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GÉOGRAPHIE
COMPLÈTE ET UNIVERSELLE.
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Bibliothèque Alexandre Franconie
Conseil général de la Guyane

PARIS. — TYPOGRAPHIE DE EUGÈNE PENAUD,
10, rue du Faubourg-Montmartre.



MALTE-BRUN
GÉOGRAPHIE
COMPLÈTE ET UNIVERSELLE
NOUVELLE ÉDITION,
CONTINUÉE JUSQU'A NOS JOURS, D'APRÈS LES DOCUMENTS SCIENTIFIQUES LES PLUS RÉCENTS
LES DERNIERS VOYAGES ET LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES
PAR V.-A. MALTE-BRUN FILS
Rédacteur en chef des NOUVELLES ANNALES DES VOYAGES
Secrétaire-adjoint et membre de la Commission centrale de la Société de Géographie
Professeur d'histoire et de géographie au collége Stanislas
ILLUSTRÉE DE
50 gravures, 8 cartes, 5 planches
et du portrait de l'auteur.
TOME CINQUIÈME
PARIS
MORIZOT, LIBRAIRE - EDITEUR ,
3, RUE PAVÉE—SAINT-ANDRÉ.




PRÉCIS
DE
LA GÉOGRAPHIE
UNIVERSELLE
LIVRE CENT UNIÈME.
Description de l'Amérique. — Considérations générales.
— Orographie et géologie de
l'Amérique. — Origine des Américains.
Deux fois déjà l'histoire des découvertes géographiques nous a conduit
sur les rivages du Nouveau-Monde-, nous y avons suivi les navigateurs de
la Scandinavie 1, et, après avoir vu disparaître ou s'obscurcir les notions
qu'ils avaient recueillies, nous avons de nouveau accompagné l'immortel
Colomb dans ce continent qui aurait dû porter son nom 2. Notre marche
descriptive nous y ramène. Nous allons parcourir les diverses régions de
cette partie du monde; mais, conformément à notre méthode, nous jette-
rons d'abord un coup d'oeil sur sa physionomie générale, ainsi que sur la
race d'hommes qui l'habite.
'
L'esprit de système a exagéré tantôt les similitudes et tantôt les diffé-
rences qu'on a cru observer entre l'Amérique et l'ancien continent. Les
1 Voyez notre vol. I, p. 288-291.
2 Ibid., p. 374 et suiv.
V.
1

2
LIVRE CENT UNIÈME.
formes extérieures du Nouveau-Monde nous frappent, il est vrai, au premier
coup d'œil, par le contraste apparent qu'elles présentent avec l'ancien.
L'immense île que forment l'Asie, l'Afrique et l'Europe, offre un ovale dont
le grand axe est très-incliné vers l'equateur ; le contour en est assez égale-
ment interrompu de deux côtés par des golfes ou des méditerranées; les
fleuves découlent de toutes parts dans une proportion à peu près égale.
L'Amérique présente, au contraire, une figure allongée, découpée, indéfi-
nissable, mais dont le côté le mieux marqué présente une courbe à plusieurs
courbures, dirigée presque dans le sens des deux pôles ; deux grandes
péninsules sont liées ensemble par un long isthme qui, soit par sa forme,
soit par la nature des roches primitives qui le composent, ne ressemble en
rien à l'isthme entre l'Afrique et l'Asie; les grands golfes, les méditerranées
d'Amérique ont leur ouverture du côté oriental : le côté opposé offre un
rivage uni, et ne présente qu'aux deux extrémités quelques dentelures;
enfin, les grands fleuves coulent presque exclusivement vers l'océan
Atlantique.
Ces différences réelles disparaissent cependant, ou perdent du moins
leur importance, lorsqu'en contemplant l'ensemble du globe, on s'aperçoit
que l'Amérique n'est que la continuation de la ceinture de terres élevées
qui, sous les noms du plateau de Cafrerie, d'Arabie, de Perse, de Mongo-
lie, forment le dos de l'ancien continent, et qui, à peine interrompues au
détroit de Bering, forment également les monts Rocheux ou Colombiens, le
plateau du Mexique et la grande chaîne des Andes. Cette ceinture de mon-
tagnes et de plateaux, semblable à un anneau écroulé et retombé sur sa
planète, présente, généralement parlant, une pente plus rapide et plus courte
du côté du bassin du grand Océan que du côté des océans Atlantique et
Glacial. Voilà le grand fait commun à l'un et l'autre continent, et dans
lequel les différences secondaires s'absorbent.
Les montagnes du Nouveau-Monde peuvent se diviser en cinq systèmes,
dont deux appartiennent à l'Amérique septentrionale et trois à l'Amérique
méridionale.
1° Le système Orégo-Mexicain, commençant à l'extrémité la plus septen-
trionale de l'Amérique, et se terminant vers le golfe de Darien, se divise en
deux groupes : le groupe occidental, comprenant la Cordillère du Nouveau-
Cornouailles et celle de la Californie; le groupe oriental, comprenant les
monts Oregon ou montagnes Rocheuses, les monts Ozarks, la Cordillère du
Nouveau-Mexique, celle de Durango, celle d’Oaxaca et de Mexico, celles
de Guatemala, de Veragua et de Costa-Rica.

AMÉRIQUE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
3
2° Le système Alleghanyen est formé de plusieurs chaînes réunies comme
un seul groupe.
3° Le système Ando-Péruvien pourrait être considéré comme formé de
quatre groupes qui seraient, à proprement parler, les quatre grandes divi-
sions adoptées par M. de Humboldt : 1°les Cordillères de la Nouvelle-Gre-
nade; 2° les Andes du Pérou; 3° les Andes du Chili et du Potosi ; 4° les
Andes Patagoniques. Les nœuds ou points de jonction de chacune de ces
divisions déterminent la limite naturelle de chaque groupe.
4° Le système Parimien se compose de plusieurs chaînes dont la plus
importante est la Sierra-Parme.
5° Le système Brésilien s'étend sur le côté oriental de l'Amérique, depuis
le 4e degré de latitude méridionale jusqu'à l'embouchure du Rio-de-la-
Plata 1
Esquissons la constitution géognostique de ces montagnes. Les nom-
breuses observations du major Long ont fait connaître celle de l'Amérique
septentrionale. Le mont Saint-Elie, dont la cime volcanique, élevée
de 5,113 mètres, est couverte de neige, forme un des points les plus sep-
tentrionaux de la longue chaîne granitique qui borde les côtes occidentales
de l'océan Pacifique jusqu'à la pointe de la Californie, et qui, par une chaîne
transversale, se rattache aux montagnes Rocheuses. Les montagnes
Rocheuses appartiennent aux différentes roches de cristallisation, c'est-à-
dire aux terrains primordiaux. Le calcaire s'y montre rarement-, le granit
et les rochers qui l'accompagnent paraissent y dominer. Depuis le cours de
la rivière de la Paix, sous le 56e parallèle, jusqu'à celui du Missouri, on a
peu examiné la constitution physique de ces montagnes ; il est cependant
probable que, dans cette région, on retrouve les mêmes roches que dans
celles qui lui succèdent au sud. A partir des montagnes Noires s'étend,
vers l'orient et le midi, un immense désert dont le diamètre moyen est de
plus de 200 lieues ; toute sa surface est couverte d'un sable granitique. Sur
le revers opposé des montagnes Rocheuses, on traverse un désert presque
aussi considérable, jusqu'au pied des montagnes de la Nouvelle-Californie.
Près de l'embouchure de la rivière Plate, qui porte ses eaux au Missouri,
on remarque des roches calcaires en couches horizontales, qui vont se ratta-
cher à la chaîne des monts Ozarks. Au sud de la rivière de l'Arkansas, le
désert n’offre plus que des sables fins, qui forment de petites buttes ondu-
lées , comme si ce terrain avait été occupé jadis par les eaux d'un lac
1 Voyez l'article Montagnes dans l'Encyclopédie moderne, et l'article Système des
montagnes, dans l'Encyclopédie méthodique, par M. Huot.

4
LIVRE CENT UNIÈME.
immense. Les collines de grès micacé et de poudingues qui s'élèvent au
bas des montagnes Rocheuses, sont séparées des masses granitiques par
une zone de roches micacées dont les couches sont fort inclinées. Les grès
de ces collines renferment des animaux marins et des plantes. Plus on s'ap-
proche des montagnes Rocheuses,plus ces grès deviennent ferrugineux; ils
sont couverts de dépôts argileux et schisteux dans lesquels on trouve sou-
vent de la houille. Près des sources de la rivière Canadienne, on reconnaît
un grand nombre de roches d'origine ignée, qui forment des buttes et des
collines ; les grès argileux qui les environnent contiennent des lits de gypse
et de sel gemme. Le plateau qui unit l'extrémité méridionale des mon-
tagnes Rocheuses avec les monts Ozarks est composé aussi de roches pri-
mordiales.
On retrouve, dans ces dernières montagnes, des grès micacés et des
roches quartzeuses alternant avec des calcaires de transition, c'est-à-dire
appartenant aux terrains de sédiment infra-inférieurs, sillonnés par des
filons plombifères. Un calcaire moins ancien succède à ces roches, dont
la série repose sur le granit que l'on aperçoit çà et là dans quelques
endroits.
La triple chaîne de l’ Alleghany, qui s'étend du sud-ouest au nord-est,
depuis le 34e parallèle jusqu'à l'embouchure du fleuve Saint-Laurent,
offre, à partir de son extrémité méridionale, une longue suite de montagnes
de grès, qui se termine à une région de schistes ardoisiers et de marnes
bleues, à laquelle succèdent, jusque vers le fleuve Saint-Laurent, diverses
roches granitiques. Entre le 41e et le 42e parallèle, on remarque, sur plu-
sieurs points de la chaîne, des masses basaltiques et d'autres produits ignés.
Les dépôts que supportent celles-ci sont en couches inclinées d'environ
45 degrés. Les roches appartenant aux terrains de sédiment inférieurs, tels
que les gypses, les calcaires et les grès houillers, forment une zone qui
s'étend jusqu'aux environs du lac Michigan. Les pentes qui se dirigent des
monts Alleghanys vers l'océan Atlantique et le golfe du Mexique, ainsi que
les terrains que traverse le Mississipi depuis sa réunion avec le Missouri,
sont couverts de dépôts d'alluvion et de transport.
La continuation méridionale des montagnes Rocheuses traverse le
Mexique, où des rochers porphyriques, trachytiques et basaltiques la con-
stituent en grande partie et forment les majestueux colosses volcaniques
des Andes.
·
Les montagnes du Mexique renferment des filons de métaux précieux
dont la richesse est telle que, jusqu'à présent, on peut les considérer comme

AMÉRIQUE. — CONSIDERATIONS GÉNÉRALES.
5
inépuisables. C'est surtout entre le 21e et le 24e parallèle que ces métaux
sont le plus abondants.
Les quatre groupes du système Ando-Péruvien présentent dès caractères
qui le distinguent du précédent. Suivant M. de Humboldt, il se montre par-
tout déchiré par des crevasses ; s'il y existe des plaines élevées de 2,700 à
3,000 mètres, comme dans l'ancien royaume de Quito et plus au nord dans
la province de Pasto, elles ne sont pas comparables en étendue à celles de
la Nouvelle-Espagne : ce sont plutôt des vallées longitudinales, limitées par
deux branches de la grande Cordillère des Andes. Au Mexique, au con-
traire, c'est le dos même des montagnes qui forme le plateau. Au Pérou,
les cimes les plus élevées constituent la crête des Andes : au Mexique, ces
mêmes cimes, moins élevées, sont dispersées sur le plateau.
La Cordillère se divise en trois chaînes parallèles, depuis le 7e degré au
nord de l'équateur jusque vers le 2e. Au sud des précédentes, les Andes ne
forment qu'un seul dos jusqu'au 6e parallèle; là elles se séparent en deux
chaînes, dont les sommets les plus élevés, rangés sur deux files, composent
une double crête. Leurs cimes colossales sont au nombre des plus hautes
du globe. Vers le 11e degré, les Andes se divisent en trois chaînes irrégu-
lières qui vont se terminer sur la rive droite de l'Amazone. Les Andes du
Chili et du Potosi occupent une largeur moyenne d'environ 45 lieues. Elles
renferment un grand nombre de volcans, dont une quinzaine se font remar-
quer par des éruptions continuelles, tandis que d'autres, plus nombreux
encore, lancent par intervalles d'épais nuages de fumée. Les AndesPatago-
niques sont encore peu connues ; elles sont beaucoup moins élevées que les
précédentes ; leurs plus hautes cimes ne dépassent guère 3 à 4,000 mètres;
leur extrémité méridionale, jusque vers le cap Pilar, n'en atteint que 400,
et s'abaisse de plus en plus jusqu'au détroit de Magellan. On y connaît
aussi plusieurs volcans.
Le granit se montre à découvert à la base des Andes, sur les côtes du
grand Océan. Tantôt il supporte le gneiss, et tantôt alterne avec lui. Il
est, ainsi que les roches qui l'accompagnent, en couches inclinées vers le
nord-ouest, ce qui indique la direction imprimée à la force volcanique qui
souleva les montagnes qu'elles forment. Ces granits renferment souvent
des couches de calcaire et de schiste ; ils sont ordinairement surmontés de
roches d'origine ignée, telles que des basaltes, des porphyres et des phono-
lithes, dont les profils, bizarrement taillés, ressemblent de loin à des édifices
en ruine. Au pied de ces montagnes reposent diverses masses de grès et des
dépôts de débris agglomérés sur lesquels s'appuient des calcaires anciens,

6
LIVRE CENT UNIÈME.
des gypses et d'autres roches. Enfin on trouve çà et là des dépôts d'alluvion
renfermant des ossements d'animaux gigantesques qui n'existent plus.
Ces montagnes sont traversées par des filons de divers métaux principa-
lement de fer et d'argent. Les mêmes montagnes fournissent aussi des éme-
raudes, des topazes et d'autres pierres précieuses.
Le système Parimien, compris entre le cours de l'Orénoque et celui de
l'Amazone, est bien peu important après celui que nous venons de parcou-
rir. Au lieu de composer une chaîne continue, il offre une suite de mon-
tagnes granitiques, séparées les unes des autres par des plaines et des
savanes, dont l'uniformité est interrompue çà et là par des masses de granit
qui imitent de loin des piliers et des ruines.
Les montagnes du Brésil occupent une superficie trois ou quatre fois plus
grande que le système précédent; mais elles sont inférieures en élévation :
les plus hautes ne dépassent pas 1,800 mètres. Elles se composent de trois
grandes chaînes parallèles, qui changent plusieurs fois de nom et qui pro-
jettent vers le nord et à l'ouest divers rameaux importants.
Le granit constitue la plus grande partie de toutes ces montagnes ; elles
présentent cependant aussi plusieurs formations calcaires. Les terrains
d'alluvion qui couvrent les vallées formées par les nombreuses branches du
système Brésilien renferment une si grande quantité d'or qu'on en retire par
le lavage près de 8,000 kilogrammes. La Serra-da-Tapollama, celle
do-Mar, et leurs prolongements, qui bordent la côte orientale, ainsi que
les montagnes plus éloignées vers l’ouest, renferment des filons argenti-
fères, mais ils ne sont nulle part d'une grande richesse. Il en est de même du
fer et du cuivre ; ces métaux paraissent être peu abondants au sein des
montagnes brésiliennes. Le plomb est exploité dans plusieurs localités;
l’étain et le mercure y sont assez rares. Quant aux diamants et aux autres
pierres précieuses, telles que la topaze et l'améthyste, on les trouve princi-
palement dans les terrains d'alluvion composés de cailloux roulés, aux
pieds des montagnes de la Serra-do-Mar, de la Serra-d'Espinhaço et de
celles qui sont à l'ouest du Rio-Grande.
Le niveau de l'Amérique présente véritablement une différence remar-
quable avec l'ancien continent. Cette différence ne consiste pas dans l'élé-
vation plus grande des montagnes; car si les Cordillères de la Bolivie et du
Pérou atteignent, par quelques-uns de leurs sommets, au niveau de
7,000 mètres, il est aujourd'hui certain que les montagnes du Tibet
s'élèvent à un niveau supérieur. Mais les plateaux qui servent de support
aux montagnes sont séparés en Amérique des plaines basses par une pente

AMÉRIQUE. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
7
extrêmement courte et rapide. Ainsi la région des Cordillères et celle du
plateau du Mexique, régions aériennes, tempérées et salubres, touchent
presque immédiatement aux plaines qu'arrosent le Mississipi, l’Amazone et
le Parana. Ces plaines mêmes, quelle que soit leur nature, qu'elles soient
couvertes d'herbes élevées et ondoyantes comme les savanes du Missouri ;
qu'elles offrent, comme les Llanos de Caraccas, une surface tantôt calcinée
par le soleil, tantôt rafraîchie par les pluies tropiques et revêtue de gra-
minées superbes, ou qu'enfin, semblables aux Pampas et aux Campos
Parexis, elles présentent à la fureur des vents leurs collines de sable mou-
vant, mêlées d'étangs saumâtres et couvertes de plantes salines, toutes
elles conservent, à des distances immenses, un niveau très-bas et rarement
interrompu par des coteaux ; car le système des montagnes Apalaches, ou
Alleghany, dans l'Amérique septentrionale, et celui des Cordillères du Bré-
sil, dans l'Amérique méridionale, ne sont liés au système des grandes Cor-
dillères que par des plateaux un peu plus élevés, ou par de simples escar-
pements et hauteurs de terrain.
De cette vaste étendue des plaines américaines, résulte l'immense lon-
gueur du cours des fleuves qui arrosent cette partie du monde. Le tableau
suivant peut donner une idée des grandes divisions physiques de l'Amérique.
TABLEAU des divisions physiques de l'Amérique.
HAUTEUR
en mètre
LIGNE
FLEUVES
NOM
de la
LONGUEUR
ou
SOURCE
de
au-dessus
en
COURS D'EAU
I)D VERSANT.
du
CEINTURE.
qui lui appartiennent.
kilomètr.2
1
niveau
de
l'Océan.
1° VERSANT
DE
Ce versant, qui s'étend du dé-
Youcon ou Rivière du Contrôleur.
.
.
»
1780?
L'OCEAN
6LA-
troit d'Hudson au détroit de Bé-
MACKENSIE ..............................................
»
2670
CIAL
ARCTIQUE ,
ling, se divise en deux parties , le opermine .............................................................
»
450
et de la MER
versant Je l'océan Arctique et le
Thleoni-c lio-dezeth ou rivière de Back..
»
1200 ?
D'HUDSON.
versant de la mer d'Hudson; le
»
1700
premier est incliné du sud vers le
Churchill ou Missinipi .....................................
»
1100
nord il. le second du sud ouest vers
Albany .................................................................... »
1100
le nord-est. Il s'appuie sur une
chaîne de montagnes peu élevées
qui séparent la région des grands
lacs du bassin du Mississipi.
II° VERSANT DU
Ce versant, très-long et trés-
Kousquoquim ou Kouskovim
»
1200
GRAND-OCÉAN.
élroit, n'est forme que de la lisière
?
maritime
occidentale des deux
COLUMBIA OU ORÉGON
1800
1650
Amériques, depuis le détroit de Bé-
Otchenankaue .............................
»
»
ring jusqu'au cap Froward II est
Lewis ................................................................
»
»
formé par le revers occidental des
Sacramento ..................................................................... 2000
250
Montagnes-Rocheuses, et des Cor-
Rio COLORADO OCCIDENTAL .....................................
»
1200
dillères des Andes ; il est incliné de
Gila ...........................................................
»
»
l'est vers l'ouest, et ne détermine
Yaquesila ............................................................................
»
»
des bassins de quelque étendue
San-Juan .......................................................................
»
»
que dans l'Amérique du nord.
Guayaquil .......................................................................
Maule .......................................................................
»
»
M
BIOBIO .......................................................................
300
»
350
1 Les fleuves qui forment les principaux bassins sont en majuscules; leurs affluents devant les accolades, les
luents de ceux-ci en italique ; les rivières sur le même alignement que les fleuves.
2 Nous observerons que toutes ces évaluations ne sont qu'approximatives. — On convertirait ces kilomètres en
géographiques en divisant chacun de ces nombres par 4,45.

8
LIVRE CENT UNIÈME.
HAUTEUR
en metre e
FLEUVES
NOM
LIGNE
de la
LONGUEUR
ou
SOURCE
de
ar.-dessus
en
COURS D'EAU
DU VERSANT.
du
CEINTURE.
qui lui appartiennent.
niveau
kilomètr.
de
l'Océan.
Ill"
SAINT-LAURENT .........................................................

VERSANT
DE
Cet immense versant s'étend sur
L’Ottawa ......................................................... 400
1000
L'OCÉAN ATLAN-
la plus grande partie des deux
»
Seguenai .........................................................
900
TIQUE ,
et
du
Amériques, il est déterminé par la
»
Connecticut .........................................................
GOLF» DU MEXI-
pente orientale des Montagnes-
Hudson .........................................................
»
650
QUE.
Rocheuses et des Cordillères, les
»
450
grands fleuves qui le sillonnent for-
Delaware
Susquehanna .........................................................
»
480
ment des bassins importants. Nous Polomac ......................................................... »
770
allons donner la ligne de ceinlure
»
590
des quatre principaux :
Savannah ......................................................... »
Appalachicola .........................................................
»
Bassin du Saint-Laurent.—
Mobile ......................................................... »
Il est formé par le versant occiden-
MISSISSIPI .........................................................
tal des Alléghany, par le versant
MISSOURI ......................................................... 500
5120 '
septentrional des plateaux qui le
»
Arkahansas .........................................................
»
2000
séparent du Mississipi, par le ver-
Rivière Rouge .........................................................
»
2470
sant méridional des collines qui le
1780
séparent de la mer d'Hudson.
J Wisconsin.
Ohio .........................................................
Cette ligne de ceinture est généra-
»
1518
lement peu marquée, l'inclinaison
j
ι Alleghany.
j
générale du bassin est de l'ouest à
f
\\ Tenessée.
»
l’est, il est unique sur le globe
450
par le grand nombre de lacs qu'il
Brasses de Dios.
renferme. Sa superficie peut être
Colorado de Texas.
Rio del Norte ou Bravo .........................................................
évaluée à
»
500,000 kilomèt. carrés ;
Conchos ......................................................... »
2200
»
Bassin du Mississipi. — Il
Salado .........................................................
»
»
est formé par le revers oriental des
Tampico ......................................................... »
»
Montagnes-Rocheuses
( Sierra-
»
Verde) à l'est ; au nord, par un dos
San-Juan de Nicaragua
Chagres ......................................................... »
180
de pays entre les eaux de la mer MAGDALENA ......................................................... »
130
d'Hudson elle Missouri, puis entre
1320
les eaux du fleuve Saint-Laurent
1 Bogota.
et le Mississipi; à l'est, par le revers
Sogamozo.
occidental du plateau Alléghanien.
Cauca.
ORÉNOQUE ......................................................... »
Il est incliné du nord-nord-ouest
2200
au sud-sud-est. C'est un pays gé-
Caroni.
néralement plat, couvert de sa-
Cassiquiare.
vanes et de forêts ; sa superficie
j Guaviare.
peut être évaluée a
Apure.
1,800,000 kilo-
Essequebo .........................................................
mètres carrés ;
»
750
Surinam.
Bassin de l’Amazône. Il
Oyapok ......................................................... »
280
est formé par le versant septen-
trional de la chaîne transversale de
AMAZONES, MARANON OU ORELLANA formé
la Cordillère Géral et des Sierras
par la réunion de l’Ucayale et du Tun-
guragua, il a ......................................................... »
3000
Vertentes, Santa Martha etTaba-
tinga, depuis le nœud de Porco
Depuis les sources du Tunguragua , il a.
2928
6000
jusqu'au cap Saint-Roque ; par le
Depuis les sources de l'Ucayale ,il a.
.
Apurimac ......................................................... 356·'
75· U
versant oriental des Andes du Pé-
Tunguragua ......................................................... 2560
»
900
»
rou, depuis le nœud de Porco jus-
Madelra ......................................................... »
2800
qu'au plateau de Pasto ; enfin, par
Beni .........................................................
le versant méridional des Sierra
3717
1200
Parima et Tumucumaque. Sa di-
Guapore.
Tapayos ......................................................... »
1280
rection générale e>t de l'ouest à
Xingu .........................................................
»
1440
l'est, il présente des aspects très-
Napo .........................................................
»
divers,
plateaux
montagneux,
Yupura .........................................................
1000
plaines hautes et stériles, landes,
»
1600
forêts et marécages ; sa superficie
1446
peut être évaluée à
Branco.
4,329,000 klo-
mètres carrés ;
\\
t Cassiquiare.
Tocantin ou Para ......................................................... »
2225
Bassin du Rio de la Plata.
Araguay ......................................................... »
1500
— Il est formé par le versant sep-
»
1830
tentrional des collines
SAN-FRANCISCO
.
et des pam-
RIO DE LA PLATA ......................................................... »
300
pas qui séparent le Rio-Négro de la
Paraguay ......................................................... »
33ου
Plata ; par le versant oriental des
Parana .........................................................
1600
Andes du Chili, depuis le mont Co-
Pilcomayo ......................................................... 4888
1780
quimbo jusqu'au nœud de l'orco ;
Uruguay ......................................................... »
1600
enfin, par le versant méridional de Rio-Negro du sud ......................................................... »
800
la chaîne transversale de la Cordil-
Rio-Santa-Cruz .........................................................
»
»
lère Gérai et de la Sierra Ver-
Rio-Gallego .........................................................
»
»
tentes. Il est incliné du nord-ouest
au sud-est. Pays plat, souvent ma-
récageux, offrant à la fois des
plaines stériles et des pâturages
excellents; sa superficie peut être
évaluée à 2,947,000 kilom. carrés.
■ Si l'on prend le Missouri, pour continuation du ι Mississipi, la longueur totale du cours du estalors du fleuve est alors
de 7,000 kilomètres.
La continuité du même niveau fait aussi que les bassins respectifs dos

AMÉRIQUE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
9
fleuves ne sont nulle part moins distincts ·, ils ne sont séparés que par de
faibles crêtes ; souvent même ils ne le sont pas du tout : aussi plusieurs
fleuves confondent-ils, dans la partie supérieure de leurs cours, des eaux
destinées à des embouchures différentes. Ainsi l'Orénoque et le Rio-Négro,
affluent de l'Amazone, communiquent par le Cassiquiare ; on croit qu'un
bras semblable unit le Beni et le Madeira. Il paraît que dans la saison plu-
vieuse on passe en bateau des affluents du Paraguay dans ceux de l'Ama-
zone, qui circulent dans la plaine élevée appelée Campos-Parexis. La
même circonstance produit dans l'Amérique septentrionale un nombre
infini de lacs. Ceux de l’ Esclave, d’Assiniboine, de Ouinipeg, sont envi-
ronnés d'une centaine d'autres encore très-considérables, et de plusieurs
milliers de petits, bordés généralement de petites crêtes de rochers, comme
le sont ceux de la Finlande. Le terrain devient moins aquatique en avan-
çant au sud; cependant le lac Supérieur, le Michigan, l’Huron, l’Erié et
l’Ontario, forment, dans le Canada, comme une mer d'eau douce, dont le
surplus se précipite par le fleuve Saint-Laurent dans les flots atlantiques.
L'Amérique méridionale, sous un climat plus ardent, voit ses lacs naître et
disparaître avec la saison des pluies ; le Xarayes et VYbera sont de ces lacs
plus ou moins périodiques, parmi lesquels le douteux Parima pourra un
jour prendre sa place.
De cette division générale de l'Amérique en plateaux montagneux très-
élevés et en plaines très-basses, il résulte un contraste entre deux climats
très-différents et pourtant très-rapprochés l'un de l'autre. Le Pérou, la val-
lée de Quito, la ville de Mexico, quoique situés entre les tropiques, doivent
à leur élévation une température printanière ; ils voient même les Paramos,
ou les dos de leurs montagnes, se couvrir des neiges qui séjournent, même
perpétuellement, sur quelques sommets, tandis qu'à peu de lieues de là une
chaleur souvent malsaine étouffe l'habitant des ports de Vera-Cruz ou de
Guayaquil. Ces deux climats donnent naissance à deux systèmes différents
de végétation ·, la flore des zones torrides sert de bordure à des champs et
des bosquets européens. Un semblable voisinage ne peut manquer d'occa-
sionner fréquemment des changements subits par le déplacement de ces
deux masses d'air, si diversement constituées ; inconvénient général en
Amérique. Mais partout ce continent éprouve un moindre degré de cha-
leur. L'élévation seule explique ce fait pour la région montagneuse; mais
pourquoi, se demande-t-on, s'étend-il aux contrées basses? Voici ce que
répond un habile observateur : « Le peu de largeur du continent, sa pro-
« longation vers les pôles glacés ; l'Océan, dont la surface non interrompue
Y.
2

10
LIVRE CENT UNIEME.
« est balayée par les vents alizés ; des courants d'eau très-froide qui se
« portent depuis le détroit de Magellan jusqu'au Pérou ; de nombreuses
« chaînes de montagnes remplies de sources, et dont les sommets couverts
« de neige s'élèvent bien au-dessus de la région des nuages ; l'abondance
« de fleuves immenses qui, après des détours multipliés, vont toujours
« chercher les côtes les plus lointaines; des déserts non-sablonneux, et
« par conséquent moins susceptibles de s'imprégner de chaleur; des forêts
« impénétrables qui couvrent les plaines de l'équateur remplies de rivières,
« et qui, dans les parties du pays les plus éloignées de l'Océan et des mon-
« tagnes, donnent naissance à des masses énormes d'eau qu'elles ont aspi-
« rées, ou qui se forment par l'acte de la végétation : toutes ces causes
« produisent, dans les parties basses de l'Amérique, un climat qui con-
« traste singulièrement, par sa fraîcheur et son humidité, avec celui de
« l'Afrique. C'est à elles seules qu'il faut attribuer cette végétation si
« forte, si abondante, si riche en sucs, et ce feuillage si épais qui forment
« les caractères particuliers du nouveau continent1. »
En considérant ces explications comme suffisantes pour l'Amérique
méridionale et le Mexique, nous ajouterons, par rapport à l'Amérique
septentrionale, qu'elle n'a presque pas d'étendue dans la zone torride, et
qu'au contraire, comme nous le verrons au livre suivant, elle se prolonge
probablement très-loin dans la zone glaciale; que peut-être même elle
atteint et enveloppe le pôle. Ainsi la colonne d'air glacial inhérente à ce
continent ne se trouve pas contre-balancée par une colonne d'air équato-
rial. De là résulte une extension du climat polaire jusqu'aux confins des
tropiques; l'hiver et l'été luttent corps à corps, les saisons changent avec
une rapidité étonnante. Une heureuse exception favorise la Nouvelle-Albion
et la Nouvelle Californie, qui, étant à l'abri des vents glacés, jouissent de
la température analogue à leur latitude.
Les productions de l'Amérique offrent quelques particularités. La moins
contestable est cette extrême abondance de l'or et de l'argent, même à la
surface de la terre, mais principalement dans les veines des roches schis-
teuses qui composent les Cordillères du Chili, du Pérou et du Mexique.
L'or abonde plus dans la première région, l'argent dans la dernière. Au
nord des montagnes du Nouveau-Mexique, les plaines, les marais et les
petites chaînes de rochers offrent très-souvent de vastes dépôts de cuivre.
Avant de se demander pourquoi le nouveau continent se distingue par une
si grande richesse métallique, il faudrait sans doute demander si l'inté-
1 A. de Humboldt: Tableau de la nature, t. I, p. 23, traduction de M. Eyriès.

AMÉRIQUE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
11
lieur de l’Afrique ne renferme pas de semblables régions métallifères; si
même celui de l'Asie n'en renfermait pas jadis qui aujourd'hui sont épui-
sées. En supposant l'Amérique décidément supérieure sous ce rapport, on
doit avouer que le gisement de ses minerais, la situation de ses mines, et
d'autres circonstances de géographie physique, n'ont pas encore été décrites
avec assez de soin pour indiquer une cause à cette supériorité.
En Amérique, comme dans toutes les régions du monde, les races ani-
males paraissent être proportionnées, par leur nombre et leur taille, à
l'étendue de la terre qui les a vues naître. Le bœuf musqué et le bison dans
l'Amérique septentrionale, l'autruche magellanique dans l'Amérique méri-
dionale, égalent par la taille les espèces analogues de l'ancien continent;
l'élan, ou le cerf de la Nouvelle-Californie, atteint même une taille gigan-
tesque; tous les autres quadrupèdes, tels que le lama, le guanaco, le
juguar, l'anti, le cèdent en grandeur et en force à leurs semblables dans
l'Asie et l'Afrique. Ce fait n'est rien moins qu'exclusivement particulier
au nouveau continent. Les animaux connus de la Nouvelle-Hollande sont
à leur tour plus petits que ceux de l'Amérique.
La vie végétale, qui dépend de l'humidité, montre au contraire une
extrême force dans la plus grande partie du nouveau continent. Les pins
qui ombragent la Columbia, et dont la tige s'élève perpendiculairement à
une hauteur de 100 mètres, méritent d'être considérés comme les géants du
règne végétal. On peut citer après eux les platanes et les tulipiers de
l’Ohio, qui ont 12 à 15 mètres de circonférence. Les terres basses de l'une
et l'autre Amérique se couvrent de forêts immenses; cependant la nudité
d'une partie de la région du Missouri, des plateaux du Nouveau-Mexique,
des Llanos de Caraccas, des Campos-Parexis et des Pampas, c'est-à-dire
d'un quart de ce continent, doit nous engager à éviter encore, sous le
rapport de la végétation, toutes les phrases exagérées qui se propagent
dans les descriptions.
Un fait plus positif, c'est la différence absolue d'un grand nombre d'ani-
maux et de végétaux américains d'avec ceux de l'Ancien-Monde. A l'excep-
tion des ours, des renards et des rennes qui ne redoutent pas la zone gla-
ciale; à l'exception des phoques et des cétacés, habitants de tous les
rivages; à l'exception du tapir découvert récemment dans l'Inde, tous les
animaux des deux Amériques paraissent former des espèces particulières,
ou du moins des races distinctes. Le bison et le bœuf musqué, appelé ovibos
par M. de Blainville, animaux qui paissent depuis les lacs du Canada jus-
qu'aux mers de Californie ; le couguar et le jaguar, qui font retentir leurs
I

12
LIVRE CENT UNIÈME.
rugissements depuis l'embouchure du Rio del Norte jusqu'au delà de
l'Amazone; le pécari et le patira, semblables aux sangliers; le cabiai,
l'agouti, le paca et d'autres espèces rapprochées du lapin ; les fourmiliers,
les tamanduas, les tamanoirs, tous ces dévorateurs d'insectes; le paresseux
et faible aï, l'utile lama avec la vigogne, le léger sapajou, les éclatantes
perruches et le joli colibri, tous diffèrent essentiellement de ceux même
parmi les animaux de l'ancien continent desquels ils se rapprochent le plus.
Tous ces animaux particuliers à l'Amérique forment, comme ceux de la
Nouvelle-Hollande, un ensemble à part et évidemment originaire de la terre
qu'ils habitent. Voudrait-on nous persuader que le couguar et le jaguar
sont arrivés à la nage de l'Afrique? Prétendrait-on que le touyou ou jabiru,
porté sur ses ailes impuissantes, ait traversé l'océan Atlantique? Certes,
personne ne soutiendra que les animaux du Pérou et du Mexique aient pu
passer d'Asie en Amérique, puisque aucun d'eux ne saurait vivre dans la
zone glaciale qu'ils auraient nécessairement dû traverser. 11 est également
impossible de supposer que tous les animaux existants sur le globe soient
venus de l'Amérique, de sorte que ceux qui voudraient placer le paradis
terrestre aux bords de l'Amazone ou de la Plata ne seraient pas plus avan-
cés dans cette discussion que ceux qui le placent aux bords de l'Euphrate.
Il ne reste que la ressource banale d'un « immense bouleversement, d'une
« vaste terre engloutie dans les flots, » et qui jadis aurait uni l'Amérique
aux parties tempérées de l'Ancien-Monde. Mais ces sortes de conjectures,
dénuées de tout appui historique, ne méritent pas d'être discutées. Nous ne
pouvons donc qu'admettre la naissance des races animales d'Amérique sur
le sol même qu'encore aujourd'hui elles habitent 1.
Cette origine une fois admise, nous devons faire remarquer une circon-
stance commune aux deux continents. Les espèces qui dans l'Amérique
représentent le lion et le tigre habitent la zone torride ; elles semblent puiser
dans les feux d'un climat ardent la férocité qui les anime. Dans la même
région, les formes de l'anti ou tapir rappellent de loin celles de l'éléphant ;
le prolongement des cartilages paraît aussi appartenir à la zone torride. Les
oiseaux aux ailes imparfaites, au plumage éparpillé, l'autruche d'Afrique et
le casoar de la Nouvelle-Hollande, réclament pour parent le touyou de
l'Amérique méridionale. Les grands insectes, les énormes reptiles et les
oiseaux à plumage éclatant et bigarré, peuplent les régions chaudes de l'un
et de l'autre continent. Le climat des régions tempérées semble encore
1 Mylius : de Origine animalium et migratione gentium, p. 56. Genevas, 1667.
Buffon, etc., etc.

AMÉRIQUE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
13
avoir produit les mêmes effets sur les races animales. Les deux variétés du
genre des bœufs qui habitent les plateaux de Californie et les savanes du
Missouri n'ont ni les mœurs ni les traits du farouche buffle de Cafrerie. Le
mouton sauvage et le lama, cet animal intermédiaire entre le mouton et le
chameau, aiment, comme leurs prototypes dans l'ancien continent, les
'pâturages des déserts. Tout est analogue dans les deux mondes, mais rien
n'y est identique.
Après avoir admis une création animale particulière pour l'Amérique
comme pour la Nouvelle-Hollande, devons-nous reconnaître dans les Amé-
ricains une race humaine distincte d'origine? Nous ne sommes pas obligé
de discuter cette question, étrangère à l'histoire positive : l'histoire ne
remonte pas à cette époque primitive ; mais nous devons reconnaître comme
un fait que la race américaine, quelle que soit son origine, forme aujour-
d'hui, par ses caractères physiques comme par ses idiomes, une classe
essentiellement différente des autres portions du genre humain. Une longue
suite d'observations physiologiques a démontré cette vérité. Les naturels
de cette partie du globe sont en général grands, d'une charpente forte, bien
proportionnés et sans vices de conformation. Ils ont le teint bronzé ou d'un
rouge cuivré, comme ferrugineux et très-semblable à la cannelle ou au
tannin; la chevelure noire, longue, grossière, luisante et peu fournit;
la barbe rare et semée par bouquets, le front court, les yeux allongés et
ayant le coin dirigé par en haut vers les tempes, les sourcils éminents, les
pommettes avancées, le nez un peu camus, mais prononcé, les lèvres éten-
dues, les dents serrées et aiguës ; dans la bouche, une expression de dou-
ceur qui contraste avec un regard sombre et sévère ou même dur ; la tête
carrée, la face large sans être plate, mais s’amincissant vers le menton ; les
traits, vus de profil, saillants et profondément sculptés ; la poitrine haute, les
cuisses grosses, les jambes arquées, le pied grand, tout le corps trapu.
L'anatomie nous fait encore reconnaître dans leur crâne des arcs sourciliers
plus marqués, des orbites plus profondes, des pommettes plus arrondies et
mieux dessinées, des tempes plus unies, les branches de la mâchoire infé-
rieure moins écartées, l'os occipital moins bombé, et une ligne faciale plus
inclinée que chez la race mongole, avec laquelle on a voulu quelquefois les
confondre. La forme du front et du vertex dépend le plus souvent d'efforts
artificiels; mais indépendamment de l'usage de défigurer la tête des enfants,
il n'y a pas de race sur le globe dans laquelle l'os frontal soit plus déprimé
en arrière. Le crâne est ordinairement léger.
Tels sont les caractères généraux et distinctifs de toutes les nations amé-

14
LIVRE CENT UNIÈME.
ricaines, à l'exception peut-être de celles qui occupent les régions polaires
aux deux extrémités. Les Esquimaux hyperboréens. ainsi que les Puelches
méridionaux, sont au-dessous de la taille moyenne, et présentent dans leurs
traits et dans leur conformation la plus grande ressemblance avec les
Samoyèdes ; les Abipons, et plus encore les Patagons au sud, ont une sta-
ture presque gigantesque. Cette constitution forte et musculeuse, jointe à
une forme élancée, se retrouve en quelque sorte chez les habitants du Chili,
ainsi que chez les Caraïbes qui habitent les plaines du delta de l'Orénoque
jusqu'aux sources du Rio-Blanco, et chez les Arkansas, que l'on compte
parmi les sauvages les plus beaux de ce continent.
Les raisonnements sur les causes de la variété des couleurs de la peau
humaine échouent ici contre l'observation, puisque la même teinte cuivrée
ou bronzée est commune, avec de très-petites nuances, à la généralité des
nations d'Amérique, sans que le climat, le sol ou la manière de vivre
paraissent y exercer la moindre influence. Citera-t-on les Zambos, appelés
jadis Caraïbes, à l'île Saint-Vincent? Ils exhalaient en effet cette odeur forte
et désagréable qui semble appartenir aux nègres ; leur peau noirâtre présen-
tait au toucher la même mollesse soyeuse qu'on observe notamment sur les
nations cafres ; mais ils descendaient d'un mélange des naturels avec la race
africaine : les véritables Caraïbes sont rouges. Le coloris des indigènes du
Brésil et de la Californie est foncé, quoiqu'ils vivent, les uns dans la zone
tempérée et res autres près du tropique. Les indigènes de la Nouvelle-
Espagne, dit M. de Humboldt, ont le teint plus basané que les Indiens de
Quito et de la Nouvelle-Grenade, qui habitent un climat entièrement ana-
logue : nous voyons même que les peuplades éparses au nord du Rio-Gila
sont plus brunes que celles qui avoisinent l'ancien royaume de Guatemala.
Les peuples de Rio-Negro sont plus basanés que ceux du Bas-Orénoque, et
cependant les bords du premier de ces deux fleuves jouissent d'un climat
plus frais. Dans les forêts de la Guiane, surtout vers les sources de l'Oré-
noque, vivent plusieurs tribus blanchâtres qui ne se sont jamais mêlées
avec les Européens, et se trouvent entourées d'autres peuplades d'un brun
noirâtre. Les Indiens qui, dans la zone torride, habitent les plateaux les
plus élevés de la Cordillère des Andes, ceux qui, sous les 45° de latitude
australe, vivent de la pêche entre les îles de l'archipel des Chonos, ont le
teint aussi cuivré que ceux qui, sous un ciel brûlant, cultivent des bananes
dans les vallées les plus étroites et les plus profondes des régions équi-
noxiales. Il faut ajouter à cela que les Indiens montagnards sont vêtus et
l'ont été longtemps avant la conquête, tandis que les indigènes qui errent

AMÉRIQUE.—ORIGINE DES AMÉRICAINS.
15
dans les plaines sont tout nus, et par conséquent toujours exposés aux
rayons perpendiculaires du soleil. Partout on s'aperçoit que la couleur de
l'Américain dépend très-peu de la position locale dans laquelle nous le
voyons actuellement; et jamais, dans un même individu, les parties du
corps couvertes ne sont moins brunes que celles qui se trouvent en contact
avec un air chaud et humide. Les enfants ne sont jamais blancs en nais-
sant; et les caciques indiens qui jouissent d'une certaine aisance, qui se
tiennent vêtus dans l'intérieur de leurs maisons, ont toutes les parties de
leur corps, à l'exception de l'intérieur de leurs mains et de la plante des
pieds, d'une même teinte rouge-brunâtre ou cuivrée.
Cette couleur foncée se soutient jusqu'à la côte la plus proche de l'Asie.
Seulement, sous les 54° 10’ de latitude boréale, au milieu d'Indiens à teint
cuivré et à petits yeux très-allongés, on a cru distinguer une tribu qui a de
grands yeux, des traits européens et la peau moins brune que les paysans
de nos campagnes. Michikinakou, chef des Miamis, a parlé à Volney d'In-
diens du Canada qui ne brunissent que par le soleil et par les graisses et les
sucs d'herbes avec lesquels ils se frottent la peau. Selon le major Pike, les
intrépides Ménomènes se distinguent par la beauté de leurs traits, par des
yeux grands et expressifs, et par un teint plus clair que celui des autres
bandes de Chipeouays. Leur physionomie respire à la fois la douceur et une
noble indépendance. Ils sont tous bien faits et d'une taille moyenne. Les
Li-Panis ou Panis-Loups, qui errent, au nombre d'environ 800 guerriers,
depuis les bords du Rio-Grande jusque dans l'intérieur de la province du
Texas, au Nouveau-Mexique, ont les cheveux blonds et sont généralement
de beaux hommes. D'après Adolphe Decker, qui, en 4624, accompagna
l'amiral hollandais l'Ermite autour du cap Horn, il y aurait également, dans
la Terre-de-Feu, des habitants qui naissent blancs, mais qui se peignent le
corps en rouge et de diverses autres couleurs. Ces faibles anomalies, bien
avérées, ne tendraient qu'à mieux prouver que, malgré la variété des cli-
mats qu'habitent les différentes races d'hommes, la nature ne dévie pas du
type auquel elle s'est assujettie depuis des milliers d'années.
La barbe, qu'on avait voulu refuser aux Américains, leur est assurée
aujourd'hui. Les Indiens qui habitent la zone torride de l'Amérique méri-
dionale en ont généralement un peu, et elle augmente lorsqu'ils se rasent;
cependant beaucoup d'individus naissent dénués de barbe et de poils.
Galeno nous apprend que, parmi les Patagons, il y a plusieurs vieillards
qui ont de la barbe, quoique courte et peu touffue. Presque tous les Indiens,
dans les environs de Mexico, portent de petites moustaches que des voya-

16
LIVRE CENT UNIÈME.
geurs modernes ont aussi retrouvées chez les habitants de la côte nord-
ouest de l'Amérique. En rassemblant et comparant tous les faits, il semble-
rait , en définitive, que les Indiens sont plus barbus à mesure qu'ils
s'éloignent de l'équateur. D'ailleurs, ce manque apparent de barbe est un
caractère qui n'appartient pas exclusivement à la race américaine. Plu-
sieurs hordes de l'Asie orientale, les Aléoutes, et surtout quelques peu-
plades des nègres africains, en ont si peu qu'on serait tenté d'en nier
entièrement l'existence. Les nègres du Congo et les Caraïbes, deux races
d'hommes éminemment robustes, souvent de structure colossale, prouvent
que c'est un rêve physiologique que de regarder un menton imberbe comme
un signe certain de la dégénération et de la faiblesse physique de l'espèce
humaine.
Ces caractères physiologiques rapprochent sans doute la race américaine
de celle des Mongols, qui peuple le nord et l'est de l'Asie, ainsi que de celle
des Malais ou des hommes les moins basanés de la Polynésie et des autres
archipels de l'Océanie. Mais ce rapprochement, qui ne s'étend qu'à la cou-
leur, n'embrasse pas les parties les plus essentielles, le crâne, les cheveux,
le profil du visage. Si, dans le système de l'unité de l'espèce humaine, on
veut considérer la race américaine comme une branche de la race mongole,
il faudra supposer que, pendant une suite de siècles sans nombre, elle
a été séparée de son tronc et soumise à la lente action d'un climat par-
ticulier.
Les langues sont, après les caractères physiologiques, la marque la plus
certaine de l'origine commune des peuples.
C'est dans les idiomes de l'Amérique qu'on a crutrouver les seules preuves
positives d'une émigration des nations asiatiques, à laquelle le Nouveau-
Monde devrait sa population. M. Smith Barton a le premier donné à cette
hypothèse une sorte de consistance, en rapprochant un grand nombre de
mots pris dans divers idiomes américains et asiatiques 1. Ces analogies,
ainsi que celles qu'ont recueillies l'abbé Hervas 2 et M. Vater3, sont sans
doute trop nombreuses pour pouvoir être considérées comme un jeu du
hasard; mais, ainsi que M. Vater le remarque, elles ne prouvent que des
communications isolées et des émigrations partielles. L'enchaînement géo-
graphique leur manque presque entièrement; et, sans cet enchaînement,
comment en ferait-on la base d'une conclusion?
1 Smith Barton : New Views, etc.
2 Hervas '. Dictionnaire polyglotte, p. 38, etc.
3 Vater ; De la population de l'Amérique, p. 155.

AMÉRIQUE. — ORTGINE DES AMÉRICAINS.
17
Nous avons reprisles recherches des trois savants nommés, et, sans avoir
à notre disposition des matériaux bien étendus, nous avons amené des
résultats qui nous ont fait croire un moment que nous allions démontrer
comme une vérité historique l'origine tout asiatique des langues amé-
ricaines.
Nous avons d'abord retrouvé l'enchaînement géographique incontestable
de plusieurs mots principaux qui se sont propagés depuis le Caucase et
l'Oural jusque dans les Cordillères du Mexique et du Pérou. Ce ne sont
point des syllabes que nous rapprochons par des artifices étymologiques, ce
sont des mots entiers, défigurés seulement par des terminaisons ou des
inflexions de son, et dont nos lecteurs pourront pour ainsi dire suivre le
voyage. Les objets les plus frappants dans les cieux et sur la terre, les rela-
tions les plus douces de la nature humaine, les premiers besoins de la vie,
tels sont les chaînons qui lient plusieurs langues d'Amérique aux langues
de l'Asie. H se présente même quelques rapports, pour ainsi dire plus méta-
physiques, dans les pronoms et les nombres-, mais ici la chaîne est plus sou-
vent interrompue. Ce n'est pas encore tout. L'enchaînement géographique
s'est souvent offert à nos recherches sous l'aspect d'une ligne de commu-
nication double et triple ; quelquefois ces lignes se confondent dans les
points intermédiaires, vers le détroit de Béring et dans les îles Aléoutiennes;
mais elles se distinguent par les chaînons extrêmes. Le nombre des analo-
gies certaines est plus du double que celui qu'on avait observé. Enfin, ce
n'est pas une seule dénomination du soleil, de la lune, de la terre, des deux
sexes, des parties du corps humain, qui a passé d'un continent à l'autre, ce
sont deux, trois, quatre dénominations différentes, provenant de langues
asiatiques reconnues pour appartenir à diverses souches.
Tant de rapprochements inattendus, et que n'avaient pas aperçus nos
devanciers, avaient pu nous engager à soutenir avec une sorte d'assurance
l'origine purement asiatique des principales langues américaines. Mais,
plus attaché à l'intérêt de la vérité, nous n'essaierons pas de fonder sur nos
observations une assertion imposante et hasardée ; nous dirons franchement
que les analogies entre les idiomes des deux continents, quoique élevées
par nos recherches à un nouveau degré de certitude et d'importance, ne
nous autorisent qu'à tirer les conclusions suivantes :
Des tribus asiatiques, liées de parenté et d'idiome avec les nations fin-
noises, ostiaques, permiennes et caucasiennes, ont émigré vers l'Amérique,
en suivant les bords de la mer Glaciale, et en passant le détroit de Béring.
Cette émigration s'est étendue jusqu'au Chili et jusqu'au Groenland;
V.
3

18
LIVRE CENT UNIÈME.
2° Des tribus asiatiques, liées de parenté et d'idiome avec les Chinois, les
Japonais, les Aïnos et les Kouriliens, ont passé en Amérique en longeant
les rivages du Grand-Océan. Cette émigration s'est étendue pour le moins
jusqu'au Mexique;
3° Des tribus asiatiques, liées de parenté et d'idiome avec les Toun-
gouses, les Mandchoux, les Mongols et les Tatars, se sont répandues, en
suivant les hauteurs de deux continents, jusqu'au Mexique et aux Apa-
laches ;
4° Aucune de ces trois émigrations n'a été assez nombreuse pour effacer
le caractère originaire des nations indigènes d'Amérique. Les langues de
ce continent ont reçu leur développement, leur formation grammaticale et
leur syntaxe, indépendamment de toute influence étrangère;
5° Les émigrations ont été faites à une époque à laquelle les nations asia-
tiques ne savaient compter que jusqu'à deux ou tout au plus jusqu'à trois,
et où elles n'avaient pas formé complétement les pronoms dans leurs
langues. Il est probable que les émigrés d'Asie n'amenèrent avec eux que
des chiens et peut-être des cochons; ils savaient construire des canaux et
des cabanes ; mais ils ne donnaient aucun nom particulier aux divinités
qu'ils ont pu adorer, ni aux constellations, ni aux mois de l'année;
6° Quelques mots malais, javanais et polynésiens ont pu être transportés
dans l'Amérique méridionale avec une colonie des Madécasses, plus facile-
ment que par la route du Grand-Océan, où les vents et les courants ne
favorisent pas la navigation dans une direction orientale;
7° Un certain nombre de mots africains paraissent avoir été transportés
par la même voie que les mots malais et polynésiens; mais les uns et les
autres n'ont pas encore été reconnus en assez grande quantité pour pouvoir
servir de base à aucune hypothèse;
8° Les mots de langues européennes qui paraissent avoir passé en Amé-
rique proviennent des langues finnoise et lettone; ils se rattachent au
nouveau continent par les langues permienne, ostiaque et ioukaghire. Rien
dans les langues persane, germanique, celtique ; rien dans les langues sémi-
tiques ou de l'Asie occidentale, ni dans celles de l'Afrique septentrionale,
n'indique des émigrations anciennes vers l'Amérique.
Voilà le résultat de nos recherches et de celles de nos devanciers. Quel-
ques idiomes asiatiques ont pénétré en Amérique ; mais la masse des
langues parlées dans ce continent présente, comme la race des hommes qui
les parlent, un caractère distinct et original. Nous allons en considérer les
rapports généraux

AMÉRIQUE. — ORIGINE DES AMÉRICAINS.
19
Parmi le nombre prodigieux d'idiomes très différents qu'on rencontre
dans les deux Amériques, il y en a quelques-uns qui s'étendent sur de
vastes pays. Dans l'Amérique méridionale, la Patagonie et le Chili ont, en
quelque sorte, une seule langue: les dialectes de l'idiome des Guaranis
sont répandus depuis le Brésil jusqu'au Rio-Negro, et même, par la langue
omagua, jusque dans le pays de Quito. Il y a de l'analogie entre les langues
des Me et des Vilela, et plus encore entre celles d’Aymar et de Sapibo-
cona, qui ont notamment presque les mêmes mots de nombres. La langue
quichua, la principale du Pérou, partage également avec celles-là plusieurs
mots de nombres, sans parler des analogies particulières qu'elle présente
avec d'autres langues du voisinage. L'idiome de Maypure est étroitement
lié avec ceux de Guaypunavi et de Caveri; il tient aussi beaucoup de
l’ Avariais, et il a donné naissance au maypure propre, ou parène, ou chi-
rupa, et à plusieurs autres qu'on parle autour du Rio-Negro, du Haut-Oré-
noque et du Maranon. Les Caraïbes, après avoir exterminé, dans le seizième
siècle, les Cabres, étendirent leur langue avec leur empire depuis l'équa-
teur jusqu'aux îles Vierges. Au moyen de la langue galibi, un missionnaire
assure qu'il pouvait communiquer avec tous les naturels de cette côte, les
Gumangoles seuls exceptés 1. Gily considère la langue caraïbe comme la
langue-mère de vingt autres, et particulièrement de celle de Tamanaca,
dans laquelle il pouvait se faire comprendre presque partout sur le Bas-
Orénoque 2. La langue Saliva est la mère des idiomes ature, piaroa et qua-
qua, et le taparita descend de l’otomaca.
Dans l'Amérique septentrionale, la langue des Aztèques s'étend depuis le
lac de Nicaragua jusqu'au 37°, sur une longueur de 400 lieues. Elle est
moins sonore, mais aussi riche que celle des Incas. Le son tl, qui, dans
l'aztèque, n'est joint qu'aux noms, se retrouve dans l'idiome de Noutka,
même comme finale.des verbes. L'idiome de Cora a les principales formes
du verbe pareilles aux conjugaisons aztèques, et les mots offrent quelques
rapports. Après la langue mexicaine ou aztèque, celle des Otomites est la
langue la plus générale du Mexique-, mais, à côté de ces deux principales,
il y en a, depuis l'isthme de Darien jusqu'au 23° de latitude, une vingtaine
d'autres, dont quatorze ont déjà des grammaires et des dictionnaires assez
complets. La plupart de ces langues, loin d'être des dialectes d'une seule,
sont au moins aussi différentes les unes des autres que l'est le grec de
1 Pelleprat, dans le Dictionnaire galibi gréf., p. vij.
2 Dictionnaire polyglotte d’Hervas.

20
LIVRE CENT UNIÈME.
l'allemand, ou le français du polonais. Ce n'est qu'entre l'idiome huaslèque
et celui de Yucatan qu'on découvre quelques liaisons.
Le Nouveau-Mexique, la Californie et la côte nord-ouest forment encore
une région peu connue, et c'est là précisément que la tradition mexicaine
place l'origine de beaucoup de nations. Les langues de cette région seraient
très-intéressantes à connaître ; mais à peine en a-t-on une idée obscure. Il
y a une grande conformité de langage entre les Osages, les Kansès, les
Olios ou Ottous, les Mssouris et les Mahas. La prononciation gutturale des
fiers Sioux est commune aux Panis. La langue des Appaches et des Panis
s'étend depuis la Louisiane jusqu'à la mer de Californie. Les Eslenes et les
Rumsen ou Runsienes, dans la Californie, parlent aussi un idiome très-
répandu, mais différent des précédents.
Les Tancards, sur les bords de la rivière Rouge, ont un certain glousse-
ment, et la langue si pauvre, qu'ils parlent moitié par signes.
Dans les provinces méridionales des Etats-Unis, jusqu'au Mississipi, il y
a des rapports immédiats entre les idiomes des Chaklahs et des Chikkasahs,
qui ont en outre quelque air de parenté avec celui des Cheerakes. Les
Kreeks ou Muskohges et les Katahbas en ont emprunté des mots. Plus au
au nord, la puissante tribu des Six-Nations parle une seule langue, qui
forme entre autres les dialectes des Senekas, des Mohawks, des Onondagos,
des Cayugas, des Tuscaroras, des Cochnewagoes, des Wyandots et des
Oneidas. Les nombreux Nadowessies ont leur idiome à part. Des dialectes
de la langue chippawaye sont communs aux Penobscots, aux Mahicanis oft
Mohicans, aux Minsis, aux Narragansets, aux Naliks, aux Algonquins et
aux Knistenaux. Les Miamis, avec lesquels Charlevoix classe les Illinois,
en tiennent aussi des mots et des formes. Enfin, sur les confins des Kniste-
naux, dans le nord le plus reculé, sont les Esquimaux, dont l'idiome
s'étend depuis le Groenland jusqu'à Ounalachka ; le langage des îles
Aléoutiennes paraît même offrir des ressemblances intimes avec les dia-
lectes esquimaux, comme ceux-ci en offrent avec le samoyède et l’ostiac.
Au milieu de cette zone de nations polaires, semblables par le langage
comme par le teint et les formes, nous voyons les habitants des côtes amé-
ricaines du détroit de Béring constituer avec les Tchouktchis, en Asie, une
famille isolée, distinguée par un idiome particulier, par une taille plus avan-
tageuse, et probablement originaire du nouveau continent.
Ce grand nombre d'idiomes prouve que la plupart des tribus américaines
ont longtemps vécu dans l'isolement sauvage où elles croupissent encore.
La famille ou la tribu qui erre dans les forêts à la poursuite des animaux,

AMÉRIQUE. —ORIGINE DES AMÉRICAINS.
21
et toujours armée contre d'autres familles, d'autres tribus qu'elle redoute,
se crée nécessairement des mots d'ordre, des paroles de ralliement, enfin
un argot de guerre qui sert à la garantir de surprises et de trahisons. Ainsi,
les Ménornènes, tribu de la Haute-Louisiane, parlent un langage singulier
qu'aucun blanc n'a jamais pu apprendre ; mais tous comprennent l'algon-
quin, et s'en servent dans les négociations 1.
Mais quelques langues américaines présentent d'un autre côté une com-
position si artificielle, si ingénieuse, que la pensée en rapporte nécessaire-
ment l'invention à quelque nation anciennement civilisée ; je ne dis pas
civilisée à la manière des modernes, mais comme l'étaient les Grecs d'Ho-
mère, ayant des idées morales développées, des sentiments exaltés, une
imagination vive et ornée, enfin assez de loisir et de tranquillité pour se
livrer à des méditations, pour se créer des abstractions.
C'est principalement sur la formation du verbe que les inventeurs des
langues américaines ont exercé leur génie. Presque dans tous les idiomes,
la conjugaison de cette partie du discours tend à marquer, par des inflexions
particulières, chaque rapport entre le sujet et l'action, ou entre le sujet et
les êtres qui l'environnent; en général, les circonstances où il se trouve
placé. C'est ainsi que toutes les personnes des verbes sont susceptibles de
prendre des formes particulières, à l'effet de rendre les accusatifs pronomi-
naux qui peuvent s'y rattacher comme idée accessoire, non-seulement dans
les langues de Quichua et de Chili, qui diffèrent totalement l'une de l'autre,
mais encore dans le mexicain, le coraen, le totonacaen, le natiquam, le
chippiwaye-delawarien et le groenlandais.
Ce merveilleux accord dans un mode particulier de former les conjugai-
sons d'un bout de l'Amérique à l'autre favorise singulièrement la supposi-
tion d'un peuple primitif, souche commune des nations américaines indi-
gènes. Mais lorsqu'on sait que des formes à peu près semblables existent
dans la langue du Congo et dans la langue basque, qui, d'ailleurs, n'ont
aucun rapport ni entre elles, ni avec les idiomes américains, on est forcé
de chercher l'origine de toutes ces analogies dans la nature générale de
l'esprit humain.
D'autres finesses grammaticales achèvent l'étonnement que nous inspirent
les langues américaines.
Dans les diverses formes des idiomes du Groenland, du Brésil et des
Beloï, la conjugaison est autre lorsqu'on parle négativement-, le signe de
négation est intercalé dans le moscan et l’arawaque aussi bien que dans la
1 Voyez le Voyage de M. Pike, traduction française.

22
LIVRE CENT UNIÈME.
langue turque. Dans toutes les langues américaines, les pronoms possessifs
sont formés de sons annexés aux substantifs, soit au commencement, soit à
la fin, et qui diffèrent des pronoms personnels. Les idiomes guarani, bré-
silien, chiquitos, quichua, tagalien et mandchou, ont un pronom pluriel de
première personne, nous, excluant le tiers auquel on adresse la parole, et
un autre qui comprend ce tiers dans le discours. L'idiome tamanacan ou
tamanaque se distingue des autres branches de la langue par une richesse
extraordinaire en formes indicatives du temps. Dans le même idiome et
dans ceux des Guaicures et des Huaztèques, ainsi que dans le hongrois,
les verbes neutres ont des inflexions particulières. Dans les idiomes ara-
waque et abipon, de même que dans les langues basque et phénicienne,
toutes les personnes des verbes, à l'exception de la troisième, sont mar-
quées par des préfixes pronominaux. L'idiome betoï se distingue par des
terminaisons de genre, exprimées par os, qui manquent à toutes les autres
langues d'Amérique 1.
Si l'histoire des langues américaines ne nous conduit qu'à des conjec-
tures vagues, les traditions, les monuments, les mœurs, les usages, nous
fourniront-ils des lumières plus positives?
Lorsque les Européens firent la conquête du Nouveau-Monde, la civilisa-
tion était concentrée dans quelques parties de la grande chaîne de plateaux
et de montagnes. L'Anahuac renfermait le despotique État de Mexico ou
Tenochtitlan, avec ses temples arrosés de sang humain, et Tlascala, peuplé
de républicains non moins superstitieux. Les Zaques, espèce de pontifes-
rois, gouvernaient du sein de la cité de Condinamarca les montagnes de la
Terre-Ferme, tandis que les fils du Soleil régnaient sur les vallées élevées
de Quito et de Cuzco. Entre ces limites, le voyageur rencontre encore
aujourd'hui de nombreuses ruines de palais, de temples, de bains et d'hôtel-
leries publiques. Parmi ces monuments, les téocalli des Mexicains rap-
pellent seuls une origine asiatique : ce sont des pyramides, environnées
de pyramides plus petites, comme le sont les temples pyramidaux appelés
Cho-Madon et Cho-Dagon dans l'empire birman, et Pkah-Ton dans le
royaume de Siam.
D'autres monuments ne nous parlent qu'un langage absolument inintel-
ligible. Les figures, probablement hiéroglyphiques, d'animaux et d'instru-
ments, gravées sur les rochers de siénite, voisins du Cassiquiare, les camps
ou forts carrés découverts sur les bords de l'Ohio, ne nous fournissent
1 Voyez dans le Mithridates de 1817, le beau travail de M. Vater, sur les langues
américaines et H. Ternaux, Bibliothèque américaine.

AMÉRIQUE. — ORIGINE DES AMÉRICAINS.
23
aucun indice. L'Europe savante n'a jamais eu de nouvelles de l'inscription
en caractères tatars qu'on disait avoir été trouvée dans le Canada et envoyée
au comte de Maurepas.
On cite encore des monuments d'une nature très-douteuse. Les pein-
tures des Toultèques ou Toltèques, anciens conquérants du Mexique,
indiquaient d'une manière claire, nous dit-on, le passage d'un grand bras
de mer ; assertion qui, après la disparition des preuves, doit inspirer peu de
confiance. Les peintures mexicaines existantes ont un caractère si obscur
et si vague qu'il serait bien téméraire de les considérer comme des monu-
ments historiques.
Les mœurs et les usages dépendent trop des qualités générales de l'esprit
humain et des circonstances communes à plusieurs peuples, pour pouvoir
servir de base à une hypothèse historique. Les peuples chasseurs, les
peuples pêcheurs ont nécessairement la même manière de vivre. Que les
Toungouses mangent la viande crue et seulement desséchée par la fumée;
qu'ils mettent de la vanité à pointiller sur les joues de leurs enfants des
lignes et des figures en bleu ou en noir-, qu'ils reconnaissent la trace de
leur gibier au moindre brin d'herbe courbé; ce sont là des traits communs
à tous les hommes nés et élevés dans les mêmes circonstances. Il est sans
doute un peu plus remarquable de voir les femmes toungouses et améri-
caines s'accorder dans l'usage de coucher leurs enfants tout nus dans un
tas de bois pourri et réduit en poudre; cependant les mêmes besoins et les
mêmes localités expliqueraient encore cette ressemblance. Il est aussi
digne de remarque que les anciens Scythes aient eu, comme les Américains,
l'usage de scalper ou d'enlever à leurs ennemis la peau de la tête avec les
cheveux, quoique sans doute la férocité ail partout inspiré à l'homme des
excès semblables. Un certain nombre d'analogies plus importantes rattache
le système religieux et astronomique des Mexicains et des Péruviens à ceux
de l'Asie. Dans le calendrier des Aztèques, comme dans celui des Kalmouks
et des Tatars, les mois sont désignés sous les noms d'animaux. Les quatre
grandes fêtes des Péruviens coïncident avec celles des Chinois; les lncas, à
l'instar des empereurs de la Chine, labouraient de leur propre main une
certaine étendue de terrain. Les hiéroglyphes et les cordelettes en usage
chez les anciens Chinois rappellent d'une manière frappante l'écriture figu-
rée des Mexicains et les quipos du Pérou. Enfin, tout le système politique
des Incas péruviens et des Zaques de Condinamarca était fondé sur la
réunion du pouvoir civil et ecclésiastique dans la personne d'un dieu
incarné.

24
LIVRE CENT UNIEME.
Sans attacher à ces analogies une importance décisive, on peut dire que
l'Amérique, dans ses mœurs comme dans ses langues, montre l'empreinte
d'anciennes communications avec l'Asie. Mais ces communications ont dù
être antérieures au développement des croyances et des mythologies actuel-
lement régnantes parmi les peuples asiatiques. Sans cela, les noms de
quelques divinités auraient été transportés d'un continent dans l'autre.
Un savant américain a prouvé que toutes les nations éparses depuis la
baie d'Hudson jusqu'au golfe du Mexique, bien qu'inconnues les unes aux
autres, et parlant un idiome différent, n'avaient jadis qu'une seule et même
religion. Elles adoraient un Être suprême, créateur de toutes choses, qui
aime à se communiquer à certaines âmes choisies; elles ne se permettaient
pas de le représenter sous aucune forme. Elles reconnaissaient aussi des
génies tutélaires dont elles faisaient des images. Elles croyaient à l'immor-
talité de l’âme et à des peines et des récompenses dans une autre vie1.
Aucune tradition américaine ne remonte à l'époque infiniment reculée
de ces communications. Les peuples de l'Amérique méridionale n'ont
presque pas de souvenirs historiques. Les traditions des nations septen-
trionales se bornent à assigner la région où jaillissent les sources du Mis-
souri , du Colorado et du Rio-del-Norte, comme la patrie d'un très-grand
nombre de tribus.
En général, depuis le septième jusqu'au treizième siècle, la population
paraît avoir continuellement reflué vers le sud et vers l'est. C'est des régions
situées au nord du Rio-Gila que sortirent ces nations guerrières qui, les
unes après les autres, inondèrent le pays d’Anahuac. Les tableaux hiéro-
glyphiques des Atzèques nous ont transmis la mémoire des époques princi-
pales qu'offre la grande migration des peuples américains. Cette migration
a quelque analogie avec celle qui, au cinquième siècle, plongea l'Europe
dans un état de barbarie dont nous ressentons encore les suites funestes
dans plusieurs de nos institutions sociales. Les peuples qui traversèrent le
Mexique laissèrent, au contraire, des traces de culture et de civilisation.
Les Toultèques y parurent pour la première fois l'an 648, les Chichi-
mèques en 1170, les Nahualtèques l'an 1178, les Acolhues et les Aztèques
en 1196. Les Toultèques introduisirent la culture du mais et du coton ;
ils construisirent des villes, des chemins, et surtout ces grandes pyramides
que l'on admire encore aujourd'hui, et dont les faces sont très-exactement
orientées. Ils connaissaient l'usage des peintures hiéroglyphiques; ils
1 Jarvis : Discourse on the religion of the Indian tribes of North America, etc.
New-York, 4820.

AMÉRIQUE. — ORIGINE DES AMÉRICAINS.
25
savaient fondre des métaux et tailler les pierres les plus dures-, ils avaient
une année solaire plus parfaite que celle des Grecs et des Romains. La
force de leur gouvernement indiquait qu'ils descendaient d'un peuple qui,
lui-même, avait déjà éprouvé de grandes vicissitudes dans son état social.
Mais quelle est la source de cette culture? quel est le pays d'où sortirent les
Toultèques et les Mexicains?
Les traditions et les hiéroglyphes historiques donnent à la première
demeure de ces peuples voyageurs les noms de Huehuetlapallan, Tollan et
Aztlan. Rien n'annonce aujourd'hui une ancienne civilisation de l'espèce
humaine au nord de Rio-Gila, ou dans les régions septentrionales parcou-
rues par Hearne, Fiedler et Mackenzie; mais sur la côte nord-ouest, entre
Noutka et la rivière de Cook, dans la baie Norfolk et dans le canal de Cox,
les indigènes montrent un goût décidé pour les peintures hiéroglyphiques;
quand on se rappelle les monuments qu'un peuple inconnu a laissés dans
la Sibérie méridionale, quand on rapproche les époques de l'apparition des
Toultèques, et celle des grandes révolutions de l'Asie, lors des premiers
mouvements des Hioungnoux, ou Turcs, on est tenté de voir dans les pre-
miers conquérants du Mexique une nation civilisée qui avait fui des rives
de l’Irtyche ou du lac Baikal, pour se soustraire au joug des hordes barbares
du plateau central de l'Asie.
Le grand déplacement des tribus américaines du nord est constaté par
d'autres traditions. Tous les indigènes des États-Unis du midi prétendent
y être arrivés de l'ouest, en passant le Mississippi. Suivant l'opinion des
Muskohges, le grand peuple dont ils sont sortis demeure encore dans
l'ouest : leur arrivée ne paraît dater que du seizième siècle. Les Senecasen
étaient autrefois des voisins. Les Delawares ont trouvé sur le Missouri des
naturels qui parlaient leur langue. D'après M. Adair, les Chaktahs sont
venus avec les Chikkasahs, postérieurement aux Muskohges.
Les Chipiouans ou Chepewyans, ont seuls des traditions qui paraissent
indiquer leur sortie de l'Asie. Ils habitaient, disent-ils, un pays très-reculé
vers l'ouest, d'où une nation méchante les chassa ; ils traversèrent un long
lac, rempli d'îles et de glaçons ; l'hiver régnait partout sur leur passage;
ils débarquèrent près de la rivière du Cuivre. Ces circonstances ne sau-
raient s'appliquer qu'à une émigration d'une peuplade de Sibérie, qui
aurait passé le détroit de Béring ou quelque autre détroit inconnu, et encore
plus septentrional. Cependant, la langue des Chipiouans n'offre pas un
caractère plus asiatique que les autres idiomes américains. Leur nom ne
se retrouve pas plus parmi l'immense nomenclature des tribus asiatiques
V.
4

26
LIVRE CENT UNIÈME.
anciennes et modernes que celui des Hurons, qu'on a si mai à propos
voulu comparer avec les Huires de Marco-Polο et les Huiur de Carpin, qui
ne sont que les Ouigours.
En dernière analyse, les traditions, les monuments et les usages comme
les idiomes rendent très-probables plusieurs invasions de nations asiatiques
dans le nouveau continent; mais toutes les circonstances concourent aussi
à reculer l'époque de ces événements jusque dans les ténèbres des siècles
antérieurs à l'histoire. L'arrivée d'une colonie de Malais, mêlés de Madé-
casses et d'Africains, est un événement vraisemblable, mais enveloppé
d'une obscurité encore plus épaisse. La masse des Américains est indigène.
Après avoir exposé l'ensemble de nos recherches et de nos conjectures
sur l'origine des Américains, ce serait fatiguer inutilement nos lecteurs que
d'analyser longuement toutes les opinions qu'on a proposées à ce sujet. Il
suffit de savoir que tout a été imaginé. La ressource banale de la dispersion
des Israélites a été employée par un grand nombre d'écrivains, parmi les-
quels un seul mérite d'être remarqué, c'est l'Anglais Adair, qui, avec beau-
coup d'érudition, a démontré les ressemblances de mœurs qui existent entre
les anciens Hébreux et les peuples de la Floride et des Carolines. Ces res-
semblances ne prouvent qu'en général une communication avec l'Asie, et
quelques-unes, telles que l'usage de l'exclamation hallela yah, paraissent
illusoires. Les Égyptiens ont été donnés pour ancêtres aux Mexicains par le
savant Huet, par Athanase Kircher et par l'érudit américain Siguenza, dont
les vastes recherches n'ont pas été imprimées. Les systèmes astronomiques et
chronologiques ditfèrent totalement; le style dans l'architecture et la sculp-
ture peut se ressembler chez beaucoup de peuples, et les pyramides d'Ana-
huac se rapprochent plus de celles de l'Indo-Chine que de celles d'Égypte.
Les Cananéens ont été mis en avant par Gomara, d'après de faibles analo-
gies de moeurs remarquées dans la Terre-Ferme. Beaucoup d'écrivains ont
soutenu la réalité des expéditions carthaginoises en Amérique , et on ne
saurait en nier absolument la possibilité. On connaît trop peu la langue de
ce peuple fameux , né d'un mélange d'Asiatiques et d'Africains, pour avoir
droit de décider qu'il n'existe aucune trace d'une invasion carthaginoise.
Nous pouvons, avec plus de certitude, exclure les Celtes, malgré les arti-
fices étymologiques employés pour retrouver des racines celtiques dans
l'Algonquin. Les anciens Espagnols ont aussi de bien faibles droits ; leur
navigation était bien bornée. Les Skandinaves ont conservé les preuves
historiques de leurs navigations au Groenland et à Terre-Neuve : mais elles
ne remontent qu'au dixième siècle, et elles prouvent seulement que l’ Amé-

AMÉRIQUE.
— ORIGINE DES AMÉRICAINS.
27
rique était déjà peuplée en totalité , argument très-fort pour la haute anti-
quité des nations américaines. Le célèbre Hugo Grotius a très-maladroite-
ment combiné ce fait historique avec quelques étymologies hasardées, pour
attribuer la population de l'Amérique septentrionale aux Norwégiens, qui,
hors l'Islande et le Groenland, n'y ont laissé que de faibles traces.
L'origine purement asiatique a trouvé de nombreux défenseurs. Le savant
philologue Brerewood est peut-être le premier qui l'ait proposée. Les histo-
riens espagnols ne l'ont admise qu'en partie.
De Guignes et William Jones conduisent sans beaucoup de peine, l'un
ses Huns et Tibetains, l'autre ses Hindous, dans le Nouveau-Monde. For-
mel, dont nous n'avons pu consulter l'écrit, a le premier insisté sur les
Japonais, qui, en effet, peuvent réclamer un grand nombre de mots amé-
ricains. Forster a attaché beaucoup d'importance à la dispersion d'une
flotte chinoise, événement trop récent pour pouvoir avoir produit une
grande influence sur la population américaine.
Depuis plus d'un demi-siècle, le passage des Asiatiques par le détroit de
Béring a été élevé au rang d'une probabilité historique par les recherches
de Fischer, de Smith-Barton, de Vater et d’Alexandre de Humboldt. Mai
ces savants n'ont jamais soutenu que tous les Américains fussent les des-
cendants des colonies asiatiques.
Une opinion mixte, qui réunit les prétentions des Européens, des Asia-
tiques, des Africains et même des Océaniens, a obtenu quelques suffrages
de poids. Acosta et Clavigero en paraissent les partisans. Ce dernier insiste
avec raison sur la haute antiquité des nations américaines. L'infatigable
philologue Hervas admet aussi l'hypothèse d'une origine mixte. Elle a été
savamment développée par George de Horn. Cet écrivain ingénieux exclut
de la population de l'Amérique les nègres, dont on n'a trouvé aucune tribu
indigène dans le Nouveau-Monde, les Celtes, les Germains et les Skandi-
naves, parce qu'on n'a vu parmi les Américains ni des cheveux blonds, nl
des yeux bleus ·, les Grecs et les Romains, et leurs sujets, à cause de leur
timidité comme navigateurs ·, les Hindous, parce que les mythologies amé-
ricaines n'offrent aucune trace du dogme de la transmigration des âmes.
Il cherche ensuite l'origine primitive des Américains chez les Huns et les
Tatars-Kathayens ; leur migration lui paraît très-ancienne. Quelques Car-
thaginois et Phéniciens auraient été jetés sur le rivage occidental du nou-
veau continent. Plus tard, les Chinois s'y seraient transportés; Facfour,
roi de la Chine méridionale, s'y serait enfui pour éviter le joug de Koublaï-
1 Georg. Hornii : De Originibus Americanis, libri IV. Hag. Com. 1699.

28
LIVRE CENT UNIÈME.
Khan ; il aurait été suivi de plusieurs centaines de milliers de ses sujets.
Manco-Capac serait aussi un prince chinois. Ce système, hasardé lorsqu'il
parut, s'accorde avec plusieurs faits postérieurement observés et que nous
avons recueillis ; quelque écrivain hardi et peu scrupuleux n'aurait qu'à
s'emparer de ces faits, les combiner avec les hypothèses de Horn, et nous
donner ainsi l'histoire certaine et véridique des Américains.
Rien n'empêche même qu'un jour l'Amérique, enorgueillie de sa civi-
lisation , ne se dise à son tour le berceau du genre humain. Déjà deux
savants des États-Unis ont soutenu que les tribus du nord de l'Asie pou-
vaient aussi bien être les descendants des Américains que ceux-ci des
premières 1.
Dans l'état actuel des connaissances, le sage s'arrêtera aux probabilités
que nous avons indiquées, sans tenter vainement de les combiner en forme
de système.
TABLEAU de l'élévation absolue des principales montagnes de l'Amérique.
Mètres.
Le Chichaldinskoi, volcan de l'île Ounimak
(Aléoutes) ........................................................... 2729
Le mont Saint-Élie (Amérique russe) ...........................................................
5113
Le mont Fairweater ou Beau-Temps, volcan de
l'Amérique Russe
4549
Montagnes-Neigeuses, ou Cordillère de la côte. 2400
Montagnes-Rocheuses, ou Sierra-Verde (Cor-

Système ORÉGO-MEXICAIN.
dillère) ........................................................... 5000
Le pic Delon g (États-Unis).
4658
Les monts Ozarks ...........................................................
600
Le Popocatepelt, volcan du Mexique. ...... 5400
L'Orizaba,

Id.
Id
5295
L'Ampilas occidental (Amérique centrale). .. 4011
L'Agua, volcan de l'Amérique centrale
3845
iL'Irasou, Id.
Id.
Id
3499
Le mont de Washington, dans les Montagnes-
Blanches ...........................................................
2027
Id.
ALLÉGHANIEN.
Le mont Otter, dans les Montagnes-Bleues. . .
1320
Le mont Greenbrier, en Virginie ...........................................................
. .
1150
Monts Katatin
2046
1 Bernard Romans : Natural History of Florida; New-York, 1776. Jefferson: Notes
on Virgina, p. 162,

AMÉRIQUE. — TABLEAU DES MONTAGNES.
29
/ L'Alto de Creus (Cordillère occidentale)
2811
L'Alto de Robla
Id.
Id
2807
Le pic de Tolima, Nouvelle-Grenade (Cordillère
centrale)
5584
Le Nevado de Mérida, Venézuela (Cordillère
orientale)
4580
Le Cayembé
(équateur)
5954
LeCotopaxi, volcan,
Id
5753
] Le Chimborazo,
Id
6530
Système ANDO-PÉRUVIEN.
Le Pichincha,
Id
4855
L'Antisana, volcan,
Id
5833
Le Pichu-Pichu
(Pérou)
5670
Le Gualatieri, volcan
Id
6705
Le Nevado de Sorata (Bolivie)
7695
Le Nevado d’Illimani
Id
'.
7274
Le Descabezado, volcan ( Chili )
6400
L'Aconcagua,
Id.
Id
7461
L'Osorno,
Id.
Id
2160
1 Le Corcorado
3800
Le Cuptona
2923
{Hauteur moyenne de la chaîne
974
Le mont Mavaraca
2533
Le pic Roreima ( Sierra-Pacorayma )
3419
Le pic culminant de la Sierra-Mantequeira. . .
2567
Id.
BRÉSILIEN
Le mont Itacolumi ( Sierra-Espinhaço)
1871
Points culminants de la Sierra-Vertentes
900
Phare des Navigateurs (Groenland)
4729
La Corne de Cerf,
Id
2600
Le OErafe-joe-Kull (Islande)
1957
L'Hécla, volcan,
Id
1560
Le pic Tarquin (Cuba)
2340
Le pic Coldridge (Jamaïque )
2495
Le pic Antonio-Sepo (Saint-Domingue).
. . .
2729
La Solfatare, volcan ( Guadeloupe )
1557
La montagne Pelée ( Martinique )
1349
TABLEAU de l'élévation des principaux plateaux de l'Amérique.
Mètre
Hauteur moyenne de tout le plateau. .
1950
Plateau des ALLÉGHANYS
Id.
Id
450
Id.
du HAUT-MISSOURI. . :.
Id.
Id
950
Id.
du MEXIQUE
Id.
Id
1800
Id.
de l’ AMÉRIQUE CENTRALE.
Id.
Id
250
Id.
du BRÉSIL
Id.
id
425
Id.
de la COLOMBIE. .....
Id.
Id
2256
Id.
de la BOLIVIE
Bassin du lac Titicaca
3916

30
LIVRE CENT DEUXIÈME.
LIVRE CENT DEUXIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Terres Arctiques.
Les extrémités de l'Amérique, vers le nord, vont nous occuper, mais ces
régions, qu'on pourrait appeler les Terres Arctiques, restent encore en
grande partie inconnues, malgré les généreuses tentatives de tant d'intré-
pides voyageurs qui ont affronté les glaces polaires. De plus, la description
de ces contrées, qui ne consistent qu'en une confuse réunion d'îles, de
côtes isolées et de terres fréquemment coupées de passes profondes, de
détroits dont on ignore l'issue, ne peut offrir qu'une grande monotonie.
Comment intéresser le lecteur en décrivant ces régions affreuses où le
soleil, de ses rayons obliques, éclaire inutilement des champs éternelle-
ment stériles, des plaines tapissées d'une triste mousse, des vallées où
jamais l'écho ne répéta le gazouillement d'un oiseau, lieux où la nature
voit mourir son influence vivifiante et se terminer son vaste empire?
Nous avons dit, dans notre premier volume1, comment, en persistant à
chercher le fameux passage au nord-ouest, on avait successivement décou-
vert les côtes septentrionales du continent américain du détroit de Béring
à la mer de Baffin. Ce grand problème du passage au nord-ouest est, après
trois siècles d'efforts, réduit à des proportions purement scientifiques par
les découvertes successives de Ross, de Parry, de Franklin, de Dease, de
Simpson, de Back et de Raë. Il se réduit à cette question : Peut-on navi-
guer de l'Atlantique dans le Grand-Océan, et réciproquement, en contour-
nant les rivages polaires de l'Amérique? Mais il est démontré que, quand
bien même ce passage serait, découvert, il ne pourrait être d'aucune utilité
pour le commerce, à cause de la latitude élevée où il se trouverait. Pour
que ce passage fût praticable, il faudrait d'abord reconnaître laquelle des
nombreuses ouvertures, que le continent américain présente au nord-est
de la mer d'Hudson à celle de Baffin, est la plus accessible, et offre le
1 Voyez tome Ier, Histoire de la Géographie, livre XXIII, page 378 et suivantes. —
Les Espagnols affirment avoir découvert le passage du nord-ouest. — Voyages de
Davis, d’Hudson, de Baffin, p. 382.
— Livre XXIV, Voyages de Ross et Parry, p. 400.
— Premier voyage du capitaine Franklin, p. 404. — Livre XXV, Voyages de John et
James Ross, p. 414. — Deuxième Voyage de Franklin. — Expédition à sa recherche,
p. 424.
— Voyage du docteur Raë, au nord de la mer d'Hudson, p. 424.

AMÉRIQUE. — TERRES ARCTIQUES.
31
débouché vers l'est le plus libre. De plus, il faudrait savoir s'il est vrai,
comme plusieurs navigateurs, l'avaient énoncé dans ces derniers temps,
que les pôles ne soient pas couverts de glaces, et qu'en s'élevant à une
certaine hauteur on ne trouve plus que des mers libres.
Cependant, en réfléchissant sur la nature de l'océan Glacial, il est diffi-
cile de croire que les navigateurs puissent jamais en explorer l'étendue. Il
est certain que les détroits qu'on peut y découvrir encore ne serviront pas
à la navigation ordinaire, puisque même la grande mer Glaciale, qui se
prolonge en suivant les côtes de Sibérie, n'offre pas une route habituelle-
ment praticable.
#
Partout les voyageurs ont rencontré des glaces fixes qui les arrêtaient,
ou des glaces mobiles qui, menaçant de les enfermer, faisaient reculer leur
courage. Le capitaine Wood, qui croyait fermement à la possibilité d'un
passage au nord, se vit arrêté au 76e degré par un continent de glace qui
réunissait la Nouvelle-Zemble (Novaïa-Zemlia), le Spilzberg et le Groen-
land. Le capitaine Souter, au contraire, en 1780, continua sa route
jusqu'à 82° 6' dans un canal ouvert et tranquille ; mais les glaces fixes qui
en formaient les deux bords, commençant à se détacher, il craignit de se
voir fermer le chemin du retour, et abandonna son entreprise1. Si le coura-
geux Baffin a pu faire le tour de la baie qui porte son nom, si Ross et Parry,
et les navigateurs qui sont allés à la recherche de Franklin et de ses com-
pagnons, ont pu renouveler cette course, on a vu plus souvent cette mer
fermée par une masse de glaces fixes, qui avaient 100 lieues de long, et
qui contenaient des montagnes de plus de 125 mètres d'élévation. Peut-
être l'île James, marquée dans plusieurs cartes, était-elle une semblable
masse de glace. Le capitaine Wafer avoue franchement qu'il a pris des
glaces fixes, hautes de 150 mètres, pour des îles véritables. Assez souvent
les glaces flottantes sont chargées de grosses pierres et d'arbres déracinés
qui produisent l'illusion d'une terre semée de végétaux. Il est fort incertain
si les Hollandais ont découvert à l'est du Spitzberg une côte de terre ou
seulement de glace ; dans un de leurs voyages au nord de la Nouvelle-
Zemble, ils trouvèrent un banc de glace bleuâtre, couvert de terre, et sur
lequel les oiseaux faisaient leurs nids. On a vu deux îles de glace se fixer
depuis un demi-siècle dans la baie de Disco ; les baleiniers hollandais les
ont visitées et leur ont imposé des noms. La même choseest arrivée
aux environs de l'Islande.
Les glaces mobiles ne présentent pas moins de dangers. Le choc de ces
1 Bacstrom : Voyage au Spitzberg. — Philosophical Magazine, 1801.

32
LIVRE CENT DEUXIÈME
masses produit un craquement épouvantable, qui annonce au navigateur
avec quelle facilité son vaisseau serait brisé s'il se trouvait entre deux de
ces îles flottantes. Souvent les bois que roule cette mer s'enflamment par le
frottement violent que le mouvement des glaces leur fait éprouver; la
flamme et la fumée s'élèvent du sein de l'hiver éternel 1. Ces bois flottants
se trouvent très-souvent brûlés aux deux extrémités.
Dans l'hiver, l'intensité du froid fait continuellement fendre les mon-
tagnes de glaces ; on n'entend à chaque moment que les explosions de ces
masses, qui s'ouvrent en crevasses énormes. Au printemps, le mouvement
des glaces consiste plus souvent encore dans un simple renversement des
masses qui perdent leur équilibre, parce qu'une partie s'est dissoute plus
tôt que l'autre. Les brouillards qui enveloppent les glaces fondantes sont
si épais que d'une extrémité d'une frégate on n'en aperçoit pas l'autre.
Dans toutes les saisons, la glace cassée et accumulée dans les passages ou
les golfes, arrête également et le piéton qu'elle engloutirait et le vaisseau
dont elle paralyse le mouvement.
Oserait-on concevoir l'idée d'une exploration en traîneau sur cette mer
congelée ou sur les terres glacées qui en occupent l’emplacement supposé?
Sans doute quelques précautions pourraient permettre à l'homme de respi-
rer sous le pôle même ; mais quels moyens de transport l'y conduiraient?
Les terres probablement rocailleuses et élevées comme le Groenland, le
Spitzberg, la Nouvelle-Sibérie, n'admettent pas une course en traîneau.
Les glaces marines ne présentent pas non plus des plaines continuelles;
renversées et accumulées de mille manières, elles offrent souvent l'aspect
de châteaux de cristal en ruines, de pyramides et d'obélisques brisés, d'ar-
cades et de voûtes suspendues en l'air; souvent aussi des crevasses larges
et profondes exigeraient pour être franchies des moyens dont le voyageur
ne pourrait être muni.
En attendant le résultat de nouvelles explorations vers les régions
polaires, il faut nous hâter de réunir, en forme descriptive, les observa-
tions déjà recueillies.
Nous appellerons Terres Arctiques toutes les terres découvertes au nord
des côtes arctiques de l'Amérique, c'est-à-dire des côtes du continent
américain qui sont baignées par l'océan Glacial arctique.
Nous y joindrons deux vastes péninsules qui, au nord-est, semblent se
détacher du continent américain entre les 84e et 105e méridiens pour
1 Ce fait qui semble peu probable, est rapporté par Olafsen : Voyage en Islande,
t. I, pages 276-278.

AMÉRIQUE. — TERRES ARCTIQUES.
33
pénétrer fort avant, vers le nord, dans l'océan Arctique. Nous serons ainsi
naturellement conduits à diviser les terres arctiques, pour mettre un cer-
tain ordre dans notre description, en deux parties-, l'une continentale et
l'autre insulaire.
Los deux presqu'îles forment la partie continentale; elles vont d'abord
nous occuper; ce sont la presqu'île Melville et la terre de Boothia-Félix.
La presqu'île Melville s'étend entre le canal de Fox, qui la sépare de la
terre de Baffin à l'est-, le détroit de Fury et de l'Hécla au nord, qui la sépare
de l'île de Cockburn ; et la baie Committée (Commission) à l'ouest, dépen-
dance du golfe de Boothia. Elle a été découverte par le capitaine Parry en
1821. C'est un pays âpre et montagneux, coupé par des chaînes de lacs, et
où, par conséquent, il est fort difficile de pénétrer. Le capitaine Lyon essaya
de le traverser, mais il dut renoncer à son entreprise. Cette péninsule pré-
sente vers le sud-est deux baies profondes : la première est l’entrée Lyon;
la seconde a été nommée Repulse-Bay, baie du Refus ; c'est à l'entrée de la
première que se trouve la petite île Winter (d'hiver), dans un ancrage de
laquelle les vaisseaux Hécla et Fury passèrent l'hiver de 1821 à 1822.
Cette contrée est habitée par des Esquimaux qui se creusent dans la terre
et la glace des huttes qui sont leurs demeures habituelles ; ils paraissent,
au dire du capitaine Parry, inoffensifs, remarquablement honnêtes, et, ce
qui se trouve plus rarement chez les sauvages, très-affectueux dans leurs
rapports domestiques. Les femmes ne sont pas chez eux écrasées par le
travail et les fatigues serviles qui composent leur lot dans les sociétés sans
civilisation; leur tàche est limitée à la façon des habits, à la cuisine, et
à quelques autres soins domestiques. Les Esquimaux s'entendent mer-
veilleusement à pourvoir à leurs besoins peu nombreux; ils sont vêtus
d'une étoffe chaude et commode, et les coutures de leurs bottes en peau de
phoque sont parfaitement travaillées. La presqu'île Melville est soudée au
continent par une langue de terre, entrecoupée de lacs nombreux, qui
prend du nom du voyageur qui la visitait en 1847 le nom d'isthme de Raë.
C'est sur cet isthme, et non loin de la baie Repulse, que se trouve le fort de
Hope, pauvre construction qui atteste seule dans ces parages glacés le
passage de l'homme civilisé. Au sud de la baie Repulse se trouvent l'entrée
de la rivière de Wager et Ventrée de Chesterfield, golfes septentrionaux de
la baie d'Hudson, et qui dépendent du territoire de la Compagnie anglaise.
La presqu'île de Boothia-Félix est située à l'ouest de la précédente; elle
n'en est séparée que par le golfe auquel elle donne son nom, et elle est bai-
gnée à l'ouest par la mer du Roi-Guillaume. C'est la partie du continent

34
LIVRE CENT DEUXIÈME.
américain la plus septentrionale ; son extrémité boréale, qui s'avance au
delà du 73e parallèle-nord, était connue sous le nom de Nord-Sommerset
avant la mémorable expédition du capitaine John Ross auquel nous devons
la découverte de cette presqu'île ; il lui donna le nom d'un négociant de
Londres qui avait généreusement contribué aux frais de son expédition. La
côte orientale de Boothia-Félix présente une baie profonde : c'est la baie de
Tom ;elle renferme le havre Félix (Félix Harbour), le port du Shérif et le port
de la Victoire, remarquables par le séjour forcé qu'y fit pendant quatre ans,
de 1829 à 1833, le capitaine Ross. Le Nord-Sommerset est lui-même une
presqu'île soudée à la terre de Boothia-Félix par un islhme étroit compris
entre la baie de Brentford et le cap Bird, la côte septentrionale de cette
presqu'île forme, avec le Devon Septentrional, une partie du détroit de Bar-
row, et elle se termine par les caps Rennel et Clarence; c'est dans le voisi-
nage de ce dernier que se trouvent le port et l’île Leopold. Les terres vues, en
1850 et 1851, par MM. Osborne, Ommaney, Mecham et Browne, à l'ouest
du Nord-Sommerset, font aussi partie de la presqu'île de Boothia ·, mais cette
côte occidentale, que baigne la mer du Roi-Guillaume, n'est pas encore
entièrement reconnue. Nous dirons cependant que c'est sur un de ses
points, par 70° 5' de latitude boréale et 99° 12" de longitude occidentale
du méridien de Paris, que le capitaine James Ross, qui accompagnait son
oncle lors de son grand voyage, constata l'insensibilité complète de la
boussole et le maximum d'inclinaison de l'aiguille aimantée, indices carac-
téristiques du pôle magnétique.
La presqu'île de Boothia-Félix est, ainsi que celle de Melville, habitée par
quelques tribus d'Esquimaux nomades, qui passent les neuf mois de la rude
saison d'hiver là où les a conduits leurs expéditions de pêche ou de chasse,
en se creusant, dans la neige et dans la glace, des demeures souterraines.
Nous avons conservé à la grande terre de Boothia-Félix le nom de pres-
qu'île, que semblent lui assurer l'exploration de John Ross et celle plus
récente (1846) du docteur Raë ; mais nous observerons que M. Daussy a
fait remarquer qu'avant de se prononcer entièrement, il faudrait constater
la terminaison, avant son arrivée au golfe de Boothia, d'un canal profond
trouvé en 1839, dans la mer du Roi-Guillaume, par MM. Dease et Simpson,
au nord-est de la presqu'île Adélaïde et à l'embouchure de la rivière de
Back ou du Grand Poisson.
L'île Wollaston, vue par Richardson, en 1826, et formant avec le
continent américain le détroit du Dauphin et de l'Union ; l’île Victoria qui
semble n'en être que la continuation, vue par MM. Dease et Simpson

AMERIQUE. — TERRES ARCTIQUES.
35
lors de leur grande exploration de 1839, île qui forme avec la pointe de
Turn-Again ou du retour de Franklin (1821), le détroit de Dease, sont au
sud-ouest de la terre de Boothia, entre le 105° et le 119° de longitude occi-
dentale , et vers le 69e parallèle nord. Il est probable qu'elles vont rejoindre
au nord la terrede Banks ou quelque partie des rivages du détroit de Barrow.
Passons maintenant à la partie insulaire de Terres Arctiques. Nous la
diviserons en trois groupes. Le premier au sud des détroits de Barrow
et Lancastre ·, le second au nord de ces mêmes détroits et à l'est du canal
de Wellington; le troisième à l'ouest de ce canal et au nord de la Terre de
Boothia-Felix.
Le premier groupe d'îles s'étend entre la péninsule Melville et la mer de
Baffin ; les terres qui le composent ferment la mer d'Hudson vers le nord.
Nous rencontrerons d'abord la grande île de Southampton, habitée par des
Esquimaux, que le capilaine Lyon regarde comme beaucoup moins abrutis
que toutes les autres tribus de cette race. Elle forme à l'ouest, avec la côte
septentrionale du territoire de la Compagnie anglaise de la baie d'Hudson,
le détroit de sir T. Rowes Welcome, à l'entrée duquel sont situées les îles
Marble et Toms. Sa pointe la plus septentrionale commande l'entrée de
la baie Repulse, et forme, avec la petite île de Vansittart, le détroit de
Frozen, et vient ensuite creuser, à l'est, la baie du duc d'York.
La Terre de Baffin, ou Nouveau Galloway, et la Terre de Cumberland
sont au nord du détroit d'Hudson, et le séparent de la mer de Baffin ; la
première s'étend vers le nord jusqu'au détroit de Barrow et Lancastre. Ces
terres sont imparfaitement connues, et l'on ignore même si quelques baies
qui les pénètrent ne sont pas des bras de mer qui les découpent en un
grand nombre d’îles. Leurs points les plus importants sont ceux qui ont été
jusqu'à présent reconnus sur la côte orientale baignée par le détroit de
Davis et la mer de Baffin ; nous citerons les îles Mansfield, Salisbury,
Nottingham, à la sortie du détroit d'Hudson, dans la mer de ce nom ; l'île
Bésolution, qui commande l'entrée de ce détroit ; l’île Warwick, qui forme
avec la côte de Cumberland les détroits de Forbisher au sud et de Cumber-
land au nord ; le cap Walsingham, à la partie la plus resserrée du détroit
de Davis ; la baie de Ponds et le cap Liverpool, à l'entrée du détroit de Lan-
castre. Toute cette côte est triste, dénudée, âpre et rocailleuse ; elle offre-
quelques hauteurs isolées (monts Byam-Martin, Possession, etc., etc.),
composées de rochers grisâtres ; sur les bords de la Clyde, le capitaine Parry
trouva une tribu d'Esquimaux qui y était établie.
Si nous pénétrons dans le détroit de Barrow et Lancastre, nous rencon-

36
LIVRE CENT DEUXIÈME.
trerons à l'entrée les petites îles Wollaston, et sur la côte du Nouveau-
Galloway, Ventrée de l’ Amirauté et le cap York. La côte forme alors, avec
le Sommerset du nord, le détroit du Prince-Régent, sur lequel elle dessine
le port Bowen, dans lequel le capitaine Parry hiverna en 1824, lors de son
second voyage. Elle reste alors indéterminée, pour reparaître sous le nom
d’Ile-Cockburn, et former avec la péninsule Melville le détroit de Fury et
de l'Hécla.
Les terres qui constituent le groupe au nord du détroit de Barrow et
Lancastre, et à l'est du canal ou détroit deWellington, paraissent inhabitées :
elles portent le nom de Devon Septentrional, et sont séparées du Groenland
par les détroits de Smith et de Jones, reconnus autrefois par Baffin, et visités
depuis par Parry. C'est entre ces deux détroits, par le 76° 33' de latitude et
le 80e de longitude occidentale, que se trouve le cap Clarence, remarquable
par son élévation. Les côtes du Devon Septentrional sont découpées par des
bras de mer dont on a seulement reconnu l'entrée sans y pénétrer, aussi
ignore-t-on si ils forment des golfes ou entourent un archipel. Les points
les plus remarquables de ces tristes contrées sont la baie Crocker, la baie
Maxwell, sur le détroit de Barrow et Lancastre ·, le cap Riley, au point où
il communique avec le détroit ou canal de Wellington. C'est près de ce cap
que, lors de son dernier voyage, l'infortuné capitaine Franklin dut passer
l'hiver de 1845 à 1846, ainsi que s’en assurèrent le capitaine anglais Penny
et le capitaine américain Haven, commandants deux des expéditions
envoyées en 1850 à la recherche des navires VErebus et la Terror.
Le canal Wellington a été, depuis 1848, le but des reconnaissances des
capitaines Ross, Austin, Penny, Haven, dans leurs recherches, malheu-
reusement infructueuses jusqu'ici, des traces de l'expédition de Franklin.
Ces recherches n'auront pour nous que le stérile avantage d'avoir aug-
menté le domaine de la géographie de la connaissance des côtes orientales
du Devon Septentrional. Ces côtes présentent deux golfes importants : ce
sont la baie Baring et la baie du Prince-Alfred; au nord elles portent le
nom de Terre-Albert, et le point extrême auquel on soit parvenu a reçu le
nom de cap Franklin, il est à environ 77° 6' de latitude boréale et
102° 40' de longitude occidentale.
Les capitaines Penny et Austin reconnurent que le canal Wellington
était beaucoup plus étendu qu'on ne l'avait d'abord supposé ; il va en effet
en s'élargissant et pénètre vers le nord-ouest. Ils y découvrirent les îles
Milne, Stewart, Bailli-Hamilton, Baring, Deans-Dundas et Parker, for-
mant le chenal du Nord, le chenal du Sud, et le canal de la Reine.

AMÉRIQUE. — TERRES ARCTIQUES.
37
Le dernier groupe des terres Arctiques dont nous devons nous occuper
est celui qui fut découvert par le capitaine Parry, lors de son premier
voyage en 1819, aussi quelques géographes le désignent-ils sous le nom
d'Iles Parry ; il est à l'ouest du canal Wellington et au nord de la terre de
Boothia-Felix. Il comprend les terres de Cornwallis, de Bathurst et de
Beaufort, qui forment la côte occidentale du canal de Wellington et de
celui de la Reine. L'entrée du premier est déterminée par le cap Hotham ;
les seuls points que nous citerons sur cette côte sont la pointe Décision, la
baie du Désappointement, et le cap Lady Franklin, qui en est la partie la
plus septentrionale. La côte méridionale et occidentale de ces terres est
baignée par la mer Polaire, elle ne présente de point important que la baie
Assistance, en face le cap Rennel du Nord-Sommerset, et c'est dans ce port
que les capitaines Penny et Austin établirent, en 1851, le centre de leur
exploration. Les autres îles que nous citerons sont les îles Griffith, Low-
ther, Byam-Martin. Cette dernière forme, avec la grande île de Melville, le
détroit de Byam. L'île Melville est la plus importante, elle fut découverte
par le capitaine Parry lors de son premier voyage en 1819; il y passa
l'hiver dans le port de Winter Harbour (le Havre d'hiver) ; il lui fallut
soutenir le moral de son équipage pendant une nuit qui dura trois mois, et
une température de 30 à 60 degrés au-dessous de zéro. Dans la même
expédition, le capitaine Parry découvrit l’île Sabine, au nord-ouest de l'île
Melville. Ce hardi navigateur désigna, sous le nom de Géorgie Septen-
trionale, tout cet archipel polaire dans lequel on pourrait peut-être com-
prendre la Terre de Banks, découverte en 1820 au sud-ouest de l'île Mel-
ville et dont on ne connaît encore qu'une partie. La végétation de toutes
ces terres polaires est chétive; elle ne se compose que de quelques espèces
de mousses ; le capitaine Parry y trouva plusieurs animaux, tels que le
bœuf musqué, l'ours blanc, le cerf américain, le renard, le renne et une
grande espèce de loups ; les côtes sont fréquentées par divers oiseaux et
par plusieurs espèces de phoques ; il y remarqua même des traces d'habi-
tants. Mais observons que les animaux et les hommes qui fréquentent ces
tristes contrées n'y apparaissent qu'avec la saison d'été et que l’hiver les
en éloigne jusqu'au retour du soleil au-dessus de l'horizon.
Nous terminerons ici l'aride description des Terres Arctiques, qui ne
sont intéressante? que sous le rapport de la physique terrestre. Bien que les
Anglais semblent considérer sur leurs cartes les Terres Arctiques comme
des dépendances de leurs possessions sur la partie voisine du continent:
rien n'autorise une semblable prétention, que l'imporlance de ces parages

38
LIVRE CENT TROISIÈME.
n'invite pas d'ailleurs à leur disputer. Reconnaissons cependant que ces
découvertes sont dues en grande partie au courage intrépide de leurs
marins.
LIVRE CENT TROISIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Groenland
— Islande et Spitzberg.
Nous avons déjà fait remarquer dans VHistoire de la Géographie que
l'existence de l'antique colonie Islando-Norvégienne du Vieux-Groenland,
vis-à-vis de l'Islande, sur la côte orientale du Groenland, n'était fondée
que sur une hypothèse de Torfæus, antiquaire islandais. Cette côte a pro-
bablement toujours été ensevelie dans les mêmes glaces qui encore en
défendent l'accès. Le Vieux-Groenland répondait, sans doute, à la partie
du sud-ouest actuellement connue, qui est occupée par les Danois et
par une peuplade d'Esquimaux.
Le Groenland, dont on ne peut déterminer exactement les limites, paraît,
d'après les nouvelles explorations des intrépides navigateurs Parry, Ross
et Graah dans la mer Polaire, être entièrement séparé du continent par cette
mer, par celle de Baffin, par le détroit de Lancastre et par celui de Davis.
L'Atlantique le baigne au sud-ouest et au sud-est, et l'océan Glacial arc-
tique à l'est. Au nord et au nord-ouest ses bornes sont tout-à-fait incon-
nues; on évalue cependant sa longueur du nord au sud, à partir du
78e parallèle, à environ 600 lieues, et sa largeur à cette même latitude,
à 300 lieues de l'est à l'ouest. La population paraît être de 21,000 indi-
vidus , dont 7 à 8,000 chrétiens.
Le Groenland n'est véritablement qu'un amas de rochers entremêlés
d'immenses blocs de glace, l'image réunie du chaos et de l'hiver. Une
chaîne continue parcourt la partie connue du Groelnand, que les Islan-
dais, dans leurs descriptions, appellent Himin-Rad ou Monts du Ciel.
Les trois pointes, qu'on nomme la Corne-du-Cerf, s’aperçoivent en mer
à la distance de 25 lieues. Les roches sont ordinairement composées de
1 On écrit en danois et en islandais Groenland, de grœn, vert, et land, terre. C'est à
regret que nous conservons l'orthographe groenland, source d'une fausse étymologie.
Groin, dans l'ancien skandinave, répond à crescens, germinans, et non pas à concreta.
Ainsi Groïnland, si le mot existait, signifierait terra germinans, et non pas terra

concreta.

AMÉRIQUE. — GROENLAND.
39
granit, de quelques pierres argileuses et de pierres ollaires par bancs
verticaux. Dans les fentes perpendiculaires on trouve du quartz, du talc
et des grenats. On a apporté au Muséum groenlandais, à Copenhague,
des échantillons d'un très-riche minerai de cuivre, de micaschiste, de
marbre grossier et de serpentine, ainsi que de l'amiante, des cristaux
de roche et de la tourmaline noire. Enfin le Groenland nous a fourni le
minéral nommé finale d'alumine ou cryolithe. On a aussi découvert une
vaste mine de charbon de terre dans l'île Disco. Trois sources chaudes
ne sont pas les seuls indices volcaniques observés jusqu'à présent :
entre le 67e et le 77e parallèle, au milieu d'énormes amas de neige,
un volcan a lancé des flammes en 1783. Pendant les courts instants de
l'été, l'air, très-pur sur la terre ferme, est dans lesîles obscurci par les brouil-
lards. Les clartés vagabondes de l'aurore boréale adoucissent un peu la
sombre horreur des nuits polaires. Ce qu'on appelle fumée de glace, est
une vapeur qui sort des crevasses de la glace marine ou qui s'élève de la
surface des lacs, et qui, formant dans l'air un réseau transparent et solide,
est poussée par le vent, rase le sol et tue l'Esquimau qu'elle atteint. La
rareté des pluies, le peu d'abondance de neiges et l'intensité inouïe du froid
qu'apporte le vent d'est-nord-est, nous font soupçonner que les parties les
plus orientales du Groenland forment un grand archipel encombré de glaces
éternelles que les vents et les courants y amoncellent depuis des siècles. Il
y a quelques terres labourables, et probablement l'orge pourrait venir dans
la partie méridionale. Les montagnes sont couvertes de mousse du côté du
nord; les parties exposées au midi produisent de très-bounes herbes, des
groseilles et d'autres baies en abondance, et quelques petits saules et bou-
leaux. Non loin de Julianeshaab, un bois de bouleaux couvre une vallée ;
mais les arbres les plus hauts ont 6 mètres. On cultive les choux et les
navets près des colonies danoises.
Le règne animal offre ici de gros lièvres dont la chair est excellente, et
qui donnent une bonne fourrure ; des rennes de la variété américaine, des
ours blancs, des renards, de grands chiens qui hurlent au lieu d'aboyer, et
dont le Groenlandais attèle ses traîneaux. Une immense quantité d'oiseaux
aquatiques demeurent près des rivières, qui abondent en saumons. Les
cabillauds, les turbots, les petits harengs fourmillent dans la mer. On a
fourni des filets aux indigènes, qui commencent à en sentir l'utilité. Dans
le Groenland septentrional, les Danois et les naturels vont conjointement
à la pêche aux baleines ; mais cette occupation tumultueuse et peu lucra-
tive pour les indigènes, répand dans ce canton le vice et la misère. Les

40
LIVRE CENT TROISIÈME.
naturels du sud s'en tiennent à la chasse du chien marin. La chair de cet
animal est leur nourriture principale ; la peau leur fournit des vêtements,
et en même temps ils en construisent leurs bateaux-, les nerfs deviennent du
fil, les vessies des bouteilles, la graisse remplace tantôt le beurre et tantôt
le suit, le sang fournit du bouillon. Le Groenlandais ne comprend pas com-
ment on peut vivre sans chien marin ; c'est pour lui ce que l'arbre à pain est '
pour le Taïtien et le blé pour l'Européen.
Les naturels ont la taille courte, les cheveux longs et noirs, les yeux
petits, le visage aplati et la peau d'un jaune brun. On reconnaît en eux
une branche des Esquimaux. Cette parenté est surtout prouvée par leur
idiome, d'ailleurs remarquable par la richesse de ses formes grammati-
cales. Les particules et les inflexions y sont aussi nombreuses, aussi variées
que dans le grec; mais la règle qui prescrit d'intercaler toutes les parties
du discours dans le verbe, fait naître des mots d'une longueur démesurée.
Los consonnes R, Κ et Τ dominent dans cette langue, et produisent, par
leur accumulation, des sons très-rudes. Les femmes groenlandaises,
comme celles des Caraïbes, ont des mots et des inflexions dont il n'est per-
mis qu'à ellesde se servir. Les Groenlandais s'appellent quelquefoisInnouk
ou frère; mais leur véritable nom de nation paraît être Kalalit, et ils
désignent ordinairement leur pays sous le nom de Kalalit Nounet.
Le caractère actuel des Groenlandais est un mélange indéfinissable de
qualités bonnes et mauvaises; l'attachement aux usages nationaux lutte
contre l'influence d'une civilisation étrangère. Les Groenlandais accusent
avec amertume les Danois et les autres navigateurs européens de leur avoir
apporté le fléau de la petite-vérole et celui des liqueurs spiritueuses. Mais
quelle est l'origine de cette espèce de lèpre qui n'attaque pas les mains, qui
passe pour contagieuse et qui couvre tout le corps d'écailles que le malade
se plaît à racler?
Le poste le plus avancé vers le pôle est Upernamck (72° 30' latitude) ;
puis viennent Umanak, où l'on fait une pêche importante de chiens marins;
Godhavn, sur l'île de Disco; Jacobshavn, fondé en 1741; Holsleinbory,
qui date de 1759, et qui ne renferme que 150 Esquimaux; Sukkerloppen,
où il y a un bon port où l'on fait une pêche abondante; Godthaab, la prin-
eipale et la plus ancienne de ces colonies, à 64° 10', avec un excellent port;
Friderikshaab et Julianeshaab, le plus important des établissements danois.
La description d'un de ces établissements donnera une idée de tous les
autres. Holsteinborg se compose de la maison du gouverneur et de celle du
pasteur, aux quelles sont annexés de fort jolis jardins potagers; près de là

AMÉRIQUE. — GROENLAND.
41
s'élève l'église, surmontée d'un petit clocher-, le reste consiste en deux
magasins, une boulangerie et une quarantaine de hultes d'Esquimaux. La
maison du gouverneur et celle du ministre sont bâties en bois, et ren-
ferment une cuisine, une salle à manger, une chambre à coucheret un
salon ; l'église est simple, mais propre, et peut contenir 200 personnes.
L'établissement exporte chaque année 3,000 peaux de rennes et une grande
quantité d'huile de baleines et de veaux marins. On a fondé depuis peu,
dans cette colonie reculée, une bibliothèque publique qui, en 1834, se
composait d'une centaine de volumes; ce qui est déjà beaucoup pour une
contrée comme le Groenland. Le district de Julianeshaab renferme envi-
ron 2,000 habitants. On y élève des bêtes à laine et des bêtes à cornes;
mais on y trouve quelques restes d'anciennes maisons qui appartiennent à
l'époque du moyen âge.
Les frères moraves ont plusieurs loges, dont l'une, nommée Lichtenau,
est tout près du cap Farewell. La population, qui en 1789 avait été trouvée
de 5,122 âmes, s'élevait en 1802 à 5,621 individus; mais ce recensement,
fait après une épidémie, était d'ailleurs incomplet. La vaccine, récemment
introduite, garantira cette peuplade des ravages de la petite-vérole.
Un autre établissement d'herrnhuttes, ou de frères moraves, est Lich-
tenfels; enfin le troisième est Nye-Herrnhut, ou Nouveau-Herrnhutte.
L'archipel de Disco comprend aussi plusieurs petits établissements danois;
au sud, la colonied’Egedesminde comprend plusieurs îles, dont les plus
considérables sont celles des Renards. Cette colonie exporte tous les ans
60 tonneaux de lard et 700 fourrures, ainsi qu'une grande quantité
d'édredon.
A Ekolumiut, sous le 63e degré 30' de latitude, M. Graah remarqua une
végétation plus active qu'à Julianeshaab, où elle passe pour déployer le
plus de richesse. Amitoursuk, à quelques lieues d'Ekolumiut, possède un
port sûr et commode.
Le gouvernement danois se manifeste peu dans l'administration de ces
colonies; toute sa sollicitude se borne à y entretenir des missionnaires, qui
exercent une utile influence et une sage autorité sur les habitants. Les colo-
nies du Groenland sont divisées en deux inspectorats: celui du sud, dont le
chef-lieu est la bourgade de Julianeshaab, et celui du nord, qui paraît avoir
pour chef-lieu Egedesminde, dont le nom rappelle Egède, son fondateur.
Les Groenlandais n'ont conservé aucune trace positive d'une communi-
cation avec la colonie Scandinave dont ils ont envahi et détruit les établis-
sements. Ils font, il est vrai, du soleil une déesse ou femme déifiée, et de la
Y.
6

42
LIVRE CENT TROISIÈME.
lune un homme ; ce qui est conforme à la croyance des Goths, différente de
celle des autres Scandinaves; mais comme on retrouve un dieu Lunus ou
Mên chez les nations classiques mêmes, cette analogie prouve ou trop ou
rien. On reconnaît chez les Groenlandais une foule de traits non équivoques
qui démontrent leurs liaisons avec les Esquimaux, même les plus éloignés.
Les instruments de pêche des habitants de l'Amérique russe, entre autres,
sont exactement composés comme ceux des Groenlandais
La Compagnie du Groenland, établie à Copenhague, estime sa recette
habituelle à 140,000 rixdalers (5 à 600,000 francs), et les exportations du
pays même, sans le produit de la pêche des baleines, ont monté de 50 à
400,000 rixdalers. Les dépenses de la Compagnie vont à 400,000 francs.
Les principaux objets d'importation sont de la farine, du sel, du drap, du
vin, de l'eau-de-vie et divers métaux, contre lesquels on rapporte en retour
de l'huile et des côtes de baleines, de peaux de phoque, d'ours, de renard
et de lièvre, des cornes de narval et de l'édredon.
Lorsqu'au dixième siècle, l'islandais Eric Rauda eut fait connaître au
gouvernement norvégien la découverte qu'il venait de faire d'un pays que
l'on se représentait, malgré sa latitude, tout couvert de verdure, plusieurs
familles consentirent à l'y suivre et à y fonder une colonie. Bientôt après,
Olaüs, roi de Norvége, chargea plusieurs missionnaires de répandre le
christianisme dans cette nouvelle contrée ; en 1386, Marguerite de Valde-
mar, qui réunit sous son sceptre le Danemark, la Norvége et la Suède,
déclara le Groenland domaine de l'Etat. En 1418, une flotte ennemie, qui
appartenait probablement au prince Zichmni de Frislande, vint attaquer la
colonie affaiblie par les ravages d'une maladie contagieuse, et détruisit tout
par le fer et le feu. Les dissensions troublaient alors la mère-patrie; le
Groenland fut oublié. Pendant le dix-septième et le dix-huitième siècles, le
gouvernement danois fit rechercher, mais en vain, les restes des anciens
établissements. Enfin, en 1722, Jean Egède, prêtre norvégien, entreprit
d'aller instruire dans le christianisme les Esquimaux du Groenland; il y
débarqua avec toute sa famille, y resta quinze ans, et y fonda une colonie
dont la prospérité naissante attira l'attention du gouvernement, qui rétablit
les relations commerciales avec le Groenland. Depuis, les frères moraves
répandirent avec zèle l'instruction religieuse parmi les Groenlandais.
Les côtes seules, dans un espace de 300 lieues, sont habitées; ni les
Danois, ni les. Groenlandais n'ont dépassé la chaîne de montagnes qui
défend l'accès de l'intérieur. Au nord de l'établissement d'Upernavick, la
côte occidentale du Groenland prend le nom de Haut-Pays Arctique (Artic-

AMERIQUE. — GROENLAND.
43
Higland) ; elle est fréquentée par des Groenlandais nomades à l'époque de
la belle saison, relativement à ces tristes contrées. Le point le plus septen
trional de cette côte est le cap Alexander, situé vers le 77e 40' de latitude
à l'entrée du détroit de Smith. Entre ce cap et Upernavick on rencontre
successivement le détroit de Whale, le cap Parry, Ventrée de Wolsten-
holme, le cap York 1 et la profonde baie de Melville. Cette dernière ren-
ferme les îles Sabine, de Bushnan et de Browne quelquefois fréquentées
par les baleiniers; au fond de la baie de Melville on en trouve une plus
petite qui a reçu le nom de Baie du Prince-Régent.
La côte orientale a été explorée dans le courant de 1828 à 1830, par le
capitaine danois Graah, pour y retrouver les traces de la colonie qui, partie
de l'Islande, s'établit au Vieux-Groenland pendant le quatorzième siècle. Il
dépassa le 69e parallèle, mais il ne retrouva pas de traces d'anciens établis-
sements; cependant les indigènes, au nombre d'environ 600 qu'il rencon-
tra sur cette côte, lui parurent avoir plus d'analogie avec les Européens
qu'avec les Esquimaux : loin d'en avoir le corps trapu et la petite stature,
ils sont nerveux, d'une taille élancée et au-dessus de la moyenne ; leur teint
est aussi clair que chez les Européens : ce qui semblerait annoncer une
race résultant du mélange des Esquimaux avec ces derniers.
C'est sans doute au milieu des banquises qui défendent l'approche de
ces parages qu'est venu se perdre en 1833, le brick la Lilloise, commandé
par Jules de Blosseville, que les sciences géographiques regrettent encore.
Une courte traversée nous conduira de la côte orientale du Groenland,
vers une grande île qui, bien que connue sept siècles avant Colomb, n'en
est pas moins une dépendance naturelle du nouveau continent. Cette île,
c'est l’Islande, cette terre de prodiges où les feux de l'abîme percent à tra-
vers un sol glacé, où des sources bouillantes lancent leurs jets d'eau parmi
les neiges éternelles, où le génie puissant
la liberté, et le génie non
moins puissant de la poésie, onl fait briller les forces de l'esprit humain aux
derniers confins de l'empire de la vie.
La situation géographique de l'Islande n'a été longtemps connue que
1 Si l'on devait en croire la déposition du groënlandais Adam Beck, interprète du
capitaine John Ross, les navires l’ Erebus et la Terror, commandés par les capitaines
sir John Franklin et Crozier, auraient fait naufrage, sur la côte, à quelque distance au
nord du cap York; les hommes de l'équipage, après avoir gagné la terrre dans le plus
grand dénûment, y auraient péri dans l'hiver de 1846 a 1847, de froid, de faim, ou
par les attaques d'une tribu ennemie. — Lettre du capitaine John Ross dans le Ship-
ping and Mercantile Gazette du 4 octobre 1851.

44
LIVRE CENT TROISIÈME.
par des observations d'auteurs obscurs, faites au milieu du dix-septième
siècle, peut-être même simplement copiées par Torfæus sur quelque imita-
tion de la carta di navegar des frères Zeni, dressée dans le quatorzième
siècle. On y avait assujetti les résultats, d'ailleurs exacts, de l'arpentage
des ingénieurs militaires, terminé en 1734. Tels étaient les éléments dis-
cordants de la carte de l'Islande, publiée par les héritiers Homann, et
devenue, avec de légères corrections, la source de toutes les autres.Mais,
en 1778, Borda, Pingré et Verdun de la Crenne, après avoir d'abord
en vain cherché l'Islande, qui, pour ainsi dire, flottait dans l'Océan à
l'instar de Délos, en déterminèrent astronomiquement plusieurs points
principaux, dont quelques-uns étaient placés jusqu'à 3 et 4 degrés trop à
l'ouest. La surface de l'île, qui, d'après les anciennes cartes, avait été éva-
luée à 8,000 lieues carrées, a été réduite, en conséquence de ces mesures,
à 5,000. Elle a 120 lieues de longueur sur 50 de largeur.
L'Islande, dont le véritable nom est Iceland, c'est-à-dire le pays des
glaces, n'est proprement qu'une chaîne de rochers immenses, dont le som-
met est toujours couvert de neige, quoique le feu couve dans leurs flancs.
Le trapp et le basalte paraissent prédominer dans la composition de ces
montagnes. Le basalte y forme d'immenses amas de piliers semblables à
ceux de la chaussée des Géants en Irlande. Le mont d’Akrefell présente des
bancs d'amygdaloïde, de tufa volcanique et de grunstein ou dolérite, dont
la face inférieure a évidemment subi l'action d'un feu très-fort, mais sous
une grande pression, probablement au fond de l'Océan primitif. On dis-
tingue plusieurs formations de lave ·, l'une a coulé et coule souvent encore
en forme de torrents enflammés, sortis des cratères ·, l'autre, d'une structure
spongieuse et comme caverneuse, semble avoir, pour ainsi dire, bouilli à
la place même. Cette dernière lave forme les stalactites les plus singulières.
L'île renferme 30 volcans, dont 9 étaient en activité dans le siècle dernier,
sans compter ceux qui ont pu s'éteindre avant que l'île fût habitée. Le plus
fameux entre ces volcans est le mont Hékla, situé dans la partie méridio-
nale de l'île, à environ cinq quarts de lieue de la mer.
Pour monter à l’Hékla, on traverse plusieurs vallons autrefois habités,
mais qui, dépeuplés par les ravages du volcan, sont encombrés de laves, de
cendres et de pierres ponces. Ses flancs sont hérissés de montagnes moins
hautes, terminées chacune par un cratère. Lorsque l'Hékla est en éruption,
tous les cratères rejettent des matières en fusion. Le sommet du cône prin-
cipal est entouré d'une sorte de rempart ; les parties abritées contre la pluie
sont couvertes d'une grande quantité de sel, Enfin on arrive à la région des

AMÉRIQUE. — ISLANDE.
45
neiges, au milieu de laquelle se trouve le principal cratère de l'Hékla, qui,
en 1827, était encombré par des sables, des cendres et des rochers de laves
qui, en tombant, avaient bouché l'orifice.
En se rendant des deux geysers, dont nous parlerons bientôt, au mont
Hékla, on traverse des espèces de dunes de sable ponceux, d'immenses
champs de lave et de cendres volcaniques. A sa base, on remarque un dépôt
de ponces blanchâtres renfermant des bouleaux passés à l'état de lignites.
Avant d'arriver au sommet, on passe entre des montagnes de scories et de
phonolithes. Sa cime est moins garnie de neige que celle du Snéefells-Iœkull ;
mais cependant, en 1836, son cratère en était entièrement rempli. On
remarque sur ses flancs un beau cratère parasite-, enfin on trouve depuis sa
base jusqu'à son sommet de l'obsidienne à tous les états.
Toutes ces montagnes, dont la hauteur atteint 600 ou 800 mètres, sont
couvertes de neiges et de glaces éternelles 1. Les plus grandes rivières n'ont
pas plus d'une trentaine de lieues de longueur, mais elles sont larges et
profondes. Parmi les nombreux lacs, le plus important est le My-Watn ou
Lac aux Mouches: il a plus de 8 lieues de circonférence ; le fond de son
bassin est couvert d'une lave noire, d'où sortent en plusieurs endroits (les
sources chaudes qui répandent sur sa surface une épaisse vapeur.
Les volcans de Skapta Syssel se sont fait connaître, en 1783, d'une
manière terrible. Le fleuve Skapt-Aa fut entièrement comblé de pierres
ponces et de laves. Un canton fertile fut changé en un désert couvert de
scories. Les exhalaisons sulfureuses et les nuages de cendres se répan-
dirent presque sur toute l'île : une épidémie en fut la suite. Mais aucun
phénomène ne prouve mieux combien est immense cette masse de matières
volcaniques, que l'apparition d'une nouvelle île qui, peu de temps avant
l'éruption de 1783, eut lieu au sud-ouest de Reykianess (cap de fumée),
sous 63° 20' lat. et de 5° 40' long. ouest. Cette île, que l'on appela Strom-
sov, jeta des flammes et des pierres ponces. Lorsqu'en 1785 on en fit la
recherche, elle avait entièrement disparu. Elle forme aujourd'hui un récif
très-dangereux pour les navigateurs. Il est probable que cette île n'était
1 Voici la hauteur des principales montagnes :
Mètres.
L'Hékla
1,557
L'OErœfe-Iœkull
2,028
Le Tindfiall
1,745
Le Knapefell-Iœkull
1,949
Le Snéefells-Iœkuli
1,486
L'Œster-lœkull
1,559
Le Glaama-Iœkull
1,625

46
LIVRE CENT TROISIÈME.
qu'une croûte de laves et de pierres ponces, élevée à la surface de la mer
par une éruption sous-marine.
En 1821, le 20 décembre, l’Eya-Fialls-Iœkull, après être resté plus d'un
siècle en repos, lança à la distance de deux lieues des pierres du poids de
25 à 40 kilogrammes; en 1822, le Snée-Fialls-Iœkull eut une éruption;
l'année suivante, ce fut le tour du Mydal-Iœkull, du Krabla, du Wesler-
Iœkull et du Kattlagia-Iœkull. Du 22 au 26 juin, ce dernier eut trois érup-
tions accompagnées de tremblements de terre si violents, que près de
10,000 personnes périrent. Les cendres que lança le cratère furent portées
à la distance de plus de 30 milles en mer.
Les sources chaudes sont une autre curiosité de cette île, mais elles
n'ont pas toutes le même degré de chaleur. Celles dont les eaux tièdes
sortent aussi paisiblement que des sources ordinaires s'appellent laugar,
c'est-à-dire bains. Les autres, qui lancent à grand bruit des eaux bouil-
lantes, sont nommées chaudières, en islandais hverer. La plus remarquable
de ces sources est celle nommée Geyser, qui se trouve près de Skalholt, au
milieu d'une plaine où il y a environ quarante autres sources moins consi-
dérables ; son ouverture est du diamètre de 6 mètres, et le bassin dans lequel
elle se répand en a 16 et 23 de profondeur. L'archevêque de Troil a vu la
masse d'eau s'élever à 25 mètres, le docteur Lind à 30. La colonne d'eau,
environnée d'une épaisse fumée, retombe sur elle-même ou se termine par
une large girandole.
Une autre source s'est ouverte pour rivale au Geyser, c'est le Strockur.
1 est situé à environ cinquante pas du grand Geyser, et paraît avoir avec
celui-ci la plus grande connexion. Il occupe une sorte de puits au niveau
du sol, de 25 mètres de profondeur, dans lequel l'eau ne s'élève qu'à environ
2 mètres de la surface du sol ; et comme elle y oscille souvent avant de jaillir,
ce phénomène, ainsi que la forme de son puits, lui ont justement valu le nom
de Strockur, ou de baratte, parce qu'il imite cette machine à battre Je beurre1.
Deux autres sources s'élancent et retombent alternativement. Le Badstafa
est de ce nombre ; il lance ses eaux à 15 mètres pendant dix minutes, dis-
continue pendant le même espace de temps, et recommence ainsi périodi-
quement ; ses eaux sont à la température de 82 degrés du thermomètre
centigrade. Toute cette infernale vallée est remplie de sources et environnée
1 Voyage en Islande et au Groenland, exécuté pendant les années 1835 et 1836 sur
la corvette la Recherche, commandée par M. Trehouart, lieutenant de vaisseau, dans
le but de découvrir les traces de la la Lilloise. — Minéralogie et géologie par M. Eugène
Robert,

AMÉRIQUE.—ISLANDE.
47
de laves et de pierres ponces. Ces eaux bouillantes, et principalement celles
du Geyser, déposent sur leurs bords une croûte de tuf siliceux. Les Islan-
dais tirent quelque parti de ces sources chaudes, qui jadis ont servi à bap-
tiser leurs ancêtres païens. Ils y font cuire leurs légumes, viandes, œufs et
autre nourriture ; mais il faut avoir soin de couvrir le pot suspendu dans
ces eaux fumantes, afin que l'odeur volcanique ne gâte pas les mets. Les
habitants y lavent aussi leur linge, et ils y font courber plusieurs instru-
ments de bois. Les sources moins chaudes servent à se baigner. Les vaches
qui boivent de leurs eaux donnent une quantité de lait extraordinaire.
Suivant un des voyageurs français qui ont visité l'Islande en 1836, le
Geyser ne jaillit pas régulièrement ; il est soumis à l'influence de la pluie,
du vent, des saisons. «Nous avions, dit-il, établi notre tente entre les
« sources mêmes, afin de voir l'éruption de plus près, et nous l'attendions
« avec impatience dès le moment de notre arrivée. Le jour, nous crai-
« gnions de nous écarter ; la nuit, nous veillions chacun à notre tour afin
« de donner le signal à nos compagnons de voyage. Plusieurs fois nous
« fûmes éveillés par les cris de celui qui montait la garde. Le Geyser com-
« mençait à s'agiter-, on entendait un bruit souterrain semblable à celui
« du canon, et le sol tremblait comme s'il eût été frappé par des coups de
« bélier. Nous courions en toute hâte au bord de la colline ; mais le Geyser,
« comme pour se jouer de nous, montait jusqu'au-dessus de sa coupe de
« silice, et débordait lentement, comme un vase d'eau qu'on épanche.
« Enfin, après deux jours d'attente, nous fîmes jaillir le Strockur en y fai-
« sant rouler une quantité de pierres et en tirant des coups de fusil. L'eau
« mugit tout à coup, comme si elle eût ressenti dans ses cavités profondes
« l'injure que nous lui faisions; puis elle s'élança par bonds impétueux,
« rejetant au dehors tout ce que nous avions amassé dans son bassin, et
« couvran t tout le vallon d'une nappe d'écume et d'un nuage de fumée. Ses
« flots montaient à plus de 80 pieds au-dessus du puits ; ils étaient chargés
« de pierres et de limon. Une vapeur épaisse les dérobait à nos regards;
« mais, en s’élevant plus haut, ils se diapraient aux rayons du soleil, et
« retombaient par longues fusées comme une poussière d'or et d'argent.
« L'éruption dura environ vingt minutes, et, deux heures après, le Geyser
« frappa la terre à coups redoublés, et jaillit à grands flots comme l'eau
« du torrent,comme l'écume de la mer quand le vent la fouette, quand la
« lumière l'impreigne de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel *. »
1 M. X. Marmier, attaché à l'expédition française en Islande, auteur de l'Histoire
de l'Islande, qui fait partie de ce voyage.

48
LIVRE CENT TROISIÈME.
D'après les observations faites par les savants attachés à l'expédition de
l'Islande et du Groenland, la surface des eaux du bassin du Geyser est à la
température de 100° du thermomètre centigrade ; à 10 mètres de profon-
deur, elles indiquent 104°, et à 20 mètres 124°. Les eaux du Strockur,
à 13 mètres de profondeur, sont à la température de 14 0° à 111°.
Les eaux du Geyser et du Strockur sont inodores et n'ont aucune saveur
désagréable ; mais elles contiennent une si grande quantité de silice, qu'elles
déposent autour de l'orifice cratériforme de ces deux sources, que quelques
savants ont considérées comme des volcans d'eau, une masse de concré-
tions siliceuses, mamelonnées ou dispersées en choux-fleurs, ou imitant
grossièrement d'autres objets naturels.
Les deux Geysers sont bornés au nord, à l'est et au sud, par la petite
rivière d’Haukadalur et par une plaine marécageuse ; à l'ouest par une
colline, appuyée elle-même contre une montagne fortement redressée,
portant des traces anciennes de l'action des eaux thermales. Cette colline,
entièrement composée de diverses concrétions siliceuses, est criblée de
trous par où s'échappent des vapeurs brûlantes.
Outre ces magnifiques jets d'eau, l'Islande a encore des sources miné-
rales, que les habitants appellent sources de bière. Cette dénomination
semble démontrer qu'ils n'en ont pas toujours négligé l'usage comme
aujourd'hui.
Une des productions les plus singulières de l'Islande, est cette masse
noirâtre, pesante, propre à brûler, nommée en islandais surturbrand1 ;
c'est un bois fossile, légèrement carbonisé, et qui brûle avec flamme. Une
autre espèce de bois minéralisé est plus pesante que le charbon de terre,
et brûle sans flamme; elle contient de la calcédoine dans ses fissures
transversales.
Les montagnes centrales de l'île n'offrent point de granit; elles ren-
ferment du fer et du cuivre, que le manque de bois empêche d'exploiter;
du marbre, de la chaux, du plâtre, de la terre à porcelaine, plusieurs sortes
de bols, des agates, du jaspe et autres pierres.
On trouve du soufre, tant pur qu'impur. Les mines de Krisevig et de
Husavig sont les plus considérables. On a établi une raffinerie de soufre
dans le dernier endroit. Les collines de soufre présentent un phénomène
plus effrayant peut-être et plus instructif que le Geyser ; on voit à leurs
pieds l'argile dans une ébullition continuelle; on entend les eaux bouil-
lonner et siffler dans l'intérieur de la montagne: une vapeur chaude
1 Surtur : Le dieu noir, le Pluton du Nord. Brand, tison.

AMÉRIQUE.—ISLANDE.
49
couvre ce terrain, d'où souvent il s'élance des colonnes d'eau boueuse. Le
soufre qui forme la croûte de ces couches d'argile est ordinairement très-
chaud, et s'y présente dans les cristallisations les plus magnifiques.
L'île ne produit pas d'autre sel que celui que l'on trouve au milieu de quel-
ques laves ; mais la mer qui l'avoisine a les eaux aussi salées que celles de la
mer Méditerranée. Le sel qu'on en tire donne au poisson une teinte bleuâtre.
Le ciel de l'Islande étale aussi des prodiges. A travers un air rempli de
petites particules glacées, le soleil et la lune paraissent doubles ou prennent
des formes extraordinaires ; l'aurore boréale se joue en mille reflets de
couleurs diverses ; partout l'illusion du mirage crée des rivages et des mers
imaginaires. Le climat ordinaire serait assez tempéré pour permettre la cul-
ture des blés, qui autrefois était suffisante aux besoins d'une population
beaucoup plus considérable. Le gouvernement se donne beaucoup de peine
pour la faire revivre. Mais lorsque les glaces flottantes viennent à s'ar-
rêter entre les promontoires septentrionaux de cette île, tout espoir de
culture cesse pour une ou deux années; un froid effroyable se répand sur
toute l'île ·, les vents apportent des colonnes entières de partiules glacées ;
toute la végétation s'éteint; la faim et le désespoir semblent s'asseoir sur
ces montagnes qu'échauffent en vain tous les feux des abîmes souterrains.
Dans un siècle on a compté 43 mauvaises années, parmi lesquelles
14 années de famine. Les années 1784 et 1785, dans lesquelles la rigueur
des hivers succéda à des éruptions volcaniques, virent périr 9,000 hommes
ou un cinquième de la population, 28,000 chevaux, 11,491 bêtes à cornes,
et 190,488 bêtes à laine1.
Dans les disettes de fourrages, on donne, dit-on, aux vaches de la chair
du poisson appelé dans le pays sternbitr, du genre blennus de Linné, pilée
avec des os de morue ; cette nourriture leur procure beaucoup de lait, mais
il a un goût désagréable. Dans l'hiver on tient les moutons enfermés dans
des cavernes ; ils y souffrent tellement de la faim qu'ils se mangent la laine
sur le dos : ce qui produit dans leur estomac ces pelotes de poils connues
sous le nom d'ægagropiles. Mais les Islandais connaissent le moyen de les
délivrer de ces masses de poils.
L’elymus arenarius, en islandais melur, est une espèce de blé sauvage
qui donne une bonne farine. Le lichen d'Islande et plusieurs autres sortes
de lichens servent à la nourriture, ainsi qu'un grand nombre de racines
1 Stephansen (bailli d'Islande): Description de l'Islande au dix-huitième siècle.
Copenhague, 1807. Olavius : Voyage économique en Islande (en danois). Olafsen :
Voyage en Islande.

50
LIVRE CENT TROISIÈME.
nntiscorbutiques, et même plusieurs sortes d'herbes marines, entre autres
l’alga saccarifera et le fucus foliaceus. L'Islande produit, comme la Nor-
vége, une immense quantité de baies sauvages d'un goût excellent. Le jar-
dinage est à présent répandu dans tout le pays. Les choux-fleurs ne réus-
sissent pas. La culture des pommes de terre prend des accroissements trop
lents pour le bonheur de l'île.
Il y eut autrefois de grandes forêts qui abritaient les vallées méridionales.
Une mauvaise économie les a dévastées. On ne trouve à présent que quel-
ques bois de bouleaux et beaucoup de broussailles. Mais le bois, que la
terre refuse aux Islandais, leur est amené par la mer. C'est un des phéno-
mènes les plus étonnants dans la nature que cette immense quantité de gros
troncs de pins, sapins et autres arbres qui viennent se jeter sur les côtes
septentrionales de l'Islande, surtout sur le cap du Nord et sur celui nommé
Langaness. Ce bois arrive sur ces deux points dans une telle abondance que
les habitants en négligent la plus grande partie. Les morceaux qui sont
poussés le long de ces deux promontoires vers les autres côtes fournissent à
la construction des bateaux.
Les chevaux sont de la même espèce que ceux de la Norvége, et on les
emploie de même à porter des fardeaux comme les ânes. Les bœufs et les
vaches sont pour la plupart sans cornes. Les moutons, au contraire, en ont
deux et quelquefois trois ; ils sont très-grands, et leur laine est plus longue
que celle des moutons danois ordinaires. L'Islande compte jusqu'à
500,000 bêtes à laine, et près de 40,000 bêtes à cornes; en 1835, elle ren-
fermait 50,000 à 60,000 chevaux. Les pâturages, mieux soignés, seraient
la vraie richesse de l'île; mais on les abandonne aux soins de la nature.
Le gouvernement a fait transporter en Islande des rennes qui s'y mul-
tiplient. Il est remarquable que cet animal n'y était point indigène, quoique
la mousse des rennes y vienne en abondance. Les renards d'Islande four-
nissent de belles pelisses : on en vend quelquefois une peau grisâtre, à
Copenhague, 40 à 50 fr. C'est le seul quadrupède sauvage de l'Islande. Les
ours blancs, qui arrivent sur les îles flottantes de glaces, font quelquefois
des ravages avant d'être tués. Parmi les oiseaux d'Islande, l'édredon (anas
mollissima) est renommé par son duvet délicat. Les faucons de l'Islande
étaient autrefois plus recherchés qu'aujourd'hui. Les blancs, qui sont
rares, valent 90 à 100 fr. la pièce.
La mer et les rivières offrent aux Islandais des avantages qu'ils négligent
trop. Les saumons, truites, brochets et autres excellents poissons dont four-
millent les rivières, vivent et meurent pour la plupart en repos. Les

AMÉRIQUE. — ISLANDE.
51
anguilles sont en abondance, mais les habitants n'osent pas en manger ·, ils
y voient l'engeance du grand serpent marin, qui, selon la mythologie odi-
nique, enlace la terre entière, et qu'on prétend avoir vu lever la tête près des
côtes d'Islande. Les harengs environnent les côtes, mais les Islandais ne
connaissent que depuis peu l'usage des filets. Les petites baleines, les
veaux et chiens marins, et les cabillauds sont les sortes dont on pêche le plus.
L'Islande était autrefois divisée en quatre parties, nommées d'après les
quatre points cardinaux. Celles du sud, de l'est et de l'ouest formaient le
diocèse de Skalholt. Le diocèse de Holum comprenait la partie du nord.
Aujourd'hui cette île fait partie, avec les Fëroë, de la division politique des
îles du Danemark. Elle forme un Stift ou province administrative de ce
royaume, dont les divisions, appelées Amt, sont: le Sondre-Amt, le Vester-
Amt et le Nordre-Amt. Chacune de ces divisions est administrée par un
fonctionnaire appelé Amtman ; celui du Sondre-Amt, appelé Sliftamtman,
est gouverneur général de l'île. Chaque Amt est divisé en Syssel ou bail-
liages, dont les baillis, Sysselman, sont à la fois administrateurs et juges de
paix ; le nombre des Syssels est de 23; la superficie de l'île est, avons-nous
dit, de 5,000 lieues carrées; sa population peut être évaluée à 56,000 âmes.
L'Islande forme le diocèse d'un évêché luthérien. L'évêque est chargé
de l'administration des affaires ecclésiastiques. Le principal dignitaire de
l'église, après lui, est le stiftsprovst de Reykiavik. Le pasteur de chaque
chef lieu de canton a le titre de provst : il surveille les prêtres de son dis-
trict et leur transmet les ordres de l'évêché. Il y a à Reykiavik un tribunal
composé d'un président, de deux assesseurs et d'un greffier. Il dépend de
la cour suprême de Copenhague. Les revenus de l'Islande suffisent à peine
pour acquitter les dépenses administratives.
La ville de Reykiavik comptait, il y a peu de temps, une centaine de mai-
sons, et 8 à 900 âmes; c'est la capitale actuelle, c'est le siége d'un évêché
et la résidence des gouverneurs et des principales autorités de l'île. Son
nom, qui signifie Golfe de fumée, vient de ce qu'elle est voisine d'une source
d'eaux thermales. Elle est construite sur une large chaussée naturelle,
d'origine volcanique, bornée au sud-ouest par le petit lac de Tjorn, et fait
face, vers le nord-ouest, à une superbe rade. Des remparts volcaniques la
protègent à peine à droite et à gauche contre l'action des vents qui l'as-
siègent violemment de tous côtés. Elle possède un lycée, une bibliothèque
publique de 5,130 volumes, une école d'enseignement mutuel, une asso-
ciation pour la diffusion des connaissances utiles, une société des sciences
et une de littérature islandaise, qui sont des sections de la Société royale

52
LIVRE CENT TROISIEME.
des antiquaires et de celle de littérature établies à Copenhague; enfin elle
publie deux journaux.
Rien n'est plus triste et plus désolé que les environs de cette capitale :
pas un arbre, pas un buisson; c'est une affreuse nudité.
Bessestadr ou Bessestad possède un bon gymnase, avec une bibliothèque
de 1,500 volumes : c'est l'Oxford et le Gottingue de l'Islande. Son gymnase
est la seule haute école de l'île. Il est destiné principalement aux jeunes
gens qui se destinent à l'état ecclésiastique. A Holum ou Holar, dans le
nord de l'île, on a réuni près de 900 volumes; cette petite ville, jadis siége
d'un évêché, possédait déjà une imprimerie en 1530. A Lambhuus, qui
n'est qu'une petite bourgade à peu de distance de Reykiavik, on a con-
struit un observatoire. Skalholt ou Reinkinrik, autrefois chef-lieu de l'île, et
siége d'un évêché, fait un commerce assez actif; la société y est d'une poli-
tesse remarquable.
Les écoles ont d'autant moins d'importance en Islande que l'éducation
se donne généralement dans toutes les familles. Les plus pauvres paysans,
ditM. Rarrow, au milieu de toutes les privations de tout ce que nous regar-
dons comme choses de première nécessité et indispensables à notre bien-
être, sont plus éclairés que les paysans des autres pays et en apparence
plus heureux. Le clergé peut refuser de marier une femme qui ne sait ni
lire ni écrire; c'est ce qui fait que les paysans islandais sont généralement
instruits. L'enfant apprend tout de sa mère, lecture, religion, morale.
L'île Videy, située au nord-est de Reykiavik, semble, par sa constitution
géologique, avoir tenu jadis à la côte ferme ou à la pointe de Laugarnes,
dont elle n'est séparée que par un canal très-étroit. Cette petite île, l'une
des plus fertiles de l'Islande, et dont le climat est remarquablement doux, à
cause de sa situation au pied de la chaîne d'Esia, qui l'abrite des vents du
nord, est composée de basalte et d'autres roches volcaniques.
Cette île n'est pas moins célèbre par son imprimerie, établie dans l'une des
trois ou quatre maisons en pierre que possède l'Islande, que par ses eiders.
Le commerce de l'Islande, autrefois livré au monopole, est aujourd'hui
libre. On exporte chaque année du poisson, de l'huile de poisson, des
viandes, du suif, du beurre, des cuirs, de l'édredon, du soufre, environ
500,000 kilogrammes de laine brute ou filée, de la grosse étoffe de laine,
des toiles de chanvre et de lin , 200,000 paires de bas tricotés et
300,000 paires de mitaines. L'importation consiste en blé, grains, eau de-
vie, tabac, marchandises coloniales, étoffes fines, quincaillerie. La valeur
des exportations est estimée à environ 1 million de francs.

AMÉRIQUE.—ISLANDE.
53
Passons maintenant à l'intéressante peuplade qui habite cette terre sin-
gulière. Les Islandais sont en général d’une taille moyenne, bien confor-
més ; mais une nourriture peu abondante leur donne peu de vigueur. Les
mariages ne sont pas féconds. Probes, bienveillants, peu industrieux, mais
fidèles et obligeants, ces insulaires exercent généreusement l'hospitalité,
autant que leurs moyens le permettent. Leurs principales occupations con-
sistent dans la pèche et le soin de leurs troupeaux. Sur les côtes, les hommes
vont à la pèche en été et en hiver. Les femmes apprêtent le poisson, s'oc-
cupent à coudre et à filer. Les hommes préparent les cuirs et exercent les
arts mécaniques; quelques-uns travaillent l'or et l'argent; ils manufac-
turent, comme les paysans du Jutland et de plusieurs autres provinces, une
sorte d'étoffe grossière connue sous le nom de wadmal. On fabrique
annuellement 146,000 paires ae bas de laine et 163,000 paires de gants.
Ces insulaires sont si attachés à leur pays natal qu'ils se trouvent malheu-
reux partout ailleurs. Naturellement graves et religieux, ils ne traversent
jamais une rivière ou tout autre passage dangereux sans se découvrir la
tête et implorer la protection divine. Lorsqu'ils se rassemblent, leur passe-
temps favori consiste à lire leurs relations ou mémoires historiques : le
maître de la maison commence, et les autres le remplacent tour à tour 1.
D'autres fois on fait lecture de poésies nouvellement composées (Rimu-
Lestor). Quelquefois un homme donne la main à une femme, et ils chantent
tour à tour des couplets qui forment une espèce de dialogue (Vikevaka). Le
reste de la compagnie fait de temps en temps chorus. Le jeu d'échecs est
fort en vogue parmi eux, et, comme les anciens Scandinaves, ils tiennent à
gloire d'y être habiles. Le vêtement des Islandais n'est ni élégant ni très-
orné; mais il est décent, propre et convenable au climat. Les femmes
portent à leurs doigts des bagues d'or, d'argent et de cuivre. Les plus
pauvres sont vêtues de l'étoffe grossière dont nous avons fait mention, mais
toujours noire. Celles qui ont plus d'aisance s'habillent d'étoffes plus
amples, et portent des ornements d'argent doré.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est l'analogie frappante de leur coiffure
en pointe avec celle de nos Cauchoises, ce qui indique une commune ori-
gine entre les Islandais et les Normands. Les Islandais descendent d'une
colonie norvégienne qui, sous la conduite du Jarl ou comte Ingolf, forcé
d'abandonner sa patrie pour cause de meurtre, arriva en Islande vers
l'année 860. Ces Scandinaves emportèrent avec eux leurs monuments his-
toriques, leur tradition, leur théogonie, leur poétique, et tout ce qui carac-
1 Ces réunions se nomment Sagu-Lestor.

54
LIVRE CENT TROISIÈME.
térisait les mœurs de la mère-patrie. Relégués vers le pôle, ils conservaient
leurs antiques croyances ; les skaldes, poëtes guerriers, chantaient encore
sur le rhythme runique les victoires d'Odin, lorsque la Gothie et le Jutland
avaient oublié les traditions de leurs ancêtres pour embrasser les croyances
du christianisme. Aussi est-ce aux Islandais que l'on doit ce que l'on sait
sur les runes, caractères employés par les Goths et les Francs, et sur leur
système de versification. Qu'on ne s'étonne d'ailleurs pas que l'Islande ait
produit plusieurs auteurs célèbres, tels que Jonas Arngrim, Torfœus,
Sœmund, Sigfusson et Snorro-Sturleson, dont les écrits ont jeté un grand
jour sur l'histoire des peuples du Nord et sur la religion des Scandinaves.
L'un deux, Sigfusson, est l'auteur de plusieurs poésies skaldes. Sœmund
avait déjà recueilli les sagas ou traditions des anciens princes norvégiens,
lorsque Snorro-Sturleson , au commencement du treizième siècle, rédigea
le système mythologique des Scandinaves, qui fut nommé Snorro-Edda ou
nouvelle Edda, pour la distinguer de celle de Sœmund. Les Islandais, tant
que dura leur indépendance, conservèrent dans leur gouvernement la forme
républicaine : leur île était divisée en quatre provinces gouvernées par cinq
magistrats choisis parmi les principaux habitants. En 981, le christianisme
y fut introduit-, en 1261, une révolution la soumit aux rois de Norvége ;
mais depuis 1397, le traité de Calmar la réunit au Danemark. Depu is cette
époque la langue islandaise a commencé à dégénérer. Aujourd'hui c'est un
idiome mêlé de mots anglais, français, hollandais et latins : il n'est même
pas rare que des hommes grossiers saluent en employant des phrases
atines, telles que vale, domine; salus et honor.
Il serait difficile de citer un clergé plus pauvre que le clergé des Islandais.
Le pasteur n'a pas le moyen de se faire servir et de faire labourer son champ.
On le voit en jaquette de grosse étoffe de laine, en caleçon de matelot et en
bottes de cuir, arracher sa tourbe, faucher et faner son herbe, et se livrer
aux travaux agricoles. Il est forgeron par nécessité, il excelle dans l'art du
maréchal, art fort considéré dans un pays où les pointes de rochers de lave
et le sol rocailleux déchireraient les pieds des chevaux s'ils étaient mal fer-
rés. L'église est le grand refuge des paysans ; ils y viennent de toutes parts.
Si quelques-uns de leurs chevaux ont besoin d'un fer, vite le pasteur pr end
le tablier, allume sa petite forge et se met à l'ouvrage. De ces rudes tra-
vaux, le prêtre islandais se délasse par des études littéraires, et souvent par
d'excellents travaux d'imagination.
Les Islandais sont en général mal logés. Dans quelques endroits, leurs
maisons sont construites de bois que la mer y jette, et quelquefois les murs

AMÉRIQUE. — ISLANDE.
55
sont faits de lave et de mousse. Ils couvrent le faîte de gazons posés sur
des solives et quelquefois sur des côtes de baleine, qui sont plus durables et
moins chères que le bois. Il y a beaucoup de cabanes construites entière-
ment de gazon et éclairées par des lucarnes. Leur principale nourriture
consiste en poisson sec et en laitage ; on ne prodigue pas la viande, et autre-
fois le pain était rare. Aujourd'hui 18,000 tonnes de seigle sont consom-
mées dans l'île. Les riches connaissent le vin, le café et toutes les épiceries
de notre cuisine. Une imitation plus utile des mœurs danoises a fondé ici,
ainsi qu'on l'a vu précédemment, plusieurs sociétés littéraires, dont quel-
ques-unes ont publié des mémoires. Les paroisses ont commencé à former
de petites bibliothèques publiques, d'où les pères de famille empruntent
des livres de morale ou d'histoire. Nul Islandais n'ignore l'art d'écrire et de
calculer; la plupart d'entre eux connaissent l'histoire biblique et celle de la
Scandinavie. On trouve parmi les ministres beaucoup d'hommes versés
dans toutes les beautés de la littérature grecque et romaine; mais l'utile
étude des sciences physiques n'est pas répandue. Telle est cette colonie
des Scandinaves, placée entre les glaces du pôle et les flammes de l'abîme.
Au nord-est de l'Islande s'étendent des côtes mal connues qui appar-
tiennent, soit au Groenland, soit à un archipel glacé. Elles n'ont été vues
qu'accidentellement par des navigateurs qui, à la poursuite des baleines,
s'étaient avancés dans ces mers dangereuses. Des secousses éprouvées en
pleine mer, et des amas de pierres ponces flottantes ont paru indiquer l'exis-
tence de volcans vers le 75e degré. Retrouverait-on ici les sources chaudes
qui, selon les frères Zeni, servaient à chauffer le monastère de Saint-
Thomas?
A 50 lieues du Groenland et à 100 de l'Islande, l'île de Jean-Mayen offre
des côtes plates et sablonneuses, mais souvént bordées par d'énormes amas
de glaces qui s'élèvent à 400 mètres. Son sol, entièrement volcanique, est
couvert de montagnes dont la plus importante est le Béerenberg, élevé de
2,280 mètres et couvert de neiges éternelles. L’Esk, volcan de 500 mètres
d'élévation, vomit fréquemment de la lave : en 1800, il lançait de la fumée;
à la fin de 1818, il eut une éruption. Cette île fut découverte par le naviga-
teur hollandais dont elle porte le nom. Elle n'est fréquentée que par les
navires baleiniers ; l'àpreté de son climat n'y laisse croître que de chétives
plantes. On ne trouve sur ses rivages qu'un petit nombre d'oiseaux de mer :
on y a remarqué des traces d'ours et de renards.
Un groupe de trois ou quatre grandes îles, et d'un nombre considérable
de petites, termine, dans l'état actuel de nos connaissances, cette chaîne

56
LIVRE CENT TROISIÈME.
de terres glaciales dépendantes du Groenland, et par conséquent de l'Amé-
rique septentrionale.
Ces îles furent découvertes en 1553 par l'anglais Hugh Willoughby; en
en 1595, elles furent visitées par les navigateurs hollandais Guillaume
Barentz et Jean Cornelius, qui crurent les avoir découvertes, et qui, à
cause des rochers pointus dont elles sont hérissées, donnèrent à l'une d'elles
le nom de Spitzberg.
La grande île du Spitzberg proprement dite est séparée, par des canaux
étroits, de l’île du Sud-Est et de celle du Nord-Est. La presqu'île orientale
de la grande île a reçu le nom de Nouvelle Frislande. Vers la pointe nord-
ouest sont les restes de l'établissement des baleiniers hollandais, nommé
Sméerenberg, c'est-à-dire château de Graisse. La quatrième île est celle du
Prince Charles. Les montagnes du Spitzberg, couronnées de neiges per-
pétuelles et flanquées de glaciers, jettent de loin un éclat semblable à celui
de la pleine lune. Elles se composent probablement de granit rouge dont les
blocs, étant à nu en grande partie, resplendissent comme des masses de feu
au milieu des cristaux et des saphirs que forme la glace. Leur énorme élé-
vation les fait apercevoir à une grande distance ; et comme elles s'élancent
immédiatement du sein de la mer, les baies, les vaisseaux, les baleines,
tout paraît dans leur voisinage d'une extrême petitesse. Le silence solennel
qui règne dans cette terre déserte accroît la mystérieuse horreur qu'éprouve
le navigateur en y abordant. Cependant la mort de la nature n'est même ici
que périodique. Un jour de cinq mois tient lieu d'été ; le lever et le coucher
du soleil marquent les bornes de la saison vivante; mais ce n'est que vers
le milieu de cette saison, ou, si l'on aime mieux, vers le midi de ce jour,
que la chaleur, longtemps accumulée, pénètre un peu en avant dans la terre
glacée; le goudron des vaisseaux fond aux rayons du soleil, et cependant
on ne voit éclore qu'un petit nombre de plantes ; ce sont des cochléaires,
des renoncules, des joubarbes ; Martens put même couronner son chapeau
de fleurs de pavot cueillies sur ces tristes rivages. Les golfes et baies se
remplissent de fucus et d'algues d'une dimension gigantesque; une espèce
a 65 mètres de long. C'est dans ces forêts marines que les phoques et les
cétacés aiment à rouler leurs corps énormes, ces vastes masses de graisse
que les pêcheurs européens poursuivent jusqu'au milieu des glaces éter-
nelles ; c'est là que ces animaux vont chercher les mollusques et les petits
poissons, leur nourriture habituelle; c'est là que ces êtres, en apparence si
lourds, si peu sensibles, se livrent à leurs penchants sociaux, à leurs jeux,
à leurs amours. Réunis sur un champ de glace, les chiens marins sèchent

AMÉRIQUE. — SPITZBERG.
57
leur poil brunâtre-, le morse ou hvalross, en grimpant aux rochers, montre
ses énormes défenses dont l'ivoire éclatant est caché sous une couche de
limon de mer ; la baleine lance des jets d'eau par ses vastes évents, et res-
semble à un banc flottant sur lequel divers crustacés et mollusques fixent
leur demeure ; mais elle est souvent blessée à mort par le narval ou narhval,
à qui la perte habituelle d'une de ses défenses horizontales a fait donner le
nom d’unicorne de mer. La baleine est encore souvent la victime d'une
espèce de dauphin nommé Vêpée de mer, qui lui arrache des morceaux de
chair, et qui cherche surtout à dévorer sa langue. Au milieu de tous ces
colosses vivants de la mer Glaciale s'avance un quadrupède redoutable,
vorace et sanguinaire : c'est l'ours polaire. Tantôt porté sur un îlot de glace,
et tantôt nageant au sein des flots, il poursuit tout ce qui respire, dévore
tout ce qu'il rencontre, et s'assied, en rugissant de joie, sur un trophée
d'ossements et de cadavres. Un autre quadrupède, le timide et aimable
renne, broute la mousse qui couvre tous les rochers. Des troupes de renards
et d'innombrables essaims d'oiseaux de mer viennent encore, pendant quel-
ques moments, peupler ces îles solitaires ; mais dès que finit lejour polaire,
ces animaux se retirent à travers des terres inconnues soit en Amérique,
soit en Asie.
Les animaux marins du Spitzberg présentent à la cupidité européenne
un appât qui fait oublier les dangers de ces mers inhospitalières. La pêche
de la baleine, mentionnée dès le neuvième siècle, a souvent occupé jus-
qu'à 400 gros bâtiments de toutes les nations. Les Hollandais, dans l'espace
de quarante-six ans, prirent 32,900 baleines, dont les fanons et l'huile
formèrent une valeur de 380,000,000 de francs. Ces animaux paraissent
fréquenter aujourd'hui les parages du Spitzberg en nombre moins considé-
rable; on n'en voit plus d'aussi grande taille que dans le commencement
de celte pêche. Le morse est plus nombreux et plus facile à attaquer ; sa
peau , employée à suspendre les carrosses, et ses dents, plus compactes
que celles de l'éléphant, sont des objets qui attirent souvent au Spitzberg
des colonies temporaires russes. Les anciens Bretons en faisaient déjà,
avant la domination romaine, des pommes d'épée. L'ancienne colonie
Scandinave du Groenland payait en « dentes deroareo » qui paraissent avoir
été des défenses de morse, letribut qui, sous le nom de denier de Saint-
Pierre , affluait des extrémités de la terre pour défrayer la magnificence
des basiliques romaines et les pompes de la cour pontificale. La corne du
narval a longtemps été l'objet d'un respect superstitieux ; on en tirait de
prétendus remèdes universels ; on la suspendait dans les muséums à des
v.
8

58
LIVRE CENT TROISIÈME.
chaînes d'or. Les margraves de Bayreuth en faisaient conserver plusieurs
dans leur trésor de famille ·, ils en avaient reçu une en payement de plus
de 60,000 rixdalers. Les princes des deux branches de cette maison se
partagèrent une de ces cornes avec autant de formalités qu'ils en auraient
mis à partager un bailliage. Aujourd'hui, les médecins ont abandonné
cette panacée, et le « véritable unicorne » a perdu sa valeur imaginaire.
Une autre substance, originaire de ces régions, a également été le sujet de
quelques fables ; c'est la matière cérébrale du cachalot, nommée très-
improprement sperma ceti, et plus convenablement blanc de baleine ; on.
en fait des bougies d'une blancheur éclatante. Tous ces gros animaux sont
cependant moins utiles à l'homme que le hareng, dont la mer Glaciale
semble être la patrie ou l'asile. Là, dans des eaux inaccessibles, il brave
l’homme et la baleine ; mais des causes inconnues l'en font sortir pour venir
environner de ses innombrables essaims les côtes septentrionales de l'Eu-
rope et de l'Amérique.
Une dernière curiosité doit encore nous arrêter dans cette région polaire ;
c'est l'extrême abondance de bois flottant que la mer amène sur les côtes
du Labrador, du Groenland, et plus encore sur celles de l'Islande, du Spitz-
berg et des terres arctiques entre ces deux îles. On assure que les amas de
bois flottant rejetés sur l'île Jean-Mayen égalent souvent cette île en éten-
due. Il est des années où les Islandais en recueillent assez pour leur chauf-
fage. Les baies du Spitzberg en sont remplies ; il s'accumule sur les parties
de la côte de Sibérie exposées à l'est. Il se compose de troncs de mélèzes
de pins, de cèdres sibériens, de sapins, de bois de Fernambouc et de Carn-
pêche. Ces troncs paraissent avoir été entraînés par les grands fleuves d'Asie
et d'Amérique; les uns sont apportés du golfe du Mexique par le fameux
courant de Bahama ; les autres sont poussés par le courant qui, au nord
de la Sibérie, porte habituellement de l'est à l'ouest. Quelques-uns de ces
gros arbres, que le frottement a dépouillés de leur écorce, sont même assez
bien conservés pour former d'excellent bois de construction.
TABLEAU des divisions administratives du Groenland et de l'Islande.
POSSESSIONS DU DANEMARK'.
GROENLAND.
Superficie en lieues : 111,000. — Population absolue : 21,000 habitants.
GROENLAND OCCIDENTAL OU GROENLAND COLONISÉ.
Population : 16,000 habitants

AMÉRIQUE. — LE CANADA.
59
Inspectorat du Nord.
Chefs-lieux.
Districts.
Upernavik, Oumanak, Ritenbenk,
Goôhavn :
Jacobshavn, Christianshaab, Egedesminde.
Inspectorat du Sud.
Julianehaab, Fredérickshaab, Fiskenœsset,
Godthaab :
Godthaab, Sokkertoppen, Holsteinsborg.
GROENLAND ORIENTAL OU INDÉPENDANT.
Population : 5,000 habitants.
La population totale du Groenland comprend 6,000 indigènes chrétiens, 1,000 frères
moraves et 14,000 indigènes idolâtres.
ISLANDE.
Superficie en lieues : 5,000. Population absolue : 56,100 habitants.
SONDERAMTEL OU DISTRICT DU SUD.
Superficie : 2,000 lieues géo. carrées. — Population : 20,300 habitants.
Reykiawik : Bessestad, Skalholt.
VESTERAMTEL OU DISTRICT DE L'OUEST.
Superficie : 1,000 lieues géo. carrées. — Population : 14,500 habitants.
Stappen: Heraundalur.
NORDER OG OSTERAMTEL OU DISTRICT DU NORD ET DE L'EST.
Superficie: 2,000 lieues géo. carrées. — Population.: 21,300 habitants.
Madruval : Holum, Eskefiord, Skagastrand.
LIVRE CENT QUATRIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Amérique Anglaise du nord. — Première
section. Gouvernements généraux du Canada et de la Nouvelle-Ecosse.
Nous allons entrer dans une région où la nature, moins marâtre, quoique
toujours sévère et dure, permet à l'agriculture de réunir les hommes en
sociétés plus nombreuses. Mais le caractère du désert ne disparaît pas tout
entier, et la civilisation naissante semble encore une plante étrangère. En
remontant le fleuve Saint-Laurent, nous voyons se développer les majes-
tueuses forêts du Canada autour des plus vastes amas d'eau douce qu'il y
ait au monde. Le fleuve Saint-Laurent n'est qu'un long détroit, par lequel
s'écoulent les eaux des grands lacs du Canada.
La plus reculée de ces mers d’eau douce, comme les premiers voyageurs

60
LIVRE CENT QUATRIÈME.
les appelèrent, se nomme le lac Supérieur ; il a 4 à 500 lieues de circonfé-
rence ; sa longueur de l'est à l'ouest est de 170 lieues, et sa plus grande lar ·
geur de 55. Ses eaux limpides, alimentées par quarante rivières, se balancent
dans un bassin de rochers, et forment des lames presque égales à celles de
l'océan Atlantique. Le lac Huron, qui a 86 lieues de longueur sur 500 de
largeur, et 300 de circonférence, reçoit les eaux du précédent par une suite
de descentes rapides connues sous le nom des Sauts de Sainte-Marie. On ne
donne que 120 lieues de longueur, 25 de largeur,et 260 lieues de pourtour
au lac Michigan, dont les fertiles bords appartiennent en entier aux États-
Unis. Ses eaux se joignent de niveau, et par un large détroit à celles du lac
Huron. Un autre détroit, ou plutôt la rapide rivière de Saint-Clair, sert
d'écoulement au lac Huron, et forme, en s'élargissant, le petit lac de Saint-
Clair. Un canal plus tranquille, nommé proprement dit le Détroit, unit ce
bassin au lac Érié, qui a 83 lieues de longueur sur 20 à 30 de largeur,
mais qui, étant peu profond et bordé de terres d'une élévation inégale,
éprouve des coups de vent redoutables aux navigateurs.
Ce lac se décharge par la rivière de Niagara et par ses célèbres cataractes
tant de fois décrites. En cet endroit le Niagara est divisé en deux bras par la
petite île des Chèvres, à l'extrémité de laquelle se trouve la cataracte. Le
bras gauche, large de 600 mètres, se précipite perpendiculairement d'une
hauteur de 53 mètres, et forme la chute dite du Fer à cheval. L'autre bras
forme la Chute américaine, qui est large de 200 mètres et hautede 54 mètres.
On a remarqué que les eaux, entraînant sans cesse dans leur chute des
rochers du fond du lit du fleuve, ont fait remonter la cataracte à 50 mètres
au-dessus de l'endroit où elle était il y a 50 ans.
Cette grande cataracte est continuellement enveloppée d'un nuage qu'on
aperçoit de très-loin ·, les flots écumeux semblent couler dans les cieux.
De temps à autre, le nuage, en s'ouvrant, laisse entrevoir les rochers et
les forêts. L'aspect le plus étonnant se présente dans l'hiver, lorsque les
eaux, malgré leur effroyable mouvement, ressentent l'influence des gelées ;
alors d'énormes colonnes de glace s'élèvent du fond du précipice, tandis
que d'autres morceaux de glace pendent d'en haut comme autant de tuyaux
d'orgue.
C'est par ce pompeux vestibule que les eaux du Niagara descendent vers
le tranquille lac Ontario, qui est pourtant sujet à une espèce de flux et
reflux. Ce lac est long de 65 lieues et large de 25. Il se dégorge, par le
charmant lac de Mille-Iles, dans le fleuve Saint-Laurent proprement dit.
Ce fleuve prend, surtout près de Montréal, un caractère extrêment pitto-

AMÉRIQUE. — LE CANADA.
61
resque. C'est un tableau charmant et impossible à décrire, que celui d'un
village qui se développe aux regards à mesure qu'on double une pointe de
terre boisée ; les maisons paraissent suspendues sur le fleuve, et les clochers
étincelants réfléchissent, à travers les arbres, les rayons du soleil. Ce spec-
tacle se répète de lieue en lieue, et quelquefois plus souvent. Mais au-
dessous de Québec, le lit du fleuve s'élargit si considérablement, les rivages
s'enfuient dans un lointain si immense, que l'œil y reconnaît plutôt un
golfe qu'une rivière.
Le Saint-Laurent, malgré son immense volume d'eau, ses eaux pro-
fondes et sa vaste embouchure, n'occupe que le troisième ou le quatrième
rang parmi les fleuves américains : sorti de l'extrémité du lac Ontario, il se
jette, après un cours de 200 lieues, dans un golfe qui porte son nom. La
masse d'eau qu'il verse dans l'Océan est évaluée à 57,335,700 mètres
cubes par heure. On peut juger par là de sa rapidité. Sa largeur varie con-
sidérablement : à sa naissance elle est de 3 lieues ; mais depuis Québec
jusqu'àson embouchure, c'est-à-dire sur une longueurd'environ 100 lieues,
il n'en a pas moins de 15 à 20.
Le seul fleuve considérable du Canada, après le Saint-Laurent, c'est
l’ Ottawa, dont le cours est évalué à plus de 200 lieues, et la masse d'eau
qui s'écoule à 250,000 tonneaux par heure. Il porte au grand fleuve le
tribut de ses eaux limpides et verdàtres. Elles forment, parmi d'autres cas-
cades pittoresques, celle de la Chaudière, qui a 40 mètres de hauteur et
90 de largeur. La rivière de Saguenay, qui vient aussi du nord, est l'écou-
lement du lac Saint-Jean. Une rivière remarquable vient en droite ligne du
sud : c'est celle de Sorel, débouché du lac Champlain, lac qui forme une
communication militaire et commerciale très-importante entre le Canada
et les États-Unis. Parmi les petites rivières, celle de Montmorency est
célèbre par sa cataracte pittoresque-, elle passe deux fois entre des portails
de rochers taillés à pic et couverts d'arbres : resserrée dans un lit de
30 mètres de large, elle se précipite à la fin perpendiculairement de la hau-
teur de 80 mètres, et semble se transformer tout entière en flocons d'ar-
gent ou de neige ; de petits nuages s'élèvent à chaque instant, reflètent
mille couleurs, et disparaissent en se heurtant contre les rochers nus et
grisâtres qui servent de cadres à cette scène moins imposante, mais plus
variée que celle de Niagara.
Le Canada, sans renfermer de véritables chaînes de montagnes, s'élève
par degrés ; les ramifications des monts Alléghanys y acquièrent la hauteur
moyenne de 300 à 600 mètres, et s'étendent dans le Haut-Canada. Les cata-

62
LIVRE CENT QUATRIÈME.
ractes marquent le changement du niveau des eaux ; mais le partage même
des eaux entre la mer d'Hudson et le fleuve Saint-Laurent n'offre qu'une
suite de collines et de rochers isolés. Ces petites montagnes sont appelées
Land's-Heights. Le sol est partout considérablement élevé au-dessus des lacs.
Le froid et le chaud y sont extrêmes, puisque le thermomètre, en juillet
et en août, monte à 28 degrés du thermomètre centigrade, et qu'en hiver le
mercure y gèle. La neige commence avec le mois de novembre, et en jan-
vier il est souvent difficile à un Européen de se tenir quelques moments en
plein air sans en éprouver des suites fâcheuses. Des intervalles d'un temps
plus doux n'y servent qu'à rendre le sentiment du froid plus vif et ses effets
plus dangereux. Souvent à Québec, au commencement de l'hiver, la neige
roule en grandes masses dans l'air, et couvre les rues jusqu'au niveau des
lucarnes des maisons basses. Enfin en décembre les vents neigeux cessent,
un froid uniforme et un air serein leur succèdent. Tout à coup les glaces
arrivent dans le fleuve, et s'accumulent de manière à remplir tout le
bassin ·, mais la plupart du temps ces glaces ne sont que flottantes, et*les
habitants de la rive méridionale, animés par l'espoir du gain, les fran-
chissent, en laissant tantôt glisser et tantôt flotter leurs canots. Les glaces
disparaissent de même avec une rapidité extrême vers la fin d'avril, ou au
plus tard au commencement de mai. Elles se rompent avec un bruit sem-
blable à celui du canon, et sont entraînées à la mer avec une violence
épouvantable. Le printemps se confond avec l'été; les chaleurs subites
font éclore la végétation à vue d'œil. De tous les mois de l'année, le mois
de septembre est le plus agréable.
Il est à remarquer que la glace n'est pas aussi compacte au Canada qu'en
Europe; plus elle est mince et plus elle est solide. Lorsqu'elle est épaisse,
elle est remplie de bulles d'air et d'une couleur grisâtre. On la brise aussi
aisément qu'en Europe, bien qu'elle soit quatre fois plus épaisse.
Les extrêmes du froid et de la chaleur se font sentir avec plus d'inten-
sité dans les cantons cultivés que dans ceux qui ne le sont pas. Le mercure
gèle fréquemment à Montréal, et les étés sont si chauds pendant quelques
jours qu'il est surprenant que les animaux aient la force de vivre. Les pluies
ne sont pas très-abondantes, et elles tombent plus particulièrement au prin-
temps. Les brouillards, dans l'intérieur des terres, ne sont pas si fréquents
que dans la Grande-Bretagne, mais ils le sont beaucoup plus sur les côtes.
Le tonnerre et les éclairs y sont très-communs ; les roulements du premier
y sont beaucoup plus forts qu'en Europe, et l'éclat des derniers y est plus
vif et plus brillant.

