne en jus, laissant sous forme de
marc frais ou bagasse la fibre ligneuse, et 15 pour 100 de
jus non exprimé. Dans le système de restitution au sol du
marc de cannes à titre d'engrais, si, par une pression insuf-
fisante, le jus de cannes ne dépasse pas 50 pour 100 du
poids total des cannes, les 50 autres pour 100 retournent
à la terre. Admettons donc que la quantité de jus expri-
mée soit de 75 pour 100 du poids des cannes soumises a
un bon moulin et à une bonne presse ; dans ce cas, la pro-
portion de la bagasse disponible comme engrais sera de
25 pour 100 du poids total de la masse végétale cultivée au
champ de cannes. Le poids moyen des cannes est ordinaire-
ment de 30 à 35 tonnes par acre (de 75,000 à 87,500 kilo-
grammes par hectare), ce qui donne dans le premier cas
7 tonnes 1/2 et dans le second 8 tonnes 3/4 de bagasse pour
la fumure d'une acre (de 18,700 à 21,800 kilogrammes par
hectare), sans compter les sommités et les feuilles sèches.
Les sommités sont souvent données au bétail comme fourrage
et les feuilles sèches assez souvent brûlées, soit sur place,
soit à l'exploitation. En ne faisant entrer dans mon estima-
tion actuelle que le marc frais des cannes, sur le pied de
8 tonnes par acre, et ne l'évaluant qu'au prix très bas de

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 269
10 schellings par tonne (12 fr. 50 c. les 1,000 kilogram-
mes), je trouve une valeur de 4 livres sterling ( 100 francs )
que nous devons mettre en regard de ce que coûterait la
houille nécessaire pour broyer les cannes et extraire le
sucre de 24 tonnes de j u s . Quand même cette dépense se-
rait portée à 3 tonnes de houille au prix de 1 livre sterling
la tonne, elle ne dépasserait pas 3 livres sterling (75 francs) ;
il resterait une balance de 1 livre sterling (25 francs) en fa-
veur de la bagasse, à ne considérer que la valeur de ces
deux genres de combustibles.
§ 8. — Houille. — Chauffage moins cher que le marc de cannes. —
Marc de cannes le meilleur des engrais pour la canne.
Ainsi, en se servant de houille au lieu de bagasse comme
chauffage, le jus des cannes peut être travaillé pour la fa-
brication du sucre, avec une livre sterling d'économie par
acre. La houille peut d'ailleurs, sans être chargée de frais de
transport pour son propre compte, être rapportée du port
par les chariots qui vont y porter les sucres destinés à être
embarqués. Mais sur quelle base évaluerons-nous le marc
frais de canne en qualité d'engrais, à moins que de recon-
naître que, par son emploi, nous pouvons nous assurer une
seconde récolte de cannes égale en abondance à la précé-
dente, et qu'il ne tient qu'à nous de continuer ainsi d'année
en année? Il est nécessaire de rappeler qu'en rendant au sol
8 tonnes par acre de marc frais de cannes, nous lui fournis-
sons précisément les matériaux indispensables pour une
semblable récolte : c'est ce qu'assurément on ne saurait dire
d'aucune autre espèce d'engrais.
Pendant le cours de la végétation de la canne, l'atmo-

270 DES ENGRAIS
sphère pourvoit largement à sa nourriture, et lui fait accom-
plir son plein développement, non-seulement en ce qui
concerne son jus, mais aussi quant à tout l'ensemble de la
plante. Ainsi les éléments employés à la formation des
feuilles et des tiges aussi bien qu'à celle du jus ne dérivent
pas exclusivement du sol ; ils sont puisés dans l'atmosphère
pour une part égale, sinon supérieure. Il en résulte qu'en
rendant à la terre la totalité des feuilles et du marc de
cannes, nous lui donnons une compensation pour le jus qui
ne lui est pas restitué.
§ 9. — Culture de l'herbe de Guinée.
L'usage de faire consommer aux bestiaux les feuilles
vertes du sommet des cannes est une violation toute vo-
volontaire des principes de la science agricole; violation
d'autant plus impardonnable que l'herbe de Guinée est
facile à cultiver, et qu'on peut s'en procurer des quantités
considérables ; c'est ce qui a lieu dans les îles des Indes oc-
cidentales, et dans toutes les parties de l'Inde qui me sont
connues. L'herbe de Guinée est aussi un fourrage très
nourrissant, et l'on peut toujours, dans une plantation, dis-
poser en sa faveur d'un champ bien labouré et bien fumé
avec l'engrais des bestiaux; mais cette plante, comme beau-
coup d'autres, n'a jamais été, à ma connaissance, cultivée
comme elle pourrait l'être dans les colonies des Indes
occidentales .
1
J'ai déjà fait observer plus d'une fois qu'il importe que
(1) L'herbe de Guinée doit être plantée en lignes régulièrement
espacées ; les plantes doivent aussi être espacées dans les lignes, afin
que la charrue et la houe à cheval puissent fonctionner entre les li-


CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 271
les sommités vertes des cannes et le marc fraîchement
pressé soient enfouis par un labour dès que la récolte
des cannes est terminée, avant que le soleil ait enlevé aux
feuilles ou au marc des cannes leur humidité naturelle. E n
fait, l'opération du nivellement des billons pour enterrer
les sommités et le marc frais des cannes doit commencer
aussitôt que le premier chariot chargé de ces débris revient
du moulin au champ de cannes ; la récolte des cannes se
poursuivra au centre d'un champ, tandis qu'au bout du
même champ qui aura été dépouillé en premier lieu, le marc
sera enterré, les deux opérations devant marcher en même
temps. Les parties vertes et humides des végétaux entrent
rapidement en décomposition, et sont converties en humus.
Cette rapidité de putréfaction est aussi apparente pour les
feuilles et le marc de cannes enfouies que pour les sarments
de vigne enterrés comme engrais ; elle a lieu, du reste,
plus vite ou plus lentement selon la nature du sol et son
degré d'humidité ; dans un sol poreux, où l'air pénètre libre-
ment, la décomposition est très prompte ; dans un sol p e -
sant et compacte, elle peut durer fort long temps. Une
fumure végétale telle que celle de feuilles et de marc de
cannes, étant renouvelée tous les ans, finit par rendre p o -
reux le sol argileux le plus compacte ; mais on obtient ce
résultat plus rapidement en amendant les terres fortes
avec du sable.
gues, ainsi que je l'ai déjà dit (page 100), pour déraciner les mauvaises
herbes et
désintégrer les principes constituants alcalins du sol. De
cette manière, quand le champ a reçu une fumure, on peut planter
du maïs entre les lignes et l'enterrer à la charrue dès que les épis en
ont été détachés ; on a ainsi un bon approvisionnement en grain et
fourrage sans appauvrir le sol. L'herbe doit toujours être fauchée; elle

ne doit jamais être pâturée sur place.

272
DES ENGRAIS
§ 10. — Fumure du sol avec différentes plantes.
Les fèves, les pois, la luzerne, l'indigo et les autres
plantes qu'on peut cultiver entre les lignes de cannes quand
celles-ci viennent d'être plantées, et qui seront plus tard
enterrées à la charrue à l'état frais, exercent sur le sol une
action fertilisante très prononcée ; quand tout ce travail est
exécuté à l'aide de bons instruments aratoires, il n'occa-
sionne pas de frais élevés, même aux Indes occidentales, où
la main-d'œuvre est rare et chère. L'indigo est particuliè-
rement propre à cet usage ; on peut le semer à l'aide d'un
semoir en lignes régulières, au commencement de la saison
des pluies ; deux mois après, on peut l'arracher, déposer les
plantes le long des lignes de cannes, et les enterrer. La
seule partie de ce travail qui doive être faite à la main, c'est
l'arrachage des plantes d'indigo, et leur placement le long
des cannes, pour que le passage de la charrue les recouvre
proprement et entièrement. Il faut aussi remarquer que, si
l'indigo est coupé à quelques centimètres au-dessus du sol,
lorsqu'il est parvenu à une bonne hauteur et qu'il forme des
touffes bien fournies, il repoussera avec une prodigieuse
rapidité et fournira avant la fin de la saison pluvieuse de
nouvelles touffes qui pourront être arrachées et enfouies
comme ci-dessus. Ce procédé offre l'avantage de deux ré-
coltes au lieu d'une obtenue du même sol, sans autres frais
additionnels que le fauchage de l'indigo, opération qui se
fait vite, proprement et à très peu de frais, quand les ou-
vriers ont des faux bien affilées. L'indigo ainsi employé
donne à la canne à sucre un très riche engrais ; les naturels
de l'Inde en font grand usage pour ce seul but, sans en

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 273
extraire la partie colorante qui constitue l'indigo du com-
merce. Mais, dans les colonies des détroits malais, les
Chinois qui cultivent l'indigo commencent à en extraire la
matière colorante ; puis ils enlèvent le marc dans les cuves
avec toute son humidité ; ils l'étendent avec soin le long de
leurs lignes de cannes, et l'enfouissent par un labour. J'ai
vu des Chinois, grâce à cet engrais, récolter d'excellentes
cannes dans des terres tellement sablonneuses que pas un
planteur européen n'aurait songé à y cultiver la canne à
sucre. Dans la province de Wellesley, partout où un Chinois
cultive l'indigo, il est toujours sûr de pouvoir cultiver aussi
un petit champ de cannes.
A Calcutta, l'on peut toujours se procurer la meilleure
graine d'indigo au prix moyen de 6 roupies (15 francs) la
maund de 80 livres (à peu près 45 centimes le kilogramme).
Quand cette graine est fraîche, il en faut 8 livres pour une
acre ( 8
. 4 par hectare) de terre cultivée en cannes à
k i l o g r
sucre. Il n'est pas inutile de faire observer que l'indigo doit
être planté à l'entrée de la saison des pluies, et en toute
autre saison si le terrain peut être irrigué ; cette sorte de
fumure végétale verte peut donc être pratiquée toute l'année
partout où l'on dispose de moyens suffisants d'irrigation.
Je ne puis considérer ce procédé que comme un moyen facile
et à bon marché d'entretenir la fertilité des terres cultivées
en canne à sucre ; il mérite toute l'attention des planteurs
partout où, pour un motif quelconque, le marc de cannes est
employé comme combustible, au lieu d'être utilisé comme
engrais. L'indigo, pour donner une végétation luxuriante,
demande une terre généreuse ; il ne peut répondre à l'at-
tente du planteur que quand il est cultivé dans ces condi-
tions, par exemple aussitôt que le sol a été fumé. Dans ce
18

274 DES ENGRAIS
cas, sa riche végétation coupée et enfouie donnera à la
terre une somme énorme de principes fertilisants pris dans
l'atmosphère par le feuillage abondant de la plante.
J'ai vu moi-même de nombreux exemples de l'effet re-
marquable de cet engrais sur la canne à sucre ; je puis donc
en pleine confiance le recommander au planteur.
Ainsi que je l'ai dit plus haut, une grande variété de
plantes autres que l'indigo peut être employée au même
usage ; mais il est fort essentiel de ne pas perdre de vue que
l'on ne peut en attendre le maximum d'effet utile que quand
les plantes sont enterrées à l'état tout à fait frais et succu-
lent, et que le vrai moment pour les enfouir, c'est quand
elles sont prêtes à épanouir leurs fleurs.
J'ai connu des planteur qui semaient des fèves et des
pois dans les intervalles de leurs lignes de cannes, dans
l'excellente intention d'enfouir ces plantes vertes au pied
des jeunes cannes ; mais plus tard le désir de profiter des
fèves et des pois semblait toujours les faire changer de réso-
tion; les plantes étaient toujours séchées sur pied avant
d'être enfouies, de sorte que la terre n'en recevait aucune
amélioration.
Après avoir terminé l'exposé de ce que je regarde comme
le meilleur système à suivre pour fumer une plantation
de cannes, je donnerai ici un tableau abrégé des engrais a
la portée de tout planteur ; je fais remarquer, avant tout,
qu'indépendament de l'acide carbonique, de l'eau et de
l'azote, nécessaires à l'existence de toutes les plantes, la
canne à sucre demande en outre de la silice et de la potasse
sous forme de silicate de potasse, des phosphastes, et
d'autres substances qui lui sont particulièrement néces-
saires.

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 275
La grande source d'acide carbonique, c'est l'air où la canne
le puise par ses feuilles et ses parties vertes, comme je l'ai
expliqué ci-dessus. L'humus, substance végétale en décom-
position, et une grande variété d'autres matières fournis-
sent aussi à la canne de l'acide carbonique. L'atmosphère,
l'eau de pluie et différents engrais, comme je le démontre-
rai, donnent à la canne une ample provision d'ammoniaque.
Le silicate de potasse, qui abonde dans l'eau des rivières et
des ruisseaux, est fourni par l'irrigation, p a r les terres
minérales, les cendres de différentes plantes, les déjections
de divers animaux, etc., etc. Les phosphates sont très nom-
breux, car on en compte dix-huit ; le sol en est approvisionné
par les fumures d'os broyés finement divisés, qui, mêlés à
l'acide sulfurique, donnent naissance à de l'acide phospho-
rique, par les cendres végétales, et par le fumier des b e s -
tiaux.
§ 11. — Tableau des engrais.
Cendres. Provenant de la chaudière à vapeur, des éva-
porateurs et de la distillerie de rhum. Elles se divisent en
cendres de houille et cendres de bois.
Cendres de houille. Variables ; généralement silice et alu-
mine avec un peu de chaux; quelquefois magnésie, et aussi
peroxyde de fer.
Cendres de bois. Variables; habituellement potasse, chaux,
soude, magnésie, silice, oxyde de fer et de manganèse,
chlorides, acides carbonique, sulfurique et phosphorique ;
quelquefois on y rencontre l'alumine et même l'oxyde de
cuivre, mais tous deux très rarement.
Marc frais et feuilles des cannes. En se décomposant, ces

276 DES ENGRAIS
substances deviennent de l'humus et fournissent aux plan-
tes croissant dans le sol une ample provision d'acide car-
bonique et d'ammoniaque, lorsqu'elles y sont enfouies ;
leurs cendres contiennent du silicate de potasse, des car-
bonates de chaux et de potasse, des phosphates de chaux,
de soude et de magnésie, de l'acide phosphorique, des
oxydes de fer, etc., etc.
Résidus de la fabrication du sucre. Silicate de potasse,
acide phosphorique, ammoniaque et plusieurs autres prin-
cipes constituants.
Humus ou matières végétales en décomposition. Acide car-
bonique, azote, etc.
Fumier-des bêtes bovines et ovines. Phosphate de chaux,
silicate de potasse ou de chaux, sel commun, etc., etc.
Urine de bêtes bovines. Sels ammoniacaux, acide urique
et phosphates.
Fumier et urine des chevaux. En général, silicate de po-
tasse et de chaux et différents phosphates ; sels ammonia-
caux, acide urique, sels d'acide phosphorique.
Engrais humain. Phospates de chaux et de magnésie,
azote, etc., etc.
Urine humaine. Urée, acide lactique libre et lactate
d'ammoniaque, etc., acide u r i q u e , mucus de la vessie,
sulfate de potasse, sulfate de soude, phosphate de soude,
phosphate d'ammoniaque, chloride de sodium , muriate
d'ammoniaque, phosphate de magnésie et de chaux ; terre
siliceuse et eau. (Analyse de Berzélius. )
Guano. Excessivement variable ; urate d'ammoniaque,
oxalate d'ammoniaque, oxalate de chaux, phosphate d am-
moniaque, phosphate d'ammoniaque et de magnésie, sul-
fates de potasse et de soude, sel ammoniac, phosphate de

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 277
chaux, argile et sable, eau et matières organiques (Ana-
lyse do Fourcroy et Vauquelin.)
Chaux. Chaux commune et chaux vive.
Marne. Carbonate de chaux, argile et sable.
Argile. Alumine et silice, généralement colorée par la
présence du fer, chaux, magnésie et autres oxydes métal-
liques quelquefois rencontrés dans certaines espèces d'ar-
giles naturelles.
Sable. Silex ou silice, carbonate de chaux, etc.
Vase des rivières et des étangs. Terre argileuse, carbonate
de chaux et matière végétale.
Plâtre. Acide sulfurique, chaux et eau.
Sel. Chloride de sodium, etc.
Eau salée. Chloride de sodium, sulfate de soude, sulfate
de chaux, chloride de potassium et chloride de magné-
sium.
Houille. Carbone, utile comme engrais en raison des
quantités d'acide carbonique et d'ammoniaque qu'il attire
de l'atmosphère et qu'il fournit aux racines des plantes.
Chaux. Variable ; carbonate de chaux friable contenant
quelquefois aussi de petites portions d'alumine, d'oxyde de
fer et de silice. Quand elle est à l'état de ce qu'on nomme
pierre de savon ou chaux savonneuse, la magnésie s'y trouve
en proportion dominante.
Suie. Charbon pulvérulent condensé de la fumée ; la
suie de houille contient un peu de sulfate et de carbonate
d'ammoniaque réunis à une substance bitumineuse (selon
Ure).
Toutes ces substances sont de celles que les planteurs
de canne à sucre peuvent se procurer ; il en faut probable-
ment excepter le guano et l'eau salée, quant aux planta-

278 DES ENGRAIS
tions situées trop loin de la mer. Les autres sont suffisam-
ment abondantes ; on peut les obtenir sans difficulté aux
Indes occidentales, au Bengale et aux colonies des détroits
malais, aussi bien que dans toute autre partie du monde où
la canne à sucre puisse être cultivée.
Ayant donné le tableau des engrais, quelques remarques
me semblent nécessaires sur les substances diverses qui s'y
trouvent nommées, leurs principes constituants, leur valeur
particulière quant à la culture de la canne, etc.
Cendres de houille. Leur aspect varie autant que leur
composition, ce qui tient à la grande différence existant
entre la houille d'un pays et celle d'un autre. Leur quan-
tité n'est pas moins variable; q u e l q u e s - u n e s donnent
seulement 1.7 de cendres pour 100, tandis que d'autres
en donnent plus de 5 pour 100. Il en est qui en don-
nent de 9 à 11 pour 100; la houille en morceaux de Glas-
gow en fournit 9.5 ; la houille cherry 10 ; la houille cannelle
11 pour 100 ; tandis que la meilleure houille de Newcastle,
la houille en gâteaux ne donne pas plus de 1.50 pour 100 de
cendres.
Je prends donc 5 pour 100 comme moyenne des cendres
de toutes ces qualités de houille ; je suis cependant certain
que la proportion est en général plus forte, à moins que
les cendres ne soient criblées avec soin pour séparer les
plus petits fragments de charbon tombés du fourneau. Il
restera toujours une portion de ces morceaux qui seront
enlevés avec les cendres, pour être employés comme en-
grais ; c'est pourquoi il serait fort avantageux de soumettre
à l'action d'un cylindre broyeur les cendres ainsi mêlées
de fragments de charbon, avant de les enfouir dans le sol-
Ces petits débris sont formés de matière charbonneuse en-

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 279
veloppée d'une substance incombustible ; ils exigent par
conséquent une température très élevée pour pouvoir être
réduits en cendres.
Cendres de bois. Elles varient selon l'espèce de bois dont
elles dérivent. Le bois de mangrove et les autres bois cou-
pés sur un sol très salé donnent dans leurs cendres une
plus forte proportion de sels de soude, principalement de
carbonate. Dans les colonies des détroits, les sucreries doi-
vent employer, et elles emploient en effet, plus de bois de
cette espèce que de toute autre, non que les forêts en terrain
sec ne leur offrent une inépuisable provision d'autres bois,
mais parce que les hautes marées leur offrent une admirable
facilité pour l'enlèvement du bois coupé sur les terrains
inondés. Je crois m'être tenu très près de la réalité en fixant
à 5 pour 100 la moyenne du rendement en cendres de cette
espèce de bois. Je ne doute pas que les débris de charbon
non brûlé, enlevés avec les cendres, ne portent la moyenne
à une proportion plus forte. Les cendres du bois coupé,
non dans les marais salés, mais sur des terrains secs, con-
tiennent ordinairement la moitié de leur poids de carbonate
de chaux
§ 12. — Engrais au point de vue chimique. — Marc de cannes. —
Son emploi comme engrais aux Indes.
La fibre ligneuse (lignine), aussi bien celle des arbres
forestiers que celle de la canne à sucre, est composée de
carbone, d'oxygène et d'hydrogène ; elle existe dans presque
tout ce qu'on nomme matières végétales. Quand elle est
brûlée, elle est entièrement dissipée ; il ne reste sous forme
de cendres que les principes minéraux puisés dans le sol.

280 DES ENGRAIS
Ainsi, en brûlant des matières végétales au contact de l'air,
nous perdons de 90 à 97 pour 100 des éléments dont elles
sont composées ; cela seul sert à nous montrer combien est
préjudiciable la pratique de brûler les feuilles sèches et les
débris qui restent sur un champ dont la récolte de cannes
vient d'être enlevée; ces mêmes débris, enterrés dans le
sol au lieu d'être brûlés, fourniraient à la récolte suivante
de 90 à 97 pour 100 de ses éléments, qui sans cela se trou-
vent p e r d u s ; la faible proportion pour 100 de cendres ne
remplace que très imparfaitement les riches principes dis-
sipés et tout à fait perdus par la combustion. J'en conclus
que la coutume de brûler les débris provenant d'un champ
de cannes est une mesure extravagante et ruineuse, à la-
quelle le planteur ne doit recourir qu'en cas d'extrême né-
cessité, comme lorsqu'un essaim d'insectes destructeurs vient
à s'abattre sur le champ de cannes. Souvent les insectes nui-
sibles pullulent à tel point dans un champ de cannes qu'il n y
a pas moyen de s'en défaire, à moins de brûler sur place les
débris des cannes. Si les larves sont enterrées avec le sucre
des cannes, elles n'en souffrent point, et, quand le temps de
leur transformation est accompli, l'insecte parfait sort de
terre pour commencer à exercer d'affreux ravages parmi les
cannes en végétation. Quelques plantations veulent être
ainsi purgées d'insectes par le feu tous les cinq ou tous les
sept ans ; je n'ai jamais vu cette nécessité se présenter à des
intervalles moins éloignés.
J'ai calculé que, sur chaque acre de terre produisant
5,600 livres de sucre (2,350 kilogrammes), on peut don-
ner à chaque récolte une fumure de cendres de bois de
725 livres (304 kilogrammes) , ces cendres étant suppo-
sées résulter de la combustion du bois dans les fourneaux

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 281
de la sucrerie. Une portion seulement de ces cendres est
soluble, jusqu'à ce qu'elles aient subi certaines transfor-
mations. La partie soluble consiste en sulfates alcalins,
carbonates et chlorides; la partie insoluble est principale-
ment formée de carbonate de chaux et probablement de ma-
gnésie, de phosphate de chaux, de phosphate de fer, etc., etc.
Pour rendre immédiatement utile à la végétation la totalité
des principes constituants des cendres, il serait nécessaire
de séparer la partie soluble de la partie insoluble, en les
faisant tremper dans un peu d'eau chaude provenant de la
machine à vapeur et remuant bien le mélange pendant quel-
que temps; le liquide s'étant éclairci par le repos, la les-
sive alcaline serait décantée, entraînant avec elle une por-
tion seulement des principes solubles des cendres. Le dépôt
serait traité par l'acide sulfurique pour dégager l'acide
phosphorique, dissoudre les phosphates et permettre à l'a-
cide phosphorique libre de se combiner avec les terres alca-
lines contenues dans le s o l . Une autre méthode consiste à
1
mêler les cendres mises entas avec des matières végétales en
décomposition, développant par leur fermentation assez de
chaleur et d'humidité pour transformer les cendres en ter-
reau; en d'autres termes, l'acte de la putréfaction est
rapidement accéléré, et les cendres s'y transforment promp-
tement en substances solubles. Si les cendres sont em-
ployées comme engrais sans préparation, la partie insoluble
reste inutile pour l'alimentation des végétaux, jusqu'à ce
qu'avec le temps, les changements opérés dans le sol finis-
sent par modifier les caractères de leurs principes. Les
cendres absorbent aussi l'humidité de l'atmosphère et la
(1) Ce sont les principes sur lesquels repose la fabrication de
engrais breveté de Law.

2 8 2 DES ENGRAIS
retiennent ; elles agissent en outre mécaniquement pour
alléger les terres pesantes et les rendre poreuses.
Marc de cannes et feuilles. J'ai déjà traité ce sujet si lon-
guement qu'il me reste peu de chose à en dire. Dans tous
les pays qui ne sont point infestés par ce redoutable en-
nemi de la canne à sucre, la fourmi blanche, j e recommande
avec instance de rendre au sol tous les débris de cannes,
à l'instant même où cette restitution est possible, savoir, les
feuilles provenant des éclaircissements, au moment où on les
détache de la plante, comme je l'ai prescrit pages 96 et 105,
et les sommités vertes avec le marc frais, tout aussitôt qu'il
est possible de rapporter le marc du moulin de la sucrerie
dans les champs cultivés, ce qui peut s'effectuer par les
mêmes chariots qui enlèvent la récolte de cannes. Pour
moi, je n'aurais ni tas de fumier, ni réservoir à composts;
je rendrais le tout au sol immédiatement, laissant l'en-
grais végétal subir en terre sa fermentation et sa décom-
position.
Mais, dans quelques parties de l'Inde, la bagasse pour-
rait être enfouie de cette manière, si ce n'est juste au
commencement de la saison des pluies et pendant la durée
de cette saison, époque à laquelle la fabrication du sucre
n'est jamais en activité. Si le marc de cannes était enfoui
en toute autre saison, la terre deviendrait une parfaite
couche à multiplication pour la fourmi blanche ; elle serait
complètement ruinée quant à la culture de la canne. Dans
ce cas, la méthode à suivre, c'est d'avoir des réservoirs
pour recevoir le marc de cannes, les cendres et tous les de-
bris végétaux ; ces réservoirs seront creusés près des puits
ou des pièces d'eau dépendant de la plantation. De cette
manière, les champs devant être irrigués et l'eau pouvant

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 283
être en tout temps amenée dans ces réservoirs, on y entre-
tient toujours un excès d'humidité suffisant pour empêcher
les fourmis blanches d'y établir leurs galeries. E n même
temps, la fermentation sera conduite lentement (comparati-
vement parlant), l'eau étant toujours en excès ; ainsi les ma-
tières végétales accumulées se trouvent dans le meilleur
état qu'on puisse souhaiter au moment où elles doivent être
enfouies comme engrais, en juin, au début de la saison des
pluies. Lorsqu'à cette époque on étend cet engrais sur la
terre et qu'on se hâte de l'enfouir, il y complète bientôt sa
décomposition.
L'effet utile de cet engrais, comme celui de beaucoup
d'autres, dépend en grande partie de la manière dont il est
mêlé au sol ; en apportant à cette opération première un
peu de jugement, on peut s'épargner pour l'avenir une foule
d'embarras et de désappointements.
Si la terre a été préparée pour recevoir les cannes et que
celles-ci ne soient pas encore plantées, ce qu'il y a de mieux
à faire, c'est de mettre en activité tout autant de charrues
qu'on s'en peut procurer, de profiter (dans l'Inde) de la
première ondée de pluie, et de labourer toute la surface du
sol en raies rapprochées l'une de l'autre, autant qu'il est
possible. On dépose l'engrais dans ces raies, puis on le re-
couvre en y passant le haingher. Quand tout le champ est
ainsi fumé, il peut rester pendant un court intervalle de
temps en cet état, après quoi il sera hersé, soit avec une
herse commune, soit avec un cultivateur (le cultivateur in-
dien de Ransome fait très bien cette besogne), afin que l'en-
grais soit exactement mêlé avec la terre.
Cependant, si l'engrais doit être donné à de jeunes
cannes, on fera choix de la même période de l'année ; mais

284 DES ENGRAIS
on opèrera d'une manière différente ; car il importe que la
fumure soit, dans ce cas, étendue le long des racines des
cannes, puis recouverte de terre. Aussitôt après, on remplit
du même engrais des raies ouvertes dans le milieu des inter-
valles entre les lignes de cannes ; cet engrais est recouvert
en y faisant passer un petit cultivateur ou une petite herse.
De cette manière, la totalité des matières végétales dis-
ponibles devient profitable à la végétation, après qu'elle a
été convertie en humus ; elle fournit aux plantes une bonne
nourriture, et rien n'en est détruit par les fourmis blanches,
qui ne peuvent faire aucun dégât pendant la saison plu-
vieuse, la terre étant bien travaillée, et dont il n'y a plus
rien à craindre dans la suite, une fois que, par la fermenta-
tion, la bagasse enfouie est mise hors de leurs atteintes.
Toutefois la saison pluvieuse n'est pas à elle seule une ga-
rantie contre les fourmis blanches, quand on ne continue pas
à travailler la terre pendant cette saison ; cet insecte, véri-
table fléau, sait se construire sous terre des loges parfaite-
ment inaccessibles à l'eau, du diamètre d'une orange ordi-
naire, et cela en très peu de temps ; il en sort à volonté pour
se livrer à ses excursions destructives. J'ai vu sur un ter-
rain d'un yard carré (un peu moins d'un mètre) une douzaine
de cellules semblables dont chacune renfermait un nid de
fourmis; elles m'ont toujours fait l'effet d'habitations tem-
poraires, construites sur un principe entièrement distinct de
leurs grandes fourmilières ; souvent je les ai trouvées dé-
sertes, les fourmis qui les avaient habitées étant sans doute
retournées à leur quartier général.
La fermentation faisant passer la bagasse et les autres dé-
bris de végétaux à l'état d'humus dont la présence dans le sol
est essentiellement nécessaire à sa fertilité, ce qui me res-

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 285
terait à dire sur le marc de cannes utilisé comme engrais '
se trouvera mieux à sa place à l'article Humus.
§ 13. — Engrais au point de vue chimique. — Déchets de la sucrerie.
— Engrais humain. — Fumier des bestiaux. — Engrais humain et
urine. — Guano, nuisible à la canne. — Os broyés. — Marne. —
Argile. — Charbon. — Plâtre. — Chaux. — Sable. — Limon. —
Sel. — Chaux et suie.

Résidus de la sucrerie. — Ces résidus comprennent le dé-
pôt séparé du jus de cannes pendant la clarification et l'éva-
poration, et aussi les déchets de la distillerie, ou le liquide
qui, ayant été soumis à la distillation, ne contient plus d'al-
cool. Les dépôts passent de la sucrerie à la distillerie en
même temps que les eaux du lavage des clarificateurs, etc. ;
ils sont reçus dans des vases appropriés à cet usage et por-
tés à la fabrique de rhum; après avoir été dépouillé de sa
partie alcoolique, le tout est définitivement jeté dans la
fosse à vidange.
Les dépôts offrent des caractères très variables, mais ils
sont en général composés de mucilage, gomme et substance
albumineuse combinée avec des portions de fibre ligneuse et
d'autres matières.
D'après l'analyse d'Avequin, ils consistent en matière
(1) Le jus de canne existant dans la canne dans la proportion de
90 parties pour 10 de fibre ligneuse, et les meilleurs moulins actuel-
lement en usage ne pouvant en extraire plus de 75 de ces parties,
nous en laissons dans le marc 15 parties qui sont certainement les
plus riches en sucre. Donc, outre la fibre ligneuse, nous rendons au
sol, dans le marc de cannes, les principes constituants contenus dans
cette quantité de jus.


286 DES ENGRAIS
cérumineuse, matière verte, albumine, fibre ligneuse, bi-
phosphate de chaux, silice et eau. D'autres analyses y si-
gnalent la présence de substances différentes, ou qui du
moins portent des noms différents.
Le dunder, dont le nom vient du mot espagnol redundar
(retourner), est le liquide fermenté après la distillation,
lequel retourne toujours à la distillerie pour contribuer à la
fermentation d'un autre bac ; mais ce liquide s'accumule
quelquefois à tel point qu'on en laisse couler une grande
quantité dans le réservoir au dunder. Ce réservoir, dans les
habitations de la Jamaïque, est presque toujours placé près
du bâtiment de la distillation ; tout le dunder perdu et les
autres résidus de la distillation viennent s'y entasser; le
tout ensemble forme une combinaison empoisonnée de la-
quelle se dégagent constamment des émanations aussi dés-
agréables à l'odorat que nuisibles à la santé.
Mais, au lieu de placer ce réceptacle infect et pestilentiel
justement sous le nez de tous les êtres vivants qui tra-
vaillent à l'exploitation, si le planteur adoptait la règle de
faire transporter tous les jours la totalité du dunder et des
autres résidus dans son réservoir d'engrais, non-seulement
il délivrerait l'exploitation d'un voisinage si pernicieux,
mais encore il utiliserait ce qui, avec le système actuellement
en usage, est entièrement perdu. Que le planteur prenne
note de la quantité de résidus résultant chaque jour du tra-
vail de la distillerie : il verra que le transport de ces résidus
à la fosse au fumier n'est qu'une dépense tout à fait insi-
gnifiante, qui ne peut être mise en balance avec la salubrité
et l'économie qui en seraient le résultat. On peut aussi faire
porter au même réservoir, au lieu de le jeter comme on le
fait habituellement, ce qu'on nomme lees, résidu qui reste

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 287
dans l'alambic ou dans la cornue, si l'on emploie ce dernier
appareil, quand on a distillé le liquide vineux pour en
extraire le rhum.
C'est un fait bien connu que le lees provenant de la di-
stillation des liquides vineux est très âcre et corrosif; mais
peu de personnes réfléchissent que cette particularité tient
à ce que le lees contient des substances d'une incontestable
énergie comme engrais lorsqu'on sait les bien employer.
Plus le lees est âcre et corrosif, plus il abonde en ces s u b -
stances qui viennent de la canne elle même et doivent par
conséquent être rendues au sol. Ces principes constituants,
mêlés aux matières de toute sorte que reçoit le réservoir
aux engrais, entrent selon leur nature dans diverses com-
binaisons, et augmentent la provision d'engrais en voie
d'accumulation.
Humus. — L'humus est en général formé de matières
végétales putréfiées ; le mot humus désigne plus particuliè-
rement la fibre végétale en décomposition. Liebig se sert
du mot érémacausie, mot composé qui signifie combustion
lente.
« Dans la nature organique, dit-il, outre les procédés
de décomposition nommés fermentation et putréfaction, il
se manifeste une autre classe de modifications non moins
frappantes que les corps subissent par l'influence de l'air.
C'est l'acte de la combinaison graduelle des éléments d'un
corps avec l'oxygène de l'air, combustion ou oxydation
lente, à laquelle nous donnerons le nom d'érémacausie. L a
conversion du bois en humus et beaucoup d'autres t r a n s -
formations sont de cette nature. »
Nous sommes donc ici en présence de trois procédés de
décomposition, savoir la fermentation, la putréfaction et
l'érémacausis, que nous expliquerons de la manière suivante.

288 DES ENGRAIS
— La fermentation peut être considérée comme la combus-
tion ou l'oxydation s'effectuant dans un corps composé entre
les éléments d'une même substance, à une température très
légèrement élevée; la putréfaction est un procédé d'oxyda-
tion dans lequel l'oxygène de toutes les substances présentes
est mis e n j e u . . . . « Dans la putréfaction, il y a nécessai-
rement réalisation des circonstances sous l'empire desquelles
se manifeste et s'exerce l'affinité du carbone pour l'hydro-
gène ; ni l'expansion, ni la cohésion, ni l'état gazeux ne s'y
opposent, tandis que, dans l'érémacausie, tous ces obstacles
doivent être surmontés. Le dégagement d'acide carbonique
durant la putréfaction ou l'érémacausie des corps animaux
où végétaux riches en hydrogène doit donc être attribué a
une transposition des éléments, ou bien à une perturbation
de leurs attractions, semblable à celle qui donne naissance
à la formation de l'acide carbonique pendant la fermentation
et la putréfaction. Ainsi l'érémacausie des substances de
ce genre est une décomposition analogue à la putréfaction
des corps azotés. Car, dans ceux-ci, deux affinités sont en
jeu, l'affinité de l'azote pour l'hydrogène, et celle du carbone
pour l'oxygène, qui facilite la désunion de leurs éléments.
Il y a aussi deux affinités en action dans les corps qui se
décomposent avec dégagement d'acide carbonique. L'une
de ces affinités est l'attraction de l'oxygène de l'air pour
l'hydrogène de la substance en décomposition, qui corres-
pond à l'attraction de l'azote pour le même élément; l'autre
est l'affinité du carbone de cette même substance pour l'oxy-
gène, affinité qui est constante dans toutes les circon-
stances possibles. Quand le bois se pourrit dans les marais,
le carbone et l'oxygène sont séparés de ses autres éléments,
sous forme d'acide carbonique; l'hydrogène s'en dégage sous

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 289
forme de gaz hydrogène carboné. Mais quand le bois se
corrompt ou se putréfie au contact de l'air, son hydrogène
se combine, non pas avec le carbone, mais avec l'oxygène,
pour lequel il a la plus grande affinité à la température
ordinaire. Il est évident, d'après la parfaite similitude des
procédés, que les corps en décomposition et en putréfaction
peuvent se remplacer mutuellement dans leur action réci-
proque. Tous les corps en putréfaction passent à l'état de
décomposition lente quand ils sont librement exposés à l'air,
et les corps en décomposition passsent à l'état de putréfac-
tion quand l'air est exclu. Tous les corps en état de décom-
position peuvent aussi introduire la putréfaction dans
d'autres corps, absolument comme s'ils étaient eux-mêmes
en putréfaction
Dans un sol où l'air n'a point accès, ou bien où l'air ne pénè-
tre que fort peu, les débris organiques animaux et végétaux
ne se décomposent pas, parce que leur décomposition n'est
possible que lorsqu'ils sont en contact avec une ample pro-
vision d'oxygène; ils subissent la putréfaction, pour laquelle
ils trouvent dans le sol de l'air en quantité suffisante. On
sait que la putréfaction est un procédé très puissant de
désoxydation, dont l'influence s'étend sur tous les corps
environnants, même sur les racines des plantes. Tous les
corps qui contiennent de l'oxygène cèdent leur oxygène
aux corps en putréfaction.
Le fréquent renouvellement de l'air dans le sol par les
labours et les façons diverses, spécialement son contact
avec les oxydes métalliques alcalins, les cendres de tourbe,
la chaux cuite ou la pierre à chaux, changent la putréfaction
de ses éléments organiques en un simple procédé d'oxyda-
tion; du moment où toutes les substances organiques con-
19

290 DES ENGRAIS
tenues dans le sol cultivé entrent dans un état d'oxydation
où de décomposition, sa fertilité en est accrue. L'oxygène
n'est plus employé à la conversion de la matière brune
soluble en charbon insoluble de l'humus ; il sert à la forma-
tion de l'acide carbonique.......
L'humus fournit aux jeunes plantes leur nourriture par
leurs racines jusqu'à ce que leurs feuilles soient assez dé-
veloppées pour contribuer à leur nutrition comme organes
extérieurs
L'atmosphère et le sol offrent le même genre de nourriture
aux feuilles et aux racines. L'atmosphère contient un appro-
visionnement relativement inépuisable d'acide carbonique
et d'ammoniaque ; le sol, par le moyen de son humus, pro-
duit constamment de nouvel acide carbonique, tandis que,
durant l'hiver, la pluie et la neige font pénétrer dans le sol
une quantité d'ammoniaque suffisante pour le développe-
ment des feuilles et des fleurs. L'insolubilité complète,
absolue, dans l'eau froide, des matières végétales en dé-
composition (humus) paraît, quand on y regarde d'assez près,
une disposition très sage de la nature. Car, si l'humus pos-
sédait un degré de solubilité , même plus faible que celui
qui appartient à l'acide humique, il devrait être dissous par
l'eau des pluies; ainsi des pluies violentes et prolongées
appauvriraient le sol. Mais, n'étant soluble que quand il est
combine avec l'oxygène, il ne peut être entraîné par l'eau
que sous forme d'acide carbonique. L'humus tenu à l'abri de
l'humidité peut se conserver pondant des siècles ; mais, s il
est en contact avec l'eau, l'oxygène de l'air ambiant le
convertit en acide carbonique. Dès qu'il cesse d'éprouver
l'influence de l'air, c'est-à-dire dès qu'il est privé d'oxygène,
l'humus n'éprouve plus aucun changement. Sa décomposi-

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 291
tion a lieu seulement quand les plantes croissent dans un
sol contenant de l'air, parceque les racines des plantes
absorbent l'acide carbonique à mesure qu'il est formé. La
terre reçoit de nouveau des plantes vivantes les matières
charbonneuses ainsi perdues, de sorte que la proportion de
l'humus dans la terre ne diminue p a s . . . . . . .
La décomposition de la fibre ligneuse, principal élément
de tous les végétaux, est accompagnée d'un phénomène d'une
espèce particulière. Cette substance, en contact avec l'air
ou le gaz oxygène, convertit ce dernier en un volume égal
d'acide carbonique, et sa décomposition s'arrête quand
l'oxygène disparaît. Si l'acide carbonique est enlevé et que
l'oxygène reparaisse, la décomposition de la fibre ligneuse
recommence, c'est-à-dire que l'oxygène recommence à être
converti en acide carbonique. La fibre ligneuse contient du
carbone et les éléments de l'eau ; si l'on en juge seulement
d'après les produits formés pendant sa décomposition, et
d'après ceux qui sont formés par le charbon pur brûlé à une
haute température, on peut en conclure que les causes sont
les mêmes dans les deux cas ; la décomposition de la fibre
ligneuse s'accomplit comme s'il n'entrait pas d'hydrogène
ni d'oxygène dans sa composition. Ce mode de combustion
lente (érémacausie) exige un temps fort long, et pour qu'il
se continue, la présence de l'eau est nécessaire ; les alcalis
le favorisent ; les acides le retardent.
La propriété que possède la fibre ligneuse de convertir
l'oxygène en contact avec elle en acide carbonique, diminue
à mesure que sa décomposition avance, et il reste à la fin
une certaine quantité de matière brune, ayant l'aspect du
charbon, qui ne possède plus du tout cette propriété; cette
substance est ce qu'on nomme du terreau; elle est le produit

292 DES ENGRAIS
de la plus complète décomposition de la fibre ligneuse. Le
terreau constitue la partie principale de tous les dépôts de
lignite et de tourbe. Dans un sol perméable à l'air, l'humus
se comporte absolument comme dans l'air lui-même; il est
une source continue d'acide carbonique, qu'il dégage très
lentement. Toute particule d'humus en décomposition est
environnée d'une atmosphère d'acide carbonique formée aux
dépens de l'oxygène de l'air. La culture, en ouvrant et divi-
sant le sol, ouvre un libre accès à l'air. Tout sol fertile
contient donc une atmosphère d'acide carbonique ; c'est la
première et la plus importante nourriture pour les jeunes
plantes qui peuvent y végéter
Chaque nouvelle fibre radicale acquise par une plante
peut être regardée comme constituant à la fois une bouche,
des poumons et un estomac. Les racines remplissent les
fonctions des feuilles depuis le premier moment de leur
formation ; elles puisent dans le sol leur propre nourriture,
spécialement l'acide carbonique produit par l'humus. En
divisant le sol qui environne les jeunes plantes, nous favo-
risons l'accès de l'air et la formation de l'acide carbonique,
et d'autre part la quantité de leur nourriture diminue par
chaque difficulté qui s'oppose au renouvellement de l'air.
A une certaine période de sa croissance, la plante elle-même
effectue ce changement d'air. L'acide carbonique qui pro-
tége l'humus non encore décomposé contre des altérations
ultérieures, est enlevé et absorbé par les fibres fines des
racines et par les racines elles-mêmes ; cet acide est rem-
placé par de l'air atmosphérique, et par ce moyen la décom-
position recommence et il se forme de nouveau de l'acide
carbonique. La plante, à cette période de son développe-
ment, reçoit sa nourriture de deux côtés, tant par ses racines

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 293
que par ses organes extérieurs ; elle avance alors rapide-
ment vers sa maturité. Quand elle est tout à fait mûre, et
que les organes par lesquels elle prend l'acide carbonique
dans l'air sont formés, elle n'a plus besoin de l'acide carbo-
nique du sol. »
Ces explications très simples de l'origine, de la forma-
tion, des propriétés naturelles et de l'action particulière de
l'humus servent à rendre parfaitement clair et intelligible
pour le planteur chacun de ces objets; c'est mon excuse
pour avoir introduit ici les citations nombreuses et diverses
qui précèdent. Ces citations font voir de la manière la plus
nette que l'humus en contact avec l'air convertit l'oxygène
de l'air en un volume égal d'acide carbonique qui est fourni
aux racines des plantes en qualité d'aliment. Mais l'humus
possède une autre propriété non moins importante, que je
n'ai point encore signalée ; c'est celle d'absorber et de four-
nir aux végétaux l'azote de l'atmosphère.
« La fibre ligneuse décomposée (humus), dit Liebig, n'est
pas de beaucoup inférieure au charbon sous ce rapport. Le
bois pourri de chêne, après avoir été complétement des-
séché sous l'action d'une pompe pneumatique, absorbe
soixante-douze fois son volume de gaz ; ceci nous donne un
moyen facile et sûr de nous rendre compte ultérieurement
des propriétés de l'humus, ou du bois à l'état de décompo-
sition. Ce n'est pas seulement une source de formation
lente et constante d'acide carbonique; c'est aussi l'inter-
médiaire par lequel l'azote est transmis aux végétaux.
Sans l'azote, les plantes ne pourraient jamais atteindre
leur maturité ; c'est un des principes les plus essentiels de
la vie végétale ; il est contenu dans l'atmosphère sous
forme d'ammoniaque ; il existe aussi dans un grand nombre

294 DES ENGRAIS
d'autres substances, ainsi que nous aurons occasion de l'in-
diquer plus loin. Nous voyons donc que l'humus fournit
aux plantes les deux éléments essentiels de la vie et de la
maturité; nous pouvons juger par là de l'influence bienfai-
sante comme engrais de toute substance pouvant être con-
vertie en humus. Le marc et les feuilles des cannes, lors-
qu'on les rend à la terre, sont promptement transformés en
humus, surtout quand on les enfouit à l'état vert et humide ;
il en est de même de toute matière végétale. Ceci nous
montre à quel point il importe que les engrais de cette na-
ture soient recueillis avec soin et employés selon ce qu'exi-
gent les circonstances, dans le but de fournir à nos cannes
à sucre un ample approvisionnement d'un aliment qui leur
est indispensable.
Partout où l'acide carbonique disponible est abondant,
l'azote doit être dans la même proportion, autrement la
plante n'est pas capable de s'assimiler l'acide carbonique
avec assez d'énergie; tandis que, si l'azote est en abondance,
sa puissance d'assimilation en est très sensiblement aug-
mentée, et le carbone est en bien plus grande quantité
utilisé au profit de la plante. Mais, bien que l'azote soit in-
dispensable à toutes les plantes et que quelques-unes en
particulier en exigent de grandes quantités, la canne n'est
pas spécialement dans ce cas par rapport à sa croissance et
aux propriétés très sucrées de son j u s .
Il faut une quantité d'azote suffisante pour donner à la
canne une énergie qui lui permette de s'assimiler le carbone
contenu dans l'acide carbonique qu'elle puise, soit dans le
sol, soit dans l'atmosphère, et former des plantes belles,
vigoureuses, bien développées ; mais un excès d'azote aurait
une tendance fâcheuse; il tendrait à former dans la plante

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 295
du gluten ou du mucilage au lieu de sucre. Il suit de là
que tout engrais contenant trop d'ammoniaque est mal ap-
proprié à la culture de la canne à sucre ; les engrais de cette
sorte font produire à la plante une grande quantité de mé-
lasse, aux dépens du principe sucré cristallisable. D'un
autre côté, si la quantité d'azote est seulement suffisante
pour imprimer une activité moyenne aux organes d'assimi-
lation, le carbone assimilé, ne trouvant pas d'azote pour se
combiner avec lui et former de nouveaux principes, tels que
du gluten, de l'albumine, du mucilage ou du bois, se dépo-
sera dans le tissu cellulaire sous forme de sucre. Donc, en
fumant la terre pour la culture de la canne, on ne doit em-
ployer que les substances qui peuvent lui fournir en p r o -
portion convenable les éléments qu'elle exige pour consti-
tuer une plante bien développée et pour obtenir un dépôt
progressif de sucre dans son tissu cellulaire.
Je suis pleinement convaincu que l'humus en juste p r o -
portion, ainsi que cela doit avoir lieu quand les feuilles et
la bagasse sont rendus en totalité à la terre, doit attirer à
lui de l'atmosphère et mettre à la disposition de la canne
autant d'azote qu'il en faut pour son parfait développement,
et par conséquent pour obtenir dans son tissu cellulaire un
dépôt de sucre des plus abondants.
Fumier des bêtes bovines, des bêtes ovines, des chevaux,
et urine du bétail. Si le planteur pouvait avoir les excréments
des animaux exempts de cette forte pénétration d'ammo-
niaque qui vient habituellement de ce qu'ils sont imbibés
d'urine de ces même bestiaux, ou ne peut douter que ce ne
fût un engrais très profitable pour la canne à sucre ; mais,
mélangés d'urine comme ils le sont presque toujours, leur
emploi offre beaucoup d'inconvénients. Avec le fumier des

296 DES ENGRAIS
bêtes bovines et ovines, nous donnons à la terre du silicate-
de potasse et quelques sels d'acide phosphorique , tandis
1
qu'avec le fumier des chevaux nous lui donnons du phos-
phate de magnésie et du silicate de potasse, principes très
utiles les uns et les autres à la culture de la canne ; mais,
si ces engrais sont mêlés d'urine, ils fournissent à la canne
de l'ammoniaque et changent entièrement de caractère ;
leur emploi dans les champs de cannes devient très perni-
cieux; car il favorise, comme j e l'ai déjà fait observer, la
formation du gluten, de l'albumine et du mucilage.
Dans les îles des Indes occidentales, ce genre d'engrais
est universellement usité pour la culture de la canne ; d'ex-
cellentes récoltes de cannes ayant été obtenues de terres
ainsi fumées, il a toujours conservé la réputation du meil-
leur des engrais pour la canne à sucre ; c'est le véritable
engrais modèle. Jamais l'excès de mélasse provenant des
cannes soumises à l'influence de cet engrais n'avait été
attribué à sa véritable cause, jusqu'à ce que le célèbre Lie-
big nous ait ouvert les yeux pour la démonstration d'un
fait qui n'admet pas de contradiction. Bien des planteurs,
sans doute, peuvent alléguer de nombreux exemples de jus
de cannes très riche et très pur, exprimé de cannes large-
ment fumées avec l'engrais mêlé d'urine des bestiaux de
leurs plantations, croyant ainsi donner un démenti à l'exac-
titude de la règle posée par Liebig. Mais on doit considérer
que l'ammoniaque est un principe excessivement volatil,
qui s'échappe promptement dans l'atmosphère sous forme
de carbonate d'ammoniaque, à moins que sa volatilisation ne
(1) Le fumier des bêtes bovines et ovines contient de l'azote, mais
en quantité très minime.

CONSIDERES CHIMIQUEMENT. 297
soit prévenue par l'emploi du plâtre, de la terre argileuse,
de l'argile calcinée et des autres substances qui possèdent
la propriété d'absorber et de fixer l'ammoniaque. Il faut
aussi se rappeler que le fumier, dans toutes les plantations
des Indes occidentales, reste exposé à l'air libre pendant
toute la durée de sa conservation, c'est-à-dire pendant un
intervalle de douze à vingt-quatre mois. Ces circonstances,
bien observées , montrent jusqu'à l'évidence que la plus
grande partie de l'ammoniaque d'abord contenue dans les
fumiers s'était évaporée au moment de leur emploi, et qu'ils
n'avaient pu, par conséquent, exercer autant de dommage
que les mêmes fumiers frais de même espèce en auraient
mfailliblement causé.
J'ai eu souvent personnellement occasion de voir des fu-
miers rester accumulés dans le parc aux bestiaux pendant
plus de deux ans ; le tout formait alors une masse noire,
pâteuse, de laquelle ne s'exhalait qu'une faible odeur d'am-
moniaque, preuve évidente qu'il n'y restait que fort peu
de cet alcali volatil, et que la plus grande partie de l'ammo-
niaque s'était dissipée.
Ces émanations ammoniacales ne se faisaient sentir
qu'au moment où la pioche était mise dans les tas de fumier
pour les charger sur les chariots et les conduire dans les
champs. Pendant cette opération, comme pendant tout le
temps durant lequel le fumier devait rester en petits tas sur
le sol avant son épandage le long des sillons, nul doute
qu'il ne perdît les trois quarts, peut-être même plus, do
l'ammoniaque qu'il pouvait encore contenir, de sorte qu'au
moment où l'engrais devait agir sur les cannes, son ammo-
niaque était à peu près totalement dissipée. Dans de telles
circonstances, l'ammoniaque s'y trouvait en quantité trop

298 DES ENGRAIS
faible pour exercer une influence nuisible sur la récolte
suivante ; c'est pourquoi cette récolte se trouvait être de
très bonne qualité, ne contenant pas un excès de mélasse.
Dans le cas du parcage volant (fly penning) si com-
mun à la Jamaïque, on parque habituellement de 1,500 à
2,000 têtes de bétail par acre (de 3,750 à 5,000 têtes par
1
hectare). Ainsi cette étendue de terre reçoit le fumier
liquide ou solide de 2,000 bêtes bovines ou mules pendant
une nuit de 13 à 14 heures, ce qui ne peut être évalué
à moins do 6,000 livres d'urine et autant de déjections
solides (2,520 kil.).
Une telle quantité d'urine doit être nuisible à la bonne
qualité du j u s des cannes plantées dans le sol qui a reçu un
tel parcage ; elle l'est surtout quand ce sol est une argile
ferrugineuse, parceque les oxydes métalliques des terrains
de cette nature forment avec l'ammoniaque des composés
solides, et l'empêchent de se dissiper.
Dans quelques autres sols, l'effet est moins nuisible,
parce que leurs principes constituants ne sont pas de nature
à fixer l'ammoniaque qui se dissipe dans l'atmosphère, et le
sol en est délivré.
C'est particulièrement ce qui a lieu quand, après le par-
cage, la terre reste longtemps sans être labourée à la bêche
ou à la charrue, ce qui donne à l'ammoniaque le temps de
s'échapper; le dégagement de l'ammoniaque peut aussi
(2) Le parcage se compte d'après le nombre des bêtes bovines et
des mules parquées. Par exemple, un parc de la moitié d'une acre
d'étendue (20 ares) reçoit 200 bêtes pendant cinq nuits; une autre
demi-acre en reçoit autant la nuit suivante. On dit alors que la

terre a été parquée à raison de 2,000 bêtes par acre (c'est-à-dire
2,000 journées d'une tête de bétail).


CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 299
être favorisé par le labour, quand la terre a été saturée
d'urine et qu'elle est retournée et ameublie.
Indépendamment des déjections solides et liquides des
bestiaux composant ce qu'on nomme le fumier du parc au
bétail, une certaine quantité de matière végétale a été
distribuée aux animaux dans le parc même, soit comme
litière, soit comme fourrage; l'ont en partie consommée,
en partie foulée aux pieds ; elle entre pour une forte
proportion dans la masse de ce fumier ; comme matière
propre à se convertir en humus, cette substance végétale
doit être regardée comme ayant une certaine valeur, su-
jette néanmoins à d'importantes réductions. Il y a lieu do
tenir compte d'abord des détériorations qu'elle a dû subir
durant une période prolongée de décomposition, puis, de
l'ammoniaque dont elle s'est imprégnée en étant en contact
avec des corps qui en contenaient.
D'un autre côté, quand le fumier recueilli n'a pas subi ce
mouvement prolongé de décomposition, et qu'il est employé
à un état comparativement récent, les graines des plantes
consommées par le bétail et contenues dans ses déjections,
ainsi que celles de la mauvaise herbe que le planteur a fait
arracher et jeter dans l'enclos des bestiaux afin de la conver-
tir en engrais, ne manquent pas de lever dans les champs
de cannes et sont une cause de graves embarras partout où
il est possible de les extirper, spécialement le vulpin (alo-
pécuras), l'herbe de Bahama, et beaucoup d'autres trop bien
connues des planteurs de la Jamaïque.
L'ammoniaque des déjections du bétail est bientôt éva-
porée sous forme de carbonate d'ammoniaque, si l'on n'em-
ploie pas un procédé pour la fixer ; son évaporation pré-
vient les fâcheux effets qu'elle aurait pu produire sur les

3 0 0 DES ENGRAIS
cannes en favorisant la formation du mucilage, du gluten
et des autres principes azotés ; elle les prévient en partie
ou en totalité, selon ce que les fumiers peuvent retenir
d'ammoniaque. Mais quand on répand de l'argile dans
l'enclos du bétail, ou bien quand le parcage est donné à
des terres ferrugineuses, l'ammoniaque est fixée et ne peut
plus se dissiper. La récolte des cannes en souffre dans ce
cas d'une manière incontestable et môme très grave ; cela
est à tel point que, de la première récolte de cannes, on ne
peut obtenir du sucre de bonne qualité, et que, même sur
les rejetons (rattoons) qui suivent cette récolte, l'effet nui-
sible est encore appréciable. Mais quand les déjections des
bestiaux n'ont été mêlées ni à de l'argile, ni à d'autres ma-
tières possédant les mêmes propriétés, si le fumier est resté
assez longtemps en tas et qu'il ait été, ainsi que je l'ai vu
pratiquer, travaillé de façon à exposer à l'air les parties inté-
rieures de sa masse; alors la plus grande partie de l'ammo-
niaque se dissipe, et l'effet nuisible du fumier ne se produit
plus qu'en raison du peu d'ammoniaque qu'il a pu conserver.
Le mélange grossier connu sous le nom de fumier du
parc au bétail, offre tout à fait les mêmes caractères que
ce qu'on nomme en Europe le fumier de cour de ferme
(farm-yard-manure). A l'état récent, ce fumier, d'après
le mémoire couronné de M. Girardin sur les fumiers (cha-
pitre V), contient les éléments suivants sur 1 0 0 partie :
Eau 75
Matières animales et végétales solubles ) 5
Sels solubles (

Matières animales et végétales insolubles 1
Sels insolubles 20

Fibre végétale et paille

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 301
Boussingault représente comme suit la composition de
l'engrais de cour de ferme après six mois de fermenta-
tion ; c'est ce qu'il nomme fumier ordinaire. Sur mille par-
ties :
Eau 79,03
Matières organiques 14,03
20,70
Sels et terre 6,67
Quand ce même genre de fumier, par une fermentation lente
et continue, est passé à l'état de pâte d'un brun noir, ou de
beurre noir, sa composition est, selon Boussingnault, pour
mille parties :
Eau 72,20
Matière organique soluble et sels solubles 1,50
Sels insolubles 10,27
Paille convertie en tourbe 12,40
Matière tourbeuse finement divisée , analogue à la
précédente 3,63
Richardson, en analysant un échantillon du même fumier
dans l'état où il se trouve lorsqu'il est étendu sur le sol
prêt à être enfoui, a trouvé des résultats peu différents :
sur mille parties :
Eau 64 ,96
Matières organiques .. 24 ,71
[ Sable 3,20 |
Matieres ) Sels solubles 1.34 10,33
minérales. )
( Sels insolubles 5,79
M- Girardin fait observer à ce sujet qu'un degré de fermen-
tation même très faible est capable de détruire la cohésion
de la fibre végétale, de la disposer à la décompositon et à
la dissolution, ce qui est utile au fumier avant qu'il soit

302 DES ENGRAIS
répandu sur le sol ; mais la même action trop prolongée peut
devenir nuisible ; c'est ce qu'on voit dans les tas de fumier
de nos exploitations rurales. Dans ces circonstances, la
masse s'échauffe fortement, les parties constituantes du
fumier se décomposent entièrement, divers gaz se déga-
gent en abondance, il se forme un liquide fortement coloré.
Le fumier perd ainsi 25 pour 100 de son volume primitif,
de sorte que 100 charrettes de fumier récent se réduisent à
75 charrettes de fumier fermenté. Les gaz dégagés con-
sistent principalement en gaz acide carbonique, hydrogène
carburé et ammoniaque, substances dont l'effet utile est
ainsi perdu. »
On connaît l'effet utile de l'ammoniaque sur la produc-
tion du froment et celle des autres céréales ; mais on vient
de voir que ses effets sont entièrement opposés quand l'am-
moniaque est appliquée à la culture de la canne à sucre;
elle produit des récoltes de la plus riche apparence, mais
elle empêche l'abondante production du sucre. Il s'ensuit
que, quand l'engrais du bétail doit être appliqué à la culture
de la canne à sucre, le dégagement de son ammoniaque doit
être favorisé par tous les moyens possibles. Mais l'acide
carbonique et l'hydrogène carburé composé de carbone et
d'hydrogène, dégagés durant la putréfaction telle qu'elle a
été ci-dessus spécifiée, sont une véritable perte. Il faut
donc prévenir cette perte avec autant de soin qu'on en doit
apporter à favoriser le dégagement de l'ammoniaque. Les
planteurs qui font usage de ces fumiers pour la culture de
la canne à sucre n'ont pas besoin qu'ils soient en putréfac-
tion, bien qu'il soit nécessaire qu'ils subissent une bonne fer-
mentation. S'ils remuent fréquemment leurs fumiers, l'am-
moniaque ne tardera pas à s'en échapper; la fermentation

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 303
n'en sera pas arrêtée, tandis que la putréfaction sera p r é -
venue. Il ne s'agit pas de tas énormes tels que ceux dont
j'ai parlé ci-dessus, mais de quantités modérées de fumier
que le planteur peut faire exposer à l'air de temps en temps
sans trop de frais et de travail, jusqu'à ce que la fermenta-
tion ait réduit la cohésion de la fibre végétale, et que l'am-
moniaque se soit dissipée. Ces deux points seront bientôt
obtenus, si le fumier est fréquemment remanié, et comme
je l'ai fait observer ci-dessus, la putréfaction sera empêchée.
Mais, quoique l'ammoniaque se dégage en grande quantité,
il en restera certainement toujours un peu dans la masse
des fumiers ; ce peu sera mis en contact avec les racines
des cannes, et le tort qu'il pourra faire à la récolte sera
proportionné à sa quantité . Je ne suis donc nullement
1
porté à blâmer la vieille coutume de planter du maïs
entre les lignes de cannes fumées avec le fumier mélangé
des bestiaux; au contraire, ainsi que je l'ai remarqué,
je crois que plusieurs avantages peuvent résulter de cette
pratique, surtout lorsque le maïs est enfoui dans le sol alors
lue ses feuilles et ses tiges sont à l'état frais et succulent.
Le maïs tend à absorber l'ammoniaque introduite dans le
sol par la fumure ; le maïs s'en empare pour la formation de
ses épis, et, quand on l'enfouit comme engrais végétal, il
fournit aux cannes une abondante provision d'humus.
L'engrais mélangé des bestiaux, lorsqu'il est employé à
la culture de l'herbe de Guinée, ne peut pas être enfoui à
un état trop récent ; sa décomposition doit pouvoir s'accom-
plir entièrement dans le sol; elle fournira ainsi peu à peu
(1) On peut aussi y mettre obstacle en mêlant au fumier un peu
de chaux vive caustique. (Voyez Chaux.)

304 DES ENGRAIS
des aliments à cette plante fourragère, ce qui se prolon-
gera également jusque pendant la durée de l'érémacausie.
Je n'aurais pas si fort insisté sur ce sujet si je ne savais
qu'en dépit de tous les conseils qui pourront leur être don-
nés contre cette pratique, les planteurs de la Jamaïque se
serviront longtemps encore du fumier de leurs parcs aux
bestiaux pour la culture de la canne. J'ai dû par conséquent
essayer de montrer comment l'ammoniaque, ce corps com-
posé si nuisible à la canne, peut être en partie écarté, et
comment les mauvais effets de ce qui en reste dans le fumier
peuvent être neutralisés avec certitude et avec avantage.
(Voyez Chaux. )
Déjections humaines et urine. D'après ce qui vient d'être
dit, il est évident que cet engrais a contre lui les mêmes
défauts que l'engrais du bétail; l'engrais humain est seule-
ment plus riche et plus abondant en ammoniaque, mais
moins que l'urine; ces substances sont principalement utiles
à la culture de la canne en raison des phosphates qu'elles
contiennent. En 1846, une tentative très digne d'éloges fut
faite à Bridge-Town, aux îles Barbades, pour rendre ces
substances utilisables dans la culture de la canne à sucre,
et en même temps pour corriger l'insalubrité de l'air dans
cette ville, dont les habitants était ; fort incommodés des
émanations du dépôt de cet engrais. Je regrette de ne pas
être informé si cette entreprise méritoire se poursuit ou
non ; il est à espérer qu'elle aura réussi.
Les entrepreneurs emploient, pour dépouiller l'engrais
humain de son odeur, les mêmes procédés en usage sur le
continent ; ils se servent de la chaux caustique, laquelle fait
complétement disparaître l'ammoniaque et ne laisse subsis-
ter qu'une odeur terreuse. Ainsi désinfecté, l'engrais humain

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 305
porte le nom de poudrette; d'après des essais répétés dans
les champs de canne à sucre, il a été reconnu que la pou-
drette est un excellent et puissant engrais pour la culture
de cette plante.
L'analyse chimique a fait reconnaître dans la poudrette
les substances suivantes, comme principes essentiels :
phosphate et carbonate de chaux, un peu de magnésie,
silice, sulfate de chaux, des traces de phosphate de magné-
sie, chaux et une quantité considérable de matière organi-
que. Le chimiste auteur de cette analyse y a joint les obser-
vations suivantes :
" La chaux sous forme de carbonate, si abondante dans
l'engrais humain désinfecté, y a été ajoutée pendant l'opé-
ration de la désinfection; par suite de cette addition, on
peut admettre l'absence des sels amoniacaux dans la pou-
drette, la chaux possédant la propriété bien connue de dé-
composer tous ces sels et d'expulser l'alcali volatil. Mais,
bien que la poudrette ait été dépouillée de l'ammoniaque
toute formée que l'engrais humain pouvait contenir, elle
contient dans sa matière organique les éléments de l'ammo-
niaque ; ainsi, lorsqu'on la soumet à la distillation poussée
assez loin pour la détruire, le fluide qu'on en obtient, étant
mêlé avec de la chaux, exhale une forte odeur ammonia-
cale.
D'après cette analyse et ces observations, il paraît que
la matière fécale, lorsqu'elle avait été traitée par la chaux,
était à l'état tout à fait récent ; autrement la fermentation
s'y serait manifestée à un degré suffisant pour décomposer
la matière organique dont les éléments désunis, rendus
accessibles à l'action de la chaux, auraient perdu leur am-
moniaque; car, dans la poudrette préparée sur le conti-
20

306 DES ENGRAIS
nent, (d'après Liebig) l'ammoniaque est entièrement expul-
sée, ce qui semble indiquer que la chaux avait été ajoutée
à l'engrais humain après que la fermentation en avait dé-
truit les parties organiques .
1
Les Chinois, dans les colonies des détroits malais, font
aussi grand usage de l'engrais humain et de l'urine pour la
canne à sucre aussi bien que pour d'autres cultures. Ils re-
cueillent avec soin ces engrais de maison en maison ; ils
les déposent dans un réservoir maçonné où ils les laissent
se décomposer ; plus tard, ils y ajoutent des cendres ou de
la terre qu'ils incorporent intimement avant de les porter
dans leurs champs et leurs jardins. Cette pratique est si
générale qu'il n'y a pas un jardin appartenant à un Chinois
où il n'existe un réservoir de ce genre. L'odeur infecte qui
s'en échappe témoigne assez qu'ils n'emploient ni chaux ni
cendres avant que l'engrais humain soit en grande partie
décomposé. Au Bengale, il n'est pas à ma connaissance
que l'engrais humain soit jamais employé comme fumure ;
il n'y a pourtant pas de pays où le système de désinfection
de cet engrais fût capable de rendre plus de services, soit
pour augmenter les produits de l'agriculture, soit pour pu-
rifier l'atmosphère. Les Indous sont, sans exception, le
peuple le plus sale de la terre en ce qui concerne la matière
fécale qu'ils déposent autour de leurs habitations de la ma-
(1) La poudrette faite à Paris est mêlée à une petite quantité de
sulfate de fer en solution, qui enlève à la matière fécale toute espèce
d'odeur, en condensant l'ammoniaque aussi bien que l'hydrogène sul-
furé et phosphore, qui produisent des émanations infectes. Ce sel
agit sur l'ammoniaque par son acide, et sur les gaz par son oxyde-
On peut ainsi rendre à peu près inodores les cloaques les plus in-
fects.


CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 307
nière la plus dégoûtante, de sorte que l'odeur la plus re-
pousssante s'exhale de tous leurs villages.
Cet inconvénient n'est pas limité seulement aux villages ;
aux environs de Calcutta, les chemins et les avenues sont
horriblement souillés de cette manière ; la principale p r o -
menade, le strand de Calcutta (le Hyde-Park de cette capi-
tale) n'est souvent pas tenable ; souvent je ne pouvais y
passer sans me boucher le nez avec mon mouchoir.
La quantité d'engrais humain qui pourrait être, sans
aucune peine, ramassée, rien que dans Calcutta, est à peine
croyable; en traitant cet engrais par la chaux vive, on le
rendrait propre à la culture de la canne à sucre; si l'am-
moniaque en était fixée par le plâtre, l'argile calcinée ou
d'autres substances analogues, cet engrais serait alors a p -
plicable à la culture du froment ou à celle des autres
plantes qui ont besoin de beaucoup d'azote. J e ne connais
que la caste des mélitas qui puisse être engagée à remplir
l'office de collecteurs d'engrais humain pendant la nuit, tra-
vail qui conviendrait très bien à cette caste. D'autres, tels
que les dhomes, les parias, les chumahs et les dhanghers,
peuvent faire et font peut-être en effet cette besogne aux
environs de Calcutta ; mais je n'ai pas directement connais-
sance du fait.
J'en ai dit assez sur ce sujet pour montrer que l'engrais
humain ne peut être converti en une substance fertilisante
Pour la culture de la canne à sucre qu'en expulsant corn -
plétement son ammoniaque, ce qui est d'ailleurs excessive-
ment facile.
Guano. Je ne crois pas qu'il existe une substance qui ait
donné lieu à des rapports plus contradictoires et plus
inexacts que le célèbre engrais connu sous le nom de guano.

308 DES ENGRAIS
« Pendant trois siècles, dit Humboldt, les oiseaux de la
côte n'ont pas déposé plus de quelques lignes d'épaisseur
de guano ; ce fait montre combien les oiseaux doivent avoir
été nombreux, et combien de siècles ont dû s'écouler pour
que les dépôts actuellement existants de guano aient pu se
former. »
Le docteur Ure et presque tous ceux qui ont écrit sur ce
sujet, ont adopté l'idée que le guano est exclusivement un
dépôt d'excréments d'oiseaux ; de curieux calculs ont été
faits en conséquence pour montrer combien de siècles ont
dû s'écouler pendant la formation des puissantes couches
de guano.
Mais, d'après le témoignage que je vais produire, il est
très évident que c'est une donnée absurde et ridiculement
fausse.
E n 1845, une maison de commerce entreprenante expé-
dia un navire sur la côte d'Afrique, à la recherche du ni-
trate de potasse qu'on disait exister en quantités considé-
rables. Cette substance ayant une grande valeur, les arma-
teurs attachèrent à l'expédition un membre du collège des
chirurgiens de Londres, M. Eden jeune, afin que le défaut
de connaissances chimiques ne fît pas échouer l'expédition.
M. Eden ne trouva pas de nitrate de potasse, qui probable-
ment n'a jamais existé sur la côte d'Afrique explorée par
lui ; mais il a publié un ouvrage intéressant et très bien
écrit dans lequel il rend compte en détail de l'expédition
dont il a fait partie ; il y donne une description très satis-
faisante de la substance nommée guano 1.
(1) Le navire, n'ayant pas trouvé de nitrate de potasse, prit un
chargement de guano.