AMÉRIQUE.
—LE CANADA.
63
Au Canada, les moustiques sont extrêmement multipliés pendant les cha-
leurs de l'été, surtout dans les parties non cultivées et dans celles où l'on a
détruit le bois. Ces insectes sont excessivement incommodes, et l'on n'a
découvert encore aucun moyen de préserver de leurs piqûres les parties du
corps qui sont exposées à l'air. Les Indiens et les Canadiens en souffrent
autant que les Européens ; mais leur peau n'enfle pas autant.
Le Canada est en général montagneux et couvert de bois. La culture
s'éloigne peu des bords de la grande rivière. Les produits sont: le tabac
pour la consommation des colons, les légumes et les grains, qui forment un
article d'exportation. La culture du froment a fait des progrès rapides. Les
terres deviennent meilleures à mesure qu'on remonte le Saint-Laurent. Les
environs de Montréal surpassent autant en fertilité ceux de Québec que les
terres du Haut-Canada surpassent celles de Montréal. Presque partout, aux
environs de Québec, un terrain peu profond recouvre un immense lit de
pierre calcaire grisâtre, qui, mise en contact avec l'air, se délite en petites
lames ou se réduit en poussière. Les prairies du Canada, supérieures à
celles des contrées américaines plus méridionales, présentent un gazon fin
et épais. Mais les Canadiens sont mauvais cultivateurs ; ils ne labourent ni
assez profondement ni assez souvent : les champs sont remplis de mau-
vaises herbes. Leur froment a la tige longue seulement de 3 à 25 décimètres
l'épi n'atteint que les deux tiers de celui du froment d'Angleterre. Il est
semé au commencement du mois de mai, et mûrit vers la fin d'août. Les
Canadiens français, bien différents des anglo-américains, ne se donnent
jamais la peine de créer un jardin ni un verger.
Parmi les fruits du Canada, les meilleurs sont, comme en Norvége, les
baies, spécialement les fraises et les framboises. On cultive des pommes et
des poires aux environs de Montréal. Des vignes, tant sauvages que plan-
tées, donnent de petits raisins d'un goût agréable, quoique aigrelet. On cul-
tive beaucoup de melons; il paraît même que ce végétal est indigène. Une
plantation de houblon a parfaitement réussi. Le pays produit deux espèces
de cerises sauvages dont on ne tire pas grand parti. Le noyer d'Angleterre
ne s'accommode pas des successions subites du froid et du chaud qui carac-
térisent le printemps du Canada.
Dans la végétation indigène des pays situés au nord du fleuve Saint-
Laurent, on remarque un mélange singulier des flores de la Laponie et des
Etats-Unis. La grande chaleur de l'été fait que les plantes annuelles et
celles que la neige est capable de couvrir pendant l'hiver y sont pour la plu-
part les mêmes que dans les pays plus méridionaux, tandis que les arbres

64
LIVRE CENT QUATRIÈME.
et les arbrisseaux ayant à braver, sans abri, toute la rigueur du climat,
appartiennent aux espèces qui caractérisent les régions arctiques. Le gin -
seng et le lis de Canada, semblable à celui de Kamtchatka, indiquent une
liaison entre la flore de l'Amérique et celle de l'Asie. La zizania aquatica,
graminée propre à ce climat, et qui tient de la nature du riz, croît abon-
damment dans la vase des rivières : elle fournit un aliment aux Indiens
errants, comme aux oiseaux de marécage. Quoique le pays soit couvert de
nombreuses forêts, les arbres n'y acquièrent jamais cette grosseur et cette
surabondance de vie qui les distinguent dans les États-Unis. La famille des
sapins et des arbres verts y est peut-être plus multipliée : on y distinguo le
sapin à feuille argentée, le pin de Weymouth, le pin canadien, la sapinette
d'Amérique et le cèdre blanc du Canada, qu'il ne faut pas confondre avec
celui des États-Unis. Après ceux-là, qui occupent le premier rang, nous
nommerons encore l'érable à sucre et l'érable rouge, le bouleau, le tilleul
et l'ormeau d'Amérique, le bois de fer et le gaînier du Canada. Les nom-
breuses espèces de chênes nous sont en général inconnues ; celles de
l'Europe ne s'y montrent que sous la forme d'arbrisseaux rabougris : aussi
le bois de construction du Canada se tire-t-il des provinces occidentales de
la Nouvelle Angleterre, ancienne région des États de l'Union. On rencontre
encore dans les îles du Saint-Laurent le sassafras, le laurier et le mûrier
rouge ; mais ils sont dans le même état de langueur. Le frêne commun, l'if et
le frêne des montagnes se rencontrent également dans les contrées septen-
trionales de l'ancien et du nouveau continent; mais les forêts du Canada
possèdent un ornement caractéristique dans les festons légers de la vigne
sauvage et dans les fleurs odorantes de l'asclépiade de Syrie. Les forêts du
Canada fournissent principalement des douves et planches de sapin, ainsi
qu'un certain nombre de petits mâts. Les potasses et les cendres perlées
sont encore un produit des forêts. Les Canadiens font beaucoup de sucre
d'érable, et le vendent à moitié prix de celui des colonies. L'extraction du
sucre de l'arbre a lieu au moment où la sève monte et où il règne encore nn
froid vif. Le sucre d'érable, à Québec, est brun et très-dur; il fond lente-
ment, et contient plus d'acide que le sucre de canne; mais les habitants du
Haut-Canada le raffinent et le rendent très-beau.
Les bords du fleuve Saint-Laurent, et l'on peut même dire tout le Canada,
appartiennent, sous le rapport de la végétation, à une région de transition
entre la zone froide et la zone tempérée de l'Amérique. Où trouver en
Europe ou en Asie, entre le 43e et le 45e degré de latitude, des végétaux à
comparer, pour la largeur de leurs feuilles et la beauté de leurs fleurs, à

AMÉRIQUE.—LE CANADA.
65
certains magnoliers ? A quels arbres de nos forêts pourrait-on comparer le
liriodendron tulipifera, le pavia lutea, le cornus florida et le rhododendron
maximum ? Enfin, parmi les végétaux appartenant à des genres européens,
quelle diversité, quelle élégance dans les espèces de chênes, de pins, et en
général d'arbres verts qui décorent les forêts de cette partie de l'Amérique
septentrionale 1 !
Les animaux qui habitent les vastes forêts ou qui errent dans les parties
incultes de celte contrée sont le cerf, l'élan d'Amérique, le daim, l'ours, le
renard, la martre, le chat sauvage, le furet, la belette, l'écureuil gris, le
lièvre et le lapin. Les parties méridionales recèlent un grand nombre de
bisons, de daims de la petite race, de chevreuils, de chèvres et de loups.
Les marais, les lacs et les étangs abondent en loutres et en castors très-
estimés. Peu de fleuves peuvent se comparer au Saint-Laurent par la
variété, l'abondance et l'excellence du poisson. Le caïman et le serpent à
sonnettes, habitants incommodes des régions plus méridionales, se sont
répandus jusqu'ici. Parmi les oiseaux indigènes, les premiers voyageurs
distinguèrent déjà le lourd coq d'Inde, qu'on a si souvent considéré mal à
propos comme originaire de la côte de Malabar, et qui porte même en alle-
mand le nom de poule de Calicut. Le colibri s'égare, pendant l'été, dans
cette région boréale, et vient voltiger comme une fleur ailée parmi les fleurs
des jardins de Québec.
Des mines de fer ont été découvertes dans plusieurs parties du Canada,
telles que les bords de l'Ontario, de l'Erié, du lac Saint-Jean et la baie de
Saint-Paul, à l'entrée du fleuve Saint-Laurent ; on y a trouvé aussi des
filons de zinc, de manganèse, de mercure et de titane. On prétend même
qu'il y existe des mines de plomb argentifère, et quelques indices font
croire qu'on pourrait trouver du cuivre aux environs du lac Supérieur,
puisque jadis les indigènes en ont exploité dans cette région. En 1737, les
Français établirent une fonderie de canons à Saint-Maurice, dans le Bas-
Canada; aujourd'hui la compagnie anglaise des forges y emploie 300 ou-
vriers ; on y établit des machines à vapeur. En un mot, le Bas-Canada est
la partie qui renferme presque toutes les usines du pays : on y compte
18 fonderies et 121 fabriques où l'on travaille le fer.
Dès l'époque de la fondation de la colonie française, le Bas-Canada fut
divisé en seigneuries ou francs fiefs, qui furent concédés par la couronne de
France aux colons. Ces seigneuries sont au nombre de 210. Mais le pays
est, depuis 1829, divisé en 5 districts qui se subdivisent en 40 comtés,
1 Tableau statistique des deux Canadas, par M. Isidore Lebrun. Paris, 1833.

66
LIVRE CENT QUATRIÈME.
dont 15 sont au nord du fleuve Saint-Laurent et 25 au sud. La partie située
au sud de l'embouchure du fleuve porte le nom de Gaspé ou Gaspésie.
Le Haut-Canada, dont la frontière, commençant au lac Français, longe
ensuite la rivière d'Ottawa, a été divisé en 4 districts et 25 comtés; mais
ces subdivisions varient selon l'accroissement de la population.
La superficie des deux Canadas est de plus de 53,000 lieues carrées;
mais, en n'y comprenant que les terres, elle est de 39,400 lieues. Le Bas-
Canada a environ 300 lieues de longueur sur 140 dans sa plus grande lar-
geur ; sa superficie en terre est de 27,000 lieues. Le Haut-Canada a environ
350 lieues de longueur et 130 dans sa plus grande largeur; sa superficie
terrestre est de 12,400 lieues carrées.
Un superbe bassin, où plusieurs flottes pourraient mouiller en sûreté;
une belle et large rivière; des rivages partout bordés de rochers très-escar-
pés, parsemés ici de forêts, là surmontés de maisons ·, les deux promontoires
de la pointe Levis et du cap Diamant ; la jolie île d'Orléans et la majestueuse
cascade de la rivière de Montmorency, tout concourt à donner à la ville de
Québec, capitale du Bas-Canada, un aspect imposant et vraiment magni-
fique. La haute ville est bâtie sur le cap Diamant, élevé de 115 mètres, tan-
dis que la ville basse s'étend le long de l'eau au pied de la montagne, dont
souvent, dans le froid et le dégel, il se détache des quartiers de roche qui
écrasent les maisons et les passants. La beauté des édifices publics ne répond
pas à l'idée qu'en fait naître de loin l'éclat du ferblanc dont ils sont cou-
verts, ainsi que la plupart des maisons. Les fortifications, considérablement
augmentées dans ces dernières années, en font, conjointement avec sa
situation naturelle, une place de guerre très-importante ; mais il faut
10,000 hommes pour garnir tous les postes. Cependant, les détachements
de troupes stationnées à Montréal et à Trois-Rivières peuvent, en descen-
dant le fleuve, joindre la garnison en peu d'heures, et une flotte peut, sans
obstacles, ravitailler la place, tant que les glaces n'ont pas interrompu la
navigation. Les habitants, au nombre de 40,000, se dédommagent des froids
longs et rigoureux de l'hiver par des parties de traîneaux, par des assem-
blées de danse et les plaisirs du théâtre. Des courses de chevaux, récem-
ment introduites, contribuent à l'amélioration de la race.
Québec possède un collége, un séminaire, plusieurs écoles élémentaires,
une bibliothèque publique assez riche et plusieurs sociétés savantes. Cette
ville est la résidence du gouverneur général de l'Amérique anglaise, d'un
évêque catholique très-peu payé, et d'un évêque anglican qui jouit, en
revanche, d'un traitement de 75,000fr. Enfin, elle est le siége d'une cour

AMÉRIQUE. - LE CANADA.
67
de justice. Les deux tiers de la population sont catholiques et descendent
des Français qui bâtirent Québec, et y fondèrent, en 1608, une importante
colonie. Les Anglais s'en emparèrent en 1629 après une bataille dans
laquelle périrent les deux généraux Wolf et marquis de Montcalm.
En descendant par le fleuve Saint Laurent, nous voyons à droite une
contrée très-semblable aux parties les plus montueuses du Canada, bien
boisée, bien arrosée, mais assiégée de brumes maritimes, qui seules en
dénaturent la température ; c'est le Gaspé ou la Gaspésie, patrie ancienne
d'une tribu indienne, remarquable par ses mœurs policées et par le culte
qu'elle rendait au soleil. Les Gaspésiens distinguaient les aires de vent,
connaissaient quelques étoiles et traçaient des cartes assez justes de leur
pays. Une partie de cette tribu adorait la croix avant l'arrivée des mission-
naires, et conservait une tradition curieuse sur un homme vénérable, qui»
en leur apportant ce signe sacré, les avait délivrés du fléau d'une épidé-
mie 1. On serait tenté de chercher ici le Vinland des Islandais, et cet apôtre
des Gaspésiens pourrait bien être l'évêque de Groenland, qui, en 1121
visita le Vinland 2. Le nom de Gaspé a été restreint aujourd'hui au pays
entre le fleuve Saint-Laurent et la baie des Chaleurs, située entre le Nou-
veau-Brunswick et le Bas-Canada.
La Gaspésie est un des districts du Bas-Canada ; elle paraît renfermer
14,000 habitants. On voit au nord de la baie des Chaleurs, et à l'extrémité
de la péninsule que forme le district de Gaspé, la petite ville de ce nom,
importante par son port, située au fond d'une baie vaste et bien abritée.
New-Carlisle est le chef-lieu de ce district : il se compose d'une centaine de
maisons avec une église, une prison et une maison de justice ; son port est
favorable au commerce et à la pêche. Les autres villes sont Perce, Sainte-
Anne et Granville.
Montréal, la seconde ville du Bas-Canada, se présente avec éclat sur la
côte orientale d'une île considérable formée par le fleuve, à sa jonction avec
l'Ottawa. Des hauteurs boisées, de nombreux vergers, de jolies maisons de
campagne, et tout cela renfermé dans une île baignée d'une superbe rivière
où peuvent remonter les gros vaisseaux : tels sont les charmes de cette
ville, qui renferme environ 2,500 maisons et environ 40,000 âmes. Mon-
tréal a beaucoup perdu depuis la fusion des deux compagnies de Fourrures
du Nord-Ouest et de la Baie-d'Hudson ; elle peut néanmoins être regardée
comme la première place de l'Amérique pour le commerce des pelleteries.
1 Nouvelle Relation de la Gaspésie, par M. P. Leclcrcq. Paris, 1692, chap. χ et suiv.
2 Voyez notre volume I, p. 291

68
LIVRE CENT QUATRIÈME.
Montréal possède plusieurs édifices dignes d'être cités : telle est la nou-
velle cathédrale catholique, l’un des plus vastes temples du Nouveau-
Monde; on assure qu'il peut contenir plus de 10,000 personnes; tel est
encore l'hôpital général, l'un des mieux tenus de l'Amérique anglaise. La
place du Marché est ornée d'un monument érigé à la gloire de Nelson : c'est
une colonne d'ordre dorique haute de 10 mètres, surmontée d'une statue
colossale de ce marin célèbre. Ses principaux établissements sont le col-
lége français, que l'on peut placer au rang des universités; le séminaire
catholique, l'institut classique académique et l'université anglaise. Plu-
sieurs sociétés savantes s'y sont établies : la principale est la Société d'his-
toire naturelle, qui publie des mémoires et possède une bibliothèque et des
collections; le cabinet littéraire possède une des plus riches bibliothèques
de l'Amérique anglaise. Montréal publie une douzaine de journaux anglais
et français.
Cette ville est aujourd'hui une place de commerce plus importante que
Québec. Sa position en fait l'entrepôt des produits du Haut-Canada, des
parties des Etats-Unis qui en sont limitrophes et des contrées sauvages
qu'arrose l'Ottawa. Québec voit plus de navires jeter l'ancre dans son port;
mais Montréal leur fournit leurs cargaisons. Québec ne conserve sa pré-
pondérance que parce qu'il possède un port où cent vaisseaux de ligne
seraient en sûreté, et parce que ses fortifications en font le Gibraltar de
l'Amérique anglaise.
Le rapide appelé Sainte-Marie, qui se trouvait encore, il y a peu d'an-
nées, à un quart de lieue au-dessous de la ville, est maintenant à son
extrémité septentrionale, tant elle a pris d'accroissement. Ce rapide est un
obstacle qui nuisait à la fréquentation du port de Montréal; mais on l'évite
aujourd'hui, au moyen d'un canal latéral au fleuve. Cette ville, fondée en
1640, prit le nom d'une colline de son voisinage; cédée en toute propriété
aux Sulpiciens de Paris en 1644 ; elle fut prise par les Anglais en 1760 ;
les Américains la leur enlevèrent en 1775, mais ils la restituèrent peu de
temps après.
La petite ville des Trois-Rivières, entre Québec et Montréal, est située
sur le banc septentrional du fleuve, à l'embouchure de la rivière de Saint-
Maurice. Sa population est d'environ 3,000âmes. Elle est bien bâtie ; les
naturels y portent leurs pelleteries.
Nous pouvons citer dans le Bas-Canada plusieurs villages ou bourgs
intéressants par leur industrie : ce sont Beaufort, où l'on remarque une
belle scierie mécanique; Ponl-Levi, rendez-vous des curieux qui vont

AMÉRIQUE. — LE CANADA.
69
visiter la belle cascade de la Chaudière ; Orléans, dans une île de ce nom
au milieu du fleuve Saint-Laurent, à 2 lieues au-dessous de Québec : cette
île, longue de 9 lieues et large de 2, est remarquable par sa fertilité-, le
centre est occupé par des bois épais ; dans la partie occidentale s'élèvent
plusieurs jolies maisons de campagne; dans cette partie se trouvent des
chantiers où Ton a construit, dans ces dernières années, des vaisseaux de
guerre d'une énorme dimension : on en cite qui ont plus de 100 mètres de
long. Le village de Loretle, où l'on admire une belle église, est peuplé
d'Iroquois qui ont été convertis à la religion catholique par des mission-
naires français. La Chine est un gros village d'où partent des bateaux à
vapeur destinés pour le Haut-Canada. La Prairie de la Madeleine est un
des entrepôts du commerce entre le Bas-Canada et les États-Unis. Le bourg
de Tadousac, situé sur un rocher presque inaccessible près du confluent
du Saguenay et du fleuve Saint-Laurent, fait un grand commerce avec les
Indiens; sa population, de plus de 2,000 âmes, le place au rang des villes.
Forl-Chambly est important par ses fortifications.
A 13 lieues au nord-est de Montréal, la petite ville de Sorel ou William-
Henry est agréablement située au confluent du Richelieu ou Sorel et du
fleuve Saint-Laurent, sur l'emplacement du fort Sorel, construit par les
Français en 1665 pour réprimer les incursions des indigènes. Elle se com-
pose de 8 rues, de 160 maisons et de 1,500 à 1,800 habitants. La rivière
Sorel est aujourd'hui canalisée et, par sa jonction avec le lac Champlain et
la rivière d'Hudson, elle met en communication Québec et Montréal avec
New-York.
En sortant du fleuve Saint-Laurent pour entrer dans le lac Ontario, on
traverse le golfe appelé improprement lac de Mille-Iles. Sur une de ses
anses et à l'embouchure de la rivière Rideau, canalisée pour joindre l'On-
tario à l'Ottawa, s'élève la ville de Kingston, munie d'un bon port qui sert
d'entrepôt principal du commerce entre le Haut et le Bas-Canada.
Elle pourrait passer pour jolie, si ses rues, qui sont droites et garnies de
maisons en pierres, étaient pavées. Sur la côte en face de la ville est une
baie qui peut mettre à l'abri de tout vent une flotte nombreuse : c'est aussi
là qu'hiverne ordinairement la flotte royale du lac. Sur le bord de la baie,
on aperçoit l'arsenal de la marine anglaise dans cette partie du monde, et
de beaux chantiers où l'on construit des vaisseaux de guerre du premier
rang. La population commerçante de Kingston ce compose de plus de
12,000 habitants. C'est la ville la plus forte, la plus florissante et la plus
commerçante du Haut-Canada. A l'ouest de cette ville, York ou Toronto,

70
LIVRE CENT QUATRIÈME.
ancienne capitale du Haut-Canada, est de fait aujourd'hui la capitale de
tout le Canada; le gouverneur général et le parlement partageant alterna-
tivement leur résidence entre celte ville et Québec. Elle domine le lac,
possède un superbe port abrité par une longue presqu'île appelée Gibraltar,
et renferme 15,000 âmes. La baie de Burlington, à l'extrémité occiden-
tale de l'Ontario, est bordée de paysages romantiques.
Arrivons à Newark, aujourd'hui Niagara, petite ville bien bâtie, avec
12 ou 1500 habitants, défendue par le fort George, et possédant un port à
l'embouchure et sur la gauche du Niagara.
Le fort Eriè commande le fleuve Niagara à sa sortie du lac de ce nom ;
Maitland et Dalhousie sont deux petites villes situées aux deux embou-
chures du canal Welland, qui évite l'obstacle de la chute du Niagara en
établissant une communication navigable entre les lacs Erié et Ontario;
la ville de London est située dans l'intérieur des terres ; Maiden ou Âmherst-
burg est une place frontière du côté de la rivière du Détroit. Saint-Clair
sur la Thamès est défendue par le fort Chatam. Penetanguishine, sur le lac
Huron et au fond de la baie George, est la principale station militaire navale
du Canada.
Nous ferons remarquer ici que l'extrémité méridionale du Canada forme
une presqu'île séparée du reste de la province par les rivières Severn et
Trent, qui sont même liées par une chaîne de petits lacs. Le reste de cette
péninsule, ou, si l'on veut, de cette île, que l'on appelle le Haut-Canada,
est baigné par les lacs Huron, Erié et Ontario, les fleuves Saint-Clair, Détroit
et Niagara. Tout le sol n'est qu'une plaine de terreau végétal reposant sur
des couches de calcaire et de plâtre. 11 n'y a point d'eau stagnante, mais
les rivières sont bourbeuses. Le froment, le trèfle, les poires, les pêches
réussissent parfaitement. Le climat, sur les bords du lac Erié, est presque
aussi doux qu'à Philadelphie. Cette portion heureuse et fertile, différente
du reste du Canada, aurait dû être revendiquée en faveur des États-Unis,
lors du traité de 1783 ; elle forme encore l'objet de leur ambition ; mais les
Anglais en ont apprécié l'importance politique et militaire.
Les établissements de Brockville, Sain te-Catherine, Hamilton, Kobourg,
Queenston, et plusieurs autres qui naguère étaient considérés comme de
simples villages, peuvent prendre rang parmi les villes.
La population du Canada s'accroît rapidement ·, celle du Bas-Canada
était évaluée, en 1842, à 678,590 individus, sans y comprendre les sau-
vages ; celle du Haut- Canada était de 486,055 âmes. La milice y est de
8,000 hommes, et les tribus indiennes, dont le nombre d'individus ne

AMÉRIQUE. — LE CANADA.
71
dépasse pas 5,000, mettent sur pied 600 guerriers. L'accroissement de
population est moins rapide dans le Haut-Canada que dans le Bas-Canada,
et en effet cela doit être ainsi, lorsque l'on considère que chaque année des
milliers d'Européens traversent l'Océan pour se diriger vers Québec. Dans
le Haut-Canada, les 17/10 de la population sont d'origine anglaise;
se com-
pose de Français, et 2/20 d'Anglo-Américains. Dans le Bas-Canada, les 8/9 sont
Français d'origine. On conçoit que la composition de la population des
deux contrées doit avoir une grande influence sur leur état moral et
politique.
Toute la population française est resserrée principalement sur la rive
septentrionale du grand fleuve, depuis Montréal jusqu'à Québec; l'aspect
de cette série de fermes et de champs labourés, pendant un espace de plus
de 142 lieues, satisfait plutôt l'œil que la pensée. Les cultivateurs cana-
diens, animés d'un esprit diamétralement opposé à celui des Anglo-Améri-
cains, ne quittent pas les endroits qui les ont vus naître. Au lieu d'émigrer
pour former de nouveaux établissements, pour défricher les terres voisines
dont ils connaissent la fertilité supérieure, les membres d'une famille par-
tagent entre eux les biens-fonds tant qu'il en reste un seul hectare.
Les premiers colons français paraissent être venus de la Normandie.
Contents de peu, attachés à leur religion, à leurs usages; soumis au gou-
vernement, qui respecte leur liberté, i s possèdent, à côté de beaucoup
d'indolence, un fonds naturel de talents et de courage qui n'aurait besoin
que d'être cultivé par l'instruction : ils se livrent avec ardeur aux travaux
les plus rudes; ils entreprennent, pour un gain modique, les voyages les
plus fatigants. Ils fabriquent eux-mêmes les étoffes de laine et de lin dont
ils s'habillent à la campagne; ils tissent ou tricotent eux-mêmes leurs bon-
nets et leurs bas, tressent leurs chapeaux de paille, et tannent les peaux
destinées à leur fournir des mocassins ou grosses bottes; enfin leur savon,
leurs chandelles et leur sucre, ainsi que leurs charrues et leurs canots, son t
les produits de leurs propres mains.
Le visage des Français du Canada est long et mince; leur teint brunâtre
et hâlé devient quelquefois, sans doute par l'effet du mélange avec la race
indigène, aussi foncé que celui des Indiens : leurs yeux, petits et noirs, ont
beaucoup de vivacité ; le nez avancé tend à la forme aquiline ; les lèvres sont
épaisses; les joues maigres et les pommettes saillantes. Ils ont conservé
dans leurs manières des traces honorables de leur première origine.
Le Canada renferme de nombreux établissements d'instruction publique;
on compte dans le Bas-Canada plus de 1,500 écoles primaires, fréquentées

72
LIVRE CENT QUATRIÈME.
par 50,000 écoliers. La plupart de ces écoles sont subventionnées par le
gouvernement colonial et soumises à la visite d'inspecteurs nommés par
les Comtés. Les écoles secondaires, au nombre de 40, sont presque toutes
tenues par le clergé catholique. Les colléges sont de hautes écoles clas-
siques, dont les principaux, comme ceux de Montréal et de Québec, ont
en outre des chaires de théologie, de médecine et de chirurgie. Le séminaire
de Saint-Sulpice, à Montréal, est a la fois l'école de théologie catholique et
l'école classique la plus importante du Canada. Québec possède une école
de sciences appliquées pour les artistes. Elle a, ainsi que Montréal, une
bibliothèque publique. En 1831, on imprimait dans la colonie 19 journaux,
tant en français qu'en anglais. Les écoles du Haut-Canada sont moins nom-
breuses; les établissements d'instruction publique les plus importants sont
le Collége Royal et l'école classique secondaire dite du Haut-Canada, tous
deux à Tronto. Le nombre des journaux publiés dans le Haut-Canada,
en 1833, était de 30, tous en anglais.
Les Canadiens suivent avec une scrupuleuse exactitude les modes dont
ils reçoivent les modèles de Paris. Les femmes du Canada sont remar-
quables par leurs grâces et leur brillante santé. Par l'éclat de leur teint, la
régularité de leur traits et la beauté de leur taille, elles ressemblent aux
Cauchoises; leurs grands yeux noirs tranchent agréablement avec l'incarnat
de leurs joues fraîches et vermeilles. Bonnes épouses, mères tendres, ména-
gères soigneuses, elles font la félicité de leurs familles. Un voyageur mo-
derne, M. Howison, a vu à la ville du Détroit de jeunes et belles filles
attristées, indignées même de ce que le curé défendait impérieusement les
bals : plus de danse, adieu la joie et les plaisirs. Ce sont bien là nos Fran-
çaises enjouées. Mais le courrier arrive; il apporte un paquet cacheté ;
toutes ces jeunes filles se réunissent, avides d'oublier dans la lecture le cha-
grin que leur cause le zèle pieux du curé. Et que vont-elles lire avec tant
d'empressement? Des journaux qui arrivent de France!
Les arts d'agrément ne sont point négligés dans l'éducation des jeunes
personnes de bonne famille ; le dessin forme une partie importante de l'in-
struction qu'elles reçoivent; la musique compte des élèves jusque dans les
fermes et les villages. Les salons de Québec et de Montréal retentissent sou-
vent des airs mélodieux des grands compositeurs applaudis à Paris. Enfin,
dans la classe inférieure, d'anciennes chansons normandes sont répétées en
chœur par une jeunesse joyeuse.
La sobriété n'est pas la vertu des Canadiens ; l'habitude de l'ivresse y
droduit des accidents tragiques. Il serait utile que les sociétés de tempé-

AMÉRIQUE. — LE CANADA.
73
rance, qui se répandent depuis plusieurs années dans les États de
l'Union, pussent s'établir au Canada; mais jusqu'ici elles y ont eu peu de
succès.
Les habitants du Haut-Canada conservent les mœurs de l'Angleterre ou
de l'Irlande, leurs contrées originaires.
Le gouvernement anglais cherche à effacer ces différences, qu'il regarde
comme portant préjudice à sa domination dans ce pays ; aussi, pour y par-
venir, a-t-il fait modifier, en 1840, par un bill du parlement, l'administra-
tion politique du Canada. Les distinctions de Haut et Bas-Canada n'existent
plus-, le pays forme un seul gouvernement général divisé en oriental et
occidental. La capitale est Toronto ou Yorck; il est administré par un gou-
verneur général, assisté d'un conseil législatif et d'une seule chambre de
députés.
Les conseillers législatifs, qui forment la chambre haute du pays, sont
nommés par le gouverneur, avec l'approbation du roi d'Angleterre. Leurs
fonctions sont à vie, à moins qu'ils ne s'absentent de leur province pendant
quatre ans, ou qu'ils ne prêtent serment à quelque puissance étrangère. Ils
peuvent faire partie du conseil exécutif.
Les membres de la chambre sont élus pour quatre ans, sauf le cas de dis-
solution. Ils sont nommés par la majorité des francs-tenanciers de chaque
comté, et, dans les villes, par les propriétaires et les rentiers.
Le gouverneur doit convoquer la chambre au moins une fois en douze
mois ; il peut même la réunir plus souvent si le besoin public l'exige.
Les lois qui régissent les deux Canadas sont : les actes du parlement
anglais relatifs aux colonies, les coutumes de Paris antérieures à l'an 1666,
les édits des rois de France, le droit romain, le code criminel d'Angleterre
tel qu'il était en 1774, et tel qu'il a été expliqué dans les actes subséquents.
Il est à remarquer que, dans le Bas-Canada, qui a conservé les anciennes
lois françaises, les terres qui ont le titre de seigneurie sont encore soumises
au régime féodal, et que, dans le Haut-Canada, où les lois anglaises sont
seules en vigueur, les propriétés coloniales appelées townships, et qui con-
sistent en terres qui ont été distribuées à des militaires de tous grades,
sont au contraire régies par les lois communes. Les deux gouverneurs, les
juges et les autres officiers civils sont payés par les deux provinces, et le
superflu des revenus est employé à répandre l'instruction primaire, à con-
struire des chemins et des canaux, et ù d'autres améliorations publiques.
Le seul profit que la Grande-Bretagne tire du Canada provient de son
commerce avec cette colonie, qui occupe environ 7,000 matelots. Les
V.
10

74
LIVRE CENT QUATRIÈME.
dépenses d'administration sont évaluées à 2,280,000 francs : l’Angleterre
en paie la moitié. On estime les frais de garnison et d'entretien des forts
à 2,400,000 francs. Les présents que l'on fait aux sauvages, avec le
salaire des employés, officiers et commis qui résident chez eux, peuvent
monter à pareille somme. Les revenus sont évalués à 2,350,000 francs.
Cette province si coûteuse offre à la politique anglaise un double carac-
tère d’utilité et d'importance. Le Canada est, en temps de paix, le débouché
de plusieurs produits des manufactures anglaises qui entrent aux Etats-
Unis, soit légalement, soit en fraude. Les produits du sol même du Canada,
et ceux que le commerce anglais tire par cette voie de l'intérieur de l'Amé-
rique septentrionale, fournissent les objets d'un échange et d'une naviga-
tion considérables, et qui s'accroissent tous les ans.
Les exportations, en 1831, ont été de 1,220,000 livres sterl. (27 millions
600,000 francs), sans y comprendre 60,000 quintaux de morue sèche,
13,000 de morue verte, 45,000 gallons (202,500 litres) d'huile de poisson;
et les importations se sont élevées à la valeur de 1,700,000 livres sterling
(39,100,000 francs). Le nombre des vaisseaux entrés était de 1,339, d'une
capacité de 331,100 tonneaux. Le nombre des matelots employés dans ce
commerce s'élevait à plus de 7,000. Le nombre des navires sortis était
de 1,047, chargés de 200,700 tonneaux.
Les deux Canadas ont fait dans l'industrie des progrès récents et assez
rapides depuis quelques années : on y compte de nombreuses usines,
fabriques et manufactures.
Le gouvernement anglais n'a rien négligé de ce qui pouvait assurer ou
accroître la prospérité du Canada. De nombreux canaux y assurent de
faciles communications : la navigation du Saguenay a été améliorée à son
embouchure par une passe creusée dans le rocher qui barrait son cours; l'on
a surmonté les obstacles que présentaient aussi à la navigation les rapides
de la rivière du Richelieu ou Chambly, et l'on a mis il y a quelque temps
la ville de ce nom en communication avec le lac Champlain ; on n'a plus à
redouter; dans la navigation du fleuve Saint-Laurent, la passe dite des Cas-
cades, grâce au petit canal que l'on y a construit; le canal de la Chine sert
à éviter le saut de Sainte-Marie et d'autres rapides, ainsi que le débarque-
ment des personnes et des marchandises; le Rideau, affluent de l'Ottawa, a
été mis par un canal en communication avec le lac Ontario ; le canal Caril-
lon ou Grenville part de l'Ottawa et tourne le long saut ; le canal Welland,
qui suit une direction latérale au Niagara, a pour objet de tourner le fameux
saut de cette rivière, seul obstacle à la longue navigation intérieure de Mou-

AMÉRIQUE. — LE CANADA.
75
tréal, à l'extrémité méridionale du lac Michigan, en traversant les lacs
Ontario, Erié, Saint-Clair et Huron.
Considéré comme position militaire, le Canada forme le principal anneau
de cette chaîne de possessions britanniques du nord, qui tient en échec les
Etats-Unis par le nord. Tant que l'Angleterre conservera ces positions, elle
sera toujours l'ennemi le plus dangereux ou l'allié le plus utile, le plus
nécessaire pour la grande république américaine, seule rivale maritime que
la moderne reine de l'Océan ait à redouter.
Nous ne nous étendrons pas sur les mœurs des tribus sauvages qui
habitent dans les limites du Canada. Les Huron s, qui s'étendent au nord et
à l'est du lac qui porte leur nom, ont aussi une ville assez considérable sur
le fleuve ou le canal appelé Détroit. Ce peuple, appelé Huron par les Fran-
çais, se donne le nom d’Yendat ; il a joui autrefois d'une certaine célébrité ;
mais il a été ruiné par ses guerres avec les Iroquois : aujourd'hui il ne se
compose plus que de quelques familles qui ont embrassé le christianisme.
Quelques restes des tribus appelées les Six Nations, et principalement
des Mohawks, ont quelques villages sur la rivière d'Oure. Les Missisagues ;
tribu alliée des Algonquins, habitent encore dans la péninsule du Canada,
aux sources de la rivière de Crédit et sur les bords des lacs Huron et Supé-
rieur : on porte leur nombre à 16,000. La branche principale des Iroquois
occupe les bords de l'Ottawa-, c'est un faible reste de cette nation redoutable
et généreuse.
Non loin de Montréal est le misérable village de Cachenonaga, habité
par les Agniers ou Alguiers, nom que les Français ont donné aux Coche-
nawagoes ou Cochnuagas, tribu d'Iroquois qui a adopté la religion chré-
tienne. Cette peuplade a une dévotion particulière à la sainte Vierge. Les
Indiennes, par principe de religion et d'humanité, élèvent les enfants
bâtards abandonnés par leurs pères européens.
Les Tummiskamings ou Timmiscameins, qui parlent la langue algon-
quinc ou knistenane, demeurent, au nord des sources de l'Ottawa. Ils
passent pour être les plus nombreux des indigè.nes du Haut-Canada. Les
Algonquins s'étendent vers la rivière Saint-Maurice. On trouve aux envi-
rons de Québec quelques hameaux de Hurons convertis au christianisme, et
qui parlent français. Les Pikouagamis, aux environs du lac Saint-Jean ; les
Mistissinnys, sur le lac du même nom, et les Ρapinachois, au nord de la
rivière Saguenay, mènent aujourd'hui une vie paisible, et commencent à se
livrer à quelques essais de culture. Ces tribus paraissent de la même ori-
gine que les Algonquins et les Knistenaux.

76
LIVRE CENT QUATRIÈME.
Que de souvenirs, que de regrets le pays que nous venons de décrire no
nous rappelle-il pas? Ce sont les Français qui les premiers firent reten-
tir les bords de ces larges fleuves et les échos de ces belles prairies de leurs
chants nationaux-, ce sont eux qui y introduisirent les premiers germes-de
la civilisation.
Un empire a été perdu par la légèreté, la présomption et l'ignorance
géographique de ce qu'on appelle en France des hommes d'État et des
ministres. La côte du Canada, découverte en 1497 par Sébastien Cabot,
navigateur au service de Henri VII, roi d'Angleterre, fut de nouveau recon-
nue, en 1523, par Verazzani, italien, au service de FrançoisIer, qui en
prit possession au nom de la France, et lui donna le nom de Nouvelle-
France. En 1534, Jacques Cartier explora le golfe Saint-Laurent et
remonta le fleuve jusqu'à l'île de Mont-Royal ou Montréal ; en 1540, le
même navigateur fonda au Port de Sainte-Croix le premier établissement
français dans la contrée, érigée en colonie, tandis que La Roche, sieur de
Roberval, fondait le fort de Charlebourg. En 1603, on fit de nouvelles ten-
tatives de colonisation par ordre de Henri IV, et Samuel Champlain, qui
avait déjà fait un voyage dans ce pays, jetait, le 3 juillet 1608, les fonde-
ments de la ville de Québec. En 1617, une Compagnie fut créée pour
accroître la colonie, mais elle fut bientôt attaquée par les Anglais, qui
renouvelèrent plusieurs fois leurs tentatives pour s'en emparer, jusqu'en
1759 qu'elles eurent un plein succès.
Le traité de Paris de 1763 reconnut cette spoliation contre le droit des
nations; celui de 1783, conclu avec moins de précipitation, aurait pu
rendre à la France le Canada. Napoléon eut le bonheur de reprendre la
Louisiane et le tort de la revendre. Aujourd'hui même, espérons que tous
les moyens de rétablir la domination française dans le nord de l'Amérique
ne sont pas enlevés à une politique nationale, éclairée et persévérante.
L'Acadie, définitivement soumise à l'Angleterre depuis 1713, fut divisée,
en 1784, après la paix avec les États-Unis déclarés indépendants, en deux
gouvernements, dont l'un, formé de la péninsule orientale, conserva le nom
de Nou velle-Écosse, que tout le pays portait anciennement chez les Anglais ;
la partie occidentale de la province, destinée surtout à recevoir les mili-
taires allemands au service de la Grande-Bretagne qui voudraient se fixer
en Amérique, eut le nom de Nouveau-Bfunswick.
Le Nouveau-Brunswick s'étend, d'un côte, sur le golfe Saint-Laurent à
partir de la baie des Chaleurs; de l'autre, sur la baie de Fundy; il avoisine
les États-Unis à l'ouest, et se termine au sud à l'isthme qui conduit dans la

AMÉRIQUE. — LE CANADA.
77
Nouvelle-Écosse. Ce pays, dont la prospérité, la culture et la population
s'accroissent dans une progression rapide, est traversé par l'extrémité de
la chaîne des Apalaches. La rivière de Saint-John (Saint-Jean) est navigable
pour des vaisseaux de 50 tonneaux dans l'espace d'environ 50 milles, et
pour des bateaux dans celui d'environ 170 milles. Son cours est d'une cen-
taine de lieues. Le flux remonte à peu près à 70 milles. On y trouve du
saumon, des loups de mer et des esturgeons. Elle forme plusieurs lacs,
dont le plus considérable est le lac George. Les bords, engraissés par des
débordements annuels, sont fertiles et unis, et dans beaucoup d'endroits
couverts de grands arbres. Cette rivière offre des moyens commodes pour
se rendre à Québec. Les exportations, qui consistent en bois de charpente,
poissons, pelleteries et cuirs, occupent non moins de 700 bâtiments d'une
capacité de 100,000 tonneaux. Le caribou, l'orignal, le lynx, l'ours et les
autres animaux sauvages du Canada et des États-Unis, se montrent encore
dans ce pays, mais ne se répandent guère dans la Nouvelle-Écosse.
Le climat de ce pays est plus froid que ne l'indique sa latitude entre le
45e et le 48e parallèle : l'hiver y dure six mois, pendant lesquels le ther-
momètre centigrade descend à 25 degrés au-dessous de zéro ; le printemps
y est inconnu ; un été brûlant y succède à l'hiver ; l'automne y est la seule
saison tempérée.
La tribu indigène des Maréchites est réduite à 140 guerriers. Les Euro-
péens y dépassent le nombre de 118,000. Frédéricktown ou Frédéricton,
autrefois Sainte-Anne, située sur la droite et à l'embouchure de la rivière
de Saint-Jean, a été longtemps la capitale du Nouveau-Brunswick, la rési-
dence du gouverneur et des principales autorités. Elle est régulièrement
bâtie et peuplée de 12,000 âmes. Cette ville possède un collége, plusieurs
églises et une société d'agriculture : on y publie une gazette. Saint-John
ou Saint-Jean, à 20 lieues au sud-est, est la plus considérable cité, aujour-
d'hui capitale de la province : on estime sa population à 15,000 âmes. Ses
maisons, la plupart en bois, sont bien construites; son port est un des
meilleurs de la côte : la franchise dont il jouit en fait un point commercial
important. 11 reçoit et il en sort annuellement près de 3,000 navires. Saint-
Jean possède une banque et publie plusieurs journaux. Les autres villes
qui viennent ensuite sont Saint-Andrew s, peuplée de 2 à 3,000 âmes,
très-importante par sa douane sur les frontières des États-Unis, et New-
castle, sur le Miramichi.
Le Nouveau-Brunswick, enlevé à la France en 1763, a été érigé en
colonie par les Anglais en 1785 ; il est divisé en 11 comtés et comprend

78
LIVRE CENT QUATRIÈME.
64 paroisses. La colonie est gouvernée par un lieutenant gouverneur,
dépendant du gouverneur général de la Nouvelle-Écosse ; sa législature est
l'assemblée coloniale, composée de 28 membres électifs, mais le conseil
du gouvernement prend aussi part aux travaux législatifs. La colonie pos-
sède une milice de plus de 2,000 hommes; les revenus coloniaux s'élèvent
à environ 800,000 francs. Les importations à 14 millions et les exportations
à 11 millions de francs.
La Nouvelle-Écosse ou Acadie est une presqu'île qui partage avec toute
cette partie du globe un climat fort rigoureux en hiver : cependant les ports
n'y gèlent jamais. Les seuls brouillards maritimes rendent l'air sombre et
malsain. Lorsqu'ils disparaissent, le printemps offre quelques moments
délicieux; les chaleurs de l'été égalent au moins celles dont on jouit alors
dans nos contrées, et font rapidement mûrir les récoltes. Ce pays, générale-
ment âpre et montagneux, renferme des coteaux riants et fertiles, notam-
ment autour de la baie de Fundy et sur le bord des rivières qui s'y
déchargent : de vastes terrains, autrefois marécageux jusqu'à 20 ou
25 lieues dans l'intérieur, y ont été rendus à la culture. Les plaines et les
eminences présentent une agréable variété de champs plantés en froment,
seigle, maïs, pois, haricots, chanvre, lin; et quelques espèces de fruits,
tels que les groseilles et les framboises, viennent parfaitement dans les bois
qui couronnent les hauteurs et couvrent jusqu'aux trois quarts du pays.
Ces forêts renferment quelques excellents chênes très-propres à la con-
struction navale ; mais elles se composent principalement de pins, de sapins,
de bouleaux, qui donnent de la poix, de la térébenthine, du goudron, ou
du bois à l'usage des sucreries dans les Antilles. Le menu gibier, ainsi que
les volailles, y abondent. Les rivières fourmillent principalement de sau-
mons, et le produit des pêcheries de cabillauds, de harengs, de maquereaux
établies dans les différents ports ou sur les côtes, fournit à l'exportation
pour l'Europe. Plusieurs baies, havres et criques offrent de grands avan-
tages au commerce ; la plupart des rivières sont navigables, et le flot y
remonte bien avant dans la terre.
La population avait d'abord diminué après l'occupation anglaise, pre-
mièrement par l'émigration, et ensuite par la déportation finale des anciens
habitants français, appelés les Neutres, mais qui étaient accusés de faire
cause commune avec les indigènes, nommés les Micmacs, contre les nou-
veaux maîtres. Après la paix d'Aix-la-Chapelle, on s'occupa sérieusement
du projet de repeupler la colonie. Près de 4,000 soldats et marins, déliés du
service, furent engagés à s'y fixer avec leurs familles. On les y transporta

AMÉRIQUE.-LA NOUVELLE-ÉCOSSE.
79
aux frais du gouvernement; on donna à chacun d'eux 50 acres exempts de
toute espèce de taxe ou d'impôt pendant 10 ans, et ensuite seulement sou-
mis à la retribution d'un schelling par an. On leur donna en outre 10 acres
pour chaque membre de leur famille, avec promesse d'augmentation à
mesure que leur famille s'accroîtrait, et qu'elle se montrerait digne de cette
faveur par la bonne culture de leur terrain.
Halifax, ville de 20,000 habitants, est le chef-lieu de la Nouvelle-Ecosse
et résidence du gouverneur général ; située vers le milieu de la côte orien-
tale de la province, elle est jolie et régulièrement bâtie, mais tous ses
édifices, à peu d'exceptions près, sont bâtis en bois. Le plus remarquable
de ceux qui sont construits en pierre est le Province-Building, vaste bâti-
ment en pierres de taille, orné de colonnes d'ordre ionique, et qui renferme
les tribunaux, les bureaux de l'administration, une bibliothèque publique»
et les salles dans lesquelles l'assemblée législative de la province tient ses
séances. Les établissements d'instruction y sont considérables et bien tenus:
le grand collége est organisé comme l'université d'Edimbourg ; Halifax
publie 6 ou 7 journaux hebdomadaires. Mais ce qui donne une véritable
importance à Halifax, c'est la bonté de son port, le Bedford-Basin, ouvert
en toute saison et l'un des plus beaux de l'Amérique. Aussi les Anglais y
ont-ils établi une de leurs stations militaires navales. D'importantes forti-
fications en défendent l'entrée, et protègent les grands établissements mari-
times qu'il renferme. La situation si avantageuse du port d'Halifax fait de
cette ville un des points principaux pour les communications entre l'Europe
et l'Amérique. Elle possède un service régulier de paquebots pour Falmouth
et Liverpool en Angleterre, pour Boston et New-York aux Etats-Unis et
pour les Antilles. Le port d'Halifax reçoit annuellement près de 4,000 na-
vires, et il exporte pour plus de 12 millions de francs de marchandises.
Annapolis, autre excellent port, ci-devant Port-Royal, presque à l'opposite
d'Halifax, sur la baie de Fundy, n'a que 1,200 habitants-, mais Shelburne,
sur la côte méridionale, près du havre de Roseway, peuplée il y a peu
d'années de 10 à 12,000 âmes, n'en a pas aujourd'hui la dixième partie.
Nous citerons encore Lunebourg, dont la population, presque entièrement
allemande, est de 1,200 habitants; Liverpool, petite ville que son commerce
rend florissante ·, Yarmouth, qui paraît en avoir plus de 3,000 ; Windsor,
qui, depuis 1802, possède une université regardée comme le principal
établissement d'instruction qui existe dans l'Amérique anglaise; enfin
Truro, dans la baie de Fundy, où l'on éprouve des marées de 22 mètres de
hauteur.

80 LIVRE CENT QUATRIÈME.
La Nouvelle-Ecosse est le siége d'un gouvernement général des posses-
sions anglaises de l'Amérique du Nord ; ce gouvernement comprend les
gouvernements particuliers de la Nouvelle-Ecosse, du Nouveau-Bruns-
wick, de l'île du Prince-Edouard et de Terre-Neuve. Le gouvernement
colonial particulier de la Nouvelle-Ecosse est sous la direction d'un lieute-
nant-gouverneur, chef civil et militaire, assisté d'un Conseil de 1 2 membres
nommés par la couronne. Le pouvoir législatif appartient à une assemblée
législative de 41 membres nommés à l'élection pour 7 ans. Le territoire est
partagé administrativement en 10 comtés; sa population est d'environ
155,000 habitants ; sa force armée se compose de 5 régiments de ligne et de
la milice.
L'île du Cap-Breton ou Ile-Royale, séparée de la Nouvelle-Ecosse par le
détroit de Canso, autrement de Fronsac, avait été considérée par les Fran-
çais comme la clef du Canada. Cependant ses ports ont le désavantage
d'être souvent fermés par les glaces. L'atmosphère, sujette à de violentes
tempêtes, est souvent obscurcie par des tourbillons de neige et de grêle, ou
par de fortes brumes qui empêchent de distinguer les objets les plus
proches, et qui déposent partout une couche de verglas. Le poids de la
glace abattue des agrès d'un seul d'entre les vaisseaux employés à la prise
de l'île, en 1758, a été estimé à 6 ou 8 tonneaux, et cette masse prodigieuse
s'y était attachée dans la nuit du 5 mai. Le sol, en grande partie aride, pro-
duit quelques chênes d'un volume énorme, des pins pour la mâture , et
diverses sortes de bois propres à la charpente. On y récolte aussi un peu de
grains, du lin et du chanvre. Les montagnes et les forêts recèlent de la
volaille sauvage en quantité, notamment une espèce de grosses perdrix qui
ressemblent à des faisans par la beauté du plumage. Le sein de la terre ren-
ferme d'inépuisables mines de houille, que l'on exploite à Bridgeport et à
Sidney.
Le port deLouisbourg, autrement Port-Anglais, près du Cap-Breton pro-
prement dit, était un des plus beaux de toute l'Amérique ; mais il est aujour-
d'hui abandonné, et le fort qui le protégeait n'offre plus qu'un amas de
ruines. La petite ville de Sidney, qui n'a pas 1,000 habitants, est le chef-
lieu de toute l'île. Avichat, sur la petite île de Madame, est plus importante;
elle compte 2,500 habitants. Schip-Harbour est sur le détroit de Canso,
remarquable par l'irrégularité de ses marées. On évalue à 3,500 la popula-
tion totale de l'île, qui forme un comté du gouvernement de la Nouvelle-
Ecosse.
L'île de Saint-Jean ou du Prince-Edouard, quoique voisine de celle du

AMÉRIQUE. — LA NOUVELLE-ÉCOSSE.
81
Cap-Breton, lui est bien supérieure par la fertilité de son sol et par son
aspect riant. Aussi, sous la domination française, fut-elle appelée le gre-
nier du Canada, qui en tirait une grande quantité de grains, de bœufs et de
porcs; plusieurs fermiers récoltaient jusqu'à 1,200 gerbes de blé. Les
rivières sont riches en saumons, truites, anguilles, et la mer adjacente
abonde en esturgeons et toutes sortes de coquillages. Elle possède un port
commode pour la pêche, et tout le bois nécessaire à la construction navale.
La population, qui était déjà, en 1789, de 5,000 âmes, est évaluée aujour-
d'hui à 33,000 âmes.
Belfast, colonie agricole fondée en 1803 par lord Selkirk, est très-floris-
sante: elle compte 4,000 âmes; Saint-Andrew est la résidence d'un évêque
catholique; George-Τοwn, Murray-Harbour et New-London sont impor-
tants par leurs ports et leurs chantiers de construction; Charlotte-Town, sur
l'estuaire de l'Hillsborough, au fond de la baie à laquelle elle donne son
nom, possède un des plus beaux et des plus vastes ports de l'Amérique
septentrionale ; c'est une place de guerre qui compte 3,000 habitants. L'île
du Prince-Edouard forme un gouvernement colonial, composé d'un lieu-
tenant-gouverneur, assisté d'un Conseil de 9 membres et d'une assemblée
législative de 18 membres nommés par le peuple.
La rocailleuse île d’Anticosti, couverte de bois, mais dépourvue de
ports, est située à l'embouchure du fleuve Saint-Laurent. Lorsqu'elle fut
découverte, en 1534, par Jacques Cartier, elle reçut le nom de l'Assomption.
Ses établissements consistent en deux ports. Elle a 45 lieues de longueur
sur 11 de largeur. Au nord de l'île du Cap-Breton, les petites îles Made-
leines ou Magdalen, dont les principales sont Coffins, Saunders, Wolfe,
Amherst et Entry, ne sont peuplées que de pêcheurs.
La grande île appelée par les Anglais Newfoundland et par les Français
Terre-Neuve, ferme au nord l'entrée du golfe Saint-Laurent. Les brouil-
lards perpétuels qui enveloppent cette île se forment vraisemblablement par
le conflit du froid naturel de ces parages avec la chaleur du courant des
Antilles, qui s'y engouffre entre les terres et le grand banc avant de s'échap-
per vers l'est dans l'océan Atlantique boréal. Ces brouillards peuvent être
traversés sans crainte par le navigateur, parce qu'ils n'approchent jamais à
plus d'une demi-lieue de la côte : en sorte qu'il règne entre eux et l'île une
espèce de canal sur lequel les navires peuvent circuler sans danger.
Séparée de la cerre de Labrador par le détroit de Belle-lsle, large de 2 my-
riamètres, l'étendue de Terre-Neuve est considérable. Elle est longue
de 55 myriamètres, et dans sa plus grande largeur elle en a 54. Elle pré-
Y.
11

82
LIVRE CENT QUATRIÈME.
sente deux presqu'îles remarquables, l'une au nord, longue de 20 myria-
mètres, et l'autre à l'est, qui est irrégulière et très-découpée. Toute sa côte
n'offre que des déchirures plus ou moins profondes et des rochers battus
par les flots. Les principaux enfoncements que forment ces déchirures
sont : au sud, la baie du Désespoir, celle de Placenlia et celle de Sainte-
Marie; sur la côte occidentale, la baie de Saint-George ; au nord, celle de
White, celle de Notre Dame et celle d'Ingornachoix, près de laquelle on
remarque le cap du Quipon ; sur la côte orientale, la baie des Grignettes,
celle de la Conception, celle de la Trinité et d'autres encore, non moins
importantes, dont quelques-unes se prolongent assez avant dans l'intérieur
de l'île. Lorsqu'on pénètre dans la baie de la Conception, on croit remonter
l'embouchure d'un grand fleuve, mais on est étonné de ne trouver à son
extrémité que de petites rivières, auxquelles la fonte des neiges ou l'abon-
dance des pluies donnent de l'importance ; elles sont pendant une grande
partie de l'année presque desséchées, et leur lit n'est jonché que de cailloux
roulés.
L'île passe généralement pour stérile, les bords des rivières exceptés.
Elle produit cependaut diverses sortes de bois employés soit à la construc-
tion navale, soit à l'établissement des nombreux échafaudages dressés tout
le long de la côte pour la préparation de la morue. Les clairières forment de
bons pâturages.
Les plus hautes montagnes de Terre-Neuve s'élèvent â peine à 975 mètres
au-dessus du niveau de l'Océan. Leurs sommets n'offrent partout que la
triste et monotone verdure des mousses et des lichens, qui s'y accumulent
sans cesse en y formant une croûte élastique. Au-dessous de ces cimes,
toutes les parties élevées, couvertes de terre végétale, sont ombragées de
forêts composées d'arbres verts et de bouleaux, arbres qui n'atteignent pas
une élévation de plus de 10 à 15 mètres; les parties basses comprennent
des vallées étroites et tortueuses ou des plaines humides et tourbeuses,
couvertes çà et là de flaques d'eau et d'étangs, souvent sans écoulement
apparent.
Les forêts servent de retraite à une quantité d'ours, de loups, d'élans et
de renards; les rivières et les lacs abondent en castors, loutres, saumons
et autres amphibies ou poissons.
Parmi les animaux de Terre-Neuve, on distingue une race particulière
de chiens, remarquables par leur grande taille, leur long poil soyeux, et
surtout par la plus grande dimension de la peau entre les doigts du pied,
qui les rend propres à nager. Il paraît que cette race descend d'un dogue

AMÉRIQUE.
— L'ILE DE TERRE-NEUVE.
83
anglais et d'une louve indigène ; du moins elle n'y existait pas lors des pre-
miers établissements.
Quoique sa situation corresponde à la partie moyenne de la zone tempé-
rée en Europe, c'est-à dire à la région qui s'étend depuis l'embouchure du
Rhin jusqu'à celle de la Loire, son voisinage du Canada et du Labrador y
détermine un climat analogue à celui de la Sibérie. En hiver, le thermo-
mètre cependant y descend rarement à plus de 8 degrés, de l'échelle de
Réaumur, au-dessous de zéro et monte en été à 25 ou 26.
Les indigènes de Terre-Neuve forment deux ou trois tribus de 100 à
300 individus chacune. Les Indiens rouges s'étendent au sud, dans l'inté-
rieur, jusqu'au grand lac ·, les Micmacs habitent les environs de la baie de
Saint-George, de celle du Désespoir et les bords de la rivière Great-Cod-Bay.
Ces peuplades, qui sont loin de vivre en bonne intelligence, se livrent à la
chasse et font avec les Anglais le commerce de fourrures.
Terre-Neuve, longtemps considérée comme un pays inhospitalier,
comme une simple station de pêcheurs, a, depuis quelques années, vu
doubler sa population et son industrie. Les villes de Placentia ou Plai-
sance et de Saint-John ou Saint-Jean, embellies et agrandies, ont pris un
aspect européen. La population de l'île, qui en 1789 était de 25,000 habi-
tants, s'élève aujourd'hui à 85,000 ·, la majorité est catholique. Le com-
merce de bois de construction et de pelleteries occupe un grand nombre
de bâtiments.
Plaisance était autrefois la capitale de l'île; elle n'a plus que 2 à
3,000 habitants depuis que le siége des autorités a été transféré à Saint-
John, ville fortifiée, qui possède un beau port et dont la population est de
près de 15,000 individus en hiver ; en été plus de 2,000 habitants quittent
leurs foyers et vont se livrer à la pêche. Harbour-Grace ou Port-de-Grace
a 3 à 4,000 habitants, un bon port et d'importantes pêcheries. Nous pou-
vons en dire autant de Trinity-Harbour. Le Port-de-Grace est un bassin
remarquable, creusé dans la montagne par l'action de la gelée, et du phéno-
mène atmosphérique qui détruit le schiste dont les rochers sont formés. On
passe d'abord sous une arche de 6 mètres de largeur sur 6 de hauteur ; plus
loin, on trouve le bassin proprement dit qui a 100 mètres de circonférence
et qui est entouré de. rochers perpendiculaires de 40 mètres de hauteur,
couronnés au sommet par des sapins rabougris. A l'un des coins, une petite
issue livre passage à travers des masses de roches brisées à l'excédant de
l'eau; le bassin a, vers le centre, 4 mètres de profondeur. A Harbour-
Grace on publie un journal hebdomadaire et trois à Saint-John. Ces exemples,

84
LIVRE CENT QUATRIÈME.
comme d'aulres que nous avons rapportés, prouvent que jusque dans les
poinls les plus reculés du globe, le besoin de la liberté de la presse est
impérieux chez les Anglais
La colonie est administrée par un lieutenant gouverneur assisté d'un
conseil de 15 membres, qui forme la législature et le conseil exécutif ; l'ar-
mée ou la milice du pays est composée de 6,400 hommes. Le gouvernement
de Terre-Neuve embrasse en outre le Labrador, le Maine Oriental et l'ile
d'Anticosti.
A l'est et au sud de l'île, s'élèvent du fond de l'Océan plusieurs bancs de
sable, dont le plus grand, appelé grand banc de Terre-Neuve, s'étend à près
de 10 degrés du sud au nord. La tranquillité, la douce température et la
pesanteur moindre de l'eau, y attirent une quantité si énorme de cabillauds,
que leur pêche fournit à la consommation de la majeure partie de l'Europe.
Ils y disparaissent seulement vers la fin de juillet et pendant le mois d'août ;
la saison de la pêche, qui commence avec le mois de mai, ne se termine
qu'à la fin de septembre.
Le banc de Terre-Neuve est depuis le quinzième siècle le rendez-vous
d'une foule, de marins qui vont y pêcher la morue. Ce sont surtout les
Anglo-Américains et les Anglais qui y sont le plus nombreux. Année com-
mune, on y compte 600 bâtiments anglais, 1,500 des États-Unis et envi-
ron 400 navires français; en tout 2,500 navires montés par plus de
34,000 hommes, et dont la pêche produit une valeur de plus de 35 millions
de francs.
Nous ne pouvons mieux placer qu'ici la notice des îles Bermudes,
quoique cet archipel appartienne, au point de vue administratif, au gou-
vernement général des Indes occidentales anglaises, dont elle forme un
gouvernement particulier. L'étendue de cet archipel, composé d'environ
400 îlots, est de 35 milles de long sur 22 de large ; mais un long et dange-
reux récif le continue sous les eaux. La grandeur des îlots varie depuis
quelques centaines de pas jusqu'à 12 milles. Ils ressemblent de loin à des
collines couvertes d'une verdure sombre, aux pieds desquelles l'Océan se
brise en écume. Arides et rocailleux, ils n'ont d'eau douce que celle qu'on
recueille dans des citernes pour l'usage des habitants et des équipages des
vaisseaux de guerre. L'air y est très-sain. Les genévriers font la seule
richesse des habitants, qui en construisent des bâtiments très-légers, ser-
vant au cabotage entre les États-Unis, l'Acadie et les Antilles. On évalue la
fortune d'un particulier d'après le nombre des genévriers qu'il possède;
chaque arbre se vend sur pied une guinée. Comme on leur réserve le peu

AMÉRIQUE. — TABLEAUX.
85
de bon terrain que renferment les iles, l'agriculture est négligée. Les Amé-
ricains y apportent des denrées. Les habitants sont au nombre de 8 ou
10,000, dont 4,000 blancs sont répandus sur une étendue de 5,664 hec-
tares.
Les plus importantes des îles sont : Bermuda ou Mainland, longue de
30 kilomètres et large de 4 à 2. Elle renferme la ville importante d’ Hamil-
ton, aujourd'hui siége du gouvernement; Saint-George, avec une ville du
même nom ; Saint-David, Sommeret et Ireland. Ces îles renferment des
établissements militaires importants, et sont une des stations navales des
Anglais. Elles servent aussi d'entrepôt au commerce qui se fait entre les
Antilles et l’Amérique du Nord. L'archipel des Bermudes forme un gouver-
nement colonial administré par un gouverneur ; il est assisté par un conseil
composé de 8 membres, et par une assemblée coloniale composée de
28 membres élus pour 7 ans.
Les Espagnols doivent regretter d'avoir négligé les Bermudes, décou-
vertes, selon l'opinion commune, en 1557, par Juan Bermudez, mais pro-
bablement connues dès l'année 1515 sous le double nom de la Bermuda et
la Garça. Elles n'étaient peuplées que de singes. Les tempêtes qui règnent
dans ces parages leur firent donner le nom de Los Diabolos. Un coup de
vent y jeta, en 1609, l'anglais George Sommers, qui crut en avoir fait la
découverte. Le nom de ce navigateur, synonyme avec celui d'été, trompa
le savant Delisle, qui donna à ce groupe le nom d’îles d'Été. La relation
qu'en fit Sommers y attira quelques colons. Plusieurs royalistes y allèrent
attendre la fin des jours de Cromwell. L'aimable poëte Waller, entre autres,
chanta ces îles fortunées où il avait trouvé un asile. Il fit passer son enthou-
siasme à ce sexe qu'il est si facile d'enflammer par une idée généreuse, et
pendant longtemps les belles Anglaises ne voulurent d'autre parure qu'un
chapeau fait de feuilles de palmiers des Bermudes.
TABLEAUX des divisions administratives de l'Amérique Anglaise du Nord 1.
1· GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DU CANADA.
CANADA OCCIDENTAL. Superficie : 19, 110 1. g. C. — Populat. : 723,087
CANADA ORIENTAL.
.

27,248

768,334 Capitale · Toronto.
Superficie totale :
46,358
Popul. totale : \\,491,421
Le Canada occidental correspond au Haut-Canada qui se divisait en 11 districts,
1 Les chiffres de ce tableau sont extraits de l’Américan, Almanack de 1851, page 299, et nous
observons que les populations nous paraissent un peu exagérées, surtout en ce qui concerne le Canada,

86
LIVRE CENT QUATRIÈME.
savoir: Oriental, Ottawa, Bathurst, Johnstown, Midland, Newcastle, Home, Gore,
- Niagara, Londres, Occidental. Ces 11 districts se subdivisaient en 25 comtés
Le Canada oriental correspond au Bas-Canada qui se divisait en 5 districts, savoir :
Québec, Montréal, Trois-Rivières, Saint- François, Gaspé. Ces 5 districts se subdivi-
saient en 60 comtés.
II° GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE.
I
GOUVERNEMENT DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE. | Superficie : 2,5521. g. c. Capitale: Halifax.
Subdivisé en 11 comtés, savoir : Halifax, Poictou, Annapolis, Cumberland, Hants,
Lunebourg, Queen, King, Shelburn, Colchester, Ile du Cap-Breton.
GOUVERNEM. DU NOUVEAU-BRUNSWICH. j SUPERFI. : 3,601 l. g. c.
Capitale: Fredérickton.
! Population. . 220,000
Subdivisé en 10 comtés, savoir : Yorek, Charlotte, Sunbury, Queen, King, Saint-
John, Westmoreland, Gloucester, Kent, Northumberland.
GOUVERNEM. DE L'ÎLE DU PRINCE ÉDOUARD. | Superfi. :
277 l. g. c. Capi. : Charlotte-Town.
Population : 62,678
Subdivisé en 3 comtés, savoir : King, Queen, Prince.
GOUVERNEMENT DE TERRE-NEUVE. ! Superficie : 62,678 l. g. c.
Capitale : Saint-Jean.
I Population
91,264
Subdivisé en 3 districts, savoir : Saint-Jean, Havre de la Trinité, Havre de Grâce.
Il comprend en outre, le Labrador, le Maine oriental, les îles d’Anticosti et de Belle-Ile.
III TERRITOIRE DE LA COMPAGNIE DE LA BAIE D’HUDSON.
) Superficie : 260,000 lieues géo. carrées
NOUVELLE-BRETAGNE.. j Superficie : 260,000 lieues géo
carrées.
Capitale : Fort-York.
IV TERRES ARCTIQUES.
Péninsule Melville, Péninsule Boothia-Félix, Terre Victoria, Terre de Banks,
Terre de Baffin, Géorgie septentrionale, Devon septentrional, etc., etc., etc.

AMÉRIQUE. — NOUVELLE-BRETAGNE.
87
LIVRE CENT CINQUIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Amérique anglaise du nord. Seconde
section, Nouvelle-Bretagne ou territoire de la compagnie de la Baie d'Hudson.
Les contrées que nous allons décrire, et auxquelles on donne sur les
cartes le nom collectif de Nouvelle-Bretagne, ne sont guère que nominale-
ment des possessions anglaises. Les indigènes qui les occupent sont de fait
indépendants; elles sont fréquentées par les chasseurs et les facteurs de la
Compagnie des pelleteries de la Baie d'Hudson, qui y ont établi quelques
petits forts pour leur servir de point de ralliement. C'est là le seul fait
de possession qui autorise les géographes à ranger la Nouvelle-Bretagne
parmi les possessions anglaises.
La Nouvelle-Bretagne embrasse presque toute la partie septentrio-
nale du continent américain; au nord elle est baignée, sur une longue
étendue de côtes, par l'océan Glacial-Arctique; à l'est elle est bornée par
la mer d'Hudson et le Canada; au sud elle confine les États-Unis, vers le
49e parallèle; enfin, à l'ouest, l'océan Atlantique et l'Amérique Russe lui
servent de limites.
La surface de la Nouvelle-Bretagne est couverte, à l'ouest, par le pro-
longement septentrional des Rocky-Mountains, ou Montagnes-Bocheuses,
qui restent éloignées de 80 à 100 lieues de la côte du Grand-Océan;
elles donnent naissance à un grand nombre de fleuves et de rivières. Elles
sont accompagnées, à l'ouest, de deux chaînes parallèles, les Montagnes-
Bleues et les Montagnes-à-Pic (Peak-Mountains), qui forment avec elles
de hautes vallées, dirigées du nord vers le sud, et dans lesquelles la
Columbia et la rivière de la Paix prennent leur source. Une autre chaîne
côtière prend le nom de Monts-Cascades ; elle sépare les terres basses de
la côte du premier plateau de l'intérieur. A l'est des Rocky-Mountains, la
Nouvelle-Bretagne offre le même aspect que la Finlande; elle est entre-
coupée de chaînes de montagnes peu élevées, nues, tourmentées, de vastes
plaines arides et d'un dédale de lacs, de marais, d'îles, de presqu'îles, de
rivières, traçant les sinuosités les plus étranges, remplies de cascades, de
rochers, de sauts, aux rives tantôt plates, tantôt encaissées, ayant une
direction si peu déterminée qu'elles semblent ne savoir où envoyer leurs
eaux. Ces rivières appartiennent cependant à trois bassins; la Columbia,

88
LIVRE CENT CINQUIÈME.
la rivière Frazer et le Simpson sont tributaires du Grand-Océan ; la rivière
de Peel, la Mackensie, le Copper-Mine et le Thleoui-cho-dezeth mêlent leurs
eaux glacées aux glaces de l'océan Arctique; la rivière de la Paix le Sas-
kalchawan, le Nelson, le Churchill, le Severn, l’ Albany et la Mousse
viennent se jeter dans la mer d'Hudson ou dans les lacs qui l’avoisinent,
Parmi ces lacs, nous citerons le lac de l’Esclave, traversé par la Mackensie,
de Ouinipeg, du Grand-Ours, espèces de petites mers intérieures ; d’Atha.
basca, de Northlined, de Wollaslon, des Rennes de Yath-Kyed, de Dou-
launt et des Pluies: la plupart de ces lacs et de ces rivières sont tellement
rapprochés les uns des autres, qu'ils ne sont séparés que par de petits
isthmes, appelés portages dans le pays, parce que les indigènes les tra-
versent en transportant à bras leurs frêles embarcations pour passer d'un
cours d'eau dans l'autre.
Le climat de la Nouvelle-Bretagne est en général froid; il le devient de
plus en plus à mesure que l’on s'avance vers les rivages de l'océan Arc-
tique et de la mer d'Hudson ; ici, et à une assez grande distance dans l'inté-
rieur, il est d'une àpreté extrême. C'est à peine s'il y a un ou deux mois
d'été, ou plutôt de chaleurs excessives, pendant lesquelles les moustiques
ne laissent pas un instant de repos; les Indiens eux-mêmes peuvent à peine
endurer les tourments que causent ces insupportables insectes. L'atmo-
sphère est, de plus, fréquemment chargée de brouillards.
Le sol passe, en général, pour être peu fertile. Les parties méridionales
offrent pourtant des terres labourables et de grandes et vastes prairies; on
évalue à un tiers de la surface la quantité de terres susceptibles d'être
mises en rapport. Du reste les indigènes ne profitent nullement de cet
avantage, pour remédier aux affreuses disettes qui les moissonnent, lors-
que le gibier ou les fruits de quelques arbres viennent à leur manquer. Dans
les plaines qui avoisinent le lac Ouinipeg, croît le riz du Canada (zizania
aquatica). Les arbres les plus communs, vers le sud, sont l'érable à sucre
et le peuplier. Jusqu'au 60e parallèle, on n’aperçoit que des arbres et des
arbustes rabougris-, et il n'y croit que des pommiers, des poiriers, des gro-
seilliers, des framboisiers, des fraisiers, du céleri sauvage, des pommes de
terre, des choux et des navets. Le froment ne dépasse pas le 53e parallèle;
au delà du 60e, presque toute végétation cesse.
Les Rocky-Mountains offrent quelques masses de forêts de pins, do
bouleaux, de trembles, de saules, de mélèzes, de cèdres, de genévriers, et
autres arbres de ces zones. On y trouve des ours blancs, gris, bruns et
noirs, des loups, des renards blancs, jaunes et noirs, des castors, des

AMÉRIQUE. — NOUVELLE-BRETAGNE.
89
loutres, des lynx, des daims, des bisons, des bœufs musqués, des cerfs,
des caribous, dont la peau, très-fine, sert aux indigènes pour faire des
pantalons et des chemises ; des carcajous, des porcs-épics, des lièvres, des
lapins, des chiens, grands et forts, qui servent de bêtes de somme et de
trait. Il y a des chevaux d'une bonne race dans les parties méridionales;
les rennes, dans la partie septentrionale, sont d'une grande ressource pour
les habitants. Les oiseaux sont l'aigle à queue blanche, le faucon, l'éper-
vier, le hibou, le coq de bruyère blanc, le courlis sifflant, l'oie de Cédus, et
différentes espèces de canards. Les lacs et les rivières abondent en pois-
sons, qui, dans la région septentrionale, forment la seule nourriture des
indigènes.
La population de la Nouvelle-Bretagne se compose de diverses tribus d'In-
diens, qui vivent généralement sous des tentes et s'adonnent particulière-
ment à la pêche et à la chasse des animaux à fourrures, dont ils échangent
les peaux dans les différents forts ou comptoirs de la Compagnie de la baie
d'Hudson.
Tel est le tableau général que l'on peut tracer de la Nouvelle-Bretagne.
Nous allons maintenant décrire particulièrement les contrées qui la com-
posent, et nous donnerons alors les détails propres à caractériser chacune
des tribus qui les habitent.
Nous commencerons par la région qui appartient au versant du Grand-
Océan, et qui par conséquent est située à l'ouest des Montagnes Rocheuses.
Elle porte sur les côtes les noms de Nouvelle-Géorgie, de Nouvelle-Hanovre,
et de Nouveau-Cornouailles; la partie intérieure la plus voisine des mon-
tagnes prend aujourd'hui le nom de Calédonie occidentale. Les Anglais
désignent sur leurs cartes l'ensemble de toute cette région nord-ouest sous
le nom de Columbia.
La Nouvelle-Géorgie est située entre le 45e et 50e parallèles; ses limites
vers l'intérieur ne sont pas déterminées. Depuis 1846, ce n'est que la partie
située au delà du 49e de latitude boréale, qui dépend de l'Amérique anglaise.
Le golfe de Géorgie est très considérable ; il communique avec l'océan
Pacifique, au sud par le détroit Claaset ou de Jean Fuca, et au nord par le
détroit de la Reine-Charlotte.
La Nouvelle-Géorgie offre des rivages d'une élévation moyenne, et
agréablement diversifiés par des collines, des prairies, de petits bois et des
ruisseaux d'eau douce. Mais derrière ces bords s'élève la chaîne côtière
des monts Cascades, couverts de neiges éternelles. Des minerais de fer
très-riches paraissent y abonder. On trouve du quartz, des agates, des

90
LIVRE CEINT CINQUIÈME.
pierres à fusil, et une grande variété de calcaires, d'argiles et du manga-
nèse. Une végétation vigoureuse indique la fertilité du sol. Dans les forêts
croissent en abondance la sapinette à feuilles d'if, le pin blanc, le tourama-
hac, le peuplier du Canada, l'arbre de vie, l'if ordinaire, le chêne noir et le
chêne commun, le frêne d'Amérique, le coudrier, le sycomore, l'érable à
sucre, l'érable des montagnes et celui de Pensylvanie, l'arbousier d'Orient,
l'aune d'Amérique, le saule ordinaire, le sureau de Canada et le cerisier de
Pensylvanie.
Les quadrupèdes n'offrent rien de particulier ; on a vu des ours, des
daims de Virginie, des renards, mais point de bisons, ni bœufs à musc ; ces
animaux ne paraissent pas dépasser la chaîne des Rocky-Mountains ou
Montagnes-Rocheuses dans les latitudes boréales. Parmi les oiseaux de
mer, Vancouver reconnut, entre autres, des pingouins, des albatros, des
pies noires, semblables à celles de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-
Zélande ; il y avait parmi les oiseaux de terre une espèce de colibri ; il y vit
l'aigle brun et l'aigle à la tête blanche, des martins-pêcheurs, de très-jolis
grimpereaux, et un oiseau inconnu, semblable à un héron, mais haut de
15 décimètres, et ayant le corps de la grosseur d'un dindon. Les seuls
établissements des Anglais sont le fort Langley, à l'embouchure du Frazer
et le fort Thompson sur le lac du même nom.
L'île Quadra et Vancouver, dont le nom témoigne de la bonne harmonie
qui existait entre les deux marins qui la découvrirent, est située devant la
Nouvelle-Géorgie. Cette île, que les naturels nomment Noutka, mérite seule
notre attention. On y trouve du granit noir, du mica, du grès à rémouleur,
des hématites. La terre végétale y forme en quelques endroits une couche
de 75 centimètres. On est agréablement surpris de trouver dans cette île
un climat plus doux que sur la côte orientale de l'Amérique, à la même lati-
tude. Le thermomètre de Fahrenheit, dans le mois d'avril, ne fut jamais au-
dessous de 48° ; dans la nuit et pendant lejour, il monta à 60°(— 9°et + \\
centigrades). L'herbe était déjà longue de 35 centimètres. Ce climat est aussi
favorable aux arbres que celui du continent.
Elle fait partie des possessions anglaises, bien qu'elle paraisse renfermer
une population nombreuse appartenant à la nation des Wakas, gouvernée
par des chefs dont les deux plus importants résident dans les deux princi-
paux villages, Noutka et Wikanish. L'île de la Reine-Charlotte est peuplée
aussi de Wakas.
La Nouvelle-Hanovre s'étend du 50e au 54e parallèle ; il y a au nord
deux bras de mer qui pénètrent fort avant dans les terres, c'est le canal

AMÉRIQUE. — NOUVELLE-BRETAGNE.
91
Hinchinbrook et le canal Gardner. Les parties maritimes de ce pays res-
semblent, pour la configuration du sol et pour les végétaux, à la Nouvelle-
Géorgie ; on y trouve des pins, des érables, des bouleaux, des pommiers.
Près du détroit de Fitzhughes, les côtes consistent en rochers taillés à pic,
divisés par des crevasses, dans lesquelles on trouve une tourbe très-inflam-
mable, et des pins d'une grosseur médiocre. L'intérieur de la Nouvelle-
Hanovre, appelée aujourd'hui Calédonie occidentale, a été visité, en 1793,
par Mackenzie. La grande rivière de Tacoutché-Tessé ou Frazer descend
des montagnes Rocheuses, et coule dans une vallée formée par les mon-
tagnes Bleues et les monts Cascades, entre des murailles de rochers perpen-
diculaires; son cours est rapide. Les montagnes sont couvertes de neiges,
qui même, dans quelques parties, se trouvent à un niveau assez bas pour
que le chemin y passe au milieu de l'été. Elles descendent brusquement
vers l'océan Pacifique, et il n'en sort, à l'ouest, que des rivières d'un cours
peu considérable. Il y a beaucoup de petits lacs, et on y voit ces enton-
noirs ou enfoncements de forme conique régulière si fréquents dans les
pays calcaires.
C'est ici presque le même luxe végétal que dans la Nouvelle-Géorgie.
Les pins et bouleaux forment les forêts dans les parties les plus élevées;
sur les montagnes inférieures, on voit des cèdres, ou plutôt des cyprès qui
ont quelquefois 8 mètres de circonférence, des aunes dont le tronc s'élève
à 13 mètres avant de pousser des branches ; enfin, des peupliers, des sapins,
et probablement beaucoup d'autres arbres utiles. Le panais sauvage croît
en abondance autour des lacs, et ses racines fournissent une bonne nour-
riture. Les rivières nourrissent des truites, des carpes, des saumons ; on
prend ces derniers près des digues construites à travers la rivière, ce qui
rappelle la pêche du saumon en Norvége.
Les Anglais possèdent dans la Nouvelle-Hanovre et la Calédonie occiden-
tale : le fort Frazer, près de la rivière Stuart, le fort Alexandria, près de
la rivière Frazer, le fort Chilcotin, sur le lac du même nom, et les forts
Saint-Georges, Saint-James et Mac-Langhlin.
C'est sur les côtes de la Nouvelle-Hanovre que sont situées les îles de
Fleurieu, découvertes et nommées par La Pérouse, et que Vancouver, sans
le savoir, a débaptisées pour les donner à la princesse royale d'Angleterre;
ces îles sont la grande Ile de la princesse Charlotte, appelée aujourd'hui
Ile Washington par les Américains, l’Archipel de Pitt, et l’Ile du Prince
Royal. Ces îles sont, ainsi que celle de Quadra et Vancouver, habitées par
les Wakas.

92
LIVRE CENT CINQUIÈME.
Le Nouveau-Cornouailles éprouve un froid beaucoup plus rigoureux que
les deux contrées précédentes. A 53° 30' sur le canal de Gardner, qui, à la
vérité, s'avance beaucoup dans les terres, on voit des montagnes cou-
vertes de glaces et de neiges qui ne paraissent jamais se fondre. Plus près
de la mer, le climat, plus doux, permet aux forêts de pins de revêtir les
rochers, d'ailleurs nus et escarpés. Les framboisiers, les cornouillers, les
groseilliers, la plante dite thé de Labrador y abondent. On y a découvert
des sources chaudes, une île entière d'ardoise et un rocher assez curieux
par sa forme d'obélisque, surnommé la Nouvelle-Edystone. Le bois flottant
se trouve en grande abondance sur plusieurs parties de cette côte. La Com-
pagnie anglaise y possède le fort de Simpson, à l'embouchure de la rivière
du même nom.
C'est surtout dans les environs de Noutka que les voyageurs européens
ont eu l'occasion d'observer les habitants indigènes. Ces sauvages s'ap-
pellent eux-mêmes Wakash ou Wakas. Leur taille est au-dessus de la taille
ordinaire, mais ils ont le corps musculeux; leur visage offre les os des joues
proéminents ; il est souvent très-comprimé au-dessus des joues, et il semble
s'abaisser brusquement entre les tempes ·, leur nez, aplati à la base, pré-
sente de larges narines et une pointe arrondie ·, ils ont le front bas, les
yeux petits et noirs, les lèvres larges, épaisses et arrondies. En général ils
manquent absolument de barbe, ou ils n'en ont qu'une petite touffe peu
fournie sur la pointe du menton. Cependant, ce défaut a peut-être une
cause factice, puisque quelques-uns d'entre eux, et particulièrement les
vieillards, portent une barbe épaisse, et même des moustaches. Leurs sour-
cils sont peu fournis et toujours droits ; mais ils ont une quantité considé-
rable de cheveux très-durs, très-forts, et sans aucune exception noirs, lisses
et flottants sur les épaules. De grossiers vêtements de lin, des couvertures
de peau d'ours ou de loutres marines, les couleurs rouges, noires et
blanches dont ils enduisent leurs corps, tout leur costume ordinaire retrace
l'image de la misère et de l'ignorance. Leur équipage de guerre est bizarre.
Ils s'affublent la tête de morceaux de bois sculptés qui représentent des
têtes d'aigles, de loups, de marsouins. Plusieurs familles demeurent
ensemble dans une même cabane; des demi-cloisons en bois donnent à ces
huttes l'air d'une écurie. Quelques-unes de leurs étoffes de laine, quoique
fabriquées sans le secours d'un métier, sont très-bonnes et ornées de
figures d'un coloris éclatant. Ils sculptent en bois des statues grossières.
Leurs pirogues légères, plates et larges, voguent sur les flots d'une
manière assurée, sans l'aide d'un balancier; distinction essentielle entre

AMÉRIQUE.
— NOUVELLE-BRETAGNE.
93
les canots des peuplades américaines et celles des parties méridionales des
Grandes-Indes et des îles de l'Océanie.
Leur attirail de pêche et de chasse est ingénieux et d'une exécution heu-
reuse : on remarque surtout une espèce de rame garnie de dents, avec
laquelle ils accrochent les poissons. Cet instrument, ainsi que les javelots
avec lesquels ils frappent la baleine, annoncent un esprit fort inventif. Le
javelot est composé d'une pièce d'os qui présente deux barbes, dans laquelle
est fixé le tranchant ovale d'une large coquille de moule qui forme la pointe ;
il porte deux ou trois brasses de corde ; pour le jeter ils emploient un bâton
d'environ 5 mètres de long, la ligne étant attachée à une extrémité, le jave-
lot à l'autre, de manière à se détacher du bâton, comme une bouée, quand
l'animal s'enfuit.
Les tribus qui habitent la Nouvelle-Géorgie diffèrent en taille, mœurs et
manières de vivre; mais, pour les principaux traits, elles se rapprochent
cependant toutes des habitants de Noutka. La dépopulation apparente des
environs du port de la Découverte contraste singulièrement avec le grand
nombre de crânes et autres ossements humains qu'on trouva ramassés ici,
comme si toutes les tribus voisines y eussent établi leur commun cimetière-
Lewis et Clarke ont observé les habitants de l'intérieur. En descendant des
montagnes Rocheuses, ils virent plusieurs tribus qui ont l'habitude d'apla-
tir la tête de leurs enfants encore très-jeunes. Les Solkouks ont le crâne
tellement aplati que le sommet de la tête se trouve sur une ligne perpendi-
culaire à celle du nez. Les idiomes des tribus diffèrent autant que leur phy-
sionomie. La langue des Enouchours, comprise par toutes les tribus qui
habitent sur la Columbia au-dessus de la grande chute, est inconnue plus
près de la côte, et on se sert de l'idiome des Echillouts, qui en diffère
absolument. Le langage des Killamouks est très-répandu parmi les tribus
qui demeurent au sud, entre la côte et le fleuve Multnomah. Ces Killamouks
sont au nombre d'environ 10,000. Les Koukouses, voisins de ces derniers,
mais plus reculés dans l'intérieur, sont d'une autre race ; ils sont plus blancs
et n'ont pas la tête aplatie. En général, le teint de toutes ces tribus, soit à
tête ronde, soit à tête plate, est d'un brun cuivré, plus clair que celui des
peuplades du Missouri et de la Louisiane. Vivant de pêche, ils accordent
aux femmes plus de considération qu'elles n'en ont chez les peuples chas-
seurs. L'air maritime gâte leurs yeux et leurs dents. Les tribus aux envi-
rons de la grande chute de la Columbia construisent des maisons en bois,
industrie qui ne se montre pas dans l'immense intervalle depuis cette chute
jusqu'à Saint-Louis.
·

94
LIVRE CENT CINQUIÈME.
Quelques tribus de la Nouvelle-Hanovre, observées par Mackensie,
offrent plusieurs traits qui nous rappellent les insulaires de Taiti et Tonga-
tabou. Cependant on les regarde comme des Wakas. Les habitants de la
rivière du Sa union, ou, comme ils la nomment, l’Annahyou-Tessé, vivent
sous un gouvernement despotique; ils ont deux fêtes religieuses, l'une au
printemps, l'autre en automne; dans leurs réceptions solennelles, ils
étendent des nattes devant leurs hôtes. Le peuple s'assied par-devant en
demi-cercle. Ils marquent leur amitié pour un individu en le revêtant de
leurs propres habits ; ils y joignent quelquefois l'offre de leur place au lit
conjugal. Mais ces traits se retrouvent chez beaucoup d'autres peuplades de
l'Amérique et de l'Asie. Ces peuples sont assez généralement d'une taille
moyenne, forts et charnus; ils ont le visage rond, les os des joues proémi-
nents, l'œil petit et d'une couleur grise mêlée de rouge, le teint à la fois
olivâtre et cuivré. Leur tète prend la forme conique par la suite des pressions
continuelles depuis l'enfance. Leurs cheveux sont d'un brun foncé. Ils font
leurs habits d'une espèce d'étoffe tirée de l'écorce de cèdre, et quelquefois
enlacée avec des peaux de loutre. Ils sont très-habiles sculpteurs; on voit
leurs temples soutenus par des piliers de bois en forme de cariatides; ces
figures sont, tes unes debout, dans la posture des vainqueurs; les autres
sont courbées et comme accablées sous un fardeau.
Les Indiens Sloud-Couss habitent l'endroit où la haute chaîne des Monts-
Cascades commence à s’abaisser vers le bassin de la rivière de Frazer, ou
Tacoutché-Tessé, cours d'eau de 120 lieues de longueur qui se jette dans le
golfe de Géorgie. Ces Indiens ont la physionomie agréable et montrent
beaucoup de propreté; les femmes, chez eux, ne sont point maltraitées. Ils
conservent les ossements de leurs pères enfermés dans des caisses ou sus-
pendus à des poteaux. Fidèles gardiens des effets que les voyageurs leur
avaient laissés en dépôt, ils s'efforçaient de voler tout ce qu'ils voyaient dans
les mains de ces mêmes étrangers.
Les Indiens nommés Nanscoud ou de la Cascade, les Nagaïls ou Nagai-
lers et les Atnahs habitent sur le haut du Frazer. Parmi leurs divers idiomes,
il y en a qui ressemblent aux langues des Chipiouans et d'autres nations du
Canada.
Les Carriers ou Tacullies habitent aussi les bords du Frazer et ceux du
lac de ce nom, qui donne naissance à cette rivière. Ils vivent de la chasse et
de la pêche, habitent des huttes, et sont vêtus de peaux d'animaux ou de
draps grossiers qu'ils obtiennent des facteurs de la Compagnie anglaise en
échange de leers fourrures. En hiver, ils se servent de traîneaux auxquels

AMÉRIQUE.—NOUVELLE-BRETAGNE.
95
ils attèlent de gros chiens. La polygamie est en usage chez eux. Leurs
femmes ont soin du ménage et font les habits de toute la famille.
Vancouver a vu, sur la côte, des villages qui étaient placés sur une
espèce de terrasse artificielle, et dont la représentation, gravée dans l'atlas
de ce voyageur, rappelle un peu les hippa’s de la Nouvelle Zélande. Le village
de Chélaskys, dans le détroit de Johnston, quoique composé de misérables
huttes, est décoré de figures qui paraissent avoir un sens hiéroglyphique;
cette espèce de peinture est répandue sur toute la côte nord-ouest.
Quittons la région du nord-ouest ou de Columbia, et franchissons les
montagnes Rocheuses (Rocky-Mountains). Nous voyons s'incliner vers la
baie d'Hudson, et vers les mers glaciales inconnues, un immense pays
entrecoupé de lacs, de marais et de rivières plus qu'aucune autre région du
globe. Peu de montagnes s'élèvent au-dessus de cette plaine sauvage et
glaciale. Les nombreuses eaux de ces contrées peuvent, ainsi que nous
l'avons dit en décrivant l'aspect général de la Nouvelle-Bretagne, se réduire
à deux classes. Les unes s'écoulent vers l'océan Arctique, les autres portent
leur tribut à la baie ou mer d'Hudson. Cette division physique, en deux
grands versants, sera celle que nous adopterons pour la rapide description
qui va suivre ; elle est d'ailleurs d'accord avec les divisions les plus récentes
de la Nouvelle-Bretagne, que la Compagnie anglaise de la baie d'Hudson
partage en factoreries 1 ou districts, qui empruntent leur nom aux fleuves
qui les sillonnent. Nous les passerons successivement en revue; commen-
çons par ceux qui dépendent du bassin de l'océan Arctique.
Le plus voisin des montagnes Rocheuses est le districtde la rivière de
la Paix, qui s'étend entre les 55e et 60e parallèles-, il est arrosé par la rivière
de la Paix (Peace-River) ; elle prend naissance par deux branches septen-
trionale et méridionale dans les Montagnes à Pic, Peak-Mountains, et vient
se jeter dans le grand lac de l'Esclave, en communiquant avec le lac
d’Athabasca ; de ce dernier lac à celui de l'Esclave, elle coule du sud vers le
nord, et porte le nom de rivière de l’Esclave. Les principaux établissements
de la Compagnie anglaise sont, dans ce district: les forts Mac-Leod, Rocky-
Mountain-House, Saint-Jean, Dunvegan et Vermillon, situés sur la rivière
de la Paix. La rivière de la Paix est accompagnée, à une certaine distance
de sa rive gauche, par les monts Carribœuf. Ce district est habité par les
Chipeways ou Chipiouans et les Crees.
1 Carte de l'Amérique du nord dédiée à l'honorable Compagnie de la baie d'Hudson,
et dressée d'après les derniers documents qu'elle a fournis; par M. J. Arrowsmith. —
Londres, 25 avril 1850, in-f°.
\\

96
LIVRE CENT CINQUIÈME.
Le district du Petit Lac de VEsclave (Lesser-Slave-Lake), est m sud-
sud-est du précédent ; il est moins étendu et doit son nom au principal iac
qu'il renferme; la rivière d’Athabasca ou de la Biche y prend sa source,
près du Mont Brown, élevé de plus de 5,300 mètres. Cette rivière, qui
communique avec le Petit Lac de l'Esclave, vient , après plusieurs chutes et
rapides, tomber dans le lac d’Athabasca, auquel elle donne son nom. Les
établissements de la Compagnie sont, dans ce district : Henry s-House,
Jaspen’s-House et les forts Assiniboine et du Petit Lac de l’Esclave.
Le district d’Athabasca entoure le lac de ce nom qui est en communication
à son extrémité occidentale avec la rivière de la Paix, et forme avec celle-ci
la rivière de l'Esclave. Les établissements de la Compagnie sont ici les forts
Chipewyan, Widderbune et Fond-du Lac, sur le lac même, et le fort Pierre-
au-Calumet, sur la rivière. Vers son extrémité orientale, ce lac commu-
nique avec le lac Wollaston et le lac des Rennes, par la rivière Stône.
Le lac d'Athabasca est aussi appelé le Lac des Collines; il semble occu-
per le dos de pays qui sépare le versant de la mer d'Hudson de celui de
l'océan Arctique.
Le district du Grand Lac de VEsclave (Great-Slave Lake), est au nord
du précédent. Outre la rivière de l'Esclave, le lac qui lui donne son nom
reçoit encore de nombreux cours d'eau ; il donne naissance à la Mackensie,
vers son extrémité occidentale; vers l'orient, il est entouré de montagnes,
dont les principales sont : le mont Mac Leod et le mont Tal-Thel-Leh. Les
établissements de la Compagnie dans ces parages sont les forts Résolution,
Providence et Reliance, sur le lac même. Le lac de l'Esclave a plus
de 100 lieues de long sur 50 à 60 de largeur; il est semé d'îles couvertes de
grands arbres semblables à des mûriers. Mackensie le trouva couvert de
glaces dans le milieu du mois de juin 4789.
Le district de la rivière Machensie (Mac-Kensies river), est très-vaste ; il
s'étend entre le district du Grand Lac de l'Esclave à l'est, celui de la rivière
de la Paix au sud, et l'Amérique russe à l'ouest. Nous avons dit que la Mac-
kensie sortait du Grand Lac de l'Esclave; c'est le plus grand cours d'eau
de ces régions polaires; elle reçoit de nombreux affluents, parmi lesquels
nous citerons, sur la rive gauche, la rivière Liard ou de la Montagne, qui
est formée par plusieurs branches descendant en torrents des Monts du Pie
(Peak Mountains), et la rivière Peel, qui descend du mont Trafic pour se
confondre avec la Mackensie à son embouchure, où elle forme avec elle un
delta très-étendu. Les établissements de la Compagnie sont les forts llalket,
Liard, sur la rivière Liard; ceux de Normand, Bonne-Espérance et Simp-

AMÉRIQUE. — NOUVELLE-BRETAGNE.
97
son, sur la Mackensie, et celui de Mac-Pherson, sur la rivière de Peel. La
Mackensie communique avec le lac du Grand-Ours par la rivière du même
nom. La Compagnie ne possède qu’un poste sur le lac du Grand-Ours,
c'est le fort Confidence, situé à l'embouchure de la rivière Dease.
Tous ces lacs et ces fleuves offrent un cours d'eau non interrompu de plus
de 600 lieues ; c'est le pendant des magnifiques fleuves de la Sibérie. Pour-
quoi faut-il que ces superbes rivières arrosent inutilement des déserts gla-
cés? Car ces districts, à peine visités de loin en loin par le chasseur du
Canada, ne voient errer dans leurs vastes solitudes que quelques rares tri-
bus d'Indiens aux noms bizarres, tels que les Indiens-Nahathaway, les
Indiens-Castors, les Indiens-Chiens, les Indiens-Querelleurs, \\e$ Indiens-
Cuivre, les Indiens-Strongbow, appartenant tous à la grande famille des
Chipeways.
En nous dirigeant ainsi du sud au nord, nous voyons disparaître les der-
nières traces de la végétation. Dépassons le 65e parallèle, et le pays des
Eskimaux se présente à nous dans son affreuse nudité. Mais comment
décrire convenablement des contrées ingrates à peine entrevues par de
hardis voyageurs? Quel intérêt donner à une sèche nomenclature de noms,
de caps, de baies et de golfes? Quelle variété présenter dans le tableau tris-
tement monotone de ces contrées glacées et ensevelies pendant plus de
neuf mois sous les neiges? Nous essaierons cependant d’indiquer au lecteur
les points les plus importants de cette contrée du continent américain.
A l'est de l'embouchure de la Mackensie, la côte se continue en suivant
de l'ouest à l'est une direction à peu près parallèle au 70e degré de latitude
boréale. On rencontre d'abord, à l'embouchure de la Mackensie, un vaste
archipel découvert en 1789 par Mackensie, et visité en 1825 par Franklin?,
puis le cap Dalhousie, qui appartient peut être à une grande terre séparée
du continent; la côte, alors, creuse la baie de Liverpool ; mais elle remonte
bientôt vers le nord pour projeter, à la hauteur du 70e degré 50', le cap Ba-
thurst. On aperçoit ensuite la baie de Franklin et le cap Parry; des montagnes
nues et décharnées se montrent alors à quelque distance dans l'intérieur
des terres, ce sont les monts Melville, qui n'offrent pas une chaîne continue,
mais bien une série de montagnes isolées : c'est sans doute entre deux
d'entre elles que passe la rivière Roscoë, dont on ne connaît que l'embou-
chure.
A la hauteur du 120e degré de longitude occidentale, on entre dans le
détroit du Dauphin et de l’Union, formé par les terres Arctiques de Wol-
laston, de Victoria et par la côte du continent américain. Après avoir fran-
V.
13

98
LIVRE CENT CINQUIÈME.
chi le cap Krusenstern, cette dernière se creuse pour former le vaste golfe
du Couronnement de George IV, qui reçoit à l'ouest la rivière Raë, encore
inexplorée,et lu rivière Coppermine ou de la Mine de Cuivre. Cette
rivière, découverte par Hearne en 1771, n'est pas très-considérable ; elle
traverse un grand nombre de lacs et forme une suite considérable de rapi-
des et de cascades. Ses bords sont garnis de collines et de montagnes dont
la hauteur moyenne est de 700 mètres; c'est près de son embouchure
que se trouve la mine de cuivre qui lui donne son nom. Au fond de la partie
orientale du golfe du Couronnement, la mer, en pénétrant fort avant dans
les terres, y détermine Ventrée de Bathurst et la baie de Melville. Au nord
de cette dernière est la Pointe Turn-Again ou du Retour, qui forme avec la
terre Victoria le détroit de Dease. Le golfe du Couronnement est très-étendu;
il renferme de nombreuses îles que l'on désigne sous le nom d’Archipel du
duc d’ York ; la Pointe de Turn-Again, que l'on nomme aussi la presqu'île de
Kent, détermine, à l'entrée occidentale du détroit de Dease, le cap Franklin,
et à son extrémité orientale le cap Alexander. Le continent américain se
dirige alors, au dire de MM. Dease et Simpson, qui exploraient ces parages
en 1838, vers le nord-est; il est uni, et ses bords sont tour à tour occupés
par du fable fin, des cailloux aigus et des marécages. A la distance d'un à
deux milles, la côte est bordée par une chaîne de collines pierreuses peu
élevées, revêtues çà et là d'une sombre verdure, et donnant naissance à une
multitude de ruisseaux et de petites rivières qui vont se jeter dans la mer.
A deux lieues de la côte, une colline, haute d'environ 200 mètres, a été
nommée par M. Dease mont George, en l'honneur du gouverneur Simpson.
Elle pourra être un point remarquable pour la reconnaissance dans un
voyage vers l'intérieur.
La baie du Labyrinthe se présente ensuite en face de l'île Melbourne-,
puis la côte suit assez régulièrement la direction ouest-est; mais bientôt
elle se dirige vers le nord et forme la presqu'île Adélaïde, qui détermine,
avec la terre Arctique du roi Guillaume IV, le détroit de Simpson. A l'est
se creuse un nouveau golfe très-profond qui communique avec le lac Fran-
klin. Ce lac reçoit lui-même une des plus grandes rivières de ces contrées,
la rivière de Back ou du Grand Poisson, désignée aussi sous le nom de
Thleoui-Cho-Detzeh ; elle vient de la région du lac de l'Esclave, avec lequel
elle communique sans doute, et n'arrive à l'Océan qu'après avoir traversé,
plusieurs lacs, dont le plus important a été nommé Macdougal par le capi-
taine Back, qui visitait la rivière en 1835. Son cours est semé de rapides,
de cascades, de barrages et de rochers dangereux ; elle a 220 lieues de long.

AMÉRIQUE. — NOUVELLE-BRETAGNE.
99
Après le cap Victoria, situé à l'est de son embouchure, commence l'inconnu
ou l'indéterminé. Laissons, avec les terres Arctiques, les grandes pres-
qu'îles de Boothia-Felix et de Melville, séparées entre elles par le golfe de
Boothia et la baie Committee, et dirigeons-nous au sud-est, vers l’entrée de
Chesterfield, canal très-profond, situé au nord ouest de la mer d'Hudson.
Nous allons visiter maintenant chacun des districts qui appartiennent au
bassin de cette mer, en commençant par ceux du nord. Nous entrerons
d'abord dans une contrée qui dépendait des Nouvelles-Galles septentrio-
nales et qui forme aujourd'hui le district de Churchill. Ce district est très-
grand ·, il s'étend de l'entrée de Chesterfield, au nord, à la rivière de Chur-
chill, au sud, et des lacs des Rennes et Wollaston, à l'ouest, à la mer
d'Hudson, à l'est; il est couvert de grands lacs, tels que ceux de Doobaunt,
de Yath-Kyed, de North-Lined et de Big, qui communiquent entre eux par
des canaux. Le seul établissement de la Compagnie anglaise que nous puis-
sions nommer est le fort de Churchill, à l’embouchure de la rivière du même
nom dans la mer d'Hudson.
Le district de la rivière Anglaise (English river), est situé au sud de
ceux du Petit Lac de l'Esclave et d'Athabasca, qui appartiennent au versant
de l'océan Arctique; il en est séparé par des collines qui quelquefois s'élar-
gissent en plateaux, et il doit son nom à son cours d'eau principal, que l'on
appelle, dans la partie inférieure de son cours, le Missinippi ou Churchill.
Cette rivière communique avec le lac des Rennes, et, par celui-ci et la rivière
Stone, avec le lac d'Athabasca, Cette communication, qui met en rapport
les deux versants de l'océan Arctique et de la mer d'Hudson, serait précieuse
si elle avait lieu sous un climat plus tempéré. Les établissements de ce dis-
trict sont les forts Methye, la Croix, la Rouge et Carribeau.
Le district de la rivière Nelson (Nelson river), est à l'orient du précédent;
il comprend le cours inférieur du Churchill et celui du Nelson ; il renferme
les forts Nelson et Split.
Le district d’ Yorck, voisin du précédent, formait avec lui la partie sep-
tentrionale des Nouvelles-Galles. Les établissements de la colonie sont ici
York et Fort Nelson, sur la mer d'Hudson.
Le district de Saskatchawan est situé au sud du Petit Lac de l'Esclave et
. sur les confins des Etats-Unis; il est séparé de la région de Columbia par
le revers oriental des montagnes Rocheuses. La rivière qui lui donne son
nom est formée par deux branches qui descendent de ces montagnes; la
branche du nord descend du mont Hooker, qui a 5,200 mètres d'altitude ;
ces deux branches se réunissent près de l'établissement de Nippewen ; la

100
LIVRE CENT CINQUIÈME.
rivière qu’elles forment vient se jeter dans le lac Quimpég, lac qui a plus
de 60 lieues de long sur 30 à 40 de large. Ses bords s’ombragent d'érables
à sucre et de peupliers; ils présentent des plaines fertiles où croît le riz de
Canada. Ce lac, qui reçoit encore la grande rivière des Assinipoils, appelés
aussi Assiniboins, unie à la rivière Rouge, se décharge dans la baie d'Hud-
son par les rivières Nelson et Severn. Le lac Ouinipeg (Winipeg) est l'ancien
lac Bourbon des Français, et le fleuve Bourbon se composait du Saskat-
chawan et du Nelson. La partie méridionale de ce district est couverte de
montagnes et de collines qui séparent le bassin de la mer d'Hudson de celui
du Missinippi ; les principaux établissements de la Compagnie sont : Acton,
Edmonton, Fort-Saint-George, Manchester-House, Fort-Pitt et Carlton-
House, sur la Saskatehawan septentrionale ; Chester-Field, et Maison du
Sud sur la Saskatchawan méridionale.
Le district, de Cumberland est au sud de celui de la rivière anglaise,
dont il est séparé par une série de hauteurs; il comprend le cours inférieur
de la Saskatchawan. Ses principaux établissements sont ceux de Cumber-
land et les forts de Moose, de F inlay House et de Nippewen.
Le district de la rivière des Cygnes (Swan river), est situé entre la
branche méridionale de la Saskatehawan et les lacs Ounipegous et Mani-
toba. La rivière Assiniboine y prend sa source; il doit son nom à la petite
rivière et au lac des Cygnes. Les établissements de la Compagnie sont
ici: les forts Capot, Pelly, Hibernia, Hellice, Swan-House et Dauphin-
House.
Au nord du lac Ouinipeg est le petit district de Norvége (Norway), qui
doit son nom à son apparence physique. Les établissements qu'il renferme
sont ceux de Norway-House et Jack-House.
Dans le district de Ouinipeg, qui comprend les parties méridionales des
lacs Manitoba et Ouinipeg, uous citerons : Manitoba-House et le fort
Alexander, un des plus importants comptoirs de la Compagnie.
Le district de la rivière Rouge (Red river), est resserré entre les lacs dont
nous venons de parler et la frontière des Etats-Unis; il doit son nom à la
rivière qui vient de ce dernier pays ; elle reçoit sur la rive gauche la rivière
Assiniboine. La Compagnie anglaise y possède la bourgade d’Assiniboia,
Brandon-House et le fort Garray.
Le district du lac Rainy (Rainy lake), est aussi sur la frontière des Etats-
Unis ; il s'appuie à l'ouest sur le précédent, et à l'est il s'étend jusqu'au lac
Supérieur, sur lequel il possède les établissements de Michipicolon, du fort
Peak et Fort-William. Ce dernier est peut-être le plus important de ceux

AMÉRIQUE. — NOUVELLΕ -BRETAGNE.
101
que nous avons nommés jusqu'ici ; on peut le considérer comme l'entrepôt
principal de tout le commerce de pelleteries de l'intérieur de l'Amérique du
Nord.
Raseiganagah est un petit port de la Compagnie sur la frontière des Etats-
Unis
; cet établissement doit son nom au fort Rainy, situé sur les bords du
lac Rainy ou Français, qui sépare les possessions anglaises de celles des
Etats-Unis.
En quittant le bassin du lac Ouinipeg pour se diriger au nord vers la mer
d'Hudson, on entre dans le district d'Islande (Island), qui prend le nom
d'un des petits lacs qu'il renferme; il s'étend du nord-ouest au sud est, du
lac Holy au lac Chat. Les établissements qu'il renferme sont : Oxford-
House, Albany-House et les forts Windy et du Chat,
Le district de la Saverne (Severn) à l'est du précédent, et au sud de celui
d'York est bien plus étendu que ceux-ci; il est baigné par la mer d'Hud-
son, et faisait partie des nouvelles Galles du Nord. Il doit son nom à la
Saverne qui prend naissance au lac du même nom, et coulant du sud-ouest
au nord-est, vient tomber dans la mer d'Hudson après avoir reçu plusieurs
affluents. La Compagnie anglaise y possède quelques-uns de ses plus
anciens établissements. Nous citerons le Fort Savern à l'embouchure de
la rivière, le Fort Trout et \\eFort Weenisk sur les lacs du même nom, enfin
Severn-House. La côte qui avoisine la mer d'Hudson est ici basse et maré-
cageuse.
Le district d’Albany doit son nom à la rivière Albany qui se jette dans la
mer d'Hudson ; il est au sud du précédent, et comme lui, il renferme un
grand nombre de petits lacs parmi lesquels nous citerons ceux de Miminiska,
de Saint- Joseph et de Long. Les principaux établissements qu'il renferme
sont: Albany , dans une île située à l'embouchure de la rivière , Henley-
House, Glocester et Osnabourg-House. Le district de Moose s’appuie sur
le Haut-Canada, la rivière et le fort de Moose lui donnent leur nom; le
fort Moose-Factory, est bâti dans une jolie petite île à 3 milles de la mer
d'Hudson; il n'est remarquable que par l'élégance de sa construction et
par sa position géographique. Quant aux familles indiennes qui y viennent
faire la traite, leur nombre n'excède pas à cinquante, formant une popula-
tion d'environ deux cent cinquante âmes ; mais comme ce fort est situé à
l'extrémité sud de la rade, tous les ports environnants, à plus de 400 lieues
a la ronde, y envoient leurs pelleteries. Un navire venant chaque année
d'Angleterre, avec des munitions et des vivres pour l'approvisionnement
de ces diverses stations, s'en retourne chargé de riches et précieuses four-

102
LIVRE CENT CINQUIÈME.
rures ; les autres établissements sont ceux de Brunswick, de Nouveau-
Brunswick, et de Fredérick-House. Le lac Abbitibbé donne son nom au
district qui s'étend à l'est de celui de Mouse; il a pour limites au sud les
montagnes qui le séparent du Bas-Canada, et au nord, il est baigné par
les eaux de la baie de James. Abbilibbè-House, sur les bords du lac, paraît
en être le seul établissement important avec Hannak-House, située au fond
de la baie qui reçoit la rivière de Harricanaw. Le dernier district de la Com-
pagnie anglaise que nous nommerons, est celui de Rupperts-Rivers ; il
occupe la côte orientale de la baie de James et s'étend jusqu'à la rivière
Grande Baleine. Ce district a été formé aux dépens de la province de Maine
oriental, dépendante de la sauvage presqu'île du Labrador; les principaux
établissements sont ici Ruperts-House, les forts du Maine et de Baleine.
Tels sont les districts ou factoreries en lesquels se décompose le Terri-
toire de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Cette puissante Compagnie a
été fondée en 1821 par la fusion de l'ancienne Compagnie de la baie d'Hud-
son , qui datait de 1669, avec celle du Nord-ouest ou de Montréal. Les
établissements qu'elle possède ne consistent guère qu'en maisons palissa-
dées et défendues par des fossés ; quelques-uns cependant, dans la région
méridionale, promettent de devenir des centres de population importants,
et déjà peuvent-ils être décorés du nom de villages. Les nombreux employés
de la Compagnie font un important commerce de fourrures avec les indi-
gènes. Ceux ci appartiennent à trois nations différentes, les Esquimaux ,
les Chipéouays et ies Knistenaux.
Les Esquimaux ou Eskimaux habitent depuis le golfe Welcome jusqu'au
fleuve Mackenzie, et probablement jusqu'au détroit de Béring ; ils s'étendent
au sud jusqu'au lac de l'Esclave ; au nord, ils s'arrêtent sur les bords de
la mer Polaire ou prolongent leurs courses dans un désert glacé. Petits,
trapus et faibles, mais bien proportionnés, ces hommes polaires ont le teint
moins cuivré que d'un jaune rougeâtre et sale. Ils ont les épaules larges,
les mains et les pieds d'une petitesse remarquable; ils ont le visage plus
long et en même temps plus large que celui des Européens ; leur nez est
petit ; leurs yeux, noirs et petits, sont enfoncés et cachés en partie par des
paupières épaisses ; leur bouche est grande, leurs lèvres sont épaisses, leurs
oreilles larges et mobiles, leurs cheveux noirs, longs et rudes. Ces hommes
ont naturellement peu de barbe, et encore ont-ils le soin de l'épiler. Leurs
huttes, de forme circulaire, sont couvertes de peaux de daims dans l'inté-
rieur des terres, et de phoques sur les bords de la mer ; on n'y entre qu'en
rampant sur le ventre. Les canots, formés de peaux de veau marin cou-

AMÉRIQUE. — NOUVELLE-BRETAGNE.
103
sues sur une carcasse en bois ou en os de baleine, naviguent avec vitesse.
Il y en a de deux sortes : ceux qu'ils nomment kadjacs ont 3 mètres de
longueur sur 70 centimètres de largeur. Leur forme est celle d'une
navette de tisserand ; au milieu de la peau qui les couvre se trouve un
trou dans lequel se place l'Esquimau qui le dirige avec une rame longue
d'environ 2 mètres, étroite au milieu, large et plate aux deux extrémités.
S'il rencontre un champ de glace, il met son kadjac sur ses épaules, tra-
verse l'obstacle et se remet à naviguer. Les canots appelés cumiacs sont
construits de la même manière, mais plus grands et de la même forme que
nos batelets : ils peuvent contenir jusqu'à vingt personnes. Ces sauvages
travaillent patiemment une pierre grise et poreuse en forme de cruches et
de chaudières ·, les bords de ces vases reçoivent des ornements élégants.
Ils conservent leurs provisions de viande dans des outres remplies d'huile
de baleine. Ceux qui demeurent vers l'embouchure du fleuve Mackensie
se rasent la tête, coutume particulière, mais qui ne suffit pas pour démon-
trer une origine asiatique. Les Esquimaux portent des vêtements faits de
peaux d'animaux et principalement de phoques dont le poil est en dehors;
ils consistent, pour les hommes, en une tunique ronde que les femmes
portent aussi, mais fendue sur le côté, en un pantalon et en bottines com-
munes aux deux sexes; les bottines des femmes montent jusqu'à la hanche,
elles sont soutenues par des baleines, et elles leur servent à placer leurs
enfants lorsqu'elles sont fatiguées de les porter dans leurs bras. Elles
tressent leur cheveux en nattes auxquelles elles suspendent des dents et des
griffes d'ours blanc, ornement qui constitue leur principale parure. Elles
ornent leur figure d'une sorte de tatouage, de même que le reste du corps.
Pour éviter l'action de la trop grande lumière sur la glace et la neige,
les Esquimaux portent une espèce de garde-vue composé d'une petite
planche très-mince, percée de deux fentes étroites à travers lesquelles ils
peuvent distinguer les objets.
Ils se nourrissent de chair de phoque, de baleine, de poissons et de dif-
férents gibiers qu'ils fument ou font cuireà demi. Ils mangent volontiers la
chair crue, et sont très-friands de suif et de savon ; ils boivent avec délices
de l'huile de poisson.
La cérémonie du mariage est chez eux très-simple : l'homme choisit une
femme, quelquefois même il jette ses vues sur une jeune fille à la mamelle,
et déclare qu'il la prend pour épouse. Lorsque celle-ci est en âge d'être
mariée, les parents la conduisent chez le mari, qui a eu soin de préparer
un repas après lequel les deux époux exécutent une danse de cérémonie ;

104
LIVRE CENT CINQUIÈME.
lorsque celle-ci est terminée, chacun des convives se retire en adressant à
la mariée une exhortation pour lui rappeler ses devoirs d'épouse et de
mère, et le mariage est terminé.
Le seul animal domestique qu'on trouve chez les Esquimaux est le chien,
que l'on attèle, comme en Sibérie, à un petit traîneau qui peut contenir une
ou deux personnes. 11 ressemble à nos chiens de bergers ·, quelquefois son
poil est tacheté, d'autres fois noir et plus souvent blanc. Il a les oreilles
droites et courtes comme celles du renard. Il n'aboie point ; son cri est une
sorte de grognement. Son ennemi naturel est le loup, animal très-féroce
et très-hardi dans les régions hyperboréennes.
Les Chipéouays, qu'on nomme aussi Chippeways et Chippewas, ont
été observés par Mackensie entre le lac de l'Esclave et le lac Atapeskow ou
Athabasca ; ils paraissent s'étendre jusqu'aux montagnes Rocheuses à
l'ouest, et jusqu'aux sources du Missouri au sud-ouest. Quelques voyageurs
portent leur nombre à 30,000, d'autres à 16,000, et le major Pike à
11,000 seulement. Ceux qui habitent les environs du fort Chipewyan se
donnent le nom de Sa-issa-Dinnis (hommes du soleil levant). Les Indiens-
Serpents, les Cattanachowes et d'autres tribus en semblent des démem-
brements. Une branche des Chippeways est répandue dans le territoire des
États-Unis. Quoiqu'un peu moins cuivrés et un peu moins barbus que les
peuples voisins, les Chippeways n'ont pas le teint mongol. Leurs cheveux,
lisses comme ceux des Américains, ne sont pas toujours de couleur noire.
Ils se font, en peau de daim, un vêtement très-chaud et très-solide.
Quoique très-pacifiques entre eux, ces Indiens sont continuellement en
guerre avec les Esquimaux, sur lesquels la supériorité du nombre leur
donne un avantage considérable. Ils égorgent tous ceux qui tombent entre
leurs mains, car la crainte leur a donné le principe de ne jamais faire de
prisonniers. Ils se soumettent aux Knistenaux, qui sont bien moins nom-
breux.
La contrée que les Chippeways appellent leur pays n'a que très-peu de
terre végétale : aussi ne produit-elle presque pas de bois ni d'herbe. Ce
qu'on y trouve en quantité, c'est de la mousse que paissent les daims. Une
autre mousse croît sur les rochers et sert d'aliment aux hommes. On la
fait bouillir dans de l'eau, et en se dissolvant elle forme une substance glu-
tineuse assez nourrissante. Le poisson abonde dans les lacs Chippeways,
et des troupeaux de daims couvrent leurs collines. Mais quoiqu'ils soient
les plus clairvoyants et les plus économes des sauvages de l'Amérique sep-
tentrionale, ils ont beaucoup à souffrir de la disette en certaines années.

AMÉRIQUE. — NOUVELLE-BRETAGNE.
105
Les Chippeways se prétendent les descendants d'un chien : aussi
regardent-ils cet animal comme sacré. Ils se figurent le créateur du monde
sous la figure d'un oiseau dont les yeux lancent des éclairs et dont la voix
produit le tonnerre. Les idées d'un déluge et de la longue vie des premiers
hommes leur sont héréditaires.
On peut considérer comme une branche des Chippeways les tribus dési-
gnées par Hearne sous le nom d'Indiens du nord, et qui demeurent entre
la rivière du Cuivre et la baie d'Hudson jusqu'à la rivière de Churchill. Ces
Indiens du nord sont en général d'une taille moyenne, bien proportionnés
et forts ; mais ils manquent de cette activité, de cette souplesse si naturelles
aux Indiens dont les tribus habitent les côtes méridionales et occidentales
de la baie d'Hudson. La couleur de leur peau approche de celle du cuivre
foncé. Leurs cheveux sont noirs, épais et lisses comme ceux des autres
Indiens. A l'instar des Chippeways, ils prétendent devoir leur origine aux
amours de la première femme avec un chien, qui, la nuit, se transformait
en un beau jeune homme.
Très rusés pour attraper quelques petites aumônes, ils sont pourtant
très-pacifiques et ne s'enivrent point. La femme n'est chez eux qu'une
espèce de bêle de somme. Qu'on demande à un Indien du Nord en quoi
consiste la beauté, il vous répondra qu'une figure large et plate, de petits
yeux, des joues creuses dont chacune offre trois ou quatre traits noirs, un
front bas, un menton allongé, un nez gros et recourbé, un teint basané et
une gorge pendante la constituent véritablement. Ces agréments aug-
mentent beaucoup de prix lorsque celles qui les possèdent sont capables de
préparer toutes sortes de peaux, d'en former des habits, de porter de 50 à
70 kilogrammes en été, et d'en tirer un plus lourd en hiver. L'usage de la
polygamie leur procure un plus grand nombre de ces servantes soumises,
fidèles et même affectionnées. Lorsqu'ils ont reçu un affront quelconque,
ils provoquent leur ennemi à une lutte; le meurtre est très-rare parmi eux.
L'homme qui a versé le sang de son compatriote est abandonné par ses
parents et ses amis; il est réduit à une vie errante, et dès qu'il sort de sa
retraite, chacun s'écrie : « Voilà le meurtrier qui paraît! »
A l'ouest du lac Ouinipeg, les Assiniboins, peuplade de Sioux, au
nombre d'environ 4,000, élèvent beaucoup de chevaux et se nourrissent
de bisons, de daims, d'ours et d'antilopes. Chez eux, chaque homme, pen-
dant l'été, parcourt le pays en chassant à cheval, et 1 hiver en traîneaux,
auxquels ils attèlent de gros chiens.
Les Knislenaux, appelés Cristinaux par les anciens Canadiens, et Kil-
V.
14

106
LIVRE CENT CINQUIÈME.
listonous par quelques modernes, parcourent ou habitent tout le pays au
sud du lac des Montagnes jusqu'aux lacs du Canada, et depuis la baie
d'Hudson jusqu'au lac Ouinipeg. Ils sont d'une stature médiocre, bien
proportionnés et d'une extrême agilité. Des yeux noirs et perçants animent
leur physionomie agréable et ouverte. Ils se peignent le visage de diverses
couleurs. Ils portent des habits simples et commodes, coupés et ornés avec
goût ; mais quelquefois ils courent à la chasse, même dans le plus grand
froid, presque entièrement nus. Il paraît que, de tous les sauvages de l'Amé-
rique septentrionale, les Knistenaux ont les femmes les plus jolies. Leur
taille est proportionnée, et la régularité de leurs traits obtiendrait des éloges
en Europe. Elles ont le teint moins brun que les autres femmes sauvages,
parce qu'elles sont beaucoup plus propres. Ces sauvages sont naturelle-
ment doux, probes, généreux et hospitaliers lorsque le funeste usage des
liqueurs fortes n'a pas changé leur naturel. Ils ne comptent pas la chasteté
au nombre des vertus, et ne croient pas que la fidélité conjugale soit néces-
saire au bonheur des époux. Ils offrent leurs femmes aux étrangers; ils en
changent entre eux à la manière de Caton. Les brouillards qui couvrent les
marais sont censés être les esprits des défunts.
Les Knistenaux sont au nombre d'environ 24,000, et comptent
3,000 guerriers.
Le vaste enfoncement des eaux de l'océan Atlantique, dans les terres de
l'Amérique septentrionale, qui, commençant par le détroit dit d'Hudson,
s'élargit ensuite sous le nom de baie d'Hudson, est à proprement parler
une véritable mer. En effet, peut-on refuser ce nom à une étendue de plus
de 450 lieues de longueur du sud au nord, et de plus de 250 de largeur de
l'est à l'ouest? Au sud, elle offre un autre enfoncement de 100 lieues de
longueur et de 60 de largeur, improprement appelé baie de James, bien que
ce soit un golfe qui présente lui-même des baies profondes dans sa partie
méridionale. Les côtes de la mer d'Hudson sont en genéral élevées et bor-
dées de rochers ; la profondeur de ses eaux est de 150 brasses au milieu.
La mer n'est bien libre dans cette baie que depuis le commencement de
juillet jusqu'à la fin de septembre, encore y rencontre-t-on alors assez
souvent des glaçons qui jettent les navigateurs dans un grand embarras.
Dans le temps qu'on se croit loin de ces écueils flottants, un coup de vent,
une marée ou un courant assez fort pour entraîner le navire et l'empêcher
de gouverner, le pousse tout à coup au milieu d'une infinité de monceaux
de glace qui semblent couvrir toute la baie.
De nombreuses îles s'élèvent du sein des eaux dans les parties méridio-

AMÉRIQUE. — NOUVELLE-BRETAGNE.
107
nale, orientale et septentrionale de cette mer. Au sud, la plus grande est
celle d'Agomisca ; au nord, celle Mansfield, et, plus au nord encore, plu-
sieurs grandes îles qui dépendent des Terres arctiques, que nous avons
décrites.
La mer d'Hudson nourrit une petite quantité de poissons, et c'est sans
succès qu'on y a tenté la pêche de la baleine ·, les coquillages n'y sont pas
plus nombreux. Mais les lacs, même les plus septentrionaux, abondent en
poissons excellents, tels que brochets, esturgeons, truites. Leurs bords
sont peuplés d'oiseaux aquatiques, parmi lesquels on remarque plusieurs
espèces de cygnes, d'oies et de canards.
Rien n'est plus affreux que les environs de la baie d'Hudson. De quelque
côté qu'on jette la vue, on n'aperçoit que des terres incapables de recevoir
aucune sorte de culture, que des rocs escarpés qui s'élèvent jusqu'aux
nues, qu'entrecoupent des ravins profonds et des vallées stériles où le
soleil ne pénètre point, et que rendent inabordables des glaces et des amas
de neiges qui semblent ne fondre jamais.
Les côtes orientales de la baie d'Hudson font partie de la péninsule de
Labrador. Cette terre, de forme presque triangulaire, projette une autre de
ses faces sur le bras de mer appelé dèlroil de Davis, et s'appuie avec le
troisième côté sur le Canada et le golfe Saint-Laurent. Détaché ainsi des
Terres arctiques, le Labrador devrait tenir un peu de la nature des régions
froides et tempérées; mais, soit à cause de l'élévation de ses montagnes
encore à peu près inconnues, soit par l'influence des brouillards perpétuels
dont les mers voisines sont couvertes, c'est un pays aussi glacial que ceux
à l'ouest de la baie d'Hudson. Le voyageur Cartwright assure avoir trouvé
une famille d'indigènes logée dans une caverne creusée dans la neige; cette
demeure extraordinaire avait 2 mètres de haut, 3 à 4 de diamètre, et la
forme d'un four. Un grand morceau de glace servait de porte d'entrée. Une
lampe éclairait l'intérieur, où les habitants étaient couchés sur des peaux,
Non loin était une cuisine également construite en neige.
La région dont nous nous occupons fut découverte en 1496 par les
Portugais, qui la nommèrent Terra-Labrador (Terre du Laboureur). Les
Anglais l'appellent New-Britain.
Tout ce que l'on connaît du Labrador est un amas de montagnes et de
rochers, entrecoupé de rivières et de lacs sans nombre. On sait aussi que
les montagnes y sont couvertes de neige toute l'année. Les plus hautes de
ces montagnes, qui ne paraissent pas s'élever à plus de 1,000 mètres,
s'étendent le long de la côte orientale. En s'éloignant des côtes, le pays

108
LIVRE CENT CINQUIÈME.
prend un aspect moins triste ; les roches arides disparaissent, et l'on voit
s'étendre au loin des forêts de sapins, de mélèzes, de bouleaux et de peu-
pliers. Toutefois, passé le 56e parallèle, ces arbres font place à des arbustes
qui disparaissent à leur tour sous le 60e degré.
Les principaux animaux du Labrador sont : le renne, l'ours noir et l'ours
blanc, le loup, le renard, le chat sauvage, le carcajou, la martre, le castor,
la loutre, le lièvre, l'hermine et le porc-épic. Les oiseaux les plus séden-
taires sont : l'aigle, le faucon et la perdrix. Les courlis sont très-abondants.
On n'y voit ni reptiles venimeux ni insectes, à l'exception de myriades de
moucherons fort incommodes.
Suivant le missionnaire Herzberg, de la société des frères moraves, la
neige commence à fondre au mois de mai; cependant il en tombe souvent
encore de nouvelle, et vers le commencement de juin il gèle fréquemment
la nuit. Au mois de juillet, la neige a disparu dans les vallées exposées au
sud. La floraison des plantes commence alors, et dans le mois d'août elles
portent des fruits. A peine à la fin de ce mois, on voit la neige tomber, et en
septembre l'hiver a recommencé. Ainsi, ces malheureuses contrées sont
privées de nos deux plus agréables saisons, le printemps et l'automne.
L'hiver est tellement rigoureux que la glace des lacs a jusqu'à 3 mètres
d'épaisseur.
Toutes les eaux sont extrêmement poissonneuses. Parmi les poissons,
on distingue le saumon, la truite, le brochet, l'anguille et le barbeau. Les
ours se réunissent en grandes troupes auprès des cataractes pour y prendre
le saumon qui y remonte en très-grand nombre et dont ils sont très-friands.
Il y en a qui plongent, poursuivent leur proie sous les eaux, et ne repa-
raissent qu'à 100 ou 200 pas de distance; d'autres, plus paresseux ou
moins agiles, semblent être venus là pour jouir du spectacle. Les castors y
fourmillent ainsi que les rennes. L'air est plus doux dans l'intérieur des
terres, où l'on aperçoit quelques vestiges de fertilité. Les vallées sont cou-
vertes de pins et de pinastres. Il y croît beaucoup de céleri sauvage et des
plantes antiscorbutiques. Le fait le plus bizarre qui nous soit transmis,
c'est que les terrains tourbeux de la côte se couvrent de gazon après avoir
été engraissés par les cadavres des phoques que la mer y rejette. Il faut en
attendre la confirmation. On pourrait cultiver les parties méridionales; mais
il serait difficile de se défendre des ours et des loups, et le bétail ne pourrait
quitter l’étable que trois mois de l'année. La côte orientale offre un escar-
pement stérile de montagnes rocheuses qui se revêtent en quelques endroits
d'une tourbe noirâtre et de quelques plantes rabougries. Des brouillards

AMÉRIQUE. — NOUV ELLE- BRETAGNE.
109
l'assiègent ; cependant ils paraissent de moins de durée qu'à Terre-Neuve.
Quoique la plus grande partie des eaux vienne de la neige fondue, cepen-
dant on n'y connaît point les goitres. Des milliers d'îles couvrent cette
même côte ; elles sont peuplées d'oiseaux aquatiques, et particulièrement
des canards qui donnent l'édredon.
Chaque année, plus de 2,000 navires anglais et américains, montés par
plus de 24,000 hommes, vont pêcher sur les côtes du Labrador plus de
2,000,000 de quintaux de poisson, 10,000 peaux de veaux marins, et
6,000 tonneaux d'huile, formant une valeur de 28,000,000 de francs.
La plus célèbre production de ce pays est le labradorite, que l’on a long-
temps appelé feldspath de Labrador, découvert par les frères moraves au
milieu des lacs du canton élevé de Kylgapied, où ses vives couleurs se
réfléchissaient au fond de l'eau. Les roches sont en général granitiques. Le
district d’Ungawa, situé à l'ouest du cap Chudleigh, abonde en jaspe
rouge, en hématites et en pyrites.
Les Esquimaux ont peuplé toutes les côtes septentrionales et orientales
de cette contrée ; ils vivent de la pêche. C'est parmi eux que les frères
moraves ont fondé les trois colonies de Nain, d'Okkak et de Hoffenthal, ou
Hopedale. Lorsqu'ils y abordèrent, les Esquimaux avaient la coutume de
tuer les orphelins et les veuves, pour ne pas les exposer à mourir de faim.
Les missionnaires, après leur avoir enseigné diverses pratiques utiles pour
la pêche, bâtirent un magasin où chacun pût conserver son superflu; ils
les engagèrent à mettre la dixième partie de côté pour les veuves et les
orphelins. Voilà comment on convertit véritablement les peuples! Les
autres lieux importants du Labrador sont : Bardore-Bay, sur le détroit de
Belle-Ile, l'anse le Blanc, et Forteresse-Bay sur le golfe Saint-Laurent.
On évalue à 4,000 la population de cette péninsule; au point de vue
administratif, elle dépend, ainsi que l'île voisine d’Anticosti, du gouver-
nement de Terre-Neuve, dont nous avons parlé dans le livre précédent.
Les Esquimaux du Labrador ont le visage plat, le nez court, les che-
veux noirs et rudes, les mains et les pieds très-petits, et diffèrent des
indigènes de l'intérieur par la barbe, qui manque à ceux-ci. Leur nour-
riture consiste principalement en chair de phoque et de rennes, et en
poissons qu'ils mangent quelquefois crus et même dans un état de putré
faction.
Leurs vêtements consistent en une camisole à capuchon, des pantalons,
des bas et des boites en peaux de phoques, dont le poil est en dedans, du
moins en hiver. Les femmes ont le même costume que les hommes, à l'ex-

110
LIVRE CENT SIXIÈME.
ception que leurs bottes sont plus amples et que leur Habit de dessus a une
queue ; elles ornent leur tête de petits objets en verroterie ou d'un cercle
en laiton brillant.
En été, ces Esquimaux vivent dans des tentes de forme circulaire, con-
struites en perches et couvertes de peaux cousues ensemble, et qu'ils
transportent continuellement d'un lieu à un autre. Ils ont un grand nombre
de chiens qui servent à tirer leurs traîneaux, et dont la chair leur sert
quelquefois de nourriture et la peau de vêtements.
Leurs armes sont la javeline , l'arc et la flèche. Ils sont adonnés à la
polygamie, mais leurs familles sont en général peu nombreuses. Ils n'ont
ni gouvernement ni lois. Un homme n'est regardé comme supérieur à un
autre que lorsqu'il se fait remarquer par son courage, sa force, ou le
nombre des membres de sa famille.
Nain, le principal établissement des frères missionnaires moraves, est
situé sur la côte orientale , vis-à-vis les îles Hillsborough ; il possède un
port assez bien abrité.
Une tribu particulière habite les montagnes méridionales ; malheureu-
sement le mélange avec les Canadiens français en a effacé les traits avant
qu'ils aient pu être examinés avec soin. Cette peuplade, qui a adopté le
rite catholique, se nourrit de rennes et de gibier; on ne les appelle que
les Montagnards. Une autre tribu, nommée les Escopics, habite la partie
occidentale.
LIVRE CENT SIXIÈME
Suite de la Description de l'Amérique. — Amérique Russe.
L’Amérique Russe, s'étend le long du détroit de Béring, et se prolonge,
par la presqu'île d'Alaska en une longue chaîne d'îles, jusqu'aux terres
asiatiques. Elle forme la région nord-ouest de l'Amérique ; elle est comprise
entre les 143me et 170me dégrés de longitude occidentale, et entre les
51me, 40' et 71me de latitude septentrionale : sa superficie est évaluée à
48,600 lieues carrées, et sa population à 61,000 habitants, dont environ
2,000 russes. Le comptoir de Bodéga, situé à quelques lieues au nord de
San-Francisco, à l'embouchure de la Slavinska-Ross, en faisait autrefois
partie, mais il a dû être abandonné aux Anglo-Américains.

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE RUSSE.
111
L'Amérique russe se compose d'une partie insulaire et d'une partie con-
tinentale. La première comprend les îles de la mer de Béring et les îles
répandues le long de la côte nord-ouest, entre le cap Elizabeth et l'entrée
de Dixton.
La mer de Béring a dans sa plus grande longueur 550 lieues de l'est à
l'ouest, et 400 lieues de largeur du sud au nord. Elle communique avec
l'Océan glacial par le détroit de Béring, qui a plus de 150 lieues de lon-
gueur, sur 20 dans sa plus faible largeur et 40 dans sa plus grande. Vers
le milieu de ce détroit les eaux ont environ 30 brasses de profondeur ; les
navigateurs assurent que les grandes marées n'y sont pas sensibles. La mer
de Béring communique aussi avec le Grand-Océan par ce que l'on appelle
la Grande-Porte, espace qui sépare l'île de Cuivre des îles Aléoutiennes.
Dans la mer de Béring, que les Russes nomment aussi mer de Kamt-
chatka, nous distinguerons le groupe des îles Pribylov, composé des îles
Saint-Paul et Saint-George, importantes pour la pêche du lion marin.
L'île Nounivach, plus étendue que les précédentes, est habitée par quelques
familles de pêcheurs. Enfin, dans le détroit de Béring, Vile du Traîneau et
le petit groupe des îles SainT-Diomède, composé des trois îles Batmanof,
Kruzenstern et Fairway.
La mer de Béring est fermée vers le sud, de la pointe de la presqu'île
d'Alaska en Amérique à celle de Kamtchatka en Asie, par une chaîne
d'îles que l'on appelle les îles Aléoutiennes ou Aléoutes. Ces îles sont
généralement très-élevées, montagneuses, entourées d’écueils ou de
bas-fonds ; plusieurs d'entre elles renferment des volcans en activité;
inhabitées pour la plupart, les principales sont seules fréquentées par
les chasseurs russes, et servent de résidence à quelques peuplades de
pêcheurs.
On divise les îles Aléoutiennes en plusieurs groupes, dont les dénomina-
tions indigènes sont Chao, ou les Aléoutiennes proprement dites des Russes ;
Negho, ou les îles Andréanoff et Lisii, ou les îles aux Renards. Mais l'usage
a prévalu de les comprendre toutes sous le nom d’îles Aléoutiennes. En
effet, elles présentent une seule et unique chaîne; elles ressemblent
aux piles d'un immense pont qu'on aurait voulu jeter d'un continent à
l'autre. Elles décrivent, entre le Kamtchatka en Asie et le promontoire
d'Alaska en Amérique, un arc de cercle qui joint presque ces deux terres
ensemble. On y en distingue douze principales, accompagnées d'un très-
grand nombre d'autres petites îles et de rochers. L'île de Cuivre et celle
de Béring se trouvent un peu détachées des autres et rapprochées de la

112
LIVRE CENT SIXIÈME.
presqu'île de Kamtchatka. Aussi les avons-nous décrites à la suite de la
Sibérie.
Les îles Aléoutes, ou Aléoutiennes proprement dites, sont au nombre de
trois : Attou, Agattou et Semilsche. A l'est de celles-ci, se présente le
groupe des Andréanoff, composé de plusieurs îlots peu importants et de
vingt îles longues en général de 15 à 20 lieues ·, ce sont : Boulduire, Kiska,
Kriseï, ou l'île du Rat; Tanaga, Bobrowoï, Goroloï, Smisopotnoï ou l'île
des Sept-Cratères ; Adahk, Silkhine, Tagilak: Goulduir, Kiskoup, Segoulla,
Amlchalka, Kroueloï, Illak, Ounialea, Kouiouliok, Kanaga et Tchou-
goulla.
A l'est de ces îles se trouvent celles des Renards (Ostrova Lisii), dont
les principales sont : Oumnak, Ounalaschka, Akoutan, Akoun, Ounimak,
Spirkine, Calcaga, Sannakh, Choumaghine et Kadiak.
Choumaghine forme un groupe avec douze autres îles très-petites, mais
très-montagneuses, qui renferment beaucoup de loutres. Elles ont été
découvertes en 1741 par le capitaine Béring ; il leur donna le nom d'un de
ses matelots qui y fut enterré. Enfin, au sud-ouest de Kadiak, s'élève le
petit groupe des îles Eudoxie, en russe Eudokeiskia.
Toutes ces îles ont un aspect tellement uniforme qu'il serait fastidieux de
les décrire séparément. Elle ne différent que par l'activité plus ou moins
grande des volcans qu'elles renferment, et dont on porte le nombre à envi-
ron 24, et par le caractère de leur végétation.
La population de toutes ces îles réunies n'excède pas actuellement
5,000 habitants, dont les plus robustes et les plus agiles sont employés par
les chasseurs russes. Ces peuples étaient autrefois beaucoup plus nom-
breux; ils avaient des chefs, un gouvernement particulier et une religion
nationale; mais les Russes ont anéanti leur population avec leurs mœurs,
leurs coutumes et leur liberté. Envoyés comme esclaves à la chasse et à la
pèche, les insulaires périssent en grand nombre sur la mer ou dans des
hôpitaux mal tenus.
L'île qui paraît posséder le plus grand nombre d'habitants est Ounalaschka;
on l'appelle aussi Agoun-Aliaska, ou, suivant les habitants, Nagounalaska ;
elle a 30 lieues de longueur et 8 dans sa plus grande largeur. C'est un
assemblage de montagnes arides, dont la plus considérable, appelée le pic
Makouchine, élevé d'environ 2,000 mètres, est un volcan qui fume conti-
nuellement ; une autre montagne ignivome est l’Agaghine, qui eut une si
violentb éruption en 1802. Les vallées de cette île sont arrosées par de
nombreux ruisseaux et offrent d'excellents pâturage. Des renards, des

AMERIQUE. — AMÉRIQUE RUSSE.
113
souris à courte queue et des castors, sont presque les seuls mammifères
que l'on y trouve. Sa population, décimée par les maladies épidémiques
et les disettes, ne se compose aujourd'hui que de 600 à 800 individus,
répartis dans 14 villages qui bordent les côtes occidentales, septentrio-
nales et orientales.
Les insulairesd'Ounalaschka sontd'une taille médiocre, leur teint est brun;
ils ont le visage rond, le nez petit, les yeux noirs; leurs cheveux, également
noirs, sont rudes et très-forts ; ils ont peu de barbeau menton, mais beau-
coup sur la lèvre supérieure; en général, ils se percent la lèvre inférieure,
ainsi que le cartilage qui sépare les narines, et y portent, comme ornements,
des petits os façonnés ou de la verroterie. Les femmes ont des formes arron-
dies sans être jolies ; elles se tatouent le menton, les bras, les joues ;
douces et industrieuses, elles fabriquent avec beaucoup d'art des nattes et
des corbeilles. De leurs nattes, elles font des rideaux, des siéges, des lits.
Leurs robes de peau d'ours ont le poil en dehors. Les baidares, ou pirogues
d’Ounalachka, sont travaillées avec art; leurs formes sont pittoresques;
à travers la peau transparente dont elles sont couvertes, on aperçoit les
rameurs et tous leurs mouvements. Ces insulaires sont voués à des super-
stitions qui paraissent se rapprocher du chamanisme. Ils n'ont point de
cérémonie de mariage. Quand ils veulent une femme, ils l'achètent du
père et de la mère, et ils en prennent autant qu'ils en peuvent nourrir.
S'ils se repentent de leur acquisition, ils rendent la femme à ses parents,
qui alors sont obligés de restituer une partie du prix. Les peuples de cet
archipel ne paraissent pas entièrement exempts d'un amour contre nature.
Ils rendent les honneurs aux morts et embaument leurs corps. Une mère
garde ainsi souvent son enfant privé de vie avant de le confier à la terre.
Les restes mortels des chefs et des hommes riches ne sont pas du tout enter-
rés ; suspendus dans des hamacs, l'air les consume lentement. La langue
des Aléoutiens, différente de celle du Kamtchatka, paraît avoir quelque
analogie avec les idiomes Yeso et des îles Kouriles. Dans l'île d'Oumnak,
la plus voisine du continent, les Russes ont un évêque, un monastère, une
petite garnison et un chantier de construction.
Ounimaki, longue de 25 lieues et large de 10, renferme trois montagnes
volcaniques, dont l'une, l’Agaiedam, qui jette con tinuellement de la fumée,
eut une très-forte éruption en 1820. Le sommet de la seconde est fort irré-
gulier; elle se nomme Chichaldinskoi, et a 2,729 mètres d'altitude; le
cône de la troisième, appelée Kaïghinak, semble être fendu et tronqué ;
les Russes ont dans cette île une petite garnison et un chantier de con-

114
LIVRE CENT SIXIÈME.
struction ; elle est la résidence d'un évêque grec ; Oumnak, longue de
30 lieues et large de 5, renferme trois ou quatre volcans actifs ; celui du
centre a vers sa base des sources d'eau chaude, dans lesquelles les habitants
font cuire leur viande et leur poisson. Les îles Akoutan, Amoukhta, Kana-
ghia, Tanaga, Akcha, Goreloï, Semisopotchnoï, Ounatchock, Chagaghil,
Tana, Tchighinok, Oulaga, Geroloï, Silkhine et Gotchim ont toutes des
volcans.
Le climat des îles Aléoutiennes est plus désagréable par l'humidité que
par la rigueur du froid. La neige, très-abondante, ne disparaît qu'au mois
de mai. Presque toutes ces îles présentent des montagnes très-élevées,
composées de jaspe, de trachyte et de porphyre en partie vert et rouge, mais
en général jaune, avec des veines de pierre transparente, semblable à la
calcédoine.
Les seuls quadrupèdes de ces îles sont les renards et les souris; parmi
les oiseaux, on remarque des canards, des perdrix, des sarcelles, des cor-
morans, des mouettes et des aigles.
Les îles les plus rapprochées de l'Amérique produisent quelques pins,
mélèzes et chênes. Les îles occidentales n'ont que des saules rabougris.
La verdure a beaucoup d'éclat. Les montagnes produisent des mûres
de buisson, et les vallées des framboises sauvages blanches et d'un goût
fade.
L'île de Kodiak, ou Kadiak, appelée aussi Kikhtak, est montueuse et
ntrecoupée de vallées; sa longueur est d'environ 35 lieues, et sa largeur
de 20. Ses habitants, qui s'appellent Kaniaghes, ou Koniaghis, sont au
nombre de 3 à 4,000. Les habitations des insulaires de Kadiak, moins
enfoncées que celles des Aléoutiens, sont à moitié cavernes et à moitié
cabanes; on y a même introduit le luxe d'une ouverture pour la sortie de
la fumée. Les femmes sont idolâtres de leurs enfants; quelques-unes les
élèvent d'une manière très-efféminée. Elles souffrent que les chefs les choi-
sissent pour objets d'un goût dépravé. Ces jeunes gens sont alors vêtus
comme des femmes, et on leur apprend à s'occuper de tous les travaux du
ménage.
Les productions végétales de l'île Kadiak sont le sureau, me immense
quantité de framboisiers et de groseilliers, beaucoup de racines qui, avec
le poisson, servent à la nourriture des habitants ; dans l'intérieur de l'île,
les pins forment de très-grandes forêts et fournissent d'excellent bois de
construction.
Saint-Paul, autrefois le chef-lieu de toutes les possessions russes en

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE RUSSE.
115
Amérique, est situé dans la baie de Liakhik qui y forme un bon port. Cet
établissement se compose des bâtiments de la Compagnie russe, d'une
église, de plusieurs magasins, de quelques habitations de négociants et
d'un petit nombre de cabanes occupées par des indigènes.
La petite île de Sitkhinak voisine de la précédente, est importante par
sa population, qui est assez concentrée relativement à ces contrées si
dépourvues d'habitants. Dans le golfe du Prince-Guillaume se trouve le
petit groupe de Tchalkha ; c'est dans la principale de ces îles que les Russes
ont formé le petit établissement de Port-Etches défendu par un fort.
En allant vers le sud, suivons maintenant la côte nord-ouest qui, depuis
le traité de 1825, appartient aux Russes, entre les 54 et 60 degrés de lati-
tude, sur une profondeur de 10 lieues marines, et visitons les îles qui en
dépendent ; ce sont les archipels de George III, du duc d’York et du prince
de Galles. Couvertes de forêts de pins, ces îles sont, ainsi que celle de
l'Amirauté, habitées par quelques peuplades qui se livrent au commerce
des loutres marines.
L'archipel du Roi George III se compose de quelques petites iles et d'une
plus étendue nommée Silka par les naturels, du Roi George ///par Van-
couver et Baranov par les Russes ; un climat moins rigoureux y laisse
croître avec vigueur le pin, le cèdre américain et plusieurs autres arbres;
on y cueille des baies d'un excellent goût; le poisson y est abondant et déli-
cieux; le seigle et l'orge y ont réussi. C'est dans l'île de Sitka que se trouve
le centre des opérations de la Compagnie russe des fourrures ; c'est la
principale station de la Russie américaine. La Nouvelle-Arkhangel, petite
ville d'environ 1,200 habitants est le siége du gouverneur général des pos-
sessions russes. Elle se compose d'une centaine de maisons toutes en bois,
d'un port abrité de tous les vents, d'un chantier de construction pour les
navires, d'un hôpital, d'un hôtel destiné au gouverneur et d'une église.
On y fait un commerce considérable de fourrures. La forteresse, garnie
de 40 pièces de canon, donne au palais du gouvernement une sorte d'élé-
gance qui contraste de la manière la plus pittoresque avec l'aspect sauvage
des sites qui l'entourent. La maison réservée aux officiers, les magasins
et les casernes, sont tenus avec la plus grande régularité ; l'hôpital fondé
par la Compagnie commerciale, se fait remarquer par la propreté qui y
règne. Le palais du gouvernement renferme une riche bibliothèque com-
posée des meilleurs ouvrages russes et étrangers; d'une collection d'objets
rares ; enfin tout ce qui peut rendre la vie agréable dans un établissement
aussi éloigné du monde civilisé.

116
LIVRE CENT SIXIÈME.
L’île de l'Amirauté est remarquable par son étendue, par sa belle végé-
tation , par ses nombreux ports, et par la férocité de ses habitants; elle a
50 à 60 lieues de tour. L’archipel du duc d'York, dont l'île principale
porte le même nom , est au sud de l'île de l'Amirauté; il présente les mêmes
caractères que celle-ci. Varchipel du Prince de Galles est dans le même
cas ; l'île principale qui lui donne son nom possède un petit port appelé
Baylo-Bucareli. Les autres grandes îles qui en dépendent son l’ île du duc
de Clarence etYîle Bevillagigedo.
Traversons le bras de mer qui sépare cette dernière île de la partie con-
tinentale de l'Amérique russe; les Anglais ont donné à cette côte qui est
entièrement découpée par des canaux qui entrent très-avant dans les terres
les noms de nouveau Cornouailles et nouveau Norfolk; d'après les derniers
traités, les Russes les possèdent aujourd'hui sur une profondeur de 10 lieues
marines. Nous signalerons, dans ces contrées peu fréquentées, le mont
Sainl-Élie qui paraît le point culminant de ces latitudes septentrionales; il
a 5,113 mètres d’altitude, et le mont Fairweather ou mont Beautemps, son
voisin auquel on donne 4,549 mètres d'altitude. Les principales factoreries
russes sont celles de Yacoutal, de Stiknine, et de Tako. Ces contrées sont»
ainsi que les îles que nous venons de décrire, habitées par les belliqueux
et féroces Kolliougis, Kolouches ou Koluches.
Munis de quelques armes à feu, ils font encore aux Russes une guerre
opiniâtre. Ce fut dans le territoire des Kalougiens que l'infortuné La Pérouse
découvrit le Port des Français, immortalisé par le noble et malheureux
dévouement des frères Laborde. Les voyageurs français rendent le compte
le plus avantageux de l'esprit actif et industrieux des indigènes; forger le
fer et le cuivre, fabriquer à l'aiguille une sorte de tapisserie, natter avec
beaucoup d'art et de goût des chapeaux et des corbeilles de roseaux, tail-
ler, sculpter et polir la pierre serpentine, telles sont les prémices de la
civilisation naissante de cette tribu ; mais la fureur du vol, l'indifférence
entre parents et époux, la malpropreté des cabanes, et la coutume dégoû-
tante de porter dans la lèvre fendue un morceau de bois, les rapprochent
des sauvages, leurs voisins.
Ces peuplades sont dans un état continuel d'hostilité les unes à l'égard
des autres. La vanité des chefs et le pillage des subsistances sont les deux
principales causes de guerre. Ils la font avec acharnement; pendant la
nuit ils surprennent un village ennemi et en égorgent tous les habitants ;
ceux qui échappent au carnage sont condamnés à la plus rigoureuse cap-
tivité. Lorsqu'une peuplade déclare la guerre à une autre, les guerriers se

AMERIQUE. — AMÉRIQUE RUSSE.
117
peignent le corps en noir, afin d'inspirer plus de terreur, et ce couvrent
la tête avec des crânes ornés du symbole de leur race. Rarement ils se bat-
tent en rase campagne : la guerre, chez eux , est une suite de ruses réci-
proques à l'aide desquelles chaque parti espère surprendre le parti ennemi.
Ils sont grands amateurs de cérémonies. En temps de paix, ils s'envoient
réciproquement des ambassadeurs ; la mort d'un chef est le sujet de pompes
et de fêtes religieuses dont la magnificence s'estime par le nombre d'esclaves
immolés sur son bûcher. Chez les peuples de Sitka et de ses environs . il
règne sur leur origine une tradition qui porte que, lorsque Dieu parcou-
rut le monde, la terre était couverte d'eau, dans laquelle nageait une
femme qui donna naissance à l'espèce humaine. Cette tradition et beau-
coup d'autres plus ou moins ridicules, s'adaptent très-bien aux idées des
naturels, qui passent la plus grande partie de leur vie sur les flots ou sur
les côtes de l’Océan.
Ces peuplades se divisent en une foule de tribus qui se distinguent par
les noms de certains animaux : ainsi, il y a une tribu de l'Aigle, du Loup,
du Corbeau, de l'Ours: et lorsqu'on entre dans un village, on sait bientôt
à quelle race il appartient, car la cabane du chef est couronnée d'un sym-
bole qui représente cet animal peint avec plusieurs couleurs.Ce symbole
les accompagne aussi à la guerre. Le chef jouit d'une puissance illimitée;
cependant elle a beaucoup diminué depuis que le contact avec des nations
civilisées a naturalisé chez ces peuples un luxe relatif.
La partie du continent comprise sous le nom de Russie américaine, et
dont la souveraineté est acquise à la cour de Russie comme d'une terre
découverte et occupée en premier lieu par des sujets russes, présente de
toutes parts les aspects les plus sauvages et les plus sombres. Au-dessus
d'une rangée de collines, couvertes de pins et de bouleaux, s'élèvent des
montagnes nues, couronnées d'énormes masses de glaces, qui souvent s'en
détachent et roulent avec un fracas épouvantable vers les vallées qu'elles
remplissent, ou jusque dans les rivières et baies où, restant sans fondre, elles
forment autant de rivages de cristal. Lorsqu'une semblable masse tombe,
les forêts s'écroulent déracinées et dispersées au loin ; les échos du rivage
en retentissent comme d'un coup de tonnerre; la mer s'en émeut, les
vaisseaux éprouvent une secousse violente. Le navigateur effrayé voit se
renouveler, presque au milieu de la mer, les scènes terribles qui semblaient
réservées aux régions alpines. Entre le pied de ces montagnes et la mer,
s'étend une lisière de terres basses ; leur sol est presque partout noir et maré-
cageux Ce terrain n'est propre à produire que des mousses grossières, mais

118
LIVRE CENT SIXIÈME.
très-variées, des gramens très-courts, des vaciets et quelques autres petites
plantes. Quelques-uns de ces marais, suspendus sur les flancs des collines,
retiennent, l’eau comme des éponges ; leur verdure les fait prendre pour
un terrain solide, mais, en voulant y passer, on y enfonce jusqu'à mi-jambe.
Les pins grandissent pourtant sur ces sombres rochers. Après les pins,
l'espèce la plus répandue est celle des aunes. En beaucoup d'endroits l'on
ne voit que des arbres nains et des arbrisseaux. Sur aucune côte connue
l'on n'a remarqué d'aussi rapides envahissements de la mer sur la terre.
Des troncs d'arbres qui avaient été coupés par des navigateurs européens
ont été retrouvés et reconnus après un laps d'une dizaine d'années; ces
troncs se trouvent enfoncés dans l'eau avec les terrains qui les por-
taient.
On ne doit paschercherdans ces tristes contrées des montagnes aux cimes
altières et majestueuses ; on y aperçoit de loin en loin quelques pics qui ne
doivent leur apparence gigantesque qu'à l'uniformité des plaines du milieu
desquelles ils surgissent. Cependant la presqu'île d'Alaska est traversée
par une chaîne de collines assez élevées ; elle renferme, dit-on, un volcan ;
vers le nord les montagnes-Rocheuses viennent projeter leurs dernières
hauteurs, les monts Huskisson et Copplestone, voisins de la Pointe-Man-
ning. Les lacs sont plus nombreux : nous citerons ceux de Chelekov et
d’Hamana à l'entrée de la presqu'île d'Alaska, celui de Miltinbota, qui,
par la rivière de Cuivre, communique avec le Grand-Océan ; tandis que par
le Youcon, il communique avec l'océan Arctique. Le lac Mynkchatoch
paraît le plus considérable de tous ; c'est dans son voisinage que sont ceux
de Chublan de Koschobona. Nous avons déjà nommé le Youcon parmi les
fleuves de cette contrée; il prend sa source, sous le nom de Rivière du
Controleur, dans un des contreforts des Montagnes-Rocheuses, se dirige
du sud-est au nord-nord-ouest, et après un cours de 300 lieues, il vient
tomber dans l'océan Arctique à la pointe Beechey. Le Kouskoquim ou
Kouskovim et le Kvikhpack, qui coulent du nord-ouest au sud-ouest, tom-
bent dans la merde Béring; tandis que VAtna ou Mednaja appelée aussi
Rivière de Cuivre, vient se jeter par cinq embouchures dans le Grand-Océan
au nord du mont Saint-Élie.
Dans son état actuel, cette partie continentale de l'Amérique russe est
peu connue; elle est habitée par des tribus qui sont Indépendantes, à
l'exception de celles des côtes qui reconnaissent nominalement la suzerai-
neté des Russes; ceux-ci y possèdent quelques rares établissements et des
postes entourés de fossés et de palissades, que l'on décore du nom impo-

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE RUSSE.
119
sant de fort. Visitons chacune de ces tribus , en continuant de remonter
du sud vers le nord.
La baie du Prince-Guillaume, et la région du lac Miltinbota, est habitée
par les Ougatachmioutes, chasseurs intrépides, souvent en guerre avec
les Koluches, leurs voisins. Les Tchougatchis sont répandus dans la
presqu'île à laquelle ils ont donné leur nom, qui s’étend entre la baie
du Prince-Guillaume et l'Entrée de Cook, on y trouve les trois établis-
sements de forts, Alexandre, de Georglews et de Pamlows. Le premier est
une des principales factoreries des Russes. Les Koniaghis ou Konaigues
habitent la presqu'île d'Abaska, presque séparée du continent par le lac
Chelekov; ils paraissent de môme race que les Aléoutes, ainsi que les
Kenaïzes leurs voisins à l'orient; ce sont ces derniers qui ont donné leur
nom au golfe Kenaïtzien, appelé par les Russes Kenaïs-Kaïa-Gouba, et
par les Anglais Entrée de Cook.
La presqu'île d'Alaska n'a pas moins de 200 lieues de longueur, sur
une largeur de 10 à 12 ; elle est couverte de montagnes, dont deux sont
remarquables par leur hauteur, et surtout parce que ce sont deux vol-
cans qui ont été vus en éruption en 1786. Les Russes y ont un petit
établissement.
Toute la partie qui borde la mer et le détroit de Béring est peuplée de
Tchouklchis; ils se divisent en deux tribus : les stationnaires, et les errants
ou Rennes. Les premiers occupent les bords de la mer et toutes les localités
où l'on peut pêcher commodément; ils font, pour l’hiver, des provisions
de morceaux de rennes, de phoques, de morues, dans des magasins creu-
sés en terre, où ils conservent aussi de l'huile de poisson dans des outres
de peaux. Les Tchouklchis errants sont fiers, et regardent avec mépris les
hommes des nations voisines. Les rennes sont leur seule richesse. Un
grand nombre d'entre eux a embrassé le christianisme; ils paraissent être
de la même race que les Tchouktchis de la côte opposée de l'Asie.
Au nord du pays des Tchouktchis et du détroit de Béring, dont le cap du
prince de Galles détermine le point le plus resserré, s'étend la contrée que
le capitaine Béechey a nommée Georgie occidentale; elle est habitée par les
Kitègnes, tribu comprise dans la grande famille des Esquimaux. Les Russes
possèdent, sur les bords du Youcon, quelques établissements. Les points
les plus importants de la côte sont : le Cap de Glace (Icy Cap), limite de
l'expédition arctique de Cook; la Pointe de Barrow, qui s'avance au-
delà du 71e parallèle; la Pointe de Béechey, à l'embouchure du Youcon ;
enfin la Pointe-Démarcation, qui accuse la séparation entre les posses-

120
LIVRE CENT SEPTIÈME.
snios anglaises et russes sur la côte septentrionale du continent américain.
La Compagnie américaine-russe a pris naissance à Irkoutsk, en Sibérie,
en 1798·; son privilége a été renouvelé en 1839, et le siége de ses opéra-
tions est maintenant établi à Saint-Pétersbourg; elle est régie par un
comité composé de trois directeurs : elle a, comme la Compagnie anglaise
des Indes, ses employés, son armée de terre et de mer; six corvettes, six
bricks, un bateau à vapeur, plusieurs goëlettes et une grande quantité de,
canots en peau, nommés cayouques, que l'on emploie à la pêche et à la
chasse des animaux marins à fourrures. Toute l'Amérique russe est placée
sous l'autorité d'un capitaine de vaisseau de la marine impériale, qui est
investi des fonctions de gouverneur, et qui réside à la Nouvelle-Arkhangel.
Les établissements de la Compagnie sont divisés en cinq comptoirs et trois
sous-comptoirs : les premiers sont ceux de la Nouvelle-Arkhangel ; de
Kodiak, qui comprend la presqu'île d'Alaska et les côtes adjacentes; d'Ou-
nalaschka ou des Aléoutes centrales; d'Atscha ou des Aléoutes occidentales,
avec les deux îles asiatiques de Béring et Mednoi; enfin celui de Bodéga
ou du Port-Ross de Californie, que nous croyons cédé aujourd'hui aux
États-Unis. Les sous-comptoirs sont celui de Pribylow, celui de Nous-
chagack, sur la baie de Bristol, et celui d'Ouroup ou des Kouriles en
Asie.
La Compagnie exporte annuellement pour 800,000 francs de fourrures
provenant des castors, des loutres marines, des ours, des zibelines et des
renards noirs, argentés, rouges, bleus et blancs.
Les chasseurs russes, obligés de pénétrer plus avant dans le continent
pour rencontrer les renards et les castors, se croisent avec les chasseurs
américains et canadiens; ils ont avec ceux-ci des rapports journaliers qui
nous font mieux connaître ces contrées glacées, et permettent aux géo-
graphes de combler le vide de leurs cartes.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS. — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
121
LIVRE CENT SEPTIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Etats-Unis Anglo-Américains. —
Description physique générale.
Les frimas disparaissent, les brumes se dissipent, les arbres étalent des
rameaux vigoureux, les champs se couvrent de moissons plus abondantes.
Partout l'homme est occupé à bâtir des maisons, à fonder des villes, à sub-
juguer la nature, à défricher des terrains ; nous entendons partout les coups
de la cognée, le ronflement des forges; nous voyons les antiques forêts
livrées aux flammes, et la charrue sillonnant leurs cendres; nous aperce-
vons dans l'intérieur des terres des villes riantes, des palais et des temples
à peu de distance des cabanes habitées par de misérables sauvages; tandis
que sur les bords de l'océan Atlantique resplendissent de grandes cités,
heureuses rivales des vieilles capitales de l'Ancien-Monde; nous sommes
dans l’ Amérique fédérée. Nous foulons cette terre de liberté, peuplée depuis
deux siècles par les nombreuses colonies que l'esprit de l'intolérance reli-
gieuse et politique, ou le besoin, chassait des Iles-Britanniques et des
autres parties de l'Europe.
Un siècle ne s'est pas encore écoulé depuis que la république anglo-
américaine figure parmi les puissances. La paix de 1763 avait rendu l'An-
gleterre maîtresse de toute l'Amérique septentrionale jusqu'au Mississippi.
Les colons anglais sentirent leurs forces. Les tentatives que le gouverne-
ment de la métropole fit pour les soumettre à des taxes nouvelles excitèrent
les feux cachés de la rébellion. La bataille de Bunkershill, en 1775, apprit
aux hommes prévoyants combien les Américains seraient difficiles à vaincre
sous le prudent et valeureux Washington. Bientôt on vit le sage Franklin
poser les bases de la constitution. L'indépendance fut proclamée le 4 juil-
let 1776. La France et l'Espagne conclurent une alliance avec la nouvelle
république. Les Anglais, après avoir vu leurs armes humiliées par les
défaites de Burgoyne et Cornwallis, reconnurent l'indépendance des Etats-
Unis, composés alors de 13 provinces. La nouvelle république parut sur la
scène du monde avec une population de 2 millions et demi, avec une dette
considérable, avec une armée peu disciplinée et sans marine.
En peu d'années sa population fut doublée; son commerce, favorisé par
V.
16

122
LIVRE CENT SEPTIÈME.
la situation des côtes et par la neutralité de son pavillon, devint très floris-
sant, et elle eut bientôt conquis un rang important parmi les puissances
prépondérantes du globe.
Découverts par Jean Cabot en 1497, cinq ans après le débarquement de
Colomb à San-Salvador, les Etats-Unis d'Amérique s'étendent de l'Atlan-
tique à l'océan Pacifique ; ils s'appuient au nord sur les possessions
anglaises, et au sud, depuis le traité de 1848 avec le Mexique, ils sont
limités par le golfe du Mexique, le Rio del Norte et le Rio-Gila.
La plus grande longueur du territoire de l'Union, du nord au sud, est de
615 lieues ou 1,700 milles; sa plus grande largeur, de l'est à l'ouest, est
de 1,085 lieues ou de 3,000 milles. Sa superficie est évaluée à 405,325 lieues
géographiques carrées ou 3,100,000 milles carrés; et sa population, d'après
le dernier recensement officiel de 1850, est de 23,347,498 habitants.
Les Etats-Unis offrent une étendue de côtes évaluée, en ne tenant pas
compte des sinuosités du territoire, à 1850 lieues, dont 1267 sur l'océan
Atlantique et le golfe du Mexique, et 585 sur l'océan Pacifique. En tenant
compte des, sinuosités, ce développement atteindrait 11,594 lieues. La côte
Atlantique, au nord de l'embouchure de l’Hudson, est rocailleuse ; au sud
de ce fleuve, jusqu'au golfe du Mexique, la côte est basse et sablonneuse ;
elle est découpée en un grand nombre de baies, dont les principales sont
celles de Passamaquody, Massachusetts, Delaware, Chesapeake et de
Boston. Elle est bordée en plusieurs endroits d'îles longues et étroites, sépa-
rées du continent par des détroits dont les principaux sont ceux de Long-
Island, Albermale et Pamlico. A l'extrémité sud de cette côte est située la
presqu'île de Floride, que contourne le célèbre courant du Gulf-Stream,
dont l'influence se fait sentir jusque sur les côtes de France. Les côtes de
la Floride sont parsemées d'écueils à leur extrémité méridionale. La côte du
golfe du Mexique est basse et malsaine; elle offre cependant la belle baie de
Pensacola. La côte sur le Grand-Océan est généralement élevée ; elle offre
quelques bons ports et ne creuse que deux baies importantes, celles de
Monterey et de San-Francisco ; cette dernière pourrait offrir un abri assuré
à toutes les flottes du monde.
Le territoire des Etats-Unis se divise, sous le rapport physique, en trois
régions : la région orientale, comprenant les états de l'est ou du bassin de
l'Atlantique; la région centrale, comprenant le vaste bassin du Mississippi
et des autres fleuves qui affluent au golfe du Mexique, et la région occiden-
tale, comprenant les contrées situées à l'ouest des Montagnes-Rocheuses,
dans le bassin du Grand-Océan.