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 309
Je transcris ici avec plaisir des passages de l'ouvrage de
M. Eden où il décrit ce qu'il a personnellement observé ;
je suis assuré que le lecteur me saura gré de cette citation.
« En quittant l'Angleterre, dit M. Eden, j'étais, comme
tout le monde, persuadé que le guano est formé d'excré-
ments d'oiseaux; la première fois que j ' e u s occasion d'en
voir, je crus avoir découvert le véritable guano, et je m'at-
tendis à y trouver une grande quantité d'acide urique ; mais
reconnaissant par l'analyse chimique que le guano est princi-
palement composé de phosphate de chaux, je vis que l'idée
que je m'en étais formée n'était pas exacte.
A l'île d'Itchaboë, la surface du roc était recouverte en
plusieurs endroits de masses de coquilles marines décom-
posées, contenant cependant encore de l'ammoniaque ; ces
coquilles font partie des dernières cargaisons de guano en-
levées dans cette île. Les coquilles paraissent appartenir à
une espèce de bivalve actuellement existante. Des masses
de ces coquilles décomposées ont aussi été trouvées aux îles
d'Angra-Péquéna. Dans toutes les îles que j ' a i visitées, ce
genre de dépôt existe plus ou moins au fond de tous les dé-
pôts de guano
Que les excréments des oiseaux entrent dans la compo-
sition du guano pour une portion quelconque, c'est ce qui
ne peut être mis en question ; mais ils n'en forment qu'une
partie très minime. J'eus un jour occasion d'observer, sur
la surface même de la roche, une pellicule d'une très belle
couleur cramoisie ( probablement de l'acide purpurique),
malheureusement trop mince pour pouvoir être enlevée ;
jamais l'analyse du guano ne m'a fourni de l'acide urique
en quantité appréciable
Les oiseaux de ce pays ne déposent même pas des excré-

310 DES ENGRAIS
ments aussi volumineux que ceux des oiseaux des îles Bri-
tanniques, et leurs déjections ne peuvent pas être séparées
des autres éléments du guano. En présence de ce que j ' a -
vais sous les yeux en visitant les îles au guano, mes idées
arrêtées d'avance changèrent entièrement; je cessai de re-
garder le guano comme un produit totalement formé de dé-
jections ; je le considérai comme composé des squelettes
des nombreux oiseaux et des veaux marins (phoques) qui
vivent et meurent dans ces îles, ou qui les visitent pour y
multiplier ou y chercher leur nourriture. C'est donc à l'his-
toire naturelle de ces animaux qu'il faut demander la véri-
table origine du guano. Il est probable que le dépôt primi-
tif est principalement composé de débris de phoques et de
pingouins. Ces animaux, ayant plus de facilité pour se mou-
voir dans l'eau que sur terre, sont disposés à fréquenter de
préférence les pentes et les parties basses des îles de gra-
nit; les mouettes et les goëlands peuvent aussi se joindre
à eux, préférant les parties les plus élevées des mêmes îles.
Après un grand nombre de générations de ces animaux,
le niveau de l'île s'étant élevé par le dépôt continu de leurs
débris, on conçoit aisément qu'elle ait cessé d'être acces-
sible pour les phoques, ou de leur convenir; il en a peut-
être été de même des pingouins; l'accumulation ultérieure
du guano a dû dès lors consister exclusivement en débris
d'oiseaux. Il est également probable, d'après quelques par-
ticularités de leurs mœurs que je ne connais pas, que les
oiseaux eux-mêmes finissent par cesser de fréquenter les
îles au guano, quand la masse de cette substance est par-
venue à un certain degré d'élévation. Je sais que c'est ce
qui a lieu sur la côte du Pérou, où le guano, qui dans cer-
tains endroits n'a pas moins de 300 pieds d'épaisseur

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 31l
(90 mètres), n'est plus fréquenté par les oiseaux. Il est à
espérer que, quand leur champ de repos aura été rapide-
ment nettoyé, les phoques, les pingouins et les oiseaux de
mer renouvelleront leurs dépôts d'une si grande valeur
Voici les éléments qui entrent dans la formation du guano :
Eau et matières animales organiques
Acides phosphorique, sulfurique, muriatique. (
Acides minéraux.)
— urique, oxalique, carbonique (Acides organiques.)
Ammoniaque, potasse, soude (Alcalis.)
Chaux, magnésie (Terres alcalines.)
Silice, alumine (Terres.)
Quelques observations seront nécessaires sur chacune de
ces substances. L'eau, dans ses rapports avec le guano, peut
être considérée sous trois aspects principaux : celle qui
existe dans le corps de tous les animaux ; celle de l'atmo-
phère ; 3° celle qui tombe sous forme de pluie. Si cette der-
nière est trop abondante, la partie utile du guano est lavée
et entraînée; si les pluies sont modérées, la décompositon
marche plus ou moins rapidement, ce qui dépend en partie
de la quantité de pluie tombée, et en partie de l'âge du
guano ou du temps depuis lequel il est soumis à l'action des
causes de décomposition. Dans la description de l'île de la
Possession, Morell constate qu'il doit y avoir eu sur les
phoques une grande mortalité, une sorte de peste, car le
sol de l'île était couvert de leurs cadavres. Quand nous vi-
sitâmes cette île, dix-sept ans après le voyage de Morell,
ces cadavres de phoques, en supposant que ce fussent les
mêmes, n'étaient pas tellement décomposés que leurs peaux
ne fussent encore reconnaissables et assez entières; plu-
sieurs vaisseaux en chargèrent de grandes quantités. Quand

312 DES ENGRAIS
le guano est très humide, la décomposition continue à bord
des navires. Quoique celui que nous avions chargé donnât,
au moment de l'embarquement, une solution légèrement
acide, et qu'il n'exhalât qu'une très faible odeur d'ammo-
niaque, il en dégageait une si grande quantité à notre arri-
vée à Sainte-Hélène qu'il provoquait les larmes et coupait
la respiration de ceux qui pénétraient dans le magasin. Ce-
pendant cette exhalaison d'ammoniaque cessa en grande
partie pendant la traversée; mais j'observai que l'odeur
était beaucoup plus forte pendant une nuit humide que pen-
dant une nuit sèche. J'ai entendu dire que les peaux de
phoques dont j ' a i parlé plus haut étaient tombées en pous-
sière avant l'arrivée des navires dans la Grande-Bre-
tagne. »
Matière animale. Elle est un des éléments les plus utiles
du guano; elle est la source d'où dérivent plusieurs de ses
principes. Sa présence montre que le guano doit subir des
changements ultérieurs, et que les principes immédiats des
animaux ne s'y trouvent pas encore réduits à leurs éléments
chimiques ; probablement ces modifications doivent avoir
1
lieu dans le sol par l'intermédiaire des plantes. Toute l'am-
moniaque et tous les acides organiques du guano dérivent
de sa, matière animale; c'est d'elle que dépend entièrement
la proportion de l'ammoniaque latente. Dans la partie so-
luble du guano de l'île de la Possession, j ' a i trouvé plus de
12 pour 100 de matière animale (probablement de l'albu-
mine), précipitable par les acides, sans compter celle qui n'é-
tait pas précipitable et qui était probablement de la gélatine.
(1) Voyez à ce sujet les extraits cités plus haut de Liebig, sur la
fermentation, la putréfaction et la décomposition lente ou éméra-
causie.


CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 313
Acide phosphorique (biphosphate d'ammoniaque). C'est le
plus abondant et le plus important des acides minéraux qui
font partie du corps des animaux ; il entre pour beaucoup
dans la formation des os. On savait depuis longtemps que
la substance nerveuse des animaux contient du phosphore;
l'acide phosphorique est important comme servant lui-même
d'aliment aux plantes cultivées, et comme formant avec
l'ammoniaque un sel moins prompt à se décomposer et à se
dissiper sous un climat humide. J e l'ai généralement trouvé
dans le guano à l'état de biphosphate acide d'ammoniaque
dont voici la composition :
1 équivalent d'acide phosphorique. 7 1 , 4 = 61,79 pour 100.
1 équivalent d'ammoniaque 17,51 = 14,84 —

3 équivalents d'eau 27,00 = 23,37 —
115,55 100
A l'île des Oiseaux de Holland, ce sel, ayant été dissous
par la rosée et le brouillard, avait filtré sans se modifier
à travers le guano dans la substance duquel il se trouvait
cristallisé ; mais il était plus abondant au fond des dépôts.
Il est très soluble dans l'eau; mais, s'il n'est pas entraîné
par l'eau, c'est d'ailleurs un sel très fixe, qui ne se dissipe
point dans l'atmosphère. Dans le guano d'Afrique, j ' a i éga-
lement trouvé ce sel comme le composé d'ammoniaque le plus
f o n d a n t . Sa présence dans les os, surtout dans les cavités
des os allongés, est excessivement curieuse et instructive;
car, la moelle ne contenant pas d'azote, l'ammoniaque du
biphosphate ne peut provenir de cette source. Peut-être la
matière animale des os a-t-elle subi quelques modifications
dans lesquelles il s'est formé de l'ammoniaque, et l'acide
phosphorique a été pris de la subtance même de l'os; car

314 DES ENGRAIS
les os contenant du biphosphate d'ammoniaque étaient
généralement dans un état de décomposition.
Phosphate de chaux. L'acide phosphorique existe aussi
uni à la chaux dans le guano. Ce sel forme la partie princi-
pale des os des animaux de toutes les espèces de guano,
selon les analyses des meilleurs chimistes. Sa valeur comme
engrais n'égale pas celle du biphosphate d'ammoniaque;
mais elle dépasse celle des os broyés, très usités comme
engrais dans plusieurs natures de terrains ; voici quelle est
sa composition.
8 équivalents de chaux 228,0
3 équivalents d'acide phosphorique 214,2
442,2
Les phoques et les oiseaux de mer puisent dans les
poissons dont ils se nourrissent la grande quantité de phos-
phore nécessaire à la formation de ces sels. Les eaux de
l'Océan sur cette côte sont très phosphorescentes, et sou-
vent, pendant une nuit obscure, la mer brise contre les ro-
chers de l'île, comme un rideau de feu.
Phosphate de soude et d'ammoniaque. On le trouve en abon-
dance dans l'île de la Possession, en cristaux rhomboïdaux
octaèdres, mêlés à des poils de phoques; il existe aussi au
fond des dépôts de guano de l'île des Oiseaux de Holland,
associé à des cristaux de biphosphate d'ammoniaque. C est
dans le guano un principe fort utile ; en voici la compo-
sition :
1 d'acide phosphorique 71,4 = 35,75 pour 100.
1 d'ammoniaque 17,15 = 8,17 —
1 de soude 3 1 , 3 = 10,63 —
10 d'eau 90,00 = 45,45 —
100

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 315
Phosphate d'ammoniaque et de magnésie. Ce sel double,
absolument insoluble, joint au phosphate de chaux et à la
matière animale, constitue la partie insoluble du guano. Il
forme aussi des cristaux brillants dans le guano en pierres
ou en morceaux qui n'a pas encore trop éprouvé l'influence
de l'eau de mer. E n voici la composition.
1 d'acide phosphorique 71,4 = 30,11 pour 100.
2
d'ammoniaque 34,3 = 17,23 —
1 de magnésie 41,4 = 10,46 —
10 d'eau 90,0 = 4 2 , 2 0 —
100
Acide sulfurique et muriatique. Ils existent en petite quan-
tité dans les tissus animaux, et aussi dans l'eau de mer. Dans
le guano, on les trouve généralement combinés avec les
alcalis fixes (soude et potasse). Le sel commun (chloride de
sodium) est souvent déposé en grande abondance p a r l'éva-
poration de l'eau salée avec laquelle le guano a été mêlé ;
mais cela doit seulement arriver dans les îles qui ont été
lavées par les fortes marées, ou que le défaut d'élévation et
les particularités de leur structure exposent à recevoir l'é-
cume de la mer et à provoquer sa formation.
Acides urique, oxalique et carbonique. Ces trois acides,
formés des mêmes éléments définitifs, mais dans des pro-
portions variables, prennent naissance aux dépens de la
matière animale. A mesure que la décomposition avance, ils
ont la propriété de se changer les uns dans les autres. Ainsi
l'acide urique, produit fixe et insoluble aussi longtemps
qu'il reste en cet état, subit diverses transformations sous
l'empire de circonstances favorables, et donne naissance à
des produits volatils au nombre desquels est le carbonate

316 DES ENGRAIS
d'ammoniaque. L'acide oxalique est aussi disposé à se chan-
ger en acide carbonique. L'eau paraît être l'agent le plus
actif de ces transformations, et c'est pourquoi l'on préfère
à tout autre le guano déposé dans un pays au climat exempt
d'humidité. J'ai plusieurs fois essayé, mais sans y par-
venir, de découvrir l'acide urique dans le guano de l'île de la
Possession.
Ammoniaque. On regarde l'ammoniaque comme le principe
le plus précieux du guano ; le sel ammoniacal le plus per-
manent sous un climat humide est le biphosphate d'am-
moniaque; mais l'urate d'ammoniaque, en raison de son
insolubilité comparative, lui est de beaucoup supérieur; il
l'est aussi parceque l'acide urique, par sa décomposition
dans le sol, rend libre une grande quantité d'ammoniaque,
outre celle avec laquelle il est chimiquement combiné. On
rencontre principalement le carbonate d'ammoniaque dans
le guano humide ; ce sel, en raison de sa volatilité, estpeut-
être le moins utile des sels ammoniacaux du guano. L'odeur
naturellement exhalée par le guano provient de ce sel;
mais, bien qu'on accorde en général dans le commerce une
préférence marquée au guano dont l'odeur est la plus pro-
noncée, cette base d'appréciation n'est nullement exacte.
Le guano sans odeur contient souvent l'ammoniaque en plus
grande quantité, combinée à des acides qui s'opposent sa
volatilisation. Un procédé beaucoup plus sûr pour appreciei
le guano, c'est de le mêler à un alcali caustique, chaux ou
potasse, qui, s'emparant de ses acides, mette à découvert
l'ammoniaque rendue libre.
Potasse et soude. — On les trouve quelquefois combinées
avec des acides minéraux, mais en petites quantités ; leurs sels
n'entrent jamais pour beaucoup dans la composition du guano.

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 317
Chaux. — Elle est quelquefois combinée avec l'acide oxa-
lique, dans la partie insoluble du guano ; elle y existe aussi
mêlée au phosphate de chaux; mais je crois qu'elle y est
beaucoup plus souvent à l'état de carbonate.
Magnésie. — On la trouve dans le guano combinée avec
l'acide phosphorique et l'ammoniaque.
Silice et alumine. — Ces substances n'existent qu'en pe-
tite quantité dans les débris animaux ; elles n'ont sous ce
point de vue aucune importance dans la composition du
guano. Mais, quand les îles au guano sont très rapprochées
d'une plage sablonneuse, le vent peut les couvrir d'une
poussière de sable qui quelquefois se mêle au guano dans
une assez forte proportion. Il ne paraît pas que les oiseaux
de mer qui forment le guano soient dans l'usage d'avaler
du sable pour triturer leurs aliments ; ils ont un estomac
membraneux, mince, beaucoup inférieur en force musculaire
au gésier des oiseaux terrestres. Les cailloux de granit ava-
lés par les phoques pour se lester l'estomac se retrouvent
dispersés dans la masse du guano provenant des phoques.
J'ai essayé d'appeler l'attention sur le guano, principa-
lement dans le but de jeter quelques lumières sur les phé-
nomènes qu'il m'a présentés. J'espère en avoir dit assez
pour faire cesser toute espèce de doute quant à ce fait que le
guano n'est pas exclusivement formé des déjections des oiseaux

de mer et des phoques, mais bien des cadavres de ces ani-
maux. »

Telle est la manière dont le guano est décrit dans le récit
intéressant de M. Éden, que j ' a i pris la liberté d'abréger
en plusieurs endroits pour l'adapter aux formes de cet ou-
vrage; je partage son opinion quant à l'origine non dou-
teuse des grands dépôts de guano, soit au Pérou, soit en

318 DES ENGRAIS
Afrique. « J'observai, dit Morell, dans l'île de la Posses-
sion, en septembre 1828, les effets d'une peste bien plus
meurtrière sur les habitants amphibies de l'Océan que le
choléra asiatique ne peut l'être sur les bipèdes humains du
continent. Toute la surface de l'île était littéralement cou-
verte de cadavres de phoques, encore recouverts de leurs
peaux. Leur mort, qui semblait remonter à cinq ans, devait
avoir eu lieu pour tous à la même époque. Le nombre prodi-
gieux d'os et de squelettes entiers ne me permit pas d'éva-
luer le nombre des victimes de cette peste à moins d'un
demi-million de phoques morts en même temps ; ils devaient
avoir péri frappés par quelque maladie mystérieuse Il
doit y avoir eu dans les deux îles d'Angra et Péquéna une
immense réunion de phoques, frappés sans aucun doute par
le même fléau qui a détruit ceux de l'île de la Possession,
car, dans les deux cas, leurs restes offraient la même ap-
parence. Les goëlands et les pingouins ont en ce moment pris
entièrement possession de ces îles. » (Relation de Morell.)
J'ai tout lieu de croire exacte cette relation, confirmée
d'ailleurs par le témoignage de quelques vieux capitaines de
navires ; autrement, je ne me serais pas aventuré à citer les
écrits d'un conteur tel que le capitaine Morell. Enfin les
faits rapportés par M. Éden tendent à prouver qu'une mor-
talité extraordinaire à dû frapper effectivement, à une
époque antérieure, les phoques qui fréquentaient ces îles.
On sait de plus que, parmi une masse de fictions les plus
grossières, la relation de Morell contient bien des faits qui
dernièrement ont été pleinement confirmés.
Le docteur Ure a donné un travail étendu et intéressant
sur le guano ; il y a joint de nombreuses analyses des gua-
nos du Pérou et d'Afrique; l'analyse suivante, d'après le

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 319
travail du docteur U r e , peut être donnée comme une moyenne
de la composition du guano non falsifié, s o u s le rapport de
sa valeur agricole.
1. Matière animale azotée, comprenant de l'urate d'ammoniaque,
pouvant fournir de 8 à 16 pour 100 d'ammoniaque, par sa
décomposition lente dans le sol 50

2. Eau 8 à 11
3. Phosphate de chaux 12 à 25
4. Phosphate d'ammoniaque, sulfate d'ammoniaque,

ammoniaque, phosphate de magnésie, contenant
ensemble de 5 à 9 parties d'ammoniaque. . . . . . 13
5. Sable siliceux 1
Total.. 100
Cette analyse et tous les faits qui précèdent prouvent évi-
demment que le guano, quand il est frais et de bonne qua-
lité, contient une très forte proportion d'ammoniaque, ce
qui, comme je l'ai démontré précédemment, le rend tout à
fait impropre à la culture de la canne à sucre. Le guano
doit donc être considéré comme très nuisible au dépôt du
sucre dans la canne, ainsi qu'à sa formation ; nous ne pou-
vons que le ranger parmi les engrais dont le planteur de
canne à sucre ne doit jamais faire usage. Après avoir, con-
formément à mes convictions, traité très au long ce qui
concerne cette substance, il me reste à dire que l'usage du
guano est fort vivement recommandé aux planteurs de
canne à sucre par des noms d'une grande célébrité, parmi
lesquels brille au premier rang celui d'un chimiste distingué,
le docteur Ure. Dans le supplément de son ouvrage aussi
savant qu'utile, intitulé : Dictionnaire des arts et manufac-
tures, il dit expressément : « Le guano sera, pour les plan-

320 DES ENGRAIS
teurs des Indes occidentales, un très grand bienfait; car il
leur offre sous la forme la plus concentrée, la plus com-
mode, la plus portative, le moyen de rendre la fertilité à
leurs champs épuisés par la culture de la canne, bienfait
longtemps réalisé dans les cantons du Pérou dont le sol est
le plus pauvre. »
En présence d une semblable recommandation, il ne faut
pas s'étonner si beaucoup de planteurs font sur leurs champs
de cannes l'essai des vertus du guano, son éloge étant sou-
tenu par bien d'autres que le docteur Ure. A part les célé-
brités scientifiques européennes, j e trouve le guano très
énergiquement prôné dans quelques-uns des traités provo-
qués par lord Elgin ; ces traités, écrits par des planteurs
de la Jamaïque, vantent de même toute autre substance
fertilisante contenant de l'ammoniaque. Enfin le prix de
cent livres sterling a été décerné à un mémoire qui, parmi
d'autres erreurs nombreuses, vante l'usage des engrais
ammoniacaux pour la culture de la canne tandis que le
mémoire excellent sous tous les rapports de M. Whitehouse
n'a rien obtenu.
J'avoue franchement que, dans un petit ouvrage sur le
sucre, publié par moi aux Indes orientales en 1843, j'ai
commis la même méprise, et, quelques mois plus tard seule-
ment, je reconnus mon erreur.
Sachant tout cela, pensant que bien des planteurs ne
(1) En 1846, la Société royale d'agriculture de la Jamaïque m'a
fait l'honneur de m'envoyer cet excellent mémoire avec plusieurs au-
tres; à la même époque, le secrétaire de cette Société eut l'obligeance
de me faire présent d'un autre ouvrage de M. Whitehouse, l'
Agri-
culture des contrées tropicales, par Agricola.
La mort de cet agro-
nome a été pour les planteurs une perte irréparable.

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 321
sont point encore persuadés des effets pernicieux du guano
sur la canne à sucre, et que par conséquent ils continuent
à en faire usage, j ' a i dû entrer à ce sujet dans des dévelop-
pements étendus, et j'insiste de toutes mes forces pour en-
gager les planteurs à s'abstenir de l'emploi du guano comme
engrais dans leurs cultures .
1
On connaît, dans les colonies des détroits malais, une
autre espèce de guano sous le nom de guano bat's dung, r a -
massée sur les îles de Junk, Ceylan, et dans les environs, à
peu de distance de Pinang. Les cultivateurs s'en servent
souvent pour leurs plantations de muscadiers ; j ' a i vu quel-
ques planteurs l'appliquer à leurs cultures de cannes ; mais
cet engrais ne convient à cette plante sous aucun rapport.
Les gens du pays le travaillent pour en extraire de grandes
quantités de salpêtre et d'autres produits.
Les os sont de nos jours très usités en agriculture, et l'on
sait quelle influence utile ils exercent sur la vie végétale ;
mais leurs principes constituants peuvent différer sensible-
ment selon l'état dans lequel ils se trouvaient au moment
où ils ont été broyés. Ainsi les os frais sont considérés
comme formés par moitié de matière animale, le surplus
en phosphates de chaux et de magnésie et en carbonate de
chaux. Dans cet état, on les broie en poudre fine qu'on ré-
(1) Dans un discours public, sir Ch. Grey, gouverneur de la Ja-
maïque, a fait allusion aux quantités de guano employées dans cette
colonie, «On peut voir partout dans ces environs perdre des sub-
stances propres à servir d'engrais, tandis que
des sommes considéra-
bles sont dépensées en achat de guano
; c'est ce qui me donne lieu
d'appeler votre attention sur la possibilité de produire, par les

moyens que la chimie nous indique, des combinaisons équivalentes. »
(Extrait d'un discours prononcé à la Société royale d'agriculture de
l'Inde.)
21

322 DES ENGRAIS
pand sur le sol, soit directement en qualité de phosphates,
soit après l'avoir traitée par l'acide sulfurique, qui en rend
libre l'acide phosphorique.
« Si l'on donne, dit Liebig, à une acre de terre 30 livres
d'os broyés (environ 42 kilogr. seulement par hectare),
cette fumure suffit pour approvisionner de phosphates trois
récoltes de froment, trèfle, pommes de terre ou turneps;
mais on ne doit pas regarder comme indifférente la forme
sous laquelle cet engrais est donné au sol ; plus les os
sont réduits en poudre fine, mieux ils se mêlent à la terre et
plus les végétaux ont de facilité à se les assimiler. Le procédé
le plus facilement praticable pour opérer cette division,
c'est de plonger les os, réduits d'avance en poudre fine, dans
la moitié de leur propre poids d'acide sulfurique étendu de
trois ou quatre parties d'eau, et de répandre ce mélange
à la surface du sol, avant de le labourer. E n quelques se-
condes, les acides libres se combinent avec les bases que
contient la terre ; il en résulte un sel neutre à un état d'ex-
trême division. »
« Le moyen le plus facile, dit le docteur Ure, de se pro-
curer les sels terreux contenus dans les os, consiste à les
calciner à blanc ; mais le résidu terreux qu'on obtient
ainsi contient des substances qui précédemment n exis-
taient pas dans les os, et qui ne font pas partie de leurs sels
terreux ; tel est entre autres le sulfate de soude provenant
du soufre des os et du carbonate alcalin fourni par le carti-
lage avec lequel il était combiné. D'un autre côté, la plus
grande partie de la chaux a perdu son acide carbonique- Le
phosphate de chaux contenu dans les sels des os est un
sous-phosphate consistant, selon Berzélius, en trois équi-
valents d'acide et huit de chaux.

CONSIDERES CHIMIQUEMENT. 323
En Angleterre, on donne par acre de 20 à 40 buschels
d'os broyés (de 17
50 à 35 hectolitres par h e c t a r e ) ,
h e c t o l .
et il faut un certain discernement pour déterminer dans
quel genre de sol cet engrais produira son effet utile.
On ne doit pas oublier que les os broyés sont utiles aux
champs de cannes, là seulement où il y a déficit de phos-
phates , sans lesquels la plante ne peut croître. Beau-
coup d'os tout à fait secs n'en contiennent pas moins une
quantité considérable de matière animale qu'ils perdent
lorsqu'on les fait bouillir avant de les broyer, selon le pro-
cédé fort usité en Angletere, pour les livrer en poudre aux
usages agricoles. La presque totalité des os broyés pour
engrais qu'on expédie aux Indes occidentales a été ainsi
cuite préalablement et a par conséquent perdu tout ce
qu'elle contenait de matière animale. Selon Liebig, 100 par-
ties d'os secs contiennent de 32 à 33 pour 100 de géla-
tine sèche, supposée contenir la même proportion d'azote
que la glu animale, soit 5, 28 pour cent; d'où il suit que
100 parties d'os peuvent être considérées sous ce rapport
comme l'équivalent de 250 parties d'urine humaine. »
Ainsi nous voyons que les os frais contiennent de grandes
quantités d'azote qui, lorsque les os se décomposent dans
le sol, se convertit en carbonate d'ammoniaque et en autres
sels ammoniacaux ; de sorte que la canne à sucre fumée avec
cet engrais est puissamment influencée, non-seulement par
les phosphates des os, mais aussi par leur azote. Il est donc
très nécessaire de distinguer avec attention les os qui, par
la cuisson, ont perdu toute leur matière animale, et les os
frais qui renferment encore une source d'azote. Les os b r û -
lés jusqu'à l'incinération ont perdu leur gélatine et sont
devenus des sels terreux qui ont cependant la propriété

324 DES ENGRAIS
d'absorber un volume considérable de gaz ammoniacal ;
mais ce pouvoir, une fois exercé, ne peut plus se renouveler
quand la poudre a été donnée au sol comme engrais. Les os
frais réduits en poudre et mis en tas n'ont besoin que d'un
peu d'humidité pour s'échauffer et entrer en putréfaction;
mais, quoique leur gélatine soit par là décomposée, et que
l'azote de cette gélatine soit converti en sels ammoniacaux,
cette poudre n'en garde pas moins le pouvoir d'en retenir en
elle-même une forte proportion. D'après Liebig, l'engrais
d'os est surtout recommandé en Angleterre pour les sols
légers, sablonneux ou graveleux, de préférence aux terres
argileuses ; cette distinction est également applicable aux
contrées tropicales. Mais dans aucune espèce de terre il
n'en faut une forte dose, puisque 40 livres par acre (42 kil.
par hectare) suffisent pour faire produire au sol trois ré-
coltes de froment.
Dans les plantations où l'on se sert de bagasse comme
combustible, il est très nécessaire de donner à la terre une
fumure d'os broyés ou calcinés, afin de lui rendre sa provi-
sion de phosphates ; autrement cette fumure n'est pas exi-
g é e . Dans mon opinion, c'est sous la forme de cendres
1
que les os peuvent être le plus convenablement appliques
à la fumure des champs de canne à sucre.
Marne. Je ne connais guère de moyens plus simples ou
plus faciles à la disposition du planteur pour amender ses
champs de cannes ; mais je crains fort que la marne ne soit
pas aussi employée par lui qu'elle pourrait et devrait l'être.
(1) Quand la bagasse est brûlée, et que ses cendres sont répan-
dues sur les champs de cannes les phosphates qu'elles contiennent
retournent au sol. (Voyez Cendres de bagasse.)

CONSIDERES CHIMIQUEMENT. 325
Il y a bien des localités où l'on ne peut s'en procurer; il y
en a d'autres où, pour avoir lamarne en quantités illimitées,
il suffit de creuser a terre et d'enlever la marne pour la
porter dans les champs. La marne varie beaucoup quant à sa
couleur, à son aspect général et à ses propriétés fertili-
santes ; les meilleures marnes sont blanches ou d'un bleu
ardoisé; elles sont molles et onctueuses. Les marnes blan-
ches sont formées de carbonate de chaux, avec de faibles
quantités d'alumine, de silice et de bitume; les marnes
colorées contiennent du carbonate de chaux, de l'alumine,
du fer et du bitume.
Il est d'usage, lorsqu'on traite des marnes, de les classer
en marnes calcaires, argileuses ou sableuses, selon que la
chaux, l'argile ou le sable y dominent ; leur valeur relative
dépend entièrement de la nature du sol qu'elles sont appe-
lées à amender. Ainsi une marne sableuse sera fort utile
dans un sol argileux ; une marne argileuse ou calcaire sera,
pour un sol siliceux, un très bon amendement.
A la Jamaïque, on peut, dans presque toutes les parties
de l'île, avoir de la marne en grande abondance, et la marne
peut rendre de grands services dans les plantations de
eanne à sucre ; je ne puis pourtant pas dire que je l'y ai vue
employée, si ce n'est dans quelques occasions très rares.
On ne peut trop blâmer cette négligence, surtout quand on
voit les planteurs faire venir à grand frais et avec beaucoup
d'embarras des engrais artificiels d'Angleterre, alors qu'ils
ont sous la main et en si grande abondance un si bon amen-
dement. Dans son excellent ouvrage sur les Indes occiden-
tales, Bryan Edwards a essayé de signaler cet agent de
utilisation à l'attention des planteurs ; c'est aussi ce qu'a
fait Porter. « La marne, dit Edwards, est comme un autre

326 DES ENGRAIS
fumier, d'une grande utilité aux îles Britanniques. Elle en-
richit les terres les plus pauvres, elle rend poreuses les plus
compactes, elle amende et corrige les plus aigres. Il y a des
terres qui, par l'emploi de la marne, se sont élevées, d'un
revenu locatif de 2 schellings par acre, à celui d'une guinée
(de 6 fr. 25 par hectare à 63 fr. 10). Il n'y a pas de pays
sous le soleil où la marne onctueuse soit plus abondante
qu'à la Jamaïque. »
Il y a un grand nombre d'annés que cela a été écrit; mais,
si ce n'est partiellement, cet excellent conseil, je crois, n'a
pas été suivi. "Dans les colonies des détroits malais, une
marne bleue très riche est excessivement abondante ; j'ai
longtemps mis en usage tous les moyens de persuasion
pour engager les planteurs à en tirer parti ; j ' y ai réussi une
fois ou deux. Cette marne contient une grande quantité
d'une sorte de pétrole ou huile de terre, qui en découle
abondamment. Dans les bonnes terres des provinces de
Wellesley, Singapore et Malacca, on trouve partout cette
marne à quelques pieds au-dessous de la surface du sol.
Exposée à l'air pendant un espace de temps assez court,
elle sèche et devient une substance fine, friable ; elle est en
cet état très propre à être répandue dans les champs de
cannes à sucre, même quand les cannes y sont en pleine
croissance. Si la marne est transportée sur le terrain avant
la plantation des cannes, on peut la répandre telle qu on
vient de l'extraire; huit ou dix jours d'alternatives d e p l m e
et de soleil la feront déliter et tomber en poussière ; en cet
état, elle sera parfaitement mêlée au sol par le labour-
Étant séchée, puis calcinée, cette marne s'est aussi trouvée
douée, par rapport à la canne, des propriétés fertilisantes
d'un riche engrais. Un planteur fort intelligent de la pro-

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 327
vince de Wellesley, M. Wilson, d'après mes indications, en
a fait plusieurs fois l'essai; il s'est convaincu des propriétés
fertilisantes très prononcées de cet amendement pour la
culture de la canne.
On rencontre aussi de très bonnes marnes dans quelques
parties de l'Inde, surtout au Bengale; le planteur devrait
toujours regarder la présence de la marne comme un grand
avantage, dont il peut tirer parti toutes les fois que le sol
réclame une fumure. D'après Liebig, toutes les marnes con-
tiennent une certaine quantité de potasse.
Argile. L'argile est commune et abondamment distribuée
entre tous les pays du monde ; aucun planteur ne saurait
donc éprouver la moindre difficulté à s'en procurer quand il
pense en avoir besoin.
L'argile est formée de deux terres simples, l'alumine et
la silice, légèrement colorées par des oxydes de fer ou d'au-
tres substances minérales. Elle absorbe fortement l'humi-
dité, et la retient avec une grande ténacité, même sous
l'influence des plus fortes chaleurs desséchantes ; elle est
pour cette raison fort utile pendant la saison chaude et
sèche. L'emploi de l'argile comme amendement est émi-
nemment avantageux dans les terres légères, siliceuses,
auxquelles il donne de la consistance ; en fait, l'argile peut
convertir des sables stériles en terres riches et productives.
On regarde généralement la valeur de l'argile au point
de vue de l'amendement des terres comme dépendant de
cette propriété de rendre plus compacte un sol trop léger,
et de le rendre capable d'attirer et de retenir l'humidité
atmosphérique ; mais Liebig pense que sa principale i n -
fluence fertilisante, tient à sa propriété d'absorber et de
fixer dans le sol l'ammoniaque de l'atmosphère. « Les avan-

328 DES ENGRAIS
tages qui résultent, dit-il de l'amendement des terres avec
l'argile brûlée, et la fertilité des terres ferrugineuses,
longtemps considérés comme des faits incompréhensibles,
peuvent s'expliquer d'une manière très simple. On a voulu
en faire honneur à la grande puissance d'attraction exercée
par rapport à l'eau par l'argile calcinée et les terres ferru-
gineuses ; mais cette propriété est aussi, à un degré très
élevé, possédée parles terres arables ordinaires, lorsqu'elles
sont sèches
La véritable cause, la voici. Les oxydes de fer et l'alumine
se distinguent de tous les autres oxydes par leur faculté de
former des composés solides avec l'ammoniaque. Les préci-
pités que l'on obtient en ajoutant de l'ammoniaque aux
solutions de sels d'alumine ou de fer, sont de vrais sels
dans lesquels l'ammoniaque est contenue comme base. Les
minéraux contenant de l'alumine ou de l'oxyde de fer ont
aussi à un degré éminent la propriété d'attirer l'ammonia-
que de l'atmosphère et de la retenir Les terres qui
contiennent de l'argile brûlée et de l'oxyde de fer doivent
donc absorber l'ammoniaque ; leur nature poreuse favorise
cet effet ; leur composition chimique empêche l'ammoniaque
de s'échapper après qu'ils s'en sont emparés L'am-
moniaque absorbée par l'argile ou par les oxydes fer-
rugineux en est séparée à chaque ondée de pluie, qui la
transporte à l'état de solution dans la terre.
L'emploi de l'argile pour modifier une terre cultivée, bien
qu'il puisse être à sa place dans le chapitre des engrais,
est cependant, pour parler plus exactement, la formation
d'un sol, surtout quand on la donne à forte dose. Par exem-
ple, une pièce de terre est tellement sablonneuse que vous
ne pouvez songer à y planter des cannes ; cependant sa

CONSIDERES CHIMIQUEMENT. 329
situation par rapport aux bâtiments d'exploitation peut
rendre fort désirable sa conversion en une bonne terre sub-
stantielle : il ne s'agit pas, dans ce cas, d'amender seulement
la terre, mais d'en changer totalement le caractère en y
apportant assez d'argile pour en faire une bonne terre l é -
gère, propre à faire de la brique.
Il peut y avoir d'abord beaucoup de peine à prendre et
de frais à supporter ; mais aussi l'effet obtenu est durable ;
la terre ainsi traitée peut être regardée comme b o n n e ,
fertile, et devant continuer à produire indéfiniment des
cannes à sucre. Quand l'argile est employée seulement à
faible dose, elle mérite mieux la désignation de simple
amendement ; c'est ainsi qu'on s'en sert pour donner de la
force à un sol trop léger, et le mettre en état de retenir
l'humidité, ou bien qu'on utilise l'argile brûlée dans le but
d attirer l'ammoniaque de l'air.
Toutes les argiles ferrugineuses ont le pouvoir d'attirer
et de fixer dans le sol l'ammoniaque de l'atmosphère ; mais
cette faculté est très sensiblement accrue quand l'argile est
calcinée. J'ai dit précédemment que l'azote est nécessaire
aux végétaux, et qu'il existe dans l'air sous forme d'ammo-
niaque; l'ammoniaque, n'importe où elle se trouve et en
quelle quantité, contient de l'azote dans la proportion de
65 livres pour 80 livres de son propre poids (Liebig). Bien
que cette substance soit absolument indispensable à la
croissance et au plein développement de la canne à sucre,
l'ammoniaque a cependant (comme je l'ai souvent observé)
la propriété de former dans la canne du mucilage, du gluten,
etc., lorsqu'elle est donnée au sol à trop forte dose dans les
engrais; elle empêche le dépôt du sucre dans le tissu cel-
lulaire de la canne, ainsi qu'il a lieu quand l'azote n'est

330 DES ENGRAIS
point en excès. Si la canne reçoit pour engrais son propre
marc à l'état frais, ou bien une dose équivalente de matière
végétale, il n'est pas douteux que l'humus qui en résulte
n'attire et ne fournisse aux cannes tout autant d'azote
qu'il leur en faut pour atteindre leur maximum de richesse
en sucre, sans le secours d'aucun autre engrais . Mais, là
1
où cela n'a pas lieu, comme il peut arriver dans les terres
très légères, on ne peut, pour suppléer à ce défaut d'azote,
employer de moyen plus sûr, plus facile, ou à meilleur
marché, que d'amender le sol avec l'argile, soit à l'état na-
turel, soit calcinée. Je préfère de beaucoup cette manière
(1) Si la plante reçoit un excès de carbone sous forme d'acide car-
bonique, sans que celui-ci soit accompagné d'azote, elle ne peut le
convertir en gluten, albumine, bois ou autre partie constituante d'un
organe. Il faut qu'elle soit expulsée ou séparée sous forme de sécré-
tions, telles que sucre, fécule, huile, poix, résine, mannite ou gomme;

ou bien ces substances doivent être déposées en plus ou moins
grande quantité dans les grandes cellules et les vaisseaux. Si la plante
reçoit une plus forte dose de nourriture contenant de l'azote, la quan-
tité du gluten, du mucilage et de l'albumine végétale augmentera ;
des sels ammoniacaux resteront alors dans la séve de la plante : c'est
ce qui a lieu pour la betterave, soit quand on lui donne des engrais
trop azotés, soit quand on supprime les fonctions des feuilles en les

enlevant On sait que la quantité de fécule augmente dans la
pomme de terre quand le sol est plus riche en humus, et qu'elle di-
minue quand le sol est engraissé avec des fumiers animaux trop

énergiques. Quoique le nombre des cellules augmente, les pommes de
terre ont une consistance, dans le premier cas, farineuse, et dans le
second savonneuse. Les betteraves récoltées dans un sable stérile con-
tiennent leur maximum de matière sucrée ; elles ne contiennent pas de
sels ammoniacaux : le navet de Toltowa, dans une terre fumée, perd
sa consistance farineuse, parce qu'il y rencontre toutes les condi-

tions nécessaires à la formation du tissu cellulaire. (LIEBIG, page 133.)

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 331
de procurer au sol la proportion d'azote requise, à l'emploi
des engrais ammoniacaux. L'argile assure un dosage d'azote
graduel et parfaitement régulier, ce qui n'existe pas avec
les fumiers chargés d'ammoniaque; car, en donnant à une
acre de terre une certaine dose d'argile calcinée ou non
calcinée, on confère à ce champ le pouvoir d'attirer et de
fixer dans le sol la quantité connue et déterminée d'ammo-
niaque en rapport avec le dosage de l'argile qu'il a reçue.
Mais pour que ce pouvoir s'exerce pleinement, il est néces-
saire que le temps se comporte d'une manière normale selon
la saison, et que le sol soit poreux. Si la saison offre un ca-
ractère uniforme, l'absorption d'ammoniaque est également
uniforme et continue ; elle peut seulement être modifiée par
l'enlèvement des oxydes métalliques du sol, entraînés par
les végétaux qui croissent dessus. Ainsi, en donnant à la
terre (je la suppose légère) quelques livres seulement d'ar-
gile calcinée, le planteur peut être assuré qu'il approvi-
sionne par là sa terre en ammoniaque pour plusieurs années,
enfin jusqu'à ce que le sol ait perdu ses oxydes métalliques,
ce qui exige toujours un très long espace de temps. Dans
une bonne terre ferrugineuse, l'emploi de l'argile calcinée
peut ne pas être nécessaire ; car le pouvoir d'absorber l'am-
moniaque existe dans cette terre, et il est continuellement
en action.
D'autres substances mentionnées dans le tableau des
engrais fournissent aussi les moyens d'approvisionner le sol
en ammoniaque ; tels sont le plâtre et le charbon ; mais les
causes agissantes ne sont pas les mêmes pour ces trois
substances. L'argile, on vient de le démontrer, agit par les
oxydes métalliques qu'elle contient. Le charbon attire assu-
rément et fixe, en vertu de ses propriétés particulières,

332 DES ENGRAIS
l'ammoniaque et l'acide carbonique; mais on ne peut en
préciser la cause, à moins de l'attribuer aux lois merveilleu­
ses de l'affinité. Le plâtre est composé d'acide sulfurique et
de c h a u x ; quand il est enfoui dans le sol, il s'y décompose
graduellement par la réaction de l'ammoniaque, sous l'in­
fluence de la terre, de l'air et de l'eau des pluies; l'ammo­
niaque entre en combinaison avec l'acide sulfurique, et l'acide
carbonique avec la chaux, pour former des composés qui ne
sont pas volatils.
Le charbon, lorsqu'il est convenablement brûlé, est une
substance tellement indestructible qu'il peut se conserver
sans altération sensible pendant des siècles. Mais, quand il
est préparé avec peu do soin, comme le sont particulière­
ment quelques charbons d e bois résineux, on assure qu'il
se décompose pour devenir une sorte de terre charbon­
neuse. « On peut difficilement, dit Lucas, révoquer en
doute que le charbon ne subisse une décomposition; car
après cinq ou six ans d'usage comme amendement, il est
transformé en terre charbonneuse, et si cela se passe ainsi, il
doit céder aux plantes qui croissent sur la terre amendée
p a r le charbon, du carbone ou de l'acide carbonique en
abondance ; il leur fournit ainsi la principale substance
nécessaire à l'alimentation des végétaux » Le charbon
exerce aussi une influence favorable en décomposant et
absorbant les matières excrétées par les racines, de manière
à débarrasser le sol des substances putréfiantes qui causent
la mort des spongioles. Sa porosité aussi bien que la fa­
culté qu'il possède d'absorber l'eau avec rapidité, et, après
s'en être saturé, de la laisser passer à travers sa substance,
sont aussi au nombre des causes de ses effets utiles sur №
végétation.

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 333
Lucas parle de la décomposition effective du charbon
comme d'un fait parfaitement prouvé par une série d'expé-
riences qu'il aurait faites lui-même pendant plusieurs années.
Mais, d'après Liebig, la terre charbonneuse trouvée par Lu-
cas résulte non pas du charbon, mais des excrétions de la
plante même qui a vécu en contact avec le charbon. Il est
facile de se rendre compte de l'action favorable exercée par
la poudre de charbon quant à la décomposition des matières
excrémentitielles organiques déposées p a r les plantes qui
ont végété dans cette poudre. E n effet, le charbon en
poudre possède la propriété de séparer l'acide carbonique
et l'ammoniaque contenus dans l'air et dans l'eau, en pla-
çant l'air et l'eau dans un état de plus grande liberté pour
agir sur la matière organique et la convertir en humus,
tandis que, par sa porosité, il est dans les meilleures con-
ditions pour assurer la continuité de ces réactions.
" Le charbon de bois ordinaire, dit Liebig, en vertu seu-
lement de ses propriétés bien connues, peut remplacer com-
plètement le terreau végétal ou humus... Pourvu qu'elles
soient exposées aux influences des pluies et de l'atmo-
sphère, les plantes peuvent croître et même fleurir et por-
ter fruit dans la poudre de charbon ; le charbon, pour cette
expérience, peut avoir été préalablement chauffé jusqu'au
rouge. Le charbon est la substance la plus inattaquable et
la moins sujette à se modifier que l'on connaisse ; il peut
se conserver pendant des siècles sans s'altérer ; il n'est
donc par sujet à se décomposer. Les seules matières qu'il
puisse céder aux plantes, ce sont les sels qu'il contient, au
nombre desquels se trouve le silicate de potasse. Néan-
moins on sait qu'il a la propriété d'absorber et de con-
denser les gaz à l'intérieur de ses pores, particulièrement

334 DES ENGRAIS
l'acide carbonique. C'est en vertu de cette propriété que
les racines des plantes dans la poudre de charbon, comme
dans l'humus, sont en contact avec une atmosphère d'acide
carbonique et d'air renouvelée à mesure qu'elle est absor-
bée. Dans la poudre de charbon qui avait servi à Lucas
pour ses expériences pendant plusieurs années, Buchner
a trouvé une substance b r u n e , soluble dans les alcalis.
Cette substance était évidemment formée des excrétions
des racines des plantes qui avaient vécu dans la poudre de
charbon. »
La grande valeur du charbon comme engrais demeure
donc bien prouvée, et les planteurs peuvent, avec certitude
d'en retirer de grands avantages, l'employer pour leurs
cultures de canne à sucre. Dans quelques parties des co-
lonies où la rareté des forêts rendrait le charbon trop coû-
teux, d'autres substances peuvent être employées pour pro-
duire le même effet; mais, partout où il peut être obtenu
à un prix assez bas, le charbon doit être préféré.
Dans les différentes contrées de l'Inde, dans les colonies
des détroits malais et dans plusieurs parties des îles des
Indes occidentales, on peut s'en procurer des quantités illimi-
tées à des prix insignifiants. P a r exemple, dans le district
de Goruckpore, où d'immenses espaces sont couverts de
jungles, on peut commander n'importe quelle quantité de
charbon, livrable au prix de 7 roupies les 100 maunds
(environ 17 fr. 50 c. pour 4,500 kilogrammes).
C'est assurément à très bas prix, et le charbon se paye
plus cher dans d'autres cantons moins favorablement si-
tués. Mais, dans les colonies des détroits malais, chacun
peut faire cuire le charbon dans les bois qui dépendent de
chaque plantation, au prix ci-dessus indiqué; j'entends

CONSIDERES CHIMIQUEMENT. 335
le charbon propre à servir d'amendement . Que le charbon
1
soit cher ou à bon marché, le planteur ne doit pas perdre de
vue que son effet fertilisant dure autant que le charbon lui-
même , c'est-à-dire pendant plusieurs siècles. Lorsqu'on
donne cet amendement à la terre, il est bon qu'il soit en
poudre grossière. Liebig affirme que le charbon est parti-
culièrement utile dans les terres fortes et pesantes, con-
sistant principalement en argiles ; dans les terres formées
de terreau végétal, ou dans celles qui abondent en humus, le
charbon n'est ni nécessaire, ni même simplement utile. Je ne
connais pas d'amendement dont le planteur des Indes orien-
tales puisse faire usage à plus bas prix que le charbon. Il
tient lieu d'humus pour fournir aux plantes l'acide carbo-
nique et l'azote ; c'est la meilleure compensation que puis-
sent recevoir les terres fatiguées par la production des
cannes, lorsqu'on a donné les feuilles comme fourrage au
bétail, employé la bagasse comme combustible, et qu'on ne
rend pas même au sol le fumier des bestiaux.
Plâtre. Le plâtre a déjà été mentionné comme l'une des
substances au moyen desquelles le planteur peut avec cer-
titude donner à ses cannes la quantité d'ammoniaque dont
ses champs peuvent être dépourvus ; l'effet du plâtre à cet
égard semble tout à fait passager, lorsqu'on le compare à
l'effet prolongé du charbon et de l'argile. Il attire puissam-
ment l'ammoniaque. Liebig explique son action avec sa
(1) Il est bien entendu que le charbon ne sera pas préparé par la
méthode absurde des Chinois, mais à la manière indienne, dans des
trous creusés en terre, où le bois est disposé avec soin, puis recouvert
d'une couche d'argile. Ces trous sont creusés dans la forêt même où
l'on coupe le bois à charbon ; rien n'est moins embarrassant.

336 DES ENGRAIS
simplicité et sa clarté habituelles. « L'influence évidente,
dit-il, que le plâtre exerce sur la croissance des fourrages,
la fertilité frappante et le luxe de végétation d'une prairie
saupoudrée de cette substance, tiennent uniquement à ce
que le plâtre fixe l'ammoniaque atmosphérique, laquelle
sans lui se volatiliserait, entraînée avec l'eau dans son éva-
poration. Le carbonate d'ammoniaque contenu dans l'eau
de pluie est décomposé par le plâtre, absolument de la même
manière que dans la fabrication du sel ammoniac. Il se
forme du sulfate soluble d'ammoniaque et du carbonate de
chaux; le sulfate d'ammoniaque, n'étant pas volatil, est re-
tenu dans la sol. Tout le plâtre finit par disparaître; mais,
taut qu'il en existe une trace, son action sur le carbonate
d'ammoniaque se continue L'action utile du gypse
(plâtre) consiste en réalité à donner à l'azote et à l'ammo-
niaque une forme fixe, sous laquelle ces substances indis-
pensables à l'alimentation des plantes sont reçues dans le
sol. Pour bien se représenter cet effet, il suffit d'observer
que 100 kilogrammes de plâtre cuit fixent dans le sol au-
tant d'ammoniaque que 6,250 kilogrammes d'urine de che-
val peuvent en fournir, même en admettant que tout l'azote
de l'urée et de l'acide hippurique soit absorbé par les plantes
sans qu'il s'en perdît la plus petite partie sous forme de
carbonate d'ammoniaque L'eau est absolument néces-
saire pour réaliser la décomposition du plâtre, en raison de
son peu de solubilité ; il faut 400 parties d'eau pour en dis-
soudre une de plâtre; l'eau aide aussi à l'absorption par
les plantes du sulfate d'ammoniaque; c'est pour cette rai-
son que le plâtrage n'exerce pas d'influence sensible sur les
terres et les prairies sèches. La décomposition du plâtre
par le carbonate d'ammoniaque n'est pas instantanée; elle

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 337
a lieu au contraire graduellement, ce qui explique l'effet
utile du plâtre pendant des années.
En Angleterre, cet amendement est très utile ; on le r e -
garde comme un agent très actif de fertilisation à l'égard
du foin, de la luzerne, du trèfle rouge et du sainfoin; mais,
dans ces derniers temps, il a beaucoup perdu de son crédit
quant aux autres récoltes. On recommande généralement aux
cultivateurs de répandre le plâtre en poudre fine, à raison
de 2 à 3 quintaux par acre (de 700 à 1,000 kilogrammes
environ par hectare ). Le plâtre vaut habituellement en An-
gleterre 37 fr. 50 c. les 1,000 kilogrammes. L'emploi du
plâtre pour la culture de la canne doit être soigneusement
réglé de manière à fournir à la canne la quantité d'am-
moniaque dont elle a besoin, rien de plus. Je crois en avoir
dit assez à ce sujet pour bien indiquer au planteur comment
et dans quel cas il peut user des engrais et amendements de
cette nature.
Chaux. On connaît les propriétés très fertilisantes de la
chaux, et son utilité spéciale dans les terres imprégnées de
sulfate de fer, d'acide sulfurique, ou d'autres acides nui-
sibles à la végétation, ainsi que je l'ai dit (page 71). La
chaux, dans ces terrains, se combine avec l'acide sulfurique
et les autres acides, et neutralise leur influence nuisible. La
chaux fait partie de toutes les terres fertiles ; elle est un des
principes constituants des terres fortes, alumineuses; enfin
elle fait partie de presque tous les engrais que j ' a i jusqu'à
présent passés en revue. Elle exerce une influence bien-
faisante sur la croissance de la canne à sucre, et aussi sur
la bonne qualité du sucre. Dans un sol aigre, comme le sont
les jungles récemment défrichées, l'utilité de la chaux est
inappréciable, non-seulement pour le présent, mais aussi
22

338 DES ENGRAIS
en raison de la durée de son effet utile. Si l'on saupoudre de
chaux le parc des bestiaux pendant que la provision d'en-
grais est en train de se former, ou si l'on mêle plus tard de
la chaux aux mêmes fumiers en fermentation, toute leur am-
moniaque est promptement expulsée; ces engrais deviennent
par là tout à fait propres à la culture de la canne, comme
je l'ai fait observer plus haut.
Sables. Ils se divisent en sables siliceux et sables cal-
caires; ils ont beaucoup d'importance comme amendements,
à cause des effets très divers qu'ils produisent sur les diffé-
rents terrains ; ces effets diffèrent entre eux comme la na-
ture des sols où ils sont employés en qualité d'amende-
ments. P a r exemple, dans un sol compacte, argileux, le
sable siliceux est particulièrement utile en ce qu'il l'empêche
de se prendre en une masse cohérente à l'excès, et qu'il la
convertit en une bonne terre à briques, lorsqu'il y est ajoute
à la dose convenable. En se reportant aux pages 74, 76
et 77, on verra quels services le sable peut rendre sous ce
rapport, en changeant en une terre comparativement bonne
et facile à travailler, une argile d'une stérilité presque abso-
lue. Le sable pris dans les rivières est d une nature sili-
ceuse, tandis que celui des bords de la mer tient plus du
sable calcaire, étant composé en grande partie de de-
bris très divisés de coquilles marines. Je ne vois pas que les
planteurs, en général, se servent du sable aussi largement
qu'ils le pourraient ; en leur recommandant de recourir am-
plement à cet amendement, je leur ferai observer que le
sable, quelle qu'en soit la qualité, une fois qu'il est incor-
poré à la terre, ne se borne pas à la diviser et à la rendre
aisée à façonner ; il subit de plus une décomposition ou une
oxydation pendant laquelle la silice d'une part, la chaux de

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 339
l'autre, sont rendues libres et mises à la disposition des v é -
gétaux dans l'état de simplicité de ces deux corps. Les
terres fortes, argileuses, une fois qu'elles ont été bien amen-
dées avec le sable, changent entièrement de caractère ;
elles n'ont pas besoin d'en recevoir tous les ans une dose
nouvelle pour rester à l'état de bonnes terres à briques d'une
manière permanente. La besogne pour opérer cette t r a n s -
formation peut sembler rude ; mais il faut bien considérer
que c'est un ouvrage une fois fait pour toujours ; si l'on com-
pare la peine qu'il faut prendre pour charrier, répandre
et enfouir le sable par le labour, avec l'avantage durable
qui en résulte, je suis assuré que l'on trouvera le bénéfice
supérieur à la dépense, surtout quand les terres amendées
seront près des bâtiments d'exploitation, et que le sable ne
devra pas être apporté d'une trop grande distance.
Vase. On peut recueillir la vase dans les rivières, les
criques, les étangs, les mares, les réservoirs; elle con-
tient d'ordinaire en abondance des principes minéraux et
végétaux très fertilisants ; elle peut fournir un engrais
abondant et à très bon marché. La fertilité qu'elle commu-
nique au sol est très grande ; aussi, partout où l'on en fait
usage, est-elle fort estimée. C'est l'engrais favori des na-
turels de l'Inde et de l'Égypte. Dans l'Inde, j'ai connu bien
des champs qui, depuis un nombre d'années indéterminé,
ne recevaient pas d'autre engrais, et qui n'en produisaient
pas moins des récoltes abondantes. Aux Indes occidentales,
particulièrement à la Jamaïque, dans la paroisse de Tre-
lawney, les pièces d'eau de plusieurs plantations sont tous
les ans curées avec soin. Mais l'usage de placer la vase des-
séchée dans le parc aux bestiaux et de la mêler au fumier
n'est pas judicieux, parce que les oxydes métalliques con-

340 DES ENGRAIS
tenus dans la vase fixent l'ammoniaque et la portent dans
les champs de canne sous une forme où elle n'est plus vo-
latile. Je recommande donc partout et en toute circonstance
de faire transporter la vase dans un champ à mesure qu'on
l'enlève et telle qu'elle sort des pièces d'eau curées, puis de
l'incorporer immédiatement au sol en employant la charrue
et la herse.
J'ai entendu dire qu'à l'île Maurice, on extrait la vase de
mer du port de Saint-Louis, et qu'on emploie avec beau-
coup de succès cette vase à la fumure des champs de canne
à sucre. Je n'ai pas de peine à le croire; le seul inconvé-
nient qui me paraisse à craindre dans ce cas, c'est que les
planteurs, séduits par la végétation luxuriante de leurs
cannes, pourraient être portés à donner cet engrais salin à
leurs champs en quantité trop considérable, ce qui nuirait
à la qualité du jus de canne. J'ai signalé, page 72, les in-
convénients d'un sol trop imprégné de principes salins ;
par les mêmes motifs, je dois prévenir les planteurs qu'ils
aient à se garder d'employer la vase de mer à une dose
assez forte pour altérer la qualité du sucre.
La vase peut aussi être donnée au sol par les inondations
ou les irrigations, comme il arrive dans l'Inde quand les
grandes rivières débordent et couvrent le pays à plusieurs
milles de distance de leur lit, ou bien quand les champs sont
irrigués avec de l'eau prise dans une rivière ou un étang
chargé de limon Le Nil, en Egypte, offre l'exemple peut-
être le plus frappant et le plus connu de l'utilité d'un dépôt
de limon; bien d'autres rivières, dans l'Inde, remplissent,
bien qu'à un degré moindre, les mêmes fonctions dans les
districts qu'elles inondent périodiquement. Toutefois ces
dernières sont parfois capricieuses dans leurs effets, ap-

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 341
portant quelquefois une riche couche de limon, et une autre
fois enlevant à la culture de vastes étendues de terrain
qu'elles recouvrent d'une énorme quantité de sable stérile.
Sel et eau de mer. Les champs de canne n'éprouvent que
de bons effets des amendements salins à dose modérée ;
mais quand les substances salines sont en excès dans le
sol, le sucre provenant des cannes cultivées dans ce terrain
attire fortement l'humidité et tend à devenir déliquescent.
Quelques natures de terre sont très avantageusement modi-
fiées quand on y ajoute, soit du sel, soit de l'eau salée ; mais
il faut apporter un certain degré de réflexion à l'examen
d'une terre avant de décider si elle peut avoir besoin d'un
tel amendement, et à quelle dose elle peut le recevoir. Dans
les terres basses d'alluvion, voisines des côtes de la mer, il
y a presque toujours dans le sol excès de substances salines ;
il se peut, au contraire, que ces principes manquent dans
les terrains élevés. On emploie beaucoup en Angleterre le
sel commun pour cet usage ; il y est considéré comme un
excellent amendement. On recommande surtout l'emploi du
sel en partie ou totalement décomposé par son mélange avec
deux fois son poids de chaux à l'état sec, le mélange étant
resté intact pendant deux ou trois mois ; il en résulte deux
sels : du carbonate de soude et du muriate de chaux.
On donne communément au sol, en Angleterre, de 40 à
60 buschels de ce mélange par acre (35 hectol. 50 litres à
52 hectol. 50 litres par hectare) pour les cultures de fro-
ment ou d'avoine; pour la culture de la canne à sucre, il
faudrait s'assurer préalablement de la dose qui pourrait
convenir à chaque terre en particulier.
Dix buschels (350 litres) de sel mêlé à deux fois son poids
de chaux de la manière ci-dessus indiquée seraient, j e

3 4 2 DES E N G R A I S
pense, une dose suffisante pour une acre de terre cultivée
en cannes; mais on ne peut en faire usage qu'avec précaution.
Craie. La craie est un carbonate de chaux friable, conte-
nant en même temps quelques traces d'alumine, d'oxyde de
fer et de silice ; comme amendement, elle peut être excel-
lente dans certaines terres ; les sels calcaires n'en ont pas
besoin. Dans les terres cultivées en canne, ses effets sont
très avantageux ; elle fait rendre à la canne un jus très
riche en sucre, et le sucre fait avec ce jus est toujours beau
et bien graine. Quelquefois la craie est envoyée aux Indes
occidentales, pour servir d'amendement aux terres des
plantations ; les navires la chargent comme lest pour aller
prendre des cargaisons de sucre et de rhum ; de cette ma-
nière, la craie revient à très bas prix.
Suie. C'est un engrais p u i s s a n t , mais qui contient une
1
grande quantité de sels ammoniacaux et ne peut, par ce mo-
tif, convenir à la culture de la canne.
E n Angleterre, on donne souvent comme engrais aux ré-
coltes de froment, de carottes et de panais, un mélange de
suie et de sel commun par parties égales, à la dose de
14 buschels par acre (12 hectol. par hectare). Selon l'analyse
de M. Solly, que j'emprunte à l'almanach de Johnston,
volume 1, page 46, la suie contient, sur mille parties :
Matière combustible 371 parties.
Sels a m m o n i a c a u x 426
Sels de potasse et de soude 24
O x y d e de fer 50
Silice 65
A l u m i n e 31
Sulfate d e c h a u x (plâtre) 31
C a r b o n a t e de m a g n é s i e 2 .
Total 1,000 parties.
(1) On a e m p l o y é e n g r a n d la s u i e en A n g l e t e r r e p o u r en extraire
du sulfate et du c a r b o n a t e d ' a m m o n i a q u e .

CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT. 343
On peut tirer un excellent parti de la suie et des autres
engrais ammoniacaux recueillis sur une plantation, en les
donnant aux prairies artificielles ; non-seulement ils r e n -
dront abondante la récolte du fourrage, mais de plus, si,
comme je l'ai conseillé page 118, on plante entre les lignes
d'herbe de Guinée des lignes de maïs avec cet engrais, on
en aura une excellente récolte.
§ 14. — La canne est pour elle-même le meilleur engrais.
Les observations qui précèdent concernant les différentes
substances fertilisantes contenues dans le tableau des en-
grais éclaireront, j e l'espère, le planteur sur les engrais
propres à la culture de la canne, et aussi sur ceux qu'il a
été précédemment dans l'usage d'appliquer à cette culture.
J'ai essayé de montrer, sous la forme la plus simple et la
plus claire qu'il m'a été possible, les principes chimiques
constituants de chacun de ces engrais, les raisons et le mode
des influences diverses qu'ils exercent sur les végétaux cul-
tivés, de manière à ce que le planteur ne puisse jamais éprou-
ver de pertes dans l'application des différentes fumures.
Ayant été très explicite dans mes indications, il ne me reste
qu'à rappeler au planteur, en finissant ce chapitre, que, pour
la plantation des cannes, le meilleur des engrais qui soit au

monde, ce sont les débris de la canne elle-même ; et que, s'il y
joint une fumure libérale atmosphérique par des labours fré-
quents, il ne faut rien de plus pour conserver à ses champs une
fertilité continue et sans égale.
§ 15. — Antipathie des fourmis blanches pour l'huile de pétrole.
NOTE POUR LE PLANTEUR DES INDES ORIENTALES. J e n'ai pas

344 DES ENGRAIS CONSIDÉRÉS CHIMIQUEMENT.
fait mention de l'emploi comme engrais du pétrole ou huile
de terre,
qu'on peut se procurer par Arracan et Rangoun en
grande quantité, parce que le mérite de cet engrais consiste
exclusivement dans son effet destructeur à l'égard de la
fourmi blanche. Chacun peut s'assurer que la terre arrosée
de pétrole est désertée par ce maudit insecte; j ' a i aussi
éprouvé qu'il n'attaque jamais les sommités de cannes ou
les tronçons de cannes pour boutures, trempés, seulement
pendant quelques minutes, dans une eau imprégnée de pé-
trole. Les fourmis blanches semblent avoir une extrême
aversion pour les émanations du pétrole; j e pense pour
cette raison qu'il peut être employé avec succès pour pré-
venir leurs ravages, quoi que son action la plus utile se
manifeste quand le sol en est pénétré. Il est vrai que l'ar-
senic détruit également les fourmis blanches qui en ava-
lent ou qui dévorent leurs camarades empoisonnées par
l'arsenic ; mais c'est, au total, un remède peu efficace, qui
ne réussit que quand il est appliqué sur une petite échelle.

CHAPITRE V.
Des irrigations.
§ 1 — Irrigations dans les jardins anglais. — Ouvrage de
e r
sir Charles Grey sur les irrigations.
L'irrigation des champs de canne est un objet d'une im-
portance capitale pour le planteur; mais, je regrette d'a-
voir à le dire, c'est l'un des points sur lesquels la généralité
des planteurs est le plus ignorante. L'apathie qu'ils ont
montrée sous ce rapport est remarquable, surtout lorsqu'en
regardant autour de nous, nous voyons les améliorations
introduites dans toutes les applications des arts et des
sciences, même en ce qui touche aux occupations et aux
usages ordinaires de la vie.
Dans un pays tropical, l'importance de l'irrigation est
beaucoup plus frappante que sous le climat humide et t e m -
péré de l'Angleterre. Il en résulte que beaucoup de pro-
priétaires de plantations de canne à sucre, n'étant jamais
sortis de la Grande-Bretagne, ne peuvent se faire une idée
du tort que subissent les champs de canne à sucre lors-
qu'ils ne sont pas irrigués pendant la saison sèche. Si ces
messieurs donnaient seulement quelque attention aux tra-
vaux de leurs jardiniers pendant les mois d'été, ils les ver-
raient activement occupés, l'arrosoir à la main, à arroser les
fleurs et les autres plantes cultivées dans les jardins. Sup-
posons qu'un de ces messieurs donne un ordre qui proscrive

346 DES IRRIGATIONS.
dans ses jardins l'usage de l'arrosoir : que pensera de lui son
jardinier? Qu'en pensera le public? Ne sera-t-il pas déclaré
fou, ou quelque chose d'approchant? Sans aucun doute ;
mais pourquoi cela? Assurément parce que le jardinier ne
peut espérer tenir son jardin dans un état prospère et pro-
ductif sans le secours de l'arrosoir.
Si l'irrigation sous le climat tempéré, humide, brumeux
de l'Angleterre est d'une nécessité indispensable, combien
cette nécessité n'est-elle pas plus indispensable encore
sous un climat tropical, où quelquefois les cannes à sucre
sont entièrement brûlées par la sécheresse ?
Dans la plus grande partie du haut Indostan, la canne
commune elle-même ne peut pas être cultivée sans irriga-
tion continue; mais aux Indes occidentales, aux colonies
des détroits malais et dans d'autres contrées, la canne peut
croître sans autre irrigation que celle qu'elle reçoit de l'eau
des pluies.
De tous les pays que j ' a i habités ou visités, Singapore, à
l'extrémité sud-est des détroits de Malacca, est le mieux
partagé quant aux saisons, c'est-à-dire celui où, dans cha-
que saison, les ondées de pluie bienfaisante sont le plus
fréquentes. Elles reviennent habituellement tous les quatre
ou cinq jours, de sorte que le sol est maintenu dans un
état constant de fraîcheur très favorable à la végétation.
Mais, même sur ce coin de terre favorisé, j ' a i vu survenir
une période de sécheresse qui a causé aux deux plantations
de canne à sucre de cette colonie un grave préjudice.
Sous le rapport de la fréquence des pluies, Malacca est
à peu près comme Singapore; on y éprouve également
des périodes de chaleur sèche ; Pinang et la province de
Wellesley sont beaucoup plus exposés à ces temps de fortes

DES IRRIGATIONS. 347
chaleurs sans pluies, qui aussi durent dans ces pays beau-
coup plus longtemps . Mais au total, il ne peut pas y avoir
1
de pays mieux partagé que ces trois colonies quant aux
saisons ; il n'en est pas non plus qui offre de plus grandes
facilités pour l'irrigation. Dans la province de Wellesley,
il n'y a pas une seule plantation dont tous les champs ne
puissent être irrigués sans avoir à prendre l'eau à plus de
6 à 8 pieds ( l . 8 0 à 2 .40) de profondeur pendant les plus
m
m
fortes sécheresses. Il est impossible de nommer un autre
pays offrant de plus grandes facilités pour l'irrigation ;
j'espère qu'il ne se passera pas beaucoup de temps avant
que chaque plantation soit pourvue des machines néces-
saires pour réaliser cette opération si importante et si hau-
tement profitable. Mais de longues périodes de sécheresse
surviennent souvent aux Indes occidentales ; alors les
planteurs se désespèrent en présence de la ruine et de la
destruction de leurs récoltes de cannes, on n'entend de
tous côtés que les plaintes les plus lamentables ; mais on
ne voit personne s'occuper de porter remède au mal ; nul
ne tourne sa pensée vers l'irrigation, nul ne paraît savoir
que c'est là la grande et la seule sauvegarde contre la
sécheresse.
§ 2. — Irrigations aux Indes occidentales. — Eau de rivière. —
Oxygène quelle fournit à la végétation.
Ce sujet a donné lieu dernièrement, à la Jamaïque, à de
sérieuses discussions ; mais aucune mesure n'a été prise
(1) Un seul fait sert à montrer les vicissitudes relatives des sai-
sons entre Pinang, Singapore et Malacca : c'est la culture du musca-
dier, qui ne peut être cultivé à Pinang sans être fortement irrigué, et
qui n'a jamais besoin de l'être à Singapore ni à Malacca.