AMÉRIQUE. - ETATS-UNIS. — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
123
Les deux grands traits qui caractérisent la géographie des Etats-Unis,
c'est la majestueuse étendue des fleuves et le peu d'élévation des mon-
tagnes. Nous ne connaissons encore qu'imparfaitement les montagnes du
nord-ouest; on les appelle vulgairement Rocky-Mountains (Montagnes-
Rocheuses); elles font partie du vaste système qui, sous le nom général de
Cordillères, s'étend dans toute la longueur des deux Amériques. Leur ligne
de faîte est élevée d'environ 2,400 mètres au-dessus du niveau de la mer;
les plateaux qui leur servent de contreforts ont 1,000 mètres et leurs
cols 1850 ; leurs plus hauts pies sont le James-Peak, qui a 3,700 mètres,
le Highest-Peak, 3,900 mètres, et le Fremonte-Peak; les deux principaux
passages qu'elle offre sont la Passe du Sud, près du Pic-Frémont, et la
Passe Washington. La largeur moyenne de cette chaîne est de 16 à
35 lieues; elle est presque parallèle à la côte du Grand-Océan. Le long de
cette mer règne une autre chaîne très-haute qui, par des arètes et des con-
treforts qui s'élargissent à l'est, se lie aux Montagnes-Rocheuses. Cette
chaîne est désignée sous le nom de Coast-Range ou chaîne côtière, et prend
en Californie le nom de Sierra-Nevada. C'.est sur le versant occidental de
cette dernière que se trouve la région aurifère. Les pics les plus élevés de
celte chaîne côtière sont le mont Shaste, le mont Mac-Loughlin et les monts
Jefferson, Hood et Rainier.
Vers le 40e parallèle, un chaînon des Montagnes-Rocheuses court à l'est
sous le nom de monts Ozark; il ne dépasse pas 600 mètres; vers le 44e, les
mêmes montagnes, en s'élargissant, forment un coude; c'est là que se
trouve le partage des eaux entre le golfe du Mexique, la mer d’Hudson et la
mer Polaire.
A partir de la chaîne des Montagnes-Rocheuses, l'Amérique septentrio-
nale semble s'abaisser vers l'océan Atlantique et vers le golfe du Mexique,
en suivant une pente rarement interrompue par quelque faible élévation ou
plutôt par des terrasses qui mènent d'un plateau à l'autre.
La dernière et la plus élevée de ces terrasses prend le nom général de
monts Alleghany s. C'est moins une chaîne de montagnes qu'un long pla-
teau de 35 à 40 lieues de largeur, couronné de plusieurs chaînes soit de
montagnes, soit de collines. Entre la rivière de l'Hudson et le petit lac
Oneida, l'extrémité septentrionale des Alleghanys a reçu des Français le
nom de monts Apalaches. A l'est de l'Hudson, qui, avec le lac Champlain,
nous paraît limiter une région particulière, les collines granitiques, arron-
dies par le sommet, souvent couvertes en haut par des marécages ou des
terrains tourbeux, ne présentent qu'un ensemble de petites élévations, sans

124
LIVRE CENT SEPTIEME.
formes régulières, sans direction marquée. La principale élévation prend
dans la Nouvelle-Angleterre le nom de White-Mountains, montagnes
Blanches, et dans le Vermont celui de Green-Mountains, montagnes Vertes.
Le pic culminant des premières est le Pic-Washing ton, qui a 2,02? mètres
d'élévation. Dès qu’on a franchi l’Hudson, la structure des montagnes
paraît changer, car, selon tous les voyageurs, elles se présentent, en Penn-
sylvanie et en Virginie, sous la forme de sillons parallèles entre eux, mais
dont la largeur et les intervalles varient. Sur les confins de la Caroline du
nord et du Tennessée, les Alleghanys sont, au contraire, des groupes isolés
de montagnes, qui se touchent seulement par leur base. Ils occupent moins
de terrains.
Toute la chaîne orientale porte le nom de Blue-Ridge ou Blue-Mountains,
montagnes Bleues. Elle est coupée par le Susquehannah, le Polowmack et
le James; néanmoins elle conserve une élévation générale plus constante
qu'aucune des autres chaînes. Celle qui marque le partage des eaux est
très-peu élevée et peu large. Mais, dans la chaîne la plus occidentale, chaîne
d'ailleurs peu étendue et coupée par la rivière de Kanhawa, querques mon-
tagnes assez rapprochées offrent une élévation supérieure à celle de tout le
reste du système. Le mont Laurell et le mont Gauley dans l'ouest de la Vir-
ginie, la montagne du Grand-Père (Great-Falher-Mountain), celle de Fer
(Iron-Mountain), celle qu'on surnomme la Jaune et la Noire, entre le
Tennessée et la Caroline, s'élèvent jusqu'à près de 3,000 mètres au-dessus
du niveau de la mer Atlantique, tandis que le pic Otter, de la chaîne orien-
tale, n'a pas 1,320 mètres de hauteur.
Dans la description du Canada, nous avons déjà fait connaître les grands
lacs qui, au nord des Etats-Unis, forment comme une mer d'eau douce;
nous observerons seulement que le lac Michigan, qui est long de 90 lieues
et large de 30, est entièrement dans les Etats-Unis, ainsi que le petit lac
Champlain, son voisin, qui est célèbre dans les fastes de l'occupation fran-
çaise du Canada. Les Anglo-Américains doivent longtemps regretter la faute
que leurs diplomates ont commise, en 1783, de ne pas leur avoir obtenu à
tout prix, même en cédant le district du Maine, la possession de la péninsule
renfermée entre les trois lacs Erié, Ontario et Huron, péninsule alors
déserte, et dont à présent la culture a fait un poste avancé des colonies an-
glaises très-gênant et, dans certains cas, très-dangereux pour les Etats-Unis.
Le plus important des lacs de l'intérieur qu'il convienne de citer dans un
tableau général est le Grand Lac Salé, Youta ou Umpanogos, situé, vers
le 41e'parallèle, dans la région de l'océan Pacifique. C'est un vaste bassin

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS. — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
125
élevé de 1,260 mètres au-dessus du niveau de la mer, d'environ 30 lieues
de long sur 15 à 20 de large, alimenté par un grand nombre de rivières,
dont les principales sont la rivière de VOurs, qui vient du sud et redescend
par le nord, en faisant un circuit considérable, et la rivière Plate ou We-
bersfork, qui vient directement de l'est. Ce lac doit son nom à la nature de
ses eaux; le capitaine Frémont trouva qu'elles renfermaient 97 parties de
sel sur 100 ; cette proportion, qui est décuple de celle de la mer, présente
le plus haut degré de saturation que puisse acquérir l'eau. Le Grand Lac
Salé renferme plusieurs îles élevées. Le lac le plus important de ce versant,
après le précédent, est le lac Chintache ou Tulare, qui est situé dans la
partie méridionale de la vallée des Tulares, vers le 36e parallèle : il n'est
élevé que de 300 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le lac Pyramide,
situé sous le 40e de latitude, est bien plus élevé, puisque son altitude est
de 1,480 mètres. Il présente le spectacle extraordinaire d'une pyramide
naturelle qui sort de son sein et s'élève à une hauteur de 180 mètres; c'est
une masse granitique parfaitement régulière, terminée par un sommet fort
aigu. Les lacs Rathead et Utah sont moins importants. La partie septen -
trionale du bassin de Mississippi, au sud-est du lac Supérieur, est couverte
d'une multitude de lacs dont nous nous dispenserons de donner la fasti-
dieuse nomenclature; nous citerons seulement le lac Itasca, où ce grand
fleuve prend sa source. Ce lac est situé sous le 47°, 13', 35" de latitude et
de 97°. 20', 24" à l'occident du méridien de Paris, ses eaux sont à
527 mètres au-dessus du golfe du Mexique.
Il ne conviendrait pas non plus d'énumérer les nombreux marais situés
sur le versant Atlantique; il suffit de décrire celui qu'on nomme l'affreux
marais, Dismal Swamp. Il s'étend dans la partie orientale de la Virginie et
dans la Caroline septentrionale; il occupe une surface de 150,000 acres ou
234 milles carrés ; mais partoyt il est couvert d'arbres, de genévriers et de
cyprès dans les parties les plus humides, et, dans les plus sèches, de chênes
blancs et de rouges, ainsi que de plusieurs espèces de pins. Ces arbres y
sont d'une grandeur prodigieuse; souvent l'espace entre leurs pieds est
garni d'épaisses broussailles, différence bien remarquable d'avec les forêts
de l'Amérique septentrionale, où, en général, on ne trouve point de taillis.
Il y croît aussi des roseaux et une herbe épaisse et haute, qui a la propriété
d'engraisser promptement le bétail. Mais des troupes d'ours, de loups, de
daims et d'autres animaux sauvages abondent dans cette forêt maréca-
geuse. Un marais plus étendu, mais beaucoup moins connu, occupe une
portion des côtes de la Caroline du nord; on l'appelle Great Alligator Dis-

126 LIVRE CENT SEPTIÈME.
mal Swamp, le Grand Marais des Caïmans; il occupe au moins 600milles
carrés, en y comprenant trois lacs considérables. Les plantations de riz
commencent à envahir les bords de cet immense marais.
La plus grande partie du territoire de l'Union appartient au bassin du
golfe du Mexique, mais la partie la plus peuplée est située dans le bassin
de l'Atlantique. Celle qui appartient au bassin de l'océan Pacifique est la
moins importante; cependant elle renferme les plus grands fleuves de
l'Amérique affluant à cet océan. Dans le premier de ces bassins, le fleuve
qui jouit d'une plus grande célébrité est le Mississippi; mais il est reconnu
aujourd'hui que le Missouri est la branche principale, et c'est à ce dernier
fleuve qu'appartiendrait avec plus de raison le glorieux titre de Vieux Père
des Eaux ou Mecha-Chébé, que l'ignorance des sauvages a donné à un de
ses affluents, Le Mississippi, d'après l'ancienne façon de parler, a sa source
à 47 degrés de latitude, dans le lac Itasca. Par la chute pittoresque de
Saint-Antoine, il descend de son plateau natal dans une vaste plaine :
après un cours de 280 lieues, ses eaux limpides se perdent dans les flots
bourbeux du Missouri; à ce magnifique confluent, chacune de ces rivières
a plus d'une demi-lieue de large. Le Mississippi a 300 à 900 mètres de lar-
geur depuis le saut de Saint-Antoine jusqu'à son confluent avec l’Illinois ;
à sa jonction avec le Missouri, il a 2,500 mètres, et au confluent de l'Ar-
kansas 1,500. Vers son point de réunion avec l'Ohio, il a 15 à 20 mètres de
profondeur, et 60 à 80 entre la Nouvelle-Orléans et le golfe du Mexique. On
a vu, dans le tableau que nous avons donné plus haut de la longueur des
fleuves, que le cours d'eau que l'on continue à appeler Mississippi n'a pas
moins de 5,120 kilomètres ou 1,150 lieues de longueur.
Les affluents du haut Mississippi, du côté de l'ouest, sont encore impar-
faitement décrits : on ne sait lequel d'entre eux est la Rivière-Longue, sur
laquelle navigua La Hontan, et qu'il décrit comme très-profonde.
La rivière de Saint-Pierre, qui prend sa source vers le 45e parallèle et le
100e degré de longitude, se joint au Mississippi par sa rive droite, un peu
au-dessous de la chute de Saint-Antoine. Cette rivière, qui forme plusieurs
rapides, est très-profonde, a plus de 100 mètres de largeur et une longueur
d'environ 200 lieues.
C'est à l'est du Mississippi que le Wisconsin baigne ses collines escarpées,
et l’Illinois ses immenses savanes; toutes deux elles ouvrent presque une
communication entre le Mississippi et le lac Michigan. Le Wisconsin, large,
rapide, mais peu profond, est embarrassé de petites îles et de bancs de sable.
Son cours est d'environ 130 lieues. L'Illinois, qui n'a que 100 lieues de

AMÉRIQUE. - ÉTATS-UNIS. — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
127
longueur, a près de 200 mètres de largeur à son embouchure dans le Mis-
sissippi. Plus au sud, le beau fleuve d’Ohio règne sur un grand nombre de
rivières tributaires, telles que le Wabash, le Kentuky, le Cumberland et le
Tennessée; après avoir coulé à l'ombre des magnolia et des tulipiers, il est
englouti par le bas Mississippi, qui reçoit encore de l'ouest la rivière des
Arkansas et la Rivière-Rouge.
L'Ohio, dont le cours est de 400 lieues, est alimenté par 400 affluents ;
sa largeur moyenne est de 500 mètres; dans certains endroits il en a 1,400.
Sa pente est de 9 mètres par lieue, et sa vitesse d'une lieue par heure.
La manière dont le Mississippi s'écoule dans le golfe du Mexique offre
des singularités très-remarquables. Outre une embouchure principale et
permanente, il s'y forme des canaux d'écoulement qui changent souvent de
direction; car le niveau des eaux du fleuve est, dans la plus grande partie
de la Basse-Louisiane, plus élevé que celui de la contrée voisine. Son
immense volume d'eau n'est retenu que par de faibles digues de terres
légères et f|riables, de près de 2 mètres de hauteur. Mais ce sol, si bas par
rapport au fleuve, a cependant de toutes parts une pente faible, à la vérité,
mais non interrompue vers la mer ; ainsi les eaux du fleuve, en se débor-
dant, ne trou vent aucun obstacle et s'écoulent vers la mer assez paisible-
ment. Les canaux d'écoulement, dits les bras de Tchafalaya, des Plaque-
miniers et de la Fourche à l'ouest, et le bras d’Iberville à l'est, existent en
tout temps et embrassent une espèce de delta composé de terrains meubles,
soit limoneux, soit sablonneux. L'embouchure principale ne présente que
deux passes, dont la meilleure même n'offre un passage assuré qu'aux bâti-
ments qui ne tirent pas au-dessus de 4 à 5 mètres d'eau. Cela est d'autant
plus fâcheux qu'en dedans de son embouchure le lit du fleuve, dans un
cours d'environ 100 lieues, offre un canal assez profond pour recevoir les
plus gros vaisseaux. La profondeur du fleuve, dans cette partie de son cours,
est de 30 à 40 brasses; sa largeur, suivant la crue ou la diminution de ses
eaux, est de 600 à 800 mètres ; près l'embouchure, cette largeur est d'une
lieue. Cet engorgement du fleuve n'a eu lieu que depuis un peu plus d'un
demi-siècle.
Mais ce n'est pas le seul changement que ce puissant fleuve éprouve
depuis que les Européens ont commencé à l'observer. Les arbres, déracinés
par les vents ou tombés de vétusté, s'assemblent de toutes parts sur les eaux
du Mississippi. Unis par des lianes, cimentés par des vases, ces débris des fo-
rêts deviennent des îles flottantes; de jeunes arbrisseaux y prennent racine;
le pistia et le nénuphary étalent leurs roses jaunes; les serpents, lesoiseaux,

128
LIVRE CENT SEPTIÈME.
les caïmans viennent se reposer sur ces radeaux fleuris et verdoyants qui
arrivent quelquefois jusqu'à la mer, où ils s'engloutissent. Mais voici qu'un
arbre plus gros s'est accroché à quelque banc de sable et s'y est solidement
fixé ; il étend ses rameaux comme autant de crocs auxquels les îles flottantes
ne peuvent pas toujours échapper-, il suffit souvent d'un seul arbre pour en
arrêter successivement des milliers : les années accumulent les unes sur
les autres ces dépouilles de tant de lointains rivages ; ainsi naissent des îles,
des péninsules, des caps nouveaux qui changent le cours du fleuve, et
quelquefois le forcent à s'ouvrir de nouvelles routes.
Le Mississippi n'éprouve point de marées, à cause des nombreuses cou-
dées de son cours; d'ailleurs les vents n'y sont point constants : ainsi il est
extrêmement difficile de le remonter, surtout pendant les crues qui ont lieu
dans les six premiers mois de l'année; la force du courant est alors d'une
lieue par heure.
Ce beau fleuve divise les Etats-Unis en deux grandes portions : celle de
l'est fait des progrès rapides dans la civilisation, celle de l'ouest est encore
presque entièrement dépeuplée et sauvage.
Avant de se joindre au Mississippi, le Missouri a parcouru 949 lieues
depuis le confluent du Jefferson, du Madison et du Galatin, qui, en des-
cendant des Montagnes-Rocheuses, contribuent à le former. Lorsqu'il quitte
la région montagneuse où il prend sa source, il coule d'abord entre deux
rochers à pic de 400 mètres d'élévation. Sa vitesse est de 8 à 13 kilomètres
à l'heure; son courant rapide entraîne une quantité énorme de sable, qui
s'amasse de distance en distance, et forme des bancs mobiles très-dangereux
pour les navigateurs; car on peut le remonter pendant plus de 4,120 kilo-
mètres. Il charrie aussi beaucoup de bois dont une partie reste au fond de
son lit; ses bords, minés par les eaux, s'enfoncent souvent et lui font
prendre une autre direction. Un grand nombre de larges rivières viennent
du sud et de l'ouest se réunir au Missouri. Une des plus grandes est la
rivière Plate ou Nebraska, qui, sortant des Montagnes-Rocheuses, vers le
112e degré de longitude, coule dans la direction de l'est jusqu'au 97e degré,
où elle joint le Missouri. La rivière Plate a 1,200 mètres de largeur à son
embouchure, mais sa profondeur ne paraît pas excéder 2 mètres. Sa rapidité
et la quantité de sable qu'elle charrie empêchent d'y naviguer : ce n'est
que dans de petits canaux de cuir que les Indiens la traversent. Les autres
affluents du Missouri sont : sur la rive droite, le Yellowstone, la Chayenne,
la While River, la Kansas et l’Osage ; sur la rive gauche, le Milk-River,
le White-Earth-River, le James, la Sioux et la Grena.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS. — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
129
Outre le Mississippi et ses nombreux affluents, le golfe du Mexique reçoit
encore dans la baie de Mobile les eaux de l’ Alabama, qui parcourt le terri-
toire des Creecks ou des Muscogulges ; l’Apalachi-Cola descend des monts
Apalaches vers la baie du même nom.
A l'ouest des bouches du Mississippi, on rencontre successivement la
Sabine, qui, sur la plus grande partie de son cours, sépare le Texas de la
Louisiane ; elle a environ 450 kilomètres (101 lieues) de longueur. Dans
toutes les saisons, les bateaux à vapeur la remontent jusqu'à 30 et 40 lieues
de son embouchure.
Le RioTrinidad paraît avoir au moins 600 kilomètres (135 lieues) de
longueur : quelques voyageurs lui donnent une étendue plus considérable ;
mais ce qu'il y a de certain, c'est que les bateaux à vapeur le remontent
sans obstacle pendant au moins 60 lieues. C'est sur ses rives que les Fran-
çais tentèrent de fonder un établissement sous le nom de Champ-d'Asile.
Ses bords sont élevés et couverts d'arbres qui donnent de beaux bois de
construction. Le sol qui s'étend sur ses deux rives est riche et fertile.
Le Rio-Brazos-de-Dios, appelé sur les anciennes cartes Rio-Flores,
prend sa source dans les plaines élevées que les Espagnols ont nommées
Llanos, et se jette dans la baie de San-Bernardo après un cours l'environ
1,000 kilomètres (223 lieues). II coule entre des berges dont la hauteur
varie de 6 à 12 mètres. Sur une étendue de 700 kilomètres (157 lieues), il
offre une largeur de 150 à 200 mètres. Après les pluies, ses eaux sont sou-
vent saumâtres, parce que, dans la partie supérieure de son cours, il tra-
verse un lac salé. Nous remarquerons que ce fleuve, beaucoup moins con-
sidérable que le Mississippi, obéit cependant comme ce dernier à une
impulsion mystérieuse qui le pousse sans cesse de droite à gauche, en lui
faisant abandonner une de ses rives pour empiéter sur l'autre : telle est
même l'origine de plusieurs petits lacs en forme de fer à cheval qu'on ren-
contre çà et là sur la rive droite. Le Colorado, qui prend sa source sur les
pentes septentrionales de la Sierra de Saba qu'il traverse, a environ 750 ki-
lomètres ( 168 lieues) de cours. Il doit son nom au limon rougi par l'oxyde
de fer qui le colore après les pluies; il est navigable depuis son embouchure
jusqu'à la zone des montagnes, c'est-à-dire pendant 400 kilomètres ou
90 lieues.
En avançant encore vers l'ouest, on trouve le Guadalupe et le Rio-San-
Antonio, qui ont 40 à 45 myriamètres de cours. Plus loin, le Rio-de-las-
Nueces (la Rivière-des-Noix), dont la longueur totale est d'environ 530 ki-
lomètres (120 lieues); enfin le Rio-Bravo del Norte ou Rio Grande> qui,
Y.
17

130
LIVRE CENT SEPTIÈME.
depuis le traité de 1848, sert en partie de limite au Mexique et aux Etats-
Unis. Il naît dans le nœud que forme la Sierra-Verde avec la Sierra-de-Las-
Grullas dans le Nouveau Mexique, traverse de hautes plaines et descend au
golfe du Mexique après un cours de 2,220 kilomètres. Le cours de ce fleuve
a jusqu'à présent été fort peu exploré ; cependant il ne paraît pas être appelé
à rendre de grands services au commerce, parce que son lit est fréquem-
ment barré par des roches granitiques.
Parmi les fleuves qui appartiennent au versant de l'Atlantique, le Saint-
Laurent a déjà fixé nos regards : la rivière Chambly ou Richelieu n'est qu'un
canal de déversement des eaux du lac Champlain dans le Saint-Laurent;
nous citerons donc comme tributaires immédiats de cet océan : la rivière de
Sainte-Croix, qui sépare au nord les Etats-Unis des possessions anglaises.
Les Américains prétendent que ce nom a été donné par les Français à
presque toutes les rivières à l'est du pays de Sagadahoc, et que l'on aurait
dû chercher plus à l'est celle de ces rivières qui forme l'ancienne et véritable
limite du district du Maine. Le Connecticut a moins de largeur, moitié plus
de longueur, un grand nombre de chutes et de rapides ; mais il descend,
comme l'Hudson, en ligne droite vers la mer. Près de New-York s'écoule
l’Hudson ou North-River, fleuve d'environ 100 lieues de cours, qui baigne
des rivages très-pittoresques, et dont les eaux, par la rapidité de leur course,
prennent en quelques endroits une force capable, disent les géographes
américains, de briser une barre de fer. Au-dessous de la ville d'Hudson, il
est large d'un quart de lieue. La baie de Delaware ne reçoit guère que la
rivière du même nom. Au nord du Cap Henry s'allonge la baie de Chesa-
peak, dans laquelle s'écoule, par trois larges ouvertures, le Fluvanna,
autrement dit la rivière de James ; le rapide Potowmack, ce fleuve de près
de 200 lieues de cours, qui baigne les remparts de la cité Fédérale, et le
large Susquehannah, presque de la même longueur, qui entraîne dans son
lit la plupart des rivières de la Pennsylvanie. L'océan Atlantique reçoit
immédiatement les rivières de Altamaha, de Savannah et de Grande-Pèdie
(Great-Pedee). Leurs embouchures offrent quelques bancs de sable; cet
inconvénient devient plus grand à la rivière du Cap Fear, proprement le
Clarendon; et plus au nord on voit même une chaîne de dunes séparer de
l'Océan la grande lagune dite Pamlico-Sound, qui se joint presque à l’ Al-
bemarle-Sound, autre lagune où s'écoule le Roanoke. Les passes étroites et
environnées de bancs changeants, par lesquelles on entre dans ces lagunes,
rendent presque nulle la navigation de la Caroline du nord et d'une partie
de la Virginie.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS. — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
131
Toutes ces rivières sont moins imposantes que celles du versant du golfe
du Mexique ; leur cours est bien plus borné, mais en revanche elles pro-
curent les avantages d'une navigation intérieure à la plupart des Etats
Atlantiques.
Le versant de l'océan Pacifique ne compte, parmi ses tributaires les plus
importants, que l’Orégon, le San-Francisco, le San-Felipe et le Colorado.
VOrégon, appelé aussi Columbia, est navigable pour les navires de
300 tonneaux dans la partie inférieure de son cours jusqu'à son confluent
avec le Multnomah, éloigné de 43 lieues de la mer; les petits bâtiments
peuvent remonter à 20 lieues plus loin, point où s'arrête la marée. A
75 lieues de la mer, deux rapides exigent un court portage par terre; ensuite
la navigation des bateaux est libre jusqu'au grand saut que l'on rencontre
à 100 lieues du Grand-Océan. Ce fleuve a 500 lieues de cours; outre le
Multnomah, il reçoit encore la rivière Lewis.
Le climat de l'Amérique fédérée est un des plus inconstants, des plus
capricieux du monde; il passe rapidement des frimas de la Norvège aux
chaleurs de l'Afrique, de l'humidité de la Hollande à la sécheresse de la
Castille. Un changement de 12 degrés au thermomètre centigrade, dans la
même journée, compte parmi les choses ordinaires. Les indigènes mêmes
se plaignent des variations subites de la température. En passant sur la
vaste étendue des glaces du continent, le vent du nord-ouest acquiert un
haut degré de froid et de sécheresse; le sud-est, au contraire, produit sur
la côte de l'Atlantique des effets semblables à ceux du sirocco; le vent du
sud-ouest a le même effet dans les plaines situées à l'est des Apalaches, et,
lorsqu'il souffle, les chaleurs de l'été deviennent fréquemment excessives et
étouffantes. Cependant, vers les montagnes, on jouit d'un climat tempéré
et salubre, même dans les Etats méridionaux; le teint frais des jeunes per-
sonnes qui habitent la partie reculée de la Virginie atteste la bonté de l'air
qu'on y respire. Le même teint domine parmi les habitants de la Nouvelle-
Angleterre et de l'intérieur de la Pennsylvanie ; mais, sur toutes les côtes
qui s'étendent depuis New-York jusqu'à la Floride, la pâleur des visages
rappelle celle qui distingue les créoles des Antilles. Les fièvres malignes
règnent sur presque toute cette côte pendant les mois de septembre et d'oc-
tobre. Les contrées situées à l'ouest des montagnes sont en général plus
tempérées et plus salubres : le vent du sud-ouest y amène la pluie, tandis
qu'à l'orient c'est le vent du nord-est. Sur la côte de l'océan Atlantique, les
mêmes parallèles sont soumis à un climat plus froid en Amérique qu'en
Europe. Le confluent même de la Delaware est pris de glace pendant six

132
LIVRE CENT SEPTIÈME.
semaines. Les glaces flottantes du pôle, qui arrivent jusque sur le grand
banc de Terre-Neuve, sont sans doute les principaux conducteurs du
froid dont l'action à l'ouest est rompue par la chaîne des Alleghanys. Le
vent du nord-est, qui couvre toute la côte Atlantique d'épaisses brumes ou
de nuages pluvieux, n'apporte qu'un air frais et sec sur les bords de l'Ohio.
Dans tous les Etats-Unis, les pluies sont subites et abondantes-, on évalue
à 0m,94 la quantité d'eau qui tombe annuellement; la rosée y est égale-
ment excessive. Un autre point météorologique sur lequel l'atmosphère de
cette partie du globe diffère de celle de l'Europe, c'est la quantité de fluide
électrique dont elle est imprégnée : les orages en fournissent des preuves
effrayantes, par la prodigieuse vivacité des éclairs et la violence des coups
de tonnerre.
Un climat aussi capricieux a dû être favorable à l'introduction de la
maladie pestilentielle appelée la fièvre jaune, qui a si fréquemment renou-
vélé ses ravages dans les ports anglo-américains du midi et du centre.
C'est la même maladie que le vomissement noir des Espagnols, et le matlaza-
huait des Mexicains; elle paraît endémique dans les terrains bas et maré-
cageux de la zone torride de l'Amérique.
Une surface aussi étendue que celle des Etats-Unis, puisqu'elle comprend
un espace de 20 degrés en latitude, d'un océan à un autre, offre nécessai-
rement une grande diversité dans la nature du sol. Dans les Etats, au delà
de l'Hudson, il est mêlé de rochers, peu profond, souvent stérile, et plus
propre aux pâturages qu'à la culture. Le terrain sablonneux de la côte,
depuis Long-Island jusqu'au Mississippi, n'est susceptible de culture que le
long des fleuves et dans les cantons marécageux ; ailleurs il n'y croit que
des pins. Entre le terrain sablonneux et le pied des montagnes, le sol,
formé par la décomposition des roches primitives, est presque partout propre
au labourage. Dans les vallées de la chaîne des Alléghanys le sol l'emporte
en fertilité sur celui des cantons maritimes. Enfin, le pays immense situé à
l'ouest de ces montagnes, est d'une fertilité inépuisable partout où il est
bien arrosé. Au dela du Mississippi, la terre de la vallée de l'Arkansas et de
quelques autres rivières est tellement imprégnée de particules métalliques
et salines, qu'elle se montre rebelle à la culture. On peutpartager le sol des
Etats-Unis en trois parties, en raison de la nature des végétaux qu'elle pro-
duit : la région septentrionale au nord du 44e de latitude, où crois-
sent le bouleau, l'orme d'Amérique, les pins rouges et blancs, le saule,
l'érable, les plantes herbacées du nord de l'Europe et de la Sibérie, peu de
plantes grimpantes ou aquatiques ; la région centrale entre le 44e et le 35e

AMÉRIQUE. — ETATS-UNIS. — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
133
parallèles, où l'on trouve le chêne, leplatane, le cèdre blanc, plus de plantes
grimpantes et beaucoup de plantes aquatiques-, la région méridionale entre
les 30e et 35e degrés, où croissent le peuplier de la Caroline, le magnolia-
grandiflora, et la plus grande variété de plantes grimpantes herbacées et
plantes aquatiques.
Mais ces régions doivent se confondre continuellement par l'effet des
niveaux variés du terrain. Considérons donc l'ensemble du règne végétal
des Etats-Unis. Les espèces d'arbres les plus répandues sont le chêne à
feuilles de saule qui croît dans les marais ·, le chêne-marronnier, qui, dans
les Etats méridionaux, s'élève à une grandeur énorme, et qu'on estime
presque autant pour ses glands farineux que pour son bois ; le chêne blanc,
le rouge et le noir. Les deux espèces de noyer, le blanc et le noir ou hicory,
précieux par l'huile de ses noix; le châtaignier et l'orme d'Europe abon-
dent presque autant que les chênes dans toute l’Amérique-Unie. Le tuli-
pier et le sassafras, plus sensibles au froid que les premiers, rampent en
forme d'arbrisseaux rabougris, sur les confins du Canada, se montrent
comme arbres dans les États du centre; mais c'est sur les brûlants rivages
de l'Altamaha qu'ils prennent tout l'accroissement, se parent de toute la
beauté dont leur espèce est susceptible. L'érable à sucre, au contraire, ne
se rencontre, dans les provinces du midi, que sur les coteaux septentrio-
naux des montagnes, tandis qu'il est fort multiplié dans les provinces de la
Nouvelle-Angleterre, où le climat, plus âpre, le fait parvenir à sa grandeur
naturelle. Le liquidambar qui donne la gomme odorante, le bois de 1er, le
micocoulier, l'orme d'Amérique, le peuplier noir et le taccamahaca se trou-
vent partout où le sol leur convient, sans montrer une grande préférence
pour un climat plutôt que pour un autre. Les terrains sablonneux et légers
sont peuplés de la précieuse famille de pins, dont les principales espèces
sont le sapin de Pennsylvanie, le sapin commun et le beau sapin-hemlok ;
le pin noir, le blanc et celui de Weymouth, le mélèze; on pourrait aussi
mettre dans cette famille l'arbre de vie, le genévrier de Virginie et le cèdre
rouge d'Amérique. Parmi les arbrisseaux et les arbustes qui se multiplient
sur tous les points des États-Unis, nous distinguerons l'arbre à frange,
l'érable rouge, le sumac, le chêne vénéneux, le mûrier rouge, le pommier
épineux, le lilas de Pennsylvanie, le prunier-persimon , le faux acacia et
l'acacia à triple épine.
Les États-Unis n'offrent pas, généralement parlant, les belles pelouses de
l'Europe ; mais parmi les herbes grossières qui en couvrent le sol, la curio-
sité des jardiniers a fait connaître le collinsonia, qui sert de remède aux

134
LIVRE CENT SEPTIÈME.
Indiens pour la morsure du serpent à sonnettes; plusieurs jolies espèces de
phlox, le martagon doré, l’œnothera biennal, ainsi que diverses espèces
d'aster, de monarda et de rudbeckia.
C'est dans la Virginie et dans les Etats du sud et du sud-ouest que la
flore américaine étale ses principales merveilles et l'éternelle verdure des
savanes : l'imposante magnificence des forêts primitives, et la sauvage
exubérance des marécages captivent tous les sens par les charmes de la
forme, de la couleur et du parfum. Si on longe les rivages de la Caroline,
de la Géorgie et de la Floride, des bosquets continuels semblent flotter dans
l'eau. A côté des pinières on aperçoit le palétuvier, le seul arbuste qui peut
fleurir dans les eaux salées ; le magnifique lobelia cardinalis et l'odorant
pancratium de la Caroline, dont les fleurs ont le blanc de la neige. Les ter-
rains où la marée atteint se font distinguer du terrain sec par les tiges mou-
vantes et pressées de la canne, par le feuillage léger du nyssa aqualica, par
le taccamahaca, l'arbre à frange et le cèdre blanc ; ce dernier est peut-être,
de tous les arbres d'Amérique, celui qui offre l'aspect le plus singulier : le
tronc, en sortant de terre, se compose de quatre ou cinq énormes arcs-
boutants qui, en se réunissant à peu près à la hauteur de 2 mètres, for-
ment une espèce de voûte d'où jaillit une colonne droite de plus de 6 mètres
sans aucune branche, mais qui se termine en un chapiteau plat de la forme
d'un parasol garni de feuilles agréablement découpées et du vert le plus
tendre. La grue et l'aigle fixent leur nid sur cette plate-forme aérienne, et
les perroquets qu'on voit sans cesse voltiger dans le voisinage y sont attirés
par les semences huileuses renfermées dans de petits cônes suspendus aux
branches. Dans les labyrinthes naturels que présentent ces forêts maréca-
geuses, le voyageur découvre quelquefois de petits lacs, de petites clai-
rières qui formeraient les retraites les plus délicieuses, si l'air malsain en
.
automne permettait d'y habiter. On y avance sous une voûte de smilax et
et de vignes sauvages, parmi des faréoles et des lianes rampantes qui enla-
cent vos pieds d'un filet de fleurs ; mais le sol tremble, les insectes incom-
modes voltigent autour de vous; l'énorme chauve-souris, de l'espèce du
vespertilion, étend ses ailes hideuses, le serpent à sonnettes agite les
anneaux de sa peau retentissante; le loup, le carcajou, le chat-tigre rem-
plissent l'air de leurs cris discordants et sauvages.
On appelle savanes les grandes prairies de l'ouest qui déroulent à perte
de vue un océan de verdure qui semble monter vers les cieux, et qui ne
sont peuplées que d'immenses troupeaux de bisons : on donne aussi ce
nom aux plaines qui bordent les rivières, et qui sont généralement inondées

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS. — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
135
pendant tout le cours de la saison pluvieuse. Les arbres qui y croissent
appartiennent à l'espèce aquatique ; ce sont l'arbre au carton, l’olivier
d'Amérique et le gordonia argenté à fleurs odorantes; on les voit, isolés
ou réunis en groupes, former de petits bois percés à jour, tandis que, sur
la plus grande partie de la savane, on aperçoit un herbage long et succu-
lent, entremêlé de plantes et d'arbrisseaux. Le myrica cirier se distingue
ici parmi plusieurs espèces d'azalia, de kalmia, d'andromeda et de rhodo-
dendron, ici épars, là en touffes, entrelacés tantôt par la grenadille pour-
prée, tantôt par la capricieuse clitoria, qui en parent les voûtes de festons
riches et variés. Les bords des étangs, ainsi que les endroits bas et bour-
beux, sont ornés des fleurs azurées et brillantes de l'ixia, des fleurs dorées
de la canna lutea, et des touffes roses de Yhydrangia; tandis qu'une infi-
nité de riantes espèces de phlox, avec la timide sensitive, l'irritable dionée,
Yamaryllis atamasco couleur de feu, dans les savanes où la marée atteint
les rangs impénétrables du palmier royal, forment aux bois une ceinture
variée, et marquent les limites douteuses où la savane s'élève vers les forêts.
Les plateaux calcaires qui forment la presque totalité des contrées à
l'ouest des Alleghanys présentent quelques parties entièrement dénuées
d'arbres, et nommées barrens; mais on n'a pas encore examiné avec les
soins et les connaissances nécessaires si cette circonstance provient de la
nature du sol ou d'une destruction opérée par les hommes. Ceux d'entre
ces plateaux calcaires qui, élevés de 100 mètres, bordent les lits dés fleuves
profondément encaissés, se revêtent des plus riantes forêts de l'univers.
L’Ohio coule à l'ombre des platanes et des tulipiers, comme un canal qui
aurait été creusé dans un vaste parc de plaisance; quelquefois, s'enlaçant
d’un arbre à l'autre, les lianes forment, au-dessus d'un bras de rivière, des
arches de fleurs et de verdure. En descendant au sud, les orangers sauvages
se mêlent avec le laurier odorant et le laurier commun. La colonne droite et
argentée du figuier papayer qui s'élève à 6 mètres, et que couronne un dais
de feuilles larges et découpées, ne forme pas une des moindres beautés de
ce pays enchanteur. Au-dessus de tous ces végétaux domine le grand
magnolia ; il s'élance de ce sol calcaire à la hauteur de 30 mètres et au
delà; son tronc, parfaitement droit, est surmonté d'une tête épaisse et
volumineuse, dont le feuillage, d'un vert obscur, affecte unefigure conique ;
au centre des couronnes de fleurs qui.terminent les branches, s'épanouit
une fleur du blanc le plus pur, qu'à sa forme on prendrait pour une grande
rose, et à laquelle succède une espèce de cône cramoisi qui, en s'ouvrent,
laisse voir suspendues à des fils déliés et longs de 2 décimètres au moins,

136
LIVRE CÈNT SEPTIÈME
des smences arrondies en grains du plus beau corail rouge : ainsi, par ses
fleurs, par son fruit et par sa grandeur, le magnolia surpasse tous ses
rivaux.
A ce tableau de la végétation sauvage se mêle aujourd'hui le charme
d'une agriculture déjà très-avancée. L'exemple des Washington et des Jef-
ferson enorgueillit les cultivateurs, qui sont libres, heureux et maîtres du
pays, car cette classe comprend incontestablement les trois quarts de la
population. Les richesses que le commerce apporte leur fournissent les
moyens de faire toutes les améliorations possibles, et d'élever ainsi l'agri-
culture à un état de plus en plus florissant. L'exportation des grains et de
la fleur de farine augmente chaque année. Parmi les product ions des champs,
les plus importantes sont les pommes de terre et le mais, originaires du pays,
l'épeautre ou spelt d’Allemagne, le froment, le seigle, l'orge, le blé-sarra-
sin, l'avoine, les fèves, les poids, le chanvre et le lin. Le riz des Carolines
est célèbre, et le tabac, dont la culture s'est ralentie dans les derniers temps,
a fait la réputation de la Virginie. La culture des navets et d'autres végé-
taux communs dans les fermes de l'Europe paraît encore négligée; mais il
y a, autour des villes surtout, de belles prairies artificielles où l'on cultive
la luzerne, la quinte-feuille, la pimprenelle, le trèfle rouge, le blanc et le
jaune. Les vergers sont très soignés, et le cidre qu'ils fournissent est la
boisson ordinaire dans les États du nord et du centre. On y récolte aussi
beaucoup de houblon, des cerises, des grenades, des oranges, des melons;
la vigne et le mûrier réussissent presque partout. La Virginie produit notam-
ment des pavies, d'excellents abricots et des pêches, dont on tire une
eau-de-vie fameuse. On distingue parmi les pommes de terre une espèce
particulière appelée groundnut, et parmi les fruits d'arbre, la pomme de
Newtown, qui abonde auprès deNew-York.
Ce contraste de la nature sauvage qui disparaît, et de la culture qui étend
son domaine, a été admirablement décrit par M. de Chateaubriand : «Là
« régnait le mélange le plus touchant de la vie sociale et de la vie de la
« nature : au coin d'une cyprière de l'antique désert, on découvrait une
« culture naissante; les épis roulaient à flots d'or sur le tronc du chêne
« abattu, et la gerbe d'un été remplaçait l'arbre de dix siècles ; partout on
« voyait les forêts livrées aux flammes, pousser de grosses fumées dans les
« airs, et la charrue se promener lentement entre les débris de leurs racines;
« des arpenteurs, avec de longues chaînes, allaient mesurant le désert, et
« des arbitres établissaient les premières propriétés; l'oiseau cédait son
« nid, le repaire de la bête féroce se changeait en une cabane; on enten-

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS. — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
137
« dait gronder des forges, et les coups de la cognée faisaient pour la der-
« nière fois mugir des échos qui allaient eux-mêmes expirer avec les arbres
« qui leur servaient d'asile. x<
Il erre cependant encore de nombreuses tribus d'animaux dans les iné-
puisables forêts de ce continent.
Le bison ou bœuf d'Amérique, quoiqu'il ait une éminence ou bosse sur
le dos, forme une espèce bien distincte des zébus de l'Inde et de l'Afrique,
et des aurochs un peu bossus du nord de l'Europe. Les bœufs d'Amérique
ont toujours le cou, les épaules et le dessous du corps chargés d'une laine
épaisse ; une longue barbe leur pend sous le menton, et leur queue ne va
pas jusqu'aux jarrets; ils diffèrent aussi beaucoup des petits bœufs mus-
qués du nord de ces contrées, qui, par la forme singulière de leurs cornes,
se rapprochent des buffles du cap de Bonne-Espérance, et dont M. de Blain-
ville a fait son genre ovibos. Cet animal se plaît dans les montagnes nues, où
il vit par troupes de 20 à 30. Quelques voyageurs affirment même quedansles
grandes prairies de l'ouest, on le rencontre en troupeaux errants de plus de
1,000 têtes, ayant leurs éclaireurs et leurs sentinelles avancées. L'élan
d'Amérique, l'orignal ou le moose-der, répandu depuis les monts Rocheux
et le golfe de Californie jusqu'au golfe Saint-Laurent, est devenu rare dans
le territoire des États-Unis: on prétend qu'il yen a eu de noirs, ayant 4 mètres
de haut, tandis que l'espèce grise surpasse rarement la taille d'un cheval ;
les uns et les autres ont des cornes palmées qui pèsent de 15 à 20 kilo-
grammes. Le cerf d'Amérique est plus grand que celui d'Europe; on en
voit de nombreux troupeaux paissant dans les savanes du Missouri et du
Mississippi, où se plaît aussi l'espèce connue sous le nom de daim de Vir-
ginie. Il y a encore dans les États-Unis deux espèces d'ours noirs, dont
l'une, surnommée l'ours maraudeur, ainsi que le loup, parcourt toutes les
provinces. Mais l'animal carnivore qu'on craint le plus dans les parties sep-
tentrionales est le catamount, ou chat des montagnes (felis montana) ; le
lynx, l'once, le matgay sont moins redoutables et donnent des fourrures
dont aucune cependant n'égale celle du castor. Le chat musqué imite en
quelque sorte cet animal singulier, en construisant sa hutte dans des ruis-
seaux peu profonds. On remarque encore parmi les animaux de ces contrées,
le renard gris et celui de Virginie, le chat de New-York, le coase, l'urson,
espèce de porc-épic; le manicou, et six variétés d'écureuils, savoir: l'écu-
reuil strié d'Amérique, celui de la Caroline, le noir qui ravage les planta-
tions, le cendré qui fournit une fourrure estimée, et les deux espèces de la
baie d'Hudson, dont l'une est un écureuil volant qui se rapproche du pala-
V.
18

138
LIVRE CENT SEPTIÈME.
louche. Le lièvre d'Amérique paraît différer de celui de nos contrées : il
forme deux espèces, l'une appelée lepus virginianus par le docteur Harlan,
et l'autre lepus hudsonius par Pallas. Il y a de même dans la classe des
oiseaux plusieurs espèces qui portent des noms européens, quoique le natu-
raliste découvre des différences essentielles entre eux et les oiseaux de
l'ancien continent; plusieurs aigles, vautours et chats-huants y occupent le
premier rang. L'alligator et le serpent à sonnettes que l'on ne trouve que
dans le sud, sont au nombre des reptiles du pays. Le poisson est abondant,
surtout dans les rivières des bassins du Mississippi; dans les mers qui bor-
dent les côtes, on pêche la morue, le saumon, le maquereau et d'autres
poissons des côtes européennes.
Les montagnes Blanches sont composées de granit, et cette pierre
domine encore dans le New-Hampshire et le Maine ; la syénite et le por-
phyre se remarquent dans le nord-ouest du système allhéghanien ; le gneiss,
dans les régions supérieures du New-York et du New-Jersey. Les forma-
tions secondaires composent la plus grande partie du sol des Etats-Unis ;
mais on n'y trouve rien qui paraisse correspondre en date au système ooli-
tique d'Europe. On trouve des formations tertiaires dans le bassin de l'At-
lantique, l’Alabama et le sud du bassin du Mississippi. Presque toute la
houille bitumineuse des Etats-Unis se trouve sur le versant occidental du
système allhéghanien et dans tout le Mississippi, jusqu'à 300 kilomètres à
l'ouest de ce fleuve; la plus estimée est celle de Pennsylvanie, de l'ouest de
la Virginie et de l'est de l'Ohio et de l'Illinois. De nombreuses sources
salées existent dans les Etats de New-York, Virginie, Pennsylvanie et de
l'ouest. Le fer est distribué à peu près aux mêmes gisements que la houille ;
l'or de Pennsylvanie, Ohio, Virginie et Tennessée, contient au moins le
quart de ce métal. Le plomb est le second produit ; on le trouve principa-
ement dans le Missouri, le Wisconsin et l'Illinois. L'or se trouve dans la
Virginie, les Carolines, la Géorgie et le Tennessée, mais en petite quantité ;
le cuivre, le zinc, le manganèse sont les principaux des autres minéraux
exploités. L'adjonction de la Haute-Californie et du Nouveau-Mexique aux
Etats-Unis va leur procurer des riches mines d'or et de mercure, qui, entre
les mains du gouvernement de cette république, prendront un développement
d'une immense importance l. Quoique l'Amérique-Unie n'ait offert, dans
1 Nous avons emprunté cet aperçu géognostique et minéralogique des Etats-Unis
au Dictionnaire géographique et statistique d'Adrien Guibert, 1850. — Cet ouvrage
consciencieux est, sans contredit, un des plus complets et des mieux ordonnés qui
aient été publiés, depuis longtemps, sur cette matière.
V.A. M-B.

AMÉRIQUE.
— ÉTATS-UNIS — DESCRIPTION GÉNÉRALE.
139
l'ouest, aucune trace de l'activité des volcans, on a découvert un immense
dépôt de soufre natif dans l'intérieur de l'État de New-York, vers les cascades
de Clifton. On rencontre enfin de belles carrières de marbre dans le Vermont.
La population des Etats-Unis est, avons nous dit, d'après le recense"
ment officiel de 1850, de 23,347,498 habitants ; nous devons y ajouter
120 à 150,000 Indiens indépendants, errants encore dans les grands terri-
toires de l'ouest, et divisés en tribus dont quelques-unes s'en vont chaque
jour en s'amoindrissant. L'Union-Américaine ne se composait, dans l'ori-
gine, que de 13 Etats; elle comprend aujourd'hui 31 Etats, 1 district e
6 territoires. Le tableau suivant fera comprendre comment ces Etats, dis-
trict et territoires se partagent l'immense contrée dont nous venons de
donner la description générale physique ·, nous observerons toutefois que la
répartition de chacun d'eux dans tel ou tel versant n'est pas toujours rigou-
reusement exacte-, que, par exemple, une partie du Nouveau-Mexique, que
nous plaçons au versant du golfe du Mexique, dépend de la région du Grand-
Océan; mais nous avons alors suivi la règle qui veut que, dans ce cas, le
pays soit attribué au versant dont il dépend en majeure partie et auquel
appartiennent ses cours d'eau les plus nombreux et les plus importants. On
ne doit jamais espérer faire exactement concorder les divisions physiques
avec les divisions politiques.
VERSANT OU REGION.
CENTRALE
DE L'OCÉAN ATLANTIQUE.
DU GRAND OCÉAN.
OU DU GOLFE DU MEXIQUE.
Au Nord.
Au Nord.
Au Nord.
1 Etat du Maine.
1 État d'Ohio.
1 Territoire de l'Orégon.
2 — de New-Hampshire.
2 — de Michigan.
3 — de Vermont.
3 — de Wisconsin:
Au Sud.
4 — de Massachusetts.
4 Territoire de Minesota.
2 Territoire d’Utah.
5 — de Rhode-Island-
5

de
Nebraska ou
6 — de Connecticut.
3 Etat Californie.
Missouri.
Au Centre.
Au Centre.
7 État de New-York.
6 Etat d’Iowa.
8 — de New-Jersey.
7 — d'Illinois.
9 — de Pennsylvanie.
8 — d’Indiana.
10 — de Delaware.
9 — de Kentucky.
11 — de Maryland.
10 — de Tennessée.
12 District fédéral de Colombia. 11 — de Missouri.
13 Etat de Virginie.
12 — d'Arkansas.
13 Territoire Indien.

Au Sud.
14 — du Nouveau-Mexique.
14 État de Caroline du Nord.
Au Sud.
15 — de Caroline du Sud.
16 — de Géorgie.
15 État d'AInbnma.
17 — de la Floride.
16 — de Mississippi.
17 — de Louisiane.
18 — du Texas.


140
LIVRE CENT HUITIÈME.
Nous allons maintenant entreprendre la description topographique et
politique de chacune de ces divisions de la grande confédération Anglo-
Américaine ; et, afin de mettre plus d'ordre dans cette description, nous la
diviserons en trois livres, qui auront chacun pour objet l'une des trois
grandes divisions que présente ce tableau.
LIVRE CENT HUITIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique.
— Etats-Unis, partie orientale. — Description
topographique et politique.
Nous avons appris à connaître le territoire des Etats-Unis sous les rap-
ports généraux et constants de la géographie physique; il faut maintenant
descendre à ces détails de description locale que chaque jour voit changer,
même dans les pays anciennement civilisés. Ici, c'est tout à fait un tableau
mouvant, une scène d'action perpétuelle, sans aucun moment de repos; des
villes et des républiques entières y naissent plus rapidement qu'on n'élève
un édifice en Europe. Ces variations journalières doivent nous faire de la
brièveté une loi rigoureuse.
La Nouvelle-Angleterre comprenait les territoires qui appartiennent
aujourd'hui aux Etats de Massachusetts au centre, du Connecticut et de
Rhode-Island au sud, de Vermont, de New-Hampshire et de Maine au
nord. Tout ce pays est hérissé de collines granitiques et couvert de forêts ;
mais l'industrie a su tirer un tel parti de quelques vallées fertiles, que cette
portion des Etats-Unis est encore aujourd'hui la mieux peuplée, toute pro-
portion gardée. C'est le premier foyer de l'esprit commercial et maritime,
c'est le siége de la civilisation la plus généralement répandue : instruit et
laborieux, le peuple y sait apprécier et défendre ses droits politiques; mais
on l'accuse de pousser très-loin cette défiance et cette humeur litigieuse
qui sont comme inséparables du sentiment de l'indépendance. Le sombre
presbytérianisme y avait introduit une bigoterie intolérante; mais, adouci
par les lumières de la philosophie, il n'y montre plus son influence que
dans l'austérité des mœurs et le respect pour le culte, marques caractéris-

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
141
tiques des habitants de la Nouvelle-Angleterre. La nature accorde à ce
peuple une constitution très-saine, très-robuste ; le sexe y possède au plus
haut degré ce teint de roses et cet air de candeur virginale qu'on vante chez
les Anglo-Américaines. Elevées avec plus de soin que dans les Etats méri-
dionaux, elles ont la conversation agréable et spirituelle : elles n'en sont
pas moins d'excellentes ménagères ; elles dirigent avec succès la fabrication
domestique des toiles et des étoffes. La sévérité avec laquelle on célèbre les
dimanches n'empêche pas que, dans les autres jours, la jeunesse ne se livre
avec ardeur à des bals et à des parties de traîneau ; mais les jeux de hasard
et les courses à cheval n'y jouissent d'aucune faveur.
L'ancien district du Maine, le plus septentrional de tous, se peuple con-
tinuellement, et forme, depuis 1820, un Etat indépendant divisé en 13 com-
tés; il doit son nom à la province française du Maine, dont Henriette-
Marie, l'épouse de Charles Ier, était propriétaire; les Anglais s'y étaient
établis en 1630. La population qui, en 1759, n'était que de 13,000 habi-
tants, et, en 1790, de 96,540, est aujourd'hui de 583,232. Le pays produit
du blé, des grains, du chanvre ; mais il exporte surtout du bois de con-
struction et du poisson sec.
Cet Etat est borné au nord et au nord-ouest par le Bas-Canada, à l'est par
le Nouveau-Brunswick, au sud et au sud-est par l'Atlantique. Les princi-
paux cours d'eau qui l'arrosent sont : le Saint-Jean, le Penobscot, la
Sainte-Croix, le Kennebeck, l’Androscoggin et le Saco, qui tous ont leur
embouchure dans l'Océan, sur le territoire de cet Etat, à l'exception du
premier, qui va traverser le Nouveau-Brunswick. C'est un pays élevé vers le
nord et l’ouest, qui offre au centre une chaîne de montagnes, des plaines
ondulées et un grand nombre de lacs dont le plus grand, appelé Moose-
Head, a 11 lieues de longueur et 7 de largeur. Le sol, quoique sablonneux,
y est généralement fertile; les forêts y sont composées de chênes, de pins,
d'érables, de hêtres et de bouleaux.
La petite ville
Augusta, qui compte à peine 10,000 habitants, est,
depuis 1831, la capitale de cet Etat; elle est située dans le comté de Ken-
nebec et sur la rive droite de la Kennebec, à 75 kilomètres de son embou-
chure ; son port peut recevoir des bâtiments de 100 tonneaux : elle fait un
commerce très-actif.
Portland était autrefois la capitale de cet Etat. C'est une jolie ville de
20,849 âmes, située entre le Saco et le Penobscot sur le bord de l'Océan.
Ses maisons et ses édifices sont bâtis en briques; on distingue parmi ces
derniers le palais-de-justice, l'hôtel-de-ville et la maison de charité. On y

142
LIVRE CENT HUITIÈME.
remarque un observatoire d'où la vue s'étend au loin sur les innombrables
îles qui bordent la cote. Son port, éclairé la nuit par un phare situé à
28 mètres de hauteur, est un des plus beaux et des meilleurs de l'Amérique ;
il est défendu par différents ouvrages de fortification.
Parmi les autres cités de l'Etat du Maine se trouvent Eastport, ville mari-
time bâtie sur l'île de Moose, qui communique au continent par un beau
pont construit en 1820 ; Hallowel, port où l'on construit des navires ; Bath,
l'une des villes les plus commerçantes du Maine; Brunswick, qui possède
un collége, un cabinet d'histoire naturelle et l'une des plus belles galeries
de tableaux des Etats-Unis, établissements entretenus à l'aide d'une dota-
tion de James Bowdouin ; Waterville, où l'on remarque aussi un beau col-
lége ; Gardiner, qui possède un lycée; Bangor, ville de 14,441 habitants,
qui entretient une école de théologie, et Thornaston, qui renferme la prison
de l'Etat. Toutes ces villes, ainsi que Castine, York, Berwick et Belfast, ont
6 à 10,000 habitants.
Les Indiens Penobscot vivent aujourd'hui d'une manière très-paisible;
ils professent la religion catholique; leurs sachems veillent à la sainteté des
mariages, et leur population s'augmente au moment où tant d'autres tribus
s'éteignent.
Dans l’Etat de New-Hampshire, les productions sont les mêmes que dans
celui du Maine. La population est de 317,831 âmes. Il est divisé en
10 comtés.
Cet Etat tire son nom du comté d'Hampshire en Angleterre; il fut établi
en 1623 par les Anglais; compris d'abord dans la colonie du Massachusetts,
il en fut détaché en 1679 par le gouvernement anglais, et adhéra à l’ union
fédérale en 1788.
Cet Etat, situé à l'est du précédent, est un pays plat parsemé do quel-
ques collines, mais borné au nord par les ramifications des monts Allegha-
nys. On y voit aussi un grand nombre de lacs. Ses principaux cours d'eau
sont le Connecticut et le Merrimack. Rempli d'établissements industriels,
on y compte plus de 50 manufactures de tissus de laine, de coton et de lin.
Quoique maîtres seulement de 6 lieues de côtes, les habitants sont renom-
més pour la construction des navires.
Dover, fondée en 1623, est la ville la plus ancienne et la plus indus-
trieuse ; elle est située sur le Cocheto, qui y forme une cascade de 12 mètres
de hauteur ; ses 8,000 habitants font un commerce considérable de bois de
charpente. Concord, qui a près de 7,500 habitants, est la capitale de l'État,
elle est sur la rive droite du Merrimack ; c'est l’entrepôt d'un commerce

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
143
très-actif avec Boston, dont elle est séparée par une distance de 95 kilo-
mètres. Elle renferme un pénitencier de l'État. Un lieu beaucoup plus
important est Portsmouth, le principal port de cet État ; c'est une ville
industrieuse de 10,000 habitants, où l'on trouve un athénée et cinq
banques de commerce. On y voit aussi une assez belle église épiscopale,
un arsenal maritime et des chantiers de construction ; c'est un des meil-
leurs ports de guerre de l'Union. Manchester est plus peuplée, le dernier
recensement de 1850 lui accorde 13,933 habitants.
Exeter, ville de 4,000 âmes, est remarquable par son collége, l'un des
plus beaux établissements que les Étals-Unis possèdent en ce genre. La
construction des ne.vires y est beaucoup moins active qu'autrefois. La jolie
petite cité d’Hanover est célèbre par le collége qui porte le nom de Dart-
mouth. Gilmanton, au milieu d'un district riche en mines de fer, possède
une maison de justice et plusieurs usines. Franconia est importante par
ses riches mines de fer, et remarquable par sa situation romantique ; sa
population est de 1,200 habitants.
Le Vermont abonde en pâturages ·, ses bœufs et ses chevaux sont renom-
més. Les montagnes se couvrent de pins, de hêtres et de chênes ; les col-
lines s'ornent d'érables à sucre ; dans les vallées prospèrent les arbres frui-
tiers. L'élan habite le nord de cet État, et les serpents à sonnettes vivent
dans le midi, mais ils y sont peu redoutables. Le pigeon voyageur et l'abeille
sont indigènes. Dans la superbe plaine d’Oxbow, on voit une source qui
change de place d'année en année, et dont les eaux exhalent une odeur de
soufre. Le nom de cet État est l'altération du mot français Vert-Mont, que
les habitants ont adopté par l'effet de leur penchant pour les Français du
Canada, et qui est la traduction de l'appellation anglaise Green-Mountain.
Les habitants, au nombre de 313,466, font un grand commerce avec le
Canada. Cette population belliqueuse n'a pas démenti, dans la guerre
ontre les Anglais, en 1814, la réputation de bravoure qu'elle s'était
acquise dans celle de l'indépendance. Cet état, établi en 1763 par les
colons anglais du Connecticut, en vertu d'une concession du New-
Hampshire, fut admis au sein de l'Union en 1791 ·, il est aujourd'hui par-
tagé en quatorze comtés.
Montpellier, ville de 4,000 âmes, sur la rive droite de l'Onion, est le
chef-lieu de cet État. Les autres principales villes sont Middlebury,
l’Otter-River forme plusieurs chutes que l'on utilise pour des manufac-
tures; Bennington, où l'on voit plusieurs forges et plusieurs papeteries ; et
Burlington, sur la rive droite du lac Champlain, elle renferme une acadé-

144
LIVRE CENT HUTIÈME.
mie et une université ; c'est la place de commerce la plus importante de
l'État; elle compte près de 6,000 habitants.
Entrons dans le Massachusetts, un des États du second rang dans
l'Union, puisqu'il compte 994,271 habitants. Les sapins, les châtaigniers,
les bouleaux blancs, les érables à sucre couvrent une grande partie du sol,
qui n'est que médiocrement fertile. Les arbres fruitiers de l'Europe septen-
trionale y prospèrent; le froment redoute les vapeurs salines de l'Océan,
et ne vient bien que dans l'intérieur des terres. Le cap Codd doit son nom
à l'immense quantité de morues qu'on y pêche. Cette colonie fut une des
premières établies par les Anglais ; elle dut son nom à une tribu d'Indiens
voisine de Boston, et adhéra à l'Union en 1788. Le Massachusetts est par-
tagé en quatorze comtés.
Si l'on retranchait du nombre total des habitants les enfants qui ne sont
point encore en âge de travailler, les vieillards et les infirmes qui ne le
peuvent plus, on verrait combien est petit dans cet État le nombre des
oisifs. Aussi, de cette activité industrielle résulte-t-il dans les familles une
aisance qui frappe d'étonnement l'Européen qui visite pour la première
fois cette contrée; et cependant elle n'est pas la plus industrieuse de la
confédération américaine. Le dimanche, il est impossible de distinguer à
la mise, et l'on pourrait même dire aux manières, un artisan de ce que
l'on appelle dans la société un gentleman, La multiplicité des écoles, et le
droit qu'a tout homme de s'occuper des affaires publiques, répandent jus-
que chez les artisans une instruction et une rectitude de jugement qu'on
chercherait vainement dans les classes moyennes de France.
Ce que nous venons de dire est surtout très-remarquable à Boston,
capiiale de cet État, et peuplée de 138,788 âmes. Cette ville, que ses
habitants surnomment l’ Athènes du Nouveau-Monde, est située sur une
presqu'île au fond de la baie qui en porte le nom, et qu'on appelle aussi
la baie de Massachusetts. L'aspect de cette cité est bien différent de celui
des autres villes de l'Union, par l'irrégularité des rues et l'inégalité du
terrain sur lequel elle est bâtie. La plupart des maisons sont construites en
briques, mais peintes de diverses couleurs : on n'y a pas les yeux fatigués
par l'uniformité d'un rouge éclatant. Ses rues sont macadamisées avec un
tel soin que ce pavage présente l'aspect d'une mosaïque.
Elle renferme plusieurs beaux édifices, tels que l'hôtel-de-ville, le palais
de l'État , surmonté d'un dôme à la turque, la maison de justice, le théâtre,
la douane, le nouveau marché, vaste bâtiment construit en granit, et la
Bourse, qui renferme, dit-on, 202 salles. Le mail, ou la promenade

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE-
145
publique, située au cœur de la ville, se compose de pelouses entourées
et coupées par de larges allées d'arbres. La place Franklin est une des plus
belles. Sept ponts, dont trois en bois, et d'une longueur extraordinaire,
font communiquer la ville avec ses faubourgs. L'hôpital général est un
grand et bel édifice, bien aéré, d'une belle tenue. Enfin, au nombre de ses
monuments, on doit citer la statue de Washington. Boston, qui est la
seconde ville de l'Union par l'importance de son commerce, en est la pre-
mière par l'excellence de ses établissements d'instruction publique, et par
le nombre de ses établissements scientifiques et littéraires ·, nous citerons :
l’ Athénée., établissement fondé par une société de souscripteurs, et possé-
dant une bibliothèque de plus de 80,000 volumes; le Collége et la Société
de médecine, l’ Académie des sciences et des arts, la Société linnéenne et
la Société historique du Massachusetts. On compte à Boston 186 écoles ; il
s'y imprime 88 journaux ou écrits périodiques.
Hors de la ville se trouvent plusieurs établissements importants, tels
que la maison des pauvres, celle de réforme pour les jeunes condamnés et
celle de correction pour les adultes. La première, appelée aussi maison
d'industrie (the house of industry), renferme environ 500 individus; la
seconde peut contenir une centaine d'enfants des deux sexes ; la troisième
enfin contenait, il y a quelques années, 260 condamnés, tous soumis à la
règle commune du travail dans les ateliers, du silence absolu, et de l'iso-
lement aux heures des repas et de la nuit, pendant laquelle il leur est
permis d'avoir de la lumière pour lire la Bible.
Boston est le siége d'un évêché catholique; cette ville, qui s'honore
d'avoir donné le jour à Franklin, est le centre d'un réseau de chemins de
fer, six lignes viennent y aboutir et la mettent en communication avec les
différentes parties de l'Union. Les nombreux canaux qui y aboutissent
apportent dans son port les produits de l'intérieur. Ce port est sûr et assez
spacieux pour contenir 500 vaisseaux à l'ancre. L'entrée a une lieue et
demie ou deux lieues de largeur; mais, remplie d’îlots, elle peut à peine
recevoir deux bâtiments de front. Les deux principales de ces îles sont
Castel-lsland et Governor's-Island ; deux forts mettent la ville en sûreté
du côté de la mer.
Les principales manufactures de cette ville sont des distilleries de rhum,
des raffineries de sucre, des brasseries, des fabriques de papier de tenture,
des corderies, des filatures de coton et de laine, des fabriques de toile et
de bougies de spermaceti. Boston est, après New-York, la principale ville
des Etats-Unis pour le commerce maritime ; elle couvre de ses navires
V.
19

146
LIVRE CENT HUITIÈME.
toutes les mers du globe. Le mouvement .de son port est très-considérable,
les exportations montent annuellement à la somme de 32,000,000 de francs,
et les importations à plus de 65,000,000. C'est l'un des arsenaux et des
ports militaires les plus importants de l'Union ; la citadelle se nomme le
Fort-Indépendance. Cette ville, fondée en 4 630, a été le principal foyer du
mouvement révolutionnaire qui a amené l'indépendance des États-Unis.
Salem, à 5 lieues au nord-est de Boston, s'est enrichie par ses pêcheries
et son commerce aux Antilles; elle a 24,500 habitants. Cette ville est la
troisième de l'État par son commerce et son opulence ; elle possède plu-
sieurs sociétés savantes, et l'un des plus riches musées d'histoire naturelle
et de curiosités que l'on puisse voir.
Charlestown, à un quart de lieue de Boston, est une jolie ville de 12,000
habitants, importante par son arsenal maritime et ses chantiers de construc-
tion , d'où sont sortis des vaisseaux de 4 00 à 4 30 canons. Près de la ville,
on a élevé un obélisque sur l'emplacement où se livra, le 17 juin 1775, la
bataille de Breed's-Hill ou Bunker's-Hill, la première de la guerre de l'in-
dépendance. A Cambridge, un peu plus loin, on remarque une université
connue sous le nom de collége de Haward, son fondateur : il renferme de
belles collections et une bibliothèque de 30,000 volumes. C'est dans cette
petite ville que fut établie la première imprimerie des États-Unis. Marble-
head, qui a plus de 7,000 habitants; Gloucester, dont le port, ouvert aux
plus grands navires, fait un commerce considérable; Barnstable, impor-
tante par ses immenses salines, et dont le port s'obstrue par une barre
de sable ; Beverly, New-Bedford et Dighton, près de laquelle on voit une
inscription hiéroglyphique qu'on n'a point encore expliquée, sontdes villes
industrieuses et riches qui rivalisent entre elles pour la pêche et le com-
merce. Lowel, bâtie il y a à peine quarante ans (1812), est aujourd'hui la
plus industrieuse cité de la Nouvelle-Angleterre; elle est située sur le Mer-
rimack ; quelques années auparavant, le lieu où elle s'élève n'était qu'un
désert, sinon solitaire, du moins habité par quelques sauvages tatoués. On
fabrique à Lowel des étoffes communes qui servent à la consommation inté-
rieure. Elle renferme aussi des verreries, des moulins à poudre, des blan-
chisseries, plus de 30 usines et 6,000 métiers. Dès six heures du matin,
la cloche appelle les ouvriers au travail ; une nuée de jeunes filles, remar-
quables par la propreté de leur tenue, se rendent dans les ateliers avec un
air de satisfaction qui fait plaisir à voir. En Europe, ces ouvrières ne jouis-
sent pas toujours d'une bonne réputation; ici, ce sont des modèles de
sagesse et de bonne conduite. Il en résulte que pas une ne manque de

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
147
mari. La population de cette ville est de 32,964 habitants-, la valeur du
produit de toutes ses manufactures est évaluée à 40,000,000 de francs par
an. C'est à dater de 1830 que son industrie a pris ce développement extra-
ordinaire.
Worcester, sur le canal qui mène à Providence, à 13 lieues à l'ouest-sud-
ouest de Boston, est une ville de 8,000 âmes, qui possède un établissement
de bienfaisance remarquable par le bon ordre qui y règne et par les résul-
tats philanthropiques que l'on y obtient: c'est l'hôpital des fous (lunatic
hospital), qui contient environ 300 personnes. Cette ville possède une
Société d'antiquaires qui a publié d'excellents mémoires.
Les îles, petites, mais très-peuplées, de Martha's-Vineyard et de Nan-
tuckett, dépendent aussi du Massachusetts. La première a des fabriques de
lainage et des salines ; la seconde nourrit un grand nombre de moutons et
de bêtes à cornes, et s'enrichit par la pêche de la baleine.
Le Massachusetts renferme encore Newbury-Port, avec 7,000 habitants;
Plymouth, avec un port spacieux. Ce fut le premier établissement que les
Anglais eurent sur cette côte; elle fut fondée en 1620 par quelques puri-
tains; Springfield, 21,602 habitants, importante par son arsenal et sa
manufacture d'armes; Andover, célèbre par son école théologique, et
Taunton, par ses forges et ses manufactures de coton. La petite ville de
Lynn a fabriqué, dans une année, un million de paires de souliers de dames,
en cuirs indigènes, apprêtés en maroquin ; New-Bedfort, qui a près de
15,000 habitants.
Parmi les sectes religieuses du Massachusetts, nous citerons celle des
congrégationalistes, qui domine; elle adopte les dogmes de Calvin ; mais,
d'après son origine ecclésiastique, chaque congrégation de saints forme une
société indépendante, gouvernée par ses propres chefs, et non par des
synodes, comme chez les presbytériens.
L'Etat de Rhode Island, ainsi nommé en souvenir de l'île de Rhodes, doit
son origine à une petite république fondée en 1631 par un ministre chassé
comme hérétique par les congrégationalistes de Massachusetts. La secte
des baptistes peupla d'abord Rhode-Island. Cette secte adopte les dogmes
de Calvin, mais son régime ecclésiastique est celui des indépendants. Les
produits et les exportations consistent en grains, en bois de charpente, en
chevaux, en bétail, en poissons, en fromages, en ognons, en cidre, en
liqueurs spiritueuses, et en toile soit de chanvre, soit de coton. 11 y a encore
des forges où l'on fabrique divers ustensiles de fer, et notamment des
ancres ; des fabriques de bougies de blanc de baleine, des raffineries et des

148
LIVRE CENT HUITIÈME.
distilleries. Ce petit état adhéra à l'Union en 1790 ; sa population est
aujourd'hui de 147,555 habitants : il est partagé en cinq comtés.
La jolie ville de Providence a souvent 150 bâtiments marchands en mer ;
elle est située sur le continent. C'est l'un des deux chefs-lieux de cet Etat.
Elle est située au fond de la superbe baie de Narragansett. Cette ville est
élégamment bâtie et renferme des manufactures et des établissements d'in-
struction. Quoiqu'elle n'ait pas plus de 43,000 habitants, on y publie cinq
journaux. On remarque dans ses environs le bourg de Pawtucket, renommé
par la belle cascade, de 20 mètres de hauteur, qu'y forme la rivière de ce
nom, et par les nombreuses fabriques de coton et les forges qu'il renferme.
Newport, sur l'île de Rhode, en est le second chef-lieu : sa population est
moitié moins considérable que celle de Providence. Le gouvernement fédé-
ral y a dépensé près de deux millions de dollars pour en faire l'un des points
militaires les plus importants de l'Union : c'est le Gibraltar américain. La
ville maritime de Bristol est une des mieux situées de cet Etat pour le
commerce. Nous pourrions encore citer huit ou dix villes qui ne le cèdent
point à cette dernière : les plus importantes sont Scituate, Smithfield et
Warwick.
L'île de Rhode ou Rhode-Island, qui donne son nom à tout l'Etat,
a 5 lieues de longueur du nord au sud, et une lieue un tiers de largeur. Le
sol, la salubrité du climat et la situation de cette île l'ont fait considérer
comme l’Eden de l'Amérique; aussi est-elle un rendez-vous à la mode pour
les Etats du sud et du centre pendant les chaleurs de l'été.
On y élève beaucoup de chevaux, de bêtes à cornes et de moutons, et,
dans la partie du sud-ouest, on exploite de riches mines de houille. Les
naturels la nommaient autrefois Aquidnick.
Le plus peuplé des Etats de la Nouvelle-Angleterre, relativement à sa su-
perficie, est celui de Connecticut, qui doit son nom à sa principale rivière; le
nombre des habitantsest de 370,604. Presque tous sont congrégationalistes.
Très-rigides observateurs des devoirs que leur prescrit leur religion, ils ne
permettent pas que les dimanches on joue à aucun jeu, ni d'aucun instru-
ment chez soi, ni même que l'on monte à cheval ni en voiture dans l'inté-
rieur des villes. Mais leurs écoles publiques et leur hospitalité méritent des
éloges. Le fonds des écoles formait déjà en 1811 un capital net de 6 mil-
lions de francs. Le fermier, libre, instruit et heureux, s'habille de bons
draps, fabriqués dans sa maison. Partout l'état de la culture et celui des
routes annoncent une haute civilisation. Cet Etat fut fondé par les Anglais
élablis dans le Massachusetts, en 1663, et se gouverna d'après la charte qui

AMÉRIQUE.—ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
149
ni avait été accordée jusqu'en 1818, époque à laquelle il forma sa constitu-
tion : il se subdivise en huit comtés.
Le corps législatif du Connecticut siége alternativement à Hartford et à
New-Haven. On compte 17,851 habitants dans la première de ces villes,
et 18,000 dans la seconde. Sa position entre Boston et New-York, en la
rendant un lieu de passage, contribue à sa prospérité. Hartford est situé sur
la rive droite du Connecticut, à 16 lieues de l'embouchure de ce fleuve.
Plusieurs élégants édifices ornent cette industrieuse cité ; elle possède plus
de 80 navires. Elle a une société de médecine, une banque, un institut de
sourds-muets, un bon collége et un arsenal bien approvisionné. New-Haven
est à l'embouchure du Quinnipiack. Elle est un peu plus peuplée que la
précédente ; ses rues sont droites, sablées et plantées d'arbres; elle possède
un collège appelé Yale college, regardé comme l'une des principales univer-
sités des Etats-Unis-, des écoles de médecine, de droit et de théologie y sont
annexées; enfin cet établissement renferme une riche bibliothèque et un
beau cabinet de minéralogie. Cette ville a été fondée par des Hollandais.
New-London a le meilleur port du Connecticut, et sa population est de près
de 8,000 âmes. Norwich, assez bien bâtie, fait un commerce important. La
petite ville de Cornwall est célèbre par son école des Missions étrangères,
fondée dans le but d'instruire et de convertir à la religion chrétienne des
indigènes de l'Amérique et de l'Océanie. Bristol est peu peuplée, mais
importante par ses fabriques d'horlogerie; en 1830, elle exporta plus de
30,000 montres. Enfin Middlelown, ville de 10,000 âmes, est connue pour
ses fabriques et sa petite université, fondée en 1830.
Tels sont les différents Etats qui occupent le territoire de la Nouvelle-
Angleterre. Le mouvement industriel et intellectuel que l'on remarque dans
toutes les parties de cette contrée est dû à un fait important qui a présidé à
la fondation de ses premières colonies. L'un des jurisconsultes français qui
sont allés étudier dans ces dernières années le système pénitentiaire aux
Etats-Unis, s'exprime à ce sujet de la manière suivante :
« Les émigrants qui vinrent s'établir sur les rivages de la Nouvelle-
« Angleterre appartenaient tous aux classes aisées de la mère patrie. Leur
« réunion sur le sol américain présenta dès l'origine le singulier phéno-
« mène d'une société où il ne se trouvait ni grands seigneurs ni peuple,
« et, pour ainsi dire, ni pauvres ni riches. Il y avait, proportion gardée,
« une plus grande masse de lumières répandues parmi ces hommes que
« dans le sein d'aucune nation européenne de nos jours. Tous, sans en
« excepter un seul avaient reçu une éducation assez avancée, et plusieurs

150
LIVRE CENT HUITIÈME.
« d'entre eux s'étaient fait connaître en Europe par leurs talents et leur
« science. Les autres colonies avaient été fondées par des aventuriers sans
« famille ; les émigrants de la Nouvelle-Angleterre apportaient avec eux
« d'admirables éléments d'ordre et de moralité ; ils se rendaient au désert
« accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Mais ce qui les distin-
« guait surtout de tous les autres, était le but même de leur entreprise.
« Ce n'était point la nécessité qui les forçait d'abandonner leur pays ; ils y
« laissaient une position sociale regrettable et des moyens de vivre assu-
« rés. Ils ne passaient pas non plus dans le Nouveau-Monde, afin d'y amé-
« liorer leur situation ou d'y accroître leurs richesses; ils s'arrachaient aux
« douceurs de la patrie, pour obéir à un besoin purement intellectuel ; en
« s'exposant aux misères inévitables de l'exil, ils voulaient faire triompher
« une idée1. »
A l'ouest du Connecticut et de Vermont, s'étend le grand État de New-
York, c'est-à-dire Nouvelle-York, qu'arrose la belle rivière d'Hudson,
Originairement appelé New-Netterlands (Nouvelle-Hollande), cet État
reçut le nom du duc d'York, à qui ce territoire fut concédé. Fondé par les
Hollandais en 1613, soumis par les Anglais en 1664, repris par les Hollan-
dais en 1673 ; il tomba l'année suivante définitivement entre les mains des
Anglais. Il forma sa constitution en 1777, et adhéra à l'Union en 1788
Cet État est partagé en 4 districts, comprenant 56 comtés. La plus grande
masse du territoire se prolonge derrière la Pennsylvanie jusqu'aux lacs
Ontario et Erié. Le New-York, en s'approchant du sud, jouit d'un climat
plus modéré que la Nouvelle-Angleterre; mais c'est là que commence le
domaine de la fièvre jaune. Il se trouve au nord des montagnes un terrain
dont la superficie est de 40 ou 50 mille acres, que l'eau recouvre pendant
l'hiver et au printemps, mais qui forme ensuite d'excellents pâturages.
Quelques forêts de châtaigniers et de chênes garnissent les environs du lac
Erié. Les montagnes et les collines de ce canton sont couvertes d'épaisses
forêts qui fournissent de beaux bois de construction. Au delà de l'Al'e-
ghany, le pays est uni, et le sol formé d'un riche terreau qui, dans son état
naturel, produit des chênes et des sapins de différentes espèces, des pins
résineux, des cèdres, des peupliers blancs, des tulipiers, des sumacs, et
surtout des forêts d'érables, dont les habitants tirent une grande quantité
de sucre et de mélasse. On recueille aussi beaucoup de fruits d'une excel-
lente qualité. Enfin il y a beaucoup de fer et même une mine d'argent dans
» M. Alexis de Tocqueville : De la démocratie en Amérique; t.I, p. 23,

AMERIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
151
ce pays. Il s'y trouve aussi des eaux minérales, dont les plus célèbres sont
celles de Saratoga.
L'accroissement de la population surpasse toute idée. En 1731, cet État
renfermait 50,291 habitants. D'après le recensement de 1800, l'État por-
tait la population à 586,000 habitants; elle est aujourd'hui de 3,090,022.
Les émigrations de la Nouvelle-Angleterre y ont contribué. Dans la partie
maritime, il y a encore des habitants d'origine hollandaise, mais il ne reste
que peu d'Indiens. Les débris des cinq nations qui formaient autrefois la
ligue iroquoise habitent la partie occidentale de l'État de New-York. Les
Onéidas, les Onondagas et les Senekas résident près des lacs dont ils portent
le nom. Il n'y a peut-être même plus aucun représentant de la puissante
tribu des Mohawks. On porte le nombre des Indiens à 3,000.
On se fera une idée de l'industrieuse activité qui règne dans cet État
florissant, lorsqu'on saura que dans les derniers temps on y comptait
306 usines et forges, 8,507 moulins, dont 338 à farine; 1,750 broyeurs,
16,356 à scieries et 63 à huile, 13 verreries, 77 papeteries, 1,229 distille-
ries, 2,105 fabriques de potasse, 1,213 manufactures de tissus de laine et
117 de coton. Le nombre des écoles élémentaires entretenues par l'État
était, en 1840, de 10,593 avec 302,367 écoliers, et celui des écoles secon-
daires de 505 avec 34,715 élèves.
Le gouvernement réside à Albany. C'est une ville de 56,026 âmes, aux
rues larges et bien alignées, mais dont le sol est inégal. A l'exception du
Capitole, il n'y a pas de bâtiments qui aient l'aspect monumental : celui-
ci produit un assez bel effet par sa situation sur une éminence que ter-
mine une fort belle rue appelée Stale-Street: ce monument sert à la fois au,
sénat, à la chambre représentative, aux cours de justice, à la société des
arts et à celle d'agriculture; il renferme une assez belle bibliothèque.
Albany est située sur la rive droite de l'Hudson, à 600 kilomètres de Was-
hington, et 233 de New-York. C'est un des arsenaux de l'Union. Elle fait
un commerce important avec l'intérieur; son port, qui peut recevoir des
navires d'un moyen tonnage, communique par des canaux au lac Cham-
plain et au Saint-Laurent, au Mississippi et au lac Érié. Elle est reliée à
Boston par un chemin de fer de 320 kilomètres, et à New-York par un
service régulier de bateaux à vapeur. Albany est, après Jamestown en Vir-
ginie, la ville la plus ancienne de l'Union; elle doit son origine au fort
Orange, construit par les Hollandais en 1614, et a été érigée en ville en
1686. C'est à la navigation entre Albany et New-York qu'a été employé le
premier bateau à vapeur fonctionnant pour un service public : le North-

152
LIVRE CENT HUITIEME.
River, construit par Fnlton en 1807, faisait le trajet en 36 heures; aujour-
d'hui il se fait en 11 heures.
Bien qu'Albany s'agrandisse rapidement, elle n'effacera pas de sitôt
New-York, qui est certainement la ville la plus commerçante et l'une des
plus peuplées de toute l'Amérique. Cette grande cité est située dans l'île de
Manhattan, et près de l'embouchure de l'Hudson.
Sa population qui, en 1699 était 6,000 habitants, était en 1790 de 33,131
âmes; en 1820, de 123,706 ; aujourd'hui elle dépasse 517,000 habitants.
Si les anciens quartiers de New-York sont composés de rues étroites et
tortueuses, les nouveaux ne renferment que des rues larges, droites et bien
alignées. La plus belle et la plus commerçante, appelée Broadway (Rue-
Large), la traverse sur une longueur de plus d'une lieue et sur une lar- .
geur de 25 mètres. L'élégance des maisons, la richesse et la variété des
magasins, la largeur des trottoirs, la foule toujours active qui l'anime, font
de cette rue une des promenades les plus intéressantes.
A la rue Bowery commence un chemin de fer, qui la parcourt jusqu'au
dehors de la ville, et se termine à Harlem, éloignée de New-York de
7 milles 1 /2. Les rails y sont fixés dans la terre ·, mais comme ils ont peu de
saillie, les voitures ordinaires peuvent les croiser. Les wagons sont traînés
par deux chevaux et transportent plus de 30 personnes, avec une vitesse
de 6 à 10 milles à l'heure.
Les édifices publics de cette grande cité l'emportent en beauté sur la
plupart de ceux des autres villes des États-Unis; l’hôtel de-ville est le plus
magnifique de tous ; il est en partie bâti en marbre, mais le couronnement
de ce palais est en bois peint. Si la prison d'État est vaste, la maison de
charité la surpasse encore en étendue : la façade de son principal corps de
logis a 105 mètres de longueur. Le New-York Exchange est un autre bâti-
ment remarquable : c'est là que sont établis les bureaux de la poste et le
cercle littéraire des commerçants. On compte à New-York 79 églises, dont
15 appartiennent aux épiscopaliens, 14 aux presbytériens, 10 aux réfor-
més, 13 aux méthodistes, 10 aux anabaptistes, 2 à la confession d'Augs-
bourg, et 2 aux catholiques qui y ont un évèque. Parmi les édifices destinés
au culte, les plus vastes et les plus élégants sont le temple de la Trinité et le
temple de Saint-Paul. Le plus beau bâtiment est Federal-hall, où, le 30 avril
1789, Washington et le congrès jurèrent de maintenir la constitution
générale de l'Union. Nous n'essaierons pas d'énumérer les établissements
de bienfaisance et d'instruction renfermés dans New-York ; parmi les pre-
miers se font remarquer la maison pénitentiaire, l’hospice des fous et celui

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS. PARTIE ORIENTALE.
153
des orphelins; au nombre des seconds, le séminaire théologique, Vinstitut
des sourds-muets et l’école de médecine. Le collége Columbia renferme
l'université, composée de la faculté des arts et de la faculté de médecine. Il
y a aussi à New-York un musée d'histoire naturelle. On y trouve plusieurs
sociétés savantes et littéraires. Nous ajouterons que New-York peut être
regardée comme la ville de toute l'Amérique qui occupe le plus grand
nombre de presses et comme le centre principal du commerce de librairie
de l'Union. On y compte 13 journaux quotidiens, 4 publiés trois fois par
semaine, 6 paraissant le dimanche, et 59 publiés une fois dans le courant
de la semaine ; le nombre des revues ou publications périodiques n'est pas
moindre de 55.
New-York est le siége de la Compagnie américaine des fourrures. L'in-
' dustrie de cette grande cité est très-variée ; elle s'étend sur tous les objets
de consommation en usage dans une grande cité, et nous ferons grâce au
lecteur de la fastidieuse énumération de ses fabriques et de ses usines. Son
commerce en a depuis longtemps fait la première ville du Nouveau-Monde
et la seconde de l'univers. Elle doit cet avantage à son admirable position
comme entrepôt ; ses relations s'étendent à l'intérieur au moyen du grand
canal de l'Érié, de ses embranchements avec toutes les villes des États de
l'ouest de l'Union qu'elle approvisionne de marchandises étrangères, tan-
dis que les produits surabondants des mêmes Etats sont exportés à la Nou-
velle-Orléans. Son port est vaste et sûr; il est accessible aux plus gros
bâtiments ; sa marine marchande ne jauge pas moins de 430,301 tonneaux
(en 1840), c'est-à-dire qu'elle égale les 4/5 de celle de la France entière
(580,079 tonneaux en 1840); la valeur des importations est de plus de
500 millions, et celle de ses exportations de plus de 170 millions; son
port reçoit annuellement plus de 2,000 navires de toutes les parties du
monde-, c'est le principal point de débarquement des émigrants aux États-
Unis; il en reçoit près de 120,000 dont la plupart sont d'origine alle-
mande. On a calculé que la population allemande des Etats-Unis dépassait
aujourd'hui 4 millions d'individus. Le port de New-York est défendu par
le fort Columbus, le Château de Guillaume (Castle Williams) le fort La-
fayette et le fort Richmond.
New York a été fondée par les Hollandais sous le nom de New-Amsterdam
en 1621 ; elle tomba au pouvoir des Anglais en 1664 ; envain les Hollandais
la reprirent-ils en 1673 ; l'année suivante elle fut de nouveau occupée par
les premiers. C'est à New-York que siégea le premier congrès américain
sous l'empire de la constitution de 1789.
V.
20

154
LIVRE CENT HUITIEME,
C'est à Brooklyn, vis à vis New-York dont elle semble être un faubourg,
à l'extrémité de Long-Island qu'est situé l'arsenal maritime de New-York
et ses chantiers de construction. La population de cette ville est de 96,850
habitants-, elle est florissante par son industrie et son commerce.
Les riches habitants de New-York ont leurs maisons de campagne dans
l'île Manhattan et dans Long-Island {l'île Longue), qui n'en est séparée que
par un canal d'un quart de lieue de largeur. Cette île, de 40 lieues de long
et de 4 à 8 de large, est divisée en trois comtés, dont Jamaïca, Brooklyn
et Sag-Harbour sont les villes principales. Bochester, villede 36,561 âmes,
sur le Genessée, qui est barré par plusieurs chutes d'eau , dont une a
34 mètres de hauteur, doit son importance et son accroissement rapide à
sa situation au bord du grand canal Erié, qui traverse cette rivière.
C'est à l'ouverture de ce canal que Rochester doit sa population toute
nouvelle et son existence. Il y a vingt ans, on comptait à peine dix maisons
là où se trouve aujourd'hui une cité commerçante, créée comme par en-
chantement.
A 15 lieues de New-York, West-Ρoint, sur la rive droite de l’Hudson,
est un bourg célèbre par l'école militaire qui y est établie. Les élèves, au
nombre d'environ 250, y restent quatre années. Ils étudient la stratégie
et le code militaire ; lesmathématiques et la philosophie naturelle ; la rhéto-
rique , la morale, la politique et la langue française ; la chimie, la physique,
la minéralogie et la géologie ; le dessin, l'escrime, l'art de l'ingénieur et de
l'artilleur, et la pyrotechnie.
Parmi les communes ou towns que renferme l'Etat, on remarque Platts-
burg ou Plattsbourg sur le lac Champlain , à moitié chemin entre Québec
et New-York : Saratoga , connue par le désastre de l'armée de Burgoyne
et par ses sources incrustantes'. Les forts de Crown-Point et de Ticonderoga
sur le lac Champlain, ceux d'Oswego et de Niagara sur le lac Ontario ne
sont pas d'une grande force.
Troy, sur le bord de l'Hudson , à 11 kilomètres d'Albany, tient un rang
considérable par sa fabrique d'armes, ses toileries et son commerce ·, elle a
22,000 habitants, mais ce qui lui donne une grande importance, c'est
qu'elle est le quartier général de la division militaire orientale des États de
l'Union qui comprend dans son ressort ceux qui seraient à l'est d'une ligne
tirée du fond du lac (lac Supérieur) au cap Sable (Floride). Dans ses envi-
rons Watervliet, ville de 12,000 âmes, possède un des arsenaux généraux
de l'Union. Hudson, sur le fleuve de ce nom, se distingue par sa situation
pittoresque et ses eaux salubres.

AMERIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
155
Utique ou Utica, sur la rive droite du Mohawk et sur le canal Erié, ren-
ferme une douzaine d'églises dont quelques-unes sont construites avec
élégance, une académie, une cour de justice, trois banques et plusieurs
manufactures. Sa population est de 17,240 habitants. Ses principales rues
sont plus larges qu'à Philadelphie; ses maisons sont belles et peintes en
couleurs claires. Entre les diverses habitations, il y a ordinairement un
petit jardin d'un côté et un passage de l'autre : ce qui, joint à leur pro-
preté, offre un joli coup d'œil. On publie dans cette ville trois ou quatre
journaux hebdomadaires. A 173 kilomètres au nord-ouest, sur le lac Erié,
Rome, ville de 6 à 8,000 âmes renferme un des arsenaux de l'Union. Syra-
cuse, à l'ouest d'Utique sur l'Oswego, est une ville commerçante de 22,235
habitants; elle est liée par un service de bateaux à vapeur avec Itaca, petite
ville industrieuse située sur un beau lac.
Buffalo ou Buffaloe, située à l'endroit où le Niagara sort du lac Erié, est
jolie et possède de beaux hôtels garnis et un théâtre. Sa position à l'entrée
du canal de New-York la rend l'entrepôt du commerce avec les Etats occi-
dentaux de l’Union. Sa population est de 49,863 habitants. Newburgh est
intéressante parses manufactures et son importante brasserie ; Poughkeepsie
commune de 9,000 habitants, possède des chantiers de construction et 3
imprimeries qui livrent chacune un journal par semaine. Génessée est une
jolie petite ville de 6,000 habitants, qui possède trois écoles communales,
outre celle du dimanche. Aubrun, ville belle et d'un commerce important,
renferme une prison remarquable par sa belle tenue et par le nombre des
condamnés qui y sont renfermés, et qui s'élève quelquefois à plus de 1,000.
Sachkets-Harbour, sur le lac Ontario , est importante par son commerce et
par ses chantiers militaires et marchands. Enfin Caldwell est un bourg
remarquable par sa charmante position sur le lac George; il est devenu
depuis quelques années, le rendez-vous à la mode du beau monde des Etats
voisins.
L'espèce de péninsule qui forme le New-Jersey commence au nord par
des montagnes extrêmement riches en minerai de fer et de zinc ; plus bas,
des collines agréablement variées étalent leurs vergers et leurs pâturages ;
l'extrémité méridionale n'offre qu'une plaine couverte d'une immense forêt
de pins, et dont le sol marécageux et sablonneux renferme en grande quan-
tité de la mine de fer limoneuse. De nombreuses rivières y font mouvoir
toutes sortes d'usines et de moulins. La cascade du Passaïc est pittoresque,
la rivière tombe en une seule nappe de 22 mètres de haut. Cette province
ne renferme aucune grande ville. Trenton en est la capitale. Sa population

156
LIVRE CENT HUITIÈME.
n'est que de 6,000 âmes ; elle est sur la Delaware ; Washington remporta
sur les Anglais, le 26 décembre 1776, une victoire célèbre sous ses murs.
Le port de Newark, situé vis-à-vis de la ville de New-York, est le seul
endroit d'où l'on ait tenté des expéditions maritimes-, c'est aussi la seule
ville dont la population dépasse 38,885 âmes. Elle est renommée pour ses
fabriques de souliers, ses carrosses et son cidre , qui ressemble beaucoup
au vin de Champagne. La baie de Baritan offre un excellent port. Parmi
les habitants du New-Jersey, distingués par leur bravoure et leur constance
dans la guerre de la liberté , quelques-uns descendent des Hollandais, qui
avaient compris le Jersey oriental avec le New-York sous le nom de Novum
Belgium ; il y a aussi des descendants des Suédois qui, établis sur la Dela-
ware, avaient essayé de fonder une Nouvelle-Suède. L'une et l'autre de
ces faibles colonies ont été absorbées dans le grand nombre d'Anglais ,
principalement quakers, qui vinrent ici chercher la liberté religieuse. En
1664, sous le règne de Charles Ier, la colonie devenue anglaise prit le nom
de New-Jersey en l'honneur de sir George Carterey qui avait vaillamment
défendu l'île de Jersey contre le long-parlement ; après avoir formé sa con-
stitution en 1776, il adhéra à l'Union en 1787 ; sa population est d'environ
488,570 habitants ; il est divisé en 14 comtés.
Les autres villes que l'on peut encore citer sont Paterson, peuplée de
11,329 âmes, près de la cascade du Passaïc ; New-Brunswick, importante
par son commerce, par son collége et par son séminaire théologique des
réformés hollandais; Perth-Amboy, remarquable par son port, l'un des
plus importants de l'Union, et Princeton, qui renferme le célèbre collége de
New-Jersey.
La Pensylvanie, ou mieux Pennsylvanie, qui ne le cède à aucun des
États-Unis pour la richesse du sol, pour l'abondance et la variété des pro -
ductions, forme la transition entre la zone froide et la zone chaude de
l'Amérique septentrionale; il ne faut pas en conclure qu'elle jouit d'un
climat tempéré; c'est l'humidité de l'Angleterre au printemps, et la séche-
resse de l'Afrique en été ; quelques jours d'automne rappellent le doux ciel
de l'Italie, mais les hivers ramènent les frimas de la Sibérie. Il n'y a que
des constitutions robustes qui résistent à ces changements de température.
Outre les grandes rivières de Delaware, de Susquehannah et d'Ohio, un
nombre considérable d'eaux courantes répandent partout la fertilité, ali-
mentent des moulins et des canaux d'irrigation, ou embellissent le pays
par de romantiques cascades. Les Ohio-Pyles, ou la chute de la rivière
Youghiogeny, est une des plus remarquables. Les montagnes Bleues parais-

AMÉRIQUE. — ÉNATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
157
sent avoir porté dans cette province le nom indigène de Kittatinny.
La farine de froment, de qualité excellente; du chanvre, des érables à
sucre, des riches mines de charbon, sont les productions les plus impor-
tantes. La race pennsylvanienne se distingue par son activité, ses bonnes
mœurs et son courage. Plus éclairée que les habitants de New-York, plus
tolérante que ceux de la Nouvelle-Angleterre, elle n'est pas corrompue par
l'esprit exclusif du commerce, elle dédaigne les préjugés qui accompagnent
dans les États du midi l'existence d'une classe d'esclaves. La consti-
tution démocratique est appuyée par de bonnes institutions municipales; la
tolérance religieuse ne connaît d'autres bornes que celles de la morale
universelle et de cette conscience du genre humain qui repousse l'athéisme.
Un tiers de la population est composé de quakers et d'Anglais épiscopa-
liens ; ils habitent Philadelphie et les comtés de Chester, de Bucks et de
Montgomery. Les Irlandais, pour la plupart presbytériens, habitent les
contrées de l'ouest et du nord-, comme ils sont en général originaires du
nord de l'Irlande, peuplé par des Ecossais, on les appelle quelquefois
Ecossais-Irlandais. Les Allemands, pour la plupart originaires de la
Souabe et du Palatinat, forment une population d'environ 400,000 indivi-
dus, et demeurent principalement dans les comtés de Lancastre, d'York, de
Dauphin et de Northampton, ou sur les premières rampes des montagnes
Bleues, où les noms de Berlin, Manheim, Strasbourg, Heidelberg et autres
rappellent le souvenir de l'Allemagne. La Pennsylvanie doit son nom au
quaker Guillaume Penn, fondateur de Philadelphie. Établi par les Anglais
en 1682, cet État forma sa constitution en 1776, et adhéra à l'Union en
4787. Sa population qui, en 1790 était de 430,000 âmes, est aujourd'hui
de 2,311,681 habitants; cet État est partagé en 54 comtés.
Les richesses minérales de la Pennsylvanie sont considérables, surtout
en fer, en houille et sel ; on évalue à 252,000 hectares l'étendue de son bas-
sin houiller. On y compte plus de 250 hauts-fourneaux et 180 forges, occu-
pant 15,000 ouvriers. Le commerce et l'industrie manufacturière sont
très-actifs, ils s'exercent sur tous les produits que la main de l'homme sait
transformer en objets de luxe et d'utilité; ils doivent leur rapide accroisse-
ment aux nombreuses voies de communication qu'offrent les canaux et les
chemins de fer qui s'entre-croisent à chaque instant, et viennent former à
Philadelphie et à Pittsbourg deux nœuds importants.
Le grand territoire de Pennsylvanie ne touche que par ses points extrêmes
au lac Erié. Néanmoins sa principale ville, Philadelphie, située entre les
rivières de Schuylkill et de Delaware, est une grande place de commerce.

158
LIVRE CENT HUITIÈME.
D'après les derniers recensements, la ville de Philadelphie contient 411,411
habitants avec ceux de ses faubourgs. Le plan en fut tracé en 1683 par
Guillaume Penn. Cette ville est construite avec élégance ; ses principales
rues, pavées de cailloux et de briques sur les trottoirs, ont 35 mètres de
largeur. C'est la première ville des États-Unis pour la variété, la richesse et
la supériorité de ses manufactures. On peut affirmer qu'elle est la plus
régulièrement belle, non-seulement des États-Unis, mais du monde entier.
Ses rues qui se coupent toutes à angles droits, ses larges trottoirs toujours
propres, l'élégance de ses maisons bâties en briques et décorées de beau
marbre blanc, la richesse et le bon goût de ses monuments publics, offrent
au premier abord un aspect séduisant, mais qui peut à la longue fatiguer
l'œil par son excessive régularité. Elle s'étend sur une longueur d'environ
2 milles, depuis la rive droite de la Delaware jusqu'à la rive gauche du
Schuylkill. Sa largeur est de plus de 1 mille. Le plus beau des édifices qui
contribuent à l'embellir est celui de la Banque, considéré généralement
comme le principal monument de l'Union : il est entièrement construit en
marbre tiré des monts Alleghanys, et présente l'image assez exacte du Par-
thénon à Athènes. Le nouvel Hôtel des monnaies, le plus important éta-
blissement de ce genre aux États-Unis, est un des principaux ornements de
Philadelphie.
Les établissements d'instruction y rivalisent par le nombre et la belle
tenue avec ceux de bienfaisance. Nous citerons parmi les premiers le Musée
de Peel, renfermant de belles collections d'histoire naturelle, l’Observa-
toire, le Jardin botanique de Bartram, la Bibliothèque de la ville, celle
de l’ Université, et celle de l’ Académie des beaux-arts ; la Société philoso-
phique américaine, celle de médecine, celle d'agriculture, celle des sciences
naturelles, la Société linnéenne, celle de géologie, celle qui a pour but
l'encouragement des inventions utiles. La plupart de ces sociétés, et notam-
ment celle de géologie, publient chaque année des mémoires.
L’Institut de Franklin, créé par une société particulière et soutenu par
des souscriptions, est destiné à encourager et à repandre le goût des arts et
des sciences. Il possède une bibliothèque, un cabinet de minéralogie, une
collection de modèles de machines, de ponts, etc. On y distribue des prix,
et on y publie une feuille périodique fort intéressante qui a pour titre Jour-
nal de l'Institut de Franklin.
C'est à Philadelphie que se publient les ouvrages les plus importants de
la librairie américaine.
On admire la propreté des marchés et l'excellente organisation des pri-

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
159
sons de cette ville. Au sein de ce bel ordre, il existait un réceptacle
d'ordures, une source de contagion ·, c'était la rue Water : c'est dans ce
cloaque infect que prit naissance la fameuse fièvre jaune de 1793. Le gou-
vernement municipal s'est occupé de la destruction de ce foyer de maladie.
Philadelphie possède beaucoup de manufactures ; les machines anglaises y
sont d'un usage général. On y construit de très-beaux vaisseaux en cèdre
rouge, en chêne vert de Caroline et en mûrier de Virginie. Le caractère
doux et tolérant des quakers différait beaucoup de celui des colons fana-
tiques qui s'établirent dans la Nouvelle-Angleterre. Aujourd'hui ils ne
composent que le quartdes habitants. Leur aversion pour l'élégance etpour
tous les objets de l uxe diminue tous les jours. Les beaux équipages ne sont
pas rares dans les rues de Philadelphie, et le théâtre devient de jour en jour
plus fréquenté. L'hôtel qui était destiné au président des États-Unisannonce
combien peu les arts ont fait de progrès dans ce pays. Le plan en a été tracé
par un homme qui entendait bien l'architecture ; mais un comité de-citoyens,
chargé d'examiner ce plan et d'en diriger l'exécution, crut le perfectionner
en transposant l'ordre des étages ; de sorte que les pilastres qui devaient
orner le rez-de-chaussée paraissent suspendus en l'air.
L'un des principaux établissements de Philadelphie est le pénitentiaire,
qui, depuis, a servi de modèle à ceux de nos vieilles capitales de l'Europe.
La Maison de correction est un établissement qui mérite aussi d'être cité.
Elle renferme environ 700 jeunes détenus des deux sexes.
Philadelphie fait un commerce considérable, grâce à ses deux ports, l'un
sur la Schuylkill et l'autre sur la Delaware, et aux nombreux canaux qui la
mettent en communication avec l'intérieur. Le port de la Schuylkill est un
entrepôt général du charbon ; celui de la Delaware est ouvert au cabotage
maritime et au commerce étranger. Le tonnage des navires de Phi-
ladelphie est de 87,346 tonneaux. Son port reçoit annuellement 2,000
navires de cabotage et 600 navires venant de l'étranger. C'est dans cette
ville que fut tenu, en 1774, le premier congrès de l'Union, et que l'indépen-
dance y fut proclamée. Elle a été jusqu'en 1800 la capitale des États-Unis.
Aux portes de Philadelphie, nous citerons le Water-Works, magnifique
construction hydraulique qui fournit de l'eau à toute la ville. A la distance
d'un mille de cette machine, on remarque le beau pont en bois de Market-
Street-Bridge, sur le Schuylkill : il est d'une seule arche de 112 mètres de
diamètre. Plus loin on aperçoit un vaste édifice qu'il ne faut point passer
sous silence : c'est l’asile des marins, édifice remarquable par le luxe de sa
construction, et dans lequel le gouvernement fédéral a voulu montrer l'es-

160
LIVRE CENT HUITIEME.
time qu'il fait des bons services de l'État, et prouver qu'il n'oublie pas la
dette sacrée qu'il a contractée à leur égard.
Harrisbourg, sur la rive gauche du Susquehannah, est, malgré son peu
d'importance, la capitale de toute la Pennsylvanie. C'est une cité régulière-
ment bâtie, dans laquelle on ne remarque que le Capitole et l'hôtel de
l'administration de l'État. Sa population s'élève à peine à 10,000 âmes.
L'industrieuse et florissante Pittsburg ou Pillsbourg, au confluent de
l’Alleghany et de la Monongahela, qui forment l’Ohio, est une ville bien
bâtie, mais dont les maisons noircies par la fumée de la houille lui donnent
un aspect triste. On exploite dans ses environs des houillères importantes.
Elle renferme un grand nombre d'usines, dont plusieurs sont affectées à la
fabrication des machines à vapeur. Ses fonderies de canons, ses clouteries,
ses manufactures de tissus de laine et de coton, ses verreries, ses fabriques
de poteries, de cordages et de potasse, lui ont valu le surnom de Birmin-
gham américain. Elle doit l'activité de son commerce et de son industrie
au canal qui unit l'Ohio à l'Atlantique par le Chesapeake. En \\ 840 on éva-
luait le produit annuel de ses hauts-fourneaux à 2,234,000 francs, et le
produit de ses forges près de 22,000,000 de francs.
Au commencement de ce siècle, Pittsbourg n'était encore qu'un poste
militaire; aujourd'hui sa population, en y comprenant celle des quatre
villages que l'on peut considérer comme appartenant à ses faubourgs,
s'élève à plus de 55,000 âmes. Dans l'intérieur de la Pennsylvanie, nous
remarquerons encore Lancaster, ville de 8 à 10,000 âmes, qui publie trois
journaux anglais et trois allemands, et qui a des fabriques considérables de
chapeaux et de carabines; Birmingham, qui rivalise avec cette dernière et
possède un arsenal remarquable; Carlisle, qui renferme l'excellent collége
de Dickinson; Alleghanytown, remarquable par sa belle maison péniten-
tiaire; York, avec 5,000 habitants; Bethléem, chef-lieu des frères moraves,
siége de leur évêque et de plusieurs colléges, fabriques et manufactures;
enfin, Ephrala ou Tunkerslown, résidence d'une autre secte religieuse
très-austère, nommée les tunkers ou dunkers.
L'agriculture fleurit dans le petit État de Delaware, qui à pour capitale
Dover ou Douvres, petite ville de 10,000 habitants. Le commerce fait pros-
pérer Wilmington, ville agréablement située sur la Bradwine et la Chris-
tiana ; elle est importante par ses nombreux moulins à farine et à poudre,
ses usines et ses fabriques, et est peuplée de 8 à 10,000 âmes. Presque tout
le terrain étant déjà mis en culture, le nombre des habitants de cet État ne
s'accroît que lentement. Les rivages de la baie de Delaware sont très-bas,

AMÉRIQUE. —- ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
161
couverts de forêts, dont la continuité n'est interrompue que par des maré-
cages funestes à la santé des habitants.
Cet État reçut son nom en 1703 de la baie de Delaware, ainsi nommée
elle-même en souvenir de lord de la Ware, qui mourut dans ses eaux.
Fondé par les Suédois en 1627, le Delaware fut concédé à Guillaume Penn ·,
il forma d'abord un État à part, et n'adhéra à l'Union qu'en 4793. Sa
population est aujourd'hui de 91,528 habitants, il est partagé en trois
comtés.
L’État de Maryland doit son nom à la reine Henriette-Marie d'Angle-
terre, femme de l'infortuné Charles Ier. Cet État fut fondé en 1634 par les
Anglais; en 1776 il se donna une constitution, et adhéra à l'Union en
1788. Sa population est de 582,506 habitants et il est partagé en dix-neuf
comtés.
La baie de Chesapeake partage en deux parties le Maryland, riche sur-
tout en tabac, en froment et en fer. Quoique l'importation des nègres
d'Afrique y ait cessé depuis 1763, près d'un sixième de la population se
compose encore de noirs et de mulâtres esclaves, vivant dans des cam-
pagnes isolées, les Marylandais ont l'indolence et la paresse d'esprit des
autres Anglo-Américains méridionaux, sans avoir leur gaieté hospitalière.
La religion catholique compte le plus grand nombre de fidèles. L'État pos-
sède des fonds actifs assez importants; aussi le gouvernement consacre-t-il
des sommes considérables à l'entretien d'un grand nombre d'écoles, parmi
lesquelles se trouvent une université, trois colléges et une école de mé-
decine.
La petite ville d’Annapolis est le siége du gouvernement ; elle est située
dans la baie de Chesapeake, à l'embouchure de la Severn. Malgré sa faible
population, que l'on ne porte pas à 5,000 âmes, elle possède une banque
et un théâtre. La ville la plus considérable s'appelle Baltimore, située sur
la rivière de Patapsco. Devenue le rendez-vous des hommes de toutes les
nations qui cherchaient fortune, elle s'est rapidement élevée à l'état floris-
sant où on la voit aujourd'hui. La situation en est un peu basse, mais l'art
a réussi à la rendre passablement salubre. En 1790 on évalua à 13,503
le nombre de ses habitants; il était en 1810 de 36,000, sans les précincts,
ou la banlieue; on peut l'évaluer aujourd'hui à 169, 125. Quoique ses rues
soient toutes larges et régulièrement tracées, elle n'a cependant pas la
monotonie de Philadelphie, Le sol sur lequel elle est assise a un mouvement
d'ondulation qui donne à chaque quartier un caractère varié. De plusieurs
points élevés de la ville l'œil peut embrasser non-seulement l'ensemble des
V.
21

162
LIVRE CENT HUITIÈME.
constructions, mais encore une partie du port, les eaux brillantes de la
Chesapeake et les sombres forêts qui s'étendent au loin. Les habitants de
Baltimore paraissent généralement avoir un goût prononcé pour les beaux-
arts; ils doivent, sous ce rapport, leur supériorité marquée sur les autres
peuples des États-Unis à l'influence de deux artistes français qui ont résidé
longtemps dans leurs murs. La cathédrale catholique, dont la coupole rap-
pelle celle du Panthéon à Rome, passe pour le plus beau de ses temples.
On cite encore un nouvel édifice appelé l’ Exchange, construit depuis, et qui
comprend la douane et la bourse. Véglise unitarienne est un chef-d'œuvre
d'élégance et de simplicité. Le monument élevé à la mémoire des citoyens
morts en défendant Baltimore pendant la dernière guerre (1814), est d'un
style sévère et d'une belle exécution. La colonne érigée en l'honneur de
Washington ressemble assez, par son élévation et sa forme, à notre colonne
de la place Vendôme, à Paris. Elle est en beau marbre blanc ; sa situation,
sur une petite colline, fait qu'elle peut être vue de presque tous les points
de la ville, et même d'une assez grande distance de la baie. Elle a environ
52 mètres de hauteur; elle est ornée de bas-reliefs en bronze relatifs aux
principales actions du héros américain, et surmontée de sa statue colos-
sale.
Baltimore est un des plus grands marchés de farine du monde entier.
Cette importante cité est l'entrepôt du commerce extérieur de tout le Mary-
land, d'une partie de la Pennsylvanie et des États de l'ouest. Elle commu-
nique avec Pittsbourg, sur l'Ohio, par un chemin de fer de 560 kilomètres,
le plus long des États-Unis, et par un second avec d'autres villes de l'Union.
Son port, défendu par le fort Mac-Henry, est l'une des stations militaires de
l'Union; il renferme un arsenal fédéral : c'est le troisième de l'Union pour
son tonnage.Le produit de ses importations dépasse annuellement 35 mil-
lions de francs et celui de ses exportations 30 millions. Baltimore a été
fondée en 1729, et érigée en cité en 1797.
Une très-petite lisière du Maryland, qui s'étend dans les montagnes, est
à l'abri des fièvres intermittentes et des chaleurs d'un été brûlant. Là fleurit
la jolie ville de Frédérikstown, qui renferme 5 à 6,000 habitants d'origine
allemande.
Entre Maryland et la Virginie se trouve un territoire appartenant à toute
l'Union, et connu sous le nom de District fédéral ou de Columbia. C'est la
plus petite des divisions politiques et administratives de la confédération :
elle n'occupe que 147 kilomètres carrés, et sa population est de 51,687
habitants. Le district de Columbia est divisé en deux comtés. Au centre

AMÉRIQUE.— ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
163
s'élève la Cité-Fédérale qui porte le grand nom de Washington. Le siége du
gouvernement central y a été transféré en l'année 1801. Cette ville, con-
struite sur les bords du Potomak et de l’ Eastern-Branch, s'étend à près de
4 milles sur chacune de ces rivières: c'est une des plus heureuses situa-
tions de toute l'Amérique, tant pour la salubrité de l'air et la beauté du
pays que sous le rapport d'une parfaite convenance. Les eminences gra-
duelles y forment une foule de charmantes perspectives et une pente suffi-
sante pour l'écoulement des eaux pluviales. L'enceinte de la ville renferme
un grand nombre de sources excellentes. L’Eastern-Branch, rivière qui se
jette dans le Potomak, fournit un des havres les plus sûrs et les plus com-
modes de l'Amérique; les plus grands vaisseaux y trouvent assez d'eau
jusqu'à 4 milles de son embouchure, et le canal, percé le long du rivage
contigu à la ville, offre un havre spacieux avec les plus grandes commo-
dités.
Cette capitale, également éloignée de l'extrémité septentrionale et de
l'extrémité méridionale des Etats Unis, et située au milieu d'un pays abon-
dant en objets de commerce, ne comptait encore en 1810 que 8,000 habi-
tants, ou 13,000 en y comprenant Georgetown, qui en est comme le fau-
bourg ; aujourd'hui elle en a plus de 44,000. Elle est la résidence du
président et du vice président de la République, du congrès et des admi-
nistrations fédérales; elle possède un arsenal maritime et des chantiers de
construction navale : elle fut fondée en 1792.
Le plan en fut tracé par un Français le major L'Enfant; il réunit dans
un très-haut degré la commodité, la régularité, le charme de la perspective
et la libre circulation de l'air. Avant de rien commencer, on avait déter-
miné la position des divers édifices publics, tels qu'on les construit aujour-
d'hui, sur le terrain le plus avantageux ; tous dominent ou des perspectives
lointaines ou des vues agréables, et leur situation les rend susceptibles de
tous les accessoires que pourrait exiger par la suite l'utilité ou l'embellisse-
ment. Le Capitole s'élève sur une éminence des plus belles, d'où l'œil plane
sur toutes les parties de la ville et sur la vaste étendue des campagnes cir-
convoisines; c'est un grand et bel édifice surmonté de trois dômes, et bâti
en une pierre de taille à gros grains, dont la teinte, légèrement jaune, n'a
rien de désagréable à l'œil. Il renferme deux salles spacieuses destinées
pour les séances de la chambre des représentants et du sénat, une autre
pour les assemblées de la cour suprême des Etats-Unis, et une troisième
pour la bibliothèque nationale; le Capitole marque le point par lequel les
géographes anglo-américains font passer leur ligne méridienne. Sur une

164
LIVRE CENT HUITIÈME.
plate-forme encore plus élevée se trouve l'hôtel du président, qui jouit d'une
perspective d'eau charmante, et commande la vue du Capitole, ainsi que
celle des parties de la ville les plus importantes. Après le Capitole, l'édifice
le plus important de Washington est la maison du président. Les quatre
grands corps de bâtiments qui l'entourent et qui servent à l'administration
des quatre ministères sont commodes, vastes et solidement bâtis, mais
n'ont rien de remarquable dans leur architecture.
L’arsenal de la marine est un des plus beaux établissements dans son
genre. Au milieu de sa cour principale, une colonne rostrale a été érigée en
l'honneur des marins américains morts dans un combat glorieux devant
Alger. Les Anglais, jaloux de toute gloire étrangère, cherchèrent à la
détruire : elle porte encore les traces des coups de sabre dont ils l'ont frap-
pée; les Américains n'en ont effacé aucune, mais ils ont gravé sur la base
du monument cette phrase sévère : Mutilé par les Anglais en 1814. A la
tête des établissements scientifiques et littéraires de Washington, il faut
mettre l’ Institut de Colombie, divisé en cinq sections, pour les sciences
mathématiques, les sciences physiques, les sciences morales et politiques,
la littérature et les beaux-arts ; nous citerons aussi les Sociétés de méde-
cine, de botanique, d'agriculture, le Columbian-Collége, fondé en 1821, et
surtout le Dépôt topographique, qui renferme une riche collection des
cartes et des levées faites par les ingénieurs du gouvernement. Washington
possède en outre un grand nombre d'écoles publiques ou privées ; c'est à
Washington que s'impriment les journaux organes du gouvernement, la
République, professant les opinions wihgs, et l’ Union, le vétéran de la
presse américaine. Un amiral anglais, rival d'Erostrate, a surpris et brûlé
cette ville en 1814 ; mais les dommages ont été bientôt réparés.
La vaste enceinte de Washington, tracée pour une ville dix fois plus peu-
plée ; ses rues tirées au cordeau et larges de 25 à 30 mètres ; ses habita-
tions, séparées dans quelques quartiers par de grands espaces vides ou par
des champs que sillonne la charrue; ses monuments somptueux, qui con-
trastent avec le silence de ses rues, la feraient prendre plutôt pour une
colonie naissante que pour la capitale d'un Etat populeux et florissant. La
plupart des maisons sont détachées les unes des autres; enfin, suivant l'ex-
pression d'un habitant de Washington même, il semble qu'un géant ait
secoué, sur l'emplacement qu'occupe la ville, la boîte de jouets de ses
enfants.
Georgetown est fort joliment située sur le penchant d'une colline, entre
le Potomak et le Rock-Creek, qui la sépare de Washington. Elle renferme

AMÉRIQUE.—ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
165
une fonderie de canons et un beau collége catholique de jésuites. Son
commerce, quoique assez actif, est cependant moins considérable que
celui d'Alexandrie, située 7 milles plus bas, sur le bord du Potomak. La
population de cette dernière ville, qui possède une académie et une banque,
est de 9,000 à 10,000 âmes. Ses exportations, qui consistent principalement
en farines, s'élèvent annuellement à près de 900,000 dollars.
Depuis la baie de Chesapeake jusqu'aux bords de l'Ohio, s'étend le terri-
toire actuel de la Virginie; le nom de cet Etat est une flatterie en l'honneur
de la célèbre reine Elisabeth. Etabli par les Anglais en 1607, il forma sa
constitution en 1776, et adhéra à l'Union en 1788; sa population est
aujourd'hui de 10,121,081 habitants, sur lesquels il faut compter
473,026 esclaves: il est divisé en 110 comtés.
La Virginie appartient à la fois au bassin de l'Atlantique et à celui du
Mississippi-, les montagnes Bleues ou les Alleghanys la partagent en deux
portions : celle d'ouest, riche en magnifiques points de vue, ressemble à
un vaste parc ; le fameux tabac, le riz, le froment, enrichissent les cultiva-
teurs de l'autre partie. Dans la première, on ne voit guère que des blancs ;
dans la seconde, les esclaves noirs sont très-nombreux. La religion presby-
térienne domine dans les montagnes de l'ouest; la religion anglicane règne
dans les plaines orientales. Le long des montagnes Bleues, il y a une race
d'habitants très-forts et très-grands, parmi lesquels il est rare de trouver un
homme qui n'ait pas six pieds de haut. Il paraît qu'en général les individus
qui habitent la partie supérieure de la Virginie jouissent d'une excellente
santé. La partie maritime, au contraire, est exposée à des fièvres dange-
reuses. Richmond, la capitale de la Virginie, a 30,280 habitants. Elle est
assise sur la rive gauche du James-River et vis-à-vis de Manchester, avec
laquelle elle communique par deux ponts; l’Hôtel de l’Etat, bâti sur le
modèle de la Maison-Carrée, à Nîmes l’ Hôtel du Gouverneur et l’ Arsenal
méritent d'être cités. Elle possède une manufacture d'armes et une fonderie
de canons; son port est le centre d'un commerce très-actif d'exportations
de grains, de farines et de chanvre. Il y a un collége à Williamsbourg,
ancienne capitale. Norfolk, sur l'Elisabeth-River, port de commerce l'un
des meilleurs de l'Union, compte, dit-on, jusqu'à 12,000 âmes ; c'est, après
Richmont, la ville la plus peuplée et la plus commerçante de la Virginie.
Pétersbourg, autre port de commerce voisin, en renferme plus de 10,000.
A l'ouest des montagnes Bleues, on trouve Winchester, avec 5,000 habi-
tants, et Wheeling, sur l'Ohio, qui en a plus de 8,000, et qui acquerra un
jour de l'importance par le mouvement commercial, qu'y développe le che-

166
LIVRE CENT HUITIÈME.
min de fer de Baltimore. Près de la petite ville de Portsmouth, et non loin du
canal qui joint la baie de Chesapeake avec le détroit d'Albermale, se trouve
sur l'Elisabeth-River le grand arsenal maritime de Gosport. Ce magnifique
établissement est le grand dépôt maritime pour les Etats du Sud, comme
Charlestown (Massachusetts) Test pour les Etats du Nord. Nous signale-
rons encore dans ses environs la rade de Hampton {Hampton Road), que
de récents travaux ont mis sur un pied formidable de défense, et qui est
destinée à servir, en cas de guerre, de point de rassemblement aux forces
navales des Etats-Unis. Nous devons encore mentionner particulièrement
deux résidences célèbres : Mount-Vernon, près de Potomak, à 2 lieues et
demie au-dessous d'Alexandrie, et Monticello, près de Charlottesville ; la
première fut celle de Washington, la seconde celle de Jefferson, qui tous
deux étaient nés dans la Virginie.
Charlottesville, à 100 kilomètres nord-ouest de Richmond, est remar-
quable par l’ université de la Virginie, établie depuis 1821 : les bâtiments
de cette université sont considérés comme les plus beaux de ce genre qui
existent aux Etats-Unis; Lexington, par son collège de Washington, et
Harpers-Ferry, par sa manufacture d'armes et son vaste arsenal, où l'on
conserve 100,000 fusils; enfin White-Sulphur-Springs, Warmsprings,
Seretsprings et Rath sont remarquables par leurs bains et leurs eaux miné-
rales, fréquen tées par un grand nombre de visiteurs et de touristes.
La Virginie possède des mines d'or importantes. Ce métal se trouve dans
une roche de quartzite qui forme des couches au milieu des schistes argi-
leux et talqueux. Il s'y présente souvent en masses dont le poids s'élève
jusqu'à une livre. Le sable des ruisseaux qui traversent ce pays est aurifère
et renferme souvent d'assez grosses pépites.
Des curiosités ordinaires ne doivent pas nous arrêter dans notre course ;
nous ne pouvons accorder qu'une simple mention à la cave de Maddison
et au passage du Potomak à travers les crevasses des montagnes; mais le
Pont-de-Roche (Rock-Rridge) exige une courte description. Une petite
rivière, le Cedar-Creek, affluent du James-River, passe au fond d'une
vallée qui a de 70 à 90 mètres de profondeur, 14 mètres de diamètre en bas
et 30 mètres en haut. Une masse solide de roche calcaire, épaisse de
13 mètres, recouverte de terreau et de rochers détachés, passe d'un bord
de la vallée à l'autre, et forme ainsi une immense arche qui, vue d'en bas,
inspire un sentiment mêlé de frayeur et d'admiration. Le phénomène, très-
naturel en soi-même, ne diffère des excavations si fréquentes dans les pays
calcaires, que par la grandeur des masses et par sa disposition pittoresque ;

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
167
près d’Estleville se trouve, dit-on, un pont naturel dont les proportions
l'emportent encore sur celui-ci, et que l'on considère comme le plus remar-
quable de ce genre des Etats-Unis.
Un établissement français, fondé en 1562 par Jean de Ribault, et appelé
par lui la Caroline, en l'honneur de Charles IX, a donné pendant longtemps
son nom à toute la partie de l'Union américaine qui forme aujourd'hui les
États des deux Carolines et du Tennessée. En 1565 cet établissement fut
détruit par les Espagnols et abandonné. En 1663 ce pays fut compris dans
la concession faite par Charles 11, roi d'Angleterre, à Walter Raleigh, comte
de Clarendon et duc d'Albermale. En 1680, la première colonie permanente
anglaise fut établie à Charleston. La Caroline du nord fut d'abord désignée
sous le nom d’Albermale ; elle forma sa constitution en 1770, et adhéra à
l'Union en 1789. Sa population est de 868,870 habitants; elle est partagée
en 64 comtés.
Partout, en parcourant cet État, on s'aperçoit que l'on approche des
régions tropicales : la douceur de la température, la couleur de la popula-
tion, le nombre des nègres employés aux travaux pénibles ; enfin la culture
du riz, du tabac et du coton, en offrent à chaque instant la preuve.
La plus grande partie du pays est une forêt de pins à goudron; c'est la
principale branche d'exploitation : on élève aussi des bêtes à cornes et des
porcs dont on exporte la viande aux Antilles. Indolents et insouciants au
sein d'une contrée fertile, pleins de talents naturels, mais dépourvus d'ins-
truction ; hospitaliers, mais trop adonnés à tous les plaisirs sensuels, 1es
Caroliniens du nord vivent en partie sans aucune espèce de religion recon-
nue. Dans les montagnes, les nouveaux colons, Irlandais et Écossais
d'origine, conservent au contraire leur rigide presbytérianisme, leur amour
pour le travail et leurs mœurs sévères.
Bordée dans sa partie maritime de bancs de sable et de marais, et presque
entièrement couverte à l'occident par les ramifications des monts Alle-
ghanys, elle ne possède qu'un port de commerce appelé Newbern, au con-
fluent de Trent et de la Neuse. La ville est jolie : quoiqu'elle ne renferme
que 5 à 6,000 âmes, c'est cependant la plus peuplée de tout l'État. Elle
possède un théâtre, une académie et une bibliothèque publique. Son com-
merce est considérable, et son port possède beaucoup de navires marchands.
Raleigh, le chef-lieu, n'a que 4,000 habitants. Le plus bel édifice de cette
ville était naguère le palais de l'État, vaste bâtiment dans lequel on admi-
rait une statue de Washington, par Canova, aujourd'hui fort endommagée
par un incendie qui a détruit le palais.

168
LIVRE CENT HUITIEME.
Wilmington, sur le Cape-Fear-River, est une des villes des plus com-
merçantes, et Fayetteville la plus jolie.
Près de la petite ville de Charlotte, dans la partie méridionale, on
exploite des mines d'or importantes et des dépôts d'ail uvions aurifères très-
riches, dont les produits, d'abord fort abondants, ont cependant diminué
dans ces dernières années ; ils ont nécessité l'établissement à Charlotte d'un
hôtel des monnaies, succursale de celui de Philadelphie. Salem, à 160 kilo-
mètres à l'ouest de Raleigh, sur un bras de l'Yarkind, est très-commer-
çante ·, elle possède une école de filles moraves très-estimée.
La Caroline du sud a été établie par les Anglais en 1689, et d'abord
incorporée à la Caroline du nord; cette colonie en fut détachée en 1729.
Elle forma sa constitution en 1776, et adhéra à l'Union en 1788. Sa popu-
lation est de 668,469 habitants; c'est le seul État de l'Union dans lequel
le nombre des esclaves, qui est de 384,925, dépasse celui des hommes
libres; il est partagé en 29 districts.
Dans la Caroline du sud, le haut pays jouit d'un climat tempéré, les
côtes éprouvent de très-grandes chaleurs. La végétation commence en
février; c'est alors que l'érable à fleurs rouges fleurit ; il est bientôt suivi
par le modeste saule et l'humble sureau ; le prunier et le pêcher étalent
ensuite leur parure brillante. Les planteurs sont en activité dans les mois
de mars et d'avril ; la saison de semer continue jusqu'en juin. Dès lors les
chaleurs augmentent ; dans les mois de juillet et d'août, il tombe de fortes
pluies, accompagnées d'orages. En septembre, les matinées et les soirées
sont froides; mais le soleil est encore ardent au milieu du jour. Le temps
est orageux vers l’équinoxe ; l'air est d'ordinaire doux et serein en octobre.
Vers la fin de ce mois les gelées blanches se montrent, et les fièvres dispa-
raissent avec les chaleurs. Le froid arrive en décembre; la végétation
s'arrête ; les montagnes se couvrent de neige, mais dans les plaines, elle ne
prend pas consistance; un rayon de soleil la fait disparaître. L'hiver y est
la saison la plus agréable. La plus forte gelée qu'il y ait ne pénètre pas la
terre à 5 centimètres, et le froid n'y dure pas trois jours de suite. Des
plantes qui ne peuvent supporter l'hiver de la Virginie prospèrent dans la
Caroline du sud. Aux environs de Charleston et sur les îles qui bordent la
côte, les orangers passent l'hiver en pleine terre, et sont rarement endom-
magés par les froids; mais à 10 milles de distance dans l'intérieur, ils
gèleraient tous les ans jusqu'à rase terre, quoique ces contrées aient
une latitude plus méridionale que Malte et Tunis. Ce pays connaît quel-
ques fléaux. Souvent à trois mois de sécheresse destructive succèdent

AMERIQUE. — ETATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
169
trois semaines ou un mois de pluie. Les ouragans y sont aussi très-redou-
tables.
On exploite dans ce pays plusieurs mines d'or, qui produisent annuelle-
ment une valeur de 300,000 francs
La Caroline du sud, pays en général boisé, est partagée en trois genres
de culture : dans les parties élevées, on récolte le froment, le tabac et le
chanvre; dans l'intérieur, le maïs et le blé; dans la partie méridionale, le
coton et le riz. Les moyens de communication y sont encore dans un état
imparfait; cependant les routes s'améliorent tous les jours, et l'on a con-
struit un canal qui unit les rivières de la Santee et du Cooper. L'agricul-
ture et l'exploitation des forêts sont les deux grandes sources de richesses
de cet État.
Les principaux articles de commerce qu'exporte la Caroline du sud sont
du riz, de l'indigo, du tabac, des peaux, du coton, du bœuf, du porc, de la
poix, du goudron, de la térébenthine, de la cire végétale, des bois de con-
struction, du liége, des cuirs et des plantes médicinales.
Columbia, fondée en 1787, est le siége du gouvernement de cet État,
dont elle occupe le centre, dans une plaine élevée, au confluent du Broad
et de la Saluda, qui, réunies, portent le nom de Congarée. C'est une petite
ville de 6,000 habitants: elle possède une haute école classique et une
école presbytérienne de théologie. Charleston est située à la jonction de
l’Ashley et du Cooper, au fond d'une rade qui ajoute à la sûreté de son
port, et qui contribue à maintenir cette ville, sous le rapport commercial,
au cinquième rang des cités de la Confédération. Sa population, qui s'élève
à 32,132 âmes, la place parmi les plus peuplées des États méridionanx.
La lièvre jnune y a souvent exercé ses ravages ; cependant on regarde celte
ville comme une des plus saines de toutes celles de la région inférieure des
États méridionaux ; aussi est-elle, pendant la mauvaise saison, le rendez-
vous des riches planteurs du pays des Antilles. Il faut ajouter que la poli-
tesse et l'urbanité qui distinguent les habitants de Charleston en rendent le
séjour agréable à tous les étrangers.
Charleston est une place forte défendue par une citadelle et plusieurs
forts; c'est à la fois un arsenal de l'Union et de l'État de la Caroline; elle
est le siége d'un évêché catholique et d'un évêché anglican ; elle renferme une
haute école classique, un séminaire catholique, et d'autres établissements
importants d'instruction publique. Son port, vaste et sûr, est l’entrepôt du
commerce des deux Carolines; ses canaux, ses chemins de fer, la mettent
en communication avec les autres villes de l'Union.
V.
22

170
LIVRE CENT HUITIEME.
A 18 lieues au sud-ouest de Charleston, Beaufort possède un port spa-
cieux et profond. Cette ville rivalise pour le commerce avec Camden et
Georgetown.
La Géorgie doit son nom au roi George II·, établie par les Anglais en
1733, elle forma sa constitution en 1777, et adhéra à l'Union en 1788.
Elle possède près de 878,635 habitants et est divisée en 76 comtés. Cet
État, pour le sol et le climat, ressemble à la Caroline du sud. Vers les monts
Alleghanys, qui le bordent au nord, s'élèvent de vastes forêts qui four-
nissent une grande quantité de bois de charpente; les bords des rivières
sont couverts de champs de riz ; le blé et l'indigo sont cultivés sur les terres
élevées. Le coton, renommé pour sa qualité, est une des plus importantes
productions du pays.
Les mines d'or de la Géorgie, situées dans le Cheroki, district qui, dans
le sud-ouest, était habité par les Cherokées, produisent annuellement un
revenu de près d'un million de francs. On a découvert dans ces dernières
années du marbre statuaire blanc, au milieu des montagnes du nord de la
Géorgie. C'est la seule localité des États-Unis où cette substance minérale
ait été trouvée en masses exploitables.
Les villes de cet État sont peu populeuses. Milledgeville, le chef-lieu,
située vers le centre, sur la rive droite de l’Oconée, n'a que 3,000 habi-
tants. Il est vrai qu'elle n'a été fondée qu'en 1807. A l'embouchure de la
Savannah, dont le cours sépare la Géorgie de la Caroline du sud, s'élève
sous le même nom de Savannah la principale des cités géorgiennes. Elle
renferme 20,000 âmes; la beauté et la situation avantageuse de son port,
l'activité de son commerce, lui assurent une longue prospérité. Augusta,
sur la Savannah, est une ville de 8,000 âmes. C'est l'entrepôt de l'immense
quantité de coton que l'on recueille dans la Géorgie, et que l'on embarque
ensuite à Charleston et à Savannah. Athens ou Athènes est remarquable par
son bel établissement d'instruction appelé Université de Géorgie.
Depuis que l'État de Géorgie a acquis des Cherokées le district qu'ils
occupaient et qui est riche en dépôts d'alluvion aurifères, il s'y est élevé
en peu de temps des villes nouvelles dans un vaste espace qui était encore
en 1832 couvert de forêts touffues et solitaires. Auroria, la première de ces
villes, fut commencée au mois de septembre 1832, et l'année suivante elle
avait déjà plus de 160 maisons et de 1,000 habitants; aujourd’hui ces
nombres sont plus que triplés. New-Mexico, la seconde ville, a été fondée
sur une plus grande échelle en 1833 : elle est aujourd'hui plus peuplée que
la précédente.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
171
La Floride, qui ne formait qu'un district, et qui, au commencement de
1840, s'est constituée en État et a adopté une constitution, offre le môme
climat que la Géorgie, mais une plus grande quantité de lacs, de marais,
de plaines sablonneuses et de savanes dépourvues d'arbres. Sa population
est de 87,387 habitants ; elle est partagée en 20 comtés.
Son territoire est inséparable de celui des États-Unis, sous le rapport
historique comme sous le rapport physique. En effet, les premiers naviga-
teurs étendirent à toute la contrée au midi des monts Alleghanys le nom
de Floridas ou Pâques-Fleuries, donné d'abord au cap sud-est et à la
péninsule, que les indigènes appelaient Tegesta. Ce promontoire fut décou-
vert en 1512 par Ponce de Léon, navigateur espagnol, allant à la recherche
d'une miraculeuse fontaine de Jouvence, dont l'existence se fondait sur
une tradition conservée parmi les Caraïbes des Antilles. Vers le milieu du
seizième siècle, quelques protestants français s'étant fixés dans ce pays
négligé par les autres puissances, qui alors ne cherchaient que des mines
d'or, Philippe II, roi d'Espagne, jaloux de la possession exclusive de toute
l'Amérique, y envoya une flotte chargée de détruire ce nouvel établisse-
sement. Par une barbarie digne de ce temps, les colons qui avaient échappé
au massacre furent pendus à des arbres portant l'écriteau : Non pas comme
Français, mais comme hérétiques. Dominique de Gourgues, marin gascon,
indigné du meurtre de ses compatriotes, vendit ses terres, construisit quel-
ques vaisseaux, s'associa une élite d'aventuriers chevaleresques, cingla
vers la Floride, surprit, battit, écrasa les coupables, fit sauter leur fort, et
pendit à son tour les prisonniers, avec l'écriteau : Non pas comme Espa-
gnols, mais comme assassins. Après avoir ainsi vengé l'affront national, il
s'en retourna en Europe; et, réclamé par l'Espagne, il fut heureux d'être
oublié.
En 1565, les Espagnols fondèrent la ville et le fort Saint-Augustin; en
1584, les Anglais prirent possession de la côte septentrionale au nom de la
reine d'Angleterre ·, en 1696, les Français bâtirent Pensacola. Ces trois
nations se firent souvent dans la Floride une guerre aussi injuste que bar-
bare. Enfin les Français ne purent s'y maintenir, et les Espagnols, atta-
qués fréquemment par les Anglais, leur cédèrent, en 1763, la Floride en
échange de l'île dé Cuba, dont l'Angleterre venait de s'emparer. Cependant
les Espagnols, profilant de la guerre de l'indépendance des Anglo-Améri-
cains, s'emparèrent de la Floride, et cette conquête leur fut assurée par le
traité de paix de 1783. Mais en 1803 la France ayant cédé la Louisiane
aux États-Unis telle qu'elle était sous la domination espagnole, les Améri-

172
LIVRE CENT HUITIÈME.
cains prétendirent à la possession du territoire situé à l'ouest du Perdida,
et qui faisait partie de ce qu'on appelle la Floride occidentale. Cette pré-
tention amena une guerre entre l'Espagne et les États-Unis, qui se termina
par le traité de 1819, ratifié en 1821 par les Étais-unis, en vertu duquel
la Floride fut cédée pour toujours à cette puissance par l'Espagne.
Borné au nord par l'État de Géorgie, à l'ouest par celui d’ Alabama et
le golfe du Mexique, à l’est par le nouveau canal de Bahama et l'océan
Atlantique, l'État de la Floride a 135 lieues de longueur du nord-ouest au
sud-est, 40 dans la moyenne largeur, et une superficie de 7,400 lieues
géographiques carrées.
La Floride se divise naturellement en deux parties : la Floride orientale,
qui comprend une péninsule baignée à l'est par l'océan Atlantique et à
l'ouest par le golfe du Mexique, et la Floride occidentale, qui borde au
nord une partie de ce golfe.
La Floride orientale se compose de plaines sablonneuses, de savanes
dépourvues d'arbres, de grands marais et de bois qui s'étendent le long
des côtes, et de bois épais et toujours verts appelés hammocks. Des collines
calcaires, qui paraissent appartenir au terrain supercrétacé, s'élèvent sur
cette péninsule, qui se termine au sud par des dépôts d'alluvion. Le long
des rivières les terres sont très-fertiles.
Parmi les lacs de cette partie de la Floride on distingue celui de Mayaco,
qui a environ 15 lieues de longueur, et celui de Saint-George, qui a 6 lieues
de long sur 2 de large. Le premier donne naissance à la rivière de Saint-
Jean (S. John), qui va se jeter dans l'Océan près de la ville Saint-Augustin ;
le second est formé par la même rivière. On voit aussi un grand nombre
de petits entonnoirs ou enfoncements coniques, qui contiennent de l'eau
douce.
Dans la Floride occidentale, les roches calcaires paraissent dominer et
appartenir au terrain jurassique. Les plaines sont continues ; les côtes
sont en partie couvertes de marais et de savanes. Du reste, comme l'a dit
M. de Castelnau, la Floride semble être entièrement minée par les eaux
souterraines, et dans les canaux qu'elles suivent sous le sol se retirent quel-
quefois des alligators qui abondent dans ce pays. Plusieurs rivières se pré-
cipitent sous terre pour apparaître de nouveau à quelque distance, et former
ainsi des sortes de ponts naturels. Des lacs d'une étendue souvent consi-
dérable couvrent çà et là le sol, et presque toujours on peut y remarquer
un courant plus ou moins distinct.
La Floride n'est qu'une continuation du pays plat de la Géorgie et de la

AMÉRIQUE.— ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
173
Caroline du sud. Au lieu d'une chaîne de montagnes, faussement indiquée
dans les cartes, on ne trouve au partage des eaux que des collines, des
rochers isolés et de vastes marais. Le climat passe pour humide et mal-
sain, du moins a la côte, quoique l'air y doive être habituellement agité et
renouvelé par le contre-coup des vents alizés joint au mouvement que le
courant du golfe y communique.
L'hiver est si doux que les végétaux les plus délicats des Antilles, les
orangers, les bananiers, les goyaviers y éprouvent rarement la moindre
atteinte de la saison. Les brouillards y sont inconnus. Aux equinoxes, et
surtout en automne, les pluies tombent abondamment chaque jour depuis
onze heures du matin jusqu'à quatre heures après midi, pendant quelques
semaines de suite. Il doit y avoir des endroits bien salubres, s'il est vrai
que beaucoup d'Espagnols s'y rendaient tous les ans de la Havane pour
raison de santé.
Les productions des latitudes septentrionale et méridionale y fleurissent
les unes à côté des autres, et l'on verra rarement ailleurs un mélange plus
agréable d'arbres, de plantes et d'arbustes. Les pins rouges et blancs, les
sapins, les chênes toujours verts, le châtaignier, l'acajou, le noyer, le ceri-
sier, l'érable, le bois de Campêche, le bois de braziletto, le sassafras
couvrent ici un sol très-varié, tantôt riche en terreau, et tantôt composé de
sable et de gravier, le plus souvent marécageux. On voit des forêts entières
de mûriers blancs et rouges, plus beaux que dans aucune autre partie de
l'Amérique. Tous les arbres fruitiers de l'Europe y ont été naturalisés. L'o-
range y est plus grande, plus aromatique et plus succulente qu'en Portugal.
Les bords du Coza, autrement Mobile, rivière considérable, forment l'une
des plus belles et des plus fertiles parties de la province. Les prunes y
viennent naturellement, et d'une qualité supérieure à celles qu'on recueille
dans les vergers de l'Espagne. La vigne sauvage serpente à terre ou grimpe
au haut des arbres.
Le myrica cerifera viept dans tous les terrains, et en si grande quan-
tité que toute l'Angleterre en pourrait être fournie de cire, s'il y avait assez
de mains pour cueillir les baies. L'extraction de cette denrée est fort simple.
Après avoir écrasé les baies, on les fait bouillir dans l'eau, et on enlève
avec une écumoire la cire, qui est d'une belle couleur verte ; elle peut être
blanchie comme la cire d'abeilles, et sa consistance rend les bougies qu'on
en a faites très-appropriées aux climats chauds. L'indigo et la cochenille
entraient, sous l'administration anglaise, dans les exportations, qui, en
1777, s'élevèrent à la valeur de 1,000,000 de francs.

174
LIVRE CENT HUITIÈME.
Les collines rocheuses qui paraissent former le noyau de la Floride orien-
tale ont présenté des indices de fer, de cuivre, de plomb et de mercure. Les
animaux domestiques de l'Europe ne trouvent pas ici les pâturages con-
venables. L'ours, descendu des monts Alleghanys, supporte très-bien les
chaleurs du climat, et y devient même très-gras. De nombreux essaims
d'oiseaux des contrées septentrionales viennent y passer l'hiver. Dans les
forêts de la Floride, une grande araignée jaune, dont le ventre est plus gros
qu'un œuf de pigeon, suspend ses toiles, semblables à de la soie jaune, et
assez fortes pour arrêter de petits oiseaux dont cet insecte se nourrit. Il y
a aussi une grande variété d'innocents lézards en partie très-beaux, et dont
quelques-uns changent de couleur comme les caméléons.
Dans la partie occidentale que les Espagnols nommaient comté de Feli-
ciana, Pensacola, au fond d'une baie du golfe du Mexique, est une petite
ville peu fortifiée, qui possède un port spacieux, bien abrité contre tous
les vents ; l'entrée en est commandée par un fort construit en briques.
C'est le meilleur port du golfe du Mexique ; c'est aussi l'un des points
militaires les plus importants pour les États-Unis. Le gouvernement y a
fait faire des travaux considérables de fortification et un arsenal pour la
marine. Un beau phare de 26 mètres de hauteur et à feux mobiles indique
aujourd'hui l'entrée du port ; cette ville renferme 6,000 habitants. Le sol,
aride et sablonneux dans cette partie du pays, produit beaucoup de pins
propres à la mâture.
La côte occidentale de la péninsule, plus riante et plus fertile, présente
successivement l'établissement de Saint-Marc d'Apalache, petit port sur
la baie de ce nom, la baie du Saint-Esprit, le golfe de Ponce de Léon, et
le promontoire méridional nommé cap Agi ou pointe Tancha, devant
lequel s'étend au sud-ouest une chaîne d'îlots couverts de hauts palmiers,
de récifs de corail et de bancs de sable très-sujets à changer de position,
et au milieu desquels le navigateur n'ose chercher les chenaux qui abré-
geraient sa route.
Bâti, il y a plusieurs siècles, par les Espagnols, le château de Saint-
Marc, aujourd'hui en ruines, est admirablement situé au confluent de la
rivière du même nom et de celle du Wakulla, qui, ainsi réunies, vont porter
leurs eaux dans le golfe du Mexique.
Le Wakulla, dont le cours n'a que 6 à 7 lieues, est célèbre dans le pays
par la beauté de sa source et par le site pittoresque qui environne celle-ci.
D'épaisses forêts couvrent les sinuosités de ses deux rives; des chênes, des
cèdres, du catalpa, s'y pressent les uns contre les autres, étroitement entre

AMÉRIQUE.—ÉTATS-UNIS, PARTIE ORIENTALE.
175
lacés par des lianes et des vignes sauvages-, d'énormes magnolias et de
gigantesques chênes de vie (quercus virens) s'y font remarquer par l'éclat
de leur feuillage, tandis que, semblables à de sveltes colonnes, les chamæ-
rops et les palmistes se courbent avec grâce sous le poids de leurs pesantes
feuilles digitées. Au milieu d'un vaste bassin ovalaire formé par des mon-
tagnes calcaires, et ombragé par la plus riche végétation, on voit sortir la
source du Wakulla. Elle a environ 100 mètres de largeur et 25 à 30 de
profondeur. A peu de distance de sa source, cette rivière a deux ou trois
fois la largeur de la Seine à Paris.
Les récifs continuent à border la côte orientale de la péninsule, où le
cap des Florides marque la première découverte du pays. Plus au nord, la
Nouvelle-Smyrne ne conserve que son nom pour attester le séjour momen-
tané des Grecs venus de l'île de Minorque pour cultiver ici la vigne. Quel-
ques restes de cette colonie vivent parmi les 5,000 habitants de la petite
ville fortifiée de Saint-Augustin, ancienne capitale de toute la Floride,
munie d'un port d'un accès difficile. Les environs de cette ville contiennent
quelques plantations. De larges bancs d'huîtres, ou plutôt d’avicules, qui
souvent renferment des perles, s'étendent le long de la côte. On y trouve
aussi de l'ambre gris, et, surtout après les vents de mer, une sorte de
bitume que l'on emploie au carénage des vaisseaux, en le mêlant avec du
saindoux. Sa grande consistance, qui l'empêche de fondre facilement au
soleil, le rend même préférable au goudron dans les climats chauds.
Le territoire de la Floride a pour capitale Tallahassee, nouvellement
bâtie, entre l’Ausilly et l’Ocklokonne, et dont la population n'est que de
3,500 individus.
Telle est la Floride, faible digue opposée au courant rapide et continuel
des émigrations américaines. Elle n'y pourra résister à la longue ; elle se
verra bientôt inondée par ces infatigables défricheurs, que les Anglo-Amé-
ricains appellent les first settlers. Cette espèce d'hommes ne saurait se fixer
sur le sol qu'elle a défriché: l'amour, l'amitié, les affections sociales, les
paisibles jouissances, tout cède chez eux à une passion ardente pour un
mieux imaginaire qui constamment se présente à leurs yeux. Le désert les
attire comme avec une force magique. Sous le prétexte de trouver des terres
meilleures, un climat plus sain, une chasse plus abondante, cette race
pousse toujours en avant, se porte constamment vers les points les plus
éloignés de toute population américaine, et s'établit jusqu'au milieu des
peuplades sauvages qu'elle brave, persécute, opprime et extermine ou
chasse devant elle. Souvent ces hommes entreprennent des voyages de plus

176
LIVRE CENT NEUVIÈME.
de 1,000 lieues pour découvrir quelque terrain fertile ; seuls, dans un canot,
ils descendent d'immenses rivières ; ils ne portent pour tout bagage qu'une
couverture, et pour toutes armes qu'une carabine, un tomahawk ou petite
hache d'Indien, deux piéges à castor et un large couteau. Ils vivent pen-
dant ces longues courses du produit de leur chasse. Tels étaient les premiers
colons qui défrichèrent le Kentucky et le Tennessée ; l'habitude d'une vie
errante ne leur a pas permis d'y rester ni de jouir des fruits de leurs tra-
vaux ; ils ont émigré dans des contrées plus éloignées, môme au delà du
Mississippi. Il en est de même de ceux qui habitent aujourd'hui les bords de
l'Ohio. Le même penchant qui les y amena les en éloigne. D'autres colons,
plus portés pour une vie sédentaire, viennent des États atlantiques ; ils pro-
filent des premiers défrichements ; ils ajoutent à la culture du mais, celle du
blé, du tabac et du chanvre ; ils remplacent les loghouses par des maisons
en planches. C'est en suivant cette marche que la civilisation et la culture
ont pénétré au delà du Mississippi, et déjà elles se préparent à remonter
jusqu'aux sources du Missouri.
LIVRE CENT NEUVIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — États-Unis, partie centrale. — Description
topographique et politique.
Nous avons, dans le livre précédent, donné la description des Etats situés
sur le versant de l'océan Atlantique ; passons maintenant les monts Alle-
ghanys, et parcourons rapidement du nord au sud l'immense bassin du
Mississippi.
L'Etat d'Ohio, qui va d'abord nous occuper, a été fondé en 1788 par des
emigrants de la Nouvelle-Angleterre ; il fut admis dans l'Union en 1802.
On porte sa population à 1,977,031 habitants : il est partagé en 73 comtés.
Cet Etat est situé au sud du lac Erié et à l'ouest de la Pennsylvanie. A
partir de Pittsbourg, l’Ohio coule entre deux ridges ou chaînes de hautes
collines. Entre le pied de ces collines et le bord de la rivière, on trouve des
terrains plats cl couverts de bois, appelés en Amérique flat-bottoms ou bien
rivers-bottoms. Le sol de ces terrains est d'une fertilité étonnante ; c'est un
véritable humus végétal produit par la couche épaisse de feuilles dont la
terre se charge tous les ans. Ou remarque sur les bords de l'Ohio, depuis

AMÉRIQUE.—ETATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
177
Pittsbourg, à peine quelques pierres détachées ; ce n'est que quelques.
milles avant Limestone que l'on commence à observer un banc de pierres
calcaires d'une épaisseur assez considérable.
Aucune partie de l'Amérique septentrionale ne peut être comparée à
celle-ci pour la force végétative des forêts. Le platane y parvient quelque-
fois à 12 mètres de circonférence et au delà. Les tulipiers y deviennent éga-
lement très-gros. Les autres arbres des forêts sont le hêtre, le magnolia, le
micocoulier, l'acacia, l'érable à sucre, l'érable rouge, le peuplier noir et
plusieurs espèces de noyers. Les eaux limpides de l'Ohio sont ombragées de
saules que surmontent des érables et des frênes, dominés à leur tour par
des tulipiers et des platanes. Les cerfs et les ours abondent dans les forêts ;
les profits qu'offre la chasse de ces animaux détournent les habitants des
soins de l'agriculture. La culture du maïs, sans être très-soignée, produit
un très-grand bénéfice; car telle est la fertilité des terres, que les tiges
s'élèvent à 3 ou 4 mètres de haut, et que l'on en recueille 25 à 30 quintaux
par acre.
Le pêcher est le seul arbre à fruit que l'on cultive jusqu'à présent dans ce
pays. On ne le soigne en aucune manière, et cependant il pousse avec tant
de vigueur qu'il rapporte dès la troisième année. Dans l'Ohio, on trouve en
abondance une espèce de mullette dont la nacre est fort épaisse et très-belle.
Columbus, jolie ville située vis-à-vis Franklinlon, sur la rive gauche de
du Scioto, affluent de l'Ohio, est la capitale de cet Etat. Elle renferme plu-
sieurs écoles, entre autres une écolepulvérienne de théologie; son port, qui
communique avec le grand canal de l'Ohio à l'Erié, en fait le centre d'un
commerce actif : elle a aujourd'hui 18,000 habitants.
C'est l'industrieuse Cincinnati qui est la principale ville. Elle n'existait
pas en 1789 : ce n'était alors qu'un groupe de petites chaumières. Cette belle
cité se déploie majestueusement en amphithéâtre sur la droite de l'Ohio,
vis-à-vis de Newport et de l'embouchure du Licking, dont le cours paisible
occupe ici un quart de lieue de largeur. Son sol est un plateau élevé, qui ne
met pas toujours les habitants à l'abri des crues énormes que présente sou-
vent la rivière. Ainsi, en février 1832, l'Ohio monta à environ 22 mètres
au-dessus du niveau des basses eaux, et pendant plusieurs jours on alla en
bateau à vapeur dans quelques rues de Cincinnati. La population de cette
ville, qui n'était, en 1810, que de 2,500 habitants, monte aujourd'hui
à 116,108. On y trouve des habitants de toutes les nations de l'Europe,
principalement des Irlandais, des Allemands et des Français de l'ancienne
province d'Alsace. Le fond de la population sort de la partie des Etats-Unis
V.
23

178
LIVRE CENT NEUVIÈME.
connue sous le nom de la Nouvelle-Angleterre. On y reconnaît les heureux
résultats de cet esprit d'ordre et d'économie, et de cette industrie infatigable
qui distinguent les colons de cette contrée de l'Amérique. C'est à ces qua-
lités que Cincinnati doit ses progrès rapides et sa prospérité. Pour faire de
leur ville une cité importante, un grand centre de fabrication, les habitants
n'avaient ni les avantages qu'offrent à ceux de Pittsbourg de riches mines
de fer et de houille, ni la position avantageuse de Louisville, bâtie aux chutes
de l'Ohio, là où commence la grande navigation à vapeur sur cet important
cours d'eau. Ils n'avaient que leur amour du travail et leur persévérance, et
cependant ils ont si bien réussi que leur ville est deux fois plus peuplée que
Louisville et plus considérable que Pittsbourg. Ils ont voulu que Cincinnati
devînt le centre du commerce des régions de l'ouest, et, pour parvenir à ce
but, ils ont borné leur industrie à la fabrication d'une foule de petits objets
secondaires qui servent à la consommation des habitants des pays occiden-
taux, et c'est dans leur ville que ces populations s'approvisionnent. Ainsi,
à part les salaisons, qui s'opèrent annuellement sur 150,000 porcs, Cincin-
nati ne fabrique que des ustensiles de ménage, des instruments agricoles,
de l'horlogerie, du charronnage, de la quincaillerie, du savon, de la chan-
delle et du papier, objets de première nécessité pour les populations agri-
coles de l'ouest; les manufactures de machines sont fort importantes, et
c'est un des grands centres de construction de bateaux à vapeur de l'Union.
C'est également à Cincinnati que l'on fond l'immense quantité de caractères
d'imprimerie destinés à alimenter les presses d'où sort la grande quantité
de journaux qui s'impriment dans l'ouest. Cette ville fournit aussi à la
même population une foule de livres à bon marché, mais dont la consom-
mation est considérable : c'est à-dire livres d'église et livres d'écoles. La
valeur des exportations annuelles de cette commerçante et industrieuse cité
ne s'élève pas à moins de 40 ou 50 millions de francs.
On conçoit, d'après ces résultats, que Cincinnati soit une ville où l'amour
du travail est tellement répandu, et le goût du luxe et de la dissipation tel-
lement en horreur, que quiconque n'est pas déterminé à y vivre eh s'occu-
pant utilement et en dépensant le moins possible, y mènerait une vie à
charge aux autres et à lui-même. Cincinnati est la résidence d'un évêque
catholique et d'un évêque méthodiste : elle possède plusieurs séminaires.
On y remarque plusieurs belles places et quelques grands édilices, tels que
le principal marché, la maison de justice, le collège de médecine, l'hôpital
du commerce et la maison des aliénés. On y public aujourd'hui une ving-
taine de journaux.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
179
Cette ville est bâtie avec beaucoup de régularité. Ses maisons, générale-
ment en briques, sont presque toutes à deux étages, et régulièrement ali-
gnées le long de rues fort bien pavées et larges d'environ 20 mètres. Çà et
là l'uniformité de ces constructions est interrompue par des édifices d'appa-
rence plus monumentale, c'est-à dire par des maisons en pierre de taille,
qui appartiennent aux négociants les plus aisés. Ailleurs ce sont des écoles,
vastes bâtiments carrés portant en lettres d'or le nom du quartier auquel
elles appartiennent-, ou bien quelques hôtels qui ressemblent à des palais,
mais où l'on ne trouve point une hospitalité princière. Les églises et les
temples sont petits et sans aucun luxe de sculptures ni de peintures; mais
ils sont bien clos, garnis de tapis épais et munis de calorifères qui garan-
tissent du froid les fidèles, pendant les longs offices du dimanche.
Cincinnati possède plusieurs établissements d'instruction publique fort
estimés ; nous citerons : le Cincinnati-Collége et le Woodward-Collége,
des musées, des bibliothèques publiques; c'est en un mot, après la Nou-
velle-Orléans, la ville la plus florissante et la plus-importante des Etats de
l'ouest.
Chillcothe était autrefois la ville principale de cet Etat. Elle renferme
4 à 5,000 habitants. On y voit encore quelques-unes de ces habitations
primitives des pionniers appelées loghouses, sortes de cabanes en troncs
d'arbres, sans fenêtres, et si petites, que deux lits en occupent une grande
partie. Deux hommes élèvent et terminent en moins de trois jours une de
ces constructions chétives.
Elle est sur la rive orientale du Scioto, à 72 kilomètres au sud de Colom-
bus, et fait un commerce assez actif. Dans ses environs, on trouve les
restes d'une ancienne fortification en terre, attribuée aux anciennes popu-
lations indigènes.
Nous citerons encore parmi les autres villes six des plus importantes :
Zanesville, peuplée de 5,000 âmes et bien bâtie, sur la rive gauche du
Muskingum ; elle possède de nombreux moulins à farine, des papeteries,
des scieries hydrauliques, des fonderies de fer et des manufactures de
coton ; on exploite dans ses environs une grande quantité de sel par le
moyen de puits; Steubenville, à peu près de la même population, est rem-
plie de fabriques; Cleveland, sur le lac Érié, avec 17,600 habitants; et
Porstmouth, sur l'Ohio, aux deux extrémités du canal de l'Ohio; Dayton,
sur le Miami, à l'endroit où aboutit le canal qui part du Cincinnati ; et
Marietta, sur l'Ohio, célèbre par les antiquités que l'on rencontre dans
ses environs.

180
LIVRE CENT NEUVIÈME.
La partie septentrionale de l'État d'Ohio, bordée par le lac Érié, porte
le nom particulier de Nouveau-Conneclicut; elle a été peuplée dans l'ori-
gine par des émigrés de l'ancien État de ce nom ; et ses colons, actifs,
sobres et religieux, y ont créé de riantes bourgades qui, aujourd'hui, se
placent au rang des villes.
Un ancien peuple civilisé et belliqueux a dû habiter ces régions dans un
temps antérieur à l'histoire-, on découvre continuellement des camps retran-
chés ou plutôt des forts, des restes de forges, et des ruines de villes con-
struites en pierres et sur un plan régulier. Du milieu de ces vieux murs, on
voit s'élever des arbres dont la grosseur atteste un âge de plusieurs siècles.
Mais nous ne nous arrêterons pas ici sur ces restes antiques ; nous leur
consacrerons plus loin un article spécial, dans lequel nous examinerons
tout ce que l'on connaît dans ce genre sur le territoire des États-Unis.
A côté de ces monuments de l'homme, on rencontre ceux de la nature;
des ossements fossiles nous apprennent ici l'existence d'animaux inconnus.
M. Peales, directeur du muséum d'histoire naturelle de Philadelphie, est
parvenu, avec beaucoup de soin et de dépenses, à réunir un squelette
fossile complet du grand quadrupède que le savant Cuvier a nommé
mastodonte. Ce squelette a été trouvé près des grandes salines, à 500 milles
au-dessus de Pittsbourg, et à 3 milles à l'est de l'Ohio. II était enseveli avec
beaucoup d'autres ossements, surtout de buffles et de daims, dans un sol
calcaire, principalement composé de détritus de coquilles, et couvert d'eau
même pendant les saisons les plus sèches. Ce quadrupède se rapproche de
l'éléphant par ses longues défenses, par la forme de ses pieds et même par
la trompe dont sa tête devait être armée, et il n'en diffère que par ses dents
qui, au lieu d'être formées de lames transversales, ont une couronne simple
hérissée de mamelons ou de tubercules plus ou moins nombreux, plus ou
moins saillants : de là le nom de mastodonte qui lui a été donné1. Rien dans
la forme de ses pieds et de ses dents n'annonce qu'il pouvait être carni-
vore ; mais l'analogie que son système dentaire offre avec celui du cochon
et de l'hippopotame prouve, suivant notre célèbre anatomiste, qu'il devait
se nourrir de végétaux tendres, de racines et de plantes aquatiques.
L’État de Michigan est situé au nord-nord-ouest du précédent-, il doit
son nom au lac qui le limite à l'ouest ; son territoire se compose de deux
presqu'îles distinctes : l'une formée par le lac Supérieur au nord, le lac
Michigan à l'est, et le cours de la rivière Monomanie, affluent de ce der-
nier, au sud; elle est peu connue, et se compose du pays appelé Michilli-
1 Du grec μχ7τ>ί$ petite eminence; ttmt dent.

AMÉRIQUE.—ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
181
mackinau, en partie couvert de forêts impénétrables; l'autre située à
l'ouest du lac Michigan, tenant par le sud à la terre ferme, et entourée par
le lac Michigan à l'ouest, le lac Huron, la rivière Saint-Clair, le lac Saint-
Clair et le lac Érie au nord et à l'est. Le centre de cette dernière presqu'île
consiste en un vaste plateau élevé à peine ondulé. Le sol de cet État, qui
est arrosé par le Grand-Hiver, le Saint-Joseph et la Saginaw, est assez
fertile ; il est en grande partie couvert de vastes forêts. Son climat est plus
doux que celui des États de l'est, situés sous le même parallèle, cependant
les hivers y sont longs et quelquefois rigoureux. C'était autrefois un terri-
toire habité par les Hurons ; les Français s'y établirent en 1670; devenu
territoire anglais en 1805, il fut admis, dans l'Union en 1836 ; sa popula-
tion est de 395,703 habitants. L'État de Michigan' est divisé en 32 comtés.
Détroit, la ville la plus importante de l'État, est à 620 kilomètres au
nord-ouest de Washington, sur la rivière de son nom, qui unit les lacs
Érié, de Saint-Clair et Huron. Sa population, presque toute d'origine fran-
çaise, monte à 21,057 âmes. Elle est le siége d'un évêché catholique ; on
y voit le collége de Saint-Philippe ; elle possède plusieurs usines à 1er et à
cuivre, et son port est le centre d'un commerce important avec le Canada.
C'est le quartier général du second département militaire de l'Union ; on
admire son arsenal et ses belles casernes.
La petite ville de Lansing, sur la Grande-Rivière, est aujourd'hui la
capitale de l'État. Nous citerons encore New-Buffalo, sur le lac Michigan ;
Adrian, Pontiac, et, dans la presqu'île de Michillimackinau, Machinait,
sur l'île de ce nom. Cette petite ville, située au point de jonction des lacs
Huron et Michigan, est défendue par deux forts bâtis sur des rochers
escarpés; elle est, durant la belle saison, le rendez-vous d'un grand
nombre d'Indiens Chipeouays et Ottawas, et de marchands de fourrures.
Le fort Gratiot, sur la rivière Saint-Clair, défend l'entrée du lac Huron.
L'État de Michigan est riche en mines de plomb, de cuivre, de houille
et de fer, ces dernières alimentent des hauts fourneaux.
L'État de Wisconsin1 est situé à l'ouest du précédent, sur la rive occi-
dentale du lac Michigan, et au sud du lac Supérieur qui le baigne en partie
au nord ; il fut d'abord organisé comme territoire en 1836, et admis dans
1 Nous avons emprunté les détails qui vont suivre sur les états de Wisconsin,
d’Iowa, de Texas, et les territoires de Minesota, de Missouri, Indien, et du Nou-
veau-Mexique, au consciencieux travail de notre savant ami et collègue M. de La
Roquette
à publié au Bulletin de la Société de géographie, d'octobre et novembre 1851,
sous le titre : Nouveaux-États et territoires des États-Unis de l'Amérique septentrionale.
V. A. M-B.

182
LIVRE CENT NEUVIÈME.
l'Union en 1848. Sa population est de 304,226 individus-, il est partagé
en 22 comtés.
Le Wisconsin est traversé, dans sa partie centrale, par la chaîne du
Porc-Épic (Porcupine-Range), dont quelques-uns des sommets atteignent
800 mètres d'élévation. Dans sa partie méridionale, le long du Mississippi
qui le limite à l'ouest, la contrée est entrecoupée de collines et de vastes
prairies qui offrent de beaux pâturages. Cet État est arrosé par un grand
nombre de rivières; la plus considérable est le Mississippi, ce roi des
fleuves du Nouveau-Monde, qui en baigne la frontière occidentale, et a
pour principaux affluents : le Wisconsin, d'où l'État tire son nom, et qui
prend sa source dans le voisinage d'un groupe de petits lacs : c'est l'un
des plus importants tributaires du Mississippi, dans lequel il se jette, près
de Prairie du Chien, après un cours d'environ 180 lieues, souvent obstrué
par des bas-fonds et des barres, excepté dans les hautes eaux ; la rivière de
Rock, qui naît dans le Wisconsin, et traverse ensuite l'État d'Illinois ; le
Chipewa, la rivière Fox ou du Renard, etc. Presque toutes ces rivières
sont navigables, mais leur navigation est fréquemment interrompue par
des rapides.. On trouve aussi dans la partie septentrionale de cet État un
grand nombre de petits lacs et de marais ou étangs très-poissonneux ; le
principal est le Winebago, entre Fond du Lac et la rivière Fox, qui a
9 lieues de long sur 4 de large.
Le riz sauvage est commun dans le Wisconsin, dont les prairies sont
couvertes de hautes herbes. La majeure partie du pays est couverte par
d'épaisses forêts de chênes, d'érables, de noyers, etc.; le sapin blanc croît
dans le nord. La partie sud-ouest , jusqu'aux États d'IUinois et d’Iowa,
est extraordinairement riche en minéraux, parmi lesquels on distingue le
plomb, le cuivre et le fer.
L'ours, l'élan, le daim, et de petits quadrupèdes figurent en grand
nombre parmi les animaux de l'État de Wisconsin. Le climat ressemble
assez à celui du Michigan.
Tout, dans cet État, est encore dans l'enfance ; mais les arts utiles s'y
développent avec une étonnante rapidité. On y élève beaucoup de bétail,
et on y fait de riches récoltes de grains. On a récemment commencé d'éta-
blir, dans cette partie des États-Unis, des manufactures dont la diversité
et le nombre augmentent journellement.
Quant au commerce, il consiste principalement en exportation des pro-
duits du pays, qui sont importants, si l'on considère le récent établisse-
ment de l'État.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
183
Milwaukee, sur la côte occidentale du lac Michigan, entre Chicago et
Green-Bay est la ville la plus remarquable de l'État ; sa population est de
20,000 habitants. Elle a des relations importantes avec Chicago et Michi-
gan, au moyen de bateaux à vapeur, et communique, a partir de ces deux
points, par des chemins de fer et des canaux, avec les villes orientales de
l'Union.
Madison, capitale de l'État, dans le voisinage de plusieurs beaux lacs,
n'est encore qu'une modeste bourgade, mais elle ne peut manquer de
s'accroître rapidement.
Prairie du Chien, petite ville de 2,500 habitants, visitée par les bateaux
à vapeur qui remontent le Mississippi lorsque les eaux sont hautes, fait
un commerce assez important dans le Wisconsin. Les autres villes de 1 État
de Wisconsin sont : De Pere ou Green Bay, qui a 3,000 habitants ; Lan-
caster et Mineral-Point, qui en ont 5,000 ; et Bacine, qui en compte 400.
Le transport des bois a pris une grande extension : c'est surtout le sapin,
le chêne noir et l'érable qu'on exporte par le lac Michigan et le Mississippi.
Un petit nombre d'habitants s'adonnent spécialement à la chasse des ani-
maux à fourrures.
Il n'existe encore ni canaux, ni chemins de fer dans ce nouvel État,
dont les habitants se composent en majeure partie de colons venus des
autres parties de la Confédération et d'émigrants étrangers; mais on a
créé plusieurs établissements d'instruction publique. Presque tout le pays
au nord des rivières Fox et Wisconsin est occupé par les Chippewas, les
Winnebagoes, les Menomonees, et par d'autres tribus indiennes, qui vivent
plus spécialement de la chasse des buffles et autres animaux sauvages.
Le territoire de Minesota est à l'ouest du précédent; il a été organisé en
1848 : il porte le nom d'une de ses rivières. Sa population blanche est de
6,192 habitants; on ne peut évaluer d'une manière certaine le nombre des
Indiens.
Ce territoire embrasse la contrée bornée au nord par les possessions
anglaises ; à l'ouest, par le Missouri ; au sud et à l'est, par les États d’Iowa
et de Wisconsin. Ce qui le distingue plus particulièrement, c'est une mul-
titude de petits lacs et les vastes prairies du Mississippi et de la Rivière
Rouge du Nord, dans lesquelles on ne voit ni arbres, ni arbrisseaux, mais
seulement une surabondance d'herbes sauvages, présentant, d'avril à octo-
bre, un magnifique parterre de fleurs aux mille formes et de toutes couleurs.
Le Minesota n'a pas de montagnes ; on y trouve cependant plusieurs élé-
vations d'une médiocre hauteur, appelées Mounds, et il est arrosé par un

184
LIVRE CENT NEUVIEME.
grand nombre de cours d'eau généralement bordés par de charmantes
vallées. Les plus considérables sont le Mississippi et la Rivière Bouge du
Nord, qui prennent tous deux leur source dans le territoire, à peu de
distance l'un de l'autre, le premier dans le petit lac d'Itasca, pour couler
ensuite dans des directions opposées.
Après un cours d'environ 360 lieues, le Mississippi sort du territoire de
Minesota par son extrémité sud-est. Ce fleuve immense n'a à sa sortie du
lac Itasca qu'une largeur de 5 mètres, et une profondeur de 35 centimètres ;
ses eaux sont transparentes et son courant rapide. A partir de ce point, il
arrive, après une route sinueuse de 300 lieues, aux chutes de Saint-Antoine,
au-dessous desquelles il est navigable pour des bateaux à vapeur jusqu'au
golfe du Mexique, c'est-à-dire pendant plus de 800 lieues. Le Mississippi,
pendant une distance de 80 lieues au nord de l'embouchure de la rivière
Sainte-Croix, forme mille méandres à travers une riche vallée couverte de
prairies et de bois de chênes; ses bords, au-dessus des chutes de Saint-
Antoine, ont de 3 ù 10 mètres d'élévation ; ses eaux coulent sur un lit de
gravier, et il reçoit d'innombrables affluents. Comme le Mississippi, la
Rivière Rouge du Nord tire son origine d'un petit lac, et va se rendre dans
la baie d’Hudson. Le Minesota, qui donne son nom au nouveau territoire,
et qu'on appelle aussi Rivière de Saint-Pierre, vient de la région des lacs,
près de Coteau des Prairies. Après un cours de 185 lieues, il entre dans le
Mississippi, 3 lieues environ au-dessous des chutes de Saint-Antoine.
Cette rivière et la Rivière au Jacques, qui coule à travers une jolie vallée,
appartiennent toutes les deux aux affluents de la rive gauche du Missouri.
Les principaux lacs du Minesota, dont un quart de la superficie est par-
semée de petits lacs d'une eau limpide, sont : le Lac Itasca d'où sort le
Mississippi, le Lac Rouge, qui a 40 lieues de circonférence, et le Lac Leach,
qui en a 20.
Nous avons déjà dit que les prairies étaient couvertes d'herbes sauvages
et de fleurs. Les forêts sont formées de bois à feuilles non persistantes et
élevés. Le long des bords septentrionaux du Mississippi existe une forêt de
pins d'une grande étendue, appelée la Pinery.
Le buffle rôde en troupeaux sur une grande partie du territoire, et l'élan,
le daim, le castor, le coq d'Inde, et les oiseaux aquatiques, y abondent. Les
rivières sont très-poissonneuses, surtout en poisson blanc.
Le climat, peu variable, est doux pour la latitude, et le sol, généralement
bon, est extraordinairement fertile dans les vallées de Saint-Pierre et de
Saint-Jacques.

AMÉRIQUE — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
185
Le territoire de Minesota offre une agréable variété de plaines basses et
élevées, sans montagnes et même sans collines importantes, de vallées, de
cours d'eau, de forêts ondoyantes et de prairies.
Le nombre des habitants blancs, consistant en émigrants des autres
États, occupant principalement la région de Saint-Paul, siége du gouver-
nement territorial, ne s'élevait guère en 1850 à plus de 6 à 7,000. La plus
grande partie du Minesota est occupée par des Indiens. La tribu principale
et la plus puissante des États-Unis est celle des Dahcotah ou Sioux;
répandus sur tout le pays qui s'étend du Mississippi septentrional au Mis-
souri, ils parcourent même le territoire à l'ouest des montagnes Rocheuses,
conservant, à un haut degré, les habitudes des Indiens, quoiqu'ils fassent
usage maintenant de chevaux, de fusils, de couvertures et de couteaux
d'acier. On suppose que leur nombre est de 30,000. Ils vivent de la pêche
et de la chasse, et montés sur leurs chevaux, ils attaquent le bison avec un
courage et une dextérité étonnants. Outre les Sioux, il y a encore quelques
autres tribus : celle des Chipewas habite dans le nord et sur le Mississippi.
Les établissements fondés dans tout ce territoire n'ont encore qu'une
faible importance : ce sont le Fort Snelling, au-dessus du confluent du
Mississippi et de la rivière Saint-Pierre, destiné à protéger la frontière des
États-Uniscontre les incursions des Indiens; et Saint-Paul, capitale, entre
le fort Snelling et le lac Pepin.
Cette contrée fut visitée d'abord par les Français, qui donnèrent à diffé-
rents endroits des noms, tels que Coteau des Prairies, Coteau des Bois, etc.,
qu'ils ont conservés.
Le vaste territoire de Missouri ou de Nébraska doit son nom à une rivière
affluent du Missouri, que l'on nomme aussi rivière Plate. Il est situé à
l'ouest du précédent, et comme lui il limite les possessions anglaises de
l'Amérique du nord; il n'a pas été jusqu'à présent organisé, et la plus
grande partie des contrées qui le composent n'a jamais été explorée par les
Européens. Les montagnes Rocheuses, qui en forment la frontière occi-
dentale, ont au pic de Frémont (Fremont's-Peak), une élévation de
4,500 mètres, et sont couvertes de neige perpétuelle. C'est au sud de ce
pic que se trouve la Passe du Sud (South-Pass), par laquelle les émigrants
traversent les montagnes Rocheuses, pour se rendre dans les contrées
situées sur l'océan Pacifique. Les montagnes Noires (Black-Hills), qui
commencent au territoire indien, situé au sud de celui qui nous occupe,
courent au nord jusqu'au fort Laramie; de là, changeant de direction, elles
se dirigent au nord-est, et s'étendent à travers presque la totalité du terri-
V.
24

186
LIVRE CENT NEUVIEME.
toirc de Nebraska, qu'elles viennent séparer à l'est de celui de Missouri. Le
territoire du Missouri consiste en vastes prairies, ayant souvent des cen-
taines de milles d'étendue. Les cours d'eau qui l'arrosent sont ordinairement
bordés de bouquets d'arbres. Le sol est généralement léger ; on voit en quel-
ques endroits des plaines sablonneuses, et en d'autres des traces évidentes
de l'action volcanique. Ces plaines fournissent l'herbe nécessaire aux im-
menses troupeaux de bisons, de daims et d'antilopes, qui les parcourent.
Parmi les rivières qui l'arrosent, nous citerons le Missouri, lequel, réuni
au Mississippi, a un cours de près de 1,800 lieues : c'est incontestablement
le plus grand fleuve du monde
Le cours du Missouri est très-sinueux, rempli d'îles, de bancs de sable,
de barres, de bas-fonds, et change continuellement de lit, parce que ses
rives sont constamment minées. Le courant est rapide et la navigation
difficile. Cependant il est dans sa partie inférieure couvert de bateaux à
vapeur, qui, dans la saison des hautes eaux, peuvent remonter jusqu'à la
rivière de la Pierre-Jaune {Yellow-Stone). La longueur du Missouri,
depuis sa source jusqu'à sa jonction avec le Mississippi, est de 4,987 kilo-
mètres, en y comprenant les détours. La rivière de la Pierre-Jaune sort de
de la montagne de la Wind-Rivet, détachée de la grande chaîne des mon-
tagnes Rocheuses; son cours supérieur est rapide ; mais à 480 kilomètres
avant sa jonction avec le Mississippi, c'est un courant paisible, traversant
une charmante et fertile vallée : toute cette portion de la rivière a été
remontée par des bateaux à vapeur. Un grand nombre de cours d'eau des- .
cendent des montagnes Noires, pour venir affluer dans le Mississippi.
La Nebraska, ou rivière Plate, est formée par deux branches : l'une
septentrionale, l'autre méridionale, qui naissent au pied du Long’s-Peak,
au revers oriental des deux plateaux de Old-Park et de South-Park; après
leur réunion, elle poursuit son cours en se dirigeant à l'est jusqu'au Mis-
souri. Du fort Laramie au Missouri, la distance est de 1,126 kilomètres :
on essaya en 1842 de descendre la rivière en bateau à partir de ce point;
mais on fut arrêté par des bas-fonds et des barres de sable.
Les bisons, que l'on voit quelquefois en grandes troupes dans les
montagnes Rocheuses, errent dans les grandes prairies de ce territoire,
couvert de lacs de peu d'étendue. A la moindre alerte, ils se précipitent
avec une impétuosité irrésistible, remplissent l'air de leurs mugissements
et font trembler au loin le sol. Malheur alors au chasseur qui se trouve
surpris par cette avalanche vivante, son cheval et lui sont renversés, et
tous deux périssent foulés aux pieds. Des troupes de loups des prairies se

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
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tiennent toujours sur les flancs de ces immenses troupeaux, attendant un
moment favorable pour attaquer ceux qui, atteints d'un plomb meurtrier,
sont forcés de rester en arrière. Quoique déjà blessé, le buffle se défend seul
avec courage contre ces féroces ennemis, et jamais il ne succombe qu'a-
près une résistance longue et désespérée, qui coûte ordinairement la vie à
plusieurs d'entre eux. Les chasseurs indiens font une guerre incessante au
bison, pour en obtenir la chair et la peau : c'est à cheval qu'ils l'attaquent
ordinairement, tantôt armés de fusils, et quelquefois avec l'arc et les flèches.
L'élan et le daim abondent aussi dans les prairies-, on trouve encore près
des montagnes Rocheuses de petits troupeaux d'antilopes au pied léger,
ainsi que le terrible ours gris, particulier à ces régions occidentales. Sur
les montagnes vivent des troupeaux de chèvres et de moutons sauvages,
lesquels, ainsi que les autres quadrupèdes qu'on vient de mentionner, sont
indigènes. Les eaux en plusieurs endroits sont couvertes d'oiseaux aqua-
tiques, parmi lesquels nous comprenons l'oie, le cygne et le pélican. Les
plaines sont fréquentées par des pies, ressemblant parfaitement à celle
d'Europe, et qui ne se rencontrent dans aucune autre partie de l'Amérique.
Ce territoire est possédé par les Indiens ; cependant un petit nombre de
chasseurs, en relation avec des Compagnies qui font le commerce de four-
rures, y ont des forts ou des stations ·, et on y trouve aussi d'autres indi-
vidus de la race blanche, dont la chasse est la seule profession, et qui
restent fréquemment éloignés pendant plusieurs années de la société civi-
lisée. Le fort Laramie (La Ramée) est un poste des États-Unis, près de la
chaîne des montagnes Noires. Les plus importantes des tribus indiennes de
ce territoire sont les Pawnees (Paunies), occupant, à l'extrémité sud-est,
les deux rives de la Nebraska ·, les Puncas et les Omahas, vivant, au nord,
sur le Missouri ; les Kites, près des sources de la rivière Rlanche ( Withe-
River) ; les Shiennes, sur la rivière de ce nom ; les Ricaras, les Minnetarees,
et les Assiniboines, au nord, sur le Missouri, et enfin les Crows et les Pieds-
Noirs (Black-Feel), à l'extrémité nord-ouest du territoire. L'intéressante
tribu des Mandans est maintenant éteinte. La majeure partie des Indiens
conserve ses habitudes sauvages originelles; mais ils font usage de che-
vaux, de fusils, de couteaux d'acier et de couvertures, qu'ils échangent avec
les blancs contre les produits de leur chasse. Ils ont des villages qu'ils habi-
tent l'été-, ils cultivent le maïs et un petit nombre de végétaux, mais dans
l'automne ils campent sous la lente là où les a conduits leur chasse, et ils
n'ont avec les blancs d'autres communications que celles que leur imposent
leurs besoins fort retreints. Ils échangent des peaux, des fourrures, de lu

188
LIVRE CENT NEUVIÈME.
corne et des cuirs, contre de la poudre, du plomb, et quelques objets de pre-
mière nécessité. Leurs différentes tribus sont souvent en guerre entre elles.
Λ l'est du territoire de Missouri ou Nebraska, et au sud de celui de Mine-
sota, que nous venons de décrire, s'étend l'Etat d’Iowa, ainsi appelé de
la rivière qui l'arrose. 11 faisait autrefois partie de la Louisiane ; en 1832,
il reçut quelques émigrants des Etats du nord et de l'est; il se sépara du
Wisconsin,auquel il était précédemment uni, etdevint un territoire en 1838 ;
enfin, en 1846, il fut admis comme Etat au sein de l'Union. Sa population
est de 192,122 habitants : il est partagé en 40 comtés.
L'Etat d'Iowa s'étend entre les deux grands fleuves de Missouri et de
Mississippi; il possède un sol fertile, un beau climat et de nombreuses
mines. On n'y trouve point, à proprement parler, de montagnes, mais seu-
lement quelques collines et des ondulations de terrain ; les trois quarts de
l'Etat sont occupés par des prairies couvertes d'herbes sauvages très-
épaisses, au milieu desquelles errent de grandes troupes de bisons.
La rivière des Moines, qui prend sa source dans un groupe de lacs, près
du 44e degré de latitude nord, baigne la partie centrale de cet Etat, et,
après un cours peu prolongé, se jette dans le Mississippi, au pied des
rapides des Moines, qui forment une partie de la frontière du sud-est. Sa
longueur est d'environ 640 kilomètres; elle peut, avec de très-faibles amé-
liorations , être rendue navigable l'espace de 400 kilomètres. Les autres
tributaires du Mississippi qui traversent l'Iowa sont : le Chacagua ou
Skunk River; Vlowa, qui aune longueur de 480 kilomètres et est navigable
jusqu'à la ville du même nom; le Wapsipinecon, le Makoqueta, le Penaca
ou Turkey et Vlowa supérieur. Les principaux cours d'eau qui se rendent
dans le Missouri sont: le Chariton, le grand et le petit Plate, le Nodaway et
le Nishnebottona. Le petit Sioux prend sa source dans le lac Spirit, et coule
entièrement dans l'Etat, ainsi que tes Floyd's, Boger's et Five-Barrel Creek-
On voit, au nord de l'Etat d'Iowa, un grand nombre de petits lacs, dont
le plus considérable est le lac Spirit (de l'Esprit), d’environ 32 kilomètres
de long.
Les forêts de cet Etat renferment les différentes espèces d'arbres com-
munes à cette région ; ils s'élèvent à une grande hauteur. Ces forêts servent
de retraite aux ours, aux panthères, aux loups, aux renards et aux daims :
les pommiers sauvages, les pruniers, les fraisiers et les vignes sont indi-
gènes et très-multipliés.
Une portion de l'Iowa est extrêmement riche en minéraux ; la grande
région de mines de plomb du nord de l'Illinois et du midi du Wisconsin

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
189
traverse le Mississippi et occupe dans l'Iowa près de 7,572 kilomètres car-
rés. Elle s'étend le long de la petite rivière Makoqueta, environ 20 kilo-
mètres de l'est à l'ouest, se prolonge à une distance considérable au sud, et
plus encore au nord, le long du Mississippi. Les minerais de zinc et de fer
abondent aussi dans cette région, ainsi que la pierre à chaux et le beau
marbre. La ville de Dubuque, qui compte près de 4,000 habitants, au nord-
est de celle d'Iowa, est le centre de la région minérale.
Le climat est sain, à l'exception de quelques terres basses le long des
rivières. Les cours d'eau étant rapides, leurs bords sont plus salubres que
dans d'autres parties de la région de l'ouest. La température est plus élevée
que celle que l'on trouve à la même latitude dans les Etats de l'est.
Dans les bas-fonds et dans les prairies, le terrain est généralement bon,
et consiste en un sol profond et noir; dans les prairies, il est mêlé avec de
la marne sablonneuse et quelquefois avec de l'argile rouge et du gravier. Il
est très-favorable aux grains, aux légumes et aux fruits.
L'industrie de cet Etat est encore peu développée; cependant on y compte
déjà plusieurs manufactures, des usines, ainsi que des moulins à farine et
des tanneries.
Le commerce se réduit à l'exportation des produits, qui sont transportés
en majeure partie par le Mississippi. Les marchandises étrangères arrivent
par le chemin de fer de Chicago à Galena et de là à Dubuque. Le plomb est
envoyé par celte route aux Etats sur l'océan Atlantique, aussi bien qu'en
descendant le Mississippi.
Cet Etat est trop nouveau pour posséder encore des canaux et des che-
mins de fer ; mais les améliorations intérieures de l’Illinois et des Etats
plus à l'est fournissent à l'Iowa des communications aisées avec les pays sur
l'Atlantique.
C'est plus spécialement dans le sud-ouest qu'ont été formés les établisse-
ments ; là se sont fixés les émigrants des autres Etats et un grand nombre
d'étrangers. Les Sioux, les Sacs, les Renards et autres Indiens sont aujour-
d'hui peu nombreux ; ils occupent le nord-est de l'Iowa. Ils tirent leur sub-
sistance principalement de la chasse et de la pêche, et apportent une grande
quantité de fourrures au marché. La chair de bison est leur nourriture
favorite, et celle du chien leur paraît d'une grande délicatesse. C'est dans
cet Etat, sur la rivière des Moines, que résidait le célèbre Black-Hawk,
chef des Sacs et des Renards, mort en 1838, après avoir fait une guerre
acharnée aux Américains et répandu la terreur parmi les colons. Il y a une
université à Mount-Pleasent, petite ville de 5,000 âmes, et on a fondé plu-

190
LIVRE CENT NEUVIÈME.
sieurs académies et de nombreuses écoles primaires ; Burlington, sur le
Mississippi, fait un grand commerce de fourrures, de grains et de bois, qui
descendent jusqu'à la Nouvelle Orléans; Iowa, qui n'a guère plus de
2,000 habitants, sur les bords de l'Iowa, est la capitale de l'Etat; peut-être
cependant cédera-t-elle, dans un avenir prochain, cet avantage à la petite
ville de Monroé, située au nord-est dans une position plus avantageuse, au
centre de l'Etat; Dubuque est le centre de la région minière; Fort-Madi-
son, près de la frontière sud-ouest de l'Etat, sur la rive droite du Mississippi,
est la ville la plus peuplée de cet Etat : on lui accorde 7,000 habitants;
Bloomington, Davenport et Salem sont des places qui acquièrent chaque
jour plus d'importance.
La nation des Illinois donne son nom à un État situé entre celui d'In-
diana et le cours du Mississippi. L'État d'Illinois fut d'abord colonisé par
des Français qui s'établirent dans la vallée de Kaskaskia ; en 4809, il fut
érigé en territoire organisé, et, en 1818, il fut admis comme État dans
l'Union. Sa population est de 858,298 habitants; il est partagé en 66
comtés. Le pays est peu montagneux ; la température y est douce ; le sol
y est fertile. On y récolte en grande quantité du maïs et du blé, du chanvre
et du lin, du tabac excellent, du houblon et de l'indigo ; la vigne sauvage
y donne même un vin potable. Les bords de la Wabash, quoique malsains
sur une longueur d'environ 30 lieues, offrent de belles prairies et de magni-
fiques forêts. La superficie du territoire de cet État est évaluée à 6,700
lieues ; on estime que les prairies situées vers le centre et le nord en occu-
pent à peu près le quart.
L'État d'Illinois ne renferme encore que des villes peu importantes.
Vandalia, sur la Kaskaia, est une jolie petite ville qui compte environ
2,500 habitants. On y trouve cependant une société savante qui prend
le titre de Historical society of Illinois. Shawaneetown est importante
par les salines qu'on y exploite, et qui produisent annuellement plus de
300,000 boisseaux de sel. Elles donnent le nom de Saline à une petite
rivière qui se jette dans l'Ohio. Springfield, avec 3,000 habitants, est
aujourd'hui la capitale de l'État ; celle ville est à 1,050 kilomètres à l'ouest
de Washington. Chicago, à l'extrémité du lac Michigan, est la ville la plus
importante de l'État par son commerce et sa population, qui est de 28,269
âmes. Galéna doit sa prospérité aux mines de plomb de son voisinage.
Nauvo, sur la rive gauche du Mississippi, fondée par les mormons, pos-
sède un temple magnifique élevé par ces nouveaux sectaires, on y comp-
tait naguère 10,000 habitants, avant qu'ils eussent été forcés d'émigrer en

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
191
partie vers l'ouest au territoire d'Utah. Kaskaskia, au sud-est de Saint-
Louis, renferme 1,000 habitants, presque tous d'origine française. Enfin
Cairo est remarquable par sa position sur la rive droite de l'Ohio, près de
son confluent avec le Mississippi.
Les Shawanées, les Illinois et les Potaouafamies ou Pottowatomies,
tribus indigènes de l'Indiana et de l'Illinois, ne peuvent se déterminer à une
vie sédentaire et. agricole; mais ils sont aujourd'hui très-peu nombreux.
Borné à l'est par l'État d'Ohio, au nord par celui de Michigan, à l'ouest
par l'Illinois, et au sud par le Kentucky, l’ État tVIndiana, fondé en 1816,
compte 988,734 habitants; il est partagé en 64 comtés. Au nord, son sol
est entrecoupé d'un grand nombre de petits lacs ; au sud, depuis les chutes
de l'Ohio jusqu'à la Wabash, il est traversé par une chaîne de collines
appelées les Knobs, hautes de 100 à 150 mètres au-dessus de leur base ;
au centre s'étend une grande plaine appelée Flat-woods ou Bois plats. Sur
les bords des rivières, excepté de l'Ohio, s'étendent des dépôts de terres
d'alluvion très-fertiles, qui se terminent par des prairies élevées de 10 à
30 mètres, couvertes de taillis et de jolis arbustes que bordent de vastes
forêts.
La douceur du climat égale, si elle ne surpasse pas, celle de l'État d'Ohio.
Au-dessous du 40e parallèle, l'hiver est tempéré et plus court que dans les
autres États : la belle saison dure ordinairement jusque vers le 25 décembre,
et le printemps commence vers le 15 février; mais au delà de la limite ci-
dessus, dans le bassin de la Wabash, les vents du nord et du nord-ouest
dominent et rendent l'hiver plus rigoureux. La plus grande partie du sol
est favorable à la culture du blé, du seigle, du mais, de l'avoine, de la
pomme de terre, du chanvre, du tabac, du melon et même du cotonnier.
Indianopolis, chef-lieu de cet État, est située sur la branche occidentale
de la rivière Blanche (White-River). En 1802, elle ne renfermait que 40
maisons ; sa population est aujourd'hui de plus de 3,500 habitants. Elle
paraît destinée à devenir la ville la plus importante entre Cincinnati et le
Mississippi.
Vincennes, à l'embouchure de la Wabash dans l'Ohio, offre l’aspect
d'une petite ville florissante : elle est bien bâtie ; elle possède une acadé-
mie, un évêché catholique, et renferme 2,500 habitants ; en 1820, elle n'en
avait que le quart. New-Albany, avec environ 4,500 habitants, est la ville
la plus peuplée de tout l'État ; elle compte plusieurs usines, et l'on y con-
struit beaucoup de bateaux à vapeur. Les autres villes que nous devons
citer sont : Madison, sur l'Ohio, avec 2,500 âmes ; Richmond, qui en a

192
LIVRE CENT NEUVIÈME.
2,000 ; Bloomington, où se trouve l’Indiana-Collège, le principal établis-
sement littéraire de l'État; et Fort-Waine, importante par sa position.
Tous les établissements primitifs de ce pays sont dus à des Français-
du Canada, dont les descendants se distinguent encore par leur gaieté et
leur insouciance. Des Suisses du pays de Vaud ont fondé sur les bords de
l'Ohio, à 7 milles de l'embouchure, une colonie appelée Nouvelle-Suisse,
et une ville appelée Vevay, qui renferme 5 a 600 habitants. Ces indus-
trieux colons ont planté des vignes qui déjà leur ont fourni deux espèces
de vins, que dans leur patriotique emphase les Anglo-Américains ont com-
parés, l'un au bordeaux, l'autre au madère. Les Français avaient infruc-
tueusement essayé de changer en vin le jus des raisins indigènes qui
croissent en abondance.
Au sud de l'État d'Ohio et du gouvernement d'Indiana, nous visiterons
le riant Kentucky, État démembré de la Virginie. En 1792, il a reçu son
nom de la principale rivière qui se jette dans l'Ohio. Sa population est de
1,001,496 habitants; il est partagé en 83 comtés. Le sol calcaire absorbe,
pendant l'été, les eaux courantes dans des fentes et des cavités souter-
raines. Les Barrens, ou plaines dépourvues d'arbres qui se trouvent au
sud-ouest de la rivière du Kentucky, sont remplis de trous en forme d'en-
tonnoir, qui probablement doivent leur origine à des éboulements fréquents
provoqués par des cavités souterraines.
Dans sa partie septentrionale, les terrains qui bordent l'Ohio sur une
largeur d'une demi-lieue sont exposés à des inondations périodiques ; niais
vers le nord-est le pays est entrecoupé de vallées étroites et couvert de
montagnes, dont le sol ferrugineux est de la plus étonnante fertilité. Vers
les frontières de la Virginie, les montagnes sont plus escarpées, les vallées
plus profondes, et tellement étroites, tellement boisées, que la lumière peut
à peine y pénétrer. Vers le sud, entre les rivières de Green et de Cumber-
land, le sol, peu fécond, n'est cultivé que dans quelques parties ; toutefois
il s'y trouve de bons pâturages où l'on nourrit de nombreux troupeaux. Le
Kentucky occidental est plat, humide, mais fertile. La douce température
qui règne généralement dans cet État, la'richesse de son sol, et la variété
de ses sites agréables lui ont valu le surnom de paradis terrestre.
Le climat de cet État est singulièrement salubre et agréable, mais les froids
commencent de bonne heure, et le cotonnier ne réussit pas. Il gèle souvent
de 5 à 6 degrés pendant plusieurs jours de suite. La qualité bonne ou mau-
vaise du sol se distingue d'après l'espèce des arbres qu'il produit. Les terres
les plus fertiles sont celles où les forêts sont composées de cerisiers de Vir-

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
193
ginie, de noyers blancs, de frênes blancs, noirs et bleus ; de celtis à feuilles
velues, de guilandina dioïca, nommé cafier ; de gleditsia triacanthos et
d’annona triloba: les trois dernières espèces indiquent surtout les meil-
leures terres. Dans les parties fraîches et montueuses, on voit s'élever des
troncs énormes de platanes, de tulipiers, de magnolia, ainsi que de quercus
macrocarpa, dont les glands sont de la grosseur d'un œuf de poule. Les
habitants du Kentucky appartiennent presque tous à des sectes religieuses
très-exaltées ·, beaucoup d'entre eux choisissent les forêts pour théâtre de
leurs exercices de dévotion. Un géographe américain vante leur urbanité
et leur hospitalité ; un voyageur anglais affirme que, dans leurs combats
journaliers, ils s'arrachent sans pitié les yeux et les oreilles. L'un et l'autre
peut être vrai à l'égard de classes différentes.
Frankfort, sur la rive droite du Kentucky, à 96 kilomètres de son
embouchure dans l'Ohio, est la capitale de l'État. Cette petite ville de
2,500 âmes est bâtie sur un plan régulier, et renferme plusieurs édifices
élégamment construits, dont le principal est le palais de l'État. Lexington,
ville à laquelle on accorde plus de 15,000 habitants, fait un commerce con-
sidérable, possède un théâtre, plusieurs établissements littéraires, entre-
tient six imprimeries, et publie troisjournaux. C'est dans son enceinte que
se trouve l'une des universités les plus fréquentées des États-Unis occi-
dentaux: elle est connue sous le nom d'université de Transylvanie. Une
autre ville qui rivalise avec celle-ci sous le rapport de l'industrie, mais qui
la surpasse en population, est Louisville, au bord de l'Ohio ; elle est la plus
considérable et la plus importante de l'État; sa population est de 42,000
âmes. Elle est le centre d'une industrie très-active, fabrique de nombreuses
machines, et reçoit annuellement 1,200 bateaux à vapeur ; ses transactions
commerciales montent à la somme énorme de 150,000 francs. La plus
importante cité après celles-ci est Maysville, avec 10,000 habitants. Il existe
dans le Kentucky une jolie ville qui porte le nom de Versailles, et une autre
celui de Paris. Près de Bowling-green, on va visiter la grotte du Mam-
mouth, qui paraît avoir 3 à 4 lieues d'étendue. Plus d'un cinquième des
habitants se compose d'esclaves.
A l'ouest de la Caroline du nord s'étend l'État de Tennessee, qui doit
son nom à la principale rivière qui l'arrose. Il a été formé, en 1705, par
des émigrants de la Caroline du nord et de la Virginie ·, il fut admis dans
l'Union en 1796. Sa population est de 1,023,118 habitants ·, il est partagé
en 62 comtés. La nature le partage en deux. Le Tennesséc d'ouest est situé
sur la rivière de Cumberland, et en porte le nom dans le langage ordinaire.
V,
25

194
LIVRE CENT NEUVIÈME.
Les monts Cumberland le traversent et étendent au loin leurs ramifica-
tions. Le Tcnnessée d'est est arrosé par les rivières d'Holston et de Clinches,
qui, par leur réunion, forment celle de Tcnnessée ; ce district porte géné-
ralement le nom d’Hlslston. Le Iïolston est un pays élevé, sain, riche en
pâturages. Le chef-lieu actuel de l'État est Nashville; sa population,
qui s'est accrue assez rapidement depuis quelques années, dépasse aujour-
d'hui 17,656 âmes. Elle est sur la rive gauche du Cumberland, au
milieu d'une contrée agréable et fertile parsemée de belles propriétés ; ou
y remarque plusieurs manufactures de toiles de coton et de tissus de laine,
ainsi que des distilleries et une université ·, mais cette partie de l'État n'est
pas à l'abri des fièvres épidémiques. Knoxville, jolie ville de 10,000 habi-
tants, a le second rang par son importante université, nommée le East-
Tennessée-Collége. Murfreesborough, l'ancienne capitale, n'a qu'un peu
plus de 6,000 habitants. Greenville est remarquable par ses usines, où l'on
travaille le fer de ses environs. Maryville possède une école de théologie.
Drainera1 est le siége d'une mission importante dont le but est de con-
vertir et de civiliser jes Chérokées. Fayetteville, Franklin, Carthage,
Savanah et Columbia prennent chaque jour plus d'importance. Dresden a
été fondée par une colonie d'Allemands.
Au nord du territoire d'Arkansas, s'étend l’ État du Missouri. Il fut fondé
par les Français en 1763, cédé aux États-Unis en 1803, et admis dans
l'Union en 1820; sa population est de 684, 132 habitants, et il est divisé
en 33 comtés. Cet État est traversé dans sa largeur de l'est à l'ouest par
ce fleuve, qui lui donne son nom, et borné à l'est par le Mississippi. Les
bords du Missouri sont très-fertiles, mais, au sud de cette rivière, dans la
région traversée par les monts Ozarks, la stérilité du sol est compensée par la
richesse minérale. La petite ville de Jefferson, au bord du Missouri, près
de son confluent avec l'Osage, et à 1,000 kilomètres de Washington en est,
depuis 1822, la capitale. Sa population ne dépasse pas 1,000 habitants.
Saint-Louis, qui fut fondée en 1764 par quelques Français au bord du
Mississippi, doit son accroissement rapide et sa prospérité à sa position sur
l'un des plus grands fleuves du monde, et à sa faible distance de deux de
ses principaux affluents, l’ Illinois et le Missouri. Elle est à 120 kilomètres
de Washington.
En 1816, elle ne renfermait que 2,000 habitants; aujourd'hui elle en a
82,744. La partie la plus considérable est américaine, et composée de mai-
sons a plusieurs étages en briques et en granit, dont on trouve des blocs
énormes en creusant les fondations dans le sol d'alluvion sur lequel elle est

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
195
bâtie. Le quartier américain renferme de superbes boutiques et de vastes
magasins, ainsi que les entrepôts de l'ouest. L'autre partie de la ville habi-
tée par des Français, n'est pour ainsi dire qu'un faubourg, resserré entre
le Mississippi et le ruisseau du Moulin. Les maisons y sont généralement
en bois, mais propres, entourées de galeries élégantes, ombragées do
beaux arbres et toujours accompagnées do petits jardins; on y voit encore
de ces chétives et vieilles maisons qui remplacèrent les huttes des sau-
vages. La ville américaine a un beau quai, continuellement bordé de nom-
breux bateaux à vapeur qui arrivent et débarquent leurs marchandises,
chargent et repartent sans interruption pour toutes les villes du Missis-
sippi, du Missouri, de l'Illinois, du Wisconsin et de l'Ohio. Dans la
saison des affaires, c'est-à-dire au printemps et au commencement de
l'été, on en voit jusqu'à trente ou quarante à la fois, avec une foule
d'embarcations à la rame. En face de la station des bateaux à vapeur se
trouvent les maisons de commission, les chantiers de réparation, les scie-
ries, les fonderies, le marché, et le vaste établissement d'une des plus
riches Compagnies des États-Unis, la Compagnie américaine des pellete-
ries. Saint-Louis est le siége d'un évéché catholique, et possède deux
banques, un théâtre, un collége, un musée, une bibliothèque et trois
imprimeries. Elle est le quartier-général du 6e département militaire de
l'Union, et possède un bel arsenal.
Quelques autres villes méritent d'être citées. Franklin, à 256 kilo-
mètres de Saint-Louis, fondée depuis 1816, est considérée comme la
seconde ville de l'État par sa position avantageuse sur la rive gauche du
Missouri, dans une plaine fertile. Le commerce y est assez actif ; il s'y
fait un service régulier de bateaux à vapeur. Elle n'a encore que 8,000
habitants; mais elle est construite sur un plan régulier! et ses maisons,
la plupart en briques, sont élégamment construites. Saint-Charles est une
petite ville intéressante par le collége ecclésiastique que l'on remarque
dans ses environs, et dont la fondation est due aux jésuites. Sainte-Gene-
viève, qui domine une vue aussi étendue que pittoresque sur la rive
droite du Mississippi, et où l'on prépare les produits des abondantes mines
de plomb qui en sont voisines, possède un collège qui occupe un bel édi-
fice, et une banque qui est la succursale de celle du Missouri. Dans la com-
mune de Sainte Marie, on trouve un séminaire dirigé par des prêtres de la
congrégation de Saint-Vincent-de-Paul. New-Madrid, ou Nouveau Madrid,
situé sur an terrain élevé que les inondations du Mississippi atteignent
rarement, et où les arbres forestiers prennent une croissance extraordinaire,

196
LIVRE CENT NEUVIÈME.
est fréquemment menacé par deux genres de fléaux également redoutables :
l'un est causé par les affaissements que déterminent les excavations du sol
d'alluvion que cette ville occupe; l'autre est la fréquence des tremblements
de terre. En 1811 et 1812, elle fut entièrement bouleversée ; aussi sa popu-
lation, composée d'Italiens, d'Espagnols et de Français, est-elle très-faible ;
on ne la porte pas à plus de 1,000 individus. Nous citerons encore Spring-
field et Ozark, dans le canton des monts Ozarks; Bolivar, et enfin le poste
militaire de Leavenworth, au confluent de la Little-Plate et du Missouri.
L'État de Missouri, avant d'appartenir à l'Union américaine, faisait par-
tie de la Louisiane. Les Français, qui, dans cette contrée comme dans celle
de la Nouvelle-Orléans, comptaient pour une moitié dans la population,
vivaient dans une heureuse indolence; la chasse et leurs troupeaux four-
nissaient abondamment à leurs simples besoins ; chacun cultivait noncha-
lamment les terres dont il s'était emparé, et dont souvent il ne savait mar-
quer les limites précises. Lors de sa réunion à la confédération américaine,
les colons français se virent en présence d'hommes entreprenants, avides,
accoutumés aux chicanes judiciaires, qui leur demandaient compte de
leurs titres de possession. Ils apprirent à connaître l'utile gêne d'un régime
légal, les besoins et les jouissances du luxe ; ils se trouvèrent en même temps
dépouillés de leur droit illimité de propriété, et entraînés à une plus grande
dépense: de là des plaintesamères, qu'envenime encore la différence de lan-
gage et de croyance religieuse. Mais ces plaintes cesseront; le nom et la lan-
gue française s'éteindront ici comme dans tantd'au tres parties de l'Amérique.
L'ancien territoire d’Arkansas coursi doit son nom à une peuplade indi-
gène située sur la rive droite de l'Arkansas, le principal affluent du Missis-
sippi, et à laquelle les États-Unis, en 1818, achetèrent ce pays, d'environ
7,800 lieues carrées. Il avait autrefois reçu quelques colons français de la
Louisiane ; il fut admis dans l'Union en 1836 ; sa population est aujour-
d'hui de 209,640 habitants ; il est partagé en 23 comtés. Ce territoire est
traversé du sud-ouest au nord-est par les monts Ozarks ; ses parties de
l'ouest et du nord-est sont encore stériles et désertes; celles du sud-est
sont parcourues par les Arkansas et les Osages, et cultivées çà et là par des
colons anglo-américains; celles de l'ouest, où ces derniers sont les plus
nombreux, sont traversées par des routes commodes qui conduisent dans
les États limitrophes, du nord, de l'occident et du midi. On distingue dans
ce territoire deux districts, celui d’Ozark, qui porte le nom de la chaîne
de montagnes qui le traverse, et celui des Osages, ainsi appelé du nom
de la plus nombreuse des nations indigènes qui le parcourent.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
197
On a découvert dans l’ Arkansas, sur la frontière septentrionale de la
Louisiane, 70 sources thermales: la plus chaude est à la température de
82 degrés du thermomètre centigrade; il n'y en a aucune au-dessous de
65 degrés.
Les principales villes ne mériteraient, dans un autre pays, que le titre
de villages : telles sont Little-Rock ou Arkopolis, chef-lieu de tout le terri-
toire, et renfermant à peine 1,200 habitants, bien qu'on y compte plu-
sieurs maisons de commerce ; Arkansas ou Post, fondé par les Français,
l'un des plus anciens établissements européens, à l'ouest du Mississippi,
qui en a près d'un millier; Gibson, qui est le principal poste militaire
de la contrée, et Napoléon, centre d'une petite colonie fondée en 1819 par
des émigrés français, sur les bords de Big-Black, rivière de 60 lieues de
cours, qui va se jeter dans le Mississippi. Nous devons citer encore un autre
lieu appelé Warmspring, simple bourgade, qui, lorsque le pays sera plus
peuplé, acquerra de l'importance par les sources chaudes qu'elle possède,
et qui sont salutaires dans les maladies chroniques et les paralysies. Depuis
long-temps elle est remarquable en ce que les naturels de différentes nations
qui s'y rendent y vivent en bonne intelligence, quelles que soient les ini-
mitiés qui, nors de là, les divisent: aussi lui ont-ils donné, depuis une
époque très-reculée, le nom de Terre de la Paix.
A l'ouest des deux derniers États que nous venons de visiter, entre la
rivière de Kanzas, au nord, et la rivière Rouge, au sud, s'étend une im-
mense contrée que l'on nomme le Territoire-Indien. Le gouvernement de
l'Union y a en effet relégué les restes des tribus indiennes encore à l'état
sauvage, que la civilisation sans cesse envahissante a chassées des terres
de leurs ancêtres.
L'extrémité sud-ouest de ce territoire est traversée par la chaîne Ozark,
et depuis ce point, dans la direction de l'ouest, le pays offre une
série de plaines légèrement ondulées, s'élevant graduellement à mesure
qu'elles se rapprochent des montagnes Rocheuses, où elles atteignent une
hauteur de 1,000 à 1,200 mètres. La partie orientale du Territoire-Indien
se compose de prairies fertiles traversées par des rivières bordées de forêts.
Les rivières qui arrosent ce territoire sont : le Kanzas, large cours d'eau
divisé en trois branches ou fourches, et traversant l'État du Missouri jus-
qu'au Mississippi; l’ Arkansas, sortant des montagnes Rocheuses, non loin
de la source du Bio-Grande del Norte et du Bio-Colorado, et formant,
pendant plusieurs centaines de kilomètres, la frontière entre le Nouveau-
Mexique et le Territoire-Indien. Celte rivière est peu navigable, ses eaux

198
LIVRE CENT NEUVIÈME.
étant en général basses, et disparaissant même en quelques endroits pen-
dant 1» saison sèche ; mais les bateaux à vapeur la remontent néanmoins
depuis le Mississippi jusqu'au fort Gibson, situé à quelque distance de la
frontière de l'État d'Arkansas. Elle reçoit, au nord, plusieurs petits cours
d'eau, et, au sud, la rivière Canadienne, son principal tributaire, dont la
longueur est de 1,609 kilomètres. Enfin, la rivière Rouge, qui naît dans le
Nouveau-Mexique, et vient séparer, au sud, ce territoire de l'État du Texas.
On trouve dans ce territoire des troupeaux de bisons cl de chevaux sau-
vages, des élans, des daims, avec un grand nombre de petits quadrupèdes,
ainsi que des coqs de bruyère et des oiseaux aquatiques. Les Indiens
prennent beaucoup de chevaux sauvages et les dressent pour la chasse. Cet
animal, si docile à l'état domestique, est, à l'état sauvage, l'un des plus
craintifs et des plus vigilants des êtres de la création. On le prend avec le
lasso, et quelquefois par un procédé qui consiste à lui loger une balle
de fusil dans une certaine partie du cou, ce qui occasionne une paralysie
temporaire. Les chevaux de l'ouest, et spécialement ceux des prairies, sont
sujets à une espèce de panique, nommée dans le pays stampede. Sous cette
influence, les chevaux de toute une tribu ou d'un parti do voyageurs,
saisis tout à coup d'un effroi frénétique, rompent tous leurs liens, se lan-
cent au grand galop, et ne s'arrêtent que lorsqu'ils tombent, succombant
souvent à la fatigue ou à la terreur. Le bétail est quelquefois affecté de la
même panique, dont la cause n'est pas bien connue.
Ce territoire peut être divisé en deux portions, sous le rapport du sol et
du climat: la partie occidentale se compose d'un désert, entrecoupé de
quelques plaines qui offrent de bons pâturages aux bisons et aux chevaux
sauvages ; la partie orientale est un beau pays traversé par de riches vallées
d'une grande fertilité, et entrecoupé de forêts remplies de daims et de menu
gibier : c'est une espèce de paradis pour le chasseur indien. La partie méri-
dionale jouit d'un climat si tempéré que les animaux domestiques trouvent
à s'y nourrir pendant l'hiver, sans que leurs maîtres aient besoin d'en
prendre le moindre soin. Une petite portion est occupée par des montagnes
et par des collines de peu d'élévation; le reste est propre à la culture, et pro-
duit toutes les espèces de grains et de végétaux qui viennent dans les terri-
toires situés plus à l'est sous la même latitude. Le pays convient admirable-
ment à l'élève des bestiaux.
Les habitants de ce territoire sont des Indiens qui, pour la plupart, y ont
été internés de différentes parties des États-Unis. Les Chichassaws et les
Choctaws ou Chaclas, tribus alliées du nord du Mississippi et de l’ Alabama,

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, FARTIÉ CENTRALE.
199
en furent éloignées, il y a peu d'années, et transportées dans la partie sud-est
du Territoire-Indien, où elles ne forment plus maintenant qu'un seul corps
de nation. Ils sont assez civilisés, possèdent des maisons construites en
charpente, des champs bien enclos, cultivent le maïs et le coton, ont des
moulins à moudre et des scieries mus par les cours d'eau, ainsi que de nom-
breux troupeaux de chevaux, de bétail, de moutons et de cochons. Ils pos-
sèdent une constitution écrite et un gouvernement régulier. Les Étals-Unis
leur payent une annuité, et des missionnaires sont établis parmi eux. Les
Creeks, amenés de la Géorgie, résident plus loin, au nord, dans un district
fertile, où ils ont quelques villes, des jardins en plein produit, des vergers,
et des champs bien cultivés, qui produisent du maïs et des légumes, dont ils
approvisionnent la garnison du fort Gibson. Ils jouissent aussi d'un gou-
vernement régulier, et, de même que les premiers, sont visités par des mis-
sionnaires. Les Seminoles de la Floride étaient originairement de la nation
des Creeks, et comme ils parlent la même langue, on les a établis avec eux.
Quoique ennemis du travail, ils ont fait quelques progrès. Les Chérokées
de la Géorgie, beaucoup plus avancés en civilisation qu'aucune autre tribu,
sont au nord-est des Creeks. Ils ont un beau pays, de bonnes maisons, de
belles fermes, de nombreux troupeaux, des manufactures de laine et de
coton, des usines de fer et de sel; ils ont créé un alphabet pour écrire leur
langue, ont composé des livres, établi une imprimerie, et imprimé un jour-
nal, le Phœnix Chérokée, et possèdent un gouvernement régulier, ainsi
que des lois fixes, avec des cours, des shériffs, et tout ce qui peut assurer
leur exécution. Plus loin, au nord, sont les Osages, et Shawnees, les
Kanzas, les Delawares, les Kickapoos et les Oloes ; à l'ouest, se trouvent
les Sioux et les Arrapahoes. Quelques-uns de ces derniers sont arrivés ici
de leur demeure originaire dans l'est; d'autres sont indigènes. Pour la plus
grande partie, ils conservent leurs sauvages coutumes, légèrement modi-
fiées par suite de leurs relations avec les blancs. Ils sont superlitieux, et
n'ontencore embrassé aucune religion. Leurs cimetières consistent souvent
en espaces marqués par des cercles de crânes. Les corps sont placés sur des
plates-formes élevées, où on les laisse se décomposer. Leur principale
occupation est la chasse. Quelques-uns résident pendant l'été dans des
demeures fixes ; mais à la chute des feuilles et pendant l'hiver, ils rôdent çà
et là, avec leurs tentes, à la poursuite du gibier. Toute la population de ce
territoire, qui a été compris dans l'acquisition de la Louisiane, est évaluée
de 70 à 400,000 individus; nous observerons qu'il n'a pas encore de gou-
vernement territorial.