3 4 8
DES IRRIGATIONS.
pour soumettre à la sanction de l'expérience la justesse des
arguments produits en faveur de l'irrigation ; tout s'est
borné à des paroles. Il me répugne d'avoir à caractériser
ainsi une discussion dont j'avais espéré voir sortir des ré-
sultats pratiques ; mais, comme rien de pratique n'en est
résulté, pas même de simples expériences, j e dois croire
que les avantages de l'irrigation n'ont été ni reconnus ni
appréciés.
En 1847, son excellence sir Charles Grey, gouverneur
de la Jamaïque, parlant en présence de la Société royale
d'agriculture de cette colonie, présentait les observations
suivantes, aussi frappantes qu'exactes : « Quant à l'irriga-
tion, disait-il, on a tant discuté en dernier lieu à ce sujet
que j ' a i peine à l'aborder, surtout parce que l'irrigation sem-
ble avoir fait naître des espérances qui ont été taxées d'ex-
travagantes et d'exagérées. J e ne partage pas personnelle-
ment cette opinion ; car j e n'ai jamais vu de pays où il
m'ait paru que l'utilité des eaux extérieures ou des eaux
souterraines ne soit pas appréciée ; j ' e n ai vu au contraire,
très loin d'ici, où l'on admire encore les débris des vastes tra-
vaux jadis exécutés pour l'irrigation, travaux aujourd'hui
négligés et ruinés, travaux tellement prodigieux que j'hésite
à les décrire. » Jusque-là, les observations de son excel-
lence sont d'une exactitude rigoureuse ; mais dans celles
qui suivent, il se livre, au sujet des pyramides d'Égypte, a
des suppositions qui ne sont pas les moins curieuses entre
toutes celles auxquelles ces monuments ont donné lieu a
diverses époques.
« Enfin, dit-il, il y a des raisons pour croire que les plus
puissantes constructions que jamais le génie de l'homme
ait élevées, et qui certainement datent des temps les plus

DES IRRIGATIONS. 349
éloignés auxquels remontent ses traditions , p e u t - ê t r e à
une époque dont il ne reste aucun souvenir, étaient consa-
crées aux irrigations à l'usage de l'agriculture. Bien que
je n'aie jamais visité ni les bords de l'Euphrate ni ceux du
Nil, je hasarderai, sur des preuves que j e ne puis dévelop-
per ici, cette assertion que la destination la plus probable
qui puisse être assignée aux pyramides elles-mêmes, plus
probable que la plupart de celles qui ont jamais été mises
en avant par hypothèse, c'était de recevoir, par des canaux
souterrains qui existent encore, dans des chambres spa-
cieuses d'une admirable maçonnerie, les eaux du Nil ame-
nées des parties supérieures du cours de ce fleuve, et de
les distribuer pour l'irrigation de la plaine de Memphis avec
plus de régularité que n'en pouvaient avoir les inondations
naturelles, au grand avantage de ceux qui avaient la charge
de régler ces irrigations. »
En faisant part à la Société de cet aperçu entièrement
neuf sur la destination primitive des pyramides, son excel-
lence a tenu l'attention de son auditoire éveillée sur le
grand objet de l'irrigation: c'était là le point essentiel;
l'exposé de l'ingénieuse théorie de son excellence a sans
doute été cause que bien des assistants, qui sans cela n'y
auraient jamais songé, sont retournés chez eux pénétrés
des avantages de l'irrigation, rêvant aux moyens de la
réaliser.
Il n'est pas un seul ami de son pays qui ne dût prendre à
cœur l'irrigation des terres à la Jamaïque, non-seulement
à cause de ses grands avantages au point de vue de la cui-
ture, mais encore en raison des grandes facilités qu'elle
présente dans une foule de localités. Considérons , par
exemple, les trois plantations de Hope, Papine et Mona,

350 DES IRRIGATIONS.
près de Kingston; personne n'oserait dire qu'elles ne peu-
vent pas être irriguées. Elles tirent de la rivière l'eau né-
cessaire pour faire tourner leurs moulins et approvisionner
d'eau le camp de U p - P a r k ; elles pourraient facilement en
prendre le double si l'on avait apporté un peu plus de soin
à l'entretien des bords de la rivière.
On rencontre dans toutes les parties de la Jamaïque des
plantations offrant pour l'irrigation les plus grandes faci-
lités ; elles sont cependant totalement négligées. Parmi des
centaines de propriétés possédant sous ce rapport des avan-
tages extraordinaires, je signale Golden-Spring (la Source
d'or), de la paroisse de Saint-André ; mais le régisseur et
le procureur de ce domaine donneront-ils jamais aux irri-
gations un seul moment d'attention sérieuse? J'ai bien peur
que non.
Il en est de même dans toute l'île; de beaux domaines,
avec de beaux cours d'eau coulant tout autour, ou des ri-
vières à leur portée, laissent leurs cannes brûler sur place
et toute leur récolte à la merci d'une ondée de pluie qui
vient ou ne vient pas ; tandis qu'une petite machine à va-
peur portative, avec une pompe, non-seulement préserverait
les cannes de tout danger, mais encore, en leur fournissant
avec libéralité l'eau dont elles ont besoin, elle les entre-
tiendrait dans l'état le plus brillant de végétation, à l'époque
où celles qui ne sont point irriguées sont flétries et brûlées
par la sécheresse.
Le moment est venu où il n'est plus possible de tolérer
une telle négligence par rapport à des avantages si impor-
tants ; l'âpre concurrence contre laquelle le planteur de la
Jamaïque doit lutter pour ses produits lui fait une loi d user
de tous ses moyens, non-seulement de ceux qu'il possède

DES IRRIGATIONS. 3 5 1
actuellement, mais encore de ceux que l'art et la science
peuvent créer à son profit. E n fait d'irrigation, beaucoup
de plantations possèdent dès à présent des facilités dont,
avec un peu de travail, il leur est facile de se prévaloir ;
d'autres plantations peuvent se donner les mêmes avan-
tages, soit en creusant des puits, soit par d'autres procé-
dés ; enfin il est des plantations où l'irrigation est, sinon tout
à fait impossible, au moins excessivement difficile, en raison
de leur situation. Dans le premier cas, une fois que la dé-
termination est bien arrêtée de recourir à l'irrigation, la ma-
nière de conduire et de distribuer l'eau est facile à régler.
Dans la seconde supposition, la grande question, c'est de
savoir à quelle profondeur il faudra creuser pour se pro-
curer de l'eau en quantité suffisante.
Dans un grand nombre de localités, cette profondeur
étant peu considérable, la dépense serait modérée, et l'en-
treprise pourrait être réalisée dans les meilleures condi-
tions ; il faudrait, au contraire, renoncer à l'idée d'établir
un système d'irrigation partout où il y aurait de trop
grandes dépenses à faire pour aller chercher l'eau à une
trop grande profondeur.
Après ces indications préalables quant à l'utilité de l'ir-
rigation aux colonies des Indes occidentales comme à celles
des détroits malais, et à son indispensable nécessité aux
Indes orientales, j'entrerai plus avant dans l'examen de ce
sujet, persuadé que mes explications et mes conseils pour-
ront être, pour le planteur, d'une utilité pratique.
§ 3 . — Avantages de l'irrigation.
Nous avons à considérer l'application de l'eau à la cul-

352 DES IRRIGATIONS.
ture de la canne à sucre : 1° quant à la manière dont elle
rend solubles les principes constituants du sol, et quant à
la forme sous laquelle elle les met à la disposition des végé-
t a u x ; 2° quant à l'oxygène que l'eau tient en solution, le-
quel agit sur les éléments organiques et alcalins du sol, et
les convertit en substance alimentaire pour les végétaux ;
3° par rapport aux autres substances qu'elle tient en solu-
tion et que par conséquent elle cède au sol irrigué, comme
la potasse, la silice, etc., etc. Sous ces deux derniers rap-
ports, l'eau employée aux irrigations peut être très variable,
soit en raison des sources d'où elle dérive, soit à cause de
la grande différence entre l'eau d'une rivière et celle d'une
autre.
P a r exemple, pour évaluer le mérite d'une eau de rivière,
il faut tenir compte de la nature des pays qu'elle traverse,
et des formations géologiques des montagnes où elle prend
sa source.
Dans l'Inde et dans bien d'autres pays, les rivières par-
courent des centaines de milles à travers des contrées of-
frant une grande variété de sols qui ne peuvent manquer
de réagir sur leurs eaux.
Le Nil est un exemple remarquable de la nature fertilisante
des principes tenus en suspension dans les eaux des rivières
et déposés sur le sol des pays que ces eaux inondent. Les
crues de ce fleuve sont dues aux pluies périodiques qui
tombent en Abyssinie de juin en septembre. En Égypte,
le Nil commence à monter en juin et ne commence à baisser
que vers la fin de septembre ; durant cet intervalle, des dé-
pôts considérables se forment sur les terres inondées.
Quand les eaux se sont retirées, la terre se trouve couverte
d'un riche limon consistant principalement en terre argi-

DES IRRIGATIONS. 353
leuse et carbonate de chaux ; ce limon communique au sol
un tel degré de fertilité que, bien qu'il porte récolte sur r é -
colte sans interruption depuis trois mille ans, et qu'il en
donne souvent deux dans la même année, sa fécondité reste
la même et il ne réclame que très peu de façons prépara-
toires.
Mais si l'on se reporte à la source de ce fleuve remar-
quable, et au pays à travers lequel il prend sa course; si
l'on réfléchit qu'il court comme un torrent impétueux tom-
bant de montagnes très élevées, usant les aspérités des
roches, dissolvant leurs éléments minéraux, principes de
fertilité qu'il emporte avec lui vers la plaine ; enfin si l'on
se rappelle qu'il parcourt plus de 2,000 milles (3,300 kilo-
mètres ), recevant sur son cours un grand nombre de cours
d'eau ses tributaires, tous chargés de matière végétale,
d'alumine et d'autres terres fertilisantes empruntées aux
divers sols sur lesquels ils passent, on ne peut plus ni
s'étonner de la somme de principes utiles contenue dans ses
eaux, ni conserver le moindre doute sur l'origine de ces
principes. Mais peu de fleuves ou de rivières sont compa-
rables au Nil pour le caractère uniforme de leurs dépôts,
et il n'en est pas qui l'égale pour la fertilité qu'il commu-
nique à la terre. Dans les îles comme celles des Indes occi-
dentales, il ne peut pas y avoir de grandes rivières ; celles
de la Jamaïque elle-même sont plutôt, à proprement parler,
des ruisseaux, ou le plus souvent de simples torrents de
montagnes. Elles n'ont à traverser ni plaines fertiles, ni
désert de sables ; leurs eaux sont généralement, par cette
raison, claires et limpides, excepté lorsqu'il survient des
pluies torrentielles qui les rendent troubles en leur portant
les eaux qui ont lavé la surface des terres environnantes.
23

354 DES IRRIGATIONS.
Dans l'Inde, au contraire, le Gange et un grand nombre
d'autres fleuves parcourent de vastes espaces à travers des
pays offrant les terrains les plus variés; tous les ans, ils
nous donnent le triste spectacle de cantons entièrement en-
sablés sous un gravier stérile, tandis que d'autres cantons
reçoivent un grand accroissement de fertilité. De toutes les
rivières que je connais dans l'Inde, le petit Gunduck est
celle qui jouit de la meilleure réputation pour la richesse
uniforme de son limon ; les autres rivières du Bengale sont,
à ce point de vue, capricieuses à l'extrême.
L'eau des fleuves et rivières contient en général de la
silice, de la potasse, de l'oxygène et d'autres substances
utiles à la végétation, indépendamment du limon dont elles
se chargent pendant les pluies torrentielles. C'est pendant
la saison sèche que l'irrigation est le plus nécessaire ; on ne
peut donc espérer trouver dans l'eau employée à cet usage
que les substances qu'elle tient habituellement en solution.
" La canne à sucre, dit Liebig, et les autres plantes de la
même tribu croissent avec vigueur et semblent se plaire
de préférence dans des marais au sol argileux et dans le
lit des petits cours d'eau, ainsi que partout où l'eau constam-
ment renouvelée leur offre à chaque instant une provision
nouvelle de silice dissoute. »
D'après le même auteur, la potasse que les plantes four-
ragères enlèvent au sol lui est rendue par une irrigation an-
nuelle. Voici ce qu'il dit à ce sujet : « Dans le voisinage de
Liège (duché de Nassau), on obtient d'une prairie de trois
à cinq coupes complètes de foin en une seule saison, en
introduisant au printemps l'eau sur toute la surface du sol,
au moyen de nombreuses rigoles d'irrigation. Les avantages
de cette opération sont tels que, si l'on suppose qu'une prai-

DES IRRIGATIONS. 355
rie non irriguée donne 1,000 kilogrammes de foin, la
même prairie fertilisée par l'irrigation en donnera 4 à
5,000 kilogrammes. » Ailleurs, Liebig. en parlant du dé-
pôt dans le sol des matières excrémentitielles des plantes,
montre comment l'irrigation réagit sur ces matières en r a i -
son de l'oxygène que l'eau tient en dissolution. » Dans les
terre voisines des bords du Rhin et du Nil, dit cet auteur,
le sol étant très riche en potasse, les récoltes peuvent s'y
succéder sans interruption ; la jachère est remplacée par la
submersion ; l'irrigation des prairies produit le même effet.
Cela tient à ce que l'eau des rivières et des ruisseaux con-
tient de l'oxygène dissous qui effectue la plus prompte et
la plus complète décomposition des déjections végétales
contenues dans le sol où l'eau des irrigations est continuel-
lement renouvelée. Si cet effet était produit par l'eau seu-
lement, les prairies marécageuses seraient les plus produc-
tives. »
Liebig ne mentionne ici que la réaction opérée sur les
déjections des plantes ; mais, comme nous l'avons vu plus
haut, l'oxygène opère aussi la désintégration des p r i n -
cipes alcalins du sol ; il en résulte que la terre soumise à
l'irrigation n'a pas besoin de jachère.
Il n'est pas de planteur qui ne sache que la jachère con-
siste à laisser pendant une année le terre sans culture;
mais comme peu d'entre eux savent comment le sol regagne
par la jachère sa force productive, il est nécessaire que
j'appelle leur attention sur ce point, pour mieux faire r e s -
sortir la valeur particulière de l'irrigation.
Quand un champ a porté des récoltes successives pen-
dant un certain temps, et que les produits ont été en tota-
lité ou en partie enlevés sans être restitués au sol, celui-ci

856 DES IRRIGATIONS.
perd pour quelque temps la faculté de produire, par la rai-
son que les alcalis nécessaires à la croissance des plantes
sont épuisés , et aussi parce que les déjections déposées
dans la terre par les racines des plantes précédemment
cultivées exercent sur la croissance ultérieure des mêmes
plantes une influence pernicieuse. Dans ce cas, le champ
reste inculte pendant deux, trois ou quatre ans, à l'état de
jachère, pour se reposer, selon l'expression reçue.
J'ai vu des terres rester ainsi en jachère tout à côté de
l'exploitation ; la charrue n'y avait pas fonctionné jusqu'au
moment de les replanter en canne à sucre. Ainsi, pendant
une période de quatre ou cinq ans, des champs qu'il eût
été si facile de mettre en état de porter des récoltes, étaient
restés incultes, tandis que d'autres, fort loin de l'exploita-
tion, avaient été cultivés avec grande augmentation de tra-
vail et de frais pour l'enlèvement des cannes.
Pour obtenir l'effet désiré, il suffit de fournir à la terre
un approvisionnement d'oxygène sans interruption, ce qui
est possible en facilitant le libre accès de l'air et sa circu-
lation dans la couche arable par des labours fréquents qui
en opèrent la pulvérisation. Mais si l'air produit cet effet,
l'irrigation le produit à un degré bien plus élevé, par
l'oxygène que l'eau tient en solution , indépendamment
du silicate de potasse et des autres principes fertilisants
qu'elle introduit dans le sol i r r i g u é . Ces substances sont
1
(1) Les eaux qui coulent à la surface où à l'intérieur d'un sol quel-
conque contiennent des particules terreuses, salines, métalliques, vé-
gétales ou animales, selon la nature de ce sol. L'eau des pluies et
celle des neiges fondues sont beaucoup plus pures, bien qu'elles con-
tiennent toute sorte de substances qui flottent dans l'atmosphère ou
qui s'exhalent de la terre, mêlées aux vapeurs aqueuses.

DES IRRIGATIONS. 357
quelquefois contenues dans les eaux des rivières en quan-
tités considérables ; l'irrigation produit à leur égard les
mêmes effets que l'inondation, avec cette seule différence
que, pour l'irrigation, il dépend de nous de choisir le temps,
la saison, le lieu, la qualité de l'eau, d'en régler la quantité,
et de la distribuer succesivement en proportion des besoins
des cannes, aux diverses époques de leur croissance. Les
inondations, au contraire, peuvent survenir dans les temps
et les lieux où l'on n'en a pas besoin ; quelquefois elles dé-
posent un riche limon, d'autres fois un sable stérile; assez
souvent les eaux débordées séjournent si longtemps sur
le sol que les racines des cannes pourrissent et que tout es-
poir de récolte est perdu. En fait, l'irrigation réunit tous
les avantages des inondations sans avoir aucun de leurs in-
convénients ; elle donne un résultat certain, régularisé
d'avance , au lieu d'un danger sur lequel l'homme ne peut
rien, et qui fait naître une foule d'inquiétudes.
La terre soumise à un bon système d'irrigation et de la-
bourage n'a donc jamais besoin de rester en jachère, par
les motifs qui viennent d'être exposés; ce système, accom-
pagné d'une fumure suffisante, telle que je l'ai recomman-
dée, rend parfaitement possible une suite non interrompue
de récoltes de la même plante. Envisageons maintenant
l'irrigation sous un autre point de v u e , remplissant la
fonction de présenter aux racines des plantes les prin-
cipes constituants du sol sous la seule forme qui les rende
propres à l'alimentation végétale, sous forme de solution.
Les racines ne peuvent recevoir du sol leur nourriture
que par l'intermédiaire de l'eau, qui, soit qu'elle tombe
sur la terre sous forme de pluie, soit qu'elle y soit amenée
sous forme d'irrigation , rend solubles les diverses sub-

358 DES IRRIGATIONS.
stances dont les plantes ont besoin pour croître et se dé-
velopper.
On comprend, d'après cela, que, quand même le sol con-
tient tous les autres éléments d'une haute fertilité, s'il
manque d'eau, les plantes ne peuvent y croître, les racines
ne pouvant profiter du riche approvisionnement placé à leur
portée sans la présence de l'eau. Il s'en suit que, pendant
les sécheresses prolongées, la terre étant entièrement des-
séchée, le simple fait de l'absence de l'eau empêche les
plantes d'y puiser leur nourriture; elles sont donc arrê-
tées dans leur développement, ou bien elles périssent tout
à fait.
Combien n'y a-t-il pas de planteurs dont les calculs sur
le rendement présumé de leurs récoltes sont dérangés par
une sécheresse accidentelle, et qui trouvent un déficit no-
table dans le produit en sucre de tous leurs champs ? Ces
planteurs sont sans doute en proie à l'anxiété et aux plus
tristes pensées en voyant ces causes de désastreuses pertes
se prolonger pendant plusieurs mois ; avec quelle joie ils
signalent l'apparition d'un nuage bien chargé de pluie !
En pareil cas, il y a une sauvegarde assurée contre de tels
revers : c'est l'irrigation, capable d'entretenir la végéta-
tion à l'état le plus brillant que des moyens artificiels puis-
sent lui procurer. Les labours et les irrigations se succè-
dent, et la croissance vigoureuse, le parfait développement
des cannes marchent sans interruption, tandis qu'autour
d'elles tout est desséché et brûlé. Lorsqu'on irrigue pen-
dant les chaleurs accompagnées de sécheresse, un autre
mode d'action influe matériellement sur les plantes ; c est
celle de le vapeur chaude qui s'élève des terres irriguées,
frappées des rayons d'un soleil ardent. A mesure qu elle s'é-

DES IRRIGATIONS. 359
lève du sol, cette vapeur passe au travers du feuillage des
cannes pour se dissiper dans l'atmosphère; mais, sur son
passage, elle est puissamment attirée par les feuilles et les
autres parties vertes des plantes, et son humidité leur est
très profitable. Quand l'air est excessivement sec par suite
de chaleurs sèches très prolongées, la création d'une a t -
mosphère humide artificielle qui les environne leur est
d'une haute utilité ; elle fournit aux organes extérieurs
d'assimilation les moyens d'agir avec plus d'énergie et de
donner à toute la plante un degré plus élevé de fraîcheur
et de vigueur. L'irrigation sert donc doublement les plantes,
d'un côté par la nourriture qu'elle procure aux racines, de
l'autre par celle qu'elle apporte à leurs feuilles et aux autres
parties vertes.
§ 4. — Irrigation dans différents pays ; — dans l'Inde, par les moulins
à vent; — dans l'Inde supérieure; — par la force de la vapeur; —
par la machine à vapeur portative de Cambridge; — par la machine
hydraulique de Walker ; — par la pompe ordinaire, etc.
Les pays où l'irrigation est habituellement pratiquée
sont l'Indostan, l'Egypte, l'Arabie, la Perse et la Chine.
J'ai vu fonctionner sur les bords du Nil d'innombrables
machines, consistant pour la plupart en une courroie sans
fin avec un certain nombre de pots de terre à large ouver-
ture de distance en distance. Cette courroie est mise en
mouvement par une roue armée de pointes ou de dents qui
s'ajustent dans des trous de manière à la faire tourner; la
roue dentée est elle-même mise en mouvement par une
grande roue de manége fixée à un arbre vertical ; divers
animaux, tels que chameaux, chevaux, mulets, bœufs ou
ânes, font marcher cet appareil.

360 DES IRRIGATIONS.
Sur les bords de l'Euphrate, ce sont les mêmes scènes
et le même genre de machines: on y fait aussi usage de
l'appareil nommé roue persane. En Chine, pendant la sai-
son sèche, les roues de bambou, les courroies sans fin et
ce qu'on nomme la pompe chinoise sont constamment en
activité.
Mais je puis parler avec plus d'exactitude de l'irrigation,
telle qu'elle se pratique dans l'Indostan ; je possède par
expérience la connaissance de tous les procédés usités dans
ce pays. Toutefois je ne crois pas nécessaire de les men-
tionner tous; je me bornerai à décrire les trois méthodes
d'irrigation les plus communes. La première a pour base
un pieu fixé verticalement en terre, portant deux bras de
fourche à son extrémité supérieure; entre ces deux bras
passe une autre perche fixée par une forte cheville qui tra-
verse les deux bras de fourche et forme l'axe sur lequel agit
la perche disposée en croix ; au bout le plus pesant et le
plus court de cette perche, est fixée une grosse pierre ou
une grosse motte de terre d'un poids assez lourd pour faire
basculer le pot de terre ou le seau de cuir attaché avec
une corde à l'autre bout de la perche. L'Indou se tient de-
bout sur une planche posée en travers de l'orifice du puits ;
il laisse descendre la corde jusqu'à ce que le seau atteigne
le fond du puits et se remplisse ; pendant ce travail, l'une
des extrémités de la perche s'abaisse jusqu'au niveau de
la tête de l'homme ; l'autre, celle qui porte le poids addi-
tionnel, s'élève dans la même proportion. Le sceau étant
plein, l'ouvrier le laisse remonter, mais il règle son mou-
vement en faisant glisser la corde entre ses mains, jusqu'à
ce que le seau arrive à la hauteur voulue pour déverser
dans une rigole l'eau qu'il contient.

DES IRRIGATIONS 361
A mesure que l'eau coule dans le champ qu'elle doit irri-
guer, un autre ouvrier lui ouvre de petits canaux pour la
guider dans différentes directions. Armé d'une petite pelle
de bois qu'il manie avec une grande dextérité, aussi loin
qu'il peut atteindre, en avançant de temps en temps, il
trace de nouveaux cercles en répandant l'eau autour de lui,
et continue ainsi jusqu'à ce que l'ouvrier placé sur le puits
demande à être relevé par son camarade dont il prend la
place.
Ce mode d'irrigation est d'un usage général dans toute
l'Inde ; c'est celui qu'on emploie pour prendre l'eau dans
les puits et les étangs, ce qui fait supposer que les puits
n ont pas une grande profondeur. C'est en effet ce qui a
lieu; j e crois que, dans tout le delta de l'Inde, la profon-
deur moyenne des puits est de 20 à 25 pieds (6 mètres
à 7 .50), plutôt moins que plus. Les eaux des rivières,
m
pendant le plus fort de la saison sèche, doivent en général
être puisées à une beaucoup plus grande profondeur ; la
moyenne est, j e crois, de 35 pieds (10 .50) environ, ce
m
qui toutefois n'a rien d'excessif pour le jeu d'une pompe
de force ordinaire
La seconde méthode d'irrigation que j ' a i à décrire s'exé-
cute au moyen de corbeilles. Dans ce cas, l'eau qu'on em-
ploie provient d'un étang; celle d'un puits ou d'une rivière
ne s'y prêterait p a s . La corbeille pour cette destination
est ronde, d'un tissu très serré, et peu profonde, où, pour
mieux dire, très légèrement concave. Quatre cordons d'en-
viron 4 à 5 pieds de long ( l .20
.50)
m
à lm
sont attachés à
cette corbeille, deux de chaque côté. Sur les bords de l'é-
tang, on établit deux bassins à 6 ou 7 pieds l'un au-dessus
de l'autre (1 .80 à 2 .10), avec de petites rigoles dirigées
m
m

362 DES IRRIGATIONS.
du sommet de l'un à la base de l'autre. Deux Indous pren-
nent position sur chacun de ces degrés, et puisent l'eau
dans leurs corbeilles. P a r exemple, des sortes de niches sont
creusées pour deux hommes ayant l'eau entre eux deux à
environ 2 pieds 1/2 ( 0 . 7 5 ) au-dessus du niveau de l'étang.
m
Ils prennent alors les cordons de leur corbeille, chacun en
tenant un d'une main ; puis ils impriment à la corbeille un
mouvement de balancement qui enlève précisément le des-
sus de l'eau, comme pour écumer l'étang, et verse l'eau
qu'elle contient juste sur le sommet du premier degré. Là
un bassin aux bords élevés pour retenir l'eau la reçoit sur
un lit d'herbes sèches, pour prévenir les éclaboussures.
De ce point, l'eau coule jusqu'au pied du second degré
qu'on lui fait franchir de la même manière ; elle en franchit
encore de même un troisième pour atteindre le niveau gé-
néral du sol à irriguer, de sorte que, par ce procédé, il faut
six hommes pour élever le contenu d'une corbeille à la hau-
teur voulue; cette hauteur peu être fixée à 18 ou 20 pieds
(5 .40 à 6 mètres) au-dessus du niveau de l'étang.
m
La quantité d'eau que ces hommes peuvent élever ainsi
en un jour est réellement extraordinaire, si l'on considère
le procédé qu'ils emploient; ils n'y parviennent que par
l'adresse étonnante qu'ils mettent à faire cette besogne,
dans laquelle ils font preuve de beaucoup de force et de
patience.
Le troisième moyen d'irrigation généralement usité s o-
père avec un moat et une paire de b œ u f s . Dans ce cas, on
1
( 1) On prend, pour construire le moat, quatre ou six cercles en bois
sur lesquels on assujettit une peau de bœuf; on y ajoute une sorte de
manche fait d'un morceau de liane coupé dans les jongles. Le moat
tient habituellement douze gallons.

DES IRRIGATIONS. 363
élève au-dessus du puits un chassis en bois grossier mais
solide, avec une flèche en charpente posée en travers de
son orifice, portant une petite roue à tambour. La corde du
puits est roulée dans ce tambour; les bœufs étant attelés,
on laisse le moat descendre dans le puits et s'emplir d'eau ;
puis les bœufs avancent sur un plan incliné, juste à la
distance équivalente à la profondeur du puits, entraînant
la corde qui fait remonter le moat plein d'eau. Un ouvrier
stationné à cet effet près du puits vide le moat, qui redes-
cend immédiatement, les bœufs continuant à faire fonction-
ner cet appareil jusqu'à ce qu'un autre attelage vienne les
relayer.
Quatre bœufs, trois hommes et un jeune garçon sont n é -
cessaires pour le service d'un moat pendant une journée ;
un tiers de pucka-beegah peut être irrigué en un jour par ce
moyen, d'après la manière de compter des gens du pays ;
dans le Goruckpore, le Ghazeepore et d'autres districts, ce
mode d'irrigation revient aux prix indiqués ci-dessous :
Travail fait à l'entreprise.
2 paires de bœufs à 2 annas la paire. 4 annas » = 0 fr. 60
3 hommes à 1 anna 1/2 4 — 1/2 = 0 675

1 garçon à 1 anna 1 — » = 0 155
Total 9 annas 1/2. = 1 fr. 43
L'une des deux paires de bœufs travaille du point du jour
jusqu'à 11 heures ; l'autre paire travaille de l heure 1/2
après midi à 5 heures 1/2 du soir ; elles irriguent en trois
jours une pucka-beegah valant les deux tiers d'une acre
anglaise (environ 28 ares).
Des trois ouvriers dont j ' a i fait mention, l'un veille à vider

364 DES IRRIGATIONS.
le moat, l'autre ouvre de petites rigoles pour diriger l'eau
sur la surface du champ à irriguer; il aide dans l'occasion
le troisième ouvrier occupé à régler la distribution de l'eau.
J'ai déjà dit que cette dernière opération se fait avec une
petite pelle de bois que les Indous savent manier avec une
grande dextérité.
Les Indous regardent un bon puits pucka comme capable
de fournir l'eau nécessaire à 30 pucka-beegahs (environ
6 hectares) de terre pendant toute l'année; dans le district
de Goruckpore, un tel puits coûte 100 roupies (environ
250 francs).
Les dimensions d'un puits semblable ne permettent pas
d'y faire agir plus de 3 moats à la fois, de sorte qu'on n'ir-
rigue pas plus d'une beegah par j o u r ; il faut ainsi 30 jours
pour donner à chaque beegah une irrigation. Au plus fort
de la saison des vents chauds, cet intervalle de 30 jours
entre chaque irrigation serait trop long. Quand les gens
du pays assignent à l'un de ces puits la faculté d'irriguer
30 beegahs, ils entendent qu'il y aura pour le moins 15 nuits
employées au travail de l'irrigation.
J e n'ai jamais vérifié le temps que mettent à leur besogne
les irrigateurs indous ; mais j ' a i souvent calculé qu'un bon
attelage de bœufs, avec leur conducteur, fait un tour à la
minute, débitant à chaque tour 12 gallons d'eau ; il s'ensuit
que, dans une journée de travail, la distance totale par-
courue est de 7 milles et 1/4 (environ 12 kilomètres) et la
quantité d'eau puisée est de 7,200 gallons, ce qui coûte, y
compris le travail de distribution de l'eau sur le sol à irri-
guer, environ 1 fr. 43 c., soit, pour l'irrigation d'une acre,
6 fr. 65 c. (16 fr. 60 c. par hectare). Ce total paraît peu
élevé lorsqu'on le compare au nombre d'hommes, d'enfants

DES IRRIGATIONS. 365
et de bêtes d'attelage qu'il a fallu employer pour l'irrigation ;
mais ce serait une manière de compter fort erronée; la
question pour le planteur, c'est de savoir si, par une autre
méthode, il peut à meilleur marché donner à sa terre une
bonne irrigation. Il le peut, et j'espère en fournir des p r e u -
ves surabondantes ; et pour cette besogne, il n'a pas besoin
de recourir à aucune force motrice artificielle ; le vent brû-
lant propre au climat de l'Inde est, pour cette destination,
la force la meilleure qu'il puisse utiliser.
Si les vents chauds dessèchent et brûlent toute espèce do
récolte, ils offrent au moins, par compensation, une force au
moyen delaquelle on peut irriguer sur une étendue indéfinie.
Il serait difficile d'indiquer un autre pays où les vents
fussent aussi favorables à l'irrigation qu'ils le sont dans
l'Inde. Pour nous en former une plus j u s t e idée, remar-
quons quels sont les mois pendant lesquels il est particu-
lièrement nécessaire d'irriguer; ce sont, comme je l'ai dit
plus haut, les mois de mars, avril, mai, et une partie du
mois de juin ; c'est à cette époque que tout le pays est des-
sèché et brûlé ; mais c'est aussi à cette époque que les vents
d'ouest soufflent avec le plus de force.
J'ai vu le vent d'ouest (vent chaud) souffler sans relâche
tous les jours pendant plus d'un mois, avec une force capa-
ble de faire tourner les moulins des plus fortes dimensions.
Enfin, pendant les mois des grandes chaleurs, il ne règne
pas d'autres vents que le vent d'ouest et le vent d'est; si
l'un des deux cesse de souffler, l'autre aussitôt le remplace,
si bien qu'ils se partagent à eux deux cette période ; mais
le vent d'ouest est de beaucoup le vent dominant.
Avec une telle force motrice à sa disposition, le planteur,
dans l'Inde supérieure, doit avoir sur ses terres le système

366 DES IRRIGATIONS.
d'irrigation le plus parfait possible. Il aura un petit moulin
à vent près de chacun de ses puits ; il en aura d'autres sur
les bords des étangs, pièces d'eau ou rivières qui peuvent
exister sur ses domaines. Chacun de ces moulins peut avoir
une force de 2, 4 et même 6 chevaux, selon l'état des divers
puits, étangs ou cours d'eau ; les moulins pourront être
mobiles ou stationnaires ; dans tous les cas, ils devront
pouvoir être démontés et mis à l'abri à l'exploitation, avant
que la saison des pluies ne puisse les endommager.
Dans l'Inde, beaucoup de puits sont mis à sec pour peu
que l'on y puise avec un peu d'insistance ; c'est pourquoi
j'ai indiqué l'emploi de moulins à vent d'une force aussi mi-
nime que celle de 2 chevaux ; mais pour peu que ces mêmes
puits fussent approfondis, il n'y aurait presque pas lieu de
craindre qu'ils fussent mis à sec par une force motrice si peu
considérable. Néanmoins cette seule force, adaptée à une
bonne pompe, suffit pour élever au moins 120 gallons d'eau
par minute ; il faudrait employer, pour faire le même travail,
10 moats, 20 bœufs, 10 hommes et 10 jeunes garçons;
moyennant le supplément de moyens d'action que procure
la pompe, l'irrigation ne doit pas être suspendue pendant
les deux heures du milieu de la journée; la pompe doit
élever pendant ce temps 14,400 gallons d'eau.
Après s'être assuré des moyens convenables d'élevei
l'eau, le point important, c'est d'avoir un plan régulier et
bien conçu, pour porter cette même eau dans les champs
qui doivent être irrigués. Ceci nous ramène à notre ancien
sujet de l'organisation méthodique et rationnelle d une
plantation à son origine, seul moyen d'économiser la
force, le travail, la dépense, le temps et les inquiétudes
du planteur.

DES IRRIGATIONS. 367
Lorsqu'un domaine est convenablement dessiné, les che-
mins d'exploitation tracés à des distances régulières d e -
viennent en même temps les lignes le long desquelles les
eaux courantes sont dirigées ; chaque chemin transversal
a son cours d'eau hors duquel, à un point donné, l'eau peut
être dirigée là où elle est nécessaire pour l'irrigation. Mais,
quand je me sers de l'expression cours d'eau, je n'entends
point parler de ces rigoles ouvertes, pleines de limon, qu'on
désigne spécialement sous ce nom dans l'Inde; j'entends
des eaux bien dirigées, d'une manière constante, que j ' e s -
sayerai de décrire avant d'aller plus loin.
Je dois cependant faire remarquer que, quand même toute
la surface d'une plantation n'est pas comprise dans un seul
versant (il y en a bien peu, si même il en existe, qui soient
dans ce cas dans tout l'Indostan), il est toujours possible
de disposer le terrain de manière que les différentes parties
puissent former des pièces de 30 à 50 acres chacune, aux-
quelles on donne séparément une bonne pente, au cas où
une rivière ou bien un étang ne se trouve pas à leur portée.
Quand la terre peut être ainsi distribuée, on doit avoir soin
que les pièces en soient carrées ou d'une autre forme régu-
lière, de manière à ce qu'un puits en occupe le centre. Cette
condition étant remplie, il faut veiller à ce que l'eau pom-
pée hors du puits soit dirigée de telle sorte qu'il ne s'en
perde que peu ou point pendant son trajet d'un point vers
un autre. C'est ce qu'on peut réaliser au moyen de tuyaux
ordinaires de drainage, d'un diamètre proportionné au vo-
lume d'eau à transmettre, placés en quatre lignes régu-
lières à 200 pieds (60 mètres) les uns des autres. P a r
cette méthode, la circulation de l'eau peut être assurée
d'une manière permanente sur 30 acres (12 hectares) avec

3 6 8 DES IRRIGATIONS.
une dépense insignifiante, sans exiger plus de 5,500 pièces
de tuyaux ; tous ceux qui ont habité l'Inde supérieure sa-
vent combien ces tuyaux y peuvent être obtenus à bas prix.
Chaque bout de tuyau doit avoir 1 pied 3 pouces de long
(0 .37), avec une extrémité plus grosse et une plus petite ;
m
le gros bout doit être muni d'une gorge pour recevoir le
petit bout du tuyau suivant jusqu'à la longueur de 3 pouces
( 0 . 0 7 ) . Un peu de mortier, mis au moment où les tuyaux
m
sont posés, bouche la jointure et consolide la jonction des
tuyaux entre eux. A des intervalles de 14 à 15 pieds
( 4 . 2 0 à 4 . 5 0 ) lelongdes lignes de tuyaux, on place une
m
m
naud, sorte de terrine enfoncée dans le sol de façon à ce que
les extrémités des tuyaux y entrent de 3 ou 4 pouces au-
dessus de leurs bords exactement ajustés l'un vis-à-vis de
l'autre, et rendus étanches p a r un peu de mortier. Ces nauds
servent à recevoir l'eau qui, de là, est distribuée sur les
champs, soit en la faisant jaillir avec les pelles de bois
employées à cet effet par les Indous, soit en plaçant dans
la naud le tuyau d'aspiration d'une petite machine à irri-
guer qui lance un j e t d'eau tout autour d'elle aussi loin
que sa force peut la porter . Les nauds peuvent encore
1
servir comme de points de distribution des eaux dans
les tuyaux secondaires et dans les rigoles, sur toute la
surface des champs ; ils sont également utiles en servant
de dépôts pour le limon, le sable ou les autres matières,
qui sans cela pourraient se loger dans les tuyaux et ob-
struer la libre circulation de l'eau.
L'argile dont les tuyaux doivent être faits peut être la
(1) La meilleure machine de ce genre que j'aie jamais vue est une
petite pompe à feu servant à drainer et à irriguer, de l'invention de
M. Buddeley. Elle est figurée et décrite dans le chapitre suivant.

DES IRRIGATIONS. 369
même que celle qui sert à fabriquer les tuiles arrondies pour
les toits des maisons; les naturels du pays peuvent, comme je
l'ai dit, fournir ces tuyaux à très bas prix; mais, si l'on veut
qu'ils soient mieux fabriqués et de forme plus régulière,
autant que pour en avoir un très grand nombre à très bon
marché, il peut être avantageux de recourir à l'emploi d'une
machine à fabriquer les tuyaux et les tuiles, d'un modèle
petit, mais solide. On peut, au prix de 15 à 20 livres sterling
(375 à 500 francs), se procurer en Angleterre une de ces
machines capable de faire au besoin en un jour 5,000 tuyaux
bien terminés, de la grandeur voulue ; en une heure d'ap-
prentissage, un Indou peut être mis au fait de la manœuvre
de cette machine. E n en adoptant l'emploi, le planteur peut
se procurer autant de tuyaux qu'il lui en faut pour les irri-
gations, et de plus des tuiles, quel que soit l'objet pour le-
quel il en est besoin.
Le système actuellement en usage de faire des rigoles à
recevoir le limon, est un vrai gaspillage ; néanmoins, si ces
rigoles étaient faites de tuiles, l'eau pourrait être conduite
à très peu de frais à n'importe quelle distance, et la déper-
dition de l'eau serait insignifiante. Si les puits sont conve-
nablement construits, et creusés à la profondeur de 25 à
30 pieds ( 7 . 5 0 à 9 mètres), chaque puits pourra fournir
m
l'eau à une pompe mue soit par un moulin à vent, soit par
une machine à vapeur de la force de deux chevaux. Chaque
puits devra avoir son petit moulin à vent de cette force ou
à peu près, qui fera fonctionner une pompe avec le moins
d'embarras et le plus d'économie possible pour le plan-
teur. Quand la longueur du montant n'excède par 30 pieds
( 9 mètres ), on peut employer avec avantage le genre de
Pompe le plus simple possible.
24

3 7 0 DES IRRIGATIONS.
L a figure 6 représente un moulin à vent attaché à une
pompe d'un genre simple et trop négligé, qui fonctionne
par la force centrifuge, ce qui fait voler l'eau du centre de
rotation à travers les bras munis d'ouvertures à leurs ex-
trémités et terminés par une courbure. Cette pompe tend
à former un vide qui force l'eau du puits à céder à la pres-
sion de l'atmosphère ; aussi ne peut-elle fonctionner que là
où la colonne d'eau a moins de 33 pieds de hauteur ( 9 . 9 0 ) .
m
Le cercle décrit par les bras courbés est de 66 pouces
(1 .65), répondant à un mouvement de 16 pieds (4 .80)
m
m
accompli pendant une révolution. Les tuyaux et les ou-
vertures ont trois pouces de diamètre (0 .075), soit une
m
aire de 7 pouces ( 0 . 2 2 8 ) ; chaque révolution débite par
m
les deux bras 5 gallons d'eau , ce qui, à 55 révolutions par
minute, revient à 275 gallons . Cette quantité d'eau éle-
1
vée à 25 pieds de hauteur et divisée par 33,000 donne
66,000 livres ( 27,720 kilogrammes) par minute, élevées
à la hauteur d'un pied par une force de deux chevaux. En
admettant, par un calcul modéré, que le vent soit anime
d'une vitesse moyenne de 20 milles par heure (un peu plus
de 33 kilomètres), il pourrait effectuer ce déplacement
d'eau en agissant sur les ailes d'un moulin à vent de cette
force. Une simple soupape est placée au fond de la flèche
tubulaire supérieure qui tourne avec les bras du moulin ;
elle retient l'eau quand la pompe est en repos, prête à fonc-
tionner dès que le vent recommence à souffler. Avant que
le moulin rentre en activité, il est nécessaire de remplir
d'eau le corps et les bras de la pompe. Le moulin lui-même
(1) Sur ce pied, la pompe doit élever d'une profondeur de 25 pieds
( 7 . 5 0 ) 318,000 gallons en dix heures. C'est la quantité d'eau néces-
m
saire pour irriguer 7 acres (2 hectares 80 ares), à raison d'un pouce
d'eau par pied carré de surface.

Figure 6.


DES IRRIGATIONS. 373
est construit d'après les principes les plus perfectionnés ;
ses ailes sont disposées de manière à prévenir tout accident.
La figure est la reproduction d'un dessin exécuté à ma
demande par MM. G. Woods et C , ingénieurs civils à
i e
Bucklersbury ; il est particulièrement approprié aux be-
soins des planteurs des Indes orientales, bien que d'ailleurs
il puisse fonctionner partout où le vent peut souffler pour
le faire tourner.
Plusieurs autres formes de moulins à vent peuvent aussi
être utilisées dans le même but ; tels sont en particulier le
moulin à vent horizontal de Vallaure et la machine éolienne
de Biddle (brevetée), qui est aussi horizontale. Les di-
stricts de l'Inde supérieure ayant à leur disposition une
force très grande dans les vents qui régnent durant les mois
de la saison chaude, nul doute que les planteurs ne finis-
sent par comprendre la nécessité positive de faire usage
d'un genre quelconque de moulins à v e n t ; si j ' a i préféré
figurer un moulin à ailes verticales, c'est dans la persua-
sion qu'il serait mieux compris des naturels appelés à le
faire fonctionner.
Il y a toutefois des parties de l'Indostan où les vents
chauds ne soufflent pas ; telle est, par exemple, la contrée
entre Monghyr et Calcutta. Aux environs de Monghyr,
Rajenachal, etc., il y a ce qu'on nomme double vent; ce
sont tout simplement les vents d'est et d'ouest, qui souf-
flent alternativement; bien que les autres vents y souf-
flent assez fréquemment, ils n'ont pourtant pas un carac-
tère de force et de constance qui permette aux planteurs
d'y compter pour leurs irrigations. Il leur faut donc recou-
rir à une machine à vapeur, ou bien s'en tenir au système
des Indous avec ses inconvénients. Dans le district de

374 DES IRRIGATIONS.
Tirhoot, j e pense que les vents sont plutôt inconstants que
fixes, et qu'on ne peut pas compter sur eux dans la saison
où l'irrigation est le plus nécessaire ; d'après cela, je ne
doute pas que l'association des planteurs de Tirhoot n'ait
recours à la puissance de la vapeur. Il est certain que
MM. G. W o o d s et C ont livré à cette association plu-
i e
sieurs machines à vapeur et plusieurs pompes appropriées
au service des irrigations.
Dans les colonies des détroits malais, aux Indes orien-
tales et dans plusieurs autres colonies, on ne peut pas tou-
jours compter sur la force du vent; il faut par conséquent
recourir à la vapeur ; c'est aux planteurs à rechercher quel
genre de machine à vapeur est le mieux approprié à leurs
besoins. J e saisis avec plaisir cette occasion de faire con-
naître la machine à vapeur portative de M. W . Cambridge,
qui jouit d'une réputation si bien méritée parmi les cultiva-
teurs anglais.
A la grande réunion de la Société royale d'agriculture
à Northampton, en 1848, les juges ont décerné à cette ma-
chine le prix de 50 livres sterling ( 1,250 francs), bien qu'il
y eût six autres machines analogues admises à concourir.
Les concurrents malheureux ayant protesté contre cette
décision, il en fut référé au conseil de la Société, qui, dans
sa réunion la plus prochaine, à Londres, confirma à l'una-
nimité la décision des juges à Northampton, décernant le
prix de 50 livres sterling pour la meilleure machine a va-
peur appropriée au battage des grains ou à d'autres usages
agricoles à M. W . Cambridge, de Market - Lavington,
comté de W i l t s . Le propriétaire actuel de la machine pri-
mée et les autres membres du conseil présents à la réunion,
d'après leur propre expérience, rendirent hautement té-

DES IRRIGATIONS. 375
moignage à la valeur pratique de la machine de M. Cam-
bridge, en même temps qu'à la sûreté et à l'efficacité de son
emploi, à l'économie qu'elle procure sur le combustible, à
sa marche régulière sans jamais se déranger, et aux soins
apportés à prévenir la détérioration de ses matériaux. »
La figure 7 représente une machine à vapeur portative
Figure 7.
de la force de 4 chevaux, avec une chaudière de 8 pieds de
long sur 9 pieds 2 pouces de circonférence extérieure
( 2 . 4 0 sur 2 .75), construite d'après le principe de Cor-
m
m
nish. Le tube à recevoir le feu est de forme ovale, large de
2 pieds (0 .60) et haut de 18 pouces ( 0 . 4 5 ) ; il contient
m
m
à la fois le foyer et le cendrier. L'eau est chauffée dans un
réservoir à l'extrémité de la chaudière, au moyen de l'air

376 DES IRRIGATIONS.
chaud qui, sortant du fourneau à travers le conduit de la
fumée, passe au travers du réservoir et porte la tempéra-
ture de l'eau à environ 150 degrés avant d'être refoulé
dans la chaudière.
Cette machine, en pleine activité, consomme en dix heures
environ 400 livres de houille (168 kilogrammes); elle est
constamment employée par les cultivateurs pour faire mar-
cher une machine à battre de 6 chevaux.
Les témoignages que j ' a i recueillis à ce sujet de divers
cantons me portent à regarder cette machine comme excel-
lente pour le planteur; c'est en cette qualité que je la lui
recommande, n'ayant avec celui qui la construit aucune es-
pèce de rapport. Le prix d'une machine telle que celle qui
est figurée, de la force de 4 chevaux, est de 140 livres ster-
ling (3,500 francs) ; si elle a 5 chevaux de force, 175 livres
sterling (4,375 francs), et, pour une force de 6 chevaux,
200 livres sterling (5,000 francs); avec des régulateurs,
20 livres sterling de plus (500 francs).
É t a n t montée sur des roues, elle peut agir sur tous les
points d'une plantation et se déplacer au besoin ; mais,
n'étant pas ajustée en qualité de locomotive, elle ne peut
remplir toutes les fonctions auxquelles est appelée une ma-
chine de cette dernière espèce (voir pages 173-174).
J'ai mentionné la machine de M. Cambridge comme peu
coûteuse et très bien appropriée aux besoins du planteur
partout où une véritable locomotive ne peut pas fonction-
n e r ; mais partout où l'on peut se servir d'une locomotive,
il vaut mieux sous tous les rapports en avoir une ana-
logue à celle qui est représentée figure 3, pour toutes les
opérations énumérées pages 173-174.
Je me suis assez étendu sur les services qu'on peut at-

DES IRRIGATIONS. 377
tendre d'un tel auxiliaire dans une plantation pour qu'il me
reste peu de chose à ajouter. Je crois utile néanmoins de
rappeler qu'une vraie locomotive, bien qu'elle coûte quel-
ques livres sterling de plus, est, par compensation, appli-
cable à une foule d'objets différents, hors de la portée d'une
machine simplement portative comme celle de Cambridge.
Je tiens beaucoup à ce que le planteur considère cette loco-
motive sous son vrai point de vue, sans être aveuglé quant
à son emploi par des préjugés surannés ; et je tiens encore
plus à ce qu'il sache bien qu'avant peu il n'y aura pas un
Indou, pas un nègre, pas un Chinois à qui l'usage de cette
machine ne soit familier. J'ai toujours trouvé ces trois
classes de travailleurs très promptes à s'habituer à faire
marcher n'importe quelle espèce d'instrument ou de ma-
chine mise entre leurs mains ; je n'en veux pour preuve que
les différentes machines à vapeur dirigées par ces mêmes
ouvriers dans les colonies des deux hémisphères. Qui est-ce
qui a jamais entendu parler d'un accident arrivé à l'une des
machines sous leur direction ? Chaque jour on lit ou l'on
entend raconter le récit d'accidents épouvantables occa-
sionnés par les machines à vapeur dans les différentes par-
ties du monde ; jamais je n'ai eu connaissance, ni par moi-
même ni par ouï-dire, d'un malheur semblable causé par
une machine sous la direction d'un nègre, d'un Indou ou
d'un Chinois.
Le genre de pompe dont il convient de se servir varie
essentiellement d'après la quantité d'eau disponible et la
profondeur à laquelle il faut l'aller chercher. J'ai déjà parlé
de la pompe centrifuge comme de la plus simple et de la
plus économique peut-être de toutes celles qu'on peut em-
ployer. Je ne me pardonnerais pas d'omettre de mentionner

378 DES IRRIGATIONS.
la machine extraordinaire connue sous le nom de machine
hydraulique de Walker, ou élévateur breveté de Walker (fig.8).
Il y a quelques années, ayant eu à traiter le même sujet,
j'avais exprimé quelques doutes quant à la faculté de cette
machine d'être bien réglée dans son action ; enfin, d'après
une légère défectuosité dans sa soupape, ces doutes étaient
partagés par bien des gens compétents ; mais, depuis cette
époque, de récentes améliorations et des épreuves décisives
ont parfaitement établi la puissance et l'utilité de l'élévateur
breveté.

Sachant que, dans l'Inde, on est fort curieux de bien con-
naître le degré d'utilité des machines de ce genre, je suis
heureux de pouvoir donner à cet égard des renseigne-
ments appuyés sur l'autorité la plus respectable.
L'action de l'élévateur diffère tellement de celle de toutes
les autres machines hydrauliques que la manière ordinaire
de calculer leur force ne lui est pas applicable ; de là l'éton-
nement causé par les choses accomplies par cette machine.
Le gouvernement a autorisé l'essai de la machine hydrau-
lique de M. W a l k e r au dock de Wooblwich ; il y avait là un
grand caisson d'épuisement, précédemment vidé au moyen
de deux excellentes pompes de 10 pouces de diamètre
(0m.25), sortant des ateliers de la maison de sir John Res-
mie. Avec ces doux pompes, trente ouvriers travaillant par
escouades de quinze hommes, et se relayant tous les quarts
d'heure, avaient mis trois heures et demie pour vider le
caisson. Avec la machine de M. W a l k e r , quatorze hommes
travaillant par escouade de sept hommes, et se relayant
toutes les quinze minutes, vidèrent le caisson en une heure
un quart ; dans une épreuve récente, la même besogne fut
faite en moins de temps encore par le même nombre d'hom-

Figure 7.


DES I R R I G A T I O N S . 3 8 1
mes, sans qu'ils éprouvassent aucun excès de fatigue. Ces
épreuves eurent lieu en présence de sir Francis Collier,
C. B., K. C. H . , et du capitaine Denison, du corps royal
du génie. E n adressant à l'honorable Sidney-Herbert le
rapport du capitaine Denison, sir Francis s'exprime ainsi :
" Je dois ajouter qu'ayant vu fonctionner cette pompe, je
la regarde comme supérieure à celle de M. Rennie; elle a dé-
placé la même quantité d'eau avec moitié moins d'ouvriers
en moitié moins de temps. »
La grande supériorité de ces machines sur les pompes
ordinaires s'est trouvée si complétement constatée aux yeux
de l'autorité que M. W a l k e r en a livré une pour le dock
de Malte et une autre pour Portsmouth. Le bureau de l'ami-
rauté a également résolu de faire usage de cette machine
sur les navires de guerre de première classe, étant con-
vaincu qu'en cas de danger elle pourra contribuer à leur
salut, là où les autres machines hydrauliques ne serviraient
à rien.
M. W a l k e r a aussi construit des machines pour les com-
missaires du parlement pour le drainage des comtés de
Sommerset, Norfolk et Lincoln. La propriété de M. Boult
de Runham, dans le Norfolk, fournit une preuve éclatante
de l'efficacité des machines W a l k e r pour le drainage ; en
1847, une récolte du plus beau froment fut obtenue sur
cette propriété, dans une vaste étendue de terres demeurées
Précédemment incultes par suite de l'impossibilité de les
dessécher par les moyens employés antérieurement.
Ce sont des faits sur l'exactitude desquels les planteurs
peuvent compter. Quoique je n'aie jamais vu M . Walker,
j ai pensé qu'il serait désirable d'en obtenir, par l'intermé-
diaire d'un ami commun, un tableau indiquant la besogne

382 DES IRRIGATIONS.
faite par cette machine; il a eu l'obligeance de m'adresser
ce tableau :
M. W a l k e r a aussi adapté une machine à vapeur à son
élévateur pour le faire fonctionner; j e ne sais si cette ma-
chine est de son invention, bien que j ' a i e lieu de le croire.
Deux élévateurs pourvus de leur machine à vapeur ont été
récemment construits et essayés dans les ateliers de
M. W a l k e r , City-Road; ils sont destinés au drainage de
deux propriétés aux Indes occidentales. Dans ces appareils,
la vapeur étant à 35 livres par pouce, donnant 30 révolu-
tions à la minute, le coup de piston étant de 2 pieds,
6,000 gallons d'eau étaient élevés par minute à la hauteur
de 8 pieds ( 2 . 4 0 ) .
m
C'est là certainement une action étonnante, et il serait
permis de la révoquer en doute si elle n'était attestée par
les autorités que j ' a i citées plus haut. Mais la machine hy-
draulique de M. W a l k e r mérite toute la confiance des plan-
teurs, tant par les témoignages irrécusables que rendent

DES IRRIGATIONS. 383
en sa faveur tant d'épreuves couronnées de succès, que
parce que cette invention a su triompher par son seul mérite
d'une explosion extraordinaire d'opposition et de rivalité
professionnelle, dans les circonstances que j ' a i mentionnées
et dans une foule d'autres.
Quelques genres de pompes communes sont aussi dignes
d'être portées à la connaissance des planteurs ; les meil-
leures, avec une force mécanique de deux chevaux, peuvent
élever à la hauteur de 25 pieds (7 .50) environ 200 à
m
240 gallons d'eau par minute. Il ne faut pas perdre de vue
qu'une bonne machine hydraulique, celle de M. W a l k e r ou
une autre, ne sert pas seulement pour l'irrigation des terres;
elle peut aussi s'appliquer au dessèchement des terres, par-
tout où il peut être jugé utile.
Il me serait difficile de recommander un genre de pompe
commune en particulier; il y en a tant, et leurs divers d e -
degrés de mérite sont si contestés, que tout ce que je puis
conseiller aux planteurs, c'est de s'adresser directement
pour cet objet à une manufacture bien posée, et de bien
expliquer l'objet pour lequel la pompe lui est nécessaire;
en agissant ainsi, il est probable qu'il réalisera une notable
économie d'argent et d'embarras.
Dans quelques parties du haut Indostan, on fait grand
usage de la roue persane; mais, je ne l'ai jamais vue aussi
légère qu'il serait possible de l'établir; jamais, non plus, j e
ne l'ai vue fonctionner autrement que de la manière la plus
gauche et la plus maladroite; bien qu'au premier aspect,
cet appareil puisse paraître économique, il occasionne en
réalité des pertes constantes et croissantes. Partout où la
roue persane peut être employée, il vaut beaucoup mieux
la construire sur le principe de la roue à courroie sans fin

384 DES IRRIGATIONS.
des Égyptiens. Celle-ci est une véritable chaîne sans fin
représentée par une corde quelconque passant sur deux
roues à tambour, l'une dans l'eau, l'autre à quelques pieds
au-dessus de la surface du sol ; elle a de distance en distance
des trous pour recevoir les chevilles du tambour, de ma-
nière à faire tourner la corde et avec elle les seaux de cuir
ou de terre cuite contenant de l'eau. P a r cette simple dis-
position, on peut se dispenser d'employer une roue d'un
poids exclusif ; la force motrice est exclusivement appliquée
à élever l'eau et à vaincre le frottement.
La chaîne à pompe chinoise est aussi fréquemment usitée ;
mais il m'a toujours paru qu'elle donnait lieu à un frotte-
ment énorme comparativement à son effet ; je ne puis donc
dire qu'elle mérite aucune préférence. On vante aussi la
ceinture hydraulique comme capable de produire des effets
puissants quant au déplacement de l'eau ; mais l'extrême
rapidité de mouvement qu'il est nécessaire de lui impri-
mer me semble une objection insurmontable contre son
adoption.
E n fait, il existe une variété infinie de machines hydrau-
liques de toutes sortes de formes et de caractères, entre
lesquelles j ' a i fait choix des mieux appropriées aux besoins
des planteurs. Ce sont, en première ligne, la pompe centri-
fuge, représentée et mise en jeu par un moulin à vent; en
seconde ligne, l'élévateur breveté de Walker, qui peut mar-
cher par la vapeur ou par le vent; et, en troisième ligne, la
meilleure espèce de pompe ordinaire, fonctionnant de
même, soit par le vent, soit par la vapeur.
Ceux qui ne se font pas une juste idée du sens attache au
mot irrigation trouveront peut-être que j ' a i accordé dans
cet ouvrage une trop largo place à ce sujet ; mais l'irriga-

DES IRRIGATIONS. 385
tion est d'une importance vitale pour le planteur des Indes
orientales ; il doit l'étudier avec des soins assidus ; car c'est
seulement de son application rationnelle que dépend tout
le succès de ses opérations de culture.
§ 5 . — Usage bienveillant des Indiens de construire des puits
et des bassins publics.
Dans un pays comme l'Inde, où plusieurs mois se p a s -
sent sans qu'il tombe une goutte de pluie, et où par con-
séquent toute végétation meurt de soif, on comprend quelle
disette d'eau doit avoir lieu partout où les puits n'existent
pas en grand nombre. C'est en effet ce qui se passe, et
je puis dire que, sous ce rapport, on ne rend pas suffisam-
ment justice au caractère des gens du pays ; c'est ce qui
m'engage à dire ici ce que j ' e n pense.
C'est une croyance particulière des Indous qu'ils se ren-
dent la divinité propice en faisant croître des arbres et en
creusant des puits d'eau potable là où précédemment il
n'existait rien de semblable; de là vient qu'on rencontre
dans toute l'Inde d'innombrables puits ou bassins avec des
plantations d'arbres à l'usage du premier venu. Cette p r a -
tique peut sembler ridicule à ceux qui habitent l'Europe ou
les Indes occidentales ; mais dans l'Indostan, elle prend un
tout autre caractère. Pendant des milles et des milles sans
nombre, l'œil ne trouve rien qui le délasse de l'aspect mo-
notone d'une plaine immense où tout est flétri ou brûlé ;
le voyageur, suffoqué par la poussière, accablé par la cha-
leur, atteint une de ces plantations nommées dans le pays
topes; il va droit au puits ou au bassin, se lave la bouche,
étanche sa soif et baigne ses membres fatigués; puis il
25

386 DES IRRIGATIONS.
s'étend pour goûter un agréable repos. Il s'endort, peut-
être pour toute la nuit; mais, qu'il s'y repose une heure ou
qu'il y séjourne des jours entiers, il n'en partira pas sans
adresser au ciel une prière pour la personne qui a préparé
si à propos un lieu de rafraîchissement et de délassement
pour le pauvre voyageur. Il y a dans l'Inde des gens assez
sots et assez méchants pour attribuer ces œuvres de cha-
rité et de bienveillance à la vanité, au désir de se faire un
nom (mam ké wasté, disent-ils en indou). Mais les naturels
peuvent compter que leurs charitables intentions, loin
d'être méconnues, sont justement appréciées p a r t o u t Eu-
ropéen homme de cœur qui se repose dans ces asiles ou
qui les visite.
Le colonel Sleeman, officier d'un rare mérite, s'est donné
beaucoup de peine pour montrer quelles sommes énormes les
Indous dépensent de cette manière. J e puis dire, pour con-
firmer les chiffres posés par le colonel Sleeman, que l'on
aurait peine à croire à quelles sommes se monte ce qu'ils dé-
pensent en effet pour creuser des puits et des bassins, les en-
tretenir en bon état, planter des bouquets d'arbres au-
tour, et préparer ainsi pour les voyageurs des lieux de
repos et de rafraîchissement. Mais, en parlant de ces puits
sous ce point de vue, je ne dois pas oublier de montrer com-
bien ils offrent de ressources pour le sujet que je traite,
l'irrigation. Les puits et les bassins ainsi creusés et entre-
tenus sont en réalité des bienfaits pour les cultivateurs
établis dans leurs environs ; ils y trouvent les moyens d'ir-
riguer leurs cannes à sucre et les autres produits de leurs
champs, et de les conserver pendant les saisons de l'année
les plus difficiles à traverser. Ils peuvent ainsi planter à des
époques où, sans cette ressource, la plantation ne serait

DES IRRIGATIONS. 3 8 7
pas possible ; ils sauvent des récoltes qui sans cela seraient
perdues ; ils augmentent les produits de leurs champs au
point d'en doubler la valeur. Je dois donc exprimer ici mon
respect sincère pour ceux d'entre les Indous qui prélèvent
sur leur fortune personnelle des sommes considérables pour
des travaux si charitables, si bienfaisants ; j e soutiens que
tout planteur européen ne doit rien négliger pour e n t r e t e -
nir de si bons sentiments, au lieu de dénigrer les motifs si
évidemment honorables qui les font subsister.
En terminant ce qui touche à l'irrigation, j'insiste une
fois de plus sur l'extrême importance de ce sujet. Je rap-
pelle une fois de plus qu'en irriguant les champs fréquem-
ment et largement, non-seulement le planteur fertilise le
sol, mais encore il met les principes assimilables du sol
dans les meilleures conditions pour être absorbés par les
racines des plantes, en les leur offrant à l'état de solution.
Je le supplie donc de donner à l'irrigation l'attention la
plus sérieuse ; partout où elle est praticable, qu'il ne se
laisse pas effrayer par les difficultés ; je puis l'assurer d'a-
vance que jamais il n'aura lieu de s'en repentir.


C H A P I T R E VI.
Des Instruments.
§ 1er. —Charrues primées de Ransome et May.
En commençant ce chapitre, il est nécessaire de bien
constater l'objet que j ' a i en vue et de formuler quelques
observations, afin que le lecteur ne puisse se méprendre
sur mes motifs.
Mon but, c'est de bien définir le petit nombre d'instru-
ments utiles et nécessaires au planteur de canne à sucre,
et en même temps de lui indiquer les fabricants qui, d'a-
près leur haute réputation et leur capacité reconnue, m é -
ritent sa confiance et sa clientèle. En agissant ainsi, je dois
protester de toutes mes forces contre toute intention de
faire de la réclame en faveur d'une invention ou d'une fa-
brique quelconque. J e désire simplement être utile au plan-
teur en lui recommandant ceux qui peuvent le mieux le
servir pour chaque objet en particulier ; j e puis l'attester
avec sincérité, la plupart des fabricants que j ' a i nommés ou
que j'aurai occasion de nommer dans la suite me sont person-
nellement, complétement étrangers ; j e suis uniquement
guidé dans mes appréciations, soit p a r des échantillons
de leurs produits que j ' a i pu avoir sous les yeux, soit par
la réputation bien établie qu'ils ont su s'acquérir. Quelque-
fois je suis allé comme étranger voir leurs fabriques, inspec-
ter leurs divers genres de machines, parcourir leurs plans

390 DES I N S T R U M E N T S .
et leurs dessins, notant avec soin l'habileté de chacun
d'entre eux. J'y étais allé dans l'intention de me justifier à
mes propres yeux quant à mes motifs de recommander leurs
produits aux planteurs, choisissant les genres de machines
que, d'après ma propre expérience, j e juge leur convenir
spécialement. En remplissant ce devoir, ni faveur ni partia-
lité ne peuvent porter atteinte à la franche indépendance du
caractère de l'auteur de cet ouvrage. J e ne donne donc d'é-
loges et de recommandations qu'à ce qui me paraît en mériter
à juste titre, persuadé que j'agis dans l'intérêt général de
ceux pour lesquels ce livre est écrit. N'ayant aucun rap-
port avec aucun fabricant, aucun intérêt dans aucune fa-
brique déjà désignée ou devant l'être dans ce chapitre, il
s'ensuit que, soit par principe, soit par absence de motifs,
il est impossible que l'expression de mon opinion sur leur
compte ne soit pas celle de mon intime conviction, à part
toute autre influence.
Le premier instrument que j ' a i à faire connaître, c'est la
belle charrue primée de la fabrique de MM. Ransome et
May (figure 9 ).
C'est, quant à son aspect général, la charrue la plus élé-
gante que j'aie jamais maniée; soit qu'elle fonctionne
comme charrue à palonnier à une seule ou à deux roues,
elle l'emporte sur toute autre charrue qui ait été appelée a
lutter avec elle. Ce n'est pas le seul avantage particulier
qu'offre sa construction ; car, au grand étonnement des
nombreux témoins de ce fait, cette charrue s'est trouvée la
meilleure pour labourer les terres pesantes aussi bien que
les terres légères.
Ce résultat est consigné en détail dans le journal de la
Société royale d'agriculture d'Angleterre; il a été unani-

DES INSTRUMENTS.
391
mement attribué à l'exactitude des principes qui président
à sa construction. Les
observations de ce jour-
nal à ce sujet sont plei-
nes d'intérêt. « Quand la
charrue de M. Ransome
a fonctionné avec deux
roues , son labour r e s -
semblait au travail fait
par une machine à pla-
ner.
Les bandes de terre
étaient coupées vertica-
lement ; le plancher ou le
fond de la raie était par-
faitement net et uni ; les
bandes de terre étaient
déposées, sous un angle
d'environ 45 degrés ,
avec tant d'exactitude
qu'il eût été possible de
les remettre dans leur
précédente position h o -
rizontale sans perdre ni
gagner du terrain. Selon
les principes admis quant
à la perfection du labour,
qu'ils soient ou ne soient
pas exacts et applicables
également à toutes les
terres et à tous les gen-
res de culture, on a
Figure 9.

3 9 2 DES INSTRUMENTS.
trouvé q u e , dans ce c a s , la pratique avait approché de
très près de cette perfection. Quand la même charrue
a fonctionnée avec une seule r o u e , bien que son travail
fût excellent, il s'est cependant écarté de l'extrême ré-
gularité du travail de la charrue à deux roues ; cette dé-
viation était encore plus visible quand l'instrument fonc-
tionnait sans roues, ce qui tient directement à l'influence
exercée dans ce cas sur la marche de la charrue par les
bêtes d'attelage; la charrue Ransome n'en a pas moins ef-
fectué des labours fort supérieurs à ceux des autres char-
rues. »
En raison de la supériorité de cette charrue dans tous les
concours , les juges ont décerné plusieurs médailles à
MM. Ransome et May.
La charrue suivante, aussi de l'invention de MM. Ran-
some et May d'Ipswich (figure 10), est aussi une charrue
brevetée, à flèche relevée, à double versoir.
Elle est construite sur les mêmes principes que la pré-
cédente; mais elle est munie de deux versoirs, l'un a
droite, l'autre à gauche, qui versent la terre remuée sous
le même angle l'un par rapport à l'autre. Le soc est aussi
muni d'une aile à droite et à gauche. Elle a principalement
pour destination de suivre la charrue à versoir simple, et
d'ouvrir de larges raies pour la plantation des boutures de
cannes, ce qu'elle fait avec beaucoup de netteté en reje-
tant la terre des deux côtés à la fois. Elle sert aussi à ou-
vrir de distance en distance, dans les champs, des raies
profondes, isolées, pour l'écoulement des eaux superflues ;
lorsqu'on enlève le double versoir, elle sert comme charrue
à large soc, pour nettoyer la terre, ou comme charrue à
remuer le sous-sol.