200
LIVRE CENT NEUVIÈME.
A l'ouest du territoire indien s'étend une vaste contrée que les États-
Unis ont acquise du Mexique en 1848, c'est le Territoire du Nouveau-
Mexique, qui a été définitivement organisé en 1850. Ce nouveau territoire
est séparé de la confédération mexicaine par le Rio-Gila ; il a pour limite
au nord l'Utah et le territoire de Missouri ou Nebraska ; le Texas le borne
en partie à l'est et au sud-est, tandis qu'il confine vers l'ouest à l'État de
Californie. Il est traversé par la chaîne de montagnes d'Anahuac et par
celle de la Sierra-Verde, dépendantes toutes deux de la grande chaîne des
Cordillères. Au sud de Santa-Fé, les montagnes Rocheuses s'élèvent à près
de 3,000 mètres, tandis qu'elles atteignent au nord une élévation de plus
de 4,000.
La principale rivière du Nouveau-Mexique est le Rio-Grande-del-Norte,
nommé indifféremment Rio-Grande ou Bravo-del-Norte ; il prend sa source
hors du territoire, dans la Sierra-Verde, coule vers le sud, et entre dans le
golfe du Mexique, après avoir formé, dans la partie inférieure de son cours,
la limite entre la Confédération mexicaine et les États-Unis. La longueur
totale de ce fleuve, en y comprenant ses détours, est de 3,200 kilomètres.
Sa pente est grande, et la partie supérieure de son cours rapide. Les nom-
breuses roches qui entravent le Rio-del-Norte le rendent peu propre à la
navigation ·, cependant, à l'aide de quelques améliorations, des bateaux à
vapeur pourraient le remonter, l'espace de 1,120 kilomètres, jusqu'à la
ville de Loredo. Le Puerco, venant des montagnes Rocheuses, est un des
grands tributaires du Rio-Grande.
A environ 100 kilomètres au sud-est de Santa-Fé, on trouve sur un pla-
teau élevé, à l'est du Rio-Grande, plusieurs lacs salés qui fournissent du
sel au pays. Pendant la saison sèche, de grandes caravanes viennent à
Santa-Fé pour s'y approvisionner.
Les bisons, les chevaux sauvages et les daims errent sur les plateaux à
l'est des montagnes Rocheuses, et le daim, l'ours commun, l'ours gris, la
panthère et le loup vivent dans les régions montagneuses.
Ce pays est riche eu or, cuivre, fer, charbon de terre, gypse, sélénite et
sel ; mais aucune de ses mines n'est exploitée en grand.
Les hivers, dans la partie septentrionale, sont longs et rudes, quoique
le Rio-del-Norte ne gèle jamais suffisamment pour le passage des chevaux.
Le ciei est généralement clair et l'atmosphère sèche, excepté pendant la
saison pluvieuse de juillet à octobre. Le pays est généralement très-sain.
Le Nouveau-Mexique, région en général fort montagneuse, renferme
un grand nombre de vallées : la principale est la belle vallée du Rio-del-

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
201
Norie, large d'environ 32 kilomètres au-dessous de Sanfa-Fé, limitée
à l'est et à l'ouest par des chaînes de montagnes, et dont le sol sablonneux
et sec a besoin d'irrigations. Ce territoire offre aussi quelques plateaux
élevés. A l'est des montagnes, de hautes prairies et des plaines, et une
portion du grand désert américain, servent de refuge aux bisons et aux
chevaux sauvages, et sont explorés par une tribu farouche d'Indiens
appelés Comanches.
L'agriculture est traitée encore dans ce pays d'une manière primitive;
les travaux se font, la plupart du temps, avec la bêche et une charrue gros-
sière entièrement en bois. L'irrigation, rendue nécessaire par la séche-
resse du sol et du climat, s'effectue au moyen d'écluses, de fossés et de
rigoles, qui amènent l'eau dans les terrains cultivés. Les habitants des
villes et des villages se réunissent à cet effet, et distribuent à chaque pro-
priétaire la portion d'eau qui lui revient. Les champs n'ont pas de clôtures.
Les riches propriétaires emploient dans leurs vastes domaines, appelés
Haciendas, un grand nombre de personnes, tenues dans une sorte d'état
de servitude appelée peonage. C'est là que l'on élève de grands troupeaux
de chevaux, de mules, de gros bétail, de moutons, et de chèvres d'espèces
petites, mais prolifiques, fréquemment volés par des Indiens. D'immenses
espaces de terre restent inoccupés, parce qu'ils sont trop arides ou trop
montagneux pour la culture, quoique excellents pour l'élève des trou-
peaux. Le maïs est le principal grain ·, le froment et les légumes sont pro-
duits en grandes quantités ; la vigne aussi se cultive en quelques endroits.
Les Indiens forment les sept-huitièmes de la population du Territoire du
Nouveau-Mexique, que l'on peut évaluer à 61,632 âmes; le reste se com-
pose de quelques créoles ou métis, d'un petit nombre d'Espagnols natifs,
et d'un plus grand d'Américains. Les Indiens appelés Pueblos ou Indiens de
village, pour les distinguer des tribus sauvages ou Indiens Bravos, se divisent
en différentes bandes, ayant un langage commun, et s'élevant en totalité à
près de 20,000. Ils conservent quelques anciennes superstitions mexicaines,
mêlées avec la religion catholique, qui leur a été apprise par les mission-
naires espagnols. Ils vivent dans des villages isolés, et cultivent le sol ;
sont pauvres, d'une grande frugalité, et ont l'aspect misérable et réfléchi
qui distingue leur race. Leurs villages sont bâtis avec régularité, et ne se
composent quelquefois que d'une seule grande maison à plusieurs étages,
où l'on parvient avec des échelles, qu'on enlève à la nuit, les portes étant
placées dans la partie supérieure de l'édifice. Leurs armes sont l'arc, la flèche,
a lance, et quelquefois le fusil. Les plus civilisés ressemblent aux Mexi-
y.
26

202
LIVRE CENT NEUVIÈME.
cains, et adoptent les modes américaines. Le bas peuple porte des couver-
tures sur les épaules, avec des culottes blanches, ornées de boutons bril-
lants, et fendues de la hanche en bas, qui laissent voir les caleçons en coton
blanc en dessous. Les femmes se parent du reboso, petit châle coquette-
ment placé sur la tète. Les deux sexes aiment la cigarette, la sieste après le
dîner, le jeu de monte et le fandango. Au nord-est, les Comanches s'éten-
dent jusque dans le Texas: c'est une race sauvage, rapace, ayant des
chevaux légers, et faisant de fréquentes incursions dans les contrées voi-
sines pour y piller.
Santa-Fé, ville capitale du Nouveau-Mexique, à environ 20 kilomètres
à l'est du Rio-del-Norte, a une population d'environ 7,000 habitants, en y
comprenant celle des villages adjacents. Elle a été citée longtemps comme
L'étape des caravanes commerçantes, qui ont la coutume de partir du Mis-
souri, et de traverser le grand désert américain qui s'étend au pied du
versant oriental de la Cordillère. Ces caravanes consistent quelquefois en
deux ou trois cents personnes montées sur des chevaux et des mules ; on
a proposé d'employer des chameaux, qui peuvent vivre longtemps sans
eau, qui est rare dans le désert. Albuquerque, Valverde et Paso del-Norle
sont les autres villes principales, dont aucune n'a de l'importance ; la der-
nière est située dans une contrée renommée par ses vignobles.
Près des lacs salés, déjà décrits, existent les ruines d'une ancienne ville
espagnole, construite probablement sur l'emplacement d'une ville indienne
encore plus ancienne ; son histoire est enveloppée de mystère.
Entre le Tennessee, la Georgie et l'État de Mississippi, demeure la nation
indienne des Chéroquées ou Cherokées, jadis fameuse dans la guerre, mais
que les soins bienfaisants du gouvernement fédéral ont réussi à civiliser.
Elle possède des moulins à blé, à scie et à poudre ; elle fabrique du sal-
pêtre; on rencontre des auberges sur les grandes routes; les femmes ont
toutes des métiers à filer et à tisser. La tribu compte aujourd'hui 20,000
Indiens. Les Chicasaws, qui demeurent plus à l'ouest vers le Mississippi,
se vantent de n'avoir jamais répandu le sang d'un Anglo-Américain ; mais
leurs progrès dans la civilisation paraissent moins rapides.
Tout ce pays forme, depuis 1819, un Etat qui porte le nom
Alabama,
qu'il tire d'une des principales rivières qui l'arrosent. Fondé en 1713 par
les Français, l'Alabama se donna une constitution en 1819, et fut admis
dans l'Union en 1820. Sa population paraît être aujourd'hui de 771,659
habitants, sur lesquels on compte la moitié d'esclaves; il est partagé en
52 comtés. Dans sa partie méridionale, le terrain est bas, uni et maréca-

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
203
geux le long des rivières ; sous le 31e parallèle, il devient ondulé, et s'élève
presque insensiblement jusqu'au 33e : là, il commence à être montueux,
et s'élève progressivement jusqu'à la chaîne semi-circulaire appartenant
aux monts Alleghanys, qui traverse de l'est à l'ouest sa partie septentrio-
nale, et dont l'élévation est d'environ 1,000 mètres. On y trouve du fer et
de la houille en abondance ; on a même découvert en 1839, dans le comté
de Randolph de l'État d'Alabama, une mine d'or assez importante.
Cahawba, peuplée de 5 à 6,000 âmes, était encore la capitale de cet
État en 1831. Mobile, qui s'élève à l'embouchure de la rivière de ce nom,
au fond d'une baie sur le golfe du Mexique, est la ville la plus importante
de l'Alabama ; elle compte 20,026 habitants. C'est une ville bien bâtie, qui
possède un théâtre et une banque. Son port, l'un des principaux ports de
l'univers pour l'exportation du coton, ne peut recevoir que des navires qui
ne tirent pas plus de 3 mètres d'eau ; il est défendu par le fort Charlotte.
Tuskaloosa ou Tuscalousa, petite ville de 2,500 habitants, sur la rivière
de ce nom , ne mériterait pas de nous arrêter, si elle n'avait pas été, jus-
qu'en 1847, la capitale de l'État d'Alabama ; elle possède une université..
Montgomery, sur l’Alabama, est aujourd'hui le siége du gouvernement do
l'État. Huntsville, Florence et Saint-Stephens sont importantes par leur
commerce. Mount-Vernon et Fort-Morgan sont les deux postes militaires
de cet État.
Nous entrons dans le gouvernement de Mississippi, qui a été érigé en
Etal en 1817, car il comptait déjà, en 1810, une population de plus
de 40,000 individus, dont les trois quarts étaient acquis pendant les dix
dernières années; ainsi la population (en 1816) surpassait déjà le nombre
de 60,000 fixé pour l'émancipation des républiques naissantes. En 1820
il avait 75,000 habitants, et aujourd'hui il en compte plus de 592,853; il
est partagé en 56 comtés.
Il s'étend depuis la rive gauche du Mississippi jusque près de l'Alabama,
Au nord il est borné par l'Etat du Tennessée. Rorné sur une faible étendue
par le golfe du Mexique , ses côtes sont sablonneuses et marécageuses ; son
intérieur, couvert de forêts et de pâturages, nourrit un si grand nombre
de bêtes à cornes , qu'il n'est pas rare d'en voir des troupeaux de 500 à
1,000 têtes appartenant à un seul propriétaire.
Natchez, qui du haut de ces rivages salubres domine le vaste cours du
Mississippi, sans être jamais atteint de ses eaux, paraît encore être la
ville principale de cette province; elle n'a cependant que 6,000 habitants.
Son sol est à 100 mètres au-dessus de la rive gauche du fleuve. Elle tire son

204
LIVRE CENT NEUVIEME,
nom d'une peuplade que les Français furent forcés de détruire vers l'année
1730. L'instruction y est tellement répandue que, malgré sa faible popu-
lation , elle possède un collége et une bibliothèque publique. En 1826, elle
publiait trois journaux politiques et une gazette littéraire; c'est un des prin-
cipaux marchés à coton des Etats-Unis, et dont les denrées sont exportées
par la Nouvelle-Orléans.
Jackson, sur le Pearle , qui n'a que 2,000habitants, est la capitale de
cet Etat. Elle est à 1,520 kilomètres au sud-ouest de Washington. Les
autres villes importantes sont Monlicello , Columbia et Washington. Cette
dernière estremarquable par le Jefferson Collége, le premier établissement
littéraire de l'Etat.
C'était sur la rivière de Tombeckbèe que demeurait la tribu des Chactas
ou Têtes-Plales, devenue si célèbre par la touchante fiction d'Atala et les
peintures brillantes de Chateaubriand , avant que le gouvernement améri-
cain ne les transportât, ainsi que nous l'avons dit, plus à l'ouest, dans le
Territoire Indien.
Nous voici enfin arrivés à l'un des Etats les plus importants de l'Union
Anglo-américaine. La Louisiane , dont le nom s'appliquait autrefois à l'im-
mense contrée qui va des Montagnes Rocheuses au Mississippi ; et qui,
aujourd'hui restreinte à de moindres limites, est bornée au nord par l'Ar-
kansas, à l'est par le Mississippi, à l'ouest par la rivière Sabine qui les sépare
du Texas, et au sud par le golfe du Mexique; sa superficie est d'environ
6,000 lieues carrées, et sa population est de 500,763 habitants. Elle est
divisée en deux districts, le district oriental qui comprend 23 comtés et le
district occidental qui en comprend 14. On peut encore dire que la Loui-
siane se compose des parties suivantes : 1° le Delta du Mississippi ·, 2° les
parties de la terre-ferme occidentale situées entre la rivière des Adayes,
nommée Sabina ou Mexicana, à l'ouest, le golfe du Mexique au sud, le
Mississippi à l'est, et le 33e degré de latitude au nord ; 3e la partie de la
Floride occidentale appelée Feliciana.
Nous ne nous arrêterons pas longtemps dans la partie cultivée de la
Louisiane, déjà tant de fois décrite par les auteurs français.
Le territoire de cet Etat est plat, accidenté seulement dans le nord-
ouest; il est entièrement compris dans le bassin du golfe du Mexique. Ses
côtes sont basses, sujettes aux inondations, et découpées en un grand
nombre de baies, dont les principales sont ; le golfe dit le lac Borgne, et
les rades de la Chandeleur et de Barataria. Tous ces ports naturels, ex-
cepté la rade de la Chandeleur, où la flotte anglaise stationna longtemps

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE
205
pendant la guerre de la Louisiane, sont dangereux à cause de leur peu de
profondeur. Le sol est arrosé par des cours d'eau nombreux, tels que la
rivière Rouge, ta Washile et la Teche affluents de droite du Mississippi ;
la Pearl, l'Atchafalama, dérivation du Mississippi et la Sabine. Près de la
côte sont plusieurs lacs qui communiquent avec la mer , et parmi lesquels
nous citerons les lacs Pontchartrain, Calcasu, Sabine, Maurepas et Ver-
millon. Vers le sud le sol est formé d'alluvions successives; dans l'ouest on
trouve d'immenses prairies, et au nord-est de magnifiques forêts. Le fer
et la houille sont les seuls minéraux qu'on y exploite. Le climat est chaud,
mais il est tempéré par les vents de la mer. La température moyenne est
de 40 degrés de l'échelle centigrade ; les ouragans et les orages sont fré-
quents, mais le plus redoutable fléau de ces contrées est la fièvre jaune
qui y est endémique.
Tel est l'aspect général de cette contrée qui fut découverte et signalée
en 1541 par Fernand de Soto , et où des Français partis du Canada s'éta-
blirent les premiers en 1682, en donnant au pays le nom de Louisiane, en
l'honneur de LouisXIV. Après avoir été mal administrée, la colonie fran-
çaise qui avait fondé la Nouvelle-Orléans fut cédée à l'Espagne en 1764 ;
en 1801 , elle fut rétrocédée à la France qui, en 1803, céda la Louisiane
aux Etats Unis moyennant une somme de 80 millions de francs , sur les-
quels 20 millions furent restitués à l'Union à titre d'indemnité de captures
indùment faites. En 1804, le congres divisa la Louisiane en deux terri-
toires, dont celui du sud reçut le nom de Nouvelle-Orléans, et celui du
nord conserva celui de Louisiane. Enfin en 1812, ces deux territoires
furent réunis, et admis au rang d'Etat sous le nom de Louisiane.
Le Mississippi, l'artère fluviatile la plus importante de cet État et de
l'Union américaine, n'est pas moins remarquable par sa rapidité que par sa
largeur et sa profondeur. La vitesse du courant est d'une lieue à l'heure ;
sa largeur est a la Nouvelle-Orléans, à l'époque des basses eaux, de
682 mètres, et pendant les grosses eaux, de 779 mètres ; sa profondeur est
de 50 mètres; ailleurs elle varie entre 15 et 20. Le fleuve commence à
croître dans le mois de janvier, et continue à grossir jusqu'au mois de
mai ; il reste dans cet état pendant tout juin et une grande partie de juil-
let, puis il commence à diminuer jusqu'en septembre et octobre, époque où
il est au niveau le plus bas; quelquefois cependant le fleuve commence à
croître dès le mois de décembre.
Le Delta du Mississippi, composé d'un terreau léger, limoneux ou sablon-
neux, sans pierres ni roches quelconques, est, en beaucoup d'endroits,

206
LIVRE CENT NEUVIÈME.
d'un niveau inférieur à celui de la rivière, dont une faible digue le sépare :
circonstance qui semblerait le menacer, à chaque crue des eaux, d'une
destruction inévitable ; mais ayant en môme temps une pente continuelle,
quoique insensible, vers la mer, les eaux du fleuve, après avoir franchi
leurs barrières, trouvent de toutes parts un écoulement facile. Les nom-
breux canaux que le fleuve se creuse à travers un terrain couvert de mille
arbustes varient d'année en année, et forment un labyrinthe d'eau et de bos-
quets qu'aucune carte ne saurait retracer. Mais au milieu de ces bayoux
le bras d'iberville à l'est, le grand bras de la Nouvelle-Orléans au milieu,
avec l'embranchement de Baralaria au sud, enfin le bras réuni d'Atchafa-
laya et de la Fourche à l'est paraissent aujourd'hui avoir acquis une exis-
tence invariable. Dans toutes les embouchures, le lit du fleuve a beau-
coup moins de profondeur que dans la partie supérieure de son cours.
On croit que le Mississippi doit à cette circonstance d'être exempt de
toute influence des marées. Les lacs de Pontcharlrain, de Borgne, de
Baralaria et beaucoup d'autres, dont l'eau est à moitié douce et à moitié
salée, sont renfermés dans ce Delta, où vers l'an 1820 une compagnie
de flibustiers, sous les ordres d'un M. Lafitte, s'était établie dans une
telle position que, toujours poursuivie et toujours introuvable, elle fondait
quand elle voulait sur sa proie, et échappait à toutes les recherches de ses
ennemis.
Dans les parties où les différentes passes du fleuve touchent à la mer,
on remarque une espèce de barre sujette à de constantes fluctuations, qui
font, disent les voyageurs, le désespoir des pilotes. Près de la passe du
sud-est, à 160 kilomètres au sud de la Nouvelle-Orléans, il y a un vil-
lage peuplé de pilotes et appelé La Balize, du mot espagnol valisa, qui
signifie phare. C'est le plus triste lieu qu'on puisse imaginer. Ce village,
qui donne son nom à un fort destiné à protéger l'embouchure du fleuve,
est pour ainsi dire sous-marin : il est au-dessous des eaux du fleuve et de
la mer ·, du point central s'élève une sorte d'observatoire, d'où la vue s'étend
au loin, d'un côté sur un marais sans fin, de l'autre sur plusieurs passes et
un grand nombre de bayoux, sortes de canaux naturels qui serpentent au
milieu des marécages. L'œil se repose à peine sur quelques parties de terre:
les plus proches sont a 15 ou 20 lieues. Il y a en tout une vingtaine de
maisons dont six seulement sonthabitées : on communique de l'une à l'autre
au moyen de planches ou de troncs d'arbres jetés sur la vase et sur l'eau ;
il est impossible de faire 20 ou 30 pas sans enfoncer jusqu'au cou dans des
trous vaseux ou dans des sables mouvants.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
207
Le Delia du Mississippi, destiné par la nature à être une immense région,
a reçu la culture du sucre, à laquelle le climat inconstant et le froid des
hivers, souvent assez sensible, paraissaient s'opposer La canne à sucre
brave ici, comme dans le Mazenderan, en Perse, les intempéries et les fri-
mas ·, mais ici, comme sur les bords de la mer Caspienne, le suc de canne,
moins élaboré que sous le ciel des Antilles, contient moins de parties cris-
tallines. Le colon, l'indigo, la vigne, le chanvre et le lin réussissent sur les
terres plus élevées et moins humides des districts d’Atacapas et d’Opelou-
sas. Les environs de Natchitoches produisent d'excellent tabac. Les forêts
se composent des mêmes arbres que dans la Floride et le Kentucky. Les
pépinières s'étendent depuis la mer jusqu'au delà de la rivière Ouachilta.
L'ours, le jaguar, le chat-tigre, se font moins redouter que les serpents,
les moustiques et les insectes venimeux ou incommodes de toutes espèces.
La race commune des chevaux n'est pas belle. D'immenses troupeaux de
bœufs errent, en partie sans maîtres, dans les prairies d'Atacapas et d'Ope-
lousas. Beaucoup d'habitants ne doivent leur aisance qu'à ce genre de
propriété, qui paraît d'un revenu plus sûr qu'aucun autre.
La Nouvelle Orléans, destinée à devenir un jour l'Alexandrie de cette
autre Egypte, le Canopus de cet autre Nil, voit s'accroître rapidement le
nombre de ses habitants, l'étendue de son commerce, la splendeur et l'élé-
gance de ses nouvelles habitations. C'est aujourd'ui une ville de 145,000
habitants. Le principal entrepôt du commerce du bassin du Mississippi, le
second port des États-Unis après New-York, le premier comme port d'ex-
portation des produits de l'Union, enfin le plus grand marché du monde
entier pour l'exportation des cotons.
On trouve dans cette ville des rues étroites et de vieilles maisons ornées
de corniches et de balcons qui indiquent leur origine française et espagnole.
Son sol est au-dessous du niveau du fleuve, mais il s'accroît journellement
de toutes les terres enlevées par le Mississippi du côté qui fait face à la ville.
Depuis qu'on s'est occupé de dessécher les marais qui l'environnent, la fièvre
jaune ne fait plus à la Nouvelle-Orléans les ravages qui en rendaient le
séjour si pernicieux.. Cependant ce terrible fléau apparaît encore à peu près
tous les ans entre juillet et septembre. La position avantageuse de cette
ville doit assurer sa prospérité future. Ses édifices publics sont assez bien
bâtis, ses établissements d'instruction et d'utilité publique sont bien tenus.
Elle possède deux théâtres et plusieurs imprimeries. On y publie plusieurs
journaux, en français, en anglais et en espagnol. Son commerce intérieur
emploie 1,400 grands bateaux plats appelés arches et 110 bateaux à vapeur ;

208
LIVRE CENT NEUVIÈME.
1 000 vaisseaux sortent annuellement de son port pour l'Amérique rnéri-
dionale et l'Europe.
En 1840, la valeur des importations du port était de 65 millions de
francs, celle des exportations de 160 millions, et le tonnage de tous les bâti-
ments qui en dépendaient était de 110,000 tonneaux. Cette ville, qui est le
siège d'un évêché catholique, renferme plusieurs monuments remarquables,
parmi lesquels nous citerons le palais de l'État, celui du Gouvernement, la
cathédrale catholique, le palais de justice, la douane, l'hôpital, et la mon-
naie, succursale de l'établissement de Washington. Cette ville commu-
nique, par trois chemins de fer et un canal, avec ses environs. Fondée en
en 1707, prise par les Espagnols; en 1796 elle passa sous la domination
de la France, qui la céda avec la Louisiane aux États-Unis en 1803 ; les
Anglais essayèrent en vain de s'en emparer en 1814 ; ils furent repoussés
par le général Jackson. La position de cette ville et ses redoutables fortifi-
cations la rendent aujourd'hui la plus forte place des États-Unis. C'est le
quartier-général du cinquième département militaire de l'Union, qui com-
prend dans son ressort les États situés dans le golfe du Mexique.
Baton-Rouge, à 130 kilomètres au nord-ouest de la Nouvelle-Orléans,
sur la rive gauche du Mississippi, est une petite ville de 3 à 4,000 habi-
tants ; elle doit à la salubrité de sa position d'avoir été choisie dans
ces derniers temps pour capitale de l'État de la Louisiane; elle possède
un arsenal important et un collége. Elle doit surtout son importance à sa
position, qui commande le Delta du Mississippi.
Donaldsonville, sur la rive droite du Mississippi, à la naissance du
Bayou-la-Fourche, renferme 8,000 habitants, et doit sa prospérité à son
commerce. Natchilochez, sur la rivière Rouge, fait aussi un commerce assez
actif; elle n'a cependant que 2 ou 3,000 âmes. Les autres villes de cet
État sont Jackson, qui possède le collége de la Lousiane, Plaquemines,
Franklin, Alexandria, Shreveport et le poste militaire de Fort-Pikc.
Traversons la rivière Sabine, et nous nous trouverons dans le Texas ;
c'est l'un des Etats les plus vastes de la Confédération Anglo-américaine ;
on évalue sa superficie à 36,000 lieues géographiques carrées; il dépendait
autrefois du Mexique, et a été annexé aux Etats-Unis en 1845 ; il a été
fort peu exploré jusqu'à présent ; on n'en connaît guère que la partie méri-
dionale. Sa partie nord-ouest est formée de montagnes appartenant à la
chaîne des montagnes Rocheuses, et portant ici le nom de montagnes de
Guadalupe. Les flancs de ces montagnes sont couverts de forêts, e'. la plu-
part sont susceptibles de culture au moyen de l'irrigation.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
209
Dans les districts montagneux de la partie occidentale du Texas existe un
grand nombre de vallées formées par des alluvions successives; elles sont en
général d'une très-grande fertilité le long des rivières. Toutes celles qui
arrosent cet Etat viennent des hautes terres du nord et de l’ouest, et la
plupart se jettent dans le golfe du Mexique. Nous citerons: la Neches, navi-
gable, pour de petits bateaux à vapeur, l'espace d'une centaine de kilo-
mètres, la Trinidad qui l'est pendant 500 kilomètres, et le Brazos de Dios,
pendant 300, le Rio Colorado, obstrué par des amas de bois flottants, à
4 lieues environ de son embouchure, et qui, lorsque cet obstacle se déplace,
est navigable pour des bateaux à vapeur jusqu'à Austin, pendant 320 kilo-
mètres, le San-Antonio, le Nueces et la Sabine sont aussi navigables, les
deux premières seulement à de courtes distances, et la troisième qui sépare
le Texas de la Louisiane, pendant environ 500 kilomètres; enfin le Rio del
Norte, qui forme la limite sud-ouest de l'Etat.
Quoique le Texas ait environ 189 lieues géographiques de côtes sur le
golfe du Mexique, il ne possède aucun bon port, mais seulement à l'em-
bouchure de ses fleuves, des havres pour de petits navires. Les baies peu
profondes qui reçoivent la plupart de ses rivières, aussi bien que les embou-
chures des rivières elles-mêmes, sont barrées par des bancs de sables
mouvants ; et on trouve, le long des côtes, des terrains détachés, bas et
plats, avec des baies étroites, et qu'on appelle des îles ; les principales por-
tent les noms de Padre, de Mustang, de Saint-Joseph et Ac Matagorda.
11 existe deux lignes de forêts continues de 2 à 20 lieues de large, s'é-
tendant au nord, presque en ligne directe, à partir des sources de la rivière
Trinidad jusqu'à la rivière d'Arkansas ; on les appelle Cross-Timbers.
Le pays offre sur beaucoup de points une végétation luxuriante, com-
prenant, outre l'herbe commune des prairies, la gama, \\e nmsquite, la
luzerne et le riz sauvage, etc., donnant un excellent pâturage. On y trouve
aussi différentes espèces de bois, tels que le chêne vivace (quercus virens),
si utile pour la construction des navires, le chêne blanc et noir, le frêne,
l’orme, l'acacia, le noyer, le sycomore, le cyprès, l'arbre à gomme éla-
stique , etc. Les hautes terres abondent en pins et en cèdres ; et plusieurs
localités où croissent le pêcher, le figuier, l'oranger, le pin, le dattier,
et l'olivier, voient aussi fleurir la vigne. La vanille, l'indigo , la salsepa-
reille , et une grande variété de plantes tinctoriales et médicinales y sont
indigènes. La contrée déploie une magnifique variété de fleurs.
On voit errer dans les prairies d'immenses troupeaux de bisons et de
chevaux sauvages, dont la poursuite est une des principales occupations
V.
27


210
LIVRE CENT NEUVIÈME.
des indiens, aussi bien que des colons établis dans le Texas, et les forêts
nourrissent non-seulement des daims et du menu gibier, mais l'ours gris,
la bête féroce la plus redoutable du continent américain.
On a trouvé du charbon de terre d'une qualité supérieure et du minerai
de fer dans cet État-, des mines d'argent ont même été exploitées dans les
régions montagneuses. Le nitre abonde dans l'est, et le sel s'obtient par
l'évaporation naturelle des lacs et des sources salées qui existent en grand
nombre dans le Texas ; le bitume se montre en plusieurs endroits; et enfin
le gypse, le granit, la pierre à chaux, et l'ardoise y sont communs.
L'année se divise dans le Texas, comme en plusieurs autres parties de
l'Amérique, en saison humide et en saison sèche: pendant la première qui
dure de décembre à mars, les vents du nord et du nord-est sont dominants;
le climat est tempéré et plus salubre qu'à la Louisiane et au Mexique.
Il n'existe guère de contrée de la même étendue qui ait aussi peu de
terres improductives. La région maritime est une riche alluvion où l'on
ne rencontre pas de marais stagnants. Les bords des rivières sont couverts
de terrains boisés, et ceux qui sont placés entre les cours d'eau fournissent
de riches pâturages. Plus loin, dans l'intérieur, de vastes prairies alternent
avec des terrains élevés, sur lesquels croissent des bois propres à la con-
struction ; au delà de la chaîne de montagnes sont des plateaux ressem-
blant aux steppes de l’Asie, mais d'une beaucoup plus grande fertilité.
L'aspect général du sol de cet Etat est celui d'un vaste plan incliné, s'a-
baissant graduellement au sud-est à partir des montagnes jusqu'à la mer,
et le pays est entrecoupé par de nombreux cours d’eau, ayant tous la même
direction. Il est divisé en trois régions: la première forme un espace uni
de 8 à 12 lieues de large le long de la mer; la seconde est une vaste prairie
légèrement ondulée , qui s'étend à 20 lieues dans l'intérieur ; et la troisième
comprend la région montagneuse , au nord et à l'ouest, qui est couronnée
par des plateaux assez élevés. La population du Texas est de 189,403 habi-
tants dont la moitié environ sont esclaves ; il est divisé en 35 comtés.
Le coton et la canne à sucre sont les deux plantations les plus communes.
Les grains le plus spécialement cultivés sont le maïs et le froment. Les
pommes de terre douces et communes réussissent parfaitement bien ; l'é-
lève du gros bétail a été longtemps l'occupation principale et favorite d'une
grande portion des habitants, et plusieurs des prairies sont couvertes d'im-
menses troupeaux de bœufs ; on ne s'occupe pas avec moins de soin de la
propagation des chevaux, des mules, des cochons, des moutons, de la vo-
laille et des autres animaux domestiques.

AMÉRIQUE. —ÉTATS-UNIS, PARTIE CENTRALE.
211
Quant à l'industrie , elle est encore dans l'enfance; cependant, quelques
manufactures commencent à s'y montrer. Le commerce est limité à celui
que fait le Texas avec les autres Etats de l'Union.
L'État est trop récemment constitué pour qu'on y ait établi encore des
colléges et un système général d'éducation; celle-ci n'est cependant pas
complètement négligée. Les principales villes sont: San-Felipe de Austin,
capitale du Texas, sur la rive gauche du Colorado , construite récemment
à 40 lieues de la mer, et au centre de l'Etat ; elle compte déjà plus de 15,000
habitants ; Brazoria, sur la rivière de Brazos, à 10 lieues de la mer, fait
un commerce considérable; Corpus-Christi, sur la baie du même nom,
n'est qu'un grand village ; Galveston, à l'extrémité orientale de l'île de
ce nom, est le principal marché; Houston, sur la baie Buffalo est aussi
une place commerçante; elle compte près de 8,000 âmes; Matagorda,
sur le Colorado, à 35 milles de la mer, n'est qu'un village, mais en voie
de progrès ; Nacogdoches, San-Augustine, et Washington sont aussi des
lieux qui ne manquent pas d'importance.
Plus de la moitié de la population libre se compose d'Américains d'ori-
gine anglaise ; le reste est formé d'un nombre assez considérable d'Alle-
mands, qui y ont émigré dernièrement, de quelques Irlandais, Français,
Italiens, etc. On suppose que 15,000 Mexicains, d'origine espagnole y sont
établis. Dans le nord, on compte quelques tribus indiennes; celle des
Comanches est la plus féroce et la plus guerrière.
A l'époque où Cortez fit la conquête du Mexique, le Texas était la rési-
dence de tribus errantes d'Indiens d'un caractère fier et sauvage. Quoiqu'on
considérât cette contrée comme faisant partie du Mexique, elle était restée
longtemps inoccupée, lorsque La Salle, aventurier français, cherchant à
fonder une colonie à l'embouchure du Mississippi, et se trompant de route,
aborda, en 1685, à l'entrée de la baie de Matagorda. Il construisit là un
fort, qu'il ne tarda pas à abandonner, et que les Indiens démolirent deux ans
après qu'il eut été assassiné par un de ses compagnons. De petits établis-
sements furent faits sur ce territoire par les Espagnols et par les Français,
et chacun d'eux éleva des réclamations sur le pays. En 1681, les premiers
élevèrent un poste militaire à Béar. En 1719, une colonie des habitants
des îles Canaries y fut établie; la province était appelée à cette époque les
Nouvelles Philippines, et plusieurs missions ou presidios, ou postes mili-
taires, existaient en différents endroits. Les prétentions de l'Espagne sur ce
pays, dont la population était considérable, semblent avoir été alors assez
bien justifiées.

212
LIVRE CENT NEUVIÈME.
Une première tentative, faite en 1812, par les Anglo-Américains et
quelques aventuriers, pour rendre le Texas indépendant, échoua par la
victoire complète que l'armée espagnole remporta près de Tolède contre les
insurgés. Vers 1816, des Français, exilés de leur pays à la suite des évé-
nements politiques de 1815, essayèrent de fonder dans le Texas une colo-
nie sous le nom de Champ d’Asile ; mais elle n'eut qu’une courte durée.
Lorsqu'on 1823, le Mexique proclama sa séparation définitive de l'Es-
pagne, Etienne Austin, américain de Durham, dans le Connecticut,
soutenu par Iturbide, colonisa quelques portions du Texas, devenu l'un
des États de la Confédération mexicaine, et bientôt une foule de citoyens
aventureux et intrépides des États-Unis accoururent sur les traces des
premiers colons ; une république éphémère, qu'un parti de Chérokées devait
appuyer, fut même proclamée sous le nom de Fredonia. Mais des dissenti-
ments s'étant élevés dans la suite entre le gouvernement de la confédération
mexicaine et les planteurs du Texas, ces derniers, mécontents de la con-
duite du président Santa-Anna, déclarèrent ouvertement, en 1835, leur
intention de former un État complètement indépendant. Ils créèrent en
conséquence un gouvernement provisoire, et choisirent pour commandant
en chef Samuel Houston, ancien gouverneur de Tennessée. Vaincus d'abord
à l’ Alamo et en quelques autres endroits, ils furent plus heureux à San-
Jacinto; enfin, par suite de l'intervention des États-Unis, l'indépendance
du Texas fut assurée, puis reconnue, d'abord par ces derniers, et enfin par
les autres puissances. En 1844, des négociations furent ouvertes pour son
annexion aux Etats-Unis; au mois février de l'année suivante, une réso-
lution fut prise au Congrès en faveur de cette mesure, et le Texas fut
bientôt après admis comme Etat dans l'Union.
Au nord du Texas, une immense étendue de pays appelé le Grand Désert
Américain, règne le long de la partie orientale des montagnes Rocheuses,
sur une partie des territoires indiens du Nouveau-Mexique et de Nébraska,
pendant près de 240 lieues, sur une largeur de 40 à 50. Le sol en est
aride, formé d'un sable stérile, presque privé de bois et même d'arbris-
seaux.De vastes portions n'offrent que des rocs nus, du gravier ou du sable,
présentant un petit nombre de cactus, des vignes sauvages et quelques
autres plantes. Dans presque toute cette contrée, le voyageur altéré n'a
pour étancher sa soif, pendant une grande partie de l'année, qu'une eau
saumàtre et amère. En plusieurs endroits, on remarque des efflorescences
salines, et le désert n'est point susceptible de culture; cependant, dans la
saison des pluies, il est traversé par des cours d'eau coulant à pleins bords,

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE OCCIDENTALE.
213
d'où il résulte que certaines parties, suffisamment humectées, produisent
l'herbe nécessaire à la nourriture des troupeaux de bisons, des chevaux
sauvages et des autres animaux qui les fréquentent. C'est là surtout que
les Indiens se livrent à la poursuite du gibier.
LIVRE CENT DIXIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — États-Unis, partie occidentale. — Descrip-
tion topographique et politique.
La partie occidentale des Etats-Unis est celle qui appartient au versant
du Grand-Océan, appelé par les Anglo-Américains mer Pacifique1. Elle
est située entre les montagnes Rocheuses à l'est, et le Grand-Océan à
l'ouest, et se compose des Territoires d'Utah, de l'Orégon, et de l'Etat de
Californie ; nous allons les décrire successivement 2.
La région sur l'océan Pacifique a de grandes ressemblances avec cer-
taines parties de l'Asie. On y trouve un grand lac salé ayant quelques rap-
ports avec la mer Caspienne, des plateaux élevés entourés de montagnes,
comme ceux de la Tartarie ; des plaines et des déserts interrompus par des
montagnes, comme en Perse. Elle a trois vallées principales fort étendues :
la Vallée de la Columbia, au nord; celle du Grand-Bassin, au centre, et
la Vallée du Colorado, au midi, et plusieurs secondaires, parmi lesquelles
celles du Sacramento et du San-Joaquin, quiont 180 lieues de long, ont
dans ces derniers temps acquis une grande célébrité. En général, cette
région présente un caractère particulier d'irrégularité, de contraste et de
grandeur. L'observateur y trouve les plus hauts pics des Etats-Unis, dont
les cimes, couronnées d'une neige éternelle, s'élèvent au-dessus de déserts
brûlés par un soleil ardent; des feux volcaniques s'élançant de cônes de
1 Ce nom a été imposé à tort au Grand-Océan, (vu pour la première fois par
Nunez Balboa, en 1513 ), par Magellan, qui y navigua longtemps sans éprouver de
mauvais temps. Les tempêtes qu'on y essuie suffisent pour démentir ridée qu'on
serait porté à se former d'après cette dénomination.
V. A. M-B.
2 Nous avons reproduit ici presque littéralement l'excellent travail de M. de La
Roquette, dont nous avons parlé à la page 181. Nous avons aussi consulté la Des-
cription de la Nouvelle-Californie de M. H. Ferry, Paris, 1850, et le livre publié
en 1846, par M. Fédix, sous ce titre, l'Orégon et les côtes de l'océan Pacifique
du nord, avec une carte.
V. A. M-B.

214
LIVRE CENT DIXIÈME.
glace; des vallées d'une fertilité incomparable; de vastes espaces couverts de
roches âpres et dénudées, de gravier et de sable; de grandes rivières d'une
eau limpide, dirigeant leur course en cascades successives vers l'Océan, à
travers les mille obstacles que leur oppose la nature-, des lacs salés empri-
sonnés au milieu des déserts rocheux, arides et infranchisables, avec
quelques élévations d'une éternelle stérilité, étincelant d'or, de mercure
et d'autres minéraux. Dans cette vaste région, ayant, sur la mer Pacifique,
360 lieues de côtes, qui ouvrent au commerce des Etats-Unis les rivages
sans fin de ce grand océan, et dont les rivières Colorado et Columbia,
chacune d'environ 500 lieues de cours, sont les plus grands tributaires,
toute la population blanche n'excède probablement pas 200,000 individus.
Le nombre des Indiens, répartis dans un grand nombre de tribus, la plupart
encore à l'état sauvage, n'égale peut-être pas celui des blancs.
Le territoire d’Utah et l'Etat de Californie constituent la majeure partie
de ce que les Espagnols appelaient la haute Californie (Alta-California,
appelée aussi quelque fois Nouvelle-Californie, Neuva-California), qui
entra dans le domaine de la Confédération américaine pendant la dernière
guerre avec le Mexique. Quant au Territoire de l'Orégon, elle le réclamait
comme compris dans l'achat de la Louisiane, en appuyant ses droits sur
le fait d'une découverte antérieure fort contestable d'ailleurs.
Fidèles à l'ordre que nous avons adopté, nous commencerons cette des-
cription de la partie occidentale des Etats-Unis par le Territoire de l'Orégon,
qui est le plus septentrional des pays qui nous restent à parcourir.
Le Territoire de l'Orégon est le plus étendu de tous ceux des Etats-Unis,
puisqu'on lui donne 45,300 lieues carrées de superficie. Situé à l'extrémité
nord-ouest de l'Union, entre les montagnes Rocheuses, qui lui servent de
limite à l’est, en le séparant du Territoire de Missouri ou Nebraska et le
Grand-Océan . qui le borne à l’ouest, il s'étend au nord jusqu'au 49° de
latitude, où il confine avec l'Amérique anglaise, touche, au sud, à l'Etat
de Californie et au Territoire d'Utah. Outre les montagnes Rocheuses, qui
le longent à l'orient, l'Orégon est traversé par deux autres chaînes moins
élevées: celle des montagnes Bleues (Blue-Mountains), presque au centre
du territoire; et celle de la Cascade, plus à l'ouest, à peu de distance de
la mer.
La principale vallée est celle de la Columbia. Les divers cours d'eau
principaux et leurs tributaires coulent à travers une contrée sauvage, quel-
quefois bordée par de plaines étroites et fertiles.
Le cours d'eau le plus important de cette contrée est la Columbia, qui

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE OCCIDENTALE.
215
porte aussi le nom d’Orégon, qu'elle a donné au Territoire. Elle prend sa
sa source dans les montagnes Rocheuses, vers le 54° de latitude, se dirige
d'abord au sud-ouest, puis à l'ouest, et se jette dans l'océan Pacifique vers
le 44° 20°. Son cours supérieur est rapide et interrompu fréquemment par
chutes; sa longueur est d'environ 5 à 600 lieues. Quoique obstruée par de
nombreuses barres de sable, elle est navigable l'espace de 40 lieues, pour
des navires dont le tirant ne dépasse pas 4 mètres. A 8 lieues de son embou-
chure, sa largeur est considérable ; mais cette embouchure est obstruée par
des barres de sable, qui augmentent de jour en jour. Le Clatson, ou canal
méridional a été exploré récemment et promet une bonne entrée. La rivière
Lewis, son principal tributaire, naît aussi dans la chaîne des montagnes
Rocheuses, qui porte aussi le nom de Wind rivers Mountain, et, après un
cours très-sinueux au sud-ouest, puis au nord ouest, verse ses eaux dans
la Columbia : ses fréquents rapides l'empêchent d'être d'une grande utilité
pour la navigation. Les rivières Clark et la Multnomah sont aussi des
affluents de la Columbia. C'est des petits lacs situés au milieu des monta-
gnes que la plupart des rivières tirent leurs sources. Il y a aussi plusieurs
nappes d'eau, répandues dans le pays, qui ajoutent infiniment à sa beauté
pittoresque.
Le Territoire de l'Orégon possède, sur la mer Pacifique, un développe-
ment de 150 lieues qui commence au nord au cap Flattery, à l'entrée du
détroit de Juan de Fuca, et se termine au sud près du cap Blanc ; outre
l'embouchure de la Columbia, cette côte offre deux baies importantes qui
peuvent présenter un abri assuré aux navires, ce sont les baies de Gray et
d’Umpqua.
Les productions végétales de ce territoire ne paraissent pas différer maté-
riellement de celles des latitudes correspondantes de l'est. Les forêts con-
tiennent différentes espèces d'arbres, dont quelques-uns atteignent une
hauteur de près de 60 mètres. Parmi ceux qui conservent leur verdure en
toute saison, on remarque le pin, le cèdre, etc., etc.; le chêne, le frêne, le
peuplier, l'érable, le saule et le cerisier, y sont communs ; et on y rencontre
fréquemment des bouquets de noisetiers, de rosiers, etc.
L'élan, le daim, l'antilope, l'ours noir et gris, le loup, le renard, le
muskrat, le martins, le castor, peuplent les forêts et les montagnes. On
rencontre les bisons dans les vastes prairies qui sont à l'orient du ter-
ritoire. Nous observerons que les animaux à fourrure diminuent rapide-
mement, poursuivis qu'ils sont avec acharnement par les chasseurs et les
trappeurs. Au printemps et à l'automne, les bords des rivières sont visités

216
LIVRE CENT DIXIEME
par d'immenses quantités d'oiseaux sauvages. Le saumon, la truite sau-
monée, l'esturgeon, la morue, la carpe, la sole, la flondre, la perche, le
hareng, la lamproie, les crabes, les huîtres, les moules, etc., abondent
dans les rivières et dans les détroits ; et les Indiens, qui vivent presque
entièrement de poisson, prennent souvent des baleines le long de la côte,
à l'embouchure du détroit de Juan de Fuca.
Les ressources minérales sont peu connues-, l'or a été trouvé récem-
ment, et on espère qu'une investigation plus attentive en fera découvrir
de riches gisements.
Le Territoire de l'Orégon, dont le climat est en général de quelques
degrés plus tempéré que dans les pays de l'Atlantique situés sous les
mêmes latitudes, est physiquement divisé en trois régions : l'orientale,
située entre les montagnes Rocheuses et les montagnes Bleues, élevée,
froide et nue, a un climat si variahle, qu'un seul jour offre quelquefois la
température des quatre saisons. Dans la région moyenne, vaste prairie
rompue, au midi, par des arêtes et des faîtes de montagnes, l'atmosphère
est fort sèche en été et très-froide en hiver : il n'y tombe pas de rosée, et
son sol n'est point propre à la culture, mais il renferme de bons pâturages.
Enfin, la région occidentale, située entre la mer Pacifique et la chaîne de
la Cascade, a une largeur d'environ 40 lieues, elle est beaucoup plus
tempérée que les deux autres ; on n'y éprouve jamais les extrêmes ni
de la chaleur, ni du froid : c'est la plus belle portion du pays. Tout le
Territoire de l’Orégon est salubre à un haut degré-, l'hiver y dure de dé-
cembre en février; la neige continue rarement plus de trois jours le long
des côtes.
La nature du sol est extrêmement variée ·, la région occidentale peut
être considérée en général comme fertile, présentant à la fois des terres
hautes et des prairies parfaitement appropriées aux grains et aux fruits;
les races chevalineet bovine y réussissent assez bien; les forêts y sont magni-
fiques, et selon M. Rox-Cox, les pins de 60 à 90 mètres d'élévation, et de
8 à 42 mètres de circonférence, n'y sont pas rares. La région moyenne a
un sol pluPréger, et se compose généralement d'une prairie de sable argi-
leux et d'un petit nombre de riches vallées assez étroites. Les arbres de
construction y sont très-rares ; ceux qu'on peut y voir sont presque tous
d'essence de bois blanc tels que le saule et le cotonnier, encore ne les trouve-
t-on que dans le voisinage des rivières. Si celte région est peu propre à la
culture des céréales, elle offre en compensation les meilleurs pâturages,
peut être du monde, car à mesure que les chaleurs se font sentir, on en

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE OCCIDENTALE.
217
trouve qui sont toujours frais, au fur et à mesure que l'on se rapproche des
montagnes ; c'est dans cette région que les marchands de l'intérieur et les
Indiens viennent s'approvisionner de chevaux. La région orientale offre une
région rocheuse et découpée, où les sommets des montagnes conservent
souvent la neige pendant toute l'année. Il y a quelques portions de bois
de construction; mais en général le pays est nu et froid, une grande partie
du sol étant imprégnée de sel.
L'agriculture est la principale occupation des colons américains qui
habitent la région occidentale; ils récoltent beaucoup de froment, de seigle,
d'orge, d'avoine, et cultivent avec succès plusieurs espèces d'arbres frui-
tiers, entre autres les pommiers, les poiriers.
Il ne faut pas encore chercher de grands établissements industriels dans
le Territoire; cependant, dans un avenir prochain, l'activité américaine y
aura certainement jeté les fondements de quelques grands établissements.
Le commerce est limité principalement à l'exportation des fourrures ;
des provisions de bouche sont envoyées en Californie. On reçoit dans
l'Orégon des quantités considérables de marchandises étrangères, prove-
nant de la portion atlantique des Etats-Unis.
On se rendait autrefois dans cette région pour obtenir des fourrures des
Indiens. En 4811, la Compagnie de la mer Pacifique établit un poste,
appelé Astoria, à l'embouchure de la Columbia. Bientôt après la Compa-
gnie anglaise de la baie d'Hudson fonda, sur quelques points du cours supé-
rieur de la rivière, des postes qui existent encore; cette Compagnie a
presque le monopole du commerce de fourrures, et quoique le territoire ne
soit plus anglais, elle conservera ses droits commerciaux sur ce pays, jus-
qu'à l'expiration de sa charte de fondation.
La population du Territoire de l'Orégon est estimée à 30,000, dont 8 à
10,000 sont Américains; il y a, de plus, quelques employés de la Compa-
gnie de la baie d'Hudson. On suppose que le nombre des Indiens s'élève à
20,000. Les principales tribus sont celles des Têtes Plaies, des Wallawal-
las, des Nez-Percés, des Shoshonées, des Cayuses, des Boonacks, des
Moleles et les Umquas. En général, ils sont inoffensifs et d'une intelligence
bornée; ils tirent de la pêche leur principal moyen de subsistance, sont
très-adroits à diriger leurs canots, prennent un grand nombre d'animaux
sauvages, et échangent leurs fourrures et leurs pelleteries avec les blancs
contre des couvertures, des fusils, de la poudre, des chaudrons, etc. Les
Shoshonées et les Nez-Percés vivent dans les plaines, et possèdent de grands
troupeaux de chevaux pleins d'ardeur. Il existe au milieu de ces Indiens
y.
28

218
LIVRE CENT DIXIÈME.
plusieurs établissements de missionnaires qui ont, dit-on, réussi à propa-
ger le christianisme parmi eux.
Le fort Vancouver, sur le bord septentrional de la Columbia, à 90 milles
de la mer, est le siége principal du commerce de fourrures que font les
Anglais. De belles fermes, des jardins, des moulins, des écoles et des bou-
tiques en dépendent. Astoria, à 8 milles de la Columbia, a seulement deux
bâtiments. Le fort Wallawalla, sur la rive sud de la même rivière, et Col-
vill, sur la rive méridionale de celle de Clarke, sont des postes de commerce
anglais, auxquels des villages sont attachés. Il y a aussi des établissements
anglais sur la Multnomak et en quelques autres endroits. La ville d'Oré-
gon (Orégon-City) est sur cette dernière rivière, dont les chutes d'eau ont
une grande puissance : c'est maintenant la capitale du Territoire.
En mai 1792, Robert Gray, capitaine du navire Columbia, de Boston,
découvrit la rivière à laquelle il donna le nom de son bâtiment, et y entra.
De 1804 à 1805, Lewis et Clarke, sous la direction du gouvernement des
Etats-Unis, explorèrent le pays en remontant la Columbia de son embou-
chure jusqu'à sa source. Depuis 4808, la contrée fut exploitée par des
Compagnies de fourrures anglaises et américaines, et chacune des deux
nations fit valoir ses droits à la possession du Territoire de l'Orégon. En
1846 intervint un traité qui décida que la ligne du 49e degré de latitude
formerait la limite septentrionale des Etats-Unis. Les colons organisèrent
un gouvernement provincial, mais celui-ci fut supprimé en 4849 par le
congrès, qui établit un gouvernement territorial régulier sur le pays. Le
gouverneur réside à Orégon-City.
Le Territoire d’Utah faisait autrefois partie de la Californie; il est borné,
au nord, par le Territoire de l'Orégon ; à l'est, par les montagnes Rocheuses,
qui portent ici les noms de Cordillère, d’Anahuac et de Sierra-Madre, et le
séparent des Territoires de Missouri et du Nouveau-Mexique ; les montagnes
de Sierra-Nevada le séparent, à l'ouest, de la Californie; enfin, au sud, le
37e parallèle nord le sépare du Territoire du Nouveau-Mexique. Outre les
deux principales chaînes de montagnes qui le bordent à l'est et à l'ouest,
et qui sont assez élevées pour être toujours couvertes de neige, deux autres
chaînes peu connues coupent l’Utah dans une direction nord-est et sud-
ouest. La chaîne orientale est appelée montagnes de Wahsalch ; celle de
l'ouest porte le nom de montagnes de la rivière Humboldt.
Ce qui caractérise cette contrée, c'est une vallée appelée le Grand-
Bassin, ayant environ 750 lieues de développement, avec une élévation
de 12 à 1600 mètres au-dessus du niveau de la mer, et dont un désert aride

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE OCCIDENTALE.
219
et sablonneux, que fréquentent quelques rares Indiens, forme la partie
méridionale. Cette vallée, qu'aucun voyageur n'a encore explorée, est
entourée de tous côtés par des montagnes aux pentes couvertes de forêts et
donnant naissance à de nombreux coursd'eau, qui se perdent, les uns dans
le désert, les autres dans de petits lacs. Le Grand-Bassin offre certaines
parties propres à la culture. A l'est et au nord, autour du lac Salé, situé
presque à l'extrémité nord du Territoire, le sol est d'une fertilité extrême;
à l'ouest, il est stérile.
La principale rivière de l’Utah est le RioColorado, qui prend sa source
dans le Territoire de l'Orégon, au milieu des montagnes Rocheuses, non
loin du pic Fremont, et s'appelle rivière Verte, jusqu'à son union avec le
Jacquesila : il prend alors le nom de Colorado, et se jette dans le golfe de
Californie. C'est près de son embouchure qu'il reçoit le Rio Gila, formant
la limite méridionale du Territoire et séparant les États-Unis du Mexique.
Le grand lac Salé, auquel on donne environ 28 lieues de long, est aussi
une curiosité de cette région. Sa forme est irrégulière ; il renferme de nom-
breuses îles, est extrêmement salé, et ses eaux sont si basses, qu'il offre
peu de ressources pour la navigation. Ses rives occidentales consistent en
plaines unies d'une terre vaseuse, légère et profonde, traversées par des
ruisseaux dont l'eau est salée et sulfureuse. Rien ne végète sur ces plaines,
excepté de petits arbrisseaux, couverts de cristaux de sel brillant au soleil ; de
singulières illusions d'optique, produites par le mirage, défigurent les objets
de la manière la plus bizarre. On rencontre à peine de l'eau douce et de l'herbe
dans l'espace de 40 lieues, et, dans un certain endroit, un champ de sel
solide reposant sur de la vase, mais en état de porter des mules, comme
s'il était de glace. Le lac n'a point d'issue. La rivière Utah ou Jourdain,
ainsi que les Mormons l'appellent, est un petit cours d'eau unissant le lac
Utah avec le grand lac Salé. Le premier est un réservoir d'eau douce de
14 lieues de long ·, il reçoit d'impétueux ruisseaux venant des montagnes ;
l'eau est douce, quoiqu'une large formation de roches salées existe dans
l'argile sur sa rive sud-est. Ces deux lacs, placés à environ 1,200 mètres
au-dessus du niveau de la mer, ont une étendue de 1,550 lieues carrées.
Une grande partie de la contrée qui les environne est recouverte de sel
pendant la saison sèche. Le lac Utah, aussi bien que les ruisseaux qui s'y
perdent, abondent en poissons, qui composent en majeure partie la nour-
riture des Indiens Utah. Il paraît qu'il existe un très-grand nombre d'autres
petits lacs répandus sur le territoire ; mais on n'a pas à leur sujet de ren-
seignements exacts. On en a aussi trop peu sur cette région elle-même

220
LIVRE CENT DIXIÈME.
pour pouvoir détailler ici les productions végétales de ce territoire ; mais on
peut présumer qu'en générel elles sont semblables à celles des contrées
orientales placées sous la même latitude. Le gibier, consistant en claims,
en ours, et en petits quadrupèdes, y est très-multiplié, et les oiseaux aqua-
tiques sont nombreux.
On n'a pas encore de rapports développés et exacts sur le climat de
l'Utah. Dans la région du grand lac Salé, les hivers sont longs et rudes ; à
la latitude de 40 degrés, il fait aussi froid qu'à Philadelphie. L'hiver com-
mence en novembre, et jusqu'au mois de mars la terre reste couverte de
plusieurs centimètres de neige. Dans la région montagneuse, un peu plus
au nord, la neige s'accumule quelquefois jusqu'à 15 mètres pendant l'hiver.
La majeure partie de la surface de ce territoire se compose de montagnes
et de déserts. Au sud et à l'est du grand lac Salé, ainsi que dans la vallée
de la rivière de l'Ours {Bear River), au nord, le sol est extraordinairement
fertile, fournit de riches pâturages aux troupeaux, et peut donner d'abon-
dantes récoltes de froment lorsqu'il est mis en culture.
L'Utah présente trois régions d'aspect différent : la première, celle du
Grand-Bassin, déjà décrite, contient un désert de sable brûlant, des mon-
tagnes couvertes de neige à leur faîte, ceintes de verdure à leur base, et
un petit nombre d'espaces fertiles le long des rivières-, la seconde offre
des plateaux élevés et interrompus çà et là par des pics, particulièrement
au centre; et la troisième, la Grande-Vallée des cours d'eau, dépendant du
bassin de Colorado, sur laquelle on a peu de renseignements jusqu'ici.
L'extrémité méridionale de la contrée est montagneuse.
Ce Territoire, dont on évalue la superficie à 36,000 lieues carrées, est
habité par quelques tribus d'Indiens qui se procurent une chétive subsis-
tance par la chasse et par la pêche. La principale tribu est celle des Utah,
dans le nord-est, qui a donné son nom au Territoire. Les habitants blancs
consistent principalement en Mormons, qui s'y retirèrent en 4848. Cette
secte, dont l'origine remonte en 1830, a eu pour fondateur Joe-Smith, de
Palmyra, dans l'État de New-York. Il prétendit avoir trouvé quelques plats
d'or avec des inscriptions qu'il traduisit, à ce que racontent ses adeptes,
au moyen d'une assistance surnaturelle. Ainsi fut produit le livre de Mor-
mon (Book of Mormon), qui est la bible de cette secte. Après avoir construit
d'abord un temple à Kirtland, dans l'État d'Ohio, ils furent chassés par les
habitants ; repoussés ensuite du Michigan et du Missouri, ils se retirèrent
dans l'Illinois, où ils fondèrent la ville de Nauvoo. Persécutés encore dans
ce dernier État, ils se dirigèrent sur l'Orégon et la Californie ; mais, attirés

AMÉRIQUE. - ÉTATS-UNIS, PARTIE OCCIDENTALE.
221
par le pays aux environs du grand lac Salé, ils s'y établirent ; leur nombre
s'élève maintenant à plus de 20,000. Ils construisent entre les deux lacs
une ville, nommée Mormons fort par les Anglo-Américains, et Nouvelle-
Jérusalem, par les Mormons, qui doit avoir 4 lieues de circonférence, et
dont la population monterait déjà à 13,000 âmes ; ils y élèvent un vaste
temple en pierre, et bâtissent toutes leurs maisons en brique.
Les Mormons ont plusieurs établissements le long de la rivière Utah; ils
s'adonnent à l'agriculture, et récoltent déjà 150 boisseaux de froment par
hectare; les pommes de terre et les menus grains viennent bien, mais le
climat est trop froid pour le maïs. Il tombe peu de pluie, et l'irrigation est
nécessaire. Cette secte religieuse possède un grand nombre de moulins
et des scieries mus par les cours d'eau des montagnes ; on trouve dans
les montagnes voisines d'excellent bois de construction. Le climat est
extrêmement salubre.
Le gouvernement des Mormons est fondé sur leur croyance religieuse.
On assure qu'ils forment un peuple industrieux et moral, que le nombre
total des membres de cette secte est de 100,000, établis dans différentes
parties de l'Amérique et de l'Europe. La ville du grand lac Salé étant consi-
dérée par les Mormons comme la Jérusalem de ces nouveaux adeptes, on
peut supposer qu'elle s'accroîtra rapidement par l'émigration des membres
qui s'y rendront. La route des États de l'est à l'Orégon et à la Californie,
au moyen de ce qu'on appelle la passe méridionale (South-Pass), court
environ 28 lieues au nord de la ville de Mormon, mais on peut en prendre
une autre qui se rapproche un peu plus de cette place. Les Mormons four-
nissent des mules, des bœufs et des provisions aux émigrants. La route
d’ Indépendance, à l'occident des montagnes Rocheuses, est aussi fort fré-
quentée. Les Mormons ont établi des bacs pour le passage des rivières qui
traversent leur pays.
Le territoire d'Utah a été organisé en 1850; on l'appelait d'abord le
Desert ; il a été acquis du Mexique, en 1847, en même temps que la Cali-
fornie, dont il dépendait.
L'Etat de Californie, admis dans l'Union fédérale en 1850, est situé sur
l'océan Pacifique, et ses mines d'or lui ont acquis dans ces derniers temps
une immense célébrité. Borné à l'ouest par l'océan Pacifique, le long
duquel il se prolonge du nord-ouest au sud-est pendant 250 lieues, il a
pour limites : au sud, la Vieille ou Basse-Californie, dépendante du
Mexique ; à l'est, le Bio-Colorado et les Territoires d'Utah et du Nouveau-
Mexique-, et au nord, le Territoire d'Orégon.

222
LIVRE CENT DIXIÈME.
Les deux principaux caps que présente la côte sont : celui de la Con-
ception, au sud ; et celui de Mendocino, au nord. Près des côtes méridio-
nales se trouve le petit groupe des îles Santa-Barbara. Deux baies impor-
tantes offrent un sûr abri aux navires ; la première est la baie de
San-Francisco, dont l'entrée se trouve dans une brèche des montagnes
qui descendent jusqu'au rivage en précipices escarpés; elle a 14 lieues
de large sur 27 de long ; elle est divisée en trois parties par des détroits
ou gorges et par quelques points saillants; les deux parties du nord
portent le nom de baie de San-Pablo et de baie de Suissoon. L'autre baie
est celle de Monterey, qui reçoit le San-Buenaventura.
L'État de Californie est traversé par plusieurs chaînes de montagnes,
parmi lesquelles nous nous bornerons à citer la Sierra-Nevada, ou Mon-
tagnes Neigeuses, et le Coast-Bange, ou la Chaîne Côtière, que l'on pour-
rait appeler les Monts Californiens. La Sierra-Nevada est formée de pics
isolés, presque parallèles, la plupart toujours couronnés de neige, et en
grande partie volcaniques, qui s'élèvent, solitaires comme des pyramides,
à des hauteurs de 12 à 1,500 mètres au-dessus du niveau de la mer. La
seconde chaîne, celle des Monts Californiens ou Coast-Bange, qui suit
une direction parallèle à la mer, dont elle est peu éloignée, reçoit les vents
chauds, chargés des vapeurs de l'Océan qui viennent se résoudre en pluies
ou en neiges fécondantes sur son flanc occidental, et laissent passer à l'est
les vents froids et secs. De là les différences caractéristiques des deux
régions : une douce température, la fertilité et l'éclat d'une végétation
superbe sur le versant occidental, tandis que la stérilité et le froid règnent
sur le versant oriental. C'est dans la zone comprise entre cette chaîne et
la mer que se trouvent la plupart des établissements fondés autrefois par
les missionnaires et des points habités par la race blanche. Le pic cul-
minant de cette chaîne est le mont del Diabolo, qui la termine au nord;
il a environ 1,240 mètres de hauteur. Ce pic, vu du large, indique exac-
tement l'entrée de la baie de San-Francisco.
Le pays qu'arrosent le Sacramento et le San-Joaquin peut être considéré
comme une double vallée de 180 lieues de long sur 6 à 20 de large. La
vallée du Sacramento est divisée en haute et basse d'une manière fortement
marquée. La vallée haute, dont le climat est froid, a 80 lieues de long, est
très-boisée, s'élève à 325 mètres au-dessus de la vallée basse ; elle contient
quelques portions de terre labourable, et est considéré ecomme convenable
pour un établissement. A l'une des extrémités de la vallée basse se trouve
placée une montagne granitique isolé appelée Shaste-Peak, s'élevant, à

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE OCCIDENTALE.
223
l'enfourchure de la rivière, à une hauteur de 4,400 mètres. Son sommet,
brillant de neige, est visible, du bas de la vallée, à une distance de 50 lieues.
La rivière descend ici en rapides de 600 mètres, sur un espace de 6 lieues.
La vallée basse s'élève graduellement à partir du pied de la montagne d'où
sort un petit tributaire du Sacramento, sur lequel a été formé l'établisse-
ment de la Nouvelle-Helvétie, centre de la région aurifère. La vallée de San-
Joaquin, de 64 lieues de long sur 6 de large, présente une grande variété
de sol ; sa partie orientale est extraordinairement fertile et bien boisée.
Les principales rivières de cet État sont le Sacramento et le San-Joa-
quin: la première prend sa source dans la région montagneuse du nord,
et coule au sud l'espace de 120 lieues; la seconde naît dans les montagnes
du sud, et se dirige au nord. Après un cours à peu près aussi long, ces
rivières se rapprochent, et se jettent ensuite toutes deux dans la baie de
Suissoon, à peu de distance l'une de l'autre. Elles reçoivent des mon-
tagnes de nombreux cours d'eau, dont quelques-uns sont en partie navi-
gables.
Les principaux affluents du Sacramento sont : La Fourche-Américaine
(American river), belle rivière de 30 mètres de largeur venant de l'est,
rapide et peu profonde. La petite rivière Wiber (Weber creek), qui se jette
dans la Fourche, et qui est célèbre par la richesse de ses sables. La rivière
de la Plume (Feather river), large, profonde et rapide ·, elle vient du nord-
est; elle renferme beaucoup d'or d'un titre élevé; elle a pour affluents la
rivière de l’ Ours (Bear river), VYuba river et l’Urber river, signalés pour
la richesse de leurs sables. La rivière des Trois-Buttes doit son nom à trois
montagnes remarquables détachées de la Sierra-Nevada, que l'on regarde
comme d'anciens volcans. Nous citerons encore le Chico, le Deer et le
Mill. Tous ces affluents viennent de l'est et descendent du revers occidental
de la Sierra-Nevada ; ils appartiennent donc à la rive gauche du Sacra-
mento. On remarque sur la rive droite de ce fleuve quelques rivières venant
de l'ouest, mais jusqu'à présent on n'a exploré de ce côté que la rivière
des Saules (Willows river) et celle des Cotonniers (Cotton-wood river).
Les principaux affluents du San-Joaquin aujourd'hui connus sont : La
rivière Cosumnes, qui tire son nom d'une tribu indienne qui habite ses
bords, ainsi que la rivière Mockelemnes. La rivière Calaveras, qui, ainsi
que les précédentes, arrose de magnifiques prairies. La rivière Stanislas,
torrent rapide de 40 mètres de largeur. La rivière de Tawalumnes, large
et profonde ; celle de la Merced. Enfin la Mariposa, près de la belle vallée
des Tulares, dont les gisements aurifères sont très-riches. Toutes ces

224
LIVRE CENT DIXIÈME.
rivières appartiennent à la rive droite du San-Joaquin, et descendent du
revers occidental de la Sierra-Nevada.
L'Etat de Californie renferme un très-grand nombre de petits lacs, dont
quelques-uns n'ont point d'eau pendant la saison sèche. Le Tule paraît être
le plus considérable. Le lac d'Or (Gold-Lake), considéré comme le gisement
de riches mines d'or, est plutôt le lit desséché d'un ancien lac qu'un véri-
table lac existant en ce moment.
Lorsqu'on pénètre dans la baie de San-Francisco, on se croit au milieu
d'un lac profond s’étendant, nord et sud, entre deux rangées parallèles de
montagnes. Un petit nombre d'îles rocheuses et élevées animent sa surface.
Immédiatement à l'entour du rivage, on voit les terres séparées par des
collines et tachetées, pour ainsi dire, par des groupes boisés. Derrière sont
des pics montagneux, dont quelques-uns s'élèvent à une hauteur de 1,000
mètres, à la partie méridionale est San-José, maintenant capitale de l'Etat.
Sur un cap se projetant à l'est, à la partie méridionale de l'entrée de la
baie, se montre la ville de San-Francisco, dont le port, l'un des plus
beaux du monde, est capable de contenir la marine d'un empire. Avec la
magnifique- baie qui le circonscrit et l'océan Pacifique sans bornes, c'est
un des points commerciaux les plus importants et les plus intéressants
du globe.
Les productions végétales paraissent ici très-variées. Dans les vallées
du Sacramento et du San-Joaquin, on trouve des forêts de chênes et de
plusieurs autres espèces d'arbres, parmi lesquels on peut citer le cyprès :
il semble que le pays offre naturellement tous les produits communs à cette
latitude dans les parties les plus orientales des Etats-Unis.
Les ours, les daims et les panthères habitent l'intérieur, tandis qu'on
voit le long des côtes une grande variété d'oiseaux aquatiques.
La région de l'or est surtout au versant oriental de la vallée du Sacramento.
C'est à une circonstance très-singulière que l'on doit la découverte des
mines de la Californie. Le capitaine Sutter ex-officier des gardes suisses
sous la Restauration, vint, à la suite de la révolution de Juillet fonder un
établissement important presque au confluent du Sacramento et de la rivière
de la Fourche-Américaine. En septembre 1847, ayant besoin de planches,
il passa un marché avec un mécanicien M. Marshall, pour faire construire
à 18 lieues de son établissement et sur les bords de la Fourche-Américaine
dans une région montagneuse couverte de pins, une scierie mécanique mise
en mouvement par une chute d'eau. Quand le bâtiment fut achevé, et qu'il
fallut, au printemps de 1848, lâcher l'eau sur la roue, il se trouva que le sas

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS, PARTIE OCCIDENTALE.
225
de cette roue était trop étroit pour laisser échapper le volume d'eau qu'on
lui apportait. M. Marshall, pour épargner les frais, laissa naturellement à la
chute d'eau le soin de se creuser elle-même un passage en approfondissant
le sas de la roue. Il en résulta qu'au bout de peu de temps, un monceau de
sable et de détritus se forma au pied de la chute; un jour, en examinant
ces sables, M. Marshall y reconnut la présence, en grande quantité, de
paillettes d'or, ressemblant à des petites écailles de poisson. Cette heureuse
découverte fut, malgré lui et malgré M. Sutter, bientôt ébruitée, et trois
mois après on estimait à plus de 4,000 le nombre des personnes qui s'étaient
lancées à la recherche de l'or. L'histoire s'en répandit rapidement en Europe
et en Amérique, et un nombre incroyable d'aventuriers ne tarda pas à se
précipiter vers le pays. San-Francisco fut subitement métamorphosé en
une grande ville, et les flancs des montagnes, ainsi que les ravines le long
de la vallée du Sacramento, furent envahis par des milliers d'individus
empressés de creuser le sol. Non-seulement on découvrit des pépites du
précieux métal, mais des lingots de toute grosseur, les uns purs, les autres
mêlés avec du quartz, pesant quelquefois trois à quatre kilogrammes, et
d'une valeur de plusieurs milliers de dollars. Des navires cl des bateaux à
vapeur couvrirent et remontèrent les rivières, des tentes furent dressées,
des villages et des villes s'élevèrent, et tout le pays à l’entour devint le
théâtre d'une immense activité. Des explorations ultérieures eurent lieu ;
Tor fut encore trouvé dans d'autres localités, et l'on se convainquit bientôt
que ce métal précieux existait dans divers endroits le long de la Sierra-
Nevada , depuis le Rio-Gila jusqu'à la Columbia. Les exagérations les
plus extravagantes furent en crédit, et l'on entendit même parler d'un lac
d'or, d'une montagne d’or. Ce précieux métal n'est pas le seul qui soit
exploité en Californie, on y trouve aussi des mines de mercure. On sait
que le fer existe, et il est probable qu'on ne fait que commencer à com-
prendre les ressources minérales de cette merveilleuse région. On a supposé
que le produit annuel des mines d'or ne sera pas au-dessous de 40 à 50 mil-
lions de dollars (plus de 200 à 250 millions de francs).
On peut à peine appliquer à ce pays les noms d'été et d'hiver dans le
sens que nous leur donnons ; les saisons ne sont pas marquées par la cha-
leur et par le froid, mais par l'humidité et par la sécheresse. La saison
sèche comprend ce que nous appelons l'été, et la saison humide, celle à
laquelle nous donnons le nom d'hiver. Dans les parties méridionales, la
sécheresse rend nécessaire l'irrigation, qui met le fermier en état de pro-
duire une succession de récoltes dans le cours de l'année. Pendant les mois
V.
29

226
LIVRE CENT DIXIÈME.
de sécheresse ou l'été, la végétation est desséchée ; elle renaît pendant la
saison humide ou les mois d'hiver. Dans les vallées abritées, les arbres et
l'herbe conservent leur verdure, et les fleurs s'épanouissent toute l'année.
Les nuits sont froides, même lorsque les journées sont chaudes. Une tem-
pérature d'une douceur égale caractérise ce climat, quoique la neige tombe
en abondance dans les hautes terres du nord. Le climat est très-salubre,
sans maladies dominantes, et, sous tous les aspects physiques, la Califor-
nie a quelques ressemblances avec l'Italie.
L'aspect du sol est très-varié, les pics des montagnes sont nus, rocail-
leux, et sur leurs pentes le terrain est ordinairement léger et susceptible
de culture. Les vallées, étroites, offrent une grande variété, depuis un
sol médiocrement productif jusqu'à celui de la plus extrême richesse.
Quelques fermes sont habitées par d'anciens colons espagnols, occupés
surtout de l'élève du bétail et des chevaux, autrefois si multipliés qu'on les
tuait uniquement pour leurs peaux. Quelques-uns des nouveaux colons
se livrent à l'agriculture; mais le peuple est néanmoins forcé de vivre
principalement des provisions envoyées des Etats-Unis. Les céréales
viennent en abondance du Chili et de quelques autres endroits, le long
la côte occidentale.
L'exploitation des mines absorbe tous les esprits. L'or est cherché avec
des pioches, des houes, des bêches, et les appareils les plus variés, on
emploie même des machines à vapeur. Les rivières sont détournées de
leur lit, les montagnes sont percées jusqu'à leurs entrailles ; le sein de
la terre est partout déchiré, interrogé ; le précieux métal s'obtient en
lavant ou tamisant les sables. Les pépites les plus considérables sont
extraites des crevasses des rochers, des lits desséchés des torrents et des
strates d'ardoise, qui se trouvent verticalement dans les ruisseaux. L'or se
rencontre encore le long du Sacramento et de ses tributaires le Feather, le
Bear, l’Yuba, etc., ainsi que le long du San-Joaquin et de ses tributaires le
Cosumnes, la Mariposa, le Stanislas; à Bodega, sur la côte de la mer, et,
plus loin, au sud, en différents endroits, dans les montagnes, jusqu'au Bio-
Gila ; il a été découvert enfin plus au nord, même dans l'Orégon. Néanmoins
la région du Yuba est, sous ce rapport, considérée en ce moment comme la
contrée te plus riche. Les gisements aurifères portent le nom de placers.
Diverses manufactures d'articles nécessaires à la vie ont été immédia-
tement établies dans ce curieux État comme par enchantement ; et elles
augmentent encore considérablement par suite de l'accumulation rapide
de la population et des besoins du pays.

AMÉRIQUE.
— ÉTATS-UNIS, PARTIE OCCIDENTALE.
227
L'or est le principal article d'exportation. La plus grande partie est
envoyée aux Etats-Unis ; mais on en transporte aussi au Mexique, dans
l'Amérique méridionale, en Angleterre, aux îles Sandwich et en Chine; car
on trouve en Californie des chercheurs d'or, des marchands, des aventu-
turiers et des spéculateurs de tous les pays du globe. Presque toutes les
choses nécessaires à la vie, et jusqu'à des maisons entières, y sont impor-
tées d'Europe et de différentes parties de l'Amérique.
La majeure partie des habitants de la Californie se compose d'émigrants
des Etats-Unis. Il y a quelques milliers d'anciens colons espagnols dans
les anciennes villes, quelques Indiens, et surtout un nombre immense
d'aventuriers venus du Mexique, de l'Amérique méridionale, de la Chine et
de toules les parties de l'Europe. On a même constaté une diminution
notable dans la population des îles Sandwich, attribuée à cette fièvre
d'émigration en Californie. Il est impossible de concevoir une population
plus hétérogène, soudainement agglomérée par une impulsion commune,
et agissant sous le même sentiment qui absorbe tous les autres. Le carac-
tère américain prédomine néanmoins, et, suivant toute apparence, la
société, en Californie, ne tardera pas à être fondue en une masse com-
mune.
San-Francisco, aujourd'hui la principale ville, qui ne contenait en 1847
que quelques centaines d'habitants, en a en ce moment, à ce que l'on croit,
30,000. Elle possède des rues, des squares, des hôtels, des banques, et des
bâtiments disposés pour les foires et les marchés, etc. Plus de six cents
navires encombrent son port, que des lignes de bateaux à vapeur mettent
en relation avec le monde oriental ; une nouvelle ligne est projetée pour
établir des communications avec la Chine, ainsi qu'avec les autres parties
de la côte d'Asie. Aucun autre point du globe n'a jamais ouvert une pers-
pective si soudaine et si large d'événements importants. La ville, dont une
multitude d'individus de tous les pays, différents par leurs costumes et
leurs langages, encombrent les rues, présente un aspect vraiment curieux.
Les autres villes ou lieux qui offrent de l'intérêt après San Francisco sont :
Monterey, sur le côté sud de la baie de ce nom, jadis capitale de la Nouvelle-
Californie-, San-José, ancien pueblo espagnol, au centre d'une magnifique
vallée, sur le Rio-Guadalupe, qui se jette au fond de la baie de San-Fran-
cisco, et porte aujourd'hui le titre de capitale de l'Etat, sans doute à cause de
sa situation presque centrale, a une population qui augmente journellement
d'une manière suprenante ; San-Diego, Los Angeles, Santa-Barbara, San-
Migael ; etc. Toutes ces places sont d'anciens élablissements fondés sur la

228
LIVRE CENT DIXIÈME,
côte par les missionnaires espagnols. Parmi les villes nouvelles ou éta-
blissements qui se créent sur tous les points, nous citerons : Sacramento-
City, au confluent du Sacramento et de la Rivière-Américaine (American-
River), la ville la plus peuplée de la Californie après San-Francisco, dont
elle est éloignée de 46 lieues, possédant des banques, des hôtels, etc. : des
bateaux à vapeur naviguent journellement entre ces deux villes ; Sutterville,
ou Nouvelle-Helvétie, non loin de Sacramento-City, et qui doit sa création
au capitaine Sutter, qui avait d'abord fondé pour tout établissement le fort
Sutter. A18 lieues à l'est se trouve Coloma, dans le lieu même où se lit la
découverte de l'or-, Stockton, sur la rive orientale du San-Joaquin, à quel-
ques lieues au nord du Stanislas. Au confluent de cette dernière rivière avec
le San-Joaquin ; on voit New-Hope (Ronne-Espérance), fondée en 1846,
par 200 Mormons; New-York, en face de l'entrée des rivières Sacramento
et San-Joaquin, dans la baie de Suissoon. Sonoma, ancien pueblo espagnol
au fond de la baie de San-Pablo, est le quartier-général de la division mili-
taire de l'océan Pacifique; à quelque distance de cette ville est Benicia,
sur la baie de Suissoon, à la sortie du détroit des Carquines, à 8 lieues
- de San-Francisco. Sonora, dans la vallée des Tulares, arrosée par les
affluents du San-Joaquin ; Saint-Louis, sur un petit ruisseau qui verse ses
eaux dans la baie de San-Pablo ; Frémont, près de l'embouchure de la
rivière Feather, devant son nom au premier officier américain qui ait par-
couru ce pays en maître et l'ait bien fait connaître. Vernon, à 8 lieues
au nord-est du Sacramento; Marysville, au point de jonction de l' Yuba et
de la Feather, à 30 lieues au nord-est du Sacramento : de petits bateaux
à vapeur remontent jusqu'à cette place, rendez-vous des mineurs, qui
peuvent s'y procurer tous les articles nécessaires pour leur entretien et
leur équipement : des tentes, des outils, des vêtements tout confectionnés,
des esprits, du bœuf, du porc, de la farine, et d'autres denrées : c'est de ce
point que les mineurs se rendent à pied à leur destination, en faisant por-
ter leurs bagages sur des mules; enfin, Rose's-Bar, sur l'Yuba, à 10 lieues
au-dessus de Marysville ; Fors ter's-Bar, 11 lieues plus haut en remontant la
rivière; Godwins-Bar, 11 lieues au delà-, et Downieville, 3 lieues encore
plus loin, c'est-à-dire à 108 lieues au nord-est de San-Francisco, sont des
établissements recherchés par les mineurs, qui y travaillent seulement de
mai à août, pendant la saison sèche. Les neiges restent quelquefois sur
les montagnes, et remplissent les excavations jusqu'à cette époque. La
rapidité avec laquelle ces différents centres d'habitations surgissent, se
développent, et prennent tout à coup rang parmi les plus grandes cités

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS , PARTIE OCCIDENTALE.
229
américaines, ne saurait se décrire. Observons cependant que la population
de la Californie n'est pas assez sédentaire pour leur assurer dans l'avenir
l’importance à laquelle elles sont subitement parvenues.
L'État actuel de la Californie n'occupe que la moindre partie de l'im-
mense région qui portait autrefois ce nom. Quelques missions et des ports
de commerce y avaient été établis de bonne heure par les Espagnols ;
mais, en général, ces établissements étaient tombés en décadence; Mon-
terey et San-Francisco étaient les seuls ports visités par les navires que
le besoin y conduisait, lorsqu'en 1846, les forces des États-Unis s'empa-
rèrent de la contrée; et en 1848, à la fin de la guerre du Mexique, cette
conquête leur fut confirmée. Par suite de la découverte des gisements auri-
fères faite cette année, la population s'étant accrue avec une rapidité sans
exemple, les habitants reconnurent la nécessité d'un gouvernement régu-
lier. En 1849, une convention s'assembla, et promulgua une constitution
qui fut immédiatement ratifiée par le peuple; en 1850, la Californie fut
admise comme Etat dans l'Union fédérale.
La population de ce nouvel État, que l'on évaluait à peine en 1831 à
23,000 âmes, comprenant 18,000 Indiens convertis et 5,000 colons ou
soldats d'origine espagnole, dépasse aujourd'hui 200,000, dont la moitié
au moins sont Anglo-Américains. Le reste se compose de colons venus,
ainsi que nous l'avons dit, de toutes les parties du monde, et d'environ
20,000 Indiens.
Ces derniers habitent l'intérieur du pays; ils se divisent en un grand
nombre de petites tribus, parmi lesquelles nous citerons celles des Tulares,
des Jenigueih, des Pabr-Utahs, des Queba-Jayes et des Kinklas. Ils ont en
général le teint brun tirant sur le bistre, les cheveux noirs et plats, la barbe
rare, les yeux petits et allongés, la tête carrée, la face large sans être plate,
le nez épaté, la bouche grande et les pommettes des joues saillantes-, la
poitrine haute, les jambes grêles. Leur taille est généralement au-dessus
de la moyenne; ils pratiquent le tatouage, mais cet usage semble plus
répandu chez les femmes que chez les hommes. La tribu des Kinklas, habi-
tant au nord-ouest de la vallée des Trois-Buttes, est remarquable par sa
bonne humeur et sa douceur, c'est une race joyeuse, toujours disposée à
rire et à gesticuler. Les hommes se peignent ordinairement la partie supé-
rieure des joues au moyen de lignes qu'ils mènent jusqu'aux oreilles; ces
traits sont de couleur bleue ou rouge, mêlée de particules brillantes res-
semblant à du mica pulvérisé. Le vêtement des hommes consiste en une
ceinture de peau de loutre; ils y ajoutent un manteau en peaux de daim, de

230
LIVRE CENT DIXIÈME.
lièvre ou de renard, et se couvrent la tête de chapeaux de paille très-bien
tressés. Le costume des chefs consiste en une ceinture de plumes descen-
dant jusqu'aux genoux. Ils portent aussi un manteau fait en tissu de plumes
ingénieusement travaillé. Leur coiffure se compose du bonnet appelé en
langue indienne tobet; c'est un bandeau tourné autour de la tête, dans
lequel sont fixées plusieurs sortes de plumes, arrangées avec symétrie en
forme de couronne. L'habillement des femmes se compose d'une jupe en
forme de sac, ou d'une ceinture de roseaux descendant à mi-jambe ; elles
se couvrent les épaules d'un manteau de peau, et ont pour coiffure des
réseaux très-déliés. Les femmes recherchent la parure avec passion ; elles
portent, comme les hommes, des colliers de nacre mêlés de noyaux de fruits
et de coquillages. La principale occupation des hommes et des femmes, est
de filer le lin, le chanvre, le coton ; ils en font des sacs, des filets et des
ré. eaux ; ils fabriquent aussi des paniers. Toujours nomades, ils ne cultivent
guère qu'un peu de maïs, et se nourrissent principalement de gland et du
produit de leur chasse et de leur pêche. Leurs habitations temporaires con-
sistent en huttes circulaires de 2 mètres de diamètre sur 3 de hauteur, on y
entre en rempant par un trou pratiqué en terre. Chaque tribu est soumise
à l'autorité d'un chef absolu, qui n'entreprend rien sans avoir pris l'avis du
puplem, espèce de devin et prêtre-médecin. Les armes des naturels de la
Californie sont l'arc et les flèches; quelques tribus ont des massues et des
lances. Une de leurs ruses de chasse la plus curieuse, est celle qu'ils emploient
contre les cerfs : revêtus de peaux de cerfs, auxquelles la tête et le bois
tiennent encore, ils se rendent dans les clairières des forêts, et, à demi-
cachés par les hautes herbes, ils imitent si bien ces timides hôtes des forêts,
que ceux-ci accourent à l'appeau sans défiance, et tombent bientôt percés
d'un trait mortel.
Nous terminerons cette description de l'État de Californie, en emprun-
tant à une publication récente, l’ Annuaire des Deux-Mondes, le tableau des
différentes routes qui mènent des États orientaux de l'Union américaine en
Californie.
Routes de mer. — Première route: de New-York à Chagres, par navire
à vapeur, 750 lieues, 17 jours ; — de Chagres à Panama, par canot et par
mules, 20 lieues, 2 jours ; — de Panama à San-Francisco, par navire à
vapeur, 1,200 lieues, 20 jours.
Deuxième roule : de New-York à San-Francisco, en doublant le cap
Horn, par navire à voile, 6,000 lieues, 6 mois.
Roules de terre. — Première route : de Saint Louis-Missouri à San-

AMÉRIQUE- — MONUMENTS ANTIQUES.
231
Francisco, à cheval, en chariot ou avec mules, 800 lieues, 115 jours.
Deuxième route : de l'État d'Arkansas à San-Francisco, à cheval ou en
chariot, 900 lieues, 110 jours.
Roule mixte. — De New-York à Vera-Cruz, par navire à vapeur,
750 lieues, 17 jours ·, — de Vera-Cruz à Acapulco, par mules, 100 lieues,
6 jours ; — d’Acapulco à San-Francisco, par navire à vapeur, 700 lieues,
15 jours.
Nous ajouterons que M. Daniel Webster a présenté au Congrès un projet
de chemin de fer qui devait aller de Saint-Louis-Missouri à San-Francisco,
l'espace à parcourir est de 450 à 500 lieues : nous ignorons encore quelle
sera la fortune de ce projet-, mais dans ce pays de merveilles industrielles,
nous devons toujours nous attendre à voir réaliser les choses, même les
plus discutables.
LIVRE CENT ONZIÈME.
Coup-d'œil sur les monuments d'une antique civilisation, observés sur le Territoire
des États-Unis.—Quelques détails sur les principales tribus indiennes des Terri-
toires de l'ouest du Mississippi.

Les peuples sauvages de l'Amérique septentrionale paraissent avoir
succédé à des peuples plus anciens et plus civilisés, à en juger par les
monuments découverts, depuis la fin du dix-huitième siècle jusque dans
ces derniers temps, sur différents points du Territoire de l'Union. Du moins
il est certain que ces peuplades n'ont aucune Tradition qui se rapporte à
ces monuments. Mettant à profit les descriptions qui en ont été faites par
différents voyageurs, et surtout les savantes recherches de M. Warden sur
ce sujet, nous allons jeter un coup d'œil rapide sur ces débris antiques:
ce sera en donner une idée suffisante. Nous ne pouvons, dans un ouvrage
destiné à résumer toutes nos connaissances géographiques, passer sous
silence des monuments qui se rattachent à une question qui sera long-
temps insoluble, celle de savoir si l'Amérique a possédé une population
autochthone, ou si elle a été peuplée par des races appartenant à l'ancien
continent.
Les monuments antiques trouvés jusqu'à ce jour sur l'immense Terri-

232
LIVRE CENT ONZIEME.
toire de l'Union appartiennent à cinq classes principales, savoir : tom-
beaux, murailles, inscriptions, idoles, momies.
Les tombeaux consistent en tertres, que l'on désigne communément
sous le nom de tumuli. Ordinairement ils sont en terre, et quelquefois en
pierres. Construits à peu près sur le même modèle, ils ne diffèrent que par
les dimensions qui, en général, sont plus considérables dans la partie
méridionale des États-Unis que dans la partie septentrionale. Vers le nord
ils ont 3 à 4 mètres de diamètre à leur base, et 1 à 2 mètres de hauteur;
vers le sud ils couvrent une surface de plusieurs arpents, et ont 25 à 30
mètres d'élévation. Sur la Kaskaskia, petite rivière qui parcourt l'État
d'Illinois et va se jeter dans le Mississippi, il existe vis-à-vis de la ville de
Saint-Louis plus de 100 tumuli, formant différents groupes. L'un de ces
tombeaux a 35 mètres de hauteur et 200 de diamètre à sa base. Un autre,
situé dans le district appelé American Bottom, a la forme d'un parallélo-
gramme : il a 750 mètres de circuit et 30 de hauteur. Non loin des rives
de l'Ohio, entre deux de ses affluents appelés la Petite Grave-Creeh et la
Grande Grave-Creeh, se trouve le Grand Tombeau (Big-Grave), qui a
100 mètres de diamètre à sa base et 30 de hauteur. Le sommet est creusé
en forme d'amphithéâtre, avec un rebord de 2 à 3 mètres d'épaisseur. Une
ouverture pratiquée dans ce tombeau y a fait découvrir plusieurs milliers
de squelettes humains.
Ces deux monuments funéraires sont les plus grands que l'on ait encore
observés, à l'exception du Mont Joliet, situé dans l'État d'Illinois, et qui
paraît être aussi un tumulus : c'est évidemment un monument de l'art. Il
a environ 350 à 400 mètres de longueur sur 200 à 300 de largeur. Quant
à ceux de moindre dimension, ils sont dans certains lieux tellement nom-
breux, qu'il est impossible de ne pas admettre qu'à l'époque de leur con-
struction la population indigène était beaucoup plus considérable qu'elle
ne l'est aujourd'hui. Ainsi, au nord et à une petite distance de Saint-Louis,
on compte jusqu'à 27 tumuli groupés, tous de forme et de grandeur diffé-
rentes, mais, ce qui est assez remarquable, tous alignés du nord au sud ;
la plupart ont la forme d'un carré oblong. Assez ordinairement ces tom-
beaux sont situés sur le bord des rivières.
Dans l'État d'Indiana il existe aussi un grand nombre de tertres qui ont
depuis 1 jusqu'à 10 mètres de hauteur ; plusieurs sont construits en pierres
entassées les unes sur les autres : l'un de ceux-ci a 3 mètres de hauteur et
55 de circonférence. L'État d'Illinois en offre environ 150 dans un espace
de 6 ou 7 lieues au-dessus et au-dessous de la Kaskaskia. Enfin, pour

AMÉRIQUE. — MONUMENTS ANTIQUES.
233
donner une idée du grand nombre de ces monuments, il suffit de dire que
dans le seul État de la Louisiane, M. Brackenridge estime qu'il y en a plus
de 3,000 1.
Ce qui peut faire apprécier le degré de civilisation du peuple qui les a
érigés, ce sont les objets fabriqués qu'on y a découverts. Une courte énu-
mération de ces objets fera voir qu'on s'est plu à exagérer l'état de celte
civilisation, bien qu'elle soit supérieure à celle des indigènes de nos jours,
qui du reste ne construisent aucune sépulture de ce genre.
On a trouvé dans la plupart de ces tombeaux des haches assez semblables
à celles dont les tribus américaines se servent encore à la guerre ; des pilons
en pierre, des vases de terre, des médailles en cuivre, des pointes de flèches
du même métal, des chapelets dont les grains étaient passés dans un fil de
lin, des tètes de pipe en cuivre mal battu, des poteries assez bien conser-
vées et formées de silex et d'argile. Dans un des tertres des environs de
Marietta, ville de l'État d'Ohio, on a découvert quelques pièces de cuivre
qui paraissent avoir formé le devant d'un casque. Un des tertres ouverts
près de Circleville, dans l'État d'Ohio, a présenté une grande quantité de
pointes propres à armer des flèches, et la poignée d'une petite épée faite
en corne de cerf. Dans un autre tumulus des environs de la même ville,
se trouvaient des couteaux et des haches en pierre. Près de Louisville,
dans l'État de Kentucky, on a trouvé, avec des ossements humains, des
pointes de flèches en silex.
On a cherché à évaluer l'antiquité de ces tombeaux par la dimension des
arbres qui croissent sur leurs sommets et dans les fossés qui les entourent ;
mais on conçoit que cette évaluation ne peut être qu'approximative, attendu
que ces arbres n'y ont point été plantés par ceux qui ont élevé ces monu-
ments, et qu'ils y ont poussé naturellement à une époque plus ou moins
ancienne. Cependant des platanes de l'espèce appelée plalanus occiden-
talis indiquèrent par la grosseur de leur tronc et par le nombre des couches
concentriques qui le formaient un nombre d'années assez considérable.
Lorsque des Français fondèrent, en 1788, la ville de Marietta, qu'ils nom-
mèrent ainsi en l'honneur de la reine Marie-Antoinette, les tertres qui
s'élèvent près de son emplacement étaient couverts d'arbres de dimensions
prodigieuses. Quelques-uns paraissaient avoir près de 500 ans-, mais ils
étaient postérieurs à d'autres arbres morts de vétusté, dont les troncs
pourris avaient 3 à 4 mètres de diamètre, et tout portait à croire qu'il y
1 H. Brackenridge : On the population and tumuli of the aborigenes of North
America.
V.
30

234
LIVRE CENT ONZIÈME.
avait eu antérieurement à ceux-ci d'autres arbres dont on retrouvait les
débris décomposés. Un bouleau qui présentait 136 cercles d'accroissement
paraissait avoir pris la place d'un arbre d'une autre espèce. « Si donc nous
« admettons, dit à ce sujet le docteur Cutler, que les arbres actuels aient.
« 450 ans, et que les anciens en aient eu autant, il résulterait que ces
« ouvrages ont été abandonnés depuis 900 ; et en supposant qu'ils aient
« été occupés l'espace de 100 ans, leur origine remonterait au moins
« à 1,000 ans.» On conçoit, nous le répétons, que ces arbres, ayant
poussé spontanément, soient postérieurs de plus d'un siècle à l'érec-
tion de ces tumuli, ce qui porterait l'antiquité de ceux-ci à près de
12 siècles. En général, on a remarqué sur ces monuments des arbres
aussi grands et probablement aussi vieux que ceux des antiques forêts
voisines.
Cependant nous devons faire remarquer que les monuments funéraires
dont nous venons de parler paraissent être d'une époque plus ancienne que
d'autres dont nous allons dire un mot, et qui, mal observés d'abord, ont
été le sujet de suppositions fort singulières.
Sur les bords du Merameg, ou Maramec, appelé aussi Merrimack,
affluent du Mississippi, MM. Say et Peale remarquèrent une foule de tom-
beaux qui avaient déjà été explorés et qui passaient pour renfermer les
ossements d'une race d'hommes au dessous de la taille ordinaire : on avait
même donné le nom de Lilliput à cet emplacement, que l'on regardait
comme contenant les restes d'une ville qui avait été habitée par des pyg-
mées. Enfin, comme on avait trouvé dans un de ces tombeaux la tête d'un
vieillard sans dents, on en avait conclu qu'il avait existé dans le voisinage
de cette ville une race d'hommes ayant les mâchoires comme celles des tor-
tues. Ces tombeaux ne s'élèvent pas comme les autres au-dessus du sol ;
ont les reconnaît aux pierres verticales qui les entourent, et dont on
n'aperçoit que les extrémités ·, d'autres pierres placées horizontalement les
recouvrent. Ce qui a fait supposer l'antique existence d'une peuplade de
nains dans la contrée, c'est que les tombes n'ont ordinairement qu'en-
viron 1 mètre de longueur, fait qui s'est trouvé expliqué tout naturellement
par la découverte d'un squelette bien conservé, qui avait les os des jambes
repliés contre les cuisses. Ces os paraissent avoir été disséqués, comme
c'est encore la coutume chez quelques tribus de l'Amérique du nord. Tout
porte à croire enfin que ces tombes contiennent les restes d'un peuple plus
moderne que celui qui a élevé les tertres. Mais cependant ce peuple était
d'une autre rare que les Indiens d'aujourd'hui : ces derniers sont grands,

AMERIQUE. — MONUMENTS ANTIQUES.
235
minces et bien faits, tandis que ceux dont on retrouve les sépultures sur
les bords du Maramec étaient courts et trapus.
Examinons maintenant les grandes constructions en terre, en pierres et
en briques : elles offrent d'autant plus d'intérèt qu'elles semblent annon-
cer un plus haut degré de civilisation que l'érection des monuments funé-
raires que nous venons de passer en revue. Elles consistent en murailles
de terre qui s'élèvent parallèlement sur le sol, et en murailles souterraines
quelquefois en terre, et d'autres fois en briques et en pierres. On a consi-
déré les premières comme des restes de fortifications, et en effet tout semble
annoncer qu'elles ont été faites dans un but stratégique. Elles se com-
posent de parapets et de fossés, avec cette particularité que les portes s'ou-
vrent toutes du côté du levant. Quelques-unes sont surtout remarquables
par leur étendue. Celle que l'on voit près de la ville de Chillicothe, dans
l'État d'Ohio, couvre plus de 40 hectares de superficie ; c'est une muraille
en terre de 4 mètres de hauteur sur 5 d'épaisseur à sa base, entourée de
tous côtés, excepté de celui de la rivière, d'un fossé large d'environ 7 mètres.
La plupart, situées sur le bord des rivières, sont de forme rectangulaire, et
ont plus de 200 mètres de longueur et 180 de largeur; d'autres, placées à
quelque distance des cours d'eau, sont circulaires et ont rarement plus de
50 mètres de diamètre. Des travaux semblables s'étendent d'un côté depuis
les bords méridionaux du lac Érié jusqu'au golfe du Mexique, et de l'autre
sur les rives du Missouri, et depuis ce cours d'eau jusqu'aux montagnes
Rocheuses.
A partir de l'embouchure du Cataragus-Creek, dans le lac Érié, dit
M. Warden, on rencontre une ligne de ces fortifications qui s'étendent
l'espace de 30 kilomètres vers le sud, et qui ne sont éloignées les unes des
autres que de 6 à 8 kilomètres. Dans la partie occidentale de l'État de New-
York, on trouve les vestiges d'une ville défendue par des forts, et dont
l'emplacement paraît avoir occupé plus de 202 hectares. « L'ancienne
« fortification découverte par le capitaine Carver, près du lac Pépin et du
« Missouri, par 43° 50' de latitude nord, a près d'un mille d'étendue. Elle
« est de forme circulaire, et la surface qu'embrassent ses remparts pour-
« rait contenir 5,000 hommes. »
« Quoique ces ouvrages, dit Carver, aient été déformés par le temps, on
« en distingue néanmoins les angles, qui paraissent avoir été construits
« suivant les règles de l'art militaire et avec autant de régularité que si
« Vauban lui-même en eût tracé le plan. »
L'État de New-York possède, dans le comté d'Onondoga, et dans le dis-

236
LIVRE CENT ONZIÈME.
triet de Pompey, les restes d'une ville antique qui a dû occuper une super-
ficie d'environ 203 hectares ; à l'est et au nord, il existe une descente
perpendiculaire d'environ 35 mètres de profondeur, dans un ravin au fond
duquel coule un ruisseau. Trois forts de forme circulaire, éloignés l'un de
l'autre de 3 lieues, forment un triangle qui embrasse la ville 1.
Aux environs de Newark, dans l'État d'Ohio, au sud du Racoon-Creek,
affluent du Licking, s'étendent, sur une longueur de 17 kilomètres et sur
une largeur de 12, des fortifications antiques d'une grande importance. On
remarque à l'ouest un fort de forme ronde occupant une superficie de
90 mètres carrés, et communiquant par deux murailles parallèles en terre,
hautes de 3 mètres, avec un fort octogone dont les murs sont de la même
hauteur, et qui couvre une surface de 160 mètres carrés. On entre dans ce
fort par huit ouvertures d'environ 5 mètres de large , défendues chacune
par un tertre dont la hauteur et l'épaisseur égalent celles des murs exté-
rieurs. A 6 milles au sud-est du premier fort rond, s'en élève un second de
la même forme et de la même dimension, mais dont les murailles ont
10 mètres de hauteur, et qui est environné d'un fossé profond. Vis-à-vis
l'entrée de ce fort, se prolonge, vers le nord-est, une double muraille qui
forme un passage conduisant à un fort carré occupant 80 mètres de super-
ficie, et communiquant, par deux passages formés de murailles parallèles,
à une muraille bâtie en demi-cercle, et défendue à chaque extrémité par
deux tours rondes. Du fort carré on communique, par un chemin couvert
formé de deux murs en terre, avec le fort de forme octogone ; enfin, près de
celui-ci, s'étend vers le nord et vers le sud un autre chemin couvert, dont
les extrémités sont défendues aussi par deux tours rondes.
A 4 ou 5 milles au nord-est de Sommerset, on remarque un grand fort de
forme presque triangulaire; il diffère de la plupart des autres moins par la
forme que par sa construction : les murs se composent de quartiers bruts de
rochers, qui ne présentent aucune trace d'instruments de fer; au centre
s'élève un môle en pierres, construit en forme de pain de sucre et haut de
4 à 5 mètres
Près de Marietta, des restes de vastes constructions paraissent repré-
senter une ville carrée de 160 mètres de superficie, défendue par des che-
mins couverts et deux forts, l'un carré et l'autre rond. Mais malgré l'incer-
titude où l'on est, si quelques-unes de ces constructions ont pu être des
villes, celle qui par son étendue pourrait avoir renfermé des habitants est
1 M. de Witt Clinton : Mémoire sur les antiquités de la partie septentrionale de
New-York ; 4820.

AMÉRIQUE. — MONUMENTS ANTIQUES.
237
l'ensemble de fortifications que l'on remarque à 5 ou 6 milles de Chilli—
cothe. On y remarque un ouvrage circulaire environné de murs et de fossés,
qui paraît être un enclos sacré destiné aux sépultures : la grande quantité
d'ossements que l'on y a trouvés semble prouver qu'une nombreuse popu-
lation a demeuré au milieu des fortifications qui ont dû former l'enceinte de
la ville.
Nous avons vu plus haut que des officiers instruits ont trouvé dans quel-
ques-uns de ces travaux des traces d'une certaine connaissance de l'art
militaire: rien ne peut mieux justifier cette opinion que les anciennes for-
tifications que l'on remarque sur une colline escarpée qui borde la rive
gauche du Petit-Miami, à une dizaine de lieues de Cincinnati, dans l'État
d'Ohio. Ces fortifications, qui occupent une longueur de 1,600 mètres du
sud au nord, et une largeur de 5 à 600 mètres, présentent une suite
d'angles saillants et rentrants qui leur donne beaucoup de ressemblance
avec les travaux des modernes. Les murailles en terre, hautes de 6 à
8 mètres, en ont 20 d'épaisseur à leur base.
Dans l'État de Kentucky, on voit, sur un terrain élevé, près des sources
de l'Hikmans-Creek et de la ville de Lexington, les restes d'une ancienne
cité qui a dû être considérable. Elle occupe une étendue de 2 à 300 hec-
tares, sa forme est celle d'un polygone irrégulier à sept côtés inégaux, dont
le plus grand a 360 mètres de longueur et le plus petit 120.
Dans l'État d'Arkansas, dit M. Warden, M. Savage a découvert, près de
la rivière de Saint-François, les ruines d'une ville fortifiée d'une grande
étendue, et les débris d'une citadelle construite en briques et en ciment.
Des arbres, dont quelques-uns paraissaient avoir plus de 300 ans, avaient
pris racine sur ces murailles.
Dans l'État de Missouri, parmi d'anciens travaux de fortifications, on cite
une muraille en terre, longue de 1,210 mètres, haute de 3 et épaisse de 25 à
sa base, qui s'étend sur le bord du Missouri. Un autre, de 2 mètres de hau teur,
va depuis l'extrémité de la précédente jusqu'à la distance de 1,100 mètres.
Toutes ces constructions ne sont réellement remarquables que parce
qu'elles ne peuvent être attribuées aux ancêtres des Indiens d'aujourd'hui,
qui n'en élèvent aucune de cette importance ni de cette solidité. Le peuple
qui les a faites était certainement plus avancé en civilisation que les misé-
rables sauvages qui errent dans les contrées occidentales de l'Amérique du
nord ; mais cette civilisation n'est point à comparer à celle des Mexicains et
des Péruviens, et encore moins à celle des antiques nations de l'ancien
continent.

238
LIVRE CENT ONZIÈME.
Cependant, comme si ce n'était pas assez de trouver sur le territoire des
États-Unis les traces d'un peuple antérieur à la population actuelle, des
restes de constructions en pierres, remarquables par leur régularité, nous
révèlent dans la môme contrée l'existence d'une nation plus avancée en
civilisation que celle qui a élevé cette foule de tertres et ces nombreuses for-
tifications dont nous n'avons présenté qu'un aperçu rapide. A 2 milles de
Louisiana, sur le Noyer-Creek, ruisseau qui se jette dans le Mississippi,
s'élèvent quelques-uns des monuments dont nous voulons parler. L'un
d'eux, construit en pierres informes, a 18 mètres de longueur et 72 de lar-
geur : c'est un bâtiment divisé en quatre salles, dont la première est aussi
grande que les trois autres ensemble. Un petit bâtiment carré à l'extérieur,
mais qui renferme deux salles de même forme, séparées par une de forme ovale,
se remarque à quelque distance de là. Ces édifices présentent des voûtes
assez bien faites, construites en petites pierres taillées avec régularité. On
peut attribuer encore à la même nation des murailles tantôt parallèles,
tantôt circulaires, ou d'une forme oblongue fort allongée, que l'on suppose
avoir été bâties pour former des enceintes destinées à la célébration des
jeux; la plupart de ces constructions sont aussi en pierres. Enfin, il est pro-
bable qu'ils appartiennent au même peuple ces puits construits en briques,
que des fouilles ont fait découvrir sur les bords de la Delaware.
Telles sont les grandes constructions que des populations inconnues ont
laissées sur le sol des États-Unis. M. Brackenridge en porte le nombre à
plus de 5,000. Il nous reste à parler de quelques antiquités moins consi-
rables , mais non moins intéressantes. Au premier rang se place un rocher
de gneiss, trouvé sur le bord de la mer. à l'embouchure de la rivière de
Taunton , dans l'Etat de Massachusetts, et chargé de figures que l'on a
considérées comme des hiéroglyphes et de caractères que l'on a regardés
comme phéniciens: ce qui prouverait que l'Amérique a été connue des
anciens. Mais, malgré l'opinion de Court de Gébelin et de quelques auteurs
récents, tels que MM. Yates et Moulton, l'origine qu'on a voulu assigner
à ce monument nous semble loin d'être prouvée. En effet, selon nous, ou
le monument est phénicien, et alors l'inscription ne doit présenter que des
caractères appartenant à l'alphabet des Phéniciens, ou il est étranger à ce
peuple, et dans ce cas il n'offrira que de faibles analogies avec son écri-
ture : et c'est en effet ce que nous remarquons dans l'inscription hiérogly-
phique en question. En retranchant de cette inscription sept ou huit figures
d'bommes et d'animaux qui n'ont jamais pu être tracées par une main
phénicienne, tant elles sont grossières, il reste plus de 80 caractères, par-

AMÉRIQUE. —MONUMENTS ANTIQUES.
239
mi lesquels on en trouve à peine 7 ou 8 qui aient quelque ressemblance
avec les lettres phéniciennes. Du reste, nos doutes à l'égard de l'origine de
ce monument ne lui ôtent pas même à nos yeux tout l'intérêt qu'il mérite :
il est assez remarquable sous d'autres rapports. Il n'est visible qu'à la
marée basse ; sa hauteur est d'environ 2 mètres, et sa largeur, à sa base,
est de 3 à 4 mètres. Sa surface est polie, et peut-être même sa masse a-t-
elle été taillée, car il est à trois faces , terminé en pointe , imitant gros-
sièrement la forme d'une pyramide. Les caractères et les figures qui couvrent
l'une de ses faces ne sont gravés qu'au trait ; mais la profondeur des lignes
qui n'excède pas un centimètre, et dont la largeur varie de deux à trois
centimètres, annonce qu'elles ont été faites avec un instrument de fer qui
devait avoir la forme d'un segment de cylindre : ce qui annonce la con-
naissance de plusieurs arts que ne possèdent point les sauvages de l'Amé-
rique septentrionale.
A Bollovs-Falls, dans l'Etat de Vermont, au sud de la rivière de Con-
necticut, on découvrit en 1823 un roc de 2 mètres de longueur et de 1 de
hauteur, qui est chaque année couvert pendant les grosses eaux, et sur
lequel sont gravées en creux des figures humaines. A l'extrémité de ce
rocher, une tête d'homme sculptée en relief est d'autant plus remarquable
qu'elle a été peu endommagée par le mouvement des eaux, et qu'elle a
conservé presque tout son caractère original. Le nez, la bouche et les yeux
sont presque détruits, mais le front, les joues et le menton sont, il est
vrai, bien conservés, et attestent que ce travail est d'une main assez habile.
Ce qui reste de cette tête n'offre aucun des caractères des naturels de nos
jours.
Nous pourrions citer dix ou douze autres exemples d'inscriptions ou de
sculptures gravées sur des rochers dans différentes parties du territoire de
l'Union, et qui ne sont point l'ouvrage des peuplades actuelles. Le plus
remarquable de ces monuments est un rocher de grès très-dur, situé au
confluent de l'Elk et de la Kanhava. Sur l'un des côtés du rocher, on a
gravé une tortue, un aigle avec les ailes déployées, un enfant dont les
traits sont bien sculptés, et plusieurs figures au nombre desquelles on dis-
tingue celle d'une femme. Sur l'autre côté on remarque, parmi d'autres
figures celle d'un homme dans l'attitude d'une personne qui prie, et dont
la tête est terminée en pointe ou coiffée d'un bonnet pointu. Plus loin, une
figure semblable est suspendue à une corde par les talons. On doit s'éton-
ner de la patience qu'il a fallu pour graver ces figures sur un roc tellement
dur que l'acier peut à peine l'entamer.

240
LIVRE CENT ONZIÈME.
Un autre rocher a mérité d'attirer l'attention des antiquaires ; il est cal-
caire, et a été détaché de la chaîne qui borde le Mississippi près de Saint-
Louis. Sa longueur est de 2 à 3 mètres, et sa largeur de 1 mètre à 1 mètre
50 centimètres. Il porte l'empreinte assez bien sculptée de deux pieds
d'hommes.
Les idoles et les vases que l'on a trouvés, soit dans des tombeaux, soit
dans d'autres constructions, ne ressemblent pas plus que ces mêmes con-
structions aux objets qui sortent aujourd'hui des mains des sauvages de
l'Amérique. L'une de ces idoles, découverte-dans un tumulus près de Nash-
ville, dans l'Etat de Tennessée, représente le buste d'un homme; son bras
et son visage étaient mutilés, mais sur le sommet de sa tête étaient sculp-
tés une tresse et un gâteau. Dans une antique forteresse située sur le Cany,
affluent de la rivière de Cumberland, on a découvert, dit M. Warden, à
un mètre de profondeur, un vase composé de trois têtes jointes ensemble
par derrière auprès de leur sommet, au moyen d'un col qui s'élève au-dessus
de ces têtes d'environ 1 décimètre. Le col a 2 décimètres de circonférence;
il est creux aussi bien que les têtes, et peut contenir une pinte de liquide.
Ce vase est fait d'une argile durcie par le feu ; il est peint : les figures sur-
tout sont ornées de couleurs variées, que l'humidité du sol n'a point alté-
rées, bien qu'il ait dû être enfoui pendant des siècles. Les savants amé-
ricains qui en ont donné la description , ont trouvé dans ces figures les
caractères qui distinguent les peuples tatars. On a prétendu aussi que
l'idole que nous venons de citer ressemblait à celle que Pallas a recueillie
dans la Russie méridionale. Mais nous ferons observer à ce sujet que de
pareils traits de ressemblance dans des monuments grossiers des arts ne
sont pas suffisants pour en conclure qu'ils ont une origine commune.
Dans tous les pays, les premiers essais de l'homme dans les arts du dessin
offrent nécessairement un certain degré d'analogie; il serait téméraire d'y
chercher des caractères de race : rien ne ressemble plus à la laide physio-
nomie d'un Tatar ou d'un Mogol que le premier essai de figure humaine
sorti des doigts grossiers d'un sauvage de l'Amérique ou de l'Océanie.
Il ne nous reste plus qu'à parler des momies des anciens peuplés de
l'Amérique septentrionale. On en a trouvé plusieurs dans des cavernes
calcaires de l'État de Kentucky, principalement dans celle du Mammouth,
qui a été ainsi nommée, dit M. Warden, à cause de sa grande étendue,
qui est de 16 kilomètres de longueur, et de 35 en y comprenant ses diffé-
rents embranchements. Toutes ces cavernes renferment une grande quau-
1 Archælogia americana, p. 211 et 238,

AMÉRIQUE. — MONUMENTS ANTIQUES.
241
tité de nitre. On y a découvert des momies, à des profondeurs plus ou moins
considérables, dans des couches de terre saturées de cette substance. L'une
d'elles se trouvait à 3 mètres au-dessous du sol ; elle était placée dans uno
sorte de cercueil composé de plusieurs pierres, dont une formait le dessus.
Elle était accroupie, comme dans certains tombeaux dont nous avons parlé;
elle avait les genoux repliés sur la poitrine, les bras croisés et les mains
passées l'une sur l'autre, à la hauteur du menton. Toutes les parties du
corps étaient parfaitement conservées, mais tellement desséchées, que,
malgré une stature de 1 mètre 75, elle no pesait pas plus de 6 à 7 kilo-
grammes. On n'y remarquait aucune incision qui indiquât que les viscères
en aient été retirés. Elle n'était recouverte d'aucun bandage, ni d'aucune
substance aromatique ou bitumineuse; mais elle était revêtue de quatre
enveloppes différentes : la plus inférieure se composait d'une sorte d'étoffe
faite de ficelle double, tordue d'une manière toute particulière, et de
grandes plumes brunes entrelacées avec beaucoup d'art; la seconde était
de la même étoffe, mais sans plumes; la troisième était d'une peau de
daim sans poil; et la quatrième et dernière,d'une peau de daim avec le poil.
Le savant docteur Mitchill, en décrivant une momie absolument sem-
blable, trouvée aux environs de Glasgow, dans le Kentucky, a cherché à
établir, sur la ressemblance qui existe entre la toile en ficelle, le tissu en
plumes qui lui servaient d'enveloppe, et les étoffes semblables que fabriquent
les habitants des îles de l'Océanie, la preuve que les premiers habitants de
l'Amérique septentrionale étaient originaires de la Malaisie : ainsi, d'un
côté nous voyons des savants américains prétendre, les uns d'après quel-
ques signes grossièrement gravés, que les Phéniciens ont connu l'Amé-
rique ; les autres, d'après des figures mal ébauchées, que la population
primitive du nord de ce continent était sortie de la Mongolie; les autres
enfin, d'après des tissus que tous les peuples qui sont au même degré
de civilisation peuvent fabriquer de même, que cette population était ori-
ginaire de l'Océanie.
Ne nous hâtons donc point de tirer, de la présence des différents monu-
ments que nous venons de passer en revue, aucune conséquence sur l'ori-
gine de la population américaine : de nouvelles recherches sont nécessaires
pour arriver à des résultats satisfaisants. Jusque là nous serions plutôt
porté à croire que les Indiens de nos jours ont dû se répandre dans l'Amé-
rique septentrionale après qu'une nation plus policée en avait été en pos-
session et avait émigré dans d'autres contrées. Peut être est-ce cette même
nation qui, au septième ou au douzième siècle de notre ère, quitta ses
v.
31

242
LIVRE CENT ONZIÈME.
anciennes possessions pour aller conquérir le Mexique; ce qui s'accorde-
rait assez avec la date présumée de quelques-uns des monuments que nous
avons cités, et entre autres des tombeaux. Les populations les plus sep-
tentrionales qui, jusque-là, avaient été contenues dans leurs limites par
celte nation, qui pourrait bien être celle des Toultèqucs ou celle dos
Aztèques, l'auront remplacée sur le territoire des Etats-Unis, où elles sont
restées étrangères à sa civilisation, ignorant l'art de construire ces énormes
tombeaux, que Ton ne peut comparer qu'aux tumuli des anciens, celui
d'élever des retranchements, pour se mettre à l'abri des attaques de l'en-
nemi, celui de travailler le fer, de le convertir en acier, et d'en fabriquer
des instruments propres à graver des inscriptions et des figures sur des
rochers d'une grande dureté, ignorant enfin les diverses branches d'indus-
trie dont on retrouve les traces dans les monuments restés abandonnés.
On sait en effet que le Nouveau-Monde offre à différentes époques, dans
ses souvenirs historiques, le même mouvement de migration des peuples
du nord vers le sud, que l'ancien continent : ainsi les Toultèques
parurent pour la première fois au Mexique vers l'an 648 de notre ère; les
Chichimèques en 1170 ; les Nahualtèques en 1178 ; les Acolhues et les
Aztèques en 1196. On sait aussi, comme le fait remarquer M. de Hum-
boldt, que les Toultèqucs introduisirent au Mexique la culture du maïs
et du coton; qu'ils construisirent des villes, des chaussées, et surtout ces
grandes pyramides que l'on admire encore aujourd'hui, et dont les faces
sont très-exactement orientées ; qu'ils connaissaient l'usage des peintures
hiéroglyphiques; qu'ils savaient fondre les métaux et tailler les pierres
les plus dures, et qu'enfin leur année solaire était plus parfaite que celle
des Grecs et des Romains1.
Dans la rapide énumération des nouveaux territoires qui se partagent
aujourd'hui l'immense contrée située à l'ouest du Mississippi, nous n'avons
fait que nommer les tribus indiennes qui erraient dans leurs vastes plaines
ou vivaient à l'ombre de leurs forêts. Nous allons maintenant entrer dans
quelques détails relativement aux plus importantes.
La puissante nation des Sioux est la terreur de toutes les peuplades sau-
vages, depuis le pays des Indiens-Serpents et la rivière du Corbeau au nord
usqu'au confluent du Missouri et du Mississippi; elle se divise en plusieurs
1 Nous renvoyons pour de plus amples détails, à l'intéressant ouvrage que le bureau
des affaires indiennes des États-Unis, vient de publier sous ce titre : Historical and
statistical information respecting the history, condition and prospects of the Indian
tribes of the United-States; Philadelphie, 1851, in-4e.

V.A. M-B.

AMÉRIQUE. — TRIBUS INDIENNES.
243
tribus. Les Μίnοa-Kantongs, ou gens du Lac, s'étendent de la prairie du
Chien à la prairie des Français, et sont subdivisés en quatre tribus qui
obéissent à différents chefs. Ils passent pour les plus braves de tous les
Sioux, et sont beaucoup plus civilisés que les autres; eux seuls font usage
de canots. Ils construisent des cabanes de troncs d'arbres et s'adonnent à la
culture de la terre; mais, quoiqu'ils récoltent un peu de maïs et de fèves,
l'avoine sauvage, que la nature.fournit à presque tout le nord-ouest de ce
continent, leur sert principalement en guise de pain. Cette bande est géné-
ralement pourvue d'armes à feu. La bande des Waspelongs, ou «gens de
feuille, » erre dans le pays compris entre la prairie des Français et la rivière
Saint-Pierre. Les Sassilongs, divisés en deux tribus, chassent sur le Missis-
sippi depuis la rivière Saint-Pierre jusqu'à celle du Corbeau. La bande
vagabonde des Yanetongs du nord et du sud maintient son indépendance
dans les vastes solitudes qui s'étendent entre la rivière Rouge et le Mis-
souri ; elle s'y confond en quelque sorte avec celle des Titons, également
divisée en branche du nord et du sud, et dispersée sur les deux rives du'
Missouri, depuis la rivière du Chien jusqu'au pays des Mahas et des Mine-
tares. Le bison fournit à ces deux bandes la nourriture, le vêtement et l'ha-
bitation, ainsi que les selles et les brides de leurs chevaux, dont elles pos-
sèdent des troupeaux innombrables. La bande des Waschpecontes, la plus
petite enfin, fait la chasse vers les sources de la rivière des Moines. Elle
fournit aux Yanetongs du nord et aux Titons le peu de fer dont ils ont
besoin; du reste, ils paraissent être les plus indolents et les plus stupides
de la nation.
Les Sioux sont incontestablement les plus belliqueux et les plus indé-
pendants des Indiens établis sur le territoire des Etats-Unis. La guerre est
même leur passion dominante; ils connaissent l'art de faire des retranche-
ments en terre pour y mettre leurs femmes et leurs enfants à l'abri des
flèches et des balles, lorsqu'ils craignent une attaque subite de l'ennemi.
Du reste, les marchands peuvent voyager parmi eux en toute sûreté, en
ayant soin cependant de ne point blesser le point d'honneur de ces sau-
vages. D'un autre côté, jamais aucun voyageur n'a démérité dans leur esprit
en cherchant à tirer vengeance d'une injure qu'il aurait reçue d'un de leurs
compatriotes. Les objets qu'ils vendent aux Américains sont des peaux de
tigres, de daims, d'élans, de castors, de loutres, de martres, de renards
blancs, noirs et gris, de rats musqués et de ratons. Leur prononciation
gutturale, leurs pommettes saillantes et tout l'ensemble de leurs traits, leurs
mœurs etleurs traditions, confirmées par le témoignage des nations voisines,

244
LIVRE CENT ONZIÈME.
tout porte à faire croire qu'ils ont émigré de la partie nord-ouest de l'Amé-
rique. Ils écrivent en hiéroglyphes comme les Mexicains.
Les Chippeway ou Chtpeouays habitent dans l'ouest et le sud du lac
Supérieur, sur les lacs de Sable, Sangsue, des Pluies et Rouge, ainsi qu'aux
sources des rivières Chipeouay, Sainte-Croix, Rouge, Mississippi et Cor-
beau; ils se divisent, comme les Sioux, en plusieurs bandes. Ceux qui
résident sur les lacs de Sable et Sangsue sont désignés par les voyageurs
sous le nom de Sauteurs; mais ceux des rivières Chipeouay et Sainte-
Croix s'appellent les Folle-Avoine-Sauteurs. Les Crées ou Cries résident
sur le lac Rouge. Les Oloways habitent la côte nord-ouest du lac Michigan
et les bords du lac Huron. Les Muscononges, sur les bords de la rivière
Rouge, près du Ouinipeg, par conséquent hors du territoire américain,
restent en liaison intime avec les autres Chipeouays, et n'en sont pas encore
le dernier chaînon.
Pendant deux siècles, les Chipeouays et les Sioux se sont fait une guerre
acharnée, jusqu'en 1805, où M. Pike les réconcilia. Les Chipeouays ont
plus de douceur dans le caractère et plus de docilité que les Sioux, plus de
sang-froid et de résolution dans les combats. Les Sioux attaquent avec
impétuosité ; les Chipeouays, protégés d'ailleurs par un pays entrecoupé
d'une multitude de lacs, de ruisseaux et de marais impénétrables, se
défendent avec adresse et prudence. Ils ont au surplus l'avantage de pos-
séder tous des armes à feu, tandis que la moitié des Sioux n'est armée que
de flèches, dont le coup n'est point sûr dans les bois. Les Chipeouays ont
un penchant indicible pour les liqueurs fortes, entretenu par les marchands
qui encouragent ce goût funeste, afin d'obtenir leurs fourrures à plus vil
prix. Des hiéroglyphes sculptés en bois de pin ou de cèdre remplacent éga-
lement chez eux le langage écrit.
Les beaux traits des Ménomènes, que les Français appelaient Folle-
Avoine, ont charmé tous les voyageurs. Leur physionomie respire à la fois
Ja douceur et une noble indépendance ; ils ont le teint plus clair que celui
des autres indigènes, des yeux grands et expressifs, de belles dents, la sta-
ture moyenne et proportionnée, la taille bien prise, beaucoup d'intelligence
et des mœurs patriarcales. Ils demeurent sous des huttes fort spacieuses et
construites avec des nattes de jonc, à la manière des Illinois; ils couchent
sur des peaux d'ours et d'autres bêtes qu'ils ont tuées à la chasse. Le sirop
d'érable forme leur boisson aux repas. Quoique peu nombreux, ils sont
respectés de leurs voisins, notamment des Sioux et des Chipeouays-, les
blancs les estiment comme des protecteurs et des amis. Les limites incer-

AMÉRIQUE.—TRIBUS INDIENNES.
245
laines de leur terrain de chasse s'étendent jusqu'au Mississippi ; mais leurs
villages sont situés sur la rivière Ménomène et sur la baie Verte, golfe du
lac Michigan. Ils parlent entre eux une langue particulière qu'aucun blanc
n'a jamais pu apprendre, mais tous comprennent l'algonquin.
Les Winebagos ou Winebaiges, que les Français ont appelés Puants,
résident sur les rivières Wisconsin, des Rochers, des Renards, et sur
la baie Verte : leurs villages sont très-concentrés. Ils parlent le même
langage que les Ottos de la rivière Plate, et descendent, selon leurs
propres traditions, d'une peuplade qui a émigré du Mexique pour se
soustraire à l'oppression des Espagnols. Ils passent pour braves, mais
leur valeur tient de la férocité. Depuis cent soixante ans environ ils se
sont mis sous la protection des Sioux, pour lesquels ils se piquent de
fidélité, en les regardant comme des frères. On porte leur nombre à près
de 6,000.
Le Otogamis ou Renards, chassés par les Français du Wisconsin, se
sont réfugiés sur le Mississippi, où ils habitent trois villages ; ils étendent
leurs chasses jusqu'à la rivière qui porte leur nom. Ils vivent dans une
alliance étroite avec les Saques, et s'adonnent à la culture des grains, des
fèves, des melons, mais surtout à celle du maïs, dont ils peuvent vendre
plusieurs centaines de boisseaux par an. Eloignés de leurs villages, ils se
logent, ainsi que les Saques, les Puants et les Ménomènes, dans des cabanes
de forme elliptique, couvertes de nattes de jonc.
Les Saques ou Sakis, établis sur le Mississippi au-dessus de Saint-
Louis, y chassent depuis la rivière des Illinois jusqu'à celle des Ayonas, et
dans les vastes plaines à l'occident qui confinent avec le Missouri. Ils
récoltent une quantité considérable de maïs, de fèves et de melons. Natu-
rellement inquiets, remuants et dissimulés, ils emploient plus la ruse que
la force ouverte.
Les Ayonas, étroitement liés avec les Saques et les Otogamis, demeurent
sur les rivières des Moines et d'Ayona, loin de la grande route du commerce.
Moins civilisés et moins dépravés que les autres, ils cultivent un peu de
mais, et poussent leur chasse jusqu'à l'ouest du Missouri.
Les Ricaras, hommes forts et bien proportionnés, habitent dans trois
villages dont la population monte à 450 individus. Quoique pauvres, ils
sont bons et généreux ; ils ne mendient pas comme les Sioux ; cependant
ils acceptent avec reconnaissance ce qu'on leur offre. Leurs femmes sont
gentilles et gaies, malgré les travaux domestiques qui pèsent sur elles,
comme chez la plupart des sauvages. A l'exception de la chasse, elles ont

246
LIVRE CENT ONZIÈME.
a pourvoir à toute la subsistance de la famille. Elles ne sont pas plus avares
de leurs faveurs que les femmes des Sioux ; seulement les maris exigent
qu'on leur demande leur consentement.
Les indiens Shoschonies forment une tribu de la nation dite Indiens-
Serpents, dénomination vague sous laquelle on comprend tous les habi-
tants des contrées méridionales des montagnes Rocheuses, ainsi que des
plaines qui s'étendent sur les deux côtés. Cette tribu compte 900 guerriers,
et peut-être 14,000 individus. Ils vivaient autrefois dans les plaines du Mis-
souri ·, mais les Pawkies, ou Indiens voleurs, les ont chassés dans les mon-
tagnes, d'où ils ne sortent plus qu'à la dérobée pour visiter la terre de
leurs ancêtres. Depuis le milieu de mai jusqu'au commencement de sep-
tembre, ils résident auprès des eaux de la Columbia, où ils se regardent
comme à l'abri des attaques des Pawkies. Comme le saumon, leur princi-
pal aliment, disparaît au commencement de l'automne, ils sont contraints
à chercher leur subsistance sur les bords du Missouri ; mais ils n'avancent
de ce côté qu'avec beaucoup de précaution et lorsqu'ils ont été joints par
quelques tribus alliées. Après avoir chassé au buffle pendant l'hiver, le
retour de la belle saison les ramène au bord de la Columbia. Dans cet
etat nomade et précaire, ils éprouvent des besoins extrêmes. Il se passe
souvent des semaines entières sans qu'ils trouvent d'autre nourriture qu'un
peu de poisson et de racines. Cependant ces privations ne sont pas capables
d'abattre leur courage ou de diminuer leur bonne humeur. Cette tribu a de
la dignité dans son état de détresse. Francs et communicatifs, ils mettent
de la candeur dans les partages, et l'expédition n'a pas vu un seul exemple
de vol ou de fraude, quoiqu'on exposât à leurs yeux un grand nombre d'ob-
jets nouveaux qui pouvaient tenter la cupidité. Tout en partageant avec
leurs hôtes ce qu'ils possédaient, ils se gardaient bien de demander la
moindre chose. Les Shoschonies aiment les habits somptueux ; ils recher-
chent les amusements, surtout les jeux de hasard, et, comme d'autres
Indiens, ils se vantent de leurs exploits guerriers vrais ou faux. Chaque
individu est son propre maître, et la seule gêne imposée à sa conduite, c'est
l'avis d'un chef qui exerce sur les opinions de la tribu une autorité de per-
suasion. L'homme a la propriété absolue de ses femmes et de ses filles ;
cependant on ne frappe jamais les enfants, de crainte d'affaiblir l'indépen-
dance de leur esprit. La polygamie est commune chez ce peuple; mais les
femmes qui appartiennent au même homme ne sont pas généralement des
sœurs, comme chez les Minetaries.
JLes Shoschonies entretiennent un grand nombre de chevaux. Ces ani-

AMÉRIQUE. — TRIBUS INDIENNES.
247
maux sont généralement d'une belle taille, vigoureux et endurcis contre
les fatigues comme contre la faim. Semblable à l'Arabe, l'Indien a un ou
deux chevaux attachés jour et nuit à un pieu auprès de sa cabane, afin
d'être toujours prêt à agir. On dit que celte race de chevaux vient origi-
nairement des Espagnols, mais les Indiens en élèvent maintenant eux-
mêmes. Ils ont aussi des mules qui viennent des Espagnols. Ils en font
tant de cas, qu'une bonne mule vaut chez eux deux ou trois chevaux ; il
est vrai qu'elles sont d'une belle espèce.
L'analogie de langage, de mœurs et de coutumes entre les Osages, les
Kansas, les Missouris, les Mahaws ou Mahas, et les Ottos, indique une
•origine commune-, tous paraissent avoir émigré des régions du nord-ouest,
et s'être séparés par le besoin de pourvoir à leur subsistance en poursui-
vant le gibier dans des contrées lointaines et moins peuplées.
Les Mahaws, les Missouris et les Ottos affectionnant les bords du Mis-
souri, après avoir souffert beaucoup par les attaques perpétuelles des
Sioux, ont été finalement presque détruits par les ravages de la petite-
vérole que les blancs leur apportèrent.
Les Kansas et les Osages, en se portant plus à l'est, se sont trouvés en
collision avec les Ayonas, les Saques, les Potowatomies, les Shawanées,
même avec les Chikkasah et les Chactah ou Chactas.
Le gouvernement de ces nations forme une espèce d'oligarchie répu-
blicaine, présidée par des chefs, la plupart héréditaires, mais qui souvent
sont éclipsés par des guerriers illustres. Toute affaire importante est sou-
mise à l'assemblée des guerriers, qui décident à la majorité des voix. Le
peuple est divisé en trois classes. Le gros de la nation se compose de guer-
riers ou chasseurs ; les jongleurs et les cuisiniers forment les deux autres
classes. Les jongleurs, qui sont en même temps prêtres et magiciens, ont
une grande influence sur les affaires publiques par leurs divinations, leurs
sortiléges, et par l'interprétation des rêves. Quoi qu'il en soit, ils se mon-
trent assez bons jongleurs. Ils s'enfoncent de larges couteaux dans la gorge
en répandant le sang à gros bouillons ; ils insèrent des bâtons aigus dans
leur nez, ou ils rejettent par les narines des os qu'ils ont avalés aupara-
vant; d'autres percent leur langue d'un bâton, et se la font couper pour
rejoindre ensuite les morceaux, sans qu'il reste aucune trace de l'opéra-
tion. Les cuisiniers sont au service du public, ou attachés à quelque per-
sonnage marquant. Ce sont quelquefois d'anciens guerriers qui, se trou-
vant affaiblis par l'âge ou accablés d'infirmités, et ayant perdu toute leur
famille, se voient obligés d'embrasser cette profession ; chargés en même

248
LIVRE CENT ONZIÈME.
temps des fonctions de crieurs publics, ils convoquent les chefs aux con-
seils ou aux festins.
Les mets ordinaires des Osages sont des épis verts de maïs préparés avec
de la graisse de bison, des citrouilles bouillies et des viandes. Ils sont hos-
pitaliers par ostentation. Lorsqu'un étranger entre dans un village, l'usage
veut qu'il se présente d'abord à la cabane du chef, qui lui sert un repas où
son hôte mange le premier, à la manière des anciens patriarches. Ensuite
tous les personnages les plus importants du village invitent l'étranger, et
ce serait leur faire une grande insulte que de ne point obéir à l'appel ; en
sorte que dans une même après-dînée on peut recevoir douze ou quinze
invitations; c'est le cuisinier qui les fait, en criant : « Venez et mangez,
un tel donne un festin ; venez et jouissez de sa libéralité. »
Les cabanes, dans les villages, sont dressées sans ordre, et quelquefois
si rapprochées qu'elles obstruent le passage. Pour surcroît d'embarras, les
chevaux parquent la nuit au milieu des rues, lorsqu'on a lieu de craindre
que l'ennemi ne rôde dans le voisinage. Du reste, leurs habitations sont
fraîches et très-propres.
Les Osages sont redoutés comme une nation brave et belliqueuse par les
peuplades au sud et à l'ouest de leur territoire ; mais ils ne sauraient lutter
avec les guerriers des nations septentrionales, munis de bons fusils rayés,
et envers lesquels ils jouent sagement les rôles de quakers du désert, en
continuant de faire une guerre implacable aux sauvages de l'occident, nus
et sans défense, ou seulement armés de flèches et de lances.
Les Osages, autrefois si puissants, ne comptent plus maintenant que
3,000 guerriers, divisés en plusieurs bandes. Ils se distinguent des autres
Indiens par une taille élevée, des formes élégantes et une couleur de peau
rouge-brique. Leur crâne est large dans sa partie inférieure, étroit, mais
fort élevé, dans sa partie supérieure; les pommettes de leurs joues sont
très-saillantes, et ils ont tous l'occipital comprimé ; et comme cette dispo-
sition est une beauté parmi eux, les mères lient toujours leurs nouveau-
nés sur une planche pour leur aplatir ainsi tout le derrière de la tête.
Chez eux, la dignité de chef est héréditaire, et passe avec le nom de mâle
en mâle par ordre de primogéniture. Si l'héritier est en bas âge, le plus
proche parent est déclaré tuteur, et si celui-ci est bon chasseur et bon
guerrier, il lui arrive souvent de prendre la place de son pupille. Le chef
a ses conseillers, vieillards distingués par leur sagesse.
Les Kansas, sur la rivière de leur nom, quoique moins nombreux que
les Osages, sont plus redoutables par leur courage, et font quelquefois

AMÉRIQUE. —TRIBUS INDIENNES.
249
trembler jusqu'aux Panis. Du reste, ils reconnaissent, comme les Osages,
la protection des États-Unis.
Les Li-Panis, autrefois établis près de la mer, errent depuis le Rio-
Grande jusque dans l'intérieur du pays de Texas, et vivent en paix avec les
Espagnols du Mexique ; mais ils font la guerre aux Tetans et aux Apaches.
Ils ont les cheveux blonds, et sont généralement de beaux hommes, for-
mant environ 800 guerriers, divisés en trois bandes. Ils donnent la chasse
aux chevaux sauvages, et les domptent pour les vendre ensuite aux Améri-
cains. Ils paraissent être une branche des Panis. La lance, l'arc et les
flèches sont leurs seules armes.
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Les Panis ou Pawnées, appelés Padoucas par les Espagnols, forment
une nation nombreuse, disséminée sur les bords des rivières Plate et Kan-
sas, et divisée en trois branches principales, savoir : les grands Panis, les
Panis républicains, et les Panis loups, qui quelquefois se font la guerre.
Ils ont la stature haute et élancée, les os des joues fort proéminents, et la
prononciation gutturale. Leur langage a plus de rapport avec celui des
Sioux qu'avec l'idiome des Osages. Leur gouvernement a la forme d'une
aristocratie héréditaire, comme chez les Osages, mais ils sont moins
policés. La chasse du bison, qui abonde dans leur territoire, ne les empêche
pas de s'appliquer à la culture des champs, ni de penser à l'avenir, en
faisant des provisions pour l'hiver. Ils coupent les citrouilles en tranches
fort minces, qu'ils font sécher au soleil, afin d'avoir de quoi donner à leur
soupe quelque consistance pendant toute l'année. Ils ont des troupeaux
d'excellents chevaux, dont ils prennent le plus grand soin ·, cependant ils
font la guerre à pied, en cherchant des positions où ils puissent se servir
avec avantage de leurs armes à feu. Les maisons sont de forme ronde,
avec une saillie vers la porte; chaque membre de la famille a sa chambre
particulière. Ils aiment les jeux d'exercice, auxquels ils se livrent dans des
places publiques de 230 à 260 mètres de long, préparées exprès de chaque
côté du village.
Les Telans ou Ietans, établis sur le bord de la haute rivière Rouge, de
l’Arkansas, et près du Rio-del-Norte, étendent leurs courses vers le sud jus-
qu'à la basse rivière Rouge, vers l'est au territoire des Panis et des Osages,
vers le nord dans des pays occupés par les Yutas, les Kiaways et d'autres
nations encore peu connues ; et, vers l'ouest, elles ne se bornent pas tou-
jours aux frontières du Nouveau-Mexique. Dans ce pays, on les désigne
sous le nom de Cornanches ou Cumanches. Les Tetans sont armés d'arcs,
de flèches, de lances, de frondes, de boucliers, et sont très-bons cavaliers ;
Y.
32

250
LIVRE CENT ONZIÈME.
souvent ils ont appris aux Espagnols à trembler devant eux, en laissant
des traces effrayantes de leurs incursions.
Les Arikaras, qui demeuraient jadis sur les bords du Missouri, en furent
chassés par les Sioux ·, ils vivent aujourd'hui à l'ouest du Mississippi. Ces
indiens passent pour les plus sauvages de la contrée qu'ils habitent. Ils se
sont toujours montrés peu fidèles à tenir leurs promesses ; ils manifestent
même une haine invétérée pour les blancs, et tuent tous ceux qu'ils ren-
contrent. Cependant, depuis qu'ils sont réduits au nombre d'environ 2,000,
ils commencent à sentir la nécessité de vivre en paix avec les blancs. Ils ont,
il y a quelques années, offert de cultiver des terres si le gouvernement amé-
ricain leur en concédait.
Les Cheyennes passent pour les plus beaux de tous les peuples que nous
venons de nommer. Leurs femmes sont remarquables par leur beauté et
par la délicatesse de leurs traits. Ils ont quitté les bords du Missouri pour
errer entre la Plate et l’ Arkansas, près des montagnes Rocheuses. On évalue
leur nombre à 2,640 individus.
Les Arépabas, au nombre de 3,600, sont moins belliqueux que les
Cheyennes. L'are et la flèche sont leurs principales armes à la guerre et à
la chasse au bison. Un très-petit nombre d'entre eux se sert d'armes à feu
et de munitions que leur fournissent les marchands américains en échange
de robes et de pelleteries. Rons cavaliers, ils s'élancent au galop au milieu
d'un troupeau de bisons, et tuent ces animaux à coups de flèche. Autrefois
ils vivaient sur le Marias-River, près des fourches du Missouri ; mais ils se
sont éloignés vers l'ouest depuis longtemps.
La tribu des Apaches est la plus considérable, la plus belliqueuse de
toutes les tribus sauvages du Nouveau-Mexique. Elle se divise en plusieurs
hordes et occupe un espace immense. La province mexicaine de Chihuahua
est le théâtre habituel de ses déprédations. Pas un des villages de cet État
jadis si florissant n'a échappé à l'invasion de ces bandes de maraudeurs.
Mais de toutes les peuplades sauvages qui habitent les territoires de
l'Ouest, la plus ardente, la plus redoutable est celle des Comanches ou
Cumanches, qui peut-être sont de même origine que les Tétans. Celle tribu
qui s'intitule elle-même la Reine des prairies, ne considère les autres que
comme des vassales. Plus prudente que celles qui l'environnent elle a fut le
danger des liqueurs fortes, et repousse loin d'elle tous les spiritueux. Les
Comanches se divisent en une quantité de petits clans qui sont tous placés
sous la direction d'un chef spécial ; ils sont d'une habileté équestre que rien
n'égale, et peuvent être, sous ce point, comparés aux Arabes ; ils manient

AMÉRIQUE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
251
la lance et décochent leurs flèches avec une étonnante dextérité. Ennemis
les plus formidables et les plus acharnés des Mexicains, ils font de fré-
quentes invasions dans leurs pays depuis Chihuahua jusqu'à la côte, enlè-
vent mules, chevaux, massacrent les hommes, s'emparent des femmes et
des enfants et les conduisent prisonniers sous leurs tentes pour en faire
leurs esclaves.
Ces invasions atroces sont si régulières que, dans le calendrier des Co-
manches, le mois de septembre s'appelle le mois mexicain. Ils arrivent par
bandes de deux ou trois cents hommes et pénètrent chaque année plus avant
dans ce malheureux pays.
LIVRE CENT DOUZIÈME.
Considérations générales sur les Etats-Unis de l'Amérique septentrionale
L'immensité et la richesse des contrés que nous venons de parcourir ,
le nombre de villes et de républiques naissantes que nous avons indiquées,
la grande lutte entre la civilisation et l'état sauvage que nous avons tracée,
tout a dù faire pressentir à nos lecteurs les hautes destinées de la nation
anglo-américaine. En contemplant cette nouvelle Europe, qui successive-
ment peuple et remplit les antiques solitudes des Alleghanys, du Missis-
sippi et du Sacramento , ils ont dû être tentés quelquefois de s'écrier avec
avec un poëte américain : « Salut, ô grande république qui embrasse un
monde ! Salut, empire naissant de l'Occident ! »
Hail, great Republic of a World !
Thou rising Empire of the West!

Peut-être s'attend-on à nous voir esquisser ici la situation morale et poli—
tique de cette fédération d'États, et discuter ou concilier les opinions con-
traires que plusieurs écrivains distingués ont émises sur le caractère , les
ressources et l'avenir des Anglo-Américains; mais cette tâche nous mène-
rait trop loin. Rornons-nous à quelques traits. Ces États ou républiques
se gouvernant chacune par ses autorités locales, pour tout ce qui regarde
les relations civiles et municipales, mais sujettes à une autorité centrale
pour tout ce qui concerne la défense commune, la politique extérieure et les
douanes; ce congrès, divisé en deux chambres qui partagent le pouvoir

252
LIVRE CENT DOUZIÈME.
législatif, mais qui n'offrent entre elles aucun contre-poids naturel, puis-
qu'elles se composent également l'une et l'autre de représentants élus et
amovibles ; ce président, sans éclat, sans revenus, n'ayant sur tous les
points, la nomination aux offices exceptée, qu'un pouvoir partagé et dépen-
dant , chargé de conclure avec les puissances étrangères des traités qui ont
besoin d'être ratifiés par les deux tiers du sénat ·, tout cet assemblage si
compliqué de rouages si faibles, semble une anomalie politique à nos hommes
d'État européens, accoutumés à raisonner sur la balance des intérêts stables
et permanents qui naissent d'une royauté héréditaire » d'une aristocratie
de naissance et de propriété. Le gouvernement général des États-Unis est
en effet une machine très-imparfaite ·, c'est un résultat de circonstances "
fortuites, et non pas d'un choix raisonné; c'est un compromis entre le
système de la démocratie une et indivisible, soutenu par le parti agricole ,
et le systême d'une simple fédération de démocraties indépendantes, pré-
férée par le parti commercial. Les législateurs qui posèrent les bases de
cette espèce de transaction n'avaient pas un pouvoir suffisant pour donner
à leur patrie les meilleures lois possibles ; ils lui donnèrent les meilleures
qu'il fût possible de faire adopter par les partis existants.
Les révolutions inévitables dans une société qui n'a pas achevé sa con-
stitution, changeront sans doute la face de la Fédération anglo-américaine;
mais ces révolutions n'y produiront aucun des résultats prédits par les
politiques de l'Europe, qui ont pu rêver autrefois un retour vers la monar-
chie, sous une branche cadette de la maison d'Angleterre, ou bien ce qui
était encore plus improblable, la soumission des États-Unis à une autre
puissance envahissante. Enfin il ne nous paraît pas moins impossible que
dans un État où les fortunes sont distribuées avec égalité, où les routes
de la considération sont ouvertes à tout le monde, il se forme une aris-
tocratie héréditaire, assez unie d'intérêts, assez séparée du reste de la
nation pour devenir dangereuse à la liberté publique. Le trait de caractère
qu'on reproche le plus aux Anglo Américains, l'amour effréné de l'argent,
s'oppose directement à l'introduction des illusions chevaleresques, et ce
vice moral produit ici l'effet d'une vertu politique. Les négociants et les
cultivateurs anglo-américains ne comprennent d'autres vues politiques
que celles qui se dirigent sur les intérêts positifs du commerce et de l'agri-
culture. Celte dispositon des esprits empêche également beaucoup de bien
et beaucoup de mal.
Des politiques qui ne croient pas que la liberté puisse s'allier avec l'amour
de l’orde et le dévouement patriotique, ont cru voir dans l'agglomération

AMERIQUE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
253
des États anglo-américains des germes de division et peut-être même de
despotisme. Une population européenne formée de différentes nations qui,
sous le rapport des idiomes, appartiennent à quatre souches premières, a
sans doute été la base sur laquelle se sont appuyés ceux qui se sont plu à
voir en noir l'avenir des Etats-Unis. En effet, les quatres souches princi-
pales de la population anglo-américaine sont : la souche germanique, qui
comprend les Anglais, formant à eux seuls presque les trois quarts de tout
le peuple de l'Union; les Allemands, très-nombreux dans la Pennsylvanie,
les États de New-York, de New-Jersey, de l'Ohio, et dans d'autres États
occidentaux ; les Hollandais, qui habitent aussi les mêmes pays, mais qui
sont en très-petit nombre dans la Pennsylvanie et dans les trois derniers
États ; enfin, les Suédois et les Suisses, les moins nombreux de tous, qui
habitent les mêmes pays ; ainsi que le Maryland et l’Indiana. La souche cel-
tique se compose d'Irlandais, de Gallois et d'Écossais, répartis dans les
États du centre et dans la Pennsylvanie, le New-York et Je Kentucky. A
la souche gréco-latine appartiennent les Français, les Italiens et les Espa-
gnols; les premiers sont les plus nombreux, et habitent principalement la
Louisiane, l'Illinois et le Mississippi. Enfin, à la souche sémitique appar-
tient la faible population juive, établie à New-York, à Philadelphie, à
Charlestown et à Savannah.
Un schisme entre les États est la supposition favorite de ceux qui rêvent
l'anéantissement de la Fédération. Ce schisme serait assez probable si les
intérêts des États de l'est ou de la Nouvelle-Angleterre, ceux des États du
midi et ceux des États du centre étaient tout-à-fait distincts et séparés ;
mais quoique ces trois grandes divisions de la Fédération offrent en général
un contraste marqué dans les moeurs et les idées, contraste que nous avons
indiqué en les décrivant, il existe entre eux des liens d'intérêts très-forts : la
Nouvelle-Angleterre a besoin des denrées de la Caroline et de la Virginie ;
celles-ci tirent du nord leurs constructions navales et les produits de plusieurs
fabriques. Les États du centre, menacés par le Haut-Canada, ne se sentent
pas assez forts pour se passer de l'appui de leurs frères de la côte atlantique.
Soutenu par ces faits simples et évidents, léraisonnement des politiques amé-
ricains contre un schisme acquiert peu à peu la force d'une opinion nationale.
Si l'accroissement de la république tend d'un côté à provoquer une sépa-
ration, cet accroissement est d'un autre côté accompagné de circonstances
qui contribuent à cimenter l'union. Le mélange continuel de la population
efface la différence des mœurs; des lumières uniformes se répandent dans
toutes les grandes villes, et, depuis la guerre sur les lacs du Canada, tous

254
LIVRE CENT DOUZIÈME.
les États, même ceux de l'ouest, réclament en commun cette gloire navale
naissante et que la vanité des Anglo-Américains ne cesse d'exalter.
Ainsi la nature et les hommes, les vertus et les vices, les lumières et les
préjugés, tout concourt à préserver la Fédération du sort que des écrivains
passionnés lui ont trop légèrement prédit. Mais les sociétés ont, comme
les individus, leurs moments de crise et leurs maladies de croissance.
L'Amérique fédérée pourra donc éprouver quelques secousses intérieures,
suites nécessaires de l'accroissement successif du territoire, de la popula-
tion, des richesses et des lumières. Ces secousses même ne feront que hâter
le développement successif de ce corps politique, si plein de vie et d'énergie.
Quelques mots sur l'origine et l'accroissement de cette république, sur
sa constitution, sur l'état de son instruction, sur la marche rapide de son
industrie, compléteront ce que nous nous proposons de dire.
La paix de 1763 avait rendu l'Angleterre maîtresse de toute l'Amérique
septentrionale jusqu'au Mississippi. Les colons anglais sentirent leur force;
les tentatives que le gouvernement fit pour les soumettre à des taxes nou-
velles excitèrent les feux cachés de la rébellion. La bataille de Bunkers-
Hill, en 1775, apprit aux hommes prévoyants combien les Américains
seraient difficiles à vaincre sous le prudent et valeureux Washington. Bien-
tôt on vit le sage Franklin poser les bases de la constitution. L'indépen-
dance fut proclamée le 4 juillet 1776. La France et l'Espagne conclurent
une alliance avec la nouvelle république. Les Anglais, après avoir vu leurs
armes humiliées par les défaites de Burgoyne et Cornwallis, reconnurent
l'indépendance des Etats-Unis, composés alors de 13 provinces. La Loui-
siane, colonie française embrassant les territoires situés à l'ouest du Mis-
sissippi, fut achetée à la France en 1803. La Floride fut achetée à l'Es-
pagne en 1819, et admise dans l'Union en 1845. Le Texas fut incorporé
en 1845. Le Nouveau-Mexique et la Californie furent acquis par un traité
ratifié en 1848, avec la république du Mexique. Les autres Élats se sont
joints volontairement à l’Union, et ont été admis dans son sein à des
époques différentes. Le Maine a été détaché du Massachusetts en 1820,
et reconnu comme État indépendant. Le Vermont a été détaché du territoire
de New-York en 1790 : il en est de même de la plupart des autres Etats
formés depuis l'acceptation de la constitution par les treize Etats primitifs.
La confédération anglo-américaine, qui prend le nom d'Union, ou d’États-
Unis de l'Amérique septentrionale, et que l'on désigne simplement sous
celui d'États-Unis, forme aujourd'hui la principale puissance du Nouveau-
Monde. A l'époque où son indépendance fut reconnue, sa population n'était

AMÉRIQUE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
255
que de 2,500,000 habitants ; l'influence d'un gouvernement libre, d'une
industrie chaque jour croissante, et d'un commerce important avec toutes
les nations du monde, l'a presque décuplée dans l'espace de trois quarts de
siècle. On compte aujourd'hui, d'après le recensement officiel de 1850, aux
Etats-Unis, 23,347,498 habitants, dont 3,179,589 esclaves. Nous obser-
vons que l'esclavage est aboli, ou n'existe plus dans 15 Etats, et tout fait
espérer qu'un jour viendra où cette barbare exploitation de l'homme par
l’homme, disparaîtra entièrement de l'Union américaine.
Le territoire anglo-américain comprend un district fédéral, celui de
Colombia, renfermant, la capitale, 31 États et 6 territoires. Son étendue
est de 405,325 lieues géographiques carrées.
Chacun des Etats est une république indépendante pour tout ce qui
regarde les affaires locales, ayant son budget particulier, et est administré
par un gouvernement électif et une assemblée législative. Ils sont divisés
en comtés, mais leur nombre varie volontiers. La réunion des 31 Etats
forme la confédération. Les territoires ne peuvent être annexés à la confé-
dération que lorsqu'ils comptent 60,000 habitants, et que le congrès les y
a admis. L'administration y est différente de celle des Etats ; les citoyens n'y
jouissent pas des mêmes prérogatives. Chaque territoire est administré par
un gouverneur, que nomme le président de la république; il est assisté
d'un secrétaire et d'un conseil. Les pouvoirs législatifs résident dans un
congrès composé d'un sénat et d'une chambre de représentants. Les séna-
teurs, au nombre de deux pour chaque Etat, sont nommés pour six ans, et
sont divisés en trois séries, qui se renouvellent tous les deux ans; ils
doivent être âgés de trente ans. Les représentants, qui doivent en avoir au
moins vingt-cinq, sont élus par le peuple à raison d'un par 47,700 habi-
tants; dans les Etats à esclaves, cinq esclaves sont comptés comme trois
'hommes libres dans la répartition à faire. Le pouvoir exécutif est confié à
un président et à un vice-président, élus pour quatre ans, et nommés par
un nombre d'électeurs égal à celui des sénateurs et des représentants réu-
nis, et que chaque Etat envoie au congrès à cet effet. Le président doit être
âgé de trente-cinq ans; le vice président est choisi par le sénat parmi les
deux autres candidats qui ont réuni le plus de suffrages. Le traitement du
premier est de 125,000 fr ; celui du vice-président est de 30,000 fr. Ce dernier
préside le sénat, mais il n'y a droit de suffrage que lorsque les votes sont
partagés. Si le président vient à mourir, le vice-président remplit les fonc-
tions de président jusqu'à l'expiration des quatre années de la présidence.
Le congrès s'assemble au moins une fois tous les ans. Les représentants

256
LIVRE CENT DOUZIÈME.
reçoivent du trésor une indemnité de 8 dollars par jour, mais ils ne peuvent
occuper aucun emploi du gouvernement. Les bills d'impôts sont proposés
par la chambre des représentants; le sénat peut y faire les changements
qu'il juge convenables. Tout bill doit être approuvé par le président. Lors-
que celui-ci le renvoie avec des objections, il n'a force de loi que s'il passe
dans les deux chambres à la majorité des deux tiers des membres. Si le
président ne le renvoie pas au congrès dans les dix jours qui suivent sa
présentation, le bill est censé approuvé. Le congrès propose des amende-
ments à la constitution toutes les fois que les deux tiers des deux chambres
le trouvent nécessaire, ou à la demande des deux tiers des législateurs des
divers Etats.
Le gouvernement de Washington se divise en six départements, qui sont
le ministère des affaires étrangères, le ministère des finances, le ministère
de l'intérieur, le ministère de la guerre, le ministère de la marine et le
département des postes. A ces six ministères, est adjoint le procureur
général. Chaque État a ses tribunaux et ses magistrats. Le pouvoir judi-
ciaire, dans le gouvernement central, est un pouvoir tout politique, com-
posé d'une cour suprême, chargée de juger tous les cas difficiles qui
s'élèvent relativement à la conduite des ambassadeurs ou des agents con-
sulaires , toutes les contestations qui s'élèvent entre divers États et entre
les citoyens des divers États. A cette cour suprême, sont adjointes des cours
fédérales, connues sous le nom de Cours de circuit, chargées de juger sou-
verainement les causes peu importantes, ou de statuer en première instance
sur des contestations difficiles. Les États-Unis sont divisés en 9 circuits
judiciaires. La Cour suprême siége à Washington.
Les dépenses pour les affaires étrangères s'élèvent à 500,000 dollars
(2,625,000 francs); les employés du ministère sont fort peu nombreux, on
n'en compte que 14. Les agents diplomatiques sont de deux classes : les
ministres plénipotentiaires, aujourd'hui au nombre de 10, et les chargés
d'affaires, au nombre de 17. En outre, le gouvernement de l'Union entre-
tient dans les grandes villes des consuls et des agents commerciaux.
Le département de l'intérieur a une administration très-compliquée et
même un peu confuse. Il a un caractère judiciaire et législatif, non moins
qu'exécutif; il a la justice sous sa direction, la direction des affaires
indiennes, et l'agriculture; les travaux publics lui échappent, et il ne fait
que surveiller et conserver les bâtiments au service de l'État. Son budget
est d'environ 7,000,000 de dollars (37,450,000 francs).
Il y a deux genres d'armées aux États-Unis : l'une permanente, qui, en

AMÉRIQUE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
257
temps de paix, est de 9,000 hommes environ ; l'autre est la milice, sorte
d'armée à l'état latent. Chaque citoyen de l'Union, depuis 18 jusqu'à 45 ans,
fait partie de la milice de l'État, auquel il appartient et doit s'équiper lui-
même. En temps de guerre, le président peut appeler les milices sous les
drapeaux. Les États n'ont pas d'autre armée que les milices, et il leur est
interdit, en temps de paix, d'avoir des troupes de guerre ou d'équiper des
vaisseaux. Le chiffre de la milice s'élevait, en 1850, à près de 20,000,000
d'hommes, celui de l'armée active à 12,386 hommes, et le budget de la
guerre, pour 1851-1852, atteindra 12,000,000 de dollars (64,000,000 de
francs).
La marine américaine compte 7 vaisseaux de ligne, 14 frégates, 21 cha-
loupes de guerre, 20 bâtiments inférieurs, et 15 bâtiments à vapeur. Mais
nous observerons que la plupart des bâtiments de commerce peuvent,
d'après un contrat passé avec l'Etat, être, dans un moment donné, trans-
formés en navires de guerre. Le personnel de la marine est d'environ
8,900 hommes, dont 165 officiers supérieurs, et le budget est évalué, pour
1851-1852, à près de 11,000,000 de dollars (58,850,000 francs). La flotte
américaine se divise en 6 escadrons ou stations : la station de l'intérieur,
la station de l'océan Pacifique, la station du Brésil, la station des côtes
d'Afrique, la station des Indes-Orientales et la station de la Méditerranée;
chacune d'elles est commandée par un commodore.
La marine marchande fait des progrès considérables, son personnel est
d'environ 180,000 hommes, et son tonnage s'élève à 3,334,015 tonneaux.
Les six Etats où il s'équipe le plus de vaisseaux, sont : le Maine, 89,974
tonneaux; New-York, 68,434 tonneaux; le Massachusetts, 39,366 ton-
neaux ; la Pennsylvanie, 29,633 tonneaux; le Maryland", 17,480 tonneaux,
et l'Ohio, 13,656 tonneaux.
Le budget des Etats-Unis est établi d'après un système particulier. Son
principal revenu est la recette des droits de douanes : en seconde ligne vient
la vente des terres publiques. Il ne s'appuie en aucune façon sur la pro-
priété territoriale; il est entièrement indirect. Pour l'année 1849-1850, les
recettes étaient de 47,421,748 dollars 90 cents (le dollar vaut 5 fr. 35 c),
et les dépenses de 43,002,168 dollars 69 cents; mais, malgré cet excé-
dant de recettes, le budget de la guerre était en déficit, par suite des
dernières affaires avec le Mexique. La dette publique était, au 30 novembre
1850, de 64,228,238 dollars 35 cents.
Le commerce des Etats-Unis s'exerce principalement sur les produits
agricoles, les matières premières et les objets de consommation. Les prin-
Y.
33

258
LTVRE CENT DOUZIÈME.
cipales exportations sont le coton, le riz, le tabac, le blé et les céréales de
toute nature. Les manufactures, encore peu nombreuses, l'industrie,
encore dans son enfance, ne fournissent que la plus faible portion des
exportations. Les exportations de céréales, en 1850, se sont élevées à
26,051,373 dollars ·, celles du riz à 2,631,557 dollars. L'exportation la plus
considérable est celle du coton brut ; elle s'est élevée, en 1850, à la
somme de 71,984,616 dollars ; ce coton exporté lui a été rendu manu-
facturé par l'Angleterre, la France et quelques autres puissances étran-
gères; ces importations se sont élevées à la somme de 19,685,936 dollars.
En résumé, la somme totale des marchandises étrangères, importées aux
États-Unis pour l'année 1850, compris les espèces monnayées, s'élève à
178,136,318 dollars, et le chiffre des exportations des marchandises indi-
gènes et de produits nationaux, à 151,296,720 dollars 1.
Ce qui peut faire apprécier le degré de civilisation auquel est parvenue
la confédération anglo-américaine, c'est le développement de la presse
périodique. Aucun État européen, sans en excepter même la Grande-Bre-
tagne, ne peut, sous ce rapport, entrer en comparaison avec elle. Il n'est
pas de village, de ville à peine formée qui n'ait sa gazette, sa feuille d'an-
nonces. En Californie, à peine les premiers émigrants étaient-ils installés,
que trois ou quatre journaux s'imprimaient déjà. On peut évaluer le nombre
des journaux de l'Union à 5,000. Dans ce nombre ne sont pas compris les
journaux publiés dans l'Orégon, le Texas, le Minesota et la Californie. Le
nombre des exemplaires imprimés chaque année dépasse 400 millions
par an.
L'instruction primaire est aussi beaucoup plus répandue aux États-Unis
que dans aucune autre partie du globe-, cela tient à la prévoyance éclairée
des premiers colons : ainsi, chaque fois qu'une ville, qu'une bourgade même
a été fondée, on a construit une école, nommé un instituteur, et assuré
leur entretien futur. Depuis cette époque, toutes les législatures ont riva-
lisé de zèle pour répandre et améliorer l'instruction publique : aussi le
nombre des écoliers, comparé à la population, est-il beaucoup plus consi-
dérable aux États-Unis que dans aucun autre pays du globe. Ce nombre est
de 1 sur 4 habitants, tandis qu'en France il est de 1 sur 18.
On peut dire que l'Union américaine recueille les fruits d'un plan si
sagement concerté, qu'il était impossible qu'il fût improductif. C'est dans
les écoles que se forme le caractère de la masse du peuple; c'est là que
1 Nous avons emprunté la plupart des détails qui précèdent à l’Annuaire des Deux
Mondes de 1850, et à l’American-Almanac de 1851.