DES INSTRUMENTS.
393
MM. Ransome lui ont ajusté un grand coutre tournant,
ayant un tranchant en
acier, dans le but de
hacher en passant les
débris de canne à su-
cre répandus sur le sol,
et de les enterrer d'un
seul trait de charrue.
Ce coutre se déplace
quand on n'en a pas
besoin. Toutefois j e
doute fort que le cou-
tre tournant puisse
bien accomplir cette
besogne.
Les extraits suivants
du journal de la Socié-
té royale d'agriculture
d'Angleterre (tom. IV,
page 467) méritent que
les planteurs y réflé-
chissent et en fassent
leur profit.
Les juges signale-
ront comme hautement
dignes de recomman-
dation les charrues en-
tièrement de fer et
d'acier de la fabrique
de MM. Ransome. Les
ages de ces charrues
Figure 10

394 DES INSTRUMENTS.
sont construits d'après le principe des pièces reliées ( truss
principle). Ce principe, bien que nouveau dans son appli-
cation à la charrue, est depuis longtemps apprécié des
mécaniciens, comme unissant la force à la légèreté. C'est
cette considération qui a porté ces fabricants à abandonner
l'usage du bois jusqu'alors employé à la construction de
cette partie de la charrue, pour lui substituer un âge de
métal solide. La construction de cet âge amélioré en fer a
pour objet de détruire la vibration latérale, surtout à sa
base, ou à sa jonction avec le corps de la charrue ; le coutre
peut ainsi être fixé solidement et s'ajuster sans aucune
peine à la minute
Il importe aussi que les mancherons soient assez roides
et solides pour que le laboureur puisse transmettre sa force
sans trop d'effort au corps de la charrue ; car, plus la char-
rue sera facile à conduire, plus le laboureur apportera cer-
tainement d'attention à sa besogne. MM. Ransome n'ont
pas oublié ce point; ils ont aussi apporté le plus grand soin
à faire en sorte que les socs, les versoirs, et en général
toutes les parties de leurs charrues sujettes à s'user, pus-
sent être déplacés et ajustés par les moyens les plus sim-
ples et les plus faciles, ce qui témoigne de l'habileté et de
la réflexion qu'ils ont déployées dans la construction des
moindres parties d'un instrument qui conserve en agricul-
ture sa place comme le plus indispensable de tous, ayant
été la premier inventé comme auxiliaire de l'homme dans
son travail de la terre.
§ 2. — Charrue à sous-sol de Rackheath.
La charrue Rackheath pour le sous-sol, inventée par sir

DES INSTRUMENTS. 395
Edwards Stracey, baronnet, et fabriquée par MM. Ransome,
est un instrument d'une haute utilité pour le planteur, pour
ameublir le sous-sol.
Il accomplit cette opération à la profondeur de 15 à
18 pouces (37 à 45 centimètres) au-dessous de la surface;
mais quand cette charrue suit une charrue ordinaire, ce
qui est recommandé comme sa vraie destination, la pro-
fondeur du défoncement est augmentée de toute celle du
labour de la première charrue (fig. 11).
Figure 11.
Le labour du sous-sol est tellement essentiel dans les
plantations de canne à sucre qu'il importe au planteur de
se pourvoir d'un bon instrument de cette espèce; je n'en
connais pas qui l'emporte, pour la légèreté, la solidité et
l'utilité, sur la charrue Rackheath.
§ 3. — Charrue à deux socs. — Houe à cheval.
L'instrument suivant est ce qu'on nomme une charrue à
double sillon (bissoc), d'un usage très avantageux partout
où l'on dispose d'une grande force, comme dans le cas où
les labours sont faits par la machine à vapeur ou par des

396 DES INSTRUMENTS.
éléphants ; car elle trace deux sillons à la fois ; elle fait par
conséquent le double de besogne d'une charrue simple,
sans exiger plus de moitié au delà de la force nécessaire
pour faire fonctionner la charrue simple (fig. 12).
Figure 12.
En Angleterre, partout où elle a été essayée, elle a par-
faitement répondu à ce qu'on en attendait, faisant autant
de besogne avec trois chevaux, un homme et un jeune gar-
çon, que peuvent en faire dans le même temps deux char-
rues simples avec quatre chevaux et deux laboureurs. Un
fermier des environs d'Ipswich emploie trois charrues à
double sillon ; voici dans quels termes il rend compte de
leur emploi :
« Avec trois chevaux attelés de front et un seul labou-
reur, elle peut labourer en un jour deux fois plus de terre
que deux charrues simples n'en peuvent labourer ; en d'au-
tres termes, la charrue à double sillon laboure deux acres
pour u n e ; elle économise donc le travail d'un homme et
d'un cheval. Le travail est peut-être un peu plus pénible
pour les chevaux, mais d'une quantité si minime que ce
n'est pas la peine d'en parler. Le fermier anglais qui donne
cette note a labouré, sans interruption, en quinze jours
30 acres (12 hectares). Au début, les laboureurs n'aimaient

DES INSTRUMENTS.
397
pas cette charrue; mais ils se sont bientôt réconciliés avec
elle. La terre dans laquelle elle a fonctionné est légère,
mais de celles qui tournent au genre de sol mixte nommé
loam sableux. Les sillons avaient 9 pouces de large (0m.22)
et 6 de profondeur (0 .15). »
m
La charrue-houe (houe à cheval) appelle ensuite notre
attention particulière ; c'est un des plus utiles dont le plan-
teur puisse faire usage (fig. 13).
Sa destination est de sarcler les plantes nuisibles et
d'ameublir la surface du sol entre les lignes de cannes. Elle
est munie de deux roues, l'une en avant, l'autre en arrière
des houes ; elles servent à régler la profondeur du travail.
On peut la faire fonctionner avec trois houes triangulaires
prenant chacune une largeur de 13 pouces 1/2 (0m.33), le
tout embrassant une largeur de 3 pieds 6 pouces (1m.05) à
la surface du sol ; on peut aussi resserrer les socs pour
prendre au besoin une moindre largeur. Les deux socs
de derrière peuvent aussi, comme le représente la figure,
Figure 13.
être remplacés par des lames courbes, pour trancher les
mauvaises herbes sur la longueur de la raie. Cet instru-
ment, d'une construction très simple, est fort usité en An-

398 DES INSTRUMENTS.
gleterre; il ne sera pas moins avantageux dans les planta-
tions de canne à sucre, pour nettoyer les intervalles entre
les lignes de cannes en détruisant la mauvaise herbe, et
ameublir la surface du sol autour des plantes.
L a houe à cheval expansible est un instrument construit
exprès en vue de l'agriculture coloniale ; il a déjà commencé
Figure 14.
à conquérir parmi les planteurs de canne à sucre une répu-
tation méritée (fig. 14).
P a r un mécanisme des plus simples, cet instrument peut
s'élargir ou se resserrer à volonté. L e planteur peut lui
donner une largeur de 5 pieds 1/2 à 6 pieds (l .65 à
m
l .80) s'il est nécessaire, ce qui a lieu quand il a planté
m
ses cannes en lignes espacées entre elles de 6 pieds (l .80),
m
tandis que, si la besogne l'exige, au moyen de pièces de
rechange, dents de herse ou socs, d'une forme particulière,
il modifie à volonté son action. P a r exemple l'instrument,
tel qu'il est représenté, est disposé pour extirper les mau-
vaises herbes et ameublir le sol entre les lignes de cannes;
en enlevant les dents de herse et les houes de l'instrument
figuré, pour les remplacer par de légers socs à biner, on
transforme l'instrument en une machine à biner capable de
donner entre les jeunes cannes deux ou trois binages avec

.
15
Figure


DES INSTRUMENTS. 401
autant de netteté et de régularité que si ce travail se faisait
avec la houe à la main.
Je considère cet instrument comme d'une telle utilité
pour le planteur, qu'il devrait s'en trouver dans toutes les
plantations ; il permet de faire à très peu de frais une b e -
sogne qui, comme on sait, lorsqu'on la fait faire à la main,
est aussi embarrassante que dispendieuse.
§ 4 . — Cultivateur indien breveté de Ransome. — Coupe-cannes
du même constructeur.
L'instrument suivant, d'une valeur particulière pour le
planteur, est le cultivateur indien breveté de Ransome (fig. 15).
Je me plais à reconnaître qu'il est en grande estime aux
Indes occidentales.
Cet instrument a obtenu les plus grands éloges, après
un examen approfondi; on le trouvera propre, dans la pra-
tique, à exécuter une foule d'opérations diverses. Il pénètre
le sol le plus dur, arrachant les racines et la mauvaise
herbe avec facilité et sûreté. S'il agit à angle droit sur le
sol à nettoyer, il le pulvérise à fond, sans qu'il soit néces-
saire de le labourer ; avec cet instrument, secondé par un
brise-mottes, toute espèce de terre peut être tenue propre
et bien ameublie. Les dents sont de fer forgé, avec les
pointes trempées ; on les renouvelle quand elles sont usées ;
étant construit entièrement en métal, le cultivateur indien
est très durable. Les pointes étant enlevées, on peut leur
substituer des houes qui prennent toute la surface du sol ;
et comme, par l'action du levier, la profondeur du binage
peut être réglée avec la plus grande précision, l'instrument
devient une véritable houe coupant avec beaucoup d'efficacité
26

402 DES INSTRUMENTS.
la mauvaise herbe sur son passage, sur une largeur de plus
de 3 pieds (environ 1 mètre).
Le conseil de la Société royale d'agriculture de la Ja-
maïque a si bien apprécié la régularité du travail du culti-
vateur indien et son utilité aux diverses phases de la cul-
ture de la canne, qu'il l'a adopté pour le faire figurer sur
ses médailles à distribuer aux vainqueurs dans les concours
agricoles, et qu'il a adressé un exemplaire de cette médaille
à MM. Ransome et May comme gage de son approbation
pour les efforts que font ces habiles fabricants dans le but
de perfectionner les instruments d'agriculture. Le cultiva-
teur indien breveté a été construit exprès pour l'usage des
planteurs de canne à sucre ; je suis heureux d'avoir à
exprimer à son égard une opinion entièrement conforme
à celle du conseil de la Société d'agriculture de la Ja-
maïque.
La dernière machine qu'il me reste à mentionner, entre
celles que construisent les mêmes fabricants, est le coupeur
breveté, pour les sommités des cannes.
Cette machine a été
faite tout exprès pour satisfaire à l'un des besoins des plan-
tations de canne à sucre ; on sait qu'aux Indes occidentales
les sommités des cannes sont généralement employées à la
nourriture des bestiaux ; mais j e dois faire observer encore
une fois que la pratique de faire servir ces sommités comme
fourrage est mauvaise sous tous les rapports et ne devrait
jamais être permise dans aucune exploitation. Je renou-
velle cette observation parce que je sais que le temps n est
pas éloigné où tout planteur sera convaincu de l'exactitude
de ce que j'avance ; mais quant à présent, et pour quelque
temps encore, je crains bien que cette coutume pernicieuse
ne reste en vigueur ; c'est pourquoi je mentionne ici une

D E S I N S T R U M E N T S . 403
machine qui ne devrait, dans aucune plantation, servir
pour l'usage qu'on en fait actuellement (fig. 16).
Figure. 16.
Quand les planteurs veulent s'en servir, comme de toute
autre du même genre, pour hacher non pas les sommités
des cannes, mais le fourrage destiné aux bestiaux, l'instru-
ment doit être approprié à la besogne qu'il doit exécuter.
Néanmoins, comme il y a toujours des planteurs qui em-
ploieront les sommités des cannes comme fourrage, et que
cette machine l'emporte assurément sur les autres de même

404 DES I N S T R U M E N T S .
espèce, j e ne puis me dispenser d'en donner une courte
description. Le coupeur de sommités de cannes est con-
struit tout en fer; il n'est pas sujet ainsi aux inconvénients
des machines construites en partie en bois. Il porte deux
lames; il coupe les cannes à la longueur d'un demi-pouce
(12 millimètres), et n'exige que des soins ordinaires pour
graisser d'huile et nettoyer au besoin les parties sujettes à
s'user. Il peut être mis en activitépar un ou deux ouvriers; sa
manœuvre n'exige aucune adresse; s'il est entretenu exempt
de pierres et d'autres corps étrangers, il est peu sujet à
s'endommager; l'expérience prouve au contraire que c'est
un instrument très durable.
Les supports seront tenus propres en les frottant d'huile
douce; les lames s'aiguisent très bien avec ce qu'on nomme
un affiloir à scies. On en fabrique de deux grandeurs ; le
plus petit a été envoyé à la Jamaïque comme échantillon ;
il porte la marque E ; le plus grand est marqué D. Une ma-
chine de ce genre épargne le travail souvent gaspillé pour
hacher à la main les sommités des cannes.
§ 5. — Machine à vapeur fossoyeuse de Blyth.
La machine que j ' a i ensuite à décrire est une machine à
vapeur à draguer, spécialement ajustée pour creuser, ap-
profondir et curer les canaux, et ouvrir des rigoles dans les
colonies de Démérary et de Berbice. Elle est construite chez
MM. J. et A. Blyth, de Limehouse, qui la montent dans
les dimensions et avec le degré de force qui leur sont de-
mandés selon les circonstances. La machine est établie sur
un bateau; elle flotte ainsi sur le canal à creuser ou à net-
toyer; elle se pousse elle-même, soit en avant, soit en ar-

DES INSTRUMENTS. 405
rière, au moyen de chaînes partant de l'avant et de l'arrière
du bateau, et retenues par des ancres .
1
Quand elle fonctionne, les seaux descendent à la p r o -
fondeur voulue dans la vase, et, en remontant, ils vident
leur contenu dans une gouttière inclinée qui la porte sur le
bord du canal où elle est déposée. Si l'on creuse un nouveau
canal, les racines et les souches des arbres existant sur l'em-
placement désigné doivent être préalablement arrachées et
enlevées. On creuse un espace d'une largeur suffisante pour
placer la machine, et on y introduit l'eau pour la mettre à
flot. Alors le bateau y est introduit et l'appareil est mis
en activité; il travaille en avançant et creuse le canal à la
profondeur voulue. Chaque fois que la machine s'est t r a n s -
portée elle-même jusqu'à l'ouvrage, les chaînes sont chan-
gées, de sorte qu'en un jour la machine peut agir sur plu-
sieurs fois la longueur des chaînes, exécutant ainsi à très
peu de frais une grande somme de travail
Pour ouvrir de nouveaux canaux et en nettoyer d'anciens
sur une grande échelle, l'emploi de cette machine écono-
mise sensiblement l'argent et le temps ; il ne me paraît pas
difficile de construire le bateau et la machine de manière à
les rendre propres à beaucoup d'autres usages, outre celui
qui vient d'être décrit.
§ 6. — Irrigateur de Baddeley.
J'ai mentionné ci-dessus une petite machine à incendies,
ou irrigateur, inventée par M. Baddeley; j ' a i maintenant
occasion d'en donner la figure (fig. 17).
( 1 ) La description ci-dessus suffit pour faire parfaitement com-
prendre la machine.

4 0 6 DES I N S T R U M E N T S .
C'est une machine simple, extrêmement bien construite,
soit pour éteindre les incendies, soit pour irriguer les
terres ; sous ce double rapport, elle peut rendre de grands
services dans les plantations de canne à sucre.
Figure 17.
J'appelle surtout l'attention sur cette machine en sa qua-
lité d'irrigateur ; car elle est admirablement bien appro-
priée aux exigences d'une terre qui doit être très abon-
damment irriguée. Quand elle fonctionne avec un moulin
à vent ou une pompe à vapeur, ainsi que je l'ai conseillé
ci-dessus, elle distribue l'eau à la surface d'un champ avec
plus de régularité, de promptitude et d'économie qu'on ne
pourrait le faire par tout autre procédé.
Dans les plantations qui ont adopté et mis à exécution
un système de conduites d'eau permanentes au moyen de
tuyaux, un petit nombre de ces irrigations, prenant posi-
tion aux différentes nauds placées le long des tuyaux, dis-
tribuent l'eau sur le sol à leur portée, d'une façon très

DES INSTRUMENTS. 407
expéditive; on les transporte de naud en naud, jusqu'à ce que
toute la besogne d'irrigation soit terminée. Sa construction
étant très légère, trois ouvriers peuvent l'entraîner avec
eux successivement d'un bout à l'autre du champ, près de
chaque regard communiquant avec les tuyaux ; ils placent
le tube d'aspiration de l'irrigateur dans l'eau, puis ils font
agir la pompe et répandent l'eau tout autour d'eux, soit en
jet mince, soit sous forme de pluie.
Il est évident que, si des pompes ordinaires puisaient l'eau
aux puits, étangs ou rivières, débitant, par exemple, 500 gal-
lons d'eau à la minute, il faudrait beaucoup de monde pour
distribuer une telle quantité d'eau à la surface des champs
d'une manière satisfaisante. Avec deux ou trois irrigateurs
manœuvres chacun par trois ouvriers, le travail peut être
exécuté avec autant de perfection que d'économie.
Le prix d'un de ces irrigateurs, pouvant être très faci-
lement manœuvré par trois hommes, n'est que de 25 livres
sterling (625 francs) ; le principe admirable sur lequel est
basée sa construction garantit sa marche régulière et son
service durable. On garantit que l'appareil se prête à la
besogne la plus rude de l'exploitation, sans crainte de l'en-
dommager; aucune partie n'exige plus de soin qu'on n'en
accorde ordinairement à une roue de charrette.
§ 7 . — Description de la machine à niveler.
J'ai parlé pages 111 et 115 de l'emploi d'une machine
à niveler pour aplanir les billons des champs de cannes et
recevoir la bagasse et les débris des cannes. J'en décrirai
ici sommairement la construction et l'action spéciale. La
machine consiste en un rouleau de fer, peu différent de

408 DES I N S T R U M E N T S .
celui en usage dans les jardins ; deux bras sont fixés à son
châssis en avant du rouleau ; ils rassemblent les débris de
cannes et les disposent de façon à ce qu'ils éprouvent la
compression du rouleau; deux coutres ou deux socs de
charrue suivent immédiatement le rouleau ; ils enlèvent de
chaque côté une bande de terre que deux versoirs rejettent
sur les débris de cannes en les couvrant avec beaucoup de
régularité.
Ainsi, quand les cannes sont plantées en lignes espacées
de 6 pieds (1 .80) elles recevront, par plusieurs buttages
m
successifs, des quantités de terre qui finiront par formera
leur base des billons d'environ 3 pieds (0m.90) au niveau
du sol, 1 pied 1/4 (0 .37) au sommet, et 2 pieds 1/2
m
(0 .75) de haut. L'espace libre entre le bas des billons ne
m
sera donc pas de plus 3 pieds (0 .90), ce qui s'accorde
m
avec la largeur du rouleau. Quand un champ de cannes est
récolté et que les feuilles et les débris de toute sorte sont
étendus au fond des raies comme j e l'ai conseillé (pages 96,
110-112, 118, 267-269), la machine étant introduite dans
les intervalles des billons, et ses coutres ou socs convena-
blement ajustés, l'instrument pouvant s'élargir à volonté,
le rouleau passe par-dessus la masse de débris de cannes et
la comprime ; puis les socs coupent sur les bords des billons
une bande de terre suffisante, qu'ils font retomber sur les
débris de cannes pour les couvrir. A chaque tour, ou écarte
un peu plus les socs, dans le but d'entamer davantage les
billons, jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'un peu de terre qu on
achève d'abattre avec la houe à main, ainsi que je l'ai dit
page 115. L'instrument avance ainsi le long des raies, dans
un sens en allant, dans l'autre sens en revenant, toujours
avec un peu plus d'écartement à chaque fois, jusqu'à ce que

DES INSTRUMENTS. 409
tout le champ soit aplani. Je crois nécessaire de dire que
je n'ai jamais vu fonctionner cette machine; c'est un appa-
reil que j'ai imaginé pour ce travail spécial; je suis ferme-
ment convaincu que l'expérience en démontrera les avan-
tages, et, s'il en est ainsi, il en résultera économie de temps
et d'argent dans les travaux d'une plantation.
En terminant ce chapitre, je crois nécessaire de revenir
sur quelques observations que j'ai présentées pages 176-179,
et d'en ajouter quelques autres, relatives au transport des
cannes, et à l'épandage de la bagasse et des fumiers ou
amendements, au moyen de la chaîne sans fin mise en jeu
par la machine à vapeur portative et ceux qui la dirigent.
Au lieu d'accrocher à la chaîne, ainsi que je l'ai supposé,
les bottes de cannes et les autres objets à déplacer, il serait
mieux et plus commode de faire servir cette même chaîne à
traîner de légères charrettes mentionnées à la page 109.
Ces charrettes, au moyen de la machine à vapeur et de sa
chaîne, voyageront le long des raies, jusqu'à ce qu'elles
aient pris leur charge de cannes; en faisant agir les ma-
chines en sens inverse, elles seront ramenées au bord du
chemin et vidées ; puis elles retourneront prendre un autre
chargement, jusqu'à ce que les chariots stationnés sur le
chemin soient chargés; alors la locomotive les remorque
jusqu'au moulin de la sucrerie.
On emploie le même procédé pour l'épandage de la ba-
gasse, du sable, des engrais; seulement, dans ce cas, les
chariots partent chargés et reviennent à vide.
§ 8 . — Utilité des chemins de fer dans les plantations. —
Frais qu'ils nécessitent.
J'ai parcouru toute la série des détails qui se rattachent

4 1 0 DES INSTRUMENTS.
à la culture de la canne à sucre ; avant d'aborder la partie
de mon sujet qui traite de la fabrication des produits de la
canne, quelques observations me semblent nécessaires sur
la nécessité d'avoir dans une plantation de canne à sucre,
des rails mobiles ou des transways.
Profondément convaincu de l'importance de ce moyen de
transport, j ' a i consulté à ce sujet, plusieurs ingénieurs d'un
mérite reconnu; je me suis informé près d'eux du système
de rails le meilleur et en même temps le moins coûteux à
établir. Les résultats indiqués ci-dessous m'ont été obli-
geamment fournis par MM. J . et A . Blith, ingénieurs
justement célèbres, et fabricants de machines à Lime-
House.
Un grand principe qu'il est nécessaire d'admettre, c'est
qu'il ne faut pas que chaque wagon en particulier employé
sur un chemin de fer mobile reçoive une charge de plus
d'une tonne (environ 1,000 kilogrammes); 3, 4 ou même
6 wagons attachés à la suite l'un de l'autre doivent être
employés à la fois ; il y aura par ce moyen une charge de
3, 4 ou 6 tonnes répartie sur une longueur considérable
de rails, ce qui rendra possible l'emploi de rails légers,
faciles à déplacer. Les calculs suivants sont établis sur
cette base.
Les barres longitudinales, ou rails, ont chacune 12 pieds
de long ( 3 . 6 0 ) ; ils pèsent 36 livres ( 1 5
1 2 ) , ce qui
m
k i l o g r .
donne, pour une longueur d'un mille, un poids de 14 ton-
nes (14,000 kilogrammes). Ces rails reposent sur des pie-
ces plates en fer forgé, de 6 pouces de large (0m.15) et
d'un huitième de pouce d'épaisseur (environ 3 millimè-
tres), pesant environ 8 livres chacun ( 3
. 3 2 ) . La lon-
k i l o g r
gueur des rails étant de 12 pieds ( 3 . 6 0 ) , chaque rail
m

D E S INSTRUMENTS. 411
reçoit 3 de ces pièces plates pour support, une à chaque
extrémité et une au centre ; chacune supporte p a r consé-
quent une longueur de 6 pieds ( l . 8 0 ) . Le poids des plaques
m
servant de support est par conséquent d'environ 5 tonnes,
(5,000 kilogrammes) par mille de longueur, ce qui, ajouté
aux 14,000 kilogrammes du poids des rails, donne un total
de 19,000 kilogrammes pour un mille d'un tel chemin de
fer. Au prix de 12 livres sterling la tonne (300 francs les
1,000 kilogrammes), cette qualité de fer, prise en Angle-
terre, revient à 228 livres sterling (5,700 francs). Les rails
sont maintenus par des écrous vissés ; lorsqu'ils sont posés,
leur intervalle est de 3 pieds (0 .90).
m
§ 9 . — Système de chemins de fer pour les plantations.
Pour réaliser ce système avec facilité et économie, j e
prendrai l'hypothèse d'une plantation de 640 acres (256 hec-
tares) cultivées en canne ; pour plus de clarté, j e suppose
le terrain carré et les bâtiments au centre. Ceci nous donne
un mille carré, que nous diviserons en 10 bandes par des
lignes de rails parallèles entre elles, à la distance d'environ
258 pieds (158 .40), soit à 2 acres et demie. Toutes ces l i -
m
gnes sont reliées entre elles par une ligne transversale
menée par le centre de la plantation, passant tout à côté de
la sucrerie, précisément devant le moulin. Mais 10 lignes
de rails coûteraient excessivement cher à établir dans leur
entier; il sera plus économique d'avoir des plaques de
support pour une longueur de 5 milles seulement, ce qui
coûtera en tout 636 livres sterling, (15,900 francs). Les
plaques pour 5 milles de long peuvent toujours être enlevées,
et posées, selon le besoin, d'une ligne sur une autre, ainsi

412 DES INSTRUMENTS.
que leurs rails. Aussi, lorsqu'il s'agit d'enlever une récolte
de cannes sur les champs les plus éloignés de l'habitation,
une longueur de chemin de fer d'un mille est plus que suf-
fisante ; il en reste autant de disponible à placer partout
où l'on peut en avoir besoin pour les autres travaux de
l'exploitation. Lorsqu'on veut déplacer les plaques et les
rails, quatre ouvriers, avec une charrette attelée d'une mule
ou de deux bœufs, peuvent, en une journée de travail, en-
lever et remettre en place ailleurs une ligne de la longueur
d'un demi mille (environ 830 mètres). La charrette, soit pour
emporter, soit pour replacer les rails, roulera toujours sur
le chemin de fer, et pourra transporter à chaque voyage
une tonne et demie de rails et de plaques (1,500 kilogram-
mes). Deux ouvriers sont occupés à visser et à dévisser les
écrous, tandis que les deux autres enlèvent les pièces de
fer et les chargent sur la charrette, ou les ajustent sur le
terrain ; si l'un d'entre eux va plus vite que ses camarades,
il les aide dans leur besogne.
J'ai dit que, pour les supports nécessaires à une longueur
de 5 milles, la dépense monterait à 636 livres sterling
(15,900 francs), y compris les rails du double de longueur.
Je suppose que, pour les pièces courbes et les pièces de
remplacement, rails, plaques, coussinets, écrous, fiches,
il faut ajouter 64 livres sterling (1,600 francs), et, pour le
transport par mer et les autres frais accessoires, 100 livres
sterling (2,500 francs), ce qui porte le total des dépenses a
800 livres sterling (20,000 francs).
Pour compléter ce système de transports, il faut encore
trois locomotives à vapeur roulant sur les lignes de rails,
chacune de ces machines, au temps de la récolte des cannes,
amènera les bottes de cannes au bord des chemins ; elle

DES INSTRUMENTS. 413
distribuera le marc de cannes sur les champs, comme je l'ai
recommandé pages 176-179; elle amènera de plus les cha-
riots du moulin aux champs et les ramènera des champs au
moulin, ou bien elle rendra en cas de besoin toute sorte
d'autres services. Trois locomotives, chacune de la force de
6 chevaux , peuvent, si l'on a affaire à un fabricant rai-
1
sonnable , coûter 1,000 livres sterling (25,000 francs).
Cette somme, ajoutée à celle de 800 livres sterling formu-
lée ci-dessus, porte le total à la somme de 1,800 livres ster-
ling (45,000 francs).
Ici se présente la question : Que nous reviendra-t-il de
cette dépense ? Il est évident qu'elle nous donnera des
moyens de transport énergiques et rapides pour l'enlève-
ment des cannes et le charriage du marc frais de cannes,
du sable, des engrais et amendements, ou de n'importe quels
autres objets ; si bien que, disposant de trois bonnes machi-
nes , se portant elles-mêmes là où l'on en a besoin, nous pour-
rons exécuter tous les travaux mentionnés pages 173-174.
excepté le 1 4 . Il est également évident que nous sommes
e
débarrassés du nombreux troupeau de bêtes à cornes ordi-
nairement entretenu dans chaque plantation de cannes à
sucre. Si l'on se reporte aux pages 93 et 99, on voit com-
bien coûte la nourriture du bétail à la Jamaïque, même
lorsqu'on suit à cet égard le système le meilleur et le plus
économique ; on trouve qu'une somme de 300 livres ster-
ling par an (7,500 francs) est nécessaire pour l'entretien
d'un nombre d'animaux de service suffisant pour une cul-
ture de cannes d'une étendue de 150 acres (60 hectares).
(1) Elles sont nominalement de 6 chevaux; mais on peut eu ob-
tenir un service réel de 8 ou 10 chevaux de vapeur.

4 1 4 DES I N S T R U M E N T S .
Avec les trois locomotives et les rails pour leur circulation,
on peut tenir en parfait état de culture 640 acres (256 hec-
tares) et enlever sans aucune espèce de difficulté toute
la récolte d'une culture de cette étendue. La dépense pre-
mière n'exige pas une somme énorme, et comme il en ré-
sulte des économies réelles dans toutes les branche de l'ex-
ploitation, j e suis convaincu que, dès la seconde année, les
avances seraient remboursées par ces mêmes économies.
Je dois aussi faire remarquer qu'en leur accordant les soins
qu'ils réclament, les rails de fer peuvent être préservés de
toute dégradation par la rouille et durer par conséquent un
temps indéterminé.

CHAPITRE VII.
De la construction et de l'arrangement d'une fabrique de sucre
et de rhum, comprenant la description du m o u l i n , de la
sucrerie, de la distlillerie, et des machines et appareils en
usage pour cette fabrication.

§ 1 . Construction d'une fabrique de sucre et de rhum.
e r
— Ses dispositions particulières.
Le premier point à traiter quant à l'établissement des
bâtiments d'exploitation, c'est la forme et la disposition
particulière des constructions à élever. Il faut s'assurer
avant tout d'un local suffisamment spacieux, bien que d'un
seul tenant, afin que chaque division conserve p a r rapport
aux autres le degré de proximité désirable, et que l'ensem-
ble puisse être à la fois et d'aussi près que possible sous
l'œil du directeur.
A la Jamaïque, il est très rare de trouver deux planta-
tions dont les bâtiments d'exploitation offrent les mêmes
dispositions ; les constructions de l'ancien temps, sous le
régime de l'esclavage, se trouvent être une pierre d'a-
choppement sérieuse, aujourd'hui que la main-d'œuvre est
rare et chère, et que le planteur doit lutter énergiquement
contre la concurrence. Plus les dispositions sont ration-
nelles, mieux les divers locaux sont agglomérés, plus il en
résulte de facilité et d'économie dans les détails d'exécu-
tion des travaux. Il me serait difficile de tracer un plan de

416 DE LA CONSTRUCTION D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM.
sucrerie qui convînt en particulier aux plantations des
Indes occidentales ; quand j ' a i quitté cette partie du monde,
personne n'y suivait à cet égard un plan uniforme ; chacun
semblait, au contraire, avoir son arrangement à lui pour sa
sucrerie.
Il n'en est pas tout à fait de même à l'île Maurice et dans
les colonies des détrois malais ; on y donne en général la
préférence à des bâtiments longs et étroits avec la chau-
dière à vapeur en entrant, ensuite la machine et le moulin,
puis les lignes de clarificateurs et de chaudières, le local
de la purgerie, et, tout à l'extrémité, la distillerie. Comme
on le pense bien, ces bâtiments doivent avoir une longueur
démesurée, si bien que le planteur, quoiqu'il puisse voir
d'un bout à l'autre, aurait besoin d'un bon télescope pour
distinguer ce qui se fait à une extrémité tandis qu'il se trouve
à l'extrémité opposée. C'est toujours avec surprise que
j ' a i vu un planteur adopter une forme si incommode pour
les bâtiments de son exploitation ; il en résulte un grave
accroissement d'embarras et de main-d'œuvre, cause iné-
vitable d'augmentation dans l'ensemble de la dépense. Je
donnerai ici deux plans offrant l'un et l'autre plusieurs
avantages.
§ 2. — Plan d'une fabrique perfectionnée.
Le plan que représente la figure 18 est celui d'une su-
crerie pouvant faire en une journée de 12 heures 5,000
kilogrammes de sucre bien cuit. La partie du bâtiment
occupée par la purgerie et la distillerie a 85 pieds de long
sur 40 pieds de large ( 2 5 . 5 0 sur 12 mètres) ; l'autre par-
m
tie, occupée par le moulin et les chaudières, a 80 pieds de

Figure 18.
27


DE LA CONSTRUCTION D ' U N E FABRIQUE DE SUCRE ET DE R H U M . 419
long sur 36 de large ( 24 mètres sur 1 0 . 8 0 ) . Deux moulins
m
sont réunis dans le même local, ou plutôt ce sont d'une
part trois cylindres, et de l'autre deux cylindres seule-
ment.
Le j u s exprimé s'écoule dans le montejus, qui le fait mon-
ter dans une gouttière à une hauteur suffisante pour qu'il
coule de là dans un des trois clarificateurs, d'où il passe
dans les précipitateurs ; puis la liqueur est dirigée par la
gouttière dans les évaporateurs, où elle est cuite jusqu'à con-
sistance de sirop ; elle est alors transvasée par les conduits
souterrains dans le second montejus ; celui-ci la fait monter
dans un second récipient, placé au-dessus de lui assez haut
pour procurer son écoulement par une gouttière dans le fil-
tre au charbon, près de la chaudière de la machine. Là le si-
rop est décoloré, et, passant à travers les filtres, il tombe dans
les récipients immédiatement au-dessous, d'où il est dirigé
par la gouttière dans les appareils à concentrer désignés
sur la planche sous le nom de wetzals. Cette espèce d'ap-
pareil a été introduit il y a quelques années à l'île Bourbon,
d'où il a passé à l'île Maurice, dont les planteurs l'ont
adopté, puis enfin dans la province de Wellesley, où il est
généralement en usage. On le nomme cuve de Wetzal, ou
appareil de concentration, du nom de M. W e t z a i , qui le
premier en a propagé l'emploi à l'île Bourbon. On connaît
la même cuve en Angleterre sous le nom de cuve brevetée
de Gadesden,
mais j'ignore quel en est le véritable inven-
teur.
De la cuve de concentration, le sirop est transporté dans
la purgerie, et déposé dans des vaisseaux appropriés à cet
usage. Dans ce cas, la chaudière fait agir la machine, en-
voie de la vapeur au wetzai vers le précipitateur, met en

420 DE LA CONSTRUCTION
activité le montejus au besoin, et nettoie les filtres à char-
bon en y injectant de la vapeur aussi souvent qu'il est né-
cessaire.
Les évaporateurs sont supposés être en tôle, à fonds plats ;
chaque rangée contient 1,600 gallons de liqueur; ils sont
chauffés par des foyers selon la méthode ordinaire. L'air
chaud, en quittant les évaporateurs, passe sous les clari-
ficateurs, quand ceux-ci doivent être chauffés ; sinon il
s'échappe par la cheminée directement. Les clarificateurs
ont des dampas et des foyers ; ces derniers servent à
chauffer les cuves avant qu'on allume les fourneaux des
lignes d'évaporateurs. Les précipitateurs ont chacun un
foyer séparé ; ils n'ont pas de rapport avec la cheminée des
foyers des évaporateurs.
La cuve wetzal, placée p r è s de la machine, est chauffée
par la vapeur qui s'en échappe, toutes les fois que la ma-
chine à vapeur est en activité. Ces cuves sont remuées par
une courroie qui passe de la machine sur la roue à tam-
bour. Si les deux wetzals ne peuvent pas concentrer le sirop
assez vite pour marcher de concert avec les évaporateurs,
rien n'est plus facile que d'établir un troisième wetzal tout
à côté de la purgerie.
Il n'y a qu'une cheminée pour toute la sucrerie ; elle sert
à, la fois pour les évaporateurs, les défécateurs et la chaudière
de la machine.
Le conduit aux écumes fait arriver les écumes des éva-
porateurs avec les écumes et la lie des défécateurs dans les
trois réservoirs aux écumes de la distillerie ; on les utilise
pour la fabrication du rhum.
La distillerie renferme vingt citernes à fermentation,
creusées dans la terre ; elles contiennent chacune 1,000 gal-

D ' U N E FABRIQUE DE SUCRE ET D E RHUM. 42l
lons; on voit à l'extérieur l'alambic avec deux serpentins,
le worm-tank et deux réservoirs à dunder ; ces deux der-
niers ont directement au-dessous d'eux deux autres réser-
voirs semblables.
Dans ce plan, l'ensemble des parties de détail est agglo-
méré et en relations bien ordonnées; chaque partie com-
munique avec l'autre d'une manière simple et facile ; la
main-d'œuvre est économisée, la besogne est plus promp-
tement expédiée.
Devant entrer ultérieurement dans des explications plus
détaillées, j'exposerai un autre plan dont l'exécution exige
la mise dehors d'un capital plus considérable, mais qui
présente sur le précédent une supériorité réelle.
La construction figurée figure 19 a la forme d'une croix ;
chaque aile de bâtiment est appropriée à une destina-
tion spéciale, elles renferment le moulin, les chaudières,
la purgerie et la distillerie. Il y a d'abord trois chau-
dières à vapeur, pour faire marcher la machine et pour
fournir la vapeur à tout l'établissement. La machine, de la
force de 16 chevaux, fait agir le moulin et la pompe à air
de l'appareil d'évaporation dans le vide; le moulin, comme
dans la figure 18, est pourvu de deux cylindres supplémen-
taires ; le jus exprimé coule dans le montejus, qui l'élève jus-
qu'au récipient, d'où il coule dans les clarificateurs. Le j u s
clarifié est conduit dans les précipitateurs, qui, aussi bien
que les clarificateurs, fonctionnent par la vapeur. Le jus de
cannes clarifié est dirigé par la gouttière dans les évapora-
teurs ; ceux-ci consistent en six bassins de tôle chauffés
par la vapeur et contenant chacun 450 gallons. Quand le
liquide a pris la consistance de sirop, il passe dans le réci-
pient (indiqué par les lignes brisées), puis il s'élève par le

422
DE LA CONSTRUCTION
montejus dans le filtre à charbon, d'où il passe dans l'ap-
pareil d'évaporation dans le vide, afin d'être concentré.
Figure 19.
Cette opération étant terminée, le sirop concentré s'écoule

D ' U N E FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 423
dans les granulateurs et est mis définitivement dans les
1
formes de la purgerie.
Il y a dans la distillerie quatre récipients pour les écumes,
deux au-dessus et deux au-dessous, ce qui fait que deux
seulement sont visibles dans le plan; ils sont indiqués par
les lignes brisées marquées S R .
La distillerie contient ensuite seize cuves à fermentation
creusées en t e r r e ; chacune d'elles contient 1,560 gallons.
Le plan indique pour les dimensions du magasin au rhum
16 pieds de large sur 36 de long ( 4 . 8 0 de large sur 1 0 . 8 0
m
m
de long) ; bien que ces dimensions semblent petites, elles
sont suffisantes dans l'état actuel des choses, le rhum étant
vendu le plus tôt possible après qu'il est fabriqué.
L'alambic figuré est l'appareil distillatoire breveté de
Shear ; les récipients pour les résidus en ont au-dessous
d'eux deux autres de mêmes dimensions, d'où ces résidus
sont pompés lorsqu'ils sont un peu refroidis.
Après cette description sommaire de la forme et des dis-
positions générales que j e considère comme les mieux en
harmonie avec les exigences d'une exploitation sucrière,
je donnerai séparément un aperçu de chaque division. La
première est celle qui renferme le moulin, comprenant la
force motrice qui le fait marcher, et le corps du moulin lui-
même.
§ 3 . — Force motrice pour le moulin. — Eau. — Vent. —
Bêtes d'attelage. — Vapeur.
La force motrice peut être l'eau , le vent, les bêtes
d'attelage ou la vapeur. Les circonstances locales indi-
(1) La vapeur perdue de la machine peut être utilisée pour chauf-
fer les granulateurs, s'il en est besoin.

424
DE LA CONSTRUCTION
quent à laquelle de ces forces il convient d'accorder
la préférence. L'eau est sans contredit la meilleure de
toutes les forces motrices qu'on puisse désirer pour le
moulin d'une sucrerie; c'est la moins coûteuse, la plus
sûre, la plus facile à diriger, et aussi la plus durable de
toutes ; c'est en outre la plus précieuse ; car, après avoir
servi de propulseur aux machines, l'eau peut être conduite
sur les terres et appliquée à un bon système d'irrigation.
La forme des roues hydrauliques offre seulement deux ca-
ractères bien tranchés : celui de la roue hydraulique ordi-
naire, recevant l'eau par-dessous ou par-dessus, ou par un
diaphragme, et celui de la roue horizontale de Whitlaw et
Stirratt.
La forme de roue hydraulique frappée par-dessous est
peu avantageuse, sauf dans quelques circonstances parti-
culières, et il est très rare qu'elle fonctionne d'une manière
satisfaisante. La roue à diaphragme tient le milieu, quant
à sa force et à sa valeur, entre la roue hydraulique frappée
par-dessous et celle frappée par-dessus; dans certains cas,,
elle fait un très bon service; mais la forme la meilleure est
celle de la roue qui reçoit l'eau par-dessus, parce que l'eau
agit sur elle de tout son poids, avec le plus possible d'effet
utile. On a beaucoup parlé, depuis quelques années, de la
roue horizontale de Whitlaw et Stirratt comme étant non-
seulement égale, mais encore fort supérieure, à la roue hy-
draulique recevant l'eau par-dessus ; j e ne puis me résoudre
aisément à croire qu'il en soit ainsi. La description abrégée
que je vais en donner servira au lecteur pour se faire
une idée de sa forme et de sa manière de fonctionner. Sur
une bonne maçonnerie, une solide fondation dans le sol,
repose une solide boîte de fer, ou récipient, au centre du-

D ' U N E FABRIQUE DE SUCRE ET D E RHUM. 425
quel est ajusté un tube creux vertical, parfaitement étan-
che, faisant partie de l'arbre (ou flèche) du moulin ; son
extrémité supérieure joue dans un support approprié à su
forme et muni d'un châssis. Le récipient (ou la boîte) a
aussi un tube bien ajusté qui conduit l'eau au récipient,
n'importe de quelle hauteur elle lui arrive; l'eau monte de
là à travers le tube creux vertical de la flèche, et s'échappe
au moyen de deux, trois ou quatre bras dont est munie la
flèche à sa partie supérieure. Les bras creux ont une courbe
particulière qui leur permet de transmettre l'eau avec l'effet
désiré ; ils sont aussi munis de soupapes d'une construc-
tion particulière, ajustées pour faire les fonctions de régu-
lateurs et régler la vitesse d'action de la machine. Pour
mettre l'appareil en mouvement, on hausse le coulant du
tube qui fournit l'eau ; tout aussitôt l'eau s'élance dans la
boîte, monte dans la flèche creuse, et passe à travers les
bras creux courbés, en communiquant, en raison du carac-
tère particulier de la courbure et de la disposition des sou-
papes, un mouvement de rotation à la machine, mouvement
qui prend en quelques minutes une grande rapidité. A la
base ou à toute autre partie de la flèche, est fixée une roue
dentée, qui s'engrène dans une autre appartenant à n'im-
porte quelle machine à mettre en mouvement, et lui com-
munique la force. C'est, sous tous les rapports et pour
toutes les destinations, une machine centrifuge dont le prin-
cipe a été très ingénieusement ot très adroitement appli-
qué ; le poids de l'eau employée est utilisé de manière à
produire le plus grand effet possible selon les circonstances ;
tous les détails de son agencement sont calculés pour pro-
duire aussi peu de frottement que possible d'après sa forme
particulière et la disposition de ses parties. Je n'ai jamais

426
D E L A C O N S T R U C T I O N
vu une de ces roues, si ce n'est en dessin ; mais j'ai com-
pulsé un grand nombre de rapports quant à son prix et à
la somme de force qu'on en obtient comparativement avec
la roue ordinaire recevant l'eau par-dessus ; j ' e n ai conclu
qu'il était très douteux que cette roue fût capable de pro-
duire, pour cent du capital qu'elle coûte à établir, plus de
force qu'on n'en obtient d'une roue hydraulique recevant
l'eau par-dessus.
Aux Indes occidentales, particulièrement à la Jamaïque,
les roues hydrauliques sont très communes; quelques-unes
ont une grande puissance, même de la manière dont elles
sont actuellement construites. Mais, si les pièces en fer de
ces roues étaient fabriqués en Angleterre et expédiées de
là à la Jamaïque, nul doute qu'il n'en résultât une diminu-
tion matérielle de poids et de frottement, et une augmenta-
tion de force utile. J'ai habité à la Jamaïque une plantation
où la sucrerie marchait au moyen d'une roue hydraulique
recevant l'eau par-dessus, ajustée à la mode de l'ancien
temps , moitié bois, moitié fer, à un moulin vertical; néan-
moins ce moulin, avec toutes ses imperfections, nous four-
nissait du j u s de cannes de quoi faire en six jours 32 tonnes
de sucre (32,000 kilogrammes), et il en aurait pu donner
encore plus si les chaudières avaient pu marcher aussi vite
que lui dans la fabrication du sucre.
Les frais de premier établissement (au moins à la Ja-
maïque) sont considérables pour une roue hydraulique; mais
si la roue est bien construite et convenablement ajustée, son
service, est simple, économique, durable, en même temps
qu'uniforme et très actif. Je pense que, partout où il n'est
pas possible d'établir dans de bonnes conditions une roue
hydraulique recevant l'eau par-dessus , c'est à la roue

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 427
horizontale de Whitlaw et Stirratt qu'il faut avoir recours.
Le vent est une autre très puissante force motrice que les
planteurs ont voulu de temps à autre utiliser; ainsi l'on
peut voir à la Jamaïque, et dans les autres îles des Indes
orientales, de nombreux moulins, les uns actuellement en
activité, les autres dans cet état de dégradation où sont
tombées tant de belles plantations dans nos colonies de
l'Ouest. Quand les tours supportant les moulins sont en-
core solides, on a bientôt fait de les mettre en état soit
de fonctionner conjointement avec les moulins mus par la
vapeur ou par des animaux d'attelage, soit séparément,
comme dépendances de ces moulins. Aucune plantation ne
peut compter exclusivement sur le travail des moulins à
vent; aussi, partout où il y en a un, il y a à côté un moulin
mu par la vapeur ou par les animaux d'attelage La dépense
de construction d'un moulin à vent est tellement élevée et
son travail tellement incertain que, de nos jours, peu de
planteurs ont seulement la pensée d'y recourir ; mais il faut
savoir que le seul genre de moulins à vent dont on ait fait
l'essai dans cette colonie, c'est le moulin vertical, celui de
tous qui coûte le plus à élever et à entretenir. Cependant,
plus d'un moulin à vent de forme horizontale, breveté,
semble promettre aux planteurs de meilleurs résultats. L'un
de ces moulins, celui de Stace et Vallame, paraît être su-
périeur aux autres ; celui de Biddle, qu'il nomme machine
éolienne, le suit dans l'ordre de mérite. L'un ou l'autre de
ces deux moulins, de la force de 4 chevaux , peut être
acquis au prix de 25 livres sterling (625 francs). Je n'ai
pas de renseignements exacts quant au prix de ceux d'une
force plus grande ; mais j ' a i sous les yeux une lettre de l'un
des inventeurs, M. Stace, dans laquelle il écrit qu'il peut

428 DE LA CONSTRUCTION
livrer au prix de 25 livres sterling (625 francs) ces moulins
à vent, considérés comme ayant une force de 4 chevaux
sous l'action d'un vent modéré. D'après cette donnée,
j e ne doute pas que le prix d'un moulin de la force de
16 chevaux , également sous l'action d'un vent modéré, ne
doive pas dépasser 100 livres sterling ( 2,500 francs). Si
l'on peut acquérir pour ce prix un moulin à vent construit
en conscience, solide et actif, de la force de 16 chevaux,
je pense que toute plantation dans une situation favorable
pour recevoir le vent devrait avoir un de ces moulins, pou-
vant aussi marcher par le travail des animaux ou par la va-
peur. Je pense qu'on peut trouver en lui un très utile auxi-
liaire, qui donnera souvent de l'occupation aux bœufs et
aux mulets, là où l'on s'en sert encore, et qui, là où l'on se
sert de la force de la vapeur, épargnera souvent beau-
coup de combustible. J'ai vécu longtemps sur une planta-
tion où j ' a i vu maintes fois un moulin à vent fonctionner du
matin jusqu'au soir. Toutefois, à la Jamaïque, la brise de
mer se lève de neuf à dix heures dans la matinée, et dure
jusque vers quatre ou cinq heures de l'après-midi, ce qui
donne six à sept heures de vent pour faire tourner le mou-
lin. Cette brise de mer est très constante et souvent aussi
très forte, comme tout planteur le sait. Je comprends, par
conséquent, la grande économie de combustible résultant de
l'utilisation de cette force ainsi que ses autres avantages, et
cet objet mérite, je pense, la sérieuse attention du planteur.
Considérons ce sujet au point de vue pratique, et sans
prévention ; supposons, par exemple, une plantation ayant
un moulin et une machine à vapeur de la force de 10 à
13 chevaux; admettons encore que cette plantation soit
à la Jamaïque ou dans tout autre pays où le combustible

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 429
soit cher, et où l'on ait souvent à sa disposition un bon vent
suffisamment permanent. Pour extraire le sucre d'une r é -
colte considérable de cannes, travail qui dure peut-être
cinq à six mois, si tous les trois ou quatre jours la machine
à vapeur peut être suppléée par le moulin à vent auxiliaire,
on aura économisé, sur cinq ou six mois, un mois plein et
au delà de dépense en combustible pour la production de la
vapeur; on aura de même épargné le temps qu'aurait dû
employer le mécanicien ou le nègre chargé de ce soin, à
surveiller, nettoyer ou faire réparer les diverses parties de
la machine à vapeur. Dans bien des localités, à la Jamaïque,
il n'est pas rare d'avoir, un mois de suite et même plus
sans interruption, une bonne brise presque toute la jour-
née ; cette brise est quelquefois si faible qu'elle aurait peu
de force pour faire tourner le moulin à vent ; mais il est
également certain qu'une forte brise règne souvent, même
plusieurs jours de suite. Chaque journée où souffle une brise
soutenue, à l'époque de la récolte des cannes, donne donc
lieu à une notable économie, dans une plantation qui a,
outre sa machine à vapeur, un moulin à vent auxiliaire. Il
ne peut pas y avoir la moindre difficulté à établir un moulin
à vent horizontal de manière à pouvoir à volonté établir
ou interrompre ses communication avec le moulin de la
sucrerie, mu par la machine à vapeur ; il n'y a pas non plus
de difficulté à établir ou interrompre la communication du
moulin de la sucrerie de la même manière avec la machine
à vapeur. Les moulins à broyer les cannes et les machines
à vapeur perfectionnées sont actuellement très répandus ;
ces appareils peuvent à la minute être arrêtés ou remis en
activité; par l'arrangement le moins compliqué, le moulin
à vent peu être disposé de manière à reprendre les fonctions

4 3 0 DE LA CONSTRUCTION
de la machine, au moment même où le vent commence à
souffler. La force de ces arguments ressort encore plus évi-
dente peut-être, là où le travail du moulin de la sucrerie se
fait par des bœufs ou des mulets. On ne perdra pas de vue
qu'il s'agit exclusivement ici du moulin à vent horizontal,
et non du moulin vertical. Mes observations à ce sujet
s'appliquent à quelques parties de l'Inde et des colonies des
détroits malais, mais non pas avec la même étendue, le bois
de chauffage étant très abondant dans les colonies des dé-
troits et dans plusieurs parties de l'Indostan.
La force des animaux d'attelage appliquée aux moulins à
sucre a été d'un usage très commun ; j e ne doute pas qu'elle
ne le soit encore ; des troupeaux de bêtes à cornes et de
mulets étaient entrenus dans les plantations pour cette
destination et pour plusieurs autres, avec des frais énormes,
frais résultant non-seulement de la perte de ces animaux
par la mort ou par d'autres circonstances analogues (rela-
tées au commencement du chapitre III), mais encore du
désavantage positif de la fabrication avec l'aide d'une telle
force. Blâmant d'une manière absolue l'emploi de la force des
animaux pour les moulins des sucreries, je n'ai besoin de rien
ajouter à ce sujet, si ce n'est que, partout où l'on persiste a
s'en servir, les animaux qui font mouvoir le moulin doivent
être tenus soigneusement par le planteur dans le meilleur
état possible. Dans ce but, il leur fournira une ample provi-
sion de fourrage sec, pour qu'ils soient bien en chair et qu ils
aient une bonne poitrine ; de plus il tiendra la main avec fer-
meté à ce que ce bétail soit bien logé et traité avec douceur.
§ 4 . — Machine à vapeur et moulin à sucre de Wood.
J'arrive à la dernière force motrice, plus grande que

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 431
toutes les autres, la VAPEUR, aujourd'hui en usage dans le
monde entier, partout où la force de l'eau n'est pas dispo-
nible. Les machines à condensation semblent avoir presque
entièrement cédé la place à celles à haute pression ; du moins
peut-on dire avec vérité que, là où l'on emploie une machine
de la première espèce, on en emploie trois de la seconde.
La force de la machine à vapeur est généralement éva-
luée en chevaux de vapeur; mais, pour bien juger en défini-
tive de la puissance d'une machine semblable, il faut connaî-
tre non-seulement le diamètre du cylindre, mais encore la
pression avec laquelle la vapeur est appliquée au cylindre.
Le tableau suivant, dressé par Templeton, donne une
juste idée de ce que doit être le diamètre du cylindre par
cheval de force, avec la vapeur à divers degrés de pression :

432 DE LA CONSTRUCTION D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM.
Les machines à vapeur expédiées aux colonies pour faire
fonctionner les moulins des sucreries doivent avoir au
moins une force de 10 chevaux; en d'autres termes, leur
cylindre doit être de 12 pouces de diamètre (0 .30), la
m
vapeur étant à 25 livres par pouce (environ 1 0
. 5
k i l o g r
par 0 . 0 2 5 ) . De telles machines pourront agir avec une
m
force de 15 chevaux environ, la vapeur étant à 50 livres
par pouce (21 kilogrammes par 0 . 0 2 5 ) . Aucune ne doit
avoir de moindres dimensions ou une moindre puissance ;
mais il est de beaucoup préférable d'avoir une machine
d'une force supérieure, comme celle que peut produire un
diamètre de 14, 16 ou 18 pouces ( 0 . 3 5 , 0 . 4 0 e t 0 " \\ 4 ô i ,
m
m
afin qu'elle puisse non-seulement faire marcher le moulin
de la sucrerie, mais encore exécuter au besoin toute autre
besogne supplémentaire, comme de faire agir les pompes a
eau froide et les pompes à air des appareils d'évaporation
dans le vide, de tourner et retourner les roues des cuves à
concentration de Wetzal, ou enfin de faire quelque autre
travail qui puisse être nécessaire.
La figure 20 représente une machine à vapeur et un mou-
lin à sucre avec deux cylindres supplémentaires, sembla-
bles, sous tous les rapports, à l'appareil récemment con-
struit et expédié pour Pinang par MM. Joseph Woods et
Cie, de Bargeyard-Chambers, à Bucklersbury, à l'excep-
tion des deux rouleaux de surplus qu'elle n'a pas. Dans
cette machine, le cylindre à vapeur a 18 pouces de diamètre
(0m.45), et 30 pouces de choc (0 .75), et sa force reconnue
m
est de 16 chevaux, bien qu'on puisse en toute sûreté la faire
agir avec une force bien plus grande. Divers perfectionne-
ments ont été introduits dans la construction soit du mou-
lin, soit de la machine, dans le but d'en augmenter la soli-

.

20

Figure
28


DE LA C O N S T R U C T I O N D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 435
dité, la force et la facilité de travail, aussi bien que pour
rendre plus aisées les réparations immédiates en cas de frac-
ture.
Le diamètre du pignon de la roue volante de la flèche est
d'un pied 9 pouces 7/8 (0 .525217) ; la roue sur contre flèche
m
(counter-shaft), qui tient aux cylindres et les fait agir a 10 pieds
6 pouces de diamètre (3. 15). Les cylindres font par consé-
m
quent une révolution pour 5.76 de la machine, ce qui donne
pour les rouleaux 7.6 révolutions par minute, la machine
faisant dans le même temps 44 révolutions. Le diamètre
des rouleaux étant de 2 pieds , ils se meuvent à raison de
47.98 pieds de vitesse superficielle à la minute (14 .39). La
m
longueur des rouleaux étant de 4 pieds ( l . 2 0 ) , l'activité du
m
moulin est calculée pour donner, lorsqu'on lui fournit les
cannes en quantité suffisante, le jus nécessaire à la fabrica-
tion de plus de 6 tonnes de sucre par jour (6,000 kilo-
grammes) .
La grande roue est construite de deux pièces rivées l'une
à l'autre, avec une circonférence polie sur laquelle sont ri-
vées les dents sur des plaques partielles ; s'il arrive qu'une
ou deux pièces viennent à être brisées par accident, une
pièce de rechange est aussitôt mise en place, ce qui per-
met de réparer à très peu de frais le dommage, et de pou-
voir compter sur l'activité non interrompue de la machine.
Sur ma demande expresse, le moulin est représenté avec
deux rouleaux supplémentaires, afin de recueillir la ma-
tière sucrée qui aurait échappé à l'action des premiers cy-
lindres.
MM. J. Woods et C fournissent cette machine et le
i e
moulin avec un seul jeu de cylindres au prix de 1,200 livres
sterling (30,000 francs), somme assurément peu élevée si

436 D E LA C O N S T R U C T I O N
l'on considère la grande puissance de la machine et les
nombreux perfectionnements qu'elle a reçus.
MM. Woods et C ont un modèle de leur machine avec
i e
son moulin, de grande dimension; j ' e n ai pris une inspec-
tion attentive, et je suis à même de déclarer que l'ensemble,
tel qu'il est ajusté, constitue une excellente pièce de méca-
que. L'emploi de leur régulateur chronométrique breveté
contribue assurément à régulariser l'action de la machine
de la manière la plus satisfaisante, point fort essentiel dans
les colonies qui exploitent la culture de la canne à sucre.
L'arrangement du moulin avec ses cylindres, ou rouleaux-
broyeurs supplémentaires, est celui le plus généralement en
usage dans la province de Wellesley, à Maurice et à Bour-
bon, sauf peut-être, pour seule exception, la bande qui fonc-
tionne entre les deux jeux de cylindres. Quelques observa-
tions me semblent nécessaires pour en bien montrer le prin-
cipe.
Le premier jeu comprend trois cylindres : c'est le nombre
ordinaire ; l'un des trois a une roue d'éperon qui s'engrène
dans une autre roue de même grandeur sur l'axe du second
jeu de cylindres ; elle lui communique le mouvement qu'elle
reçoit elle-même de la machine. Le premier jeu de rouleaux
est mis en activité par la machine, et il transmet le mouve-
ment, au moyen de ces roues d'éperon, au second jeu ; ils
fonctionnent ainsi ensemble exactement avec la même
vitesse.
Le second jeu comprend seulement deux rouleaux situes
à 6 ou 8 pieds ( l . 8 0 à 2 .40) des trois premiers. Les tiges
m
m
des cannes pressées, à mesure qu'elles sortent de dessous
les premiers cylindres, sont portées vers les seconds par
une chaîne sans fin qui va des uns aux autres. Un ouvrier

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 437
est aposté en cet endroit pour surveiller la direction des tiges
de cannes, afin qu'elles passent sous les deux derniers cy-
lindres le plus régulièrement possible. U n e toile métallique
en fil de cuivre, pas trop fine, est peut-être ce qu'il y a de
mieux pour la bande qui établit cette transmission.
§ 5. — Saturation du marc de cannes.
Durant le passage des tiges de cannes pressées d'un jeu
de cylindres à l'autre, on peut, si on le juge utile, faire arri-
ver sur elles un jet de vapeur ou d'eau modérément chaude ;
je donnerai la préférence à l'eau à une température telle
que l'ouvrier puisse y tenir la main. Cette eau, tombant
d'une gerbe d'arrosoir percée de trous très fins, placée, im-
médiatement au-dessus de la bande, à une hauteur conve-
nable, saturera d'abord les cannes pressées, puis le sur-
plus passera, à travers la toile métallique grossière de la
bande, dans une bassin plat, situé précisément sous la
bande, et s'écoulera par la gouttière, soit comme déchet
perdu, soit vers la distillerie. Cet emploi de l'eau chaude est
fait en vue de deux avantages : d'abord saturer les tiges
pressés, afin d'obtenir, pendant leur passage entre les se-
conds cylindres, tout ce qui peut y être resté de matière su-
crée ; ensuite nettoyer la bande de communication et la
maintenir parfaitement coulante. P a r t o u t où l'on en fait
usage, ce nettoyage constant de la bande est fort impor-
tant; je ne connais rien qui s'oppose à ce qu'il soit généra-
lement adopté.
Je n'entends pas dire par là que ni la bande ni l'emploi de
l'eau chaude soient d'une absolue nécessité ; je les considère
seulement comme rendant l'opération plus complète et d un

4 3 8 DE LA CONSTRUCTION
effet plus certain. La saturation des cannes pressées soit
par l'eau chaude, soit par la vapeur, a pour effet de rendre
soluble ce qu'elle contiennent de matière sucrée à l'état
de concrétion, de sorte que, quand elles subissent l'action
des seconds rouleaux, elles cèdent cette partie utile de leur
substance ; sans cette saturation, la pression seule, même
la plus énergique possible, ne saurait atteindre ce but im-
portant. On a souvent démontré que la canne contient une
proportion de sucre cristallisable bien plus forte que celle
que les planteurs parviennent à en obtenir, même par les
procédés les plus perfectionnés. Les chimistes les plus at-
tentifs et les plus intelligents ont déclaré que cela tient en
grande partie à ce que la canne dépose dans son tissu cel-
lulaire du sucre à l'état concret », qui, n'étant pas dissous,
ne peut s'obtenir par la pression.
La pression peut priver la canne de son jus, et le jus
peut contenir tout le sucre ou toute la matière cristalli-
sable existant dans la canne sous forme soluble; mais il est
évident qu'une portion quelconque de sucre peut avoir pris
la forme concrète, et que cette portion doit rester adhé-
rente au tissu cellulaire, jusqu'à ce qu'étant mise à l'état
de solution, elle puisse être obtenue par une pression ulté-
rieure
Il est également évident que le dépôt de sucre concret a
lieu dans les cannes belles, riches et parfaitement mûres,
plus que dans les autres, ce qui nous force de reconnaître
ce fait singulier que, plus nos cannes sont riches et mûres
(1) Peut-être devrait-on dire : du sucre sous forme cristalline;
car le microscope permet de voir de véritables cristaux déposés dans
les cellules.

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 439
au temps de la récolte, plus la saison a été sèche, plus le
dépôt de matière cristallisable concrète est considérable,
et par conséquent plus grande est la perte que nous éprou-
vons quand nous ne prenons pas nos mesures pour nous
assurer la possession de cette abondante partie du sucre
de nos cannes.
En présence de ce grand fait, il est du devoir du plan-
teur de rechercher par quels moyens il peut prévenir pour
son exploitation une perte aussi grave; rien n'est plus n a t u -
rel et plus nécessaire que de se poser cette question ; il est
possible d'y répondre et d'en donner une solution satis-
faisante. Le but désiré sera atteint par le procédé simple
et suffisamment efficace de l'application d'une bonne quan-
tité d'eau chaude aux cannes broyées, pendant qu'elles
passent, le long de la bande sans fin, d'un jeu de rouleau à
l'autre. La dépense et le surcroît de main-d'œuvre ne va-
lent pas la peine d'être comptés ; ce moyen, dans la p r a t i -
que, ne peut donner que de bons résultats.
Durant une journée de travail de 12 à 14 heures, la
machine et le moulin, tels que je les ai représentés et dé-
crits, pourront broyer assez de cannes pour en extraire
au delà de 12,000 gallons de j u s , la machine faisant en
outre la besogne nécessaire pour l'apareil d'évaporation
dans le vide et les concentrateurs de Wetzal.
§ 6. — Prix du moulin et de sa machine.
Le moulin communément en usage aux Indes occidentales
est à un seul jeu de rouleaux ; il obtient rarement des
cannes broyées plus de 60 pour 100 de leur poids de jus ;
le plus souvent, il n'en obtient que de 50 à 55 pour 100.

440 D E LA C O N S T R U C T I O N
Le moulin dont j ' a i donné la figure obtient habituellement
70 pour 100 de jus ; j ' a i vu, lorsqu'il était soigneusement
ajusté, qu'il rendait jusqu'à 75 pour 100. Je ne doute pas
que, neuf fois sur dix, quand les moulins doubles seront bien
établis, ils ne rendent constamment 75 pour 100, et même
au delà. Le prix de cet appareil, les rouleaux étant de
4 pieds de long sur 2 de diamètre (lm.20 sur 0 .60),
m
avec tous ses perfectionnements, est ou doit être d'environ
600 livres sterling ( 15,000 francs), le moulin simple coû-
tant de 400 à 450 livres sterling (de 10,000 francs à
11,250 francs).
Le surcroît de force exigé pour faire fonctionner le mou-
lin double est très peu considérable ; si l'on y ajoute le
prix du second jeu de cylindres, on ne trouve qu'un total
de dépense peu élevé en comparaison du rendement en jus
bien plus fort qu'on s'assure par ce procédé; je n'hésite
pas à dire que le prix de la machine avec son moulin, re-
présentée planche X , ne dépassera pas 1,400 livres ster-
ling ( 35,000 francs) ; il ne faut pas perdre de vue qu'outre
son service comme mettant en activité le moulin, la ma-
chine a encore une force disponible pour faire le service de
l'appareil de l'evaporation dans le vide, des concentrateurs
de Wetzal, probablement au nombre de six, d'une pompe
élevant l'eau destinée à l'irrigation, etc. J e sais qu en
voyant ce chiffre, bien des planteurs dont les finances sont
très obérées diront que j'indique des prix hors de leur
portée, ce qui n'est malheureusement que trop vrai. Mais
je m'efforce de porter à la connaissance de tout le corps des
planteurs les machines les meilleures, les mieux conçues
pour faire marcher les opérations de leurs sucreries ; et,
bien que la dépense première puisse paraître excessive au

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 441
planteur à demi ruiné, ceux qui disposent d'un capital suf-
fisant trouveront évidemment que la véritable économie,
c'est d'avoir une machine réellement bonne et bien agis-
sante, au lieu d'un appareil à bon marché, ne faisant rien
qui vaille. Il y a sans doute à Londres un grand nombre
d'excellentes machines à vapeur, il y en a sur tous les
points de la Grande-Bretagne, qui ont été mises au rebut,
parce que leur force ne suffisait pas pour un genre particu-
lier de travaux, parce qu'il y manquait quelque chose, ou
tout simplement par caprice, ou pour mille causes diverses
sans cesse agissantes ; de telles machines peuvent être ac-
quises à moitié prix ; toutefois il y a des chances pour
qu'elles ne fassent jamais un bon service.
§ 7 . — Agencement des cylindres du moulin.
En faisant fonctionner le moulin d'une sucrerie, on doit
apporter les soins les plus attentifs à ajuster les rouleaux
dans la meilleure position pour qu'ils remplissent leur des-
tination avec le moins possible de force perdue sans néces-
sité. Nous savons tous que la canne (non pas toutefois la
canne sauvage de l'Inde) varie en diamètre depuis 1 pouce
jusqu'à 2 pouces et demi, ce qui donne pour la moyenne
1 pouce 3/4 (environ 0 . 0 4 ) ; il semble rationnel, par
m
conséquent, qu'un espace modéré soit ménagé entre les
cylindres qui doivent la broyer en premier lieu ; car ce qu'il
nous faut, c'est que ces rouleaux brisent la canne, afin que
la pression suivante la prive de son jus et la prépare à rece-
voir la saturation d'eau chaude ou de vapeur, avant d'être
soumise à une troisième et dernière pression. J e conseille
en conséquence de laisser, entre le premier rouleau infé-

'442 DE LA CONSTRUTION
rieur et le rouleau supérieur, un écartement de 1/16 de
pouce (0m.015), et d'ajuster le second rouleau inférieur
précisément à 1/10 de pouce ( 0 . 0 2 5 ) du rouleau su-
m
périeur. Ayant passé entre le premier jeu de rouleaux
et reçu une saturation d'eau chaude, la canne arrive à
portée du second jeu de deux rouleaux; ceux-ci doivent
être tenus assez rapprochés pour que rien de plus épais
qu'une feuille de papier à écrire ne puisse passer entre
eux sans être broyé ; dans ce cas, le liquide contenu dans
les cannes est exprimé en totalité, et la bagasse sort du
moulin dans un état comparativement sec. 11 est certain
qu'alors le marc sera complétement écrasé et brisé; mais,
quand il doit être utilisé comme engrais, ce n'est pas un
inconvénient.
On prendra un soin tout spécial de bien alimenter le
moulin, afin que les cannes ne puissent passer les unes par-
dessus les autres ; elles seront soumises à l'action du mou-
lin avec la plus grande régularité, en en prenant le même
nombre à chaque fois, bien arrangées dans le sens de leur
longueur, et les faisant passer toutes ensembles; parce
moyen, l'action de la machine sera uniforme, et le moulin
fonctionnera avec beaucoup d'aisance. Les clarificateurs
comme les représente la figure 18 contiennent 500 gallons,
les précipitateurs en contiennent autant ; ils ont des foyers
ouverts, comme j e l'ai dit précédemment, tandis que, dans la
figure 19, ces vaisseaux sont bien en effet des mêmes di-
mensions ; mais ils sont chauffés par la vapeur. On les sup-
pose en tôle de fer, disposés de telle sorte que les clarifi-
cateurs soient élevés au-dessus des précipitateurs, et ces
derniers au-dessus des lignes de chaudières, pour que
le j u s descende successivement de l'un à l'autre de ces

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 443
vases Ils sont tous à fond plat ; chacun d'eux est muni d'un
robinet pour laisser écouler le jus.
§ 8. — Appareils de la sucrerie.
Les lignes de chaudières représentées figure 18 consistent
en cinq chaudières chacune, toutes en tôle de fer, à fond plat
et légèrement convexe en dedans; chaque division a une
soupape glissante, pour faire couler la liqueur d'un vase
dans l'autre, jusqu'à ce qu'elle arrive à une grande soupape
de décharge, qui donne issue au sirop, lorsque celui-ci est
assez cuit. L'appareil de Wetzal est excellent, aussi simple
que commode, pour concentrer le sirop qui sort des lignes
de chaudières. U n robinet à vapeur avec un tube intérieur
sert à admettre la vapeur 1, tandis qu'un cylindre tournant
(espèce de roue) est mis en jeu par une courroie passant
sur le tambour de la machine à vapeur. Cette roue se con-
struit au moyen de deux pièces de bois circulaires, d'environ
3 pieds de diamètre ( 0 . 9 0 ) , par le centre desquelles passe
m
une flèche de fer ou de bois dur. Ces pièces, fixées sur la
flèche à environ six pieds l'une de l'autre (0 .80), forment
m
les extrémités de la roue ; des morceaux de bois longs et
arrondis, d'environ 3/4 de pouce de diamètre ( 0 . 0 1 9 ) ,
m
espacés entre eux de 4 à 6 pouces (0 .10 à 0 . l 5 ) , r e -
m
m
lient l'une à l'autre les deux pièces circulaires sur les
bords desquelles elles sont fixées. Le cylindre ainsi terminé
est placé dans la chaudière, la flèche restant sur ses sup-
ports, ce qui lui permet de tourner librement. L'une des
extrémités de cette flèche porte une roue à tambour sur la-
quelle agit la courroie qui lui communique le mouvement de
(1) Dans la province de Wellesley, la vapeur qui s'échappe de la
machine suffit pour agir sur cet appareil.

444 D E L A C O N S T R U C T I O N D'UNE F A B R I Q U E D E S U C R E ET D E RHUM.
rotation émanant de la machine à vapeur. Quand cet appa-
reil fonctionne, on met le sirop dans les cuves ; la vapeur
est introduite dans le tube pour le chauffer ; la roue à tam-
bour est mise en mouvement, et le cylindre à claire-voie
commence à tourner. Un tiers où même plus de son dia-
mètre, étant plongé dans le sirop, l'agite en tournant et
l'expose au contact de l'air. Cet appareil est aussi simple
que celui dont on se sert dans la province de Wellesley, où
il est généralement en u s a g e .
1
L a figure 19 représente un système particulier de chau-
dières chauffées exclusivement par la vapeur ; il a besoin
de figures plus détaillées pour être expliqué de manière
à en bien démontrer le principe. Mais, avant d'aborder ce
sujet, j e pense qu'il vaut mieux exposer le système des
évaporateurs perfectionnés à foyers ouverts.
Je n'abuserai pas des moments du planteur en l'entrete-
nant des chaudières d'autrefois, d'un usage commun il y a
seulement quelques années, et fort heureusement aban-
données aujourd'hui ; il m'est difficile de supposer qu'il
existe encore quelqu'un qui s'entête à s'en servir; il serait
donc tout à fait déplacé d'en faire ici mention.
§ 9. — Évaporateurs perfectionnés de Blyth.
La figure 21 donne le plan des cuves d'évaporation per-
( 1 ) Cet appareil de concentration a été introduit dans la province
de Wellesley au commencement de 1 8 4 5 , par M. Donadieu, qui en
avait, reçu les dessins de Bourbon, où j'ai entendu dire que l'appa-
reil avait été inventé par un chimiste français, M. Wetzal ; il était
alors en usage dans cette île depuis un an ou deux. Comme je l'ai
dit plus haut, je ne puis dire avec certitude lequel, de M. Wetzal ou
de M. Gadesden, en est le véritable inventeur.