AMÉRIQUE. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
259
chacun acquiert dès son enfance le sentiment éclairé de ses devoirs et de ses
droits; en un mot, c'est dans les écoles que l’ Anglo-Américain puise cet
esprit démocratique qui est la plus sûre garantie de la nation contre les
chances d'usurpation que pourrait avoir un président doué d'une haute
capacité et d'une coupable ambition.
Mais ce n'est pas seulement sur les avantages d'un bon système d'instruc-
tion primaire que se fonde la prospérité des États-Unis; une stricte éco-
nomie des deniers publics permet, avec un budget de 50 millions de dollars,
de faire face à toutes les dépenses de l'Union, et d'amortir la dette publique,
qui bientôt n'existera plus. C'est à l'aide de ressources en apparence si
faibles, relativement à sa population, que l'Union a pu construire plus de
1,500 lieues de canaux et 8,439,85 milles, ou 3,051 lieues de chemins de
fer, pour voir sa marine de rades, de stations sûres et bien défendues, de
chantiers de construction et de réparation, et faire exécuter un système de
fortifications qui embrasse tous les points vulnérables de son vaste terri-
toire.
Nous avons fait connaître dans son ensemble la géographie physique et
politique des Etats-Unis, nous venons de terminer ici l'esquisse de l'orga-
nisation administrative de cette puissante République; nous nous sommes
efforcés d'accuser les modifications les plus récentes. Mais, hélas! telle est
la rapidité des progrès matériels de ce pays, le désespoir des géographes,
qu'à l'heure où nous écrivons ces lignes, où nous groupons ces chiffres
en tableaux statistiques, les détails que nous donnons ne sont peut-être
plus exacts.
A l'arrivée de chaque paquebot, nous apprenons que de nouvelles routes
se tracent, que la marine est plus nombreuse, que le commerce a pris
d'autres directions. Demain, peut-être, la presse américaine dira-t-elle à
l'Europe étonnée qu'une nouvelle ville s'élève, que de nouvelles conquêtes
se préparent, que de nouveaux territoires s'organisent; ou, enfin, que
d'autres Etats sollicitent l'honneur d'être admis dans l'Union. C'est donc,
lorsqu'il s'agit d'une contrée aussi mobile que nous devons implorer l'in-
dulgence de nos lecteurs.

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LIVRE CENT DOUZIÈME.

AMÉRIQUE.-TABLEAUX DES ÉTATS-UNIS
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AMÉRIQUE. — TABLEAUX DES ÉTATS-UNIS.
263
TABLEAU du budget des États-Unis de juillet 1850 à juillet 1851.
RECETTES :
DÉPENSES :
(Dollars.
Dollars.
Dépenses civiles, diplomati-
Douanes
32,000,000
ques et diverses, etc., etc. 11,088,725
Vente de terres
2,150,000
Frais de douanes
2,750,000
Recettes diverses
3D0,000
Frais de la vente des terres. .
170,835
Total. . . 34,450,000
Armée
8,296,183
Fortifications, artillerie, ar-
mement de la milice. . . .
2,015,446
Améliorations intérieures. .
1,247,203
Département des Indiens. . .
1,912,711
Pensions
1,927,710
Marine
11,353,130
Intérêts des billets du trésor,
et de la dette publique. . .
3,742,251
Achats de fonds sur l'emprunt
du 28 janvier 1847
492,899
BALANCE AU 1er JUIN 1851.
Dollars.
Total. . . 44,997,093
Dépenses
50,825,215
Il faut ajouter le déficit du
Recettes
34,450,000
1« juillet 1850
5,828,122
Déficit.
16,375,215
Total au 30 juin 1851. . . 50,825,215
ÉVALUATION DU BUDGET POUR 1851-1852.
Recettes au 30 juin 1852
54,312,594 dollars.
Dépenses
id.
id
53,853,597
Excédant des recettes
458,997
MONTANT DE LA DETTE AU 1er OCTOBRE 1849.
Capital et intérêts de l'ancienne dette
122,735 dollars.
Dettes communales du Territoire de la Colombie
960,000
Billets du trésor de 1846
144,391
Id.
id. de 1817 et 1848
149,828
Emprunt de 1842 à 6 pour cent
8,198,686
Id.
1843 à 5
Id
6,468,231
Id.
1846 à 6
Id
4,999,149
Id.
1847 à 6
id
27,618,350
Id.
1848 à 6
Id
15,740,000
Stocks à 5 pour cent pour dédommagements aux Mexicains.
303,573
Total.
64,704,943 dollars.
La dette avant la guerre du Mexique (avril 1846) montait seulement à 18,000,000 dol.
Au 30 novembre 1850 elle montait à
64,000,000

264
LIVRE CENT DOUZIÈME.
TABLEAU du commerce des États-Unis avec les pays étrangers, de juillet 1848
à juillet 1849.
PAYS DE PROVENANCE OU DE DESTINATION.
IMPORTATIONS. EXPORTATIONS.
Dollars.
Dollars.
Russie

840,238
1,135,504
Prusse
17,667
44 219
Suède, Norvège et Colonies
747,828
859,652
Danemark et Colonies
338,345
836.484
Villes Hanséatiques
7,742,864
3,314,930
Hanovre
8,581
Pays-Bas et Colonies
2,367,551
3,203 679
Belgique
1844,293
2,731,307
(irande-Bretagne et Colonies
67.387,983
93,172,339
France et Colonies
, . . .
24 458,669
15,781,585
Espagne et Colonies
15,110.027
7,870,570
Portugal et Colonies
414 884
377,136
Italie
1,550,896
1,104,869
Deux-Siciles
530,244
29,213
Sardaigne
42,538
482,364
Toscane
30,076
Trieste et autres ports autrichiens
. .
409,178
1,406,865
Turquie
374,064
278,996
Iles Ioniennes
291
Haïti
901 724
602,592
Mexique
2,216,719
2,090,868
Républiques de l'Amérique centrale.. .
56,017
136,219
[Nouvelle-Grenade
158,960
297 784
Venezuela
, .
1,413.096
537,634
Brésil
8,494.368
3,102,977
Républiques Cisplatine et Argentine. . .
1.789,751
915,321
Chili et Pérou
2,264.676
2,128,336
Chine
5,513,785
1,583,224
Indes Occidentales et Amérique du Sud
16,159
201,»58
Europe, Etats divers
18.588
Asie,
id.
209,669
363,811
Afrique,
id.
495,742
708,411
Mer du Sud et Océan Pacifique
85 318
399,728
Iles Sandwich
43,875
Total. . .
147,857,439
145,755,820
TABLEAU des accroissements décennaux des Etats-Unis.
SUPER-
POPULA-
IMPORTA-
EXPORTA-
ANNÉES.
REVENUS. DÉPENSES-
DETTE.
TONNAGE.
FICIE.
TION.
TIONS.
TIONS.
lieues
géo. car.
Dollars
Dollars
Dollars.
Dollar*.
Dollars.
1790
43,988
3 929,827 4.399,473 1,919,589 75 463.476 58,200,000 19,012,041
502,146
1800
68,644
5,305,925 10,62S ,997 7,411,370 82,976,294 91,525,768 70 9,1,780
972,492
1810
96,857
7,239,814 9,299,737 5,311,082 53,173.217 85,400,000 66,757,97 4 1,424,783
1820
121,505
9,638,131 16,779,331 13,134,530 91.045,566 74,450,000 69,641,669 1,280,166
1830
128,872 12,866 920 24,280,288 13,220,534 48 565,406 70,876,»20 73,849,508 1.191,77 6
1840
I47.305 17,063.353 16,993,858 23,327,772 5,125.078 131,571,950 104.805,891 2,180,764
1850
405,325 23,347,498 34,450,000 50 825,215 64,000,000 147,857,439 145,755,820 3,334,015

AMERIQUE.
205
TABLEAUX DES ÉTATS-UNIS. 265
TABLEAU de l'armée de terre des Etats-Unis en 1851
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL.
RÉGIMENTS.
Major général, général en ehef
Régiment du génie
1
Brigadiers généraux
Id.
ingénieurs topographiques. ... 1
Adjudant général
Département de l'artillerie ( ordnance dé-
Inspecteur général de l'armée.
.
partment)..
1
Quartier maître général
Régiments de dragons
2
Commissaire général
Id.
de Carabiniers à cheval
1
Chirurgien général
Id.
d'artillerie
4
Payeur général
Id.
d'infanterie
8
Ingénieur en
chef
Chef du bureau topographique..
18
Chef d'artillerie {ordnance). . .
Juge-avocat
Officiers commissionnés au 17 juin 1850.
882
Officiers non-commissionnés, musi-
13
ciens
9,438
Total des hommes sous les armes, ... 10 320
Plus les milices (voir le tableau p. 262). 1,960,263
TABLEAU des Divisions militaires des États-Unis.
Le quartier général de l'armée est à WASHINGTON.
DIVISIONS
DÉPARTEMENTS MILITAIRES,
POSTES MILITAIRES
ARSENAUX
MILITAIRES
ÉTATS OU TERRITOIRES
de chaque
et leur
GÉNÉRAUX.
qu'ils comprennent.
ÉTAT OU TERRITOIRE.
QUARTIER GENERAL.
Maine.
Fort Sullivan. — F. Preble.
Kennebec.
ι Ne w-Hampshire.
Fort Constitution.
r
1e

DÉPARTEMT.
Vermont.
Champlain
Fort Indépendance— Fort
1erDÉPARTEMT.
Massachusetts.
Watertown.
Warren.
Rhode-Island.
Fort Adams —Fort Wolcol.
Connecticut.
Fort Trumbull.
Fort Brady. — F. Mackinac. '
2E DÉPARTEMT.
Michigan.
F. Gratiot.— Détroit-Bar-
Détroit.
racks.
Quart. gén.,
Wisconsin orient. Fort Howard.
Détroit.
Ohio.
Indiana.
Fort Columbus. — F. Vood.
— F. Hamilton — F. La-
Divis. Orientale.
fayette (havre de Ν -Y.).—
New-York.
F. Niagara. — F. Ontario. Watervliet. —
Quart. gén.,
— Madison-Barracks. —
Rome.
Troy (N.-Y.).
3E DÉPARTEMT. |
'
Plattsbourg-Barracks. —
Quart, gén , {
Weslpoint.
Troy.
1 New-Jersey.
j
Fort Mifflin.—Carlisle-Bar-
Pennsylvanie.
Alleghany.

racks
Frankford.
I Delaware.
Fort Mac-Henry. — F. Was-
hington.
\\ Maryland.
Pikesville.
Virginie.
Fort Monroé.
Bellona.
e
4DÉPARTEMT.

Caroline du Nord. Fort Johnston.— F.Caswell.
4
North Carolina.
e DÉPARTEMT.
Fort Moultrie. — Château
Quart. gén.,
Caroline du Sud.
Charleston.
Pinc- Kney.
\\ Fort Monroé.
Georgie.
Arsenal Augusta-
Floride orientale. Oglethorpe-Barraks. — F.
Marion.
V.
34

266 LIVRE CENT DOUZIÈME.
DIVISIONS
DEPARTEMENTS MILITAIRES,
POSTES MILITAIRES
ARSENAUX
MILITAIRES
ÉTATS OU TERRITOIRES
de chaque
et leur
GÉNÉRAUX.
ÉTAT OU TERRITOIRE.
QUARTIER GÉNÉRAL.
qu'ils comprennent.
Key-West.—Fort Brooke —
Floride occident.
Apalachicola.
F Pickens. — F. Mac-Rea.
Alabama-
1 Fort Morgan.
Mount-Vernon.
5
Fort Picke.— F. Wood.- F.
e DÉPARTEMT.
ι
Jackson — New-Orléans-
Quart. gén.,
Louisiane.
Bâton-Rouge.
Barracks.—Bâton-Rouge-
Nouv. Orléans.
Barracks.
Mississippi.
Tennessée.
Kentucky.
!
Newport-Barracks.
Wisconsin occid.
Fort Scott. — F. Leaven-
Missouri (Etat).
worth.
6e DÉPARTEMT
Illinois-
Quart, gén ,
Iowa.
Saint-Louis
Fort Kearnie—F. la Ramie.
Missouri (Territ.)
Saint-Louis.
(
Jefferson-Barracks.
} Fort Snelling. — F. Gaines
Minesota (Territ.) \\ — F. des Moines.
I
Fort Towson.— F. Washita.
Div.Occidentale.
Arkansas-
j
F. Gibson. — F. Cana-
Little-Rock.
dian.
Quart. gén.,
7* DÉPARTEMT.
Territoire Indien
Nouv.Orléans
(en partie)
Fort Polk. — F. Brown. —
Ringgold-Barracks — Da-
vis-Landing. — Fort Mac-
intosh. — Laredo. — Fort
Duncan.-Passe de l'Aigle.
Ie DÉPARTEMT.
— Fort Inge— F. Lincoln.
Quart. gén.,
, Texas.
— San-Antonio. — Fort
Martin-Scott. — F. Cro-
San-Antonio.
ghan.— Hamilion-Creek.
— Fort Gales — Leon-
River. — Fort Graham —
José-Maria —Fort Worth.
— F. Merrill. — Trinity-
River.
Fort Marey.—F. Taos.— Al-
Ie DÉPARTEMT.
buquerque — Dona-Aua.
Quart. gén.,
Nouv.-Mexique.
—Socorra.—El-Paso-del-
Santa-Fé.
I Norte. — San-Elizario- —
Las Vegas.
10
San-Francisco.— Bénicia.—
E DÉPARTEMT
Divis. de l'Océan |
j
Camp Stanislas.— Camp
Quart. gén.,
Californie.
Pacifique.
Far West.— Monterey.—
Monterey.
.
San Luis — San-Diego.
Quart. gén., j
Nesqually.—Puget's-Sound
Sonoma.
11E DEPARTEMT.—Territ. Orégon
Fort Vancouver. — F.
Hall.

AMÉRIQUE. — TABLEAUX DES ETATS-UNIS.
267
TABLEAU de la marine militaire des États-Unis en 1851.
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL.
!; de l'intérieur i
des côtes du Brésil. . 1
de l’Océan Pacifique. 1
de la Méditerranée. 1
de la côte d'Afrique. 1
des Indes Orientales. 1
' Portsmouth
\\
Boston
\\
New-York
\\
Chefs de station (commanders Philadelphie
i
of Navy-Yards. Washington
1
Norfolk
1
1
Pensacola
1
Memphis
1
Capitaines
, . . . .
68
Commandants de vaisseaux
97
Lieutenants
327
Chirurgiens
69
Aides chirurgiens
91
Aumôniers
24
Commis aux vivres
64
Midshipmen
438
Masters (Maîtres')
21
Total
1213 officiers et s.-officiers
En temps de paix la force maritime est limitée à
7,500 hommes,
J Le corps de la marine formant une brigade dont le quartier géné-
ral est à Washington, compte 58 officiers commissionnés,
1,295 officiers non-commissionnés, musiciens et soldats, en tout.
1,352 hommes.
ÉTAT DE LA FLOTTE AU 5 AOUT 1850.
11 Vaisseaux de ligne 1 de20 canons (Pennsylvanie).
120 canons.
i 1 Indépendance rasée
54
15 Frégates
12 de première classe, de 44 canons
528
2 de seconde classe, de 36 canons
72
16 de 20 canons
'.
320
22 Sloops de guerre
1 de 18 (l'Ontario)
18
5 de 16 canons
80
4 Brigs de 10 canons
40
5 Schooners, 2 de 2 canons, 3 de 1
7
14 Steamers portant ensemble 25 canons (le Mississippi est
armé de 10 canons à la Paixhans
25
6 Brigs et transports ( Storeships )
28
117 Bâtiments de tout rang, portant
2,032 bouches à feu

268 LIVRE CENT DOUZIEME.
TABLEAU statistique de la marine à vapeur des Etats-Unis en 1851..
MARINE EXTÉRIEURE.
MARINE INTÉRIEURE.
Côte de l'Atlantique.
Bassin des Lacs.
46 steamers océaniques.
164 steamers, jaugeant 69,165 tonneaux,
274 steamers ordinaires.
ayant 2,855 hommes d'équipage.
65 propulseurs à hélice ou autres.
80 bateaux à vapeur-bacs, transports, etc. 2° Bassin de l'Ohio.
348 steamers, jaugeant 67,601 tonneaux,
Total: 465 navires d'un tonnage 154,270 ton-
ayant 8,838 hommes d'équipage.
neaux, montée par 6,348 hommes 3° Bassin du Mississippi.
d'équipage.
Golfe du Mexique.
255 steamers, jaugeant 67,956 tonneaux ,
12 stearners océaniques.
ayant 6,414 hommes d'équipage.
95 steamers ordinaires.
2 propulseurs-.
Total: 767 steamers.jaugeant204,723 tonneaux,
ayant 17,607 hommes d'équipage.
Total : 109 navires, jaugeant, 23.244 tonneaux et
montés par 3,473 hommes d'équi-
page.
Total de la marine à vapeur des États-Unis-
Côte du Pacifique.
37 steamers océaniques.
1,390 bâtiments à vapeur, jaugeant 417,283 tonn.
13 steamers ordinaires.
Total:
50 navires, 34986 tonneaux. — Equi-
page : 1,946 hommes.
Nombre de bateaux à vapeur des principales
95 steamers océaniques.
villes.
Total. j 382 steamers ordinaires.
80 bacs ou ferries,
Saint-Louis .... 131 Nouvelles-Orléans., 109
Total. 557 navires, jaugeant 212,500 tonneaux. Pitisbourg
12
TABLEAU des principales sectes religieuses aux Etats-Unis en 1850.
NOMS DES SECTES.
COMMUNIANTS.
Catholiques romains
1,073
1,081
t .233,350
Protestants épiscopaliens
1,232
1,497
67.550
Presbytériens de l'ancienne école
,
2,512
1,860
200.830
Presbytériens de la nouvelle école
1,651
1,551
155,000
Presbytériens de Cumberland ou modifiés
480
350
50 0C0
Autres classes de Presbytériens
530
293
45,500
Hollandais réformés
282
299
33,980
Allemands réformés. ,
261
273
70,000
Protestants Luthériens.. . . ·
1,604
663
163,000
Moraves
22
24
6,000
Episcopaliens méthodistes
5,042
1,112,756
Méthodistes de l'église protestante
. . . .
740
64.313
Méthodistes réformés
75
3,000
Méthodistes Wesleyens. . . . ·
600
20,000
Méthodistes allemands (Frères-Unis)
1,800
500
15,000
Méthodistes associes et autres
,
600
250
15,0 0
Mennonites
400
250
58,000
Congrégationalistes orthodoxes
,
1,971
1,687
197,196
Congrégationalistes unitaires
245
250
30,000
Universalistes
. . .
1,194
700
60,000
Swedenborglens ou sectateurs de la Nouvelle-Jérusalem.
42
30
5,000
Baptistes réguliers
8,406
5,142
686,807
Baptistes dits des Six-Principes. . . . ,
21
25
3,586
Baptistes du septième jour
52
43
6,243
Baptistes en libre communion
1,252
1,082
56,452
Baptistes de la bonne église
. . .
97
128
10,102
Baptistes réformés ou Campbellistes...
1,848
848
118,618
Chrétiens ou Baptistes unitaires
607
498
3,040
Baptistes anti-missionnaires
. , .
2,035
907
67,845

AMÉRIQUE. —TABLEAUX DES ETATS-UNIS. 269
269
TABLEAU des canaux dans les États de l'Union.
LONGUEUR EΝ
LIEUES
GÉOGRAPHIQUES.
SYSTÈME TRANSALLÉGHANIEN.
Grand canal de New York ou d'Erié
a. Section de l'est partant de Hudson près Albany, à Utica,
milles
sur la Mohawk.
103
»
b. Section du centre, d'Utica à Montézuma, sur la Seneca. . . 96
»
c. Section de l'Ouest, de la Seneca au lac Erié
167
»
366
»
132
»
Canal Champlain. . . '
·
63
»
23
»
Canal de la Chesapeake à l’ Ohio
a Section de l'est, de Washington à Cumberland
186m »
b Section du centre, de Cumberland à l'embouchure de la
Casselman
'0
341
»
123
»
c. Section de l'ouest, de la Casselman à Pittsbourg
85

Canal de Pennsylvanie
a. Section transversale, de Colombie à Piltsbourg
322"
b. Section moyenne, de Duucan's-Island à Tesya
204
e Section occidentale, de Northumberland à Dunstown.... 70
d. Section orientale, de Bristol à Easton

1C8
764
»
276
»
SYSTÈME LITTORAL.
Canal du Mississippi au lac Ponchartrain
7
»
2
»
Canal Chesapeake-Albemarle, joignant le James aux lagunes d'Al
bemarle
23
»
8
»
Canal Delaware el Chetapeake, établissant la communication de la
baie de Chesapeake à celle de la Delaware.
14
»
5
»
Canal de la Delaware au Rariton, commençant au Bordentown et
finissant à la rive droite du Rariton
28
»
10
»
Canal de New-Haven, qui va du Long-Island-Sound au lac Mem-
phramagog
205
»
74
»
Canal à travers l'isthme du cap Cod, joignant les baies de Buzzard
et de Barnstable
9
»
3
»
SYSTÈME LOCAL.
Canal de Baltimore, allant de celte ville à Columbia
60
»
22
»
Canal de Roanoke, allant du village de Welden à celui de Salem sur
le Roanoke
244
»
88
»
Canal de Jonction, joignant le Roanoke à l'Appomatox
44
»
16
»
Canal de Eutaw ou de Santé, faisant communiquer cette rivière avec
le port de Charlestown
21
»
7
»
Canal Morris, commençant à Phillisburgh et se terminant â Jersey-city.
100
»
36
»
Canal Blackstone, mettant en communication Worcester et Providence.
45
»
16
»
Canal Hudson et Delaware. Après avoir lait communiquer ces deux
rivieres, il rencontre à Carpenter’s-poinl le canal I ackawax> n. .
65
·>
23
»
Canal Lackawaxen. Il part des précédents, et aboutit à Honesdale. . .
53
»
19
»
Canal de Schuylkill, communiquant de Philadelphie à Port-Charbon.
112
»
40
»
Canal de Middlesex, unissant le Merrimack à la rade de Boston. . . .
27
»
9
.)
Gran i Canal d'Ohio II traverse du nord au sud l'Etat de ce nom, de
Cleveland sur le lac Erié à Portsmouth
307
»
111
»
Canal de Miami, communiquant par Miami de Cincinnati sur l'Ohio
à Perrysbourg sur le Mauméc
150 »
54
»
Canal d'Oswego, communiquant de Salina à Oswego
38
13
»

»
Canal de Seneca, communiquant du canal de New-York ou d'Erié
avec les lacs Seneca et Cayuga
20
»
7
»
Canal de l'Union, commençant au Schuylkill, et se terminant à
Middletown
.
80
»
28
»
Canal de Lehigh, commençant à Laston, à l'embouchure du Lebigh,
et se terminant au chemin de 1er de Mauch-chunk
47
»
16 ¼
Canal de Louisville, commençant un peu au-dessous de l'embouchure
de Bear-Grass-Creek, à 2 milles au-dessus des chutes de l'Ohio, et
aboutissant au-dessous de Shippingport. sur la gauche de l'Ohio.

1
½
Canal de Jonction, entre l'Océan et le golfe du Mexique à travers les
Florides
· .
231
»
88
»
Canal latéral au Tennessée
35
»
12
»
Canal du Wabash, unissant la rivière de ce nom à celle du Maumée
du lac
130
»
60
»
Total.
3,630
½
1,321 ¾

270
LIVRE CENT DOUZIÈME.
TABLEAU des lignes de chemins de fer des États-Unis.
(Extrait de l’ American almanac 1851).
LONGUEUR
NOM DE L'ÉTAT.
DÉSIGNATION DES CHEMINS.
EN MILLES.
21, 14
Massachusetts..
Chemin de Berkshire

de Boston à Lowell
25.76

de Boston au Maine
74, 26

de Boston à Providence
,
41,00

de Boston à Worcester
. . . .
44 62

de Branche du Cap Cod
27,80

de Cheshire
53,65

de Connecticut-River
50,00

de l'Est ( Eastern )
54,11

d'Essex
19,86

de Fall River
22,24

de Filthburg
50.93

de Lowell à Laurence
12,35

de Nashua et Lowell
14,58

de New-Bedford à Taunton. . . .
20, 13

du Comté de Norfolk
25.G6

de Norwich et Worcester
66 00

d'Old Colony.
37,25

de Pittsfield et North Adams.. . .
18,65

de Providence et Worcester. . . .
43,41

de Taunton Branch
11, 10

de Wermont et Massachusetts.. .
69 00

de l'Ouest
,
156,00

de Worcester à Nashua. ...
45,69

de Dorchester à Milton
3,25

de Harvard Branch
0,69

de Housatonic Branch
·
11,00

de Lexington à Cambridge. . . .
6,63

de Newburyport à Georgetown.
8,56

de Salem à Lowell
16,00

de South Reading Branch. . . .

de South Shore
,
11, 50

de Stockbridge à Pittsfield. . . .
22,00

de Stony Brook (Chelmsford).
. .
13, 16

de Stoughton Branch
4,04

de West Stockbridge.
2,75
New-York..
Chemin d'Albany à Scheneetady
17,00

d'Albany à Weststockbridge. . .
38,25

d'Attica à Buffalo
31.59

d'Auburn à Rochester
78,00

d'Auburn à Syracuse
26,00

de Buffalo à Blac-Rock
3,00

de Buffalo à la chute du Niagara. .
22,00

de Cayuga au Susquehannah. . . ,
28,00

de Chemung
17,50

de Hudson à Berkshire
. . . . ,
31,50

de Hudson River
75,00

de Lewiston
3,33

de Lockport à la chute du Niagara,
23,00

de Long-Island
98.00

de New-York à Erié
294,00

de New-York à Harlem
80,17

d'Oswego à Syracuse
35.00

de Rensselaer à Saratoga
25,00

de Saratoga à Scheneetady.
. . ,
22,00

de Saratoga à Washington
39,50

de Scheneetady à Troy
20,50

de Skaneateles à Jordan
5,20

de Syracuse à Utica
53,00

de Tioga Coal, Iron, etc., etc. . .
15.00

de Tona Wanda
43.50

de Troy à Greenbush
6,00

d'Utica à Scheneetady
78,00

de Watertown à Rome
Maine.
Chemin d’Andros Coggin à Kennebec . . .
55,00

de Bangor à Pisalaquis
11.75

de Portland, Saco, à Portsmouth.
52,00
New-Ham.
Chemin d'Eastern R, dans New Hampshire,
16,80

de Concord
34,50

de Northern R ( Bristol )
81,75

AMÉRIQUE. — TABLEAUX DES ÉTATS-UNIS.
271
LONGUEUR
NOM DE L’ ÉTAT.
DÉSIGNATION DES CHEMINS.
EN
MILLES.
New-Ham. .
Chemin de Manchester à Laurence
23,5!)
— de Sullivan
25,50
Vermont. .
Chemin de utland
120 00

de Vermont central
115.00
Rhode-Island.
Chemin de Providence à Stoninglon
50.00
Connecticut. .
Chemin de Hartford à Newstaven.
38,00

de Har tford à Springfield
20,13

de Housatonic Railroad
110,00

de New London , Williamcourt, etc., etc
68,00
New-Jersey.
Chemin de Burlington à Mount-Holly Branch
6,00

de Camden à Amboy
61,00

de Trenton Branch
6,25

de New-Brunswich Branch
29 00

de Camden et Woodbury
9,00

de New-Jersey central
36.00

de Morris à Essex
36,00

de Paterson (à Jersey-City
16,00

de Ramapo et Paterson
17,00

de New-Jersey (de Jersey-City à New Br.). . . .
30 00
Pennsylvanie
Chemin de Philadelphie à Trenton
30,00

de Philadelphie, Germantown, etc., etc
17,00

de Germantown Branch
6,00

de Philadelphie, Wilmington et Baltimore. . . .
99,00

de Philadelphie à Reading
93 00

de Philadelphie à Columbia
82,00

de Philadelphie City
6, 0

de Portage ( Hollidaysburg à Johnstown)
36,50

de Valley (de Norristown à Columbia )
20,25

de West Chester (au Railread de Columbia). . . .
10,00

de Pennsylvanie ( de Lancastre à Hutingloa).
. .
134.00

de Harrisbourg à Chambersbourg. . .'
56,00

de Franklin (Chambersbourg à Hagerstown). . .
22,00

de York à Wrigntsville
13,00

de Strasbourg (Cumberland Valley à Strasbourg).
7,00

de Little Schuylkill (Port Clinton a Tamaqua ).
.
23,00

de Danville à Pottsville
41,50

de Little Schuykill à Susquehannah
106,00

de Williamsport à Elmira ( N. Y.)
77,50

de Blossbourg à Corning (N. Y.)
40,00

de Mont Carbon
7,25

de la vallée de Schuykill
25,00

de Schuykill (de Schuykill à Valley)
13,00

de Mil Creek
9,00

de Minehill à Schuykill Haven
25,00

de Mauch Clumk et branches ( mine)
25,00

de Roon Run (mine)
5.25

de Beaver Meadow ( mine)
26,00

de Beaver Meadow Branch
12,00

de Hazlelon à Lehigh
10.00

de Nesquehoning ( à Reigh-River)
5,00

de Leigh et Susquehannah
20,00

de Carbondale à Honesdale
21.00

de la vallée de Lyken
16,00

de Pine Grove
4.00
Delaware.
Chemin de Frenchtown â Newcastle
17,00
Maryland.
Chemin de Baltimore et Ohio à Cumberland
178 00

de Frederick Branch et Monocacy
3,00

de Baltimore et Susquehannah
75,00

de Westminster Branch
10,00

de Baltimore à Washington
31,00

d'Annapolis à Elke Ridge
21.00
Virginie.
Chemin de Richmond, Fredériksbourg et Potomac. . . .
76,00

de Richmond à Petersbourg
22,50

Central. ...
71,00

de Chesterfield
12,00

d'Appomatox (de City Point â Petersbourg).
. .
12,00

de Winchester et Potomac
32,00

de Portsmouth à Roanoke
78,00

de Greenville et Roanoke
20,00
Caroline du N.
Chemin de Gaston à Raléigh
87,00

de Petersbourg ( à Weldon C N )
63,00

de Wilmington à Weldon
162,00
Caroline du S.
Chemin de Charleston à Hambourg
136,00

de Branchville et Columbia
68,00

272
LIVRE CENT DOUZIÈME.
LONGUEUR
NOM DE L’ ÉTAT.
DÉSIGNATION DES CHEMINS.
EN MILLES.
44,00
Caroline du S. . Chemin de Camden Branch
— de Greenville à Columbia
22,00
Chemin Central de Savannah à Macon
192,00
Georgia ....
— de Maçon à l'Ouest
101,00
— de George (d’Augusta à Atlanta)
171,00
— d’Athens Branch
40,00
— de Branch Camak à Warrenton)
4.00
140,00

de l'Ouest et Atlantique (d'Atlanta à Chatlanoga.
. . .
— de Memphis Branch
18,00
Florida
Chemin de Tallahasser à Saint - Marks
26,00
— de Saint-Joseph
28,00
Alabania. . . . Chemin de Montgomery à West - Point
68,00
— de Tuscumbia à Decatur
46,00
46,00
Mississippi. . .
Chemin de Wiksbourg à Jackson
— de Jackson à Brandon
14,00
— du Mississippi (Natchez à Malcolm)
30,00
— de Saint-Francisville à Woodville
28,00
Louisiane. . . . Chemin de Clinton à Port-Hudson
24,00
27.00

du Golfe du Mexique (de N Orl. à Proctorsville.
. . .
33,00
Tennessée.
. . Chemin de Memphis à Lagrange
29.00
Kentucky. . . . Chemin de Lexinglon et Ohio (à Frankfort
— de Louisville à Frankfort
27,00
Ohio
Chemin de Little-Miami
84,00
— de Mad - River au lac Erié
135,00
— de Sandusky à Mansfield
57,00
de Columbus au lac Erié
14,00
— de Cleveland à Columbus
36.0O
— de Columbus à Xenia.
54,00
Chemin de Madison à Indianapolis
86,00
Indiana .... — de Shelbyville Branch
»
Illinois
Chemin de Galéna à Chicago-Union
42,00
— de Saint-Charles Branch
8,00
— de Sangamon à Morgan
55,00
218,50
Michigan. . . . Chemin central du Détroit à New-Buffalo)
— du Sud (Monroë à Coldwater)
93,00
— de Tecumseh Branch
10,00
— de Détroit à Pontiac
25.00
— d’Adrian à Toledo
33,00
Total des chemins exécutés 7,883 85
— en voie d’exécution
556,06
Total général de la longeur des chemins de fer des États-Unis
8,439,85
en milles
TABLEAU de l'immigration européenne aux États-Unis, de 1789 à 1850,
d'après les documents officiels.
Étrangers arrivés de 1790 à1810
120,000
Accroissement naturel en 20 ans
47,560
Étrangers arrivés de 1810 à 1820
-114,000
Accroissement naturel sur ce dernier chiffre
19,000
Accroissement durant la période de 1810 à 1820 sur les étrangers arrivés
antérieurement à 1810
58,450
Total des immigrants et de leurs descendants en 1820 :
359,010
Immigrants de 1820 à 1830
203,979
Accroissement naturel sur ce chiffre
35,728
Accroissement durant la période décennale des immigrants et descendants
antérieurs à 1820
134,120



AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
273
Total des immigrants et de leurs descendants en 1830 :
732,847
Immigrants de 1830 à 1840
778,500
Accroissement naturel
135,150
Accroissement durant la période décennale des immigrants et descendants
antérieurs à 1830
254,445
Total des immigrants et de leurs descendants en 1840 :
1,900,942
Imigration de 1840 à 1850
1,542,850
Accroissement naturel
185,14
Accroissement durant la période décennale des immigrants et descendants
antérieurs à 1840
722,000
Total des immigrants aux États-Unis et de leurs descendants
depuis 1790 jusqu'en 1850
4,350,934
LIVRE CENT TREIZIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Etats-Unis du Mexique. — Description
générale physique. — Habitants du Mexique.
Nous allons parcourir successivement le vaste territoire que possédait
autrefois la couronne espagnole dans les deux Amériques.
Nous commencerons par l'ancienne Vice royauté espagnole du Mexique,
dont les possessions s'étendaient de l'isthme de Panama au territoire de
l’Orégon et à la Louisiane. Elle renfermait deux grands gouvernements
distincts: 1° la capitainerie de Guatemala, qui forme aujourd'hui les
républiques de l'Amérique centrale ; 2° la vice-royauté du Mexique ou de
la Nouvelle-Espagne proprement dite. Cette dernière comprenait la Nou-
velle-Californie, le Nouveau Mexique et le Texas, que nous avons décrils
dans un livre précédent comme annexés aujourd'hui aux États-Unis, et, la
République du Mexique ou Confédération des États-Unis mexicains, à
laquelle nous allons consacrer les deux livres suivants.
Le nom de Nouvelle-Espagne ne fut d'abord donné par Grijalva, en 1518,
qu'à la province de Yucatan; Fernand-Cortez, après avoir découvert le
Mexique en 1519, et en avoir fait la conquête en 1520, étendit cette déno-
mination au royaume de Montezuma, en conseillant à Charles-Quint d'en
prendre le titre d'empereur. Le royaume de Montezuma, le Mexique, n'avait
pas alors l'étendue qu'on lui a depuis attribuée : il était limité, sur les
côtes orientales, par les rivières de Guazacualco et de Tulpan ; sur les côtes
occidentales, par les plaines de Soconusco et par le port de Zacatula. Il
V.
35

274
LIVRE CENT TREIZIÈME.
embrassait ainsi la plus grande partie de la confédération actuelle du
Mexique, avec une surface de 18 à 20,000 lieues carrées. Le nom de
Mexico ou Mejico même est d'origine indienne-, il signifie, dans la langue
des Aztèques, l'habitation du dieu de la guerre, appelé Mexitli ou Huitz-
lipochtli. Il paraît cependant qu'avant l'année 1530, lu ville fut appelée plus
communément Tenochtillan. La dénomination d'Anahuac, qu'il ne faut
pas confondre avec les précédentes, désignait, avant la conquête, tout le
pays compris entre le 14e et le 21e degré de latitude. Outre l'empire aztèque
de Montezuma, les petites républiques de Tlancallan et de Cholollan, le
royaume de Tezcuco ou Acolhoacan, et celui de Mechoacan, appartenaient
aux anciens plateaux de l'ancien Anahuac.
Lorsque Fernand-Cortez eut fait la conquête du Mexique, ce pays
devint, sous la domination espagnole, le théâtre de toutes les persécutions
et de toutes les horreurs qu'entraînent le fanatisme et la cupidité. Long-
temps les indigènes seuls eurent à gémir de la tyrannie espagnole ; mais
bientôt les colons eux-mêmes eurent à supporter, de la part de la métro-
pole, toutes les entraves qu'un gouvernement ombrageux crut devoir
mettre au développement intellectuel et commercial. L'introduction de la
littérature et des arts de l'Europe fut prohibée; et, pour assurer le débit
des produits de l'Espagne, on défendit aux colons, sous des peines atroces,
de cultiver l'olivier, la vigne et le mûrier, et tout commerce avec l'étranger.
Lors de l'occupation de l'Espagne par les Français, en 1808, des troubles
commencèrent à se manifester au Mexique, et durèrent jusqu'en 1815 ;
mais ils furent toujours comprimés par le gouvernement resté fidèle à l'Es-
pagne. En 1820, de nouvelles dissensions furent suscitées par l'insurrection
des libéraux d'Espagne. Le vice-roi Apodaca confia au général Iturbide le
commandement des troupes pour contenir les partisans de la constitution;
mais, contre les prévisions des deux partis, Iturbide proclama l'indépen-
dance du Mexique à Iguala, le 24 février 1821, et obligea le vice-roi à
abdiquer. Le Mexique, érigé d'abord en Empire, eut Iturbide pour premier
et dernier empereur. A peine couronné, le nouveau souverain, qui cher-
chait à imiter l'empereur Napoléon, fut obligé, en 1823, d'abdiquer après
une lutte sanglante. Une tentative infructueuse pour recouvrer la couronne
le livra aux Mexicains, qui le fusillèrent. Après la chute d'Iturbide, la
république fédérative fut proclamée au Mexique, et une constitution sur
le modèle de celle des États-Unis fut votée en janvier 1824. L'ancien parti
espagnol, fondu depuis dans le parti impérialiste, devint centraliste; le
parti constitutionnel, et postérieurement républicain, devint fédéraliste.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
275
Dès lors, l'histoire du Mexique ne présente plus qu'une suite de pronun-
ciamento, d'émeutes comprimées ou victorieuses, amenant au pouvoir, et
en chassant tour à tour les deux partis, et l'anarchie dans le gouverne-
ment, dont les généraux se font les chefs absolus. L'Union américaine du
nord en a profité pours'adjoindre violemment la Haute-Californie, leNouveau-
Mexique et le Texas. Aujourd'hui même, elle encourage les attaques
réitérées des hordes sauvages, telles que les Apaches et les Comanches,
dans les États de Nuevo-Leon, de Durango, de Coahuila, de Chiahuahua
et de Sonora, espérant que ces États, incessamment harcelés par des enne-
mis infatigables, ne trouvant ni dans leurs propres ressources, ni dans
celles du gouvernement de Mexico les forces nécessaires pour les protéger,
imploreront l'intervention des Anglo-Américains et leur annexion à la
grande confédération du nord. D'autre part, entre le golfe de Honduras et
la baie de Campèche, s'étend au sud-est du Mexique une belle et riche
presqu'île qui produit presque tous les bois de teinture du commerce euro-
péen. Elle renferme les États mexicains de Yucatan et de Tabasco ; l'An-
gleterre, déjà maîtresse de Balize, au fond du golfe de Honduras, convoite
ces deux belles provinces américaines; aussi cette puissance a-t-elle favo-
risé les efforts tentés depuis 1840 par les États de l’ Yucatan et de Tabasco
pour se détacher du faisceau, pensant qu'une fois érigés en république,
les États de Yucatan se mettraient naturellement sous le protectorat anglais.
Cependant, en 1850, la guerre contre les Indiens de l'Yucatan a été favo-
rable au gouvernement fédéral de Mexico ; et tout porte à croire que si les
rivalités d'ambition qui ont bouleversé ce pays depuis sa séparation avec
l'Espagne venaient à s'éteindre, il trouverait en lui assez de ressources pour
s'opposer aux empiétements des États-Unis au nord, et de l'Angleterre au
sud-est. Nous devons même reconnaître que cetterépublique est depuis 1850
en voie de progrès, et qu'en ouvrant ses provinces du nord à la colonisa-
tion européenne, elle a compris ses véritables intérêts.
La république des États-Unis du Mexique est, depuis les derniers traités
de paix avec la confédération anglo-américaine, bornée comme il suit:
au nord, la limite part de l'océan Pacifique, un peu au-dessus du cap Col-
nett, et suit la frontière de la Vieille-Californie jusqu'au fond du golfe de
Californie-, elle atteint ensuite l'embouchure du Rio Gila, et est marquée
par cette rivière jusqu'à sa source ; de là, traversant le massif de la Sierra
de los Mimbres, elle suit la limite occidentale du Nouveau Mexique jusqu'à
ce qu'elle atteigne, au sud de cette province, le Rio-del-Norte au Paso-del-
Norte, dont elle suit le cours jusqu'à son embouchure dans le golfe du

276
LIVRE CENT TREIZIÈME.
Mexique. Dans toute cette étendue, d'environ 600 lieues, le Mexique est
limitrophe des États-Unis. A l'est, le Mexique est borné par le golfe du
Mexique, dans lequel s'avance, à sa partie méridionale, la presqu'île de
Yucatan, resserrée entre les deux grandes baies de Campêche et de Hondu-
ras ; au sud-est, il confine avec la colonie anglaise de Balize, et le Guate-
mala, l'une des cinq républiques de l’ Amérique-Centrale. Enfin, à l'ouest
ducap Colnett au golfe de Tehuantepec, il est baigné par l'océan Pacifique.
On évalue la superficie actuelle duMexique à environ 11,000,000 de milles
carrés, ou bien, à 143,770 lieues géographiques carrées ; sa population
était évaluée, en 1851, à 7,200,000 habitants, dont 2 millions et demi
de blancs, et près de 5 millions de races indiennes ou mélangées.
En embrassant d'un coup d'œil général toute la surface du Mexique,
nous voyons qu'une moitié environ est située sous la zone tempérée, et
que l'autre appartient à la zone torride. Par un concours de diverses causes
et de circonstances locales, plus des trois cinquièmes de la partie située
sous la zone torride jouissent d'un climat qui est plutôt froid ou tempéré
que brûlant. Tout l'intérieur du Mexique forme un plateau immense élevé
de 2,000 à 2,500 mètres au-dessus des mers voisines, tandis qu'en Europe
les terrains élevés qui présentent l'aspect de plaines, tels que les plateaux
d'Auvergne, de Suisse, d'Espagne, n'ont guère plus de 400 à 800 mètres
de hauteur au-dessus de l'Océan.
La chaîne des montagnes qui forme le plateau du Mexique, que l'on
désigne quelquefois sous le nom particulier de Plateau d'Anahuac, paraît,
au seul aspect d'une carte géographique, la même que celle qui, sous le
nom des Andes, traverse toute l'Amérique méridionale; cependant, exa-
minée sous les rapports de la géographie physique, la structure de cette
chaîne dilfère beaucoup au sud et au nord de l'équateur. Dans l'hémisphère
austral, la Cordillère est partout déchirée et interrompue par des crevasses
qui ressemblent à des filons ouverts, qui n'ont pu être remplis de substances
hétérogènes. S'il existe des plaines élevées dans la Colombie, ce sont plu-
tôt de hautes vallées longitudinales limitées par deux branches de la grande
Cordillère des Andes. Au Mexique, c'est le dos même des montagnes qui
forme le plateau. Au Pérou, les cimes les plus élevées constituent la tête des
Andes; au Mexique, ces mêmes cimes, moins colossales, mais toutefois
hautes de 4,900 à 5,400 mètres, sont ou dispersées sur le plateau, ou ran-
gées d'après des lignes qui n'ont aucun rapport de parallélisme avec la
direction de la Cordillère. Au Pérou, et dans la Colombie, le nombre des
vallées transversales, dont la profondeur perpendiculaire est quelquefois

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
277
de 1,400 mètres, empêche les habitants de voyager autrement qu'à cheval,
à pied, ou portés sur le dos des Indiens. Dans les États mexicains, au con-
traire, les voitures roulent depuis la capitale de Mexico ju qu'à Santa-Fé,
sur une longueur de plus de 500 lieues.
La longueur du plateau compris entre les 18 et 40° de latitude, est égale
à la distance qu'il y a depuis Lyon jusqu'au tropique du Cancer, qui tra-
verse le grand désert africain. Ce plateau extraordinaire paraît s'incliner
insensiblement vers le nord, surtout depuis la ville de Durango, à 140 lieues
• de Mexico. Cette pente, contraire à la direction des fleuves, nous paraîtrait
peu vraisemblable, si elle n'était pas admise par le savant et judicieux voya-
geur (M. de Humboldt) à qui nous devons à peu près tout ce que nous
savons de précis, d'exact et d'intéressant sur ces contrées. Il faut donc
supposer que les montagnes au nord de Santa-Fé s'élèvent brusquement
pour former les chaînes et les plateaux très-élevés d'où descendent le
Missouri et ses affluents.
Parmi les quatre plateaux situés autour de la capitale du Mexique, le
premier, qui comprend la vallée de Toluca, a 2,600 mètres; le second ou
la vallée de Tenochtitlan, 2,274; le troisième, ou la vallée d'Actopan,
1,966 mètres; et le quatrième, ou la vallée d’Istla, 981 mètres de hauteur.
Ces quatre bassins diffèrent autant par le climat que par leur élévation au-
dessus du niveau de l'Océan. Chacun d'eux offre une culture différente : le
dernier, et le moins élevé, est propre à la culture de la canne à sucre; le
troisième à celle du colon ; le second à la culture du blé d'Europe, et le
premier à des plantations d'agaves, que l'on peut considérer comme les
vignobles des Indiens-Aztèques.
Si cette configuration du sol favorise singulièrement, dans l'intérieur du
Mexique, le transport des denrées, la navigation, et même la construction
des canaux, la nature oppose de grandes difficultés à la communication
entre l'intérieur de la République et les côtes, qui, s'élevant de la mer en
forme de rempart, présentent partout une énorme différence de tempéra-
ture. La pente orientale y est surtout rapide et d'un accès difficile. En se
dirigeant depuis la capitale vers la. Vera-Cruz, il faut avancer 60 lieues
marines pour trouver une vallée dont le fond soit élevé de moins de
1,000 mètres au-dessus de l'Océan. Des 84 lieues que l'on compte jusqu'à
ce port, il y en a 56 qu'occupe le grand plateau d'Anahuac ; le reste du
chemin n'est qu'une descente pénible et continuelle ; c'est la difficulté de
cette descente qui renchérit le transport des farines de la Vera -Cruz, et qui
les empêche de rivaliser en Europe avec les farines de Philadelphie. Dans

278
LIVRE CENT TREIZIÈME.
le chemin d'Acapulco, sur le Grand-Océan, on parvient aux régions tem-
pérées en moins de 17 lieues de distance, et l'on n'y fait ensuite que mon-
ter et descendre jusqu'à la mer.
La Cordillère des Andes, qui traverse l'isthme de Darien, se trouve
tanlôt rapprochée de l'océan Pacifique, tantôt des côtes du golfe du Mexique.
Dans l'Amérique Centrale, la crête de ces montagnes, hérissée de cônes vol-
caniques, longe la côte occidentale depuis le lac de Nicaragua jusqu'à la baie
de Tehuanlepec ; mais dans l'État d'Oaxaca, entre les sources des rivières
Chimalapa et Quartanaleo, elle occupe le centre de l'isthme mexicain. ·
Depuis le 18e degré et demi jusqu'au 21e degré de latitude, dans les États
de la Puebla et du Mexico, depuis la Mirteca jusqu'aux mines de Zimapan,
la Cordillère se dirige du sud au nord, et se rapproche des côtes orientales.
C'est dans cette partie du grand plateau d'Anahuac, entre la capitale de
Mexico et les petites villes de Cordoba et de Xalappa, que paraît un groupe
de montagnes volcaniques rivalisant avec les cimes les plus élevées du con-
tinent. M. de Humboldt en a mesuré les principales. Le Popocatepetl, c'est-
à-dire Montagne-Fumante, nommée par les Espagnols le Grand-Volcan,
a 5,400 mètres de hauteur ·, l’Iztacci-huall, ou Femme-Blanche, la Sierra-
Nevada des Espagnols, 4,786 ; le Citlaltepetl, ou Montagne-Etoilée, autre-
ment nommée le Pic-d'Orizaba, 5,295 ; le Nevado de Toluca, 4,607, et
le Nauh-campa tepetl, ou Coffre de Perote, 4,088 mètres1.
Plus au nord du 19e parallèle, près des mines célèbres de Zimapan et
du Doctor, situées dans l'État de Queretaro, la Cordillère prend le nom
de Sierra-Madre, en mexicain Tépé-suenne ; s'éloignant de nouveau de la
partie orientale du Mexique, elle se porte au nord-ouest vers les villes de
San Miguel-el Grande et Guanaxuato. Au nord de cette dernière ville,
regardée comme le Potosi du Mexique, la Sierra-Madre prend une largeur
extraordinaire ; bientôt elle se partage en trois branches, dont la plus orien-
tale se divise vers Charcas et Real de Catorce, pour se perdre dans le
Nouveau-Léon. La branche occidentale occupe une partie de l'État de
Xalisco. Depuis Bolanos; elle s'abaisse rapidement et se prolonge, par
Culiacan et Arispe, dans le Sonora, jusqu'aux bords du Rio Gila. Sous le
30e degré de latitude, elle acquiert cependant de nouveau une hauteur con-
sidérable dans le Tarahumara, près du golfe de Californie, où elle forme les
montagnes de la Haute Pimerie (Pimeria alta), célèbres par des lavages
d'or considérable. La troisième branche de la Sierra-Madre, que l'on peut
1 A. de Humboldt : Tableau des Régions équatoriales ; p. 148. Vues et Monuments ;
page 233.

AMÉRIQUE. —ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
279
regarder comme la chaîne centrale des Andes mexicaines, occupe toute
l'étendue de l'État de Zacatecas. On peut la suivre, par Durango et le Par-
ral, dans le Chohahuila, jusqu'à la Sierra de Los Mimbres, située à l'ouest
du Rio-Grande-del-Norte ; de là elle traverse le Nouveau-Mexique et se
joint aux montagnes de la Grue et à la Sierra-Verde. Ce pays montueux,
situé sous le 40e degré de latitude, a été examiné, en 1777, par les PP. Esca-
laste et Fond; il donne naissance au Rio-Gila, dont les sources se rap-
prochent de celles du Rio-del-Norte. C'est la crête de cette branche cen-
trale de la Sierra-Madre qui partage les eaux entre le Grand-Océan et la
mer des Antilles. C'est elle dont Fiedler et l'intrépide Mackensie ont exa-
miné la continuation sous les 50 et 55e degrés de latitude boréale. La
carte de don Alzate donne à une partie de la Sierra de Los-Mimbres le
nom particulier de Sierra dos Pedernales, montagnes de pierres à fusil,
circonstance qui semble indiquer une ressemblance entre les roche s de
cette chaîne et ceux des montagnes Rocheuses, dont elle est d'ailleurs la
continuation méridionale.
Le granit, qui paraît former ici, comme partout ailleurs, la couche la
plus profonde, se montre à découvert dans la peti te chaîne qui borde l'océan
Pacifique, et qui, du côté d'Acapulco , est séparée de la masse du haut
pays par la vallée de Peregrino. Le beau port d'Acapulco est taillé par la
main de la nature dans des rochers granitiques. La même roche forme les
montagnes de la Mixteca et de la Zapoteca dans l'État d'Oaxaca. Le plateau
central, ou l'Anahuac ; semble une immense digue de roches porphyriques,
distinguées de celles d'Europe par la présence constante de l'amphibole et
par l'absence du quartz. Elles contiennent d'immenses dépôts d'or et d'ar-
gent. Le basalte, le trapp amygdaloïde, le gypse et le calcaire du Jura
forment, les autres roches dominantes. Les couches se suivent ici dans le
même ordre qu'en Europe, excepté que la syénite alterne avec la serpen-
tine. Les roches secondaires ressemblent également à celles de nos contrées,
mais on n'a encore trouvé aucun dépôt considérable de sel gemme ni de
charbon de terre sur le plateau du Mexique ; tandis que ces substances ,
surtout la première, paraissent abonder au nord du golfe de Californie, vers
le lac Timpanogos.
Le porphyre de la Sierra de Santa-Rosa se présente en masses gigan-
tesques , d'une figure bizarre et qui rappelle des murs et des bastions en
ruine. Les masses, taillées à pic et élevées à 2 ou 400 mètres sur les plaines
environnantes, portent dans le pays le nom de Buffa. D'énormes boules à
couches concentriques reposent sur des rochers isolés. Ces porphyres don-

280
LIVRE CENT TREIZIÈME.
nent aux environs de la ville de Guanaxuato un aspect singulièrement
romantique. Le rocher porphyrique de Mamanchota, connu dans le pays sous
le nom d*Orgues d’Aclopan, se détache sur l'horizon comme une vieille
tour dont la base ébréchée serait devenue moins large que le sommet. Les
porphyres trappéens en colonnes, qui terminent la montagne de Jacal et
d’Oyamel, sont à leur tour couronnés de pins et de chênes qui ajoutent de
la grâce à ce site imposant. C'est de ces montagnes que les anciens Mexi-
cains tiraient la pierre itzli, ou l'obsidienne, dont ils fabriquaient leurs
instruments tranchants.
Le Coffre de Perole est une montagne porphyrique élevée de 4,088 mè-
tres au-dessus du niveau de la mer, et qui représente un sarcophage antique
surmonté, à une de ses extrémités, d'une pyramide. Les basaltes de la
Regla , dont les colonnes prismatiques, de 30 mètres d'élévation ont un
noyau plus dur que le reste, forment la décoration d'une cascade très-pit-
toresque.
Les habitants du Mexique considèrent à peine les volcans comme une
curiosité , tant ils sont familiers avec les effets de ces colosses ignivomes.
Presque tous les sommets des Cordillères américaines offrent des cratères.
Celui du mont Popoca a une demi-lieue de circonférence , à ce qu'on dit;
mais il est à présent inaccessible. L’Orizaba est également un volcan qui,
en 1545, lit une éruption, et continua de brûler pendant vingt années ;
cette montagne est nommée par les Indiens Citlaltepell, ou Montagne-
Etoilée, à cause des exhalaisons lumineuses qui sortent de son cratère et
jouent autour de son sommet, couvert de neiges éternelles. Les flancs de
ces colosses coniques, ornés de belles forêts de cèdres et de pins, ne sont
plus bouleversés par des éruptions, ni sillonnés par des torrents de lave
enflammée ; il paraît même que les coulées de laves proprement dites son
rares au Mexique. Cependant, en 1757, les plaines de Jorullo, sur les
bords de l'océan Pacifique, furent le théâtre d'une des catastrophes les
plus grandes qu'ait jamais essuyées le globe : dans une seule nuit, il sortit
de la terre un volcan de 1,300 mètres d'élévation, entouré de plus de 2,000
bouches qui fument encore aujourd'hui. M. de Humboldt et Bonplan des-
cendirent dans le cratère embrasé du grand volcan , jusqu'à 84 mètres de
profondeur perpendiculaire, sautant sur des crevasses qui exhalaient l'hy-
drogène sulfuré enflammé; ils parvinrent, après beaucoup de dangers,
à cause de la fragilité des laves basaltiques et syénitiques, presque jusqu'au
fond du cratère , où l'air était extraordinairement surchargé d'acide car-
bonique.

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
281
Les montagnes granitiques d'Oaxaca ne renferment aucun volcan connu;
mais, plus au sud, Guatemala redoutait le voisinage de deux montagnes ,
dont l'une vomit du feu et l'autre de l'eau, et qui ont fini par engloutir cette
grande ville.
Les volcans continuent jusqu'à Nicaragua ; près de cette ville est celui
de Momantombo. L’Omo tepetl élance son sommet enflammé du sein du
lac de Nicaragua; d'autres montagnes ignivomes bordent les golfes de
l'océan Pacifique. La république de Costa-Rica renferme également des
volcans, entre autres, celui de Varu, situé dans la chaîne appelée de
Boruca.
Nous ne terminerons pas cet aperçu des montagnes mexicaines sans
parler des célèbres mines d'or et d'argent, dont le produit annuel, en temps
ordinaire , s'élève à une valeur de 22,000,000 de piastres. L'or qui n'entre
dans ce produit que pour un million , se trouve en paillettes ou en grains
dans les terrains d'alluvion de la Sonora et de la Haute-Pimerie, qui, à ce
qu'il paraît, peuvent rivaliser de richesse avec ceux de la Californie, il
existe aussi en filons dans les montagnes de gneiss et de schiste micacé de
l'État d'Oaxaca. L'argent semble affecter le plateau d'Ana!:uac et de Mé-
choacan. La mine de Batopilas , dans l'État de Durango , la plus septen-
trionale qu'on ait exploitée , a donné plus abondamment de l'argent natif,
tandis que dans les autres le métal est extrait soit des minerais qu'on
nomme maigres, tels que l'argent rouge, noir, chloruré et sulfuré, soit du
plomb argentifère. La disette de mercure , qu'on tire de la Chine, de l'Au-
triche et de l'Espagne, arrête seule l'essor de l'exploitation. Les mines con-
nues sont loin d'offrir aucun indice d'épuisement. Il en reste sans doute à
découvrir.
Un avantage, très-notable pour les progrès de l'industrie nationale, naît
de la hauteur à laquelle la nature, dans la Nouvelle-Espagne, a déposé
les grandes richesses métalliques. Au Pérou, les mines d'argent les plus
considérables se trouvent à d'immenses élévations, très près de la limite
des neiges éternelles. Pour les exploiter, il faut amener de loin les hommes,
les vivres et les bestiaux. Des villes situées sur des plateaux où les arbres
ne peuvent point végéter, ne sont pas faites pour offrir un séjour attrayant.
Il n'y a que l'espoir de s'enrichir qui puisse déterminer l'homme libre à
abandonner le climat délicieux des vallées, pour s'isoler sur le dos des
Andes. Au Mexique, au contraire, les filons d'argent les plus riches,
comme ceux de Guanaxuato, de Zacatecas, de Tasco et de Real-del-Monte,
se trouvent à des hauteurs moyennes de 1,700 à 2,000 mètres. Les mines
Y.
3G

282
LIVRE CENT TREIZIÈME.
y sont entourées de champs labourés, de villes et de villages; des forêts
couronnent les collines voisines; tout y facilite l'exploitation des richesses
souterraines.
Au milieu des nombreuses montagnes que la nature a accordées au
Mexique, il souffre en général d'un manque d'eau et de rivières navigables.
Le grand fleuve Rio-Bravo-del-Norte et le Rio-Gila, affluent du Colorado,
qui servent aujourd'hui de limites au Mexique, sont les seules rivières qui
puissent fixer l'attention , tant à cause de la longueur de leur cours qu'à
cause de la grande masse d'eau qu'elles portent à l'Océan; mais coulant
à la frontière et dans la partie du royaume la plus inculte, elles resteront
long-temps sans intérêt pour le commerce. Dans toute la partie équinoxiale
du Mexique, on ne trouve que de petites rivières dont les embouchures sont
considérablement larges. La forme étroite du continent y empêche la réunion
d'une grande masse d'eau , et la pente rapide de la Cordillère donne plu-
tôt naissance à des torrents qu'à des fleuves. Parmi le petit nombre de
rivières qui existent dans la partie méridionale , les seules qui puissent un
jour devenir intéressantes pour le commerce intérieur sont, le Rio-Guaza-
cualco et celui d'Alvarado , tous les deux au sud-est de la Vera-Cruz, et
propres à faciliter les communications avec Guatemala; le Rio-de-Monte-
zuma, qui porte les eaux des lacs et de la vallée de Tenochtitlan au Rio-
de Panuco, et par lequel, en oubliant l'élévation du terrain, on a projeté
une navigation depuis la capitale jusqu'à la côte orientale ; le Rio de Zaca-
tula, et enfin le grand fleuve de Sant-Iago, ou Tololotlan, formé de la
réunion des rivières de Leorma et de Las-Laxas, qui pourrait porter les
farines de Salamanca, de Zelaya, et peut-être celles de tout l'État de
Xalisco , au port de San-Blas , sur les côtes de l'océan Pacifique.
Les lacs dont le Mexique abonde, et dont la plupart diminuent annuelle-
ment, ne sont que des restes de ces immenses bassins d'eau qui paraissent
avoir existé jadis dans les grandes et hautes plaines de la Cordillère. Nous
citerons le grand lac de Chapala, dans l'Etat de Xalisco, qui a près de
160 lieues carrées ; les lacs de la vallée de Mexico, qui occupent le quart de
la surface de cette vallée : ces lacs sont ceux de Tezcuco, qui est le plus
grand, de Xochimilco, de Chalco, de San-Christobal et de Zupengo ; le
lac de Pazcuaso, dans l'Etat de Michoacan, un des sites les plus pitto-
resques du globe ; le lac de Mextitlan et celui de Parras, dans l'Etat de
Durango.
Pour achever le tableau du sol mexicain, il faut encore jeter un coup
d'œil sur les côtes maritimes et sur les eaux qui les baignent. Toute la côte

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
283
orientale ou atlantique de la Nouvelle-Espagne doit être considérée comme
une digue contre laquelle les vents alizés et le mouvement perpétuel des
eaux de l'est à l'ouest jettent des sables que l'Océan agité tient suspendus.
Le courant de rotation, arrivant de l'océan Atlantique méridional, longe
d'abord le Brésil et la Guiane, ensuite la côte de Caracas depuis Cumana
jusqu'à Darien ; il remonte vers le cap Catoche dans le Yucatan, et après
avoir longtemps tournoyé dans le golfe du Mexique, il sort par le canal de
la Floride, et se dirige vers le banc de Terre-Neuve. Les sables amoncelés
par le tournoiement des eaux, depuis la péninsule de Yutacan jusqu'aux
bouches du Rio-del-Norte et du Mississippi, rétrécissent insensiblement le
bassin du golfe mexicain, en faisant accroître le continent. Les rivières qui
descendent de Sierra-Madre, pour se jeter dans la mer des Antilles, ne con-
tribuent pas peu à augmenter les bas-fonds. Toute la côte orientale du
Mexique, depuis les 18e et 26e degrés de latitude, est garnie de barres:
des vaisseaux qui tirent au delà de 32 centimètres d'eau ne peuvent passer
sur aucune de ces barres sans courir risque de toucher. Cependant ces
entraves, si contraires au commerce, facilitent en même temps la défense
du pays contre les projets ambitieux d'un conquérant européen.
Un autre inconvénient très-grave est commun aux côtes orientales et
occidentales de l'isthme : des tempêtes violentes les rendent inabordables
pendant plusieurs mois, en empêchant presque toute navigation dans ces
parages. Les vents du nord-ouest, appelés los Nortes, soufflent dans le
golfe du Mexique depuis l'équinoxe d'automne jusqu'à l'époque du prin-
temps ; ils sont généralement faibles aux mois de septembre et d'octobre ; leur
plus grande force est dans le mois de mars. Sur les côtes occidentales, la
navigation est très-dangereuse dans les mois de juillet et d'août : des oura-
gans terribles y soufflent alors du sud-ouest. Dans ces temps, et jusqu'en
septembre et en octobre, les atterrages de San-Blas, d'Acapulco et de tous
Tes ports de cette côte, sont les plus difficiles. Pendant la belle saison,
depuis le mois d'octobre jusqu'au mois de mai, la tranquillité de l'Océan
est encore interrompue dans ces parages par des vents impétueux du
nord-est et du nord-ouest, connus sous les noms de Papagayo et de
Tehuantepec.
On voit, d'après cette ébauche de la disposition du terrain, que les côtes
du Mexique jouissent presque seules d'un climat chaud et propre à fournir
les productions qui sont l'objet du commerce des Antilles. L'Etat Vera-
Cruz, à l'exception du plateau qui s'étend de Perote au pic d'Orizaba, le
Yutacan, les côtes d'Oaxaca, l'Etat maritime de Tamaulipas, celui du

284
LIVRE CENT TREIZIÈME.
Nouveau-Léon et de Cohahuila, le pays inculte appelé Bolson de Mapimi,
les côtes de la Basse-Californie, la partie occidentale de l'Etat de Sonora,
de ceux de Cinaloa et de la Nouvelle-Galice, ou Xalisco, les lisières méri-
dionales des Etats de Michoagan, de Mexico et de la Puebla, sont des ter-
rains bas et entrecoupés de collines peu considérables. La température
moyenne de ces plaines, ainsi que celle des ravins qui sont situés sous
les tropiques, et dont l'élévation au-dessus de l'Océan ne surpasse pas
300 mètres, est de 25 à 26 degrés du thermomètre centigrade, c'est-à dire
de 8 à 9 degrés plus grande que la chaleur moyenne de Naples. Ces régions
fertiles, que les indigènes nomment Tierras calientes, c'est-à-dire pays
chauds, produisent du sucre, de l'indigo, du coton et des bananes en
abondance ; mais quand les Européens non acclimatés les fréquentent pen-
dant longtemps, quand ils s'y réunissent dans les villes populeuses, ces
mêmes contrées deviennent le séjour de la lièvre jaune, connue sous le nom
de vomissement noir, ou du vomito prieto. Le port d'Acapulco, les vallées
de Papagayo et du Peregrino, appartiennent aux endroits de la terre où
l'air est constamment le plus chaud et le plus malsain. Sur les côtes orien-
tales du Mexique, les grandes chaleurs sont interrompues pendant quelque
temps, lorsque les vents du nord amènent des couches d'air froid de la baie
d'Hudson, vers le parallèle de la Havane et de la Vera-Cruz. Ces vents
impétueux soufflent depuis le mois d'octobre jusqu'au mois de mars ; sou-
vent ils refroidissent l'air à tel point, que le thermomètre centigrade
descend, près de la Havane, jusqu'à zéro, et à la Vera-Cruz, à 16 degrés,
abaissement bien frappant pour des pays situés sous la zone torride.
Sur la pente de la Cordillère, à la hauteur de 1,200 à 1,500 mètres, il
règne perpétuellement une douce température de printemps, qui ne varie
que de 4 à 5 degrés ; de fortes chaleurs et un froid excessif y sont égale-
ment inconnus. C'est la région que les indigènes appellent Tierras tem-
pladas, ou pays tempérés, dans laquelle la chaleur moyenne de toute
l'année est de 20 à 21 degrés. C'est le beau climat de Xalappa, de Tasco
et de Chilpaningo, trois villes célèbres par l'extrême salubrité de leur cli-
mat et par l'abondance des arbres fruitiers qu'on cultive dans leurs envi-
rons. Malheureusement, cette hauteur moyenne de 1,300 mètres est presque
la même à laquelle les nuages se soutiennent au dessus des plaines voisines
de la mer, circonstance qui fait que ces régions tempérées, situées à mi-
côte, sont souvent enveloppées dans des brumes épaisses.
La troisième zône, désignée par la dénomination de Tierras frias, ou
pays froids, comprend les plateaux qui sont élevés de plus de 2,200 mètres

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
285
au dessus du niveau de l'Océan, et dont la température moyenne est de
17 degrés et au-dessous. Dans la capitale du Mexique, on a vu le thermo-
mètre centigrade descendre jusqu'à quelques degrés au-dessous du point
de la glace ; mais ce phénomène est très-rare. Les hivers, le plus souvent,
y sont aussi doux qu'à Naples. Dans la saison la plus froide, la chaleur
moyenne du jour est encore de 13 à 14 degrés-, en été, le thermomètre, à
l'ombre, ne monte pas au-dessus de 24 degrés. La température moyenne la
plus fréquente sur tout le grand plateau du Mexique, est de 17 degrés ; elle
est égale à la température de Rome, et l'olivier y est cultivé avec succès.
Cependant ce même plateau, d'après la classification des indigènes, appar-
tient aux Tierras frias. Les expressions de froid et de chaud n'ont pas de
valeur absolue ; toutefois les plateaux plus élevés que la vallée de Mexico,
ceux, par exemple, dont la hauteur absolue dépasse 2,500 mètres, ont,
quoique sous les tropiques, un climat que l'habitant même du nord de
l'Europe trouve rude et désagréable. Telles sont les plaines de Tolma et
les hauteurs de Guchilaque, où pendant une grande partie du jour, l'air
ne s'échauffe pas au delà de 6 ou 8 degrés ; l'olivier n'y porte pas de fruits.
Toutes ces régions appelées froides jouissent d'une température moyenne
de 11 à 13 degrés, égale à celle de la France et de la Lombardie ; cependant
la végétation y est beaucoup moins vigoureuse, et les plantes de l'Europe
n'y croissent pas avec la même rapidité que dans leur sol natal. Les hivers,
à 2,500 mètres de hauteur, ne sont pas extrêmement rudes ; mais aussi,
pendant l'été, le soleil n'échauffe pas assez l'air rarefié de ces plateaux pour
accélérer le développement des fleurs, et pour porter les fruits à une matu-
rité parfaite : c'est cette égalité constante, c'est cette absence d'une forte
chaleur éphémère qui imprime au climat des hautes régions équinoxiales
un caractère particulier. Aussi la culture de plusieurs végétaux réussit-elle
moins bien sur le dos des Cordillères mexicaines que dans des plaines
situées au nord du tropique, quoique souvent la chaleur moyenne de ces
dernières soit moindre que celle des plateaux compris entre les 19e et 22e
degrés de latitude.
Dans la région équinoxiale du Mexique, et même jusqu'au 28e degré de
latitude boréale, on ne connaît que deux saisons : la saison des pluies, qui
commence au mois de juin ou de juillet, et finit au mois de septembre ou
d'octobre, et celle des sécheresses, qui dure huit mois, depuis octobre
jusqu'à la fin de mai. La formation des nuages et la précipitation de l'eau
dissoute dans l'air, commencent généralement sur la pente orientale de la
Cordillère. Ces phénomènes, accompagnés de fortes explosions électriques,

286
LIVRE CENT TREIZIÈME.
s'étendent successivement de l'est à l'ouest dans la direction des vents
alizés, en sorte que les pluies tombent 15 ou 20 jours plus tard sur le pla-
teau central qu'à la Vera-Cruz. Quelquefois on voit dans les montagnes, et
même au-dessous de 2,000 mètres de hauteur absolue, des pluies mêlées
de grésil et de neige, dans les mois de décembre et de janvier ·, mais ces
pluies ne durent que peu de jours, et quelque froides qu'elles soient, on les
regarde comme très-utiles pour la végétation du froment et pour les pâtu-
rages. Depuis le parallèle de 24 degrés jusqu'à celui de 30, les pluies sont
plus rares et très-courtes; heureusement les neiges, dont l'abondance est
assez considérable depuis le 26e degré de latitude, suppléent à ce manque
de pluie.
En France, et dans la plus grande partie de l'Europe, l'emploi du terri-
toire et les divisions agricoles dépendent particulièrement de la latitude
géographique; la configuration du terrain, la proximité de l'Océan, ou
d'autres circonstances locales, n'y influent que faiblement sur le tempéra-
ture. Dans les régions équinoxiales de l'Amérique, au contraire, le climat,
la nature des productions, l'aspect, la physionomie du pays, sont presque
uniquement modifiés par l'élévation du sol au dessus du niveau de la mer.
Sur les 19e et 22e degrés de latitude, le sucre, le coton, surtout le cacao et
l'indigo, ne viennent abondamment que jusqu'à 6 ou 800 mètres de hau-
teur. Le froment d'Europe occupe une zone qui, sur la pente des mon-
tagnes, commence généralement à 1,400 mètres, et finit à 3,000. Le
bananier, plante bienfaisante qui constitue la nourriture principale de tous
les habitants des tropiques, ne donne presque plus de fruits au-dessus de
1,550 mètres. Les chênes du Mexique ne végètent qu'entre 800 et 3,100
mètres. Les pins ne descendent vers les côtes de la Vera-Cruz que jusqu'à
1,850 mètres; mais aussi ces pins ne s'élèvent, près de la limite des neiges
perpétuelles, que jusqu'à 4,000 mètres de hauteur.
Les Etats de l'intérieur, situés dans la zone tempérée, mais surtout
ceux qui sont sur la frontière des États-Unis, jouissent, avec le reste de
l'Amérique boréale, d'un climat qui diffère essentiellement de celui que
l'on rencontre sous les mêmes parallèles dans l'ancien continent, et qui se
marque surtout par une très-forte inégalité entre la température des diffé-
rentes saisons. Des hivers d'Allemagne y succèdent à des étés 4e Naples et
de Sicile. Cependant cette différence de température est bien moins frap-
pante dans les parties du nouveau continent qui se rapprochent de l'océan
Pacifique, que dans les parties orientales.
Si le plateau du Mexique est singulièrement froid en hiver, sa tempéra-

AMÉRIQUE.
— ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
287
ture d'été est beaucoup plus élevée que celle qu'annoncent les observations
thermométriques faites par Bouguer et La Condamine dans les Andes du
Pérou. Cette chaleur et d'autres causes locales influent sur l'aridité qui
désole ces belles contrées : l'intérieur du pays, surtout une très-grande
partie du plateau d'Anahuac, est dénué de végétation. La grande masse de
la Cordillère mexicaine et l'immense étendue de ses plaines produisent une
réverbération de rayons solaires qu'à égale hauteur on n'observe pas dans
des pays montagneux plus inégaux. D'ailleurs, le terrain y est trop haut
pour que sa hauteur, par conséquent la moindre pression barométrique que
l'air raréfié y exerce, n'augmente pas déjà sensiblement l'évaporation qui
a lieu sur les grands plateaux. D'un autre côté, la Cordillère n'est pas
assez élevée pour qu'un grand nombre des cimes puisse entrer dans la
limite des neiges perpétuelles. Ces neiges, à l'époque de leur minimum,
au mois de septembre, ne descendent pas, sous le parallèle de Mexico,
au-delà de 4,500 mètres; mais au mois de janvier, leur limite se trouve
à 3,700 mètres. Au nord, dès 20 degrés, surtout depuis le 22e jusqu'au
30e de latitude, les pluies, qui ne durent que pendant les mois de juin,
juillet, août et septembre, sont peu fréquentes dans l'intérieur du pays. Le
courant ascendant, ou la colonne d'air chaud qui s'élève des plaines,
empêche les nuages de se précipiter en pluies et d'abreuver une terre sèche,
salée et dénuée d'arbustes. Les sources sont rares dans les montagnes,
composées en grande partie d'amygdaloïde poreuse et de porphyres fen-
dillés. L'eau infiltrée, au lieu d'être réunie en de petits bassins souterrains,
se perd dans des fentes que d'anciennes révolutions volcaniques ont
ouvertes : cette eau ne sort qu'au pied de la Cordillère ; c'est sur les côtes
qu'elle forme un grand nombre de rivières, dont le cours n'est que de peu
de longueur.
L'aridité du plateau central et le manque d'arbres, très-nuisible à
l'exploitation des mines, ont sensiblement augmenté depuis l'arrivée des
Européens au Mexique. Les conquérants n'ont pas seulement détruit sans
planter, mais en desséchant artificiellement de grandes étendues de terrain,
ils ont causé un autre mal plus important : le muriate de soude et de chaux,
le nitrate de potasse et d'autres substances salines couvrent la surface du
sol ·, elles se sont répandues avec une rapidité que le chimiste a de la peine
à expliquer. Par cette abondance de sels, par ces efflorescences contraires
à la culture, le plateau du Mexique ressemble en quelque endroits à celui
du Tibet et aux steppes salées de l'Asie centrale.
Heureusement cette aridité du sol ne règne que dans les plaines les plus

288
LIVRE CENT TREIZIÈME.
élevées. Une grande partie des États-Unis mexicains appartient aux pays
les plus fertiles de la terre. La pente de la Cordillère est exposée à des
vents humides et à des brumes fréquentes; la végétation, nourrie de ces
vapeurs aqueuses, y est d'une beauté et d'une force imposantes. A la vérité,
l'humidité des côtes favorisant la putréfaction d'une grande masse de sub-
stances organiques, occasionne des maladies auxquelles les Européens et
d'autres individus non acclimatés sont exposés; car, sous le ciel brûlant
des tropiques, l'insalubrité de l'air indique presque toujours une fertilité
extraordinaire du sol. Cependant, à l'exception de quelques ports de mer
et de quelques vallées profondes et humides, où les indigènes souffrent de
fièvres intermittentes, le Mexique doit être considéré comme un pays émi-
nemment sain. Une chaleur sèche et invariable est très-favorable à la longé-
vité. A la Vera-Cruz, au milieu des épidémies de la fièvre jaune (vomisse-
ment noir), les indigènes et les étrangers, déjà acclimatés depuis quelques
années, jouissent de la santé la plus parfaite. En général, les côtes et les
plaines arides de l'Amérique équatoriale doivent être regardées comme
saines, malgré l'ardeur excessive du soleil, dont les rayons perpendiculaires
sont réfléchis par le sol.
La végétation varie comme la température, depuis les rivages brûlants
de l'Océan jusqu'aux sommets glacés des Cordillères. Dans la région chaude
jusqu'à 400 mètres, les palmiers à éventails, les palmiers miraguana et
pumos, l’oreodoxa blanc, la tournefortie veloutée, le sebestier geraschan-
tus, la céphalante à feuilles de saule, l’hyplis bourrelé , le salpianlhus
arenarius, l'amaranthine globuleuse, le calebassier pinné , le podopterus
mexicain , la bignonie à feuilles d'osier, la sauge occidentale, le perdicium
de la Havane, le gyrocarpus. le leucophyllum ambiguum, la gomphia
mexicaine , le panic élargi, la bauhine roide , le campêche rayé, le cour-
baril émoussé, la swietenie mexicaine, la malpighie à feuilles de sumac,
dominent dans la végétation spontanée. Cultivés sur les confins de la zone
tempérée et de la zone chaude, la canne à sucre, le cotonnier, le cacaotier,
l'indigotier , ne dépassent guère le niveau de 6 à 800 mètres; cependant la
canne prospère dans les vallées abritées à un niveau de 1,800 mètres. Le
bananier s'étend des bords de la mer jusqu'au niveau de 1,400 mètres. La
région tempérée depuis 400 jusqu'à 2,000 mètres, présente le liquidambar
styrax , l’erythroxylon mexicain , le poivrier à longue cosse, Varalia digi-
tata, la quenouille de Pazeuar, la guardiola mexicaine, le tageles à feuilles
minces; la psychotria pauciflora, le quamoclit de Cholula , le liseron
arborescent, la véronique de Xalapa , la globulaire mexicaine, le stachys

AMÉRIQUE. —ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
289
d'Actopan, la sauge mexicaine, le gatilier mou, l'arbousier à fleurs épaisses,
le panicaut à fleurs de protea, le laurier de Cervantès, le daphné à feuilles
de saule , la fritillaire à barbe, l’yucca épineux, la cobée grimpante, la
sauge jaune, quatre variétés de chênes mexicains, commençant à 900 mè-
tres d'élévation et finissant à2,200 ; l'if des montagnes, la banisterie ridée.
Dans la région froide, depuis 2,150 mètres jusqu'à 4,500, on remarque le
chêne à tronc épais (qucrcus crassipes), la rose mexicaine, l'aune qui finit
au niveau de 3,650 mètres, le merveilleux cheirostemonplaianoïdes, dont
nous parlerons plus loin ; la krameria, la valeriane à feuilles cornues , la
datura superba, la sauge cardinale, la potentille naine, l'arbousier à feuilles
de myrte, l'alisier denté, le fraisier mexicain. Les sapins qui commencent
dans la zone tempérée à 1,800 mètres d'élévation ne finissent dans la froide
qu'à 4,050. Ainsi les arbres conifères, inconus à l'Amérique méridionale,
terminent ici, comme dans les Alpes et les Pyrénées, l'échelle des grands
végétaux. Sur les limites mêmes de la neige perpétuelle, on voit naître Vare-
naria bryoïdes, le cnicus nivalis, la chelone gentianoïdes.
Parmi les végétaux mexicains qui fournissent une abondante substance
alimentaire . le bananier tient le premier rang. Les deux espèces nommées
platano arton et dominico paraissent indigènes; le camburi ou musa sapie-
tum y a été apporté d'Afrique.Un seul régime de bananes contient souvent
160 à 180 fruits, et pèse 30 à 40 kilogrammes. Un terrain de 100 mètres
carrés de surface produit aisément 2,000 kilogrammes pesant de fruits.
Le manioc occupe la même région que le bananier. La culture du maïs est
plus étendue; ce végétal indigène1 réussit sur la côte de la mer et dans
les vallées de Toluca , à 2,600 mêtres au-dessus de l'Océan. Le maïs
produit généralement 150 pour 1 ; il forme la principale nourriture des
hommes et des animaux. Le froment, le seigle et les autres céréales de
l'Europe ne sont cultivés que sur le plateau dans la région tempérée. Le
froment donne en général de 25 à 30 pour 1. Dans la région la plus fer-
tile , on cultive la pomme de terre originaire de l'Amérique méridionale ,
tropœolum esculentum, nouvelle espèce de capucine, et le chenopodium
quinoa, dont la graine est un aliment aussi agréable que sain. La région
tempérée et la froide possèdent encore l’oca (oxalis tuberosa ) ; la patate
et l'igname sont cultivées dans la région chaude. Malgré les abondants pro-
duits de tant de plantes alimentaires, les sécheresses exposent le Mexique à
des famines périodiques.
Ce pays produit des espèces indigènes de cerisiers, des pommiers , des
1 Mahis, en langue d'Haïti; cara, en quichua ; tlaolli, en aztèque.
Y.
37

290
LIVRE CENT TREIZIÈME.
noyers, des mûriers, des fraisiers ; il a fait l'acquisition de la plupart des
fruits de l'Europe et de ceux de la zone torride. Le maguey, variété de
l'agave, fournit la boisson nommée pulque, et que les habitants du Mexique
consomment en très-grande quantité. Les fibres du maguey fournissent
du chanvre et du papier ·, les épines servent d'épingles et de clous.
La culture du sucre s’accroît, quoiqu'elle soit en général bornée à la
région tempérée, et que, par défaut de population , les plaines chaudes et
humides des côtes maritimes si propres à ce genre de culture, restent en
grande partie en friche. La canne est ici cultivée et exploitée par des mains
libres.
L'État d'Oaxaca est aujourd'hui la seule province où l'on cultive en
niasse le nopal ou le cactus cochenilifer, sur lequel aime à se nourrir
l'insecte qui produit la cochenille. La cochenille présente un objet d'expor-
tation de la valeur annuelle de douze millions de francs. Parmi les autres
végétaux utiles, nous distinguerons le convolulus jalapa, ou vrai jalap,
qui croît naturellement dans le canton de Xalapa, au nord-ouest de la
Vera-Cruz; l’epidendrum vanilla, qui, conjointement avec le jalap , aime
l'ombre des liquidambars et des omyris : la copaïfera officinalis et le tolui-
fera balsamum, deux arbres qui donnent une résine odorante, connue dans
le commerce sous le nom de baume de capivi et de Tolu.
Les rivages des baies d'Honduras et de Campêche sont célèbres, depuis
le moment de leur découverte, par leurs riches et immenses forêts de bois
d'acajou et de campêche, si utiles aux fabriques , mais dont les Anglais
ont envahi l'exploitation. Une espèce d'acacia donne une excellente tein-
ture en noir. Le gaïac, le sassafras, le tamarin ornent et enrichissent
ces provinces fertiles. On trouve dans les bois l'ananas sauvage : tous les
terrains rocailleux et bas sont chargés de diverses espèces d'aloès et d'eu-
phorbes.
Les jardins de l'Europe tirent quelques nouveaux ornements de la flore
mexicaine, entre autres la salvita fulgens, à laquelle ses fleurs cramoi-
sies donnent tant d'éclat; le beau dahlia, l'élégant sisyrinchium strié,
l’heliantus gigantesque et la délicate mentzelia. M. Bonpland, compagnon
de M. de Humboldt, a trouvé une espèce de plante bombacine qui
produit un coton doué à la fois de l'éclat de la soie et de la solidité de la
laine.
La zoologie du Mexique est médiocrement connue. Plusieurs espèces
voisines de celles que nous connaissons, en diffèrent pourtant par des
caractères importants. Parmi les espèces décidément neuves et indigènes,

AMÉRIQUE. — ÉTATS-UNIS DU MEXIQUE.
291
sont le coëdou, espèce de porc-épic ; l'apaxa ou le cerf mexicain , la cono-
palt, du genre des moufettes, dont on connaît cinq ou six espèces ; l'écu-
reuil dit du Mexique, et une autre espèce d'écureuil strié ; le loup mexicain
habite les forêts et les montagnes. Parmi les quatre animaux qualifiés de
chiens par le Pline mexicain , Hernandez, l'un nommé xolo-itzcuintli, est
le loup distingué par l'absence de tout poil. Le techichi est une espèce de
chien muet, que les Mexicains mangeaient. Cet aliment était si nécessaire
aux Espagnols mêmes, avant l'introduction des bestiaux, que peu à peu
toute la race en fut détruite.1 Linné confond le chien muet avec l’itzceuinte-
potzoli, espèce de chien encore assez imparfaitement décrite, et qui se dis-
tingue par une queue courte, une tête très-petite et une grosse bosse sur
le dos. Le bison et le bœuf musqué errent en grands troupeaux dans la Nou-
velle-Californie et le nord de l'État de Sonora. Les élans de cette dernière
province ont assez de force pour avoir été employés à traîner un lourd
carrosse à Zacatecas , selon le témoignage de Clavijero. On connaît encore
très-imparfaitement les grands moutons sauvages de Californie, ainsi que
les berendos du même pays, qui paraissent ressembler à des antilopes. Le
jaguar et couguar, qui dans le Nouveau Monde, représentent le tigre et le
lion de l'ancien continent, se montrent dans toute l'Amérique-Centrale et
dans la partie basse et chaude du Mexique proprement dit; mais ils ont été
peu observés par des naturalistes instruits. Hernandez dit que le miztli res-
semble au lion sans crinière, mais qu'il est d'une plus grande taille. L'ours
mexicain est le même que celui de la Louisiane et du Canada.
Les animaux domestiques de l'Europe, transportés au Mexique, y ont
prospéré et se sont extrêmement multipliés. Les chevaux sauvages qui par-
courent en bandes immenses les plaines du Nouveau-Mexique descendent
tous de ceux qu'ont amenés les Espagnols. La race en est belle et vigou-
reuse. Celle des mulets ne l'est pas moins. Les transports entre Mexico et
la Vera-Cruz occupent 70,000 mulets. Les moutons sont d'une espèce
grossière et mal soignée. L'entretien des bœufs est important sur la côte
orientale et dans l'État de Durango. On voit encore des familles qui pos-
sèdent de 40 à 50,000 têtes de bœufs et de chevaux ; d'anciennes relations
parlent même de troupeaux deux ou trois fois plus nombreux.
Il nous reste à considérer l'espèce humaine. Le premier dénombrement
officiel, fait en 1793, des vastes contrées de la Nouvelle-Espagne, s'éten-
dant de l'isthme de Panama à la Louisiane, donna pour résultat approxi-
matif 4,483,500 habitants comme minimum. Des personnes qui avaient
1 Clavijero : Storia di Messico ; t. I, p. 73.

292
LIVRE CENT TREIZIÈME.
suivi en détail le dépouillement des listes, jugeaient avec raison que le
nombre des habitants qui s'étaient soustraits au recensement général ne
pouvait guère être compensé par ceux qui, errant sans domicile fixe, avaient
été comptés plusieurs fois. On supposa qu'il fallait ajouter au moins un
sixième ou un septième à la somme totale, et on évalua la population de
toute la Nouvelle-Espagne à 5,200,000 âmes.
Depuis cette époque, l'augmentation du produit des dîmes et de la capi-
tation des Indiens, celle de tous les droits de consommation, les progrès de
l'agriculture et de la civilisation, l'aspect d'une campagne couverte de
maisons nouvellement construites, annoncent un accroissement rapide
dans presque toutes les parties qui constituent actuellement la république
des États-Unis du Mexique, et l'on peut évaluer sa population à 7,200,000
âmes1.
La population indienne a surtout augmenté, et il paraît même que le
Mexique est plus peuplé aujourd'hui qu'il ne l'était avant la conquête.
Cependant quelques causes physiques arrêtent presque périodiquement
l'accroissement de la population mexicaine; ce sont la petite-vérole, le
matlazuhuatl, et surtout la disette et la famine.
La petite-vérole a été introduite en 1520, où, selon le témoignage du
père franciscain Torribio, elle enleva la moitié des habitants du Mexique.
Assujettie, comme le vomisssment noir et comme plusieurs autres maladies,
à des périodes assez régulières, elle a fait des ravages terribles en 1763,
et surtout en 1779, où elle enleva, dans la capitale du Mexique seule,
plus de 9,000 personnes, et moissonna une grande partie de la jeunesse
mexicaine. L'épidémie de 1797 fut moins meurtrière, principalement à
cause du zèle avec lequel l'inoculation fut propagée. Depuis 1804, époque
à laquelle la vaccine a été introduite au Mexique, le fléau est devenu
moins redoutable. Le matlazuhuatl est une maladie particulière à la race
indienne, et. dans cette supposition, elle ne se montre qu'à de très-longs
intervalles : il a surtout sévi en 1545, 1576, 1736, 1737, 1761 et 1762.
Torquemada assure que, dans la première épidémie, il mourut 800,000
Indiens, et dans la seconde 2 millions. Elle est, selon l'opinion commune,
identique avec la fièvre jaune ou le vomissement noir; selon d'autres avis,
ce serait une véritable peste. Le matlazahuatl, prétend-on, n'attaque pas les
hommes blancs, soit Européens, soit descendants des créoles, tandis que la
1 C'est le chiffre donné par l’Américan Almanac de 1851, En 1841 l’Instituto national
de géografia y estalistica du Mexique, évaluait la population de ce pays à 7,044,140 ha-
bitants.

AMÉRIQUE. — HABITANTS DU MEXIQUE.
293
fièvre jaune n'attaque que très-rarementles Indiens mexicains. Le siége prin-
cipal du vomissement noir est la région maritime; le matlazahuatl, au con-
traire, porte l'épouvante et la mort dans l'intérieur du pays, sur le plateau
central. Mais ces distinctions nous paraissent illusoires ou mal démon-
trées. Le matlazahuatl trouve dans les vallées chaudes et humides de l'in-
térieur un foyer aussi favorable au développement de ses miasmes que sur
la côte maritime. En ravageant l'intérieur, cette peste paraît surtout immo-
ler les Indiens, parce que ce sont eux qui forment la masse de la popula-
tion, plus exposée par sa misère aux effets d'une épidémie; en désolant les
côtes maritimes, elle paraît choisir ses victimes parmi les matelots et ouvriers
européens qui composent la multitude. Les symptômes connus se ressem-
blent d'une manière frappante.
Un troisième obstacle qui nuit fortement à la population, et peut-être le
plus cruel de tous, est la famine. Indolents par caractère, placés sous un
beau climat, et accoutumés à se contenter de peu, les Indiens ne cultivent
en maïs, en pommes de terre et en froment, que ce qu'il leur faut pour
leur propre subsistance, ou tout au plus ce que requiert la consommation
des villes et celle des mines les plus voisines. Au surplus des milliers
d'hommes sont soustraits à l'agriculture par la nécessité de transporter à
dos de mulet les marchandises, les provisions, le fer, la poudre et le mer-
cure, depuis la côte jusqu'à la capitale, et de là aux mines et aux usines,
souvent établies dans des régions arides et incultes. Le manque de propor-
tion qui existe entre les progrès naturels de la population et l'accroisse-
ment de la quantité d'aliments produite par la culture, renouvelle donc le
spectacle affligeant de la famine chaque fois qu'une grande sécheresse ou
quelque autre cause accidentelle a gâté la récolte du maïs. Une disette de
vivres est presque toujours accompagnée d'épidémies. En 1804 seulement,
le maïs ayant gelé vers la fin d'août, on évalua à plus 300,000 le nombre
d'habitants que le défaut de nourriture et les maladies asthéniques enle-
vèrent dans le royaume.
On a regardé longtemps le travail des mines comme une des causes
principales de la dépopulation de l'Amérique. Il serait difficile de révoquer
en doute qu'à la première époque de la conquête, et même longtemps encore
après, beaucoup d'Indiens périrent par l'excès de fatigue, par le défaut de
nourriture et de sommeil, et surtout par le changement subit de climat et
de température au haut de la Cordillère et dans le sein de la terre, change-
ment qui rend le travail des mines si pernicieux pour la conservation d'une
race d'hommes privée de cette flexibilité d'organisation qui distingue l'Eu-

294
LIVRE CENT TREIZIÈME.
ropéen. Mais le travail des mines est aujourd'hui, au Mexique, un travail
libre; aucune loi ne force l'Indien de s'y livrer, ni de préférer telle exploi-
tation à telle autre. En général, le nombre des personnes employées dans des
travaux souterrains et divisées en plusieurs classes n'y excède pas celui
de 28 à 30,000, et la mortalité parmi les mineurs n'est pas beaucoup plus
grande que celle que l'on observe parmi les autres classes du peuple.
L'espèce humaine présente, dans le Mexique, quatre grandes divisions,
qui forment huit castes, savoir :
Indiens aborigènes.
2° Espagnols. . . !
en

nés
Europe;
I créoles, nés en Amérique.
3· Nègres..
. f africains, esclaves;
\\ descendants de nègres.
métis, issus d'un mélange de blancs et d'Indiens;
mulâtres, issus de blancs et de nègres;
zambos, issus d'Indiens et de nègres.

Quelques Malais et Chinois, qui sont venus des Philippines se fixer au
Mexique, ne peuvent entrer en considération. Le nombre des Indiens cui-
vrés de race pure, principalement concentrés dans la partie méridionale
du plateau d'Anahuac, n'excède pas trois millions et demi, ce qui forme
environ la moitié de la population entière. Ils sont infiniment plus rares
dans le nord de la République et dans les États de l'intérieur.
Loin de s'éteindre, la population des indigènes va, ainsi que nous
l'avons dit, en augmentant. Le royaume de Montézuma n'égalait pas, en
surface, la sixième partie du Mexique actuel : les grandes villes des
Aztèques, les terrains les mieux cultivés se trouvaient dans les environs de
la capitale du Mexique, et surtout dans la belle vallée de Tenochtitlan. Les
rois d'Alcolhuacan, de Tlacopan et de Michoacan étaient des princes indé-
pendants. Au de là du parallèle de 20 degrés, demeuraient les Chichimègues
et les Otomites, deux peuples nomades et barbares, dont les hordes peu
nombreuses poussaient leurs incursions jusqu'à Tula, ville située près du
bord septentrional de la vallée de Tenochtitlan. Mais il est tout aussi diffi-
cile d'évaluer avec quelque certitude le nombre des sujets de Montézuma
que de se prononcer sur l'ancienne population de l'Égypte, de la Perse, de
Carthage, de la Grèce, ou même sur celle qui compose plusieurs États
modernes. L'histoire nous présente, d'un côté, des conquérants ambitieux
de faire valoir le fruit de leurs exploits; de l'autre, quelques hommes
religieux et sensibles, employant, avec une noble ardeur, les armes de
l'éloquence contre la cruauté des premiers colons. Tous les partis étaient

AMÉRIQUE. — HABITANTS DU MEXIQUE.
295
également intéressés à exagérer l'état florissant des pays nouvellement
découverts. Quoi qu'il en soit, les ruines étendues de villes et de villages,
que l'on observe sous les 18e et 20e degrés de latitude, dans l'intérieur
du Mexique, prouvent bien que la population de cette seule partie de la
République était jadis bien supérieure à celle qui y existe maintenant-,
mais ces ruines ne sont disséminées que sur un espace relativement très-
borné.
Les principales tribus des Indiens sont : les Aztèques, établis dans toute
l'étendue du plateau du Mexique de Santa-Fé (Nouveau-Mexique), au
nord, jusqu'au lac de Nicaragua (Amérique-Centrale), au sud; les Olomi,
autour de Mexico; les Matlanzincas, au sud-ouest des précédents; les
Tarascas, dans l'Etat de Michoacan ; les Zapotecas et Mixtecas, dans l'Etat
d'Oaxaca; les Mayas, Poconchi et Huastecas, sur le versant oriental du
plateau, entre 22 et 30 degrés de latitude septentrionale, et dans l'Yucatan ;
les Totonacas, dans l'Etat de la Vera-Cruz ; les Quacchiquiles, dans l'Etat
de Tabasco et dans le sud de l'Yucatan; les Coras, sur le versant occiden-
tal du plateau, entre le 20e et le 32e de latitude septentrionale, dans les
Etats de Sonora, de Sinaloa, de Xalisco et de Colima, entre la mer et les
montagnes; les Tepehuanas, le long de la mer, dans l'Etat de Sinaloa,
entre Mazatlan et Culiacan; les Topias, petit peuple de l'Etat de Durango,
et autour de cette ville; les Tubares, cantonnés au nord des précédents;
les Tarahumaras, sur la Cordillère de Sonora, entre le 25e et le 31e de
latitude septentrionale. Ces Indiens se divisent en deux classes princi-
pales : les Indiens sédentaires ou Mansos, qui sont agriculteurs, et les
Indiens nomades libres ou Bravos, qui habitent les contrées peu con-
nues du nord du Mexique; les premiers sont catholiques, les autres sont
païens.
A une grande force musculaire, les indigènes à teint cuivré joignent
l'avantage de n'être presque sujets à aucune difformité. M. de Humboldt
assure n'avoir jamais vu un Indien bossu ; il est extrêmement rare d'en
voir de louches, de boiteux ou de manchots. Dans les pays dont les habi-
tants souffrent du goitre, cette affection de la glande thyroïde ne s'observe
jamais chez les Indiens, rarement chez les métis. Les Indiens du Mexique,
et surtout les femmes, atteignent généralement un âge assez avancé. Leur
tête ne grisonne jamais, et ils conservent toutes leurs forces jusqu'à la mort.
Pour ce qui concerne les facultés morales des indigènes mexicains, il est
difficile de les apprécier avec justesse, si l’on ne considère cette caste acca-
blée d'une longue oppression que dans son état actuel d'avilissement. Au

296
LIVRE CENT TREIZIÈME.
commencement de la conquête, les Indiens les plus aisés, et chez lesquels
on pouvait supposer une certaine culture intellectuelle, périssaient en
grande part le victimes de la férocité des Européens. Le fanatisme chrétien
sévit surtout contre les prêtres aztèques : on extermina les ministres du
culte, tous ceux qui habitaient les maisons de Dieu et que l'on pouvait con-
sidérer comme dépositaires des connaissances historiques, mythologiques
et astronomiques du pays; car c'étaient les prêtres qui observaient l'ombre
méridienne aux gnomons, et qui réglaient les intercalations. Les moines
espagnols firent brûler les peintures hiéroglyphiques par lesquelles des
connaissances de tout genre se transmettaient de génération en génération.
Privé de ces moyens d'instruction, le peuple retomba dans une ignorance
d'autant plus profonde que les missionnaires, peu versés dans les langues
mexicaines, substituaient peu d'idées nouvelles aux idées anciennes. Les
femmes indiennes, qui avaient conservé quelque fortune, aimèrent mieux
s'allier aux conquérants que de partager le mépris qu'on avait pour leur
nation. Il ne resta donc des naturels que la classe la plus indigente, les
pauvres cultivateurs, les artisans, parmi lesquels on comptait un grand
nombre de tisserands, les portefaix, dont, à défaut de grands quadrupèdes,
on se servait comme des bêtes de somme, et surtout cette lie du peuple,
cette foule de mendiants qui, attestant l'imperfection des institutions
sociales et le joug de la féodalité, remplissaient déjà, du temps de Cortez, les
rues de toutes les grandes villes de l'empire mexicain. Or, comment juger,
d'après ces restes misérables d'un peuple puissant, et du degré de culture
auquel il s'était élevé depuis le douzième jusqu'au seizième siècle, et du
développement intellectuel dont il est susceptible? Mais aussi, comment
douter qu'une partie de la nation mexicaine ne fût parvenue à un certain
degré de culture, en réfléchissant sur le soin avec lequel les livres hiéro-
glyphiques furent composés, en se rappelant qu'un citoyen de Tlascala,
au milieu du bruit des armes, profita de la facilité que lui offrait notre
alphabet romain pour écrire dans sa langue cinq gros volumes sur l'his-
toire d'une patrie dont il déplorait l'asservissement?
Les Mexicains avaient une connaissance presque exacte de la grandeur
de l'année, qu'ils intercalaient à la fin de leur grand cycle de 104 ans
avec plus d'exactitude que les Grecs, les Romains et les Égyptiens. Les
Toltèques paraissent dans la Nouvelle-Espagne au septième, les Aztèques
au douzième siècle : déjà ils dressent la carte géographique du pays par-
couru; déjà ils construisent des villes, des chemins, des digues, des
canaux, d'immenses pyramides très-exactement orientées et dont la base a

AMERIQUE. — HABITANTS DU MEXIQUE.
297
jusqu'à 438 mètres de long. Leur système de féodalité, leur hiérarchie
civile et militaire, se trouvent dès-lors si compliqués qu'il faut supposer
une longue suite d'événements politiques pour que l'enchaînement singu-
lier des autorités, de la noblesse et du clergé ait pu s'établir, et pour
qu'une petite portion du peuple, esclave elle-même du sultan mexicain, ait
pu subjuguer la grande masse de la nation. De petites peuplades, lassées de
la tyrannie, s'étaient donné des constitutions républicaines qui ne peuvent
se former qu'après de longs orages populaires, et dont l'existence n'indique
point une civilisation très-récente. Mais d'où leur est-elle venue ? Où est-
elle née? Accoutumés à admettre servilement des systèmes exclusifs, ne
sachant qu'apprendre sans méditer, nous oublions que la civilisation n'est
que le développement et l'emploi de nos facultés morales et intellectuelles.
Les Grecs attribuent eux-mêmes leur civilisation supérieure à Minerve,
c'est-à-dire à leur propre génie ; nous nous obstinons à leur donner les
Égyptiens pour maîtres. Ceux-ci révèrent Osiris comme leur premier insti-
tuteur, et nous affectons de chercher la source de leur civilisation dans
l'Inde. Mais alors, qui instruisit les Indiens du Mexique? Est-ce Brahma,
Confucius, Zoroastre, Manco-Capac, Idacanzas ou Bochica? Il faut un
commencement à tout ; et si la civilisation est née dans l'ancien continent,
pourquoi n'aurait-elle pas pu naître de même dans le nouveau? Le manque
de froment, d'avoine, d'orge et de seigle, de ces graminées nourrissantes
que l'on désigne sous le nom général de céréales, paraît prouver que si des
tribus asiatiquesont passé en Amérique, elles devaient descendre de quelque
peuple nomade ou pasteur. Dans l'ancien continent, nous voyons la cul-
ture des céréales et l'usage du lait introduits depuis l'époque la plus reculée
à laquelle remonte l'histoire. Les habitants du nouveau continent ne culti-
vaient d'autres graminées que le maïs (zea) ; ils ne se nourrissaient d'au-
cune espèce de laitage, quoique deux espèces de bœufs indigènes dans le
nord eussent pu leur offrir du lait en abondance. Voilà des contrastes frap-
pants, qui, joints aux résultats de la comparaison des langues, prouvent
que la race mongole n'a pu fournir à la race américaine que des tribus
nomades.
Dans son état actuel, l'Indien mexicain est grave, mélancolique, taci-
turne, aussi longtemps que les liqueurs enivrantes n'ont pas agi sur lui :
cette gravité est surtout remarquable dans les enfants des Indiens, qui,
à l'âge de quatre ou cinq ans, montrent beaucoup plus d'intelligence et de
développement que les enfants des blancs. Il aime à mettre du mystérieux
dans s s notions les plus indifférentes ; aucune passion ne se peint dans
V.
38

298
LIVRE CENT TREIZIÈME.
ses traits. Toujours sombre, il présente quelque chose d'effrayant lorsqu'il
passe tout à coup du repos absolu à une agitation violente et effrénée.
L'énergie de son caractère, qui ne connaît aucune douceur, dégénère habi-
tuellement en dureté. Elle se déploie surtout chez les habitants de Tlascala :
au milieu de leur avilissement, les descendants de ces républicains se dis-
tinguent encore par une certaine fierté que leur inspire le souvenir de leur
ancienne grandeur. Les indigènes du Mexique, comme tous les peuples
qui ont gémi longtemps sous LE despotisme civil et religieux, tiennent avec
une opiniâtreté extrême à leurs habitudes, à leurs mœurs, à leurs opinions:
l'introduction du christianisme n'a presque pas produit d'autre effet sur eux
que de substituer des cérémonies nouvelles, symbole d'une religion douce
et humaine, aux cérémonies d'un culte sanguinaire. De tout temps, les
peuples à demi barbares recevaient des mains du vainqueur de nouvelles
lois, de nouvelles divinités ·, les dieux indigènes et vaincus cèdent aux dieux
étrangers. D'ailleurs, dans une mythologie aussi compliquée que celle des
Mexicains, il était facile de trouver une parenté entre les divinités d'Aztlan
et celles de l'Orient ; le Saint-Esprit s'identifiait avec l'aigle sacré des
Aztèques. Les missionnaires ne toléraient pas seulement, ils favorisaient
même ce mélange d'idées par lequel le culte chrétien s'établissait plus
promptement.
Les Mexicains ont conservé un goût particulier pour la peinture et pour
l'art de sculpter en pierre et en bois ; on est étonné de voir ce qu'ils exé-
cutent avec un mauvais couteau et sur les bois les plus durs. Ils s'exercent
surtout à peindre des images et à sculpter des statues de saints-, mais, par
un principe religieux, ils imitent servilement, depuis 300 ans, les modèles
que les Européens ont ρortés avec eux lors de la conquête. Au Mexique
comme dans l'Hindoustan, il n'était pas permis aux fidèles de changer la
moindre chose à la figure des idoles ; tout ce qui appartenait au rite des
Aztèques était assujetti à des lois immuables. C'est par cette raison même
que les images chrétiennes or.t conservé en partie cette roideur et cette
dureté des traits qui caractérisaient les tableaux hiéroglyphiques du siècle
de Montézuma. Ils montrent beaucoup d'aptitude pour l'exercice des arts
d'imitation ; ils en déploient une plus grande encore pour les arts pure-
ment mécaniques.
Lorsqu'un Indien parvient à un certain degré de culture, il montre une
grande facilité d'apprendre, un esprit juste, une logique naturelle, un
penchant particulier à subtiliser ou à saisir les différences les plus fines des
objets à comparer ; il raisonne froidement et avec ordre, mais il ne mani-

AMÉRIQUE, - HABITANTS DU MEXIQUE.
299
feste pas cette mobilité d'imagination, ce coloris du sentiment, cet art de
créer et de produire qui caractérisent les peuples de l'Europe et plusieurs
tribus de nègres africains. La musique et la danse des indigènes se res-
sentent du manque de gaieté qui les caractérise. Leur chant est lugubre.
Les femmes déploient plus de vivacité que les hommes ; mais elles partagent
les malheurs de l'asservissement auquel le sexe est condamné chez la plu-
part des peuples où la civilisation est encore imparfaite. Les femmes ne
prennent point part à la danse ; elles y assistent pour présenter aux dan-
seurs des boissons fermentées qu'elles ont préparées de leurs mains 1.
Les Indiens mexicains ont aussi conservé le même goût pour les fleurs
que Cortez leur trouvait de son temps : on est étonné de trouver ce goût,
qui indique sans doute le sentiment du beau, chez une nation dans laquelle
un culte sanguinaire et la fréquence des sacrifices paraissaient avoir éteint
tout ce qui tient à la sensibilité de l'âme et à la douceur des affections. Au
grand marché de Mexico, le natif ne vend pas de pêches, pas d'ananas,
pas de légumes, pas de liqueur fermentée sans que sa boutique soit ornée
de fleurs qui se renouvellent tous les jours ; le marchand indien paraît assis
dans un retranchement de verdure, et tout y est de la dernière élégance.
Les Indiens chasseurs, tels que les Mocos, les Apaches, les Li-panis,
que les Espagnols embrassent sous la dénomination d'Indios bravos , ou
Indiens païens, et dont les hordes, dans leurs courses souvent nocturnes,
infestent les frontières des États du Nord, annoncent plus de mobilité d'es-
prit, plus de force de caractère que les Indiens cultivateurs : quelques peu-
plades ont même des langues dont Je mécanisme paraît prouver une
ancienne civilisation. Ils ont beaucoup de difficulté à apprendre nos idiomes
européens, tandis qu'ils s'expriment dans le leur avec une facilité extrême.
Ces mêmes chefs indiens, dont la morne taciturnité étonne l'observateur,
tiennent des discours de plusieurs heures, lorsqu'un grand intérêt les excite
à rompre leur silence habituel. Nous donnerons plus loin quelques détails
sur ces tribus.
Les indigènes sont ou descendants d'anciens plébéiens, ou les restes de
quelque grande famille qui, dédaignant de s'allier aux conquérants espa-
gnols, ont préféré labourer de leurs mains les champs que jadis ils faisaient
cultiver par leurs vassaux. Ils se divisent donc en Indiens tributaires et
en Indiens-Caciques, qui, d'après les lois espagnoles, doivent participer
aux priviléges de la noblesse de Castille ; mais il est difficile de distin-
guer par leur extérieur, leur habillement ou leurs manières, les nobles
1 A. de Humboldt : Mexique; t.I, p. 413.

300
LIVRE CENT TREIZIÈME.
des roturiers ; ils vont généralement pieds nus, couverts de la tunique
mexicaine, d'un tissu grossier et d'un brun noirâtre ·, ils sont vêtus comme
le bas peuple, qui néanmoins leur témoigne beaucoup de respect. Cepen-
dant, loin de protéger leurs compatriotes, les hommes qui jouissent des
droits héréditaires du caciquat pèsent fortement sur les tributaires. Exer-
çant la magistrature dans les villages indiens, ce sont eux qui lèvent la
capitation : non seulement ils se plaisent à devenir les instruments des
vexations des blancs, mais ils se servent aussi de leur pouvoir et de leur
autorité pour extorquer de petites sommes à leur profit. La noblesse aztèque
offre d'ailleurs la même grossièreté de moeurs, le même manque de civili-
sation, la même ignorance que le bas peuple indien. Isolée, abrutie, on a
vu rarement un de ses membres suivre la carrière de la robe ou de l'épée.
On trouve plus d'Indiens qui ont embrassé l'état ecclésiastique, surtout
celui de curé. La solitude des couvents ne paraît avoir d'attrait que pour
les jeunes filles indiennes.
Considérés en masse, les Indiens mexicains présentent le tableau d'une
grande misère. Indolents par caractère, et plus encore par suite de leur
situation politique, ils ne vivent qu'au jour le jour. Au lieu d'une aisance
générale, on trouve quelques familles dont la fortune paraît d'autant plus
colossale qu'on s'y attend moins.
Les Espagnols tiennent le premier rang dans la population du Mexique:
c'est entre leurs mains que se trouvent presque toutes les propriétés et les
richesses-, mais ils n'occuperaient que la seconde place parmi les habitants
de race pure, si on les considérait sous le rapport de leur nombre qui
peut s'élever à 1,200,000, dont un quart habite les États de l'intérieur.
On les divise en blancs nés en Europe, et en descendants d’Européens,
nés dans les colonies espagnoles de l'Amérique et dans les îles asiatiques.
Les premiers portent le nom de Chapetons, ou de Gachupinos; les seconds
celui de Criollos (créoles). Les natifs des îles Canaries, que l'on désigne
généralement sous la dénomination d’lslenos, et qui sont la plupart gérants
des plantations, se considèrent comme Européens. On estime que les Cha-
petons sont comme 1 à 14.
Les castes de sang mêlé, provenant du mélange des races pures, consti-
tuent une masse presque aussi considérable que les indigènes. On peut
évaluer le total des individus à sang mêlé, à près de 2,400,000 âmes. Par
un raffinement de vanité, les habitants des colonies ont enrichi leur langue
en désignant les nuances les plus fines des couleurs qui naissent de la
dégénération de la couleur primitive. Le fils d'un blanc, né Européen

AMÉRIQUE. —HABITANTS DU MEXIQUE.
301
ou créole et d'une indigène à teint cuivré, est appelé Metis ou Mestizo.
Sa couleur est presque d'un blanc parfait-, sa peau est d'une transparence
particulière ; le peu de barbe, la petitesse des mains et des pieds , une
certaine obliquité des yeux , annoncent plus souvent le mélange du sang
indien que la nature des cheveux. Si une métis s'allie à un blanc, la seconde
génération qui en résulte ne diffère presque plus de la race européenne.
Les métis composent vraisemblablement les sept huitièmes de la totalité des
castes. Ils sont réputés d'un caractère plus doux que les Mulâtres ou
Mulatos, fils de blancs et de négresses, qui se distinguent par la vigueur
et l'énergie de leurs couleurs, par la violence de leurs passions, et par
une singulière volubilité de langue. Les descendants de nègres et d'In-
diennes portent, à Mexico, à Lima et même à la Havane, le nom bizarre
de Chino Chinois. Sur la côte de Caracas et dans la Nouvelle-Grenade
même, on les appelle aussi Zambos. Aujourd'hui cette dernière dénomi-
nation est principalement restreinte aux descendants d'un nègre et d'une
mulâtresse, ou d'un nègre et d'une China. On distingue de ces zambos
communs les Zambos-Prietos, qui naissent d'un nègre et d'une zamba.
Les castes du sang indien ou africain conservent l'odeur qui est propre à
la transpiration cutanée de ces deux races primitives. Du mélange d'un
blanc avec une mulâtresse, provient la caste des Quarterons. Lors-
qu'une quarteronne épouse un Européen ou un créole, ses enfants portent
le nom de Quinterons. Une nouvelle alliance avec la race blanche fait
tellement perdre la couleur, que l'enfant d'un blanc et d'une quinteronne
est blanc aussi. Les mélanges dans lesquels la couleur des enfants devient
plus foncée que n'était celle de leur mère, s'appellent Saltos-Atrau, ou
sauts en arrière.
Les étrangers, Français, Anglais, Anglo-Américains, constituent une
classe à part qui a une grande influence dans le pays, parce que les riches
Mexicains, paresseux par nature , faisant la sieste une partie du jour et
consacrant le reste au jeu et à d'autres vices, négligent l'administration de
leurs biens et laissent la gestion de leurs affaires aux étrangers. Ce sont
ceux-ci qui sont à la tête de l'exploitation des mines; le haut et le petit
commerce sont entre leurs mains, et quelques-uns même ont acquis des
fortunes considérables.
La confédération Hispano-américaine est, de toutes les colonies euro-
péennes sous la zone torride, celle dans laquelle il y a le moins de nègres.
On parcourt toute la ville de Mexico sans rencontrer un visage noir : le
le service d'aucune maison ne s'y fait avec des esclaves. D'après des ren-

302
LIVRE CENT TREIZIÈME.
seignements exacts, il paraît que dans tout le Mexique il n'y a pas 6,000
nègres, et tout au plus 9 à 10,000 esclaves, dont le plus grand nombre
habite les ports d'Acapulco et de la Vera-Cruz, ou la région chaude ,
voisine des côtes. Ces esclaves sont des prisonniers faits dans la petite
guerre qui est presque continuelle sur les frontières des États de l'inté-
rieur; ils sont, la plupart, de la nation des Mecos ou Apaches, monta-
gnards indomptables et féroces, qui ordinairement succombent bientôt
au désespoir ou aux effets du changement de climat. L'accroissement de
la prospérité coloniale du Mexique est donc tout à fait indépendant de la
traite des nègres. Il y a cinquante ans que l'on ne connaissait presque pas
en Europe de sucre mexicain ; aujourd'hui la Vera-Cruz seule en exporte
plus de 120,000 quintaux, et cependant les progrès qu'a faits au Mexique,
depuis le bouleversement de Saint-Domingue, la culture de la canne à
sucre, n'y ont pas augmenté, d'une manière sensible, le nombre des
esclaves.
Les langues parlées dans la vaste étendue du Mexique sont au nombre
de plus de vingt, et ne sont en partie connues que de nom. Les Créoles et
la plus grande partie des races mixtes n'ont pas adopté ici, comme dans le
Pérou, un dialecteindigène, mais se serventdelalangueespagnole. tantdans
la conversation que dans les écrits. Parmi les dialectes indigènes, la langue
aztèque ou mexicaine est la plus répandue ; elle s'étend aujourd'hui depuis
le parallèle de 37 degrés jusque vers le lac de Nicaragua ; mais les domaines
de plusieurs autres langues sont comme enclavés dans le sien. L'historien
Clavijero a prouvé que les Toltèques, les Chichimèques (dont les habitants
de Tlascala descendent), les Acolhues et les Nahuatlaques parlaient tous la
même langue que les Aztèques 1. La répétition des syllabes tli, tla, itl, atl,
jointe à la longueur des mots, qui vont jusqu'à onze syllabes, doit rendre
cette langue peu agréable à l'oreille ; mais la complication et la richesse
de ses formes grammaticales prouvent la haute intelligence de ceux qui
l'ont inventée ou régularisée. Un nombre extrêmement borné d'analogies
de mots paraît la rattacher au chinois et au japonais ; mais son caractère
général éloigne ce rapprochement. La langue otomite, parlée dans l'ancien
royaume de Mechoacan, est une langue-mère, monosyllabique comme
le chinois, par conséquent entièrement différente de la mexicaine, et
qui parait avoir été très-répandue 2. On ne saurait dire si les idiomes
tarasque, matlazingue et core, parlés également dans l'État de Xalisco,
1 Clavijero: Storia di Messico; t. I, p. 153.
2 Hervas ; Catalogo delle Lingue; 80, 258.

AMÉRIQUE. — HABITANTS DU MEXIQUE.
303
sont des branches d'un même tronc ou des langues indépendantes l'une
de l'autre ; les mots connus de la langue tarasque et de la core offrent
très peu d'affinité avec les autres langues américaines. Les langues tarahu-
mare et tépéhuane, parlées dans l'État de Chihuahua; l'idiome de Pimas,
dans la Pimerie, partie de Sonora ; la langue guaicoure, parlée dans la Cali-
fornie par les Indiens Moquis ; celle des Cochimis et des Pericues dans la
même péninsule, présentent encore un chaos d'incertitude et d'obscurité.
Dans le tarahumar, les noms de nombres sont mexicains. Il est remarquable
qu'un dialecte de la langue guaicoure se nomme cora, et que le nom des
Moquis, de Californie, se retrouve dans le Nouveau-Mexique. Des con-
naissances plus positives ramèneront cette foule de tribus à un petit nombre
de races distinctes.
La langue huaztèque, qui s'est conservée dans le canton d’Huazteca,
dans l'État de Mexico, paraît différer entièrement de la mexicaine,
soit dans les mots, soit pour la grammaire 1. Elle offre quelques mots finnois
et ostiaques ; appartiendrait-elle à la première invasion des tribus de l'Asie
boréale, invasion antérieure à celle dont les ancêtres des Aztèques, des Tol-
tèques et des Chichimèques ont dù faire partie?
Il parait qu'en avançant au sud de Mexico, les langues indigènes, indé-
pendantes de celle des Aztèques, deviennent extrêmement nombreuses.
Les États de Puebla et d'Oaxaca nous offrent les langues zapolèque,
tolonaque, mistèque, popolongue, chinantèque, mixe, et plusieurs autres
moins connues. La langue maya, dominante dans l'Yucatan, nous parait
renfermer des mots finnois et algonquins. Le savant Hervas y a remarqué
un certain nombre de mots tonkinois, parmi lesquels il y en a qui sont
communs à divers idiomes de Sibérie et au finnois. Cette langue est mono-
syllabique comme les plus anciennes de l'Asie orientale, mais elle leur est
supérieure par ses combinaisons grammaticales. Elle paraît tenir à la même
souche générale que l'otomite, dont nous avons déjà parlé.
Nous allons passer à la description topographique.
1 Voter : dans les Archives ethnographiques ; t. I.

304
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — États-Unis du Mexique. — Description
topographique et politique des provinces et des villes.
D'après les dernières décisions du congrès, la confédération mexicaine
se compose définitivement du district fédéral de Mexico, de 21 États et
de 3 territoires ; c'est-à-dire de provinces qui n'ont pas d'administration
intérieure indépendante, et sont administrées au profit de l'Union fede-
rative.
Ces États, district et territoires peuvent se classer ainsi, d'après leur
disposition géographique :
Sur le Grand Océan :
Au Centre.
Sur l'Océan Atlantique
État de Sonora.
État de Chihuahua.
État de Tamaulipas.
Territoire de Californie.
Id. de Cohahuila.
Id. de Vera-Cruz.
État de Cinaloa.
Id. de Nouveau-Léon.
Id. de Tabasco,
Id. de Xalisco.
Id. de Durango.
Id. de Yucatan.
Territoire de Colima.
Id. de Zacatecas.
État de Mechoacan.
Id. de San-Luis-Potosi.
Id. de Guerrero.
Id. de Guanaxato.
Id. de Puebla.
Id. de Queretaro.
Id. d’Oaxaca.
Territoire de Tlaxcala.
Id. de Chiapas.
District fédéral de Mexico.
État de Mexico.
Nous allons les décrire successivement, en allant du nord au sud.
Le Territoire de la Basse-Californie, ou la péninsule de Californie
proprement dite, appelée aussi Vieille Californie, est entouré par l'Océan
du sud à l'ouest, et par le golfe de Californie, appelé aussi mer Vermeille,
à l'ouest. Elle dépasse le tropique, et se termine dans la zone torride par
le cap San-Lucar. Sa largeur varie depuis 10 lieues jusqu'à 40 d'une
mer à l'autre; sa population peut être évaluée à 15,000 individus dis-
persés sur une étendue égale à celle de l'Angleterre ; son climat, en géné-
ral, est très-chaud et très-sec. Le ciel, d'un bleu foncé, ne se couvre
presque jamais de nuages ; s'il en paraît quelques-uns vers le coucher du
soleil, ils brillent des teintes de pourpre et d'émeraude. Mais ce beau ciel

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
305
s'étend sur une terre aride , sablonneuse, où des cactus cylindriques, s'éle-
vant dans les fentes des rochers, interrompent presque seuls le tableau de
la stérilité absolue. Dans les endroits rares où il se trouve de l'eau et de la
terre végétale , les fruits et les blés se multiplient d'une manière étonnante-,
la vigne y donne un vin généreux, semblable à celui des Canaries. On
remarque une espèce de mouton extrêmement gros, très-délicat et excel-
lent à manger-, sa laine est très-facile à filer. On nomme beaucoup d'autres
quadrupèdes sauvages, ainsi qu'une grande variété d'oiseaux. Les mines
d'or que la tradition populaire plaçait dans cette péninsule, se réduisent à
quelques maigres filons. A 14 lieues de Loreto, on a découvert deux mines
d'argent que l'on croit assez productives ; mais le manque de bois et de
mercure en rend l'exploitation presque impossible. Il y a dans l'intérieur
des plaines couvertes d'un beau sel en cristaux.
Les montagnes qui couvrent le territoire de la Basse-Californie, présen-
tant des pies dont quelques-uns s'élèvent à 1,500 mètres, sont, dit-on,
riches en métaux précieux ; en interceptant les vents du Grand Océan ,
elles contribuent à rendre malsaines les côtes qui bordent la mer Vermeille
ou le golfe de Californie. Parmi ces montagnes, nous citerons la Giganta,
qui a environ 1,400 mètres, et le volcan de las Virgines, qui en a 500.
Sur ces côtes qui offrent des anfractuosités nombreuses, et de bons ports,
on pêche la tortue qui produit l'écaille , et la coquille appelée avicule per-
lière qui fournit des perles souvent fort grosses, affectant la forme d'une
poire, mais peu recherchées, parce qu'elles ne sont pas d'une très-belle
eau.1
Les tribus indiennes qui habitent aujourd'hui le territoire de la Vieille-
Californie sont, du nord au sud, les Icas, les Nehitas, les Laymones, les
Cochimies , les Monquis et les Piricues : ces dernières sont redoutables et
souvent en guerre avec les tribus à demi-civilisées par les Mexicains.
Les indigènes de la Vieille-Californie étaient, avant l'arrivée des mis-
sionnaires , au dernier degré d'abrutissement : comme les animaux , ils
passaient des journées, étendus sur le ventre, au milieu des sables; comme
les animaux pressés par la faim, ils couraient à la chasse pour satisfaire
les besoins du moment. Une sorte d'horreur religieuse leur annonçait
cependant l'existence d'un grand être dont ils redoutaient la puissance.
Les premières missions de la Vieille-Californie avaient été crées en 1689
par les jésuites ; sous la conduite de ces pères, les sauvages avaient aban-
1 Suivant le capitaine Duhaut-Cilly, le produit annuel des écailles de tortue est
d'environ 25,000 fr., et celui des perles de 125,000 fr.
Y.
30

306
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
donné la vie nomade. Au milieu de rochers arides, de broussailles et de
ronces, ils avaient cultivé de petits terrains, bâti des maisons , élevé des
chapelles, lorsqu'un décret despotique, aussi injuste qu'impolitique, vint
détruire, sur tous les points de l'Amérique espagnole , cette utile et glo-
rieuse société. Le gouverneur Don Portola, envoyé en Californie pour
exécuter ce décret, crut y trouver de vastes trésors et 10,000 Indiens
armés de fusils pour défendre les jésuites ; il vit au contraire des prêtres en
cheveux blancs venir humblement à sa rencontre ; il versa de généreuses
larmes sur la fatale erreur de son roi, et adoucit, autant qu'il était en son
pouvoir, l'exécution de ses ordres. Les jésuites furent accompagnés jus-
qu'au lieu de leur embarquement par tous leurs paroissiens , au milieu de
sanglots et de cris de douleur.
Les missions ont été depuis l'expulsion des jésuites dirigées par les
Dominicains et les Franciscains de Mexico. Leur nombre était de 16, il y a
quelques années; la principale est Loreto ; longtemps le chef-lieu des deux
Californies, elle n'est plus aujourd'hui que le chef-lieu du district central;
elle a un présidio , et compte environ 2,500 habitants. Les plus impor-
tantes sont : San-José, près du cap San-Lucar, Santiago, San-Luiz-
Gonzaga et Nostra Senora de los dolores , au sud de Loreto ; la Concep-
tion , San-Jgnacio, San-Fernando, San-Rosario et San-Vincente-Ferrero,
cette dernière au nord de cette même ville. Le chef-lieu du territoire de la
Basse-Californie est aujourd'hui La Paz, située dans une position avan-
tageuse à l'entrée de la mer Vermeille et au fond d'un golfe que commande
l'île Espiritu-Santo. Nous devons mentionner les bourgs de Purification,
de San-Eulogio et de la Magdalena. La petite ville de Real de San-Anto-
nio, au sud de la presqu'île, est le chef-lieu du district méridional.
Sur la côte orientale baignée par la mer Vermeille, on rencontre plu-
sieurs îles, celles de Espiritu-Santo, de San-José, de Santa-Cruz et de
Carmen, sont importantes par la pêche des perles qui se fait dans leurs
parages ; celles de Tiburon et d’Angel de la Guarda sont plus grandes que
les précédentes , mais moins fréquentées.
Au sud de la Californie, et à environ 70 lieues de l'État de Xalisco, se
trouve le groupe des îles Revilla Gigedo, dont les principales sont San Bo-
nilo et El-Socorro ; cette dernière est remarquable par son pic élevé. Elles
dépendent de Mexique, qui a tenté d'y établir un presidio; mais elles sont
convoitées par les États-Unis, à cause de l'importance qu'elles pourront
prendre comme point de ravitaillement et de relâche, lorsque l'on aura
établi une communication régulière entre les deux Océans. A une cin-

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
307
quantaine de lieues plus à l'est, se trouve un autre groupe d'îles plus petites
désignées dans nos cartes sous le nom d’Iles du capitaine Johnson; la
principale est celle de Nublada.
A l'est du golfe de Californie s'étendent des contrées fertiles, agréables,
salubres, mais encore peu connues et faiblement peuplées ·, elles sont com-
prises dans l'ancienne intendance de Sonora, qui forme aujourd'hui les
États de Sonora et de Cinaloa.
L'État de Sonora s'étend du nord au sud, entre le Rio-Gila et le Rio-
Mayo ; à l'est la Sierra-Verde le sépare de l'État de Chihuahua, et à l'ouest il
est baigné par la mer Vermeille, que quelques cartes espagnoles désignent
aussi sous le nom de mer de Cortez. Ses cours d'eau les plus importants
qui viennent tous affluer dans cette mer, sont : le Yaqui, sur lequel sont les
villes d'Opata et de Torin; le Rio de Sonora, sur lequel sont les villes
d'Arispe, de Sonora, ancienne capitale de la province, et d’Urès ; cette der-
nière est aujourd'hui le siége du gouvernement de l'État de Sonora. A
l'embouchure de la rivière de San-José est le port de San-José-Guaymas-
Cette ville, de 5,000 habitants, qui n'existe que depuis peu d'années, paraît
devoir devenir un des principaux ports de l'Amérique sur le Grand-Océan ;
elle fait un commerce assez important avec la Chine; elle est dans une
position militaire admirable. C'est près du confluent du Sonora et du San-
Miguel que se trouve la petite ville de Hermosillo ou Pitic, la plus remar-
quable de l'État au point de vue commercial. Toutes ces villes, dont la
population ne dépasse pas 6 à 8,000 âmes, doivent leur importance aux
lavages d'or ou aux mines qui couvrent ce pays. C'est surtout dans la par-
tie septentrionale, appelée la Pimeria, des Pimas, ses habitants, que ces
lavadores sont plus riches. La Pimeria s'étend sur la rive gauche du
Rio-Gila; la rivière de l’ Ascension ou de Saint-Ignace la partage en
Pimeria-Alta et Pimeria-Baxa ; elles sont protégées par deux presidios ou
postes militaires de Terrenate et de Buena-Vista. Tous les ravins de la
Pimeria-Alta, et même les plaines, contiennent de l'or de lavage dissé-
miné dans du terrain d'alluvion. On y a trouvé des pépites d'or pur du
poids d'un à deux kilogrammes. Mais l'exploitation de ces terrains auri-
fères est rendue très-difficile par les fréquentes incursions des Indiens indé-
pendants et surtout par la cherté des vivres qu'il faut transporter de très-
loin dans ce pays inculte. Les États-Unis convoitent la province de Sonora.
Le seul moyen d'opposer une digue aux envahissements anglo-américains,
serait, pour le congrès mexicain, de décréter la liberté des cultes dans toute
l'étendue des États et territoires, et de convier à l'exploitation des richesses

308
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
minérales du sol les colons européens qu'une différence de croyance reli-
gieuse éloigne le plus souvent du Mexique.
Dans l'État que nous venons de parcourir, on distingue huit tribus in-
diennes : ce sont les Apaches, les Cérès, les Opatas, les Mayos, les Pimas,
les Tarumaras, les Yaqui et les Yamas.
Les Apaches ou Apaehès sont répandus sur les deux rives du Rio-Gila;
ils sont originaires du Nouveau-Mexique; c'est une nation guerrière et
industrieuse; ils habitent plus volontiers les régions montagneuses et se
servent, avec une adresse surprenante, d'arcs, de flèches d'un mètre de
long, et de lances de 3 mètres; excellents cavaliers, ils dirigent leur cheval
en le pressant des genoux; rien n'égale l'impétuosité de leur attaque, ils
sont redoutés des villages mexicains.
Les Cérès, Xéres ou Séris étaient autrefois l'une des plus puissantes des
vingt-quatre tribus qui, anciennement, occupaient le Nouveau-Mexique.
Aujourd'hui, au nombre de 4,000 au plus, ils habitent l'île de Tiburon, la
côte de Tépoca, et le Pueblo-de-Séris, près de Pitie ; ils sont très-braves,
et autrefois leurs incursions étaient très-redoutées.
Les Opatas, qui forment une population de 10,000 individus, occupent
différents villages sur les rives du Dolorès, de l'Arispo, de l'Oposura, du
Batuquo et du Babispo. C'est un peuple guerrier et brave, qui compte un
grand nombre de poètes et de musiciens excellents. La langue des Opatas
est singulièrement poétique ; tous les noms qu'ils ont donnés aux villes et
aux autres lieux sont emblématiques, et désignent quelques particularités
locales : par exemple, Aripa, dont les Espagnols ont fait Arispo, signifie
la grande réunion des fourmis, parce que jadis il y avait dans cet endroit
de nombreuses fourmilières ; Babipa, qui a été métamorphosé en Babispo,
veut dire le point où une rivière dérive de son cours; Cinoque est le pays
natal des guerriers; enfin, Tepaché est la ville des belles femmes.
Les Mayos habitent la plupart des villages situés sur les rives du Rio-
Mayo ou du Rio del-Fuerte.
Les Pimas demeurent sur les bords du Rio-San-Ignacio ou de l'Ascen-
sion, dans la Pimeria-Alta, et sur ceux du Matope, du Masalon et du San-
José-de-los-Pimas, dans la Pimeria-Baxa. Ils sont inoffensifs, mais ils ne
sont point doués de l'esprit entreprenant ni du caractère laborieux desYaqui.
Les Tarumaras vivent dans les villages du Mulatos. Ils sont au nombre
d'environ 5,000.
Les Yaqui occupent plusieurs villages sur le Rio-Yaqui, mais ils sont
dispersés sur toute la surface de la province. Ce sont les plus industrieux

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
309
de tous les Indiens de la province; en effet, ils sont mineurs, chercheurs
d'or, plongeurs pour la pêche des perles, agriculteurs et artisans.
Les Yamas, ainsi nommés d'après la longueur extraordinaire de leurs
cheveux, n'ont qu'un petit nombre de villages dans la Pimeria-Baxa, parce
que la plus grande parlie de cette tribu appartient à la Californie-Inférieure.
On peut caractériser la plupart de ces peuples de la manière suivante :
Les Apaches sont réputés pour leur profonde connaissance des vertus des
plantes ; les Sérès, pour leurs flèches empoisonnées ·, les Pimas, pour leur
peu d'intelligence et leur lenteur; les Tarumaras, pour leur probité; les
Yaqui, pour leur esprit prodigieux.
Les bords du fleuve Gila ont offert au missionnaire Garcès les ruines
d'une grande ville, au milieu de laquelle était une espèce de chàteau-fort,
exactement orienté selon les quatre points cardinaux. Les Indiens voisins
de ces ruines mémorables vivent dans des villages populeux, et cultivent le
maïs, le coton et les calebasses. Ces traces d'une ancienne civilisation coïn-
cident avec les traditions des Mexicains, selon lesquelles leurs ancêtres se
seraient arrêtés à plusieurs reprises dans ces contrées après leur sortie du
pays d'Aztlan. La première station fut aux bords du lac Teguayo ; la
seconde, sur les bords du fleuve Gila; la troisième, dans l'État de Durango,
près de l'ancien presidio de Yanos, où il y a aussi des édifices en ruines,
appelés par les Espagnols casas grandes.
L'État de Cinaloa ou Sinaloa, situé au sud du précédent, entre le Rio-
Mayo et le Rio-Bayona, est mieux peuplé et mieux cultivé. Ses trois prin-
cipaux cours d'eau sont le Rio-del-Fuerte, le Rio-Cianaloa et le Rio-Cu-
liaçan. Ses villes les plus importantes sont Culiacan, célèbre dans l'histoire
des Mexicains, sous le nom d'Hucicolhuacan, comme le siége d'une
ancienne monarchie. Elle est aujourd'hui la capitale de l'État de Cinaloa;
sa population est d'environ 15,000 habitants. Villa del-Fuerte est assez
considérable; elle compte 8,000 âmes ; c'est le siége d'un évêché; on
l'appelait autrefois Monies-Claros. Cinaloa, à quelque distance du fleuve
du même nom, est peuplée de 10,000 habitants. Cosala, El Rosario et
Alamos possèdent de riches mines d'argent. Toutes ces villes sont liées
entre elles par la grande voie de communication, la plus importante de
l'État, qui pénètre dans le Sonora, et conduit à Hermosillo. Sur la côte et
à l'embouchure d'un fleuve du même nom, est Mazallan ; c'est sans con-
tredit le port le plus fréquenté du Mexique sur le Grand-Océan ; mais il est
peu sûr pendant la saison pluvieuse, à cause des cordonazo ou ouragans
qui se font sentir sur celte côte à cette époque l'année. Mazatlan est protégée

310
LIVRE CENT QUATORZIEME.
par un presidio ou fort, sa population ne dépasse pas 5,000 âmes. A quel-
que distance de cette ville est celle de San-Sebastiano, qui donne son nom
à une petite chaîne de montagnes qui longe la côte, qui est couverte de
forêts de goyaviers, de limoniers et d'orangers; le lignum vitœ et les pal-
miers y viennent également.
La grande chaîne, qui forme la ligne de partage des eaux du Mexique,
traverse dans toute sa longueur l'ancienne province appelée la Nouvelle-
Biscaye, ou l'intendance de Durango, qui dépend aujourd'hui de l’État de
Durango. Des cratères de volcans et une masse de fer semblable aux pierres
tombées du ciel y appellent les regards du naturaliste. Les mines d'argent
sont nombreuses et riches. La plus grande partie du pays présente un pla-
teau stérile et sablonneux; plusieurs rivières, ne trouvant pas une pente
favorable pour s'écouler, s'y répandent et forment des lacs. Les hivers'
souvent rigoureux, sont suivis de chaleurs étouffantes. On cite comme un
fléau les scorpions, dont la morsure donne la mort en peu d'heures.
Durango ou Ciudad de Victoria, la capitale de cet État, est le siége d'un
évêché érigé en 1620, et d'une administration des mines. Son hôtel des
monnaies, qui occupe le troisième rang parmi ceux de la confédération
mexicaine, doit son importance au produit des mines d'argent exploitées
dans ses environs. On y frappe annuellement pour près de 8 millions de
francs de monnaie mexicaine. Près de cette ville de 30,000 âmes s'étendent
de vastes pâturages, où l'on nourrit un grand nombre de bestiaux qui
forment une importante branche de commerce.
Les autres villes importantes de l'État de Durango sont Villa-Félix de
Tamascula, San-Yago-de-los Caballeros, sur le Rio-Sanceda, affluent du
Culiaçan ·, Nombre de Dios, qui renferme, dit-on, 7,000 âmes et qui possède
dans son voisinage une riche mine d'argent ; Papasquiaro, Guarisamey,
au nord-est de Durango. San Juan del Rio, au point ou le Rio Sauceda
franchit à travers une gorge la Sierra Madre ; on accorde à cette ville une
population de 12,000 âmes.
VÉtat de Chihuahua est au nord du précédent; il s'appuie à l'ouest sur
l'État de Cinaloa, et au nord le Rio-del-Norte le sépare du Nouveau-
Mexique et du Texas. C'est un pays montagneux traversé dans toute sa
longueur par la Cordillère de Mexique; il est célèbre par ses nombreuses
mines d'argent, dont les plus riches sont celles d’El Parral, de Batopilas,
Santa-Rosa-Cosiquidaqui, et de Jesus-Maria.
Chihuahua est la capitale de cet État; elle est le centre d'une exploitation
considérable de mines d'argent, et renferme plusieurs constructions remar-

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
311
qnables, entre autres sa principale église, l'une des plus vastes et des plus
riches du Mexique. Cette ville, qui compte aujourd'hui 15 à 20,000 âmes,
en avait, dit-on, autrefois 70,000. Les autres villes de cet État sont, outre
celles que nous avons citées plus haut, à cause de leurs mines d'argent.
San-Bartonico, Atotonilco, San-Rosalia, San-Vincente et San-Eulalia de
Merida. La province, qui est fréquemment exposée aux incursions des
Indiens Apaches et Comanches, est protégée par plusieurs presidios; les
plus importants sont ceux de Yantas et San-Eleazario, sur le Rio del-
Norte, de Yanos, au milieu de la contrée habitée par les Indiens de ce
nom, de Conchos, sur le Rio-Conchos,
El principe, en avant de Chihua-
hua et de Julimes. Au sud-est de la province de Chihuahua, entre cette der-
nière et les États de Durango et de Cohahuila, s'étend, au revers oriental
de la Cordillère, une vallée inculte que l'on désigne sous le nom de Bolson
de Mapimi. Quelques hardis colons y ont fondé des fermes et disposé des
pâturages où ils élèvent d'innombrables bestiaux. Les Apaches, les
Comanches et d'autres tribus indigènes de la frontière, poussent souvent
leurs excursions jusque dans celte vallée. On y a découvert en 1838 une
caverne qui renfermait plus de mille cadavres, en état parfait de conserva-
tion; ils étaient assis sur le sol, les mains croisées par dessous les genoux
et couverts de tuniques et d'écharpes d'un travail remarquable.
Le territoire qui forme VÉtat de Cohahuila est un pays couvert de mon-
tagnes et de forêts, arrosé par plusieurs cours d'eau dont les plus considé-
rables sont le Rio del-Norte, qui lui sert de frontière au nord, et le Rio-
Sabinas, qui arrose la partie septentrionale-, il renferme aussi plusieurs
lacs dont le plus important est celui d’Aqua-Verde. Les terres y sont d'une
grande fertilité, et produisent des céréales et d'excellents vins; d'immenses
pâturages nourrissent un grand nombre de chevaux et de bêtes à cornes
devenues à peu près sauvages. Les cerfs, les daims, les sangliers, les bisons
et diverses espèces de gibier, y sont communs. Le poisson abonde dans les
rivières et dans les lacs. Les forêts sont remplies d'abeilles. On y exploite
quelques mines d'argent près de Monte-le Lovez. L'air y est salubre et le
climat tempéré.
Saltillo est riche et peuplée de 21,000 habitants; on lui donne aussi le
nom de Leona- Yicario, elle est à 690 kilomètres au nord de Mexico. Monte-le-
Lovez, nommée indifféremment Cohahuila etMonclova, est l'ancienne capi-
tale de la province ; elle est située sur un affluent de la Sabina, on lui accorde
8,000 habitants. San-Rosa et surtout Parras sont célèbres par les mines
d'argent de leurs environs. Castanuella et Nueva-Bilbao, sont deux petites

312
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
villes assez remarquables. Sur le Rio-del-Norte, se trouve le presidio de Rio-
Grande, et dans son voisinage les forts d'Aqua-Verde et de Bahia ; dont les
garnisons doivent protéger les frontières contre les tentatives des Indiens.
L'ancienne province, qui avait reçu le nom pompeux de Nouveau
royaume de Léon, forme aujourd'hui VÉtat de Nuevo-Leon, c'est un pays
riche en mines d'or, d'argent et de plomb, en sel gemme et en sources
salées. Malgré sa fertilité, ses forêts remplies de bois de teinture et de con-
struction, et ses immenses pâturages, où paissent de grands troupeaux de
chevaux et de bêtes à cornes, il n'offre néanmoins que des villes peu impor-
tantes : Monterey, sa capitale, a 18,000 habitants-, elle est le siége d'un
évêché et d'une cour de justice, et fait un commerce assez important ; Cade-
réita ne renferme que 800 familles; Linares et Pilon sont encore moins
peuplées. La population de la plupart des petites cités de cet État est occu-
pée de l'exploitation des mines.
L’État de Tamaulipas appartient à la même région physique que le pré-
cédent. Il est borné à l'ouest par celui-ci; au nord, le Rio-del-Norte le
sépare des possessions anglo-américaines; au sud, il est borné par l'État
de San-Luis-Potosi, et à l'est par le golfe du Mexique. Victoria ou Nuevo-
Santander, qui compte 15,000 habitants, est aujourd'hui la capitale de
l'État; elle est à 13 lieues de la mer, sur la rivière de son nom ; elle serait
importante sans une barre qui ne permet qu'à de faibles embarcations l'en-
trée de cette rivière; mais Tampico de Tamaulipas, ou Santa-Anna de
Tamaulipas, fondée en 1824, sur le Tampico a son embouchure dans le
golfe du Mexique et sur la lagune de Panuco, est devenue en peu d'années,
non-seulement la ville la plus importante de l'État, mais encore le premier
port de la confédération mexicaine sur le golfe du Mexique; cependant il
est peu sûr, mais il est moins insalubre que celui de la Vera-Cruz ; la popu-
lation de Tampico est aujourd'hui de 12 à 15,000 habitants. Solo de la
Marina, avec 5,000 habitants, est le port de Victoria. Escandon est au centre
d'une plaine élevée. Sur la rive droite du Rio-del-Norte est Matamoras,
célèbre par la victoire remportée en 1846 par les Anglo-Américains sur les
Mexicains; c'est une petite ville importante dont la population dépasse
12,000 habitants. Mier, Revilla ou Guertero, sur la frontière du Mexique
et des États-Unis, sont importantes par leur position. A quelques lieues
d’Altamira, s'élève, au milieu d'une vaste plaine, une montagne taillée
si exactement en forme de pyramide, que les savants sont partagés sur la
question de savoir si c'est un ouvrage de l'art plutôt que de la nature.
En continuant notre excursion vers le sud, nous traverserons l’État de

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOCRAPHIE DES PROVINCES.
313
San Luis-Potosi, formé de l'ancienne province du même nom. Il est monta-
gneux vers l'ouest, et marécageux vers le golfe du Mexique. Depuis les
montagnes jusqu'à la mer, on y éprouve les effets de trois climats différents.
Près de la côte, oû se trouvent les parties les plus malsaines, on cultive les
fruits les plus délicieux du Mexique. Ce pays, qui n'a été colonisé que pour
l'exploitation de ses riches mines d'argent, possède des forêts qui suffisent
au besoin de ses usines.
Sur la pente orientale du plateau d'Anahuac, à l'ouest des sources du
Rio-de-Panico, nous apercevons.San-Luis-Potosi, qui doit sa célébrité aux
mines de ses environs, aujourd'hui peu productives. Maintenant c'est l'en-
trepôt de Tampico pour les pays intérieurs, elle fait un grand commerce de
bestiaux, de suif et de cuir. On évalue sa population à 50,000 individus.
Cette ville, bien bâtie, est ornée de belles fontaines et de plusieurs édifices
remarquables, tels que l'église paroissiale de Saint-Pierre et celle du couvent
des Carmes, l'hôtel des Monnaies et l'aqueduc; elle possède aussi un col-
lége, ou petite université. Guadalcazar, près de la rive droite du Santander,
est un bourg situé sur un territoire fertile où l'on exploite quelques filons
d'argent; Charcas est une bourgade considérable où siége une direction
des mines; mais l'exploitation la plus célèbre du pays est celle de Catorce:
elle produisait encore, il y a peu d'années, pour la valeur de 18 à 20 mil-
lions de francs.
De hautes montagnes donnent à VÉtat de Zacatecas une grande ressem-
blance avec la Suisse. Elles renferment de nombreuses mines, les princi-
pales de ces mines sont celles de San-Juan-Batista, le Guadalupe, de
Panuco et Veta Grande. Le produit de toutes les mines de la province est
évalué annuellement à 150,000 kilogrammes. Son chef-lieu, qui porte le
même nom, est situé sur le territoire le plus célèbre par ses mines d'argent,
après celui de Guanaxuato. Zacatecas ne consiste qu'en une longue rue
garnie de hautes maisons, mais derrière lesquelles se groupent, à diverses
distances, les cabanes qui servent d'habitations aux mineurs. Ceux-ci, avec
la population de la ville proprement dite, forment une masse de 25,000
individus. La ville possède un hôtel des Monnaies qui occupe 300 ouvriers.
Non loin de là, sont neuf lacs qui se couvrent d'une efflorescence d'hydro-
chlorate et de carbonate de soude. Les montagnes, composées de siénite,
contiennent quelques-uns des plus riches filons du monde. Fresnillo, à
11 lieues nord de la précédente, fut florissante tant que dura l'exploitation
de ses mines de cuivre et d'argent. Sombrerete, Pino et Nochistlan, doivent
à l'exploitation de leurs mines une population de 14 à 18,000 à mes. Mais
Y.
40

314
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
une ville dont le nombre d’habitants dépasse ce chiffre, c'est celle D’Aguas
Calientes, qui doit son nom à ses eaux thermales, et sa prospérité au com-
merce et à l'industrie : on y cite une manufacture de drap qui occupe 3 à
400 personnes, on donne à la ville 33,000 âmes.
La plus grande partie du royaume de la Nouvelle-Galice forme aujour-
d'hui un Étal qui porte l'ancien nom indigène du pays, celui de Xalisco ou
Jalisco. Il était habité par une race belliqueuse, qui sacrifiait des hommes
à une idole de la forme d'un serpent, et qui même, à ce que prétendaient les
premiers conquérants espagnols , dévoraient ces malheureuses victimes
après qu'on les avait fait mourir par les flammes. Les pentes occidentales
de la Cordillère d'Anahuac sont comprises dans cet État. Près des bords de
la mer s'étendent de vastes forêts qui fournissent de superbes bois de con-
struction ; mais les habitants y sont exposés à un air chaud et malsain,
tandis que l'intérieur du pays jouit d'un climat tempéré et favorable à la
santé. Le sol y est des plus fertiles du Mexique, donnant dans quelques
parties 100 pour 1 du froment et 200 pour 1 du riz. On y cultive aussi avec
succès l'olivier, la canne à sucre, le coton, le tabac et la cochenille. Le
Rio San-Juan, nommé aussi Tololotan et Barania, en sortant du lac Cha-
pula, forme une cataracte très-pittoresque. Sur la rive gauche du Rio-
Grande, appelé aussi Bio-de-Santiago, à 420 kilomètres au nord-ouest de
Mexico, s'élève Guadalaxara. Cette capitale est une grande et belle ville
dont la population est estimée à plus de 75,000 âmes, et qui possède une
université qui ne le cède qu'à celle de Mexico. C'est le siége d'un riche
évêché et d'une cour de justice ; elle possède un hôtel des Monnaies impor-
tant. La cathédrale est un vaste édifice d'une architecture bizarre, mais
remarquable par la profusion de ses ornements et le choix de beaux tableaux
espagnols qu'elle renferme. Le magnifique couvent de Saint-François com-
prend dans son enceinte cinq églises, dont une surtout rivalise de richesse
avec la cathédrale, qu'elle surpasse par son architecture. Les fontaines de
la ville sont alimentées par un aqueduc de 25 kilomètres de long. San-Blas,
à l'embouchure du Rio-Grande, serait une ville importante par son port et
son commerce, si l'insalubrité de l'air ne forçait les principaux habitants à
résider à quelques lieues de là, dans la charmante petite ville de Tépic.
C'est à San-Blas qu'est établi l'arsenal maritime de l'Union-Mexicaine.
Lagos, autrefois florissante, est encore renommée par là foire qui s'y tient
au mois d'octobre, et encore plus par sa Madone de San-Juan.
Compostella est le chef-lieu d'un district abondant en maïs, en coco-
tiers et en bétail. Tonala fabrique de la faïence pour la consommation de

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
315
l'Etat. On remarque encore Bolânos, remarquable par ses mines d'argent,
Kokula, dont l'église est un lieu de pélerinage ; Chapala, près du lac du
même nom, et la Purification, ville considérable et chef-lieu de la partie
méridionale de la Nouvelle Galice, où la cochenille et le sucre sont les
principales productions. A quelque distance, à l'ouest, est le cap Cor-
rientes, pointe très-saillante; les vents et les courants paraissent changer
à partir de ce promontoire célèbre.
Le Territoire de Colima comprend la vallée de ce nom, située au pied du
volcan de Colima, et large d'environ 9 lieues, qui forme la partie la plus
méridionale de l'État de Xalisco. Le chef-lieu de ce territoire porte aussi le
nom de Colima; c'est une jolie ville renfermant environ 15,000 habitants,
indigènes, mulâtres et métis. Son principal commerce est celui du sel,
que l'on exploite sur les côtes du Grand-Océan.
Les deux États de Guanaxuato et de Mechoacan formaient l'ancien
royaume de Mechoacan, qui fut indépendant de l'empire mexicain.
Ce royaume, dont le nom signifie pays poissonneux, renferme des vol-
cans, des eaux chaudes, des soufrières, des mines, des pics toujours blan-
chis de neige ; et cependant c'est une des contrées les plus riantes et les
plus fertiles qu'on puisse voir. De nombreux lacs, des forêts et des cas-
cades en varient les sites. Les montagnes, couvertes de forêts, laissent de
l'espace aux champs et aux prairies. L'air est sain, excepté sur la côte, où
les Indiens seuls résistent à la chaleur humide et étouffante.
Les naturels du pays étaient les plus adroits tireurs de flèches de l'Amé-
rique. Les rois de Mechoacan recevaient autrefois leurs principaux reve-
nus en plumes rouges; ils en faisaient fabriquer des tapis et autres articles.
Ce trait curieux nous rappelle les habitants de Tongatabou. Lors des funé-
railles des rois, on immolait sept femmes nobles, et un nombre immense d'es-
claves, pour servir le défunt dans l'autre monde. Aujourd'hui les Indiens,
et surtout les Tarasques, se livrent aux travaux d'une industrie paisible.
L’État de Guanaxuato est formé de l'ancienne intendance de ce nom.
C'est un pays riche en mines et important par la fertilité dont jouissent les
parties qui peuvent être arrosées. C'est dans ces régions, sur les bords du
Bio-de-Lerma, appelé jadis Tolotlan, que furent combattus les peuples
nomades et chasseurs que les historiens désignent par la dénomination
vague de Chichimèques, et qui appartiennent aux tribus des Pames,
Capuces, Sumues, Mayolias, Guamanes et Guachichiles. A mesure que le
pays fut abandonné par ces nations vagabondes et guerrières, les conqué-
rants espagnols y transplantèrent des colonies de Mexicains ou d'Aztèques.

316
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
La capitale, Guanaxuato, située à 1,834 mètres au-dessus du niveau de
l'Océan, dans une vallée étroite à laquelle aboutissent les gorges qui mènent
aux plus riches mines connues, est bien bâtie ; mais les inégalités de son
sol font que ses rues montent, descendent et sont généralement irrégu-
lières. On y remarque de superbes églises et des maisons élégantes; on y
compte plus de 120 magasins et près de 60,000 habitants. Les mines
d'argent de Valenciana, de Santa-Anita, de Rayas, de Mellado, de la
Sirena, de las Anincas, de Peñafiel, del Sol, de San-Vincente, de Catla, de
Calice, de Seccho, de San-Lorenzo, de las Maravillas, de Santa-Rosa, etc.,
ont formé autour, par leurs exploitations, comme autant de faubourgs de
celte ville dont plusieurs ont une nombreuse population et de beaux édi-
fices. Ces mines, les plus riches du monde, renferment de l'or, de l'argent,
du plomb, de l'étain, du fer, de l'antimoine et du cobalt. Pendant une
période de soixante-sept ans, de 1766 à 1833, elles ont produit 16,547 kilo-
grammes d'or, et 6,558,900 kilogrammes d'argent. Le filon de Guanaxuato
travaillé dans toute sa longueur, serait en état d'offrir par an plus de
2,000,000 de marcs d'argent.
Parmi les autres villes de cet État, nous citerons la charmante villa de
Léon, dont les rues, bien alignées, aboutissent pour la plupart à une place
ornée de beaux portiques, d'une belle église et du palais du gouverne-
ment. Bâtie sur un sol fertile, elle fait un grand commerce en céréales.
Salamanca qui à 15,000 habitants, est remarquable par la magnifique
église du couvent des Augustins. Dolorés ou Hidalgo, est une petite ville
qui a vu commencer la révolution du Mexique, elle porte le nom du curé
qui en donna le signal.
La ville de San-Miguel-el-Grande nommée aussi Attende, fait un grand
commerce de bétail, de peaux, de toiles de coton, d'armes blanches, de cou-
teaux et d'autres ouvrages d'acier très-fin. Zelaya est le chef-lieu d'un dis-
trict fertile en deux espèces de poivre. On y remarque une des plus belles
églises du Mexique; elle est sur le Rio-Grande de San-Iago, et renferme
près de 15,000 âmes.
La division du sol en trois régions, appelées terres froides (Tierras
frias), terres chaudes {Tierras calientes), et terres tempérées (Tierras
templadas), dont nous avons déjà parlé, se retrouve dans l'État de Mechoa-
can. Dans sa partie occidentale on aperçoit deux volcans, le Tancitoro et
le Jorullo (Xorullo) qui, élevé de 517 mètres au-dessus de la plaine, s'est
formé cependant tout à coup en 1759. Valladolid ou Morelia, sa capitale,
qui occupe l'emplacement de l'ancienne Mechoacan, est située dans la

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
317
région tempérée : on y jouit d'un climat délicieux; rarement il y tombe de
la neige. On estime à 25,000 le nombre de ses habitants. Son séminaire
est l'un des plus fréquentés de la confédération mexicaine. Les revenus
attachés a l'évêché sont si considérables que la ville ne reçoit de l'eau po -
table qu'au moyen d'un bel aqueduc, construit aux frais d'un de ses derniers
évêques. La construction de ce monument a coûté plus de 500,000 francs.
Pascuaro, ville de 8,000 âmes, s'élève au bord d'un lac pittoresque
auquel elle donne son nom ; elle conserve religieusement les cendres de
Vasco de Quiroga, son premier évèque, mort en 1556, et dont la mémoire
est en vénération dans le pays, parce qu'il fut le bienfaiteur des Tarasques,
peuple indigène, dont il encouragea l'industrie en prescrivant à chaque
village une branche de commerce particulière : institution qui s'est en par-
tie conservée jusqu'à nos jours. La petite ville de Zintzunzant, ou Tzint-
zontzan, sur les rivages pittoresques du lac de Pascuaro, a été la capitale
du royaume de Mechoacan.
Tlalpuxahua ou S an-Pedrο-y-san-Pablo-Tlalpuxahua, ville de 6,000
âmes, est le chef-lieu d'un riche district de mines. Celle ville est située dans
une belle vallée au pied du Cerro-de-Gallo. La pente de la montagne sur
laquelle elle est bâtie est très-escarpée, la montée des rues est très-roide.
L'église paroissiale, assez élevée sur la montagne, en est le monument le
plus important.
L'ancienne intendance de Mexico, principale province de l'empire de
Montézuma, s'étendait autrefois d'une mer à l'autre; mais le district de
Panuco en ayant été séparé, elle n'atteignit plus le golfe mexicain. La
partie orientale est située sur le plateau ; elle offre plusieurs bassins de
figure ronde, au centre desquels se trouvent des lacs, aujourd'hui rétrécis,
mais dont les eaux paraissent avoir rempli autrefois ces bassins. Desséché
et privé de ses bois, ce plateau souffre à la fois de l'aridité habituelle et des
inondations subites nées d'une pluie abondante ou de la fonte des neiges.
Généralement parlant, la température n'y est pas aussi chaude qu'en
Espagne; c'est un printemps perpétuel. Les montagnes qui l'entourent
sont encore fertiles en cèdres et autres arbres de haute futaie, et riches en
gommes, drogues, sels, productions métalliques,.marbres et pierres pré-
cieuses. Le plat pays est couvert toute l'année de fruits délicats et exquis,
de lin, de chanvre, de coton, de tabac, d'anis, de sucre et de cochenille
dont on fait un grand commerce.
Outre les nombreux volcans dont nous avons déjà parlé, on rencontre
quelques curiosités naturelles : l'une des plus remarquables est le Ponte-

318
LIVRE CENT QUATORZIEME.
Dios, ou le Pont-de-Dieu : c'est un rocher sous lequel l'eau s'est creusé
un canal ; il est à environ 100 milles au sud-est de Mexico, près du village
de Molcaxac, sur la profonde rivière appelée Aquetoyaque ·, on y passe
comme sur un grand chemin. Plusieurs cataractes offrent des aspects
romantiques. La grande caverne de Dante, traversée par une rivière ; les
orgues porphyriques d’Actopan, et beaucoup d'autres objets singuliers,
frappent le voyageur dans cette région montagneuse, où l'on traverse les
rivières écumeuses sur des ponts formés de fruits de la crescentia pinnata,
liés ensemble avec des cordes d'agave.
Le pays dont nous venons de donner un aperçu sous le rapport physique
forme aujourd'hui quatre divisions nouvelles : l'État de Querctaro au nord,
l'État de Mexico au centre, le district fédéral enclavé dans le précédent, et
l'Etat de Guerrera, formé en 1850 de la partie méridionale de celui de Mexico.
VÉtat de Queretaro occupe une partie du plateau central du Mexique ;
le Rio-Tula, son principal cours d'eau, coule dans une vallée élevée de
2,050 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. C'est un pays aride, dont le
chef-lieu, Queretaro, est une des plus belles, des plus industrieuses et des
plus considérables villes de la confédération. Elle égale les plus belles
cités de l'Europe par l'architecture de ses édifices, et s'enrichit par ses
fabriques de draps et de maroquins. Sa population, qui était de 50,000
âmes avant la révolution du Mexique, ne s'élève plus qu'à 35,000. Ses
rues sont bien alignées et ornées de beaux édifices. L'aqueduc qui fournit
de l'eau à la ville est un des plus beaux de l'Amérique, et le couvent des
religieuses de Santa Clara est peut-être le plus grand qui existe au
monde, puisqu'il a plus de 3,200 mètres de circonférence. Cadereila,
petite ville de 5,000 aines, possède dans ses environs de belles mines d'ar-
gent. San-Juan-del-Rio, à 8 lieues au sud-est de cette ville, est entourée
de beaux jardins, et doit son importance à la grande foire qui s'y tient
au mois d'octobre, et à la belle église de Notre-Dame, qui chaque année
attire un grand nombre de pèlerins.
Le District fédéral est une circonférence d'un rayon de 2 lieues, et dont
la place de la cathédrale de Mexico est le centre ; il résulte de cette dispo-
sition qu'à proprement parler il ne comprend que Mexico et sa banlieue.
Sur le dos même du grand plateau mexicain, une chaîne de montagnes
porphyriques enferme un bassin ovale, dont le fond est généralement élevé
de 2,277 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. Cinq lacs remplissent
le milieu de ce bassin. Au nord des lacs unis de Xochimilco et de Chalco,
dans la partie orientale de celui de Tezcuco, qui a 10 lieues carrées, s'élevait

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
319
l'ancienne ville de Mexico, dont le nom indien Mexitli ou Huitzlipochtli
signifie habitation du dieu de la guerre, et qui fut communément appelée
Tenochlitlan par les Mexicains jusqu'en 1530, époque à laquelle prévalut
le nom de Mexico que lui donnèrent les Espagnols. On y arrivait par des
chaussées construites sur des bas-fonds. La nouvelle ville, quoique située à
m même place, se trouve en terre ferme, et à 4,500 mètres des anciens lacs.
Ce changement de situation n'est pas venu seulement de la diminution
naturelle des eaux ; il a été provoqué par la destruction des arbres qui les
ombrageaient et qui ont été employés par les Européens aux constructions
nouvelles et aux pilotis sur lesquels les édifices sont bâtis ; elle a été sur-
tout hâtée par la construction d'un canal commencé en 1607, et dans lequel
s'écoulent les eaux des lacs de Zumpango et de San-Christobal, qui ali-
mentaient jadis celui de Tezcuco. En détruisant les arbres, les Espagnols
ont contribué à la diminution de la fertilité du sol ; dans beaucoup d'en-
droits la verdure est remplacée par des efflorescences salines.
La ville est traversée par de nombreux canaux ; les édifices sont con-
struits sur pilotis. Le desséchement des lacs se continue par le canal d'écou-
lement qu'on a ouvert à travers les montagnes de Sincoq, afin de garantir
la ville des inondations. Le sol est encore mouvant dans plusieurs endroits ;
et que'ques bâtiments, comme, entre autres, celui de la cathédrale, se sont
enfoncés de plus de 1 mètre. Les rues sont larges et droites, mais mal
pavées. Les maisons présentent une apparence magnifique, étant con-
struites en porphyre et en roche amygdaloïde ; plusieurs palais et hôtels
offrent une ordonnance majestueuse. Les églises, au nombre de plus de
300, brillent par leurs richesses métalliques. La cathédrale surpasse dans
ce genre toutes les églises du monde; la balustrade qui entoure le maître-
autel est d'argent massif. On y voit une lampe de même métal, si vaste
que trois hommes entrent dedans quand il faut la nettoyer ; elle est en outre
enrichie de têtes de lions et d'autres ornements d'or pur. Les statues de la
Vierge et des saints sont ou d'argent massif, ou recouvertes d'or, et ornées
de pierres précieuses. Dans l'intérieur de ce temple, comme dans toutes les
autres églises, il n'y a ni chaises ni bancs ; les hommes se tiennent debout,
et les femmes, même les plus riches et les plus élégantes, sont à genoux ou
accroupies sur leurs talons. Quoique la ville de Mexico soit dans l'intérieur
des terre?, elle est le centre d'un vaste commerce entre la Vera-Cruz à l'est,
et Acapulco à l'ouest. Les boutiques y regorgent d'or, d'argent et de joyaux.
Cette superbe ville, peuplée de 212,000 âmes, se distingue aussi par de
grands établissements scientifiques, qui, dans le Nouveau-Monde, n'ont

320
LIVRE CENT QUATORZIEME.
pas de semblables. Le Jardin botanique, l’ École des mines (la Mineria),
l’Académie des beaux-arts de San-Carlos, qui a formé d'excellents dessi-
nateurs, peintres et sculpteurs, voilà des établissements qui répondent aux
préjugés de ceux qui regardent les Américains comme inférieurs, en capa-
cité naturelle, aux Européens. Nommons encore parmi les établissements
littéraires l’ Académie de San-Juan de Letran, récemment fondée. On y
publie des recueils importants: le Museo-Mejicano, laIlustracion Meji-
canana; deux journaux français, le Trait-d'Union et le Courrier-Fran
çais; enfin plusieurs journaux en langue espagnole, dont les deux plus
importants sont : el Monitor, journal officiel, et el Sigolo XIX, organe
du parti libéral.
La plaza Mayor, la plus belle place de Mexico, à laquelle aucune de
celles d'Europe ne peut être comparée sous le rapport de la dimension,
est bornée au nord par la cathédrale, bel et vaste édifice entouré de larges
trottoirs, qui ont environ 12 mètres sur la face principale et 6 sur les faces
latérales. Il est construit en pierres d'une dimension remarquable; son
style est du genre d'architecture qui suivit en Espagne celui de la renais-
sance, lorsque l'on abandonna la légèreté et la grâce pour une sorte de
régularité souvent lourde et monotone. L'aspect en est cependant impo-
sant : deux tours carrées placées aux deux extrémités servent de clochers;
entre elles s'élève un fronton. A la cathédrale, se rattache, pour former tout
un côté de la place, le Sagrario, petite église qui, suivant l'usage espagnol,
accompagne la cathédrale, et où se célèbrent toutes les cérémonies de la
paroisse. Ces deux édifices n'ont aucun rapport de style ; celui du Sagrario,
d'une construction plus récente, appartient au genre nommé en Espagne
churrigueresca, du nom de Churriguera, l'architecte qui le mit le premier
en usage. Ce style est remarquable par la bizarrerie de ses ornements. Sur
le côté oriental de la place, s'élève le palais du Gouvernement, dont l'ar-
chitecture paraît plus simple qu'elle ne l'est réellement, à cause de l'acca-
blant voisinage de la cathédrale. Le côté du sud présente la façade de
l’Ayuntamiento (l'hôtel-de-ville) ; enfin à l'ouest, est un monument à
arcades basses, nommé los Portales-de-Mercaderes. Malheureusement la
régularité de la plaza Mayor est détruite par une espèce de bazar nommé
le Parian, édifice carré de mauvais goût et assez mal construit, occupant
environ un tiers de la place. C'est autour du Parian, et sous les Portales-
de-Mercaderes que se promène la haute société de Mexico.
Le palais du Gouvernement, l'ancienne demeure des vice-rois espagnols,
est tellement grand , qu'il comprend l’hôtel des Monnaies, vaste bâtiment

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
321
d'une architecture noble et simple, et l'un des établissements les plus
beaux et les mieux organisés dans ce genre ; depuis la fin du seizième
siècle jusqu'au commencement du dix-neuvième, on y a frappé pour plus
de 6,500,000,000 de francs en or et en argent. Il comprend en outre la
prison de l’ Alcordava, bel édifice , dont les chambres sont spacieuses et
bien aérées ; la caserne générale, les ministères, les deux chambres et le
logement du président de la confédération mexicaine.
Parmi les couvents , au nombre de 38, on cite le plus somptueux, celui
de Saint-François, fondé en 1531, dont le revenu en aumônes est de plus
de 600,000 francs, et qui possède des tableaux du plus grand prix; celui
de l’ Incarnation possède une église où l'on voit une statue de la Vierge en
argent massif et du plus beau travail. L'hospice , ou plutôt les deux hos-
pices réunis, dont l'un entretient 600 et l'autre 800 enfants et vieillards,
jouit d'un revenu de 250,000 francs. L'église de l’Hôpital de Jesus de los
Nalurales, fondé par Cortez, renferme dans un beau mausolée les cendres
de ce conquérant.
A la sortie de la ville , se trouve la magnifique promenade appelée Ala-
méda. C'est un jardin bien dessiné et orné de cinq jets d'eau ; il est très
fréquenté à la chute du jour, lorsqu'on revient du Bucareli, longue avenue
entourée de verdure, et peu distante de là où les hommes vont caracoler
à la portière des voitures. On se promène ici tous les jours, les femmes
en voiture et les hommes à cheval. Un sot usage ne permet point que jamais
une femme comme il faut mette pied à terre, ce qui jette de la monotonie
dans ce genre de plaisir. Il est vrai de dire qu'il en coûte si peu pour avoir
un cheval, et que les Mexicains sont tellement passionnés pour l'équitation,
que les mendiants eux-mêmes ne vont jamais à pied. Pendant le carême, et
jusqu'au mois de mai, l'Alaméda est abandonnée pour une autre prome-
nade appelée Las Vigas, qui consiste en une allée longue d'un quart de
lieue et plantée d'une double rangée de tilleuls et de saules.
De l'aveu même des auteurs espagnols, les bals et les jeux de hasard sont
suivis avec fureur à Mexico, tandis que les jouissances plus nobles de l'art
dramatique sont moins généralement goûtées. L'Espagnol mexicain joint
à des passions vives un grand fond de stoïcisme : il entre dans une maison
de jeu , perd tout son argent sur une carte, puis il tire son cigare de der-
rière ses oreilles, et fume comme si rien n'était arrivé.
Les chinampas, espèces de radeaux sur lesquels on cultive des fleurs et
des légumes, donnaient autrefois un aspect unique aux lacs mexicains. Ils
étaient flottants et ressemblaient à des îles couvertes de jardins; mais aujour-
V.
41

322
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
d'hui, fixes, on circule à l'entour dans de longs arbres creusés en canots ,
que les Indiens conduisent avec une adresse merveilleuse.
Mexico conserve peu de monuments antiques. Les ruines des aqueducs,
la pierre dite des sacrifices; la pierre calendaire, exposée avec la précé
dente dans la grande place de la ville, sur l'un des murs de la cathédrale ;
des manuscrits, ou tableaux hiéroglyphiques, mal conservés dans les
archives du palais des vice-rois; enfin la statue colossale de la déesse
Teoyaomiqui, couchée sur le dos dans une des galeries de l'Université, sont
les seuls qui existent.
La pierre calendaire, ou le grand calendrier, est sculptée en relief sur
un bloc énorme de porphyre trappéen d'un gris noirâtre ; elle a 4 mètres
de diamètre. Elle représente, dit M. de Humbolt, des cercles concen-
triques, des divisions et des subdivisions exécutés avec une régularité,
une exactitude mathématique et un fini qui distinguent tous les monu-
ments des anciens Mexicains. La statue colossale de la déesse Teoyaomiqui
a été taillée dans un bloc de basalte haut de 3 mètres. Rien n'est plus
hideux que cette figure, qui présente le monstrueux assemblage d'une tête
humaine, de deux bras en forme de serpents, de deux ailes de vautour,
avec les pieds et les griffes du jaguar. Ses ornements consistent en guir-
landes composées de vipères entortillées en de nombreux anneaux, et en
un large collier de cœurs humains, de crânes et de mains noués ensemble
avec des entrailles humaines.
Au coin du bâtiment occupé par l'administration de la loterie, on voit
encore la tête colossale d'un serpent en pierre qui dut servir d'idole. Enfin
dans les cloîtres, derrière le couvent des Dominicains, on conserve une idole
semblable, mais presque entière, représentée dévorant une victime humaine.
Telles sont les antiquités les plus remarquables qui restent à Mexico.
Hors de l'enceinte de la ville on voit encore les chaussées pavées qui la
faisaient communiquer avec la terre ferme; mais, au lieu de traverser le
lac salé de Tezcuco, elles ne s'élèvent plus que sur des terrains marécageux.
Deux beaux viviers qui ornaient tes jardins de l'ancien palais des rois de
Tenochtitlan, se voient aussi hors la ville.
L'industrie de Mexico a été arrêtée, dans ses progrès, par les troubles
politiques. Ses principaux établissements industriels sont des manufactures
de colonnades, de tabac et de savon; l'orfèvrerie et la bijouterie y ont
acquis une rare perfection ; la passementerie et la sellerie y ont fait de
grands progrès.
L'État de Mexico s'étend entre ceux de San-Luis et Vera-Cruz au nord,

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
323
celui de Puebla à l’est, celui de Guerrero au sud et ceux de Mechoacau et
de Queretaro à l'ouest.
Il présente dans les environs immédiats de Mexico et à l'ouest de cette
capitale, Tacubaya, gros village de 2,000 âmes, presque entièrement com-
posé de maisons de campagne , avec un palais pour l'archevêque, et à l'est
sur le bord du lac dont elle porte le nom, la petite ville de Tezcuco, jadis
Acolhuacan, qui possède des manufactures de coton et de nombreuses
antiquités mexicaines. Λ Tabuca, autre petite ville importante de 4,000
habitants, on voit encore la chaussée en pierres par laquelle Fernand Cor-
tez fit son entrée à Tenochtitlan. Guadalupe, que les Mexicains appellent
Noslra-Senora-de-Guadalupe, renferme trois églises bâties sur la colline
de Tepejacac, sur les débris d'un temple mexicain. Elles forment le sanc-
tuaire le plus révéré de tout le Nouveau-Monde ; l'une d'entre elles est
renommée par un puits placé à l'entrée, dont l'eau un peu chaude passe
pour être efficace contre les paralysies.
L'État de Mexico proprement dit a pour capitale Toluca, à 50 kilomètres
au sud-ouest de Mexico, importante aujourd'hui par sa population éva-
luée à 20,000 âmes et par ses manufactures-, on y prépare, dit-on, des
salaisons de porc estimées; dans son voisinage se trouve la haute Mon-
tagne de Toluca.
Au nord de Mexico, on trouve successivement, en se rapprochant de
cette capitale, Zimapau et Atotonilco, petites villes de 6 à 8,000 âmes.
Pachuca, à 80 kilomètres au nord-est de Mexico. San-Christobal, près du
grand lac de ce nom ; on y admire une grande digue de 5 kilomètres de
long, pour empêcher les débordements du lac dans celui de Tezcuco. Tula,
l'ancienne capitale des Toltèques ou Tullecs, et qui, au dire des Indiens, fut
habitée jadis par une race de géants. Otumba qui possède un magnifique
aqueduc; dans ses environs, sur les collines de Teolihuacan, on voit les
restes imposants de deux pyramides consacrées au soleil et à la lune, et
construites, selon quelques historiens, par les Olmèques, nation ancienne
venue au Mexique de l'est, c'est-à-dire de quelques contrées situées sur
l'océan Atlantique. La pyramide ou maison du soleil (tonatiouh-ytzaqual)
a 56 mètres de haut, sur une base de 212 mètres ; celle de la lune (meztli
ytzaqual) a 10 mètres de moins. Ces monuments paraissent avoir servi de
modèle aux téocallis ou maisons des dieux, construites par les Mexicains
dans leur capitale et ailleurs; mais les pyramides sont recouvertes d'un mur
de pierre. Elles supportaientdes statues couvertes en lames d'or très-minces.
De petites pyramides en grand nombre environnent les deux grandes ; elles

324
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
paraissent avoir été dédiées aux étoiles. Un autre monument ancien, digne
d'attention, c'est le retranchement militaire de Xochialco, non loin de la
ville de Cuernavaca ; c'est encore une pyramide tronquée, à cinq assises,
entourée de fossés, et recouverte de roches de porphyre, sur lesquelles,
parmi d’autres sculptures, on distingue des hommes assis, avec les jambes
croisées, à la manière asiatique. Toutes ces pyramides sont exactement
orientées selon les qualre points cardinaux.
Actopan et Guantililan, sont de petites villes qui doivent toute leur
importance à leur position sur la route de Tampico. Au sud de Mexico,
nous remarquerons Chalco, petite ville renommée par son grand marché et
par les Chinampas ou îles flottantes de son lac. Lerma, petite ville assez
bien bâtie, remarquable surtout par la chaussée qui l'unit à la capitale de
la confédération et du district fédéral à celle de l'État de Mexico ; Zaculpan
et Tasco, sur la route qui conduit à Acapulco et au Grand-Océan. 'Tasco
possède une belle église paroissiale, élevée et dotée par un Français nommé
Joseph de Laborde, immensément enrichi par l'exploitation des mines mexi-
caines. La seule construction de l'édifice lui coûta 2 millions de francs.
Réduit que'ques temps après à une extrême misère, il obtint de l'archevêque
de Mexico la permission de vendre, à l'église métropolitaine de la capitale,
le magnifique soleil, orné de diamants, que, dans des temps plus heureux,
il avait consacré au tabernacle de l'église de Tasco. Ces changements de
fortune, invraisemblables dans un roman, sont communs au Mexique.
L'État de Guerrero, formé en 1850 de la partie méridionale de l'ancienne
province de Mexico, occupeles pentes méridionales du plateau de Mexico; il
est arrosé par le Mo Balsas; sa capitale est Chilpazingo, située à 200 kilo-
mètres au sud de Mexico, et à 90 au nord-est d’Acapulco, au milieu d'une
région montagneuse Dans ses environs, sont les bourgs de Sumpango, de
Petaquillas et de Mazatlan, remarquables par leurs mines d'argent; sur
la route de Mexico à Acapulco, nous nommerons Tutela del Rio, sur le
Rio Mescala; elle fait un grand commerce de transit.
La côte de l'océan Pacifique présente, sous un ciel brûlant, les deux
ports de Zacatuta et d’Acapulco. Ce dernier est adossé à une chaîne de
montagnes granitiques, qui, par la réverbération du calorique rayonnant,
augmente la chaleur étouffante du climat, qui, pendant le jour, atteint 45
à 50 degrés centigrades, ainsi que l'a remarqué M. de Humboldt. Exposé
pendant l'été à des émanations pestilentielles qui s'opposent à l'accroisse-
ment de sa population , il n'a guère plus de 8,000 habitants. Son port est
depuis longtemps célèbre chez toutes les nations. C'est de son enceinte

AMÉRIQUE.— MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
325
que partaient autrefois les riches galions espagnols qui transportaient les
trésors de l'Occident dans l'Orient; sa célébrité se rattache aussi à l'his-
toire des audacieux flibustiers. Il offre, dit-on, le beau idéal d'un port de
mer ; son abord est facile, il est très-vaste, l'eau n'y a pas trop de profon-
deur, le fond est exempt d'écueils. De l'intérieur on ne peut découvrir la
la mer : un étranger qui y arriverait par terre croirait voir un lac enfermé
entre des montagnes. Acapulco est, sur l'océan Pacifique, le port de
Mexico, dont il est distant de 280 kilomètres ; il exporte de l’argent, de
l'indigo, de la cochenille, et reçoit en échange les produits de l'Asie.
La contrée longue et étroite qui forme l’ État de Puebla comprend l'an-
cienne intendance de ce nom, et n'a sur le grand Océan qu'une côte de
26 lieues d'étendue. Il est traversé par les hautes Cordillères d'Anahuac.
Sa moitié septentrionale est occupée par un plateau d'environ 2,000 mètres
de hauteur, sur lequel s'élève le volcan encore fumant de Popocatepetl,
l'une des plus hautes montagnes du Nouveau Monde. On trouve sur ce pla-
teau des monuments d'une ancienne civilisation. La pyramide tronquée de
Cholula, élevée de 56 mètres, sur une base longue de 450 mètres, est
construile en briques. Pour se former une idée de la masse de ce monu-
ment, on peut se figurer un carré quatre fois plus grand que la place Ven-
dôme à Paris, couvert d'un monceau de briques qui s'élève à la double hau-
teur du Louvre. Cette pyramide portait un autel consacré à Quetzalcoalt ou
le dieu de l'air, un des êtres les plus mystérieux de la mythologie mexi-
caine. Ce fut, disent les traditions aztèques, un homme blanc et barbu
comme les Espagnols, que le malheureux Montézuma prit pour ses descen-
dants. Fondateur d'une secte qui se livrait à des pénitences austères, légis-
lateur et inventeur de plusieurs arts utiles, Quetzalcoatl ne put à la longue
résister au désir de revoir sa patrie, nommée Tlapallan, probablement iden-
tique avec le pays de Huéhue Tlapallan, dont les Toltèques tiraient leur
origine.
Très-peuplé et très-cultivé dans sa partie montagneuse, l'État de Pue-
bla présente, vers l'océan Pacifique, de vastes contrées abandonnées mal-
gré leur fertilité naturelle. Les faibles restes des Tlapanèques habitent les
environs de Tlapa.
La plupart des mines d'argent de la Puebla sont abandonnées ou exploi-
tées avec peu d'activité; son intérieur renferme des snlines considérables,
et ses montagnes des marbres renommés par leurs couleurs et leur solidité.
Le sol est fertile en blé, en maïs, en arbres fruitiers. Le climat de la zone
torride y fait prospérer également le sucre et le coton; mais ce qui met

326
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
obstacle à l'industrie agricole, c'est que les quatre cinquièmes des terres
appartiennent aux communautés religieuses et au clergé. L'inconvénient
qui en résulte se fait sentir jusque dans l'industrie manufacturière.
Dans la partie peuplée on distingue surtout la capitale, Puebla de los
Angelas, ou la ville des Anges, la quatrième ville de toute l'Amérique espa-
gnole pour la population, qui s'élève à 80,000 individus. Ses rues larges
et bien alignées, ses maisons construites à l'italienne, et le nombre de
beaux édifices qu'elle renferme, la placent immédiatement après Mexico.
Cette ville, située sur une des plaines les plus élevées du plateau d'Ana-
huac, fut fondée, en 1531, par don Sébastian Ramirez de Fuenbal, évêque
de Saint-Domingue, président de l'Audience royale du Mexique et gouver-
neur de la Nouvelle Espagne. Ses monuments ont tous une destination
religieuse : ce sont des églises et des couvents. L'un des plus remarquables
et des plus vastes est la maison de retraite spirituelle. Sa principale place
publique (Plaza-Mayor) est ornée, sur trois côtés, de portiques uniformes,
et le quatrième est occupé par une cathédrale dont les richesses ne peuvent
être comparées qu'à celles de la cathédrale de Mexico. Presque toutes les
églises méritent de fixer l'attention. Celle d'El Spiritu-Santo, qui appartient
aux Jésuites, offre l'aspect splendide et grandiose que cette célèbre congré-
gation savait imprimer à ses œuvres. Quelques tableaux de bons maîtres
décorent les chapelles principales. Puebla possède aussi une vaste biblio-
thèque, que l'on dit fort riche en livres rares et en manuscrits précieux. Les
principales rues de cette belle cité ont un large trottoir de chaque côté, quel-
quefois en dalles, mais plus communément en petits cailloux symétrique-
ment cimentés. Quelques rues sont même entièrement pavées de cette
manière : il semble que l'on marche sur un riche tapis. La promenade
publique, entourée de grilles, est grande, bien distribuée et commode pour
les promeneurs : les personnes à pied y trouvent des allées ombragées ·, dans
l'intérieur, un vaste hippodrome est destiné aux voitures et aux cavaliers.
La Puebla est la seule ville véritablement manufacturière de la confé-
dération mexicaine. Elle est renommée pour certains tissus dont on fait des
écharpes et des châles du prix de 500 fr. On y fabrique aussi des confi-
tures très renommées, des faïences et des poteries rouges, dont les formes
sont des plus élégantes. Au nord-est de la Puebla, la ville de Tlascala a
longtemps été la capitale d'une sorte de république fédérative, dont on éva-
luait la population à plus de 300,000 individus ; ils furent les premiers alliés
de Cortez, et l'aidèrent à vaincre Monlézuma. Elle est aujourd'hui le chef-
lieu du petit territoire de Tlascala, enclavé dans celui de la Puebla.

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOCRAPHIE DES PROVINCES.
327
Cholula, ville sainte chez les anciens Mexicains, qui l'appelaient Churul-
tecal, renfermait, avant la conquête, autant de temples qu'il y a de jours
dans l'année, et 40,000 maisons. Elle n'a plus que 16 à 18,000 habitants.
On voit dans ses environs la pyramide en briques teocalli, dont nous avons
parlé, et sur laquelle on a construit une église dédiée à Notre Dame de los
Remedios. Elle a joué un grand rôle dans les annales mexicaines lors-
qu'elle était la ville sainte de l'Anahuac.
Les environs du riche village de Zacatlan sont peuplés par la nation des
Totonaques ; ces indigènes parlent, comme les Tlapanèques, une langue
entièrement différente de celle des Mexicains ou Aztèques. Ils avaient adopté
la mythologie barbare et sanguinaire des Mexicains ; mais un sentiment
d'humanité leur avait fait distinguer, comme étant d'une race différente des
autres divinités mexicaines, la déesse Tzinteotl, protectrice des moissons,
et qui seule se contentait d'une innocente offrande de fleurs et de fruits.
Selon une prophétie qui circulait parmi eux, cette divinité paisible triom-
pherait un jour sur les dieux enivrés du sang humain. Ils ont vu leur pres-
sentiment réalisé par l'introduction du christianisme. Atlisco offre à la
curiosité du voyageur un monument végétal : c'est un cyprès qui a 24 mètres
de circonférence, et qui, par conséquent, égale presque en épaisseur le
fameux baobab du Sénégal, qu'il surpasse par ses belles formes. Tepeaca et
Tchual can, sur la grande route qui mène des États orientaux à Mexico,
méritent aussi une mention. A l'est des États que nous venons de décrire,
et le long du golfe du Mexique, s'étend le remarquable État de Vera-Cruz.
Toute la partie occidentale de cet État occupe la pente des Cordillères
d’Anahuac «Il y a peu de régions au nouveau continent dans lesquelles, dit
« M. de Humboldt, dans son grandouvrage sur le Mexique, le voyageur soit
« plus frappé du rapprochement des climats les plus opposés. Dans l'espace
« d'un jour, les habitants y descendent de la zone des neiges éternelles à
« ces plaines voisines de la mer, dans lesquelles régnent des chaleurs suf-
« focantes. Nulle part on ne reconnaît mieux l'ordre admirable avec lequel
« les différentes tribus de végétaux se suivent, comme par couches, les
« unes au-dessus des autres, qu'en montant depuis le port de la Vera-Cruz
« vers le plateau de Pérote. C'est Là qu'à chaque pas on voit changer la
« physionomie du pays, l'aspect du ciel, le port des plantes, la figure des
« animaux, les mœurs des habitants et le genre de culture auquel ils se
« livrent.» Ce pays embrasse une lisière de districts maritimes, dont la
partie la plus basse, presque déserte, ne renferme que des marais et des
sables sous un ciel ardent. Il renferme dans ses limites deux cimes colos-

328
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
sales volcaniques, l’Orizaba et le Nauhcanpatepetl ou Coffre de-Pérote :
leurs éruptions paraissent être d'une date ancienne ; mais le petit volcan de
Tuxtla, à 4 lieues de la Vera-Cruz, menace constamment cette ville; sa
dernière éruption eut lieu en 1793, et lança des cendres à plus de 4 lieues
à la ronde.
La ville de Panuco est située sur une rivière navigable, à l'embouchure
de laquelle est le port de Tampico, que nous avons déjà visité en décrivant
l'État de Tamaulipas, obstrué, comme tous ceux de cette cote, par des
bancs de sable.
Dans les forêts épaisses de Papantla, sur les flancs des Cordillères,
s'élève une pyramide d'une plus belle forme que celle de Teotihuacan et
de Cholula ; elle a 18 mètres de haut sur une base de 25 ; elle est construite
en pierres porphyriques très-régulièrement taillées et couvertes d'hiéro-
glyphes.
La jolie ville de la Vera-Cruz (Villa-Rica de la Vera-Cruz, surnommée
la Villa-Eroïca), siége du riche commerce que fait le Mexique avec l'Eu-
rope, ne doit rien aux faveurs de la nature. Les rochers de madrépores,
dont elle est construite, ont été tirés du fond de la mer. La seule eau potable
est recueillie dans des citernes; le climat est chaud et malsain ; des sables
arides entourent la ville au nord, tandis qu'on voit s'étendre au sud des
marais mal desséchés. Le port, peu sûr et d'un accès difficile, est protégé
par le fort de San-Juan-d'Ulùa, élevé sur un îlot rocailleux à des frais
immenses. La population, estimée à 12,000 habitants, est souvent renou-
velée par les fièvres jaunes.
Deux fois cette ville a changé de place ; deux fois la fièvre jaune en a
dévoré les habitants. Située d'abord près d'Antegoa, puis au bord de la
petite rivière de la Medelin, elle s'est enfin fixée au lieu qu'elle occupe
aujourd'hui sur le rivage de la mer. Riche et populeuse alors que le Mexique
était soumis à l'Espagne, elle n'offre plus aujourd'hui que l'aspect d'une
cité déchue. Ses rues, presque dépeuplées, sont larges, et se coupent à
angles droits ; les principales sont garnies de trottoirs en plâtre battu bien
uni, sur lesquels il est agréable de marcher. Ses maisons sont basses, rare-
ment à plus d'un étage, et sont surmontées de terrasses sur lesquelles, le
soir, on respire un air frais. Sous ce climat dangereux, la police de salu-
brité aurait besoin d'être active et prévoyante ; elle est, au contraire, telle-
ment négligée qu'elle semble être confiée seulement à des bandes d'oiseaux
du genre vautour, que les habitants nomment zopilolos. On en rencontre
à chaque pas : quelques-uns sont gros comme des dindons ; ils dévorent

AMÉRIQUE.—MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
329
les chiens et les chats morts, les lambeaux de viande qui tombent des bou-
cheries, et une partie des immondices qu'on jet te dans les rues. Cependant,
malgré la voracité avec laquelle ces oiseaux se nourrissent des débris de
toutes les matières animales, de tous côtés s'élèvent des miasmes suffo-
cants. Les environs de la ville ne présentent qu'une terre aride, sablon-
neuse et sans culture; toutefois, la promenade appelée el Pasco, qui suit
les rives d'un petit ruisseau, présente un aspect gracieux : on y trouve un
peu de verdure. C'est ce ruisseau qui alimente les fontaines de la ville par
des conduits souterrains,
Ulùa! est le premier cri qu'entendirent les Espagnols en mettant le
pied sur le sol mexicain : telle est l'origine du nom qu'ils donnèrent
plus tard au fort qu'ils appelèrent San-Juan-d’Ulùa. Il passait pour
imprenable aux yeux des Mexicains; mais dans ces derniers temps, les
Français d'abord et les Américains ensuite, les ont complétement détrompés
à cet égard.
La rade de la Vera-Cruz n'est abritée que par l'îlot d'Ulùa et par quel-
ques récifs à fleur d'eau, qui la protégent un peu contre la mer. On ne con-
çoit pas comment les Espagnols, au temps de leur puissance, n'ont pas
construit un môle circulaire qui pût rendre tenable, pendant l'hiver, le
mouillage de cette ville, si importante pour le commerce. Depuis la décla-
ration de l'indépendance du Mexique, les bâtiments de guerre étrangers
ne sont plus admis auprès du château ; ils sont obligés de se tenir à environ
3 milles de là, à peine abrités des coups de vent par la petite île de Sacri-
ficios. La crainte d'une surprise a dicté cette mesure de précaution.
Sacrificios ou l'île des Sacrifices est un amas de sables accumulés sur
un banc de madrépores, dont cette partie de la côte est semée. Sa surface
est couverte de roseaux que le vent du nord, qui souffle constamment dans
ces parages, a tous inclinés du même côté. Son nom lui vient de ce que,
quand les Espagnols le découvrirent, il y avait sur sa pointe méridionale
un temple mexicain où l'on immolait des victimes humaines.
Les Mexicains vantent avec raison la vallée de Xalapa ou Jalapa; les
riches habitants de la Vera-Cruz vont y chercher la fraîcheur et tous les
charmes de la belle nature. Pendant environ 2 lieues, la route serpente
parmi les plus riches plantations; on descend rapidement, et l'on peut se
croire au milieu d'un jardin orné de tous les végétaux des tropiques : les
bananiers, les orangers et les cannes à sucre présentent une végétation
vigoureuse; le palma-christi, aux énormes et larges feuilles à plusieurs
pointes, s'élève presque à la hauteur des arbres, et les haies sont couvertes
Y.
42

330
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
d'un liseron aux fleurs d'un bleu éclatant, qui serpente au milieu des
ronces épineuses : c'est le fameux convolvulus jalapa, dont la racine fut
communiquée par les Indiens aux Européens comme un des purgatifs les
plus énergiques, et qui est généralement connu sous le nom de jalap.
Cette plante est d'une abondance extraordinaire, et forme un des plus
beaux ornements de la vallée à laquelle elle a donné son nom.
Au milieu d'une percée, on aperçoit la jolie ville de Xalapa ou Jalapa,
dont les blanches maisons semblent sortir des arbres, et s'opposent en
lumière sur l'azur de la montagne de Pérote. Celte cité , qui renferme
12,000 âmes, est la capitale de l'État de Vera-Cruz. On y remarque le
couvent des Franciscains, qui, à lui seul, forme comme une petite ville
renfermée dans la grande. L'ancienne forteresse de Pérote, regardée comme
une des clefs du Mexique, est située dans les environs de Jalapa.
Nous citerons encore dans cet État : Tuxtla, remarquable par le voisi-
nage de son volcan. Alvarado, petite ville maritime au sud-est de Vera-
Cruz. Orizaba, aussi célèbre par son volcan que par ses immenses plan-
tations de tabac; elle est à 130 kilomètres de Vera-Cruz, et renferme
16,000 habitants. Papantla, gros village indien remarquable par une
haute pyramide située au milieu d'une forêt de son voisinage. Acayucam,
à 190 kilomètres au sud-est de Vera-Cruz, est une petite ville qui prend
chaque jour plus d'importance. C'est à l'est de cette dernière ville, près du
bourg de Minatitlan, que coule, sur les confins des États de Vera-Cruz et
de Tabasco, le petit fleuve de Guazacualco, dans la vallée duquel passait
le tracé du chemin de fer qui devait aller aboutir à l'isthme de Tehuantepec.
L'État d'Oaxaca ou Ojaca est composé de l'ancienne intendance du
même nom; il renferme les deux anciens pays des Mitzèques et des Zapo-
tèques. Cette fertile et salubre contrée abonde en mûriers pour les vers à
soie; elle produit aussi beaucoup de sucre, de coton, de blé, de cacao et
d'autres fruits ; mais la cochenille est sa principale richesse. Ses montagnes
granitiques recèlent des mines d'or, d'argent et de plomb qu'on néglige ;
plusieurs rivières charrient du sable d'or que les femmes s'occupent à
chercher : on y recueille aussi du cristal de roche.
Oaxaca, capitale de cet État, reçut, au commencement de la conquête,
le nom d'Antequara. C'est l'ancien Huaxyacac des Mexicains. Bâtie sur les
bords du Rio Verde, à 330 kilomètres au sud-est de Mexico, elle tient un
rang parmi les plus belles villes du Mexique ; ses édifices sont construits
avec élégance et solidité : les principaux sont la cathédrale, le palais epis-
copal et le séminaire. Les deux premiers ornent les deux côtés de la prin-

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
331
cipale place. Cette ville est souvent exposée aux ravages des tremblements
de terre; on porte sa population à 40,000 âmes.
Oaxaca est située dans la délicieuse vallée que Charles-Quint donna aux
descendants de Cortez sous le titre de Marquisat de Valle. On y recueille
une laine très fine; des chevaux excellents y peuplent les riches pâturages
qu'arrose une belle rivière, et que rafraîchit une atmosphère tempérée et
humide. Mais ce qui fait surtout la richesse de cette contrée, c'est la coche-
nille que l'on y récolte. Aux environs d'Oaxaca on rencontre Talixtaca et
Huayapa, dont les jardins sont renommés ; Ella et Zachita, qui possèdent
de belles ruines. Les autres villes et lieux les plus remarquables sont Vil-
lata, qui possède de belles manufactures et des mines d'argent dans ses
environs. Tepozcolula, importante par son industrie et la culture de la
cochenille. Jamiltepec, petit port sur l'océan Pacifique.
Le port de Tehuantepec, situé à 260 kilomètres est-sud-est d'Oaxaca, sur
la côte de l'océan Pacifique, au fond du golfe et sur l'isthme de son nom, est
destiné à acquérir dans un avenir prochain une grande importance, lorsque
l'on aura terminé le chemin de fer qui doit unir les deux Océans. La dis-
tance à vol d'oiseau, d'une mer à l'autre, est de 220 kilomètres; le point
de partage des eaux sur le plateau de Tarifa, n'a que 200 mètres d'altitude.
Une compagnie anglo-américaine a obtenu du gouvernement mexicain
l'autorisation d'entreprendre cet important travail.
Lorsque, par suite de la découverte des gisements aurifères de la Cali-
fornie, et de la fièvre d'émigration qui s'empara d'une foule d'aventuriers,
la question de la communication entre les deux Océans eut de nouveau été
sérieusement agitée; on songea tout d'abord à établir un canal à travers
l'isthme de Tehuantepec. Cet isthme arrosé par le Guazacualco ou Huasacalco
et le Chimalpa ou Chiapa, qui versent leurs eaux dans les deux Océans,
devait, au premier abord, attirer l'attention publique : le pays était excel-
lent, le climat très-sain, la population suffisamment active, mais on recon-
nut que le Chimalpa n'était praticable, même pour les pirogues, que pendant
la saison des pluies. D'un autre côté, la navigation par la mer des Caraïbes
et le golfe du Mexique est redoutée des bâtiments qui viennent d'Europe
ou de l'Amérique septentrionale. Toute cette région manque de ports, et
l'on dut se borner à établir un chemin de fer ou une bonne route; c'est
provisoirement à ce dernier moyen que l'on s'eit, dit-on, arrêté. Cependant
nous apprenons 1 que le gouvernement Mexicain paraîtrait préférer à cette
voie, une ligne qui partirait de la Vera-Cruz, irait au lac Chapala, de la
1 Communication de M. Jomard à la séance de la Société de géograp. du7 mai 1852.

332
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
suivrait la rivière Mescala jusqu'à San-Blas, où elle porte le nom de Rio-
San-Yago ; le but serait de se rapprocher de Mazatlan et de San-Francisco,
beaucoup plus que par Tehuantepec, Nicaragua, Costa-Rica et Panama.
Les ruines des édifices, à Mitla, annoncent une civilisation très avancée;
les murs du palais sont décorés de grecques et de labyrinthes exécutés en
mosaïques, et dont le dessin rappelle les vases dits étrusques. Six colonnes
informes, mais d'une masse imposante, trouvées ici, sont les seules qu'on
ait découvertes parmi les monuments de l'Amérique.
L’État de Chiapas, formé d'une petite partie du Guatemala, est un pays
' situé sur le versant septentrional de la Cordillère, et renfermant des forêts
peuplées de pins, de cyprès et de cèdres. Longtemps il fut regardé comme
peu intéressant par les Espagnols, parce qu'il ne renferme aucune mine
d'or ou d'argent. Ciudad-Real, ou Chiapas-de-los-Espanoles, en est la capi-
tale; elle a autrefois porté les noms de Ciudad-de las-Casas et de Villa-
Réal. C'est une petite ville de 6,000 âmes, située sur le Zeldalès, à 800 ki-
lomètres de Mexico, dont le vertueux Las-Casas fut un des premiers
évêques. Chiapas-de-los-Indios est agréablement située sur la rive gauche
du Tabasco, rivière qui abonde en poissons. Le principal commerce de
celte petite ville est le sucre, que l'on cultive en grand dans ses environs.
Les Indiens de Chiapas formaient un État indépendant des empereurs de
Mexico. Cette république méritait peut-être la seconde place après celle de
Tlascala, pour les progrès de la civilisation ; elle se distinguait surtout par
son industrie manufacturière. Les Chiapanais suivaient le calendrier et le
système chronologique des Mexicains ; mais, dans leur mythologie, on
voyait figurer un héros déifié, nommé Votan, auquel un jour de la semaine
était consacré. C'est la seule ressemblance qu'avait cette divinité chiapa-
naise avec le Wodan des Saxons et VOdin des Scandinaves. Ce peuple se
défendit avec courage contre les Espagnols, et obtint de ces conquérants
une capitulation honorable. Heureusement le sol de Chiapas n'est pas riche
en mines : circonstance qui a valu aux indigènes le maintien de leur liberté
et des priviléges qu'on leur avait accordés.
Si Tuxtla, Texlla ou Texutla, peuplée de2,000 âmes-, si San-Bartolo-
meo-de-los-Remedios, San-Juan-Chamula et San Domingo-Comitlan,
sont des villes encore moins importantes que les deux Chiapas, San-Do-
mingo de Palenqué est un bourg qui mérite l'attention des archéologues
par les ruines curieuses que l'on trouve dans ses environs.
Ces ruines sont celles de Culhuacan, improprement appelée Palenqué,
située près du Micol, affluent du Tulija. Elles paraissen t avoir fait partie d'une

AMÉRIQUE. — MEXIQUE, TOPOGRAPHIE DES PROVINCES.
333
ville antique qui pouvait avoir 7 à 8 lieues de circonférence, et qui s'étendait
depuis la plaine arrosée par le Micol jusque sur une hauteur voisine.
Le gros village appelé Ocosingo présente aussi les vestiges d'une antique
cité appelée Tulha, qui renferme des monuments analogues à ceux de Mitla
et de Palenqué; cependant le savant voyageur français Waldeck a reconnu,
en 1834, que les ruines qu'il a étudiées près d'Ocosingo et dans le Yuca-
tan diffèrent sensiblement, par leur architecture et leurs hiéroglyphes, de
celles de Palenqué : le style en est aztèque pur, et Palenqué est jusqu'à
présent unique dans son genre. Le seul port de l'État de Chiapas est Soco-
nusco, remarquable par son volcan et encore plus par l'excellence du cacao
que l'on récolte dans ses environs; aussi comprend on l'importance que le
Mexique attachait à la possession du district de Soconusco, qui naguère
encore dépendait de la république de Guatemala.
L’État de Tabasco, formé de l'ancienne province de ce nom, est rempli
de forets où croissent des bois de teinture, et où rugissent des tigres mexi-
cains. Les terres en culture produisent du cacao, du tabac, du poivre et
du maïs. On n'y trouve que des villes sans importance. La capitale est San-
tiago de Tabasco, appelée autrefois Villa Hermosa de Tabasco. Sur une
petite île à l'embouchure du Rio-Guijalva, une jolie ville d'origine mexi-
caine, appelée Nuestra-Senora de la Vittoria, doit son nom à la victoire
que Fernand Cortez remporta près de ses murs sur les Mexicains.
La péninsule de Yucatan forme VÉtat de ce nom, appelé autrefois Inten-
dance de Mérida.
Hernandez et Grijalva y trouvèrent une nation civilisée, vêtue avec
quelque luxe, et qui habitait dans des maisons en pierre. Elle possédait des
vases, des instruments et des ornements en or. Quelques-uns de ces objets
étaient décorés d'une espèce de mosaïque en turquoise. Les téocallis ruisse-
laient du sang de victimes humaines1, Les indigènes parlent la langue maya.
Le pays, très-plat, est, dit-on, traversé par une chaîne de collines peu
élevées. Le climat est chaud, mais sec et salubre. Le pays abonde en miel,
en cire, en colon, dont on fait beaucoup de toiles peintes, en cochenille et
en bois de campêche. Ce bois est le principal objet de commerce. Les côtes
donnent beaucoup d'ambre gris. Les rivages de la péninsule sont comme
bordés d'un banc de sable qui s'abaisse presque régulièrement d'une brasse
par lieue. Les parties maritimes offrent partout un pays plat et sablonneux ;
il n'y a qu'une seule chaîne de terrains élevés, qui se termine par un pro-
montoire entre le cap Catoche et le cap Desconoscida. Les côtes sont cou-
1 Gomara : Historia de las Indias; ch. LI-LIV, ch. XLIX.

334
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
vertes de mangliers, liés ensemble par des haies impénétrables d'althéa et
de bambou. Le sol est rempli de coquillages marins. Les sécheresses, dans
le pays plat, commencent en février, et bientôt elles deviennent tellement
générales, qu'on ne trouve plus une goutte d'eau ; la seule ressource est
le pin sauvage, qui, dans son branchage large et épais, conserve de l'hu-
mîdité ; on en lire l'eau par incision. Sur la côte septentrionale, à l'em-
bouchure de la rivière Lagaitos, à 400 mètres du rivage, le navigateur
étonné voit des sources d'eau douce jaillir du sein de l'onde salée. On
nomme ces sources Bouches du Conil.
Mérida, la capitale, est une ville de 20,000 âmes, située dans une plaine
aride, et habitée par une noblesse peu riche. Campêche, sur le Rio-San-
Francisco, possède un port peu sûr, ce qui oblige les vaisseaux à mouiller
loin du rivage. Le sel que l'on tire de ses salines, la cire du Yucatan, le
bois de campêche et quelques toiles de coton alimentent le commerce de
cette ville de 15,000 âmes. Valladolid, à l'est de Mérida, cultive dans ses
environs des cotonniers d'une excellente espèce, dont le produit se vend
cependant à bas prix, parce qu'on ne sait pas, dans le pays, débarrasser le
coton de l'enveloppe qui le renferme, cette ville a environ 10,000 âmes.
L'île de Cozumel, proprement Acuçemil, était célèbre par un oracle où
se rendaient en foule les peuples du continent. On y adorait, avant l'ar-
rivée des Espagnols, une croix en bois dont on ignorait l'origine ; elle était
invoquée pour obtenir de la pluie, premier besoin de cette île aride.
Au sud de Mérida on trouve plusieurs bâtiments en pierre, assez sem-
blables à ceux de Palenqué ; l'un d'eux a 200 mètres sur chaque face; les
piliers, les murailles extérieures et les salles sont ornés de bas-reliefs en
stuc, représentant, des serpents, des lézards, des hommes tenant des palmes
et dansant en s'accompagnant du tambour.
Ainsi que nous l'avons dit, le Mexique forme aujourd'hui une confédé-
ration républicaine qui comprend 1 district fédéral, 21 États et 3 terri-
toires , c'est-à-dire provinces qui n'ont pas d'administration intérieure
indépendante, et sont régies au profit de l'Union fédérative. Chaque
État a son gouvernement particulier, ainsi que ses trois pouvoirs, exécutif,
législatif et judiciaire, distincts. Le district fédéral, Mexico, est le lieu qui
sert de résidence aux pouvoirs suprêmes de la confédération. Le pouvoir
exécutif de la confédération est confié à un citoyen qui prend le titre de
président des États-Unis mexicains ; il est suppléé par un vice-président ;
tous deux sont nommés pour quatre ans. Le pouvoir législatif est confié
à un Congrès général formé des deux Chambres, le sénat et les représen-

AMÉRIQUE.—MEXIQUE, TOPOGRΛΡHΙΕ DES PROVINCES.
335
tants. Le sénat se compose de deux sénateurs par chaque État ; il se renou-
velle, par moitié, tous les deux ans. La Chambre des députés se compose
d'un nombre de représentants qui varie selon la population des États; ils
sont élus pour deux ans. Le pouvoir judiciaire est exercé par une cour
suprême de justice, et par les tribunaux d'arrondissement et les audiences
de district. La religion catholique, apostolique et romaine est reconnue
comme seule religion de l'État. Quatre ministères se partagent l'adminis-
tration : 1° les finances, auxquelles sont annexés l'agriculture et le com-
merce ; 2° les relations extérieures et intérieures ; 3° la justice et les affaires
ecclésiastiques; 4° la guerre et la marine. La dette nationale du Mexique
était au commencement de l'année 1851 de 407,401,250 de francs, dont
151,370,000 pour la dette intérieure, et 236,031,250 pour la dette exté-
rieure.
Les revenus du Mexique s'élèvent, année moyenne, à 42,000,000 de
francs, qui sont entièrement absorbés par les dépenses. Ces revenus se
composent des droits de douane, qui montent à 30,000,000 de francs, et
sont presque absorbés par le payement de l'intérêt de la dette étrangère et
nationale. La loterie sert à payer les frais occasionnés par l'entretien de
l'Académie de San-Carlos. Les territoires de Colima, de Tlascala et de
Californie coûtent plus qu'ils ne rapportent à la confédération. En der-
nière analyse, les créanciers du Mexique sont maîtres des deux tiers des
revenus publics, et, avec le tiers qui lui reste, le gouvernement ne saurait
couvrir même la moitié des dépenses de son budget.
On ne saurait fixer, même approximativement, le chiffre du commerce
du Mexique ; tout le monde, dans ce pays, se livrant au négoce, la contre-
bande s'y faisant sur une grande échelle, et le gouvernement n'ayant pour
la réprimer sur 500 lieues de côtes qu'environ 400 hommes, c'est-à-dire
moins d'un homme par lieue, nous nous bornerons à dire que, pour ce qui
concerne la France, le montant de nos importations n'excède pas 30 mil-
lions. Depuis quelques années, l'industrie mexicaine a pris un dévelop-
pement considérable-, elle s'exerce surtout sur le tissage des cotons (mon-
tas), les draps grossiers, les étoffes de laine pour manteaux et couvertures,
les rebozos ou écharpes de coton ou de soie pour les femmes, la sellerie, la
chapellerie, la carrosserie et surtout l'orfèvrerie. Les mines du Mexique
forment aujourd'hui encore sa principale richesse ; elles sont destinées à
une production très-importante, depuis que le mercure des mines de ht
Sonora et de la Californie est livré au prix de 150 ou 200 fr. le quintal
au lieu de 750·, ce qui permettra de reprendre l'exploitation de plusieurs

336
LIVRE CENT QUATORZIÈME.
mines d'argent abandonnées. On estime à 175 millions de francs le ren-
dement des mines pendant l'année 1849-1850. C'est dans cette source de
richesses qui fait sa renommée, que le Mexique doit, par une exploitation
plus intelligente et plus active, trouver le moyen d'améliorer sa position
financière.
Les cadres de l'armée mexicaine se composent, en temps de guerre, de
12 généraux de division, 18 de brigade, et 16,417 hommes fournis par le
contingent de tous les États. Cette armée se divise en 12 corps d'infan-
terie, 13 de cavalerie et 1 d'artillerie. Mais aujourd'hui l'effectif de l'ar-
mée, y compris les milices actives, ne dépasse pas 8,000 hommes. Quant
à la marine, elle se compose de quelques pauvres bâtiments secondaires,
oubliés autrefois par les Espagnols, que le gouvernement laisse dépérir
dans ses ports.
Nous dirons, en terminant, que le Mexique fait de louables efforts,
depuis quelques années, pour entrer dans la voie du progrès ; il a auto-
risé une Compagnie anglo-américaine à établir un chemin de fer à travers
l'isthme de Téhuantepec ; déjà deux tronçons de chemins de fer sont en
construction, l'un à la Vera-Cruz, l'autre à Mexico ; des bateaux à vapeur
naviguent sur les lagunes de Tezcuco à Mexico ·, enfin, de cette dernière
ville jusqu'à Vera-Cruz, on a terminé une ligne de télégraphie électrique.
Mais ce n'est encore là que le premier pas ; le Mexique augmentera ses
revenus, en même temps que sa prospérité nationale, en abaissant les
droits, trop élevés, de son tarif douanier, en établissant des voies de com-
munication qui puissent relier entre eux les nombreux éléments de richesses
épars qu'il possède, enfin en faisant un appel aux colons européens, qui
donneront à l'industrie, et surtout à l'agriculture jusqu'à présent trop
négligée, une heureuse et utile impulsion.
TABLEAUX Statistiques de la confédération Mexicaine.
Statistique générale :
POPULATION
DETTE
SUPERFICIE.
POPULATION
REVENDS.
ARMÉE.
MARINE.
par lieues car.
PUBLIQUE.
12 rég. d'inf.
3 frégates
12 id. de cav
■2 bricks.
1 id. d'artil.
1 corvette,
143,770
7,200,000
51
407,401,250f. 42,000,000 f.
1 id. de génie lu bâti. inté.
1 id.

de sap
et douan.
lotal: 16,417 h.

ASIE. — TABLEAUX DU MEXIQUE,
337
TABLEAU des divisions politiques du Mexique, en 1851
NOM DU L ETAT ,
POPULATION
CAPITALE.
VILLES ET LIEUX REMARQUABLES.
DISTRICT OU TERRITOIRE.
EN 1851.
SUR LE GRAND OCEAN.
Pitic. — Arispe. — Sonora †. — Opala-Torin.
Etat de Sonora.
150,000
Urès
Opasura.. — Guaymas. — Bayoreca.
Lorélo. — Réal de San-Antonio. — S. Vin-
Territ. de Californie.
10,000
La Paz. . . . cente Ferrero.
Cinatoa-villa del fuerte-El Rosario. — Ma-
État de Cinaloa.. .
100,000
Culiacan.
. . zatlan. — Ocroni-Altata.
San-Blans. — Tepic. — Autlan. — Tolonilsco.
Id. de Xalisco. . .
600,000
Guadalaxara. — Lagos. — Kokuta. — Chapaca. — Mescala.
— Bolanos. — Acapeneta. — Tamatlan.
Solagua. — Tecoman. — Mihuacan, — Si-
Territ. de Colima. .
10,000
Colima. . .. nacantepec — Manzanillo.
Zamora. — Chilchole. — Cinapecuaro. —
Morelia
ou
État de Mechoacan.
365,000
Zitrcuaro. — Pazcuaro. — Ario — Apa-
Valladolid f. cingan. — Uraapan. — Telupan. — Jorullo.
Acapulco — Zacatula. — Huetamo. — Tu-
Id. de Guerrero. .
400,000
Chilpazingo tela dal Rio.
Puebla de los Tehuacan. — Tepla. — Cholula. — Tlapla. —
Id de Puebla. . .
700,000
Angelos † Acatlan. — Tepeaca.
Mitla. — Tepozcolula. — Tehuantepec. —
Tlacolula. — Chichicovi. — Pelâpa —
Id. de Oaxaca.
500,000
Oaxaca f.
Jumillepec. — Quiechapa. — S. Maria
Chimalapa. — Etla.
Ciudad de las Casas. — Tuxtla. — Chamula.
— Ocosingo. — Palenqué. — S. Domingo.
id. de Chiapas.
.
90,000
Chiapas.
— Tanala. — Comitlan. — S. Bartolomè.
Soconusco.
AU CENTRE.
S. Rosa de Cosariqui. S. José. — S Bartonico.
État de Chihuahua.
180,000
Chihuahua.
— S. Rosalia
Monclova — Parras. — Castanuela. — Nueva-
Id. de Cohahuila.
140,000
Saltillo. . .
Bitbao.
Linares. — Montemorelos — Cadéréita. —
Id. de Nouveau Léon
100,000
Monterey f.
Cerralba.
Villa-Feliz de Tamascula. — Mapimi. —
Cinco-Senores. — s. Juan del Rio. — Pa-
id. de Durango. . .
150,000
Durango +
pasquiaro. — Guarisamey. — Nombre de
Dios. — Juan Petrez.
Aguas - Calientes. — Mazapil. — Salado. —
Id. de Zacatecas.
.
200,000
Zacatecas.
Sombrercte — Atotonitco. — Fresnillo. —
Lagos. — Ojacatiente. — Xerès.
Aguayo. — s. Antonio Tula. — Réal de Ra-
San-Luis-Po
Id. de San-Luis. . .
300,000
mos. — Guadalcazar. — Catorce. — Rio-
tosi.
. . .
verde. — Valles. — Charcas.
Hidalgo. — Léon. — Silao. — Salamanca. —
Id de Guanaxato. .,
400,000
Guanaxato.
Selaya. — S. Felipe
San-Juan del Rio — Cadereita. — El Doctor.
Id. de Que retaro. . .
100,( 00
Queretaro.
— Toliman. — Jésus Maria.
Abuamantola.
Territ. de Tlascala. ..
10,000
Tlascala .
Guadalupe.
District Fédéral.
. ..
150 000
MEXICO ††.
Tlalpan. — Tacuba. — Zimapan. — Ixmiquil-
pan. — Atotomico. — Actopan. — Tula. —
Pachuca Ixtahuaca. — Guantitlan. —
Etat de Mexico.
800,000
Toluca.
Otumba. — Cuernaraca. — Suttepec. —
Tuspa. — Tasco. — Zacualpan. — Lerma.
Ixtlahuaca. — Tezcuco.
SUR L’OCÉAN ATLANTIQUE
Matamoros. — Soto la Marina. — Tampico
— Escandoa. — Mïer. — Et refugio. —
Etat de Tamaulipas.
150,000
Victoria..
Reynosa. — Camargo. — Guerrero. —
Laredo — Altamira. — Santillana. — San-
Carlos. — Padilla.
Vera-Cruz. — Jalamingo. — Mizantla. —
Perote. —Cordova. — Orizaba. — Al-
Id. de Vera-Cruz.
120,000
Jalapa.
varado. — Tuxtla. — Acayucan. — Goa-
zacuateo. — Panuco. — Papantla.
Villa Hermosa Baragantitlan. — Muluacan. — San Felipe.
Id. de Tabasco.
75,000
(Tabasco). — Tupilco. — St. Juan Batista de Tabasco.
d. de Yucatan.
500,000
Valladohd — Campêche. — Bacalar. —
Merida.
Vittoria. — Sizal.
Le signe †† indique archevêché, et le signe † évêché. — Les villes en italiques sont des ports de mer.
Y,
43

338
LIVRE CENT QUINZIÈME.
LIVRE CENT QUINZIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Amérique-Centrale. — Description
physique et politique.
Nous appellerons Amérique Centrale le grand isthme qui unit l'Amé-
rique du Nord à l'Amérique du Sud, et qui s'étend du nord-ouest au sud-
ouest, obliquement au méridien, sur une longueur de 360 lieues. Elle est
comprise entre le 8e degré et le 7e degré 32 minutes de latitude nord, et
entre le 84e degré 43 minutes et le 96e degré 36 minutes de longitude
occidentale du méridien de Paris. Baignée, à l'est, par les mers de Hon-
duras et des Caraïbes, dépendantes de la mer des Antilles, et à l'ouest par
le Grand-Océan, elle s'appuie, au nord, sur les États mexicains de Oaxaca,
Chiapas et Yucatan , et au sud , sur l'isthme de Panama, qui dépend de la
Nouvelle-Grenade. La superficie de l'Amérique-Centrale, en y comprenant
la colonie anglaise de Balize et le pays des Mosquitos, peut être évaluée à
26,650 lieues géographiques carrées, et sa population à 2,113,174 âmes,
blancs, Indiens et métis; les premiers n'entrant que pour un cinquième
dans ce nombre.
On évalue à 500 lieues géographiques l'étendue des côtes de l'Amérique-
Centrale ; elles sont plus profondément découpées sur la mer des Antilles
que sur le Grand-Océan-, sur la première de ces mers, elles forment le
golfe de Honduras et le golfe des Mosquitos, et sur la seconde le golfe de
Tehuantepec, les baies de Conchagua ou de Fonseca, de Papagayo et de
Nicoya. Le centre du pays est occupé par un plateau incliné vers le bassin
de l'océan Atlantique; ce plateau est formé par l'épanouissement d'une
chaîne de montagnes qui unit les Cordillères des Andes de l'Amérique du
Sud aux Montagnes-Rocheuses de l'Amérique du Nord. La chaîne des
Andes, après s'être abaissée dans l'isthme de Panama, se relève en entrant
dans l'Amérique-Centrale ; elle se tient constamment rapprochée de la
côte occidentale, et quelques-uns de ses sommets paraissent atteindre 3,000
mètres. Elle présente une longue suite de volcans (on en a compté 35),
généralement isolés, et M. de Humboldt observe à ce sujet, et avec raison,
que dans nulle partie du globe on ne trouve une communication si constante,
par des ouvertures, entre l'intérieur de la terre et l'atmosphère ; aussi le

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE-CENTRALE.
339
pays est-il sujet aux tremblements de terre. La Cordillère de l'Amérique-
Centrale offre du gneiss micaschite au sud, et au nord du gneiss grani-
tique. Sur le plateau central, encaissés à l'ouest par le faîte du plateau, et
de tous tes autres côtés par la Cordillère, se trouvent les deux lacs de
Managua et de Nicaragua, qui se déchargent dans la mer des Antilles par
le Rio San Juan ; le premier est à 50 mètres au-dessus du niveau de la
mer, et le second à 41 mètres ; le lac de Nicaragua renferme plusieurs îles,
Omelepec, la seule habitée, a deux pics très-élevés, dont l'un est un volcan
toujours en activité.
L'Amérique-Centrale est arrosée par plusieurs fleuves, dont le cours
offre encore beaucoup d'incertitudes-, ceux qui appartiennent au Grand-
Océan, sont peu considérables; nous citerons seulement le Rio-Sacateco-
luca ou Rio-Lempa, qui sort du petit lac de Guijar, dans la République de
San-Salvador ; le Sirano et le Choluteca, qui se jettent dans la baie de
Conchagua ou de Fonséca; la Tamarinda, que l'on pourrait unir par un
canal au lac de Managua, ce qui établirait une communication entre les
deux Océans-, enfin, le Guacalal, dont l'embouchure forme le petit port
d'Istapa. La mer des Antilles reçoit des cours d'eau plus importants: la
Sumasinta, ou Rivière de la Passion, qui naît dans le Guatemala, pour
aller se jeter dans le Rio-Terminos, au Mexique-, le Rio-Cazabon, qui tombe
dans Golfo Dolce, et en sort sous le nom de Rio Dolce, pour se jeter au fond
de la baie de Honduras; le Rio Grande ou Motagua, c'est le fleuve de
l’ Amérique-Centrale qui offre la plus longue ligne navigable ; l’Ulua ou
Unuella, dont le bassin renferme, dit-on, de grandes richesses minérales ;
la Rivière de Ségovie ou Herbias, dite aussi du Grand-Cap, parce qu'elle
se jette dans la merdes Antilles, au cap Gracias-a-Dios; le Rio-Escondido
ou Blew fields ; dans la partie supérieure de son cours, on le nomme Rio-
Lama, c'est le plus grand fleuve de l'Amérique-Centrale ; enfin, le Rio-
San-Juan. Ce fleuve prend sa source à l'endroit où il sort du grand lac de
Nicaragua ; après avoir reçu le San-Carlos, il traverse uu pays inculte, et
après plusieurs cascades, il entre dans la mer des Antilles.
L'attention publique a été, dans ces dernières années, fortement excitée
par le projet de communication entre les deux Océans, à l'aide du Rio-San-
Juan et du lac de Nicaragua. On pourrait, il est vrai, améliorer le cours de
ce fleuve, le remonter et traverser le lac dans toute son étendue, quoi qu'il
y ait parfois, sur cette petite mer d'une étendue de 385 lieues carrées, des
coups de mer d'une grande violence; mais il faudrait percer ou renverser
la muraille de 24 kilomètres qui existe entre le lac de Nicaragua et le

340
LIVRE CENT QUINZIÈME.
Grand-Océan ; puis, arrivé jusqu'â la mer, trouver un bon port, et il n'y
en a pas. Sept projets différents avaient été présentés : le premier consis-
tait à remonter le San-Juan dans la moitié de son cours seulement, et à se
rendre directement, par le bassin de son affluent, le San Carlos, au golfe de
Nicoya, où l'on trouve un mouillage passable; malheureusement les mon-
tagnes qui donnent naissance au San-Carlos sont beaucoup trop élevées,
et, à d'autres égards, impraticables. Le second conduisait dans le lac de
Nicaragua, jusqu'à l'embouchure du Nina, et rejoignait, par le bassin du
Tempisque, le golfe de Nicoya. Le troisième quittait le lac à l'embouchure
du Sapoa, et se dirigeait vers la baie des Salines. C'était, en apparence,
un point très-favorable; mais le terrain n'a pas encore été suffisamment
exploré. Le quatrième passait un peu plus au nord du lac, au port San-
Juan del-Sur, qui est beaucoup trop petit. Les trois derniers franchissaient
le lac dans toute son étendue, la rivière de Panaloya ou Tipitapa, qui offre
une chute d'eau de 4 mètres, et qui exigerait douze ou quinze écluses, le lac
Managua ou de Léon, et aboutissaient au Grand-Océan par la rivière de
Tamarinda, le port Realejo et la baie de Conchagua ou Fonseca; mais,
dans ce cas, il aurait fallu que le canal projeté prît ses eaux dans le lac lui-
même, et cette question n'est pas facile à résoudre, car le lac de Managua
est beaucoup plus petit qu'on ne l'a figuré sur nos cartes-, il est peu pro-
fond, et le volume de ses eaux est trop exigu pour satisfaire à l'alimentation
d'un canal. On a donc renoncé, provisoirement du moins, à la communi-
cation des deux Océans par le lac de Nicaragua et la rivière Saint-Jean.
L'Amérique-Centrale est un des pays les plus arrosés de tous ceux qui
sont situés entre les tropiques ; la surabondance de ses eaux se fait surtout
sentir pendant la saison des pluies, qui règne depuis le mois de juin jus-
qu'à celui d'octobre. Durant cet intervalle, les plus petites rivières se
changent en torrents impétueux, et l'humidité qui se répand ensuite dans
l'air rend alors pernicieux un climat naturellement très-chaud. Ces effets ne
se produisent cependant que dans les plaines basses qui s'étendent au long
de la mer des Antilles : entre les montagnes et sur les plateaux, on jouit
constamment d'une température plus ou moins douce ; dans la région mon-
tagneuse elle s'abaisse même à ce point que quelquefois on voit les hautes
plaines couvertes de givre pendant des heures entières.
C'est à la diversité de ses climats que l'Amérique-Centrale doit l'avan-
tage d'être riche en productions végétales de toutes les contrées et en fruits
d'un excellent goût; la vigne qu'on y a transplantée depuis peu d'années,
promet déjà de donner un vin excellent. Les productions les plus impor-

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE-CENTRALE.
341
tantes de l'agriculture pour le commerce, sont l'indigo, la cochenille, la
canne à sucre, le lin, le chanvre, le coton, le cacao, le tabac, l'indigo, qui
y est d'une qualité supérieure, et les épices; le bétail y est très-nombreux.
L'or et l'argent y sont les principaux métaux exploités; les autres richesses
minérales consistent en cuivre, fer, zinc, nickel, antimoine et plomb ; on
recueille le soufre qui flotte à la surface de plusieurs lacs. Les forêts de la
côte de la mer des Antilles sont très-riches en bois de teinture, tandis que
dans les montagnes d'immenses forêts de pins donnent en abondance le
goudron et le brai
Lorsqu'en 1524, Alvarado eut achevé la conquête de ce pays, les Espa-
gnols lui donnèrent le nom de Guatemala d'un district nommé par les natu-
rels Quauhitemallan, c'est à dire lieu rempli d'arbres. L'Amérique-Cen-
trale forma d'abord la capitainerie générale, puis le royaume de Guatemala,
relevant de la couronne d'Espagne. En 1521, le royaume suivit le mou-
vement des autres colonies espagnoles, et proclama son émancipation. Le
Guatemala fut alors incorporé au Mexique ; mais à la chute d'Iturbide, en
1823, il se forma en république indépendante, d'abord sous le titre de
Provinces-Unies de l'Amérique-Centrale, et quelques mois plus tard sous
celui de République fédérale de l'Amérique-Centrale. Cette république était
composée de cinq États portant le nom des provinces de l'ancien royaume
de Guatemala-, c'étaient les États de Guatemala, de San-Salvador, de Hon-
duras, de Nicaragua et de Costa-Rica. Cependant, des difficultés survinrent
entre les différents États, et le 17 avril 1839, d'un commun accord, la con-
fédération était dissoute. Les cinq États forment depuis lors autant de répu-
bliques indépendantes; cependant, nous observerons que les trois répu-
bliques de San-Salvador, de Nicaragua et de Honduras tendent à reconstituer
entre elles l'ancienne union fédérative, et que leur avenir, leur indépen-
dance même, dépend de cette union; car bien inférieurs à celle de Guate-
mala, en étendue et en population, et à celle de Costa-Rica en richesse et
en importance progressive, aucun de ces États n'a, pour marcher isolément,
l'unité politique ni la force matérielle suffisantes.
Nous comprendrons, dans la description topographique et politique des
républiques de l’Amérique-Centrale, celles de la colcmie anglaise de Balize
et de la côte dite des Mosquitos, qui en font physiquement partie.
La colonie anglaise de Balize ou de Honduras doit son origine au droit
qu'ont les Anglais de couper des bois de campèche et d'acajou sur la côte
orientale de l'Yucatan, dans le golfe de Honduras; elle est bornée au nord
par l'État mexicain de Yucatan, à l'est et'au sud par la république de Guate-

342
LIVRE CENT QUINZIÈME.
mala, et à l'ouest par le golfe de Honduras. On évalue sa superficie à
1200 lieues carrées, et sa population à 3,000 habitants, dont environ
500 blancs. Les côtes de la colonie sont basses et de difficile accès ; l'inté-
rieur est couvert d'immenses forêts vierges et de marais ; le principal cours
d'eau est la Balize que l'on peut remonter jusqu'à environ 300 kilomètres
de son embouchure Le chef-lieu de la colonie est Balize, dans une petite île
à l'embouchure de la rivière de son nom; cette petite ville, dont la popula-
tion est de 2 à 3,000 âmes, possède un bon port, centre de tout le com-
merce extérieur de la colonie. Colsonport, dans une des petites îles qui
avoisinent la côte, et Douglas, plus au nord, sont deux établissements
naissants; le fort Georges protége la colonie, qui expédie annuellement
à la métropole pour 5 millions d'indigo, de bois de campèche et d'acajou.
Balize est administrée par un surintendant nommé par la couronne, et par
un conseil colonial composé de sept membres; elle dépend du gouverne-
ment militaire de la Jamaïque. Les îles Rattan, Τurne f, Bonacca, Utilla et
autres, baignées par les eaux singulièrement transparentes du golfe de
Honduras, sont également occupées par les Anglais.
La République de Guatemala est bornée au nord et au nord-ouest par
les États mexicains de Yucatan et Chiapas-, à l’est elle s'appuie sur la
colonie anglaise de Balize; au sud, elle est baignée par l'océan Pacifique;
enfin elle ne touche que par sa frontière sud-est aux autres Étals de
l'Amérique-Centrale. On peut évaluer sa superficie à 6,557 lieues géogra-
phiques carrées et sa population à 935,000 habitants ; elle est partagée en
17 districts.
Guatemala, surnommée la Nueva ou Nueva-Guatemala, capitale de la
république, est située dans une vallée belle et fertile, dont la pente est
dirigée vers la mer. Assise sur une hauteur de 1,660 mètres au-dessus
du niveau de l'Océan, cette ville jouit, ainsi que ses environs, d'un cli-
mat délicieux; la température y rappelle sans cesse les plus beaux jours
du mois de mai. Il suffit cependant de parcourir ses environs dans un
rayon de 20 lieues, pour y éprouver l'influence des climats les plus variés.
Le volcan d’Agua, élevé de près de 5,000 mètres, fournit à cette capitale
la quantité de glace nécessaire à ses besoins. A quelques lieues de là, sur
la côte du Grand-Océan, l'atmosphère est aussi brûlante que sous l'équa-
teur. C'est à cette diversité de climats, dit un voyageur, que le pays doit
la variété de ses productions naturelles : aussi les marchés de la ville
sont-ils abondamment fournis de toutes les plantes potagères et des fruits
les plus délicieux. A la distance de 8 lieues se trouvent plusieurs coteaux

AMERIQUE. — AMÉRIQUE-CENTRALE.
343
volcaniques appelés Mastratons, aux environs desquels la terre est dans
une agitation continuelle. Cette contrée est cependant très-fréquentée,
parce qu'elle renferme d'excellentes sources d'eau minérale. La population
de Guatemala est d'environ 50,000 âmes. Ses rues, bien pavées, tirées au
cordeau, et larges de 12 mètres, sont toutes arrosées par un ruisseau
d'eau vive. La fréquence des tremblements de terre a fait adopter l'usage
de ne donner qu'un étage aux maisons. Chaque habitation possède un ou
plusieurs jardins, des cours d'eau, et des plates-formes avec des fon-
taines d'une eau fraîche et limpide. Ces cours et ces jardins sont ornés de
fleurs, de citronniers, d'orangers et de diverses plantes tropicales. La
place du marché, rafraîchie par un jet d'eau s’élevant au milieu d'un bassin
magnifique, est un carré régulier de 150 mètres, bien pavé et entouré de
portiques ; l'un de ses côtés est occupé par la cathédrale, édifice majes-
tueux , construit par un architecte italien. En face de ce temple se pré-
sente le palais de la régence, et un peu plus loin le palais de justice.
L'hôtel de la monnaie est d'une belle construction. Toutes les églises sont
remarquables par leur architecture. Elles spnt au nombre de 40. Mais ce
qui fixe surtout l'attention de l'étranger, c'est un bel amphithéâtre en
pierres, destiné aux combats de taureaux. Guatemala renferme environ
500 prêtres; elle possède une université où l'on enseigne la jurisprudence,
la théologie, la médecine, les mathématiques et les sciences naturelles.
Les bâtiments qui lui sont réservés répondent, sous tous les rapports, à
leur destination ; ils renferment, outre une bibliothèque, un musée d'ana-
tomie avec de précieux modèles en cire. Il existe dans cette ville une
académie des beauxarts. Guatemala-la Nueva a été bâtie en 1774, à la
suite d'un tremblement de terre qui détruisit l'ancienne ville du même nom.
Celle-ci que l'on désigne sous le nom de Guatemala-la-Vieja ou Anti-
gua-Guatemala, était appelée autrefois Santiago-de-los-Caballeros de-
Guatemala; elle offre à elle seule un exemple des catastrophes auxquelles
la nature semble réserver l’Amérique-Centrale. Située au pied du mont
d’Agua, à 10 lieues du Grand-Océan, elle remplaça, en 1524, la ville
antique d’Almalonga, qui avait servi de résidence aux rois Rachiquèles,
et que les feux souterrains avaient renversée. La nouvelle ville ayant été
fondée le jour de Saint-Jacques, reçut le surnom de Santiago ; mais placée
entre les deux volcans d'Agua et de Fuego, elle fut détruite, au bout de
20 ans, par les torrents de lave de l'un et les torrents d'eau bouillante de
l'autre Une partie de ses habitants fut même ensevelie sous ses ruines ;
ceux qui échappèrent à ce désastre, la rebâtirent un peu plus loin. Ils se

344
LIVRE CENT QUINZIÈME.
croyaient à l'abri des ravages des deux monts ignivomes, lorsqu'on 1775,
un tremblement de terre renversa la nouvelle ville. Avant cette terrible
catastrophe, Santiago-de-Guatemala était une des plus belles cités du Nou-
veau-Monde: de ses 38 églises il ne resta plus que sa cathédrale ; de ses
34,000 habitants 5,000 seulement persévérèrent à demeurer au milieu de
ses ruines; les autres allèrent fonder à 10 lieues au sud une nouvelle
ville sous le même nom. Guatemala-la-Vieja s'est cependant repeuplée au
point qu'elle compte aujourd'hui près de 20,000 individus. Guatemala-la-
Vieja est à 35 kilomètres au nord de Guatemala-la-Nueva.
Au sud-est de la nouvelle Guatemala on doit remarquer Amatitlan, ou
la ville des lettres, ainsi nommée à cause de l'habileté que les Indiens, ses
habitants, montraient à graver des hiéroglyphes sur l'écorce des arbres.
Dans le district de Quesaltenango on trouve de l'alun et du soufre très-fins.
Solola produit les meilleures figues de toute la république; il y a beaucoup
de filatures de coton. On y trouve deux volcans, l'un appelé Atitan , et
l'autre Solola. Le district de Suchilepeque, fertile en rocou, éprouve des
pluies excessives. Chiquimula 'de la Sierra à laquelle on accorde plus de
30,000 habitants. Tutonicapan, à 186 kilomètres de Guatemala, pos-
sède des sources minérales, fabrique des poteries et des lainages, et compte
12,000 âmes. Taclic, San-Maihéo, Salarna et Rabival sont importantes
par leur commerce et leur population. Gueyetlan et Istapa ou Indépendan-
cia, sont les seuls ports de la république sur le Grand-Océan; mais ils
s'ensablent de jour en jour; le dernier peut être considéré comme le port
de Guatemala sur cet Océan. Sur la mer des Antilles, la république ne
possède que le petit port d’Yzabal, qui approvisionne Guatemala distante
de 290 kilomètres des produits européens.
L'ancienne province de Vera-Paz fait partie de la république de Gua-
temala; elle confine au nord avec l'État mexicain d'Yucatan, et à l'ouest
avec celui de Chiapas. Il y pleut neuf mois de l'année. Le pays abonde en
fruits et en troupeaux. Dans les forêts on rencontre des arbres très-gros
qui jettent une odeur agréable, et d'où il coule une résine odoriférante
qui ressemble à l'ambre. On y recueille encore différentes espèces de baume.
de gomme, d'encens et du sang-dragon. Il y a des cannes de 30 mètres
de long, et si grosses que, d'un nœud à l'autre, on y trouve 25 livres
d'eau. Les abeilles y font un miel très-liquide, et qui, s'étant aigri, sert,
dit-on, au lieu de jus d'orange. Les forêts sont peuplées d'animaux sau-
vages, parmi lesquels on distingue le tapir ou danta. Lorsqu'il est furieux
il montre les dents comme le sanglier, et coupe, dit-on, l'arbre le plus

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE-CENTRALE.
345
fort. Sa peau a six doigts d'épaisseur, et, séchée, elle résiste à toutes sortes
d’armes. h s'y trouve aussi des ours très-gros.
Coban ou Vera-Paz, ville principale de la province, à 231 kilomètres au
nord-est de Guatemala surle Polochio est une petite ville de 15,000 habitants,
la plupart Indiens, dans laquelle on fabrique beaucoup de toile. Quesalte-
nango-del-Espiritu-Santo est commerçante, presque aussi peuplée que
Vera-Paz, et renferme de belles églises. Mixco, Quiché, Peten ou Reme-
dios , sont des lieux intéressants par les ruines qui s'élèvent aux environs;
la dernière ville est l'une des plus importantes forteresses de la Répu-
blique.
Le gouvernement de la république de Guatemala est démocratique,
électif et représentatif. La religion catholique est la religion de l'État. Les
pouvoirs suprêmes y sont confiés à un président élu par la nation , et qui
représente le pouvoir exécutif; à une chambre de représentants qu'élisent
les districts, et qui exerce le pouvoir législatif ; enfin à une cour suprême,
composée de sept membres, qui exerce le pouvoir judiciaire.
Le commerce de la république se fait par les ports d'Istapa et d'Izabal.
Les importations en 1849 se sont élevées à 2,230,227 francs, et les expor-
tations à 5,236,050 francs; ces dernières consistent en cochenille, en
cascarille, en cacao et en tabac; mais le commerce de Guatemala est pres-
que exclusivement entre les mains des Anglais, qui, de leur colonie de
Balize, commandent le golfe de Honduras.
Dans ces dernières années, les Belges ont acquis de la république de
Guatemala un vaste territoire situé au fond du golfe de Honduras, entre le
golfe Dulce, à l'ouest et le Rio-Grande ou Motagua à l'est; ils y ont. tenté
un essai de colonisation ; et aujourd'hui la colonie belge de Saint-Thomas
est en voie de progrès. On doit y établir de grandes cultures de denrées
coloniales pour en approvisionner la Belgique et ouvrir en même temps un
débouché à ses nombreuses fabriques.
La république de Honduras, située à l'est de celle de Guatemala , est
la plus considérable en superficie des républiques de l'Amérique centrale;
elle occupe une étendue de 3,686 lieues géographiques carrées, et l'on
évalue sa population à environ 308,000 âmes. Elle est partagée en 7 dis-
tricts ou partidos.
La république de Honduras est formée de l'ancienne province de ce
nom. Les premiers navigateurs espagnols, voyant des citrouilles flotter
en grand nombre sur le bord des rivières, lui donnèrent le nom de la côte
des Hibueras, c'est-à-dire des citrouilles. Comayagua, sa capitale, est
Y.
44

346
LIVRE CENT QUINZIÈME.
à 310 kilomètres de Guatemala sur l'Ulua ; elle portait autrefois les noms
de Nostra- Senora-de-la-Conception et de Valladolid; c'est une ville épis-
copale, avec une population de 18,000 âmes. Tegusigalpa, à l'est de la
capitale, est importante par sa population-, Choluleca, Olanehilo, Gracias-
a-Dios, Santa-Barbara et Yoro sont des chefs-lieux de districts ; Corpus
possède dans ses environs une des mines d'or le» plus riches de l'Amé-
rique-Centrale. Près de la rivière de Sibun on a découvert des cavernes ou
plutôt des galeries souterraines immenses qui ouvrent un passage sous
plusieurs montagnes, et qui paraissent avoir été creusées par d'anciens
courants.
Truxillo, sur le golfe de Honduras, à 355 kilomètres au nord ouest de
Comayagua, est le port principal de la république. C'est une petite ville
fortifiée qui compte à peine 1,000 habitants; elle partage tout le commerce
de l'État avec Omoa, autre petit port situé sur la même côte , à 134 kilo-
mètres au nord de la capitale ; mais ces deux villes sont insalubres. Nous
observerons que les Anglais, sous le prétexte de garantir une indemnité
qu'ils réclament pour leurs nationaux lésés, occupent dans ce moment le
port de Truxillo.
Copan, simple bourgade, est intéressante par les antiquités découvertes
dans son voisinage, sur le lieu même appelé Quirigua et sur la rive gauche
de la rivière de Motagua, qui se jette dans le golfe de Honduras, entre les
ports d'Omoa et de Saint-Thomas. Elles ont quelque ressemblance avec
celles de Palanqué, et consistent principalement en un grand cirque, situé
sur une petite éminence formée de cailloux. Au centre de ce cirque , dans
lequel on descend par des degrés très-étroits, s'élève une grande pierre
arrondie, dont le contour est chargé d'hiéroglyphes et d'inscriptions.
La ville de Xerez, près du golfe de Fonseca, remplie d'îles bien boisées,
est la plus méridionale de l'État de Honduras.
L'organisation politique et administrative de la république de Honduras
est en tout calquée sur celle de Guatemala ; un chef suprême de l’Etat,
faisant fonctions de président de la république, exerce le pouvoir exécu-
tif; un sénat et une chambre de représentants disposent du pouvoir exé-
cutif; et le pouvoir judiciaire est confié à une cour suprême de laquelle
dépendent les audiences ou tribunaux du district.
A l'est de la république de Honduras, s'étend, sur la mer des Antilles,
depuis l'embouchure du fleuve Saint-Jean au sud, jusqu'au cap de Gra-
gias-a-Dios au nord, et entre le golfe de Honduras et celui des Mosquitos,
une longue bande courbe de terre de 200 kilomètres de largeur, sur une

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE-CENTRALE.
347
longueur de 532 ; c'est la Mosquitia ou Territoire des Mosquitos, ainsi
nommée des peuplades indiennes qui errent dans ces contrées encore peu
connues.
Ce nom leur vient de la foule insupportable de mosquites ou mouches
à dard qui tourmentent ici les malheureux habitants, et les obligent à passer
une partie de l'année en bateau sur la rivière. L'intérieur du pays est occupé
par la nation sauvage et indomptable des Mosquitos-Sombos. Les côtes,
surtout près de Gracias-a-Dios, sont habitées par une autre tribu d'Indiens
que les navigateurs anglais ont appelés Mosquitos de la côte. En 1656, les
Indiens Mosquitos défendaient encore l'indépendance de leur territoire
contre les Espagnols, maîtres souverains de toute l'Amérique; mais, quel-
que temps après que la flotte envoyée par Cromwel eut conquis la Jamaïque,
le roi des Mosquitos, avec le consentement des principaux chefs et de son
peuple, se plaça sous la protection de l'Angleterre, qui accepta le protec-
torat et l'a maintenu jusqu'à nos jours, en le compliquant d'un achat de
la côte des Mosquitos, fait au roi actuel Robert Charles-Frédéric. Les
Anglais possèdent donc aujourd'hui la côte des Mosquitos, et exercent un
protectorat intéressé sur le reste de la contrée, malgré les réclamations de
la république de Honduras, qui revendiquait la Mosquita comme partie
intégrante de son territoire. Ce pays, qui est très-fertile, fournit en abon-
dance les bois de teinture et d'ébénîsterie, le cacao, l'écaille, la salsepareille
et le gingembre.
Comme à Balize, l'Angleterre établit des colonies et des métairies-, nous
citerons Carthago ou Croata, sur la lagune de Taratasca qui communique
avec la mer ; Poyas qui doit son nom à la tribu mosquite des Poyais ; Agua-
stla et Blew fields, à l'embouchure de la rivière du même nom, qui a long-
temps été le plus important des établissements anglais sur cette côte. Le
port de Saint-Jean de Nicaragua, point stratégique et commercial très-
important vient d'être occupé par les Anglais qui allèguent, ce qui est fort
contestable, que ce port fait partie du royaume des Mosquitos; ils ont d'ail-
leurs changé son nom et l'appellent Grey-Town. On évalue à 2,061 lieues
carrées la superficie, et à 4,000 la population de la Mosquitie anglaise.
La petite république de San-Salvador tire son nom d'une ville qui en est
la capitale. Elle est bornée par les États de Guatemala et de Honduras, et
baignée au sud par le Grand Océan. On évalue sa superficie à 830 lieues
carrées, et sa population à environ 363,000 habitants. Cette république,
qui est divisée en 4 districts ou partidos, a une organisation politique en
tout point semblable à celle de Honduras. Elle comprend le pays que les

348
LIVRE CENT QUINZIÈME.
naturels nomment encore Cuscatlan, c'est-à-dire pays de richesses, déno-
mination que justifient ses mines d'argent, de plomb, de fer, et ses produits
en indigo. Dans une jolie vallée, au milieu de belles plantations de tabac
et d'indigo, sur le bord du Bermenillo, et au pied d'un volcan auquel elle
donne son nom, s'élève la ville de San-Salvador. Quelques beaux édifices,
plusieurs manufactures, un commerce actif, et une population de 20 à
25,000 âmes, la placent au rang des principales cités de l'Amérique-Cen-
trale, mais elle a beaucoup à souffrir du terrible voisinage de son volcan.
Sonsonale ou Zonzonate, appelé aussi Trinidad, et encore Acajutla,
à 90 kilomètres à l'ouest de San-Salvador, est importante plutôt par sa
position avantageuse au fond d'une baie de l'Océan, à l'embouchure de
la rivière de Zonzonate, que par sa population : elle n'a que 3 à 4,000 âmes,
mais elle fait un bon commerce. Le nom de la rivière vient du mot indien
Zezonllall, qui signifie quatre cents sources, puisque, en effet elle est for-
mée d'un grand nombre de petites rivières.
San-Vicente, sur le flanc d'une haute montagne d'oû sortent des sources
minérales, a été presque entièrement détruite par un tremblement de terre,
en 1835. Conchagua et la Union, sur la baie de Conchagua, sont impor-
tantes, ainsi que le port de San-Miguel, situé au fond de la même baie, à
110 kilomètres au sud-est de San-Salvador. Elle renferme 8,000 habitants»
parmi lesquels on ne compte qu'un dixième de blancs. Près du lac Guija, le
bourg de Matapos, entouré de mines de fer et d'usines, pourrait passer
pou une ville : sa population est de plus de 4,000 âmes.
Nous citerons encore Santa Ana et la Libertad. Cette dernière petite ville
située sur la côte de l'Océan, paraît devoir être le port de San-Salvador, à
laquelle elle est reliée par une belle route.
Au sud de la république de San-Salvador et de Honduras, à l'ouest de
la côte des Mosquitos, et sur le Grand-Océan, s'étend la république de Nica-
ragua, pays très chaud, mais humide et fiévreux, surtout en septembre et
en novembre; pays boisé, fertile et riche en mille espèces de productions
végétales ; pays enfin où les orages et les tremblements de terre sont fré-
quents, principalement en hiver. Elle comprend les deux lacs de Nicaragua
et de Léon qui occupent presque le dixième de sa superficie. Celle ci est
évaluée à environ 5176 lieues carrées, et la population de la république
est de 400,000 habitants.
Parmi les nombreux volcans de ce pays, celui de Masaya, à 3 lieues
(castillanes) de Granada, et à 10de Léon, paraît le plus considérable; son
cratère, qui a une demi-lieue de circonférence et 250 brasses de profon-

AMÉRIQUE. - AMÉRIQUE-CENTRALE.
349
dour, ne rejette ni cendres ni fumée ; la matière enflammée qui y bouillonne
répand une clarté visible à plus de 20 lieues; elle ressemble tellement à de
l'or en fusion, que les premiers Espagnols la prirent réellement pour ce
métal, objet de leurs vœux, et que même leur téméraire avidité essaya,
mais en vain, de saisir avec des crochets de fer une partie de celte lave
singulière.
Le sol de la république de Nicaragua ne renferme aucune mine connue ;
mais il est fertile en toutes sortes de fruits, et ses prairies abondent en
gros et menu bétail, surtout en mules et en chevaux ; on en fait un grand
commerce, ainsi que de coton, miel, cire, anis, sucre, cochenille, cacao,
sel, poissons, ambre, térébenthine, huile de pétrole, différents baumes et
drogues médicinales. Les palmiers parviennent à des dimensions colos-
sales.
En traversant le district de Thousalès, au nord-ouest du lac Nicaragua,
on trouve de nombreux vestiges de villes détruites, et des idoles renversées
gisent encore sur le sol. Les vastes cimetières de l'île Omelépec, située au
milieu du lac de Nicaragua, feraient croire que les villes voisines avaient
choisi cet endroit pour y enterrer leurs morts. Les tombeaux ne sont pas
entourés d'un cercle de pierres comme les kalpouls des indigènes modernes :
ils sont dispersés irrégulièrement dans la plaine à la profondeur d'un mètre.
On y trouve des urnes en argile cuite, remplies de terre et d'ossements
très-altérés ; des vases couverts de peintures et de caractères grossiers; des
petites idoles et des ornements en or brut.
Léon, la capitale de la république de Nicaragua, est située à quelque
distance de l'extrémité nord-ouest du lac qui porte son nom, et près d'un
volcan dont les éruptions lui ont été souvent fatales. Celte cité doit son
importance à la population de ses faubourgs : on lui donne 38,000 habi-
tants. Son collége a été érigé en université dans le courant de 1822. Sa
cathédrale est le plus beau de ses édifices; mais aussi nous devons dire que
l'élégance et la régularité de son architecture pourraient la faire remarquer
dans une ville plus importante. Le commerce de Léon est florissant; il s'y
tient des marchés très-considérables. Ses habitants, riches, voluptueux et
indolents, ne tirent que faiblement partie de l'excellent port de Bealejo,
situé à 17 kilomètres au nord-ouest de Léon, sur le Grand-Océan, et qui
passe pour l'un des meilleurs de l'Amérique-Centrale. La ville de Nica -
ragua, ou Villa de la Purissima Concepcion de Rivas, siluée sur le lac qui
porte son nom, non loin du golfe de Papagaio, est le siége d'un évêché. Sa
population est de 13,000 habitants, et de 22,000 en y comprenant plu-

350
LIVRE CENT QUINZIÈME.
sieurs petits villages qui forment ses faubourgs. Granada et Masaya,
remarquables par leurs volcans, passent pour des villes considérables: la
première est à 158 kilomètres au sud de Léon, elle a 12,000 habitants, et
exporte de l'indigo, des peaux brutes et du sucre ; elle fut ravagée par les
flibustiers en 1680. Managua est sur le lac de Léon, qui est aussi appelé
quelquefois lac de Managua; c'est une ville commercante, de 20,000 habi-
tants. Concordia, ou San-Juan-del-Sur, est un petit port, sur le Grand-
Océan , qui prend chaque jour plus d'importance. Somoto, ou Nueva-
Segovia, est la ville la plus remarquable des districts du nord.
Les indigènes de Nicaragua parlent cinq langues différentes. La choro-
tèque paraît être celle de la principale tribu. Elle n'a aucune ressemblance
avec l'aztèque ou la mexicaine, qui avait été rendue commune avant l'ar-
rivée des Espagnols, par l'invasion d'une colonie aztèque. Ces nouveaux-
venus avaient seuls des livres en papier et en parchemin, dans lesquels ils
peignaient, avec des figures hiéroglyphiques, leurs rites sacrés et leurs
événements politiques. Il paraît que les Chorotèques ne connaissaient pas
l'écriture; ils comptaient dix huit mois et autant de grandes fêtes; leurs
idoles, différentes de celles des Aztèques, étaient honorées par un culte
aussi sanguinaire que celui de Mexico, et les hommes mangeaient de même
une partie de la chair des femmes, des enfants et des esclaves immolés par
les prêtres. Quoique sujettes à être offertes en sacrifice, les femmes exer-
çaient un grand pouvoir. Les Espagnols trouvèrent des palais et des
temples spacieux, environnés de maisons commodes pour les nobles; mais
la multitude vivait misérablement, et n'avait, dans plusieurs endroits,
d'autre asile que des espèces de nids placés sur les arbres. Des lois ou cou-
tumes non écrites réglaient la peine du vol et de l'adultère, ainsi que la
vente des terres. Les guerriers se rasaient la tête, à l'exception d'une
touffe de cheveux laissée sur le sommet. Les orfèvres travaillaient habilement
en or moulu. Les vieilles femmes exerçaient la médecine ; elles prenaient
dans leur bouche la décoction de certaines herbes, et la soufflaient à tra-
vers un bout de canne à sucre dans la bouche du malade. Les jeunes
mariées étaient souvent livrées aux seigneurs ou caciques avant la con-
sommation du mariage, et l'époux se trouvait honoré par ce sacrifice
servile 1.
Au sud-est de Nicaragua, entre les deux Océans, s'étend le territoire de
la république de Costa-Rica ; il mesure 2,140 lieues carrées. Elle confine,
à l'est, avec le territoire de la Nouvelle-Grenade, par un point au sud de
1 Gomara ; Historia de las Indias.

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE-CENTRALE.
351
l'île Escudo de Veraguas, sur l'Atlantique, et à partir de ce point par une
ligne aboutissant au cap Borica. Le territoire de la République se partage
en six provinces ; on évalue sa population à 100,174 habitants. L'État de
Costa-Rica n'a pas de mines, ce qui a fait dire qu'elle ne devait son nom
qu'à une ironie ; mais ses superbes bois de construction, ses riches pâtu-
rages, ses paysages pittoresques, expliquent assez l'intention de ceux qui
lui donnèrent ce nom; le bétail, et surtout les cochons, fourmillent ici
d'une manière extraordinaire. Dans le golfe de Salinas, ou de Nicoya, on
pêche le moHusque qui fournit la pourpre.
San-José-de Costa-Rica, ou Villa-Nueva-de-San-José, est aujourd'hui
la capitale de la république. Cette ville, percée de belles rues, arrosées par
des canaux et des fontaines, est la résidence d'un évêque, et renferme 20 à
25,000 habitants. Cartago, l'ancienne capitale, à 35 kilomètres au sud de
San-José, était autrefois très-commerçante ; mais elle a été complètement
ruinée par le tremblement de terre de 1841 : ces deux villes sont dans le
voisinage du volcan d'ïrasou ; Paraiso, au sud du lac de Nicaragua, en
compte six dans ses environs, celui d'Orosi paraît le plus redoutable.
Nicoya, dans la presqu'île qui ferme le golfe auquel elle donne son nom,
possède un petit port important et des chantiers de construction. Les villes
les plus remarquables de la république sont, après les précédentes, Héré-
dia, Alajuela, Guanacaste et Punta-Arenas, chefs-lieux de districts; la
dernière est le port principal de San-José; il a été déclaré port franc,
et il est relié à la capitale par une belle route charretière de 96 kilo-
mètres-, Escasu, Santa-Cruz, Bagas, Canas, au nord de San-José;
Estrella, Boruca, et Bocca di Toro au sud; cette dernière est un petit port
sur la mer des Antilles, et fait, ainsi que Matina et Salt-Creek, un com-
merce assez restreint de salsepareille, d'écaille de tortue et d'huile de cacao.
Le gouvernement de la république de Costa-Rica est représentatif, électif
et responsable; la religion catholique est seule reconnue. Un président et
un vice-président, élus pour six ans, exercent le pouvoir exécutif; le pouvoir
législatif est confié à une chambre ou congrès, composé de douze membres,
élus, comme le président et le vice-président, au suffrage universel, mais
au second degré. Le pouvoir judiciaire est exercé par une cour suprême de
justice, composée de sept membres. Le territoire de la république est
divisé en six provinces, chaque province en un ou deux cantons, et chaque
canton en districts paroissiaux. Cette petite république s'est toujours dis-
tinguée des républiques de l'Amérique-Centrale par une attitude ferme et
sage tout à la fois, aussi recueille-t-elle les fruits de sa sagesse. Le district

352
LIVRE CENT QUINZIÈME.
de Guanacaste, qui dépendait de la république de Nicaragua, fatigué des
troubles qui agitaient celle-ci, a demandé son annexion à Costa-Rica;
depuis 1843, la république s'est acquittée avec les prêteurs de fonds
anglais, et sa dette est nulle; ses revenus, qui s'élèvent annuellement à
600,000 francs, suffisent à couvrir les charges de l'État. Comme dans les
autres États de l'Amérique-Centrale, l'Angleterre possède presque seule le
monopole du commerce, qui représente annuellement, tant pour l'impor-
tation que pour l'exportation, une valeur de 2 millions de francs. Mais ce
commerce est destiné à prendre de plus grandes proportions, lorsque l'on
aura terminé la route aboutissant de San-José à la rivière Sarapiqui, l'un
des affluents du fleuve San-Juan ; car elle établira une commode communi-
cation entre les deux Océans. La force armée de la république se compose
d'une armée permanente de 5,000 hommes, y compris la cavalerie et l'ar-
tillerie, et de la milice; tous les citoyens de 15 ans à 60 ans font partie de
cette dernière.
Il ressort de tout ce que nous avons dit de l'Amérique-Centrale, que la
république de Guatemala est en décadence, qu'elle a une existence isolée;
que les trois États de Nicaragua, de Honduras et de San-Salvador, menacés
sans cesse dans leur indépendance par leurs démêlés avec l'Angleterre, qui
leur impose ses produits, n'ont d'autre chance de salut, dans l'avenir, que
dans une nouvelle association fédérative ; enfin que, seule, la république
de Costa-Rica grandit sous un gouvernement libéral, et donne aux autres
un exemple salutaire. L'Amérique-Centrale, par sa position exception-
nelle entre les deux Océans, par la fertilité de son sol, où se trouvent réunis
tous les éléments d'une grande prospérité agricole et commerciale, est
appelée à devenir, après la jonction des deux Océans, l'un des marchés de
consommation et de production les plus importants du monde entier.
TABLEAUX Statistiques de l'Amérique-Centrale.
Statistique Générale.
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION.
par lieues géog. carrées.
par lieues carrés.
26.G30
2,113,174
79

AMÉRIQUE CENTRALE. — TABLEAUX.
353
Détails :
SUPERFICIE.
NOMS DES ÉTATS
POPULATION.
CAPITALES.
DIVISIONS ET VILLES PRINCIPALES.
l'eues g. r.
17 Départements, savoir : Guate-
mala, 83,800 habilants ; Sacalle-
pec avec 39,200; Chimaltenango
avec 56,400 ; Solola avec 83,100
Toloniacanan avec 81,000 ; Gue-
guetenango avec 64,300 ; Quesal-
RÉPUBLIQUE
tenango avec 66,300 ; Saint-
6,557
935,000
Guatemala.
<
Marco Amalitan avec 89,100;
DE GUATEMALA.
Suchiltepeque avec 35,100; Es-
cuintla avec 13,400; Amalitan
avec 30,100 ; Santa—Rosa avec
34,000- Mita avec 65.900; Chi-
quimula avec 71,200 ; Vera-Paz
avec6.000; Solama avec l05,300,
Izabal avec 8,0 0.
4 Départements, savoir : San-Sal-
RÉPUBLIQUE
vador ou Cuscallan avec 4 dis-
DE
830
363,000
San-Salvador.
tricts; Sonsonate avec 5 ; San-
Miguel avec 4; San-vincente
SAN-SALVADOR.
avec 3.
5 Départements avec 16 districts :
Département Oriental avec 5.
RÉPUBLIQUE
5,176
400,009
Léon.
Méridional avec 5 ; Septentrional
DE NICARAGUA.
avec t; Nueva-Ségovia avec 1,
[
et Occidental avec 4 districts.
7 Départements. Comayagua avec
105,000 habitants; Tegucigalpa
avec 57.000;
Choluleca
avec
RÉPUBLIQUE 8,686
308,000
Comayagua
47,000; Olancho avec 57,000;
DE HONDURAS.
ι
Gracias avec 100,000; Santa-
Barbara avec 44,000 ; Yoro avec
40.000 habitants.
6 Départements : San-José avec
100,174
31749 habitants; Cartago avec
23,209 ; Héredia avec 17,289;
RÉPUBLIQUE
savoir :
2,140
San-José.
Alajuela avec 12,575; Guaua-
DE COSTA RICA.
90,174 blancs.
caste avec 9,112; Punta Arenas
10,000 Indiens.
avec 1,240.— Les tribus errantes
comptent environ 5,000 Indiens.
BALIZE
1,200
3000
Balize.
Aux Anglais qui occupent les ports
CÔTE
de Saint-Juan de Nicaragua
2,061
4,000
Blewfields.
(Grey-Town) et de Truxillo.
DE MOSQUITOS.
LIVRE CENT SEIZIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Description physique générale de
l'Amérique Méridionale.
Nous entrons dans la plus riche, la plus fertile, la plus salubre, la plus
pittoresque de toutes les péninsules du monde, et dans celle qui, sans
v.
45

354
LIVRE CENT SEIZIÈME.
l'Afrique, serait la plus étendue. C'est désigner l’Amérique méridionale,
qui serait plus légitimement et plus convenablement nommée tout court
Amérique, tandis que la reconnaissance attacherait à la partie septentrio-
nale le nom de Colombie. Les estimations des géographes portent l'étendue
de cette grande péninsule à 895,000 lieues carrées de 25 au degré équa-
torial. Près des trois quarts de cette étendue se trouvent dans la zone tor-
ride. La plus grande largeur entre le cap Saint-Augustin, au Brésil, et le
cap Blanc, au Pérou, est de 1,600 lieues. La longueur de la péninsule doit
être prise depuis la pointe Gallianas, voisine du cap Vela, en Terre-Ferme,
à 12 degrés latitude nord, jusqu'au cap Froward en Patagonie, à 54 degrés
latitude sud; elle sera alors de 1,650 lieues; mais l'on ne peut guère se
refuser de l'étendre 50 lieues plus au sud, jusqu'au cap Horn, dans la Terre
de Feu, à 56 degrés de latitude, car les îles qui composent la Terre de Feu
sont pour ainsi dire adhérentes à l'Amérique, et l'œil les en distingue à
peine en les considérant sur le globe terrestre.
.
La géographie physique de cette grande péninsule présente un ensemble
dont les traits sont faciles à saisir. Un plateau généralement élevé d'environ
4,000 mètres, couronné par des chaînes et des pics isolés, forme toute la
partie occidentale de l'Amérique méridionale-, à l'est de cette terre haute,
une étendue deux ou trois fois plus large de plaines ou marécageuses ou
sablonneuses, sillonnées par trois fleuves immenses et par de nombreuses
rivières; enfin à l'est une autre terre haute de moins d'élévation et de moins
d'étendue que le plateau occidental, voilà toute la péninsule. La race
Indo-Hispanique (Indiens et Espagnols) occupe ou réclame tout le plateau
occidental et la plus grande partie des plaines ; la race Indo-Lusita-
nique ( Indiens et Portugais) possède le plateau oriental. A l'exception
de la description des grands fleuves qui traversent plusieurs territoires, le
tableau physique général de l'Amérique méridionale peut se coordonner
avec les deux grandes divisions politiques.
Les Llanos sont des savanes ou plaines couvertes de pâturages, qui
s'étendent au-dessus de plaines basses et marécageuses jusqu'aux mon-
tagnes , et qui, sans être très-élevées, le sont assez pour n'être jamais enva-
hies par les eaux des fleuves qui les traversent.
On a cru longtemps à l'existence d'une grande chaîne au centre des
Llanos, et de ces montagnes imaginaires les géographes faisaient descendre
les fleuves de l'Amérique méridionale; mais les travaux géographiques
faits depuis par le colonel Codazzi ont prouvé qu'il existe au milieu des
Llanos un grand plateau dont la hauteur varie de 300 à 450 mètres, et qui

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
355
donne naissance à plus de quarante rivières coulant dans différentes direc-
tions. Elles ne sont d'abord à leur origine que de petits ruisseaux cachés
par des bouquets de palmiers de l'espèce appelée maurilia flexuosa; mais
à mesure que ces ruisseaux s'éloignent de leur source, on les voit se gros-
sir rapidement sans qu'aucun affluent visible ne vienne les alimenter. A
quelques lieues des talus qui les produisent, ils deviennent des rivières
navigables. Les unes descendent alors vers la mer des Antilles et le golfe
de Paria, et les autres vont se rendre dans l'Orénoque et dans l'immense
delta qu'il forme à son embouchure. Ce phénomène trouve son explication
dans la nature géognostique du sol qui forme le plateau dont nous venons
de parler.
A ce grand plateau appelé Mésa de Guanipa qui s'élève au centre des
Llanos, s'adossent plusieurs plateaux dont les espaces intermédiaires sont
parcourus par autant de rivières. Leur surface offre en général un sol aré-
nacé que recouvrent les hautes herbes des savanes. Dans la saison de l'hi-
vernage, dit M. Codazzi, les pluies s'infilrent à travers ce sol sablonneux
jusqu'à la couche argileuse qui les arrête. Ainsi concentrée, la masse d'eau
se fait jour par les talus latéraux, et filtre de toutes parts le long de leurs
bords. Des ruisseaux se forment et suivent la ligne de pente par les espaces
resserrés que les plateaux laissent entre eux ; les thalwegs qu'ils parcou-
rent, à la base des talus, leur fournissent sans cesse un nouvel aliment
par la filtration continuelle des eaux qui les minent: ce sont autant de
sources invisibles qu'ils rencontrent sous leurs pas, une sorte de crue
incessante et progressive qui bientôt les convertit en rivières pour les
répandre dans différentes directions, selon les obstacles qui déterminent
leurs cours.
Les majestueux fleuves de l'Amérique méridionale effacent, parla lon-
gueur de leur cours et la largeur de leur lit, tous ceux de l'ancien monde,
à l'exception du Nil dont le cours connu est de 1,234 lieues. Le superbe
Amazone revendique le premier rang.
Ce fleuve., que les Espagnols nomment Maranon et les indigènes Guièna,
ne prend le nom d'Amazone qu'au confluent de deux grandes rivières , le
Tunguragua et l’Ucayale, qui ont leurs sources dans les Andes. La pre-
mière sort du lac Lauricocha, et la seconde des monts Cailloma, sous le
nom d'Apurimac, qui prend celui d'Ucayale après s'être réuni au Beni.
Ses principaux affluents sont, sur la rive gauche, l’Ica, le Yupura et le
Rio-Negro ; sur la rive opposée, le Yavari, le Yutay et le Yurna. L’Ucayale
n'a pas moins de 200 lieues de cours; il reçoit la Mugua et le Rios-de-los-

356
LIVRE CENT SEIZIÈME.
Capanachuas à droite, et le Pachica à gauche. Il traverse des gorges de
montagnes d'un difficile accès, des forêts désertes et de vastes solitudes,
où sans doute son cours étale des beautés pittoresques.
Depuis San-Joaquin-d'Omaguas, l’Ucayale et le Tunguragua roulent
leurs ondes réunies à travers une immense plaine, où, de toutes parts,
les rivières tributaires apportent leurs eaux. Le Napo, le Yupura, le Parana,
le Cuchivara, le Yutay, le Puruz, seraient partout ailleurs des rivières
considérables; ici elles ne sont qu'au troisième et au quatrième rang. Le
Rio Negro, qui vient de la Terre-Ferme, et qui mérite le nom de grand
fleuve, est englouti dans le vaste courant de l'Amazone.
Jusqu'au confluent du Rio-Negro et de l'Amazone, les Portugais appel-
lent cette dernière Rio des Solimoens, ou rivière des Poissons ; elle ne
prend qu'ensuite le nom de rivière des Amazones, auquel plusieurs auteurs
à l'exemple des Espagnols, substituent la dénomination de Maranon ou
d’Orellana ; mais le nom poétique de l'Amazone nous paraît à la fois plus
harmonieux et plus exempt de discussion. Il s'entend de soi-même qu'en
l'adoptant, nous n'admettons pas la vérité historique de quelques relations
exagérées, où la bravoure d'une bande de femmes a servi de texte pour
renouveler les recits également exagérés des Grecs sur l'existence d'une
nation d'Amazones.
La rivière Madera ou des bois est le plus grand de tous les affluents de
l'Amazone; elle en est en quelque sorte une branche principale; elle vient
d'aussi loin que l'Ucayale, étant formée par le concours de la Mamore,
dont le principal bras, nommé Guapihi, vient de Cochabamba et de la
rivière des Chiquitos, nommée rivière de Santa-Madalena, ou Guaporé.
Les grandes rivières de Topayos et de Xingu viennent du même côté
que la Madera; elles se jettent dans l'Amazone; mais quant à la rivière de
Tocantins ou de Para, qui se grossit de l’Araguay, on doit regarder son
embouchure comme indépendante, quoique réunie à l'Amazone par un bras
de communication.
Depuis son confluent avec leRio-Negro jusqu'à l'Océan, l'Amazone a
315 lieues de cours; depuis la source de Tunguragua, il en a 1,035, y
compris ses grandes sinuosités; enfin si l'on faisait commencer le fleuve
aux sources les plus éloignées de l'Ucayale, il aurait 1315 lieues.
La largeur de ce fleuve varie d'une demi-lieue à une lieue dans la partie
inférieure de son cours ; sa profondeur surpasse cent brasses; mais depuis
son confluent avec le Xingu, et près de son embouchure, elle devient sem-
blable à une mer; l'œil peut à peine découvrir ses deux rivages à la fois.

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
357
La marée s'y fait sentir à une distance de 250 lieues de la mer. La Con-
damine pense que le gonflement est occasionné par la marée de la veille,
qui se propage dans la rivière. Près de l'embouchure on voit un combat
terrible entre les eaux du fleuve, qui tendent à se décharger, et les flots
de l'Océan, qui se pressent pour entrer dans le lit de la rivière. Nous en
avons déjà tracé la peinture. 1
Le second rang appartient, sans contredit, au fleuve que les Espagnols
ont nommé Rio-de-la-Plata, ou rivière d'argent. Il est formé par le con-
cours de plusieurs grands courants, parmi lesquels la Parana est regardée
comme le bras principal; aussi les naturels du pays donnent-ils ce nom
à tout le fleuve : le nom de la Plata vient des Espagnols. La Parana part
des environs de la Villa-del-Carmen, au nord de Rio-de-Janeiro ; grossie
d'une foule de rivières, elle coule à travers une contrée montagneuse. Ce
qu'on appelle la grande cataracte de Parana, non loin de la ville du Guayra,
est un long rapide où le fleuve, pendant l'espace de 12 lieues, se presse à
travers des rochers taillés à pic, et déchirés par des crevasses effroyables.
Arrivée dans les grandes plaines, la Parana reçoit du nord le Paraguay,
rivière très-considérable, qui prend sa source sur le plateau dit Campos-
Parexis, et qui, dans la saison pluvieuse, forme, par ses débordements,
le grand lac de Xarayes, lequel par conséquent n'a qu'une existence tem-
poraire. Le Paraguay, avant de se jeter dans la Parana, reçoit le Pilcomayo,
grande rivière qui vient des environs de Potosi, et qui sert à la navigation
intérieure et au transport des minerais. La rivière de la Plata reçoit encore
le Vermejo et le Salado du côté des Andes, et l’Uraguay du côté du Brésil.
Son cours majestueux égale en largeur celui de l'Amazone; son immense
embouchure pourrait même être considérée comme un golfe, puisqu'elle
approche de la Manche en largeur.
On compte pour le troisième grand fleuve de l'Amérique méridionale,
l’Orinoco ou l’Orénoque ; mais il est loin d'égaler les deux autres, soit par
la longueur, soit par la largeur de son cours. Suivant la Cruz d'Olme-
dilla, il prend sa source dans le petit lac d'Ypava, latitude nord 5 degrés
5 minutes; de là, par un détour en forme de spirale , il entre dans le lac
Parima, dont l'existence a été reconnue par don Solano, gouverneur de
Caracas, mais qui peut-être doit son origine à des débordements plus ou
moins temporaires. Si le pays était en plaine, nous comparerions la lac de
Parima à celui de Xarayes ; mais comme c'est au moins un pays de collines,
1 Volume Ier, p. 586.

358
LIVRE CENT SEIZIÈME.
nous pensons que ce fameux lac ressemble à la grande inondation presque
permanente que forme la rivière Rouge dans les Étais Unis.
Le lac Amven est l'origine du lac Parima ou Parime, et de la prétendue
mer Blanche de quelques anciens voyageurs. Aux mois de décembre et de
janvier, lorsque M. Schomburgh le visita, il avait à peine une lieue de
long et était à demi couvert de joncs. La rivière du Pirara sort du lac à
l'ouest-nord-ouest du village indien de Pirara et tombe dans le Maou. Ce
dernier naît au nord de l'arête de Pacarina, qui, dans la partie orientale,
n'a que 500 mètres d'élévation. Ses sources se trouvent dans un plateau
où la rivière forme line belle cataracte appelée Corona. Dans le mois d'avril
les savanes sont inondées, et offrent le phénomène particulier que les eaux
dérivées de deux systèmes -différents de rivières se mêlent ensemble. La
grande étendue qu'occupe cette inondation temporaire peut avoir donné
lieu à la fable du lac Parina. «Pendant le temps des pluies, ajoute M.Schom-
« burgh, une communication par eau pourrait être établie dans l'intérieur
« des terres de l'Essequibo au Rio-Branco et au grand Para. Quelques
« groupes d'arbres, placés sur des collines de sable, s'élèvent comme des
« oasis dans les savanes, et paraissent à l'époque des inondations des îlots
« épars dans un lac: ce sont là, sans doute , ces îles Ipomucena de don
« Antonio Santos. »
Après être sorti du lac d'Ypava par deux débouchés, à ce qu'on prétend,
l'Orénoque reçoit le Guyavari et plusieurs autres rivières, et entre dans
l'Océan à travers un large delta, après un cours de 270 ou tout au plus
de 300 lieues. A son embouchure il paraît néanmoins comme un lac sans
bords, et ses eaux douces couvrent au loin l'Océan. Ses ondes verdàtres ,
ses vagues d'un blanc de lait au-dessus des écueils, contrastent avec le
bleu foncé de la mer, qui les coupe par une ligne bien tranchée.
Le courant formé par l'Orinoco ou l’Orenoco, entre le continent de
l'Amérique du sud et l'île de la Trinité, est d'une telle force que les navires
favorisés par un vent frais de l'ouest, peuvent à peine le refouler. Cet
endroit, solitaire et redouté, s'appelle le golfe Triste. L'entrée en est formée
par la Bouche du Dragon. C'est là que, du milieu des flots furieux, s'élè-
vent d'énormes rochers isolés, «restes, dit M. de Humboldt, dans ses
« Tableaux de la Nature, de la digue antique renversée par le courant,
« qui joignit jadis l'île de la Trinité à la côte de Paria. » Ce fut à l'aspect
de ces lieux que Colomb fut convaincu, pour la première fois de l'existence
du continent de l'Amérique. « Une quantité si prodigieuse d'eau douce, »
ainsi raisonnait cet excellent observateur de la nature, « n'a pu être ras-

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
359
« semblée que par un fleuve d'un cours très prolongé. La terre qui donne
« cette eau doit être un continent, et non pas une île. » Mais ignorant la
ressemblance de physionomie qu'ont entre elles toutes les productions du
climat des palmes, Colomb pensa que le nouveau continent était la prolon-
gation de la côte orientale de l'Asie. La douce fraîcheur de l'air du soir, la
pureté éthérée du firmament, les émanations balsamiques des fleurs que la
brise de terre lui apportait, tout lui fit conjecturer qu'il ne devait pas être
éloigné du jardin d'Éden, ce séjour sacré des premiers humains. L'Orinoco
lui parut un des quatre fleuves qui, selon les traditions respectables du
monde primitif, sortaient du paradis terrestre pour arroser et partager la
terre nouvellement décorée de plantes 1.
L'Orinoco a plusieurs cataractes, parmi lesquelles M. de Humboldt a
distingué celles de Maypures et d'Astures. L'une et l'autre sont de peu
d'élévation, et doivent leur naissance à un archipel d'îlots et de rochers.
Ces rapides ou raudaVs, comme les Espagnols les appellent, présentent
des aspects très-pittoresques. « Lorsque du village de Maypures on des-
« cend au bord du fleuve, en franchissant le rocher de Manimi, on jouit
« d'un aspect tout à fait merveilleux. Les yeux mesurent soudainement
« une nappe écumeuse d'un mille d'étendue. Des masses de rochers d'un
« noir de fer sortent de son sein comme de hautes tours; chaque îlot,
« chaque roche se pare d'arbres vigoureux et pressés en groupe; au-dessus
« de l'eau est sans cesse suspendue une fumée épaisse; à travers ce
« brouillard vaporeux où se résout l'écume, s'élance la cime des hauts
« palmiers. Dès que le rayon brûlant du soleil du soir vient se briser dans
« le nuage humide, les phénomènes de l'optique présentent un véritable
« enchantement. Les arcs colorés disparaissent et renaissent tour à tour ;
« et, jouet léger de l'air, leur image se balance sans cesse. Autour des
« rocs pelés, les eaux murmurantes ont, dans les longues saisons des
« pluies, entassé des îles de terre végétale. Parées de drosera, de mimosa,
« au feuillage d'un blanc argenté, et d'une multitude de plantes, elles
« forment des lits de fleurs au milieu des roches nues. »
Les communications qui existent entre l'Orinoco et l'Amazone sont un
des phénomènes les plus remarquables de la géographie physique. Les
Portugais annoncèrent ce fait il y a plus d'un demi-siècle, mais les géo-
graphes à système se liguèrent pour prouver que de telles conjonctions des
1 Herrera : Historia de las Indias occidentales. Dec. 1, lib. III, C. XII, col. 1601.—
Jean-Baptista Munos : Histoire du Nouveau-Monde, s. p. 376.

360
LIVRE CENT SEIZIÈME.
fleuves étaient impossibles. Aujourd'hui l'on n'a plus besoin ni d'analogies
ni de raisonnements critiques. M. de Humboldt a navigué sur ces rivières,
il a examiné cette singulière disposition du terrain. Il est certain que
l'Orinoco et le Rio-Negro errent sur un plateau qui, dans cette partie, n'a
aucune pente décidée; aucune chaîne de montagne ne sépare leurs bas-
sins ; une vallée se présente, leurs eaux s'y écoulent et s'y réunissent:
voilà le fameux bras de Casiquiare, au moyen duquel MM. de Humboldt et
Bonpland ont passé du Rio-Negro dans l'Orénoque. Il existe, d'ailleurs,
encore plusieurs autres communications entre le Rio-Negro et divers
affluents de l'Amazone.
Quoique médiocrement large, l'Amérique méridionale renferme plu-
sieurs rivières et fleuves sans écoulement. Tel est, sur un plateau formé par
les Cordillères, le lac Titicaca, qui se décharge, à la vérité, dans le lac dit
das Aullagas ; mais ni l'un ni l'autre de ces lacs ne s'écoule dans la mer.
Dans le Tucuman et au sud-ouest de Buénos-Ayres, une immense plaine
tout à fait horizontale est sillonnée par des cours d'eau et des chaînes de
petits lacs qui se perdent dans les sables ou dans les lagunes.
Tels sont les grands détails de l'hydrographie de l'Amérique méridio-
nale, naguère soumise à l'Espagne. Passons à la description de la chaîne
des Andes, tout entière comprise dans la partie espagnole.
Les Andes, qui tirent leur nom du mot péruvien anti, signifiant cuivre,
et donné primitivement à une chaîne voisine de Cuzco, forment comme un
long rempart dirigé du nord au sud, et couronné de chaînes de montagnes,
tantôt placées dans le sens de la grande chaîne, tantôt dans une direction
transversale ou oblique, renfermant des vallées ou s'étendant en plateaux.
Cette terre haute suit les côtes de l'océan Pacifique à travers le Chili et le
Pérou; rarement elle s'en éloigne de plus de 10 à 12 lieues. Étroite vers
l'extrémité méridionale, elle s'élargit tout à coup au nord du Chili. Près de
Potosi et du lac Titicaca, elle a sa plus grande largeur, qui est de 60 lieues.
Près Quito, sous l'équateur, se trouvent les plus hauts sommets de cette
chaîne, qui sont au nombre des montagnes les plus élevées qu'on ait encore
mesurées sur le globe terrestre. A Popayan, la grande digue ou terre haute
se termine et se divise en plusieurs chaînes ; deux en sont les plus remar-
quables : l'une extrêmement basse, court vers l'isthme dont elle forme le
dos; l'autre s'approche de la mer des Caraïbes; elle en suit les côtes, et
paraît même, par un chemin sous-marin, se continuer jusque dans l'île de
la Trinité.
Considérons les diverses parties de ce vaste système. Dans l'impossibilité

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
361
de tracer une description méthodique complète, nous voyagerons avec
A. de Humboldt, La Condamine, Bouguer et Helm.
La chaîna qui borde les côtes septentrionales de la Terre-Ferme a, géné-
ralement parlant, 1,200à 1,500 mètres au-dessus de la mer-, les plaines
qui s'étendent à la base sont élevées de 200 à 500 mètres ; mais il y a
des sommets isolés qui s'élancent à une hauteur très-grande; la Sierra-
Nevada-de-Merida atteint 4,580 mètres, et le Silla-de-Caracas 4,515
mètres. Ces cimes sont couvertes de neiges éternelles; il en sort souvent
des torrents de matières bouillantes; les tremblements de terre n'y sont
pas rares. La chaîne est plus escarpée au nord qu'au midi ; il y a dans la
Silla de-Caracas un précipice effroyable de plus de 2,534 mètres. La sub-
stance des rochers de cette chaîne est de gneiss et de schiste micacé (comme
dans les branches inférieures des Andes) ; ces substances sont quelquefois
en lits d'environ 1 mètre d'épaisseur, et renferment de grands cristaux de
feldspath ; le schiste micacé présente souvent des grenats rouges et des dis-
thènes ; dans le gneiss de la montagne d'Avila, on trouve des grenats verts ;
on y rencontre aussi des nœuds de granit. Au sud, la chaîne est accompa-
gnée par des montagnes calcaires, qui s'élèvent quelquefois à un plus haut
niveau que les montagnes primitives, et qui renferment quelques rochers
de serpentine veinée et de stéatite bleuâtre. On peut donner à ce système de
montagnes le nom de chaîne de Caracas.
La chaîne granitique qui se dirige à travers l'isthme de Panama, mais
qui en mérite à peine le nom, n'a que 100 à 300 mètres d'élévation, et
semble même être tout à fait interrompue entre les sources du Rio-Atrato
et du Rio-San-Juan.
Dans la Colombie, depuis les 2° 30' jusqu'au 5° 15' de latitude boréale,
Ja Cordillère des Andes est divisée en trois chaînes parallèles, dont les deux
latérales seulement, à de très-grandes hauteurs, sont couvertes de grès et
d'autres formations secondaires. La chaîne orientale sépare la vallée de la
rivière de la Magdalena des plaines de Rio- Meta. Ses plus hautes cimes sont
le Paramo de la Summa-Paz, celui de Cingaza, et les Cerro's de San-
Fernando et de Tuquillo. Aucune d'elles ne s'élève jusqu'à la région des
neiges éternelles. Leur hauteur moyenne est de 4,000 mètres, par consé-
quent de 560 mètres plus grande que la montagne la plus élevée des Pyré-
nées. La chaîne centrale partage les eaux entre le bassin de la rivière de la
Magdalena et celui du Rio-Cauca ; elle atteint souvent la limite des neiges
perpétuelles; elle la dépasse de beaucoup dans les cimes colossales du
Guanacas, du Buragan et du Quindiu, qui sont toutes élevées de 4,900 à
V.
46

362
LIVRE CENT SEIZIÈME.
5,500 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. Au lever et au coucher du
soleil, cette chaîne centrale présente un spectacle magnifique aux habitants
de Santa-Fe, et elle rappelle, avec des dimensions plus imposantes, la vue
des Alpes de la Suisse. La chaîne occidentale des Andes sépare la vallée de
Cauca de la province de Choco et des côtes de la mer du Sud. Son élévation
est à peine de 1,500 mètres.
Ces trois chaînes de montagnes se confondent de nouveau vers le nord,
sous le parallèle de Menzo et d'Antioquia, par les 6e et 7e degrés de latitude
boréale. Elles forment aussi un seul groupe, une seule masse au sud de
Popayan, dans la province de Pasto. Il faut bien distinguer ces ramifica-
tions d'avec la division des Cordillères, observée par Bouguer et La Con-
damine, dans le royaume de Quito, depuis l'équateur jusqu'au 2e degré de
latitude australe. Cette division n'est formée que par des plateaux qui
séparent des montagnes placées sur le dos même des Andes ; le fond de ces
plateaux est encore à 2,750 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. Les
trois chaînes dont nous venons de parler sont, au contraire, séparées par
de grandes et profondes vallées, bassins des grandes rivières, dont le
fond est encore moins élevé au-dessus du niveau de l'Océan, que le lit du
Rhône ne l'est dans la vallée de Sion.
Les passages par lesquels on traverse ces chaînes, méritent notre atten-
tion. MM. Bouguer et de Humboldt nous en donnent une idée. La ville de
Santa-Fé de Bogota, capitale de l'ancien royaume de la Nouvelle Grenade,
est située à l'ouest du Paramo de Chingaza, sur un platequ qui a 2,645
mètres de hauteur absolue, et qui se prolonge sur le dos de la Cordillère
orientale. Pour parvenir de cette ville à Popayan et aux rives du Cauca, il
faut descendre la chaîne orientale, traverser la vallée de la Magdalena, et
passer la chaîne centrale. Le passage le plus fréquenté est celui du Paramo
de Guanacas, décrit par Bouguer, lors de son retour de Quito à Cartha-
gène des Indes. M. de Humboldt a préféré le passage de la montagne de
Quindiu ou Quindio, entre les villes d'Ibagua et de Cartago. C'est le plus
pénible que présente la Cordillère des Andes. On s'enfonce dans une forêt
épaisse, que, dans la plus belle saison, on ne traverse qu'en dix ou douze
jours, et où l'on ne trouve aucune cabane, aucun moyen de subsistance.
Le sentier par lequel on passe la Cordillère, le plus souvent réduit à la lar-
geur de moins d'un mètre, ressemble en grande partie à une galerie creusée
à ciel ouvert. Dans cette partie des Andes, comme presque partout ailleurs,
le roc est couvert d'une croûte épaisse d'argile. Les filets d'eau qui des-
cendent de la montagne y ont creusé des ravins. On marche en émissant

AMÉRIQUE.—AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
363
dans ces crevasses, qui sont remplies de boue, et dont l'obscurité est aug-
mentée par la végétation épaisse qui en couvre l'ouverture.
Les Quebrada’s sont tracées sur une échelle bien plus grande ·, ce sont
d'immenses fentes qui, partageant la masse des Andes, produisent une
solution de continuité dans la chaîne qu'elles traversent. Des mpntagnes
comme le Puy-de-Dôme seraient absorbées dans la profondeur de ces
ravins qui isolent les diverses régions des Andes, comme autant de pres
qu'îles au sein d'un océan aérien. C'est dans les Quebrada’s que l'œil
du voyageur épouvanté saisit le mieux la Cordillère. C'est à travers ces
portes naturelles que les grandes rivières descendent vers l'Océan.
En avançant de Popayan vers le sud, on voit, sur le plateau aride de la
province do los Pastos, les trois chaînons des Andes se confondre dans un
même groupe, qui se prolonge bien au delà de l’équateur. Ce groupe, dans
l'ancien royaume de Quito, offre un aspect particulier depuis la rivière de
Chota, qui serpente dans des montagnes de roche basaltique, jusqu'au
Paramo de l’Ossuay, sur lequel on observe de mémorables restes de l'ar-
chitecture péruvienne. Les sommets les plus élevés sont rangés en deux
files, qui forment comme une double crète de la Cordillère : ces cimes
colossales et couvertes de glaces éternelles ont servi de signaux dans les
opérations des académiciens français, lors de la mesure du degré équato-
rial. Leur disposition symétrique sur deux lignes dirigées du nord au sud
les a fait considérer par Bouguer comme deux chaînons de montagnes
séparées par une vallée longitudinale. Mais ce que cet astronome célèbre
nomme le fond d'une vallée est le dos même des Andes ; c'est un plateau
dont la hauteur absolue est de 2,700 à 2,900 mètres. Il ne faut pas confondre
une double crête avec une véritable ramification des Cordillères. C'est sur
ces plateaux que se trouve concentrée la population de ce pays merveil-
leux ; c'est là que sont placées des villes qui comptent 30 à 50,000 habi-
tants. « Lorsqu'on a vécu pendant quelques mois sur ce plateau élevé, où
« le baromètre se soutient à 0m,54, ou à 20 pouces de hauteur, on
« éprouve, dit M. de Humboldt, irrésistiblement une illusion extraordi-
« naire : on oublie peu à peu que tout ce qui environne l'observateur, ces
« villages annonçant l'industrie d'un peuple montagnard, ces pâturages
« couverts à la fois de troupeaux de lamas et des brebis d'Europe, oes
« vergers bordés de haies vives de duranta et de barnadesia, ces champs
« labourés avec soin, et promettant de riches moissons de céréales, se
« trouvent comme suspendus dans les hautes régions de l'atmosphère ; on
« se rappelle à peine que le sol que l'on habite est plus élevé au-dessus

364
LIVRE CENT SEIZIÈME.
« des côtes voisines de l'océan Pacifique, que ne l'est le sommet du Cani-
« gou au-dessus de la Méditerranée. »
En regardant le dos des Cordillères comme une vaste plaine bornée par
des rideaux de montagnes éloignées, on s'accoutume à considérer les iné-
galités de leur crête comme autant de cimes isolées. Le Pichincha, le
Cayambé, le Cotopaxi; tous ces pics volcaniques que l'on désigne par des
noms particuliers, quoiqu'à plus de la moitié de leur hauteur totale, ils
ne constituent qu'une seule masse, paraissent aux yeux de l'habitant de
Quito autant de montagnes distinctes qui s'élèvent au milieu d'une plaine
dénuée de forêts. Cette illusion est d'autant plus complète que les dente-
lures de la double crête des Cordillères vont jusqu'au niveau des hautes
plaines habitées: aussi les Andes ne présentent-elles l'aspect d'une chaîne
que lorsqu'on les voit de loin, soit des côtes du Grand-Océan, soit des
savanes qui s'étendent jusqu'au pied de leur pente orientale.
Les Andes de Quito forment la partie la plus élevée de tout le système,
particulièrement entre l'équateur et le 1er degré 45 minutes de latitude
australe. Ce n'est que dans ce petit espace du globe que l'on a mesuré
exactement des montagnes qui surpassent la hauteur de 6,000 mètres.
Aussi n'y en a-t-il que trois cimes : le Chimborazo, qui excéderait la hau-
teur de l'Etna placé sur le sommet du Canigou, ou celle du Saint-Gothard
placé sur la cime du pic Ténériffe ; le Cayambé et l'Antisana. Les traditions
des Indiens de Lican nous apprennent avec quelque certitude que la mon-
tagnede l'Autel, appelée par les indigènes Capa-Urcu, était jadis plus élevée
que le Chimborazo, mais qu'après une éruption continuelle de huit ans, ce
volcan s'affaissa : aussi son sommet ne présente-t-il plus, dans ses pics
inclinés, que les traces de la destruction
La structure géologique de cette partie des Andes ne diffère pas essen-
tiellement de celle des grandes chaînes de l'Europe. Le granit constitue la
base sur laquelle reposent les formations moins anciennes; il est à décou-
vert au pied des Andes, sur les bords de l'océan Pacifique, comme sur les
bords de l'océan Atlantique, près des bouches de l'Orénoque. Tantôt en
masse, tantôt en bancs régulièrement inclinés et parallèles, enchassant des
masses rondes où le mica domine seul, le granit du Pérou ressemble à celui
des Hautes-Alpes et de Madagascar. Sur cette roche, et quelquefois alterna-
tivement avec elle, se trouve le gneiss ou granit feuilleté. Il fait passage au
schiste micacé, et celui-ci au schiste primitif. La roche calcaire grenue, le
trapp primitif et le schiste chloritique forment des couches subordonnées
dans le gneiss et le schiste micacé; ce dernier, extrêmement répandu dans

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
365
les Andes, renferme souvent des couches de graphite, et sert de base à des
formations de serpentine qui alternent quelquefois avec la siénite. La crête
des Andes est partout couverte de porphyres, de basaltes, de phonolithes
et de roches vertes ; divisées en colonnes, toutes ces roches présentent de
loin l'aspect d'une immense suite de tours écroulées. L'épaisseur et l'éten-
due des roches schisteuses et porphyriques est le seul grand phénomène
par lequel les Andes diffèrent des montagnes de l'Europe : les porphyres du
Chimborazo ont 3,700 mètres d'épaisseur, sans mélange d'aucune autre
roche ; le quartz pur, à l'ouest de Caxamarca, 2,900, et le grès des environs
de Cuenca, 1,590. Ces roches forment toute l'élévation centrale des Andes,
tandis qu'en Europe le granit ou l'ancien calcaire constitue la cime des
chaînes. Les volcans se sont fait jour à travers ces bancs immenses, et en
ont couvert les flancs de pierres obsidiennes et d'amygdaloïdes poreuses.
Les volcans les plus bas jettent quelquefois des laves, mais ceux de la Cor-
dillère proprement dite ne lancent que de l'eau, des roches scorifiées, et
surtout l'argile mêlée de soufre et de carbone 1.
En pénétrant dans le Pérou, nous voyons les chaînes des Andes se
multiplier, s'étendre en largeur, et en même temps perdre leur élévation.
Le Chimborazo, comme le Mont Blanc, forme l'extrémité d'un groupe
colossal. Depuis le Chimborazo jusqu'à 420 lieues au sud, aucune cime
suivant M. de Humboldt, n'entre dans la neige perpétuelle. La crête des
Andes n'a que 3,100 à 3,500 mètres d'élévation. Depuis le 8e degré de
latitude australe, les cimes neigées deviennent plus fréquentes, surtout
vers Cuzco et la Paz, où s'élancent les pics d’Illimani et de Cururana.
Depuis le voyage de M. de Humboldt, on considérait le Chimborazo
comme le sommet le plus élevé de toute l'Amérique: sa hauteur est de 6,530
mètres; mais un voyageur anglais, M. Pentland, a reconnu que le point
culminant des Andes est le Nevado de Sorala, situé dans la Cordillère
orientale, vers le 15e degré 50 minutes de latitude méridionale : il a
7,696 mètres de hauteur.
Partout, dans cette région, les Andes proprement dites sont bordées à
l'orient par plusieurs chaînes inférieures. Les missionnaires qui ont par-
couru les montagnes de Chachapoya, celles qui bordent la Pampa-del-
Sacramento, celles qui forment la Sierra-de-San-Carlos ou le Grand-
Pajonal, et les Andes de Cuzco, nous les présentent comme couvertes de
grands arbres et de prairies verdoyantes ; par conséquent comme considé-
rablement inférieures à la Cordillère proprement dite. A l'égard de celle-
1 A. de Humboldt : Tableau des régions équatoriales, p. 122-130.

366
LIVRE CENT SEIZIEME.
ci, M. Helm, directeur des mines d'Espagne, a donné quelques notions
sur la partie la plus centrale , où l'on aperçoit encore très-visiblement ce
partage en deux crêtes parallèles que Bouguer avait observé plus au nord.
Selon lui, les flancs orientaux des Andes présenlent quelquefois du granit
rouge et vert, et du gneiss, entre autres, vers Cordova et Tucuman ;
mais la grande chaîne consiste principalement en schiste argileux, ou en
différentes espèces d'ardoise épaisse, bleuâtre, d'un rouge obscur, grise
ou jaunâtre; on y trouve aussi, de temps en temps, des lits de pierre à chaux
et de larges masses de grès ferrugineux. Une belle masse de porphyre
couronne la montagne de Potosi. Depuis cette ville jusqu'à Lima, leschiste
argileux dominait aux yeux de cet observateur; le granit y paraissait
quelquefois en longues couches ou en forme de boules; souvent la base
du schiste argileux était couverte de lits de marne, de gypse, de pierre
à chaux, de sable, de fragments de porphyre, et même de sel gemme.
Les observations accidentelles de M. Helm ne fournissent pas un coup
d'œil géologique complet, mais elles coïncident avec le tableau que nous
avons tracé, d'après M. de Humboldt, des Andes de Quito.
Les Andes du Chili ne paraissent pas le céder en hauteur à celles du
Pérou; mais leur nature est moins connue. Les volcans y semblent encore
plus fréquents. Les chaînes latérales continuent, mais la Cordillère paraît
n'offrir qu'une seule crête. Plus au sud, dans le nouveau Chili, la Cor-
dillère se rapproche si fort de l'Océan, que les îlots escarpés de l'archipel
des Huayatecas peuvent être regardés comme un fragment détaché de la
chaîne des Andes. Ce sont autant de Chimborazo et de Cotopaxi, mais
noyés aux deux tiers dans les abîmes de l'Océan. Sur le continent, le cône
neigé de Cuptana s'y élève environ à 2,900 mètres ; mais plus au sud, vers
le cap Pilar, les montagnes granitiques s'abaissent jusqu'à 400 mètres, et
même jusqu'à de moindres hauteurs.
Ainsi que nous l'avons dit ailleurs , les Andes du Chili sont composées
en grande partie de roches granitiques. Sur le revers oriental, on observe
de vastes dépôts de terrains diluvien et alluvien. Sur les granits et les
gnéis reposent des calcaires, parmi lesquels on voit des marbres de diffé-
rentes couleurs; des dépôts salifères, des porphyres et des basaltes se font
remarquer dans plusieurs localités. Ces montagnes étaient autrefois extrê-
mement riches en métaux précieux ; au commencement de ce siècle, M. de
Humboldt évaluait leurs produits à 2,800 kilogrammes d'or et à 6,800 d'ar-
gent. On y trouve des dépôts diluviens aurifères dont l'exploitation se fait
par le lavage. L'argent est fréquemment en veines dans le schiste; le

AMÉRIQUE. — AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
367
cuivre est le métal le plus abondant ; on en a trouvé des masses métalliques
de 50 à 100 quintaux. Mais on peut dire qu'en général tous ces métaux sont
mal exploités.
D'après les recits des navigateurs, on est tenté de regarder la plupart
des extrémités méridionales des Andes, sur le détroit de Magellan, comme
des masses de basalte qui s'élèvent en colonnes.
Les richesses métalliques dé la chaîne des Andes paraissent surpasser
celles de la Cordillère mexicaine; mais placées à une élévation plus grande
dans la région des neiges, loin des forêts et des terrains cultivés, les mines
jusqu'ici découvertes ne sont pas d'un aussi grand produit. Toutefois cette
observation, importante pour la politique, n'est rien moins que concluante
sous le rapport de la géographie physique; car, en supposant même que,
dans les Andes, on ne découvre point de mines à un plus bas niveau,
elles pourraient néanmoins y exister, et n'être dérobées à la vue et à l'ap-
proche que par quelques formations de roches superposées au schiste métal-
lifère en plus grande masse qu'au Mexique.
Les Andes, peu abondantes en roches calcaires, offrent très-peu de
pétrifications; les belemnites et les ammonites, si communes en Europe,
semblent inconnues. Dans la chaîne des côtes de Caracas, M. de Hum-
boldt trouva une grande quantité de coquillages pétrifiés qui ressemblaient
à ceux de la mer voisine. Dans la plaine de l’Orinoco l'on trouve des arbres
pétrifiés et convertis en brèche très-dure.
Il existe aussi des coquillages pétrifiés à Micuipampa et à Huancavelica,
à 4,000 et 4,400 mêtres d'élévation. D'autres monuments d'un ancien
monde se montrent à un niveau inférieur. Près de Santa-Fé se trouve,
dans le Campo-de-Giguante, à 2,670 mètres de hauteur, une immensité
d'os fossiles de grands pachydermes, tels que des éléphants et des masto-
dontes. On en a aussi découvert au sud de Quito et dans le Chili, de manière
qu'on peut prouver l'existence et la destruction de ces animaux gigantesques
depuis l'Ohio jusqu'aux Patagons.
La température, déterminée autant par le niveau que par la latitude,
offre ici des contrastes semblables à ceux que nous avons observés dans le
Mexique. La limite inférieure des neiges perpétuelles, sous l'équateur, est
de 4,794 mètres d'élévation; invariable et tranchée, cette limite frappe l'œil
le moins attentif. Les autres divisions climalériques se confondent davan-
tage. Cependant elles peuvent être définies d'une manière plus précise
qu’elles ne l’ont été jusqu'ici.
Les trois zones de température qui naissent en Amérique de l'énorme

368
LIVRE CENT SEIZIÈME.
différence de niveau entre les divers sols, ne sauraient nullement être com-
parées aux zones qui résultent d'une différence de latitude. L'agréable, la
salutaire variété des saisons manque aux régions qu'on distingue ici sous
les dénominations de froide, de tempérée cl de chaude. Dans la zone froide,
ce n’est pas l'intensité, mais la continuité du froid, l'absence de toute cha-
leur un peu vive, la constante humidité d'un air brumeux qui arrêtent la
croissance des grands végétaux, et qui, chez l'homme, perpétuent les mala-
dies nées de la transpiration interceptée et de l'épaississement des humeurs.
La zone chaude n'éprouve pas des ardeurs excessives ; mais c'est ici la
perpétuité de la chaleur qui, jointe aux exhalaisons d'un sol marécageux,
aux miasmes d'un immense amas de pourriture végétale, et aux effets
d'une extrême humidité, fait naître des fièvres plus ou moins pernicieuses
et répand, dans tout le règne animal et végétal, l'agitation d'une vie sur-
abondante et désordonnée. La zone tempérée, en offrant une chaleur modé-
rée et constante comme celle d'une serre chaude , exclut de ses limites et
les animaux et les végétaux qui aiment les extrêmes, soit du froid, soit du
chaud ; elle nourrit ses plantes particulières, qui ne peuvent ni s'élever au-
dessus de ses bornes, ni descendre au-dessous. Sa température, qui ne sau-
rait pas endurcir la constitution de ses habitants constants, agit comme le
printemps sur les maladies de la région chaude, et comme l'été sur celles
de la région froide: aussi un simple voyage au sommet des Andes jusqu'au
niveau de la mer ou dans le sens inverse, est une véritable cure médicale,
qui suffit pour opérer les changements les plus étonnants dans le corps
humain. Mais l'habitation constante dans l'une ou l'autre de ces zones doit
énerver les sens et l'âme par l'effet d'une tranquillité monotone. L'été, le
printemps et l'hiver sont ici assis sur trois trônes distincts qu'ils ne quit-
tent jamais, et qui restent constamment environnés des attributs de leur
puissance.1
La végétation offre un plus grand nombre d'échelles, dont il convient de
marquer les principales. Depuis les bords de l'Océan jusqu'à la hauteur
de 1,000 mètres, végètent les magnifiques palmiers, les musa, les heli-
conia, les theophrasta, les liliacées les plus odoriférantes, le baume de
Tolu, le quinquina de Carony. Le jasmin à large fleur, et le datura en
arbre, exhalent le soir leursdoux parfums à l'eniour de Lima, et, tressés
dans les cheveux des dames, reçoivent un nouveau charme, en relevant
leurs attraits. Sur les bords arides de l'Océan, à l'ombre des cocotiers,
1 Lefebvre : Traité de la fièvre jaune.— A. de Humboldt : Tableau des régions équa-
turiales.

AMÉRIQUE — AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
369
se nourrissent les mangliers, les cactus, et diverses plantes salines, entre
autres, le sesuvium porlulacastrum. Un seul palmier, le ceroxylon andi-
cola, fait divorce avec le reste de la famille, et habite les hauteurs de la
Cordillère, depuis 1,700jusqu'à 2,800 mètres d'élévation.
Au-dessus de la région des palmiers, commence celle des fougères arbo-
rescentes et du chinchona ou quinquina. Les premières cessent à 1,550
mètres, tandis que les secondes ne s'arrêtent qu'à 2,850. La substance
fébrifuge qui rend si précieuse l'écorce de quinquina se rencontre dans
plusieurs arbres d'espèce différente, et dont quelques-uns végètent à un
niveau très-bas, même sur les bords de la mer; mais le vrai chinchona ne
croissant pas au-dessous de 700 mètres, n'a pu dépasser l'isthme de Pana-
ma. Dans la région tempérée des chinchona croissent quelques liliacées ;
par exemple , le cypura et le sisyrinchium, les melastoma à grandes fleurs
violettes , des passiflores en arbres, hautes comme nos chênes du Nord ;
le thibaudia, le fuschia, et des alslrœmeria d'une rare beauté. C'est-là
que s'élèvent majestueusement les tnacrocnemum, les lysianlhus et les
diverses cucullaires. Le sol y est couvert, dans les endroits humides , de
mousses toujours vertes, qui forment quelquefois des pelouses aussi écla-
tantes que celles de la Skandinavie ou de l'Angleterre. Les ravins cachent
le gunnera, le dorstenia, des oxalis, et une multitude d’arum inconnus.
Vers les 1,740 mètres d'élévation se trouvent le porlieria, qui marque l'état
hygrométrique de l’air ; les citrosma à feuilles et fruits odoriférants, et
de nombreuses espèces de symplocos. Au delà de 2,200 mètres, la fraî-
cheur de Pair rend les mimoses moins sensibles, et leurs feuilles irritables
ne se ferment plus au contact. Depuis la hauteur de 2,600, et surtout
de 3,000 mètres, les acœna, le dichondra, les hydrocolyles, le nerteria
et l’alchemilla, forment un véritable gazon très-épais et très-verdoyant
Le mulisia y grimpe sur les arbres les plus élevés. Les chênes ne com-
mencent dans les régions équatoriales qu'au dessus de 1,700 mètres d'élé-
vation. Ces arbres seuls présentent quelquefois, sous l'équateur, le tableau
du réveil de la nature au printemps: ils perdent toutes leurs feuilles, et
on les voit alors en pousser d’autres, dont la jeune verdure se mêle à celle
des epidendrum qui croissent sur leurs branches. Dans la région équato-
riale, les grands arbres, ceux dont le tronc excède 20 à 30 mètres, ne
s'élèvent pas au delà du niveau de 2,700 mètres. Depuis le niveau de la
ville do Quito, les arbres sont moins grands, et leur élévation n'est pas
comparable à celle que les mêmes espèces atteignent dans les climats les
plus tempérés. A 3,500 mètres de hauteur cesse presque toute végétation
V.
47

370
LIVRE CENT SEIZIÈME.
en arbres, mais à cette élévation les arbustes deviennent d'autant plus
communs. C'est la région des berberis, des duranta et des barnadesia. Ces
plantes caractérisent la végétation des plateaux de Pasto et de Quito,
comme celle de Santa-Fé est caractérisée par les polymnia et les dalura
en arbres. Le sol y est couvert d'une multitude de calcéolaires, dont
la corolle à couleur dorée émaille agréablement la verdure des pelouses.
Plus haut, sur le sommet de la Cordillère, depuis 2,840 à 3,400 mètres
d'élévation, se trouve la région des wintera et des escallonia. Le climat
froid, mais constamment humide, de ces hauteurs que les indigènes nom-
ment Paramos, produit des arbrisseaux dont le tronc, court et carbonisé,
se divise en une infinité de branches couvertes de feuilles coriaces et d'une
verdure luisante. Quelques arbres de quinquina orangé, des embothrium
et des melasloma à fleurs violettes et presque pourprées, s'élèvent à ces
hauteurs. L’alstonia, dont la feuille séchée est un thé salutaire, la wintera
grenadienne et l’ escallonia tubar, qui étend ses branches en forme de para-
sol, y forment des groupes épars.
Une large zone de 2,040 à 4,150 mètres nous présente la région des
plantes alpines: c'est celle des stœhelina, des gentianes et de l’espeletia
frailexon, dont les feuilles velues servent souvent d'abri aux malheureux
Indiens que la nuit surprend dans ces régions. La pelouse y est ornée du
lobelia nain, du sida de Pichincha, de la renoncule de Gusman, de la
gentiane de Quito et de beaucoup d'autres espèces nouvelles. A la hauteur
de 4,150 mètres, les plantes alpines font place aux graminées, dont la
région s'étend 5 à 800 mètres plus haut. Les jarava, les stipa, une mul-
titude de nouvelles espèces de panicum, d’agrostis, d’avena et de dactylis,
y couvrent le sol. Il présente de loin un tapis doré, que les habitants du
pays nomment Pajonal. La neige tombe de temps en temps sur cette région
des graminées. C'est à 4,600 mètres que disparaissent entièrement les
plantes phanérogames. Depuis cette limite jusqu'à la neige perpétuelle,
les plantes lichéneuses seules couvrent des rochers; quelques-unes parais-
sent même se cacher sous des glaces éternelles.
Les plantes cultivées ont des zones moins étroites et moins rigoureuse-
ment limitées. Dans la région des palmiers, les indigènes cultivent le bana-
nier, le jatropha, le maïs et le cacaoyer. Les Européens y ont introduit la
culture du sucre et de l'indigo. Dès qu'on passe le niveau de 1,000 mètres,
toutes ces plantes deviennent rares, et ne prospèrent que dans des loca-
lités particulières; c'est ainsi que le sucre réussit même à 2,450 mètres,
Le café et le coton s'étendent à travers l'une et l'autre région. La culture

AMÉRIQUE- — AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
371
du blé commence à 1,000 mètres, mais elle n'est assurée qu'à 500 mètres
plus haut. Le froment croît le plus vigoureusement depuis 1,600 jusqu'à
2,000 mètres d'élévation. Il y produit, année commune, plus de 25 à 30
graines pour une. Au-dessus de 1,800 mètres, le bananier donne diffi-
cilement des fruits mûrs; mais la plante se traîne languissante encore à
800 mètres plus haut. La région comprise entre les 1,600 et 1,900 mètres
est aussi celle dans laquelle abonde le cocca ou l’erylhroxylum peruvianum
dont quelques feuilles, mêlées à de la chaux caustique, nourrissent l'In-
dien peruvien dans ses courses les plus longues dans la Cordillère. C'est de
2,000 à 3,000 que règne principalement la culture de divers blés de l'Eu-
rope et du chenopodium quinoa, culture favorisée par les grands plateaux
que présente la Cordillère des Andes, et dont le sol uni et facile à labourer
ressemble à des fonds d'anciens lacs. A 3,200 ou 3,400 mètres de hauteur
les gelées et la grêle font souvent manquer les récoltes du blé. Le maïs ne
se cultive presque plus au delà de 2,400 mètres. Passez à 600 mètres plus
haut, et vous verrez la culture de la pomme de terre; elle cesse à 4,150
mètres. Vers les 3,400 mètres le froment ne vient plus; on n'y sème que
de l'orge, et même elle y souffre beaucoup du manque de chaleur. Au-
dessus de 3,650 mètres cessenttoute culture et tout jardinage. Les hommes
y vivent au milieu de nombreux troupeaux de lamas, de brebis et de
bœufs, qui, en s'égarant, se perdent quelquefois dans la région des neiges
perpétuelles.
Pour compléter ce tableau physique de l'Amérique méridionale, nous
allons considérer la diversité des animaux qui vivent à différentes hauteurs
dans la Cordillère des Andes ou au pied de ces montagnes. Depuis le
niveau de la mer jusqu'à 1,000 mètres, dans la région des palmiers et des
scitaminées, on découvre le paresseux, qui vit sur les cecropia peltata ; les
boas et les crocodiles, qui dorment ou traînent leur masse affreuse au pied
du conocarpus et de Vanacardium caracoli. C'est là que le cavia capybara
se cache dans les marais couverts d’heliconia et de bambusa, pour se déro-
ber à la poursuite des animaux carnassiers; le tanayra, le crax, et les
perroquets perchés sur le caryocar et le lecythis, confondent l'éclat de
leur plumage avec l'éclat des fleurs et des feuilles ; c'est là que l'on voit
reluire Velater noctilucus, qui se nourrit de la canne à sucre; c'est là
que le cucuclio palmarum vit dans la moelle du cocotier. Les forêts de ces
régions brûlantes retentissent des hurlements des alouates et d'autres singes
sapajoux. Le jaguar ,1e felis concolor, et le tigre noir de l'Orénoque, plus
sanguinaire encore que \\e jaguar, y chassent le petit cerf ( C. mexicanus)

372
LIVRE CENT SEIZIÈME.
les cavia et les fourmiliers, dont la langue est fixée au bout du sternum.
L'air de ces basses régions, surtout dans les bois et sur les bords du fleuve,
est rempli de cette innombrable quantité de maringouins (mosquitos),
qui rendent presque inhabitable une grande et belle partie du globe. Aux
mosquitos se joignent l’œstrus humanus, qui dépose ses œufs dans la peau
de l'homme et y cause des enflures douloureuses; les acarides, qui sil-
lonnent la peau, les araignées venimeuses, les fourmis et les termes, dont
la redoutable industrie détruit les travaux des habitants. Plus haut, de
1,000 à 2,000 mètres, dans les régions des fougères arborescentes, pres-
que plus de jaguars, plus de boas, plus de crocodiles ni de la mentins, peu
de singes; mais abondance de tapirs, de pecaris et de felis pardalis.
L’homme, le singe et le chien y sont incommodés par une infinité de chiques
( pulex penetrans) qui sont moins abondantes dans les plaines. Depuis 2
jusqu'à 3,000 mètres, dans la région supérieure des quinquinas, plus de
singes, plus de cerfs mexicains ; mais on voit paraître le chat-tigre, les
ours et le grand cerf des Andes. Les poux abondent dans la Cordillère, à
' cette hauteur, qui est celle de la cime du Canigou. Depuis 3,000 jusqu'à
4,000 mètres se trouve la petite espèce de lion que l'on désigne sous le nom
de pouma dans la langue quichoa, le petit ours à front blanc et quelques
espèces peu connues que l'on range d'abord parmi les vivères. M. de
Humboldt a vu souvent avec étonnement des colibris à la hauteur du pic
de Ténériffe. La région des graminées, depuis 4 jusqu'à 5,000 mètres de
hauteur, est habitée par des bandes de vigognes, de guanaco et d'alpaca
dans le Pérou et de chilihuèque dans le Chili. Ces quadrupèdes, qui repré-
sentent ici le genre chameau de l'ancien continent, n'ont pu se répandre
ni au Brésil ni au Mexique, parce que, sur la route, ils auraient dû des-
cendre dans des régions trop chaudes. Les lamas ne se trouvent qu'en état
de domesticité ; car ceux qui vivent à la pente occidentale du Chimborazo
sont devenus sauvages lors de la destruction de Lican par l'inea Tupayu-
pangi. La vigogne préfère surtout les endroits où la neige tombe de temps
en temps. Malgré la persécution qu'elle éprouve, on en voit encore des
bandes de 3 à 400, sùrtout dans les provinces de Pasco, aux sources de
la rivière des Amazones, dans celles de Guailas et de Caxatambo, près
de Gorgor. Cet animal abonde aussi près de Huancavelica , aux environs
de Cusco, et dans la province de Cochabamba, vers la vallée de Rio-Coca-
tages. On l'y trouve partout où le sommet des Andes s'élève au-dessus de
la hauteur du Mont-Blanc. La limite inférieure de la neige perpétuelle est,
pour ainsi dire, la limite supérieure des êtres organisés. Quelques plantes

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
373
licheneuses végètent encore sous les neiges ; mais le condor (vultur gry-
phus) est le seul animal qui habite ces vastes solitudes. M. de Humboldt
l'a vu planer à plus de 6,500 mètres de hauteur. Quelques sphinx et des
mouches, observés à 5,900 mètres, lui ont paru portés involontairement
dans ces régions par des courants d'air ascendants 1.
A cette distribution du règne animal, d'après l'élévation du sol, on
pourrait joindre un aperçu des limites purement géographiques que cer-
tains animaux ne franchissent pas. C'est un phénomène très-frappant que
celui de voir les alpaca, les vigognes, et les guanaco suivre toute la chaîne
des Andes, depuis le Chili jusqu'au 9e degré de latitude australe, et de
ne plus en observer depuis ce point au nord, ni dans l'ancien royaume de
Quito ni dans les Andes de la Nouvelle-Grenade. Les écrivains du pays
attribuent ce fait à l'herbe ichos, que ces animaux préfèrent à toute autre
nourriture, et qu'ils ne trouvent pas hors les limites marquées. L'autruche
de Buenos-Ayres, ou plutôt le nandu ( rhea americana), présente un phé-
nomène analogue. Ce grand oiseau ne se trouve pas dans les vastes plaines
de Parexis, où cependant la végétation paraît devoir ressembler à celle
des Pampas ; mais peut-être les plantes salines y manquent-elles. D'autres
différences seront indiquées dans les descriptions particulières.
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Description particulière des trois répu-
bliques Colombiennes de la Nouvelle-Grenade, de Venezuela et de l'Equateur.
Les premiers Espagnols qui visitèrent les côtes de l'Amérique du Sud,
depuis l'Orénoque jusqu'à l'isthme, la désignèrent habituellement sous le
nom général de Terre-Ferme. Le roi Ferdinand imposa à la partie occi-
dentale le nom de Castille-d'Or ; mais bientôt cette dernière dénomination
se perdit, et, à mesure que le reste du continent fut découvert, la première
dut paraître impropre. Cependant le nom de Terre-Ferme resta longtemps
aux contrées situées sur l'isthme; et les provinces espagnoles, situées au
nord de l'Amérique du Sud, formèrent la vice-royauté de la Nouvelle-Gre-
nade et la capitainerie générale de Caracas. En 1819, elles secouèrent le
1 A. de, Humboldt ·. Tableau des régions équatoriales.

374
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
joug espagnol, à la voix de Simon Bolivar, le libérateur, et se constituèrent
en république indépendante, sous le nom de Colombie.
La Colombie, baignée par les deux Océans, s'appuyait, au sud, sur la
Guyanne anglaise, le Brésil et le Pérou, et avait une superficie de 143,673
lieues carrées. Divisée en départements, provinces et districts, sa capitale
était Santa-Fé de Bogota, mais cette ville devait céder ce rang à une cité
fédérale, que l'on se proposait de fonder sous le nom de Bolivar.
La république colombienne ne survécut pas même à son fondateur-, en
1830, Bolivar mourut, sans avoir pu conjurer les difficultés immenses
qui résultaient d'une émancipation hâtive et mal préparée, et après
avoir vu proclamer l'indépendance des trois nouvelles républiques, de la
Nouvelle-Grenade, de Venezuela et de VÉquateur, qui se formèrent du
démembrement de la Colombie.
La Nouvelle-Grenade est le seul pays de l'Amérique du Sud qui soit
baigné par les deux Océans-, elle est bornée, au nord, par la mer des
Antilles ; à l'est, par la république de Venezuela; au sud, par la république
de l'Equateur, et à l'ouest, par le Grand-Océan et la république de Costa-
Rica dans l'Amérique-Centrale. Sur une étendue de 35,000 lieues carrées
que comprend la Nouvelle-Grenade, il y a une population qui ne s'élève pas
au-dessus de 1,800,000 âmes,d'après les nouveaux recensements. Cette po-
pulation se compose de blancs, Hispano-Américains et étrangers, d'Indiens,
et de nègres ou hommes de couleur ; on n'y compte presque plus d'esclaves.
Le territoire est naturellement divisé en trois parties, l'isthme de
Panama, la région montagneuse ou des Andes, et les plaines ou llanos
de l'est; il offre une extrême diversité de climats. Tempéré, froid, même
glacé, mais très sain sur les plateaux élevés, l'air est brûlant, étouffé, pes-
tilentiel sur les bords de la mer et dans quelques vallées profondes de l'in-
térieur. A Carthagène et à Guayaquil, la fièvre jaune est endémique. La
ville de Honda, quoique élevée dé 300 mètres au-dessus du niveau de la
mer, éprouve, par la réverbération des roches, une telle chaleur, que l'on
n'oserait poser la main sur une pierre, et que les eaux du fleuve de la Mag-
dalena acquièrent la température d'un bain tiède. Les pluies y sont conti-
nuelles pendant l'hiver, qui est déterminé par la position des lieux, au nord
et au sud de l'équateur. Quelques endroits y jouissent d'un printemps per-
pétuel. La crête des Andes s'enveloppe souvent de brouillards épais, la
baie de Choco est tourmentée par de continuels orages. La Nouvelle-Gre-
nade est dans une des plus heureuses situations hydrographiques ; touchant
à l'ouest au Grand-Océan, au nord à la mer des Antilles, et pouvant com-

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
375
muniquer, à l'orient, à l'océan Atlantique par l'Orénoque, qui baigne
sa frontière, et par plusieurs affluents des Amazones, tels que le Rio-
Negro, le Guapeo et le Yapura. L'isthme et la côte de l'océan Pacifique
ne possèdent que de petits fleuves torrentiels. La disposition orographiqne
du sol forme, dans la région des Andes, trois vallées étroites inclinées vers
la mer des Antilles, et sillonnées par l’Atrato qui afflue au golfe de Darien,
la Cauca et la Magdalena, qui se réunissent à 200 kilomètres au-dessus de
leur embouchure. Elles coulent chacune au fond d'une vallée profonde
des Andes. Le cours du Cauca est embarrassé par des rochers et des
rapides; mais les indiens les franchissent en canots. La Magdalena est
navigable jusqu'à Honda, d'où l'on ne parvient à Santa-Fé que par des
chemins affreux, à travers des forêts de chênes, de mélastomes et de
quinquinas. La fixité de la température dans chaque zone, l'absence de
l'agréable succession des saisons, peut-être aussi les grandes catastrophes
volcaniques auxquelles le haut pays est fréquemment exposé, y ont diminué
le nombre des espèces. A Quito, à Santa-Fé, la végétation est moinsvariée
que dans d'autres régions également élevées au-dessusde l'Océan. On trouve
dans les Andes de Quindiu et dans les forêts tempérées de Loxa des cyprès,
des sapins et des genévriers : les pyramides neigées s'y élèvent au milieu
de styrax, de passiflores en arbres, de bambosas et de palmiers à cire. Le
cacao de Guayaquil est très-estimé ; on a même essayé, dans les environs
de cette ville, des plantations de caféier qui ont très-bien réussi. Le coton
et le tabac sont excellents. On y récolte beaucoup de sucre ; et ce qui paraît
surprenant, c'est que la plus grande quantité est produite, non pas dans
les plaines, sur les bords de la rivière de la Magdalena, mais sur la pente
des Cordillères, dans une vallée, sur le chemin de Santa-Fé à Honda, où,
suivant les mesures barométiques de M. de Humboldt, le terrain a depuis
1,200 jusqu'à 2,050 mètres au-dessus du niveau de la mer. On y fait de
l'encre avec le suc exprimé du fruit de l’uvilla (cesirum tinctorium) ; un
ordre du gouvernement espagnol enjoignait aux vice-rois de n'employer,
pour les pièces officielles, que le bleu d'uvilla, parce qu'il est plus indes-
tructible que la meilleure encre de l'Europe.
Les productions minérales sont riches et variées. On voit dans la vallée
de Bogota des couches de charbon de terre à 2,480 mètres de hauteur au-
dessus du niveau de l'Océan. Il est très-remarquable que le platine ne se
trouve pas dans la vallée du Cauca, ou à l'est de la branche occidentale des
Andes, mais uniquement dans le Choco et à Barbacoas, à l'ouest des mon-
tagnes de grès qui s'élèvent sur la rive occidentale du Cauca.

376
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
Sous le gouvernement espagnol, le royaume de la Nouvelle-Grenade
produisait annuellement 22,000 marcs d'or et une quantité peu considé-
rable d*argent. L'exploitation, négligée pendant la guerre de l'indépen-
dance, a été reprise avec une certaine activité, et produit annuellement
environ \\ 0,000 marcs d'or et 8,000 marcs d'argent.
Tout l'or que fournit la contrée est le produit des lavages établis dans des
terrains de transport. On connaît des filons dans les montagnes de Gua-
moer et d'Antioquia ; mais leur exploitation est presque entièrement négli-
gée. Les plus grandes richesses en or de lavage sont déposées à l'ouest de
la Cordillère centrale, dans les provinces d'Antioquia et du Choco, dans la
vallée du Rio-Cauca, et sur les côtes du Grand-Océan, dans le district du
Barbacoas.
La province d'Antioquia, où l'on ne peut entrer qu'à pied ou porté à dos
d'homme, présente des filons d'or qui ne sont pas travaillés, faute de bras.
Le morceau d'or le plus grand qui ait été trouvé au Choco pesait 25 livres.
Tout l'or est ramassé par des nègres esclaves. Le Choco seul pourrait pro-
duire plus de 20,000 marcs d'or de lavage, si, en assainissant celte région,
une des plus fertiles du continent, le gouvernement y fixait une population
agricole. Le pays le plus riche en or est celui où la disette se fait continuel-
lement sentir. Habité par de malheureux esclaves africains, ou par des
Indiens qui gémissent sous le despotisme des corrégidors, le Choco est
resté ce qu'il était il y a trois siècles, une forêt épaisse, sans trace de cul-
ture, sans pâturages, sans chemins. Le prix des denrées y est si exorbitant,
qu'un baril de farine des États-Unis, vaut 64 à 90 piastres. La nourriture
d'un muletier coûte une piastre ou une piastre et demie par jour; le prix
d'un quintal de fer s'élève, en temps de paix, à 40 piastres. Cette cherté ne
doit pas être attribuée à l'accumulation des signes représentatifs, qui est
très-petite, mais à l'énorme difficulté du transport, et à cet état malheureux
de choses dans lequel la population entière consomme sans produire.
La Nouvelle-Grenade a des filons d'argent extrêmement riches. Ceux de
Marquetones surpasseraient le Potosi, mais ils ne sont pas exploités. On
dédaigne le cuivre et le plomb. La rivière des Emeraudes coule depuis les
Andes jusqu'au nord de Quito. C'est à Muzo, dans la vallée de Tunca, près
de Santa-Fé de Bogota, que sont les principales exploitations des éme-
raudes dites du Pérou, et que l'on préfère avec raison à toutes les autres,
depuis qu'on a négligé celles d'Égypte. Ces émeraudes occupent tantôt des
filons stériles qui traversent les roches composées ou les schistes argileux,
et tantôt des cavités accidentelles qui interrompent les masses de quelques

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
377
granits. Elles sont quelquefois groupées avec des cristaux de quartz, de
feldspath et de mien. Plusieurs ont leur surface parsemée de erislaux de fer
sulfure. On en voit qui sont enveloppées de chaux carbonatée et de chaux
sulfatée. Celles qu'on trouve dans les sépulcres indiens sont façonnées en
rond,en cylindres, en cônes et autres figures, et percées avec beaucoup de
précision ; mais on ignore les procédés que l'on a employés. Les mines d'or
d'Antioquia et de Guaimoco contiennent de petits diamants. On connaît
aussi du mercure sulfuré ou cinabre dans la province d'Antioquia, à Test
du Rio-Cauca, dans la montagne de Quindiu, au passage de la Cordillère
australe; enfin, près de Cuenca, dans le département de l'Assuay. Ce mer-
cure se trouve ici dans une formation de grès quartzeux, qui a 1,400 mètres
d'épaisseur, et qui renferme du bois fossile et de l'asphalte.
Les hautes terres sont à peu près les seules cultivées, et les principaux
produits de la culture sont : le maïs, la cassave et le plantain pour la con-
sommation intérieure, et le cacao, le café, le colon, l'indigo, le sucre, le
tabac pour le commerce extérieur.
La Nouvelle-Grenade, formée de 5 départements de l'ancienne Colombie,
est aujourd'hui divisée en 20 provinces, subdivisées en départements.
Nous allons visiter les lieux remarquables de cette république, et nous
commencerons par ceux de l'ancien département de Cundinamarca, qui a
formé quatre provinces. Bogota ou Santa-Fé de Bogota, capitale de la
Nouvelle-Grenade, siége du gouvernement, d'un archevêché et d'une uni-
versité, renferme environ 40,000 habitants, des églises, des maisons magni-
fiques, ainsi que 5 ponts superbes. Fondée en 1538, elle est située près de
la rive gauche de la Bogota, dans une des plus belles et des plus fertiles
vallées de l'Amérique méridionale, près d'une des branches de la Cordillère,
à plus de 2,600 mètres d'élévation au-dessus du niveau de l'Océan. Deux
montagnes la dominent et l'abritent des violents ouragans de l'est. Elle est
arrosée par des eaux toujours fraîches et pures ; sa position élevée la rend
facile à défendre contre les attaques d'un ennemi. Son climat est un des
plus humides que l'on connaisse, sans cependant être très-malsain. Les fré-
quents tremblements de terre qu'elle a éprouvés ont influé sur la construc-
tion de ses édifices, en général très-simples. Les maisons, construites en
briques séchées au soleil, ont des murailles d'une grande épaisseur. Ce
n'est qu'au commencement de ce siècle que l'on a commencé à y faire usage
de vitres. La cathédrale, bâtie en 1814, est le plus beau de ses édifices,
bien qu'il ne soit pas sans défauts. Elle est principalement remarquable
par les trésors qu'elle renferme: une seule des statues de la Vierge y est
V.
48

378
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
ornée de 1,358 diamants. La ville renferme en outre plusieurs autres
églises, des couvents et des colléges. Les principaux édifices sont : le palais
du sénat, l'hôtel des monnaies, le théâtre. Les places, toutes ornées de fon-
taines, sont spacieuses ; la plus vaste est celle de la cathédrale; le marché
s'y tient le vendredi et y attire une foule immense. Les trois principales
rues, bien alignées et garnies de trottoirs, sont mal pavées. Le gouverne-
ment a fondé une bibliothèque qui renferme 12,000 volumes, une univer-
sité, une école de médecine, un observatoire, un jardin botanique et une
académie. Les environs de la ville offrent de jolies promenades, entourées
de saules et de rosiers autour desquels grimpent des capucines. Les habitants
de Bogota son t doux, gais et honnêtes; les femmes jolies et bien faites. Il s'est
formé, en 1834, dans cette ville, une société pour l'instruction populaire.
Bogota est la principale ville du département de Cundinamarca, qui,
situé dans la partie septentrionale de la Nouvelle-Grenade, comprend les
provinces de Bogota, d'Antioquia, de Mariquita et de Neyba ou Neyva. Ce
département renferme les plus riches lavages d'or de la Colombie. C'est
dans ce môme pays que l'on trouve établi l'usage singulier et barbare de
voyager à dos d'homme. Les malheureux qui servent de monture, et que
l'on nomme cargueros, sont pour la plupart des Indiens ou des métis.
Vêtus légèrement, souvent même nus, ils portent sur le dos une chaise sur
laquelle se place le voyageur, muni d'un large parasol, armé d'une cra-
vache et souvent d'éperons, dont il n'a pas honte de frapper le carguero.
Cet usage déplorable est d'autant plus difficile à justifier que le Cundina-
marca fournit d'excellents mulets.
Aux environs de Bogota, l'air est constamment tempéré. Le froment
d'Europe et le sésame d'Asie y donnent des récoltes continuelles. Le pla-
teau sur lequel est située la ville offre plusieurs traits de ressemblance avec
celui qui renferme les lacs mexicains : l'un et l'autre sont plus élevés que
le couvent du Saint-Bernard; le premier a 2,700 mètres, le second 2,800,
au-dessus du niveau de la mer. La vallée de Mexico, entourée d'un mur
circulaire de montagnes porphyriques, est encore couverte d'eau dans son
centre. Le plateau de Bogota est également entouré de montagnes élevées :
le niveau parfait de son sol, sa constitution géologique, la forme des
rochers de Suba et de Facatativa, qui s'élèvent comme des îlots au milieu des
savanes, tout semble indiquer l'existence d'un ancien lac. La rivière de
Funzha, communément appelée Rio de-Bogota, après avoir réuni les eaux
de la vallée, se précipite, par une ouverture étroite, dans une crevasse de
200 mètres de profondeur qui descend vers le bassin de la rivière de la

AMERIQUE.
— RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
379
Magdalena. Les Indiens attribuent à Bochica, fondateur de l'empire de
Bogota ou de Cundinamarca, l'ouverture de ces rochers, et la création de
la cataracte de Téquendama. Il n'est pas étonnant que des peuples religieux
aient attribué une origine miraculeuse à ces rochers, qui paraissent avoir
été taillés par la main de l'homme ; à ce gouffre étroit dans lequel se pré-
cipite une rivière qui réunit toutes les eaux de la vallée de Bogota ; à ces
arcs-en ciel qui brillent des plus vives couleurs, et qui changent de forme
à chaque instant; à cette colonne de vapeurs qui s'élève comme un nuage
épais et que l'on reconnaît «à 5 lieues de distance, en se promenant autour
de la ville de Santa-Fé. Il existe à peine une seconde cascade qui, à une
hauteur aussi considérable, réunisse une telle masse d'eau. Le Rio-de-
Bogota conserve encore, un peu au-dessus du Salto, une largeur de 90
mètres. La rivière se rétrécit beaucoup près de la cascade même où la cre-
vasse, qui paraît formée par un tremblement de terre, n'a que 10 à 12 mètres
d'ouverture. A l'époque des grandes sécheresses, le volume d'eau qui, en
deux bonds, se précipite à une profondeur de 170 mètres, présente encore
un profil de 42 mètres carrés. L'énorme masse de vapeurs qui s'élève jour-
nellement de la cascade, et qui est précipitée par le contact de l'air froid,
contribue beaucoup à la grande fertilité de cette partie du plateau de
Bogota. À une petite distance de Canoas, sur la hauteur de Chipa, on jouit
d'une vue magnifique, et qui étonne le voyageur par les contrastes qu'elle
présente. On vient de quitter les champs cultivés en froment et en orge :
outre les azaléa, les alslonia theiformis, les begonia et le quinquina jaune,
on voit autour de soi des chênes, des aunes, et des plantes dont le port rap-
pelle la végétation d'Europe; et tout à coup on découvre, comme du haut
d'une terrasse, et pour ainsi dire à ses pieds, un pays où croissent les pal-
miers, les bananiers et la canne à sucre. Comme la crevasse dans laquelle
se jette le Rio-de-Bogota communique aux plaines de la région chaude
(tierra caliente), quelques palmiers se sont avancés jusqu'au pied de la cas-
cade. Cette circonstance particulière fait dire aux habitants de Santa-Fé
que la chute du Tequendama est si haute, que l'eau tombe, d'un saut, du
pays froid ( tierra fria) dans le pays chaud. On sent qu'une différence de
hauteur de 200 mètres n'est pas assez considérable pour influer sensible-
ment sur la température de l'air. C'est la coupe perpendiculaire du rocher
qui sépare les deux végétations d'une manière si tranchante.
Voici un autre phénomène naturel que l'on remarque près de Fusagusa,
dans les environs de Bogota. La vallée d'Icononzo ou de Pandi est bordée
de rochers de forme extraordinaire, et qui paraissent comme taillés de main

380
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈMÈ.
d'homme. Leurs sommets nus et arides offrent le contraste le plus pitto-
resque avec les touffes d'arbres et de plantes herbacées qui couvrent les
bords de la crevasse. Le petit torrent qui s'est frayé un passage à travers la
vallée d'Icononzo porte le nom de Rio de la Sumrna-Paz. Ce torrent,
encaissé dans un lit presque inaccessible, ne pourrait être franchi qu'avec
beaucoup de difficulté, si la nature même n'y avait formé deux ponts de
rochers, objet bien digne de fixer notre attention. La crevasse profonde
à travers laquelle se précipite le torrent de la Summa-Paz, occupe le
centre de la vallée; près du pont, elle conserve, sur plus de 4,000 mètres
de longueur, la direction de l'est à l'ouest. La rivière forme deux belles
cascades au point où elle entre dans la crevasse, et au point où elle
en sort. Il est très-probable que cette crevasse a été formée par un
tremblement de terre. Les montagnes environnantes sont de grès à
ciment d'argile. Celte formation, qui repose sur les schistes primitifs de
Viletta, s'étend depuis la montagne de sel gemme de Zipaquira jusqu'au
bassin de la rivière de la Magdalena. Dans la vallée d'Icononzo, le grès est
composé de deux roches distinctes. Un grès très-compacte et quartzeux, à
ciment peu abondant, et ne présentant presque aucune fissure de stratifi-
cation , repose sur un grès schisteux à grain très-fin, et divisé en une infi-
nité de petites couches très-minces et presque horizontales. M. de Hum-
boldt croit que le banc compact et quartzeux, lors de la formation de la
crevasse, a résisté à la force qui déchira ces montagnes, et que c'est la
continuation non interrompue de ce banc qui sert de pont pour traverser
d'une partie de la vallée à l'autre. Cette arche naturelle a 14 mètres de lon-
gueur sur 12 mètres de largeur; son épaisseur, au centre, est de 2 mètres ;
les expériences de M. de Humboldt ont donné 98 mètres pour la hauteur du
pont supérieur au-dessus du niveau des eaux du torrent. A 20 mètres au-
dessous de ce premier pont naturel, il s'en trouve un autre auquel on est
conduit par un sentier étroit qui descend sur le bord de la crevasse. Trois
énormes masses de rocher sont tombées de manière à se soutenir mutuelle-
ment. Celle du milieu forme la clef de la voûte, accident qui aurait pu faire
naître aux indigènes l'idée de la maçonnerie en arc, inconnue aux peuples
du Nouveau-Monde, comme aux anciens habitants de l'Egypte.
Au milieu du second pont d'Icononzo se trouve un trou de 100 mètres
carrés, par lequel on voit le fond de l'abîme; c'est là que notra voyageur a
fait des expériences sur la chute des corps. Le torrent paraît couler dans
une caverne obscure. Le bruit lugubre que l'on entend est dû à une infinité
d'oiseaux nocturnes qui habitent la crevasse. Les Indiens assurent que ces

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
381
oiseaux sont de la grosseur d'une poule, et qu'ils ont des yenx de hibou et
le bec recourbé. Il est impossible de s'en procurer à cause de la profondeur
de la vallée. L'élévation du pont naturel d'Incononzo est de 150 mètres au-
dessus du niveau de l'Océan.
Cette merveille de la nature est sur la route de Bogota à Ibaque, petite
ville dont le commerce était florissant vers la fin du seizième siècle, mais
qui, après avoir été saccagée par les Indiens, n'est plus aujourd'hui qu'un
simple village, dont le collége seul mérite d'être cité.
Zipaquira est une petite ville très-vivante qui doit le mouvement qui la
distingue à ses riches mines de sel gemme dont le produit est un des plus
importants revenus de la république.
En remontant la Magdalena jusqu'à 45 lieues au dessus de Santa-Fé,
on trouve la petite ville de Neyba ou Neyva, sur une rivière de ce nom ; elle
est la capitale d'une province, et fait un grand commerce de cacao, qui
abonde dans ses environs.
Dans la province de Mariquita, dont le chef-lieu Honda, ville de
8,000 âmes, n'a rien de remarquable, Mariquita est célèbre par ses mines
d'or et d'argent d'une exploitation très-difficile.
La province d'Antioquia, que nous allons traverser, n'est pour ainsi dire
qu'une vaste forêt ; mais c'est dans les entrailles de la terre que gisent ses
principales richesses. Plusieurs de ses rivières coulent sur du sable d'or;
plusieurs mines de ce métal sont exploitées, ainsi que l'argent, le cuivre,
le mercure et le sel. Le produit de ces exploitations s'élève annuellement
à 1,200,000 piastres. La ville d'Antioquia, ou Santa-Fé de Antioquia, sur
les bords du Tomizco, dans une vallée profonde et au milieu de champs
couverts de maïs, de cannes à sucre et de bananiers, est renommée par son
industrie · ses charpentiers, ses serruriers et ses orfèvres passent pour être
fort habiles. Sa population est de 18 à 20,000 âmes. A 12 lieues au sud,
Medellin, avec 15,000 habitants, est bâtie avec régularité et dans une
situation pittoresque. La douceur de son climat lui donne une grande
supériorité sur la capitale.
Santa-Rosa de Osos est remarquable par sa situation élevée et par ses
riches lavages d'or.
L'ancien royaume de Terre-Ferme, qui, dans la suite forma le départe-
ment de l'isthme de la république de Colombie, est aujourd'hui une solitude
champêtre ; on le partage en deux provinces, celle de Panama et celle de
Veragua. Les villes de Panama, sur la mer du Nord, et de Porto-Bello, sur
l'océan Pacifique, florissaient autrefois par le commerce des métaux pré-

382
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
cieux qui, du Pérou, passaient par l'isthme de Panama pour être envoyés
en Europe. Aujourd'hui Buénos-Ayres en est l'entrepôt. L'isthme de
Panama, ainsi que l'ancienne province de Darien, produisent du cacao,
du tabac, du coton ; mais l'air, à la fois trop humide ou trop chaud, les
rend presque inhabitables. Le sol y est montueux, mais on y trouve des
plaines fertiles. La végétation y est partout d'une force surprenante. Les
rivières y sont nombreuses, et quelques-unes charrient de l'or.
L'isthme de Panama n'a que 8 lieues de large dans l'endroit le plus étroit.
Elle forme en cet endroit la baie de Limon ou Navy-Bay, point naturel
qu'on pourrait rendre parfaitement sûr à l'aide de quelques travaux, et en
face duquel est la petite île de Manzanilla. Cette petite île vient d'acquérir
une immense importance, depuis qu’elle a été choisie comme tète du
chemin de fer que les Anglo-Américains exécutent en ce moment, de
Chagres à Panama, pour relier entre eux les deux Océans.
On avait d'abord songé à établir un canal maritime ·, mais sans parler des
autres difficultés d'exécution, telles que la nature rocailleuse du sol et
l'insalubrité , on trouva que la dépense à faire pour l'établissement d'un
canal maritime capable de livrer passage aux navires de 1,200 tonneaux,
devait s'élever à 125 millions. On renonça donc à cette voie de communi-
cation, et une compagnie anglo-américaine proposa et fit adopter un projet
de chemin de fer, dont elle entreprit aussitôt l'exécution. Le tracé a son
origine, du côté de l'Atlantique, sur l'île de Manzanilla, située au nord-est
de la baie de Limon ou Navy-Bay, qui se trouve à 7 milles, (11 kilomètres)
est, de Chagres. Il traverse l'île de Manzanilla en son milieu, du nord au
sud, et franchit ensuite le bras de mer étroit et peu profond qui sépare l'île
de la terre ferme, pour se diriger parallèlement à la baie, à travers les
terrains bas et marécageux qui la limitent du côté de l'est; il s'infléchit
ensuite vers le sud-sud-ouest, pour aller gagner, vis-à-vis du village de
Gatun, la vallée de la rivière de Chagres. Il franchit alors le Rio-Gatun, et
continue à suivre de près la rive droite du Chagres, en se maintenant sur la
bande de terrain généralement peu accidentée qui existe entre la rivière et
les collines qui bordent la vallée. Sa direction générale est du nord-ouest
au sud-est; mais à cause des sinuosités nombreuses du Chagres, il décrit
un grand nombre de courbes. On arrive ainsi à un point situé à peu près
à 1 mille (1 kilomètre 609 mètres) en aval du bourg de Gorgona; là,
le chemin de fer franchit le Chagres, pour s'en séparer et se diriger vers
Panama, à travers un pays beaucoup plus accidenté en général que la pre-
mière partie du parcours ; il aboutit ainsi à la baie de Panama, à L'ouest de

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES
383
celte ville. C'est entre Gorgona et Panama, à 9 milles environ de Gor-
gona, que le tracé franchit le faîte de séparation entre les deux Océans. La
longueur totale du chemin, de la baie de Limon à Panama, est de 72 à
74 kilomètres. Dans ce trajet, il ne franchit que deux cours d'eau de
quelque importance, le Rio-Gatun et le Chagres. Commencé le 15 décembre
1850, ce chemin de fer, dont l'exécution intéresse le monde entier, est
parvenu, en juin 1852, à plus de moitié de son exécution, puisqu'il atteint
Gorgona, à 42 kilomètres de la baie de Limon ; les 32 kilomètres qui restent
à franchir, de Gorgona à Panama, seront sans doute terminés en 1854. On
pourra alors, en deux ou trois heures, se rendre d'un Océan à l'autre 1.
L'île de Manzanilla n'est séparée de la baie de Limon que par un petit
bras de mer de 100 mètres de largeur ; elle a environ 1,800 mètres de long
sur 1,000 mètres de large, et doit son origine à un amas de madrépores et
de polypiers. Elle est couverte d'une végétation luxuriante au milieu de
laquelle se dressent le manglier et le mancenillier. La température n'est
pas aussi élevée que pourrait le faire croire sa position inter-tropicale, il est
rare que le thermomètre s'élève à 30 degrés centigrades. Les Anglo-Améri-
cains y bâtissent une ville qui doit prendre de rapides accroissements,
comme tête du chemin de fer sur l'océan Atlantique. Chagres est à l'em-
bouchure de la rivière du même nom, dans un endroit insalubre ; son port,
qui est défendu par le fort San-Lorenzo, n'est accessible qu'aux navires de
troisième ordre. Il y a à Chagres deux villages distincts ·, sur la rive droite
de la rivière est l'ancien village indien, il renferme 300 habitants issus des
deux races africaine et indienne ; en face, sur la rive gauche, est le village
américain, construit depuis peu, et qui consiste en 40 ou 50 maisons en
bois, dont on ne pourrait évaluer la population toujours mouvante; on y
trouve des restaurants, des hôtels, des magasins, qui rappellent que l'on est
sur un point de passage important. Le port de Chagres sera promptement
abandonné lorsque le chemin de fer sera entièrement terminé.
En remontant la rivière de Chagres l'espace de 3 lieues et demie, on ren-
contre le petit village de Gatun, sur la rivière du même nom, composé d'une
trentaine de huttes construiles en bambous et en écorces de bois ; puis suc-
sessivement ceux de Gongonael de Crucès, qui sont destinés à prendre un
rapide accroissement ; le premier comptait une centaine d'habitations avant
l'incendie qui le ravagea en 1851.
1 Nous empruntons ces détails à un excellent article que M. Emile Chevalier a
publié en juin 1852, dans la Revue des Deux-Mondes, sous ce titre : les Américains
du Nord à l'Isthme de Panama.

V.A. M-B.