Figure 21.


DE LA C O N S T R U C T I O N D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 4 4 7
fectionnées de MM. Blyth, semblables à la ligne de chau-
dières connue dans la province de Wellesley, à Maurice, et
à Bourbon sous le nom de batterie de Gimart. La diffé-
rence consiste en ce que ce dernier appareil n'a pas de
précipitateur ou de second défécateur ( ce qui, p a r paren-
thèse, est un grave défaut de la batterie de Gimart), et en
ce que les cuves du premier communiquent par le côté, et
celles du second par leur extrémité.
La figure 22 donne une section longitudinale des mêmes
cuves ; la figure 23 donne une vue de leur extrémité, mon-
trant l'élévation des clarificateurs, des précipitateurs et du
premier évaporateur, contenant chacun 550 gallons; le se-
cond évaporateur contient 450 gallons ; le troisième, 350 ;
le second tache 200 gallons, et le premier tache 150 gal-
lons. Tous ces vases sont en fer ou en cuivre ; des soupapes
les mettent en communication les uns avec les autres.
Quant au tache, on observera qu'il doit être mis à la qua-
trième place et non pas à la cinquième, ce qui fait que le
tube de communication de la troisième cuve passe à travers
le tache pour aller déverser son contenu dans le second
tache. La raison de cette disposition, c'est que le principal
trait de feu fait frapper la flamme et la chaleur dans toute
leur force sur le fond du vase occupant la quatrième posi-
tion, plus que sur tous les autres ; c'est ce qui a fait changer
de position le tache et le second tache.
Ainsi que je l'ai fait remarquer plus haut, cette ligne de
chaudières est généralement en usage et donne des résul-
sultats fort satisfaisants. L'existence, dans le plan de
MM. Blyth, des seconds défécateurs, qu'ils nomment préci-
pitateurs, donne à leur système un grand avantage sur celui
de Gimart ; c'est ce qui sera plus particulièrement dé-

448 DE LA C O N S T R U C T I O N D'UNE F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E RHUM.
montré plus loin. Toutefois, sous les autres rapports, les
deux systèmes ont beaucoup de ressemblance, et le doute
quant à leurs bons effets dans la pratique n'est pas pos-
sible. Quant à mon expérience personnelle, je puis dire sans
hésiter que, comme évaporateurs, ils remplissent admira-
blement leur destination et que l'on a toujours lieu d'en
être satisfait.
Cet appareil est extrêmement bien approprié à la besogne
de cuire la liqueur sucrée au degré de densité qu'elle doit
avoir pour être transmise à l'appareil de concentra-
tion dans le vide, ou au concentrateur Wetzal, bien que,
lorsqu'on le désire, le sirop puisse être en une seule
fois concentré dans le tache. Cependant le système
de MM. Blyth comprend l'emploi de l'appareil à faire le
vide, ou du concentrateur W e t z a l ; mais ni l'un ni l'autre
n'a été figuré sur la planche, leur usage étant facultatif
selon les circonstances. Les cinq évaporateurs contiennent
ensemble 1,700 gallons de j u s ; comme ils opèrent la cuisson
très rapidement, dans une petite plantation une seule ligne
de chaudières suffit ; dans une grande, au contraire, il est
nécessaire d'en ajouter une seconde ligne. Dans ce cas, les
deux rangées de chaudières occuperont les positions indi-
quées figure 18. Je n'ai pas connaissance du prix que coûte
un rang simple d'évaporateurs, avec deux clarificateurs et
deux précipitateurs complets; d'après mon expérience en
pareille matière, je suppose que le tout en bonne tôle de fer,
avec les soupapes bien ajustées, ne doit pas coûter plus
de 200 à 250 livres sterling (5,000 à 6,250 francs).
La figure 24 représente une autre forme du même système,
tel qu'il est fabriqué par MM. Blyth ; beaucoup de planteurs
de Maurice, de Bourbon et de la province de Wellesley le


22.
Figure
29


.

23
Figure


DE LA CONSTRUCTION D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 453
Figure 24.
regardent comme préférable aux appareils représentés figu-
res 21 et 22. La figure A, dans la figure 2 5 , est un plan pris
à vol d'oiseau, montrant la longueur et la largeur des cuves ;
B en est la section longitudinale ; C en est la coupe transver-
sale en K, montrant la forme à fond plat du second tache ;
D est la coupe transversale en 1, montrant la forme ronde
des fonds des trois évaporateurs . On voit que ces vases,
1
afférents du précédent système, sont en communication
dans le sens de leur longueur, au lieu de l'être par le côté.
(1) Ce plan est identiquement le même que celui de Gimart.

454 DE LA CONSTRUCTION D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM.
Cette disposition permet à l'ouvrier chargé de soigner les
chaudières, d'éclaircir la liqueur avec plus de facilité; le
conduit étant plus long et plus étroit, la flamme et l'air
chaud parcourent un plus long trajet avant d'arriver à la
cheminée. Les chaudières communiquent par des soupapes
qu'on ouvre au moyen de petits leviers ; dans ce système
comme dans le précédent, le tache occupe la seconde place
à partir du foyer. Los deux taches sont à fond plat; le fond
des trois évaporateurs est rond, comme le montre la coupe D.
Ce système spécial de batterie est particulièrement en
faveur dans les colonies que j ' a i nommées plus haut ; somme
toute, j e le préfère moi-même à tout autre parmi ceux que
j ' a i eu occasion d e v o i r ; c'est ce que j ' e n puis dire après
l'avoir vu fonctionner pendant plus de dix-huit mois. Tous
ceux de ces appareils que j ' a i observés sont en tôle de fer
d'environ 1/5 de pouce d'épaisseur; les bords exhausses,
destinés à laisser au sirop en ébullition la place de monter,
sont en tôle très mince, façonnée selon l'usage voulu ; ils
ne sont point indiqués sur les deux planches. E n général,
on ne les rive aux bords des chaudières qu'à leur arrivée
dans les colonies ; autrement, pendant la traversée, ils
pourraient être brisés.
Les clarificateurs et les précipitateurs peuvent être pla-
cés de même dans les deux variétés de batteries, quoiqu'ils
n'aient pas été représentés dans la figure 2 5 .
1
(1) Les chaudières coûtent: Pour chaque rang de cinq chaudières
en tôle contenant 1,500 gallons 1 0 0 livres sterling (2,500 fr.)
Pour quatre défécateurs contenant
chacun 500 gallons, à 30 l. st. la pièce. 120 livres sterling (3,000 fr.)
T o t a l . . . . 2 2 0 livres sterling (5,500 fr.)
Ce prix comprend les frais de montage et d'emballage pour l'ex-
portation aux colonies.

.

25

Figure


DE LA C O N S T R U C T I O N D'UNE F A B R I Q U E DE S U C R E ET D E R H U M . 457
J'ai toute sorte de motifs de faire l'éloge de ces évapora-
teurs, sachant quel excellent service ils font, et je suis a s -
suré que le témoignage de tous les planteurs qui s'en sont
servis confirmerait pleinement l'opinion que j'exprime en
leur faveur ; mais, comme je veux me borner à les louer juste
en proportion de leur mérite, il est absolument nécessaire
que j'exprime ici ma conviction que, pour la cuisson du
sucre sur un feu nu, les appareils les mieux appropriés sont
des chaudières très plates, ayant le fond légèrement con-
vexe à l'intérieur.
Dans ces divers plans, le bois ou la houille devant être
employéscomme combustible à la place de la bagasse, les
foyers devront être construits de manière à procurer la plus
grande économie possible dans la consommation du com-
bustible.
Néanmoins, tout récemment, les planteurs ont manifesté
un vif désir de pouvoir faire cuire le jus de cannes entière-
ment par la vapeur, sans employer aucune espèce de feu
nu. Les planteurs commencent à reconnaître combien il est
avantageux pour eux de pouvoir faire évaporer le jus de
cannes sans courir risque qu'il se brûle ou qu'il s'enfuie
Par-dessus les bords de la chaudière.
J'ai vu des dessins de chaudières d'évaporation chauffées
de la sorte fonctionnant en ce moment avec grand succès à
Bourbon et à Java ; les rapports que j ' a i reçus de leur appro-
priation parfaite aux besoins des exploitations sucrières
coïncident entièrement avec l'idée que je m'en étais formée
depuis longtemps.

458 D E L A C O N S T R U C T I O N D'UNE F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E RHUM.
§ 10. — Evaporateurs à vapeur de Shear et fils.
La ligure 26 représente une rangée de six chaudières
d'évaporation en tôle de fer, chauffées par la vapeur.
Dans la figure 26, a a sont les six chaudières, dont cha-
cune contient un serpentin de cuivre de 3 pouces de dia-
mètre ; chacune de ces chaudières a un double fond; b est
la principale prise de vapeur, au moyen de laquelle la
vapeur est communiquée aux chaudières ; dd sont les sou-
papes pour introduire la vapeur dans les serpentins ou
pour l'en exclure ; e e sont les soupapes pour faire sortir
des doubles fonds la vapeur condensée ; ff sont les sou-
papes-écluses, faisant communiquer une chaudière avec
une autre. Dans la figure 1, gg sont des manches ou poi-
gnées pour lever au besoin les soupapes-écluses au moyen
de crémaillères; h est la citerne pour l'eau condensée; J le
tube pour évacuer l'eau condensée dans la citerne, et k la
soupape pour faire écouler le sirop hors du dernier évapo-
rateur ou tache. Chacune de ces chaudières contient 450 gal-
lons de j u s de canne; voici de quelle manière elle agit. La
vapeur, étant introduite des chaudières qui la produisent
dans le tube principal b, est communiquée aux tuyaux-ser-
pentins des six évaporateurs, en ouvrant les soupapes d,
de sorte que chaque évaporateur puisse avoir la vapeur mise
dans son serpentin ou retirée au besoin, sans rapport avec
ce qui a lieu pour les autres ; la vapeur, parcourant le ser-
pentin, passe dans le double fond de la chaudière, d'où elle
est évacuée sous forme d'eau condensée par la soupape de
décharge e dans le réservoir à l'eau de condensation c. Les
serpentins en cuivre sont disposés de façon à ce qu'on puisse

.

26

Figure


DE LA CONSTRUCTION D ' U N E FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 461
les enlever pour les nettoyer à volonté ; cette facilité est
ménagée au moyen de l'agencement de leurs deux extrémi-
tés, qui jouent dans des boîtes de compression ou des arti-
culations en anneau.
Le grand avantage de ces évaporateurs à vapeur, c'est
d'abord qu'au moyen des soupapes d et e, la quantité de
vapeur et sa pression peuvent être réglées avec précision,
de manière à faire évanouir toute espèce de crainte que le
jus de cannes ou le sirop puisse être brûlé, ce qui, dans
d'autres circonstances, peut arriver p a r la vapeur tenue
sous une trop forte pression ; en second lieu, on peut em-
ployer n'importe lequel des évaporateurs, indépendamment
de tous les autres , la vapeur étant admise ou exclue sans
influer sur ce qui se passe ailleurs. Ainsi, par exemple, le
sirop doit-il être concentré dans le tache : on ouvre aussi
large que possible la soupape d, pour laisser passer une
grande quantité de vapeur, tandis que la soupape e est ajus-
tée pour maintenir la pression à un certain degré; quand
on arrive juste au point de concentration, la soupape d est
fermée, la soupape e est ouverte toute grande, jusqu'à ce
que le tour soit achevé. Il y a aussi une rigole pour l'écou-
lement des écumes; elle n'est pas marquée sur la figure,
celle-ci étant exclusivement destinée à donner une idée
exacte de l'appareil à vapeur.
Cette batterie à vapeur est celle qui est supposée
tenir sa place dans le plan d'une sucrerie améliorée
(fig.18.)
La rangée suivante est l'appareil en cuivre de Shear,
comprenant sept évaporateurs en cuivre chauffés par la
vapeur, avec des ajutages en fer pour la vapeur ; chaque
évaporateur contient un rouleau de tubes de cuivre. La

462
D E LA C O N S T R U C T I O N
ligure 27 représente
le plan à vol d'oi-
seau, une coupe lon-
gitudinale et une
coupe transversale
de ces évaporateurs.
aa. Sept chaudières
en cuivre ayant au fond
des réservoirs en fonte
de fer ou doubles fonds

pour recevoir la v a -
peur.

bb. Tubes accouplés
courant sur le bord des
chaudières pour four-
nir la vapeur et évacuer

l'eau d e condensation
au moyen d'un robinet
muni de sept voies d'é-

coulement.
c. Soupapes-écluses
faisant communiquer
les chaudières entre

elles, pour faire passer
la liqueur sucrée de
l'une dans l'autre.

a. Deux robinets pour
soutirer le sirop quand
il est assez concentré.
e. Robinets à six
voies d'écoulement, au
moyen d e s q u e l s , pour
chaque chaudière iso-
lément, on peut intro-

duire ou exclure la va-
peur , et évacuer en
m ê m e temps l'eau de

condensation.
f. Rigole pour con-
duire dans les évapora-
teurs la liqueur clari-
fiée.

Figure 27

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 463
MM. Shear et fils ont livré ces évaporateurs de cuivre à
plusieurs planteurs des Indes orientales, qui tous en ont
été fort satisfaits. Dans le plan figuré, l'on suppose que le
liquide sucré coule des précipitateurs, le long de la gout-
tière f, dans chacune des chaudières ; mais il doit arriver
rarement qu'en effet cette liqueur y coule, si ce n'est dans
le premier ou le second évaporateur, sauf au début de
l'opération; car, à mesure que la liqueur sucrée est clari-
fiée et cuite, elle passe successivement d'un évaporateur
dans l'autre par les soupapes-écluses c.
Quand l'appareil fonctionne, on place une rigole mobile
sur le premier, le deuxième et le troisième évaporateurs,
afin de faire écouler les écumes ; toutefois, quand toutes les
mesures sont bien prises, on peut s'attendre à ce qu'il ne
monte que très peu d'écume à la surface des chaudières
d'évaporation. J'ai eu occasion de voir, à la fabrique de
MM. Shear et fils, quelques-unes de ces chaudières à v a -
peur en cuivre, en voie de fabrication pour être expédiées
aux colonies, où elles devaient être employées comme défé-
cateurs ; elles offraient, par conséquent, une légère diffé-
rence quant aux soupapes et à d'autres détails sans impor-
tance, inutiles dans des défécateurs.
J'ai eu beaucoup de plaisir à examiner le travail soigné
de ces appareils, objet fort important ; car des négligences
dans l'exécution des appareils causent souvent aux plan-
teurs un grave préjudice. La cuisson du jus de cannes par
la vapeur est, à mon avis, la méthode la meilleure, et, en
fin de compte, la moins coûteuse que le planteur puisse
adopter ; cette méthode mérite surtout la préférence par-
tout où le combustible est abondant. Je n'ignore pas, néan-
moins, que bien des planteurs seront arrêtés par la pensée

464 DE LA CONSTRUCTION
stérile de faire la dépense d'acquisition d'un bon appareil
de chaudières d'évaporation fonctionnant par la vapeur.
Mais on ne doit pas perdre de vue que j ' a i pris à tâche de
signaler aux planteurs les meilleurs procédés pour la fabri-
cation des produits de leurs cannes, laissant naturellement
à chacun le soin de juger jusqu'à quel point l'adoption de
ces procédés peut lui convenir. Les chaudières figurées
figure 26 peuvent, en 12 heures de cuite , préparer le
sirop pour 6 tonnes de sucre (6,000 kilogrammes); elles
suffisent par conséquent pour une fabrication de 500 à
750 tonnes de sucre. Maintenant, j'appelle les réflexions
du planteur sur ce qui suit.
§11. — Perfectionnements résultant de l'emploi de la vapeur.
Je supposerai qu'une plantation où l'on fait 500 tonnes
de sucre emploie les évaporateurs ordinaires, posés sur le
feu nu, et qu'en adoptant l'usage des évaporateurs à va-
peur, il en résultera, ce qui est assurément très possible,
un accroissement de rendement en sucre de 3 pour 100,
soit 15 tonnes de sucre ; j'admets encore que la qualité du
sucre en est améliorée au point d'obtenir sur le marché bri-
tannique une faveur de 2 schellings par quintal (environ
5 francs les 100 kilogrammes); le compte pourra donner
les chiffres suivants :
1 5 tonnes = 3 0 0 quintaux de sucre (d'augmentation) à 12 schel-
lings 4 8 0 livres st.
5 0 0 tonnes = 1 0 , 0 0 0 quintaux, qualité améliorée,
2 schellings par quintal 1 , 0 0 0 —____
TOTAL 1 , 1 8 0 livres st.
(29,500 francs). En posant ces chiffres, je ne crois pas éva-

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET D E RHUM. 465
luer l'augmentation de produits non plus que l'amélioration
de la qualité à plus de la moitié de ce qu'elles seraient réel-
lement ; mais en nous tenant à ce taux si peu élevé d'amé-
lioration, nous trouvons en accroissement de produits une
somme plus que suffisante pour rembourser les frais d'éta-
blissement d'un système complet d'évaporateurs à v a p e u r .
1
Ce système peut ne pas comprendre les défécateurs ou l'ap-
pareil de concentration par le vide ; car l'une des amélio-
rations du système, c'est que les évaporateurs à vapeur
peuvent opérer la concentration sans le secours de l'appa-
reil à faire le vide, en adaptant seulement à la dernière
chaudière ou tache de concentration une roue mobile sem-
blable à celle de Wetzal, qu'on enlève quand elle ne doit
pas fonctionner. Cette roue mise en mouvement par une
bande en communication avec la machine à vapeur, et une
séparation en planches pour exclure la vapeur des autres
chaudières, sont tout ce qu'il faut. Le capitaliste qui établit
une belle plantation rendant 500,000 kilogrammes de sucre
par an ne rendrait pas justice à sa propriété s'il négligeait de
la monter en machines et appareils les mieux appropriés à la
fabrication du sucre, dans les meilleures conditions pour la
quantité et le bon marché. Il n'y a que le planteur dans un
état de grande gêne qui puisse se contenter, pour arriver
au résultat désiré, d'ustensiles médiocres.
Le grand corps des planteurs, dont les affaires sont mal-
heureusement fort embarrassées, je le sais bien, ne peut
pas se procurer les fonds nécessaires pour acheter de dis-
(1) L'acquisition d'un tel appareil d'évaporateurs , avec deux
grandes chaudières à v a p e u r , de construction perfectionnée, conte
nant 2,700 gallons de liquide et pouvant fabriquer 6,000 kilogrammes
de sucre par jour, peut coûter 950 livres sterling ( 2 3 , 7 5 0 francs ).
30

466 D E L A C O N S T R U C T I O N
pendieux appareils à vapeur. Mais, en conseillant l'achat
des chaudières perfectionnées de Blyth ou des évaporateurs
du même genre, je ne recommande aucune dépense qui ne
soit fondée en raison, même pour le planteur le plus gêné
dans ses affaires. On s'est beaucoup trop habitué à ne re-
garder comme appropriés à la fabrication du sucre que les
évaporateurs en cuivre ; il en résulte que, lorsqu'on engage
un planteur de la Jamaïque à adopter une forme améliorée
de chaudières, il se figure à l'instant une magnifique batte-
rie d'évaporateurs en cuivre, d'une valeur en argent qui
dépasse de beaucoup ses facultés.
§ 12. — Valeur relative des chaudières de cuivre et de fer.
Mais cela n'est nullement nécessaire ; sept années d'ex-
périence m'ont démontré qu'on peut faire d'aussi bon sucre
dans des vases de fer que dans des vases de cuivre. Le
cuivre est meilleur conducteur de la chaleur que le fer, et il
peut arriver que le fer, comme métal, exerce une influence
fâcheuse sur le jus de cannes dans quelques circonstances ;
mais je puis affirmer qu'il ne résulte ni grand dommage
pour le sucre de la dernière de ces deux causes, ni grande
perte sur le combustible de la première.
Le clarificateur ou précipitateur, quel qu'il soit, dans
lequel on emploie divers réactifs, comme l'acide sulfurique
et le sulfate d'alumine pour la dernière clarification du jus
de canne, peut, s'il est fait en fer, communiquer au sucre
une teinte métallique causée par l'oxydation du fer ; mais
il paraît certain que les mêmes réactifs oxydent également
le cuivre. Il n'y a donc que le choix entre deux oxydes, et
il semble que le plus nuisible soit l'oxyde de fer, parce qu'il

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M 467
attire l'humidité de l'air, et qu'il peut rendre déliquescent
le sucre dans lequel il existe dans une proportion un peu
forte. Il pourra donc être à propos, si on le juge utile,
d'avoir au moins un des précipitateurs en cuivre ; ce sera
celui où se feront les réactions. Le planteur à qui ses
moyens le permettent peut d'autre part avoir tous ses p r é -
cipitateurs en cuivre, tout comme ses clarificateurs et ses
lignes de chaudières ; en fait, la question de savoir si l'on
emploiera des ustensiles de qualité supérieure se réduit à
une question de francs et de centimes, dont la solution dé-
pend entièrement de la position du planteur.
§ 13. — Placement des évaporateurs et admission de Pair.
La disposition judicieuse des chaudières ou des évapora-
teurs sur les foyers est un sujet d'une grande importance ;
il mérite l'attention toute particulière du planteur, comme
moyen d'économiser le combustible. Il arrive souvent
qu'une seule rangée de chaudières mal disposées sur les
foyers brûle autant de combustible que deux rangées bien
placées, et cela sans que dans le premier cas l'effet utile soit
plus grand que dans le second. A la Jamaïque, on fait en
général les tuyaux de cheminées trop petits. Depuis quel-
ques années, les planteurs en sont bien convaincus; aussi,
dans plusieurs plantations, non-seulement on a réformé le
placement défectueux des chaudières, mais encore les che-
minées ont été reconstruites.
Il en est résulté une grande économie de combustible et
une facilité dans les opérations, dont les régisseurs des plan-
tations ont exprimé eux-mêmes leur satisfaction. Quant aux
appareils perfectionnés, aux chaudières bien ajustées et aux

468 D E LA C O N S T R U C T I O N
grandes cheminées, la colonie de Démérary semble avoir
pris l'initiative ; son exemple, j ' e n ai la conviction, sera suivi
dans beaucoup d'autres colonies. Un grand point dans la
disposition des évaporateurs, c'est de faire arriver avec cer-
titude autour du second tache une quantité d'air suffisante ;
par ce moyen, la combustion du chauffage est complète et
il ne sort par la cheminée que peu ou point de fumée. Une
ouverture en forme de coin, pratiquée dans la muraille, rem-
plit très bien cette utile destination ; cette ouverture doit
être entre le premier et le second tache ; elle a environ
8 pouces de haut (0 .20), un demi-pouce de large près du
m
tuyau de cheminée (0 .012), et 15 pouces de large (0 .37)
m
m
à son ouverture extérieure.
Un morceau de brique peut être placé dans cette ouver-
ture pour régler l'introduction de l'air. La première fois que
j ' e u s occasion de voir cet arrangement appliqué, c'était
dans le haut Indostan, dans une raffinerie de sucre (ker-
kenna) conduite sur une grande échelle par un Indou. Il y
avait un grand feu, brûlant avec une activité dévorante ;
mais aucune fumée ne sortait de la cheminée, qui pourtant
était assez basse, si bien que j e m'informai de ce qui pouvait
être cause qu'avec un feu si brillant et qui brûlait si bien,
il ne sortît pas de fumée de la cheminée. L'Indou me désigna
tout aussitôt trois petites ouvertures, telles que celle que je
viens de décrire, qui faisaient arriver l'air tout au milieu de
la masse brûlante et en effectuaient la combustion complète
sans produire aucune fumée.
Comme preuve de l'effet de ces trous à air, je mis de nou-
veau bois dans le foyer ; il ne sortit presque pas de fumée
par la cheminée. Je bouchai les trous à air ; la fumée s éleva
aussitôt en nuage épais.

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 469
Pendant quelques jours, je passai dans les environs, je ré-
pétai la même expérience et d'autres du même genre, tou-
jours avec le même résultat. E n remontant à la source, je
trouvai que c'était une très ancienne coutume, particulière-
ment en usage dans le Népaul. Je n'en ai jamais vu dans
tout l'Indostan que trois exemples, parce que rarement les
kerkennas des Indous ont des cheminées à leurs fourneaux ;
mais ce que j ' e n ai vu était tellement concluant que je n'ai
jamais pensé à mettre en place des évaporateurs ou des chau-
dières quelconques sans y ménager des ouvertures de ce
genre pour introduire l'air et activer la combustion.
§ 14. - Placement des clarificateurs et précipitateurs.
En mettant en place les clarificateurs, on les disposera
de manière à ce que l'air chaud des évaporateurs puisse pas-
ser sous les clarificateurs lorsqu'ils ont besoin d'être chauf-
fés, et se rendre droit dans la cheminée en cas contraire.
Le seul inconvénient qui puisse, à ma connaissance, résul-
ter de l'application de cette méthode, c'est que le feu de-
vienne si violent qu'il donne aux clarificateurs plus de cha-
leur qu'ils ne doivent en recevoir ; mais cela ne peut jamais
arriver qu'en cas de grossière négligence de la part de celui
qui conduit l'opération ; il suffit que la soupape du conduit
menant directement à la cheminée soit légèrement entr'ou-
verte pour que la chaleur soit diminuée instantanément. Il
y aura une ouverture à air sous chaque clarificateur, afin do
faire du feu pour les chauffer avant de mettre le feu sous les
évaporateurs. J e n'admets pas la nécessité de placer une
grille dans le foyer sous les clarificateurs ; je crois qu'il n'en
faut pas, et qu'on peut partout obtenir sans cela un feu suf-

470 D E LA C O N S T R U C T I O N
fisant. Il ne faut pas oublier que, moins la température à la-
quelle il est possible de faire monter l'écume du jus de
canne est élevée, mieux cela vaut, et qu'en tout cas ce jus,
pour jeter son écume, ne doit jamais bouillir.
S'il y a une partie de l'opération où l'emploi de quelques
poignées de bagasse comme chauffage puisse être justifié,
c'est pour chauffer deux ou trois clarificateurs de jus, au
début, pour la mise en train d'une rangée. Mais je dois faire
observer que j'ai vu, dans maintes circonstances, brûler dans
les conditions les plus défavorables du bois qui n'en donnait
pas moins un feu vif et clair.
Les précipitateurs auront toujours leur foyer et leur grille
à part, séparés de ceux des clarificateurs et des évapora-
teurs, n'ayant aucune communication avec le tuyau de la
cheminée de ces derniers.
A propos des précipitateurs , l'occasion se présente de
parler des réservoirs à raffiner le jus de canne ; je dirai
donc qu'il n'est pas nécessaire qu'ils soient en métal; ils
peuvent aussi bien être en bois de bonne qualité. La seule
précaution à prendre, c'est de les bien laver, et d'y passer
de l'eau de chaux qui sert à en éloigner toute acidité.
Quand la liqueur est cuite en un sirop de la densité dési-
rée, on la passe dans un filtre de charbon pour la décolorer.
Il y a plusieurs espèces de ces filtres ; quelques-uns sont
d'une construction très ingénieuse.
§ 15. — Filtres de Peyron et Dumont.
Nous avons d'abord les filtres Peyron, consistant en cy-
lindres de cuivre où l'air ne peut pénétrer ; ils ont 6 pieds
de haut et 3 de diamètre ( l . 8 0 sur 0 .90) ; chacun d'entre
m
m

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 471
eux a un double fond. Ils sont disposés trois ensemble, le tube
du premier allant de son double fond au sommet du second,
dont le tube va de la même manière au sommet du troisième
filtre.
L'espace entre le faux fond et le sommet de chaque filtre
est bien rempli de fragments de charbon en grains ; le sirop
versé par le haut du premier filtre passe à travers les trois
et sort par un robinet adapté au dernier.
Le filtre de Dumont consiste en un vaisseau de bois d'en-
viron 3 pieds carrés (0 .90), deux pieds à la base (0 .60) et
m
m
environ 3 pieds 1/2 à 4 pieds de profondeur ( l . 0 5 à 0 . 2 0 ) .
m
m
Ce filtre est muni d'un double fond, ou plutôt d'un faux fond
sur lequel est étendue une pièce de flanelle; sur cette flanelle
on dépose le charbon animal granulé, préalablement hu-
mecté, jusqu'à ce que la boîte en soit pleine aux deux tiers
environ. Une autre pièce de flanelle recouvre le charbon et
est elle-même recouverte d'une toile métallique. Un petit
tuyau ou tube à air communique avec l'espace compris en-
tre les deux fonds pour donner issue à l'air dans l'atmo-
sphère. Quand le sirop a traversé le charbon, il est soutiré
par un robinet adapté au filtre au-dessous du double fond.
Ce filtre me semble à la fois simple et excellent.
§ 16. — Filtre au charbon perfectionné de Shear.
Le suivant est le filtre perfectionné, pour le charbon
animal, par MM. Shear et fils, de Bankside, à Londres
(fig. 28).
La figure 28 représente deux vases cylindriques en
cuivre communiquant l'un avec l'autre de manière à pou-
voir fonctionner, soit tous deux à la fois, soit isolément.

472 D E L A C O N S T R U C T I O N
Le sirop est introduit dans la chambre B par le robinet a ;
il passe de là à travers le charbon que renferme la grande
Figure 2 8 .
chambre A dans la chambre inférieure C ; puis, étant puri-
fié, il est soutiré par le robinet b dans la gouttière disposée
pour lui donner issue.
Mais si l'on veut faire fonctionner les deux filtres en même
temps, on ferme le robinet de décharge du premier filtre,

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 473
et l'on ouvre son robinet e ; alors le sirop qui a traversé le
premier filtre A A doit s'élever à travers le tube g g dans la
chambre supérieure B du second filtre, le robinet d étant
aussi ouvert pour lui livrer passage; le sirop traverse le
charbon comme dans le premier filtre, et vient sortir par
le robinet b.
Les deux filtres étant montés exactement l'un comme
l'autre, on peut commencer le filtrage p a r l'un ou par l'autre
indifféremment.
Toutes les parties du filtre doivent être lavées et net-
toyées à fond au moyen de l'eau chaude ou de la vapeur
introduite par le robinet n, qui communique avec le tube g
et qui, par les robinets c, cl, e, f, commande toutes les di-
visions de l'appareil ; l'eau sale sort de la chambre supé-
rieure B par le robinet k, et de la chambre inférieure C p a r
le robinet b.
Le cabinet k peut aussi servir pour le dégagement de
l'air vicié; mais les deux chambres, l'inférieure et la supé-
rieure, sont munies de robinets à air pour cette destination
spéciale. Quelques ouvertures principales permettent d'é-
vacuer toute accumulation de malpropreté ; le charbon peut
être enlevé et replacé par le même moyen. Les filtres peu-
vent être nettoyés par la vapeur introduite par le robinet i,
qui doit communiquer par un tube avec la chaudière à va-
peur.
Il ne peut exister de doute quant à l'efficacité de ces
filtres perfectionnés et quant à la facilité avec laquelle
ils-fonctionnent ; mais les frais de leur premier établisse-
ment me semblent de nature à s'opposer à leur adop-
tion.

474
D E LA C O N S T R U C T I O N
§ 17. — Propriétés du charbon animal. — Avantages du filtrage
au charbon.
L a propriété particulière que possède le charbon animal
de décolorer, ou, en d'autres termes, de purifier les sirops,
est d'un caractère si compliqué, si extraordinaire, que l'on
n'a jamais rien donné qui approche d'une explication satis-
faisante des causes particulières qui influent sur son mode
d'action. L'un des meilleurs éclaircissements fournis à ce
sujet est celui de M. Payen, dans un mémoire couronné ;
en voici les données principales : 1° le pouvoir décolorant
du charbon dépend en général de son état de division ;
2° dans les divers charbons, la substance charbonneuse agit
seulement sur les matières colorantes en se combinant avec
elles et en les précipitant ; dans l'application du charbon
au raffinage du sucre, le charbon agit aussi sur le gluten,
parce qu'il favorise singulièrement la cristallisation ; 4° con-
formément à ces principes, l'action décolorante du charbon
peut être modifiée à tel point que le plus inerte devienne le
plus actif ; 5° la distinction entre le charbon animal et le
charbon végétal est impropre; on peut lui substituer celle de
charbon de terre et charbon brillant ; 6° parmi les substances
contenues dans le charbon outre le carbone, celles qui fa-
vorisent son action décolorante n'exercent une influence re-
lative que sur le carbone ; elles lui servent d'auxiliaire pour
isoler ses particules et les présenter plus librement à l'ac-
tion de la matière colorante; 7° indépendamment de son
pouvoir décolorant, le charbon animal possède la propriété
précieuse d'enlever la chaux tenue en dissolution dans l'eau
et le sirop; 8° aucun charbon végétal ou autre, excepté le
charbon animal, ne possède cette propriété d'entraîner la

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 4 7 5
chaux ; 9° il est facile d'apprécier exactement les proprié-
tés décolorantes de toute espèce de charbon, au moyen du
décolorimètre, tube gradué chargé d'une solution d'indigo
ou de mélasse servant de moyen d'épreuve. Ce fut pour
moi un grand sujet d'étonnement de voir que les planteurs
ne profitaient pas des propriétés si éminemment utiles du
charbon, qui leur permettraient d'envoyer en Europe du
sucre de première qualité, au lieu de celui de qualité infé-
rieure qu'ils lui expédient.
Deux idées sont généralement reçues quant au charbon
animal ; on pense d'une part que son emploi est très coû-
teux, et de l'autre qu'il exige une augmentation considé-
rable de peine et de main-d'œuvre. Rien n'est plus erroné
qu'un tel préjugé, comme le démontreront, je l'espère, les
observations suivantes. On peut acheter à Londres de bon
charbon animal au prix de 13 schellings le quintal (19 fr.
50 c. les 42 kilogr.), et 2 quintaux suffisent et au delà pour
remplir un filtre de 14 pieds cubes (pieds anglais de 0 . 3 0
m
de longueur). Dix filtres semblables sont largement suffi-
sants dans une sucrerie fabricant par jour 6,000 kilogrammes
de sucre ; le nombre de quintaux de charbon nécessaire est
donc de 20, coûtant à Londres 19 fr. 50 c. le quintal .
1
Lorsqu'on vise à l'économie, le filtre peut consister dans
un poinçon ordinaire à mettre le rhum, muni d'un double
fond à environ 0 .15 du fond véritable; un robinet ajusté
m
à cet intervalle sert à soutirer le sirop ; on y peut ajuster
un tube à air en bambou, pour en laisser échapper l'air.
(1) MM. Sorr et fils, à leur fabrique de produits chimiques à
Rotherhiltre, vendent le meilleur charbon animal 325 francs les
1,000 kilogrammes. On peut l'emballer dans des sacs contenant
chacun un quintal ; ces sacs ont 0 .60

.55
m
de long et 0m
de large.

476 D E L A C O N S T R U C T I O N
Le double fond sera recouvert d'une pièce de flanelle, d'un
morceau de couverture blanche, ou de toute autre étoffe
grossière de laine, sur laquelle on étendra le charbon ani-
mal légèrement, le plus également possible ; la surface su-
périeure de la couche de charbon sera elle-même recouverte
d'un morceau de claie, ou d'une pièce de couverture de laine
grossière.
Le filtre du planteur sera ainsi prêt à fonctionner ; il ne
coûtera certainement pas plus de 6 dollars (31 fr. 50 c ) ,
ce qui, pour dix filtres au charbon complétement montés,
fait une somme totale de 60 dollars ou 315 francs.
Toute la dépense première se borne à cette somme réel-
lement modique ; les filtres peuvent servir longtemps sans
exiger beaucoup de soins ; car le charbon peut aisément être
complètement nettoyé et revivifié par la méthode suivante,
fort simple en elle-même. Lorsque quatre ou cinq charges de
sirop auront été successivement décolorées, le charbon
n'exercera plus d'action, en raison même de la matière co-
lorante et des matières organiques qu'il aura enlevées au
sirop. Alors on pompe dans le filtre de l'eau chaude, qui
dégage le charbon de la matière saccharine qu'il a absorbée;
puis l'eau est renvoyée au premier évaporateur. On donne
alors aux filtres une seconde charge d'eau, qui, si elle n'est
plus sucrée, peut être dirigée par la gouttière sur la distil-
lerie au sortir des filtres. On met alors le charbon dans un
réservoir de nettoyage (en bois) où il est abandonné à lui-
même avec une petite quantité d'eau chaude pour qu'il
fermente.
L'opération entière dure de vingt à trente heures, selon
la quantité do gluten, de matière colorante et d'autres sub-
stances que le charbon peut avoir enlevées au sirop ;

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM.
477
bout de ce temps, toutes les matières organiques sont dé-
composées. Le charbon peut alors être complétement net-
toyé par de nouvelles quantités d'eau chaude, jusqu'à ce
que celle-ci finisse par s'écouler parfaitement claire et sans
saveur. Quand toute l'eau des lavages a été égouttée, le
charbon est retiré du réservoir; on l'expose au soleil ou
bien à l'air libre dans un local bien chauffé ; en peu d'in-
stants il y devient assez sec pour pouvoir être replacé dans
les filtres.
On sait que le charbon est une substance réellement in-
destructible ; je ne vois par conséquent pas de raison pour
que celui qui sert au filtrage ne dure pas pendant des an-
nées, étant successivement soumis au procédé de nettoyage
et de fermentation qui vient d'être décrit. Les poinçons ser-
vant de filtres, s'ils sont bien établis dans le principe, peu-
vent aussi durer des années.
On voit qu'avec une dépense tout à fait insignifiante et
une dose très ordinaire de soin et d'attention, on peut éta-
blir et maintenir continuellement en activité ces filtres au
charbon animal en améliorant sensiblement la qualité du
sucre et procurant par conséquent à une plantation des
bénéfices importants. Je crois devoir ajouter que décolorer
ainsi le sirop par le charbon animal, ce n'est pas, après tout,
une entreprise bien difficile ; j e pense même pouvoir m'a-
vancer davantage et affirmer que cette opération est une
des plus importantes, en même temps qu'elle est une des
plus simples et des moins coûteuses de celles qui tiennent
à la fabrication du sucre.
Il n'est pas nécessaire d'être doué du don de prophétie
Pour prédire que, d'ici à peu d'années, chaque plantation
de canne à sucre aura des filtres au charbon animal établis

478 DE LA CONSTRUCTION
dans sa sucrerie ; bien eu prendra à celles de ces planta-
tions qui adopteront les premières cette amélioration si
évidente.
E n sortant du filtre, le sirop décoloré passe dans un ré-
cipient, prêt à charger soit l'appareil de concentration
nommé wetzal, que j ' a i déjà décrit page 419 , soit l'appa-
reil de concentration dans le vide.
§ 18. — Appareil en cuivre pour la concentration dans le vide.
Ce dernier appareil, invention célèbre de l'honorable
Édouard-Charles Howard, est actuellement généralement
en usage, malgré son prix élevé.
L a figure 29 représente un de ces appareils en cuivre
avec ses dépendances, tel qu'il est fabriqué par la maison
Shear et fils de Londres. La gravure donne une idée juste
des différentes parties, qui seront mieux comprises moyen-
nant les explications suivantes :
A. Maçonnerie en briques sur laquelle est établi le tache (on peut
aussi y placer les filtres au charbon animal ) ; un robinet de dé-
charge donne de ce point dans les récipients ou réservoirs.
B. Réservoirs pour la liqueur sortant du tache.
C. Appareil en cuivre pour la concentration dans le v i d e , avec
une jacket à vapeur contenant quelques tubes à vapeur avec leurs
attaches, tels qu'ils sont décrits.
D. Granulateur en cuivre, avec ses dépendances.
E. Machine à vapeur pour faire agir la pompe d'air, élever l'eau, etc.
F. Pompe à air pour faire le vide dans l'appareil.
C . Chaudière B vapeur dans une maçonnerie en briques, faisant
le service de l'appareil, du granulateur et de la machine.
H. Tube de charge, par lequel la liqueur monte du réservoir dans
l'appareil.
I. Soupape de décharge et levier.

Figure 29.


D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM.
479
J. Ouvertures et couvercles, pour le nettoyage en cas de besoin.
K. Tube d'évacuation par lequel la vapeur est dirigée du sucre
dans le condensateur.
L. Récipient pour toute quantité de sucre qui peut déborder pendant
l'ébullition.
M. Condensateur où la vapeur est condensée par un jet d'eau
froide.
N. Soupape à air par laquelle l'air pompé dans l'appareil passe
dans la pompe à air en même temps que la vapeur condensée et
l'eau d'injection.
O O. Tubes joints à la pompe à air.
P P. Thermomètre et baromètre adaptés au dôme de l'appareil.
Q. Tringle d'épreuve.
R. Tuyau pour conduire l'eau condensée, provenant de la jacquet à
vapeur et du serpentin, dans la caisse à l'eau condensée.
S. Robinet à air.
T. Caisse à l'eau condensée, dans laquelle l'eau condensée de l'ap-
pareil de concentration dans le vide et du granulateur est reçue,
pour retourner de là dans la chaudière à vapeur.
U. Robinet et tube d'injection réglant la quantité d'eau exigée pour
condenser la vapeur de la cuisson du sucre dans l'appareil.
V V. Tube principal à vapeur, fournissant à l'appareil granulateur
la vapeur provenant de la chaudière.
W. Réservoir d'eau pour alimenter chaudière, l'aire les in jections,
et pour divers autres usages.
X. Tuyau reconduisant dans la chaudière à vapeur l'eau con-
densée.
Y. Tube à vapeur desservant le granulateur.
Z. Tuyau pour amener au réservoir l'eau froide de la pompe.
a. Œil de verre placé sur le dôme de l'appareil.
b. Tube de verre montrant quand le récipient contient du liquide.
d. Cheminée.
Cette disposition de l'appareil n'est pas exactement celle
que je choisirais pour une sucrerie dépendant d'une plan-
tation; mais il eût été difficile de le supposer mieux placé
pour en donner une bonne figure.

480
DE LA CONSTRUCTION
Le principe de l'appareil de concentration dans le vide
est si généralement connu que j ' a i peu de chose à ajouter
à ce sujet. Le fait que les liquides entrent en ébullition à
une température beaucoup plus basse quand ils sont
dégagés de la pression atmosphérique est celui dont
M. Howard a su faire l'application, s'il ne l'a pas réelle-
ment découvert le premier, ainsi que j ' a i des raisons de
le croire.
Dans la pratique, la différence peut être pour l'eau de
160 à 212 degrés de Fahrenheit (37 à 53 Réaumur), et, pour
le sirop, 160 à 231 (40 à 57 Réaumur). E n d'autres termes,
le sirop, même concentré, bout dans le vicie à 160 degrés
Fahrenheit, tandis que dans une chaudière ouverte, quand
il approche de sa concentration, il ne bout qu'à 231 degrés
pleins du thermomètre de Fahrenheit. Mais en moyenne,
lorsqu'on opère avec l'appareil de concentration dans le
vide, sa température d'ébullition est le plus communément
de 165 à 180 degrés Fahrenheit (56° à 64° Réaumur).
L'évaporation des liquides est accompagnée d'un certain
nombre de faits bien connus, quoique fort singuliers, qu'on
trouve dispersés dans plusieurs ouvrages ; ces faits semblent
n'être pas remarqués d'une foule de gens, bien que ce dé-
faut d'attention de leur part puisse compromettre le succès
de leurs opérations.
J e mentionnerai seulement une méthode particulière d'é-
vaporation, qui produit tout à fait le même effet que de
créer un vide au-dessus du liquide ; elle consiste à faire
passer sur la surface du liquide un courant d'air sec ; quel-
que froid que puisse être l'air, pourvu qu'il soit au-dessus
du degré de congélation, l'évaporation du liquide sera sem-
blable à celle qui a lieu dans le vide.

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 481
Si l'air sec et froid est contraint à traverser le liquide et
qu'un courant soit également maintenu à sa surface, l'éva-
poration peut marcher avec une excessive rapidité. L'air
chaud ne produit point d'évaporation, à moins qu'il ne soit
sec; son pouvoir d'évaporer les liquides dépend de son
état de sécheresse. Changeons l'aspect de la question, et
supposons un vase chauffé par la vapeur, d'une forme par-
ticulière à sa partie supérieure, contenant un liquide à la
surface duquelle passe sans interruption un bon courant
d'air sec ; l'évaporation y sera aussi rapide que sous l'in-
fluence du vide le plus parfait, tel qu'on peut le faire dans le
condensateur d'un appareil de concentration par le vide.
Il faudra cependant une pompe à air pour entraîner le cou-
rant d'air sec, et une disposition spéciale sera nécessaire
pour amener au degré voulu de sécheresse l'air à fournir à
la machine pneumatique ou pompe à air ; il s'agit donc de
savoir quelle méthode peut être adoptée dans la pratique
avec le plus d'efficacité et d'économie. On peut conclure
de tout ce qui précède que l'avantage est en faveur de l'ap-
pareil de concentration dans le vide communément usité ;
mais j e suis convaincu que le moment est tout proche où
cet appareil subira quelques modifications essentielles.
J'en ai vu un grand nombre de toute sorte de dimensions,
sortant de différentes fabriques ; ceux de MM. Shear et
fils ont excité plus que tous les autres mon admiration. J e
me suis présenté en qualité d'étranger à leur fabrique de
Southwark, à diverses reprises, et j ' a i employé des heures
entières à examiner les diverses branches de leurs travaux.
J'ai eu l'occasion d'y voir l'appareil de concentration par
le vide, à divers degrés d'avancement dans sa construction,
et j'en ai inspecté de très près le travail dans chaque divi-
31

482 DE LA CONSTRUCTION
sion. Il en est résulté pour moi une impression très favo-
rable quant au carcactère de cet établissement, et je me fais
un plaisir de joindre mon témoignage désintéressé aux suf-
frages du public qui connaît la réputation dès longtemps
établie de cette maison.
Pour répondre aux exigences d'une plantation de canne
à sucre, l'appareil de concentration par le vide doit être en
cuivre ou en fer; le cuivre peut être préférable sous quel-
ques r a p p o r t s ; mais l'appareil en fer répond également
bien à la destination. C'est pourquoi je me suis procuré le
dessin d'un de ces appareils en fer, exactement semblable
à ceux que livre pour les colonies la maison Shear et fils.
Figure 30.

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM.
483
§ 19. — Prix de cet appareil.
Une plantation possédant une bonne machine à vapeur,
telle que celle dont j'ai précédemment recommandé l'adop-
tion, pourra parfaitement faire fonctionner l'appareil de
concentration par le vide, sans avoir à supporter un sur-
plus de dépense en production de force ou autrement ; car
elle n'aura besoin que d'acquérir l'appareil lui-même avec
ses accessoirs indispensables. S'il est de 6 pieds 1/2 de dia-
mètre ( 1 . 9 5 ) , en cuivre, pouvant opérer sur 5,000 kilo-
m
grammes de sucre par jour, il coûtera environ 365 livres
sterling (9,125 francs) ; mais, s'il est en fer avec les serpen-
tins en cuivre, le prix pourra en être réduit d'un tiers ; il ne
coûtera dans ce cas que 243 livres sterling (6,075 francs).
Un appareil semblable en cuivre, pouvant travailler par
jour 7,000 kilogrammes de sucre, reviendrait environ à
450 livres sterling (11,250 francs) ; s'il était en fer, il coûte-
rait 300 livres sterling (7,500 francs). Je ne donne pas ces
prix pour être d'une parfaite exactitude ; ce sont de simples
estimations en bloc, suffisantes cependant pour donner une
idée juste des frais qu'entraîne l'adoption de ces appareils.
En sortant de l'appareil de concentration par le vide, le
sirop concentré entre dans les granulateurs ; il y reste jus-
qu'à ce qu'il soit graine. La capacité des granulateurs est
calculée pour recevoir trois fois le contenu de l'appareil de
concentration parle vide; le sirop y est transvasé à plusieurs
reprises, à mesure qu'il est concentré. Pendant ce temps, la
température est maintenue, au moyen des jackets à vapeur,
entre 180 et 200 degrés Fahrenheit. Les granulateurs
peuvent être en tôle et remplir parfaitement leur desti-
nation.

4 8 4 DE LA CONSTRUCTION
Lorsqu'on adopte l'évaporateur de Wetzal au lieu de
l'appareil de concentration par le vide, on ne se sert pas de
granulateurs ; le sucre passe immédiatement dans de grands
refroidissoirs peu profonds. J e n'ai rien à dire ici de ces
refroidissoirs, si ce n'est qu'ils ne sont nullement appropriés
à l'objet que le planteur a en vue ; mes raisons pour avancer
cette assertion trouveront place dans le chapitre suivant.
Avant de quitter cette division de la sucrerie, je ferai
observer qu'outre le toit particulier dont ce bâtiment doit
être muni pour laisser aisément échapper la vapeur d'eau
provenant des évaporateurs et des autres appareils, il doit
avoir un ventilateur intérieur, faute de quoi la vapeur sé-
journe à l'entour de la surface des appareils, et oppose a
l'évaporation ultérieure du liquide un obstacle sérieux.
Plus le courant d'air établi à l'intérieur de ce bâtiment est
puissant, plus l'évaporation en est activée; car il ne faut
pas oublier que, dans une atmosphère chargée d'humidité,
les liquides ne s'évaporent pas, ou du moins s'évaporent
très lentement ; la sucrerie est précisément dans ce cas
lorsque son atmosphère intérieure est remplie de vapeur
d'eau.
La ventilation de la sucrerie, objet insignifiant en appa-
rence, est, dans mon opinion, tellement essentielle que je
la recommande à toute la vigilance du planteur.
§ 20. — Purgerie et ses appareils.
La purgerie constitue l'une des divisions les plus impor-
tantes de la sucrerie ; ses dispositions intérieures réclament
une attention toute particulière. Avant que le sucre puisse
être considéré comme prêt à être livré au commerce, il doit

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M . 485
encore subir trois opérations qui sont du ressort de la p u r -
gerie : ce sont la cristallisation, l'égouttement et le séchage.
Pour faciliter ces opérations, le local de la purgerie doit
être divisé en deux compartiments principaux ; le plus grand
doit servir à la cristallisation et à l'égouttement, le plus
petit au séchage du sucre avant qu'il puisse être emballé
pour la vente immédiate ou pour l'exportation. Les deux
premières opérations ont besoin de lumière, de chaleur et
d'un certain degré d'humidité; la seconde a besoin de lu-
mière, de chaleur et de sécheresse.
On peut faire choix de cônes et de moules de formes très
variées pour sécher le sucre ; comme les formes et les di-
mensions les plus avantageuses à donner à ces vases sont
subordonnées aux circonstances sous l'empire desquelles le
sirop a été concentré, j e remets à discuter particulièrement
ce point jusqu'à ce que j'aborde cette partie de la fabri-
cation.
La forme et la situation des récipients pour les mélasses
dépendent également du procédé particulier de fabrication
par lequel le sucre a été traité.
J'ai vu dans l'Inde orientale des purgeries tellement ob-
scures, froides et humides qu'on aurait pu croire que le
planteur leur avait donné ces caractères à dessein, en vue
de quelques avantages imaginaires. Personne cependant n'a
pu me donner de bonnes raisons à ce sujet ; on alléguait seu-
lement le prix élevé qu'auraient coûté des fenêtres vitrées,
et les dangers qu'auraient offerts les volets en bois comme
facilitant les tentatives des voleurs. Mais on perd en un an,
par cette disposition vicieuse de la purgerie, bien plus qu'il
n'en coûterait pour acheter des carreaux de vitre pour les
fenêtres, qui, une fois vitrées, dureraient des années Le

486 D E LA C O N S T R U C T I O N
verre à vitre, qui vaut en Angleterre 3 à 4 deniers le pied
carré (3 centimes 1/3 à 4 centimes 1/2 le décimètre carré),
convient parfaitement pour toute sorte d'usages; si l'on
adopte cette qualité de verre dans une purgerie de 65 pieds
de long sur 36 de large ( 1 9 . 5 0 de long sur 10 .80 de
m
m
large), et qu'on place à des intervalles de 6 pieds (l .80)
m
des fenêtres de 6 pieds de haut sur 4 de large (l .80 de
m
haut sur un 1m.20 de large), on aura 15 fenêtres en tout,
dont le verre reviendra à 6 livres sterling ( 150 francs).
Cette somme est largement suffisante, parce qu'on n'a
besoin que de verre très commun ; mais, pour la casse et les
frais accessoires, on peut porter la dépense à 10 livres
sterling (250 francs), la purgerie étant des dimensions ci-
dessus indiquées. Il faut aussi tenir compte des châssis des
fenêtres; ces châssis doivent être à demeure, avec un seul
carreau au milieu, s'ouvrant à volonté, pour pouvoir fermer
les volets à l'entrée de la nuit. Dans les colonies des détroits
malais, ces châssis, en très bon bois, sont livrés par les
menuisiers chinois au prix de 2 dollars la pièce (10 fr. 50 c.)
à l'entreprise. Au Bengale, ils ne coûteraient pas plus de
5 schellings (6 fr. 25 c.) ; si l'on alloue pour les châssis, y
compris la peinture et la pose des vitres, une somme de
10 schellings la pièce (12 fr. 5 0 c ) , la dépense pour les
quinze fenêtres se trouvera portée à 17 livres 10 schellings
(437 fr. 50 c.).
Quand on porterait cette somme à 20 livres sterling
(500 francs), ce ne serait pas assurément le dixième de la
perte subie sur chaque récolte par le défaut de lumière et
de chaleur à l'intérieur de la purgerie.

D ' U N E F A B R I Q U E D E S U C R E E T D E R H U M .
487
§ 21. — Distillerie. — Cuves à fermentation. — Alambics.
— Observations sur la distillerie.
La distillerie représentée figures 18 et 19 contient des
récipients pour les écumes, des réservoirs à fermentation,
des jarres pour le rhum, des citernes pour les résidus, et les
appareils de distillation.
Les réservoirs pour les écumes sont en bois, doublés en
plomb ; ils reçoivent les écumes provenant des évaporateurs,
des clarificateurs et des précipitateurs, ainsi que les eaux
des lavages des deux derniers, et celles de tous les autres
vaisseaux en usage dans la sucrerie. Le tout ensemble prend
le nom d'écumes et sert, comme je le dirai plus loin, à la
fabrication du rhum.
Ces réservoirs devront former deux étages disposés l'un
au-dessus de l'autre, afin que le contenu de l'étage supérieur
puisse être décanté dans l'étage inférieur, pour être clarifié
avant d'être employé comme liquide à distiller.
Les citernes à fermentation sont toujours construites en
bon bois dur ; le meilleur pour cet usage est le cèdre de la
Jamaïque; dans l'Inde, on emploie le bois de saule; dans
les colonies des détroits malais, le bois de merboè, ou tout
autre de bonne qualité. Leur construction doit être très soi-
gnée, afin qu'elles soient parfaitement étanches ; plus tard
on les enduit au dehors d'une bonne couche d'un mélange
de daumier, de goudron et d'huile, avec une petite quantité
d'arsenic; cette composition les garantit efficacement contre
les attaques des fourmis blanches. Cas citernes ou cuves
sont alors disposées en lignes comme je l'ai indiqué, sépa-
rées entre elles par un intervalle d'environ 2 pieds (0 .60) ;
m

488 DE LA CONSTRUCTION
elles doivent laisser libre, au milieu du local réservé à la
fermentation, un espace de 6 pieds de large (1 .80) sur
m
toute la longueur de ce local. L'espace entre les cuves, aussi
bien que le grand espace vide au centre., est comblé immé-
diatement avec de bonne argile sèche, jusqu'au niveau du
bord supérieur des cuves; l'argile est fortement tassée,
afin de la rendre ferme et solide.
On établit de cette manière, dans ces intervalles, des
passages au moyen desquels les ouvriers peuvent exécuter
leur besogne avec facilité. L'étage inférieur des réservoirs
aux écumes est juste de niveau avec le bord supérieur des
cuves, de sorte que les écumes peuvent à volonté être
dirigées par la gouttière dans n'importe laquelle de ces
cuves.
Lorsqu'il faut vider une citerne pour en distiller le con-
tenu, l'on n'a besoin pour cela que d'une pompe ordinaire.
Si cette partie de la besogne doit se faire à la main, un ou-
vrier doit en être chargé spécialement, comme dirigeant
constamment la distillation, ce qui procurera beaucoup
d'économie de temps et de chauffage. Dans les plantations
où la force d'une machine à vapeur est employée à faire
fonctionner le moulin à broyer les cannes, on peut, par un
arrangement très simple, faire mouvoir par la vapeur la
pompe de la distillerie; rien n'est plus facile, quand la su-
crerie est construite sur l'un des plans dont je recommande
l'adoption. C'est ce que j'exposerai ultérieurement plus en
détail.
Les dimensions des cuves à fermentation diffèrent selon
les circonstances ; pour ce qui me concerne, j ' a i toujours
trouvé que les plus commodes dans la pratique sont celles
qui contiennent de 1,000 à 1,600 gallons En tout cas, les

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 489
cuves à fermention sont préférables aux tonnes à l'ancienne
mode.
Les jarres à rhum, depuis quelques années, se rencon-
trent plus rarement dans les magasins, à cause de la néces-
sité où sont les colons de vendre le plus tôt possible leur
rhum à mesure qu'il est fabriqué ; il en résulte que souvent
la liqueur est mise immédiatement dans les poinçons ou les
muids ; dès qu'elle y a pris couleur, elle est vendue ou em-
barquée sans passer par les jarres à rhum.
Toutefois il est bon d'en avoir quelques-unes à sa dis-
position, contenant chacune de 300 à 500 gallons, pour que
le rhum y séjourne ; on évite par la d'encombrer le magasin
d'un trop grand nombre de poinçons ; le rhum prend une
meilleure couleur dans les jarres que dans les poinçons.
Les réservoirs aux résidus de distillation sont de solides
et épaisses cuves en bois destinées à contenir le dunder,
liquide dont la partie spiritueuse a été séparée par la distil-
lation à mesure qu'on le retire de l'alambic. On leur donne
ordinairement une capacité qui leur permet de contenir cha-
cune autant de liquide que l'alambic ; de cette manière,
pendant le temps que met l'alambic à distiller deux charges
et une partie de la troisième, le contenu du premier réser-
voir aux résidus est assez refroidi pour pouvoir être pompé
dans l'étage supérieur, et ainsi de suite.
Il existe en ce moment tant d'appareils distillatoires
usités qu'il m'est impossible d'en donner même simplement
la liste; en raison de leur grande diversité, je me bornerai
à signaler quelques-uns des plus remarquables.
Au premier rang des alambics anglais, se présente celui
de MM. Shear et f i l s ; j ' e n donnerai la figure et la descrip-
tion en traitant, dans le chapitre suivant, de la fabrication

490 DE LA CONSTRUCTION
du rhum. Viennent ensuite les alambics de MM. Coffey,
dont j ' a i vu quelques-uns fonctionner aux Indes orientales ;
mais je ne puis placer ce genre d'alambics au nombre de
ceux que je serais disposé à adopter pour mon propre
usage ou bien à recommander aux autres, du moins pour
la distillerie jointe à une plantation de cannes à sucre. Je
ne doute pas qu'ils ne puissent être d'un bon usage en Eu-
rope; mais ceux que j ' a i vus fonctionner se détraquaient à
chaque instant, ce qui, dans les pays dépourvus d'ouvriers
habiles, cause au planteur beaucoup d'embarras et des
pertes très graves.
L'alambic ordinaire, à une ou deux cornues, est celui
dont j ' a i adopté pour mon propre usage la forme particu-
lière; d'après ma propre expérience, j e le trouve préférable
à tout autre appareil de distillation. Avec un alambic con-
tenant 1,000 gallons, muni de deux cornues, chacune de
la contenance de 70 et de 80 gallons, j'obtenais en douze
heures 320 gallons de rhum, sur le pied de 35 pour 100,
bien éprouvé, et, si j'avais eu un chef de distillerie pour
diriger l'alambic, j ' e n aurais aisément obtenu 400 gallons
pendant le même espace de temps.
En Angleterre, un appareil semblable complet coûte
environ 450 livres sterling (11,250 francs). Il jouit dans
les colonies d'une grande réputation, et il la mérite.
MM. Shear et fils en ont, au moment où j'écris, quelques-
uns à livrer pour la Jamaïque et les autres îles des Indes
occidentales.
Deux alambics français inventés, l'un par M. Blumen-
thal, l'autre par M. Laugier, sont renommés comme les
plus économiques quant à l'emploi du combustible et les
plus expéditifs dans la pratique. Ils sont fondés l'un et

D'UNE FABRIQUE DE SUCRE ET DE RHUM. 491
l'autre sur le principe de la distillation continue; j'aurai
occasion de les décrire plus particulièrement, ainsi que
quelques autres, dans le chapitre suivant.
Le local de la distillerie doit être sec et modérément
chaud. Une trop forte chaleur ne doit pas régner dans le
local destiné à la fermentation; car dans ce cas, la fer-
mentation étant trop énergique, une grande quantité d'al-
cool s'échapperait des cuves par évaporation. Par les mêmes
motifs, on se gardera d'y admettre une trop vive l u -
mière. Ces précautions doivent rappeler au planteur que
la fermentation qui s'accorde le mieux avec ses intérêts
est celle qui est modérée et qui s'exerce également dans
tout le liquide, et non pas celle qui se manifeste avec des
bouillonnements furieux, comme il arrive quelquefois dans
une distillerie où règnent trop de lumière et trop de chaleur.
Il ne faut pas non plus que la distillerie soit froide et
humide, ni que sa ventilation soit négligée. Mais la discus-
sion sur ce point est plutôt du domaine de l'un des chapitres
suivants que de celui-ci.


CHAPITRE VIII.
De la fabrication du sucre. — Trituration des cannes. — Prin-
cipes constituants du jus de cannes. — Procédés de déféca-
tion, évaporation, concentration, granulation. — Purgerie
du sucre.

§ 1 . — Trituration des cannes au moulin.
e r
Dans la fabrication du sucre de canne, nous avons d'abord
affaire à la canne elle-même ; sa trituration et l'expression
de son jus sont par conséquent le premier anneau des opé-
rations dont la dernière aboutit à la concentration définitive
du sucre.
Il est ensuite nécessaire de déterminer quelles sont les
substances habituellement mélangées pour former cette ma-
tière première qu'on nomme jus de canne; car, si nous ne
parvenons à nous rendre compte avec assez de netteté de
ses principes constituants et de leurs caractères particu-
liers, nous ne pouvons espérer raisonnablement de réussir
dans l'importante opération de la défécation.
Ces deux sujets formeront donc notre introduction
pour aborder les détails de la fabrication exposés dans ce
chapitre.
Quand les cannes sont placées sur la planche d'alimenta-
tion du moulin, leur longueur ne doit jamais dépasser 4 à
5 pieds (0 .20 à 1m.50) ; autrement elles causent inévitable-
m
ment beaucoup d'embarras, et, à mesure qu'elles sont

494 DE LA FABRICATION
broyées, elles sautent au dehors en dépit de tout ce que
peuvent faire pour les en empêcher les ouvriers charges
d'alimenter le moulin. C'est aux coupeurs de cannes qu'il
appartient de prévenir ce grave inconvénient; ils doivent, en
récoltant les cannes, les couper à la longueur la plus com-
mode. En arrivant à la planche d'alimentation, les ouvriers
chargés du transport des cannes délient les bottes, et ceux
qui dirigent le moulin prennent le plus grand soin pour les
disposer d'une manière égale et régulière sur toute la lon-
gueur des cylindres. En supposant que les cylindres aient
une longueur de 4 pieds (l .20), les cannes étant bien arran-
m
gées, le moulin peut en broyer à la fois 22 de grosseur
moyenne.
Un pourrait en livrer au moulin un plus grand nombre à
la fois; mais je ne pense pas qu'il y eût à cela ni facilité
ni avantage réel. Le grand point, c'est que le moulin soit
alimenté de façon qu'en l'inspectant à un moment quelcon-
que pendant qu'il fonctionne, on y trouve toujours le même
nombre en train d'être broyé, celles qui disparaissent en-
tre les cylindres étant immédiatement employées. Cette
régularité contraste vivement avec la méthode négligente,
mais communément en usage, qui par moments encombre
le moulin avec 30 ou 35 cannes, et en d'autres instants ne
lui en offre à broyer que 2 ou 3 à la fois. Quand l'alimenta-
tion du moulin marche bien, pour produire le plus de jus
possible, ménager la force de la machine, offrir le moins de
chances possible de briser ou d'endommager le moulin, elle
doit être uniforme, régulière et modérée.
L'ouvrier qui doit diriger et faciliter le passage des cannes
déjà brisées et saturées d'eau entro le second jeu de cy-
lindres, n'a, pour ainsi dire, rien autre chose à faire que de

D U S U C R E . 495
veiller à ce qu'elles passent droit et régulièrement. Si les
cylindres sont bien vissés et suffisamment serrés, il n'est
pas nécessaire de doubler la trituration des cannes saturées.
En aucun cas, elles ne pourront passer entre les cylindres
sans être broyées à fond.
§ 2. — Expression du jus de canne.
Il peut sembler à propos de séparer le jus de canne ex-
primé sans mélange de celui des cannes saturées, qui se
trouve mêlé d'une grande quantité d'eau; mais, si le jus
doit être immédiatement livré à la fabrication du sucre, je
ne pense pas qu'il puisse résulter aucun avantage de cette
séparation. Enfin, quelles que soient les circonstances, le
jus de canne doit être clarifié aussitôt qu'il est exprimé ;
ou bien, s'il est nécessaire de le garder pendant un temps
quelconque, des moyens très simples doivent être mis en
usage pour l'empêcher de fermenter. Je ne vois donc pas
qu'il puisse se produire aucun effet fâcheux du mélange
des deux sortes de jus provenant des deux jeux de rou-
leaux.
L'une des opérations les plus importantes de la tenue du
moulin, c'est de tenir la caisse de dessous constamment dé-
barrassée des débris de cannes qui tombent continuelle-
ment d'entre les rouleaux; faute de ce soin, ces débris en
très peu de temps deviennent acides et communiquent leur
goût au j u s . Cette caisse doit donc être nettoyée toutes les
cinq ou dix minutes ; un jeune garçon peut être chargé de
ce nettoyage en même temps que de celui des gouttières et
des étamines à passer le jus.
A mesure que le jus sort de la caisse du moulin, il tombe

496 DE LA FABRICATION
sur la première, la seconde et la troisième étamine successi-
vement, placée chacune à un niveau plus bas que celle qui
la précède; chacune est formée d'un tissu plus fin en s'é-
loignant du moulin. Il y a ainsi une chute de 21 pouces
( 0 . 5 2 ) , résultant de trois marches d'escalier de 7 pouces
m
chacune (0 .17). Ces degrés permettent d'établir sur cha-
m
cun d'entre eux de petits réceptacles d'environ 2 pieds car-
rés (0m.60), dont les bords sont élevés d'environ 0 .05, et
m
un rebord qui avance sur l'espace occupé par le degré sui-
vant placé au-dessous. Les étamines, qui n'ont pas plus de
22 pouces ( 0 . 5 5 ) , sont fixées sur ces espaces de 2 pieds
m
carrés (0 .60) par leur bord inférieur; le fond des éta-
m
mines se trouve ainsi à 1 pouce ( 0 . 0 2 5 ) au-dessus du
m
fond des réceptacles. Afin de prévenir l'acidité, le fond des
réceptacles est en lames de plomb ; on a soin de les net-
toyer constamment de tout ce qui pourrait y faire naître
l'acidité.
Un châssis en bois remplit parfaitement cette destina-
tion ; il suffit que les étamines soient posées sur des récep-
tacles en plomb laminé. La troisième étamine, la plus basse
des trois, doit être faite de très fine toile métallique. En tra-
versant les étamines, le jus se trouve purifié d'une grande
quantité de matières étrangères ; il en laisse une autre por-
tion, en passant par la dernière, la plus serrée de toutes ,
suspendue au-dessus du clarificateur.
§ 3 . — Substances contenues dans le jus de canne. — Sucre. — Fibre
ligneuse. — Gluten.— Fécule verte. — Chlorophylle. — Gomme. —
Matières salines.
Le jus étant rendu dans la sucrerie, avant de décrire la

DU SUCRE. 497
manière de le traiter ultérieurement, nous prendrons con-
naissance des substances qu'il contient.
Le jus de cannes, tel qu'il est lorsqu'il arrive dans la su-
crerie, peut être considéré comme contenant : de l'eau, —
du sucre — de la fibre ligneuse, — du gluten, — de la fécule
verte, — de la cire verte (chlorophylle), — de la gomme,
— des substances salines.
Quelques-unes des propriétés du jus de canne diffèrent
selon les circonstances sous l'empire desquelles les cannes
ont végété, et selon le degré de maturité qu'elles ont atteint
au moment de la récolte.
J e n'ai indiqué aucune proportion dans ces éléments,
parce qu'elles dépendent évidemment des circonstances
qui influent sur les plantes, et qu'on ne peut à cet égard
prendre aucune base de calcul fixe et régulière. J e consta-
terai plus loin, telles que les indique l'analyse, les parties
dont se composent le jus de canne de bonne qualité et le
jus de qualité inférieure; mais il serait difficile, sinon tout
à fait impossible, d'en indiquer une moyenne, même ap-
proximative, pouvant être admise comme règle dans la pra-
tique.
La quantité d'eau contenue dans le jus de canne varie de
70 à 75 pour 100 ; elle peut être évaporée en entier, à l'ex-
ception de ce qui est nécessaire pour la cristallisation.
Le sucre contenu dans le jus de canne marque depuis
5 jusqu'à 14 degrés au saccharimètre de Baumé, indiquant
une richesse de 9 à 25 pour 100. Je n'ai jamais personnel-
lement observé un jus de canne contenant 25 pour 100 de
sucre ; je n'en ai jamais vu qui dépassât 23 pour 100, bien
que très probablement, pendant la première période de ma
carrière de planteur, du jus à 25 pour 100 de sucre ait dû
32

498 DE LA FABRICATION
me passer par les mains sans que je m'en sois aperçu.
Dutrône, dont le témoignage et les opinions méritent
autant de respect que de confiance, rapporte que, dans la
même plantation, il obtenait a u n e époque de l'année 9 livres
3 onces seulement de sucre de 100 livres de jus de canne,
tandis qu'à une autre époque, plus favorable, il en obtenait
de la même quantité 25 livres 11 onces. J'ai eu moi-même
connaissance, dans une plantation, d'une variation de 11 à
22 pour 100 de sucre.
Le saccharimètre marque la densité du jus de canne;
mais la quantité de sucre cristallisable dépend de la pureté
du jus et de la quantité plus ou moins grande de substance
azotée et de matières salines qu'il peut contenir. Prenons;
par exemple, un jus d'une densité de 10 degrés au saccha-
r i m è t r e , répondant à 18 1/2 pour 100 de matière extrac-
1
tive solide; il y aura au moins 1 1/2 pour 100 à déduire
pour la partie non cristallisable ; il y en aura souvent beau-
coup plus.
Le sucre, ainsi que je l'ai fait observer précédemment,
existe dans le tissu cellulaire de la canne sous la forme de
liquide transparent, et sous la forme concrète; c'est-à-dire
que, sous l'empire de circonstances favorables, telles qu un
sol parfaitement approprié à cette culture et une tempéra
ture chaude et sèche, il devient si riche et si parfaitement
élaboré que le liquide sucré dépose autour des cellules qui
le contiennent des cristaux très petits, mais très visibles.
Il n'est pas douteux que l'on n'obtînt, au moyen de la simple
Ce chiffre est pris a la température de 60 degrés Fahrenheit
(15° Réaumur); mais à celle de 84 degrés Fahrenheit (21° Réaumur),
qui est ordinairement celle du jus de canne aux colonies, 10 degrés
au saccharimètre indiquent 18 pour 100 au moins de sucre pur.

DU SUCRE. 499
évaporation du j u s , un sucre cristallisé très p u r , s'il y
avait moyen d'extraire la matière sucrée liquide et cristal-
line sans la mélanger avec les autres substances qui font
partie de la séve de la canne. Malheureusement, par le mode
d'expression aujourd'hui universellement en usage, il arrive
que non-seulement le sucre liquide cristallisable est, à son
grand détriment, mélangé avec des substances azotées et
d'autres matières, mais encore que les cristaux de sucre
déposés dans le tissu cellulaire de la canne restent en
grande partie dans la bagasse, attachés aux membranes
cellulaires.
C'est pour cette dernière cause que la saturation des
tiges broyées des cannes, au moyen de l'eau chaude, est
recommandée avant qu'elles soient soumises à une dernière
pression sous le second jeu de cylindres du moulin de la su-
crerie.
Fibre ligneuse ou lignine. On désigne sous ces deux noms
la charpente solide de la tige de la canne à sucre, dont les
particules se trouvent mêlées au j u s de canne p a r suite
de l'écrasement que la tige subit en passant sous le moulin.
Quelques-unes de ces parties sont assez grosses pour être
retenues sur la toile métallique des étamines, lorsque le
jus les traverse dans son trajet du moulin vers les clarifi-
cateurs ; d'autres, au contraire, sont si finement divisées
qu'elles passent par les maillles de la toile métallique et
vont dans le clarificateur.
Quelques auteurs établissent une distinction bien tran-
chée entre la fibre ligneuse et le tissu cellulaire des plantes.
Ils nomment ce dernier cellulose ; mais il ne paraît pas qu'il
y ait des motifs bien fondés de les distinguer; car ils sont
identiques entre eux quant à leur composition ; la fibre li-

500 DE LA FABRICATION
gueuse et le tissu cellulaire d'une plante sont identiques
avec les substances similaires dans une autre plante. Il y a
cependant une différence décidée entre la composition du
bois et celle de la fibre ligneuse proprement dite. Il entre
dans la composition du bois de 3 à ó pour 100 de sub-
stances étrangères qui n'existent pas dans la compo-
sition de la fibre ligneuse. E n o u t r e , quand on soumet
à l'analyse la fibre ligneuse et le tissu cellulaire, et que
l'on compare les résultats, on perd trop souvent de vue la
nature et les propriétés des substances qui ont été conte-
nues dans les cellules, tandis que la réflexion montre à
quel point ces substances doivent influer sur les résultats
de l'analyse. Par exemple, il y a dans la canne à sucre des
cellules où le liquide sucré est élaboré, où même des cris-
taux de sucre sont déposés ; il y a aussi d'autres cellules
dans lesquelles s'accomplissent d'autres fonctions organi-
ques très variées 11 est clair, p a r conséquent, que, selon la
nature particulière des différentes substances organisées
dans ces cellules, leur tissu en est plus ou moins pénétré,
plus ou moins imprégné; de là des différences nécessaires
dans les résultats de l'analyse de ces cellules.
C'est pour cette cause qu'on y trouve des proportions si
différentes de carbone, d'oxygène et d'hydrogène, propor-
tions dont on a tiré tant do conclusions erronées, pro-
pres seulement à mystifier, à abuser le commun des lec-
teurs.
Les particules très divisées de fibre ligneuse qui existent
dans le jus de canne lorsqu'il entre dans le clarificateur,
sont plus ou moins enveloppées d'une substance qui les force
à monter à la, surface du liquide pendant le procédé de la
clarification; j'en ai même vu des quantités considérables

DU SUCRE.
501
s élever à la surlace dans les refroidissoirs ; il n'y a donc pas
de difficulté à se débarrasser de cette substance.
L e gluten est une substance qui se montre sous différentes
formes, selon la manière dont agissent sur elle les matières
avec lesquelles elle se trouve mise en contact. Cette circon-
stance a présenté aux chimistes l'avantage de pouvoir enri-
chir leur nomenclature de quelques singuliers termes nou-
veaux ; c'est ainsi que nous avons le gluten, la zimome, la
gliadine, la légumine, l'albumine végétale, la fibrine, la ca-
séine, avec une infinité d'autres.
Le planteur ne sera sans doute pas fâché d'apprendre
qu'en dépit de cette formidable armée de noms, le tout se
résout en une seule substance, le gluten ; mais comme la dé-
nomination d'albumine végétale est la plus usitée, je l'em-
ploierai dans l'occasion aussi bien que celle de gluten, étant
bien entendu que les deux sont une seule et même sub-
stance. D a n s le j u s de canne, le gluten existe en solution, à
Moins que l'acide qui le tient dissous ne soit évaporé par la
chaleur, ou en le saturant à l'aide d'une solution alcaline,
ce qui rend le gluten insoluble et le fait coaguler, de sorte
que ses particules, se rencontrant mutuellement, adhèrent
l'une à l'autre et montent à la surface sous forme d'une
écume épaisse souvent nommée albumine végétale. T o u t j u s
de canne contient une portion d'acides libres ; cette p o r -
tion, a u sortir du moulin, est quelquefois assez grande p o u r
manifester une légère réaction acide sur le papier de tour-
nesol, tandis qu'en général ce réactif ne la met pas en évi-
dence, les acides étant combinés avec le gluten, etc., de
manière à ne pas manifester de symptômes de leur exis-
tence. Mais si l'on emploie u n alcali, d e la chaux éteinte
par exemple, une combinaison immédiate a lieu entre l'al-

502 DE LA FABRICATION
cali et l'acide, et sur-le-champ le gluten prend la forme d'un
coagulum en devenant insoluble dans l'eau. Une applica-
tion ultérieure d'alcali aurait pour effet de redissoudre le
gluten coagulé, et de le maintenir à l'état de solution jus-
qu'à ce que la réaction d'un acide fût appelée à saturer l'al-
cali qui ferait reprendre au gluten la forme de coagulum.
Nous voyons par là qu'il faut une grande précision dans
l'opération qu'on nomme tempérer le j u s de canne ou la li-
queur de canne; nous voyons en même temps pour-
quoi un excès de liquide alcalin employé dans ce cas peut
devenir excessivement nuisible, s'il est en quantité telle que
non-seulement il sature l'acide qui tient le gluten dissous,
mais encore qu'il redissolve le coagulum au moment où il
vient de se former .
1
Nous trouvons au contraire qu'en soumettant le jus de
canne récemment exprimé à une chaleur modérée de 140° à
168° Fahrenheit ( 35°à 42° Réaumur), les acides volatils te-
nantle gluten en dissolution sont dégagés et évaporés, lais-
sant le gluten sous forme de coagulum en flocons. De grandes
discussions ont eu lieu entre des chimistes éminents sur le
t'ait de la présence d'un acide dans le jus de canne et sur la
nature de cet acide. Bergman paraît avoir attribué le pre-
mier l'utilité de la chaux dans la fabrication du sucre à son
action sur les acides tenus en combinaison dans le jus de
canne. Proust reconnut la présence d'une grande quantité
d'acide malique dans le jus de canne analysé par lui en Es-
pagne. Le docteur Higging, suivant, la même idée de la pré-
(1) Liebig, Raspail et d'autres célèbres chimistes ont montré que
le gluten ou l'albumine végétale contient de l'azote sous forme de
sel amoniacal qui se trouve décomposé par l'action de la chaleur
ou par celle d'un alcali (la chaux).

DU SUCRE. 503
sence d'un acide, exprima son opinion que la fécule (il vou-
lait dire le gluten) dans le jus de canne est tenu en dissolu-
tion en partie par l'eau, en partie par l'acide carbonique,
acide expulsé quand le jus était soumis à une température
de 145° Fahrenheit (36° Réaumur), ce qui fait sur-le-champ
monter à la surface l'écume coagulée. Il soutient aussi que
l'emploi de la chaux aurait le même effet sur la fécule ; seu-
lement la chaux se combinerait à l'acide carbonique et for-
merait du carbonate de chaux. « La substance saccharine,
dit Raspail, n'existe pas seule en solution dans la séve des
plantes en quantité suffisante pour donner un bénéfice qui
compense le travail de son extraction. Elle y est accompa-
gnée de gomme, de différents sels, de divers acides qu'em-
porte avec lui le courant de la circulation vasculaire. En
outre, comme le plus souvent le j u s est obtenu par expres-
sion, il entraîne inévitablement de la fécule verte et des frag-
ments de tissus ligneux et glutineux ; les tissus glutineux
peuvent devenir plus ou moins solubles et prendre plus ou
moins le caractère de mucilage en se combinant avec les
acides libres de la solution saccharine. J e suis persuadé que
la chaux employée dans l'extraction du sucre n'a pas d'autre
utilité que de saturer ces acides et do rendre ainsi au gluten
ses propriétés insolubles, afin qu'il puisse se coaguler et
être enlevé sous forme d'écume, enveloppant dans sa sub-
stance toute la matière verte et toute la matière gommeuse;
c'est de cette manière qu'elle agit comme premier moyen de
clarification. »
Je crois inutile de multiplier les citations dans ce sens; il
ne servirait à rien non plus d'en produire d'autres en sens
contraire; car, dans mon opinion, on peut tenir pour d é -
montré que, quoique le jus de canne puisse ne pas offrir d'ap-

504
DE LA FABRICATION
parence de la présence d'un acide, quoiqu'il puisse n'affecter
en aucune façon la couleur du papier de tournesol, néan-
moins l'action de la chaleur ou la réaction d'une solution
alcaline peut immédiatement manifester la présence de l'a-
cidité. L a raison est, comme j e l'ai dit ci-dessus, que l'acide
est en combinaison avec les tissus glutineux (gluten) qu'il
maintient à l'état de solution.
L'action de la chaleur dégage certainement l'acide, et fait
prendre au gluten ou albumine végétale la forme et les ca-
ractères d'un coagulum ; mais il n'est jamais certain que,
dans tous les cas, l'acide est évaporé; cela me paraît dépendre
de la nature de l'acide particulier combiné avec le gluten;
car nous trouvons que, dans le très bon jus de canne, une
chaleur modérée suffit pour expulser l'acide, coaguler le glu-
ten et opérer la clarification, et que l'application ultérieure
de la chaleur dans les chaudières concentre le jus en don-
nant pour produit un sucre de très bonne qualité, sans que,
du commencement à la fin de l'opération, il soit nécessaire
d'employer un seul atome de chaux .
1
Comment cela pourrait-il arriver, à moins d'admettre
que dans ce cas l'acide est d'une nature volatile, et que
l'application d'une chaleur modérée l'expulse entièrement
du liquide après l'avoir dégagé des tissus glutineux, laissant
ces tissus se précipiter comme dépôt, ou s'élever à la sur-
face comme écume ?
Dans ce cas, l'emploi de la chaux causerait un véritable
dommage; car, l'acide étant évaporé, les matières féculentes
(1) Le jus des cannes cultivées dans un sol calcaire, ou dans un
sol qui, n'ayant pas reçu de fumier de bestiaux, ne fournit pas d am-
moniaque en
excès, contient très peu de gluten, et peut par consé-
quent fournir souvent de très bon sucre sans l'emploi de la chaux.

DU SUCRE. 505
étant entièrement enlevées , la chaux ne trouverait rien sur
quoi réagir, si ce n'est le sucre lui-même qu'elle décompo-
serait.
Il est évident qu'une fois l'acide évaporé et les matières
féculentes complétement enlevées, il ne reste rien à faire
qu'à évaporer l'eau qui tient le sucre en solution.
D'un autre côté, le jus de canne contient quelquefois un
acide qui n'offre pas le caractère de volatilité que je viens
de signaler. Par exemple, il est arrivé que du jus récent de
canne, éprouvé par le papier de tournesol, ne donnait au-
cune trace d'acidité ; mais, après avoir été clarifié par la
chaleur seule, le liquide se trouvait être décidément acide ;
puis, après une autre clarification par la chaleur dans un
autre clarificateur, c'est-à dire la chaleur étant portée
au degré de l'ébullition, une écume épaisse était produite.
Après l'enlèvement de cette écume, l'acidité de la liqueur
avait sensiblement augmenté. Une solution de chaux étant
ajoutée jusqu'à ce que la liqueur ait pris un caractère neu-
tre, il s'éleva une écume très légère ; en rendant la liqueur
plus alcaline, une nouvelle quantité d'écume monta à la sur-
face, mais elle était peu abondante. La liqueur concentrée
fournit du sucre ordinaire avec une grande quantité de mé-
lasse, ce qui provenait d'une défécation incomplète, et aussi
de ce que les acides dégagés avaient décomposé une portion
du sucre pour le changer en glucose.
Une partie du même jus clarifié en même temps au moyen
de la chaux et de la chaleur, et traité ultérieurement dans la
chaudière avec une nouvelle dose de chaux, fut très bien
cuite et donna un très bon sucre, de beaucoup supérieur au
précédent, avec beaucoup moins de mélasse.
Ce fait me prouve que, dans certains cas, l'acide contenu

506
DE LA FABRICATION
dans le jus de canne n'est en aucune façon volatil, et je suis
assuré que nombre de planteurs, d'après leur propre expé-
rience, peuvent attester la formation (si j e puis me servir de
ce terme) d'un acide après la clarification, ce qui engage
l'ouvrier qui dirige la cuisson du jus à mettre de la chaux
jusque dans le second tache. L'erreur commise dans la pre-
mière des deux expériences qui viennent d'être rapportées
consistait en ce que, sur l'indication d'un acide par le papier
de tournesol, la seconde clarification aurait dû avoir lieu par
l'eau de chaux, tandis que la chaleur fut seule employée
comme précédemment; mais, en n'employant pas de chaux
et en élevant la température jusqu'à l'ébullition, la sépara-
tion du coagulum floconneux a été rendue impossible, si ce
n'est par le repos ou la filtration, ce qui même n'aurait pu
réussir qu'en partie, tant la liqueur était devenue acide.
Nous sommes conduit à conclure de ces faits que, pen-
dant la coagulation des tissus glutineux contenus dans le jus
do canne, certains acides sont mis en liberté, dont les uns
sont volatils et les autres ne le sont pas. Le saccharimètre
et le thermomètre sont des instruments d'une grande utilité
et d'une valeur incontestée pour la fabrication du sucre ; il
y a deux autres instruments qui faciliteraient grandement
les opérations du planteur et qui lui offriraient des garanties
certaines contre les chances de perte dans la sucrerie. Ce
sont l'alcalimètre et l'acidimètre ; l'un indique l'excès d'al-
cali, l'autre l'excès d'acide. Au nombre dos transformations
qui ont lieu dans le jus de canne pendant la clarification et
l'évaporation qui la suit, il y a non-seulement celles que
produit l'eau de chaux, mais aussi celles auxquelles donne
lieu l'action de la chaleur.
Par le mode actuel de fabrication suivi dans les sucreries

DU SUCRE. 507
des colonies, l'opération manque de certitude ; plusieurs
aminées d'expérience et de constante pratique ne peuvent
même garantir le succès au plus vieux chef de cuite, dans le
cas où le liquide est mauvais et intraitable. Mais placez en-
tre les mains d'un ouvrier d'une intelligence ordinaire les
instruments dont je viens de parler, plus d'hésitation, plus
de difficulté. Je crains bien qu'un pareil résultat ne puisse
être obtenu par l'emploi du papier de tournesol, tel qu'il est
déjà difficile d'en faire adopter l'usage par le nègre ou l'In-
dou qui conduit une sucrerie.
Les acides qui se manifestent durant le cours de l'évapo-
ration semblent provenir en entier de la présence du gluten
ou des autres composés azotés demeurés dans le jus de
canne; car, si l'on fait évaporer une solution de sucre à la
température ordinaire, il n'en résulte aucune acidité.
Le gluten contient de l'azote sous forme d'ammoniaque ;
°n affirme que, pendant l'évaporation du jus de canne à une
haute température, une partie de cette ammoniaque est éva-
porée, une autre est décomposée, le gaz hydrogène étant
dégagé et l'azote rendu libre entrant aussitôt en combinai-
son avec l'oxygène du liquide pour former de l'acide nitri-
que. On croit aussi que, pendant l'évaporation à une haute
température, le j u s de canne qui contient du gluten dégage
de. l'acide carbonique, parce que le carbone du gluten ab-
sorbe l'oxygène de l'eau et s'échappe immédiatement sous
forme de gaz acide carbonique. A mesure que le procédé de
l'évaporation avance vers la concentration du liquide, c'est-
à-dire quand le jus de canne est devenu sirop, le carbone du
gluten continue à absorber l'oxygène, qui toutefois n'est plus
pris dans l'eau, mais bien dans le sucre qui se décompose
par la séparation de son oxygène. Enfin la nature du glu-

508
DE LA FABRICATION
ten , ses nombreuses transformations et ses propriétés par-
1
ticulières ont fourni matière à des discussions illimitées, pou-
vant remplir plusieurs volumes. Il n'est donc point utile
d'entrer plus avant que je ne l'ai fait jusqu'ici dans cette in-
terminable question; j'espère que ce que j ' e n ai dit suffira
pour instruire le planteur de tout ce qu'il a besoin d'en
connaître.
Un liquide composé de créosote étendue dans beaucoup
d'eau possède la propriété de coaguler le gluten sous ses
diverses formes à un degré remarquable ; la connaissance de
ce fait me porte à supposer qu'il peut être possible d'en tirer
parti dans la défécation du jus de canne. Mais le réactif le
plus sensible qu'on possède pour indiquer la présence de l'al-
bumine, par conséquent du gluten, dans un liquide quelcon-
que, c'est le sublimé corrosif (bichloride de mercure), d'un
effet tellement certain que, si on laisse tomber une seule
goutte d'une solution saturée de sublimé corrosif dans un
liquide contenant seulement 1/2,000 d'albumine, elle y
cause à l'instant un nuage laiteux qui produit un précipite
blanc coagulé. A la vérité, le sublimé corrosif est un des
plus violents poisons connus, et la seule proposition de
s'en servir pour la clarification du sucre causerait une mor-
telle épouvante ; mais je suis loin d'être certain qu'un ha-
bile opérateur ne puisse l'employer avec succès.
En parlant de l'emploi de ce réactif pour enlever la plus
petite portion d'albumine végétale (gluten) qui puisse rester
dans le jus de canne après sa clarification dans le premier
clarificateur, je suppose que, dans ce cas, on ajouterait à la
(1) Le gluten est coagulé par l'alcool, l'acide sulfurique et les
autres acides, la chaux et les autres alcalis.

DU SUCRE. 509
liqueur saccharine une solution très étendue de sublimé cor-
rosif graduellement, tant que le coagulum se montrerait, et
qu'alors l'acide libre serait saturé par une solution alcaline
(eau de chaux).
Dans ce cas, l'albumine végétale, combinée instantanément
avec le calomel dans le sublimé corrosif, forme un précipité
blanc, tandis que la portion d'acide hydrochlorique rendue
libre est immédiatement neutralisée par la chaux qui se
combine avec lui. Orfila (Toxicologie, tome I ) a prouvé par
e r
expérience directe que, dans tous les cas analogues, le pré-
cipité est un composé d'albumine et de calomel entièrement
inoffensif. J e n'entends pas dire par là qu'un réactif de cette
espèce puisse être en usage dans les sucreries ; mais les
faits que j e viens d'exposer sont très intéressants pour le
planteur curieux et intelligent.
La fécule verte, ainsi qu'on la nomme, qui se rencontre
dans le j u s de canne, consiste en vésicules ovales de formes
et de dimensions variables, pleines de globules verts, dont
les fonctions paraissent être de servir de nourriture aux yeux
ou bourgeons de la plante pendant le cours de leur dévelop-
pement. A un certain moment de la croissance des cannes
et sous l'empire de certaines circonstances, cette fécule
verte est très abondante ; elle communique au jus de canne
une nuance verte très prononcée. La cuisson seule ne paraît
pas priver ces vésicules de leur matière ; mais on obtient cet
effet au moyen de différentes substances.
La chaleur dilate la vésicule, ce qui la fait promptement
monter à la surface en môme temps que les tissus ligneux
et glutineux contenus dans le jus montent aussi sous forme
d'écume. La chaux se combine avec la fécule verte et pro-
duit un dépôt qui a lieu en même temps que le coagulum

5 1 0 D E LA F A B R I C A T I O N
gommeux et glutineux. Toutes les plantes charnues four-
nissent une grande quantité de fécule verte lorsque leur
tissu cellulaire est mécaniquement brisé , comme il l'est
quand les cannes sont broyées.
La matière colorante verte (chlorophylle, cire verte), quel-
quefois nommée matière extractive, n'est qu'une variété
de la fécule verte dont je viens de parler. Quelques chi-
mistes la classent parmi les résines, d'autres parmi les
corps gras ; mais des faits bien constatés prouvent que c'est
en réalité une variété de cire. La matière colorante paraît
être distincte de la matière cireuse à laquelle elle est asso-
ciée ; un grand nombre de réactifs agissent sur l'une des
deux sans que l'autre en soit affectée en aucune manière.
La couleur de cette substance varie selon le degré de ma-
turité auquel est parvenue la plante dont elle provient ; ou
la voit ainsi varier depuis le vert foncé jusqu'au jaune, en
passant par toutes les nuances de vert intermédiaires. Le
principe colorant semble dû à la présence et à l'action de
l'ammoniaque en combinaison avec le manganèse ou le fer.
D'après Raspail, les substances colorantes communément
nommées matières extractives ne sont ordinairement pas
autre chose en elles-mêmes que des mélanges plus ou moins
compliqués ou des modifications diverses de la matière co-
lorante verte, avec quelque substance soit grasse, soit albu-
mineuse.
La chaleur a pour effet de tenir ces substances disper-
sées à travers le liquide ; l'eau de chaux tend à les unir et à
les solidifier, de sorte qu'il en part une grande partie avec
les écumes.
L'albumine se combine avec la matière colorante et forme
un précipité.

DU SUCRE. 511
La gomme existe dans le jus de canne sous forme de mu-
cilage ; elle résulte de la présence des tissus glutineux et
ligneux avec lesquels elle est mélangée. Ainsi, par suite de la
trituration complète subie par les cannes en passant au mou-
lin, une portion du gluten avec des débris de tissus ligneux
est incorporée mécaniquement avec la matière gommeuse :
le tout ensemble forme un mélange mucilagineux. L'alcool,
les acides et les alcalis coagulent la matière gommeuse ; l'a-
cide sulfurisée possède la propriété de convertir cette ma-
tière en sucre.
Les matières salines que contient le jus de canne provien-
nent presque entièrement du sol où les cannes ont végété.
C'est ainsi que, par exemple, dans les terres basses d'allu-
vion de Démérary, de la Louisiane, des Sonderbunds (au-
dessous de Calcutta) et de la province de Wellesley, les
cannes ont souvent puisé dans le sol de telles quantités de
matières salines que le sucre qu'on en extrait est, on peut
le dire, dans un état constant de déliquescence.
L'analyse du j u s des cannes récoltées à la Louisiane
(voir page 72) montre quelle quantité de matières sa-
lines il peut contenir ; dans les Sonderbunds des environs
de Calcutta et dans la province de Wellesley, le jus de
cannes en est souvent encore plus détérioré.
Dans la première de ces deux localités, la culture de la
canne à sucre a dû être, par ce motif, entièrement aban-
donnée; quant à la seconde, le sucre qu'on en a expédié
en Europe s'est trouvé quelquefois tellement déliquescent
qu'il en est résulté dos pertes considérables.
Les terres amendées avec des cendres en excès sont su-
jettes à donner lieu au même inconvénient, en raison de la
grande quantité de matières salines qu'elles fournissent aux

512
DE LA FABRICATION
cannes. Les chlorides de sodium et de potassium et le sul-
fate de potasse sont au premier rang des sels qui exercent
sur la canne à sucre une influence si pernicieuse.
Péligot dit qu'une partie de chloride de sodium peut se
combiner avec environ six fois son volume de sucre, for-
mant un composé déliquescent capable de liquéfier une
autre portion de sucre d'un volume égal au sien ; d'après
mes propres observations, je crois que cette déliquescence
se propage jusqu'à ce que toute la masse du sucre soit dé-
composée. Les meilleures autorités attestent que ces ma-
tières salines, une fois qu'elles existent dans le jus de canne,
ne peuvent plus en être expulsées par aucun procédé. Je
crois cette assertion exacte en ce qui concerne l'exploitation
sur une grande échelle, telle qu'elle est actuellement pra-
tiquée ; mais, dans le laboratoire du chimiste, je ne vois
pas que cette grande difficulté existe réellement; car on
sait que le nitrate d'argent, même à dose très faible, réagit
puissamment sur les acides hydrochlorique et muriatique,
et sur le chloride de sodium. Si l'on ajoute du nitrate d ar-
gent à un liquide contenant du chloride de sodium, il se
forme immédiatement, selon Raspail, un précipité inerte de
chloride d'argent.
» Le nitrate d'argent, dit le docteur Ure, est à l'égard
des acides hydrochlorique et muriatique un réactif si délicat
qu'il fait paraître un nuage visible dans un liquide qui con-
tient 1/113,000,000 de ces acides, ou dans de l'eau di-
stillée mêlée à l/7,000,000 d'eau de mer. Cela permet de
supposer qu'au moins dans le laboratoire du chimiste, le
sel marin , la plus pernicieuse des substances salines pour
la déliquescence du sucre, peut être séparé du jus de canne
par le nitrate d'argent.

DU SUCRE. 513
Cet aperçu sommaire des principes constituants du jus
de canne nous montre déjà que le planteur doit avoir en
vue de séparer le plus tôt et le plus complètement possible
du jus de canne toutes les substances dont la présence est
nuisible, nommément la fibre ligneuse, le gluten, la fécule
verte, la cire verte (chlorophylle), la gomme et les matières
salines, en isolant le sucre et l'eau à leur plus grand état
de pureté.
§ 4 . — Nature fermentescible du jus de canne.
Le jus de canne renfermant les substances qui viennent
d'être énumérées, on comprend qu'il est un des corps com-
posés les plus fermentescibles ; l'expérience montre qu'une
demie-heure après qu'il est exprimé, la fermentation vi-
neuse commence à s'y manifester. C'est ce qu'on observe
souvent dans les vases en usage aux Indes occidentales
sous le nom de récipients froids, où le jus est reçu â mesure
qu'il sort du moulin. Il y reste jusqu'à ce qu'il y ait de la
place dans les clarificateurs pour qu'il puisse y être dé-
canté. Il arrive souvent que le jus y séjourne assez long-
temps ; si ce temps se prolonge au delà de 20 ou 30 minutes,
l'ouvrier chargé de surveiller les défécateurs y jette tou-
jours un peu de chaux pour prévenir la fermentation, j u s -
qu'à ce que le jus puisse être transvasé dans les clarifica-
teurs.
Quelques planteurs prétendent qu'un léger mouvement
de fermentation avant la clarification favorise cette opéra-
tion importante, et que la liqueur c l a r i f i é e dans de telles
circonstances cuit bien et donne de bon sucre. D'autres
insistent sur l'utilité de la fermentation après que le jus a
33

514 D E LA F A B R I C A T I O N
été clarifié et avant qu'il ne soit cuit. Cette dernière opinion
semble au moins ressortir du passage suivant de Dutrône.
« Deux fois, dit cet auteur, j ' a i obtenu de très bon sucre
d'un jus en partie clarifié, qui avait subi pendant 18 ou
20 heures un mouvement de fermentation vineuse. » On
trouve dans le livre de Porter, page 56, un paragraphe qui
semble impliquer la recommandation du même système.
Dutrône n'a fait que constater un fait qui demande expli-
cation, un fait qui n'est point avantageux au planteur,
loin de là.
Si le jus non clarifié de la canne est exposé à l'air libre,
en très peu de temps il commence à fermenter avec les
caractères de la fermentation vineuse. Mais dans un temps
également très court, la fermentation acétique s'y mani-
feste aussi, et continue en même temps que la fermenta-
tion vineuse ; c'est-à-dire que la fécule glutineuse, ou le fer-
ment contenu dans le jus, décompose le sucre et le convertit
en alcool, lequel attaque immédiatement le ferment gluti-
neux, et en précipite une grande partie; l'action d'un si
grand volume de ferment convertit l'alcool lui-même en eau
et en vinaigre. Ainsi, dans le jus non clarifié de la canne,
l'acool formé p a r la fermentation vineuse est décomposé et
changé en vinaigre presqu'aussitôt qu'il est formé.
S'il s'agit d'un j u s de canne partiellement clarifié, au de-
gré où il l'est habituellement aux Indes occidentales, il faut
un temps un peu plus long, quoique toujours très court,
pour que la fermentation s'y manifeste, que si le jus était
tout à fait trouble. Dans cette liqueur sucrée, partiellement
clarifiée, il existe une quantité de ferment glutineux qui
n'en a pas été séparée ; elle agit sur le sucre, produit la fer-
mentation vineuse, et forme par conséquent de l'alcool.

DU SUCRE. 515
Mais dans ce cas, l'alcool formé étant en excès, et le fer-
ment étant en quantité comparativement faible, ce dernier
est précipité ; de sorte qu'il faut un temps plus long que
dans le premier cas pour amener la fermentation acétique ,
on peut même dire que celle-ci ne commence pas avant que
la fermentation vineuse ait cessé.
§ 5. — Effets de la fermentation sur le jus de canne.
Si l'on permet donc que le jus de canne en partie clarifié
subisse la fermentation vineuse pendant quelque temps, une
grande partie de sa fécule glutineuse est précipitée par l'ac-
tion de l'alcool ; ainsi, ce jus étant soigneusement décanté
en laissant le précipité au fond des vases, et livré immédia-
tement à la cuisson pour être concentré, il n'est pas douteux
qu'on n'en obtienne de beau sucre. Mais le bon sens dit assez
que l'alcool agissant ici pour précipiter le gluten est en en-
tier formé aux dépens du sucre contenu dans le jus de
canne ; c'est par conséquent une pratique qui ne peut être
que blâmée. Quant à la fermentation du jus de canne non
clarifié, on a vu qu'il ne peut en résulter rien de bien.
§ 6. — Moyens de prévenir la fermentation.
Si l' on regarde comme à propos de conserver pendant un
temps un peu prolongé du jus de canne non clarifié, on peut
empêcher la fermentation de s'y établir en employant à cet
effet l'acide sulfureux. Le docteur Ure dit à ce sujet : « On
sait que le moût de raisin (vin doux) faiblement imprégné
d'acide sulfureux en le faisant couler lentement dans une
futaille où l'on a brûlé des mèches soufrées, peut se garder
pendant un an sans s'altérer, et que, si le vin doux ainsi

516 DE LA FABRICATION
préparé est cuit en sirop au bout de huit à dix jours, il ne re-
tient aucune odeur de soufre. L e jus de canne n'étant pas à
beaucoup près aussi fermentescible que le vin doux, un très
léger soufrage pourrait l'empêcher de fermenter, même lors-
qu'il y est le plus disposé; il n'y aurait qu'à brûler une
mèche soufrée dans le réservoir immédiatement avant de le
remplir du jus sortant du moulin. Dans ce cas, le jus de
canne serait chauffé dans le clarificateur pour en expulser
l'acide sulfureux avant d'y ajouter de la chaux ; autrement
un peu de sulfite de chaux se trouverait introduit dans
le sucre; on prévient ainsi avec certitude l'acescence si
préjudiciable à la granulation du sucre. L'acide sulfureux
(non pas sulfurique) agit directement sur le ferment gluti-
neux et le rend inactif ; c'est un fait dont le planteur peut
faire son profit dans certaines circonstances qu'il ne dépend
pas de lui de prévenir.
Bien des gens se figurent qu'il serait fort avantageux de
filtrer le j u s de canne avant de lui faire subir l'action de la
chaleur ; ils ne songent pas aux dangers de la fermenta-
tion qui peut survenir. D ' a u t r e s , même des hommes de
science, prétendent qu'un tel système ne peut pas être admis
dans la pratique sur une grande échelle. Pour ma part, je
ne puis découvrir pourquoi le j u s de canne soumis à l'ac-
tion de l'acide sulfureux ne serait pas en état d'être filtre
sans être exposé à entrer en fermentation. Je n'en ai jamais
fait l'essai ; mais il me paraît que l'action de l'acide sulfu-
reux à faible dose préviendrait la fermentation du jus de
canne froid pendant un temps fort long, dont une partie
peut très bien être mise à profit pour le filtrage du jus à tra-
vers les bag-filters en laissant pendant l'opération la li-
queur à la même température fraîche où elle est en sortant

DU SUCRE. 517
du moulin. Mais c'est un fait bien connu que le jus de canne
ainsi traité se cristallisera rarement aussi bien que quand
il a été immédiatement concentré, à moins qu'on n'emploie
quelque substance pour favoriser sa granulation, c'est-à-
dire que la filtration et la cuisson à la manière ordinaire
dans les évaporateurs ne suffisent pas une fois sur dix pour
produire un sirop qui cristalisse comme il le devrait.
§ 7. — Filtration du jus à froid.
La filtration du jus de canne froid le met donc seulement
dans des conditions plus favorables quant à la clarification;
car, bien qu'elle enlève au jus toute substance qu'il tient en
suspension, elle ne le délivre en aucune manière de colles
qu'il peut tenir en dissolution.
Mon opinion est donc que le filtrage du j u s à froid n'est
pas une chose d'une bien grande importance, le principe de
l'absence de l'emploi de la chaleur ne pouvant être entière-
ment admis dans la clarification. Vous prenez, par exemple,
du jus de canne soigneusement filtré, et vous essayez de le
réduire en une pure solution de sucre et d'eau en le dépouil-
lant des matières gommeuses et glutineuses qu'il tient en
dissolution. Dans la persuasion que ces matières sont tenues
en dissolution par quelque acide déguisé, vous traitez le jus
filtré par la chaux, dans le dessein de saturer l'acide et de
rendre aux matières gommeuses et glutineuses leurs pro-
priétés insolubles. Ces substances se présentent en effet
sous forme do coagulum en flocons, montrant une disposi-
tion à se précipiter. Mais l'action de la chaux se borne-t-
elle à la saturation do l'acide libre? Loin de là. Son action
utile s'étend à l'expulsion de l'azote que contient la matière

518
DE LA FABRICATION
glutineuse. et la chaux se combine elle-même avec l'acide
qui faisait partie du sel ammoniacal.
Liebig a prouvé que la séve du bouleau, celle de l'érable
et le j u s de la betterave contiennent un sel ammoniacal qui,
soit par l'évaporation, soit par la saturation avec la chaux,
dégage de l'ammoniaque en quantité notable ; tandis que le
sel neutre, en perdant de son ammoniaque, se change en sel
acide qui, dans le premier cas, se combine avec le sucre
pour le convertir en glucose ou sirop non cristallisable, et
dans le second cas se combine avec la chaux.
Raspail, Liebig et d'autres chimistes ont aussi prouvé
que le gluten ou l'albumine végétale contient l'azote sous
forme d'un sel ammoniacal qui, soit p a r l'évaporation au
moyen de la chaleur, soit par la saturation de l'acide au
moyen de la chaux, se décompose, de sorte que son ammo-
niaque est expulsée.
§ 8. — Explication de l'action de la chaux sur le jus de canne.
L'action Cola chaux sur le jus de canne filtré est donc
double ; d'une part, elle sature l'acide du sel ammoniacal
contenu dans le gluten, et elle en expulse l'ammoniaque;
de l'autre, elle sature l'acide libre qui maintient dissous le
gluten ou l'albumine, qu'elle coagule et qu'elle contraint a
se précipiter. Toute personne soigneuse peut déterminer la
quantité de chaux nécessaire pour produire cet effet; car,
tandis que la chaux y sera ajoutée peu à peu, le jus filtre
laissera voir par des signes évidents la coagulation de son
gluten, ce qu'il est facile de reconnaître à l'instant en ob-
servant une petite quantité de ce jus dans un verre à vin ou
tout autre vase analogue.

DU SUCRE. 519
Mais pour que l'opération de la filtration puisse mar-
1
cher sans exposer le jus de canne à entrer en fermentation,
il est nécessaire de mettre ce jus en contact avec l'acide sul-
fureux ; ce sera un acide de plus que la chaux aura à saturer
et à précipiter. Donc, au total, il ne paraît pas que des
avantages extraordinaires résultent de ce procédé ; les em-
barras que causerait son application et les dangers qui
l'accompagnent suffisent pour le faire rejeter.
Je n'ai fait qu'indiquer en passant la filtration du jus de
canne trouble et froid à travers les bag-filters, sujet sur le-
quel les auteurs de plusieurs mémoires ont tant insisté. Mais
les observations que j ' a i été amené à présenter sur le sel
ammoniacal contenu dans le gluten, l'acide libre qui main-
tient le gluten dissous, et l'action de la chaux dans ces deux
cas, s'appliquent rigoureusement à tout ce qui concerne la
défécation.
J'examinerai maintenant le meilleur procédé de déféca-
tion du j u s de canne, d'après les données de l'expérience et
celles de la chimie expérimentale; j'essayerai de traiter ce
sujet avec le plus possible de concision.
§ 9. — Défécation telle quelle est pratiquée dans quelques plantations.
Deux caisses à filtrer, chacune de 3 pieds carrés et
4 pieds de profondeur (0 .90 sur l . 2 0 ) , ayant au milieu
m
m
une séparation qui s'étend du sommet de la caisse à 1 pouce
ou 1 pouce 1/2 du fond, sont remplies de couches de cailloux ,
(1) On peut compter à peu près que le jus trouble de canne met-
tra, pour filtrer complétement, deux ou trois fois le temps que met-
trait le jus en partie clarifié.


520 D E L A F A B R I C A T I O N
gros gravier, gros sable, sable fin ; puis gros sable, gros
gravier et cailloux ; il y a ainsi dans chaque division quatre
couches commençant et finissant par des cailloux ; dans les
deux divisions les cailloux occupent le sommet, et le sable
fin le fond à 1 pied d'épaisseur (0 .30).
m
Une claie d'osier recouvre le dessus de la couche de
cailloux du compartiment qui reçoit le jus à filtrer; le com-
partiment qui le laisse écouler n'a pas de claie d'osier.
E n sortant du moulin, le jus de canne passe à travers
deux ou trois toiles métalliques, selon l'usage ordinaire;
puis il coule sur la claie, descend à travers les quatre cou-
ches d'une division du filtre, et monte de la même manière
dans l'autre division. Lorsqu'un clarificateur est plein, on
change de place la gouttière au jus pour l'adapter au se-
cond filtre placé d'avance au-dessus du clarificateur vide.
Alors le premier filtre glisse le long d'une coulisse jusqu'au
tube de nettoyage ; là tout le contenu du filtre est enlevé
couche par couche et lavé. Pour faciliter cette opération,
une pièce de drap fin ou d'étoffe grossière est étendue sur
chaque couche à mesure qu'on les met en place, de sorte
que, quand on vide le filtre, on n'éprouve aucune difficulté à
enlever ces couches séparément. Après avoir été bien la-
vées, elles sont aussitôt replacées dans le filtre; l'eau du
lavage se rend dans la distillerie par la gouttière aux écumes.
Après le lavage du sable, du gravier et des cailloux, on
lave à fond le filtre lui-même, après quoi on y passe une eau
de chaux pour prévenir toute acidité.
Un ouvrier doit, en un quart d'heure, nettoyer le tout a
fond, remettre tout en place proprement et retourner à son
poste ; le filtre se trouve ainsi préparé longtemps avant le
moment de s'en servir de nouveau.

DU SUCRE. 521
Lorsque le jus est dans le clarificateur on le chauffe j u s -
qu'à la température d'environ 150 degrés Farenheit ; puis
on ajoute de la chaux éteinte sous forme de crème de chaux
délayée dans l'eau ; la proportion est de 315 grammes pour
un vase contenant 450 gallons ; le tout est bien remué jus-
qu'à ce qu'on présume que la chaux est bien incorporée au
mélange. On porte alors la température à 180 ou 200 de-
grés Farenheit, ce qui fait monter une écume épaisse qui
plus tard se durcit et se fend à sa surface ; on retire à ce
moment le feu, et l'on laisse à la liqueur 15 à 30 minutes
de repos pour que le précipité se dépose.
Alors, on ouvre le robinet, et, après avoir soutiré dans un
seau un ou deux litres qu'on verse dans l'un ou l'autre
des clarificateurs, on fait passer la liqueur sucrée par un
filtre construit sur les mêmes principes que les précédents,
mais rempli de charbon végétal en poudre grossière. Dans
ce cas, le fond des deux compartiments est muni d'une toile
métallique très fine, pour que les fragments de charbon no
puissent monter avec le liquide; celui-ci passe librement d'un
compartiment dans l'autre, et s'écoule directement dans la
grande bassine de cuivre servant de premier évaporateur.
Cette filtration ne prend qu'un temps fort court ; on voit,
par les matières qu'elle laisse dans le charbon, combien elle
est profitable. Un filtre sert à passer environ 1,000 gallons;
après quoi on l'enlève pour le nettoyer, en le remplaçant
par un autre. Ce système comprend ainsi quatre filtres,
ou, pour mieux dire, deux paires de filtres, une pour le jus
trouble et froid, l'autre pour la liqueur sucrée clarifiée.
Ici se termine la défécation à proprement parler ; mais
dans le premier évaporateur on ajoute une nouvelle dose
de chaux; quelquefois on en ajoute beaucoup, non pas tout

522 DE LA FABRICATION
à la fois, mais par intervalles. Dans le second et le troisième
évaporateur et dans le second tache, on verse encore de l'eau
de chaux avec un arrosoir. Pour le second tache, on varie
quelquefois l'opération en donnant, au lieu d'eau de chaux,
du saccharate de chaux ; on mêle de la chaux à du sirop, on
laisse déposer; la liqueur constitue le saccharate.
On enlève ordinairement l'écume pendant l'évaporation;
quand le sirop est concentré, on ouvre une grande soupape
de décharge, par laquelle il coule dans les refroidissoirs
ou granulateurs, qu'on ne chauffe pas ; chaque seconde
charge est bien mélangée, pour amener la formation d'un
beau grain.
§ 10. — Observations sur les méthodes de défécation.
Observations. Dans ce système, on peut compter sur les
résultats très prononcés de la filtration du jus trouble et
de la liqueur sucrée partiellement clarifiée; j ' a i vu la li-
queur passer du filtre au charbon dans le premier évapo-
rateur à un très haut degré de limpidité, ce qui n'aurait
pas heu si la chaux éteinte n'avait pas été employée dans
le clarificateur. La petite quantité de chaux mise dans le
clarificateur y est ajoutée quand la température est à 150 de-
grés Farenheit, parce qu'entre 140 et 150 degrés commence
la coagulation de la gomme et des matières albumineuses,
et l'acide qui les maintenait en solution est rendu libre, et
aussi parce que l'acide contenu dans le sel ammoniacal des
matières glutineuses est dégagé par la perte de son am-
moniaque; ces deux acides attaqueraient également l'un et
l'autre le sucre, dont ils rendraient une portion incristalli-
sable. C'est à ce moment que la chaux est mise en activité ;

DU SUCRE. 523
une partie sert à saturer aussitôt les acides rendus libres ;
l'autre sature les acides encore engagés, c'est-à-dire ceux
qui sont encore combinés avec le gluten dissous et l'ammo-
niaque.
La clarification peut ainsi être conduite sous une tem-
pérature de 180 degrés Farenheit seulement, température
qui est en effet rarement dépassée. Cet emploi modéré de
la c h a l e u r , secondant l'action de l'alcali, offre beau-
1
coup plus de sûreté et d'efficacité que l'emploi d'une bien
plus haute température qui ne serait pas secondée par
l'alcali.
Le reste de l'opération est simple et judicieux ; il est tout
à fait impossible de formuler une règle fixe quant à la quan-
tité de chaux à employer, tant elle dépend d'abord de la
qualité du jus ; mais la dose la plus forte dont j'aie eu con-
naissance, dans les sucreries où ce système est en usage,
est de 3/4 de livre à 2 livres 1/4 (315 grammes à 945 grammes )
pour 450 gallons de liquide, y compris le traitement par la
chaux dans les clarificateurs et les évaporateurs .
Les filtres sont ordinairement de bois ; on les construit
dans la plantation même ; ils reviennent à environ 5 ou
6 schelling la pièce ( 6 fr. 25 c. à 7 fr. 50 c. )
§ 11. — Défécation dans les clarificateurs et les précipitateurs.
Défécation par la chaleur dans le clarificateur, et par la
chaleur et la chaux dans le précipitateur. Dans cette mé-
thode, chaque clarificateur a son précipitateur des mômes
(1) Quelquefois la liqueur sucrée se clarifie à à 165 degrés Fah-
renheit.

524 DE LA FABRICATION
dimensions que lui, placé à un niveau plus bas, pour que
le contenu du premier puisse être coulé dans le second.
Les clarificateurs sont disposés pour pouvoir être chauf-
fés par l'air chaud provenant des lignes d'évaporateurs, ou
par des foyers séparés lorsqu'on le préfère. D'autre part,
les précipitateurs sont chauffés exclusivement par leurs
propres foyers; ils n'ont pas de rapport avec les conduits
de chaleur des évaporateurs. Le jus de canne, pour se rendre
du moulin dans le clarificateur, passe sur trois étamines de
finesses différentes, qui lui enlèvent les parties les plus gros-
sières. On fait alors agir le feu sur le vase jusqu'à ce que
la température du jus soit portée entre 180 et 210 degrés
Farenheit ; on l'y maintient jusqu'à ce qu'une épaisse croûte
d'écume s'accumule à sa surface et qu'elle commence à se
fendre, laissant voir, comme de petites perles blanches, les
bulles qui s'élèvent entre les fentes. Alors on ôte le feu;
15 à 20 minutes de repos permettent aux corps les plus gros-
siers de se déposer; la liqueur partiellement clarifiée est
décantée avec soin dans le précipitateur.
Alors le feu est poussé jusqu'à ce que la liqueur com-
mence à bouillir ; pendant l'ébullition, un ouvrier se tient
là, armé d'un pot rempli d'eau de chaux très forte, et d une
écumoire ; il verse un pot d'eau de chaux de temps à autre,
guettant le moment d'enlever l'écume à mesure qu'elle se
montre à la surface. Il continue ainsi jusqu'à ce qu il ne
monte presque plus d'écume ; alors, il examine dans un
verre à vin une petite portion du liquide. S'il y découvre
des traces de petits flocons flottant au travers, et qu il juge
au goût et à l'odorat qu'il a ajouté assez de chaux, il retire
le feu complétement et laisse au dépôt le temps de se pré-
cipiter. Ce temps est rarement de moins d'une heure ou

DU SUCRE. 525
d'une heure un quart ; il est alors transvasé dans les éva-
porateurs, et soumis à la concentration par ébullition, selon
la méthode ordinaire ; on y ajoute un peu d'eau de chaux
ou de saccharate de chaux, si les circonstances paraissent
l'exiger.
Observations. Dans cette méthode, l'application de la
chaux n'a pas lieu dans le clarificateur, pour éviter l'effet
qu'on lui attribue sur la matière colorante du jus de canne ;
l'addition graduelle de la chaux dans le précipitateur a pour
but de saturer les acides, ainsi qu'il a été expliqué ci-dessus,
et aide l'action de la chaleur à effectuer la coagulation com-
plète de la matière albumineuse. L'erreur consiste évidem-
ment à supposer que les particules floconneuses flottant
dans la liqueur peuvent se déposer dans un temps si court;
car je pense qu'il n'y a pas d'exagération à dire qu'il faut
six heures pour qu'un tel liquide bouillant se refroidisse et
forme son dépôt. Le temps accordé à la liqueur pour dépo-
ser étant beaucoup trop court, il en résulte que les flocons
qui n'ont pas pu se déposer passent dans les évaporateurs
et deviennent partie intégrante du sirop concentré, lors-
qu'il passe du tache dans les refroidissoirs. En ajoutant
simplement à ce procédé l'emploi des filtres au charbon,
rapporté tel qu'il se pratique dans le système précédem-
ment décrit, on rendrait cette méthode de filtration bien
plus complète qu'elle ne peut l'être autrement ; cette modi-
fication est si facile à réaliser que son adoption ne peut être
douteuse.
Plusieurs systèmes analogues de filtrage sont actuelle-
ment usités ; chacun d'entre eux diffère en quelques points
de tous les autres. Quant au vieux et très blâmable système
de faire passer la liqueur sucrée des clarificateurs dans les

526 DE LA FABRICATION
évaporateurs juste au moment du besoin, sans s'embarras-
ser si elle est clarifiée ou non, je ne puis la qualifier autre-
ment que comme une inexcusable négligence, causant une
perte volontaire aux plantations où elle est autorisée.
Il faut placer presqu'au même rang que cette pratique
honteusement inintelligente la manière si commune de cla-
rifier dans le clarificateur et de couler la liqueur dans l'éva-
porateur directement, sans prendre la peine de séparer
ultérieurement les matières glutineuses que le liquide tient
en dissolution ou en suspension, soit par la filtration, soit
par le dépôt. Il y a contre ces inconvénients deux remèdes
très simples, tous deux applicables sans autres avances
que des frais insignifiants, comme je l'ai précédemment dé-
montré en parlant du filtrage par le charbon,
§ 12. — Importance d'une défécation complète.
Je voudrais pouvoir faire entrer profondément dans la con-
viction du planteur cette vérité que, dans la sucrerie, toutes
les opérations doivent tendre vers deux objets essentiels:

séparation complète de toute substance étrangère présente
dans le jus de canne, de manière à l'amener le plus rapide-
ment possible à l'état de simple mélange de sucre et d'eau;

évaporation de l'excès d'eau, pour laisser le sucre à l'état
de beau sirop incolore, qui puisse cristalliser bien et com-
plétement.
Le premier point s'obtient par la défécation; le second, par
l'évaporation et la concentration. La question pour le planteur,
c'est de savoir s'il suivra ou ne suivra pas les méthodes qui

peuvent lui permettre d'atteindre ce double but avec certitude
de succès.

DU SUCRE. 527
J'exposerai maintenant les moyens d'opérer la défécation
la plus parfaite possible.
§ 13. — Défécation par les raffineurs d'Howard et la chaux.
— Défécation d'après les principes de Dutrône.
Défécation par le raffinage, procédé breveté de l'hono-
rable E. C. Howard, en 1812. Le jus de canne, en sortant
du moulin, passe par quatre étamines en fil de cuivre; la
première et la seconde sont à mailles larges ; la troisième
est en toile métallique fine; la quatrième en toile métallique
très fine. Le jus se trouve déjà privé par là d'une grande
partie des substances qu'il tient mécaniquement en suspen-
sion ; il arrive donc dans le clarificateur à un état de pro-
preté supérieur à celui où il serait sans cela. Dès que le
fond de la chaudière est couvert, on allume au-dessous un
feu très doux, de sorte qu'au moment où la chaudière est
pleine, la masse entière de la liqueur est échauffée. On
prend alors 2 onces (60 grammes) de chaux vive finement
tamisée, pour chaque quantité de 100 gallons de jus à trai-
ter ; on mêle cette chaux à une quantité d'eau pure suffi-
sante pour en faire une crème de chaux qu'on ajoute au jus
en ayant soin qu'elle soit exactement mélangée avec toute
la masse du liquide. La température est alors portée à
180 degrés Fahrenheit ; elle est maintenue à ce point jus-
qu'à ce qu'il s'élève une croûte à la surface du liquide, et
que cette croûte montre des dispositions à se fendre. C'est
ce qui doit avoir lieu quinze ou vingt minutes après que la
chaux a été mélangée. Mais si l'écume ne monte pas et que
la croûte ne se forme pas comme on le désire, le feu peut
être augmenté jusqu'à ce que ce que ce résultat soit obtenu :

528
DE LA FABRICATION
on a soin de ne pas dépasser 200 degrés Fahrenheit, ou
enfin de ne pas élever la température au delà de ce qui est
absolument nécessaire.
La croûte épaisse d'écume ayant monté et se disposant
à se fendre, le feu est retiré; dix minutes après, la liqueur
est passée à travers une toile métallique très fine dans le
second défécateur, que je nomme précipitateur, parce que
ce nom, tout impropre qu'il est, n'en est pas moins en usage
à Démérary et aux colonies des Indes occidentales.
Sous le précipitateur, le feu est suffisamment activé
pour porter la température du liquide à 210 degrés Fahren-
heit, ou même plus haut, pourvu qu'il n'y ait pas d'ébulli-
tion. Aussi longtemps que la chaleur est maintenue, un
homme se tient près du précipitateur, l'écumoire à la main ;
il enlève promptement et soigneusement toute l'écume qui
monte, jusqu'à ce que la liqueur en soit entièrement débar-
rassée. Alors, on laisse bouillir la liqueur pendant dix à
quinze minutes. On met ensuite l'écumoire de côté, et l'on
emploie le raffineur d'Howard .
1
( 1 ) Le raffineur d'Howard se prépare en délayant de la chaux bien
cuite dans de l'eau bouillante, pour en former une crème de chaux
à laquelle on ajoute son volume d'eau ; puis on laisse bouillir le
mélange pendant quelques minutes, jusqu'à ce que la chaux ait
pris l'aspect d'une belle crème. On sépare alors tous les corps étran-

g e r s qui peuvent s'y rencontrer, et la chaux ainsi que la liqueur est
passée à travers un tamis fin. Pour achever la préparation, l'on dis-
sout dans 6 gallons d'eau environ 2 livres 1/2 ( l

. 5 ) l'alun pour
k i l g r .
chaque quantité de 42 kilogrammes de sucre solide, soit 100 gal-
lons de jus de canne, à raffiner; on ajoute à la solution 3 onces
( 9 0 g r a m m e s ) de blanc (craie purifiée) pour chaque dose de 2 li-
vres l / 2 d'alun; le mélange est agité jusqu'à ce que l'effervescence
ait cesé de s'y manifester. On laisse reposer le tout, puis la solution


DU SUCRE.
529
§ 14. — Séparation des impuretés par le repos. — Moyen de prévenir
la perte de chaleur.
Le raffineur est très également mélangé avec la liqueur,
qu'on laisse encore bouillir deux ou trois minutes ; alors le
tout est bien brassé, et, immédiatement après, coulé dans les
cuves à raffiner, où on le laisse reposer pendant quatre ou
six heures. La liqueur est ensuite passée p a r les filtres au
contenant du sulfate de potasse, qui serait très nuisible au sucre, est
décantée de dessus le dépôt formé d'alumine et d e sulfate de chaux.
Cela fait, on réunit le précipité avec la crème d e c h a u x préparée
isolément; on bat bien le tout avec l'eau que contient l e m é l a n g e ,
en ayant soin de l'agiter au moment m ê m e où l'on v e r s e u n e partie
dans l'autre. La crème d e chaux doit s'y trouver dans des propor-
tions telles que le papier de tournesol plongé dans le mélange,

change de couleur, et revienne en séchant à sa couleur jaunâtre pri-
mitive.
Le raffineur étant ainsi soigneusement préparé, on le laisse s e d é -
poser au fond du vase qui le contient ; après avoir décanté la liqueur
surnageante, le dépôt est mis sur une étamine placée à la manière
d'un filtre ; on le laisse égoutter jusqu'à c e que la m a s s e c o m m e n c e à

se contracter et à s e fendre à la surface ; il est alors bon pour opérer
la clarification du sucre ou du j u s de canne. Pour s'en servir, on

délaye le raffineur dans assez de sirop ou de j u s d e canne pour en
former une crème d e bonne consistance; cette c r è m e est mêlée très
exactement à la masse du sucre ou du j u s de canne qui doit être

raffiné. Le sucre ou le j u s de canne est ensuite livré au repos p e n -
dant quelques heures ; puis le liquide, devenu d'une limpidité bril-

lante, est décanté de dessus le raffineur. ( Voir le procédé Howard
breveté
en 1 8 1 2 . )
Observation. Tout h o m m e d'une intelligence ordinaire peut très
parfaitement préparer c e raffineur. On en fait généralement usage
dans les raffineries en France et e n Angleterre ; il remplit très bien

sa destination.
34

530 DE LA FABRICATION
charbon dont j'ai parlé précédemment, pour se rendre dans
les évaporateurs; durant ce trajet, elle s'est refroidie et est
devenue admirablement clarifiée. S'il y a des objections con-
tre l'emploi des cuves à raffiner, on laisse la liqueur dans les
précipitateurs deux heures après que le feu a été retiré. Le
dépôt s'effectue au moins en partie, et finalement la liqueur,
en passant par les filtres au charbon, se rend dans les éva-
porateurs. Deux heures de repos dans le précipitateur sont
un temps évidemment trop court ; mais cela même offrirait
de graves inconvénients, si, avant que ce temps se fût écoulé,
on venait à avoir besoin de nouveau du précipitateur pour
une nouvelle opération.
Il est vrai qu'on peut ne donner qu'une heure de repos au
liquide ; mais il ne faut pas perdre de vue que, dans ce cas,
il y aura plus de besogne pour le filtrage, ou bien le sucre ne
sera pas bien clarifié. La question devient une affaire de
temps, dont la solution très satisfaisante peut se trouver
d'après les données suivantes :
Avec un moulin débitant 1,000 gallons de j u s à l'heure,
il faudra deux elarificateurs et deux précipitateurs ou se-
conds défécateurs , contenant chacun 500 gallons avec
8 cuves à raffiner des mêmes dimensions ; ce qui épargne
3 défécateurs en fer de 500 gallons chacun, au prix de
30 livres sterling la pièce, soit ensemble 90 livres
(2,250 francs).
Les 8 cuves en beau bois dur de 6 pieds carrés sur 2 1/2
de profondeur ( l . 8 0 sur 0 .75) au plus bas prix, à 2 livres
m
m
sterling la pièce, coûteront 16 livres sterling (400 francs);
huit grands robinets pour les cuves coûtent, au prix le plus
bas, 8 livres sterling (200 francs); ensemble 24 livres sterling
(600 francs) à retrancher de 90 livres sterling (2,250 francs).

DU SUCRE. 531
Il reste une économie réelle de 60 livres sterling (1,650 fr.)
résultant du changement de système.
J'ai évalué les cuves à 3 livres sterling (75 francs) la pièce
avec leurs robinets ; dans les Indes orientales, elles coûte-
raient un peu moins, et, dans les Indes occidentales, peut-
être quelque chose de plus. Voyons maintenant la dépense
de temps pour la pratique de cette méthode.
Lundi, 4 heures du matin. Le moulin est mis en activité;
le premier clarificateur est plein en une demi-heure. — 5 heu-
res.
Le contenu en partie clarifié du premier clarificateur
entre dans le précipitateur. — 5 heures 1/2. La liqueur
ci-dessus, traitée par le raffineur, entre dans la cuve à
raffiner. — 9 heures 1/2. La même liqueur, parfaitement
clarifiée, passe par le filtre pour se rendre dans les évapora-
teurs. — 10 heures. La seconde dose de 500 gallons entre de
la même manière dans les évaporateurs sous lesquels le feu
est allumé. — 10 heures 1/2 La troisième dose de 500
gallons entre à son tour, ce qui fait 1,500 gallons reçus dans
une ligne d'évaporateurs. — 11 heures 1/2. 1,000 gal-
lons de jus ainsi clarifié ont passé dans le second rang, où
le feu est allumé. — Midi. 1,500 gallons ont été reçus dans
le second r a n g ; par conséquent, les deux rangs sont rem-
plis.
Ainsi, l'après-midi, les deux rangs d'évaporateurs sont
pleins, et la cuisson avance aussi vite qu'un bon feu peut la
faire marcher; chaque rang reçoit toutes les heures une nou-
velle dose de jus clarifié.
A 4 heures de l'après-midi le moulin , ayant débité
12,000 gallons de jus, est arrêté; on le lave à fond, et les
ouvriers qui le faisaient fonctionner sont disponibles.
A 9 heures, toute la liqueur doit avoir été reçue dans les

532 DE LA FABRICATION
évaporateurs. Admettons qu'une demi-heure soit encore né-
cessaire pour cuire la dernière dose de liqueur reçue, net-
toyer les cuves, les filtres et les autres appareils, et sur-
veiller la fin de l'opération ; on trouve qu'à 9 heures et de-
mie du soir, la besogne est terminée et la sucrerie peut être
fermée pour le reste de la nuit.
Le lendemain, le moulin recommence à fonctionner à
4 heures du matin, et le feu est allumé sous les chaudières
à 8 heures, pour que tout soit prêt à 9 heures et demie
pour recevoir la première charge nouvelle de 500 gallons
de j u s .
A 4 heures après midi, le moulin est arrêté comme la
veille, et la sucrerie est fermée à 9 heures et demie du soir.
Ainsi de suite les autres jours de la semaine.
Si l'on trouve que 9 heures et demie sont une heure trop
avancée pour la fin des travaux, rien n'est plus aisé que
d'abréger ce temps de deux heures et de fermer la sucrerie
à 7 heures et demie du soir ; il suffirait pour cela de faire re-
tourner, au moyen du montejus, la dernière charge de
2,000 gallons de liqueur dans les défécateurs nettoyés, telle
qu'elle sort des filtres ; elle pourrait séjourner jusqu'au len-
demain matin dans les défécateurs sans le moindre danger.
Dans ce cas, le feu serait allumé à 6 heures du matin, au lieu
de l'être à 8 heures, et, comme on aurait besoin des déféca-
teurs pour le service, la liqueur pourrait passer de ces déféca-
teurs dans quatre des huit cuves, simplement pour la facilite
des opérations, jusqu'à ce que les évaporateurs fussent dis-
ponibles. Si la machine à vapeur s'arrête et que le feu soit re-
tiré de dessous la chaudière à vapeur à 4 heures après midi.
à l'heure où le moulin cesse de fonctionner, le montejus n
pourrait pas être utilisé, la vapeur manquant pour le faire

DU SUCRE. 533
agir ; la liqueur devrait, par conséquent, être montée à la
main. Mais il peut arriver, là où l'on se sert d'un concentra-
teur par le vide ou des concentrateurs de W e t z a l , qu'on
trouve plus commode de retarder ce transport jusqu'à 7 heu-
res du soir.
On ne peut révoquer en doute l'efficacité du système qui
vient d'être exposé comme moyen de séparer toutes les im-
puretés du jus de canne ou de la liqueur sucrée, et rien dans
les détails d'exécution ne s'écarte de ce qui est simple et
praticable sans difficulté.
E n exposant cette méthode, j ' a i eu particulièrement en
vue son application au jus de canne avant qu'il ne passe
dans les évaporateurs ; car il me paraît fort à souhaiter
qu'au moment où elle va être soumise à l'évaporation, cette
liqueur soit tellement purifiée qu'elle ne contienne, autant
que la chose est possible, rien que du sucre et de l'eau. Tou-
tefois le plan qui vient d'être esquissé peut recevoir quel-
ques modifications qui en font une combinaison des principes
du système d'Howard et de celui de Dutrône.
Voici en quoi consistent ces variations. La défécation
s'opère comme il a été dit, dans le clarificateur et le précipi-
tateur ; seulement, dans le précipitateur, on emploie un peu
plus de chaux, et l'on ne fait point usage du raffineur ; la
liqueur, déjà éclaircie, passe par les filtres au charbon pour
se rendre dans les évaporateurs, ou elle est cuite à 24 ou
36 degrés du saccharimètre de Baume; puis elle est dé-
versée dans le montejus, qui la fait monter dans les cuves
à raffiner; là, elle s'est mêlée avec le raffineur, ainsi que j e
l'ai expliqué plus haut, et la liqueur, pour former son dépôt,
y reste jusqu'au lendemain matin. Par exemple, le moulin
commence à fonctionner à 4 heures du matin; à 6 heu-

534 DE LA FABRICATION
res du matin, on allume le feu sous le premier rang de
chaudières; à 4 heures du soir, on arrête le moulin; à
6 heures du soir, on retire le feu de dessous les chaudières.
Pendant cet intervalle, toute la liqueur a été concentrée
à la densité ci-dessus indiquée ; elle passe dans les cuves à
raffiner, et elle y reste toute la nuit pour former son dépôt.
Le lendemain matin, dès que la machine commence à mar-
cher, on fait fonctionner les appareils à concentrer, soit les
appareils de concentration dans le vide, soit ceux de Wet-
zal; toute la journée est employée à concentrer le sirop
qui a subi l'action du raffineur pendant la nuit précé-
dente, et l'on suit la même marche tous les jours. Sup-
posons que le jus de canne, au moment où il entre dans
les évaporateurs, soit formé de 4/6 d'eau et de 1/5 de
matière solide, et que la liqueur soit cuite jusqu'à 27 de-
grés de Baume; on reconnaîtra que la quantité de sirop
à mettre dans les cuves à raffiner est d'environ 4,320 gal-
lons, provenant de 12,000 gallons de jus fournis par le
moulin; il faut, par conséquent, pour contenir cette quantité
de sirop, 9 cuves à raffiner, ayant chacune une capacité
de 600 gallons.
Les écrivains de notre époque qui ont abordé ce sujet
ont assez généralement reconnu la justesse des vues de
Dutrône quant à la manière de traiter le jus de canne;
toutefois le temps qui s'est écoulé depuis que Dutrône a
écrit n'a pas changé la nature des préjugés qui s oppo-
saient à l'adoption de ses idées. Il en résulte que nous nous
trouvons placés sur le même terrain que lui, et forcés de
mettre en avant les mêmes arguments, au moins en ce qui
concerne la séparation des impuretés contenues dans la
liqueur.

DU SUCRE. 535
Le conseil donné par Dutrône, de laisser la liqueur sucrée
reposer dix à douze heures dans les réservoirs, a constam-
ment été repoussé par les planteurs, sous prétexte que ce
système augmente la consommation du combustible et
cause beaucoup d'embarras. J'ai pesé ces objections avec
une attention scrupuleuse. Quant à l'accroissement de dé-
pense en combustible, il est complétement évident qu'il est
d'un tiers au moins au-dessous de ce qui a été affirmé.
Quant à la seconde objection, il me suffira de rappeler l'ex-
cuse favorite si chère aux planteurs de la vieille école, ex-
cuse qu'ils opposent à toute proposition de progrès : « Oh !
cela cause bien trop d'embarras ! »
Toutefois, de nos jours, cette excuse n'est plus de mise;
l'intérêt vital du planteur doit prévaloir ; sans quoi jamais
les colonies ne pourraient résister aux changements que le
temps a dû amener à sa suite.
La méthode de Dutrône comprenait d'abord la défécation
dans les clarificateurs, puis la cuisson accompagnée de l'en-
lèvement des écumes et le nettoyage des évaporateurs, selon
la méthode ordinaire, jusqu'à ce que la liqueur soit devenue
un sirop marquant 22 à 24 degrés au saccharimètre de
Baumé ; elle est alors coulée dans les réservoirs, où elle
séjourne douze heures pour former son dépôt, de sorte que
toutes les impuretés sont complétement séparées du sirop.
En douze heures de temps, le sirop coulé chaud se refroi-
dit; pour être chauffé de nouveau, il exige l'emploi d'une
certaine quantité de combustible, objection majeure opposée
à l'adoption de cette méthode. Mais il semble que personne
n'ait réfléchi combien il est facile de faire disparaître la plus
grave partie de cette même objection. P a r exemple, tout le
sirop amené à la densité de 24 degrés de Baume pendant

536 DE LA FABRICATION
la journée du lundi est conservé dans le réservoir, afin
qu'il y forme son dépôt, jusqu'au lendemain matin; du-
rant la journée du mardi, le tache (chaudière) concentre
le sirop préparé la veille; le tache est en conséquence
rempli de ce sirop dès qu'il est mis en activité, et l'opé-
ration commence. Tandis que le tache concentre le sirop
de la veille, celui du jour est amené dans le second tache
à la densité de 34 degrés, afin de subir comme l'autre
sa période de repos ; ainsi, lorsque le second tache vide
une charge de sirop bouillant, au lieu de verser ce sirop
directement dans le réservoir, il est versé dans un dou-
ble vaisseau et il communique sa chaleur au sirop qui
l'environne, c'est-à-dire au sirop préparé le jour précédent.
Ce vase est situé entre les deux chaudières et les réservoirs
précipitateurs ; il est formé d'un vase mis dans un autre ;
celui qui est placé en dedans est pleinement couvert par le
liquide contenu dans celui qui se trouve en dehors ; il est
pourvu d'un petit tube à air s'élevant de son centre; il a aussi
deux tuyaux, l'un pour charger le vase, l'autre pour le vider.
En commençant le mardi matin les opérations, qui seront
continuées durant toute cette journée, le vase extérieur est
rempli de sirop froid puisé dans les réservoirs, de manière
à couvrir entièrement le vase intérieur. Alors chacune des
différentes charges de sirop, d'une densité de 24 degrés
sortant du second tache, entre dans le vase intérieur,
et chacun des deux reste en cet état jusqu'à ce qu'une
autre charge soit prête à suivre; aussitôt la charge refroi-
die est coulée dans le réservoir nettoyé, et une autre
charge toute chaude prend la place de la première . On
1
(1) On doit avoir deux de ces vases composés ; le sirop chaud cède
à l'un la moitié de la chaleur, et le reste à l'autre.