384
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
Panama, chef-lieu du département de l’ Isthme, se divise en haute et basse
fille. Cette dernière, appelée El-Varal, est la plus peuplée. La plupart des
rues de ses deux quartiers sont étroites, obscures et malpropres ·, la plupart
des maisons sont en bois et couvertes en chaume ·, cependant la ville s'em-
bellit chaque jour. La rade qui s'étend devant Panama, est large, mais
dangereuse ; les gros navires s'arrêtent aux îles Taboga et Taboguilla ; les
seuls bateaux plats peuvent aborder dans le port. Celte ville, qui, depuis
1840, a été déclarée port franc, et dont la population est de 6,000 âmes,
fait un commerce assez considérable; elle exporte, par an, pour 40,000
piastres de perles que fournissent les pêcheries établies dans la baie et sur
les parages du petit archipel de Las Perlas, dont la principale île est celle
d’El-Rey. Deux grandes lignes de navires à vapeur ont leur point de départ
et d'arrivée à Panama ; la première fonctionne entre Panama, Callao et Val-
paraiso ; la seconde fait le service régulier entre Panama et San-Francisco
de Californie. Tout l'avenir de cette ville est dans le chemin de fer qui doit
y aboutir.
La petite ville de Santiago de Veragua, à 60 lieues au sud-ouest de
Panama, est dans une contrée fertile, qui nourrit de nombreux bestiaux.
Au sud de la province dont elle est le chef-lieu, s'élève, à 6 lieues de la côte,
l'île de Quibo, qui n'est peuplée que d'animaux sauvages.
Sur la côte septentrionale de l'isthme, Porto-Bello, ou Puerto-Vello,
occupe le penchant d'une montagne assez élevée, qui embrasse son port et
l'abrite contre les vents. Située à 17 lieues au nord-ouest de Panama,
elle éprouve, comme celle-ci, des chaleurs très-fortes et la pernicieuse
influence d'une atmosphère humide, entretenue par les vastes forêts voi-
sines ; aussi l’avait-on surnommée la sépullura de los Europeanos. Cepen-
dant la sagesse du gouvernement, en hâtant la destruction d'une partie des
bois qui s'étendaient jusqu'aux portes de cette ville, a contribué à rendre
plus sain l'air qu'on y respire. Sous le gouvernement espagnol , elle
avait une population de 8 à 9,000 âmes, qui, dans ces derniers temps,
était réduite à 1,500.
Passons dans l'ancien département de la Magdalena. Carthagène, ou
Cartagena-de -las-lndias, est située sur une île sablonneuse du détroit
formé à l'embouchure de la Magdalena. Son port défendu par la forteresse
de Bocachica, et l'un des plus beaux de l'Amérique, est la station ordi-
naire d'une partie de la marine militaire de la Nouvelle-Grenade ; ses
fortifications, dont que ques parties ont besoin d'être réparées, la mettent
au premier rang parmi les places de guerre de cette république. Quelques

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
385
églises, plusieurs couvents, qui passent pour de beaux édifices, sont,
ainsi que ses immenses citernes, les principales constructions de cette
ville. Ses rues sont étroites, sombres, mais assez bien pavées-, ses maisons
la plupart en pierres, sont régulières et élevées d'un seul étage au-dessus
du rez-de-chaussée. Cependant l'aspect de cette ville est généralement
triste, ce qu'elle doit surtout à ses longues galeries soutenues par des
colonnes basses et lourdes, et à des terrasses en saillie qui dérobent la
moitié du jour. Malgré ce qu'elle a souffert pendant les guerres de l'indé-
pendance, elle renferme encore 18,000 habitants, en y comprenant ses
faubourgs. Le 22 mai 1834, elle fut ravagée par un tremblement de terre,
qui renversa les murailles de plusieurs églises. Pour éviter les chaleurs
excessives et les maladies qui règnent pendant l'été à Carthagène des
Indes, les Européens non acclimatés se réfugient dans l'intérieur des terres
au village de Turbaco, bâti sur une colline, à l'entrée d'une forêt majes-
tueuse qui s'étend jusqu'à la rivière de Magdalena. Les maisons sont en
grande partie construites de bambous et couvertes de feuilles de palmiers.
Des sources limpides jaillissent d'un roc calcaire qui renferme de nom-
breux débris de polypiers fossiles; elles sont ombragées par le feuillage
lustré de l’anacardium caracoli, arbre de grandeur colossale, auquel les
indigènes attribuent la propriété d'attirer de très-loin les vapeurs répan-
dues dans l'atmosphère. Le terrain de Turbaco étant élevé de plus de 300
mètres au-dessus du niveau de l'Océan, on y jouit, surtout pendant la
nuit, d'une fraîcheur délicieuse. Les environs présentent un phénomène
très-curieux. Les Volcancitos sont situés à une lieue et demie à l'est du vil ·
lage de Turbaco, dans une forêt épaisse qui abonde en baumiers de tolu,
engustavia à fleurs de nymphea, et en cavanillesia mocundo, dont lesfruits
nombreux et transparents ressemblent à des lanternes suspendues à l'ex-
trémité des branches. Le terrain s'élève graduellement à 40 ou 50 mètres
de hauteur au-dessus du village de Turbaco ; mais le sol étant partout cou-
vert de végétation, on ne peut distinguer la nature des roches superposées
au calcaire coquillier. Au centre d'une vaste plaine bordée de bromelia
karalas, s'élèvent 18 à 20 petits cônes, dont la hauteur n'est que de 7 à 8
mètres. Ces cônes sont formés d'une argile gris-noirâtre ; à leur sommet se
trouve une ouverture remplie d'eau. Lorsqu'on s'approche de ces petits
cratères, on entend par intervalle un bruit sourd et assez fort qui précède
de 15 à 18 secondes, le dégagement d'une grande quantité d'air. La force
avec laquelle cet air s'élève au-dessus de la. surface de l'eau peut faire sup-
poser que, dans l'intérieur de la terre, il éprouve une grande pression. M. de
Y.
49

386
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
Humboldt a compté généralement cinq explosions en deux minutes. Sou-
vent ce phénomène est accompagné d'une éjection boueuse. On assure que
les cônes ne changent pas sensiblement de forme dans l'espace d'un grand
nombre d'années, mais la force d'ascension du gaz et la fréquence des
explosions paraissent varier selon les saisons. Les analyses de M. de Hum-
boldt ont prouvé que l'air dégagé ne contient pas un demi-centième d'oxy-
gène. C'est un gaz azote plus pur que nous ne le préparons généralement
dans nos laboratoires.
Santa-Marta, ville épiscopale, dans une situation salubre, a un port
sur, spacieux et bien défendu. La plupart de ses édifices publics et particu-
culiers ont considérablement souffert du tremblement de terre du 22 mai
1834 , qui n'épargna pas Mompox et plusieurs autres villes. La province
de Santa-Marta est très-fertile; elle a des mines d'or et d'agent, des salines
abondantes, ainsi que des fabriques de coton et de vaisselle de terre. Rio-
de-la-Hacha, sur le bord de la mer, dans un terrain productif, s'enrichis-
sait autrefois par la pêche des perles.
En remontant la Magdalena jusqu'à 37 lieues de son embouchure, on
arrive à Mompox, cité de 12 à 15,000 habitants, presque tous affligés de
goîtres depuis l'âge de 30 à 40 ans. Cette ville est un entrepôt important;
elle reçoit d’Ocana du tabac, du sucre et du cacao; de Pamplona et de
Cucuta, des farines; d'Antioquia, de l'or ; enfin les divers produits que l'on
transporte par Magdalena.
Le département du Cauca se divise en quatre provinces : celles de
Popayan, de Pasto,dc Choco et de Buenaventura.
Popayan florissait autrefois par son commerce d'entrepôt avec Quito et
Carthagène. Elle est au pied des grands volcans de Puracé et de Sotara, Sa
population était de plus de 20,000 âmes, mais la guerre de l'indépendance
l'a réduite de moitié. Elle a conservé son évêché, son université et son
hôtel des monnaies. Ses rues sont bordées de trottoirs en pierres, et lavées
par les eaux rapides de la petite rivière de Malina, qui y entretiennent une
grande propreté. Barbaccas renferme de riches mines d'or. Cartago, que
l'on traverse en descendant la riante vallée du Cauca, se présente avec une
b le apparence au bord du Rio-Labeixa. Ses rues sont larges et droites, et
ses 6,000 habitants font un commerce assez considérable en fruits, en café,
en tabac et en cacao.
Si de Popayan nous nous dirigeons vers le sud en suivant la double
chaîne des Andes, nous trouvons Pasto, ville de 7 à 8,000 âmes, qui se
montra longtemps opposée à la cause de l'indépendance, et qui, après

AMÉRIQUE. — REPUBLIQUES COLOMRIENNES.
387
avoir été forcée de se rendre à Bolivar en 1822, fut, en 1827, ravagée par
un tremblement de terre. Elle est placée dans une situation pittoresque, sur
la rivière du Cauca.
Cette vil.'e est située au pied du terrible volcan de Puracé, et entourée
de forêts épaisses, placées entre des marais où les mules enfoncent à mi-
corps. On n'y arrive qu'à travers des ravins profonds et étroits comme les
galeries d'une mine. Toute la province de Pasto est un plateau gelé presque
au-dessus du point où la végétation peut durer, et entouré de volcans et de
soufrières qui dégagent continuellement des tourbillons de fumée. Les
malheureux habitants de ces déserts n'ont d'autres aliments que les patates,
et si elles leur manquent, ils vont dans les montagnes manger le tronc d'un
petit arbre nommé achupatla ; mais ce même arbre étant l’aliment de l'ours
des Andes, celui-ci leur dispute souvent la seule nourriture que leur pré-
sentent ces régions élevées.
San-Buenaventura, capitale de la province de son nom, est importante
par sa baie qui est fréquentée par les navires. Iscuande n'est qu'une misé-
rable petite ville au pied de la Cordillère, mais elle a dans son voisinage de
riches mines de platine.
Le chef-lieu de la province de Choco est Quibdo ( Citara) entrepôt des
riches mines d'or et de platine des environs; Novita est un gros bourg
assez peuplé qui est le centre du commerce de l'intérieur.
La province de Choco, que baigne le Grand-Océan, serait moins riche
par ses mines que par la fertilité de ses coteaux et l'excellente qualité de
son cacao , si malheureusement un climat à la fois nébuleux et brûlant n'en
éloignait l'industrie humaine. Marmontel a peint cette côte avec des cou-
eurs aussi justes que vives : « Un ciel chargé d'épais nuages, où mugis-
« sent les vents, où les tonnerres grondent, où tombent presque sans
« relâche des pluies orageuses; des grêles meurtrières parmi les foudres
« et les éclairs; des montagnes couvertes de forêts ténébreuses, dont les
« débris cachent la terre, et dont les branches entrelacées ne forment
« qu'un épais tissu, impénétrable à la clarté du jour; des vallons fangeux
« où sans cessent roulent d'impétueux torrents; des bords hérissés de
« rochers, où se brisent en gémissant les flots émus par les tempêtes ; le
« bruit des vents dans les forêts, semblable aux hurlements des loups et au
« glapissement des tigres ; d'énormes couleuvres qui rampent sous l'herbe
« humide des marais, et qui, de leurs vastes replis, embrassent la tige
« des arbres; une multitude d'insectes qu'engendre un air croupissant, et
« dont l'avidité ne cherche qu'une proie. » Mais l'auteur des Incas a tort

388
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
d'appliquer en totalité ce portrait de la côte de Choco à Vile de Gorgone,
Pizarre vint se réfugier avec les douze compagnons qui lui restèrent
fidèles. Gorgone, dans la baie de Choco, de même que l'archipel des Iles
aux Perles, dans la baie de Panama, sont plus habitables que le continent
voisin. Dans l'intérieur de la province de Choco, le ravin de Raspadura
unit les sources voisines du Rio-Noanama, appelé aussi Rio-San Juan, et
de la petite rivière de Guito. Cette dernière, réunie aux deux autres,
forme le Rio-Atrato, qui se jette dans la mer des Antilles, tandis que le
Rio-San-Juan tombe dans le Grand-Océan.
L'ancien département de Boyaca a formé les quatre provinces de Tunja,
de Pamplona, de Socorro et de Casanare. Elles sont situées à l'est de
Santa-Fé de Bogota, et comprennent une partie des llanos (lianos ou
yanos) qui s'étendent entre l'Amazone et l'Orénoque. Une partie de ces
vastes plaines, qui s'étendent aussi au sud du Venezuela, formait autrefois
la province colombienne de San-Juan de los Lanos. Tunja a été autrefois
riche, populeuse et florissante, lorsqu'elle servait de résidence au zaque,
ou roi de la puissante nation des Muyscas. Boyaca rappelle la victoire qui,
dans ses environs, assura la cause de l'indépendance en 1819. Sogamoso,
petite ville assez florissante, célèbre par son grand temple du Soleil et par
le sacrifice humain du guesa (pauvre enfant de quinze ans), qui y avait lieu
tous les quinze ans, au temps de la domination des Muyscas ; Pamplona,
petite ville qui renferme un collège, et possède dans ses environs des mines
d'or et de cuivre; Socorro à 260 kilomètres au nord-est de Bogota, sur le
Souarez ; c'est une ville de 15,000 âmes, importante par son commerce et
son industrie. Velez, avec des lavages d'or; Moniquira, avec des mines de
cuivre; Rosario de Cucula, où se réunit, en 1825, le congrès qui donna
la constitution de la république colombienne; enfin, Chinquiquira, qui est
un lieu de pèlerinage, sont dignes de fixer l'attention.
La Nouvelle-Grenade forme aujourd'hui une république démocratique;
le pouvoir exécutif est confié à un président élu tous les quatre ans. Le
pouvoir législatif appartient à un congrès de 26 membres, et à une chambre
de représentants composée de 58 membres. Les sénateurs et les députés se
renouvellent par moitié tous les deux ans ; ils sont élus au suffrage uni-
versel, mais au second degré. Le pouvoir judiciaire est exercé par une
cour suprême, siégeant à Bogota, et par sept tribunaux supérieurs de dis-
tricts, siégeant dans les principales villes. La religion catholique est la
seule reconnue par l'État. La Nouvelle-Grenade est divisée en un arche-
vêché et six évêchés. Les dépenses annuelles montent à environ 17 millions

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
389
de francs de notre monnaie-, on évalue à 35,443,034 réaux 1 le budget
pour l'année 1850. Le commerce général est fait par les ports de Carthagène,
de Santa-Marta, de Rio-Hacha et de Savanilla ; l'on peut porter à 25 mil-
lions de francs la valeur de l'importation et de l'exportation ·, l’or entre
pour 8 millions dans ce dernier article. La force armée consiste principale-
ment dans la milice ; quant à-la marine militaire, elle est à peu près nulle.
La république de Venezuela est le plus oriental des États colombiens;
elle est baignée au nord par la mer des Antilles; à l'est, elle confine avec
la Guyane anglaise; au sud, elle s'appuie sur la province brésilienne de
Rio-Negro ; enfin, elle tient à l'ouest, à la Nouvelle-Grenade. Sur la côte,
elle possède plusieurs îles, dont la principale est Margarita. Les premiers
conquérants, ayant remarqué des villages indiens bâtis sur pilotis dans les
îles du lac de Maracaïbo, donnèrent à tout le pays le nom de Venezuela, ou
Petite-Venise, nom qui s'étendit bientôt à toute la contrée ; telle est l'étymo-
logie du nom de cette république. Sa superficie est d'environ 35,737 lieues
carrées; la population totale, composée de blancs Hispano-Américains,
Indiens soumis et insoumis, métis, nègres, ne s'élève pas au-dessus de
4,100,000 âmes; l'esclavage tend de plus en plus à s'éteindre, et, comme
dans la Nouvelle-Grenade, une caisse dite de manumission , alimentée par
un impôt sur les successions, est destinée à l'affranchissement des esclaves.
Le territoire peut être, topographiquement, divisé en trois grandes
zones; la zone agricole, comprise entre les côtes et la plaine ou llanos,
embrasse une étendue de 8,737 lieues carrées, sur lesquelles 500, à peine,
ont été défrichées ou cultivées depuis la conquête; la zone des llanos qui
atteint à 9,000 lieues carrées; enfin, la zone des bois, des montagnes
sans culture, des forêts vierges, qui absorbe dans son ensemble près de
4 8,000 lieues carrées.
La chaîne des montagnes qui borde la mer des Caraïbes et forme le bassin
de l’Orénoque étant peu élevée, admet presque partout l'industrie du cul-
tivateur. D'après la différence du niveau, on y jouit, dans quelques
endroits, de la fraîcheur d'un printemps continuel; et, dans d'autres,
l'influence de la latitude se fait, pleinement sentir. L'hiver et l'été, c'est-à-
dire les pluies et la sécheresse, se partagent l'année entière ; les premières
commencent en novembre et finissent en avril. Pendant les six autres mois,
les pluies sont moins fréquentes, quelquefois même rares. Les orages se
font moins souvent sentir depuis 4792 qu'avant cette époque; mais les
tremblements de terre ont fait des ravages terribles ; la ville même de Cara-
1 Le réal de la Nouvelle-Grenade vaut à peu près 50 centimes.

390
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
cas a été détruite en 1812. On avait découvert quelques mines d'or, mais
les révoltes des Indiens en ont fait abandonner l'exploitation. En 1850, on
a découvert que le Yuriario, dans la province de Guyana, roulait des sables
aurifères. On a trouvé, dans la juridiction de Sau-Felipe à Aroa, une mine
de cuivre qui fournit aux besoins du pays, et même à l'exportation. La
pêche des perles le long des côtes, jadis importante, est aujourd'hui pres-
que abandonnée. La côte septentrionale du département de Venezuela pro-
duit beaucoup de sel très-blanc. Les eaux minérales et thermales, assez
abondantes, sont peu fréquentées. Les forêts qui couvrent les montagnes
de Caracas fourniraient pendant des siècles aux chantiers les plus consi-
dérables ; mais la nature du terrain rend trop difficile l'exploitation des
bois, que d'ailleurs la navigation, peu active, ne réclame pas encore. Les
forêts produisent aussi beaucoup de bois de marqueterie et de teinture. On
y recueille des drogues médicinales, telles que la salsepareille et le quin-
quina. Le lac Maracaïbo fournit de la poix minérale ou du pisasphalte, qui,
mêlé avec du suif, sert à goudronner les bâtiments. Les vapeurs bitumi-
neuses qui planent sur le lac s'enflamment souvent spontanément, surtout
dans les grandes chaleurs. Les bords de ce lac sont si stériles, et si mal-
sains, que les Indiens, au lieu d'y fixer leur demeure, aiment mieux habiter
sur le lac même. Les Espagnols y trouvèrent beaucoup de villages cons-
truits sans ordre, sans alignement, mais sur des pilotis solides. Ce lac, qui
a 50 lieues de long et 30 de large, communique avec la mer ; mais ses
eaux sont habituellement douces. La navigation y est facile, même pour
des bâtiments d'une grande capacité. La marée' s'y fait sentir plus forte-
ment que sur les côtes voisines. Le lac de Valencia, que les Indiens
appellent Tacarigua, offre un coup d'oeil bien plus attrayant. Ses bords,
ornés d'une végétation féconde jouissent d'une température agréable; long
de 13 lieues et demie sur une largeur de 4, il reçoit une vingtaine de
rivières et n'a lui-même aucune issue, étant séparé de la mer par un espace
de 6 lieues, rempli d'âpres montagnes.
Les provinces de la république de Venezuela sont très-riches en rivières,
ce qui procure beaucoup de facilité pour l'arroserment ·, celles qui serpen-
tent dans la chaîne des montagnes se déchargent dans la mer, et courent
du sud au nord, tandis que celles qui prennent leur source dans le revers
meridional de la montagne parcourent toute la plaine et vont se perdre dans
l'Orénoque. Les premières sont en général assez encaissées par la nature,
et ont une pente suffisante pour ne déborder que rarement, et pour que ces
débordements ne soient ni longs ni nuisibles; les secondes, qui ont leur

AMÉRIQUE, — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
391
cours dans des lits moins profonds et sur un terrain plus uni, confondent
leurs eaux une grande partie de l’année, et ressemblent alors plutôt à une
mer qu'à des rivières débordées. Les marées, peu sensibles sur toute la côte
du nord, depuis le cap de la Vela jusqu'au cap Paria, deviennent très-fortes
depuis ce dernier cap jusqu'à la Guyane hollandaise. Un grand inconvé-
nient, commun à tous les ports du Venezuela, est d'être continuellement
exposé aux ras de marées, à ces lames houleuses qui ne paraissent nulle-
ment occasionnées par les vents, mais qui ne sont pas moins incommodes
ni souvent moins dangereuses.
Les vallées septentrionales sont les parties les p-lus productives de cet
État, parce que c'est là que la chaleur et l'humidité sont plus également
combinées qu'ailleurs. Les plaines méridionales, ou llanos, trop exposées
à l'ardeur du soleil, ne donnent que des pâturages où l'on élève des bœufs,
des mulets, des chevaux. Les Indiens qui les habitent sont forts, agiles et
robustes. La culture devrait être très-florissante dans ces provinces, où il
n'existe pas de mines ; mais ses. progrès sont retardés par l'indolence et le
défaut de lumières. Le cacao qu'elles produisent est, après celui de Soco-
nusco, dans l'Amérique-Centrale, le plus estimé dans le commerce. On
l'exporte en grande partie pour le Mexique. Les plantations de cacaoyers
se trouvent toutes au nord de la chaîne de montagnes qui côtoie la mer.
Dans l'intérieur, on ne cultive que depuis 1774 l'indigo, qui est de très-
bonne qualité. Ce fut à la même époque que commença la culture du coton.
En 1734, on songea à cultiver le café comme objet de commerce; mais
jusqu'à présent les plantations, tenues avec négligence, ont donné des
fruits médiocres. Les sucreries ne jouent encore qu'un rôle secondaire;
elles sont cependant en assez grand nombre, mais tous leurs produits se
consomment dans le pays ; car les Espagnols aiment passionnément les con-
fitures et tous les aliments qui admettent du sucre. Le tabac est excellent,
et les lois n'en gênent pas la culture.
La température moyenne du pays est de 27 degrés; dans l'intérieur des
terres elle est supérieure à celle des côtes, et la limite des neiges perpé-
tuelles est à 4,540 mèlres. Les rivières ont très-peu de pente, en sorte que
le moindre vent, dans une direction opposée à leur cours, cause un remous
qui repousse les eaux de tous les affluents, souvent à de grandes distances,
et transforme les savanes en grands lacs qu'on ne peut plus parcourir
qu'en réunissant l'habileté du cavalier aux connaissances du pilote. Dans
les plaines, il tombe annuellement jusqu'à 2 mètres 54 centimètres de pluie,
et sur les montagnes au moins 1 mètre 50 centimètres.

392
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
Le Venezuela, composé des anciens départements colombiens de
Venezuela, Maturin, Orénoque cl Zulia, se divise aujourd'hui, adminis-
trativement, en quinze provinces. Nous allons visiter ses villes les plus
importantes, et nous commencerons naturellement par la capitale de cette
nouvelle république, Caracas ou Léon de Caracas, que le Français ont
longtemps nommée Caraque. Avant le dernier tremblement de terre de
1812, qui fit périr 10,000 habitants, elle renfermait de beaux édifices et
comptait 45,000 habitants. Bâtie dans une vallée et sur un terrain très-
inégal, baignée par quatre petites rivières, elle a cependant des rues bien
alignées et des maisons très-belles. Son université rivalise avec celles de
Bogota et de Quito. La température de celte ville ne répond pas du tout à
sa latitude; on y jouit d'un printemps presque continuel; elle doit cet
avantage à son élévation, qui est de 910 mètres au-dessus du niveau de la
mer. Elle est le siége d'un archevêché et le centre d'un grand commerce.
Fondée en 1567, par Diégo Losada, elle fut longtemps le chef-lieu de la
capitainerie générale de son nom ; c'est la patrie de Simon Bolivar. Caracas
a pour port la Goayre ou Guayra, qui en est à 5 lieues, à l'embouchure de
la rivière du même nom. Cette ville, qui compte 12 à 15,000 âmes, fait à
elle seule plus de la moitié du commerce maritime de la république-, on
peut évaluer annuellement à 25 millions de francs la valeur de ses impor-
tations et de ses exportations. La mer n'y est pas moins houleuse que l'air
n'est chaud et insalubre.
On distingue encore Puerto-Cabello, située sur le Golfo-Triste, à
264 lieues à l'ouest de Caracas, dans une île qui communique au continent
par un pont ; elle offre un port commode qui peut mettre à l'abri de tous
les vents une flotte considérable. On y fait un commerce important, et ses
5,000 habitants emploient plus de 60 bâtiments au cabotage. Un marais
fangeux qui l'avoisine, rend malsain le séjour de cette ville. Valencia, cité
florissante, à une demi-lieue du lac du même nom, qui porte aussi celui de
Tacarigua, et au milieu d'une plaine fertile et salubre, est commerçante, et
renferme 15,000 habitants. Coro, ancienne capitale, près de la mer, est
dans une plaine aride et sablonneuse. Elle n'a que 4,000 habitants.
Cumana est destinée à devenir un jour l'une des plus importantes places
maritimes de l'Amérique méridionale ; sa rade pourrait recevoir toutes les
escadres de l'Europe. Elle est située sur la côte méridionale du golfe de
Curiaco, à l'embouchure du Manzanarès. Dans la crainte des tremblements
de terre, on n'y a construit aucun édifice en pierres. Sa population est d'en-
viron 10,000 âmes. Fondée en 1523, par Diégo Castellon, c'est la plus

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
393
ancienne des villes européennes du Nouveau-Monde ; elle fait un assez
grand commerce de mulets, bétail, viandes fumées, poissons et cacao.
Nouvelle-Barcelone, ou simplement Barcelona, est une ville malpropre,
au milieu d'un pays inculte, mais dont le sol est excellent: elle fait un
commerce de contrebande assez considérable avec l'île anglaise de la Trinité
qui en est voisine. Nous remarquerons encore Maracaïbo, chef-lieu de
province, bâti dans un terrain sablonneux, sur la rive gauche du lac du
même nom, à 6 lieues de la mer. Elle est défendue par trois forts. L'air y est
excessivement chaud ; le séjour n'en est cependant pas malsain. Ses habi-
tants sont en général bons marins et bons soldats; ceux qui ne suivent pas
la carrière maritime s'occupent de l'éducation des bestiaux, dont son terri-
toire est couvert ; ils ont leurs maisons de campagne à Gibraltar, de l'autre
côté du lac.
La rivière de la Zulia, qui donne son nom au département dont Mara-
caïbo est le chef-lieu, se jette dans le lac à son extrémité méridionale.
C'est vers cette partie de ses bords que se manifeste la nuit un phénomène
utile aux navigateurs. Près d'un endroit nommé Mena se trouve un dépôt
considérable de poix minérale; les vapeurs bitumineuses qui s'en exhalent
planent à la surface du lac et s'enflamment fréquemment pendant, les
grandes chaleurs. Ces feux, qui aident le pilote à reconnaître la côte, ont
reçu dans le pays le surnom de lanternes du Maracaïbo. On trouve, au-
dessus de ce lac, Merida, petite ville de 6,000 âmes, dont les habitants,
très-actifs et très-industrieux, possèdent le territoire le mieux cultivé et
le plus productif de la province dont elle est le chef-lieu; elle possède un
collège et une université. Truxillo, ville magnifique avant qu'elle eût été
ravagée, en 1678, par les flibustiers, possède encore une population au
moins égale à celle de Merida ; elle est bâtie dans une vallée étroite qui ne
lui laisse que l'espace nécessaire à deux rues.
Varinas, chef-lieu du département de l’Orenoco, ou de Orénoque, est
une ville de 10,000 àmes, où Ton récolte le tabac le plus renommé. Dans
la province de Varinas, Guanare renferme 10,000 habitants et possède un
collège; Montecâl, la ville la plus peuplée de la province d'Apure, n'a
cependant que 4,000 àmes.
Parcourons la partie de la Guyane qui appartient à la république de
Venezuela et dépend du département do l’Orénoque ; elle a plus de 250
lieues de long, depuis les bouches de l'Orénoque jusqu'aux limites du
Brésil. Sa largeur va en plusieurs endroits jusqu'à 150 lieues; sa superficie
est de 29,000 lieues carrées. Sur cette surface immense, on ne compte
V.
50

394
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
qu'environ 40,000 habitants connus et soumis, dont 20 à 30,000 Indiens,
sous la conduite des missionnaires. Les capucins catalans en avaient réuni
17,000 sur les bords du Carony, lors du voyage de M. de Humboldt.
Ils leur faisaient cultiver l'arbre qui donne le cortex angoslurœ. Mais
cet établissement a été ruiné pendant la guerre de l'indépendance. La
seule ville est San-Thomé de la Nueva-Guyana, communément nommée
Angostura, c'est-à-dire le détroit, parce qu'elle est située près d'un
resserrement du lit de l'Orénoque. Un fort construit sur une colline à la
droite du fleuve en défend le passage. Cette ville a changé de place trois
fois. Dans son deuxième emplacement il reste quelques fortifications qui
conservent encore le nom de San-Thomé de la Vieja-Guyana. La nouvelle
ville jouit d'un climat sain, tandis que dans l'ancienne, les ophthalmies
et la fièvre jaune étaient endémiques. La nouvelle ville compte 5 à 6,000
habitants.
Les terres de la Guyane, excellentes surtout pour la culture du tabac,
ne présentent qu'un petit nombre d'habitations mal travaillées, où les
propriétaires font un peu de coton, de sucre et de vivres du pays. On
exporte une assez grande quantité de bétail. Cette province, destinée par
sa fertilité et par sa position à acquérir une grande importance, la devra
surtout à l'Orénoque. Les rivières que ce fleuve reçoit, et dont le nombre
passe 300, sont autant de canaux qui porteraient à la Guyane toutes les
richesses que l'intérieur pourrait produire. Sa communication avec le
fleuve des Amazones ajoute aux avantages qu'il peut procurer à la Guyane,
en facilitant les relations avec le Brésil et les parties intérieures du nouveau
continent. Les Anglais, toujours poussés par une activité éclairée, sentent
l'importance de celte rivière ; ils ont établi des postes militaires dans
quelques îles, à son embouchure, d'où ils protègent la coupe des bois de
teinture, et d'où ils communiquent avec les Indiens Guaranos, tribu
paisible, qui, dans ses marais boisés, a bravé la.domination espagnole.
Une autre nation indépendante et belliqueuse, celle des Arouakas, qui
occupe la côte maritime au sud de l'Orénoque recevait des armes et des
boissons spiritueuses de la colonie hollandaise d'Essequébo et de Démé-
rary, aujourd'hui soumise aux Anglais. Ainsi, la souveraineté des Hispano-
Américains sur l'embouchure de ce fleuve important n'est rien moins que
solidement garantie.
Dans la partie supérieure du domaine de ce fleuve, entre le 3e et le
4e parallèle nord, la nature a plusieurs fois répété le phénomene singulier
de ce qu'on appelle les eaux noires. L’Atabapo, le Temi, le Tuamini et le

AMÉRIQUE.—RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
395
Guainia, ont des eaux d'une teinte couleur de café. A l'ombre des massifs
de palmiers, leur couleur passe au noir foncé ; mais, dans des vaisseaux
transparents, elles sont d'un jaune doré. L'image des constellations aus-
trales s'y reflète avec un éclat singulier. L'absence de crocodiles et de
poissons, une fraîcheur plus grande, un moindre nombre de mosquites
et un air plus salubre, distinguent la région des fleuves noirs. Ils doivent
probablement leur couleur à une dissolution de carbure d'hydrogène,
résultat de la multitude de plantes dont est couvert le sol qu'ils tra-
versent 1.
La Guyane colombienne comprend une partie de ces déserts arides
connus sous le nom de llanos, dont le reste appartient à l'ancienne
province de San-Juan de Llanos, et qui font partie, ainsi que nous l'avons
dit précédemment 2, de la Nouvelle-Grenade; on ne saurait en séparer la
description, que nous devons tirer presque en entier des écrits de M. de
Humboldt.
En quittant les humides bords de l'Orénoque et les vallées de Caracas,
lieux où la nature prodigue la vie organique, le voyageur frappé d'éton-
nement entre dans un désert dénué de végétation. Pas une colline, pas un
rocher ne s'élève au milieu de ce vide immense. Le sol brûlant sur une
surface de plus de 2,000 lieues carrées n'offre que quelques pouces de
différence de niveau. Le sable, semblable à une vaste mer, offre de curieux
phénomènes de réfraction et de soulèvement ou mirage. Les voyageurs
s'y dirigent par le cours des astres, ou par quelques troncs épars du pal-
mier-mauritia et d’embothrium quel'on découvre à de grandes distances. La
terre présente seulement çà et là des couches horizontales fracturées, qui
couvrent souvent un espace de 2,000 milles carrés, et sont sensiblement plus
élevées que tout ce qui les entoure. Deux fois chaque année l'aspect de ces
plaines change totalement; tantôt elles sont nues comme la mer de sable
de Libye, tantôt couvertes d'un tapis de verdure, comme les steppes élevées
de l'Asie moyenne. A l'arrivée des premiers colons on les trouva presque
inhabitées. Pour faciliter les relations entre la côte et la Guyane, on a
formé quelques établissements sur le bord des rivières, et on a commencé
à élever des bestiaux dans les parties encore plus reculées de cet espace
immense. Ils s'y sont prodigieusement multipliés, malgré les nombreux
dangers auxquels ils sont exposés dans la saison de la sécheresse et dans
celle des pluies, qui est suivie de l'inondation. Ausud, la plaine estentou-
1 A. de Humboldt : Tableaux de la Nature, t. II, p. 192.
2 Voyez à la page 388,

396
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
rée par une solitude sauvage et effrayante. Des forêts d'une épaisseur impé-
nétrable remplissent la contrée humide située entre l'Orénoque et le fleuve
des Amazones, ·, des masses immenses de granit rétrécissent le lit des fleuves;
les montagnes et les forêts retentissent sans cesse du fracas des cataractes,*
du rugissement des bêtes féroces et des hurlements sourds du singe barbu
qui annoncent la pluie. Le crocodile, étendu sur un banc de sable, et le
boa, cachant dans la vase ses énormes replis, attendent leur proie ou se
reposent du carnage.
Dans les forêts, dans les plaines, vivent des peuples de races et de civi-
lisation diverses. Quelques-uns séparés par des langages dont la dissem-
blance est étonnante, sont nomades, entièrement étrangers à l’agriculture,
se nourrissent de fourmis, de gomme et de terre, et sont le rebut de l'espèce
humaine; tels sont les Olomaques et les Jarures. La terre que les Otoma-
ques mangent est une glaise grasse et onctueuse, une véritable argile de
potier, d'une teinte jaune grisâtre, colorée par un peu d'oxyde de fer. Ils
la choisissent avec beaucoup de soin, et la recueillent dans des bancs par-
ticuliers, sur les rives de l'Orénoque et du Meta. Ils distinguent au goût une
espèce de terre d'une autre; car toutes les espèces de glaises n'ont pas le
même agrément pour leur palais. Ils pétrissent cette terre en bouletles de
12 à 18 centimètres de diamètre, et la font cuire à petit feu, jusqu'à ce que
la surface antérieure devienne rougeâtre. Lorsqu'on veut manger cette
boulette, on l'humecte de nouveau. Ces hommes, féroces et sauvages, se
nourrissent de poissons, de lézards ou de racines de fougère, lorsqu'ils
peuvent s'en procurer ; mais ils sont si friands de terre glaise, qu'ils en
mangent tous les jours un peu après le repas pour se régaler, dans la sai-
son où ils ont d'autres aliments à leur disposition.1
Les missionnaires, qui, parmi les tribus à l'ouest de l'Orénoque, ont
converti les Betoys et les Maïpoures, ont reconnu dans leur langue, ainsi
que dans celle des Yaruras, une syntaxe régulière et même très-artificielle.
Les Achaguas parlent un dialecte du Maïpoure. A l'est, l'ancienne mission
d’Esméralda est le poste le plus reculé. Les Indiens Guaicas, race d'hommes
très-blanche, très-petite, presque pygmée, mais très-belliqueuse, habi-
tent le pays à l'est de Passimoni. Les Guajaribes, très-cuivrés et extrême-
ment féroces, anthropophages même, à ce qu'on croit, empêchent les
voyageurs de pénétrer jusqu'aux sources de l'Orénoque. Les mosquitos
et mille autres insectes piquants et venimeux peuplent ici les forêts soli-
taires. Les rivières sont remplies de crocodiles et de petits poissons caribes,
î Tableaux de la Nature, t.I, p. 191-197.

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
397
dont la férocité est également à redouter. D'autres tribus de la partie orien-
tale, comme les Maquirilains et les Makos, ont des demeures fixes, vivent
des fruits qu'ils ont cultivés, ont de l'intelligence et des mœurs plus douces.
La nation dominante le long de la côte, depuis Surinam jusqu'au cap de la
Vela, était jadis celle des Caraïbes, en partie exterminée par les Euro-
péens. On ne saurait dire si cette race est venue des Antilles ou si elle s'y
est répandue. Parmi toutes les nations indiennes, les Caraïbes se distin-
guent par leur activité et leur bravoure. Ils habitent des villages gouvernés
par un chef électif, que les Européens ont nommé capitaine. Pour aller au
combat, ils se rassemblent au son d'une conque ou coquille de mer. Les
Caraïbes sont peut-être les hommes les plus robustes après les Patagons.
Selon les anciens voyageurs, ils sont cannibales ou anthropophages-, il
paraît certain du moins qu'ils mangent leurs ennemis, dont ils dévorent la
chair avec l'avidité du vautour. La langue caraïbe, une des plus sonores
et des plus douces au monde, compte près de trente dialectes. Elle pa-
raît même poétique, à en juger seulement d'après les noms de quelques
tribus ·, une d'elles s'appelle la Fille du Palmier ; l'autre la Sœur de l'Ours.
Les langues des tribus de l'intérieur paraissent bien plus rudes à l'oreille.
Les Salivas ont la prononciation tout à fait nasale ; les Situfas l'ont entiè-
rement gutturale; les Betoys font toujours retentir la lettre canine ; les
Quaivas et les Kirikoas, de même que les Otomaques et les Guaranes,
émettent avec une volubilité incroyable des sons qu'il est presque impos-
sible de saisir. La langue des Achaguas est la seule dans l'intérieur qui soit
harmonieuse.
De vastes espaces, entre le Cassiquiare et l'Atabapo, ne sont habités
que par des singes réunis en société et par des tapirs. Des figures tracées sur
des rochers prouvent que jadis cette solitude a été le séjour d'un peuple
parvenu à un certain degré de civilisation. C'est entre les 2e et 4e parallèles,
dans une plaine boisée, entourée par les quatre rivières de l'Orénoque, de
l'Atabapo, du Rio-Negro et du Cassiquiare, que l'on observe des rochers
de syénite et de granit, couverts de figures symboliques colossales, repré-
sentant des crocodiles, des tigres, des ustensiles de ménage, et les images
du soleil et de la lune.
Aujourd'hui ce coin de terre, dans une étendue de plus de 500 milles
carrés, n'offre aucune habitation. Les peuplades voisines se composent de
sauvages, ravalés au degré le plus bas de la civilisation, menant une vie
errante, et bien éloignés de pouvoir graver le moindre hiéroglyphe sur les
rochers. Des monuments semblables existent près de Caïcara et d'Urnana.

398
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
Peut-être y reconnaîtra-t-on un jour l'ouvrage des Indiens Muyscas, dont
nous avons parlé.
L'île Marguerite, ou Margarita, aride, mais salubre, que Christophe
Colomb découvrit en 1498, et qui est séparée du continent par un canal
de 6 lieues de large, forme une province de 15,000 àmes, qui fait partie
du département de Maturin, et qui renferme la ville d'Assuncion et le port
Pampatar, déclaré franc par la république. Au lieu de perles, on pèche au-
jourd'hui dans ses eaux une immense quantité de poissons.
Le Venezuela forme actuellement une république démocratique, à la tête
de laquelle sont un président nommé pour quatre ans, et un congrès
national composé d'un sénat et d'une chambre des représentants. Chaque
province (il y en a quinze), nomme deux sénateurs, et chaque centre de
population de 25,000 âmes nomme un représentant; les uns et les autres
se renouvellent de deux en deux ans, par moitié. Le congrès exerce
le pouvoir législatif et surveille le président. Le pouvoir judiciaire est
confié à une cour suprême, qui a sous sa dépendance les tribunaux pro-
vinciaux.
Les revenus publics qui sont entièrement absorbés par la dépense, s'élè-
vent annuellement à 11 ou 12 millions de francs. La detle publique en 1849
se montait à plus de 20,962,212 piastres. Le chiffre général du commerce
de la république de Venezuela pour l'année 1848-1849, était de 8,266,978
piastres (33,067,912 francs). En 1841-1842, ce chiffre avait atteint
55 millions de francs. Cette décroissance doit être attribuée à l'insécurité
qui règne dans ce beau pays et à l'incapacité de son gouvernement. La
force armée se composait en 1850 de 2849 hommes de troupes et de 143
officiers. La milice nationale de réserve existe en outre dans chaque pro-
vince. La marine militaire est nulle;,car nous ne pouvons tenir compte
de deux goelettes désarmées, et de trois chaloupes canonnières en mauvais
état.
La république de l’Equateur, la plus petite des républiques Colombiennes,
comprend toute la partie méridionale que l'on appelait autrefois royaume ou
présidence de Quito. Son nom actuel lui vient de sa situation astronomique ;
ellen'a guère que 15 à 20,000 lieues géographiques carrées. Baignée àl'ouest
par l'océan Pacifique, elle touche par le nord à la Nouvelle-Grenade, par
le sud au Pérou, et va se perdre à l'est vers les provinces brésiliennes de
Rio-Negro et de Solimoens. Sa population, composée des mêmes éléments
que celle des républiques que nous venons de décrire, ne va pas au delà de
600,000 àmes.

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
399
Cette république présente partout des phénomènes étranges, des monu-
ments curieux, une végétation forte et luxuriante. D'un côté le volcan de
Pichincha, le Cayambé traversé par l'Équateur ; l'Antisana, le plus haut
des volcans ; le Cotopaxi, le Chimboraço ; de l'autre, la maison de l’Inca et
le Panecillo aux environs de la Tacuna; la chaussée des Incas et l'Inga-
pilca , non loin de Cuença ; puis parmi ces volcans, dont les mugissements
se font quelquefois entendre à 200 lieues, parmi ces monuments où vit le
souvenir d'une grandeur qui n'est plus, des villages ensevelis dans des
vallées profondes, ou suspendus aux flancs des montagnes; des pâturages
où paissent d'innombrables troupeaux de lamas et de brebis d'Europe; des
vergers bordés de haies vives de duranta et de bardanesia ; des champs
cultivés avec soin, et promettant de riches moissons de céréales. L'Equa-
teur est arrosé par le Maranon, la Magdalena, le Putumayo, le Tigre et
la Pastazza, composé de trois anciens départements colombiens de l'Equa-
teur, de Guayaquil et de l'Assuay, il se divise aujourd'hui en huit pro-
vinces.
Lorsqu'on quitte la côte que dévore un soleil aux rayons verticaux, pour
pénétrer dans la montagne où l'on respire un air plus doux et plus salubre,
on trouve, au milieu d'une belle vallée que dominent de toutes parts des
volcans couronnés de neige, Quito, ancienne capitale de la seconde monar-
chie péruvienne et capitale de la nouvelle république. Les habitants excel-
lent dans la plupart des arts et métiers. Ils fabriquent surtout des draps et
des cotons, qu'ils teignent en bleu; ils en fournissent tout le Pérou. Le
commerce de la ville est aussi très-actif ; elle est le siége d'un tribunal
suprême et d'un archevêché; les rues sont d'un niveau trop inégal pour
qu'on puisse s'y servir de voitures; les quatre plus larges seulement sont
pavées. Les édifices de cette ville ne répondent pas à son importance. Le
palais de justice , la cathédrale, l’hôtel-de-ville et le palais épiscopal
occupent les quatre côtés de la Plaza-Mayor, au centre de laquelle s'élève
une belle fontaine en bronze. L'église la plus remarquable par son archi-
tecture et ses sculptures est celle du ci-devant collége de jésuites. On lit sur
un de ses murs l'inscription en marbre laissée par les académiciens fran-
çais envoyés en 1736, pour mesurer un degré du méridien. Cetle ville
est à 13 minutes au sud de l'équateur. Son université est depuis longtemps
célèbre dans l'Amérique méridionale. Située à 3,200 mètres au-dessus du
niveau de l'Océan, cette ville ne jouit plus du printemps perpétuel que sa
situation paraissait lui garantir depuis l'affreux tremblement de terre de 1797
qui bouleversa la province de Quito, et fit périr dansun seul instant 40,000

400
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
individus. Tel a été le changement de la température, que le thermomètre
y est ordinairement à 4 degrés au-dessus de zéro, et ne s'y élève que rare-
mert à 16 ou 17, tandis que Bouguer le voyait constamment à 15 ou 16.
Depuis ce temps, les tremblements de terre y sont presque continuels.
Malgré tes horreurs et les dangers dont la nature les a environnés , les
habitants de Quito, gais, vifs, aimables, ne respirent que la volupté, le
luxe; nulle part peut-être il ne règne un goût plus décidé et plus général
pour les plaisirs. La population de cette ville est de 70,000 àmes.
Dans les environs de Quito, nous citerons Otavalo, ville industrieuse à
laquelle on accorde 16,000 habitants; Latacunga qui en a 17,000, malgré
les pertes que les éruptions du Cotopaxi lui ont l'ait éprouver.
Sur le versant occidental des Andes, nous apercevons Guayaquil, chef-
lieu de province, à 255 kilomètres au sud-ouest de Quito, ville qui donne
son nom au fleuve qui la traverse et au golfe dans lequel celui-ci va se jeter.
Cette cité commerçante, dont le port est un des plus importants du Grand-
Océan, et qui possède un arsenal, de beaux chantiers et une école de
navigation, est formée de deux villes, la vieille et la nouvelle, et ne ren-
ferme aucun édifice qui soit digne d'attirer l'attention du voyageur; mais
ce qui frappe celui-ci, c'est la beauté de la plupart des femmes. Les maisons
et les églises sont construites en bois.
Peuplée de 20 à 22,000 àmes, Guayaquil est un port de mer et un atelier
de construction très-commode, à cause des forêts qui en sont rapprochées.
Il s'y fait un grand commerce d'échange entre les ports du Mexique et ceux du
Pérou et du Chili. La valeur annuelle des importations et des exportations est
d'environ 10 à 12 millions de francs. La végétation des environs, dit
M. de Humboldt, est d'une majesté au-dessus de toute description; les
palmiers, les scitaminées, les plumeria, les taberna montana y abondent.
La petite ville de Jipijapa est importante par son commerce de chapeaux de
paille, renommés en Amérique, et dont le prix varie de 10 à 80 francs. On
les désigne sous le nom de chapeaux de Guayaquil. Don Alcedo dit que l'on
trouve dans la province de Guayaquil une espèce de bois fort et solide,
qu'on préfère pour la construction des petits vaisseaux, spécialement pour
la quille et les courbes, parce qu il est incorruptible et qu'il résiste aux
vers plus que tout autre; il est très-facile à travailler; sa couleur est foncée,
on le nomme guachapeli ou guarango. Devant Guayaquil est l'ile de la Ρuna
couverte de pâturages, et d'une grande fertilité.
En suivant toujours une direction méridionale, nous trouvons Cuença;
ville épiscopale, chef-lieu de province d'environ 20,000 âmes, où l'on

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
401
compte plusieurs raffineries de sucre, et dont les confitures et une sorte de
fromage qui ressemble au parmesan, sont les plus importantes branches
d'industrie. Son altitude dépasse celle du Grand-Saint-Bernard. Loxa ou
Loja, chef-lieu de la province du même nom, peuplée de 12,000 àmes,
quoiqu'elle ait souvent été abandonnée par ses habitants, à la suite des
violents tremblements de terre qu'elle a éprouvés, fait un commerce consi-
dérable de quinquina et de cochenille. Sur la rive gauche du Chinchipe,
affluent du Tunguragua, l'un des principaux affluents du Marañon ou de
l'Amazone, Jaen-de-Bracamoros, renferme 4,000 habitants, la plu-
part hommes de couleur. Rio-Bamba, à 190 kilomètres au sud de Quito,
chef-lieu de la province de Chimborazo a, dit-on, 20,000 âmes. Ambato,
au pied du Chimborazo, cette ville florissante située à 75 kilomètres au sud
de Quito, fait un grand commerce de sucre, de grain et de cochenille.
Esmeraldas , à l'embouchure de la rivière du même nom , et à 162 kilo-
mètres au nord-ouest de Quito, est, après Guayaquil, le port le plus impor-
tant de la république-, on récolte, dans ses environs, d'excellent cacao.
Puerto-Viejo, plus au sud, fait un petit commerce de cabotage.
L'ancienne et vaste province de Maynas, comprise aujourd'hui dans les
provinces de Cuenca et de Loxa, s'étend sur la rivière des Amazones. Il
n'y a que peu d'établissements européens dans ces vastes solitudes-, les
plus considérables sont San-Joaquin-de-Omaguas, San-Francisco-de-
Borja, Santiago, Xibaros et Oran. Au delà s'étendent de vastes terres peu
connues, où vit un grand nombre de tribus sauvages indépendantes, dont
les principales sont les Maynas, les Omaguas et les Xibaros. Une grande
partie erre dans les forêts, vivant de chasse et de pêche. Le pays produit
de la cire blanche et noire, ainsi que du cacao.
Ces solitudes ont autrefois été visitées par de hardis et courageux mis-
sionnaires qui, réunissant autour d'une modeste chapelle quelques Indiens
errants, étaient parvenus à fonder quelques pueblos ou villages et missions.
Nos cartes en indiquent encore aujourd'hui les noms et la position , mais
la plupart ont été détruits ou abandonnés, et il n'en reste aucune trace.
Ce ne serait pas avoir décrit l'ancien royaume de Quito, que de passer
sous silence les redoutables volcans qui tant de fois ont bouleversé le sol,
et englouti les cités. Le majestueux Chimborazo n'est probablement qu'un
volcan éteint-, la neige séculaire qui couvre sa cime colossale fondra peut-
être un jour, et les feux enchaînés dans ses flancs reprendront leur acti-
vité destructive.
Le Pichincha est un des volcans les plus grands de la terre; son cratère
V.
M

402
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
creusé dans des porphyres basaltiques , a été comparé par La Condamine,
au chaos des poëtes. Cette bouche immense était alors remplie de neige-,
mais M. de Humboldt la trouva embrasée: « La bouche du volcan, dit ce
« savant voyageur, forme un trou circulaire de près d'une lieue de cir-
« conférence, dont les bords taillés à pic, sont couverts de neige par en
« haut ; l'intérieur est d'un noir foncé, mais le gouffre est si immense,
« que l'on distingue la cime de plusieurs montagnes qui y sont placées ;
« leur sommet semble être à 4 ou 600 mètres au-dessous de nous, jugez
« donc oû doit se trouver leur base. Je ne doute pas que le fond du cra-
« tère ne soit de niveau avec la ville de Quito. »
Le Cotopaxi est le plus élevé de ces volcans des Andes, qui, à des
époques récentes, ont eu des éruptions. Sa hauteur absolue est de 5,753
mètres ·, elle surpasserait par conséquent de plus de 800 mètres la hauteur
du Yésuve, placé sur le sommet du pic de Ténériffe. Le Cotopaxi est aussi
le plus redoutable de tous les volcans du royaume de Quito; c'est celui
dont les explosions ont été les plus fréquentes et les plus dévastatrices. Les
scories et les quartiers de rochers lancés par ce volcan couvrent les vallées
environnantes sur une étendue de plusieurs lieues carrées. En 1758, les
flammes du Cotopaxi s'élevèrent au-dessus des bords du cratère à la hau-
teur de 900 mètres. En 1744, le mugissement du volcan fut entendu jus-
qu'à Honda , ville située sur les bords de la rivière de la Magdalena, à
une distance de 200 lieues communes. Le 4 avril 1768, la quantité de
cendres vomies par la bouche du Cotopaxi fut si grande, que, dans les
villes d'Hambato et de Tacunga, la nuit se prolongea jusqu'à trois heures
de l'après-midi. L'explosion qui arriva au mois de janvier 1803, fut pré-
cédée d'un phénomène effrayant, la fonte subite des neiges qui couvraient
la montagne. Depuis plus de vingt ans aucune fumée, aucune vapeur
visible n'était sortie du cratère, et, dans une seule nuit, le feu souterrain
devint si actif, qu'au soleil levant les parois extérieures du cône fortement
échauffées se montrèrent à nu et sous la couleur noire qui est propre aux
laves boueuses des volcans américains. Au port de Guayaquil, dans un
éloignement de 52 lieues en ligne droite du bord du cratère, M. de Hum-
boldt entendit jour et nuit les mugissements du volcan comme des décharges
répétées d'une batterie.
S'il était décidé que la proximité de l'Océan contribue à entretenir le feu
volcanique, nous serions étonné de voir que les volcans les plus actifs du
royaume de Quito, le Cotopaxi, le Tunguragua et le Sangay, appartiennent
au chaînon oriental des Andes, et par conséquent à celui qui est le plus

AMERIQUE.—RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
403
éloigné des côtes. Le Cotopaxi est à plus de 50 lieues de la côte la plus
voisine.
Nous devons rattacher à la description de la république de l'Equateur
celle des îles Gallapagos ou Galapagos, ou îles aux tortues, qui en forment
aujourd'hui une division provinciale. Cet archipel, situé sous l’équateur,
à 200 lieues à l'ouest du continent américain, renferme des pics volca-
niques dans les îles les plus orientales. Les cactus et les aloès y couvrent
les flancs des rochers. Dans les îles occidentales, une terre noire et pro-
fonde nourrit de gros arbres. Les flamingos et les tourterelles peuplent les
airs ; la plage est couverte de tortues énormes. Aucune trace n'y marque
l'ancien séjour de l'homme; ni les Malais du Grand-Océan, ni les tribus
américaines n'ont jamais abordé dans ces terres isolées. Dampier et Cowley
ont vu des sources et même des rivières dans quelques-unes de ces îles dont
les noms particuliers espagnols ont cédé la place à des noms anglais, du
moins sur toutes les caries modernes. Santa-Maria-de-l’Aguada paraît
identique avec l'île York. Les plus grandes, parmi les vingt-deux connues,
sont celles d'Albemarle et de Narborough. Cowley décrit Vile Enchantée
comme s'offrant sous les aspects variés d'une ville murée et d'un château-
fort en ruines. Plusieurs ports et mouillages invitent les Européens à y
former des établissements.
Albemarle, située sous l'équateur, a 23 lieues de longueur sur 16 de
largeur. Narborough avait été reconnue avec soin par Vancouver : elle est
moins considérable que la précédente. En 1822, le capitaine anglais Basil-
Hall a fait des expériences sur le pendule dans l'île d'Abingdon, qui, selon
lui, a 10 ou 12 milles de longueur. Les Galapagos sont toutes d'origine
volcanique. Dans l'île d’Abingdon, on remarque une montagne de 650
mètres de hauteur, couverte de cratères, d'où se sont échappés, à diffé-
rentes époques, des torrents de laves, qui, en se précipitant au loin dans la
mer, ont formé des pointes saillantes assez nombreuses.
Ces îles, réclamées par les Anglo-Américains, sont encore fort mal pla-
cées sur nos cartes géographiques ; il est à regretter que le capitaine Basil-
Hall n'ait pas eu le temps d'en lever le plan. Parmi les plus considérables,
ou cite celles de Chatham, de Norfolk, de Bindloes, de Cowley, de Cal-
dwell, de Wenmans et de Culpepers.
Dans toutes ces îles, on trouve de l'eau passable qui se conserve dans les
cavités des rochers. Il n'y pleut point depuis le mois de mai jusqu'en août ;
mais les brises de mer y rafraîchisent l'air et y rendent les chaleurs très-
supportables. Des orages violents y règnent depuis novembre jusqu'en

404
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
juin. Les torlues qui habitent ces îles, où elles se nourrissent de cactus,
pèsent souvent jusqu'à 150 kilogrammes. En 1832, un habitant de la Loui-
siane, appelé Vilamil, s'est fixé dans l'île Charles, qu'il a nommée Floriana,
avec une centaine de colons qui le regardent comme un souverain.
La république de l'Équateur possède un gouvernement démocratique; le
président est élu pour quatre ans. Le pouvoir législatif est. conféré à une
assemblée unique, composée de 42 députés élus pour quatre ans et rééli-
giblcs; le pouvoir judiciaire est représenté par une cour suprême de jus-
tice, par des tribunaux supérieurs d'appel, et des tribunaux inférieurs. La
force publique se compose de la milice et de l'armée active, qui compte deux
bataillons d'infanterie et deux escadrons de cavalerie (lanciers), et une
demi brigade d'artillerie, en tout 1,000 à 1,200 hommes. La république est
divisée en trois districts militaires, ayant à leur tête un commandant-
général. Le budget des dépenses de l'Équateur ne s'élève pas au-dessus de
8 à 900,000 piastres; ces dépenses sont couvertes par les revenus des
douanes, le produit des taxes sur le sel, le tabac, le papier timbré. Le
commerce général peut être évalué à 12 ou 13,000,000 de francs ; le port
de Guayaquil en est le centre.
Avant de quitter les régions colombiennes, nous dirons quelques mots
des tribus indiennes qui séjournent dans les vastes plaines situées à l'est de
la Cordillère, et nous ferons connaître le caractère des Colombiens que la
civilisation a réunis dans les villes et dans les villages qui sont à l'ouest de
la Cordillère.
La Colombie renferme encore un nombre très-considérable de tribus in-
diennes, dont plusieurs jouissent de leur indépendance, et qui presque
toutes ont conservé leur langage et leur manière de vivre. Avant de nous
occuper des Moscas, ou Muyscas, peuple dominant dans ces contrées, nom-
mons les tribus inférieures. Les Guaïras, ou Guagniros, qui occupent une
partie des provinces de Maracaïbo, de Rio-de-la-Hacha et de Santa-Marta,
donnent la main aux Motilones, qui possèdent les terres baignées par le
Muchuchies et le Saint-Faustin, jusqu'à la vallée de Cucuta. Ils inter-
ceptent les routes des montagnes ; le pillage, l'incendie et le meurtre
signalent leurs incursions dans les plaines. Les Chilimes, et une autre
bande de Guaïras, infestent les bords de la Magdalena. Dans la province de
Panama, les Urabas, les Zitaras et les Oromisas forment trois petits Etats
indépendants, l'un sous un prince nommé le Playon, et les deux autres
sous un gouvernement républicain. On remarque encore à l'ouest du golfe
de Darien les Indiens Mestizos, qui comptent 30,000 individus, dont

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
405
8,000 guerriers, parmi lesquels 3,000 armés de fusils ; c'est une réunion
de sauvages, de pirates et de contrebandiers. Les Cunacunas, qui habitent
les montagnes de Choco et de Novita, exercent leurs ravages jusqu'à
Panama, et attaquent même sur mer les barques chargées de vivres.
Les nations anciennes de Quito paraissent avoir eu, comme les tribus
sauvages de l'Afrique, un nombre infini d'idiomes; les missionnaires en
ont spécifié jusqu'à 117 ; mais la langue des Quitos peut avoir dominé sur
le plateau, et celle des Scires sur la côte. Les Scires, qu'on est étonné de
trouver homonymes avec une ancienne horde de l'Europe, fameuse par ses
courses guerrières 1 firent, en l'an 1,000, la conquête du haut pays, et y
introduisirent leur idome. Les Espagnols y trouvèrent établies la langue et
la domination péruviennes. Mais peut-on en conclure, avec Hervas, que les
Scires parlaient un dialecte péruvien? Les Cofanes, une des 117 tribus de
Quito, étaient encore, en 1600, au nombre de plus de 15,000 ; ils parlaient
une langue particulière, usitée également dans le pays d’Anga-Marca, et
dans laquelle un jésuite a écrit un abrégé des doctrines chrétiennes.
L'histoire doit recueillir le souvenir de deux tribus remarquables. Les
Muzos, anciens ennemis des Muyscas, habitaient au nord-ouest de Santa-
Fé : ils croyaient qu'une ombre d'homme, nommé Are, avait créé et instruit
leur nation ; ils n'adoraient aucune divinité, et se prétendaient plus
anciens que le soleil et la lune. Les Sulagos, qui habitaient vers Summa-
Paz, se distinguaient par leur idiome extrêmement doux et efféminé comme
leur caractère. Parmi les 52 tribus de Popayan, celle de Guasinca, celle de
Cocanuca et celle des Paos, avaient trois langues distinctes, conservées par
les écrits des missionnaires. Les Xibaros, les Macas et les Quixos, tribus
puissantes, occupaient les pentes orientales des Andes de Quito. Plus bas,
le vaste pays de Maynas renferme les restes d'innombrables tribus visitées
autrefois par les missionnaires. La grande nation des Omaguas est répan-
due sur tout le cours du Maranon ou de l'Amazone; son idiome est un
dialecte de la langue guarini du Brésil, mais plus simple dans ses formes
grammaticales, et plus riche en mots; circonstances qui indiquent une plus
longue civilisation chez les Omaguas. Les migrations de ce peuple naviga-
teur ne sont pas suffisamment connues; l'opinion la plus probable les a fait
arriver du Brésil.
Un ancien centre de civilisation au milieu de ces nations nomades ou
sauvages est un phénomène digne de toute notre attention. Le plateau de
Santa-Fé-de-Bogota rivalise avec Cuzco, la ville du soleil, comme foyer des
! Les Sciri, Scyri ou Skyri ; voyez notre vol. I, p. 238.

406
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
institutions et des idées religieuses et politiques1. Nous allons nous arrêter
à cet intéressant problème ethnographique.
Dans les temps les plus reculés, avant que la lune accompagnât la terre,
dit la mythologie des Indiens Muyscas ou Mozcas, les habitants de Cundi-
namarca, ou du plateau de Bogota, vivaient comme des barbares, sans
agriculture, sans lois et sans culte. Tout à coup parut chez eux un vieil-
lard qui venait des plaines situées à l'est de la Cordillère de Chingaza : il
paraissait d'une race différente de celle des indigènes, car il avait la barbe
longue et touffue. Il était connu sous trois noms différents : sous ceux de
Bochica, Nemquetheba et Zuhé. Ce vieillard, semblable à Manco-Capac,
apprit aux hommes à se vêtir, à construire des cabanes, à labourer la terre
et à se réunir en société. Il amena avec lui une femme à laquelle la tradi-
tion donne encore trois noms ; savoir, ceux de Chia, Yubecayguaya et
Huythaca. Cetle femme, d'une rare beauté, mais d'une méchanceté exces-
sive, contrariait son époux dans tout ce qu'il entreprenait pour le bonheur
des hommes. Par son art magique, elle fit enfler la rivière de Funzha, dont
les eaux inondèrent toute la vallée de Bogota. Ce déluge fit périr la plupart
des habitants, et quelques-uns seulement s'échappèrent sur la cime des
montagnes voisines. Le vieillard irrité chassa la belle Huythaca loin de la
terre; elle devint la lune, qui, depuis celte époque, commença à éclairer
notre planète pendant la nuit. Ensuite Bochica, ayant pitié des hommes
dispersés sur les montagnes, brisa d'une main puissante les rochers qui
ferment la vallée du côté de Canons et de Tequendama. Il fit écouler par
cette ouverture les eaux du lac Funzha, réunit de nouveau les peuples dans
la vallée de Bogota, construisit des villes, introduisit le culte du soleil,
nomma deux chefs entre lesquels il partagea les pouvoirs séculier et ecclé-
siastique, et se retira sur le mont d'Idacanzas, dans la sainte vallée d'Iraca,
près de Tunja, où il vécut dans les exercices de la pénitence la plus aus-
tère, pendant l'espace de 2,000 ans, ou de cent cycles muyscas, au bout
desquels il disparut d'une manière mystérieuse.
Cette fable réunit un grand nombre de traits que l'on trouve épars dans
les traditions religieuses de plusieurs peuples de l'ancien continent. On
croit reconnaître le bon et le mauvais principe personnifiés dans le vieil-
lard Bochica et dans sa femme Huythaca. Les rochers brisés et l’écoule-
ment des eaux font penser à Yao, fondateur de l'empire chinois. Le temps
reculé où la lune n'existait point encore, rappelle la prétention aes Arca-
1 Lucas-Fernandez Piedrahita, évêque de Panama, dans son Historia general del
Nuevo-Reyno-de-Granada ; ouvrage composé d'après les manuscrits de Quesada.

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
407
diens sur l'antiquité de leur origine. L'astre dela nuit est peint comme un
astre malfaisant qui augmente l'humidité sur la terre, tandis que Bochica,
fils du soleil, sèche le sol, protége l'agriculture, et devient le bienfaiteur
des Muyscas, comme le premier Inca fut celui des Péruviens.
Ces mêmes traditions portent que Bochica, voyant les chefs des diffé-
rentes tribus indiennes se disputer l'autorité suprême, leur conseilla de
choisir pour zaque ou souverain un d'entre eux appelé Huncahua, et révéré
à cause de sa justice et de sa haute sagesse. Le conseil du grand-prêtre fut
universellement adopté ; et Huncahua, qui régna pendant 250 ans, par-
vint à se soumettre tout le pays qui s'étend depuis les savanes de San-Juan
de los Llanos jusqu'aux montagnes d'Opon. La forme du gouvernement
que Bochica donna aux habitants de Bogota est très-remarquable par l'ana-
logie qu'elle présente avec les gouvernements du Japon et du Tibet. Au
Pérou, les Incas réunissaient dans leurs personnes le pouvoir séculier et
l'ecclésiastique. Les fils du soleil étaient pour ainsi dire souverains et
prêtres à la fois. A Cundinamarca, dans un temps probablement antérieur
à Manco-Capac, Bochica avait constitué électeurs les quatre chefs des
tribus, Gameza, Busbanca, Pesca et Toca. Il avait ordonné qu'après sa
mort ces électeurs et leurs descendants eussent le droit de choisir le grand-
prêtre d’Iraca. Les pontifes ou lamas, successeurs de Bochica, étaient
censés héritiers de ses vertus et de sa sainteté. Le peuple se portait en foule
à Iraca pour offrir des présents au grand-prêtre. On visitait les lieux deve-
nus célèbres par les miracles de Bochica, et, au milieu des guerres les plus
sanglantes, les pèlerins jouissaient de la protection des princes par le terri-
toire desquels ils devaient passer pour se rendre au sanctuaire (chunsua)
et aux pieds du lama qui y résidait. Le chef séculier, appelé zaque de
Tunja, auquel les zippa ou princes de Bogota payaient un tribut annuel,
et les pontifes d'Iraca étaient par conséquent deux puissances distinctes,
comme le sont au Japon le daïri et l'empereur séculier.
Bochica n'était pas seulement regardé comme le fondateur du nouveau
culte et comme le législateur des Muyscas; symbole du soleil, il réglait
aussi le temps, et on lui attribuait l'invention du calendrier. Il avait pres-
crit de même l'ordre des sacrifices qui devaient être célébrés à la fin des petits
cycles, à l'occasion de la cinquième intercalation lunaire. Dans l'empire du
zaque, le iour (sua) et la nuit (za) étaient divisés en quatre parties, savoir:
sua-mena, depuis le lever du soleil jusqu'à midi; sua meca, de midi an
coucher du soleil ; zasca, du cocher du soleil à minuit, et cagni, de minuit
au lever du soleil. Le mot sua ou zuhe désigne à la fois, dans la langue

408
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
muysca, le jour et le soleil. De Sua, qui est un des surnoms de Bochica,
dérive sue, Européen ou homme blanc; dénomination bizarre qui tire son
origine de la circonstance que le peuple, lors de l'arrivée de Quesada,
regardait les Espagnols comme fils du soleil, sua. La plus petite division du
temps, chez les Muyscas, était une période de trois jours. La semaine de
sept jours était inconnue en Amérique, comme dans une partie de l'Asie
orientale. Le premier jour de la période était destiné à un grand marché
tenu à Turmèque. L'année (zocam) était divisée par lunes; vingt lunes
composaient Vannée civile, celle dont on se servait dans la vie commune.
Vannée des prêtres renfermait trente-sept lunes, et vingt de ces grandes
années formaient un cycle muysca. Pour distinguer les jours lunaires, les
lunes et les années, on se servait de séries périodiques dont les dix termes
étaient des nombres.
La langue de Bogota, dont l'usage s'est presque entièrement perdu
depuis la fin du dernier siècle, était devenue dominante par les victoires du
zaque Huncahua, par celles des Zippas, et par l'influence du grand lama
d’Iraca, sur une vaste étendue de pays, depuis les plaines de l’Ariari et du
Rio-Meta, jusqu'au nord de Sogamozo. De même que la langue de l’Inca
est appelée au Pérou quichua, celle des Mozcas ou Muyscas est connue dans
le pays sous la dénomination de chibeha. Le mot muysca, dont mozca paraît
une corruption, signifie homme ou personne: mais les naturels ne l'ap-
pliquent généralement qu'à eux-mêmes.
Nous terminerons ce livre par quelques mots sur les Colombiens en
général. Ceux qui habitent les terres chaudes, dit un voyageur français,
M. Mollien, sont maigres, ont le teint jaune et sont petits de taille. « Lors-
qu'on s'élève vers des régions plus froides, la couleur des blancs est
moins jaune ; pâle encore jusqu'à 1,000 ou 1,200 mètres, elle se colore à
2,000 mètres, et brille d'un éclat charmant à la hauteur où se trouve Santa-
Fé de Bogota. » Le même peuple peut donc se partager en deux classes dans
la Colombie : dans les terres chaudes règne l'indolence; on voit des hommes
rester tout le jour couchés dans un hamac et se balancer lentement en
fumant un cigare; il est vrai que la haute température y invite au repos,
énerve le corps et nuit même aux applications de l'esprit. Les arts et les
sciences languissent dans ces régions. L'habitant des Andes, au contraire,
jouit de la douce influence d'un climat tempéré; livré aux charmes d'une
mélancolie pensive, il apprécie les arts, les sciences et la littérature.
Exagéré dans ses prévenances et ses démonstrations d'amitié; exerçant
avec ostentation les vertus hospitalières ; admirateur aveugle de sa patrie

AMÉRIQUE. — TABLEAUX DES RÉPUBLIQUES COLOMBIENNES.
409
et de ses compatriotes, le mensonge, la jalousie et l'ingratitude paraissent
être les vices dominants du Colombien ; on pourrait même y joindre l'esprit
de vengeance, si l'on s'en rapportait à ce dicton populaire : C'est à Dieu de
pardonner ; quant aux hommes, jamais.
« On fera des affaires avec l'Américain du nord, dit M. Mollien, mais on
« vivra avec l'Américain espagnol, parce que s'il a des formes moins
« franches, elles sont au moins plus douces. Les travers et les vices des
« Colombiens appartiennent à toutes les nations qui ne sont pas parvenues
« au degré de civilisation que nous avons atteint. Si on en excepte les for-
« faits politiques qu'ils ont commis par représailles, on n'en a pas encore
« à leur reprocher. »
TABLEAUX Statistiques des Républiques Colombiennes en 1850.
République de la Nouvelle-Grenade.
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION.
par lieues géog. carrées.
par lieue carrée.
35,000
1,800,000
51
PROVINCES.
POPULATION.
CHEFS—LIEUX.
VILLES PRINCIPALES.
SANTA - FÉ-DE
Guatavita.— Zipaquira. — Ubate. — Guaduas. —
Bogota.....
275,217
BOGOTA ††. .
Soacha —Muzo — Caqueza.
Antioquia.
. .
168,017
Medellin. . . . Antioquia f. — Santa-Rosa de Osos. — Rio-Negro-
Buenaventura
32,9:20
Iscuande. . . . San-Buenaventura.
Cartagena. ..
133,824
Cartagena†. . Turbaco. — Soledad.— Tola. — Excarmen.
Casanare. . . .
16,948
Pore. ..... Tamara —Morcoli. — Tame. — Casanare.
Cauca
52,420
Clioco ....
194
Quibdo.
. ..
Novita.
Mariquita.
. .
84,721
Ibague — Mariquita. — La Palma.
Mompox. . . .
49,557
Mompox. - . .
Ocana. — Simiti.
Neyva. ....
82,452
Neyva on Neyba Idmana. — Gigante. — La Purificacion.
Sau-José de Cucuta — Rosario de Cucuta.—Malaga.
Pamplona. . .
106.610
Pamplona †. . !
Bucaramangua. — Giron.
Chagres. — Cruces — Chorrera.— Porto-Bello.—
Panama. . . .
76,665
Panama f. . .
Ile des Perles.
Pasto
60,589
Pasto
Barbacoas.
Popayan. . ..
50,236
Popay an +. . .
Buga. — Cali. — Cartago. — Palmira.
Rio-Hacha. .
15,80!
Rio-Hacha. . .
Santa-Marta. .
48,587
Santa-Maria f. Cinega. — Plato.
Socorro.
.
120,513
Socorro. . . .
San Gil. — Moniquira,
Chinquiquira. — Santa-Rosa. — Boyaca. — Soga-
Tunja. ....
251,983
moso.
Veles.
87,418
Veles
Sanl'ago
de
Veragua. . .
44,514
La Mesa. — Remedios. — Villa de Quibo.
Veragua. . .
Territoire des DES Bouches-du -Toro: 15,000
Les †† et les t ndiqueut les archevêc evêchés et les évêchés és. — Les villes en italique indiquent les ports.
Y.
52

410
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.
République de Venezuela.
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION
par lieues géog. carrées.
par lieue carrée.
35,737
1,100,000
3
PROVINCES.
POPULATION.
CHEFS-LIEUX
VILLES PRINCIPALES,
Calabozo. — La Guayra. — Mar acay. — S -Sébas-
Caracas.
. ..
284-,888
CARACAS ††. .
tien. — Victoria.
Carabobo.
. .
114.967
Valencia. . . .
Puerto Cabello — Carabobo. — Aroa.
Barquisimelo..
132.755
Barquisimeto..
San-Carlos. — San-Felipe — Tocuyo.
46.476
Carigua. — Paraguana.
Maracaïbo
. .
54,832
Maracaïbo. . .
Âtta-Gracia. — Gibraltar. — Perija.
Truxillo. . . .
52,788
Truxillo. . . .
Carache. — Escagne.
Bayladores.— La Grita. — Muchuci es. — Cris-
74,116
toval.
Varinas.
. ..
125 497
Varinas.
. . .
Guanare. — Obispos. — Ospino. — Nutrias.
17,479
Achaguas. ..
San-Fernando de Apure. — Mautecal
Barcelona.
. .
60,103
Barcelona. San-Diégo. — El Pao. — Piritu.
Cumana. . ..
58,671
C'umana. . . .
Curiaco —Guiria. — Carupano,
Margarita (île)
20,:i05
Assuncion. . .
l'ampatar,
Guyana.
. . .
24,149
Angostura †. ·
Upata. — Esmeralda.
Aragua
16,622
Maturin.
Guarico. . . .
18,352
Gaycara-
. . .
Le signe ff indi que l'archevêché et le signe f les évéc les.
Les villes en italique indiquent les ports.
République de l'Équateur.
SUPERFICIE
POPULATION
par lieues géog. carrées.
POPULATION.
par lieue carrée.
20,000
625,000
30
PROVINCES.
POPULATION.
CHEFS-LIEUX.
VILLES PRINCIPALES.
Antisana. — Esmeraldas. — Lalacunga. — Manha-
Pichincha.
. .
250,000
QUITO ††. ·
·
chi. — Atacames.
Guayaquil. ..
125,000
Guayaquil f.
Raba.
Chimboraro. .
80 000
Rio Bamba .
Ambato. — Alausi. — Guaranda.
hnbabura. ..
45,000
Otavalo.
Cayamba.
Manabi.
. . .
25,000
Puerto-Viejo .
Monte-Christi.
80,000
Cuença +. . . .
Canar. — Giron.
19,800?
Loja ou Loxa.
Zaruma — San-Jean de Bracamoros. — San-Borja.
Gallapagos (iles)
900?
Le signe †† indi que l'archevêché, le signe les évêchés s. — Les villes en italique indiquent les ports.

AMÉRIQUE. — PÉROU.
411
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Description particulière des républiques
Péruviennes, c'est-à-dire du Pérou et de la Bolivie.
Le Pérou, cet ancien empire des Incas, cette terre d'une richesse fabu-
leuse et proverbiale, où les lingots d'or représentaient aux yeux des indi-
gènes les larmes du soleil, où des palais et des temples d'or s'élevaient
dans des plaines fleuries au pied des montagnes gigantesques couvertes
d'une neige éternelle ; le Pérou a bien varié d'étendue sous les Incas, sous
la domination espagnole et de nos jours.
Sous les Incas, Vempire du Pérou s'étendait depuis l'équateur au nord
jusqu'au 40e degré de latitude au sud, comprenant, dans une longueur de
1,000 lieues sur 150 à 200 lieues de largeur, les hautes terres de la Cor-
dillère des Andes. Il occupait donc le territoire des républiques actuelles
de l'Équateur, du Pérou, de la Bolivie et du Chili ; Cuzco, dont le nom en
langue quichua signifie le nombril de la terre, en était la capitale.
Lorsque, en 1532, François Pizarre et Diégo Almagro eurent, à la tête
d'un petit corps de troupes espagnoles, fait la conquête de ce pays, il fut
érigé en vice-royauté. La vice-royauté du Pérou fut d'abord composée des
mêmes contrées que l'empire des Incas, mais dans la suite, en 1567, le
Chili en fut séparé pour former une vice-royauté à part, et les vastes pro-
vinces du Paraguay y furent annexées jusqu'en 1778, époque où elles
formèrent la vice-royauté de Buénos-Ayres. La vice-royauté du Pérou était
divisée en trois audiences : celle de Quito (Equateur), celle de Lima (Bas-
Pérou), celle de la Plata (Haut-Pérou).
Le Pérou resta soumis aux Espagnols jusqu'à l'époque où Napoléon
envahit l'Espagne. Alors des cris d'indépendance et de liberté retentirent
au sein de cette colonie ; mais le parti royaliste comprima longtemps cet
élan redoutable, et ce ne fut qu'en 1821 que le Pérou secoua le joug de la
métropole. Les dissensions intestines enfantèrent par la suite une nouvelle
révolution : en 1825, il se divisa en deux républiques, celle du Bat-Pérou
ou du Pérou proprement dit, et celle du Haut-Pérou, qui prit le nom de
Bolivia ou Bolivie, par reconnaissance pour les talents et les vertus de
Bolivar, son libérateur. Cette modification ne devait pas être la dernière.

412
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
En 1836, à la suite d'une longue anarchie causée par les intrigues et
l'ambition des généraux, le Pérou proprement dit, et composé alors de
sept départements, se partagea en deux républiques ; les quatre départe-
ments du nord formèrent la république du Pérou-Septentrional (Estado
Nort-Peruano), et les trois départements du sud formerent la république
du Pérou-Méridional (Estado Sud Peruano). Elles se réunirent ensuite à
la république de Bolivie, pour former pendant quelque temps, sous le
général Santa-Cruz, la confédération Péru-Bolivienne ; mais en 1839, à
la suite de nouveaux troubles politiques, cette confédération éphémère fut
dissoute par l'abdication et l'exil de Santa-Cruz, et, depuis, le Pérou a
repris son existence distincte et indépendante de celle de la Bolivie.
Aujourd'hui donc le Pérou forme les deux républiques du Pérou propre-
ment dit, et du Haut-Pérou ou Bolivie. Avant d'entreprendre leur des-
cription topographique, disons un mot de l'aspect du sol, de sa nature et
des richesses minérales qu'il recèle. Les Andes, qui traversent les répu-
bliques péruviennes du sud au nord, forment généralement deux chaînes
à peu près parallèles-, l'une, la grande Cordillère des Andes, constitue le
noyau central du Pérou, le Haut-Pérou ; l'autre, beaucoup plus basse, est
appelée Cordillère de la côte. Entre celle-ci et la mer, se prolonge le Bas-
Pérou, formant un plan incliné, large de 10 à 20 lieues, et connu dans le
pays sous le nom de Valles. Il est composé en partie de déserts sablon-
neux, dépourvus de végétation et d'habitants. Cette stérilité provient de
l'aridité naturelle du sol et du manque absolu de pluies; car jamais, en
aucune saison, il ne pleut ni ne tonne dans celte partie du Pérou ; il n'y a
de fertile que les bords des rivières et les terrains susceptibles d'être arrosés
artificiellement, ou bien les endroits humectés par des eaux souterraines,
résultat des brouillards et des fortes rosées. Dans ces lieux privilégiés, la
terre ne cesse de se revêtir de la parure réunie du printemps et de l'au-
tomne. Le climat se fait encore remarquer par la douceur constante de la
température; jamais, à Lima, on n'a observé le thermomètre de Fahrenheit,
à midi, au-dessous de 60 degrés, et rarement il s'élève, dans l'été, au-
dessus de 86 degrés. La plus grande chaleur qu'on ait jamais éprouvée à
Lima fit monter le thermomètre à 96 degrés. La fraîcheur qui règne pres-
que toute l'année le long de la côte du Pérou sous le tropique, n'est nul-
lement un effet du voisinage des montagnes couvertes de neige; elle est
due plutôt à ce brouillard (garua) qui voile le disque du soleil, et à ce
courant très-froid d'eau de mer qui porte avec impétuosité vers le nord,
depuis le détroit de Magellan jusqu'au cap de Parinna. Sur la côte de Lima,

AMÉRIQUE. — PÉROU.
413
la température du Grand-Océan est à 12°,5 ; tandis que, sous le même
parallèle, mais hors du courant, elle est à 21 degrés.
Le pays compris entre les deux Cordillères est appelé la Sierra. Ce ne
sont que des montagnes et des rochers nus, entrecoupés de quelques val-
lées fertiles et cultivées. Mais ces montagnes renferment les plus riches
mines d'argent que l'on connaisse, et les veines les plus abondantes se
trouvent ordinairement dans les montagnes les plus arides. Le climat de la
Sierra est l'un des plus salubres qui existent, si l'on peut en juger par la
longévité de ses habitants. Quelques écrivains distinguent de la Sierra la
plus haute chaîne des Andes, ou la région des neiges éternelles; nous
pensons qu'il vaut mieux les comprendre l'une et l'autre sous le nom de
Haut-Pérou.
Derrière la chaîne principale des Andes s'étend, vers les bords de
l’Ucayale et du Maranon, une immense plaine inclinée à l'est, traversée
par plusieurs chaînes de montagnes détachées, qu'on appelle au Pérou la
Montana-Real. Sous un ciel pluvieux, souvent sillonné d'éclairs, l'éter-
nelle verdure des forêts primordiales charme les yeux du voyageur, tandis
que les inondations, les marais, les serpents énormes et d'innombrables
insectes arrêtent sa marche. Cette région peut s'appeler le Pérou Inté-
rieur. Les communications avec la région intérieure sont plus difficiles
qu'avec le Bas-Pérou.
On voit, par cet aperçu, qu'une grande partie du Pérou n'est pas propre
à la culture, et que ce pays pourrait difficilement devenir important et
riche par ses productions végétales. La population, peu nombreuse, est
dispersée sur une grande étendue de terrain-, le défaut de routes, de ponts
et de canaux rend très-difficile le transport d'articles pesants à quelque-
distance de la place où ils ont été produits. Il n'y a ni chariots, ni voitures,
ni autres facilités pour le commerce : toutes les denrées, toutes les mar-
chandises doivent être transportées à dos de mulet.
Cependant, il est permis d'espérer que lorsque la communication des
deux océans aura été établie, ses productions pourront suivre la roule de
l'isthme, et prendre une place importante dans le commerce d'échange des
deux mondes. Ces productions sont : les gommes odoriférantes, les résines
médicinales, les bois précieux que renferment les forêts de la Bolivie ; la
noix-muscade et la cannelle qui croissent, dit-on, dans la Montana-Real ;
les huiles très-fines que produit le Bas-Pérou; le café et le sucre plantés
avec succès dans les endroits tempérés de la Sierra ; le cacao excellent des
plaines de l'intérieur ; le coton de Chillaos ; la soie longue et fine de Mojo-

414
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
bamba; le lin et le chanvre de Mexos, et une foule d'autres produits inté-
ressants. La vigogne seule, à cause de sa rareté et de sa finesse supé-
rieure, est depuis longtemps l'objet d'une exportation recherchée ; mais
une chasse trop vive a presque exterminé l'animal qui la donne. La laine
d'Alpaca est aussi exportée avec profit. Le quinquina est encore une exploi-
tation de prix. Actuellement l'agriculture languit dans le Pérou, au point
que Lima et plusieurs autres villes à la côte tirent leurs provisions du
Chili. Le tremblement de terre de 1693 fut suivi d'une telle stérilité dans
les vallées du Bas-Pérou, qu'en plusieurs endroits le peuple cessa de les
cultiver ·, et quoique, depuis ce temps, le pays ait recouvré en grande partie
son ancienne fertilité, la culture n'a pas repris.
Le sol du Pérou est comme imprégné de métaux précieux. L'or n'est pas
le plus recherché ; il abonde, mais dans des lieux peu accessibles, ou dans
une gangue trop dure et trop dispendieuse à fondre. Près de la Paz il
s'écroula une partie saillante de la montagne d’Ilimani ; on y trouva des
morceaux d'or de 1 jusqu'à 25 kilogrammes pesant; après un laps de cent
ans on y trouve encore des morceaux du poids de 50 grammes. Près Mojos
ou Moxos, le lavage donne des morceaux grands comme un quart de ducat.
Selon M. Helm, le schiste argileux est presque partout parsemé de veines
de quartz qui servent de gangue à l'or. La plupart des fleuves et rivières
roulent de l'or. La mine d'or la plus productive est celle de Santiago-de-
Catagoita, distante d'environ 30 milles au sud de Potosi. Les mines d'ar-
gent, beaucoup plus nombreuses et d'une exploitation bien plus facile,
ont absorbé la principale attention des colons. La célèbre montagne de
Potosi a offert pendant deux siècles et demi des trésors d'argent inépui-
sables : cette montagne, de forme conique, a environ 17 milles de circonfé-
rence, et est percée de plus de 300 puits à travers un schiste argileux,
jaune et dur; il y a des veines de quartz ferrugineux, entremêlées de ce
qu'on appelle mine découpée et mine vitreuse. Dans la province de Caran-
gas, on trouve, en creusant le sable, des masses d'argent détachées qu'on
appelle des papas ou pommes de terre, à cause de leur forme. Dans une
autre mine près de Puno, on découpait l'argent pur avec un ciseau, tant
l'abondance du métal rendait toute industrie superflue.
Mais aujourd'hui, les mines les plus intéressantes, selon MM. de Hum-
boldt et Helm, sont celles de Gualgavos ou Hualgayos, dans la province de
Truxillo, au nord du Pérou, et celle de Yauricocha, près de la petite ville
de Pasco, dans la province de Tarma. Dans le premier endroit, l'argent se
trouve en grandes masses à 4,000 mètres de hauteur au-dessus de la mer.

AMÉRIQUE. — PÉROU.
415
Quelques filons métallifères contiennent des coquilles pétrifiées. La mon-
tagne de Yauricocha est, selon Helm, entièrement remplie de veines et
filons argentifères. Il y a une galerie composée d'hématite fine et poreuse,
l'argent y est semé partout en petites parcelles ; cependant 50 quintaux ne
donnent que 9 marcs de métal. Mais une argile blanche, dont le filon est
large d'un quart de mètre, donne de 200 jusqu'à 1,000 marcs d'argent
sur 50 quintaux de minerai.
Le Pérou produit naturellement du mercure à Huanca-Belica, district à
peu de distance au sud-ouest de Lima. Le cinabre a été employé par les
Péruviens pour la peinture. Le mercure fut découvert par les Espagnols,
pour la première fois, en 4 567. Le minerai semble être un schiste argileux
d'un rouge pâle. L'étain, suivant Helm, se trouve à Chayanza et à Paryas;
il y a aussi plusieurs mines de cuivre et de plomb. La principale mine de
cuivre est à Aroa, mais les colonies s'approvisionnent généralement par les
mines du Chili. Parmi les autres mineraux, on peut citer la pierre de gali-
nazo, ainsi appelée par sa couleur noire-, c'est un verre volcanique, que
l'on confond quelquefois avec la pierre dite le miroir des Incas, parce que
l'on se sert de l'un ou de l'autre au lieu de miroirs.
Du temps des Incas, les émeraudes étaient aussi très-communes, surtout
sur la côte de Manta et dans le gouvernement d'Atacama, où l'on dit qu'il y
a des mines que les Indiens ne veulent pas révéler, dans la crainte d’y être
immolés à des travaux meurtriers; car l'expérience a prouvé que ni les
nègres ni les Européens ne peuvent supporter l'air froid et humide des
mines péruviennes, ni conserver leurs forces en se nourrissant de racines
et de pommes de terre, seules denrées qu'on trouve dans les déserts où la
nature cacha en vain les minéraux, objets de nos vœux avides.
Les mines sont exploitées par deux classes d'individus : la première se
compose des propriétaires, et la seconde, des petits entrepreneurs (boli-
cheros) qui traitent le minerai que les ouvriers reçoivent pour salaire de
leurs travaux ou qu'ils exploitent frauduleusement. Il y a, souvent,
beaucoup de démoralisation parmi les diverses classes d'individus qui
vivent ou spéculent sur le produit des mines; et souvent le peu de succès
des entreprises peut être attribué avec plus de raison à la conduite des
entrepreneurs ou de leurs subordonnés, qu'à un appauvrissement réel des
gîtes de minerais.
Passons maintenant à la description topographique des deux répu-
bliques.
La république du Pérou est bornée au nord par la république de l'Équa-

416
LIVRE CENT DIX-HUITIEME.
tcur ; à l'est, elle confine avec le Brésil; au sud, elle s'appuie sur la Bolivie
ou Haut-Pérou ; enfin, le Grand-Océan baigne à l'ouest ses côtes. Celles-ci
sont hautes, nues et décharnées, elles offrent a peine une douzaine de bons
ports. Les Andes traversent le Pérou du nord au sud, et forment deux
chaînes parallèles quelquefois réunies par des contre-forts; les points cul-
minants sont le Pichu-Pichu, qui a 5,670 mètres, et le volcan d’Arequipa
ou d'Uvinas. La côte prend le nom de los Valles ; la montagne, celui de
Sierra ou Serrania, et la région de l'est offre les immenses Pampas ou
plaines de l'Amazone et de ses affluents. La superficie du Pérou a été éva-
luée à 75,775 lieues géographiques carrées, et sa population ne dépasse
pas 1,800,000 âmes.
C'est dans la belle vallée de la Rimac, l'une des principales des Andes, à
2 lieues de l'embouchure de cette rivière dans le Grand-Océan, que s'élève,
à 200 mètres au-dessus des eaux de celui-ci, Lima, la capitale de la répu-
blique du Pérou. Cette grande cité, dont on estime aujourd'hui la popula-
tion à 85,000 âmes, est bâtie en forme de triangle, dont la base, qui se
prolonge sur la rive gauche de la rivière, est de 3,820 mètres, et dont la
hauteur est de 2,140. Entourée d'une muraille en briques flanquée de 34
bastions et percée de 7 portes, on y entre du côté de la rive droite de la
Rimac en traversant le faubourg de San-Lazaro, et un pont élégant en
pierres. Bu côté de la mer elle présente un aspect enchanteur : on y arrive
par une avenue bordée d'une double rangée d'arbres magnifiques, près de
laquelle sont les promenades publiques. De ce point on aperçoit les tours
de la cathédrale, qui, ainsi que le palais de l'archevêque, ornent la grande
place-, les autres édifices publics se groupent avec majesté : les principaux
sont l’hôtel des monnaies, le ci-devant palais de l'inquisition, l'ancien col-
lége des jésuites, transformé en hospice d'enfants trouvés, et l'université,
dont la bibliothèque possède une intéressante collection de manuscrits. Le
théâtre ne répond pas, par ses dimensions, à l'importance de la ville.
L'intérieur de la capitale présente l'aspect le plus régulier-, ses rues, comme
celles de son faubourg, sont parallèles, coupées à angles droits, pavées en
petites pierres rondes, ornées de trottoirs, et arrosées par des ruisseaux qui
y entretiendraient le propreté si elles n'étaient obstruées par des immon-
dices. Les maisons, proprement construites en briques ou en bois, et peintes
à l'extérieur, n'ont en général qu'un seul étage; il n'y a que celles des riches
propriétaires qui en aient deux. Les grands édifices, éclatants et majestueux
de loin, perdent beaucoup à être examinés de près. Ils pèchent générale-
ment sous le rapport du goût et du style ; ils auraient plus de noblesse s'ils

AMÉRIQUE. — PÉROU.
417
étaient moins surchargés de sculptures et de détails. Les murailles des
églises sont en pierre, tandis que les clochers et les dômes sont en bois
revêtu de plâtre, précaution qui a été nécessitée par la fréquence des trem-
blements de terre. Mais les diamants, Tor et l'argent éclatent de toutes
parts dans les temples ; plusieurs sont ornés d'énormes candélabres, de
statues de grandeur naturelle, et de vases sacrés en argent, en vermeil, et
même en or massif. Ce qui a lieu d'étonner un Européen, c'est de voir sus-
pendues dans le chœur des cages en argent, remplies d'oiseaux, qui mêlent
leur ramage aux chants des fidèles et aux accords de l'orgue. Le milieu de
la grande place est occupé par une superbe fontaine en bronze, ornée d'une
renommée qui jette de l'eau par sa trompette, et de huit lions qui la font
jaillir par leurs gueules. Par une singulière bizarrerie, l'hôtel-de-ville est
bâti dans le goût chinois.
En général la vivacité d'esprit et la pénétration des habitants du Pérou,
ainsi que leur goût pour l'élude, leur assignent un rang distingué parmi
les nations civilisées. Les établissements scientifiques de Lima forment un
centre de lumières qui se répandent sur tout le pays. Les sciences, géné-
ralement cultivées, y ont fait depuis peu de grands progrès. On y connaît
et l'on y suit toutes les découvertes faites en Europe. Le bon goût, l'urba-
nité, beaucoup de qualités sociales semblent héréditaires aux Péruviens.
On admire l'imagination et la sensibilité des femmes. Elles aiment avec une
sorte de fureur le luxe innocent des fleurs et des parfums. 11 est cependant
à désirer qu'on améliore le système d'éducation.
Mais chaque instant peut devenir le dernier pour les riches habitants de
cette superbe capitale. En 1746, un terrible tremblement de terre détruisit
les trois quarts de la ville, après avoir démoli entièrement le port de Callao.
Jamais il n'y eut de destruction plus complète, puisque, de 4,000 habi-
tants, il n'en resta qu'un seul pour porter la nouvelle de cet événement
désastreux, et il échappa par le hasard le plus extraordinaire. Cet homme
était dans un bastion qui a vue sur tout le port; il aperçut, en moins d'une
minute, tous les habitants sortir de leurs maisons dans la plus grande ter-
reur et la plus grande confusion : la mer, après s'être retirée à une dis-
tance considérable, revint en montagnes écumantes par la violence de
l'agitation, et ensevelit les habitants dans son sein.
Lima, que l'on a aussi appelée autrefois Ciudad de los Reyes, fut fondée
en 1535 par Pizarre. Depuis l'an 1582, elle a été dévastée par plus de vingt
tremblements de terre : celui du 30 mars 1828 renversa la plupart des édi-
fices publics, un grand nombre de maisons, et fit périr un millier d'habi-
V.
53

418
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
tants. Ses environs sont couverts de jolies maisons de campagne, de jar-
dins et de vergers dont la fraîcheur doit tout aux irrigations et à l'art sous
un climat où les chaleurs sont très-fortes et les pluies excessivement rares.
L'un des lieux les plus remarquables des environs de Lima par ses sou-
venirs, est le village de Pachacamac. On y voit encore les débris des murs
du magnifique temple élevé par le dixième inca Pachacutec à Pachacamac,
le créateur de l'univers. C'est dans ce temple que Pizarre, en 1533,
s'empara d'une immense quantité d'or, et qu'il livra à toute la brutalité
de ses soldats les vierges consacrées au service de la divinité.
Callao de Lima ou San-Felipe-de-Callao, à 10 kilomètres de Lima, est
le port de mer de cette capitale, à laquelle elle est aujourd'hui réunie par un
chemin de fer. C'est le principal port militaire de la république, et sa place
la plus forte. Cette ville est l'entrepôt d'un commerce considérable. Elle a
été rebâtie depuis le milieu du siècle dernier, près de l'emplacement de l'an-
cienne ville, entièrement détruite et submergée par le tremblement de terre
de 1746. M. F. de Castelnau évalue sa population à 13 ou 14,000 âmes. Le
petit port de Canete fait avec la capitale un grand commerce de grains,
de légumes, d'oiseaux domestiques, de poissons et de fruits. On trouve
beaucoup de salpêtre près d'un village des environs. A 35 lieues plus loin,
San-Geronimo-de-Ica, peuplée de 6,000 âmes, et bâtie sur une petite
rivière près de la mer, possède plusieurs verreries. Huaura, très-petite
ville près de la côte du Grand Océan, avait été choisie, en 1836, pour la
capitale de l’Estado-Nort-Péruano. Elle est au nord de Lima, et possède
dans ses environs des salines importantes.
Les tremblements de terre et les volcans appelés Guagua-Pulina et Uvi-
nas, ont engagé les habitants d’Arequipa à changer remplacement de leur
cité. Cette ville, fondée par Pizarre, résidence d'un évêque, est aujourd'hui
sur un terrain uni, à 2,560 mètres au-dessus du niveau des eaux de l'Océan,
et à 20 lieues de la mer. Les maisons y sont en pierre ; le climat y est très-
doux et l'air très-sain. Le nom d'Arequipa signifie : Hé bien! restez-y. En
voici l'origine : Les troupes victorieuses de l'inca venaient de conquérir
cette contrée-, charmés de la beauté du pays, les soldats témoignèrent quel-
ques regrets de retourner chez eux ; l'inca, qui s'en aperçut, leur dit :
« Hé bien! restez-y ; » et ils y restèrent.
C'est l'immense volcan d'Uvinas qui lança, dans le courant du seizième
siècle, les masses de cendres qui engloutirent Arequipa. Cette ville est
l’une des plus importantes du Pérou. L'étal florissant de son commerce,
l'importance de ses manufactures de laine et de coton, de tissus d'or et

AMÉRIQUE. — PÉROU.
419
d'argent, ont porté sa population à environ 40,000 âmes. Elle renferme
quatre colléges, ainsi que plusieurs écoles de filles', et publie deux jour-
naux. Sa cathédrale, un pont sur le Chile qui arrose la ville, et une fon-
taine en bronze sur la grande place, sont les principales constructions
qu'on y remarque.
Dans la partie méridionale du département d’Arequipa, Arica possède un
très-bon port, vers lequel est concentré tout le commerce du Pérou méri-
dional et d'une grande partie de la Bolivie ·, mais il est très-sujet aux trem-
blements de terre. 11 en est de même de Tacna, ville importante de 10,000
âmes, à quelques lieues au nord-est de la précédente.
Dans les environs d'Arica et de Tacna, l'air est chaud et malsain. Quel-
ques cantons produisent d'excellentes olives, qui sont remarquables par
leur grosseur. Il y a dans la province d'Arica un volcan qui lance dos jets
d'une eau infecte et chaude. Cette province est remplie de déserts sablon-
neux entremêlés de lisières extrêmement fertiles. On y cultive la vigne avec
beaucoup de soin et d'intelligence. On y exploite quelques mines d'or et de
cuivre et des mines d'argent très-riches.
Dans la partie du Pérou située le long de la côte du Grand-Océan , au
nord du département de Lima, nous trouvons celui de Libertad. Piura se
distingue comme étant la plus ancienne ville du Pérou. Bâtie par les Espa-
gnols, elle est sur une petite rivière qui fertilise le terrain, mais qui dis-
paraît entièrement dans la saison sèche. Ses habitants, au nombre de
15,000, commercent en cire, en salpêtre, fil d'aloès, cascarille et autres
objets ; ils s'occupent aussi du transport des marchandises, à dos de mulet,
de Quito à Lima. Truxillo, ville épiscopale, peuplée de 13 à 14,000 âmes,
fut bâtie en 1535 par François Pizarre, qui lui donna le nom de sa ville
natale. C'est le chef lieu du département de Libertad. Elle est à une demi-
lieue de la mer, dans une contrée agréable et fertile. On voit à quelque
distance les ruines d'anciens monuments péruviens où l'on a trouvé des
trésors considérables. Le département dont elle est le chef-lieu produit des
vins que l'on transporte dans l'intérieur du Pérou, à Guayaquil et à
Panama. On y voit aussi beaucoup d'oliviers dont le fruit donne une excel-
lente huile.
La νille de Caxamarca renferme des restes du palais de l'inca Atahualpa,
habités par un de ses descendants. On y voit encore la chambre où il fut
retenu prisonnier pendant trois mois ; une longue pierre servant de base à
l'autel de la chapelle de la prison , est celle sur laquelle ce dernier empe-
reur du Pérou fut étranglé par les Espagnols. Cette ville, peuplée de 8,000

420
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
âmes est dans un climat tempéré, au milieu d'une plaine fertile qui donne
le soixantième grain. A une lieue sont des sources d'eau chaude, appelées
les bains des Incas, près desquels Atahualpa possédait une maison de plai-
sance. Caxamarca , située dans une charmante vallée, donne son nom à la
petite rivière qui l'arrose. Elle est bien bâtie ; ses rues sont tirées au
cordeau; ses églises et ses maisons sont bien construites; enfin la place
publique, placée au centre de la ville, est belle et d'une grande étendue. Les
habitants industrieux fabriquent toutes sortes d'étoffes grossières de laine,
ainsi que des toiles de lin et de coton. La matière première de ces articles
se trouve dans le district, dont le sol, en partie inégal et montueux, réunit,
dans un espace peu étendu, les températures et les productions les plus
différentes. Caxamarca est à 2,920 mètres au dessus du niveau de la mer.
A 5 ou 6 lieues de la ville on trouve, sur la Caxamarca, un village
appelé Jesus, remarquable par les restes d'une ville péruvienne qui parait
avoir été peuplée de plus de 30,000 âmes, et qui renferme encore plusieurs
maisons entières, dont la construction annonce un peuple assez avancé dans
les arts mécaniques, puisqu'on y voit des pierres de 4 mètres de longueur
sur 2 de hauteur.
Malgré sa position avantageuse au bord du Chacapoyas, dans une
contrée délicieuse, malgré son rang d'ancien chef-lieu de la province,
San-Juan-de-la-Frontera, que l'on appelle aussi Chacapoyas, est petite et
peu peuplée.
Huanuco ou Guanuco, qui ne renferme guère que de grandes maisons,
aujourd'hui en partie abandonnées, est le chef-lieu du département de
Junin. Ce n'est plus que l'ombre de cette belle cité péruvienne qui ren-
fermait le palais des Incas et le temple du Soleil, dont on voit les ruines.
Tarma, habitée par des créoles, des métis et des indigènes, au nombre
de 8 à 10,000, est dans une petite vallée profonde où l'air circule diffici-
lement. Ce département, qui doit son nom au village de Junin, célèbre
par une victoire que les républicains remportèrent sur les royalistes, con-
tient la ville de Pasco, dans un pays âpre et sauvage, appelé plaines de
Bombon, où il ne croît aucune espèce de blé. Malgré ces désavantages ,
la ville est une des plus peuplées, des plus commerçantes et des plus impor-
tantes de la république, par le voisinage des riches mines d'argent de Yau-
ricocha ou Lauricocha.
Cerro-Pasco est le centre du canton minéral le plus riche du Pérou.
Cette ville est bâtie sur un terrain inégal semé de collines nues et détachées.
Les maisons sont blanchies à la chaux, et quelques unes, outre la porte,

AMÉRIQUE.—PÉROU.
421
ont pour seconde ouverture une petite fenêtre vitrée ; les plus distinguées
ont des cheminées, sorte de luxe dû aux Anglais qui exploitent les richesses
minérales de ce district. Cerro-Pasco est divisé en trois quartiers: Chen-
pimarca, Yanacandia et Santa-Rosa. Chacun d'eux a une église et un
prêtre pour la desservir. Il y a deux places : celle de Chenpimarca, où
s'élève la cathédrale, église fort modeste, surtout à l'extérieur, et celle
du commerce où se tient le marché. Banos est un village remarquable par
ses eaux thermales, où les Incas avaient un vaste palais dont on voit encore
les ruines.
L'une des vallées les plus belles et les plus peuplées des Andes est celle
qui donne naissance à plusieurs cours d'eau dont la réunion forme la
rivière de Jauja, située dans le département d’Ayacucho. Celte vallée, fort
élevée et d'une température toujours froide, présente une vaste plaine
où nous voyons Huancabelica ou Guancavelica, ville de 6,000 habitants,
devenue célèbre par ses riches mines d'or, d'argent et de mercure, situées à
3,752 mètres au dessus du niveau de l'Océan. Les sources chaudes de
Huancabelica sont chargées de carbonate calcaire. On peut dire que les
habitants de ce canton construisent leurs maisons avec de l'eau, car ils lais-
sent refroidir les eaux imprégnées de matières calcaires; le sédiment qu'elles
déposent est reçu dans des vases, et y prend la figure et la consistance d'une
pierre. Guamanga ou Huamanga, ville épiscopale, fondée par Pizarre,
et bâtie en pierres avec régularité, renferme de belles places publiques,
une cathédrale, plusieurs églises et une université. Celte cité, de 25,000
âmes, est quelquefois nommée San-Juan-de-la-Victoria, en mémoire
d'une victoire remportée sur l'inca Manco, qui avait défait les Espagnols
en plusieurs rencontres. Les habitants, polis, intelligents et adonnés aux
sciences, font aussi un grand commerce en cuirs, en grains et en fruits.
Plus loin, Jauja ou Xauxa, peuplée de 10,000 âmes, se soutient par le
produit de ses mines d'argent, la vente de ses grains et de ses pâturages.
Ayacucho, où le général Sucre remporta, en 1824, une victoire décisive
sur les royalistes, a donné son nom au département.
Puno est le chef-lieu d'un département de ce nom, dont elle est la ville
la plus importante-, on lui accorde environ 16,000 âmes; elle possède un
assez bon collége.
Le département de Cuzco renferme beaucoup de petites villes. Visitons
d'abord son chef-lieu.
Cuzco, autrefois capitale de l'empire des Incas, est aujourd'hui le siége
d'un évêché. Cette ville, élevée de 3,499 mètres au-dessus du niveau de la

422
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
mer, est éloignée de 180 lieues de Lima, et compte plus de 46,000 habi-
tants. Presque aussi étendue que cette dernière, elle conserve encore beau-
coup de monuments de son ancienne grandeur, parmi lesquels se trouve la
forteresse des Incas. Les pierres qui y ont été employées sont si énormes,
si irrégulièrement taillées, et cependant si bien jointes, qu'il n'est pas fac ile
de comprendre comment on les y a placées, le fer, l'acier et les machines
étant alors inconnus. Il s'y trouve des bains fournis par deux fontaines,
l'une d'eau chaude et l'autre d'eau froide. Un couvent y a pour murs ceux
mêmes du temple du Soleil, et le saint-sacrement est placé à l'endroit où
se trouvait la figure en or de cet astre. Un couvent de religieuses occupe
le même emplacement où demeuraient les vierges du Soleil. Le principal
commerce est en sucre, étoffes, draps communs, toiles ordinaires, galons
d'or et d'argent, cuirs, maroquins et parchemins. Ses habitants, très-ingé-
nieux, se distinguent particulièrement dans l'art de broder et de peindre.
Cuzco n'est pas le seul lieu du Pérou qui renferme des monuments de
l'ancienne civilisation de cette contrée. Un voyageur français, M. Gay, qui
a parcouru longtemps l'Amérique méridionale, a signalé dans ces derniers
temps une antique ville dont aucun auteur n'avait encore parlé, pas môme
le judicieux et naïf Garcilasso; c'est Hollay lay tambo, dont les monu-
ments sont encore plus surprenants que ceux de Cuzco. On y voit encore
un grand nombre de maisons presque intactes et situées toutes dans les
endroits les plus escarpés, au bord des précipices les plus effrayants: ce
qui semble prouver que le gouvernement des Incas était entièrement basé
sur le féodalisme. Les chefs avaient des places, des forteresses presque
inexpugnables dont les restes font encore, par leur construction, l'admi-
ration du voyageur.
Sicuani, située sur un plateau très-élevé au sud-est de Cuzco, avait été
désignée, en 1836, pour capitale de l'Estado Sud-Peruano ; on lui accorde
4 ou 5,000 habitants.
Le district de Calca-y-Lares produit le meilleur sucre de tout le Pérou ;
les cannes subsistent sans aucun soin pendant plusieurs années ; elles sont
très-riches en sucre, et mûrissent rapidement. Le district de Canes-et-
Canches tire son nom de deux tribus dont les restes y demeurent encore-,
les premiers, robustes, taciturnes et orgueilleux, s'habillent de noir et vont
à cheval; les autres, d'une taille moindre, inconstants et gais, n'ont pour
vêtement que des peaux. Leur langage diffère autant que leurs mœurs;
ils vivaient sous deux princes ou curacas indépendants jusqu'à ce que les
Incas les soumirent.

AMÉRIQUE. - PÉROU.
423
Dans le département de Cuzco, la géographie physique s'arrête avec
intérêt au bord du lac Tilicaca on Chucuyto, si fameux dans l histoire des
Incas. Le bassin dont ce lac occupe le fond a 130 lieues de long, sur une
largeur de 50 à 60. Entouré de montagnes, il ne montre aucun écoulement
visible de ses eaux abondantes. Le lac de Titicaca, long de 62 lieues, mais
d'une largeur qui varie beaucoup, puisqu'elle est de 6 lieues dans sa plus
petite extension et de 24 dans sa plus grande, a les eaux légèrement sau-
mâtres et très amères ; sa profondeur est de 70 à 80 brasses ; sa superficie
est de 2,070 lieues carrées. Il est à 3,915 mètres au-dessus du niveau de
l'Océan, c'est-à-dire plus élevé que le sommet du pic de Ténériffe. Sa forme
irrégulière, qui présente quatre golfes communiquant chacun par un détroit
à la masse principale, a fait considérer ces golfes comme autant de lacs,
auxquels on a donné les noms d'Azangaro, de Chucuyto et de Vinamarca.
Douze ou treize rivières, dont les deux plus importantes sont le Hilaye et
le Des aguadero, se jettent dans ce lac, dont les eaux, toujours troubles et
d'un goût désagréable, nourrissent en abondance d'excellents poissons. On
y remarque plusieurs îles, entre autres celle de Titicaca et celle de Coata.
Ce fut dans la célèbre île de Tilicaca que Manco-Capac prétendit avoir reçu
sa vocation divine pour être le législateur du Pérou. Un temple couvert
d'or ornait celte place consacrée. Ce fut encore dans ce lac que, selon la
tradition, les Indiens jetèrent la plupart de leurs trésors, et surtout la
grande chaîne d'or de l'inca Huaïna-Capac, qui avait 235 mètres de lon-
gueur.
Sur les côtes du Pérou se trouvent quelques petites îles, telles que les
îles Chincha, celles d'Iquique, de Lagarto, de Margarita, de Jésus,
Animas, etc., etc., d'une superficie restreinte et pour la plupart inhabi-
tées ; ces îles, depuis un temps immémorial, servent de refuge aux péli-
cans, aux mouettes et aux flamants qui y viennent pondre et couver leurs
œufs. Ce séjour leur a permis d'y accumuler leurs excréments en quantité
tellement considérable, que le sol de ces îles en est couvert, en certains
endroits, à plusieurs mètres d'épaisseur. Ce sont ces matières qui sont
connues sous le nom de guano ou huano, et dont l'emploi comme engrais
dans l'agriculture a pris, depuis 1840, une telle extension, surtout en
Angleterre et en Allemagne, que leur exportation forme aujourd'hui l'une
des branches importantes des revenus du Pérou. Le petit port de Chincha
en a expédié en 1850 pour 19,228,200 francs.
La république du Pérou est aujourd'hui divisée en 11 départements et
2 districts, ceux de Callao et de Piura, qui forment 63 provinces, les-

424
LIVP.E CENT DIX-HUITIÈME.
quelles se subdivisent à leur tour en districts et en paroisses. Les plus
importants des départements sont ceux de Lima, de Cuzco, de Puno et
d'Arequipa. La constitution politique, délibérée à Huancayo, date de 1839 ;
elle établit trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Le pouvoir exé-
cutif est confié à un président élu pour six ans; il est secondé par quatre
ministres, de l'intérieur, de l'extérieur, de la guerre et des finances. Le
pouvoir législatif est dévolu à un Congrès formé par deux Chambres : celle
des sénateurs, au nombre de 21 ; celle des députés, au nombre 75. Les
rapports entre le président et le Congrès sont établis à l'aide d'un Conseil
d'État de 15 membres. Le pouvoir judiciaire est exercé par une Cour
suprême siégeant à Lima, par des Cours d'appel siégeant aux chefs-lieux
de département, et par des juges dans les districts. La religion catholique
est la religion de l'État; il y a un archevêché à Lima, des évêchés à
Truxillo, Chachapoyas, Ayacucho, Cuzco et Arequipa. L'armée se com-
pose de 6 bataillons d'infanterie, 3 régiments de cavalerie et 1 brigade
d'artillerie, à la tête desquels sont placés 4 généraux de division et 21 géné-
raux de brigade. Il y a de plus une milice nationale organisée. Les opéra-
tions commerciales du Pérou ont donné dans ces dernières années 39 mil-
lions de francs pour les importations, et 47 millions pour les exportations ;
le mouvement général du commerce ne peut guère être moindre aujour-
d'hui de 110 ou 120 millions de francs. La situation financière de celte
république commence à s'éclaircir et à prendre quelque fixité. Le revenu
total pour 1850 a été de 10,945,000 piastres ou 54,725,000 francs, et la
dépense de 9,285,000 piastres ou 46,425,000 francs ; quant à la dette
publique, elle est encore d'environ 110 millions de francs.
Le Haul-Pérou date son indépendance de la victoire d’Ayacucho, rem-
portée en 1824 par. le général Sucre, lieutenant du général Bolivar, sur
les Espagnols. C'est par reconnaissance pour le libérateur de l'Amérique
méridionale que cette république a pris le nom de Bolivie, et que le Con-
grès, réuni à Potosi le 6 août 1825, avait décidé que la capitale future du
nouvel État prendrait le nom de Sucre.
Retranchée derrière la Cordillère, la Bolivie est bornée au nord par le
Pérou; à Test elle confine, à travers d'immenses contrées inhabitées, au
Brésil et au Paraguay ; au sud elle aboutit aux provinces argentines, ou va
se perdre dans le désert du grand Chaco, jusqu'ici à peu près inexploré, et
dont une portion lui appartient ; à l'ouest, enfin, elle touche par un point
unique et resserré, Cobija ou Puerlo-la-Mar, au Grand-Océan.
Cette république peut être divisée topographiquement en trois régions

AMÉRIQUE. — BOLIVIE.
425
essentielles qui s'étendent du nord au sud. La région occidentale, qui a
une ouverture sur l'océan Pacifique, pays nu, stérile et dépeuplé; la
région centrale, toute hérissée de massifs de montagnes, au sein desquelles
sont situées les villes principales du pays; c'est le principal foyer de la
population bolivienne ; on y rencontre tout ce qui constitue la production
nationale, l'or, l'argent, le cuivre, le quinquina et la coca; enfin la région
orientale, dégagée de montagnes, s'étend en plaines admirables de fécon-
dité jusqu'au Brésil et au Paraguay : c'est la portion de la Bolivie qui of.re
le plus d'avenir. Les bois les plus précieux y croissent, de magnifiques
forêts vierges y étalent une puissante végétation ; le sucre, le café, le cacao,
le coton, les céréales y prospèrent ; les pâturages y sont immenses ; enfin
le Beni, le Mamoré, la Madeira, affluents des Amazones, le Pilcomayo, le
Bermejo, le Paraguay, affluents du Rio de la Plata, sont autant de grandes
voies de communication qui porteront peut-être un jour à l'océan Atlan-
tique les richesses ignorées ou perdues de l'Amérique. La superficie du
Haut-Pérou est de 54,400 lieues, et sa population est évaluée à près de
1,100,000 âmes.
Visitons les principales cités de cette république. Nous avons dit que
la capitale de la Bolivie devait être la ville de Sucre; en attendant la fon-
dation de cette ville restée à l'état de projet, c'est La Plata ou Charcas qui
en tient aujourd'hui le rang important, les Péruviens la nomment Chuqui-
saca1; elle a reçu le premier de ces noms d'une fameuse mine d'argent
située dans la montagne de Porco, d’oùles Incas tiraient d'immenses
richesses. Cette ville, située sur un plateau très-élevé, peuplée de 14,000
âmes, et bâtie sur une branche du Pilcomayo, est la résidence d'un arche-
vêque, le chef-lieu du département de Chuquisaca. Son université est
depuis longtemps célèbre dans le Pérou ; la bibliothèque de cet établisse-
ment est une des plus considérables de l'Amérique méridionale. La plu-
part de ses maisons sont bien bâties, et ont de jolis jardins où l'on cultive
presque tous les arbres fruitiers de l'Europe.
La Paz, ville épiscopale, grande, bien bâtie, ornée de fontaines et
d'édifices rublics, est assise, à 4,050 mètres au-dessus du niveau de la
mer, sur un terrain très-égal, quoique environnée de collines de toutes
1 M. F. de Castelnau, dit qu'aujourd'hui les Boliviens appellent cette ville Sucre.
Voyez l'expédition dans l'Amérique-Méridionale, par M. F. de Castelnau; 1851,
t. III, page 295. — C'est principalement à trois voyageurs français; M. C. Gay,
M. A. d'Orbigny et M. F. de Castelnau que l'on doit la connaissance de l'intérieur de
l'Amérique du Sud.
Y.
54

426
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME
parts. Quand les eaux du Choqueapo, qui arrose cette vallee, s'enflent,
soit par les pluies, soit par les fortes neiges, elles entraînent des rochers
prodigieux, et roulent des paillettes d'or que l'on recueille dès qu'elles
sont retirées. Le principal commerce de cette ville, peuplée de 40,000
âmes, consiste en maté, ou thé du Paraguay, que l'on fait passer en
grande partie dans le Pérou. La température des environs est froide ; mais
dans les vallées le sol est fertile, et l'on y cultive même la canne à sucre,
dont les plantations, à Tomina, durent trente ans. Dans les environs de
La Paz et dans un rayon de 15 à 18 lieues, on trouve le Névado d’Illimani,
qui est la troisième montagne du Nouveau-Monde. Plus loin, Tiaguanago,
village situé près du lac de Titicaca, renommé par les ruines antiques que
l'on y remarque; enfin Sorala, village remarquable par le voisinage du
Névado de Sorata, la plus haute montagne connue de l'Amérique.
Potosi, ville la plus considérable du département qui porte son nom, est
située sur la pente méridionale d'une montagne, dans un pays froid et sté-
rile, où il y a plusieurs sources thermales. Sa hauteur, au-dessus du niveau
de l'Océan, est de 4,307 mètres. Elle doit sa renommée à la montagne, ou
Cerro de Polosi, qui, depuis sa découverte, en 1545, jusqu'à nos jours, a
fourni une énorme quantité d'argent, dont le poids peut être estimé à envi-
ron 93 millions de mares. La couche de porphyre qui la couronne lui donne
la forme d'un pain de sucre ou d'une colline basaltique, élevée de 1,358
mètres au-dessus du plateau voisin. Siége de l'administration des mines et
des divers établissements qui y sont relatifs, la ville de Potosi jouit encore
de l'avantage d'être voisine d'une branche de la rivière de Pilcomayo, qui
se jette dans le Paraguay ; ce qui la rend le centre d'un grand commerce
et facilite ses communications avec Buenos-Ayres. Il est difficile de mettre
les auteurs d'accord sur la population de Potosi; autrefois elle atteignait,
dit-on plus de 120,000 habitants; on lui en donne à peine aujour-
d’hui 12 à 15,000.
La nature du terrain sur lequel elle est construite fait que ses rues sont
fort inclinées. Son aspect est d'autant plus triste qu'elle ne possède point de
promenades; on y voit cependant une belle place et quelques grands édi-
fices, dont l'un des plus importants est l'hôtel de la monnaie. Ce qui rend
surtout incommode le séjour de Potosi, c'est son climat froid et variable,
qui, dans un seul jour, présente quelquefois les quatre saisons de l'année;
c'est aussi la rareté et la subtilité de l'air, qui y sont telles qu'à la moindre
marche on éprouve de la difficulté à respirer.
Au sud-ouest de Potosi, San-Francisco-de-Atacama, dans le même

AMÉRIQUE. — BOLIVIE.
427
département qui confine au sud avec le Chili, est une petite ville de 1,000
habitants, située sur un territoire maritime qui n'offre, entre la Cordillère
et l'Océan, qu'un désert aride, parsemé de quelques terrains fertiles, ainsi
que des mines de cuivre et des eaux thermales.
Au milieu de ce désert d'Atacama, et au sud de San-Francisco, le petit
village de Cobija, naguère encore inconnu, a pris rapidement, dans ces
derniers temps, sous le nom de Puerto-Lamar, une place importante parmi
les villes de la Bolivie. Cette petite ville doit son rapide accroissement à son
port qui, favorisé par la franchise, fait tout le commerce extérieur de la
république.
C'est sur la rive droite du Desaguadero que l'on voit, dans le départe-
ment d’Oruro, Paria, un peu au-dessus d'un lac qui porte le nom de cette
ville. Dans ses environs, on exploite des mines d'argent, d'étain et de
plomb ; on élève Un grand nombre de bestiaux, et l'on connaît plusieurs
sources thermales. Oruro, ville de 5,000 âmes, chef-lieu du département,
se trouve dans une vallée voisine, à 3,792 mètres de hauteur au-dessus de
l'Océan. On y voit quatre églises et cinq couvents.
Nous remarquons encore dans le Pérou méridional les villes suivantes :
Oropesa, ville de 25,000 âmes, dans le département de Cochabamba, que
l'on appelle le grenier du Pérou ; Cochabamba,dont quelques voyageurs
portent la population à 27,000 âmes; Tarija, capitale du département qui
porte son nom, qui abonde en blé, en fruits et en bons vins.
-
San-Lorenzo-de-la-Frontera, ou Santa-Cruz-de-la-Sierra-Nueva,
occupe une plaine immense où s'élèvent, à quelque distance, d'assez belles
maisons de campagne. Elle est mal bâtie, quoique ses maisons soient en
pierre. Sa population est estimée à 5,000 âmes. C'est une ville qui fut plus
considérable, et qui doit en partie sa décadence à l'air impur qu'on y res-
pire. En 1605, on l'érigea en évêché, mais l'évêque réside à Mizque, sur
la rive gauche du Guapey, dans le département de Cochabamba. Cette ville
de Santa-Cruz-de-la-Sierra est le chef-lieu du département auquel elle
donne son nom.
Au delà du Guapey, on ne trouve plus que de petits villages epars au
milieu d'une contrée légèrement ondulée par de petites montagnes. Plus
loin s'étendent les immenses plaines sablonneuses du pays des Chiquitos,
qui joint au nord les plaines boisées de celui des Moxos, qui dépendent de
la province de Santa-Cruz-de-la-Sierra.
La république de Bolivie est aujourd'hui divisée, administrativement, en
huit départements subdivisés en provinces ou cantons, La constitution

428
LIVRE CENT DIX-HUITIEME.
politique, qui date de 1839, a été confirmée en 1848 ; elle a beaucoup de
ressemblance avec celle du Pérou: on y trouve aussi un président, deux
chambres et un tribunal suprême. La religion catholique est la religion de
l'État ; il y a un archevêque à Chuquisaca, ses suffragants sont les évêques
de La Paz, de Cochabamba et de Santa-Cruz-dc-la-Sierra. Trois bataillons
d'infanterie et deux régiments de cuirassiers, en tout 1,500 hommes envi-
ron, composent la force armée permanente; mais nous devons y ajouter la
milice nationale. Le budget total des dépenses de la république montait,
en 1850, à 1,738,744 piastres (la piastre vaut envion 5 francs), et celui
des recettes à 1,976,217 piastres. La dette nationale do Bolivie est toute
intérieure, elle est très forte et dépasse les ressources du gouvernement.
La Bolivie offre, dans son ensemble, le spectacle d'un beau pays où la
nature a accumulé ses mille trésors, et où l'homme a tout à faire pour en
profiter.
Les nations indigènes du Pérou appellent maintenant notre attention ;
mais vaguement conservée par des traditions orales ou par ces nœuds sym-
boliques appelés quipous, l'histoire des Péruviens est infiniment plus obs-
cure que celle des Mexicains. Elle remonte à deux ou trois siècles avant la
découverte de l'Amérique par Colomb ; car les règnes de douze Incas n'ont
guère pu avoir une durée commune de plus de vingt ans.
Les tribus du Pérou vivaient dans une barbarie complète. Nomades, elles
se nourrissaient des produits de la chasse et de la pêche. Les vainqueurs
déchiraient tout vivants les prisonniers de guerre 1. Quelques-uns d'entre
eux, par l'instinct de la reconnaissance, adoraient la bienfaisante nature;
les montagnes, mères des fleuves, les fleuves mêmes et les fontaines, qui
arrosaient la terre et la fertilisaient ; les arbres qui donnaient du bois à leurs
foyers; les animaux doux et timides, dont la chair était leur pature ; la mer
abondante en poissons, et qu'ils appelaient leur nourrice 2 : un temple
très-ancien était même consacré à uu dieu inconnu et suprême. Mais le
culte de la terreur était celui du plus grand nombre. Bs s'étaient fait des
dieux de tout ce qu'il y avait de plus hideux, de plus horrible; ils vouaient
un respect superstitieux au couguar, au jaguar, au condor, aux grandes
couleuvres; ils adoraient les orages, les vents, la foudre, les cavernes,
les précipices ; ils se prosternaient devant les torrents, devant les forêts
ténébreuses, aux pieds de ces volcans terribles qui bouleversaient les
entrailles de la terre. A peine rendaient-ils une ombre de culte à ces affreuses
1 Garcilasso de la Vega, liv. 1, ch. XII.
2 Marna Cocha, mère mer.



AMERIQUE. — TRIBUS PÉRUVIENNES.
429
divinités ·, ils paraissent les avoir considérées sous le même jour que l'Afri-
cain voit ses fétiches. Cependant l'un se perçait le sein, en se déchirant les
entrailles; l'autre, plus forcené, arrachait ses enfants de la mamelle de leur
mère, pour les égorger sur l'autel. L'orgueil national s'était allié à la super-
stition. Les uns, comme ceux de Cuba, de Quinvala et de Tacna, fiers de se
croire issus du lion, qu'adoraient leurs pères, se présentaient, vêtus de la
dépouille de leur dieu, le front couvert de sa crinière, et portant dans les
yeux sa férocité menaçante. D'autres, comme ceux de Sulla, de Vilca,
d'Hanco, d’Urimarca, se vantaient d'être nés, ceux-là d'une montagne,
ceux-ci d'une caverne, ou d'un lac, ou d'un fleuve, à qui leurs pères immo-
laient les premiers nés de leurs enfants.
La providence divine eut pitié de ce monde livré au génie malfaisant.
Elle y envoya le sage et vertueux Manco et la belle Oello, sa sœur et son
épouse. D'où était venu ce couple vertueux et bienfaisant? On les crut des-
cendus du ciel. Les sauvages, répandus dans les forêts d'alentour, se ras-
semblèrent à leur voix. Manco apprit aux hommes à labourer la terre, à la
semer, à diriger le cours des eaux pour l'arroser ; Oello instruisit les femmes
à filer, à ourdir la laine, à se vêtir de ses tissus, à bien élever leurs enfants,
à servir leurs époux avec un tendre zèle. Aux dons des arts, ces fondateurs
ajoutèrent le don des lois. Le culte du Soleil, leur père, ce culte fondé sur la
reconnaissance., fut la première de ces lois et l’âme de toutes les institutions.
La voix d'une religion bienfaisante rassemble de toutes parts ces peuplades
barbares. Ils apprennent à s'aimer, à s'entr'aider ; ils renversent les autels
sanglants élevés aux lions et aux tigres; ils quittent la vie errante. La
terre, labourée par ses habitants, ouvre son sein fécond et se revêt de riches
moissons. Mais les douces lois qui établissaient le partage des terres, le
travail en commun, l'amour fraternel entre toutes les familles, ordonnaient
aussi le dévouement absolu aux volontés de l’Inca ; elles enchaînaient
l'essor de l'industrie en retenant constamment le fils dans la carrière du
père; elles empêchaient le développement des facultés intellectuelles. L'au-
torité des Incas n'était, après tout, qu'un « despotisme paternel. » On
avoue qu'ils avaient un nombreux sérail. Leurs sujets ne les approchaient
que des tributs à la main, et n'osaient jamais regarder leur visage. A un
seul signe de l'Inca, la population d'une province entière se laissait mettre
à mort1 ; enfin, le peuple, mal vêtu, mal logé, mangeait les viandes crues,
et mêlait de la terre glaise à ses aliments. Garcilasso ne déguise pas les
traits les plus évidents d'une tyrannie superstitieuse. Des milliers de vic-
Zarate : Historia del Peru, lib. I, cap. χ et XI.

430
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
times humaines étaient immolés sur le tombeau du monarque. On voyait
encore un remarquable exemple de fanatisme dans celte loi terrible qui
regardait la violation du yœu des vierges du Soleil : pour expier un amour
sacrilége, pour apaiser un dieu jaloux, non seulement l'infidèle prêtresse
était ensevelie vivante, et le séducteur dévoué aux supplices les plus
affreux; mais la loi enveloppait dans le crime la famille des criminels:
pères, mères, frères et sœurs, jusqu'aux enfants à la mamelle, tout devait
périr dans les flammes : le lieu même de la naissance des deux impies devait
être à jamais désert. Les conquêtes des Incas n'étaient pas aussi pacifiques
qu'on a voulu les représenter; on coupait le nez, on arrachait les dents à
tous les individus d'une tribu insurgée. La férocité japonaise et la servilité
chinoise percent à travers les excellentes qualités qu'on attribue au gou-
vernement des Incas. Les amandas, ou instituteurs, ont beaucoup de rap-
ports avec les mandarins chinois.
Quoi qu'il en soit, depuis la ville de Quito le voyageur retrouve les ves-
tiges de l'ancienne civilisation péruvienne.
La route de Quito à Cuzco, et par-delà, avait 500 lieues. Une autre, de la
même étendue, régnait dans le plat pays, et plusieurs aulres traversaient
l'empire du centre aux extrémités. C'étaient des levées de terre de 12
mètres de largeur, qui comblaient les vallées jusqu'au niveau des collines.
Le long de cette route on voyait se succéder des arsenaux distribués par
intervalles, les hospices sans cesse ouverts aux voyageurs, les forteresses
et les temples, les canaux qui, dans les campagnes, faisaient circuler l'eau
des fleuves; mais les routes des Incas n'avaient pas dans toutes leurs par-
ties une grande solidité. Les canaux étaient faits sans art ; les murs des
palais et des forteresses surpassaient rarement la hauteur de 4 mètres. L'or
était très-commun chez les Péruviens. On a trouvé de temps en temps pour
des millions de piastres dans les anciens monuments. Quelques arbres et
arbustes d'or pur out pu orner les jardins impériaux de Cuzco, mais les
historiens ont poussé jusqu'à l'extravagance l’éumeration de ces richesses.
Il y avait, dit Garcilasso, des bûchers de lingots d'or en forme de bûches,
et des greniers remplis de grains d'or. Nous dirons pourtant que les fameux
jardins d'or ne nous paraissent pas surpasser les bornes de la vraisemblance
historique.
Les Péruviens indigènes actuels sont loin de ressembler à ceux dont
Marmontel s'est plu à nous tracer le séduisant tableau. Ils n'ont que des
facultés très-bornées, un caractère mélancolique, timide, abattu par
l'oppression, pusillanime au moment du danger, féroce et cruel après la

AMÉRIQUE. — TRIBUS PÉRUVIENNES.
431
victoire, hautain, dur, implacable dans l'exercice du pouvoir. Ils sont d'un
naturel méfiant; ils croient qu'on ne peut leur faire aucune honnêteté sans
avoir l'intention de les tromper. Trapus, robustes, et capables d'endurer le
travail, ils croupissent dans l'indolence et la malpropreté : ils vivent sans
aucune prévoyance. Leurs habitations ne sont que de méchantes huttes
mal construites, incommodes, et d'une malpropreté dégoûtante. Leur
habillement est pauvre et mesquin, leur nourriture misérable; mais ils sont
très portés aux liqueurs fortes, et ils sacrifient tout pour s'en procurer la
jouissance. Quoique leur religion soit fortement entachée de la superstition
de leurs ancêtres, ils sont grands observateurs des rites et des cérémonies
de l'Église, et ils font des dépenses considérables en processions et en
messes.
Le nombre des Indiens a diminué depuis la conquête, et comme les
autres castes n'ont pas augmenté à proportion, la population totale du pays
est inférieure à ce qu'elle avait été lors de l'arrivée des Espagnols; mais on
a singulièrement exagéré cette diminution.
Parmi les causes qui ont contribué à diminuer le nombre des Indiens,
Ulloa remarque avec raison l'abus des liqueurs fortes ; il fait plus de ravages
en une année que les mines n'en font dans l'espace d'un demi-siècle. Les
Indiens du pays haut (la Sierra) se livrent à cette boisson avec tant de
fureur, que souvent on les trouve morts le matin dans les champs par suite
de l'ivresse du soir. En 1759, le gouvernement fut obligé de défendre abso-
lument la vente et la fabrication des eaux spiritueuses, à cause d'une fièvre
épidémique qui provenait en grande partie du penchant des Indiens à l'ivro-
gnerie. L'accroissement des autres castes est encore une circonstance qui
influe continuellement sur la diminution des Indiens, et doit finir par en
faire disparaître la race. Il a été observé que partout où les Européens s'éta-
blissent parmi les naturels, le nombre de ceux-ci va en diminuant; mais
ils sont remplacés par des Métis et des Zambos. On peut présager avec
assurance une époque où toutes les races pures, fondues ensemble, ne for-
meront plus qu'une seule masse et constitueront une nation nouvelle.
Les Indiens, aussi bien que les Créoles, parviennent généralement à un
âge fort avancé et conservent leurs facultés jusqu'à la fin de leur carrière.
Dans la province de Caxamarca, on comptait, en 1792, huit personnes
âgées depuis cent quatorze jusqu'à cent quarante-sept ans ; et dans la même
province il mourut, en 1765, un Espagnol âgé de cent quarante-quatre ans
sept mois et cinq jours, laissant une descendance de huit cents personnes.
Les Métis ont rang immédiatement après les Espagnols, et ils forment la

432
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
classe la plus nombreuse après les Indiens. Ils ne jouissent pas des privi-
lèges accordés à ceux-ci, mais ils ne sont pas sujets non plus aux mômes
charges. Cordialement attachés aux Espagnols, ils vivent dans une mésin-
telligence perpétuelle avec les Indiens. Les Quarterons, qui descendent du
mariage d'un Espagnol avec une Métisse, se distinguent difficilement de
leurs pères. Les Cholos, au contraire, issus d'Indiens et de Métis, rentrent
dans la classe des Indiens, et sont soumis au tribut.
Les Nègres esclaves étaient autrefois destinés au service des maisons ou
au travail dans les sucreries et les autres plantations de leurs maîtres. Leur
importation annuelle se montait à 500 environ, mais leur nombre diminue
de jour en jour. Les Nègres libres passent en général pour fainéants, dis-
solus, et auteurs de la plupart des meurtres et des brigandages commis
dans le Pérou. Les Mulâtres s'adonnent communément au petit commerce,
et exercent presque seuls plusieurs métiers mécaniques. Les femmes mulâ-
tres, recherchées comme nourrices, savent souvent gagner toute la con-
fiance de leur maîtresses créoles.
La langue quichua était celle des Incas et de la nation quichua, voisine
de l'ancienne capitale Cuzco; elle s'est étendue avec la domination des
monarques péruviens depuis la ville de Pasto, dans le Quito, jusqu'à la
rivière Maule, dans le Chili. Elle a survécu à l'empire péruvien; elle est
encore généralement parlée dans toute l'étendue de l'ancien Pérou, non-
seulement par les Indiens, mais encore par les Espagnols, et surtout par les
Espagnoles ; c'est à Lima et à Quito l'idiome de la galanterie et de la bonne
société. Les jésuites ont répandu dans les missions, à l'est des Cordillères,
cette langue douce et très-cultivée. On la dit très-propre aux peintures gra-
cieuses de l'idylle et aux mouvements passionnés de l'élégie. A côté d'elle
il existe, dans plusieurs cantons du Pérou, quelques langues-mères qui
en diffèrent radicalement ; l’ aimare est parlé dans les environs de La Paz,
dans les îles du lac de Titicaca. Les Pouquines, quoique peu nombreux,
conservent avec une obstination respectable leur idiome maternel.
Nous nous sommes occupé du Haut et du Bas-Pérou ; les contrées que
l'on pourrait désigner sous le nom du Pérou intérieur, en diffèrent sous
plusieurs rapports physiques, et sont peuplées de nations qui ne paraissent
pas avoir subi en totalité le joug des Incas, ni descendre de la même souche
que les Péruviens. Les Espagnols distinguent plusieurs districts sous des
dénominations spéciales: la Pampa-del-Sacramento, entre le Huallaga et
l’Ucayale, le Grand-Pajonal, contrée montagneuse entre le Pachitea,
1 Hervas : Catalogue des langues, ch. I, art. 4.

AMÉRIQUE. — TRIBUS PÉRUVIENNES.
433
l'Enne et PUcayale; le pays des Moxos, entre le Beni et le Madera ; celui
des Chiquilos, qui s'étend vers les bords du Paraguay. Mais comme les
régions et les tribus se ressemblent dans les principaux traits, nous les
grouperons en un seul et même tableau.
Les Indiens de l’Ucayale, de Huallaga et de la Pampa-del-Sacramento,
ont le teint plus blanc, la taille plus forte et les traits plus expressifs que les
Péruviens. Quelques tribus, par exemple les Conibos, ne le cèdent guère
en blancheur aux Espagnols, si ce n'étaient les huiles dont ils s'endui-
sent tout le corps, et les piqûres de moustiques, auxquelles ce moyen
même ne saurait les soustraire. Les Carapachos, sur la rivière Pachitea,
ont presque la blancheur des Flamands ; ils ont de plus une barbe touf-
fue. Le P. Girbal compare leurs femmes, pour la beauté, aux Circassiennes
et aux Géorgiennes. Il n'est pas étonnant que parmi ces peuples les diffor-
mités soient presque inconnues. Ils prennent des précautions cruelles
contre les erreurs de la nature : tout enfant qui, aux yeux de ses parents
insensibles, paraît d'une constitution faible ou d'une mauvaise conforma-
tion, est sur-le-champ voué à la mort, comme un être né sous de sinis-
tres augures. Pendant l'adolescence, ils emploient un moyen plus innocent
pour conserver la beauté de la race; il consiste à serrer par des ficelles de
chanvre toutes les parties du corps, de manière à leur donner une forme
convenue. Les Omaguas, qui demeuraient anciennement dans la Pampa,
avaient la coutume de serrer la tète de leurs enfants entre deux planches
de bois, qui, en aplatissant ie front et l'occiput, rendaient la face plus
large, et, pour emprunter leurs termes, lui donnaient de la ressemblance
avec la pleine lune. Il semble que cet usage n'est pas tout-à-fait aboli
parmi les habitants actuels de ces contrées. Les missionnaires attribuent à
cette opération violente la faiblesse d'entendement et de jugement, qui,
selon eux, est générale parmi ces peuples. Les Panos font circoncire les
jeunes filles, usage inconnu parmi les autres tribus. La petite-vérole et
diverses autres causes ont singulièrement diminué la force de ces tribus,
autrefois si populeuses ; il y en a qui ne comptent que 500 âmes.
Les idiomes de ces Indiens semblent varier de village à village, tant
chaque tribu met de soin à conserver certaines inflexions de voix, certains
sifflements et hurlements qui probablement tiennent lieu de mots d'ordre
en temps de guerre. Il est vraisemblable que ces idiomes se réduisent à
un très-petit nombre de langues-mères. Cependant il y a des différences
primitives; les Cocamas, par exemple, en parlent une qui n'a aucun
rapport avec celle de leurs voisins, les Yurimaguas, qui habitent sur
Y.
55

434
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
le Muallaga. La langue des Moxos et celle de Chiquitos sont très-répan-
dues, et la dernière se distingue par une syntaxe remplie d'artifices qu'on
ne chercherait pas parmi des sauvages. Les Panos cachent aux yeux
des étrangers, au dire de M. de Humboldt, quelques livres écrits en hiéro-
glyphes.
Toutes ces peuplades vivent sous des caciques ou princes ; il y en a qui
ont deux caciques à la fois. S'il faut en croire les missionnaires, la polyga-
mie est en horreur parmi ces peuples. Il n'est permis qu'aux caciques
d'avoir deux épouses. Dans la plupart de ces tribus, les mariages sont
conclus entre les chefs des deux familles et les jeunes gens élevés ensemble
depuis la plus tendre enfance. Il n'est pas rare de voir des couples qui
s'aiment jusqu'à la mort ; plus d'une Artémise sauvage a donné aux
cendres de son mari ses propres entrailles pour tombeau. Mais d'un autre
côté, les mariages ne sont point indissolubles de droit : les époux peuvent se
séparer dès le moment qu'un mutuel consentement a rendu à chaque par-
tic sa liberté.
La croyance de ces peuples est conforme à leur civilisation imparfaite.
Ils se représentent l'Être suprême sous la figure d'un vieillard qui, après
avoir construit les montagnes et les plaines de notre terre, a choisi le ciel
pour sa demeure constante. Ils l'appellent notre père, notre aïeul, mais ils ne
lui consacrent ni temples niautels.Les tremblements de terre viennent, selon
eux, de sa présence sur notre globe-, ce sont les pas de Dieu irrité qui font tres-
saillir les montagnes ; pour lui montrer leur respect, aussitôt qu'ils sentent
une secousse de tremblement de terre, ils sortent tous de leurs cabanes; ils
dansent, sautent, trépignent et s'écrient : Nous voici! nous voici! Plusieurs
tribus adorent la lune. Tous ces Indiens croient à un mauvais principe, à
une espèce de diable qui, selon eux, réside sous la terre, et cherche à faire
du mal à tous les êtres vivants. Des individus, nommés Mohanes, passent
pour avoir des communications avec le diable, et pour savoir détourner sa
maligne influence. Ce sont là les seuls prêtres qu'aient ces peuples; on les
consulte sur la guerre et sur la paix, sur les moissons, sur la santé publique
et sur les affaires d'amour. Le métier de ces prêtres, ou plutôt de ces sor-
ciers, est très-périlleux ; si leurs artifices magiques ne sont pas suivis du
succès qu'ils promettent, la vengeance de leurs dupes ne s'assouvit que
dans leur sang. Les piripiris sont des talismans composés de diverses
plantes; il y en a qu'on porte sur les bras, sur les pieds et sur les armes;
il y en a d'autres qu'on mâche et qu'on jette ensuite dans l'air; il y en a
dont on boit l'infusion; quelques-uns doivent inspirer de l'amour, d'autres

AMÉRIQUE. —TRIBUS PÉRUVIENNES.
435
doivent faire réussir la chasse, assurer les moissons, donner naissance à la
pluie et disperser des armées ennemies.
De tous les prodiges qu'opèrent les Mohanes au moyen de leurs talis-
mans, les plus brillants, mais aussi les plus périlleux, sont les guérisons
des malades. Comme toutes les maladies sont attribuées à leurs artifices ou
à l'influence de leur maître, le diable, le premier soin qu'une famille croit
devoir à un malade, c'est de découvrir quel est le Mohane qui l'a ensorcelé.
A cette fin, le plus proche parent boit un extrait de datura arborea L.; eni-
vré par cette espèce de poison végétal, il tombe à terre, et reste souvent
pendant deux ou trois jours dans un état voisin de la mort. Revenu à ses
sens, il annonce avoir vu en songe tel ou tel sorcier dont il donne le signa-
lement : on cherche le Mohane auquel ce portrait convient, et on l'oblige
de se charger de guérir le malade. Si, par malheur, celui-ci était mort pen-
dant cette opération préliminaire, la famille cherche à tuer le Mohane dési-
gné. Souvent les visions n'ayant donné aucun résultat positif, on force le
premier Mohane qu'on rencontre à faire l'office de médecin.
Il est probable que, grâce à des traditions ou à une longue expérience,
ces sorciers possèdent des secrets qui les aident à guérir quelques malades
et à en tuer d'autres. Les poisons que, dans ces climats, le règne végétal
offre en si grand nombre et d'une force si terrible, peuvent, avec certaines
modifications, fournir des remèdes violents à la vérité, mais souvent pré-
cieux. Cependant, la médecine ostensible de ces peuples ne consiste qu'en
pratiques superstitieuses.
Quand tous les remèdes ont été employés en vain, et que la mort pro-
chaine s'annonce par des signes certains, le Mohane saute brusquement
du lit, et sauve sa vie par une fuite précipitée, sans pouvoir cependant
éviter les coups de bâton et de pierres qui pleuvent sur lui.
Les tribus établies sur la rivière des Amazones, du côté de Maynas,
croient que l'âme continue à exister dans un autre monde, sous la forme
humaine. Ces Indiens disaient aux missionnaires : « Nous ne craignons
« nullement la mort; nos ancêtres et nos amis nous attendent dans l'autre
« monde ; ils tiennent du pisang cuit et du pain de cassave tout prèt pour
« nous recevoir : nous avons soin de recommander qu'on mette dans notre
« tombe une hache de cuivre, un arc et une armure complète, afin de
« pouvoir sur-le-champ faire notre entrée victorieuse dans le ciel, en pas-
« sant par la voie lactée, ce jardin lumineux où nos ancêtres s'amusent à
« des danses et des festins. Cependant nos neveux nous verront quelque-
« fois combattre les morts des tribus ennemies : c'est alors qu'on verra les

436
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
« sombres nuages s'amasser et annoncer un orage violent ; la foudre bril-
« lera dans nos mains, et le fracas de la chute de nos ennemis, précipités
« du haut du ciel et changés en bêtes féroces, retentira dans les airs comme
« un tonnerre épouvantable. »
.
Quoique plusieurs do ces idées soient communes à tous les Indiens, il
paraît que les habitants des bords de l'Ucayale y joignent la croyance de la
métempsycose. « Pourquoi, disait l’un d'eux à un jésuite, pourquoi me
« parler tant de mes péchés? Tout ce que tu dis sur les peines de l'enfer
« n'est qu'un tissu de fables. Je sais bien que mes péchés ne me feront pas
« brûler; je vois tout autour de moi ce que mes aïeux sont devenus après
« leur mort. Les caciques justes et sages, les braves guerriers, les femmes
« fidèles, vivent, après la mort, dans les corps des animaux, distingués par
« leur force, leur agilité ou leurs grâces. Nous respectons surtout les
« grands singes, nous les saluons, nous leur rendons toute sorte d’hon-
« neurs, parce que les âmes de nos pères habitent dans leur corps. Quant
« aux âmes des méchants et des traîtres, ou elles errent dans les nuages et
« la terre, ou elles languissent enchaînées au fond des rivières. Mais per-
« sonne parmi nous n'est brûlé dans l'autre monde... »
Les complaintes et lamentations de ces peuples ne se distinguent que par
l'extrême variété qu'ils affectent d'y mettre quant au son de la voix. Les
uns imitent le hurlement du jaguar, les autres le cri nasal des singes;
ceux-ci sifflent comme les grenouilles. Sans doute ils veulent dire, parce
charivari, que tous les éléments pleurent la mort de l'homme qu'on vient
de perdre.
La complainte finie, on détruit tout ce qui appartenait au défunt, et on
brûle sa cabane. Le corps est mis dans un grand vase de terre qui sert de
bière; il est inhumé dans quelque endroit isolé; et tandis que les autres
races humaines cherchent à éterniser leur dernière demeure, ces Indiens
ont grand soin d'aplanir le terrain où ils ont creusé une fosse, afin qu'on
n'en retrouve pas la place ; tout le inonde évite les endroits qui servent de
cimetière, et chez la plupart de ces peuplades il est défendu de faire la
moindre mention du défunt, et même d'en rappeler directement la mémoire.
Les Roa-Mainas pourtant ont une coutume un peu différente, et très-
remarquable. Ils déterrent les cadavres après un certain laps de temps ; et
lorsqu'ils croient que les chairs se sont dissoutes, ils nettoient le corps, le
placent dans une bière d'argile, chargée d'hiéroglyphes semblables à ceux
d'Égypte, l'exposent dans leurs cabanes à la vénération des survivants, et
lui font à la fin de secondes funérailles. Les Capanaguas, sur les bords de

AMÉRIQUE. — TRIBUS PÉRUVIENNES.
437
la rivière Magni, dévorent les chairs rôties des morts, sous prétexte de les
honorer.
Plusieurs tribus ont la réputation de manger leurs prisonniers de guerre.
Les Guagas, qu'on cite dans ce nombre, ont toute la férocité des Giagas
d'Afrique, dont ils sont peut-être une branche. Ils se serrent le milieu du
corps, de manière à se donner un taille extraordinairement svelte.
Nous devons citer encore, parmi les naturels du Pérou, les Pancartam-
binos et les Chahuaris, surnommés collectivement les Chunchos. « Les
« langues de ces tribus, dit M. Gay1, alors même qu'elles sont entière-
ce ment distinctes les unes des autres, offrent cette singulière construction
« que tous les mots des parties du corps commencent par une même syl-
« labe ; et si une tribu se sépare en deux, gouvernées chacune par un chef
« distinct, une d'elles change celte première syllabe par une autre qu'elle
« conserve pour tous les autres mots de ces parties du corps. Cette syllabe,
« comme vous voyez, est en quelque sorte l'armoirie de la tribu ·, c'est elle
« qui distingue leurs nations, leurs tribus, peut-être même leurs familles.
« Leur manière de compter est extrêmement imparfaite et tellement peu
« avancée, qu'ils ne peuvent compter que jusqu'à trois, n’ayant d'autre
« expression pour le nombre quatre que celle de beaucoup. »
Si les Indiens de l’Ucayale et du Huallaga cultivent la terre, ce n'est pas
précisément pour se procurer des aliments ; la nature leur en offre en abon-
dance dans les quadrupèdes et les poissons qui peuplent leurs forêts et
leurs rivières. Ce qui rend ces Indiens cultivateurs, c'est principalement le
besoin d'une boisson plus saine que celle que leur offrent les eaux souvent
bourbeuses ou marécageuses de leur pays. Rarement ils boivent de l'eau ;
et quand ils négligent cette règle, ce n'est pas sans mauvaises suites pour
leur santé. Leur boisson favorite s'appelle masato ; on la tire de la racine
d’yucca, au moyen d'une opération dégoûtante : on réduit la racine en
bouillie, on y mêle de la salive, on laisse fermenter cette masse pendant
trois jours, on la délaie ensuite dans de l'eau. Cette boisson est amère et
enivrante.
Ils reçoivent des peuplades qui habitent les Cordillères de petites haches
de cuivre qu'ils nomment chambo. Au moyen de ce faible instrument et des
pierres les plus dures, ils façonnent, en forme de hache, des pierres plates
qu'ils trouvent parmi les galets de leurs rivières. Ils leur donnent du tran-
chant au moyen d'un long et pénible remoulage. Voici une anecdote qui
montre combien une hache de fer est précieuse aux yeux de ces Indiens.
1 Lettre à M. B. Delessert.

438
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
L'un d'eux vint un jour proposer au P. Richter, jésuite, de lui donner son
fils aîné en échange d'une hache. Le jésuite lui fit des remontrances sur
son défaut d'amour paternel. « J'aime mes enfants, répondit le sauvage ;
« mais je peux en procréer autant que j'en veux, tandis qu'il m'est impos-
« sible de procréer une hache. D'ailleurs, mon fils ne m'appartiendra que
« pour un temps limité; la hache fera le bonheur de toute ma vie. »
Les occupations tumultueuses de la guerre, de la chasse et de la pêche,
ont des attraits irrésistibles pour ces peuples. Pleins de confiance en leurs
lances et leurs flèches empoisonnées, ils attaquent même le féroce jaguar
ou tigre d'Amérique; à peine l'arme teinte du suc des herbes vénéneuses
a-t-elle effleuré la peau de l'animal, que celui-ci tombe à terre et expire.
Les poissons peuvent échapper aux filets grossiers de ces Indiens et à leurs
hameçons d'os ; mais s'ils lèvent la tête au-dessus de l'eau, un trait rapide
leur donne aussitôt la mort. Les villages sont construits de manière à res-
sembler à de petites redoutes demi-circulaires, appuyées aux bois par le
côté convexe, et ayant deux issues, l'une qui conduit dans la plaine, l'autre
qui s'ouvre du côté des montagnes; c'est par cette dernière porte que les
Indiens se sauvent, lorsqu'ils ne peuvent plus défendre leurs habitations
contre l'ennemi. Ils se rassemblent alors dans les montagnes, et reviennent
fondre sur les vainqueurs, qui souvent deviennent à leur tour les victimes.
Deux traits d'humanité distinguent avantageusement ces Américains;
ils ne font jamais usage de flèches empoisonnées contre les hommes ; ils ne
massacrent point leurs prisonniers, mais les traitent au contraire en com-
patriotes et en frères.
Les missionnaires qui soumirent aux Espagnols le vaste pays de Maynas,
limitrophe de la Pampa-del-Sarramento, et situé aujourd'hui dans la
Colombie, trouvèrent plus d'obstacles à mesure qu'ils pénétrèrent vers
l'Ucayale, et surtout lorsqu'ils voulurent passer au delà de cette rivière. Il,
y a eu, dans le dix-septième siècle et au commencement du dix-huitième,
des missions florissantes établies sur les bords de la rivière Manoa. Elles
ont été détruites, et la perte de cette position qui domine le cours de l'Ucayale
a contribué au succès de la révolte des peuplades du Grand-Pajonal, qui
paraissent s'être maintenues indépendantes; mais les voyages modernes
des missionnaires du séminaire d’Ocapa, surtout ceux des PP. Girbal et
Sobreviela, ont rétabli des communications pacifiques avec plusieurs de ces
peuplades, entre autres avec les Panos. Il est probable, dans l'état actuel
du Pérou, que des négociants, ou des cultivateurs éclairés ou entrepre-
nants, suivront l'exemple de don Juan Bezarès, qui a reconquis, repeuplé

AMÉRIQUE. — TRIBUS PÉRUVIENNES.
439
et remis en culture plusieurs cantons abandonnés entre les Andes et le
cours de Huallaga.
Les missions, jadis florissantes, des Chiquitos et des Moxos languissent
depuis la destruction de leurs fondateurs, les jésuites.
Les contrées à l'est des Andes ont deux saisons : l'une sèche, qui dure
de juin en décembre ; l'autre pluvieuse. Pendant la saison des pluies,
toutes les plaines se transforment en un lac immense; les forêts, les
arbustes, les lianes, semblent flotter dans l'eau ; les quadrupèdes se réfu-
gient vers les sommets, tandis que les crabes et les huîtres s'attachent aux
branches inférieures. Le froid vent d'est vient-il dessécher l'atmosphère,
aussitôt les eaux commencent à diminuer; les coteaux qui bordent les
rivières se montrent de nouveau ; les îles et les bancs même reparaissent
au milieu des fleuves. L'humidité extrême de ce climat, et la chaleur,
quoique tempérée, qui y règne, exigeraient de la part des Européens quel-
que mesure de prudence pour y conserver leur vigueur. Quant aux moyens
de communication, ils sont aussi multipliés du côté de l'océan Atlantique,
qu'ils sont en petit nombre pour aller au Haut-Pérou. D'un côté, c'est une
navigation facile sur de beaux et nombreux fleuves ; de l'autre côté, ce ne
sont que torrents, cataractes, précipices. Voyage-t-on par eau, il faut
souvent quitter le canot pour les balsas ou radeaux faits de roseaux. Se
fait-on porter à dos d'homme à travers les bois, on risque d'être blessé par
des branches d'arbres, ou déchiré par des arbustes épineux.
Les collines à l'est des Andes renferment des mines d'or ; on y trouve
aussi des filons de sel gemme. La plaine, tous les ans inondée par le débor-
dement des fleuves, promet une grande fertilité. Dans leur état sauvage,
toutes les contrées à l'est de la Cordillère des Andes sont couvertes de
forêts. Sur les montagnes on trouve beaucoup de bois incorruptibles ; dans
les plaines on erre parmi les taillis de cacaoyers et de palmiers. Les espèces
les plus recherchées de cinchona, ou l'arbre à quinquina, se trouvent dans
les vallées de Huallaga, du côté de Chicoplaya, et probablement en beau-
coup d'autres endroits. Le cirier des Andes croît le long de la partie infé-
rieure du Huallaga, circonstance qui prouve une élévation considérable.
Plusieurs arbres fournissent des gommes et des baumes ; il y en a beaucoup
d'autres qui, par l'éclat et le parfum de leurs fleurs, réjouissent à la fois
l'odorat et la vue.
Parmi les productions les plus singulières de ces contrées peu connues,
nous distinguerons l'insecte qui produit du papier. Voici ce qu'en disent
les missionnaires :

440
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
« Non loin de la ville champêtre de Huanaco et des bords romantiques
« du Huallaga supérieur, on trouve dans la vallée de Pampantico, et pro-
« bablement dans beaucoup d'autres vallées de la Cordillère, un insecte
« que les Espagnols nomment sustillo, et qui ressemble beaucoup à notre
« ver à soie. Il vit exclusivement sur l’arbrepacaé, décrit sous le nom de
« mimosa inga, dans Flora peruviana. Les Indiens, qui regardent ces
« insectes comme un manger délicieux, en détruisent tous les ans une
« grande quantité, sans que cependant le nombre en diminue scnsible-
« ment. Les plus beaux arbres en sont entièrement couverts. Lorsque les
« sustillos, dans leur état de larve, se sont rassasiés de nourriture, ils se
« réunissent tous sur la partie inférieure du tronc de l'arbre, et y choi-
« sissent un endroit propre à suspendre le tissu merveilleux que l'instinct
« lès engage à fabriquer. Le meilleur ordre préside à leurs travaux ; ils
« observent exactement les lois de la symétrie ; et quoique l'étendue, la
« finesse, la souplesse de leurs tissus varient selon le nombre des insectes
« qui y prennent part, et selon la qualité des feuilles qui leur ont servi de
« nourriture, cependant l'éclat, la consistance et la solidité en font tou-
« jours une espèce de papier qui ressemble au papier chinois, mais qui
« est beaucoup plus durable. Le dessous de cette tente aérienne sert d'asile
« aux sustillos pendant leur métamorphose-, ils s'attachent au côté infé-
« rieur en lignes horizontales et verticales, de manière à former un cube
« parfait; dans cette position, ils s'enveloppent chacun dans leur coque de
« soie grossière, et attendent l'époque de leur transformation en nymphe
« ou chrysalide, et ensuite en papillon. Sortis de leur prison, ils détachent
« eux-mêmes, en grande partie, les fils par lesquels était suspendu le tissu
« qui les couvrait ; cependant ce tissu reste presque toujours accroché aux
« branches de l'arbre ; et, blanchi par l'air, il flotte au gré des vents, sem-
« blable à un drapeau déchiré. Le naturaliste 1). Antonio Pineda a envoyé
« à Madrid un morceau de ce papier naturel, long d'une aune et demie.
« On possède également à Madrid un nid entier de sustillos. Ces nids, ou
« plutôt ces nichas aériennes, ont constamment une forme elliptique. Le
« P. Calancha, jésuite, avait parlé de cet insecte curieux ; il possédait un
« morceau de papier de sustillo, sur lequel on avait écrit une lettre1. »
La Relation du P. Thaddée Hœnke nous fait connaître d'autres curio-
sités du Pérou intérieur. Ce voyageur a trouvé dans la province des Chi-
quitos une immense plaine couverte d'étangs salants, dont la surface cris-
tallisée et immobile présentait l'image de l'hiver. Les arbres mêmes, à une
1 Histoire du Pérou, I, p. 66.

AMÉRIQUE. — TRIBUS PÉRUVIENNES.
441
grande distance, étaient couverts de petits cristaux de sel, qui produisaient
à l'œil l'effet d'une gelée blanche.
Continuons maintenant de passer en revue les différentes tribus péru-
viennes.
Les Atacamas, qui se nommaient autrefois Olipes ou Llipi, forment
une population de plus de 7,000 individus; ils ont tous embrassé la reli-
gion chrétienne.
Au sud des Atacamas habitent les Changos, dont le nombre ne paraît
pas être de plus de 1,000 à 1,200. Leur couleur est le bistre noirâtre ; leur
taille est peu élevée, elle ne dépasse pas 1 mètre 65 (5 pieds 1 pouce), et
terme moyen elle est de 1 mètre 60 (4 pieds 9 pouces). C'est la plus petite
des nations ando-péruviennes. Ils sont doux, obligeants, hospitaliers ; ils
vivent constamment sur les bords de la mer, où ils se livrent à la pêche.
Comme il ne pleut jamais dans les lieux qu'ils habitent, trois à quatre
piquets fichés en terre près des rivages et sur lesquels ils jettent des peaux
de loup marin, des algues marines, forment leurs maisons.
Les Yuracarès habitent le pied des derniers contreforts des Andes orien-
tales et les forêts des plaines qui les bordent, sur toute la surface comprise
entre Santa-Cruz de la Sierra à l'est et Cochabamba à l'ouest, sur une lar-
geur de 20 à 30 lieues. Ils sont du petit nombre des nations de l'Amérique
méridionale dont la peau est presque blanche. Leurs traits offrent aussi
quelques caractères particuliers : leur visage est presque ovale ; leurs pom-
mettes sont peu saillantes; leur front est court, légèrement bombé; leur
nez est assez long , souvent aquilin.
Sous le nom de Mocéténès existe, dans les montagnes, une nation que
les Yuracarès, dit M. d'Orbigny, nomment Maniquiès, et que les Boliviens,
tout en lui conservant la même dénomination, appellent aussi, mais très-
improprement, Chunchos, nom appliqué déjà depuis des siècles à des
nations qui vivent à l'est de Lima. La couleur des Mocélénès est absolu-
ment celle des Yuragarès, brune ou légèrement basanée, mais assez claire
pour paraître presque blanche, comparativement aux autres nations des
montagnes. Par leurs traits, leurs formes et leur stature, ils offrent beau-
coup de ressemblance avec les Yuracarès. Leur nombre est, suivant
M. d'Orbigny, peut-être de 800 pour ceux qui sont encore sauvages, et
d'à peu près le double pour ceux qui sont réunis en missions : on peut
ainsi en évaluer le total à 2,400 individus.
Les Tacanas habitent les montagnes boisées et humides qui couvrent
les pentes orientales des Andes boliviennes, entre le 13e et le 15e degré de
Y.
56

442
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME.
latitude, et depuis le 70e jusqu'au 71e de longitude. La plupart sont chré-
tiens : ce sont ceux qui habitent les missions d'Atan, de Cavinas, d’Isiamas
et de Tumupasa. Leur nombre est de 5,300. Ceux qui sont encore à l'état
sauvage portent le nom de Toromonas, et sont environ un millier. Leur
couleur et leurs traits leur donnent beaucoup de ressemblance avec les
Mocélénès, mais ils sont plus petits : leur taille moyenne est au-dessous
de 1 mètre 65 (5 pieds 1 pouce).
Les Chiquitos sont d'une couleur bronzée, ou pour mieux dire d'un brun
pâle, mélangé d'olivâtre, et non de rouge et de jaune. M. d'Orbigny porte
leur nombre à environ 15,000.
Les Samucas, au nombre d'environ 2,200, dont la moitié est tout à
fait indépendante, habitent aussi la province de Chiquitos. Leur couleur
est bistre olivâtre pâle. Ils ont la tête grosse, la face large, le front court et
peu bombé, le nez peu large, les lèvres peu épaisses, les sourcils arqués,
les yeux petits, la barbe et les cheveux noirs, droits et longs. Leur taille
moyenne est de 1 mètre 663 (5 pieds 1 pouce 1 /2). Ils sont robustes et
bien musclés.
Les Moxos forment une nation nombreuse : M. d'Orbigny porte leur
nombre à près de 14,000, dont plus de 12,000 ont embrassé le christia-
nisme, et dont le reste est encore à l'état sauvage. Ils ont la tête grosse, un
peu allongée postérieurement, le front bas et peu bombé, le nez court,
épaté sans être trop large, les narines ouvertes, les yeux petits, les sour-
cils étroits et arqués, la barbe noire et peu fournie, les cheveux noirs,
longs, gros et lisses.
TABLEAUX Statistiques du Pérou.
Statistique générale.
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION
DETTE
ARMÉE.
MARINE.
REVENUS.
en lieues. c. g. absolue eu 1850. par lieues car.
PUBLIQUE.
52 offi. enact.
Officie. 1,339 h.
106,345,593 f.
76,775
1,800,000
23
47 matelots.
Solda. 2,600 h.
54,725,000 f.
Bâtiments 3
au 1er oct. 1849.

AMÉRIQUE. — TABLEAUX STATISTIQUES DU PÉROU.
443
Statistique particulière des départements 1.
POPULATION
DEPARTEMENTS.
PROVINCES ET LEUR POPULATION.
en
1845.
Cercado, 58,406. Chancay, 1t,781. canta, 15,885.
Lima 166,799
— Canète. 29,399 — Huarochiri, 18,793. Yauyos,
,
15,639.— lca, 16 896.
Pataz, 17,686 - Jaen, 7,262. Chiclaye, 25,150. -
Libertad
Truxillo, 7.293. Lambayèque, 18,277. Caja-
223,458
marca, 43,598. — Huamacucho, 44,312. Chota,
59,830.
Aréquipa
Cereado, 55,382. — Cailloma,21,440. — Chuquibamba,
118,301
19.143. — Union, 10,968. Camana, 11,368.
Ayacucho
Cereado, 19,795 Caogallo, 23.417. — Parinaco—
135,201
·
chas, 22,987. Huanta, 21,0002 Lncanas, 16,873
.
— Andahuaylas, 31,127.
Cercado, 58,358 — Abancay, 22,801. Anta, 16,371.
— Calca, 15,526 Quispicauchi, 29 585. Aima-
raes 29,655. Paucartambo, 16,973. — Paruro,
Cuzco
300,705
'
13,812 — Chumbivileas, 21,824. — Canas, 19.588. —
Canchis 16,294 Urubamba, 17,333.— Colabambas,
22,584.
Amazonas
61,267
Chachapoyas, 28,739· - Mavnas, 32.528.
Ancadis
Huaylas, 66,711. Santa, 10,695. Huari, 36,839. —
147,400
;
Canchucos, 33.105.
Guancavelica ou bien Huait"
Guancavelica, 24,751. Tayacaya, 19,498 Castro-
cabelica 57,268
Vireina, 13,019.
Junin
Jauja, 64,323 Cerro, 40,612. Huanuco, 21,404.
170,430
Cajotambo, 28,464 Huamalias, 23.627.
Moquegua
, . . .
50,950
Tacna, 24,121 — Moquegua, 16,852.—Tarapaca, 9,977.
Puno
Chucuyto, 58.164. Huancane, 51,615
Lampa,
232,403
58.604. Azangaro, 43,416. Carabaya, 20,605.
Callao, province maritime.
Callao, 5,742.
Piura... idem
Piura, 56,444.
1,726,350
1 Ce tableau qui donne la population du Pérou en 1845, sans y comprendre les étrangers et les
esclaves, est extrait du t. IV de l'Expédition de M. F. de Caslelnau, dans l'Amérique du Sud. Les
départements et les provinces ont, pour la plupart, des capitales du même nom.
TABLEAUX Statistiques de la Bolivie.
Statistique générale
SUPERFICIE.
POPULATION
POPULATION
ARMÉE.
REVENUS.
DETTE PUBLIQUE.
en lieues géog. c.
absolue.
par lieue carré.
54,400
1,100,000
20
1,500
10,000,000 de f.
16,000,000
Statistique particulière des départements.
DÉPARTEMENTS.
POPULATION.
CHEFS-LIEUX.
POPULATION.
Chuquisaca
98.000
Chuquisaca
14,000
La Paz
390.000
La Paz
32,000
Oruro
115,000
Oruro
5,000
Potosi
232,000
Potosi
15.000
Cohabamha
176,000
Cochabamba
27,000
Santa-Cruz
59,000
Santa-Cruz de la Sierra. . . .
5,500
Tarija
38,000
Tarija
3,000
Distriet littoral
7,000
Cobija ou Puerto del Mar. . .
1,200

444
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME
Suite de la Description de l'Amérique. — Description particulière du Chili, de
l’Araucanie, de la Patagonie et des Terres Magellaniques.
C'est à travers des montagnes stériles, des neiges éternelles et d'affreux
précipices, que l'on pénètre du Pérou dans le Chili, dont le nom vient du
mot tchili, qui, dans la langue quichua, signifie neige. La nature avait
isolé le monde entier de cette pittoresque, fertile et salubre contrée. La
puissance des Incas y pénétra cependant avant les armes espagnoles ;
mais ni l'une ni les autres n'ont pu entièrement soumettre cette terre de
liberté.
Le Chili était encore une province de l'empire des Incas, lorsqu'en 1535 les
Espagnols, sous les ordres d'Almagro, s'en emparèrent. L'époque de l'occu-
pation de l'Espagne par l'armée française, fut comme pour les autres colonies
espagnoles le signal des premières tentatives que fit le Chili pour s' ffran-
chir du joug de la métropole. Ce ne fut qu'en 1818, après la victoire déci-
sive de Maypa, remportée à l'aide des secours des Buenos-Ayriens, que
cet État conquit définitivement son indépendance; il adopta alors le gou-
vernement républicain.
Une longue côte, deux chaînes de montagnes, deux Cordillères (la
Grande-Cordillère et la Cordillère de la Côte), et une rampe intermé-
diaire, telle est la configuration extérieure du Chili. Ses limites sont,
au nord, la république de Bolivie, dont le grand désert d'Atacama le
sépare ; à l'est, la république Argentine ou de La Plata, dont elle est séparée
par les hautes Cordillères des Andes, et enfin, au sud et à l'ouest, par
l'océan Pacifique. Sa superficie peut être évaluée à 21,400 lieues carrées.
Sa population ne paraît pas dépasser 1,200,000 âmes ; dans cette estima-
tion, ne sont point compris les Araucans et quelques autres tribus indiennes
indépendantes, qui peuvent s'élever en totalité à 60 ou 100,000 âmes.
Le territoire du Chili se divise en 11 provinces, lesquelles se divisent
elles-mêmes en 52 départements, 367 sous-délégations et 1,696 districts.
Ce pays est une des contrées les plus paisibles et les plus heureuses'de
l'Amérique du Sud. La température fraîche et les saisons régulières y
entretiennent dans la nature animale la vigueur et la santé. Le printemps

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU CHILI.
445
règne de septembre en décembre ·, alors commence l'été de l'hémisphère
austral. Les vents soufflent du nord depuis le milieu de mai jusqu'à la fin
de septembre; c'est la saison pluvieuse. Le reste de l'année, les vents
viennent du sud; ils sont secs. Ils se font sentir à CO ou 80 lieues de la
côte. Quant au sol de ce pays, il paraît que la côte ne présente qu'une plage
étroite, derrière laquelle s'élèvent brusquement plusieurs rangs de mon-
tagnes : le dos de ces montagnes offre une plaine fertile, arrosée de petites
rivières, et, dans les endroits cultivés, couverte de vergers, de vignobles
et de pâturages. Les sommets des Andes, où brûlent, parmi la neige, vingt
grands volcans, couronnent cette intéressante perspective. L'or, le cuivre
et le fer abondent dans la Cordillère; il y existe des montagnes entières
d'aimant; les rivages sont couverts d'un sable ferrugineux ; malgré cette
nature métallique du sol, la végétation montre la plus étonnante énergie.
Les forêts nourrissent des arbres énormes, les uns précieux à cause de leur
bois incorruptible, les autres utiles par leurs résines et leurs gommes; la
plaine, ornée d'arbustes aromatiques et salins, se prête à toutes les cul-
tures européennes; c'est le seul pays du Nouveau-Monde où l'on ait réussi
à faire du vin. Les lamas, les vigognes, les viscaches se multiplient en
liberté. Les cygnes du Chili ont la tète noire, trait qui les rapproche de
ceux de la Nouvelle-Hollande.
Les règnes animal et végétal sont excessivement riches; ils ont été étu-
diés avec soin par M. Gay, naturaliste distingué. Les Andes nourrissent
des forêts immenses, des arbres d'une grosseur démesurée. Un mission-
naire fit avec le bois d'un seul arbre une église de 20 mètres ; il lui fournit
les poutres, la charpente, les lattes, tout le bois nécessaire pour les portes
et fenêtres, les autels et pour deux confessionnaux. Deux arbres semblables
au myrte (myrtus luma et maxima) parviennent ici à une élévation de plus
de 10 mètres. Les oliviers ont jusqu'à 1 mètre de diamètre. Les herbes
cachent le bétail dans les prairies. On voit des pommes de la grosseur d'une
tête, et des pêches qui pèsent près d'un demi kilogramme. Plusieurs arbris-
seaux et plantes abondent en matière colorante d'un noir très-foncé. Le
puya, arbre peu élevé, mais très-épais, se couvre d'une espèce d’écailles.
Bien des quadrupèdes du Chili, quoique classés dans les systèmes des
naturalistes, ne sont qu'imparfaitement connus. Il faut les nommer ici,
ne fût-ce que pour provoquer de nouvelles recherches à leur égard : tel
est le castor du Chili (castor huidobrius), qui habile le bord des lacs et des
rivières, mais qui ne bâtit pas comme le castor commun et produit une four-
rure très-estimée ; tels sont encore la loutre, ou rat aquatique, à queue

446
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME.
comprimée au sommet ; le mulet bleu ( mus cyaneus ) ; le ral laineux, dont
les poils très-longs, fins comme de la toile d'araignée, étaient employés par
les Péruviens au lieu de la meilleure laine; le mus maulinus, l’écureuil du
Chili, qui se rapproche du loir, et vit dans des trous qui s'avoisinent et se
communiquent au milieu des broussailles.
Passons à la description topographique des villes.
En venant du nord, nous passons près de la ville de Copiapo, d'où l’on
exporte de l'argent, du soufre, du nitre et du cuivre. L'île Grande, ou del
Mono, ainsi qu'une longue chaîne de rochers, rendent l'entrée de son port
difficile; néanmoins il a pris depuis cinq ans une grande importance à
cause des mines d'argent qui sont dans son voisinage; il reçoit annuelle-
ment plus de 120 navires. Un chemin de fer, terminé en 1851, l'unit avec
le port de la Caldéra; enfin on évalue à 400,000 marcs la quantité d'ar-
gent extraite en 1850 des mines du voisinage. Huasco, ou Guasco, très-
petite ville, avec un vaste port, est célèbre par la beauté des femmes et par
leur teint beaucoup plus blanc que celui des autres Américaines du sud.
On exploite dans ses environs une importante mine d'argent. Une partie de
cette ville a été renversée par un tremblement de terre le 25 avril 1833.
Coquimbo, ou la Serena, ville ombragée de myrtes et décorée de belles
maisons, possède un port d'où l'on exporte du cuivre, de la viande salée,
de l'huile excellente et des chevaux. Elle fut presque entièrement détruite
en 1820 par un tremblement de terre, et souffrit beaucoup de celui de
1822. Sa population, qui fut réduite alors à 5 ou 600 familles, se compose
aujourd'hui d'environ 10,000 âmes. Quillola, ou Saint-Martin-de-la-
Concha, bien qu'éloignée de 150 lieues de Copiapo, n'en éprouva pas
moins d'une manière terrible les effets du tremblement de 1822. Elle est
située dans une belle et fertile vallée, célèbre par les plus riches mines de
cuivre que possède le Chili. Près de Guasco, de Coquimbo et de Quillota, la
terre semble imprégnée de substances métalliques; le cuivre y est d'excel-
lente qualité; on en exporte annuellement plus de 40 à 50,000 quintaux.
Le district de Quillota donne son nom à des pommes remarquables par leur
grosseur. San-Felipe-el-Real, chef-lieu de la province d'Aconcagua, avec
8,000 habitants, est régulièrement bâtie, dans une vallée fertile entourée de
mines d'argent et de cuivre, dont l'exploitation a cessé. A quelques lieues,
vers le nord-est de cette ville, s'élève l’'Aconcagua, le plus haut volcan du
globe, et la seconde montagne de tout le Nouveau-Monde.
Le principal port de commerce du Chili est celui de Valparaiso, que
Vancouver cependant trouvait trop exposé aux vents du nord. Cette jolie

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU CHILI.
447
ville, dont le nom signifie vallée du paradis, et dont la population n'était
que de 5,000 âmes à la fin du siècle dernier, est aujourd'hui d'environ
50,000. Plus de 3,000 étrangers y sont établis-, elle fait à elle seule pres-
que tout le commerce d'importation de la république. De vastes chantiers
de construction y ont été élevés aux frais du gouvernement et des particu-
liers. Elle possède plusieurs écoles et d'autres établissements d'instruction ;
elle publie plusieurs journaux. Valparaiso se compose de deux quartiers,
celui du port et celui de VAlmendral, ainsi appelé parce qu'on y cultivait
un grand nombre d'amandiers. Pendant les troubles de la république, elle
fut le siége du gouvernement central. Une belle route communique de cet te
ville à Santiago, la capitale, en attendant que le chemin de fer qui doit unir
ces deux villes soit terminé. Valparaiso est protégée par une belle forte-
resse; c'est une des principales stations navales de la France.
Santiago, capitale du Chili, a plus d'une lieue de circonférence. La
grande place est ornée d'une belle fontaine ; la rivière de Mapucho, qui tra-
verse la ville, et qui autrefois l'inondait souvent, est maintenant contenue
par une superbe digue. Quelques édifices méritent d'être cités à cause de
leur magnificence, quoique les règles de l'architecture n'y aient pas tou-
jours été assez exactement observées. On distingue l’hôtel de la monnaie,
la nouvelle cathédrale, et d'autres églises : il y a de très-belles maisons
particulières, composées d'un rez de-chaussée vaste et Irès-élevé.
Pour se faire une idée exacte de Santiago, il faut se la représenter comme
une réunion de 150 carrés (cuadras) ou îlots que forment les rues en se
coupant à angles droits. C'est au centre qu'est située la grande place. Les
maisons sont à un seul étage et à toit plat ·, elles sont badigeonnées avec
soin. Derrière chacune d'elles est un jardin qu'arrose un ruisseau limpide.
Un beau pont traverse le Mapucho. Cette ville se distingue encore par de
nombreux établissements littéraires parmi lesquels nous citerons l'Univer-
sité du Chili et son Institut. On ne connaît pas au juste sa population, mais
il est probable qu'elle n'estguère moindre de 80,000 âmes.
Dans cette ville où réside le gouvernement, la manière de vivre porte
une empreinte de gaieté, d'hospitalité, d'amabilité, qualités qui distin-
guent avantageusement les Espagnols du Nouveau-Monde de leurs com-
patriotes d'Europe. Le sang y est très-beau; les femmes sont des brunes
piquantes, mais un habillement gothique défigure un peu leurs charmes.
La conversation, dans les premiers cercles de la ville, paraît porter ce
caractère de liberté et de naïveté qui règne dans nos campagnes. La danse
et la musique sont ici, comme dans toute l'Amérique, des occupations

448
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME.
favorites. Le luxe des habits et des équipages est porté trop loin. Un che-
min de fer , aujourd'hui à l'étude, (1852) doit réunir Santiago à Valpa-
raiso qui en est le port.
Les principales mines d'or sont à l'est de Santiago, à Petorca. Comme
celles du Pérou, ellessont reléguées dans la région des neiges. La mon-
tagne d'Upsallata offre des minerais si riches, qu'ils donnent jusqu'à 60
marcs par quintal.
Curico, dans la province de Colchagua, est une petite ville peuplée en
grande partie d'hommes de couleur. Il existe dans ses environs une riche
mine d'or. Talca ou Saint-Augustin, autre pelite ville , chef-lieu de pro-
vince, est située sur ia droite de la rivière de ce nom. Celte ville fut pres-
que entièrement détruite par le tremblement de terre du 20 février 1835.
Il y a dans celte province une colline qui paraît être presque entièrement
formée d'amétystes. Du reste, elle abonde en vin, en tabac, en grains et
en troupeaux de chèvres. Cauquenes ne mérite d'être nommée que parce
qu'elle est le chef-lieu de la province de Maule.
Dans la province de la Concepcion, un sol riche et un climat régulier
permettent au blé de donner 60 pour 1 ; la vigne y croît dans la même abon-
dance ; les campagnes sont couvertes de troupeaux.
La ville de la Concepcion ayant été engloutie, en 1751, par la mer,
dans un tremblement de terre, on a bâti une nouvelle ville à quelque dis-
tance du rivage; elle s'appelle indistinctement la Mocha ou la Nouvelle-
Concepcion. Les habitants y sont au nombre de 8,000. En 1823, les
Araucans, à la faveur des troubles qui agitaient le Chili, pénétrèrent dans
cette ville et en ravagèrent plusieurs quartiers.
Le tremblement de terre de 1835 renversa toutes les maisons de cette
ville, ainsi que celles de Talchuano, petite place maritime située sur la
baie de la Concepcion, et qui possède un des ports de relâche les plus com-
modes de tous ceux de la côte du Chili.
Valdivia, à 2 lieues de la mer, sur la rive gauche d'une rivière du même
nom, dans une province qui fournit d'excellents bois de construction,
possède un port placé dans une superbe baie, et le plus vaste de tous ceux
de la côte occidentale. Cette ville de 2,000 âmes, fut fondée, en 1551, par
Pierre Valdivia.
Les forteresses d'Araucos, de Tucapel et autres, ont été destinées à
former une barrière contre les incursions des Indiens.
L'archipel de Chiloé forme, avec quelques parties du continent, la pro-
vince la plus méridionale de la république du Chili. Suivant le capitaine

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU CHILI.
449
anglais Blankley, il comprend 63 îles, dont 36 sont habitées1. L'île de
Chiloé est longue d'environ 120 milles marins, et large de 60. Son climat
est sain , mais froid et pluvieux. Elle est montagneuse et bien boisée ; dans
son intérieur arrosé par un grand nombre de ruisseaux, on voit un grand
lac nommé le lac de Campu. Elle produit du blé, de l'orge, du lin, de
superbes bois de construction, et nourrit beaucoup de bœufs et de volailles,
ainsi que des sangliers dont on fait d'excellents jambons. La population de
Chiloé et des îles qui en dépendent est d'environ 45,000 habitants, dont
25,000 sont dans la plus grande. Cette population appartient principale-
ment à la race espagnole; le reste se compose d'indigènes qui parlent une
langue particulière appelée veliché. L'île de Chiloé est divisée en 10 arron-
dissements, qui ont chacun une cour particulière de justice et un gouver-
neur spécial. Le nombre des paroisses de toute la province est de 90. La
force militaire de l'île et de ses dépendances consiste en une milice de 7,500
hommes, partagés en infanterie, en cavalerie, en une compagnie d'artil-
lerie soldée par l'État, et en un corps de cavalerie envoyé par Maulin, la
seule ville de la province qui soit sur le continent.
San-Carlos, la capitale de l'île et de toute la province, est une petite ville,
dont le port assez fréquenté, est entouré de fortifications dans un véritable
état de délabrement. Le nombre des petits navires côtiers ou des chaloupes
qui font le trafic des îles de Chiloé est d'environ 1,500. En 1822, on
comptait dans Chiloé 31 écoles fréquentées par 1,300 enfants; mais ce
qui fait peu d'honneur au gouvernement, c'est que le nombre des écoles
et des élèves avait bien diminué depuis 1829 : il existait à cette époque 90
écoles, recevant 3,850 garçons.
Au sud de l'île de Chiloé s'étend l'archipel nommé los Chonos, et qui se
compose d'un nombre considérable d'îlots et de rochers. Rien ne mérite de
nous y arrêter 1.
A une distance de 160 lieues dans la. mer, s'élèvent les deux îles de
Juan-Fernandez, devenues importantes par le mouillage que la plus grande
offre aux navigateurs. Elle fut, pendant plusieurs années le séjour d'un
matelot écossais appelé James Selkirk, dont les aventures ont fourni à
Daniel de Foé le sujet de celles de Robinson Crusoé. Cette grande île dans
laquelle sont établies quelques familles de différentes nations, est surnom-
mée Mas à-tierra, c'est-à-dire la plus rapprochée du continent; la petite est
1 Il s'étend depuis le 40e parallèle 48 minutes jusqu'au 43e 50 minutes.
2 Il est compris entre 44° et 45° 50' de latitude S., et entre 75° 20' et 77° 50' de
longi ude 0.
V
57

450
LIVRE CENT DIX-NEUVIEME.
appelée Mas-à-fuera, c'est-à-dire la plus au dehors. Les rochers et les bois
pittoresques de celle ci n'ont pour habitants que des chèvres sauvages. Il
croit, dans ces îles, des cèdres, du bois de santalet des poivriers semblables
à ceux de Chiapas au Mexique.
Le gouvernement chilien a, dans ces derniers temps, envoyé une petite
colonie occuper le port Famine au détroit de Magellan ; il paraît même qu'il
prctend à la souveraineté des côtes situées au sud de la grande île de Chiloé,
de telle sorte que sa domination s'étendrait sur l'océan Pacifique du désert
d'Atacama au cap Horn.
La constitution politique actuelle de la république du Chili remonte
à 1833·, elle reconnaît trois pouvoirs: exécutif, législatif, judiciaire.
Le pouvoir exécutif appartient à un président nommé pour cinq ans,
assisté de quatre ministres et d'un conseil d'État. Le pouvoir législatif est
exercé par un congrès national composé d'une chambre de sénateurs for-
mée de vingt membres, et d'une chambre de députés qui se renouvelle tous
les trois ans. Le pouvoir judiciaire est confié à une magistrature très-ample-
ment organisée, et au premier rang de laquelle se place une cour suprême
et des cours d'appel.
La religion catholique est la religion de l'État; il y a un archevêché à
Santiago et trois évêchés, ceux de Concepcion, Coquimbo et Chiloé.
L'armée régulière se compose de 2 capitaines généraux, 6 généraux de
division, 6 généraux de brigade, 22 colonels et de 4 bataillons d'infanterie,
2 régiments de cavalerie et 6 compagnies d'artillerie. Il faut encore compter
la milice dont les cadres sont de 41 bataillons d'infanterie et 32 régiments
de cavalerie. La marine, à la tête de laquelle 1 vice-amiral, 1 capitaine de
vaisseau et 3 capitaines de frégate, compte 1 frégate, 1 goelette, 1 brick
et 12 chaloupes canonnières. La marine marchande est beaucoup plus
importante , car elle est représentée par 120 bâtiments jaugeant 20,000
tonneaux et montée par 1,400 hommes d'équipage.
La situation financière du Chili est des plus régulières. Son revenu
annuel est d'environ 30 millions de francs, et ses dépenses de 18 millions ;
l'excédent est employé aux remboursements des dépôts et à l'entretien des
grands établissements. Le chiffre des importations et des exportations
annuelles atteint près de 100 millions de francs. Enfin la dette nationale
qui diminue chaque année n'est plus aujourd'hui quede 25 à 30 millions
de francs.
La république du Chili prend, depuis quelques années, un rang impor-
tant parmi les États nouveaux de l'Amérique du Sud; elle doit sa prospé-

AMÉRIQUE. — ARAUCANIE.
451
rite à la paix intérieure dont elle jouit depuis longtemps, grâce à la sagesse
de son gouvernement; elle la doit aussi à sa position géographique, qui
l'isole des contrées voisines perpétuellement agitées par des troubles poli-
tiques.
Nous avons déjà parlé de l'île de Chiloé et de l'archipel volcanisé des îles
Chonos. Plus au sud vient la grande presqu'île des Trois-Montagnes, et
ensuite le golfe de Pennas. Les peuples indigènes de cette côte paraissent
tous appartenir à la race des Moluches, à laquelle les Espagnols ont donné
le nom d'Araucanos, nom consacré par la poésie. Les Moluches propres
habitent la fertile et riante contrée entre la rivière de Biobio et celle de Val-
divia. La riche qualité du sol, des eaux abondantes et salubres, un climat
tempéré, concourent à rendre cette région au moins l'égale des plus belles
parties du Chili propre. Les Cunchi demeurent depuis Valdivia jusqu'au
golfe de Guayateca. Les Huiliches habitent depuis l'archipel de Chonos jus-
que vers le golfe de Pennas: selon quelques relations, ils étendent même
leurs eourses jusque vers l'entrée du détroit de Magellan. Ces deux tribus
sont alliées des Moluches propres. La taille de ces peuples est grande dans
la partie montagneuse et moyenne vers les côtes. Leurs traits sont assez
réguliers, et leur teint n'est pas très-basané : ils se sont beaucoup mêlés
avec les Espagnols, qui ne dédaignaient pas d'acheter des femmes chez eux.
Ces peuples exercent un peu d'agriculture : ils récoltent quelques fruits,
et font une espèce de cidre; mais leurs richesses consistent dans leurs trou-
peaux : ils possèdent quantité de chevaux, de bœufs, de guanacos et de
vigognes. Les bœufs et les guanacos leur fournissent une nourriture abon-
dante : la laine de la vigogne sert à fabriquer des ponchos ou manteaux.
Les chevaux, qui descendent de chevaux espagnols, ont fait de ces
Indiens autant de Tatars : ils se réunissent subitement, font des marches
de 200 à 300 lieues, pillent le pays ennemi, et se retirent avec leur
butin.
L’Araucanie1 est en partie enclavée dans le Chili, cette contrée est très-
peu connue; elle s'étend de la rive droite du Biobio au golfe de Reloncavi,
isolant la province de Valdivia des autres provinces chiliennes. Sa configu-
ration présente les mêmes reliefs que le Chili, c'est-à-dire une côte sèche et
brûlée, une Cordillère de la côte, et à l'est les grandes Andes. Le bassin
intermédiaire entre ces deux chaînes se dirige du nord au sud, il est très-
riche et très-fertile. Une quantité de jolies rivières l'arrosent, les principales
1 Voir aux Bulletins de la Société de géographie de janvier et de février 1852, un
article intéressant de M. A. Sédillot sur les Araucans.
V. A. M-B.