DU SUCRE. 537
voit que, par cet arrangement très simple, chaque charge
de sirop bouillant communique sa chaleur au sirop froid
dont elle est entourée, et que, par conséquent, le sirop passe
des réservoirs dans le tache, déjà échauffé à un degré élevé,
au lieu d'y entrer tout froid; on voit en même temps que
les deux tiers de la chaleur du sirop destiné à entrer dans
les réservoirs sont certainement économisés, au lieu d'être
perdus.
La question se réduit donc à savoir lequel est le plus
économique et le plus efficace, du dépôt (précipitation) ou
du filtrage ; quant au filtrage, on emploie en Angleterre
avec beaucoup de succès les bag-filters; j ' e n parlerai plus
loin pour cette raison.
§ 15. — Défécation par le sulfate d'alumine et la chaux. — Défécation
par le sulfate d'alumine seul.
Ce procédé marche mieux en ajoutant de la chaux à l'alun
avant de le faire agir sur la liqueur sucrée. P a r exemple, on
doit employer une livre d'alun (420 grammes), ou un peu au
delà, à la défécation de 100 gallons de jus de canne; le sulfate
d'alumine doit d'abord être dissous dans l'eau, puis traité avec
12 onces (360 grammes) de chaux caustique, qui décompo-
sent le sulfate; l'acide se combine avec une partie de la chaux
et forme du sulfate de chaux ; une autre partie se combine
avec l'alumine, et une troisième portion reste à l'état de
réactif libre. Appliqué en cet état au jus de canne déjà on
partie clarifié, l'alun s'empare immédiatement de la matière
colorante; le sulfate de chaux et la chaux se combinent
avec le reste de la matière organique et la précipitent, sans
nuire en aucune manière au jus de canne. Ainsi l'on peut

538 DE LA FABRICATION
faire agir avec sûreté et avec grand avantage trois agents
de défécation, tous trois d'une grande puissance. Dans la
pratique, on trouve que rien ne peut réaliser les vues du
planteur à cet égard plus parfaitement que ces trois sub-
stances combinées. Quand on se propose d'en faire usage,
on ne peut les employer mieux que dans le précipitateur ;
aussitôt après, on porte la liqueur au degré de l'ébullition ;
elle y est maintenue pendant trois ou quatre minutes ; on
retire le feu, et, après un repos de courte durée, la liqueur
passe par le filtre et est soumise à l'évaporation.
L'emploi de l'alumine, du sulfate de chaux (gypse) et de
la chaux n'est qu'une autre voie pour arriver à la même
combinaison. Ce sont, en fin de compte, les mêmes sub-
stances que celles pour l'usage desquelles Howard a pris le
premier un brevet ; elles peuvent être présentées sous di-
vers noms et différentes formes ; mais après tout, elles ne
contiennent que trois substances : l'alumine, l'acide sulfu-
rique et la chaux.
On se procure le sulfate d'alumine en chassant la potasse
ou l'ammoniaque de l'alun au moyen do la chaux ; ou bien,
1
pour former du sulfate d'alumine, on traite par l'acide sul-
furique l'alumine pure extraite des argiles, par exemple du
kaolin ou argile de Cornouailles, qui, selon Wedgewood,
contient 60 pour 100 d'oxyde d'aluminium.
La chimie, dans son état actuel, ne connaît pas de sub-
stance capable d'opérer la défécation avec plus d'efficacité
(1) On ne peut pas employer l'alun du commerce pour la déféca-
tion, à cause de la potasse ou de l'ammoniaque qu'il contient; l'alun
se fabrique quelquefois avec la potasse, quelquefois avec l'ammo-
niaque.

DU SUCRE.
539
que ces trois substances combinées, l'alumine, le sulfate de
chaux et la chaux, au point de vue de la sûreté, de la faci-
lité et de l'économie. C'est un fait assurément singulier que,
quoique la découverte d'Howard remonte à l'année 1812,
on peut dire que jamais, jusqu'à ce jour, elle n'a été appli-
quée dans les colonies où son adoption aurait pu faire le
plus de bien
L'alun de potasse, pris à la fabrique, se vend ordinaire-
ment en Angleterre 6 livres sterling la tonne (150 francs
les 1,000 kilogrammes) ; on peut, sans aucun doute, s'en
procurer en quantité illimitée, rendu aux Indes orientales
(1) En 1816, M. Dorion, de la Martinique, a proposé d e clarifier
le jus de canne au m o y e n d e l'écorce de treabroo ma gazuma ou orme
sauvage, au lieu d e sang de boucherie. Je n'ai jamais eu occasion
de juger du mérite de cette innovation ; mais M. Blachette nous a p -
prend qu'elle était regardée c o m m e d'une telle importance que la
colonie de la Martinique, après quelques expériences d'un résultat
satisfaisant, offrit à M Dorion 1 2 0 , 0 0 0 francs, auxquels la Guade-
loupe ajouta la m ê m e s o m m e , et les colonies anglaises une s o m m e
encore plus élevée. Il dit aussi q u e la découverte était attribuée à
M. Duchamp-Delbecq ; m a i s , il oublie complétement de nous appren-
dre comment l'invention est d'une si haute importance.
A la Jamaïque, il existe un arbre très c o m m u n , n o m m é le bass-
cédar, qui porte un fruit ( s i j e peux lui donner c e n o m ) environ du
volume d'une grosse noix muscade, noir quand il est mûr, d'une s a -
veur douce, extrêmement visqueux lorsqu'on le m â c h e . Je m'en suis
servi pour nourrir m e s c h e v a u x ; j'en ai quelquefois mâché m o i -
même d e s morceaux, et j'ai été frappé d e la quantité d e mucilage
qu'il fournit. Depuis cette époque, j'ai souvent pensé qu'il serait pos-
sible d'en tirer partie pour la clarification, en l e broyant et le fai-
sant infuser dans l'eau, à laquelle il céderait son m u c i l a g e . Peut-être
cette indication pourra-t-elle être utile aux personnes qui habitent
la Jamaïque et qui auront occasion d'essayer jusqu'à quel point cette
substance peut être utilisée pour cet usage.

540 DE LA FABRICATION
et occidentales, au prix de 9 livres sterling (225 francs les
1,000 kilogrammes ) tous frais payés. On fabrique en France
de très grandes quantités de sulfate d'alumine, et l'on s'en
sert pour la défécation du jus de betterave. En s'adressant
à n'importe laquelle de nos fabriques d'alun en Angleterre
ou en Ecosse, on peut en avoir autant qu'il est nécessaire
et à des prix fort au-dessous de celui de l'alun du commerce,
parce qu'on n'a pas besoin du sulfate de potasse contenu
dans cet alun.
Mais, en prenant l'alun commun à 9 livres par tonne
(225 francs les 1,000 kilogrammes) rendu à la colonie, on
peut rechercher ce que coûtera la quantité d'alun néces-
saire à la clarification du jus de canne, en admettant, selon
l'ancienne méthode, qu'un gallon de j u s rende une livre de
sucre (420 grammes). D'après cette donnée, 2,500 livres
d'alun (1,058 kilogrammes), à raison de 2 livres l/2
(l
.5) pour 100 gallons, suffisent pour 100,000 gallons
k i l o g r
de liqueur sucrée ; cette quantité peut donner 49 tonnes de
sucre (49,000 kilogrammes). L'alun, pour la clarification de
100,000 gallons de jus, coûtera environ 10 livres sterling
(200 francs), soit, pour chaque tonne de sucre fabriqué, une
dépense de 4 shellings ( 5 francs ).
Quelquefois on rencontre une argile naturelle si pure
qu'étant brûlée et pulvérisée, elle constitue un excellent
moyen de défécation, surtout lorsqu'on l'emploie mêlée à la
chaux et au sulfate de chaux (gypse).
§ 1 6 . — Systèmes de défécation, de fabrication de sucre
et de concentration recommandés.
Le j u s , en sortant du moulin, passe par quatre étamines de

DU SUCRE. 541
divers degrés de finesse, dont la dernière est très fine, comme
il a été expliqué plus haut; il passe de là dans le clarificateur,
que je suppose d'une capacité de 500 gallons. Le feu est mis
sous le clarificateur dès qu'il a reçu assez de liquide pour
que son fond en soit couvert; réchauffement et le remplis-
sage avancent ainsi l'un avec l'autre, de sorte que, quand
le clarificateur est plein, le jus est déjà à une bonne tempé-
rature. On prend alors environ 10 onces ( 300 grammes) de
chaux vive passée au tamis fin ; on mêle cette chaux avec
assez d'eau pour former une crème de chaux qui doit être
ajoutée au jus dans le clarificateur, en ayant soin de le bien
brasser, afin que les particules d'alcali se trouvent très éga-
lement réparties dans toute la masse liquide. On peut alors
élever la température à 180 degrés Fahrenheit, et l'y main-
tenir quelque temps pour voir si l'écume montera d'une fa-
çon satisfaisante ; dans le cas contraire, on peut augmenter
la chaleur jusqu'à ce que l'écume se forme, sans cependant
dépasser 200 degrés Fahrenheit. Dès qu'une croûte épaisse
est formée, elle ne tarde pas à montrer des dispositions à
se fendre ; à ce moment, le feu peut être entièrement retiré ;
l'intervalle entre le remplissage complet du clarificateur et
l'enlèvement du feu est ordinairement de 15 à 20 minutes.
On laisse passer 10 minutes pour donner à la liqueur un
peu de repos; puis on la passe à travers une toile métallique
très line pour la verser dans le précipitateur, en prenant
garde de n'y pas verser en même temps le sédiment qu'elle
a déposé. Pour prévenir cet inconvénient, la liqueur du
fond, plus ou moins mêlée au sédiment, est coulée à part et
versée dans le clarificateur en train de se remplir. Dès que
la liqueur en partie clarifiée entre dans le précipitateur, on
allume dessous un feu clair pour chauffer la liqueur à 210 de-

542
DE LA FABRICATION
grés Fahrenheit; elle y reste quelques instants, pendant
lesquels un ouvrier, armé d'une écumoire, enlève l'écume
à mesure qu'elle se montre. Quand il ne se forme plus d'é-
cume, on élève la température au degré de l'ébullition; on
l'y maintient pendant 10 minutes; l'écume qui recommence
à s'y former est enlevée avec soin. C'est à ce moment qu'il
faut verser dans le sirop le liquide défécateur préparé de
la manière suivante. Dans 3 gallons d'eau, on fait dissou-
dre 3 livres ( l
. 2 6 ) de sulfate d'alumine; on mêle à
k i l o g r
cette solution 12 onces de chaux ( 360 grammes), et le tout
est intimement mélangé jusqu'à ce que la décomposition
soit complète ; alors on ajoute 4 onces (120 grammes) de
chaux de plus qu'on incorpore bien à la masse, après quoi
on laisse le liquide tranquille pour qu'il forme son dépôt
Quand le précipité est achevé, l'eau qui surnage est décan-
tée, et il est alors composé d'alumine, de sulfate de chaux
et de chaux à l'état libre. Ajoutez-y un peu d'eau pure pour
donner au dépôt la consistance d'une crème, il sera prêt a
être employé.
Quand on fait usage de ce mélange pour clarifier la li-
queur sucrée dans le précipitateur, il faut bien l'agiter pour
le mêler à la masse, puis le faire bouillir pendant trois ou
quatre minutes; on retire alors le feu, et la liqueur est versée
soit dans les filtres, soit dans les cuves à raffiner. Il serait
inutile de la tenir plus longtemps dans le précipitateur; en
l'y laissant davantage, les parties les plus grossières seules
s'y déposeraient; pour la clarification parfaite, il faut donc
avoir recours soit au filtrage, soit au repos prolongé dans
les cuves de raffinage, comme j e l'ai exposé plus haut.
Si l'on préfère le filtrage, on peut employer avec avan-
tage et économie deux poinçons à rhum bien remplis de

DU SUCRE. 543
charbon de bois humide, et communiquant l'un avec l'autre
par un tuyau; mais l'emploi des bag-filters peut être préféré
1
lorsqu'on le juge convenable. Quel que soit celui qu'on
adopte, il faut veiller à ce que les filtres soient tenus par-
faitement propres et exempts d'acidité. Cette nécessité d'un
lavage et d'un nettoyage à fond sans cesse renouvelé me
paraît constituer le seul désavantage du système de filtra-
tion, tandis que, quand on fait usage des citernes à raffiner,
on n'a besoin de rien de semblable. Si le dépôt est substitué
à la filtration, comme 500 gallons de jus peuvent être four-
nis par le moulin, clarifiés, soumis à la défécation et filtrés
dans l'espace de 2 heures à 2 heures 1/2, il s'ensuit par
conséquent qu'on doit faire agir les filtres et verser 500 gal-
lons de liquide filtré dans les évaporateurs, dans l'inter-
valle de 2 heures 1/2 qui suit le moment où le moulin
commence à fonctionner.
La liqueur sucrée qui a subi la clarification et le filtrage
(1) Les bag-filters consistent en un certain nombre de chausses
en forte toile de coton ou en calicot, d'environ 0 .40
m
de large, et
de l .80
m
de l o n g , dont chacune est insérée dans une autre chausse
de c a n e v a s , qui n'a pas plus de 0 .15 de large, mais qui n'a pas de
m
fond. La partie supérieure de ces chausses est solidement fixée à un
tube de métal qui devient ainsi le col d e la chausse ; en cet état, on
l'ajuste sur le châssis en bois d'un filtre au m o y e n d'un écrou qui
tient la chausse ferme et serrée. La partie supérieure du filtre forme

un réservoir dont la contenance doit être égale à celle du préci-
pitateur.
Chaque filtre doit comprendre de vingt à trente c h a u s s e s ; le fil-
trage y marche avec rapidité. Les filtres de ce g e n r e peuvent se fa-
briquer dans chaque plantation; ils ne peuvent pas coûter, m ê m e aux

Indes occidentales, plus de 5 à 6 livres sterling chacun ( 125 à 150 fr.).
Partout où l'on s'en sert, on doit toujours en avoir deux.

544
DE LA FABRICATION
comme j e l'ai exposé précédemment, doit être à un grand
état de pureté lorsqu'elle arrive dans les évaporateurs ; elle
ne doit être, par conséquent, écumée que fort peu ou pas du
tout pendant l'évaporation ; elle n'exige pas non plus l'em-
ploi d'une seconde dose de chaux ; on peut cependant, pour
l'entière satisfaction du planteur, essayer le sirop par le
papier de tournesol quand il entre dans les évaporateurs,
et aussi lorsqu'il passe au troisième évaporateur.
Le planteur a l'entière liberté de choisir Je genre de vases
à employer comme évaporateurs. Mais , pour continuer
comme je l'ai commencée la description de la fabrication du
sucre, je prendrai comme moyenne une ligne d'évapora-
teurs découverts, chauffes à feu nu, tels que les fabriquent
MM. Blyth (fig. 25). Pendant l'évaporation, pour ôter à la
liqueur sucrée toute chance de brûler, il faut apporter une
attention soutenue à ce que, dans les chaudières mainte-
nues suffisamment pleines, elle dépasse toujours le niveau
des parties extérieures sur lesquelles le feu agit directe-
ment. Si cette précaution est négligée, et elle ne l'est que
trop souvent, le sucre, en brûlant, donne lieu à une caramé-
lisation qui influe d'une manière fâcheuse sur la coloration
du sucre fabriqué. C'est par ce motif que j'accorde une pré-
férence marquée aux évaporateurs à fond plat ou très légè-
rement convexe. La liqueur filtrée, traitée comme on vient
de le voir, doit être extrêmement limpide et incolore. Si
l'on apporte assez de soin à tenir les chaudières bien pleines,
la liqueur ne prendra presque pas de couleur par 1 action
de la chaleur dans les lignes d'évaporateurs pour atteindre
la densité de 28 degrés du saccharimètre de Baume. Par-
venue à cette densité ( contenant 50 parties de sucre et
50 parties d'eau), elle sera soutirée chaque charge l'une après

DU SUCRE.
545
l'autre, et se présentera alors sous forme d'un magnifique
sirop. Il s'agit actuellement de décider si le sirop doit ou ne
doit pas être passé par le filtre au charbon animal; mais j e
suppose que pas un planteur ne saurait être assez négligent
sur ses propres intérêts ou ceux du propriétaire qui l'em-
ploie pour hésiter à appliquer ce procédé, en présence des
faits exposés dans le chapitre précédent; j'admets donc
comme une nécessité le besoin de recourir à l'action impor-
tante du charbon animal. Le sirop, dès qu'il sort de la ligne
d'évaporateurs, est donc versé dans un récipient auquel est
attaché le montejus qui l'élève dans les filtres au charbon.
Après son passage à travers le charbon animal, le sirop se
trouve grandement purifié et décoloré ; il passe dans l'appa-
reil de concentration par le vide, après quoi il est coulé
dans les granulateurs. La vapeur, appliquée à ces derniers,
y porte la température à environ 180 degrés Fahrenheit,
dans le but de provoquer la granulation du sirop con-
centré.
En sortantdes granulateurs, le nouveau sucre passe dans
la purgerie, où il subit la dernière opération qui doit le faire
parfaitement cristalliser. On ne peut douter que du sucre
ainsi fabriqué ne fût égal, sinon supérieur, à notre sucre
raffiné en pains, de qualité ordinaire. Le planteur aurait un
beau sucre blanc, d'un beau grain, qui obtiendrait un prix
élevé sur tous les marchés. Ce serait un sucre pour l'épicier,
non pour le raffineur; bref du sucre de cette sorte serait,
plus que tout autre, profitable au planteur; jamais il n'y au-
rait rien à perdre sur cette marchandise, ni par avarie, ni
Par desséchement ou par d'autres causes semblables.
Revenant à la question des évaporateurs, je dirai qu'à
mon avis, la grande supériorité des chaudières chauffées
35

546 DE LA FABRICATION
par la vapeur sur les chaudières chauffées à feu nu, ne peut
être mise en question. En fait, les avantages des premiers
sont si nombreux que, pour mon propre compte, je ne vou-
drais jamais avoir d'autres évaporateurs que ceux qu'on
chauffe p a r l a vapeur, à moins que le choix ne me fût pas pos-
sible. La dépense en combustible est peut être tant soit peu
plus forte ; mais l'avantage important de pouvoir employer
le bois ou la houille comme combustible au lieu de bagasse,
et la manière prompte dont la température de chaque chau-
dière peut être régularisée, arrêtée ou renouvelée à la mi-
nute, compensent et au delà la légère augmentation de frais
pour le chauffage : j'ajoute que, dans plusieurs colonies,
le chauffage est en si grande abondance qu'il est à peu près
indifférent d'en employer un peu plus. Nos colons des Indes
occidentales eux-mêmes, qui peuvent avoir la houille ren-
due chez eux à 25 francs les 1,000 kilogrammes, ne peu-
vent assurément se récrier contre l'emploi des évaporateurs
chauffés par la vapeur, en raison de leur consommation en
combustible.
Néanmoins, dans l'exposé de la méthode ci-dessus dé-
crite, j ' a i préféré ne parler que des chaudières chauffées par
le feu nu, sachant combien leur emploi est général. Je dois
faire observer ici que la liqueur sucrée ayant subi une
bonne défécation, pourvu qu'elle soit bien surveillée, ne
court aucun risque de brûler ou de prendre une couleur plus
foncée pendant l'évaporation dans des vases ouverts, sur un
feu nu ; car c'est durant la concentration qu'elle éprouve ce
dommage. Les expériences de M. Soubeyran et de plusieurs
autres ont complétement prouvé ce fait que les sirop
peuvent être évaporés dans les chaudières ordinaires jus-
qu'à ce qu'ils contiennent trois parties de sucre et une par-

DU SUCRE. 547
tie d'eau, sans brûler et sans prendre plus de couleur,
pourvu que les vases fussent suffisamment remplis et que
l'évaporation fût menée assez rapidement.
Mais, à part cet effet, l'évaporation peut influer sensi-
blement sur la coloration du sirop, par la décomposition du
sucre devenu non cristallisable ou changé, selon le terme
consacré, en glucose.
On voit par là que nous pouvons évaporer nos sirops dans
des chaudières ouvertes, jusqu'à ce qu'elles ne contiennent
plus qu'une partie d'eau sur trois parties de sucre; mais,
pour éloigner tout danger de brûler le sirop, je choisi-
rais des chaudières à fond plat ou légèrement convexe à
l'intérieur, sans revêtement de briques sur les côtés ,
pour empêcher les briques fortement échauffées de com-
muniquer une température trop élevée aux côtés des chau-
dières. Le sirop étant amené à son degré de densité, nous
devons veiller ensuite à sa concentration, c ' e s t - à - d i r e
à l'évaporation du tiers d'eau qu'il contient encore, en ne
subissant que la perte absolument inévitable. Ainsi, quand
on ne doit pas se servir desfiltres au charbon, le jus de canne,
bien clarifié et filtré bien à clair, peut être immédiatement
évaporé à la température de 230 degrés Fahrenheit; puis
on le coule dans le tache où il doit être concentré. J e rappor-
terai, pour atteindre ce but, trois méthodes dont deux sont
communément en usage
La première, c'est l'appareil d'évaporation dans le vide ;
la seconde, la chaudière de Wetzal ou de Gadesden ; la
troisième est une modification du procédé de Godfrey-
Kneller. L'emploi de l'appareil d'évaporation par le vide
est la méthode la plus complète qui soit actuellement usi-
tée ; car elle concentre le sirop à une basse température,

548
DE LA FABRICATION
de 160 à 180 degrés Fahrenheit, ce qui éloigne toute chance
de perte. La chaudière de Wetzal est beaucoup moins chère,
en même temps qu'elle permet de ne pas élever davantage
la température.
J'ai vu souvent du sirop concentré dans ces chaudières,
à la température de 160 à 165 degrés. Mais, quelque simple
et praticable que soit cette méthode, le battement continu
( si je puis me servir de ce terme) que reçoit le sirop par la
roue tournante nuit jusqu'à un certain point à la forma-
tion du grain ; cette observation s'applique surtout au cas
où l'évaporation est poussée très loin.
§ 17. — Avantages de l'appareil de concentration de Kneller.
Le système de Kneller consiste à faire passer de l'air
froid à travers la masse du sirop ; il a été singulièrement
perfectionné par diverses améliorations dues à M. Brame-
Chevallier. P a r cette méthode améliorée, le vase est pourvu
d'un steam-jacket, d'un rouleau de conduits à l'intérieur, et
d'un appareil de tubes ; à travers ces derniers, l'air est re-
foulé de force au fond de la chaudière ; en s'élevant à tra-
vers la masse du liquide, il entraîne avec lui une grande
quantité de vapeur, tout en maintenant le sirop à une tem-
pérature très basse. Le sucre fabriqué dans ce genre de
chaudière rivalisait sous tous les rapports avec le sucre
concentré dans le vide; mais l'appareil de concentration
par le vide est si bien adapté à l'usage auquel il est des-
tiné dans les raffineries d'Europe que l'emploi de l'appa-
reil perfectionné de Kneller n'a pas été encouragé. Toute-
fois j e ne suis nullement convaincu que cet appareil ne
puisse fonctionner avec grand avantage dans les sucreries

DU SUCRE.
549
des plantations ; je crois, tout au contraire, qu'il peut l'être.
Ce qui me porte à le croire, c'est que le prix d'un appa-
reil pouvant contenir 200 gallons de sirop concentré, y
compris son steam-jacket, son rouleau de conduits et ses
tubes à air au complet, ne dépasse pas 80 livres sterling
( 2,000 francs ) . La pompe à air ne coûte pas plus de 25 li-
1
vres sterling (625 francs) ; la force perdue de la machine
qui fait fonctionner le moulin est plus que suffisante pour
faire agir cette pompe ; enfin, dans une sucrerie aux colonies,
il y a toute sorte de facilités pour obtenir de l'air sec. Dans
la saison chaude et sèche, l'air atmosphérique ordinaire est
ce qu'on peut désirer de mieux; dans la saison humide, l'air
peut aisément être rendu sec avec une dépense insignifiante.
Une chaudière perfectionnée de Kneller fait la besogne
beaucoup plus vite qu'un wetzal; elle la fait aussi vite,
plus vite même, qu'un appareil de concentration par le vide.
Je calcule qu'une chaudière ayant à peu près les dimen-
sions que j'indique peut faire par jour 12,000 kilogrammes
de sucre, en agissant sur un sirop composé de 3 parties
de sucre et 1 partie d'eau. Je ne puis recommander cet
appareil avec trop d'instances. Je ne pense pas que les
planteurs aient soumis ce genre de concentrateur à des
essais aussi concluants que les miens, tels que leur pro-
pre intérêt semble les réclamer.
(1) Une pompe à air à double action, de 0 . 3 0 de diamètre et
m
0 . 4 5 de choc, peut débiter environ 100 pieds cubes par minute
m
(2m.cu.70 ). Cet air, s'il est convenablement désséché, évaporera le
sirop chaud
plus vite que l'appareil par le vide, et à une tempé-
rature aussi basse. Une pompe à air de ces dimensions absorbe,

pour fonctionner, une force de 4 chevaux de la machine à vapeur.
Elle coûte 30 livres sterling (750 francs).

550 DE LA FABRICATION
Les chefs de sucreries aux colonies font communément
la faute, quand ils emploient des appareils agissant à une
basse température, de pousser la concentration trop loin,
par exemple jusqu'à ce qu'il y ait 90 parties de sucre pour
10 parties d'eau. Le sirop ainsi concentré contient, lorsqu'il
est froid, 70 parties de sucre cristallisé, et 20 parties de sucre
tenues en solution dans 10 parties d'eau, formant par con-
séquent la troisième partie du sirop ; cette partie s'écoule
comme mélasse, et peut être reconcentrée par une opération
subséquente.
Mais la concentration du sirop poussée aussi loin nuit à
la formation d'un grain volumineux bien développé ; elle
nuit plus encore à l'égouttement de la masse. Dutrône, dans
le cours de ses expériences, avait mis ce fait si bien en évi-
dence qu'il pose comme un principe bien établi que le sucre
doit être mis à cristalliser dans une grande quantité d'eau;
sans aucun doute, ce principe est parfaitement exact. Les
colons, je le sais, ont des idées très fausses quant à la ma-
nière d'agir des principes de Dutrône ; leurs appréhensions
à ce sujet, conçues sans réflexion, leur inspirent de tels
préjugés qu'il ne veulent pas seulement écouter avec assez
de patience les raisons qui peuvent être alléguées en faveur
des vues de Dutrône, quelque justes et bien fondées que
puissent être ces raisons.
§ 18. — Défense des principes de cristallisation de Dutrône.
J e crois qu'il importe au plus haut degré, dans l'intérêt
des planteurs, qu'ils connaissent à fond la tendance réelle
des principes de Dutrône ; j'essayerai donc de les exposer
en peu de mots, en montrant à quel point ils touchent aux

DU SUCRE. 551
intérêts des colons : j e les prie de donner a ces faits leur
plus sérieuse attention.
Lorsqu'un champ de canne à sucre est complétement
mûr, l'intérêt du planteur doit l'engager à rechercher les
moyens de convertir ces cannes en sucre de la meilleure
qualité, en aussi grande quantité et en aussi peu de temps
qu'il lui est possible ; il ne doit pas vouloir fabriquer seule-
ment du sucre brut destiné à rester un mois ou deux dans
la purgerie, mais bien du sucre digne d'obtenir, s'il vient
des Indes occidentales, la préférence, sur le marché a n -
glais, sur le sucre-moscouade ordinaire, tel qu'il sort géné-
ralement de la purgerie d'une plantation.
Il est entièrement au pouvoir du planteur d'atteindre ce
but, même sans dépenser beaucoup d'argent en appareils
dispendieux; des évaporateurs ouverts, placés sur un feu
nu, et une purgerie moitié moins grande qu'elle ne l'est or-
dinairement, atteindront très bien ce but. Les moyens très
simples de défécation précédemment exposés ayant été a p -
pliqués, le sirop étant évaporé jusqu'à 27 degrés de den-
sité, puis décoloré en passant par les filtres de charbon ani-
mal, l'évaporation dans les mêmes chaudières ouvertes est
reprise, et continuée jusqu'à ce que le thermomètre marque
230 degrés Fahrenheit ou 88 Réaumur; après quoi la charge
de sirop est soutirée, sans qu'elle ait couru le plus léger
risque d'être brûlée ou colorée. Ce sirop, selon la table de
Dutrône, contient 52 livres ( 2 1
84) de sucre qui cris-
k i l o g r .
tallisera par le refroidissement, et 48 livres (20
16) de
k i l o g r .
sucre tenu en solution dans 28 livres 3/4 d'eau ( 1 2
075).
k i l o g r .
Ce sirop, placé dans les cases de la purgerie et convena-
blement traité, donnera, au bout de huit jours, 520 livres de
sucre bien égoutté pour 707 livres 1/2 de sirop (218
4
k i l o g r .

552
DE LA FABRICATION
pour 2 9 7
1 5 ) . Le sucre sera d'un grain bien formé,
k i l o g r .
prêt à être livré au commerce après une heure d'exposition
au soleil; le sirop retournera immédiatement à l'évapora-
teur, pour être de nouveau amené à la densité indiquée, au
moyen d'une température de 230 degrés Fahrenheit. En
continuant à suivre ce système, le planteur s'assurera,
sinon la totalité, au moins 90 pour 100, du sucre que la
liqueur clarifiée contenait lorsqu'elle est entrée dans les
évaporateurs ; ainsi, au lieu d'avoir de 30 à 50 pour 100 de
mélasse provenant de l'égouttement du sucre dans la pur-
gerie, sans parler de la nécessité d'égoutter constamment
le sucre pendant son trajet des colonies en Angleterre, et
même, après son débarquement, jusqu'à ce qu'il soit vendu,
le planteur n'aura que 10 pour 100 de mélasse, dont la tota-
lité s'égouttera et sera recueillie dans la purgerie, sans
qu'il y ait à craindre une diminution de poids d'une seule
once par desséchement pendant la période de la vente en
Europe. La proportion de 10 pour 100 de mélasse est même
trop forte ; on peut en avoir moins ; en posant ce chiffre,
j ' a i fait une large part aux éventualités. La grande objec-
tion contre le système de Dutrône a toujours été puisée
dans une perte imaginaire de temps, de main-d'œuvre et de
combustible, pour les concentrations et les cuissons répé-
tées qu'elle exige. Mais le résultat de la pratique en grand
réfute victorieusement cette objection, en montrant que ce
système assure un bénéfice de 45 pour 100 supérieur à celui
de la vieille école française, tandis qu'en même temps il
épargne un huitième de la main-d'œuvre.
§ 19. — Importance du principe de la cuisson modérée.
Du temps de Dutrône, on ne connaissait ni la concentra-

DU SUCRE.
553
tion dans le vide, ni aucun autre procédé d'évaporation à
une basse température ; il n'a pu, par conséquent, traiter
des méthodes que le principe de concentration à une tem-
pérature peu élevée nous permet de pratiquer. On ne pou-
vait pas plus dans ce temps-là qu'on ne le peut dans le
nôtre, dépasser une température de 230 à 232 degrés F a h -
renheit, sans donner lieu à une altération grave du sucre, et
à une perte sérieuse; actuellement, nous pouvons concentrer
nos sirops à la densité voulue, à une température si basse
que le sucre ne peut avoir en aucune manière à en souffrir.
Il dépend donc du planteur de tirer parti, dans son intérêt,
des avantages et des facilités qu'offre le principe de la
concentration à une basse température, sans jamais perdre
de vue l'utile vérité contenue dans la maxime formulée
par Dutrône : Le sucre doit être mis à cristalliser dans beau-
coup d'eau.
Faute de se conformera cette excellente règle,
on subit des pertes énormes sur les produits, le temps et la
main-d'œuvre : c'est ce qui sera rendu plus évident par les
explications suivantes.
Quand les cristaux de sucre se forment dans une grande
quantité d'eau, le mouvement général (influencé par l'attrac-
tion) servant à accomplir la cristallisation est libre et sans
obstacle ; il en résulte la formation de ces cristaux grands et
réguliers qu'on nomme sucre candi. Sous l'empire de ces cir-
constances, le sucre se combine chimiquement avec l'eau en
bien plus grande proportion que quand la cristallisation s'o-
père dans une quantité d'eau limitée ; de là vient que ce su-
cre n'est pas aussi doux que le sucre commun. Mais aucune
portion de l'eau qui se combine avec le sucre pour former
un cristal volumineux et bien dessiné ne peut s'en séparer
par la dessiccation, le lavage à l'alcool ou tout autre procédé

554
DE LA FABRICATION
autre que la décomposition du sucre lui-même ; ainsi les
cristaux peuvent être séchés p a r la chaleur artificielle ou
p a r celle des rayons solaires, sans perdre la moindre par-
celle de l'eau combinée chimiquement avec le sucre. Ensuite,
quand des cristaux grands et parfaits se sont ainsi formés,
le sirop, partie du sucre qui n e s'est pas cristallisée, s'é-
goutte immédiatement et complétement; il ne faut pas
pour cela la dixième partie du temps nécessaire dans la
pratique habituelle. Enfin, si l'on juge à propos de lustrer
les cristaux par le clairçage, il ne faut, pour les blanchir
parfaitement, qu'une seule application d'une solution de
sucre blanc pur ; mais il ne paraît pas que cette application
soit nécessaire, d'autant plus qu'elle ne fait qu'ajouter à
l'apparence, ne donnant rien à la valeur et à la beauté de
la masse cristallisée. Pour le sucre ordinaire, non-seule-
ment le temps exigé par l'égouttement du sirop est excessi-
vement long, mais encore la purification et le blanchiment
des cristaux ne peuvent être réalisés que par quatre appli-
cations successives de sirop.
Le planteur peut donc concentrer son sirop dans des
chaudières ouvertes jusqu'à ce qu'il soit formé de 3 parties
de sucre et de 1 partie d'eau, et plus tard le transvaser
dans l'appareil de concentration par le vide, dans celui de
Wetzal ou celui de Kneller, pour l'y soumettre à une éva-
poration ultérieure à la température de 160 à 180 degrés
Fahrenheit. J'ai déjà dit que quelques chefs de sucrerie con-
centrent leurs sirops jusqu'à ce qu'ils contiennent 90 par-
ties de sucre pour 10 parties d'eau; mais, d'après les ob-
servations que j e viens d'exposer, il est évident que cette
pratique est entièrement blâmable. Je crois donner un con-
seil d'une haute importance on insistant sur le précepte de

DU SUCRE. 555
Dutrône, d'évaporer à une basse température, et de laisser
dans le sirop au moins 15 ou 20 pour 100 d'eau.
§ 20. — Observations sur le mode actuel de fabrication du sucre.
J'ai passé, je pense, en revue toutes les opérations de la
sucrerie telles que le planteur peut les pratiquer avec avan-
tage, depuis la défécation du jus, jusqu'à la concentration
du sirop. Il est nécessaire de dire quelques mots du système
actuellement le plus communément pratiqué dans nos colo-
nies quant aux trois opérations qui sont du ressort de la
sucrerie.
Nos planteurs semblent traiter la défécation du jus comme
un objet d'une importance très secondaire, tandis qu'en réa-
lité c'est une opération dont la bonne exécution influe maté-
riellement sur le résultat de la récolte quant à la qualité
et à la quantité des produits. L'évaporation de la partie
aqueuse du jus de canne est un travail simple et peu important
lorsqu'on le compare à celui de la défécation. Donner ou ne
pas donner au jus une clarification complète, une défécation
absolue, c'est une question qu'on peut poser dans d'autres
termes en disant : Après les frais, les travaux, les inquié-
tudes qu'il a subis pour la culture de ses cannes, le planteur
veut-il ou ne veut-il pas qu'un tiers ou même la moitié du
sucre contenu dans ses cannes soit sacrifié de propos déli-
béré? S'il ne veut pas subir une perte si ruineuse de sa pro-
priété, qu'il songe alors à veiller à la défécation du jus
de canne ; car, pour les autres opérations, l'évaporation, la
concentration, la purgerie, une bonne défécation les rend
faciles et en assure le succès.
Toutefois on ne perdra jamais de vue que, pour s'assurer

556
DE LA FABRICATION
de la bonne qualité du jus, les cannes doivent être soumises
à un système de culture rationnel et judicieux, au moyen du-
quel le j u s arrivera dans la sucrerie au plus grand état pos-
sible de pureté. C'est ce qu'on exprime en disant qu'en réa-
lité le sucre se fait dans les champs ; si la canne a été bien
cultivée, le travail et les soucis de la fabrication sont allégés
de moitié.
Après la défécation, vient l'évaporation du jus de canne ;
opération toute simple, qui ne donne lieu à aucun risque,
pourvu que les chaudières soient tenues suffisamment rem-
plies et qu'on entretienne un feu vif et clair. Plus la
défécation est complète, plus l'évaporation est simple et
sûre; le jus de canne, amené par la défécation à l'état d'un
simple mélange de sucre et d'eau, ne peut offrir de diffi-
culté pour l'évaporation de l'eau qui s'y trouve en excès ;
mais il n'en est plus de même quand le j u s , au moment où
il entre dans les évaporateurs, n'est qu'à demi clarifié.
J'ai eu soin de bien expliquer et de figurer exactement la
forme des évaporateurs ; s'il y a encore des planteurs qui
se servent des chaudières à l'ancienne mode, qu'il me soit
permis de leur remontrer avec insistance la nécessité de
les échanger contre des évaporateurs perfectionnés. Ven-
dez comme vieux cuivre les antiques chaudières de forme
elliptique : vous aurez de quoi acheter un excellent assorti-
ment d'évaporateurs modernes en fer.
J'ai essayé de simplifier la question de l'amélioration du
filtrage par le charbon animal ; l'adoption de ce filtrage ne
dérange en rien le train ordinaire des sucreries dans leur
état actuel.
Cette amélioration, et bien d'autres non moins impor-
tantes, peuvent être introduites dans les sucreries des colo-

DU SUCRE. 557
nies telles qu'elles sont en ce moment, sans exiger autre
chose que des modifications insignifiantes.
La concentration comme elle est aujourd'hui pratiquée
aux colonies, sans faire usage d'un appareil séparé, est
excessivement défectueuse. M. W h i t e - H o u s e , de Sainte-
Marie à la Jamaïque, l'habile planteur, l'écrivain distingué,
a commis lui-même l'erreur grave de mettre en question les
avantages de l'emploi de l'appareil de concentration par le
vide dans les sucreries des colonies ; cela tient à ce qu'il
avait vu du sucre fabriqué dans des chaudières ouvertes
plus beau quant à la couleur, et d'un grain aussi bon, que le
sucre concentré dans le vide à une température de 80 degrés
Fahrenheit. Mais il n'avait pas réfléchi aux considérations
suivantes, d'une importance prépondérante : 1° Le j u s con-
centré dans les chaudières ouvertes était très probablement
riche et très parfaitement élaboré dans les cannes elles-
mêmes, tandis que le jus concentré dans l'appareil d'évapo-
ration par le vide provenait de jeunes cannes venues dans
un sol saturé d'engrais; ce jus devait donc être surchargé
d'impuretés. 2° N'étant pas suffisamment pénétré de la
nature et des effets de l'évaporation à basse température,
le chef de la sucrerie n'avait peut-être pas jugé nécessaire
de donner à la clarification une attention assez suivie, ainsi
qu'elle a lieu pour la concentration dans des chaudières
ouvertes, attribuant peut-être à l'appareil d'évaporation
par le vide quelque merveilleuse propriété qu'il ne possède
pas. Par exemple, cet appareil ne peut, pas plus que le
tache découvert, convertir en sucre les matières albumi-
neuses, les autres impuretés, ou le sirop non cristalli-
sable. 3° Quoique le sucre fabriqué dans les chaudières ou-
vertes fût supérieur en qualité, la mélasse et le sirop non

558
DE LA FABRICATION
cristallisable résultant du sirop cuit de cette manière étaient
peut-être deux ou trois fois plus abondants que ceux ré-
sultant de la concentration p a r le vide. 4° Enfin, dans le
cas particulier dont il s'agit, l'appareil de concentration
par le vide, n'ayant pour le faire fonctionner personne qui
en comprît à fond la manœuvre, a été probablement mal
gouverné, et n'a pu, par conséquent, faire preuve de toute
sa valeur comme concentrateur.
La température du sirop lorsqu'il est coulé hors du tache
est habituellement de 240 à 250 degrés Fahrenheit; elle
n'est jamais de moins de 10 à 18 degrés Fahrenheit au
delà du point ou l'évaporation est exempte de danger d'al-
tération du sucre ou de sa décomposition par excès de
chaleur.
Puis, pendant le temps employé à couler hors des chau-
dières une charge de sirop, cet inconvénient est encore bien
grave ; il l'est assurément beaucoup moins quand une grande
soupape permet de vider le tache très rapidement. S'il y a
encore des planteurs qui s'obstinent à concentrer leur sirop
dans des chaudières ouvertes sur un feu n u , qu'ils placent
au moins le tache de concentration en dehors des ligne d'é-
vaporateurs, et qu'ils lui donnent un foyer séparé, pour que
sa température puisse être modérée ou augmentée sans
réagir sur celle des autres chaudières.
Pendant l'évaporation ou la concentration du sirop dans
des chaudières ouvertes, le thermomètre peut indiquer à
l'instant la densité à laquelle il est parvenu à un moment
donné de l'opération. Ainsi, quand le sirop contient 50 par-
ties de sucre et 50 d'eau, son point d ebullition est vers 219
ou 220 degrés Fahrenheit; quand il contient 60 parties de
sucre et 40 d'eau, il bout à 224 degrés; quand il est formé de

DU SUCRE. 559
3 parties de sucre et d'une partie d'eau, il bout vers 229 de-
grés ; quand il a 5 parties de sucre et d'eau, il bout vers 238
ou 239 degrés; ainsi de suite. On voit que le thermomètre
est un excellent indicateur du point où en est la concentra-
tion; quand à ces données s'ajoute l'expérience pratique
d'un chef d'atelier intelligent, il ne peut pas y avoir d'erreur,
il n'y a aucun danger que le sucre subisse aucune altération.
§ 2 1 . — Traitement du sirop concentré.
Quand le sirop est concentré au degré voulu, il s'agit de
soigner la granulation ou cristallisation du sucre, pour
qu'elle soit aussi parfaite et aussi complète que possible et
que la totalité du sucre puisse prendre la forme de beaux
cristaux brillants ; il faut aussi, quand cet effet est obtenu,
que le sucre tenu en solution dans l'eau en excès sous forme de
sirop ou d'eau-mère puisse être égoutté librement et promp-
tement, laissant le sucre exempt de cette viscosité gluante
qu'on remarque dans le sucre cuit à une trop haute tem-
pérature et ensuite imparfaitement égoutté. Pour atteindre
ce but de la façon la plus parfaite qui soit possible dans la
pratique, le planteur doit bien se graver dans la mémoire
deux choses essentielles : 1° se débarrasser des refroidis-
soirs à l'ancienne mode, d'un usage encore si commun de
nos jours, et cependant si défectueux; 2° abolir l'usage des
poinçons, tierçons et barriques pour la purgerie.
Les refroidissoirs de forme moderne sont très bien
adaptés à leur destination dans l'intérêt du planteur ; les
caisses sont, au contraire, si arriérées qu'on a lieu de s'éton-
ner que des hommes intelligents puissent persister à s'en
servir.
A leur place, il y aura un refroidissoir, ou plutôt un ré-

560 DE LA FABRICATION
cipient pour recevoir le sirop concentré provenant soit du
tache, soit des appareils à basse température (j'ai décrit
ceux de Wetzal et de Kneller). De ce récipient, le sirop est
porté immédiatement dans la purgerie et déposé dans les
formes. Si le sirop a été concentré dans un tache ouvert,
j e suppose que la charge sera soutirée à la température
de 230 à 232 degrés Fahrenheit (basse température d'ébul-
lition).
§ 22. — Moules de Dutrône pour la purgerie.
Dans ce c a s , les formes de la purgerie devront être du
modèle recommandé par Dutrône, c'est-à-dire qu'elles au-
ront 5 pieds de long sur 3 de large ( l . 5 0 de long sur 0 .90
m
m
de large), et des bords élevés de 9 pouces ( 0 . 2 2 ) ; la pro-
m
fondeur est portée à 15 pouces ( 0 . 3 4 ) vers le milieu,
m
parce que le fond est formé de deux plans ayant une incli-
naison de 6 pouces ( 0 . 1 5 ) . Au milieu du fond, à l'endroit
m
où les deux plans se joignent, une rigole est ménagée, le
long de laquelle sont pratiquées douze ou quinze ouvertures
de 1 pouce de diamètre ( 0 . 0 2 5 ) , pour l'écoulement du
m
sirop, quand la cristallisation du sucre est complète. Ces
formes sont revêtues à l'intérieur de feuilles de plomb
très minces ; les ouvertures ont chacune un petit tube de
1 pouce 1/2 à 2 pouces de long ( 0 . 0 3 5 à 0 .05) soudé au
m
m
revêtement en plomb. Cette disposition et cette grandeur
particulière de forme sont les meilleures qui puissent être
employées, ainsi que Dutrône s'en est assuré par de nom-
breuses expériences faites avec soin; revêtues de plomb à 1 in-
térieur, elles offrent toutes les facilités désirables, soit pour
la cristallisation du sucre, soit pour l'égouttement du sirop.
J'ai fait faire cinq à six cents de ces formes, soit pour moi,

DU SUCRE.
561
soit pour mes amis aux Indes orientales ; d'après une longue
expérience, je puis répondre qu'elles remplissent parfaite-
ment la destination indiquée par Dutrône.
Lorsqu'on se sert de ces formes, il est bon d'étendre sur
toute la longueur du fond un morceau de grosse étoffe de
laine ou de toile métallique, soutenu par de petits morceaux
de bois en croix, immédiatement a u - d e s s u s des ouver-
tures. Quand la charge est à son point, elle coule dans le
refroidissoir ou récipient, au sortir duquel elle passe im-
médiatement dans les formes; il faut avoir soin de ne rem-
plir chacune des formes qu'à moitié, afin de réserver l'autre
moitié de leur capacité pour la charge suivante. Quand
cette seconde moitié est ajoutée, le tout doit être bien
brassé ensemble, afin que les deux parties soient intime-
ment mélangées, et que toute la masse soit à la même tem-
pérature.
Pendant le refroidissement, on ne doit laisser pénétrer
dans la purgerie aucun courant d'air froid ; l'opération de-
mande à être menée graduellement, sans accélération. Après
un intervalle qui varie de 12 heures à 24, la cristallisation
se montrera à la surface, sur les côtés et au fond des
formes ; il sera nécessaire à ce moment de mélanger toute
la masse avec une lame de bois, en détachant doucement et
par degrés les cristaux pour les incorporer également dans
toute la masse liquide.
L'effet de cette opération sera bientôt visible par la
prompte cristallisation qui en sera la conséquence. Une
seconde agitation pourra être donnée à la masse, si cela
semble nécessaire, deux heures après la première. Cela
fait, on laisse le sucre parfaitement tranquille pendant trois
ou quatre jours. Alors il est complétement refroidi, et
36

562
DE LA FABRICATION
la cristallisation est terminée. On retire les bouchons qui
fermaient les ouvertures pour l'égouttement, lequel s'ac-
complit en trois ou quatre jours. Si l'opération entière a
été exécutée avec assez de soin, on a rarement besoin de
plus de quatre j o u r s ; car l'égouttement du sirop s'effectue
très rapidement.
Parvenu à ce point de sa fabrication, le sucre est prêt
pour le clairçage. Si le planteur se décide à faire usage de ce
moyen si simple pour accroître la valeur du produit de son
industrie, on répand à la surface du sucre, dans les formes,
une solution de beau sucre blanc, après avoir eu soin de
gratter le dessus très proprement et très également. La
solution filtre à travers la masse et en nettoie les cristaux.
Si l'on ne pratique pas le clairçage dès que le sirop est
écoulé, le sucre est aussitôt retiré des formes, séché au so-
leil et emballé pour l'exportation par mer.
Quand le sirop est concentré dans l'appareil de Wetzal
ou dans celui de Kneller, on le coule ordinairement à la tem-
pérature de 160 à 180 degrés Fahrenheit; si le sirop est mis
dans des formes aussi peu profondes que celles décrites ci-
dessus, le refroidissement est beaucoup trop rapide; il con-
vient donc, dans ce cas, d'en avoir d'autres d'un meilleur
usage. On peut les faire semblables sous tous les rapports
à celles de Dutrône ; seulement leurs côtés, au lieu d'avoir
9 pouces de haut (0 .22), donnant 15 pouces (0 .34) de
m
m
profondeur au centre, peuvent avoir 15 pouces (0 .34),
m
donnant au centre 24 pouces (0 .60). Cette construc-
m
tion augmente sensiblement leur capacité ; il en résulte
que la masse, plus volumineuse, met beaucoup plus de
temps à se refroidir. En indiquant ces dimensions pour-
les formes, j ' a i en vue la pratique que je recommande avec

DU SUCRE.
563
tant d'instances, de la concentration à une basse tem-
pérature, rien ne devant s'opposer à l'application de ce
principe.
Jamais la cristallisation ne peut s'opérer dans des condi-
tions plus favorables que quand le sirop est clair et limpide,
de sorte que, pour se former, les cristaux aient la liberté de
leurs mouvements. Au contraire, un sirop épais et consis-
tant oppose un obstacle insurmontable à une cristallisation
parfaite ; conséquemment les cristaux sont petits, irrégu-
liers, chétifs et visqueux, ce qui rend l'égouttement difficile.
Quelques chefs de sucrerie pensent que, pouvant évaporer
presque toute l'eau contenue dans leur sirop sans risquer
de le brûler, en vertu du principe de la concentration à une
basse température, il est de leur intérêt de pousser la con-
centration aussi loin qu'elle peut aller ; ils semblent ignorer
qu'ils vont directement contre le premier principe de la
cristallisation, ou bien ils ne s'en mettent point en peine.
Je le répète donc ici une fois de plus : si le planteur tient à
avoir une bonne qualité de sucre, qui s'égoutte bien et à
fond, il doit cuire son sirop à une basse température.
Je n'ai point parlé des moules coniques pour la pur-
gene, par ce seul motif que, dans toutes les sucreries où j e
les ai vus employés, je n'ai pu découvrir aucun avantage
résultant de leur adoption; j ' a i remarqué, au contraire,
qu'ils donnent lieu à un surcroît considérable de main-d'œu-
vre, et que leur emploi exige une purgerie très spa-
cieuse. J e ne puis donc les recommander pour les sucreries
des colonies.
§ 23. — Chaudière pneumatique pour expulser les mélasses.
Le procédé breveté de Hague donne un moyen simple et

564 DE LA FABRICATION
efficace d'accélérer la séparation du sirop (ou de la mélasse,
si elle doit être ainsi nommée). Ce procédé consiste à faire
le vide au-dessous des vases servant à la purgerie ; l'air
soutiré à travers la masse du sucre entraîne avec lui le sirop ;
en quelques minutes le sucre est débarrassé du sirop (ou de
la mélasse).
Un certain M. Cooper a pris récemment un brevet pour
un appareil pneumatique construit d'après le même prin-
cipe; mais on dit qu'il n'est qu'un perfectionnement de
celui de Hague. L'appareil consiste en un vase muni d'un
double fond en canne tressée. Le sirop passe directement
du tache à concentrer dans cet appareil. Après un intervalle
de temps suffisant pour laisser à la cristallisation le temps
de s'accomplir, on fait le vide dans l'espace entre les deux
fonds ; le sirop est forcé de se retirer de la masse, laissant le
sucre bon à être séché.
Lorsqu'on se sert de formes comme celles que j'ai décrites,
rien de plus facile que d'avoir un appareil pneumatique qui
s'adapte tour à tour au fond des formes, à mesure qu'elles
sont prêtes à le recevoir. Au moyen d'une pompe à air, le
sirop peut ainsi être soutiré hors du sucre, ce qui épargne
un retard de trois où quatre jours qui, sans cela, seraient
exigés pour l'égouttement. Par ce procédé, aussitôt que le
sucre est cristallisé complétement, on peut en quelques mi-
nutes le débarrasser du sirop ; avec cette rapidité d'égout-
tement, les dimensions de la purgerie peuvent être réduites
des deux tiers. Le sucre étant séparé du sirop, on doit le
faire sécher au soleil avant de l'emballer pour l'embarquer-
§ 24. — Caisses pour l'exportation du sacre.
L a chaleur d'un soleil tropical expédie vite cette besogne.

DU SUCRE. 565
On met alors le sucre dans des caisses où il est fortement
battu au moyen d'une planche épaisse qui entre exactement
dans l'orifice de la boîte. Ainsi, après qu'on a mis une cer-
taine quantité de sucre dans la caisse, on pose dessus la
planche à comprimer, sur laquelle on frappe fort avec un
lourd morceau de bois ; puis on en ajoute une seconde cou-
che battue de même à son tour, et ainsi de suite jusqu'à ce
que la caisse entièrement remplie soit coiffée et solidement
fermée. Les caisses contiennent ordinairement de 400 à
500 livres de sucre (de 168 à 210 kilogrammes); il en faut
par conséquent 4 ou 5 pour une tonne de fret sur un navire.
Le sucre expédié de Singapore en Angleterre dans de
telles caisses est toujours plus pesant à l'arrivée qu'il ne
l'était au départ ; il n'y a pas d'exemple qu'il y ait eu perte
sur le poids dans le trajet.
Que le planteur des Indes occidentales comprenne le con-
traste de ce fait avec les pertes notoires qu'il subit sur le
sucre expédié par mer dans les poinçons, les tierçons et les
barriques, et qu'il se demande à lui-même pourquoi il se
soumettrait plus longtemps au gaspillage ruineux de son
bien, tel qu'il résulte d'un système tout à fait sauvage.
Assurément il ne voudra pas persévérer dans une pratique
que rien ne justifie, si ce n'est la coutume.
En traitant ainsi que je l'ai fait la question de la concen-
tration à une basse température, j ' a i continuellement sub-
stitué le mot sirop au mot mélasse; c'est que, si le système
que j ' a i exposé était mis en pratique, le sirop provenant de
l'égouttement du sucre serait tellement pur qu'il n'y aurait
pas moyen de le nommer mélasse; ce serait, au contraire,
du sucre pur en solution, facile à réduire en sucre cristal-
lisé par la simple évaporation de l'eau en excès.

566
DE LA FABRICATION
§ 25. — Nouvelle cuisson du sirop écoulé du sucre.
Dans ce système, la concentration peut être répétée tant
qu'il reste la plus petite quantité de sirop à envoyer à la di-
stillerie sous le nom de mélasse ; je crois même avoir été trop
loin en en portant la proportion à 10 pour 100. On doit
bien aussi se figurer que, si le sirop est cuit en appliquant le
principe de la basse température dans le tache ouvert, à une
chaleur qui ne dépasse pas 230 à 232 degrés Fahrenheit, il
peut être concentré sans éprouver aucun dommage ou sans
se colorer, si ce n'est à un degré imperceptible; encore
peut-on y remédier complétement au moyen du filtrage par
le charbon animal. Donc, s'il passe définitivement à la di-
stillerie, en qualité de mélasse, 10 pour 100 du sucre primi-
tivement contenu dans le jus de canne, c'est assurément
tout autant ou même plus qu'il ne devrait en exister ; car
j'ai calculé qu'en outre il en passe à la distillerie 2 pour
100 avec les écumes et les autres déchets.
Pour faciliter les opérations dans la purgerie, on y main-
tiendra une température de 90 degrés Fahrenheit, ce qui
n'est pas difficile sous un climat tropical, spécialement si la
purgerie est pourvue de fenêtres vitrées dont j'ai déjà si-
gnalé l'utilité indispensable.
§ 26. — Récapitulation.
RÉCAPITULATION. J e résumerai sommairement les instruc-
tions qui précèdent; mais, en faisant cette récapitulation,
je prie le lecteur de reporter son attention en arrière, même
sur les premiers chapitres de ce livre, consacrés à la culture
de la canne à sucre. On remarquera que j'ai fait tous mes

DU SUCRE. 567
efforts pour démontrer, dans cette partie de l'ouvrage, qu'il
dépend du planteur lui-même de choisir une bonne espèce
de canne, un climat favorable et une bonne terre; d'utiliser
le cours des saisons ; d'amender un mauvais sol, d'enrichir
un sol trop pauvre ; de le maintenir à son maximum de fer-
tilité; de n'employer comme engrais que les substances qui
peuvent rendre le jus de canne riche en sucre.
Il ne tient en effet qu'à lui d'avoir un bon jus à la place
d'un mauvais ; de l'obtenir en petite ou en grande quantité;
d'effectuer complétement ou imparfaitement la défécation
du jus ; enfin de diriger d'après les principes dont la science
et l'expérience démontrent la justesse, la concentration du
jus et plus tard la cristallisation et l'égouttement du sucre,
ou bien de contrevenir à ces principes dans chacune de ces
opérations. Tous ces points et bien d'autres encore dépendent
entièrement du planteur. J e ne puis donc trop appeler son
attention sur ces faits que m'a prouvés ma propre expérience
confirmée par celle des autres ; je ne puis que lui signaler
ce qui est juste et ce qui est blâmable, et lui donner mon
avis quant à la route qu'il doit suivre; c'est à lui à décider
s'il veut profiter de ces notions et se laisser guider par ces
conseils.
Avant de revenir sur les points les plus importants que
j'ai si pleinement établis, il est nécessaire de montrer ce
qu'on peut réellement obtenir sous forme de cannes, de jus
de canne, de sucre et de mélasse, d'une acre de terre culti-
vée (40 ares). C'est un fait généralement admis parmi les
planteurs, qu'une acre de terre peut produire un certain
nombre de charretées de cannes, lesquelles donneront une
quantité de sucre qui dépendra de leur richesse et une
quantité de rhum en rapport avec celle du sucre; mais, à

568
DE LA FABRICATION
part ces notions fort insuffisantes, les colons en savent fort
peu de chose ou ne s'en mettent guère en peine. Il n'y a
pas un planteur sur cinq cents qui puisse dire combien do
1,000 kilogrammes de cannes a produit tel ou tel de ses
champs ; quelle perte il a subie par la pression imparfaite
de ses cannes; quelle était, au sortir du moulin, la densité
du jus ; quelle proportion de sucre ce jus aurait dû réelle-
ment produire ; quelles pertes il a subies par suite d'une
fabrication inintelligente et négligée, ou ce qu'il aurait pu
effectivement sauver par une marche rationnelle imprimée
à la culture de la canne et à la fabrication du sucre : tou-
tes choses oubliées et mises de côté à un point inimagi-
nable.
Dans la première partie de cet ouvrage, j ' a i essayé de
montrer que, par un procédé simple de culture, on peut faire
rendre à la canne son maximum de sucre pur, avec le moins
possible de matière azotée. En donnant à cette vérité 1 at-
tention qu'elle mérite, non-seulement on s'assurera d'une
forte proportion de bon sucre, mais encore on réalisera ce
dont les planteurs parlent beaucoup sans trop comprendre
le sens de ces paroles : faire le sucre dans les champs. On
doit surtout se bien mettre dans la tête que, pour faire du
sucre, il ne faut pas récolter des cannes énormes ; que ces
cannes ne sont même pas à désirer ; mais que des cannes
très sucrées, de taille moyenne, sont le nec plus ultrà de ce
que doit souhaiter le cultivateur. Ce n'est pas de la fibre
ligneuse et de l'eau qu'il faut rechercher dans la canne,
c'est du sucre en abondance et aussi pur qu'il est possible
de le produire.
Une acre de cannes rend généralement de 30 à 35 tonnes
de cannes prêtes à livrer au moulin ; si l'on emploie un mou-

DU SUCRE. 569
lin perfectionné et qu'on sature les tiges des cannes à demi
pressées comme je l'ai expliqué, je ne doute pas qu'on
ne puisse obtenir partout 80 pour 100 de jus pour le
moins, et que ce jus ne marque un plus haut degré de den-
sité que dans toute autre circonstance, par la raison que
cette méthode particulière permet d'extraire tout le sucre
cristallisé dans les cellules de la plante. Néanmoins, dans
les calculs suivants, j'adopte le rendement de 25,000 à
30,000 kilogrammes de cannes par acre ; l'examen détaillé
des produits fait ressortir la perte énorme que supporte le
planteur par la négligence et le gaspillage qui président à
la manière actuelle de cultiver la canne et d'extraire le
sucre, mais spécialement à ce qui tient à la fabrication
du sucre.
Produit d'une acre de terre en jus et en sucre, la récolte étant
de 25,000 kilogrammes de cannes.

570
DE L A F A B R I C A T I O N
Produit d'une acre de terre en jus et en sucre, la récolte étant
de 30,000 kilogrammes de cannes.
On voit par les chiffres de ces tableaux que, si nous obte-
nons seulement de nos cannes 70 pour 100 de leur poids
en j u s , et si ce jus est seulement à la densité de 10 degrés
du saccharimètre de Baume, soit environ 18 pour 100,
nous pouvons retirer d'une acre de terre dans le premier
cas (à 25,000 kilogrammes de cannes p a r acre) 6,468 livres
(2,797 kilogrammes) de sucre sec et 588 livres (247 kilo-
grammes de mélasse; et dans le second cas (à 30,000 ki-
logrammes de cannes par acre), 7,763 livres (3,260 kilo-
grammes) de sucre sec et 705 livres (296 kilogrammes) de
mélasse.
Mais si la densité du sirop est à 12 degrés de Baumé,
ou à 22 pour 100 (à 25,000 kilogrammes de cannes par
acre), on peut obtenir 7,906 livres de sucre sec (3,321 ki-
logrammes ) et 718 livres de mélasse (312 kilogrammes ) par
acre. Si le produit en cannes est de 30,000 kilogrammes par

DU SUCRE. 571
acre, on en obtient 9,486 livres (3,984 kilogrammes) de
sucre sec et 862 livres (362 kilogrammes) de mélasse.
Si nous calculons sur le pied de 80 pour 100 de jus à 12
degrés de Baume, le produit d'une acre étant de 30,000 ki-
logrammes, nous arrivons au chiffre prodigieux de 11,173
livres (4,293 kilogrammes) de sucre sec et 994 livres (417 ki-
logrammes) de mélasse pour une seule acre de terre. C'est
assurément le double de la quantité de sucre effectivement
fabriquée et emballée d'ordinaire avec la récolte d'une acre
de bonnes cannes. Je dis emballée, parce qu'une barrique de
sucre pesant au départ 1,000 kilogrammes pèse rarement,
à son arrivée en Angleterre, plus de 800 à 850 kilogrammes;
mais, outre le sucre emballé, l'on a par tonne 60 à 80 gallons
de mélasse, soit pour 2 tonnes 1/2 (2,600 kilogrammes)
environ 175 gallons de mélasse, ou bien 175 gallons de
rhum.
On peut d'après cela, dans la dernière supposition, por-
ter le produit à 2 barriques 1/2, pesant rendues en Angleterre
1,750 livres chacune (735 kilogrammes), soit ensemble 4,375
livres (1,838 kilogrammes) de sucre et 175 gallons de rhum à
20 pour 100 éprouvé. Comparez ce produit à celui de la p r e -
mière supposition, qui donne 11,000 livres de sucre (4,620
kilogrammes), ne perdant rien de leur poids à leur arrivée
en Angleterre, et 83 gallons de rhum, 15 pour 100, éprouvé.
En comparant ces chiffres, que le planteur s'informe mi-
nutieusement du nombre des chefs d'exploitations sucrières
qui envoient actuellement et effectivement en Angleterre,
comme produit d'une acre de terre, 4,375 livres de sucre
(1,837 kilogrammes) et 175 gallons de r h u m ; j e ne parle
pas seulement du départ, ce n'est pas là la question, mais de
l'arrivée en Angleterre de cette somme de produits. Après

572 DE LA FABRICATION
s'être donne cette satisfaction, qu'il examine avec calme et
sans préjugé les chiffres que je lui soumets ; si son esprit est
exempt de préventions, il reconnaîtra, je n'en puis douter,
qu'un produit de 30,000 kilogrammes de cannes par acre
n'a rien d'extraordinaire ; qu'on peut obtenir de ces cannes
80 pour 100 de jus à la densité de 12 degrés du sacchari-
mètre de Baume ou 22 pour 100, et qu'il n'est ni impos-
sible ni improbable qu'on ait quelquefois obtenu cette quan-
tité de jus riche de 24 et même 25 pour 100 de sucre. Ayant
nettement vérifié ces premières données, il ne peut lui rester
l'ombre d'un doute raisonnable quant à la possibilité pra-
tique de s'assurer les résultats que j ' a i constatés. Je joins
ici, comme une sorte de table facile à consulter, le sommaire
concis des points sur lesquels doit particulièrement se por-
ter l'attention du planteur.
§ 27. — Résumé des points essentiels.
1. Choix d'une bonne espèce de canne, appropriée au sol
de chaque plantation.
3. Choix d'une bonne terre, facile à travailler, telle qu un
bon loam argileux, etc
3. Labours avec la charrue et les autres instruments ara-
toires substitués aux labours à bras d'homme. Labours
fréquents : pulvérisation du sol. Soins apportés à la planta-
tion, au binage, au sarclage, au buttage et à l'éclaircisse-
ment des feuilles de la canne ; attention spéciale à n'enle-
ver aucune feuille verte aux cannes en végétation.
4. Application rigoureuse du principe que j ' a i pleine-
ment développé qu'il faut fumer la canne avec ses propres
débris et les enfouir dans le sol tandis qu'ils sont à l'état

DU SUCRE. 573
frais ; donner au sol d'autres engrais végétaux pour y for-
mer de l'humus ; s'abstenir complétement de fumer le sol
avec des engrais qui pourraient fournir à la canne de l'am-
moniaque, tels que le guano, le fumier des bestiaux, etc.;
être aussi très prudent en employant les engrais très riches
en matières salines, eau salée, sel marin, boue de mer,
cendres de végétaux, etc., etc., qui font aux cannes un
tort énorme lorsqu'elles sont en excès dans le sol.
5. Recherche et application rationnelle des moyens d'ir-
rigation sur une échelle appropriée aux conditions prati-
ques de chaque exploitation.
6. Choix d'instruments réellement bons et fabriqués en
conscience.
7. Construction judicieuse et disposition rationnelle de
la sucrerie ; importance extrême de l'adoption des machines
les plus perfectionnées et les mieux confectionnées.
8. Pertes énormes subies par la plupart des plantations,
en raison de la force insuffisante de leurs moulins tels qu'ils
fonctionnent actuellement ; de la négligence apportée dans
l'opération capitale de la défécation; de la construction défec-
tueuse de la plupart des évaporateurs les plus usités ; du
mode ruineux de concentration si communément pratiqué ;
enfin, de la manière peu rationnelle dont s'opèrent la cris-
tallisation du sucre et son égouttement ultérieur.
A tous ces inconvénients, on peut porter remède de la
manière la plus simple : employer de bons moulins et do
bonnes machines ; 2° adopter les moyens de défécation in-
diqués, afin d'amener la liqueur à l'état de sucre pur et d'eau
avant de la verser dans les évaporateurs ; 3° cela fait, avoir
soin de tenir les évaporateurs toujours assez remplis pour
éviter tout danger de brider la liqueur, et couler la liqueur

574
DE LA FABRICATION
sucrée quand la temp rature est à 230 degrés Fahrenheit;
4° concentrer, d'après le principe de la basse température,
au degré convenable, si celui de 230 à 232 degrés ne sem-
ble pas le meilleur; mais donner la plus sérieuse attention
au précepte de ne pas trop concentrer, afin d'assurer la par-
faite cristallisation du sucre et son rapide égouttement, et
qu'il n'y ait plus rien à égoutter quand le sucre sert à la
purgerie ; 5° enfin, bien sécher le sucre avant de l'emballer
pour l'exportation.
En s'attachant à ces points essentiels, je suis convaincu
que le planteur trouvera qu'il obtient de sa terre un pro-
duit deux ou trois fois supérieur à ce qu'elle lui rendait pré-
cédemment, et cela avec très peu de frais au delà de ce qu'il
en supporte actuellement, sans aucun bénéfice pour lui-
même.
Que, par une combinaison de circonstances défavorables,
telles que l'insuffisance des machines, la négligence gros-
sière, la mauvaise direction générale de ses opérations, le
planteur ne retire pas plus de la moitié du sucre contenu
dans la canne, c'est ce qui ne peut être mis en question.
C'est à porter remède à ces maux que j ' a i travaillé en écri-
vant ce livre. Je sais que mettre à nu des fautes, c'est
une besogne ingrate et disgracieuse ; il est pourtant indis-
pensable que toute faute soit mise au grand jour avant
qu'on puisse espérer un changement heureux de système,
pour avoir raison des conséquences ruineuses des méthodes
actuellement en usage pour la culture de la canne et l'ex-
traction du sucre. E n terminant ce que j'avais à dire sur
cet important sujet, tout ce que j e puis, c'est de presser
avec instance l'industrie coloniale de réveiller son énergie,
d'accepter avec bon vouloir les immenses perfectionnements

DU SUCRE.
575
qui surgissent de toutes parts autour de nous, au lieu de
mériter le reproche d'être la seule profession qui reste
étrangère à tout progrès .
1
( 1 ) Les recherches récentes d'un chimiste français distingué, M. Ca-
saséca, sur le jus de canne à la Havane ( Cuba), ont clairement d é -
montré les pertes énormes subies par les planteurs sur leur sucre
en raison de l'imperfection de leurs procédés d'extraction. Ces r é -
sultats ne font que confirmer ceux précédemment obtenus à Paris
par M. Péligot; ils montrent que le jus de canne évaporé dans le
vide, à la température de l'atmosphère, contient sur 100 parties :
S u c r e blanc cristallisé 20 94
Eau 78 80
Substances minérales 0 14
Matières organiques a u t r e s q u e le sucre 0 12
100 00
La canne dont le jus a été essayé par M. Casaséca est nommée à
Cuba cana de la tierra. Ce jus est identique avec celui de la canne
d'Otahiti. Mais la proportion de la fibre ligneuse dans ces deux
cannes est très différente ; la canne de la tierra en contient, selon
M. Casaséca, 16.4 pour 100, tandis que celle d'Otahiti n'en contient
que 10. D'autres cannes diffèrent beaucoup sous ce rapport des
deux précédentes. La quantité moyenne de sucre grainé obtenu du
jus de canne dans nos colonies n'est pas probablement de plus du
tiers de la quantité de sucre cristallisable que le jus contient au mo-
ment où il est mis dans la chaudière. ( Ure, Dictionnaire des arts et
manufactures. — Supplément. )



CHAPITRE IX.
De la distillation du rhum.
§ 1 . — Analyse des mélasses.
e r
Le rhum est l'alcool extrait dans les plantations de sucre,
aux colonies, des écumes provenant de la fabrication du
sucre. Il n'est jamais fait avec le sucre lui-même, mais avec
les mélasses qui s'écoulent du sucre pendant l'opération de
la purgerie. A Calcutta et dans d'autres colonies, on extrait
une liqueur spiritueuse des verjoises et des sucres de q u a -
lité inférieure ; cette liqueur est quelquefois improprement
nommée rhum ; mais elle n'a rien de commun avec la pure
liqueur distillée à la Jamaïque. Puisqu'elle s'extrait des
mélasses et des écumes, il est à propos de bien faire con-
naître ces deux produits en même temps que les lavages
épuisés connus sous le nom de dunders.
La mélasse provenant du sucre tel qu'il se fabrique dans
nos colonies contient du sucre cristallisable, du sucre non
cristallisable, du gluten ou de l'albumine, et d'autres ma-
tières organiques qui ont échappé à la séparation d'avec le
jus pendant les opérations de la défécation et de l'évapora-
tion; elle contient aussi des matières salines et de l'eau.
Tous ces principes y sont plus ou moins abondants, selon
la nature du sol où les cannes ont végété, et le degré de
soin apporté dans la fabrication du sucre. Ainsi, dans une
37

578 DE LA DISTILLATION
riche terre d'alluvion, le jus de canne contient une très
grande quantité de matières salines. Avequin donne l'ana-
lyse suivante de la mélasse provenant des cannes venues
dans les riches terres d'alluvion de la Louisiane : bon sucre
cristallisable, 15; sel et matières organiques, 1; eau 4,
sur 20 parties. Les sels trouvés dans cette analyse étaient
l'acétate de potasse, le chloride de potassium, le sulfate de
potasse, le biphosphate de chaux, la silice et l'acétate de
chaux, L a matière organique était de la gomme, ou une
substance fort analogue à la gomme, formant environ 1/9
des matières étrangères contenues dans la totalité de la
mélasse.
D'après cette analyse, Avequin conclut que le bon sucre
cristallisable est dans la mélasse dans la proportion de 75
pour 100, les matières salines dans celle de 4,35 pour 100,
et la matière organique seulement dans celle de 0,65 de la
totalité. Cette analyse me semble inexacte à un degré tout
à fait absurde ; car elle présente tout le sucre comme cris-
tallisable, et n accuse pas de sucre non cristallisable, tout
en déclarant la présence de 4,35 pour 100 de matières sa-
lines. Il est difficile do concilier ces données avec ce qui a
lieu communément à notre connaissance. D'abord il en ré-
sulterait que la fabrication du sucre a été perfectionnée et
mise dans les meilleures conditions pour prévenir la forma-
tion de la glucose ou sucre incristallisable, en brûlant le sirop
ou en le concentrant à une trop haute température ; ensuite
qu'il peut exister une si forte proportion de matières salines
en contact avec le sucre, sans en rendre une partie non
cristallisable; enfin que 4 parties d'eau froide peuvent tenir
on solution 15 parties de sucre. Quand nous pourrons
croire tout cela, il y aura lieu d'ajouter foi à une telle ana-

DU RHUM. 579
lyse; mais, jusqu'à ce que nous puissions en expliquer les
improbabilités, nous ne pouvons la regarder que comme
une erreur dont il ne faut tenir aucun compte.
En général les mélasses, dans nos colonies, contiennent
beaucoup plus de matières organiques et moins de matières
salines, tandis que l'eau y est plus abondante; le sucre
cristallisable ou non s'y trouve dans des proportions rela-
tives variables, selon les conditions de fabrication de la
sucrerie où la mélasse a été recueillie. Ces conditions se
rapportent principalement à l'action des alcalis, des acides,
de la chaleur, en même temps qu'à celle des substances azo-
tées, telles que le gluten ou l'albumine végétale, sur le
sucre cristallisable, que cette action change en sucre non
cristallisable (glucose). Ainsi un excès de chaux employé
pour la clarification , la présence d'un acide en excès, soit
qu'il ait été employé comme réactif, soit qu'il se produise
par l'action de la chaleur (voir plus haut page 518), un
excès de chaleur pendant l'évaporation, les vases n'étant
pas suffisamment pleins, ou pendant la concentration ; tout
cela convertit le sucre cristallisable en sucre non cristalli-
sable; à quoi il faut ajouter la réaction des matières azotées
et des matières salines contenues dans le jus de canne.
On voit donc que la qualité de la mélasse dépend non-seu-
lement de la qualité du jus de canne, mais encore du degré
d'habileté et d'attention apporté dans la fabrication du
sucre. La mélasse, si l'on se conforme aux méthodes déve-
loppées dans les chapitres précédents, ne doit se produire
qu'en très petite quantité dans l'extraction du sucre ; elle
ne doit contenir que du sucre non cristallisable avec très
peu de sucre cristallisable et d'eau, sauf le cas où le jus
de canne a contenu beaucoup de matières salines dont il

580 DE LA DISTILLATION
n'a pu être débarrassé ; alors ces matières se rencontrent
dans la mélasse avec le sucre et l'eau.
La mélasse, lorsqu'elle contient une substance azotée,
telle que la matière glutineuse ou albumineuse, possède en
elle-même les éléments de la fermentation ; elle renferme
de l'eau, du sucre et du gluten. Ce dernier principe, agis-
sant comme ferment, dispose rapidement toute la masse à
entrer en fermentation ; aussi voit-on souvent des mélasses
fermenter dans le récipient de la purgerie, avant même
d'être employées pour charger l'alambic. Cette disposition
à fermenter est très sensiblement accrue par l'addition
d'une certaine quantité d'eau qui diminue sa densité ; c'est
pour cela que, dans les purgeries ou l'on met sur le sucre,
dans l'intention de le blanchir, de l'argile, des plantes
aquatiques (séewah) ou des morceaux de toile à sacs mouil-
lés, l'eau dont ces corps sont imbibés, en se mêlant à la
mélasse, les fait entrer très vite en fermentation.
§ 2. — Des écumes.
Les écumes comprenant toutes les matières séparées du
jus de canne pendant les opérations de la défécation et de
l'évaporation, nous avons ainsi l'épaisse croûte d'écume
formée à la surface du liquide dans les clarificateurs, l'é-
cume des précipitateurs et des évaporateurs, et les dépôts
formés au fond de ces deux séries de vases. Une portion de
liqueur sucrée est mêlée aux différentes écumes et aux di-
vers dépôts, plus une grande quantité d'eau qui a servi à
laver et à nettoyer les différents vases et les conduits. Plus
tard, chaque fois que le liquide est retiré des évaporateurs,
comme cela a lieu tous les samedis soir, une certaine

DU RHUM. 581
quantité de ce qu'on nomme liqueur douce, résultant du
lavage des chaudières, etc., va rejoindre les écumes. Tout
cela coule ensemble dans la distillerie, se mêle dans le réci-
pient aux écumes, et prend le nom de résidus. La partie
liquide de ces résidus, lorsqu'elle est clarifiée, est soutirée
comme je l'expliquerai plus loin, et prend le nom d'écumes
proprement dites.
Il est donc évident que ces résidus comprennent les ma-
tières étrangères qui ont été contenues dans le jus de
canne, telles que fibre ligneuse, gluten, fécule verte, cire,
gomme, et substances terreuses avec plus ou moins de li-
queur sucrée, d'eau et de matières ayant servi à la défé-
cation. L'écume et les dépôts privés de leur partie li-
quide sont, d'après Avequin, composés de matière cireuse,
matière verte, albumine, fibre ligneuse, biphosphate de
chaux, silice et eau.
Les écumes proprement dites contiennent en elles-mêmes
les éléments essentiels de la fermentation; c'est pourquoi,
livrées à elles-mêmes, elles fermentent très vite; mais comme
la matière glutineuse s'y trouve en grand excès par r a p -
port au sucre, celui-ci est bientôt décomposé ; alors il ar-
rive souvent que la seconde fermentation, ou fermentation
acétique, commence avant même que la première soit fort
avancée.
Quand les résidus arrivent dans la distillerie, on ne les
regarde pas comme propres à la distillation, jusqu'à ce que
leur partie liquide ait été séparée de la partie solide ; le
liquide éclairci est alors soutiré comme écume proprement
dite,
pour être employé à la distillation.

582
DE LA DISTILLATION
§ 3 . — Du dunder.
Le dunder ou radunder (vidange) est le liquide fermenté,
après qu'il a subi la distillation qui l'a privé de sa partie al-
coolique. C'est une chose tout à fait divertissante que d'é-
couter les diverses opinions émises sur la nature du dunder
et son emploi dans la distillation. Nous avons en première
ligne Bryan-Edwards, puis Porter, puis Ure, puis Dubrun-
faut, et un bataillon d'autres auteurs, qui tous attribuent
au dunder des qualités qu'il n'a pas, et tous semblent igno-
rer les propriétés que le dunder possède réellement. Il y a
quelques jours encore, quelqu'un me demandait pourquoi
nos colons ne se servaient pas de jet ou levure comme
ferment au lieu de dunder, laissant entendre en termes très
significatifs qu'il regardait tous les distillateurs des Indes
occidentales comme une collection choisie de fous. Cet indi-
vidu me disait qu'il avait longtemps dirigé l'une des plus
grandes distilleries qui existent dans l'univers. Il a écrit
une brochure sur la distillation, dans le but de porter la
lumière dans les esprits de tous les distillateurs, et sans
doute il s'imagine qu'il possède tout ce qu'il est possible
d'avoir de connaissances sur ce sujet. Pourtant cet homme,
d'ailleurs fort distingué, fort compétent sans doute pour
instruire les distillateurs anglais, ne sait pas ce que c'est
que le dunder et son emploi pour la fermentation du liquide
à distiller .
1
Feu M. Whitehouse, de la Jamaïque, est le seul auteur
qui, dans ses écrits, ait donné sur ce point une explication
( 1 ) Il ne s'agit ici, bien entendu, que des distilleries dépendant des
plantations de canne a sucre.

DU RHUM. 583
exacte ; du moins je n'en ai rencontré aucune ailleurs. Mais
s'il avait lu un peu plus attentivement la Chimie organigue
de Liebig, il y aurait vu des faits analogues relatés par ce
grand chimiste ; ces faits auraient rendu plus nettes les
idées de M. Whitehouse à ce sujet. Liebig dit, en parlant
de la liqueur préparée pour la distillation de l'eau-de-vie
de grains et du moût dont on fait la bière : « La différence
principale dans la préparation de ces deux liquides, c'est
qu'une substance aromatique (le houblon) est ajoutée à la
fermentation de la bière ; il est certain que la présence du
houblon modifie les transformations qui doivent avoir lieu.
On sait maintenant que l'huile de moutarde et les huiles
empyreumatiques arrêtent complétement l'action de la le-
vure ; quoique l'huile essentielle de houblon ne possède pas
cette propriété, cependant elle diminue à un degré très
prononcé l'influence de la décomposition des corps azotés
sur la conversion de l'alcool en acide acétique. Il y a donc
des motifs de croire que quelques substances aromatiques
ajoutées à des mélanges en fermentation sont capables de
produire des modifications très diverses dans la nature des
produits. »
L'action du dunder sur la liqueur à distiller formée de
mélasse, d'écumes et d'eau produit un effet analogue à celui
du houblon ou de son huile essentielle sur la fermentation
de la bière. C'est la substance aromatique du dunder qui
modifie les changements ou transformations opérées durant
la fermentation ; il augmente la densité du liquide, prévient
la trop grande violence de la fermentation, pendant laquelle
il se perd tant d'alcool, et tient la liqueur à une tempéra-
ture comparativement faible, dans un état de travail inté-
rieur lent et modéré.

584 DE LA DISTILLATION
Le dunder (vidange), pour être bon, doit être léger, trans-
parent, légèrement amer; il doit être exempt d'acidité, et
vaut toujours mieux quand il est r é c e n t .
1
Plusieurs causes influent sur la qualité du dunder, et très
souvent le voisinage de l'habitation est incommodé par l'odeur
de la distillerie lorsqu'elle emploie du dunder aigre, ou, ce
qui est encore plus désagréable, du dunder épais et visqueux.
Quand le mélange à distiller est mis à fermenter avec une
trop forte proportion de parties sucrées, la fermentation
dure jusqu'à ce que tout le gluten servant de ferment soit
décomposé et précipité. La fermentation cesse alors, faute
de ferment ; le sucre non encore décomposé ne peut être
converti en alcool ; il va dans l'alambic avec la liqueur à
distiller et est vidé dans le dunder, conservant toujours la
forme de sucre. Il en résulte que le dunder, une fois refroidi,
ne tarde guère à fermenter et continue à travailler, ayant
plutôt les caractères d'un liquide à distiller que ceux du
dunder. Bien des distillateurs novices s'en alarment vive-
ment ; ils nomment ce liquide dunder vif, et souvent ils le
jettent, s'imaginant qu'il gâterait le liquide à distiller, tan-
dis qu'au contraire, ils devaient s'en servir immédiatement
pour une nouvelle cuvée, ou bien le redistiller; car sa fer-
mentation ne provient que du sucre non décomposé, remis
en décomposition par l'activité renouvelée du ferment.
Un bon dunder, qui ne doit pas contenir de sucre non dé-
(1) Le dunder, tel qu'il sort de l'alambic, coule dans le récipient
au dunder, placé à un niveau plus b a s que l'alambic, d'où il est élevé
par une p o m p e , lorsqu'il est refroidi, dans Le réservoir supérieur ou
il se clarifie, pour être au besoin soutiré dans la c u v e de fermen-
tation. Le dunder bien clarifié peut se conserver six mois sans se
gâter.

DU RHUM. 585
composé, comme dans l'exemple précédent, doit être con-
sidéré comme un liquide fermenté privé de son alcool par
la distillation, et très concentré par l'ébullition qu'il a su-
bie. Pendant cette ébullition répétée, les substances que
contient le dunder, le gluten, la gomme, les huiles, etc.,
sont devenues assez concentrées pour en faire un composé
liquide d'un arome très prononcé. Dans cet état, il contient
au moins deux des éléments nécessaires à la fermentation,
qui commence rapidement dès qu'on y ajoute le troisième
élément, le sucre.
D'après ce qui précède, on voit que la mélasse et les
écumes contiennent du gluten, du sucre et de l'eau ; la fer-
mentation doit s'y établir spontanément, sans l'intervention
d'aucune substance étrangère, telle que du jet ou de la le-
vure; on voit aussi que le dunder contient du gluten, de
l'eau et un principe aromatique amer.
Ayant pris cet aperçu de leur mode d'action et de leurs
caractères, nous examinerons en détail leur rôle dans la
distillation et les considérations qui s'y rattachent. Quand
les résidus de la fabrication du sucre coulent vers la distil-
lerie, ils sont reçus dans ce qu'on nomme le récipient aux
écumes, qui tient en général 300 et 400 gallons. Ce vase
est toujours doublé en plomb laminé, ou en cuivre très
mince; il est muni d'un robinet pour soutirer son contenu.
Un récipient aux écumes étant plein, ou laisse au liquide le
temps de s'éclaircir. La liqueur éclaircie, alors nommée à
proprement parler écumes, est soutirée dans la cuve au mé-
lange, s'il y en a une, ou, dans le cas contraire, elle va di-
rectement dans la cuve à fermentation. Toutes les impuretés
qui restent dans le récipient sont vidées dans un autre
récipient placé immédiatement au-dessous du premier. Là

586 DE LA DISTILLATION
elles sont mêlées avec 100 ou 200 gallons d'eau ( chaude,
s'il y en a do disponible), et bien brassées pendant assez
longtemps pour en séparer tout le sucre qui peut être en-
gagé dans les interstices des tissus gommeux et glutineux.
Ce travail doit se continuer jusqu'à ce que le sucre se soit
bien lavé ; la masse liquide reste alors quelque temps en
repos pour s'éclaircir de nouveau. S'il y a lieu de craindre la
fermentation ou l'acidité , on ajoute dans le premier cas un
peu d'acide sulfureux, en brûlant une ou deux mèches sou-
frées, et dans le second, une certaine quantité de chaux.
Le liquide éclairci pont être versé dans la cuve à fermen-
tation pour contribuer à préparer la liqueur à distiller. Je
sais que le lavage des dépôts est rarement usité ; mais
il devrait certainement l'être, sans quoi ce que les dé-
pôts contiennent de matière sucrée serait jeté au rebut,
et causerait une augmentation de déchet qui peut être
évitée.
§ 4. Quantité d'alcool contenue dans le sucre.
Ne perdons pas de vue que l'alcool ou liqueur spiritueuse
que nous nommons rhum ne peut être obtenu que du sucre
seulement; le ferment ne sert qu'à aider à la décomposi-
tion du sucre.
« L'analyse du sucre de canne, dit Liebig, prouve qu'il
contient les éléments de l'acide carbonique et de l'alcool,
moins un atome d'eau. Pendant cette transformation du
sucre qu'on nomme fermentation, ces éléments se partagent
en deux portions ; l'une devient de l'acide carbonique, con-
tenant les deux tiers de l'oxygène du sucre ; l'autre devient
de l'alcool qui contient tout son hydrogène. Thénard a ob-

DU RHUM. 587
tenu de 100 grammes de sucre 0.5262 d'alcool absolu et
0.5127 d'acide carbonique; 100 parties de sucre contien-
nent donc 1.0389 parties d'acide carbonique et d'alcool.
Dans ces produits , la totalité du carbone est égale à
42 parties; c'est exactement la quantité contenue primitive-
ment dans le sucre. L'excédant de poids des produits s'ex-
plique ainsi de la manière la plus satisfaisante. Il est dû
spécialement à la part que les éléments de l'eau ont prise à
la métamorphose du sucre. Le carbone du sucre n'existe
pas en lui à l'état d'acide carbonique ; son hydrogène ne s'y
trouve pas non plus à l'état d'alcool ; le sucre ne contient
donc ni acide carbonique ni alcool, de sorte que ces deux
corps doivent être produits par un arrangement différent
de ses atomes et par leur union avec les éléments de l'eau.
Dans cette métamorphose du sucre, les éléments du jet
( ferment ou matière glutineuse ), par le contact desquels la
fermentation s'accomplit, no prennent pas une p a r t appré-
ciable à la transposition des éléments du sucre ; car, dans
les produits résultant de cette réaction, on ne trouve au-
cune partie constituante de cette substance. »
On voit par ce qui précède que le ferment ( qui dans la
distillation du sucre de canne est du gluten ou albumine )
produit par son contact la fermentation du sucre, mais que
l'alcool est formé des éléments du sucre lui-même, moins
un atome d'eau que l'alcool prend dans l'eau des corps
environnants.
§ 5. — Proportion de la mélasse et du rhum.
La quantité d'alcool produite dépend par conséquent de
la quantité de sucre contenue dans le liquide distillé; le

588 DE LA DISTILLATION
ferment en est seulement, si je puis me servir de ce terme,
la puissance motrice. Le planteur, après avoir acquis la
connaissance de ces faits, doit ensuite rechercher quelles
sont les conditions dans lesquelles la fermentation peut
s'accomplir avec le plus d'avantage et qui peuvent faire
rendre au liquide distillé son maximum d'esprit. Je dis
esprit, et non pas alcool, parce que le planteur a besoin de
produire non de l'alcool, mais du rhum. Donc, si le chi-
miste peut obtenir de 100 kilogrammes d'alcool 50 parties
d'alcool absolu (d'une pesanteur spécifique de 791 à
68 degrés Fahrenheit), la question est de savoir combien la
môme quantité de sucre donnera, dans la distillerie de la
plantation, de rhum à 30 pour 100 sur p r e u v e . Le plan-
1
teur compte toujours sur 1 gallon de rhum sur preuve pour
1 gallon de mélasse livré à la distillation. Si l'on prend
comme composition moyenne de la mélasse 65 parties de
sucre, 32 parties d'eau et 3 de matières organiques et
d'eau, en supposant que, par une fermentation et une di-
stillation très soignées, on puisse obtenir, sur les 65 parties
existantes, 33 parties d'alcool absolu, on aura 33 livres
(13
86) ou environ 4 gallons d'esprit, lesquels donne-
k i l o g r .
ront environ 5 gallons 2/3 de rhum, 30 pour 100 sur preuve
pour 100 livres (42 kilogrammes) de mélasse dans ces con-
ditions. Ce résultat s'accorde bien avec les calculs du
p l a n t e u r .
2
(1) C'est-à-dire 130 gallons d'esprit, ou 30 de plus que 100 en
prenant 100 c o m m e b a s e ; ainsi 30 sur preuve signifie 130. Sa p e -
santeur spécifique est de 8,796 à la température de 60 degrés Fah-

renheit.
(2) 33 livres ( 1 3
8 ) d'alcool absolu d'une pesanteur spécifique
k i l o g r .
de 794 à 60 degrés Fahrenheit exigent 16 livres 1/2 d'eau ( 6
9 )
k i l o g r .

DU RHUM. 589
Toutefois les mélasses varient essentiellement quant à
leur qualité, et le calcul de leur produit en alcool ne doit
être basé que sur ce qu'elles contiennent de sucre; d'autant
plus que le sucre existant dans la mélasse, étant déjà par-
tiellement modifié, ne peut pas donner autant d'alcool qu'en
donnerait du sucre pur. L a quantité de sucre contenue
dans les écumes s'évalue aussi d'après la quantité de ma-
tière sucrée attribuée à chaque cuvée préparée pour la di-
stillation; mais rien n'est plus élastique et moins précis
que cette manière d'apprécier la valeur en sucre des écumes
dans les plantations sucrières; quelques planteurs l'esti-
ment à 6 gallons pour 1 gallon de mélasse ; d'autres la por-
tent de 6 à 10 gallons. Il est évident que la valeur des
écumes dépend de la quantité comme de la qualité du jus
de canne qui s'y trouve mêlé, ainsi que de la quantité d'eau
employée à nettoyer les vases et conduits. Je pense qu'au
total on peut admettre que 8 à 10 gallons d'écumes sont
l'équivalent d'un gallon de bonne mélasse.
Dans les distilleries où l'on se sert de mesures, ce qui
devrait avoir lieu partout, il ne peut rester sur ce point
aucune incertitude ; car les mêmes instruments permettent
au planteur de s'assurer en même temps de la densité et de
l'état du liquide à distiller à un moment donner.
Pour composer sa liqueur à distiller, le planteur doit
d'abord mettre tout bien en ordre dans sa distillerie, puis
faire l'essai des diverses doses de matière sucrée, afin de
bien se rendre compte des quantités qui produisent les
pour les réduire a 30 pour 100 sur preuve à la pesanteur spécifique
de 8,797, à la température de 60° Fahrenheit ; le poids de cette quan-
tité de liquide est alors de 49 livres 1/2 ( 2 0
7 9 ) .
k i l o g r .

590 DE LA DISTILLATION
meilleurs rendements ; car c'est un fait bien constaté que
certaines distilleries fonctionnent mieux et donnent plus de
produits en opérant sur une faible proportion de matière
sucrée, tandis que dans d'autres il en faut une proportion
plus forte.
§ 6 . — Proportions des éléments du mélange à distiller.
D'après mon expérience personnelle, j e crois que la pro-
portion de 12 pour 100 de matière sucrée est la meilleure
et la plus économique qui puisse être adoptée, soit 10 pour
100 de mélasse et 2 pour 100 d'écumes. E n admettant que
10 gallons d'écumes répondent à t gallon de mélasse, on a,
pour une cuve à fermentation de 1,000 gallons, 100 gallons
de mélasse et 200 gallons d'écumes. Dans ma pratique, j'ai
toujours employé le dunder en grande quantité; ma convic-
tion, fondée sur les preuves les plus irrécusables, c'est que
le dunder exerce sur le caractère de la fermentation l'effet
le plus avantageux.
Quand j'étais planteur dans la paroisse de Trelawney, à
la Jamaïque, j'employais autant de dunder qu'aucun habi-
tant de la colonie, si ce n'est plus ; et néanmoins le rhum
que je fabriquais était en très grande quantité et de toute
première qualité. A cette époque, et constamment plus tard,
quand j ' a i eu de bon dunder, clair et léger, il m'est arrive
très souvent de ne pas employer d'eau du tout, préférant
utiliser entièrement le dunder. L'excellent résultat que j'ai
toujours obtenu par ce système m'a convaincu de ses avan-
tages dans la pratique. Le point essentiel que le planteur a
en vue, c'est d'obtenir tout ou la plus grande partie possi-
ble de l'esprit que peut fournir la quantité de sucre em-

DU RHUM. 5 9 1
ployée, et de n'en rien perdre ou d'en perdre le moins
possible par l'évaporation ou l'acétification.
Pour atteindre ce but, il est essentiellement nécessaire,
à mon avis, 1° de tenir le local réservé à la fermentation
à une température aussi basse qu'il est possible sous un
climat tropical, soit de 75 à 80 degrés Fahrenheit, si la
chose est praticable ; 2° d'employer une grande quantité de
dunder. Prenons pour exemple une cuve de 1,000 gal-
lons à remplir selon ces données. On y fait couler avant
tout 200 gallons d'écumes bien clarifiées, 50 gallons de
mélasse et 100 gallons de dunder clair; on mêle bien le
tout, puis on laisse la fermentation s'établir. C'est ce qui a
lieu très promptement; alors on ajoute 50 autres gallons
de mélasse, 200 gallons d'eau, et le mélange reste en repos
pendant une heure pour que sa fermentation soit générale;
à ce moment, on fait couler dans la cuve 400 gallons de
dunder, qu'on mêle intimement à la masse. A mesure que
la fermentation marche, il monte à la surface un peu d'é-
cume qu'on a soin d'enlever immédiatement, et la tempéra-
ture du liquide en fermentation s'élève graduellement j u s -
qu'à ce qu'elle dépasse de 8 à 10 degrés Fahrenheit celle
de la distillerie. Si l'on trouve que le liquide s'échauffe trop,
on en prend note pour mettre dans la cuve suivante plus de
dunder et moins d'eau ; mais si l'on maintient une basse
température et que le liquide à distiller travaille trop len-
tement, on peut employer moins de dunder à la prochaine
charge. Le criterium suivant est la durée de la fermentation
et la quantité de rhum produite par la distillation ; ce der-
nier point est, en dernière analyse, le grand but de tous
nos efforts.
Quelques distillateurs débutants dans la carrière sont au

592 DE LA DISTILLATION
désespoir chaque fois qu'ils voient la fermentation cesser,
persuadés que le liquide à distiller ne peut jamais fermenter
assez vite. La vérité m'oblige à dire que quelques distilla-
teurs vétérans partagent cette absurde anxiété ; ils ne réflé-
chissent pas sur la nature des transformations que les
éléments du sucre sont en train de subir , et sur les condi-
tions nécessaires pour en assurer le succès.
Il y a des gens qui travaillent avec beaucoup de talent à
prouver que la fermentation de la bière est identique avec
celle du liquide à distiller, et que, par conséquent, on de-
vrait faire usage de jet dans la distillation des plantations
sucrières ; ils oublient entièrement la différence qui existe
entre la bière faite avec du malt, et la liqueur fermentée
provenant du jus de la canne associé à la mélasse et au
dunder.
L'emploi de la levure dans les distilleries des plantations
a été la base de bien des promesses illusoires, dont nos in-
fortunés colons ont dû payer les frais. Entre autres, les
colons de la Jamaïque gardent sans doute un souvenir
très vivace de cet aventurier, homme à projets, qui fit, il y a
quelques années, tant de ravages dans deux ou trois cents
de leurs distilleries, en plongeant ses mains si profondé-
ment dans leur bourse. Il est nécessaire de faire observer
ici de nouveau que le principe fermentescible, le gluten,
existe en grande quantité dans la mélasse, les écumes et le
dunder, et que, par conséquent, on a pas besoin d'un agent
étranger de fermentation, tel que la levure. Loin de la,
cet agent produirait un effet des plus fâcheux ; il changerait
complétement le caractère de la fermentation.

DU RHUM.
593
§ 7. — De la fermentation.
La fermentation du liquide à distiller dans une sucrerie
est en quelque sorte analogue à celle qui a lieu dans la
fabrication de la bière bavaroise, avec cette différence qu'il
n'y a aux colonies aucun moyen de maintenir la tempéra-
ture aussi basse que dans une brasserie bavaroise. La prin-
cipale ressemblance consiste en ce que la liqueur en fer-
mentation pour le rhum ne donne pas d'écume mousseuse ;
elle précipite le ferment à mesure qu'il se décompose ; en
d'autres termes, le gluten, au lieu de se reproduire lui-même,
comme cela a lieu quand on se sert de la levure, est détruit
et précipité.
La fermentation d'une cuve à rhum contenant les pro-
portions les plus convenables de dunder, le local étant
maintenu frais, est modérée, uniforme, et en définitive com-
plète; elle ne fait monter ni mousse ni écume, si ce n'est
celle qui résulte des impuretés formées de corps étrangers ;
elle précipite graduellement le ferment glutineux à mesure
que celui-ci est décomposé. La température peut être de
90 degrés et au de l à ; mais l'alcool est j u s q u ' à un certain
point protégé contre l'acétification par le principe aromati-
que contenu dans le dunder (vidange) ; il en résulte qu'à la di-
stillation, le liquide donne de 10 à 20 pour 100 d'esprit de plus
que si l'on avait employé moins do dunder et que la tempéra-
ture eût été plus élevée. Il a été matériellement vérifié que
la bière bavaroise faite à une température qui ne dépasse
pas 50 degrés Fahrenheit contient au moins 20 pour 100
d'alcool de plus que la bière faite par le procédé ordinaire.
( Liebig, page 298).
38

594
DE LA DISTILLATION
§ 8. — Influence de, l'oxygène sur la fermentation.
Ce fait est expliqué par Liebig, qui lui assigne deux cau-
ses : 1° la bière étant mise à fermenter dans des vases très
larges et peu profonds, son gluten est entièrement décom-
posé par l'action de l'oxygène de l'air, au lieu de s'appro-
prier une portion de l'oxygène que le sucre contient ; 2° la
température est en même temps si basse que l'oxygène ne
peut pas décomposer l'alcool déjà formé. E n présence d'un
tel fait, si l'on dispose seulement d'un vase large et peu
profond, il sera à propos d'essayer quel serait l'effet du
contact de l'air sur une masse de liquide en fermentation,
contenant beaucoup de dunder, et disposé dans le local
d'une distillerie tenue aussi fraîche que possible.
Dans une expérience de ce genre, le vase peu profond
devrait contenir autant de liquide en fermentation qu'une
cuve ordinaire ; le liquide soumis à l'expérience devrait
être d'abord bien mélangé, puis divisé en deux portions,
l'une pour le vase plat, l'autre pour la citerne, afin qu'il
n'y eût aucune différence dans la qualité de leur contenu de
part et d'autre. Une demi-douzaine d'expériences suffirait
pour décider si l'accroissement de la surface du liquide en
fermentation donne des avantages proportionnés à la plus
grande exposition de ce liquide à l'action de l'oxygène de
l'air
( 1 ) L'eau des rivières et ruisseaux, contenant de l'oxygène en solu-
tion, doit être meilleure pour ajouter au liquide à distiller que celle
d e s puits, étangs et pièces d'eau ; car il n'est pas douteux que la plus
grande partie de l'oxygène absorbé pendant la fermentation ne soit
empruntée à l'eau.

DU RHUM. 595
Nous ne pouvons, d'ailleurs, jamais espérer de maintenir
une température à beaucoup près aussi basse que celle que
mentionne Liebig ; mais, ayant trouvé dans ma pratique que
la fermentation marche aussi bien, sinon mieux, dans des
cuves ouvertes que dans des cuves couvertes, je suis porté
à croire qu'une surface plus étendue, en contact avec l'air,
ne donnerait qu'un bon résultat. J e regrette de n'en avoir
pas fait l'essai jusqu'à présent ; mais je saisis cette occasion
d'indiquer cette expérience intéressante à réaliser.
On regarde ordinairement huit jours comme un temps
fort convenable pour le travail de fermentation d'une cuve ;
ce travail dure souvent dix et même quatorze j o u r s ; mais
il ne faut jamais perdre patience à ce propos ; j ' a i toujours
trouvé que le rendement plus avantageux en rhum dédom-
mage du retard.
Lorsque j'étais teneur de livres dans une plantation à la
Jamaïque, l'une de mes cuves de 200 gallons, chargée dans
la même proportion que les autres, fermenta pendant trois
semaines et trois jours, si bien que je croyais qu'elle n'au-
rait jamais fini. Tous les jours, pendant toute une quinzaine,
je m'attendais à la voir s'arrêter; à la fin, ayant besoin de la
cuve pour préparer une nouvelle charge, je distillai celle-là
avant qu'elle eût complétement cessé de fermenter.
Je m'attendais à n'en obtenir qu'un pauvre produit en
rhum, tant elle avait fermenté longtemps ! A ma grande
surprise, elle donna 320 gallons de rhum, 30 pour 100 sur
preuve; c'était quelque chose comme 80 à 100 gallons de
plus que je n'avais jamais obtenu précédemment d'une cuve
semblable. Je me figurai naturellement que les ouvriers
avaient commis une erreur en chargeant cette cuve, et qu'ils
avaient mis beaucoup trop de mélasse; que cela fût ou non,

596 DE LA DISTILLATION
ils s'en défendirent énergiquement ; ce dont je me souviens
très distinctement, c'est que je n'avais pas employé d'eau,
mais que cette cuve avait été préparée exclusivement avec
de la vidange.
§ 9. — Précipitation du gluten par l'alcool.
Il arrive assez souvent qu'au bout de quelques jours la fer-
mentation du liquide à distiller s'arrête entièrement et qu'une
quantité considérable de sucre y reste sans se décomposer.
Cela tient à deux causes. 1° L'agent fermentescible, le glu-
ten, n'étant pas en quantité suffisante, n'a pu agir que
selon la puissance de décomposition qu'il possède ; le sucre
en excès est resté sans altération dans le liquide à di-
stiller. 2° La réaction de l'alcool, lorsqu'il se forme rapide-
ment et en grande quantité, précipite le gluten avant qu'il
puisse effectuer sa transformation, et le paralyse pendant
assez longtemps, arrêtant par conséquent la fermentation
pour un certain temps.
Je crois que, dans les distilleries des plantations, quand
il reste dans le liquide à distiller du sucre non décomposé,
cela arrive 19 fois sur 20, non pas faute de ferment, mais
parce que le ferment est précipité par l'alcool; de là vient
que le dunder, dépouillé d'alcool par la distillation, se re-
met à fermenter par l'action renouvelée du gluten.
J'ai eu bien rarement ce qu'on nomme du dunder vif, parce
que les ouvriers de ma distillerie avaient ordre de brasser
tous les jours le contenu des cuves à fermentation, et ils n'y
manquaient jamais; par ce moyen, chaque jour le gluten
précipité était remis en activité.
Ce qui précède contient l'exposé de tous les détails dé-
sirables sur les opérations qui s'accomplissent dans le local

DU RHUM.
597
réservé à la fermentation. Tandis que j e suis occupé à di-
riger sur ces détails l'attention particulière des planteurs,
j e regarde comme un devoir de les engager à fermer l'oreille
aux contes intéressés des aventuriers sans délicatesse qui,
pour remplir leurs poches, promettent de doubler la quan-
tité de rhum obtenue dans une plantation, avec la même
quantité de mélasse et d'écumes dont dispose le planteur .
On ne doit pas oublier que, par les méthodes les plus savantes
possibles, le liquide fermenté ne peut donner en alcool que la
moitié du poids du sucre contenu dans la mélasse et les écumes
employées; le planteur doit mettre tous ses soins, par un mélange
dans de justes proportions de ces éléments, par la température
la plus fraîche possible du local, par une distillation perfec-
tionnée, à tâcher de s'assurer, sinon le tout, du moins la plus

forte proportion possible de cette quantité d'alcool : il est ma-
tériellement impossible qu'il obtienne rien AU DELA.
J'ai déjà dit qu'en suivant la méthode que je recom-
mande pour la fabrication du sucre, on a très peu de mé-
lasse; j ' e n dis autant des écumes ; il ne doit pas y en avoir
plus qu'il n'en faut pour amener la mélasse au degré con-
venable de densité ; les opérations de la distillerie seront
donc évidemment réduites à des proportions fort petites.
Enfin tout ce qui peut être converti en sucre doit l'être ;
les déchets seuls doivent prendre le chemin de la distille-
rie, pour être convertis en rhum.
§ 10. — Importance essentielle de la propreté.
Je n'ai point encore présenté d'observations sur un point
d'une importance extrême dans la distillerie : la propreté !
Elle doit régner partout, depuis le moulin jusqu'au maga-

598 DE LA DISTILLATION
sin au rhum; mais elle est bien plus essentiellement néces-
saire dans la distillerie que dans le moulin, la sucrerie et
la purgerie ; le planteur qui tient au bon résultat de sa di-
stillation doit pousser, dans la distillerie, la propreté jusqu'à
l'excès. Tous les vases doivent être continuellement lavés
et récurés, et souvent aussi passés à la chaux, pour éviter
l'acidité; c'est ainsi seulement que tout, dans la distillerie,
peut être tenu parfaitement propre et exempt d'acidité.
Laissons maintenant ce qui concerne la fermentation, et
abordons la distillation du liquide fermenté. On nomme gé-
néralement alambic l'appareil employé pour en séparer l'al-
cool ; ces appareils ont été depuis quelques années telle-
ment multipliés que j ' e n pourrais citer trois ou quatre cents
pour lesquels des brevets ont été pris, si j e ne jugeais inu-
tile d'en faire mention. Je me bornerai donc à faire con-
naître ceux que j ' a i déjà nommés.
§ 11. — Distillation. — Alambic simplifié de Shear.
— Alambic double.
Le premier, l'un des meilleurs appareils distillatoires, a
été inventé par M. Corty, et plus tard très simplifié par
MM. Shears et fils, qui le nomment appareil distillatoire
simplifié.

L a figure 31 représente cet appareil. A est le corps de
l'alambic, dans lequel on met le liquide à distiller ; B est le
chapiteau, C, C, C sont trois plaques de cuivre adaptées a
la partie supérieure des boîtes D, D, D, tenues à une tem-
pérature régulière par l'eau conduite sur la surface exte-
tieure au moyen du tube E et des tubes de distribution
F , F , F. La vapeur spiritueuse s'élève du corps de l'alam-

DU RHUM. 599
bic; elle rencontre un obstacle sur la plaque la plus basse C,
en raison de la fraîcheur entretenue par l'eau ; la partie la
.
31

Figure
plus grossière de la vapeur s'y condense et est séparée,
pendant que la partie la plus légère va jusqu'à la seconde

600 DE LA DISTILLATION
plaque C, dont la fraîcheur condense une nouvelle portion
de vapeur, laissant la portion la plus subtile de l'alcool ga-
gner la troisième plaque C, tenue à un plus grand degré
de fraîcheur que les deux autres. C'est là que s'opère la
dernière séparation; les particules aqueuses et oléagineuses,
ne pouvant résister à la température basse à laquelle cette
troisième plaque est maintenue, sont condensées et tom-
bent ; un esprit très fort passe par le col de l'alambic. Au
moyen du robinet F , ajusté au tube E , la distribution de
l'eau aux boîtes D peut être faite avec beaucoup de régu-
larité, par conséquent aussi leur température est réglée à
volonté , a est une tête d'écrou à travers laquelle un jet de
1
vapeur ou d'eau peut être lancé pour nettoyer et emporter
le dépôt qui sans cela s'accumulerait plus ou moins sur la
surface supérieure des plaques C. A l'extrémité inférieure
du serpentin, un appareil à gaz est fixé au moyen de l'é-
crou en bronze en anneau H ; MM. Shear le considèrent
comme une partie très importante du perfectionnement de
l'appareil. La forme particulière du tube I, dans lequel
l'esprit distillé passe en sortant du serpentin, est calculée
pour qu'il soit plein très peu de temps après que l'alambic
a commencé à fonctionner, tandis que l'autre tube d'em-
branchement K monte un peu plus haut, puis revient sur
lui-même et est immergé dans la petite boîte L, de manière
à n'avoir environ que 2 pouces dans l'eau ( 0 . 0 5 ) . Le gaz
m
(1) Si, par exemple, la température de la boîte supérieure est tenue
à 174 degrés Fahrenheit, la vapeur alcoolique qui passera au-dessus
contiendra 90 pour 100 d'alcool pur à 65° sur p r e u v e ; si cette tem-
pérature est de 1 9 1 , la vapeur ne contiendra que 66 pour 100 d'al-
cool pur, ou 30 pour 100 sur preuve.

DU RHUM.
601
provenant de l'alambic s'échappe par ce tube en traversant
l'eau ; car la pression est presque nulle.
On affirme qu'au moyen de cet appareil au gaz, la distil-
lation s'opère dans un vide partiel, ce qui produit une
grande économie de combustible. La liqueur spiritueuse
entrant dans le serpentin à une température beaucoup plus
basse que dans les anciens alambics, il ne faut pas, pour
la refroidir, la quantité d'eau qui sans cela serait néces-
saire.
J e n'ai jamais personnellement travaillé avec ces appa-
reils; mais j ' e n ai vu beaucoup fontionner aux Indes orien-
tales, et j ' e n ai toujours entendu faire l'éloge. On dit qu'un
de ces alambics, contenant 400 gallons, peut distiller quatre
à cinq charges en une journée de 12 heures, en donnant un
esprit dont la force moyenne est de 35 pour 100 sur preuve,
ce qui, pour le rhum, est regardé comme le degré le plus
avantageux de force auquel il puisse être obtenu sortant de
l'alambic.
La figure 32 représente une autre disposition du même
appareil; c'est l'adjonction de l'alambic ordinaire A à l'a-
lambic breveté B . Dans ce cas, le contenu de B est sou-
tiré de temps à autre dans A , et celui de A écoulé dans le
dunder, l'esprit de A étant conduit dans B . Un seul foyer
chauffe les deux alambics. E n raison de la manière dont ils
sont ajustés, on en obtient une grande quantité d'excellent
spiritueux, en ne consommant qu'une très petite quantité
de combustible.
Ces doubles alambics sont en si grande réputation que
MM. Shear les ont fourni et doivent encore en fournir
un grand nombre pour les colonies, spécialement pour Dé-
mérary, où il en existe quelques-uns de la capacité de

602
DE LA DISTILLATION
1,200 gallons, qui fonctionnent à la satisfaction de leurs
propriétaires.
Figure 32.
Les alambics de Blumenthal, de Laugier, de Coffey, bien
qu'excellents et d'un très bon service assurément, sont
néanmoins bien mieux appropriés aux distilleries d'Europe
q u ' à colles des colonies. J'en ai vu plusieurs, quelques-uns
avec diverses modifications, en activité sur des plantations
dans l'Inde et aux colonies des détroits malais ; j e n'en ai
vu aucun dont le propriétaire eût lieu d'être content, pro-
bablement parce qu'il leur manquait, pour les faire fonction-

DU RHUM.
603
ner, les ouvriers habiles et soigneux qu'il est facile de se
procurer en Europe. D'après ce que je viens de dire, il
pourrait sembler que j ' a i très bonne opinion des alambics
représentés figures 31 et 32, et que je les regarde comme
parfaitement adaptés aux exigences d'une plantation de
cannes à sucre. Mais, de toutes ces dispositions diverses de
l'appareil distillatoire, je n'en ai jamais connu une seule qui
l'emportât sur l'alambic ordinaire à double cornue. Je le
regarde comme sans rival en qualité d'appareil distilla-
toire particulièrement approprié aux besoins du plan-
teur, au point de vue de la simplicité, de la solidité et de
l'économie.
§ 12. — Alambic ordinaire à double cornue.
Figure 33.
Cette figure représente l'appareil tel qu'il est commu-
nément usité ; mais, s'il est muni d'un chauffe-liquide, le
tube partant de la seconde cornue, au lieu de passer direc-
tement dans le réfrigérant du serpentin, traverse d'abord
le vase contenant le liquide à distiller ; il y abandonne une
grande partie de sa chaleur ; alors seulement, il entre dans

604
DE LA DISTILLATION
le réfrigérant du serpentin. Un alambic de 1,000 gallons,
ainsi monté, doit débiter 500 gallons de rhum au degré
moyen de 30 à 40 pour 100 sur preuve, en fonctionnant de
5 heures du matin à 9 heures du soir. Lorsqu'on met en
en train la distillation, l'alambic est chargé avec le liquide
à distiller, et les deux cornues avec quelques gallons de li-
queur vineuse faible, ou même d'eau, en quantité suffisante
pour couvrir la partie inférieure du tube à vapeur, soit 15 à
20 gallons dans chaque cornue.
On allume alors le feu sous l'alambic, et le rhum à 40 ou
45 sur preuve commence à couler dans un vase préparé
d'avance pour le recevoir. Quand le contenu de l'alambic
commence à bouillir, on en est averti par le bruit qui se
produit dans les cornues ; le distillateur est prévenu de
préparer les vases pour recevoir de nouvelles quantités
d'esprit. Si le feu brûle fort, on le ralentit un peu ; des vases
propres sont disposés, prêts à recevoir le rhum, et le chef
de la distillerie se tient prêt avec son éprouvette ou hydro-
mètre, pour vérifier le degré de force de la liqueur distillée.
A u moment où elle commence à couler, une forte odeur em-
pyreumatique se fait sentir; c'est pourquoi le premier
gallon qui passe est jeté dans la cruche aux eaux vineuses
faibles; alors commence à venir le rhum spiritueux et de bon
goût, dont la force varie de 40 à 60 degrés sur preuve.
§ 13. — Force et saveur du rhum.
Si l'on désire une force moyenne de 30 pour 100 sur
preuve, le rhum doit être versé dans la jarre au rhum, j u s -
qu'à ce que 20 bubbles montent dans l'éprouvette ; alors
le reste de ce qui vient par la distillation est jeté dans la

DU RHUM. 605
jarre aux eaux vineuses faibles. Mais si l'on a besoin de
rhum éprouvé, l'on continue à verser la liqueur spiritueuse
dans la jarre au rhum, jusqu'à ce qu'il monte à 28 bubbles,
ce qui portera le degré général de toute la liqueur à 23 bub-
bles; ainsi, en en attribuant 2 pour la coloration, etc, le
rhum est à 25 bubbles sur preuve. E n opérant avec les cor-
nues, j ' a i trouvé que ces données sont très exactement a p -
plicables; mais, pour plus de certitude, il sera nécessaire
d'essayer le contenu de la jarre au rhum pendant la distilla-
tion, moyennant quoi il n'y aura pas d'erreur.
Quelle que soit l'espèce d'appareil distillatoire dont on se
sert, il est évident que le but du planteur doit être d'obtenir
de sa liqueur fermentée tout l'alcool qu'elle contient, et
d'atteindre ce but avec le plus possible de rapidité et d'é-
conomie. D'après une longue expérience, je recommande
vivement, à cet effet, l'alambic avec les cornues.
On admet généralement que la saveur particulière du
rhum tient à une gomme résine aromatique ou à une huile
essentielle contenue dans l'écorce de la canne; mais, à
1
part ce principe, il paraît qu'une huile empyreumatique est
produite pendant la fermentation de la liqueur à distiller, ce
que Liebig attribue à un échange d'éléments entre le sucre
et le gluten. De quelque source que provienne ce principe,
les planteurs savent trop combien sa présence dans le rhum
est fâcheuse, et combien ils ont de peine à la faire dispa-
raître pour améliorer le goût de leur rhum. On peut juger
du-caractère de cette substance par ce seul fait qu'une goutte
suffit pour altérer dix gallons de rhum. Bien des expédients
(1) L'huile volatile ou essentielle contenue dans les plantes est
changée en résine par l'absorption de l'oxygène (Liebig).

606
DE LA DISTILLATION
sont-indiqués pour chasser ce goût désagréable ; de tous ces
procédés, celui que j ' a i trouvé le plus simple et le plus effi-
cace, c'est l'emploi du charbon et de la chaux; le charbon
absorbe l'huile essentielle; la chaux se combine avec elle et
la précipite sous forme d'un savon insoluble.
§ 1 4 . — Moyen de corriger le goût du rhum récent.
L a méthode que j ' a i moi-même employée, et dont je sais
que bien d'autres se sont également bien trouvés, c'est d'a-
voir une caisse en bois d'environ 2 pieds (0 .60) de diamè-
m
tre, ayant au centre une cloison qui règne jusqu'à un pouce
de fond (0 .025) ; on la remplit de charbon en poudre gros-
m
sière, à travers lequel le rhum passe en sortant du serpentin;
le charbon absorbe une portion considérable de l'huile, et le
rhum sort du filtre sensiblement purifié. Il se verse alors
dans la jarre au rhum, contenant environ de 300 à 500 gal-
lons, placé à une élévation suffisante; là, le rhum est traité
par la chaux vive; on l'agite fortement, pour que la chaux soit
bien répartie dans tout le liquide. Au bout de deux jours, on
goûte le rhum; s'il estbon, le contenu de la jarre est passé au
filtre de charbon, comme la première fois, puis il est transvasé
dans une autre jarre pour y prendre couleur. Si l'on recon-
naît qu'on n'a pas employé assez de chaux, on en met un
peu plus en mêlant bien le tout, et l'on goûte de nouveau le
rhum au bout de deux jours. La chaux est alors au fond du
vase, où elle s'est déposée après avoir formé avec l'huile
essentielle un savon insoluble.
P a r c e procédé soigneusement pratiqué, j ' a i vu vendre du
rhum d'un mois pour du rhum de deux ou trois ans; tant la
saveur du rhum s'était améliorée !

DU RHUM.
607
Il est cependant très essentiel de faire observer que, pour
soumettre le rhum à cette opération, il faut autant do soins
que de réflexion; trop de chaux en ferait un esprit neutre,
totalement dépourvu du goût bien connu qui appartient au
rhum. Mais, si le distillateur donne seulement le plus léger
degré d'attention à sa besogne, il lui est impossible de se
tromper à ce point. Je ne puis trop insister près des plan-
teurs quant à la nécessité d'améliorer leur rhum aussi bien
que leur sucre par tous les moyens en leur pouvoir.
§ 15. — Préparation de la couleur et coloration du rhum.
Il s'agit ensuite de colorer le rhum distillé et amélioré
comme j e viens de l'exposer ; l'art de lui donner une bonne
couleur est je pense, l'une des parties les plus importantes de
la besogne du distillateur. Il arrive souvent que du rhum excel-
lent d'ailleurs est déprécié parce que sa couleur est mauvaise ;
c'est donc un point qui mérite la plus sérieuse attention.
L'espèce de sucre qu'on doit faire bouillir pour colorer
le rhum est une moscouade bien grainée et bien colorée ;
c'est celle qu'on choisit d'ordinaire à la Jamaïque. On en
met dans une grande bassine de cuivre ou de fer, qu'on
chauffe convenablement. Un ouvrier ne cesse de remuer le
sucre avec une palette ou spatule de bois jusqu'à ce qu'il soit
fondu et cuit au point désiré. Un autre ouvrier entretient
le feu, qui doit être alimenté avec du marc de canne ou des
broussailles, afin qu'il puisse être éteint subitement à vo-
lonté. A mesure que la cuisson avance, il s'élève des bulles
d'abord grandes et pesantes, puis petites et vives ; la cou-
leur de la masse passe du brun au noir foncé; on voit sur
la spatule de bois la couleur arriver par degrés à la nuance

608 DE LA DISTILLATION
voulue ; l'opérateur reconnaît au goût la saveur particulière
que la masse doit avoir.
La délicatesse du goût décide en grande partie du succès,
non-seulement quant à la cuisson du caramel, mais aussi
quant à la saveur que le rhum doit acquérir plus tard. Le
caramel ne doit être ni doux ni amer ; il doit rester inter-
médiaire entre la douceur et l'amertume.
Parvenu à ce point, on y ajoute peu à peu une petite
quantité de rhum éprouvé, après avoir éteint le feu. On
continue à remuer la masse jusqu'à ce qu'elle prenne en se
refroidissant une consistance solide ; le tout est alors vidé
dans la boîte à couleur, dans le magasin au rhum. Cette boîte
est ordinairement un petit poinçon placé debout sur un che-
valet de bois haut de 2 pieds ( 0 . 6 0 ) , avec une ouverture
m
de 2 ou 3 pouces ( 0 . 0 5 à 0 . 0 7 5 ) de large, se fermant
m
m
avec un bouchon, servant à y puiser au besoin, sans trou-
bler en aucune manière le dépôt qui peut s'y être formé.
Une bonne couleur doit être aussi consistante qu'elle peut
l'être sans être solide, et d'un aspect clair et brillant ; mêlée
au rhum, elle doit donner une teinte claire, riche, exempte
à la fois d'obscurité et de ton trouble. Le moyen le plus sûr
d'atteindre cet effet, c'est de mêler la couleur à une certaine
quantité de rhum, qu'on passe avec soin avant de la verser
dans la jarre au rhum. Pour donner une très bonne couleur
à un poinçon de 100 gallons, 3 pintes suffisent; quand la
couleur est mauvaise, elle ne s'incorpore pas à la liqueur ;
elle se précipite en laissant le rhum à peine sensiblement
coloré.
Par une économie fort mal entendue, quelques colons se
servent de mélasse pour colorer le rhum, préférant gâter
tout un poinçon de rhum plutôt que de dépenser 6 pences

DU RHUM.
609
de bon sucre ( 60 centimes ) pour lui préparer une bonne
couleur ; j ' a i vu de la couleur faite avec la mélasse, et je l'ai
trouvée si détestable que j ' a i peine à comprendre comment
le planteur peut continuer à s'en servir.
L a coloration du rhum est la dernière opération qu'il
subit avant de sortir de la plantation ; il est alors mis dans
les pièces et les poinçons pour être embarqué ou vendu.
§ 16. — Conclusion.
Me voici au terme de mon travail ; il ne me reste qu'à
prendre congé de mes confrères les planteurs et de mes
autres lecteurs qui ont bien voulu parcourir les pages p r é -
cédentes avec quelque attention.
J'ai essayé de faire un ouvrage utile au planteur; je me
suis efforcé de lui montrer, sous une forme simple, les d i -
verses influences qui réagissent sur la culture de la canne,
l'extraction du sucre et la fabrication du rhum avec le jus
de cette plante; j ' a i pris la liberté de lui indiquer les erreurs
commises et les moyens d'y remédier. Il me serait pénible
de penser que j'aurais pu blesser les sentiments de qui que
ce soit ; rien n'est plus loin de ma pensée qu'une semblable
intention. Servir la cause des planteurs, c'est mon unique
désir : heureux si je puis me livrer à l'espoir consolant d'y
avoir réussi !
FIN.


A P P E N D I C E .
NOTE I.
( Se rapportant à la page 122.)
Ma longue absence des Indes occidentales et les change-
ments extraordinaires survenus dans ce pays depuis mon
départ me rendent excessivement difficile de donner ici rien
qui ressemble à une évaluation exacte des dépenses qui
tiennent aux circonstances locales. J'ai donc pensé qu'il
valait mieux rendre compte seulement des articles sur les-
quels je no puis pas me tromper, laissant au planteur des
Indes occidentales le soin de déterminer lui-même celles
dont on ne peut fixer le chiffre que lorsqu'on est dans le
pays. J'ai sous les yeux les comptes de plusieurs ventes de
plantations à la Jamaïque; j ' y vois que beaucoup de ces
propriétés ont été vendues pour très peu de chose, presque
pour rien, et j ' e n connais bien d'autres encore dont leurs pro-
priétaires se déferaient volontiers , n'importe à quelles
conditions. Toutefois il n'est nullement facile de fixer une
somme exacte moyennant laquelle un capitaliste puisse se
rendre acquéreur d'une terre dans cette colonie, bien que
je sois parfaitement certain qu'il l'obtiendrait à très bas
prix. Les chiffres suivants aideront le planteur à calculer le

612
APPENDICE.
prix probable de la production du sucre dans une plantation
des Indes occidentales.
ÉVALUATION EN BLOC
( Plantation avec sa monture d'exploitation. )
Machine à vapeur à haute pression, cylindre de 16 pouces ( 0 . 4 0 ) ;
m
moulin garni de rouleaux supplémentaires 1,250 l. st.
D e u x rangées chacune de cinq chaudières d'évapo-
ration en fer, perfectionnées, contenant 3 , 0 0 0 gallons, 200
Trois clarificateurs en fer, chacun de 500 gallons,
a v e c leurs accessoires complets 90
Deux filtres contenant chacun 20 chausses à 6 li-
vres sterling la pièce 12
Un précipitateur en cuivre ou second d é f é c a t e u r . . 45
Dix filtres au charbon a n i m a l , pleins d e c h a r b o n . . 25
Appareil de concentration de Kneller contenant
200 gallons, parfaitement complet, a v e c sa pompe à
air 120
50 caisses de purgerie doublées en étain ou en
plomb 75
Alambic de 250 gallons avec deux cornues et un
chauffe liquide, complet 200
55 têtes de bétail jeune et vigoureux à 10 livres
sterling la pièce 550
Instruments aratoires de Ransome et May 50
Dix charrettes à 2 bœufs, à 10 l. sterl. c h a c u n e . . . 100
Total 2,717 l. st.
Soit 67,925 francs.
Ajoutez à cette somme les frais de culture de la terre;
l'amélioration des chemins, des bâtiments, etc.; la mise en
place des machines, et une foule de dépenses de détail
indispensables dans la tenue d'une plantation.

APPENDICE.
613
APERÇU DE LA DÉPENSE COURANTE.
Culture de 150 acres de terre en canne à s u c r e . . . . 730 l. st.
Main-d'œuvre de 30 hommes, 300 jours à 2 schell.
par jour » 900
Frais de fabrication de 8,662 quintaux de sucre à
1 schellings 3 deniers 540
Frais de fabrication de 6,785 gallons de rhum 100
Total 2,790 l. st.
Soit 69,750 francs.
A quoi il faut ajouter le salaire du régisseur 300 l. st.
et celui de ses deux adjoints 300
Ce qui porte le total générale 3,390 l. st.
Soit 84,750 francs.
PRODUITS.
A 25 tonnes de cannes par acre (25,000 kil. pour 40 ares), le jus
étant à 10 degrés du saccharimètre de Beaumé, soit à 18 pour 100 de
sucre (voir le tableau), 8,662 quintaux de sucre cristallisé très blanc
valant à la Jamaïque au moins 15 schellings par quin-
tal (18 francs 75 centimes pour 42 kilogrammes) . . . 6,497 l. st.
6,785 gallons de rhum 30 pour 100 sur preuve
a 3 schellings 1,017
Total 7,514 l. st.
A déduire comme ci-dessus 3,390
Balance 4,124 l. st.
Soit 103,100 francs.
Ce compte fait ressortir une balance de 4,124 livres ster-
ling ( 103,100 francs) en raison de laquelle, après déduc-
tion de quelques frais que j e n'y ai pas fait figurer, on doit
assurément y découvrir un bénéfice!

614
APPENDICE.
NOTE II.
Tableau indiquant la pesanteur spécifique de diverses solutions
de sucre à différents degrés de saturation.
Tableau de la densité des solutions de sucre selon l'échelle de Baumé.

APPENDICE.
615
NOTE I I I .
Rapport entre la pesanteur spécifique et le degré pour 100 sur preuve
du rhum à la température de 60 degrés Fahrenheit.
FIN DE L'APPENDICE.


TABLE DES MATIÈRES
Pages.
ÉPITRE DÉDICATOIRE 1
PRÉFACE 5
CHAPITRE. I. — Coup à"'œil rapide sur l'histoire de la
canne à sucre.
§ 1. Différentes espèces de cannes et leurs propriétés. . . . 9
2. Canne de Bourbon 11
3. Canne jaune d'Otaïti 12
4. Canne rayée de pourpre ou à rubans 14

5. Canne de Batavia 15
— — jaune violette —
— — pourpre violette 16
— — transparente ou à rubans 17
— — tibboo 18
6. Canne de l'île Maurice 19
7. Canne d'Assam —
8. Canne rouge du Bengale ou tibboo mérah 21
9. Cannes noire et jaune du Népaul 22

10. Canne de la Chine (saccharum Sinense ) 23
11. Canne de Salangore 27
12.
Tibboo leeut (canne d'argile) et tibboo teelor (canne
aux œufs ) 31
13. Tibboo étam obat (canne noire médicinale) 34
CHAPITRE II. — La canne à sucre. — Influence du sol, du
climat et des saisons sur cette plante.
§ 1. La canne à sucre (saccharum officinale) 37
2. Propriétés du sucre de canne —
3. Variations dans la nature sucrée du jus de canne. . . . 40

618
TABLE
Pages.
4. Physiologie végétale de la canne 41
5 Séve ascendante et descendante 46
6. Séve, et organes d'assimilation —
7. Racines. — Leurs fonctions particulières 47
8. Appropriation du carbone, de l'hydrogène et de
l'oxygène,
à la nourriture de la canne 49
9. Distribution des feuilles ; leurs fonctions spéciales dans
le développement parfait des nœuds 50
10. Pratique ordinaire de l'enlèvement des feuilles. . . . 51
11. De la formation des graines parfaites par la canne à

sucre 52
12. Affirmation de Bruce à ce sujet 53
13. Absence d'expériences prouvant la formation des graines

de la canne 54
14. Semences de canne à sucre, inconnues et improbables.. 56
15. Semences de cannes n'existant ni en Égypte ni ailleurs. 57
16. Différence de culture de la canne aux Indes orientales
et aux Indes occidentales 59
17. Composition du sol. — Formation granitique. — Pierre
calcaire. — Pierre ferrugineuse. — Pyrite ferrugineuse. 62
18. Culture chinoise. — Culture malaise 69
19. Principes salins du
sol. — Terre à briques 72
20. Causes de stérilité. — Terre couleur chocolat 75
2 1 . Climat et son influence, — Effets funestes de la gelée. 79
2 2 . Influence des saisons. — Pertes subies faute d'y avoir

égard 81
2 3 . Fléchage ou floraison de la canne aux Indes orientales. 84
24. Influence de l'atmosphère 86
CHAPITRE III. — Mode de culture de la canne, comprenant les labours,
la plantation, les binages, sarclages, buttages, éclaircissement des
feuilles, etc., aux Indes occidentales, aux Indes orientales et aux
colonies des détroits malais. — Des meilleurs cultivateurs pour les
plantations de canne à sucre.

§ 1. Remarques préliminaires . . . 89
2. Erreurs du système suivi aux Indes occidentales. .. 90

DES MATIÈRES. 619
Pages.
3. Système qui devrait être adopté 99
4. Sommaire des opérations recommandées 103
5. Observations sur ces opérations 104
6. Plantations de canne à sucre abandonnées 121
7. Elles pourront être reprises avec des capitaux et une

bonne direction 1 2 2
8. Émigrants chinois, cultivateurs pour les Indes occiden-
tales 124
9. Émancipation des nègres 126
10. Besoin de travailleurs et d'un emprunt 128
11. Émigration des cultivateurs chinois pour les Indes occi-
dentales 129
12. Position et caractère des Chinois dans les colonies des
détroits malais 133
13. Modèle de contrat entre un planteur et des émigrants
chinois 136
14. Modèle de contrat entre des émigrants chinois et un planteur 136
15. Observations sur les émigrants et leurs contrats. . . . 140
16. Laboureurs chinois aux Indes occidentales 145

17. Femmes chinoises comprises dans cette émigration. . . 146
18. Émigration chinoise d'Amoy, Shanghaï et Hong-Kong. 150
19. Passage des Chinois aux Indes occidentales 151

20. Travaux pris à l'entreprise par les Chinois 162
21. Le climat des Indes occidentales et les Chinois. . . . 167
22. Grande supériorité du laboureur chinois 166
23. Plantations à Démérary. — Leurs particularités. . . . 169
24. Machine à vapeur mobile. — Sa grande utilité pour les

labours, etc. . . . 171
25. Éclaircissement et buttage des cannes à Démérary. . . 183
26 Mauvais émigrants chinois
(jail birds) à la Trinité et à
l'île Maurice 184
27. Culture de la canne aux colonies des détroits malais. . 186
28. Contrats avec les Chinois dans la province de Wellesley.

— Plantations de canne à sucre dans cette province. . 189
29. Nécessité des labours à la charrue. — Éléphants, buffles
et bœufs de labour, etc 195

620
TABLE
Pages.
30. Force motrice la plus écomonique pour la charrue —
Frais de la culture à la charrue. — Différence de frais
entre ce labour et le labour à la houe. . 196

31. Labours par des éléphants ou par des buffles 198
32. Différence du prix du fret entre les détroits malais et les
Indes occidentales 206
33. Avantages des travaux à l'entreprise dans les planta-
tions 207
34. Mode de culture des Chinois dans les colonies des dé-
troits. 209
35. Parties défectueuses de la culture chinoise dans ces colo-
nies 212
36. Avantages de la culture de la canne à sucre aux colonies
des détroits malais 214
37. Culture de la canne à sucre au Bengale 215
38. Mode de culture suivi par les naturels, — par les Euro-

péens 216
39. Culture ryote ou assameeuwar 225
40. Culture neez 228
41. Culture par les planteurs européens. — Charrues recom-

mandées au planteur du Bengale. — Charrue améri-
caine perfectionnée 229

42. Plantation de la canne au Bengale. — Saison favorable. 235
43. Machines à vapeur mobiles pour les plantations aux

Indes orientales 240
44. Bœufs préférables aux éléphants pour les labours au Ben-
gale 241
45. Soins à donner au bétail dans l'Inde orientale pendant
la saison des pluies 243
46. Rejetons de la canne. — Ne sont pas avantageux au Ben-
gale 246
47. Observations générales sur les plantations de canne à
sucre. — Avantages particuliers de la colonie de Ma-
lacca pour l'industrie sucrière 248

DES MATIÈRES.
621
CHAPITRE IV. — Des engrais considérés chimiquement.
Pages.
§ 1 . Objet spécial de l'emploi des engrais 2 5 3
2 . Conversion de la matière organique en humus 2 5 4
3 . Carbone fourni par l'atmosphère, etc 256
4. Influence atmosphérique 257
5 . Consommation de la houille comme chauffage 2 5 8

6. Abondance excessive du bois aux colonies des détroits.. 2 6 1
7. Vignes fumées avec leurs propres débris. — Le même
principe applicable à la canne à sucre 2 6 3
8. Houille. — Chauffage moins cher que le marc de cannes.
— Marc de cannes le meilleur des engrais pour la
canne 2 6 9
9. Culture de l'herbe de Guinée 2 7 0
10. Fumure du sol avec différentes plantes 2 7 2
1 1 . Tableau des engrais 2 7 5
12. Engrais au point de vue chimique. — Marc de cannes.

— Son emploi comme engrais aux Indes 2 7 9
13. Engrais au point de vue chimique. — Déchets de la su-
crerie. — Engrais humain. — Fumier des bestiaux. —
Engrais humain et urine. — Guano, nuisible à la canne.

— Os broyés. — Marne. — Argile. — Charbon. —
Plâtre. — Chaux. — Sable. — Limon. — Sel. — Chaux
et suie 2 8 5
1 4 . La canne est pour elle-même le meilleur engrais. . . . 3 4 3
15. Antipathie des fourmis blanches pour l'huile de pétrole. —
CHAPITRE V. — Des irrigations
§ 1. Irrigations dans les jardins anglais. — Ouvrages de sir
Charles Grey sur les irrigations 3 4 5
2. Irrigations aux Indes occidentales.— Eau de rivière. —
Oxygène qu'elle fournit à la végétation 3 4 7
3 . Avantages de l'irrigation 3 5 1
4. Irrigation dans différents pays; — dans l'Inde par les

moulins à vent;—dans l'Inde supérieure; — par la
force de la vapeur; — par la machine à vapeur de
Cambridge; — par la machine hydraulique de Walker;
— par la pompe ordinaire, etc 3 5 9

622
TABLE
Pages
5. Usage bienveillant des Indiens de construire des puits
et des bassins publics 385
CHAPITRE VI. — Instruments et machines.
§ 1. Charrues primées de Ransome et May 389
2. Charrue à sous-sol de Rackheath . 394
3 . Charrue à deux socs. — Houe à cheval 395
4. Cultivateur indien breveté de Ransome. — Coupe-cannes

du même constructeur 401
5. Machine à vapeur fossoyeuse de Blyth 404
6. Irrigateur de Baddeley 405
7. Description de la machine à niveler 407
8. Utilité des chemins de fer dans les plantations. — Frais

qu'ils nécessitent 409
9. Système de chemins de fer pour les plantations 411
CHAPITRE VII. — Construction et disposition d'une fabrique de sucre
et de rhum, comprenant la description du moulin, de la sucrerie, de
la purgerie et de la distillerie, avec les machines et appareils à em-

ployer.
§ 1. Construction d'une fabrique de sucre et de rhum. — Ses
dispositions particulières 415
2. Plan d'une fabrique perfectionnée 416
3. Force motrice pour le moulin. — Eau. — Vent. — Bêtes

d'attelage. — Vapeur 423
4. Machine à vapeur et moulin à sucre de Wood 430
5. Saturation du marc de cannes 437
8. Prix du moulin et de sa machine 439
7. Agencement des cylindres du moulin 441
8. Appareils de la sucrerie 443

9. Évaporateurs perfectionnés de Blyth 444
10. Évaporateurs à vapeur de Shear et fils 458
11. Perfectionnements résultant de l'emploi de la vapeur. . 464
12. Valeur relative des chaudières de cuivre et de fer. . 466

13. Placement des évaporateurs et admission de l'air. . . 467
14. Placement des clarificateurs et précipitateurs 469
15. Filtres de Peyron et Dumont 470

DES MATIÈRES. 623
Pages.
16. Filtre au charbon perfectionné de Shear 471
17. Propriétés du charbon animal. — Avantages du filtrage

au charbon 474
18. Appareil en cuivre pour la concentration dans le vide. 478
19. Prix de cet appareil. 483

20. Purgerie et ses appareils 484
2 1 . Distillerie. — Cuves à fermentation. — Alambics, — Ob-

servations sur la distillerie 487
CHAPITRE VIII. — Fabrication du sucre. — Trituration de la canne.
— Principes constituants du jus de canne. — Défécation. — Éva-
poration. — Concentration. — Granulation. — Purgerie.
§ 1. Trituration des cannes au moulin 493
2. Expression du jus de canne 495
3. Substances contenues dans le jus de canne. — Sucre.
— Fibre ligneuse. — Gluten. — Fécule verte. — Chlo-
rophylle. — Gomme. Matières salines 496
4. Nature fermentescible du jus de canne 513
5. Effets de la fermentation sur le jus de canne . . . . . 515
6. Moyens de prévenir la fermentation —
7. Filtration du jus à froid 517
8. Explication de l'action de la chaux sur le jus de canne. . 518
9. Défécation telle qu'elle est pratiquée dans quelques plan-

tations 519
10. Observations sur les méthodes de défécation 522
11. Défécation dans les clarificateurs et les précipitateurs. . 523
12. Importance d'une défécation complète 526

13. Défécation par les raffineurs d'Howard et la chaux. —
Défécation d'après les principes de Dutrône 527
14. Séparation des impuretés par le repos. — Moyens de
prévenir la perte de chaleur 529
15. Défécation par le sulfate d'alumine et la chaux. — Défé-
cation par le sulfate d'alumine seul 537
16. Systèmes de défécation, de fabrication du sucre et de
concentration recommandés 540
17. Avantages de l'appareil de concentration de Kneller.. . 548

624 TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
1 8 . Défense des principes de cristallisation de Dutrône. . . 5 5 0
19. Importance du principe de la cuisson modérée 5 5 2
2 0 . Observation sur le mode actuel de fabrication du sucre. 5 5 5
21. Traitement du sirop concentré 5 5 9
2 2 . Moules de Dutrône pour la purgerie 5 6 0
23. Chaudière pneumatique pour expulser les mélasses. . . 5 6 3
24. Caisses pour l'exportation du sucre 5 6 4
2 5 . Récapitulation 5 6 6
26. Résumé des points essentiels 5 7 2
CHAPITRE IX. — De la distillation du rhum.
§ 1 . Analyse des mélasses 5 7 7
2 . Des écumes 5 8 0
3 . Du dunder 5 8 2
4 . Quantité d'alcool contenue dans le sucre 5 8 6
5. Proportions de la mélasse et du rhum 5 8 7
6. Proportions des éléments du mélange à distiller. . . . 5 9 0
7 . De la fermentation 5 9 3
8 . Influence de l'oxygène sur la fermentation 5 9 4
9 . Précipitation du gluten par l'alcool 5 9 6
1 0 . Importance essentielle de la propreté 5 9 7
11. Distillation. — Alambic simplifié de Shear. — Alambic
double . 5 9 8
12. Alambic ordinaire à double cornue 6 0 3
1 3 . Force et saveur du rhum 6 0 4
1 4 . Moyen de corriger le goût du rhum récent 6 0 6
1 5 . Préparation de la couleur et coloration du rhum. . . . 607
16. Conclusion 6 0 9
APPENDICE 611
NOTE I . . . . —
NOTE II 6 1 4
NOTE III 6 1 5
FIN DE LA TABLE.
Paris. — Imprimerie d'E. DUVERGER, rue de Verneuil, n° 6.





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