452
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME.
sont : le Carapangue, l'Araquete, le Plembu, le Paycavi, le Cauten et le
Tolten, ces deux dernières sont navigables. Sur les deux lignes de monta-
gnes la navigation est incroyablement belle, vigoureuse et variée ; les forêts
en couvrent les premiers gradins; l'arbre le plus commun est un hêtre
colossal (fagus dombegi ou auslralis) qui atteint 30 mètres de hauteur;
son tronc raboteux, mais remarquablement droit, est sans branches jusqu'à
la moitié de son élévation; puis viennent le rauli, le laurier, le pittoresque
lingue aux branches élastiques, le gracieux peumo chargé de baies rouges,
une multitude de myrtes aux fleurs variées, des plantes, des herbes, des
lianes qui attendent encore du botaniste un nom et une classification. Le
tout confondu, entrelacé, emmêlé de mille manières, offre à l'œil étonné de
l'Européen un chaos inextricable. Le long de la côte, un chemin tracé par
les pieds des chevaux, conduit à Arauco, seule bourgade qui subsiste dans
l'Araucanie, des sept villes créées autrefois par les Espagnols; Arauco qui
appartient aujourd'hui au gouvernement chilien, est assise au fond d'une
baie que protège une forteresse. Au delà de celte petite ville, la route n'est
plus frayée; on est dans l'Araucanie indépendante, car quelques tribus,
seules attirées par le besoin d'échange, reconnaissent le gouvernement
chilien. Une autre route mène de la Concepcion à Valdivia, à travers la
longue et fertile vallée qui forme la partie la plus importante de l'Araucanie.
Cette dernière route traverse de riantes campagnes, dans lesquelles on ne
trouve aucun centre d'habitations, car les Araucans ne conçoivent pas que
l'on puisse vivre côte à côte de la vie commune. De loin en loin seulement,
quelque légère fumée trahit, en s'élevant au-dessus d'un bouquet d'arbres,
la demeure momentanée d'une famille ; ils sont partagés en un grand nombre
de tribus, gouvernée chacune par un cacique, et occupant chacune
une portion de pays divisé en autant de petits fiefs qu'elle compte de
familles.
Les Araucans ou Araucanos adorent le grand Esprit de l'univers : ils
adressent des hommages aux astres. Les morts sont enterrés dans des
fosses carrées, le corps assis ; on met à côté les armes et les vases à boire :
on place alentour les squelettes des chevaux immolés en l'honneur du mort ;
chaque année, une vieille matrone ouvre les tombeaux pour nettoyer et
habiller les squelettes. Le code national permet la polygamie, mais la sou-
met à de sages règlements. Les propriétés et les actions de la vie civile sont
aussi bien réglées que parmi nos nations européennes. Ils ont quelques
notions de géométrie et d'astronomie; ils distinguent les étoiles par des
noms particuliers, et raisonnent même sur la pluralité des mondes. Leur

AMÉRIQUE. — PATAGONIE.
453
année solaire, divisée en douze mois de trente jours, avec cinq jours inter-
calaires, est marquée par les solstices, qu'ils observent avec soin. Ils divi-
sent le jour et la nuit en douze heures, dont une répond à deux des nôtres.
Amateurs d'une poésie remplie de grandes images, ils se donnent des noms
aussi pompeux et aussi harmonieux que ceux des anciens Grecs : l'un se
nomme Cavi-Lémon, c'est-à-dire vert bosquet ; l'autre, Meli-Antou, c'est-
à-dire quatre soleils.
La langue moluche ou araucane est douce, riche et élégante ; leurs verbes
ont trois nombres, et beaucoup de modes et de temps. Ils distinguent leur
pays en quatre parties, qu'ils nomment : 1° Languen-mapou, c'est-à-dire
la contrée maritime; 2° Lelvun-mapou, la contrée de la plaine; 3° Inapirè-
rnapou, la contrée sous les montagnes ; 4° Pirè-mapou, la contrée des mon-
tagnes.
Les chefs héréditaires s'appellent ulmen, et un chef de guerre ou géné-
ralissime porte le titre de toqui. La forme de leur gouvernement étant un
mélange d'aristocratie et de démocratie, l'éloquence est cultivée avec beau-
coup de succès : on distingue le style poétique, plein de feu et d'imagina-
tion, du style historique, où doivent régner la gravité et l'élégance. Leurs
médecins ne sont pas tous de prétendus sorciers, comme chez les autres
Indiens : il y en a deux sectes, qui se sont créé des systèmes et des
méthodes.
Passons les Andes, et considérons les régions qui s'étendent du Rio-
Negro, limite la plus méridionale de la confédération argentine au cap
Horn. On leur a consacré le nom général de Patagonie, quoique cette der-
nière dénomination soit plus spécialement applicable aux régions situées
au sud du 45e parallèle.
Les anciennes cartes espagnoles désignaient sous le nom de comarca
desierta, c'est-à-dire province déserte, les contrées qui s'offrent d'abord à
nos regards entre les 40e et 45e parallèles. Ces vastes solitudes, dont le sol,
généralement parlant, est aride et sablonneux, sont parcourues par les
Moluches et les Puelches. Les Anglais, ces intrépides visiteurs, ont, dans
ces derniers temps, essayé de pénétrer au milieu de ces pampas et de ces
steppes américaines; ils ont rencontré quelques cours d'eau importants
coulant vers l'Atlantique : le Chulian, affluent du Chupat; le Deseado, qui
traverse le lac Cologuape, et le lac Capar ou Viedma ; mais nulle part ils
n'ont trouvé de traces d'une population sociable et sédentaire.
Les côtes seules de ces ingrates régions ont été examinées en détail : le
golfe de San-Matias, la presqu'île San-José, la baie Camerones, le golfe

454
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME.
Saint-Georges, et autres offrent de bons mouillages, mais ni bois, ni eau
douce, ni trace d'habitants-, les oiseaux aquatiques et les loups marins
règnent sans rivaux sur ces tristes rivages.
Près du cap Blanc, la terre se couvre de quelques buissons : il y a des
plaines immenses couvertes de sel. C'est vers les sources de fa rivière de
Camarones (et probablement à peu de distance des sources de la rivière de
Gallego), entre le 43e et le 44e degré de latitude, qu'on doit chercher la
demeure de la nation des Arguèles ou des Césares. Ce pays, au dire du
R. P. Feuillée, est extrêmement fertile et agréable : il est fermé au cou-
chant par une rivière grande et rapide, qui paraît le séparer des Araucans.
Les Cordillères qui embrassent cette contrée en rendent également l'accès
diffîce. Les Césares sont, du moins en grande partie, les descendants des
équipages de trois vaisseaux espagnols qui, ennuyés des fatigues d'un
long voyage, se révoltèrent, à ce qu'il paraît, et se réfugièrent dans
cette vallée isolée. Ils ne permettent à qui que ce soit d'entrer dans leur
pays.
Les Tehuels ou mieux Téhuelches demeurent dans l'intérieur du pays,
entre la Comarca déserte et les Andes. C'est, selon Falkner, une tribu de
la nation des Puelches, qui habitent entre les 35e et les 45e parallèles; et
comme ils ont, dit-il, généralement 1 mètre 95 centimètres de haut, il a
paru naturel à ce missionnaire et à tous les auteurs modernes, de suppo-
ser que les Tehuelches font des excursions à cheval jusqu'au détroit de
Magellan, et que ce sont eux que les voyageurs ont désignés sous le nom
de Patagons. Les Téhuelches, peuple paisible et humain, enterrent leurs
morts d'une manière particulière : on dessèche leurs os, ensuite on les
transporte sur les rivages de la mer, dans le désert; on les y place dans
des cabanes, entourés des squelettes de leurs chevaux.
Nous avons dit que ce n'est, à proprement parler, que l'extrémité de
l'Amérique méridionale, au sud du 46e parallèle, qu'on nomme Patagonie,
d'après ce peuple de haute taille, qui en occupe l'intérieur. Les géants de
la Patagonie ont si long-temps excité la curiosité des Européens, qu'on ne
nous pardonnerait pas de les passer sous silence, quoique tout soit dit à
leur égard.
L'ancienne tradition des Péruviens nous indique, dans le sud de l'Amé-
rique, un peuple de géants 1. Magellan, le premier marin qui navigua sur
les côtes de la Patagonie, vit de ses propres yeux quelques-uns de ces
1 Garcilasso. Histoire des Incas, 1. IX, c. IX.

AMÉRIQUE. — PATAGONIE.
455
géants si redoutés dans le Nouveau-Monde. Ils paraissaient avoir 10 palmes,
c'est-à-dire 6 pieds et demi, ancienne mesure française. Un d'eux se
trouva plus grand: les Espagnols ne lui allaient qu'à la ceinture. Six
d'entre ces Patagons mangèrent comme vingt Espagnols. Les Patagons, à
cette époque, n'avaient pas encore de chevaux; ils étaient montés sur des
animaux semblables à des ânes, probablement les guemuls de Molina. Mais
alors, comme aujourd'hui, ils étaient pasteurs et nomades.
Vers l'an 1592, le chevalier Cavendish traversa le détroit de Magellan :
il attesta avoir vu, sur la côte américaine, deux cadavres de Patagons qui
avaient 14 palmes de long : il mesura, sur le rivage, la trace du pied d'un
de ces sauvages, et elle se trouva quatre fois plus longue qu'une des
siennes; enfin, trois matelots manquèrent d'être tués jusque dans la mer
par les quartiers de rochers qu'un géant leur lança. Voilà le Polyphème de
l'Odyssée, voilà la fable qui vient défigurer les faits historiques.
Le lieutenant de frégate Duclos-Guyot, et le commandant d'une flûte
du roi, la Giraudais, non-seulement revirent encore, en 1766, ces géants,
mais ils restèrent assez long-temps parmi eux pour nous fournir les détails
les plus curieux sur leurs mœurs et leur manière de vivre.
Ils reçurent les Français avec des chants ou discours solennels, comme
les insulaires de la mer du Sud : après avoir ainsi manifesté cette hospita-
lité qui caractérise l'homme de la nature, ils menèrent les étrangers auprès
de leur feu. Quelques-uns avaient au delà de 2 mètres de haut; le moins
grand avait 1 mètre 86 centimètres; et leur carrure, à proportion, était
encore plus énorme; ce qui faisait paraître leur taille moins gigantesque.
Ils ont les membres gros et nerveux, la face large, le teint extrêmement
basané, le front épais, le nez écrasé et épaté, les joues larges, la bouche
grande, les dents très-blanches, les cheveux noirs, et sont plus robustes
que nos Européens de même taille. Ils sont vêtus de peaux de guanacos,
de vigognes et autres, cousues ensemble en manière de manteaux carrés,
qui leur descendent jusqu'au-dessous du mollet, près de la cheville du pied.
Ces manteaux sont peints sur le côté opposé à la laine, en figures bleues et
rouges, qui semblent approcher des caractères chinois, mais presque tous
semblables, et séparés par des lignes droites qui forment des espèces de
carrés et de losanges. Ils portent des toques ornées de plumes. Ils pronon-
cèrent quelques mots espagnols, ou qui tiennent de cette langue. En mon-
trant celui qui paraissait être leur chef, ils le nommèrent capitan.
Plusieurs Français allèrent à la chasse un peu loin : ils virent des. car-
casses de vigognes, et un pays inculte, stérile, couvert de bruyères. Les

456
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME.
chevaux des sauvages paraissent très-faibles, mais ils les manient avec
beaucoup d'adresse. Avec leurs frondes ils atteignent et tuent les animaux
jusqu'à 400 pas de distance. Les femmes ont un teint beaucoup moins
basané : elles sont assez blanches, d'une taille proportionnée à celle des
hommes, habillées de même d'un manteau, de brodequins, et d'une espèce
de petit tablier qui ne descend que jusqu'à la moitié de la cuisse. Elles
s'arrachent sans doute les sourcils, car elles n'en ont point.
Ces Patagons ne connaissent pas la passion de la jalousie, au moins doit-
on le présumer par leur conduite, puisqu'ils engageaient les Français à
palper la gorge de leurs femmes et de leurs filles, et les faisaient coucher
pêle-mêle avec eux et avec elles. Les Patagons se mettaient souvent trois
ou quatre sur chacun de leurs hôtes, pour les garantir du froid ; galan-
terie qui parut suspecte aux Français, et leur inspira un mouvement de
crainte injuste.
On est certain aujourd'hui que, jusque dans ces derniers temps, tous les
voyageurs qui ont parlé des Patagons, ont exagéré ou se sont mépris sur
leur taille. Suivant M. Alcide d'Orbigny, la taille de ces prétendus géants
est celle de beaucoup d'Européens.
« Pour moi, dit-il, après avoir vu sept mois de suite beaucoup de Pata-
« gons de différentes tribus, et en avoir mesuré un grand nombre, je puis
« affirmer que le plus grand de tous n'avait que 1 mètre 81 centimètres
« métriques français, tandis que leur taille moyenne n'était pas au-dessus
« de 1 mètre 72 centimètres ; ce qui est sans contredit une belle taille, mais
« pas plus élevée que celle des habitants de quelques-uns de nos départe-
« ments. Cependant je remarquai que peu d'hommes étaient au-dessous de
« 1 mètre 67 centimètres. Les femmes sont presque aussi grandes, et sur-
« tout aussi fortes. Ce qui distingue particulièrement les Patagons des
« autres indigènes et des Européens, ce sont des épaules larges et effacées,
« un corps robuste, des membres bien nourris, des formes massives et
« tout-à-fait herculéennes. » Leur tête est grosse ; leur face est large et
carrée-, leurs pommettes sont peu saillantes; leurs yeux sont horizontaux
et petits. En général, il a paru à M. d'Orbigny qu'en Amérique l'espèce
humaine suit la règle établie pour les plantes, c'est-à-dire qu'elle décroît
à mesure qu'on s'élève des plaines au sommet des Andes. Relativement
aux Patagons, son témoignage s'accorde avec ce qu'en dit le capitaine
anglais King. Au premier aspect, il lui sembla que les Patagons apparte-
naient à une race d'hommes d'une stature prodigieuse; mais, en les regar-
dant de plus près, cette illusion cessa. Si on les voit à cheval, si on les

AMÉRIQUE. — TERRES MAGELLANIQUES.
457
voit assis, leur taille étonne, parce qu'ils ont la partie supérieure du corps
d'une hauteur disproportionnée avec le reste. Leurs jambes et leurs cuisses
sont très-courtes, leurs mains et leurs pieds sont très-petits, tandis que
leur tête semble faite pour des hommes de 2 mèt. 27 à 2 mèt. 60. Parmi
une trentaine de Patagons que le capitaine King vit, dans la baie de Gre-
gory, le plus petit nombre avait 6 pieds anglais de hauteur ; un seul de ces
individus avait 1 mètre 96 centimètres-, tous étaient extrêmement gros.
Ainsi, il paraît bien constaté que les Patagons sont loin d'être des géants,
mais que leur stature est un peu au-dessus de celle de la plupart des autres
hommes.
Leur coiffure est une toque ornée de plumes. Lorsqu'ils vont à la guerre,
ils portent une cuirasse de peau et un chapeau de cuir. L'arc, la fronde et
la lance, dont le fer est remplacé par un os très-pointu, sont les principales
armes de toutes les tribus de la Patagonie. Les cheveux des femmes, dis-
posés en tresses et ornés de grelots ou de morceaux de cuivre, tombent sur
leurs épaules ; leurs bras et leurs mains sont ornés de bracelets; elles por-
tent un chapeau paré de plumes, de cuivre, et de colliers formés de coquilles
connues sous le nom de turbo. Les Patagons sont pasteurs et nomades; ils
adorent un dieu terrible qui paraît être le génie du mal, et qu'ils appellent
Guatéchu. A l'époque du mariage, leurs femmes sont plongées dans l'eau
à plusieurs reprises : leur condition est des plus malheureuses.
M. Alcide d'Orbigny porte à environ 10,000 le nombre des Patagons.
L'extrémité du continent américain et le terrain continental le plus aus-
tral qu'il y ait sur le globe, méritent sans doute le nom do pays froid, sau-
vage et stérile. Mais les vents impétueux et les changements subits de tem-
pérature ne sont pas des désagréments particuliers à la Patagonie ; ce sont
des caractères inhérents aux climats des promontoires ou des extrémités
d'un continent quelconque. Seulement, en Patagonie toutes les circon-
stances qui y peuvent contribuer se trouvent réunies dans un très-haut
degré. Trois vastes océans isolent cette terre de tout l'univers; des vents
et des courants opposés s'y rencontrent presque en toutes les saisons ; une
haute et large chaîne de montagnes la parcourt et la remplit à moitié, nulle
terre cultivée ou tempérée ne l'a voisine.
Depuis l'île de Chiloé jusqu'au détroit de Magellan, la hauteur moyenne
des Andes est d'environ 1,000 mètres; cependant il y a des montagnes
qui ont 1,500 à 2,000 mètres de hauteur.
On a observé que les plaines, ou la partie orientale, différaient essen-
tiellement des montagnes qui forment la partie occidentale. La première,
v.
58

458
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME.
nue, aride, sablonneuse, dépourvue de toute espèce d'arbres, jouit d'un
air sec et serein ; la chaleur de l'été est de 7 à 11 degrés centigrades. La
seconde, formée de rochers primitifs, arrosée de rivières et de cascades,
couverte de forêts, éprouve des pluies presque perpétuelles ; la chaleur n'y
est que de 4 à 8 degrés.
Parmi les arbres communs sur la côte élevée, depuis le cap Très-Montes
jusqu'au détroit de Magellan, sont un hêtre toujours vert (fagus beluloïdes),
un autre appelé drymis Winteri, et une espèce de bouleau (betula antarc-
tica), qui paraît être le même que le hêtre-bouleau {fagus antarctica), qui
atteint quelquefois une circonférence de 12 mètres, et fournit un bois
excellent. Une espèce de palmier ou de fougère arborescente s'est égarée
jusqu'au détroit de Magellan.
Les guanaco's, une espèce de perroquet vert, le lièvre pampa, le vizeache
et beaucoup d'autres animaux du Chili et de Buenos-Ayres se sont multi-
pliés dans la Patagonie.
A l'entrée occidentale du détroit, les rochers qui le bordent sont pour
la plupart des granits et des diorites. Près du centre du détroit domine le
schiste argileux : cette roche s'étend jusqu'à la baie Freshwater, où elle se
mélange avec le schiste qui disparaît graduellement en approchant du cap
Negro. Du cap des Vierges au port Saint-Julien, la côte est bordée de
falaises d'argile en strates ou couches horizontales.
Autour du Porl-Désiré, baie sûre et profonde, les rochers sont composés
de marbres veinés de noir, de blanc et de vert, de silex et de talc brillant et
semblable à des cristaux. Les végétaux y sont peu abondants ; Narborough
vit cependant des troupes de taureaux sauvages dans l'intérieur. Les coquil-
lages fossiles forment sur toutes ces côtes de très-grands bancs, et ils y
sont d'une rare beauté : la plupart appartiennent au genre huître. Près le
port Saint-Julien on aperçut des animaux semblables aux tigres, soit des
jaguars, soit des couguars, ainsi que des armadillos. Il s'y trouve de grandes
lagunes salantes.
Le détroit de Magellan a perdu son importance nautique depuis que la
découverte du cap Horn a ouvert aux navigateurs une entrée plus facile
dans l'océan Pacifique. Le célèbre Magalhaens y passa en 1519·; depuis,
la plupart des anciens circumnavigateurs du monde ont eu lieu d'y exercer
leur patience et leur courage. De nombreux courants et beaucoup de sinuo-
sités y rendent la navigation très-difficile. La longueur est de 180 lieues ; la
largeur varie de plus de 15 à moins de 2 lieues. A l'est, deux goulets étroits
resserrent le canal; les rochers, très-escarpés, paraissent calcaires. Au

AMÉRIQUE. — TERRES MAGELLANIQUES.
459
centre se présente un vaste bassin formé par la péninsule de Brunswick,
sur laquelle est situé le port Famine, où les Espagnols avaient bâti et
fondé une colonie sous le nom de la Ciudad real de Felipe; des mesures
imprévoyantes firent périr de faim les colons. Dans ces derniers temps, en
1843, le gouvernement du Chili y a tenté un nouvel établissement colonial,
et il prétend à la souveraineté de la côte depuis l'île de Chiloé jusqu'au cap
Horn ; mais la colonie de Magellan est l'objet d'une contestation territo-
riale avec la confédération argentine. La contrée autour du port Famine
mériterait de porter un nom moins effrayant. On y voit abonder des perro-
quets, des pluviers, des bécassines, des oies, des canards; il y croît des
poivriers, de l'écorce de winteret des groseilliers. A quelque distance, dans
la baie Freshwater, Narborough trouva des hêtres et des bouleaux très-gros.
Les extrémités des Andes, vers le cap Froward, sont chargées de neige;
mais leurs flancs nourrissent des forêts. Le Rio-Gallegos et les autres
rivières roulent vers la mer ou vers le détroit de très-gros arbres.
La marée, dit le capitaine King, monte dans cette rivière à 15 mètres de
hauteur, et le courant est très-rapide.
La côte qui borde au nord-est la sortie occidentale du détroit a été recon-
nue par les Espagnols, et au lieu de faire partie du continent, elle se trouve
former un nouvel archipel très-considérable. Plus au nord est l'archipel de
Tolède ou de la Sainte-Trinité, appelé aussi archipel de la Madre de Dios.
La grande île de la Madre de Dios (de la Mère de Dieu) en fait partie :
elle a 25 lieues de longueur et 15 de largeur. Les Chiliens ont un poste
sur l'île Saint-Martin, et des factoreries sur plusieurs points de la côte
occidentale.
On sait peu de chose de cet archipel, si ce n'est qu'il est rocailleux,
montagneux et d'un aspect désagréable. 11 est séparé du continent par le
canal de la Conception, au bord duquel viennent se terminer brusquement
les Andes, dont les flancs se couvrent ici d'énormes glaciers.
Le capitaine King a exploré pendant les années 1826 à 1830, dans le
même archipel, le groupe de Guayaneco, composée de petites îles, dont
une est remarquable par une haute montagne appelée Nevado de Captana;
il a donné le nom de Wellington à une grande île que les Espagnols nom-
ment C ampana ; il a visité les îles Lobos et Bocca-Partida. Toutes ces
îles s'étendent à peu de distance de la côte occidentale de la Patagonie
dans la direction du sud au nord, depuis le cap Sainte-Isabelle jusqu'au
golfe de Penas.
Le détroit de la Conception baigne l'île de Hanovre; au sud de celle-ci

460
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME.
est l’ archipel de la Heine Adélaïde, que traversent plusieurs canaux qui
communiquent avec le détroit de Magellan.
Immédiatement au sud de la Patagonie s'étend un amas d'îles monta-
gneuses, froides, stériles, où les flammes de plusieurs volcans éclairent,
sans les fondre, des neiges éternelles : la mer y pénètre par des canaux
innombrables ; mais les passages sont si étroits, les courants si violents,
les vents si impétueux, que le navigateur n'ose se hasarder dans ce laby-
rinthe de la désolation ·, rien d'ailleurs ne l'y invite ; des laves, des granits,
des basaltes jetés en désordre forment d'énormes falaises suspendues sur
les flots mugissants. Quelquefois une magnifique cascade interrompt le
silence du désert, des phoques de toutes les formes se jouent dans les baies
ou reposent leurs lourdes masses sur les grèves ; des pingoins, des nigauds
et autres oiseaux de l'océan Antarctique, y poursuivent leur proie ; le navi-
gateur y trouve des plantes antiscorbutiques, du céleri et du cresson.
Telle est la côte méridionale et occidentale de l'archipel appelé Terre de
Feu, auquel le capitaine King a voulu récemment imposer le nom de King-
Charles-Southland. Le capitaine Cook y a découvert le port de Christmals,
port d'une grande utilité pour les navigateurs qui doublent le cap Horn.
A proprement parler, la Terre de Feu, que l'on devrait appeler la Terre
du Feu, est partagée en trois grandes îles par deux canaux, dont l'un
s'ouvre en face du cap Forward, et l'autre vis-à-vis du Port-Gallant. A
l'ouest, une grande île se termine par une presqu'île qui a reçu le nom de
Désolation du Sud. A l'est de cette île s'étend celle de Clarence, dont la
longueur est de 52 milles et la largeur de 23. Bien qu'elle soit rocailleuse,
elle offre cependant un aspect verdoyant. Suivant le capitaine King, la
direction uniforme des promontoires de la côte septentrionale de cette île
est remarquable. La grande île de l'est a été appelée Terre méridionale du
Roi Charles. Elle est séparée du continent par le détroit de Magellan et de
la Terre des États par le détroit de Lemaire. La partie orientale de cette île
est basse et offre des plaines semblables à celles de la côte de la Patagonie;
mais vers le détroit de Lemaire, on y remarque des montagnes couvertes
de neige: l'une d'elles, nommée sur les cartes le Pain de Sucre , a plus
de 1,300 mètres de hauteur. Dans la partie méridionale de cette île, le
capitaine Hall remarqua un volcan en 1829. Vers son extrémité orientale
s'élèvent quelques montagnes, dont les principales sont le mont Sarmiento
et plus au nord le pic Nose.
Les Fuégiens, qui, au nombre d'environ 4,000, se divisent en plusieurs
tribus, et qui ont été nommés Pecherais par Bougainville, habitent toutes

AMÉRIQUE. — TERRES MAGELLANIQUES.
461
les côtes de a Terre de Feu. Leur couleur est olivâtre ou basanée. Ils sont
robustes, et leurs traits offrent beaucoup de rapports avec ceux des Arau-
canos, dont ils sont voisins. Essentiellement vagabonds, leur condition
d'existence ne leur permet pas de se former en grandes sociétés.
La Terre des États, découverte par Lemaire, est une île détachée qui
doit être considérée comme faisant partie de l'archipel de la Terre de Feu ,
à l'est de laquelle elle est située. Les Anglais y ont fondé, en 1818, le petit
établissement de Opparo, qui sert de relâche aux pêcheurs de baleines. On
devrait nommer toutes ces îles Archipel Magellanique.
Les côtes septentrionale et orientale sont beaucoup moins disgraciées de
la nature-, les montagnes s'y abaissent plus doucement vers l'océan Atlan-
tique; une assez belle verdure y pare les vallées; on y trouve du bois, des
pâturages, des lièvres, des renards et même des chevaux. Les Pecherais,
habitants indigènes de cet archipel, et dont le véritable nom paraît être
Yacanacus, sont de taille moyenne, avec de larges faces, des joues pro-
éminentes et le nez plat. Ils sont si sales qu'on ne distingue pas la couleur
de leur peau. Leurs vêtements consistent en peaux de veau marin. Leurs
misérables cabanes, en forme de pain de sucre, sont toujours remplies
d'exhalaisons suffocantes; ils vivent de poissons et de coquillages. Ceux
qui habitent près de la baie du Succès jouissent d'un peu plus de for-
tune. Ils paraissent identiques avec les Yekinahus, qui s'étendent sur le
continent.
Les îles Malouines, que les géographes anglais nomment aussi Haw-
kin's Maidenland, se trouvent à 76 lieues au nord-est de la Terre des
États, et à 110 lieues à l'est du détroit de Magellan. Elles se composent de
92 îles ou îlots, aujourd'hui sous la dépendance de l'Angleterre, malgré
les réclamations de la république Argentine. Les deux grandes îles, appe-
lées West-Falkland et Ost-Falkland (Soledad) sont séparées par un large
canal auquel les Espagnols avaient donné le nom de détroit de San-Carlos,
mais que les Anglais nomment canal de Falkand.
Dom Permetti et Bougainville pensent que ces îles n'ont été découvertes
que de 1700 à 1708, par plusieurs vaisseaux de Saint-Malo. Mais Frézier,
dans la Relation de son voyage à la mer du Sud, et Fleurieu, dans un
Voyage où il a combattu avec un si grand succès tant d'autres prétentions
anglaises, leur abandonnent celle-ci.
Les montagnes ont peu d'élévation. Le sol, sur les hauteurs voisines de
la mer, était un terreau noir formé des détritus des végétaux; en beau-
coup d'endroits on trouve une bonne tourbe. En fouillant un peu la terre,

462
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME.
on rencontre du quartz, des pyrites cuivreuses, de l'ocre jaune et rouge.
Dom Pernetti décrit une espèce d'amphitéâtre naturel, formé d'assises régu-
lières d'une sorte de porphyre. Point d'arbres; les Espagnols ont essayé
d'en planter; ils ont poussé leurs soins jusqu'à apporter de la terre de
Buenos-Ayres ; aucun n'a réussi; les jeunes arbres périssent dans la
première année. Partout s'élèvent des glaïeuls qui, dans le lointain, offrent
l'image illusoire de bosquets verdoyants. Chaque plante du glaïeul forme
une motte élevée de 80 centimètres environ, d'où s'élève une touffe de
feuilles vertes à une hauteur à peu près égale. L'herbe abonde dans ces
îles, et y vient à une grande hauteur. On y a trouvé du céleri, du cres-
son, et deux ou trois plantes d'Europe. Les autres végétaux offrent quel-
que ressemblance avec ceux du Canada. Mais les epipaclis, les azédarachs,
les lithymalus résineux, qui forment des mottes très-élevées, et des arbris-
seaux semblables au romarin , nous rappellent la végétation du Chili.
Toutes les espèces de phoques, auxquels le vulgaire applique les noms
de lions, de veaux, de loups marins, viennent se reposer entre les glaïeuls
qui couvrent ces îles. Les pingoins se promènent à côté de ces lourds et
paisibles amphibies. Il n'a été trouvé aucun quadrupède.
LesEspagnols, en 1780, avaient transporté aux îles Malouines 800 têtes
de bétail, bœufs et vaches ; ils se sont tellement multipliés, qu'en 1795,
leur nombre passait 8,000. On ne leur donne ni abri ni nourriture ; ils pas-
sent l'hiver en plein air; ils ont appris à fouiller la neige pour découvrir le
pâturage qu'elle couvre.
Port-Egmont et Port-Étienne dans la Falkland occidentale sont les
principaux établissements anglais. La Falkland orientale ne présente que
Port-Volunter près de la baie de Marville. Les principales îles qui entou-
rent les Falkland et dépendent de leur archipel sont: les îles Borbon, Sal-
vages, Kemolinos, Swau, Pebble et Lively.
Quoique l'île Saint-Pierre, nommée Géorgie australe, Nouvelle-Géorgie,
ou île du Boi Georges par les Anglais, n'appartienne à personne , nous la
nommons ici à cause de son voisinage avec les îles Malouines. Elle a 38
lieues de longueur sur 20 de largeur; ses côtes offrent un grand nombre
de ports et de baies, mais les glaces les encombrent pendant une grande
partie de l'année. Elle a été découverte par la Roche en 1675 ; le capitaine
Cook, en 1775, n'a fait que la visiter une seconde fois; il aurait pu se
dispenser de lui imposer un nom anglais. Cette île, située à 400 lieues à
l'est du cap Horn, par 55 degrés de latitude, est un amas de rochers cou-
verts de glaces et composés, selon Forster, de schistes noirâtres, par

AMERIQUE. — TABLEAUX STATISTIQUES DU CHILI.
463
couches horizontales. Aucun arbrisseau ne perce la neige éternelle des
vallées ·, on aperçoit quelques touffes d'une herbe dure , des pimprenelles
et des lichens. Le seul oiseau de terre est l'alouette.
TABLEAUX Statistiques du Chili en 1850.
Statistique générale.
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION
REVENUS.
DETTE
ARMÉE.
MARINE.
lieues g. c.
absolue.
par lieue car.
10!) officiers.
1 frégale.
3,000 hommes.
1 goëletle
21,400
1,200,000
56
30,000,000 fr. 26,000,000 fr
Milice :
15 bâtiments
infant. 25,000 h
intérieurs.
Caval. 36,000 h.
Statistique particulière des provinces.
POPULATION DES
PROVINCES. DÉPARTEMENTS
VILLES
PRINCIPALES
département.
Provinces
Santiago. .
122,786
SANTIAGO
80,000
Millipilla. .
36,495
Millipilla
1,500
Santiago. .
257,637
j Rancagua.
77,340
Rancagua
· . . . ,
3,000
La Victoria.
19,010 ]
San-Bernardo
500
Coplapo.
.
13,343
San-Francisca de la Selva
8,000
Copiapo. .
j Vallenar. .
12,846
32,783
Vallenar
5,000
f Freirina. .
6,594
Freirina
3,000
Le Serena.
15,199
La Serena
9,000
Illapel
. .
17,746 I
Illapel
2,000
Coquimbo.
Combarbala
12,231
83,659 Combarbala
1,000
Ovalle. . .
29,977 I
Ovalle
1.000
Elqui,
. .
8,506 !
Elqui
1,000
San Felipe.
24,593 .
San-Felipe
8.000
Los Andes.
39,216
Santa-Rosa. . ,
2.000
Aconcagua.
Putaendo.
14,477 >
112,839
Putaendo
500
I Ligna.
. .
8.481
San-Antonio
1,000
Petorca
.
25,042 I
Pelorca
1.300
Valparaiso.
66,000 ,
Valparaiso
50.000
Valparaiso Quillota. .
48,200
128,134 Quillota
8,000
Casablanca..
15,934 I
Casablanca
2,000
San-Fernando
57,785
San-Fernando
3,000
Colchagua Caupolicau.
56.672
187,418
Rengo
. . .
1,800
Curico. . .
72,951 j
Curico
3,000
Talca. . . Talca. . .
56,305 ,
Talca
5,000
89,710
Molina. . .
33,405
Molina
800
Cauquenes
37 633
Cauquenes
3,000
Linares.
.
25,161
Linares
800
Pariai. . .
16 791
Parral
500
Maule.
144,626
San-Carlos.
35,863
San-Carlos
1,500
Ouiribue. .
19,837 1
Quirihue
800
< Bilbao. . .
9 341
Bilbao.
2,500
1,036,806
1,036,806

464
LIVRE CENT VINGTIÈME.
POPULATION DES
DÉPARTÉMENTS.
VILLES PRINCIPALES
I
département.
province.
1,036
1,036,806
Concepcion.
7
Concepcion. . . .
8,000
Talcaliuano
2
Talcaliuano. . . .
2,000
LautaRO.
8
Santa-Juaua.
. .
800
Concepcion.
Laja. . . .
8
119,989
Los Angeles . . .
1.500
Rere. . .
16
San-Luis Gonzaga
500
Chilian ·
51
Chilian
4,000
Puchacay.
23
La Florida.
. .
1,200
Valdivia.
Valdivia
2 000
Valdivia
La Union.
12,373
12.373 La Union
500
Osorno..
Osorno
1,000
Sau-Carlos
,147
San-Carlos.
. .
3,500
Carelmapu
558
Chacao-.
93 ;
Calbuco.
604
Dalcahue.
634
Chiloe.
50,832
Quenac .
705
Quinchao.
606
ι Castro. .
373
Le Muv.
819
Chonchy.
453
1,200,000
1,200,000
Les villes en italique sont les capitales des provinces.
LIVRE CENT VINGTIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Description particulière des républiques
Argentine, du Paraguay et de l’Uruguay.
L'un des plus vastes territoires de l'Amérique du Sud, est celui sur
lequel nous allons entrer : il confine, au sud, à l'océan Atlantique et à la
Patagonie, dont il est séparé par le cours du Rio-Negro ; à l'ouest, la Cor-
dillère des Andes le sépare du Chili ; au nord, il a pour limite la Bolivie-, à
l'est,les rives droites du Paraguay et de l'Uruguay le séparent du Paraguay,
du Brésil et de l'Uruguay.
Découvert, en 1515, par Juan Dias de Solis, il dépendit d'abord du
Pérou-, mais en 1778, il fut érigé en vice-royauté par l'Espagne, et prit le
nom de vice-royauté de Buenos-Ayres. La vice royauté de Buenos-Ayres
comprenait, outre la région qui nous occupe, les pays qui forment aujour-
d'hui les républiques de Bolivie, du Paraguay et de l'Uruguay. A l'époque
où toutes les colonies espagnoles se levèrent pour conquérir leur indépen-
dance, celle de Buenos-Ayres fut affranchie l'une des premières. Ce fut en

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
465
1810 qu'elle se proclama libre ; mais, depuis quarante-deux ans, le gouver-
nement de ce pays n'a pu acquérir celle stabilité salutaire si nécessaire à la
prospérité des États. En 1815, il parut cependant se constituer définitive-
ment : le Buenos-Ayres prit le titre de Provinces-Unies du Rio-de-la-Plata,
puis celui de République ou de Confédération Argentine. En 1829, plu-
sieurs traités furent signés avec de nouvelles provinces, qui entrèrent dans
la confédération. Aujourd'hui elle se compose de quatorze États, dont
l'étendue collective est de 118,600 lieues géographiques carrées, et dont la
population ne dépasse pas 800,000 habitants, presque tous concentrés
dans les grandes villes. Les provinces argentines actuelles sont: Buenos-
Ayres, sur la rive droite du Rio-de-la-Plata et sur l'Océan, en s'étendant
vers le sud ; Corrientes et Entre-Rios, entre le Panama et l'Uruguay, et
avoisinant le Paraguay, ou la Bande-Orientale; Santa-Fé et Cordova, au
centre; les autres provinces s'étendant du nord au sud, le long des Andes,
dans le voisinage de la Bolivie et du Chili, sont : Jujuy, Salta, Santiago-
del-Estero, Tucuman, Catamarca, la Rioja, San-Juan, Mendoza et San-
Luis.
Presque tous les grands cours d'eau qui arrosent la confédération
Argentine se rendent dans l'océan Atlantique. Les principaux sont : le
Rio-de~la-Plala, le Rio -Mendoza ou Colorado, et le Rio-Negro, nommé
Rio-del-Diamante, dans la partie supérieure de son cours, fleuve qui
sépare le Buenos-Ayres de la Patagonie.
Si de la capitale du Chili nous voulons diriger notre course vers les rives
du Paraguay, il faut traverser les Andes, où souvent le voyageur est assailli
par d'effroyables orages. On passe par Mendoza, chef-lieu de la province
du même nom. Cette contrée, qu'on nomme aussi Trasmontano, par rap-
port au Chili, est fertile en fruits et en blé. Le vin est transporté à Buenos-
Ayres et à Montevideo. Ce vin a la couleur d'une potion de rhubarbe et
de séné ; son goût en approche assez. Il prend sans doute ce goût des peaux
de bouc goudronnées dans lesquelles on le transporte.
La ville de Mendoza, capitale de la province, est située dans une vaste
plaine, et près des bords de la Cienega de Mendoza, lac marécageux de
13 lieues de longueur, sur 5 à 6 de largeur ; elle est à plus de 1,000 mètres
au dessus de l'Océan. C'est une des plus importantes villes de la confédé-
ration ; elle est grande, bien bâtie, ornée de beaux édifices, d'une vaste
place carrée, et d'une belle promenade publique appelée Alameda, d'où
l'on jouit d'une vue magnifique sur les Andes. Entrepôt du commerce de
Buenos-Ayres avec le Chili, elle exporte, avec les vins, les eaux-de-vie, les
V.
59

466
LIVRE CENT VINGTIÈME
grains et les fruits do son territoira, les productions des divers États de la
confédération, et reçoit en échange le thé du Paraguay, et les divers pro-
duits des manufactures étrangères. Sa population est d'environ 10,000
âmes. Elle a même le mouvement d'une ville plus importante encore. Après
l'heure de la sieste, une multitude de cavaliers circule dans les rues : il est
vrai que le plus chétif habitant possède une monture. La petite ville d'Up-
sallata, dans une vallée à laquelle elle donne son nom, possède de riches
mines d'argent. On remarque dans ses environs des restes de grandes
roules construiles par les Incas, et qui par leur solidité annoncent le
haut degré de civilisation auquel était parvenu le peuple auquel elles sont
dues.
A 54 lieues au nord de Mendoza, nous traverserons San-Juan-de-la-
Fronlera, qui fait un commerce important de vins, d'eau de-vie, et des pro-
duits agricoles de ses environs ; elle renferme 8,000 âmes : c'est la capitale
d'une province. Rioja, autre capitale, n'a que 3 à 4,000 ames. On remarque
sur son territoire la montagne de Famatina, où l'on exploite des métaux
précieux, mais surtout de l'argent. Catamarca, ou San-Fernando-de-Cata -
marca, est célèbre par la quantité de coton que l'on récolte sur son terri-
toire-, elle donne son nom à une province. La ville de Jujuy, sur l'affluent
du Rio-Grande, est la capitale de la province la plus septentrionale de la
confédération Argentine, c'est une cité commerçante d'environ 10,000
âmes, près de laquelle se trouve un volcan vaseux.
Au nord-est de la province de Catamarca, s'étend le Tucuman. Les
Andes, qui prolongent leurs branches à travers la partie septentrionale, y
rendent le climat très -froid. Le reste n'est qu'une vaste plaine. Il paraît
même que tout le Tucuman est rempli de véritabes plateaux, car plusieurs
rivières, n'y trouvant point de débouchés, y forment des lacs sans écoule-
ment. Les deux principaux fleuves du Tucuman sont le Rio Saladο, qui se
réunit à la rivière de la Plata, et le Rio-Dolce, qui se perd dans la lagune
de Porongas. La vallée de Palcipas, qui s'étend entre deux branches des
Andes, renferme une rivière considérable qui s'écoule dans un lac. Toutes
les rivières de la province de Cordova, excepté une, se perdent dans les
sables.
Avec un hiver sec et des chaleurs d’été aussi fortes que subites, le Tucu-
man passe pour une contrée extrêmement salubre. Dans les endroits où
les rivières fertilisent les campagnes, le pays est rempli de pâturages excel-
lents; les bœufs, les moutons, les cert's, les pigeons et les perdrix s'y multi-
plient prodigieusement. Le maïs, le vin, le coton et l'indigo, y sont cultivés

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
467
avec succès. Les forêts, situées entre le Rio Dolce et le Rio-Salado, sont
peuplées d'une immense quantité d'abeilles. Une espèce d'insectes y étend
sur les arbres appelés aromos de vastes réseaux de fils soyeux et de couleur
d'argent. La cochenille sauvage est d'assez bonne qualité. D'après Helm,
on exploite dans le Tucuman deux mines d'or, une d'argent, deux de cuivre
et deux de plomb. On y fabrique beaucoup d'étoffes de laine et de coton,
et l'on y a découvert une fort belle mine de sel cristallin.
Tucuman, ou San-Miguel-de-Tucuman, dans une position agréable,
près du confluent du Rio-Dolce et du Tucuman, est une jolie ville de 10 à
12,000 âmes, bâtie au milieu de bosquets d'orangers, de figuiers et de
grenadiers.
San Felipe, ou Salta-de- Tucuman, est située près du Rio-Baqueros, dans
la fertile vallée de Lerrica ; le bas peuple y est sujet à une espèce de lèpre;
les femmes d'ailleurs très-belles, ont communément des goitres vers l'âge
de vingt-cinq ans. Cette ville est peuplée de 9 à 10,000 âmes. Il s'y tient
tous les ans, aux mois de février et mars, un marché considérable de peaux,
de viandes salées et de mules, qui y attire un grand nombre d'étrangers.
Jujuy, près d'un volcan qui lance des torrents d'air et de poussière 1, est à
environ 25 lieues au nord de Balta, sur la rivièredu Jujuy. C'est une jolie
cité, capitale de province, dont les environs sont couverts de pâturages qui
nourrissent un grand nombre de vigognes et de chevaux, et dont les habi-
tants font un commerce considérable avec la république de Bolivie. Ses
environs sont riches en métaux précieux.
Sur le Rio-Dolce, Sanliago-del-Estero, capitale d'une province de ce
nom, est petite, peu peuplée, et renferme cependant trois couvents. On
donne 6,000 âmes à Santa-Fé, petite ville avantageusement située sur la
rive droite du Parana.
Cordova, ou Cordoue, résidence d'un évêque, est une des principales
villes de la confédération ; elle donne aujourd'hui son nom à une province.
On y remarque plusieurs églises assez belles. Les jésuites y avaient une
Université qui a perdu sa célébrité. Mais ses fabriques de tissus de laine et de
colon lui assurent une importance qu'elle n'avait pas du temps de ces pères.
On porte sa population à 12 ou 15,000 âmes.
Les contrées sur les bords du grand fleuve de la Plata sont quelquefoi
encore désignées sous le nom de Paraguay, quoique, à proprement parler,
ce nom appartienne à un État indépendant.
L'ancienne province de Chaco, qui s'étend entre le Rio-Grande et le
1 Viagero universal, XX, p. 139

468
LIVRE CENT VINGTIÈME.
Paraguay, n'est qu'une plaine imprégnée de sel et de nitre, souvent inon-
dée de sables mouvants ou infectée par des marais dans lesquels les rivières
s'écoulent, faute d'une pente qui suffise à les conduire dans la mer.
Ce pays est presque entièrement cecupé par des tribus indigènes, plus ou
moins sauvages. Il y en a qui s'éteignent ou qui changent de nom, de
manière qu'on ne sait plus les retrouver avec certitude; telle est la tribu des
Lule, dont la langue, en opposition avec la plupart des idiomes d'Amé-
rique, a une grammaire extrêmement simple. Les Zamucas parlent une
langue-mère très-remarquable, selon les missionnaires. Les Guaycurus,
ou Guaïcouros, les plus féroces de tous les Indiens, sont les véritables
maîtres de ces déserts, où ils errent en troupes, toujours hostiles aux voya-
geurs, et ne vivent que du produit de leur chasse et de leur pêche. Un
autre peuple intéressant du Chaco, est les Lenguas.
M. Alcide d'Orbigny nous apprend que non-seulement les Lenguas ont
le lobe de l'oreille chargé d'un gros morceau de bois rond qui le traverse,
mais qu'ils ont une ouverture transversale à la base de la lèvre inférieure,
et que de cette ouverture sort une petite palette de bois longue de 3 à
6 centimètres, retenue en dedans de la bouche par une partie plus large,
ressemblant à la tête d'une béquille. « Comme le trou transversal, dit-il,
« s'agrandit toujours, ils sont obligés de changer souvent le morceau de
« bois, qui est énorme chez les plus vieux individus. C'est cette singulière
« parure qui leur a valu, du temps des premiers Espagnols, le nom de Len.
« guas (langues), parce que cette palette ressemble assez à une langue.
« On sent combien l’étirement des lèvres dans le sens transversal doit les
« défigurer 1. »
Les Moyas, ou Mbayas, font la guerre à tout le monde ; ils s'arrachent
le poil des sourcils et des paupières; ils subsistent de l'agriculture exercée
par leurs esclaves. Très-libres dans leurs mœurs, les femmes de celte tribu
se font une habitude de l'avortement.
La tribu guerrière des Abipons, ou mieux Abiponès, composée autrefois
de 6,000 âmes, habitait une partie de la contrée dite Yapizlaga, entre le
28e et le 30e degré de latitude, sur les bords de la rivière du Parana.
Aujourd'hui, leur nombre s'élève à peine à une centaine d'individus. Le
sang de cette tribu est assez beau ; les femmes ne sont pas beaucoup plus
basanées que les Espagnoles. Les traits des hommes sont réguliers; ils ont
souvent le nez aquilin. Ils ont l'habitude de s'arracher les cheveux de
dessus le front, au point de paraître chauves.
1 Voyage dans l'Amérique méridionale par M. Alcide d'Orbigny, t.I, p. 294.

AMÉRIQUE.— RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
469
M. d'Orbigny nous fait connaître encore un autre peuple qui se nomme
Tobas, et qui habite le Chaco ; c'est ce peuple dont les diverses tribus ont
été désignées comme autant de nations par le voyageur d'Azara, sous les
noms de Pililagas, Aguilols, Mbocobys et Machicuys. Comme les Lenguas,
et tous les indiens de cette partie de l'Amérique, les Tobas ont le teint
bronzé, les pommettes saillantes et les yeux légèrement inclinés. Leur taille
est généralement de 1 mètres 80 centimètres. Leurs cheveux sont gros,
longs, plats et noirs. Ils s'épilent tout le corps et ne conservent même point
leurs sourcils. Ils ont un assez grand nombre de chevaux, et sont habiles
cavaliers. Leurs armes sont peu redoutables; ce sont des arcs longs de
2 mètres et des flèches de 1 mètre 33 centimètres de longueur, dont l'ex -
trémité fort aiguë est faite en bois de palmier très-dur. Lorsqu'ils sont à
pied, ils se servent de la massue. La chasse est leur principale occupation ;
mais ils ont commencé depuis quelques temps à se livrer à l'agriculture
autour de leurs cabanes ; la pêche est aussi l'une de leurs occupations.
La coutume du tatouage est répandue chez les Tobas, bien qu'elle
n'existe pas chez la plupart des autres peuples de l'Amérique. Les deux
sexes n'ont d'autres vêtements pendant la belle saison qu'une pièce d'étoffe
qui leur enveloppe les hanches. Pendant l'hiver, ils se couvrent d'un
poncho, ou d'un manteau fait de peaux de coypus, assez souvent couvert de
peintures sur le côte opposé au poil. Les femmes ont toujours le sein décou-
vert, et elles font tout ce qu'elles peuvent pour rendre leur gorge pendante,
afin de pouvoir donner à téter plus commodément à leurs enfants, qu'elles
ont l'habitude de porter sur leur dos. M. d'Orbigny porte le nombre des
Tobas à 14,000.
Les Mataguyos, que M. d'Orbigny pense être les mêmes que les Guanas,
peuple que d'Azara représente comme les plus civilisés des Indiens, bien
qu'ils n'aient, dit-il, aucune idée positive de religion ni de morale, et que
leurs femmes enterrent tout vivants la plupart des enfants de leur propre
sexe1, les Mataguyos couvrent une assez grande surface du Chaco. Leur
nombre paraît être d'environ 6,000. Leur couleur sépia foncée est identique
à celle des Tobas; leurs teints sont aussi peu différents; néanmoins, dit
M. d'Orbigny, on remarque chez eux plus de gaieté, un air plus ouvert,
moins de fierté dans le regard.
La province de Corrientes, qui comprend aujourd'hui une partie du
célèbre territoire des Missions, s'étend entre Parama et l'Uruguay. La
capitale, appelée aussi Corrientes, ville de 4 à 5,000 âmes, est située un
1 D'Azara : Voyage au Paraguay, t. II, p. 93.

470
LIVRE CENT VINGTIÈME.
peu au-dessous du confluent du Paraguay cl du Parana; malgré son peu
de régularité, c'est une ville assez jolie et dont le séjour est agréable. Sa
position, favorable pour le commerce, doit lui donner un jour une plus
grande importance; ses environs sont couverts de marais et de lagunes.
Les anciens villages de Santa-Anna et de Candelaria, bâtis par les jésuites,
sont aujourd'hui ruinés.
Celte contrée était le principal siége des fameuses Missions des jésuites,
dans lesquelles on a prétendu voir le germe d'un empire. L'envie a tour à
tour trop embelli et trop noirci le tableau de ces établissements, que regret-
tront à jamais la religion, l'histoire et la géographie. Ces religieux instruits
et habiles ne se bornèrent pas à la persuasion et à la prédication aposto-
lique pour réduire les Indiens; ils surent employer les moyens temporels,
niais ils les manièrent avec beaucoup de modération et de prudence. La
formation des peuplades des jésuites, le long du Parana et de l'Uruguay,
fut aussi due en grande partie à la terreur que la féroce tyrannie des Portu-
gais inspirait aux Indiens. Chaque peuplade était gouvernée par deux
jésuites; l'un, appelé curé, uniquement chargé de l'administration du tem-
porel, ne savait souvent pas parler la langue des Indiens; l'autre, que l'on
appelait compagnon, ou vice-curé, était subordonné au premier et remplis-
sait les fonctions spirituelles. L'unique loi était l'Évangile et la volonté des
jésuites. Les magistrats, choisis parmi les Indiens, n'exerçaient aucune
espèce de juridiction, et n'étaient qu'un instrument entre les mains du
curé, même pour la partie criminelle. Jamais un accusé ne fut cité devant
les tribunaux du roi. Les Indiens de tout âge et de tout sexe étaient obligés
de travailler pour la communauté de la peuplade ; aucun ne pouvait s'oc-
cuper pour son propre compte. Le curé faisait emmagasiner le produit du
travail, et se chargeait de nourrir et d'habiller tout le monde. Tous les
Indiens étaient égaux et ne pouvaient posséder aucune propriété particu-
lière. Ce régime offrait la seule transition possible de l'état barbare où
étaient les Indiens à une civilisation plus parfaite. Il est vrai que sous ce
régime nul motif d'émulation ne pouvait porler les Indiens à perfectionner
leurs talents, puisque le plus vertueux et le plus actif n'était ni mieux
nourri, ni mieux vêtu que les aulres, et qu'il n'avait pas d'autres jouis-
sances. Mais celte espèce de gouvernement était la seule convenable, au
milieu de hordes aussi abruties, aussi féroces; elle faisait le bonheur des
Indiens, qui, semblables à des enfants, étaient incapables de se gouverner
eux-mêmes. C'était un changement bienheureux pour ces sauvages, accou-
tumés à s'égorger les uns les aulres, ou à servir les Espagnols comme

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
471
esclaves. Ces Indiens étaient, baptisés et savaient les commandements de
Dieu et quelques prières ; c'était un commencement d'instruction morale
auquel les jésuites bornèrent sagement leurs premiers efforts. Ces peuples
n'apprenaient aucune science; mais ils fabriquaient des toiles dont ils
s'habillaient. Les arts mécaniques leur étaient enseignés par des jésuites
envoyés d'Europe à cet effet. Aucun de ces Indiens n'avaient de chaus-
sure, et les femmes, sans exception, ne portaient d'autre vêtement qu'une
chemise sans manche. Le climat rendait superflu un vêtement plus com-
pliqué. 11 fallait employer les médiocres profits d'une culture naissante à se
procurer des instruments, des ustensiles et des armes. Les Indiens néo-
phytes portaient dans les villes espagnoles tout ce qui leur restait de toiles,
de tabac, d'herbe du Paraguay, de peaux. Ces effets étaient remis entre les
mains du procureur-général des missionnaires jésuites, qui les vendait ou
les échangeait le plus avantageusement possible. Il rendait ensuite un
compte exact du tout, et après avoir pris sur le produit des marchandises
le payement du tribut, il employait le restant à l'achat des choses utiles ou
nécessaires aux Indiens, sans rien retenir pour lui-même.
Les Indiens des Missions étaient des peuples libres qui s'étaient mis sous
la protection du Roi d'Espagne. Ils étaient convenus de payer un tribut
annuel d'une piastre par tête. Ils ont rendu de grands services à l'Espagne
dans la guerre contre les Portugais. Depuis l'expulsion des jésuites, en
1767, les moines qui furent chargés du soin de leurs peuplades ne nour-
rirent ni n'habillèrent les Indiens aussi bien qu'autrefois, et les fatiguèrent
de travail. Les marchands et les commandants militaires purent recom-
mencer leurs exactions. Enfin, un rapport ministériel inédit, adressé au
roi d'Espagne par un ennemi des jésuites, avoue « que la population des
« 30 villages des Guapanis établis par ces religieux s'élevait, en 1774, à
« 82,066 individus, et que, lors de l'expulsion des jésuites, elle était au
« moins de 92,000 ; qu'elle a été réduite, en 20 années, à 42,250 âmes,
« c'est-à-dire de plus de la moitié ; que les Portugais, autrefois contenus,
« ont envahi sept villages, et que, pour arrêter l'invasion de ces étran-
« gers, il faut rétablir l'excellent règlement militaire des jésuites. » Voilà
des faits qui parlent. Si, depuis cette époque, les Indiens ont continué à se
civiliser, s'ils jouissent de quelque aisance, si quelques-uns s'habillent à
l'espagnole, et si dans quelques endroits ils acquièrent de petites proprié-
tés, que faut-il voir dans ces faits isolés, sinon les rejetons du magnifique
arbre qu'une politique aveugle arracha, mais ne put entièrement déra-
ciner ?

472
LIVRE CENT VINGTIÈME.
Dans la province d'Entre-Rios, la ville de Baxada ou Bajada (la des-
cente) est assez grande; l'église, qui est son plus bel édifice, est éloignée
d'un demi-quart de lieue de la côte du Parana. Son petit port offre un
aspect assez animé.
Il nous reste à parler des principales villes de la province de Buenos-
Ayres. Barragan, sur le bord de la mer, est importante par sa baie, où
s'arrêtent les gros navires qui ne peuvent remonter la Plata jusqu'à la
capitale; le fort Independencia, El-Carmen et Bahia-Blama sont des colo-
nies naissantes fondées dans la partie méridionale de la province, sur le
territoire même des naturels, que l'on nomme Aucas.
El-Carmen, ou Le Carmen, sur la rive gauche du Rio-Negro, appelé
aussi Patagones, est administré par un commandant militaire dépendant
de l'armée de Buenos-Ayres. Ce chef est investi de tous les pouvoirs, tan-
dis qu'un employé des douanes est chargé du maniement des finances. Les
habitants sont au nombre d'environ 600, composés d'agriculteurs, presque
tous venus des montagnes de la Castille, de Gauchos exilés pour crimes,
et de nègres esclaves employés comme ouvriers aux différentes exploita-
lions. Ces habitants sont organisés en milice et forment la cavalerie, qui,
lorsqu'on en a besoin, se joint à la garnison, composée d'une centaine de
soldats.
Buenos-Ayres est la plus peuplée, la plus riche et la plus commerçante
cité de la confédération. C'est là que se réunissent le congrès, les minis-
tres et toutes les autorités. Elle est aussi le siége d'un évêché. La forme de
la ville est un carré, long de trois quarts de lieue et large d'une demi-lieue,
divisé en 360 carrés (cuadras), laissant entre eux 61 rues coupées à
angles droits. La cathédrale, la banque, le cabildo, ou l'ancienne maison-
de-ville, l'hôtel des monnaies et le palais de la chambre des députés, sont
ses principaux édifices ; ils décorent la grande place (Plaza-de-la-Victoria),
au milieu de laquelle s'élève un obélisque. Cette place est traversée dans
dans toute son étendue par d'immenses arcades d'un bel effet, et dont la
partie inférieure est occupée par des boutiques, où l'on vend des boissons
rafraîchissantes. La forteresse, ou el Fuerte, est un assemblage de plu-
sieurs grands bâtiments entourés d'une épaisse muraille dominée par un
rempart garni de canons, et protégé par un fossé qu'on traverse sur un
pont-levis. Toutes les administrations relevant du pouvoir exécutif s'y
trouvent réunies ; mais le gouverneur n'y réside pas. Les maisons, à un
seul étage el bâties en briques, que dominent les grands édifices et les nom-
breuses églises avec leurs coupoles el leurs clochers, donnent à Buenos-

AMÉRIQUE. — REPUBLIQUE ARGENTINE.
473
Ayres un aspect un pou triste; ses rues, droites et garnies de trottoirs,
mais un | eu trop en pente, ont le désagrément d’être sales, ce qui dément
un peu la réputation de salubrité qui lui a valu son nom, dont la significa-
tion est bon air. Elle a été fondée en 1635 au milieu d'une plaine, sur la
grève du Rio-de-la-Plata, à 70 lieues de son embouchure. Malgré les scènes
d'anarchie dont elle a été le théâtre depuis 1806, elle renferme 90,000 habi-
tants, parmi lesquels on compte environ 15,000 Français et autant d'An-
glais. Depuis la révolution, il s'y est établi plusieurs fabriques, dont les
plus importantes sont celles de chapeaux et de taillanderie. Quoique située
sur la rive droite du Rio de-la-Plata, qui sous ses murs a 10 lieues de lar-
geur, elle n'a pas de port pour les gros navires ·, mais le gouvernement a
assigné des fonds pour en creuser un le plus tôt possible. Malgré le peu de
sûreté de son port, elle fait avec la France un commerce considérable qui,
en 1850, s'est élevé à 30 millions de francs pour l'importation et l'exporta-
tion. Son entrée par le fleuve est mieux défendue par les rochers, les bancs
de sable et les, pamperos, ou vents du sud-ouest, ainsi appelés de ce qu'ils
traversent les pampas, qu'elle ne le serait par des travaux de fortification.
Buenos-Ayres no possède plus d'université. Cependant on y compte
deux colléges importants, le collége San-Martin et le collège Republican
federal, tous deux actuellement dirigés par des Français. On y publie plu-
sieurs journaux : la Gacela mercantil, journal officiel du gouvernement;
VArchivo americano, écrit en trois langues (français, espagnol, anglais); le
Diario de la Trade et le journal anglais le Bristish Paket.
·
La bibliothèque publique, enrichie d'un grand nombre d'ouvrages, est
aujourd'hui l'une des plus considérables de l'Amérique méridionale. Cepen-
dant les hommes sont en général élevés avec beaucoup de négligence; ils
ont un physique agréable et de belles manières. On vante généralement la
beauté, la grâce et l'amabilité des femmes.
L’île granitique appelée Martin-Garcia, que l'on voit en remontant la
Plata, est une forteresse qui appartient à la république Argentine. Elle dé-
fend l'entrée de l'Uruguay et du Parana.
Les végétaux et les animaux des plaines immenses qui environnent
Buenos-Ayres diffèrent considérablement de ceux du Paraguay. Le durasno,
arbre semblable au pêcher, et qui paraît n'être qu'une variété transplantée
de l'Europe, fournit d'abondantes récoltes. Les blés do l'Europe réus-
sissent. Les jaguars s'y montrent encore, et ils y sont même très gros;
mais les singes, les tapirs, les caïmans disparaissent ou deviennent extrê-
mement rares depuis les 32e et 33e degrés de latitude. Le chat des Pam-
V.
60

474
LIVRE CENT VINGTIÈME.
pas, le quouya, espèce nouvelle de rongeur, connu aussi dans le Tucu-
man; le lièvre-vizcache, qui habite par nombreuses familles dans des ter-
riers; le lièvre des pampas, dont le poil sert à fabriquer des tapis moel-
leux; l'autruche magellanique (nandu), amie des plantes salines et des
plaines battues du vent ; voilà les principaux animaux de la région de
Buenos-Ayres. On y trouve, outre les chevaux et les bœufs, des chiens
d'Europe devenus sauvages, et dont les troupes innombrables sont redou-
tées des habitants de la campagne.
Près de Buenos-Ayres le bois manque, mais en revanche le terrain est
très-propre à l'agriculture. Le sol est sablonneux, mêlé d'un terreau noir.
Au sud de Buenos-Ayres s'étendent à perte de vue les immenses plaines
appelées pampas, où règnent des vents très-impétueux, et où l'œil ne
fait qu'errer tristement d'un arbuste rabougri à une touffe de plantes
salines.
Presque tous les Indiens convertis, surtout ceux des bords de la rivière
de la Plata et des villes, s’occupent de la culture ; mais comme cet état est
fatigant, il n'est embrassé que par ceux qui n'ont pas le moyen de se faire
négociants ou d'acquérir des terres et des troupeaux pour devenir bergers,
et enfin par les journaliers qui ne peuvent pas selouer pour la conduitedes
troupeaux. Les habitations des agriculteurs d'origine espagnole , situées
au milieu des terres en exploitation, et assez éloignées les unes des autres,
sont en général des baraques ou des chaumières petites et basses, couvertes
en paille, fees murs sont formés par des pieux fichés en terre verticale-
ment les uns à côté des autres, et les intervalles" sont remplis de mortier
de terre.
Les agriculteurs l'emportent beaucoup sur les bergers par leur caractère
moral, par leur ci vilisation et par leur manière de se vêtir. Ce genre de vie
a presque réduit à l'état sauvage les Espagnols qui l'ont embrassé. Les
bergers que l'on nomme gauchos, sont occupés à garder 15 millions de va-
ches, 3 millions de chevaux, avec un nombre considérable de brebis. On
ne comprend pas dans cette énumération les animaux devenus sauvages.
Tous les troupeaux domestiques sont divisés en autant de troupeaux par-
ticuliers qu'il y a de propriétaires : un pâturage qui n'a que 4 ou 5 lieues
carréesde surface est regardé comme peu considérable; à Buenos-Ayres il
passe pour ordinaire. C'est dans l'intérieur de ces possessions qu'on établit
les habitations des bergers. Accoutumé dès l'enfance à l'oisiveté et à l'indé-
pendance, le berger ne connaît en rien ni mesures ni règles. L'amour de
la patrie, la pudeur, la bienséance, sont pour lui des sentiments inconnus.

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUE ABGENTINE.
475
Habitué à égorger des animaux, il répand tout aussi facilement le sang de
son semblable, mais toujours de sang-froid et sans colère. Le calme du
désert semble avoir donné à ces hommes une profonde insensibilité-, ils
sont enclins à la défiance et à la ruse. Lorsqu'ils jouent aux cartes, objet
de leur plus violente passion, ils s'asseyent à leur ordinaire sur leurs
talons, tenant sous leurs pieds la bride de leur cheval, de peur qu'il neleur
soit volé, et souvent ils ont à côté d'eux leur poignard ou leur couteau
fiché en terre, prêts à percer celui qui oserait manquer de loyauté au jeu.
Ils jouent dans un instant tout ce qu'ils possèdent et toujours de sang-froid.
Ils ont d'ailleurs la vertu des sauvages, le goût hospitalier ·, et si quelque
passant se présente chez eux ils le logent et le nourrissent, souvent sans
lui demander qui il est et où il va, quand bien,même il resterait plusieurs
mois. Sans morale, ils sont naturellement portés à voler des chevaux ou.
d'autres moindres objets; mais étant aussi sans désirs , ils ne commettent
jamais de vol d'argent. Ces Tartars d'Amérique ont beaucoup de répu-
gnance pour toutes les occupations auxquelles ils ne peuvent pas se livrer
à cheval. Très-robustes et peu sujets aux maladies, ils font peu de cas de la
vie, el bravent pour un rien la mort, qui ordinairement ne les atteint que
dans une vieillesse avancée.
Outre les gauchos, il vit dans les plaines beaucoup d'hommes qui ne
veulent absolument ni travailler ni servir les autres, à quelque titre et à
quelque prix que ce soit. Ces vagabonds, presque tous voleurs, enlèvent
même des femmes de Buenos-Ayres : ils vivent souvent avec elles dans
l'union la plus tendre, et quand le ménage éprouve quelque besoin urgent,
l'homme part seul, vole des chevaux dans les pâturages, va les vendre
au Brésil, et en rapporte ce qui lui est nécessaire.
Il n'est guère possible de préciser l'état politique actuel de la confédéra-
tion argentine, la chute récente du général Rosas, qui, d'abord gouverneur
et capitaine général de Buenos-Ayres en 1829, était parvenu à s'emparer
de la dictature la plus absolue, sur les rives de la Plata, doit, sans doute,
apporter de grandes modifications dans le régime gouvernemental des pro-
vinces unies. Nous nous contenterons donc de dire, que chacune des pro-
vinces a sa chambre de représentants, son gouverneur, son administra-
tion, ses ressources particulières; que le gouverneur de l'importante
province de Buenos-Ayres a la direction générale des affaires de la guerre
et des affaires étrangères; qu'enfin les provinces forment entre elles une
alliance offensive et défensive contre toute évasion étrangère et qu'elles
sont unies par des traités les plus favorables de commerce et de navigation.

476
LIVRE CUNT VINGTIÈME.
Les vastes espaces que nous avons parcourus pour visiter les princi-
pales villes de la république Argentine annoncent combien la population y
est peu considérable relativement à leur étendue. Qu'est-ce en effet qu'une
population de 800,000 individus sur une superficie de plus de 118,600
lieues carrées? Le territoire de cette république comprend, malgré de grands
espaces stériles, tant de terrains fertiles, qu'il n'y manque que des bras
pour en obtenir toutes les richesses agricoles, et pour donner au commerce
une activité que la civilisation réclame. La paix intérieure, une sage
administration, debonnes lois, augmenteront tôt ou tard l'industrie avec la
population. C'est alors que la culture s'étendra non-seulement sur les ter-
rains qui y sont le plus favorables, mais encore sur ces pampas ou plaines
salées qui occupent entre l'Atlantique, le Rio-Dolce et le Colorado, une
longueur de 300 lieues et une largeur de 180. Nul doute que leurs herbes
longues et épaisses ne fassent un jour place aux peupliers, aux saules et
aux arbres fruitiers, et que le bétail sauvage qu'elles nourrissent ne soit
remplacé par une population active. Les bras en se multipliant donneraient
de la valeur aux forêts qui bordent le Parana et d’autres importants cours
,d'eau; des routes tracées dans l'intérieur se joindraient aux canaux el aux
fleuves rendus navigables pour faciliter les relations commerciales el porter
la civilisation chez les tribus indigènes.
Une province appelée Banda-Oriental, qui avait fait partie de l'ancienne
vice-royauté de Buenos-Ayres, et qui fut ensuite réunie au Brésil sous le
nom de Provincia-Cisplatina, a été depuis 1814 jusqu'en 18261e sujetde
contestations sérieuses entre la confédération du Rio-de-la-Plata et le Bré-
sil. La première s'en était emparée; le second la reprit; et dans la crainte
de la voir retomber au pouvoir des républicains, il se l'attacha fédérati-
vement en la constituant en république appelée Cisplatine. Après plusieurs
combats, la voix de la raison se lit entendre ; la possession de cette province
fut abandonnée de part et d'autre, et, par un traité de paix du 27 août 1828,
la Banda-Oriental fut déclarée indépendante. Ce pays, organisé définitive-
ment et librement en république, a pris le titre de république de l' Uruguay.
Les limites de cet état sont, au nord, le Brésil, dont la frontière méridio-
nale est depuis 1804 fixée par une ligne tracée du nord-ouest au sud-est,
depuis le Rio-Cuarcy jusqu'au Rio-Yaguaron ; à l'est, le petit territoire
neutre compris entre la lagune de Mirim et l'océan Atlantique ; au sud,
cet océan et le Rio-de-la-Plata; à l'ouest, le cours de l'Uraguay ou Uru-
guay 1. Il a environ 150 lieues de longueur sur 120 dans sa plus
1 Suivant M. Alcide d'Orbigny, on doit dire Uruguay. Ce nom se compose, dit-il

AMÉRIQUE. — RÉPUBLIQUE DE L'URUGUAY.
477
grande largeur. Sa superficie peut être évaluée à 15,000 lieues carrées et
sa population à 200,000 âmes ; la république est partagée en neuf
départements qui portent les noms de leurs chefs-lieux, son gouvernement
se compose d'un président et de deux chambres. Mais ainsi que pour la
confédération des provinces unies de la Plata, il est impossible dans l'état
de guerre et d'agitations continuelles où se trouve cette république, de rien
préciser à l'égard de sa situation politique.
Le territoire de l'Uruguay diffère de celui de Buenos-Ayres ; des collines
s'élèvent entre le Rio-de-la-Plata et l'Uruguay, et entre cette dernière
rivière et l'Océan. Ici tout le terrain paraît primitif, tandis que de l'autre
côté tout est d'alluvion. D'épaisses forêts bordent le rapide Uruguay, rivière
qui surpasse le Rhin et l'Elbe. A son embouchure, l'œil ne peut qu'avec
peine découvrir ses deux rives à la fois ; à 200 lieues plus haut, il faut
encore une heure pour le traverser. 11 est poissonneux ; les loups marins
y entrent; son lit est parsemé de rochers, et son cours est interrompu par
beaucoup de rapides. Il est navigable jusqu'au Salto-Chico, à 70 lieues de
son embouchure.
Entre le Paraguay et le Parana s’étend, du nord au sud, une chaîne con-
sidérable de montagnes appelée Amarbay, et terminée au sud de la rivière
Igoatimy par un revers qui court est et ouest, et qu'on nomme Maracayer.
De ces montagnes naissent toutes les rivières qui coulent dans le Paraguay
au sud de Taquari, ainsi que beaucoup d'autres qui, prenant uiie direc-
tion opposée, débouchent dans le Parana, et dont la plus méridionale est
l’Igoatimy ; elle a son embouchure un peu au-dessus des Sept-Chutes.
Cette merveilleuse cataracte offre à l'œil un spectacle des plus sublimes.
Six arcs-en-ciel y brillent, l'un au-dessus de l'autre dans les nuages vapo-
reux qui, s'élevant constamment de l'eau réduite en brouillards par la
violence du choc, enveloppent toute l'étendue de l'horizon.
Le climat est partout tempéré; l'humidité pioduite par les nombreuses
rivières qui sillonnent le territoire de la république, est tempérée par l'ac-
tion des vents sur un Pamperos , et par le voisinage de l'Océan. Le peu
d'accroissement qu'a pris la population n'est donc dû ni à l'insalubrité de
l'air ni aux maladies, mais aux dissensions politiques.
La capitale est Monte-Video ou San-Felipe. Cette ville est bâtie en
amphithéâtre sur une petite péninsule appartenant à la rive gauche du Rio-
de deux mots guaranis : Urugua (Ampullaire), et Y (rivière). Ainsi Uruguay signifie
rivière des Ampullaires, et en effet ces mollusques à coquilles y sont en grand
nombre.

(J. Huot.)

478
LIVRE CENT VINGTIÈME.
de-la-Plata , à l'entrée de ce fleuve; en sorte qu'elle est presque entourée
d'eau de tous côtés. Son port, bien qu'il soit exposé à toute la violence
des vents d'ouest appelés pamperos, est cependant plus commode que celui
de Buenos-Ayres. Il peut contenir 200 voiles, mais il n'a que 4 à 5 mètres
de profondeur. En face de la ville, à l'ouest et tout au bord du fleuve, le
Cerro, morne de forme conique légèrement affaissé sur sa base, s'élève à
50 mètres au-dessus de la mer, et porte sur sa cime une forteresse sur-
montée d'une lanterne 1. Plusieurs autres ouvrages de fortification,
défendent la ville, sans pouvoir cependant la mettre à l'abri d'un siége fait
en règle. Elle est bâtie sur un plan régulier, c'est-à-dire qu'elle est formée
comme presque toutes les villes de l'Amérique méridionale, de cuadras ou
carrés formant des rues larges et droites, garnies de trottoirs et de maisons
en briques à un seul étage et à toits plats, cl qu'elle a une grande place
ornée des principaux édifices, dont le plus beau est la cathédrale ou l'église
de la Matriz, édifice bâti dans le goût espagnol, et dont les tours sont cou-
vertes en faïence peinte et vernissée. Peu de villes américaines ont plus
souffert des guerres intestines que Montevideo. Néanmoins, sa population
s'est rapidement accrue dans ces derniers temps, on la porte à 50,000 âmes;
elle fait avec la France un commerce important, qui, en 1848, a offert le
chiffre de 6,743,664 francs pour l'importation et l'exportation.
Sacramento, ou Colonia-del-Sacramento, à 35 lieues au nord-ouest de
la précédente, vis à-vis de Buenos-Ayres, possède un port sur le Rio de-la-
Plata : c'est une ville petite et mal bâtie, qui doit son importance à son
commerce. Maldonado, cité peu importante, avec un port peu spacieux sur
la rivière du même nom, près de l'Océan et de l'embouchure de la Plata,
n'offre qu'un mauvais mouillage, mal abrité contre les vents dangereux du
sud-ouest et du sud-est. Bâtie sur une petite éminence au milieu d'une
plaine, elle a des rues bien percées, comme toutes les villes de l’Amérique.
Ses seuls monuments sont une assez belle église, une haute tour carrée
qui s'élève à l'entrée de la ville du côté de la mer. Cette ville a reçu le nom
d'un des respectables missionnaires qui allèrent prêcher la foi chrétienne
sur cette côte. « Les habitants, en temps de paix, dit M. A. d’Orbigny,
« n'ont guère d'autre occupation que celle de l'élève des bestiaux, favo-
« risée pour eux par les belles campagnes des environs; et cette aptitude
« leur est commune avec tous les habitants de la Banda-oriental. Leur
C'est ce Cerro, dit un voyageur français, qui a fait changer le nom de San-
Felipe, que portait d'abord la ville, en celui de Montevideo, dont l’étymologie
est celle-ci : Monte, mont; vi, j'ai vu; deo, abréviation de delejos, de loin.

AMÉRIQUE — PARAGUAY.
479
« caractère est fier et indépendant. De tout temps le nom des Orientales a
« fait trembler les Brésiliens. » Elle ne compte que 1,500 à 1,800 habi-
tants. Florida, Paysandu, et les autres chefs-lieux de départements, ne
ne sont que des bourgades.
La république entretient dans chaque ville, village ou bourgade , une
école primaire d'enseignement mutuel.
11 existe sur le territoire de cette république une nation indigène que
nous ne devons point passer sous silence : ce sont les Charruas, qui, après
avoir été puissants à l'époque de la conquête de l'Amérique, sont réduits
aujourd'hui à quelques petites tribus errantes qui habitent à l'est de l'Uru-
guay. Ils se composent d'environ 1,500 individus. Leur couleur est le brun
olivâtre, souvent noirâtre ou marron. De toutes les nations américaines,
c'est celle dont la peau est la plus foncée.
L'esprit d'indépendance et de liberté qui se répandait dans toutes les
colonies espagnoles de l'Amérique, pénétra en 1811 dans le Paraguay,
considéré depuis longtemps comme une des grandes provinces de la vice-
royauté de la Plata. Les colons déposèrent le gouverneur, établirent une
junte, et proclamèrent en 1813 l'établissement d'un gouvernement répu-
blicain, à la tête duquel ils placèrent deux consuls nommés pour un an. A
l'expiration de cette magistrature, l'un d'eux, le docteur Francia, eut assez
d'influence et d'adresse pour se faire nommer dictateur pour trois ans, au
bout desquels un congrès qu'il avait su gagner le proclama dictateur à vie.
Cet homme extraordinaire conserva le pouvoir jusqu'en 1840, époque de sa
mort 1. Alors il y eut au Paraguay quelques hésitations politiques ; mais au
mois de mars 1845, le congrès décida que le gouvernement serait confié à
un président, nommé pour dix ans, et le choix tomba sur Carlos Antonio
Lopez, neveu du docteur Francia.
Le Paraguay est borné au nord et à l'est par le Brésil, au sud et a l'ouest
par le territoire de la république Argentine. Sa superficie est d'environ
10,000 lieues carrées, et sa population est évaluée à 800,000 âmes par
M. de Castelnau. Le pays est divisé en 8 départements et en 28 munici-
1 La terreur qu'il inspirait de son vivant était telle qu'on ne l'appelait jamais que
el Supremo, ou el Perpetuo, et que les habitants des campagnes ne prononcent pas
son nom sans se découvrir. Aujourd'hui, on le désigne seulement par le nom de el
Defunto ;
quelques uns de ses soldats ne paraissent pas certains qu'il soit bien mort,
et lors qu'ils parlent de lui, ils ne manquent jamais de regarder préalablement autour

d'eux, pour s'assurer qu'ils ne sont pas surveillés par un de ces agents secrets qu'en-
tretenait le terrible dictateur. (Voyage de M. de Castelnau dans l'Amérique du sud,

480
LIVRE CENT VINGTIÈME.
palités ; mais la partie du territoire des Missions, qui lui appartient, à la
droite du Parana, est divisée eu districts administrés d'une manière parti-
culière ; car bien que les jésuites aient été expulsés du Paraguay dès l'année
1768, les huit Missions qu'ils avaient établies existent encore, et peuvent
même donner une idée de ce qu'elles devaient être à l'époque où ils les
administraient. Cette contrée est entrecoupée de lacs, de marais, de grandes
plaines et de vastes forêts; elle a environ 120 lieues de longueur sur 65 de
largeur. Une chaîne de montagnes, appelée la Sierra-Amambahy, la même
qui sillonne la Bande Orientale, pénètre jusqu'au centre, où elle se divise
en deux grands rameaux, dont l'un va se terminer vers l'ouest près des bords
du Paraguay, et l'autre se joindre aux montagnes qui, sur le territoire du
Buenos-Ayres, s'avancent en séparant le bassin du Parana de celui de
l'Uruguay. Pendant la saison des pluies, les rivières sortent de leur lit et
répandent sur le terrain qu'elles envahissent un limon gras et fertile. Le
Paraguay n'est pas moins riche que les contrées environnantes, en coton, en
tabac et en arbres utiles par les différents usages auxquels on peut les
employer ou par les gommes précieuses qu'ils fournissent; mais l'une des
plantes les plus dignes d'intérêt, est le thé qui porte le nom du pays, et qui
n'est que la feuille d'une espèce d’ilex, appelée maté ou /. paraguariensis :
infusée comme le thé de la Chine, elle fournit une boisson fort agréable. On
évalue à 3,000,000 de francs le seul revenu annuel de la vente de ce thé et
du tabac.
Le Paraguay propre doit son nom à la tribu des Payaguas, qui vit de la
pêche, et qui se distingue par son caractère rusé. On prétend qu'ils adorent
la lune ; mais M. d'Azara a grand soin de leur refuser tout sentiment reli-
gieux. Leurs femmes fabriquent des couvertures de laine. Ils conservent,
contre la coutume des autres Indiens, les objets laissés par un mort. Ils
élèvent de petites huttes au dessus des tombeaux 1.
Quoique, en remontant vers les sources du grand fleuve, on rencontre
des collines, rien ne prouve que les mines du Brésil s'étendent jusque dans
te Paraguay. Le même rapport manuscrit adressé au roi d'Espagne, et que
nous avons déjà cité, n'indique qu'une pauvre mine d'or sur l'Uruguay,
et n'en marque absolument aucune dans le Paraguay ; il justifie ainsi les
rapports des jésuites 2.
Le Paraguay produit, selon les missionnaires, le fameux arbre du Bré-
sil, quoiqu'il soit beaucoup plus commun dans le beau pays dont il porte le
1 D'Azara : Voyage au Paraguay, p. 1 19-144.
2 Muratori : Missions du Paraguay, p. 275, trad. franç.

AMÉRIQUE. — PARAGUAY.
481
nom. On y voit presque partout un très grand nombre de cotonniers-
arbustes. Les cannes à sucre y naissent sans culture dans les lieux humides.
Un arbre qui abonde dans le Paraguay, c'est celui d'où l'on tire la liqueur
nommée sang-dragon. Il y a diverses autres résines utiles. Il n'est pas
rare de trouver dans les bois de la cannelle sauvage, qui se vend quel-
quefois en Europe pour de la cannelle de Ceylan. La rhubarbe, la coche-
nille figurent au nombre des productions naturelles. La grande récolte
du maté se fait près la nouvelle Villa-Rica, qui est voisine des montagnes
de Maracayu, situées à l'orient du Paraguay, vers les 25° 25' de latitude
australe.
M. d'Azara compte au Paraguay trois espèces de singes, le miriqouina,
le cay et le caraya. Ce dernier, qui est le plus commun, remplit, à l'aurore
et à la fin du jour, les forêts épaisses de ses cris rauques et tristes, sem-
blables au craquement d'un nombre immense de roues de bois non grais-
sées. Le grand tatou creuse ses terriers dans les forêts ; quelques autres
espèces vivent dans les champs et sur les lisières des bois. Le tapir est
nommé mborebi par les Guaranis ; le même peuple comprend sous le nom
de guazou, assez semblable à celui de gazelle, quatre espèces do cerf dif-
férentes de celles de l'ancien continent. Outre les jaguars et les couguars,
on rencontre ici le chibigouazou, ou le felis pardalis, l’yagouaroundi et
l’evra, espèces de chat-tigre inconnues à l'ancien continent.
Le Paraguay ne renferme que de petites cités, mais le nombre des vil-
lages est considérable. Chacun d'eux est gouverné par un magistrat choisi
parmi les habitants ; ils ont tous à peu près le même aspect ; tous ont une
grande place, une église et des maisons proprement construites et cou-
vertes en tuiles. Le dixième de la population est formé d'indigènes ; les
mulâtres et les noirs composent deux autres dixièmes ; le reste comprend
les blancs.
Des 6 ou 7 villes que l'on compte au Paraguay, la seule remarquable est
la capitale, appelée Assomption ( Assuncion ). Cette cité s'élève sur la rive
gauche du Paraguay. Elle est bâtie sans régularité, et sa population est
tout au plus de 12,000 âmes. Elle est la résidence d'un évêque et celle du
chef de l'Etat, mais elle ne renferme aucun édifice digne de quelque atten-
tion. Le palais du dictateur n'est qu'une grande maison construite par les
jésuites peu de temps avant leur expulsion. Tevego a été fondée au milieu
d'un désert, pour servir de lieu d'exil aux personnes qui déplaisaient au
dictateur. Villa-Rica, Ytapua, Villa Real-de Concepcion, Caruguaty, et
quelques autres villes, sont si peu importantes, que Villa-Rica, la plus con-
V.
61

482
LIVRE CENT VINGTIÈME.
sidérable, renferme à peine 4,000 habitants. Ytapua n'a pris rang parmi
les villes que depuis qu'une douane y a été établie.
Tel est ce que l'on connaît de plus intéressant sur ce pays, dont l'entrée
est encore fermée à tous les étrangers, sous peine d'être retenus prison-
niers par le président. Tout ce que l'on sait du gouvernement de celui-ci,
c'est que les Indiens ne peuvent parvenir à aucun emploi, si ce n'est dans
leurs peuplades-, que le chef de l'Etat perçoit les impôts, recrute l'armée,
rend la justice, et qu'il a cependant eu la sagesse d'abolir la peine de mort.
Le plus grand châtiment réservé aux coupables est la prison perpétuelle.
Les Guaranis, dont le nom, suivant M. d'Orbigny, signifie guerre et
guerrier, étendent dans cette contrée, ainsi que sur les deux territoires péru-
viens, plusieurs de leurs nombreuses ramifications. Les Guayana, nom-
més aussi Guayaques, s'y distinguent par leur blancheur ; ils vivent à
l'ombre de forêts épaisses, et dès qu'on les en fait sortir, ils languissent et
meurent. Les Guaranis forment la nation la plus nombreuse de l'Amérique
méridionale, puisque leur nombre est évalué à 300,000, parmi lesquels
50,000 sont à l'état sauvage et le reste est chrétien. Ils habitent les terri-
toires de la république Argentine, de celle de Bolivia, du Paraguay et du
Brésil. Leur couleur est en général jaunâtre, un peu rouge et très claire.
Leur taille est peu élevée; elle dépasse rarement 1 mètre 65. Ils ont la tête
arrondie, le nez court et peu large, les yeux petits et expressifs relevés à
leur angle extérieur, le menton rond et très-court, les sourcils étroits et
arqués, la barbe et les cheveux noirs.
La propagation étonnante des chevaux et des bœufs européens soit
domestiques, soit devenus sauvages, est un grand trait commun de l'his-
toire naturelle de ces contrées. C'est M. d'Azara qui nous a fait connaître
dans tous ses détails l'histoire de ces animaux. C'est de 1530 à 1552 qu'on
a importé des chevaux et des bœufs d'Europe en grand nombre. Les che-
vaux, devenus sauvages, vont par troupes composées de plus de 10,000 ; '
presque tous sont bai-châtains ; ils diffèrent très-peu des domestiques ; on
les dompte facilement, et, comme les pâturages ne manquent pas, le pauvre
jardinier a son cheval. Il y a aussi beaucoup d'ânes sauvages qui pro-
viennent de la même source. Les bœufs abondent surtout dans le pays des
Chiquitos et dans les champs de Montevideo ; ces animaux sont, pour les
habitants, ce que les rennes et les chameaux sont pour les Lapons et les
Arabes; leur chair est la base de la nourriture; on exporte leurs peaux, et
cette exportation s'éleva à plus de 1 million de pièces en 1794 ; on fait avec
leurs cornes des vases, des cuillers, des peignes, des pots, des cruches ;

AMÉRIQUE.— PARAGUAY.
483
avec leurs cuirs, des cordes, des liens, des matelas, des cabanes ; la graisse
supplée l'huile, même pendant le carême ; de leur suif, on fait du savon, de
la chandelle; les os servent au lieu de bois à brûler dans beaucoup d'en-
droits où il manque, et on les fait flamber par le moyen du suif; les crânes
servent de chaises dans les estancias (ou maisons de campagne); on fait
avec du lait une quantité de ragoûts, de fromages. La couleur de ces pré-
cieux animaux est sombre et rougeâtre dans les parties supérieures, et noi-
râtre dans le reste. Le bétail de Montevideo est plus grand que celui de
Salamanque, qui est lui-même le plus grand de l'Espagne; cependant les
taureaux ne sont pas aussi légers ni aussi féroces que dans ce dernier pays.
Près du Coin-de-la-Lune, à environ 45 lieues vers le sud-ouest de la cité
de l'Assomption, il est né un taureau sans cornes, qui a propagé sa race.
Une autre race, qu'on nomme nata, a la tête d'un tiers plus courte et le front
garni d'un poil crépu. Il existe aussi quelques variétés de taureaux qu'on
appelle chiros, parce qu'ils ont les cornes droites, verticales, coniques et
très-grosses à la racine. Les bœufs sauvages s'apprivoisent facilement, et
ils pourraient, ainsi que les chevaux, devenir une source de richesse entre
les mains d'un peuple plus industrieux. L'avarice irréfléchie des chasseurs
en a dans ces derniers temps détruit un grand nombre. Depuis la latitude
méridionale de 27 degrés jusqu'aux îles Malouines, les bêtes à cornes et
autres animaux ne sentent pas le besoin de lécher les terres salines et
nitreuses appelées barrero’s, parce que les eaux et les pâturages contiennent
assez de sel. Mais, à partir de cette latitude vers l'équateur, le barrero's
devient d'une nécessité indispensable. M. d'Azara assure que les cantons
qui en manquent ne sauraient nourrir une seule tête de bétail. Le Paraguay
et une grande partie du Brésil sont dans ce cas.
TABLEAU statistique de la république Argentine
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION
en lieues.
absolue
en
1850.
par lieue carrée.
118,600
800,000 ι
67
1 Sans y comprendre les Indiens errants ou indépendants. Quelque
Nous croyons ce chiffre exagéré.

484
LI\\nE CENT VINGTIÈME.
POPULATION.
CHEFS-LIEUX.
Buenos-Ayres
210.000
BUENOS-AYRES †.
Entre-Rios. .
45.000
Raxada.
Corrientes. .
70,000
Corrientes.
Santa Fé.
.
20,00!)
Santa—Fé.
Cordova. . .
120, 00
cordova †.
Santiago. . .
70,000
Santiago de] Estero.
Tucuman.
.
55,000
San-Miguel de Tucuman †.
Salta.
. . .
55,000
Salta †.
Jujuy.
. . .
40,000
Jujuy.
Catamarca. .
45,000
Catamarca
Rioja
. . .
4,000
Rioja.
San-Juan.
.
35,000
San-Juan-de-la-Frontera.
Mendoza. . .
28,000
Mendoza.
San-Luis.
.
3 000
San-Luis-de-la-Punta.
800,000
POPULATION PAR RACES.
Report
6,120,142
Espagnols
·
160,000 Relations extérieures
1,690,573
Métis
240,000 Guerre
37,379,612
Indiens
375,000 Finances y compris la dette
Nègres
25,000
particulière exigible. . . .
26,146,677
Total
800,000
Total
71,337,004
ARMÉE DE LA PROVINCE DE BUENOS-AYRES
Budget des recettes :
en 1850.
piastres
Armée régulière
18,000 hommes Existant dans la trésorerie. . 12,871,201
Milice
20,000
»
Defévrier au 19 sept. 1848. . 17,556,666
Droit d’entrée et de sortie, etc. 37,755,747
FINANCES DE LA PROVINCE DE BUENOS-AYRES
Contribution directe
2,000,000
en 1850.
Timbre, patentes, etc., etc. .
1,500,000
Budget des dépenses :
piastres
piastres
Total
71,683,614
Salle des représentants. . . .
45,318
Gouvernement intérieur. . .
6,074,824 Excédent des recettes
346,610
A reporter. . . 6,120,142
TABLEAU statistique de la république de l'Uruguay.
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION
en lieues.
en 1850.
par lieue cariée.
15,000
200,000
13

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
485
DÉPARTEMENTS.
CHEFS—LIEUX.
Montevideo
MONTEVIDEO.
Maldonado
Maldonado.
Canelones
Canelones.
Colonia
Colonia.
San José
San—José.
Soriano
Santo-Domingo-Sori
Paysandu
Paysandu.
Armée régulière : 5,000 hommes.
Revenus en francs : 4,000,000?
TABLEAU statistique du Paraguay.
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION
en lieues.
absolue.
par lieue, carrée.
10.000
800,000 ».
70
1 Nous croyons ce chiffre fort exagéré
VILLES.
ASSUMPGION, Villa-Real-de-Concepcion, Tevego, Yquamandin ou Villa-de-San-
Pedro, Neembucu ou Villa-des-Pilar, Villa-Rica, Caruguaty
Dans le territoire des Missions se trouve Ytapua.
ARMEE.
Troupes réglées.
] 25, 000 hommes.
Milice
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Description de l'empire du Brésil.
L'empire que les Portugais fondèrent en Amérique, dut en quelque
sorte son existence à une erreur de géographie. Lorsque les Portugais
eurent fait leur première descente au Brésil, la cour d'Espagne, qui regar-
dait avec raison Vincent Pinson et Améric Vespuce comme les véritables
auteurs de la découverte de ce pays, se plaignit vivement de cette invasion
d'un continent sur lequel elle prétendait avoir le droit de première décou-

486
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
verte. Le pape essaya d'abord de concilier les deux parties en traçant,
d'autorité, la fameuse ligne de démarcation à cent lieues à l'ouest des iles
du Cap-Vert, ligne qui ne peut atteindre la vraie position du Brésil, quel-
que échelle qu'on adopte pour l'évaluation des lieues, soit qu'on veuille y
voir des lieues castillanes de 26 au degré, soit qu'on en fasse des lieues
marines de 20, ou même des lieues portugaises de 17 au degré. Mais le
comosgraphe don Pedro Nunez et l'hydrographe Texeira portèrent, dans
leurs cartes, le Brésil trop à l'est, l'un de 22 degrés, l'autre de 12 à 13.
Moyennant cette erreur énorme, et peut-être un peu volontaire, les Portu-
gais faisaient entrer dans leur hémisphère une partie quelconque du Brésil.
Cependant, mécontents de la décision pontificale, les Portugais profitèrent
d'un moment favorable pour arracher à l'Espagne des concessions plus
étendues. Le traité de Tordesillas, signé le 7 juin 1594, traça la ligne de
démarcation définitive à 370 lieues à l'ouest de l'île la plus occidentale du
Cap-Vert, mais également sans fixer la valeur de la lieue, car les diplo-
mates ont été de tout temps fort habiles à tout embrouiller en géographie.
Si l'on entend des lieues castillanes, la ligne n'atteint pas le vrai méridien
de Bahia ; si l'on veut parler des lieues marines, elle arrive jusqu'à celui de
Rio-Janeiro ·, si enfin, et c'est la supposition la plus favorable, on adopte les
lieues portugaises, la ligne correspond à peu près au méridien de Saint-
Paul, mais n'atteint pas seulement d'un degré près celui de Para ou l'em-
bouchure de l'Amazone.
Ainsi, les Espagnols accusaient avec raison les Portugais d'avoir, en
temps de pleine paix, envahi l'immense territoire de l'Amazone et une
grande partie du Paraguay, au mépris des traités solennels. Enfin ces
acquisitions illégitimes furent confirmées au Portugal par le traité de 1778 ;
l'Espagne exigea la fixation d'une limite positive, et que désormais elle ne
laisserait plus impunément violer. Les Portugais n'ont pas respecté cette
limite-, ils se sont établis sur le territoire neutre du côté de Mérim ; ils ont
envahi sept villages des Guaranis, renfermant 12,200 habitants, entre les
rivières Uruguay et Iguacu ; ils ont passé à travers le territoire des Paya-
guas, et bâti les forts de Nouvelle-Coïmbre et d'Albuquerque, sur le terri-
toire des Chiquitos : voilà seulement quelques unes des plaintes que les
autorités locales adressaient au vice-roi de Buenos-Ayres, et que celui-ci
transmettait à la cour de Madrid à la fin du siècle dernier. Depuis, les
troubles de l'Amérique espagnole leur ont fourni une occasion favorable
de s'étendre.
La comparaison des cartes géographiques anciennes et modernes rend

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU DRÉSIL.
487
sensible celle constante invasion des Portugais. Sur les anciennes cartes,
le nom de Brésil n’a été donne qu'aux côtes maritimes, depuis Para jusqu'à
la grande rivière de San-Pedro. Les contrées situées sur la rivière des
Amazones, de Madeira, de Xingu, portaient le nom de pays des Amazones ;
elles sont à présent, pour la plus grande partie, comprises dans le gouver-
nement de Para. La dénomination de Paraguay, dans les cartes même de
la fin du siècle dernier, s'étend sur la plus grande.partie du gouvernement
de Mato-Grosso, sur la partie occidentale de celui de Saint-Paul.
Le Brésil est resté jusqu'au commencement de ce siècle une simple pos-
session coloniale portugaise. En 1808, Jean VI, roi de Portugal vint s'y
réfugier ·, et en 1813, par suite de la présence de la cour, il fut érigé en
royaume. En 1821 Jean VI retourna à Lisbonne, laissant Don Pedro, son
jeune fils, pour vice-roi de Brésil. Celui-ci cédant au mouvement libéral
qui tendait à détacher le Brésil du Portugal, promulgua en 1822 une con-
stitution et prit le titre d'Empereur. C'est à cette époque que l'on changea
les divisions administratives de l'ancienne colonie portugaise. L’Empire
du Brésil reçut le complément de sa constitution en 1835, il fut partagé
en 18 provinces subdivisées en camarcas , en paroisses et en districts.
Sa superficie peut être évaluée à 401,601 lieues géographiques carrées
et sa population totale ne, doit pas dépasser 7 à 8 millions d'habitants. Cette
vaste contrée renferme probablement, à peu de chose près, les deux cin-
quièmes de la surface de l'Amérique méridionale, ou plus de dix fois l'éten-
due de la France. Mais la population, qui n'est un peu concentrée que sur
les côtes et dans les districts des mines, s'élève tout au plus à huit millions,
dont un quart à peine est du sang européen.
Pour tracer un tableau général du sol du Brésil, de la direction et de
la structure des montagnes, les données existantes ne sont ni assez éten-
dues ni assez authentiques. Le principal noyau des montagnes paraît
devoir se trouver au nord de Rio-Janeiro, vers les sources de la rivière de
San-Francisco. En partant de ce point, une chaîne s'étend parallèlement
à la côte du nord, sous les noms de Cerro-das-Esmeraldas, Cerro-do-
Frio et autres ; une seconde chaîne, ou plutôt la même, suit une direction
semblable au sud, et prend entre autres noms celui de Parapanema ; elle
ne se termine qu'à l'embouchure du fleuve Parana ou de la Plata. Très-
escarpée et très-pittoresque du côté de l'Océan, elle ne paraît nulle part
atteindre à une élévation de plus de 2,000 mètres. Elle se pera, vers l'inté-
rieur, dans un grand plateau que les Portugais nomment Campos-Geraës.
Cette partie maritime du Brésil est toute granitique, car c'est elle que Mawe

488
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
a observée. Le sol du Brésil, nous dit ce voyageur1, est généralement
formé d'argile, souvent recouverte d'excellent terreau. Il repose sur une
base de granit composé d'amphibole, de felspath, de quartz et de mica.
La côte septentrionale, entre Maranhao et Olinda, renferme encore une
chaîne particulière, appelée la chaîne d’Itiapaba ; c'est une des plus con-
sidérables du Brésil ; elle paraît granitique. On nous a montré des cris-
taux de quartz achetés à Olinda et tirés de ces montagnes. Les bords de
l'Amazone ne présentent de tous côtés qu'une immense plaine, où l'on
trouve des fragments de granit.
La chaîne de Marcello lie les Cordillères maritimes à celles de l'inté-
rieur. Le noyau de ces dernières semble occuper la région où le Parana,
le Tocantin et l'Uruguay prennent leur origine. La Serra-Marta paraît
en former la partie la plus élevée, quoiqu'une autre branche, longeant
l'Uruguay, ait pris le nom de Grande-Cordillère, non pompeux que la
présence des végétaux de la zone chaude nous autorise à réduire à sa
juste valeur.
Dans le centre même de l'Amérique méridionale s'étend le plateau des
Parexis, formé d'une longue suite de collines de sable et de terre légère,
qui se présentent dans le lointain comme une grosse houle dela mer agitée.
Il projette à l'ouest les collines escarpées du même nom, qui, après avoir
couru 200 lieues versle nord-nord-ouest, se terminent à 15 ou 20 lieues de
la rivière du Guaporé. Une autre chaîne de montagnes , qui en part vers le
sud, prolonge la rive orientale du Paraguay. De ce plateau aride descen-
dent, dans diverses directions, le Madeira, le Topayos, le Xingu (Chingou),
affluents de l'Amazone, et le Paraguay avec le Jaura, le Sypotuba et le
Cuyaba, ses affluents supérieurs. La plupart de ces affluentssont aurifères,
et la source même du Paraguay baigne un gîte de diamants. On peut
en inférer que le plateau central est formé de granit, ou plutôt de sidéro-
criste. Un lac situé sur le Xacurutina, qui chaque année produit une grande
quantité de sel, est un sujet continuel de guerre parmi les naturels du pays.
Près de Salina de Almeida, sur le Jaura, sont des puits salants qui, depuis
l'établissement de la colonie, ont constamment fourni du sel à Mato-
Grosso. Ils s'étendent l'espace de trois lieues vers le sud dans l'intérieur
des terres.
La chaîne de montagnes qui, depuis la source du Paraguay, longe sa
1 Mawe, Travels in Bresils, p. 149, p. 122, p. 89, p. 76. ( M. Eyriès en a donné une
bonne traduction. ) Voyez encore l'expédition dans l'Amérique du Sud, de M. Cas-
telnau ; 6 vol. in-8° et atlas. Arthus Bertrand, 1851.

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
489
rive orientale, se termine à 7. lieues au-dessous de l'embouchure du Jaura,
par le Morro-Excavado. A l'est de ce point, tout est marécage, jusqu'au
Mo Novo, torrent profond , mais embarrassé de plantes aquatiques, qui
se jette dans le Paraguay à 9 lieues plus bas. Par 17° 25'de latitude, les
rives occidentales du fleuve deviennent montueuses à la tète de Serra da
Insua. Au-dessus de l'embouchure du Porrudo, ces montagnes prennent
le nom de Serra das Pedras de Amolar, d'après le schiste novaculaire
qui en constitue la masse. Cette petite chaîne est terminée par celle des
Dourados, au-dessus de laquelle un canal conduit au lac de Mendiuri,
long de six lieues, et le plus grand de ceux qui bordent le Paraguay. Plus
bas, ce fleuve baigne les Serras d’Albuquerque, qui forment un carré de
dix lieues et contiennent beaucoup de pierres calcaires. Après l'espace de
six lieues commence la Serra do Rabicho, et le fleuve reprend sa direction
méridionale jusqu'à l'embouchure du Taquari, belle rivière fréquentée
tous les ans par des flottilles qui viennent de Saint-Paul pour aller à
Cuyaba. A l'endroit où le Mbotetey, maintenant appelé Mondego, s'écoule
dans le Paraguay, deux hautes collines isolées se font face sur les deux
rives de ce dernier fleuve. Le poste de Nouvelle-Coïmbre occupe l'extrémité
méridionale d'une hauteur qui borde le fleuve à l'ouest. A 11 lieues dans
le sud de Coïmbre est, du côté de l'ouest, l'embouchure de Bahia-Negro,
grande nappe d'eau ayant 5 lieues du nord au sud , et 6 lieues d'étendue;
elle reçoit toutes les eaux des vastes terrains submergés au sud et à l'ouest
des montagnes d'Albuquerque. A cette baie se terminent les possessions
portugaises actuelles sur les deux bords du fleuve. Depuis l'embouchure
du Jaura jusque par 21° 22', où de hautes montagnes s'étendent à l'ouest,
et plus encore à l'est, tout le pays est régulièrement inondé tous les ans, de
manière que dans un espace de 100 lieues en long sur 40 de large, les flots
débordés du fleuve ne présent plus qu'un immense lac, que les géographes
désignent sous le nom de Lac de Xarayes. Pendant cette inondation, les
montagnes et les terrains élevés paraissent à l'œil ravi comme autant d'îles
enchantées que divise un labyrinthe de canaux, de baies, d'anses et de bas-
sins , dont plusieurs subsistent môme lorsque les eaux ont baissé; c'est à
cette époque sans doute que les vents d'ouest deviennent malsains au Brésil.
Les côtes septentrionales du Brésil, depuis Maranhao jusqu'à Olinda,
sont bordées d'un récif sur lequel les vagues de l'Océan se brisent, et qui,
en plusieurs endroits, ressemble à une chaussée ou à une digue. Il consiste
sans doute en roc de corail. Les habitants d'Olinda et de Paraïba s'en
servent pour construire leurs maisons.
V.
62

490
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
Toutes les côtes voisines de l'embouchure de l'Amazone et du Tocantin
sont des terrains bas, marécageux ou vaseux, formés par les alluvions
réunies de la mer et des fleuves. Aucun récif n'arrête ici la violence des
îlots et des marées ; des bancs de sable, des îles basses et même à moitié
noyées, resserrent cependant les embouchures. Le concours de tant de
grands fleuves qui s'écoulent en sens contraire de la marche générale des
courants et des marées (de l'est à l'ouest), produit ici une espèce de marée
extraordinaire et qui a peu de pareilles au monde ; c'est le pororoca, dont
nous avons déjà essayé de tracer l'image.
II est remarquable que la côte, depuis Para jusqu'à Fernambouc, n'offre
aucune rivière de long cours; et cependant le Maranhao, le Rio-Grande
et le Paraïba ont de larges embouchures dans un terrain meuble. Dans la
saison pluvieuse, ce sont des torrents qui inondent toute la contrée ; dans
la saison sèche, ils ont à peine un filet d'eau, comme si le sol des monta-
gnes intérieures les absorbait; souvent même leurs lits, absolument dessé-
chés, servent de chemins aux Indiens.
Depuis le cap Frio jusqu'au 30e parallèle de latitude sud, la côte très-
élevée ne verse dans l'Océan aucune rivière tant soit peu considérable.
Toutes les eaux se dirigent vers l'intérieur et s'écoulent vers la Parana,
ou vers l'Uruguay, qui tous les deux ont leurs sources dans ces montagnes.
Le Rio-Grande de San-Pedro, c'est-à-dire la grande rivière de Saint-
Pierre, n'est pas d'un long cours, mais elle a une très-large embouchure
sur une côte basse et bordée de dunes.
La vaste étendue du Brésil indique assez que le climat et l'ordre des
saisons n'y peuvent pas être partout les mêmes. L'humidité continuelle qui
règne sur les bords marécageux de l'Amazone y rend les chaleurs moins
intenses. Les tempêtes sont aussi dangereuses sur ce fleuve qu'en pleine
mer. En remontant la Madeira, le Xingu, le Tocantin, le San-Francisco,
on trouve des plaines élevées ou des montagnes ; le climat y offre plus de
fraîcheur. La température des environs de Saint-Paul permet aux fruits de
l'Europe d'y venir ; les cerises surtout y abondent. Ce point paraît offrir le
meilleur climat de tout le pays. Un savant portugais dit que le vent d'ouest
est malsain dans les parties intérieures du Brésil, parce qu'il passe par-des-
sus de vastes forêts marécageuses. La côte maritime, depuis Para jusqu'à
Olinda, paraît jouir d'un climat analogue à celui de la Guyane, mais un peu
' moins humide. La saison pluvieuse, à Oiinda de Fernambouc, commence
en mars, quelquefois en février, et se termine en août. Les vents de sud-est
dominent non-seulement pendant toute la saison pluvieuse, mais même
*

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
491
un peu avant et un peu après. Le vent du nord règne avec quelques
interruptions pendant la saison sèche ; alors les collines n'offrent qu'un
sol brûlé, où toute la végétation est mourante, ou du moins languissante.
Les nuits, dans cette saison, sont très-froides. Tout le reste de l'année,
la chaleur extrême du climat y est tempérée par des vents de mer rafraî-
chissants, et la nature y est dans une activité continuelle. La brise d'est
s'élève tous les matins avec le soleil, et continue une partie de la nuit;
mais un peu avant le matin les effets de la rosée sont aussi incommodes
que dans les Antilles et la Guyane.
Les observations de Dorta, académicien de Lisbonne, à Rio-Janeiro,
depuis le commencement de 1781 jusqu'à la fin de la même année, et
pendant tout 1782, donnent, pour chaleur moyenne des huit mois de 1781
71.65, de Fahrenheit, et pour la moyenne de 1782, 73.89 1. La quantité
de la pluie fut, dans cette dernière année, de 1 mètre 136 millimètres. Le
mois d'octobre fut le plus pluvieux, celui de juillet le plus sec. L'évapora-
tion fut de 947 millimètres. Le mois de la plus grande evaporation fut
celui de février, celui de la moindre le mois d'octobre. II y eut dans cette
année-là 112 jours sereins, 133 avec des nuages, 120 pluvieux; le
tonnerre se fit entendre durant 77 jours, et il y eut des brouillards durant
48. Ces observations coïncident avec celles de dom Pernetti sur l'île
Sainte Catherine, où il eut beaucoup à se plaindre des brumes. « De ces
» bois, dit-il, où le soleil ne pénètre jamais, s'élèvent des vapeurs gros-
» sières qui forment des brumes éternelles sur le haut des montagnes dont
» l'île est environnée. Cet air malsain n'est qu'à peine corrigé par la
»
quantité de plantes aromatiques dont l'odeur suave se fait sentir à trois
» ou quatre lieues en mer lorsque le vent y porte. » Nos voyageurs
modernes, et entre autres M. Krusenstern, se louent de la température
agréable et salubre de cette même île. II faut donc admettre que les défri-
chements de l'intérieur ont amélioré le climat.
Les maladies dominantes au Brésil, du temps de Pison 2, paraissent
avoir été les mêmes que celles de la Guyane d'aujourd'hui ; mais la lèpre
et l’éléphantiasis y étaient alors inconnues.
»
Le tableau des productions du Brésil commence nécessairement par le
diamant. L'enveloppe ou le cascalhâo de ces pierres précieuses est une
terre ferrugineuse, mêlée de cailloux agglutinés. On les trouve générale-
ment à jour dans le lit des rivières et le long de leur bord. Les roches qui
1 22 et 23 dégrés du thermomètre centigrade.
2 Voyez la Médecine brésilienne de Pison (en Portugais ).

492
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
accompagnent les diamants et qui en indiquent la présence, sont le plus
souvent les minerais de fer éclatants et en forme de pois, des schistes
d'une texture fine approchant de la pierre lydienne, des diorites granitoïdes
compactes ou schisteuses, du fer oxydulé noir en grande quantité, des
fragments roulés de quartz bleu, du cristal jaune et d'autres matières
entièrement différentes de tout ce que l'on connaît des parties constitutives
des montagnes adjacentes. Les diamants ne sont pas même exclusivement
propres aux lits des rivières ou aux ravins profonds; on en a trouvé dans
des excavations et dans.des courants d'eau sur les sommités des plus
hautes montagnes.
On a prétendu que les diamants du Brésil avaient moins de dureté que
ceux des Indes orientales ; on a cru encore que le diamant d'Orient affec-
tait plus particulièrement la forme de l'octaèdre, et celui du Brésil la forme
du dodécaèdre. Le célèbre Haiiy ne regardait pas ces différences comme
prouvées. C'est cependant l'opinion générale des lapidaires que les dia-
mants du Brésil ont l'eau moins belle.
Les diamants se rencontrent au Brésil dans les trois provinces de Minas-
Geraës, de Matto-Grosso et de Bahia. Les mines de Minas-Geraës sont les
plus anciennement exploitées, elles ont été découvertes en 1727 dans le
district de Cerro-do-Frio par Bernardino-Tonseca-Lobo.
Le Cerro-do-Frio est un assemblage de montagnes âpres, courant au
nord et au sud, qui passent pour les plus hautes du Brésil. Le territoire
des diamants proprement dit s'étend environ 16 lieues du sud au nord,
et 8 de l'est à l'ouest. Il fut premièrement exploré par quelques mineurs
entreprenants de Villa-do-Principe, qui, uniquement occupés de l'or,»
dédaignèrent longtemps les diamants comme des cristaux sans valeur.
Enfin on en présenta un choix au gouverneur de Villa-do-Principe, qui,
ne les connaissant pas davantage, s'en servit comme jetons au jeu. Apportés
par hasard à Lisbonne, on en remit à l'ambassadeur de Hollande afin qu'il
les fit examiner dans son pays, qui était alors le principal marché de
pierres précieuses. Les lapidaires d'Amsterdam les reconnurent pour de
beaux diamants. L'ambassadeur, en informant le gouvernement portugais
de la découverte, conclut en même temps un traité pour le commerce de
ces pierres, et Cerro-do-Frio devint un district à part. L'énorme quantité
de diamants exportés dans les vingt premières années, et qu'on dit avoir
excédé 1,000 onces, en diminua promptement le prix en Europe, et on
les envoya par la suite dans l'Inde, où ils avaient plus de valeur, et qui
auparavant les avait fournis exclusivement. Du reste, le Cerro-do-Frio se

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
493
présente sous un aspect particulier. Déjà, autour de Villa do-Principe, la
contrée est découverte et débarrassée de ces forets impénétrables qui occu-
pent généralement les autres parties de la province. En avançant vers
Tejuco, l'herbe même disparaît quelquefois, et l'on ne voit presque plus
que du gros sable et des cailloux de quartz arrondi. Partout la monotone
aridité d'un plateau granitique semble dire au voyageur attristé : « Vous
êtes dans le district des diamants ! »
Ce fut en 1772 que la couronne de Portugal commença à faire travailler
les mines pour son propre compte, cette exploitation dura jusqu'en 1834,
époque où le gouvernement abandonna ce monopole, dont les dépenses
trop élevées finirent par dépasser la production. L'exploitation a depuis
continué, mais pour le compte des particuliers. M. F. de Castelnau estime
à 300,700,000 francs la valeur brute des diamants extraits de la province
de Minas-Geraës de 1727 à 1849.
Les mines de diamants de la province de Matto-Grosso paraissent avoir
été connues depuis longtemps (1746), mais sous l'administration portu-
gaise, leur éloignement et les entraves du monopole durent en gêner
{'exploitation. Depuis que le Brésil est séparé de la métropole, et que !e
commerce des diamants est libre, cette exploitation a été reprise, et elle
occupait, /ors du voyage de M. F. de Castelnau, 2,000 personnes. Les
gisements de diamants du Matto-Grosso sont les mêmes que ceux du
Minas-Geraës. La ville de Diamantino, sur une rivière du même nom, est
l'entrepôt des mines du voisinage. On peut évaluer à 56,000,000 de francs
la valeur brute des diamants extraits des environs de Diamantino et de la
province de Matto-Grosso, depuis la découverte des mines par les Paulistes
jusqu'en 1849.
Les riches mines de la province de Bahia, connues sous le nom de la
Chapada, ont été découvertes vers le commencement d'octobre 1844, par
un esclave, berger de profession, dans un district qui offre les mêmes
caractères géognostiques que ceux que nous avons décrits pour Je Cerro-
do-Frio. L'année qui suivit la découverte, 25,000 personnes, provenant
surtout de la province de Minas-Geraës, se trouvaient réunies en ce lieu,
mais aujourd'hui il n'y en a plus guère que 5 à 6,000 dont 2,000 esclaves.
La Villa-Isabel est le centre du commerce des diamants, et l'on peut
évaluer à 38,750,000 francs la valeur des diamants extraits jusqu'en 1850
de la Chapada. Le résultat immédiat de ces dernières découvertes a été de
faire baisser très-sensiblement le prix brut au Brésil. Ce qui a jusqu'à
présent préservé en Europe ce commerce d'une baisse sensible, c'est

494
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
qu'une quantité proportionnellement fort peu considérable subit aujour-
d'hui l'opération de la taille; mais nul doute que, si les mines de la Cha-
pada continuent à fournir 1,450 carats par jour, ainsi que l'a évalué
M. Raybaud, consul à Bahia, les diamants à la fin de ce siècle ne valent
en Europe que 20 pour 100 de ce qu'ils étaient estimés en 1800.
Il y a encore des mines de diamants, ou pour mieux dire des lavages,
dans la rivière Tibigi, qui arrose la plaine de Corritiva, dans les plaines
de Cuyaba, et même dans beaucoup d'autres endroits du Brésil.
Le volume des diamants varie infiniment; il y en a de si petits, qu'il en
faut 4 ou 5 pour faire le poids d'un grain, par conséquent 16 ou 20 pour
un carat. Rarement on en trouve dans le courant d'une année plus de 2 ou
3 de 17 à 20 carats, et il peut se passer 2 ans sans qu'on en rencontre un
de 30 carats.
Les topazes du Brésil paraissent être de plusieurs variétés ·, peut-être
a-t-on confondu sous ce nom des pierres de diverses espèces, entre autres
la cymophane. La couleur ordinaire est le jaune. Dans les ruisseaux de
Minas Novas, au nord-est de Tejuco, on trouve des topazes blanches, bleues,
et des aigues-marines. Parmi les topazes bleues, on rencontre quelquefois
une variété particulière, ayant l'un de ses côtés bleu, l'autre clair et lim-
pide. Les topazes de Capor n'ont jamais qu'une seule pyramide, même lors-
qu'on les trouve implantées dans des cristaux de quartz, qui paraissent éga-
lement fracturés et changés de place.
La plupart des pierres que l'on débite sous le nom de rubis du Brésil ne
sont autre chose que des topazes du même pays, que l'on a exposées au feu
pour remplacer, par une teinte plus agréable, le jaune roussâtre, qui était
leur couleur naturelle.
Le chrysobéril, ou la cymophane, qui prend sous la main des lapidaires
l'éclat le plus brillant, et qui se vend tantôt sous le nom de chrysolithe et
souvent sous celui de topaze orientale, n'a quelque prix en Europe que
lorsque ses reflets sont vifs et chatoyants.
L'or se rencontre au Brésil dans les mêmes provinces que le diamant.
Les célèbres mines, qui ont valu à la province de Minas-Geraës le nom
qu'elle porte, furent découvertes en 1699. Elles furent d'abord très-abon-
dantes et exploitées par 80,000 personnes. La ville d’Ourou-Preto était
l'entrepôt général. On peut évaluer à 5,923,394,500 fr. le produit total des
mines d'or de la province de Minas-Geraës depuis leur découverte jusqu'en
1849. Il faut ajouter à ce chiffre celui de la production des riches provinces
de Matto-Grosso, de Goyaz et de Bahia, ce qui porterait à six milliards et

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRESIL.
495
demi la valeur de l'or extrait jusqu'à ce jour au Brésil. Si l'on veut remar-
quer que son titre ne doit pas être évalué à plus de 0,875, On aurait pour
valeur réelle de l'exploitation de l'or au Brésil 5,687,500,000 fr. On peut
évaluer maintenant la production moyenne annuelle à 7,500,000 fr.; c'est
la province de Bahia qui en exporte le plus.
Le sol des régions aurifères, dans lesquelles on obtient ce métal par le
lavage, est rouge, ferrugineux, profond; il repose sur du granit, inclinant
vers le gneiss, mêlé d'amphibole et de mica. L'or se trouve, la plupart du
temps, immédiatement au dessus du roc, dans un lit de cailloux et de gra-
vier, appelé cascalhâo. Les trous dont on l'a tiré pour le lavage ont 15 à
25mètres de large, et 6 à 7 de profondeur; souvent le métal touche déjà
aux racines de l'herbe. L'or varie beaucoup par le volume de ses grains;
quelquefois ses parcelles sont si minces, qu'elles nagent dans l'eau agitée.
Les principales exploitations de l'or en filons du Minas-Geraës sont celles
de Gongo-Soco et de Catla-Branca, à dix journées de route de Bio-
Janeiro, Elles ont été concédées à des compagnies anglaises. Au com-
mencement de 1829, on découvrit dans la première une veine tellement
riche qu'en 10 jours elle produisit 344 marcs.
L'or n'est pas le seul métal que possède le Brésil ; le fer y abonde, mais
l'exploitation en est défendue. M. Link vit à Lisbonne, dans le cabine
d'Ajuda, un morceau de mine de cuivre vierge qu'on y conserve, et qu'on
a trouvé dans un vallon, à 2 lieues portugaises de Caxoeira et à 14 de
Bahia. Il est d'une grandeur et d'un poids extraordinaires. Il pèse
2,616 livres ; il a, dans sa plus grande largeur, 64 centimètres, et dans sa
plus grande épaisseur 27 centimètres; sa surface est raboteuse, couverte
ça et là de malachite etde fer oxydé.
A l'instar de l'Afrique centrale, ce royaume de l'or et des diamants manque
de sel, et la cherté de cette substance nécessaire empêche les habitants de
saler les viandes d'une quantité innombrable de bœufs et d'autres animaux
que l'on tue pour en avoir la peau, et qui deviennent la proie des bêtes
féroces. Le sel nécessaire à la salaison coûterait trois fois autant que la
viande. Ce n'est pas que la nature ne produise au Brésil beaucoup de sel
marin ; à Bahia, près du cap Frio et près du cap de Saint-Roch, il y en a tant»
qu'on pourrait en charger des vaisseaux; mais le commerce du sel est
défendu aux particuliers, et affermé pour 48 millions de reis. On sent
cruellement la cherté du sel dans le pays des mines, où l'on est obligé d'en
donner aux animaux, qui sans cela refuseraient souvent de manger. Les
champs produisent à la vérité de l'herbe en abondance, mais elle ne con-

496
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
tient pas assez de parlies salines pour les troupeaux. S'il se trouve, dans
l'intérieur de ce pays, quelques endroits dont le terrain soit imprégné de
sel, l'instinct y conduit des troupeaux immenses d'animaux et d'oiseaux
qui viennent s'y repaître.
Le règne végétal du Brésil n'est, comme le règne minéral, connu qu'en
partie. On savait, par les ouvrages de Pison et de Maregrav, que la flore
du Brésil septentrional ressemble beaucoup à celle de la Guyane; mais
celte ressemblance paraît même, d'après les observations de quelques
savants voyageurs, s'étendre jusqu'à la partie méridionale. On y retrouve
la plupart des planles décrites par Aublet ; les composées, les euphorbia-
cées, les légumineuses, les rubiacées, paraissent les familles les plus nom-
breuses ; il y a plus de cypéracées que de graminées ; le nombre des aroïdes
et des fougères paraît considérable.Les plantes de Rio-Janeiro sont presque
toutes dépourvues d'odeur et d'arôme, mais les plantes amères y abondent.
On y a découvert des salicornes très-riches en soude. Le même observateur
nous apprend que sur trente plantes recueillies dans le Benguala et l'An,
gola en Afrique, une seule s'est trouvée ne pascroître aux environs de Rio-
Janeiro; fait curieux, qui, s'il est reconnu général au Brésil, peut concourir
à rendre vraisemblable la transmigration de quelques peuplades africaines.
Les côtes maritimes sont couvertes de palétuviers rouges. A peu de dis-
tance commencent les nombreuses espèces de palmiers, parmi lesquelles
on distingue le cocotier brésilien {cocos butiracea), plus gros et plus élevé
que celui des Indes. On tire de ses fruits un excellent beurre; mais cette
opération ne peut se faire avec succès qu'autant que la chaleur de l'air est
moindre de 25 degrés centigrades ; si elle monte à 28 degrés, le beurre
devient une huile très-liquide. Les crotons forment presque tous les taillis
qui couvrent les pittoresques montagnes dont la rade de Rio-Janeiro est
environnée. Le myrte brésilien brille par son écorce argentée. Le bignonia
leucoxylon, nommé dans le pays guirapariba, fleurit plusieurs fois dans
l'année, et sa floraison annonce ordinairement les pluies ; cet arbre, tout
couvert de belles fleurs jaunes, ne formant alors qu'un seul bouquet, éclate
aux yeux à une très-grande distance. L’icica heptaphylla, la copayfera offi-
cinalis, et plusieurs autres, donnent des résines précieuses. Mais les fruits
des arbres indigènes, tels que les jacas (arlocarpus inlegrifolia), les jabo-
ticaba, les gormichama, quoique mangés par les habitants de Rio-Janeiro,
ont un goût désagréable, un peu amer et résineux. Tous ces arbres appar-
tiennent à la famille des myrtées. Le couroupite, ou l'arbre à boulets de
canon, de la Guyane, est connu au Brésil sous le nom de pékia ; son fruit,

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
497
gros et dur, renfermant une énorme noix, ressemble réellement, pour la
forme et la grandeur, à un boulet de 36, et il est dangereux de s'exposer à
en recevoir une contusion au moment où il tombe à terre. Lorsque ce même
arbre en fleurs est revêtu de ses énormes calices et pétales embellies des
couleurs les plus vives et les plus variées, il présente une grande pyramide
fleurie de l'aspect le plus magnifique.
Les forêts du Brésil sont embarrassées par des broussailles et des arbris-
seaux, entre autres une espèce d'aloès épineux : elles sont en quelque sorte
étouffées par des arbustes sarmenteux, et des lianes qui montent jusqu'au
sommet des arbres les plus élevés. Quelques-unes de ces lianes, comme la
passiflora-laurifolia, étalent de superbes fleurs.
La taille imposante des arbres, l'abondance de leur feuillage, la quantité
innombrable de fleurs dont ils sont chargés, les couleurs brillantes et
variées de celles-ci, les plantes grimpantes parmi lesquelles on cite les bigno-
nies, les banistéries et les aristoloches, qui s'attachent aux troncs et aux
branches des grands végétaux ligneux-, les formes singulières des plantes
parasites, donnent à la végétation du Brésil un caractère particulier. C'est
dans cette contrée que l'on trouve ces forêts vierges et presque impéné-
trables qui prospèrent sous l'influence d'une chaleur intense, de pluies jour-
nalières et de grandes inondations.
Aucun pays ne renferme des bois aussi précieux pour la construction
que le Brésil. Les ingénieurs de ce pays connaissent la qualité supérieure
du tapinhoam, de la peroba, du pin du Brésil, du cerisier, du cèdre, du
cannellier sauvage, de la guerrama, de la jequetiba, etc, : quelques-unes
de ces espèces de bois résistent mieux à l'influence de l'eau , d'autres à
celle de l'air. L'olivier et le pin du Brésil sont particulièrement propres
à la mâture. Quelques-uns de ces beaux arbres parviennent à la hauteur
extraordinaire de 150 palmes ; mais ils sont exposés à mille dangers :
leurs racines, peu profondes, s'étendent au loin sur la surface de la terre;
chaque coup de vent qui ébranle leurs fortes branches les abat, et pour
comble de malheur, ceux qui tombent en entraînent bien d'autres dans leur
chute.
La Condamine parle des canots dont se servaient les carmes envoyés
par les Portugais, comme missionnaires, sur la rivière des Amazones. Il
monta un ce ces canots fait d'un seul arbre, et qui avait 90 palmes de lon-
gueur, 10 et demie de largeur et autant de hauteur. Rocca Pitta, dans son
Histoire de l'Amérique portugaise, parle de ces sortes de canots construits
d'un seul tronc, dont le diamètre était de 16 à 20 palmes, qui avaient de
y,
G3

498
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
chaque côté 20 ou 24 rameurs, et qui étaient chargés de 5 à 600 tonneaux
de sucre, dont chacun était de 40 arobes 1.
Les racines de plusieurs de ces arbres entourent les troncs à la hauteur
de 8 à 10 palmes au dessus de la surface de la terre, où elles diminuent
de manière à former, pour ainsi dire, autant de rectangles avec le tronc
qu'elles sont en nombre. Il n'existe pas de bois plus propre à faire des
courbes que celui de ces racines, surtout celles de la succupira, de l’ipe, de
la peroba ou de la sapocaja.
Les bois de mâture et de menuiserie sont en quantité exportés pour l'Eu-
rope. La marine royale de Portugal est construite en bois brésilien. Bahia
et quelques autres ports du Brésil font de la construction des bâtiments une
branche de leur commerce. Non-seulement le Portugal en tire presque tous
ses vaisseaux marchands, mais on en vend même aux Anglais, qui en font
grand cas. Les constructions navales coûtent ici la moitié moins qu'en
Angleterre.
Les bois de teinture du Brésil sont très-connus, celui surtout qui porte
le nom du pays même, chez quelques nations européennes, et chez d'autres
celui de bois de Fernambouc. Cet arbre est de la hauteur de nos chênes :
il est chargé de branches, mais, en général, d'une vilaine apparence; les
fleurs, très-semblables pour la forme à celles du muguet, sont d'un très-
beau rouge : la feuille ressemble à celle du buis ; l'écorce de l'arbre est
d'une épaisseur considérable. Il croît dans les rochers et les terrains
arides.
Le manioc est au Bresil, comme dans toute l'Amérique, la principale
ressource pour la nourriture de l'homme. Les ignames, le riz, le maïs, et
depuis 1770 le froment, sont cultivés avec soin. La pistache de terre ou
la glycine souterraine que l'on nomme dans le pays mundubi, paraît indigène:
on en tire surtout une huile excellente. Les melons, les citrouilles, les
bananes, abondent dans toutes les parties basses. Les citronniers, les pampel-
mouses, les orangers, les goyaviers, sont communs sur la côte. Les figuiers
de Surinam viennent surtout parmi les ronces dans les champs abandon-
nés. L'arbre mangaba, appelé aussi mamai, ne croît que dans les environs
de Bahia : on tire de ses fruits une espèce de vin. Les pommes de pin
abondent surtout sur les côtes de la province de Saint-Vincent et dans l'inté-
rieur, vers les frontières du Paraguay. L'ibipitanga donne un fruit qui res-
semble aux cerises. La province de Bio-Grande produit tous les fruits
européens d'une bonne qualité, et en abondance. On nous assure que les
i La palme portugaise vaut 0 mèt. 21, et l'arobe vaut i i kilog, 50.

AMÉRIQUE. —DESCRIPTION DU BRÉSIL.
499
légumes de l'Europe ont dégénéré aux environs de Rio-Janeiro, à l'excep-
tion des haricots, qui y ont produit un grand nombre de variétés.
La culture du sucre, du café, du coton et de l'indigo a pris des accrois-
sements considérables. Le fameux tabac du Brésil n'est cultivé que dans
le district de Caxoeira, à 1 δ lieues de Bahia ; mais ce district est très-vaste :
cette culture est très-lucrative, bien qu'elle ne soit pas comparable à celle
du coton. Le cacaoyer forme des forêts immenses dans la province de Para,
le long de la Madeira, du Xingu et du Tocantin. Dans ces mêmes forêts,
le vanillier, au moyen de ses vrilles, s'attache, comme le lierre, au tronc
des arbres.
Le Brésil nourrit plusieurs espèces de poivre, entre autres le capsicum
frutescens, L., le cannellier sauvage et la cassie brésilienne. Le caopia
des Brésiliens est l’Hypericum guyanense, qui donne, par incision, une résine
semblable à la gomme-gutte. Parmi les plantes médicinales, on distingue
le caaccica ou herbe à serpent (Euphorbia capitala. L.) ; l'arapabaca, le
salutaire ipécacuanha, le jalap, le gaïac, et l'espèce d’amyris qui produit
la gomme élémi. Le conami sert aux pêcheurs à engourdir les poissons.
La plupart des animaux du Pérou, de la Guyane et du Paragay se retrou-
vent aussi au Brésil ; tels sont les jaguars, les couguars, les tapirs, les
pecaris et les coatis. Mais ce pays offre aussi des particularités. Les bœufs et
les chevaux ne prospèrent pas dans la plus grande partie du Brésil, ils
restent généralement faibles. La peau des bœufs sauvages est employée à
faire des bateaux. Les animaux particuliers au Brésil appartiennent pour la
plupart au genre des singes et à des genres qui en sont rapprochés, tel est
le marikina, qui est un tamarin. Le titi ou ouistiti (simia jacchus de Linné),
est particulier au Brésil, on en a distingué huit espèces. Les autres singes
sont le sajou (cebus apella), et le pinche (midas œdipus), espèce de tamarin
plus petit encore que le ouistiti. L'Européen est dégoûté à la vue des
chauves-souris qui sont très grandes et très-nombreuses; on distingue
le vampire et la chauve-souris musaraigne (vespertilio soricinus). Deux
espèces de paresseux l’ aï et Vunau se traînent sur les arbres.
On trouve aussi au Brésil des fourmiliers et des tatous, comme dans les
autres parties de l'Amérique. Le tatoupeba ou le bâton noir, et le tatouay,
sont très-communs au Brésil. La marmose, didelphis murina, les cavia
paca et aperea ou cabiai, appelés vulgairement cochons d'Inde, sont par-
ticuliers au Brésil et à la Guyane, ainsi que le sciurus œstuans, qui porte
le nom distinctif de guerlinguet ou d'écureuil du Brésil. Le tapeti, ou le
lièvre brésilien, n'a point de queue.

500
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
. Les oiseaux du Brésil sont peut-être ceux qui se distinguent le plus par
l'éclat des couleurs dont la nature a revêtu leur plumage. Le toucan (anser
americanus) est poursuivi à cause de ses belles plumes, qui sont en partie
couleur de citron, en partie rouge incarnat, et en partie noires par bandes
transversales d'une aile à l'autre. Un des plus jolis oiseaux du Brésil est
celui qu'on nomme dans le pays guranthè engera. C'est, comme le nom
brésilien l'indique, une fleur ailée. Toutes les variétés de colibris fourmil-
lent ici ; les bois sont peuplées de plus de dix espèces d'abeilles , les unes
logées dans la terre, les autres dans les arbres, la plupart ennemies de la
vie sociale, mais dont plusieurs composent du miel aromatique.
Le Brésil est divisé en 18 provinces et en 24 comarcas, subdivisées en
mimicipios. Il existe encore une autre division judiciaire des provinces en
julgados (arrondissement judiciaire) et freguezias (paroisse).
Il y a un archevêque primat du Brésil à Bahia, et six évêques, dont les
résidences sont : Belem, dans le Para; Maranhao, Olinda, dans lePernam-
buco; Rio-Janeiro, dans la province de San-Paulo, et Mariana, dans
Minas Geraës. Il y a, outre cela, deux diocèses sans chapitres, que l'on
nomme Prelacias, administrés par les évêques in partibus, qui sont
Goyazes et Cuyaba. Les curés ne sont pas en nombre suffisant, mais une
foule de succursales sont entretenues par des particuliers.
Pour ce qui regarde la justice, il a deux cours souveraines ( Relaçoès ),
l'une à Bahia, l'autre à Rio-Janeiro. Para, Maranhao, Pernambuco,
Goyazes, Bahia, sont du ressort de la première: Rio-Janeiro, Minas-
Geraes, Mato-Grosso, San-Paulo, du ressort de la seconde. Les gouver-
neurs de Bahia et de Rio-Janeiro en sont présidents-nés.
Nous commençons notre topographie par la province de Rio-Janeiro,
qui tire son nom du magnifique port de sa capitale. Elle a 60 lieues de
longueur de l’est à l'ouest, et 23 lieues dans sa moyenne largeur. Les mon-
tagnes appelées Serra-dos-Orgaos la divisent en deux parties, l'une sep-
tentrionale et l'autre méridionale : la première est appelée Serra-Accina
(au delà de la montagne); la seconde Beira Mar (côte la mer). Elle
renferme 2 cités et 12 villes; mais, à l'exception de la métropole, elles sont
peu importantes.
La forteresse, bâtie sur une langue de terre, s'appelle Saint-Sébastien,
nom que plusieurs auteurs rendent commun à toute la ville de Rio-Janeiro.
Les collines et les rochers sont, à une grande distance, couverts de mai-
sons, de couvents et d'églises. Le port, vaste et excellent, est défendu par
le château de Santa-Cruz, bâti sur un rocher de granit. L'entrée du golfe



AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU DRÉSIL.
501
qui forme le port est resserrée par plusieurs îles et rochers granitiques
d'un aspect très-pittoresque. Quelques magasins et chantiers sont aussi
établis sur des îles. Peu'de sites dans le monde égalent la beauté de ce vaste
bassin, dont les eaux tranquilles reflètent de toutes parts un mélange de
rochers élancés, de forêts épaisses, de maisons et de temples. Parmi les
édifices, on distingue le ci-devant collége des jésuites. Il y a des manufac-
tures de sucre, de rhum et de cochenille. Les habitants sont aujourd'hui au
nombre d'environ 150,000. Les vivres, quoique abondants, sont chers. La
position basse de la ville et la malpropreté des rues, où souvent on laissait
s'arrêter les eaux stagnantes, y rendaient le séjour malsain dans quelques
saisons, et les vaisseaux négriers y introduisaient scuvent des maladies
contagieuses ; une meilleure police a remédié à tous ces inconvénients.
Celle capitale est quelquefois simplement appelée Rio. Elle se divise en
deux quartiers, l'ancienne et la nouvelle ville. Celle-ci, qui a été construite
depuis 1808, est bâtie à l'ouest de la première, dont elle est séparée par.
une place immense, appelée le Campo-de Santa-Anna, que décore une
belle fontaine. Une autre, moins grande, mais plus belle, parce qu'elle est
terminée, est celle que décore le palais impérial, le plus vaste édifice de Rio.
L'eau est conduite dans la ville par un aqueduc, appelé la Carioca, le plus
magnifique du Nouveau-Monde, et qui est construit sur le modèle de celui
de Lisbonne. Les plus beaux édifices sont, sans contredit, les églises. On
cite celles de Nossa-Senora-da-Candelaria, de San Francisco et de
Santa-Patda, et la cathédrale. Cette dernière, sous l'invocation de saint
Sébastien, est. située sur une hauteur au sud de la ville. Elle est peu élevée,
construite en granit, d'une architecture simple et solide, d'une forme
oblongue, avec deux petites tours et sans fenêtres. Son intérieur est blanchi
à la chaux, et sans aucun ornement. Rio possède tous les établissements
de bienfaisance et d instruction que l'on voit dans les principales capitales
de l'Europe-, sa bibliothèque publique, que le roi Jean VI apporta de Por-
tugal, se compose de 90,000 volumes. Son jardin botanique, entretenu
avec le plus grand soin, est un des plus importants que l'on puisse citer ;
on y a naturalisé un grand nombre de plantes exotiques dont la culture,
répandue dans le Brésil, deviendra un jour une source de richesse pour le
pays.
La douceur des mœurs, la galanterie des femmes, la magnificence des
processions, tout fait de Rio-Janeiro une ville de l'Europe méridionale ; c'est
le principal marché de l'empire, et très-commodément placé pour les rela-
tions commerciales avec l'Europe, l'Afrique, les Indes orientales, la Chine

502
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
et les îles du Grand-Océan. Sous une bonne administration , il pourra
facilement devenir l'entrepôt général des productions de toutes les parties
du globe. L'exportation consiste en coton, sucre, rhum, BOIS de construc-
tion et de marqueterie ; peaux, suif, indigo et grosses cotonnades; or, dia-
mants, topazes, améthystes et autres pierres précieuses.
Dans les environs de Rio-dc-Janeiro se trouvent plusieurs lieux qui
méritent d'être cités : tels sont Boavista et Santa-Cruz, maisons de plai-
sance de l'empereur; Macom, importante par ses plantations; Cabo-Frio,
par ses pêcheries, et Marica, par sa belle église.
Sur la rive méridionale du Paraïba, qui arrose une plaine fertile, s'élève,
à 8 lieues de la mer, Villa-de-San-Salvador-dos-Campos dos-Goaylacases,
qui mérite le titre de ciudad. On y compte 5 à 6,000 habitants. On la
nomme ordinairement Campos par abréviation. Elle est assez bien bâtie;
ses rues sont régulières, et la plupart pavées ; les maisons sont propres et
jolies, et quelques-unes ont plusieurs étages, avec des balcons fermés par
des jalousies en bois, suivant l'ancienne mode portugaise. Sur une place
publique, près du fleuve, se trouve un édifice qui sert de iribunal cl de
prison. On compte dans celte petite ville 7 églises et 4 hôpital.
A peu de distance du confluent du Maoucu et de l'Ihuapezu, on voit la
petite ville de Macucu, bâtie sur une petite éminence au milieu d'une belle
plaine. Il y a une église dédiée à saint Antoine, et un couvent de francis-
cains.
La province de Rio-Grande-do-Sul, ou de San-Pedro, la plus méridio-
nale de toutes, est arrosée par plusieurs rivières dont les bords se trouvent
bien garnis de bois, et sur lesquelles on a récemment entrepris d'établir
des lavages d'or. Près du chef-lieu, on exploite du charbon de terre ; on y
a trouvé aussi du manganèse, qui paraît indiquer de l'étain. De nombreux
troupeaux d'autruches, ou plutôt de nandus (rhea americana), d'une variété
foncée, errent dans les plaines. Les oiseaux et les quadrupèdes abondent dans
les épaisses forêts. Sous un ciel tempéré, le sol est si productif, qu'on pourrait
appeler le Rio Grande le grenier du Brésil : on en exporte pour toutes les
parties de la côte du froment emballé dans des peaux, où souvent il fer-
mente avant d'arriver à sa destination. La culture du chanvre, essayée avec
succès par ordre du gouvernement, a été abandonnée comme trop pénible.
Les raisins, très bons, y fourniront du vin, maintenant que les lois favo-
risent celle culture. Le gros bétail, dont la race est ici extrêmement belle,
forme le principal objet des soins de l'agriculteur. Il y a d'excellents che-
vaux. La vente du suif, de la viande séchée et des peaux, dont on exporte

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
503
environ 400,000 par an, sont une grande source de richesses pour le
pays.

Cette province a une superficie d'environ 8,230 lieues carrées. Une
chaîne de montagnes peu élevées la divise en deux parties fort inégales*,
mais ces montagnes sont remarquables, puisqu'à l'ouest elles donnent
naissance aux principaux affluents de l'Uruguay, et du côté de l'est aux
rivières dont la réunion forme le lac immense dos Pathos. Une sorte de
canal naturel, appelé Rio-de-San-Gonçalo, unit ce lac à celui de Merino,
et tous les deux ensemble n'ont guère moins de 80 lieues de longueur.
L'habitant des campagnes de Rio-Grande rappelle nos bons fermiers de
la Beauce ; mais il se rapproche encore plus du Bédouin et du Tatar. Bien
fait et robuste, il n'est heureux qu'à cheval, lorsqu'il lance les boules ou
le lacet contre une génisse sauvage. Sur son cheval, il n'a plus besoin de
rien-, il emporte de quoi se faire un lit au milieu des déserts, une nacelle
pour passer les fleuves, et tout ce qu'il faut pour sa nourriture. En effet,
s'il veut dormir, il se couche sur le cuir écru qui, étant plié, formait la
couverture de son cheval, et il appuie sa tête sur la selle étroite et légère
qu'il nomme lombilho; ce môme cuir, attaché aux quatre coins, devient
une pirogue; son lacet et ses boules suspendus à sa selle lui servent à
réduire les bestiaux dont il fait sa nourriture, cl un bâton pointu, plus
facile encore à transporter que ses boules et son lacet, lui tient lieu de
broche.

Près du Rio-Cuarey, ou de la frontière septentrionale de la république
de l'Uruguay, se trouve Alegrele, petite ville nouvellement bâtie sur la
rive droite du Garapuytao, affluent de l'Ybieui ; on y élève beaucoup de
bestiaux et de mulets renommés.
La Caxoeira est une autre petite ville sur une colline de la rive gauche
du Jacuy, non loin du confluent du Butucarahy. Les maisons, blanchies
extérieurement, sont bâties en pierre et en brique, et couvertes en tuiles
rouges. L'église, d'une extrême simplicité, n'a l'air que d'une grande
maison. Sa situation est riante et très-favorable au commerce d'échangé.
Rio-Pardo se trouve plus bas sur la même rive, précisément au confluent
de la rivière dont cette ville porte le nom. Des maisons d'un étage et d'une
architecture gracieuse, des églises sur les points les plus élevés ; des jardins
plantés d'orangers, de bananiers et de cocotiers, tel est le coup d'œil que
présente cette petite cité vue des hauteurs voisines. Elle renferme 6,000
habitants.
Portalegre (Porto-alegre), ville grande, bien bâtie, au haut d'une

504
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
colline, sur la rive gauche du Jacuy, au-dessus de l'embouchure de cette
rivière, dans le grand lac dos Pathos, est peuplée de 15,000 âmes, et la
capitale de la province. Elle renferme cinq églises, un hôpital, une maison
de bienfaisance, un arsenal, deux casernes et une prison. Parmi ses plus
belles rues, on cite celle du Praia et celle d'Igrésia, qui sont remarquables
par le nombre de jolies maisons qui les garnissent. Au bord du fleuve est
bâtie la douane, édifice carré, solidement construit et disposé commodé-
ment pour le commerce. Le lac Pathos, dont la longueur est de 60 lieues
et la largeur de 20, communique avec la mer par un canal; ses eaux sont
salées, et assez profondes pour que les navires de moyenne grandeur y
puissent naviguer.
Rio-Grande, ou San Pedro, à l'entrée du lac Pathos, est défendue
par plusieurs forts en partie construits sur des îlots. Des écueils et des
bancs de sable, sujets à être déplacés par la violence des courants, rendent
l'entrée du port dangereuse pour des navires qui tirent plus de 3 mètres,
Cette ville a cessé d'être la capitale de la province depuis 1768.
San Francisco de Pauta est une charmante petite ville qui n'existe que
depuis une quinzaine d'années, et qui cependant rivalise avec Porto-alegre
par l'activité de ses habitants, l'importance de ses transactions commer-
ciales et le grand nombre d'édifices qu'on y élève journellement.
La province de Sainte Catherine (Santa-Catharina) doit cette dénomi-
nation à une île du même nom qui en dépend, et qu'entourent d'autres
petites îles baignées comme elles par l'Océan. Le sol de la province est
couvert de petits lacs, et ses côtes, généralement basses, sont dominées
par le mont Bahul, qui sert de signal aux navigateurs.
Les rochers coniques de l'île Sainte-Catherine, qui s'élèvent rapidement
du fond de la mer, forment un ensemble pittoresque avec les hautes mon-
tagnes du continent voisin, dont les cimes, couronnées de bois , se con-
fondent dans le lointain avec l'azur des cieux. L'île même, séparée du
continent par un canal étroit, offre une variété de montagnes et de plaines;
quelques endroits sont marécageux. Les chaleurs du solstice y sont cons-
tamment tempérées par d'agréables brises de sud-ouest et de nord-est; les
dernières règnent depuis le mois de septembre jusqu'en mars, et les autres
depuis avril jusqu'en août. Les forêts, qui autrefois occupaient une grande
partie de sa surface, ont été considérablement éclaircies dans les dernières
années. Toutes les roches de la côte et de l'intérieur sont granitiques. Près
du port paraît une veine de dolérite dans divers états de décomposition, et
qui passe finalement en une espèce d'argile employée à la fabrication d'une

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU RRÉS1L.
505
bonne poterie. L'humidité naturelle du sol entretient dans l'intérieur de
l'île une brillante végétation de palmiers, d'orangers, de myrtes, de
rosiers, d'œillets, de jasmins, de romarins et d'une grande quantité de
plantes aromatiques dont l'odeur suave se fait sentir à trois et quatre lieues
en mer lorsque le vent de terre y porte.
L'entrée du port de Sainte - Catherine, ville que l'on nomme aussi
Cidade-de-Nossa-Senhora-do-Destero, est commandée par deux forts, et
deux autres défendent le reste de l'île. La ville, peuplée de 6,000 âmes, se
présente très-bien sur un fond de verdure riante et variée par des bouquets
d'orangers et de citronniers chargés de fleurs et de fruits. C'est un séjour
affectionné par les négociants et les officiers de vaisseaux marchands qui
ont acquis assez de fortune pour vivre dans une honorable retraite. Vis-à-
vis de la ville, sur le continent, de hautes montagnes couvertes d'arbres et
de taillis forment une barrière presque impénétrable. L'œil y distingue
avec plaisir le petit port de Peripi, avec d'abondantes pêcheries, et la
charmante vallée de Picada, toute remplie de maisonnettes blanches à
moitié cachées dans des bosquets d'orangers et de plantations de café. Plus
à l'ouest, demeurent des sauvages appelés Bougueres, qui troublent quel-
quefois la paix des habitations les plus reculées.
En continuant de prolonger la côte vers le nord-est, partout semée de
maisons parmi des bosquets et des plantations, on arrive au port Saint-
François (San-Francisco), situé sur une île et dans une baie du même
nom , défendue par des forts.
Cette île a environ 7 lieues de long du nord au sud et 2 dans sa plus
grande largeur; elle est boisée et montueuse. Le Pao d’Assucar et le
Morro da L'Orangeira (morne de l'orangerie) sont ses hauteurs les plus
remarquables. San-Francisco est dans une position charmante, sur une
des criques les plus septentrionales d'une anse assez vaste. La ville se
compose dé maisons en pierre, blanchies à la chaux et bien entretenues,
qui pour la plupart n'ont qu'un rez-de-chaussée; les rues sont larges et
assez bien alignées. Vers le centre s'étend une grande place irrégulière,
couverte de gazon, sur laquelle s'élève l'église paroissiale, qui est vaste et
bien éclairée. L'hôtel-de-ville, dont le rez-de-chaussée sert de prison, est
un petit bâtiment placé près de l'église. La construction navale forme la
principale industrie des habitants. La baie de San-Francisco est riche et
peuplée tout autour; mais à l'intérieur des terres on ne rencontre que
quelques rares hameaux et des métairies (Freguezias, paroisses; Fazendas,
métairies, et Aldéas, villages indiens).

506
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
Un pays à peu près plat s'étend autour de San-Francisco, à quelque
distance de la côte, et les rivières qui l'entrecoupent sont navigables pour
des canots jusqu'au pied de la grande chaîne de montagnes élevée de plus
1,200 mètres au-dessus du niveau de la mer, et traversée par une route
frayée par suite d'un travail prodigieux. Une montée régulière de 20 lieues
conduit à la superbe plaine de Corritiva, où paissent d'immenses trou-
peaux de bétail destinés à l'approvisionnement de Rio-Janeiro, de Saint-
Paul et d'autres places; on y élève aussi une quantité de mulets. Les
chevaux de Corritiva sont généralement plus beaux que ceux de l'Amérique
espagnole.
La province de Saint-Paul (San-Paulo, ou Sao-Paulo) se présente à
nous bornée au nord et à l'ouest par le Rio-Parana, au sud par le Rio-
Negro, et à Test par l'Océan. L'agriculture atteste que la civilisation y a
fait depuis quoique temps de grands progrès.
L'entrée du port de Santos, fermée par l'île de Saint-Vincent, est quel-
quefois rendue difficile par les courants et les vents variables qui descen-
dent des montagnes. Les environs, souvent submergés par de fortes pluies,
et par conséquent malsains, sont très-propres à la culture du riz, qui passe
pour le meilleur du Brésil. La ville, peuplée de 7,000 âmes, est une place
très-commerçante et l'entrepôt de toutes les productions de la province. La
route pavée, qui monte en zigzag sur la montagne, conduit à la ville de Saint-
Paul ; en quelques endroits creusée à travers le roc vif, en d'autres taillée
dans les flancs de montagnes perpendiculaires, souvent cette route conduit
par-dessus des pics coniques, le long d'effroyables précipices dont lesbords
sont munis de parapets. Quelques courants d'eau, tombant en cascades
pittoresques, se fraient un passage autour des roches; c'est là qu'on peut
connaître la structure de la montagne, qui paraît être composée de granit
et en partie aussi de grès ferrugineux. Partout ailleurs le sol est couvert de
bois si fourrés, que souvent les branches des arbres, en sejoignant, forment
des arcades au-dessus de la tête du voyageur. A moitié chemin se trouve
une halte au-dessus de la région des nuages. Après trois heures de marche,
on parvient au sommet, élevé d'environ 2,000 mètres. C'est un plateau
assez étendu, et principalement composé de quartz recouvert de sable. De
cette position, la mer, quoique éloignée de 7 lieues, semble baigner le pied
même des montagnes ; le port de Santos et la côte sont dérobés à la vue.
Après y avoir avancé une demi-lieue, on voit déjà serpenter les rivières qui,
prenant leur cours vers l'ouest, forment par leur réunion la grande rivière
de Corrientes, qui va joindre la Plata. Cette circonstance rend raison de la

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
507
pente plus adoucie et moins élevée du revers intérieur de la chaîne de mon-
tagnes qui borde toute la côte du Brésil.
Santos est bien bâtie, et tous les édifices sont en pierre. On y remarque
plusieurs églises et chapelles, deux couvents, un hôpital militaire et un
hospice dit de la Miséricorde, qui est le plus ancien du Brésil. La ville date
de 1415 ; elle est dans une situation basse, humide et malsaine.
La ville de Saint-Paul est située sur une éminence agréable, environnée
de trois côtés par des prairies basses, et baignée de petits ruisseaux très-
clairs qui en forment presque une île dans la saison pluvieuse, et vont se
réunir dans la jolie rivière de Tietis ou Tielé. Le climat est l'un des plus
sains de toute l'Amérique méridionale. On n’yconnaît pas de maladies endé-
miques. La température moyenne varie entre 10 et 20 degrés centigrades.
Les maisons, bâties en pisé, sont hautes de deux étages et joliment peintes
à fresque ; les rues, extrêmement propres, sont pavées de schiste lamellaire
lié avec un ciment d'oxyde de fer, et renfermant de gros cailloux de quartz
arrondi : ce sont des pierres d'alluvion contenant de l'or, dont on trouve de
petites parcelles dans les trous et crevasses, où les habitants pauvres les
cherchent avec soin après les fortes pluies. La population s'élève au-delà
de 18,000 âmes. Ce n'est qu'après l'épuisement de leurs lavages d'or,
autrefois fameux, que les habitants ont dérogé jusqu'à s'occuper de travaux
utiles et champêtres ; ils y sont encore très-arriérés ; cependant les jardins
de Saint-Paul sont arrangés avec beaucoup de goût, et souvent avec une
élégance toute particulière. Il y a beaucoup de luxe et de mollesse à Saint-
Paul; la civilisation y est plus avancée, plus répandue et plus générale que
dans les autres villes. Ainsi il y a une université, un séminaire, une
bibliothèque publique et un petit théâtre. Les dames de Saint-Paul sont
renommées dans tout le Brésil à cause de leur beauté, de leur amabilité et de
la noblesse de leurs manières. Il y a beaucoup de boutiquiers, beaucoup
d'artisans, mais peu de fabricants ou manufacturiers ; la plupart des habi-
tants sont fermiers, cultivateurs, jardiniers, nourrisseurs ou engraisseurs
de bestiaux, mais particulièrement de cochons et de volaille. On y trouve
une espèce particulière de coqs qui se distinguent par un cri très-fort, en
prolongeant la dernière note une ou deux minutes;'ils sont recherchés
comme une curiosité, dans toutes les parties du Brésil.
La position écartée de Saint-Paul, et les difficultés que le gouvernement
portugais opposait autrefois aux voyages dans l'intérieur, sont cause que
celte ville est rarement visitée par des étrangers, dont l'apparition y est
même regardée comme un événement.

508
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
Parmi tous les colons du Brésil, les Paulistes se sont signalés autrefois
par leur esprit entreprenant, audacieux, infatigable, et par cette ardeur pour
les découvertes qui distingua jadis les Portugais parmi les nations de l'Eu-
rope. Au lieu de cultiver paisiblement leur beau territoire, ils parcoururent
le Brésil dans toutes les directions ; ils se frayèrent de nouvelles routes à
travers des forêts impénétrables, en portant leurs provisions avec eux; ils
ne se laissèrent arrêter ni par les montagnes, ni par les rivières, ni par les
naturels anthropophages qui partout leur disputaient le terrain. C'est à eux
surtout qu'est due la découverte de toutes les mines les plus riches, qu'ils
ne se laissèrent enlever qu'à regret, et pas toujours sans opposition, par le
gouvernement. Aujourd'hui encore c'est sur leur énergie que repose la
sûreté du Brésil occidental, et l'on sait que les troupes portugaises auraient
joué un rôle assez triste dans la guerre coloniale de 1770, si elles n'avaient
été secondées par les cavaliers paulistes, qui répandirent la terreur de leur
nom depuis le Paraguay jusqu'au Pérou.
Dans la province de Saint-Paul, nous avons encore à citer Ytu ou Hytu,
remarquable par les champs de cannes à sucre que possèdent ses environs,
et par la grande cascade du Tieté qui l'arrose ; Sorocaba, qu'enrichissent
ses mines de fer qui ont fait fonder les belles forges impériales d'Ypanema ;
enfin Cannanea, importante par ses pêcheries.
Au nord de la province de Rio-Janeiro s'étend, le long de l'Océan, et par-
tagée dans toute sa longueur par une chaîne de montagnes qui y forme deux
versants, celle du Saint Esprit (Espiritu-Santo.) Nous la traverseronssans
rien y remarquer d'intéressant. Le chef-lieu, Victoria ou. Cidade-da Vic-
toria, est une petite ville assez bien bâtie ; l'hôtel du gouverneur est un
ancien couvent de jésuites. Celle d’ Espiritu-Santo ou de Villa-Velha, son
ancienne capitale, est située au fond d'une large baie. Ses pêcheries sont
importantes. Elle n'est défendue que par un petit château en ruine. Cette
ville, petite, laide et ouverte, forme à peu près un carré-, l'église est à une
des extrémités, et l'hôtel du gouverneur est à l'autre extrémité, près du
fleuve. Le fameux couvent de Nossa-Senhora-de-Penha, l'un des plus
riches du Brésil, est sur une haute montagne contiguë à la ville.
A l'ouest des provinces de Rio-Janeiro et d'Espirilu-Santo s'étend celle
de Minas-Geraës, la plus importante par ses mines et la plus peuplée. Nous
avons déjà fait connaître ses richesses métalliques-, elle renferme près de
900,000 habitants, dont 200,000 de couleur.
La culture et l'industrie y sont en arrière. A une lieue de l'endroit où se
trouve la plus fine terre à porcelaine, il n'y a qu'une mauvaise fabrique de

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
509
ρaterie. Tous les fruits et les grains d'Europe, le chanvre et le lin y réus-
sissent certainement, mais on en néglige la culture; le raisin y donne de
très-bon vin; mais on aime mieux boire de l'eau auprès,des plus riches
mines d'or et de diamants que de cultiver la vigne avec le soin convenable.
Les bêtes à cornes, obligées de chercher elles-mêmes leur nourriture dans
les champs, y périssent souvent de faim ou de chaleur ; à peine sait-on traire
les vaches. Quelques écorces d'arbres servent à teindre en jaune, rouge,
noir, ou à tanner et à préparer des cuirs et des peaux ; mais les habitants
n'aiment pas à s'en occuper. Un lichen, espèce d'orseille, qui croît sur les
vieux troncs d'arbres, donne une superbe couleur cramoisie. La gomme
;dragant s'y trouve en grande abondance et de très-bonne qualité. La canne
à sucre s'y élève souvent à plus de 40 mètres, en formant des arcades
au-dessus des chemins.
Le district de San-Joao-del-Rey est le mieux cultivé ; on l'appelle le
grenier du pays. Le chef-lieu compte 6,000 habitants. Cette ville de San-
Joao-del-Rey, située sur la rive gauche du Rio-das-Mortes, est une des plus
agréables de la province. Elle est remarquable par sa belle chapelle des
franciscains et par les riches lavages d'or de ses environs. Elle a fait avec
Rio-Janeiro un commerce considérable en fromages, en chair de porc, en
volailles et en fruits.
Barbacena, sur la route de Rio à Ouro-Preto, n'était, il y a cent ans,
qu'un misérable village ; elle doit sa splendeur actuelle au marquis de Bar-
bacena, qui, en 1791, lui donna son nom. Elle a été érigée en cité en 1841.
Cette ville, dont la population est d'environ 4,000 âmes, occupe un plateau
dont l'élévation moyenne est de 1,172 mètres au dessus du niveau de la
mer, et qui donne naissance à la Parahybuna, à la Plata et au Rio-San-
Francisco. Barbacena est le centre d'une parochia qui compte environ
18,000 âmes, y compris les nègres des fazendas.
L'état actuel de Villa-Rica, aujourd'hui Cidade-de-Ouro-Preto, la capi-
tale de la province, dément le faste de son premier nom. Les environs sont
incultes. Bâtie sur le flanc d'une haute montagne, elle a des rues irrégu-
lières, escarpées et mal pavées, mais variées par de charmants jardins en
terrasses, et remplies de jolies fontaines qui conduisent l'eau dans presque
toutes les maisons. Le climat est fort doux, grâce à sa situation élevée. Le
thermomètre ne s'y élève jamais à l'ombre au-dessus de 28 degrés cen ti-
grades, et descend rarement au-dessous de 8° ; dans l’été, il se tient la plu-
part du temps entre 17° et 26°, et l'hiver entre 12° et 21°. Elle contient
environ 2,000 maisons et 11 à 12,000 habitants, parmi lesquels il y a plus de

510
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME
blancs que de noirs; c'est à peu près le tiers de ce qu'elle possédait à
l'époque où ses mines d'or étaient dans toute leur richesse Dans les environs
d’Ouro-Preto se trouvent les mines riches d'or de Catta-Branca, de Taqna-
val et de Gongο Sogo, exploitées aujourd'hui par les Anglais. La ville de
Sahara, qui est au milieu de ces régions aurifères, compte environ
4,500 âmes ; elle consiste en une longue rue de près d'une lieue de long,
dont les églises sont les seuls monuments importants. A 3 lieues de Ouro-
Preto, sur les bords du Rio del-Carmen, est Marianna, jolie petite ville
episcopate, de G à 7,000 habitants, en grande partie mineurs. La Villa do
Principe, sur les confins du Cerro do Frio, ou district des diamants, possé-
dait autrefois une monnaie, ou fonderie royale d'or, et une population de
5,000 âmes. Tout ce district est un pays délicieux, coupé de vallées pitto-
resques tapissées de magnifiques prairies, et bordées de forêts vierges du
côté de l'Océan. Les montagnes de ce district sont en général formées de
roches de quartz appelées itacolumites; on y trouve ce grès grisâtre et
micacé remarquable par son élasticité; mais cette contrée, si intéres-
sante et curieuse, est une des moins connues. Les extrêmes se touchent
à Diamantino, autrefois nommée Tijuco. où résidait l'intendant général
des mines de diamants; les habitants de cotte ville, située dans un ter-
rain aride, sont obligés de tirer de loin les vivres nécessaires. Ils crou-
pissent en grandi1 partie dans une honteuse misère, et vivent de charité
publique.
A l'ouest de Minas-Geraës s'étend la province de Goyaz, la plus cen-
trale de tout le Brésil; elle touche au nord à celle de Para, et à l'ouest à
celle de Mato-Grosso. C'est un beau pays, arrosé par un grand nombre de
rivières poissonneuses, qui traversent les forêts remplies de superbes
oiseaux ; du reste, mal connu et mal peuplé. Il y a plusieurs mines d'or,
des diamants gros et très-brillants, mais d'une eau qui n'est pas toujours
pure; et, près des frontières, quelques plantations de coton, dont le pro-
duit s'exporte à Rio-Janeiro avec d'autres articles moins importants. Elle
communique aussi avec Saint-Paul, Mato-Grosso et Para, au moyen de
rivières navigables, quoique fréquemment interrompues par des chutes.
Goyaz, appelée autrefois Villa-Boa, le chef-lieu, ville de 8,000 âmes, est
une des plus jolies cités du Brésil, placée sur les bords du Rio-Vermelho,
célèbre par les sables aurifères qu'il roule dans ses eaux. Nalividad est au
milieu d'un territoire dont les citrons et les oranges sont fort estimés, et
qui possède des lavages d'or. Bomfim est une petite ville de 800 habitants,
qui doit son origine aux chercheurs d'or; elle est, ainsi que la suivante, sur

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
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la route qui mène de Ouro-Prete à Goyaz. Meia-Ponte, peuplée de 5 à
6,000 âmes, est la plus commerçante ville de la province.
Nous reprenons la côte maritime. Le gouvernement de Bahia est situé à
l'endroit où la côte, longtemps dirigée du sud au nord, commence à former
une vaste saillie vers le nord-est et à s'approcher de l'Afrique. Cette pro-
vince reçoit son nom de Bahia de todos os Santos, baie de tous les Saints.
Le sol, formé d'un terreau végétal et arrosé de plusieurs courants d'eau,
est singulièrement propre à la culture de la canne à sucre; aussi le port de
Bahia seul exporte-t-il plus de sucre que tout le reste du Brésil ; il est, en
général, de fort bonne qualité. Une seconde production particulière à cette
province est le tabac, recherché non seulement dans le Portugal, mais
encore en Espagne et dans toute la Barbarie ; il forme une partie essentielle
de la cargaison des vaisseaux qui veulent traiter de l'or, de l'ivoire, de la
gomme et de l'huile avec plusieurs places de la Guinée et de l'Afrique en
général. Le coton de Bahia, dont la culture augmente chaque année, entre
déjà en concurrence avec celui de Fernambouc. Ses autres productions
sont le café, moins estimé que celui de Rio-Janeiro ; le riz, qui est de qua-
lité supérieure, mais difficile à peler; et le bois de teinture, connu dans le
commerce sous le nom de Brésil, égal à celui qui vient de Fernambouc.
L'indigo de cette province ne soutient pas la comparaison avec celui qui
vient de l'Inde; il paraît même que la plante d'où on le tire possède des
qualités vénéneuses, puisque les nègres qui en préparent les feuilles tom-
bent facilement malades.
La ville de San-Salvador de Bahia, généralement connue sous le nom
de Bahia, consiste en deux parties, l'une bâtie sur un terrain bas le long
de la rivière, comprend le quartier de Praya, habité par des hommes de
peine; l'autre, située sur une éminence élevée de 200 mètres au-dessus du
niveau de la mer, renferme les faubourgs de Victoria et de Bomfin. La cité
haute (cidade alla) est la demeure des gens aisés; le ton de la société y
passe pour meilleur et plus gai qu'à Rio Janeiro. Les maisons, la plupart
en pierres et à plusieurs étages, sont belles, garnies de balcons et de jalou-
sies en place de croisées. Les églises et les édifices publics se font remar-
quer par un grand style d'architecture; nous citerons: l'hôtel-de-ville, le
palais du gouverneur, qui est assez grand; l'ancienne église des jésuites,
qui, depuis plusieurs années, sert de cathédrale, et l'école de chirurgie,
ou l'ancien collége de ces pères. Dans la ville haute, il y a un collége su-
périeur qui possède une bibliothèque de 8 à 10,000 volumes. Dans la ville
basse, l'arsenal de la marine est regardé comme le plus considérable de tout

512
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
le Brésil. On y remarque l'église de la Conception, dont les pierres ont été
apportées, toutes taillées et numérotées, du Portugal. Celle ville eut, jus-
qu'en 1763, le titre et le rang de capitale, qu'elle céda à Rio-Janeiro, en
restant toutefois sa rivale par sa population, qui est de 120,000 âmes, par
son commerce et comme résidence d'un archevêque. Elle est la principale
place forte du Brésil.
Bahia possède, pour les plaisirs des riches, un théâtre et l'une des plus
belles promenades de l'Amérique, appelée le Passeio publico, qui est située
sur un plateau qui domine la ville, près du fort San-Pedro. Elle est ornée
d'un obélisque qui porte une inscription relative à l'arrivée du roi Jean VI
en Amérique. Mais ce qui donne surtout à cette promenade un aspect
unique dans son genre, c'est la magnifique vue dont elle jouit sur la ville
et sur la baie, et surtout un lac pittoresque appelé Dique, qui entoure la
ville du côté opposé à l'Océan. Elle est la résidence du gouverneur de la
province, et le siége de tous les tribunaux supérieurs civils et criminels. Le
port, formé par la baie de Tous-les-Saints, est un des plus beaux de toute
l'Amérique. Les vaisseaux qu'on y lance sont bien construits et d'un bois
plus solide que notre chêne. Le climat, naturellement chaud, y est tem-
péré par des brises de mer régulières, et par la longueur presque toujours
égale des récifs. Cette ville, livrée aux Hollandais par la faiblesse d'un com-
mandant militaire, mais récupérée par une espèce de croisade chevale-
resque, et surtout par le courage de l'évêque Texeira, devint le terme fatal
où s'arrêtèrent les brillants succès des armes bataves, qui, dans la première
moitié du dix-septième siècle, avaient subjugué tout le Brésil septentrional
depuis Maranhao jusqu'au fleuve de San-Francisco.
Caxoeira ou Cachoeira est la plus importante ville après Bahia-, elle
renferme 25,000 habitants. Elle est située dans cette partie de la province
appelée Reconcavo, dont la population est la plus concentrée. C'est là que
l'on trouve un grand nombre de bourgs et de villages qui s'enrichissent
du produit de l'agriculture. Au nombre de ceux-ci, Tapagipe ou Nossa-
Senhorada-Penha est remarquable par la maison de plaisance de l'arche-
vêque et par les chantiers d'où sortent les meilleurs navires du Brésil. Nous
citerons encore dans la même province Porto Seguro , importante par ses
pêcheries, et Leopoldina, nouvelle colonie composée d'Allemands et de
Français.
Au nord de celle de Bahia s'étend la petite province de Sergipe, où l'on
élève des bestiaux, où l'on récolte des grains qui forment sa principale
richesse.

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
513
La ville do Sergipe, chef-lieu de la province, et peuplée de 9,000 habi-
tants, portait originairement le nom de Seriji. Cette ville est appelée aussi
Cidade de San-Christovao.
La province d'Alagoas est plus petite encore que la précédente. Alagoas,
son chef-lieu, ville de 18,000 àmes, possède un petit port, confectionne une
grande quantité de canots destinés à naviguer sur le Rio-Franciseo, et
fabrique un tabac excellent.
La province de Pernambuco (Fernambouc) produit d'excellents bois de
teinture, de la vanille, du cacao, du riz et une quantité considérable de
sucre; mais le coton forme l'article le plus important de son commerce,
quoiqu'il ait récemment perdu une partie de sa réputation ; autrefois il pas-
sait pour le meilleur du monde.
Aucune province du Brésil ne possède un plus grand nombre de ports
excellents que celle de Fernambouc. Celui de Recife est le plus remar-
quable. Cette ville, appelée communément Pernambuco, est la capitale de
la province. Elle se compose de trois parties distinctes, nommées Cidade
do Recife, Santo Antonio et Boa-Visita. La première, située sur une
péninsule, est la plus commerçante ·, on y trouve la douane, les chantiers et
l'intendance de la marine. La seconde est sur une île formée par les bras
du Capibaribe ; elle est jointe à la précédente par un grand pont; c'est celle
qui est la mieux bâtie; elle comprend le grand marené, le palais du gouver-
neur, le théâtre et l'hôtel de la trésorerie. La troisième est sur le continent;
on y arrive en traversant un bras du Capibaribe sur un pont de bois, le
plus grand du Brésil. La triple ville de Pernambuco est défendue du côté
de la mer par d'assez bonnes fortifications. Son commerce a pris un tel
essor depuis vingt ans, que sa population s'élève à environ 60,000 âmes.
Quelques géographes comprennent sous le nom de Pernambouc et la
ville que nous venons de décrire et celle d'Olinda, qui en est cependant à
une lieue. Celle-ci, assez mal bâtie, mais dont les rues sont entrecoupées
de jardins délicieux, est le siége d'un évêché. La cathédrale est belle, mais
le palais épiscopal est en mauvais état. La population d'Olinda est de
6,000 habitants. Cette ville doit son doux nom d'Olinda, qui, en Portugais
signifie ô belle! plutôt à sa position sur des collines riantes et à ses jardins
pittoresques, qu'à la beauté de ses édifices.
Paraïba, chef-lieu d'une province du second ordre, a été nommée par
les Hollandais Frédéricstadt. Elle a 5 à 6,000 habitants. L'entrée de la
baie, qui lui sert de rade, est difficile. La contrée est riche en bois de tein-
ture, et l'on dit qu'il y a des mines d'argent dans un endroit nommé Tayciba.
V.
65

514
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
Le Rio-Grande do-Norte donne son nom à une province située au nord
de la précédente. Son chef-lieu est Natal, petite ville assez bien bâtie à
l'embouchure du Potengy où s'ouvre son port, qui ne peut contenir que
6 à 7 navires : elle renferme au plus 3,000 habitants. Son nom lui vient de
ce qu'elle fut fondée le jour de Noël en 1599.
La province de Ceara, deux fois plus grande que la précédente, est bornée
au nord par la mer, et à l'ouest par le Piauhy. On trouve du cristal de roche
dans les environs de Ceara, nommée proprement Cidade de Forteleza ; c'est
une ville peu importante, bien qu'elle donne son nom à une province. Nous
citerons dans celle-ci une ville plus considérable appelée Aracaty, et qui
est la plus commerçante du pays : on lui accorde environ 9,000 habitants.
Derrière cette province s'étendent les contrées montagneuses de Piauhi,
contrées visitées par une expédition hollandaise sous les ordres d'Elias
Herkmann, dont le rapport n'est connu que par extrait. Il parle de mon-
tagnes et même de plaines, entièrement composées d'un talc brillant ·, il
indique aussi des pyramides en quelque sorte arrondies, et construites les
unes près des autres.
Dans la province de Piauhi nous citerons Parnahiba, qui en est la ville
la plus peuplée, bien qu'elle n'ait que 4 à 5,000 âmes, et la capitale appelée
Oeyras, dont la population est encore inférieure, mais qui est bâtie avec
une sorte d'élégance, bien que ses maisons soient en terre et en bois.
Malgré la petite étendue de son territoire, le Maranham, ou mieux
Maranhao, s'est rendu remarquable, dans les derniers temps, par l'impor-
tance de ses productions, qui sont les mêmes qu'au Fernambouc, et dont
on exporte plusieurs cargaisons tous les ans. L'arbre qui produit Vannatto
y est très-commun. Le capsicum, le piment, le gingembre et toutes sortes
de fruits s'y trouvent en quantité. San-Luiz de Maranhao, la capitale,
bâtie sur une île, et contenant 25,000 âmes, n'est pas malsaine, malgré
sa position voisine de l'équateur : l'ombre des forêts et les brises de mer
modèrent la chaleur. Plusieurs rivières, dont les bords sont bien peuplés,
débouchent dans la baie, et offrent des facilités au commerce. Cette ville a
été fondée par des Français en 1612.
La province de Gram-Para est de tout le Brésil la seconde en étendue :
elle a plus de quatre fois la superficie de toute la France. Elle comprend
la partie inférieure du bassin de l'Amazone, sur la droite; c'est un pays
marécageux, couvert de forêts impénétrables, où les habitations éparses de
l'homme forment Comme des îlots dans un océan. Parmi les postes établis
par les Portugais le long du fleuve, plusieurs s'élèvent déjà au rang de ville;

AMERIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
515
mais on ne connaît bien que la capitale nommée Gram-Para, sous l'invo-
cation de Noire Dame-de-Belem (Santa-Maria-de-Belem). Ce double nom,
l'un civil, l'autre ecclésiastique, a fait naître une erreur singulière chez
le savant voyageur Mawe, qui distingue la ville de Para de celle de Belem.
Cette ville est située dans un terrain bas et malsain, à 25 lieues de l'Atlan-
tique, et vis-à-vis la grande île marécageuse de Marajo. L'embouchure de
la rivière Tocantin ou Para, qui en forme le port, est embarrassée d'écueils,
de bas-fonds et de courants contraires ; la côte est dangereuse, et la mer
continuellement agitée. La marée s'élève à 3 mèt. 65 dans son port. La ville
peut contenir 13,319 habitants, assez pauvres faute de commerce. On n'en
exporte qu'un peu de riz et de cacao, avec quelques drogues médicinales,
pour Maranhao, où ces denrées sont ensuite embarquées pour l'Europe.
Cette ville, assez bien bâtie, qui renferme quelques beaux édifices, est
souvent exposée aux incursions des Indiens Tapuyas; en 1835, ils vinrent
attaquer la ville et s'en rendirent maîtres. Le palais des gouverneurs, l'ar-
senal et les différents postes militaires résistèrent d'abord avec quelque
succès, mais les troupes brésiliennes durent céder au nombre, elle éva-
cuèrent la ville. Alors elle devint le théâtre d'un carnage horrible dans lequel
les blancs, qui ne purent se réfugier sur les vaisseaux étrangers et natio-
naux qui se trouvaient dans le port, furent massacrés. Un grand nombre
de maisons furent aussi brûlées et pillées. Cameta, ville de 3,000 âmes,
sur la rivière des Tocantins est assez importante.
Le climat de la province de Para est brûlant; mais, dans l'après-midi ,
s'élèvent ordinairement des orages accompagnés de pluie, qui rafraîchis-
sent beaucoup l'air, et rendent la chaleur plus supportable.
Para-do-Rio-Negro, Barcellos et Macapa, villes de 2 à 3,000 âmes,
sont les plus considérables de la partie septentrionale du Para, que l'on
peut regarder comme la solitude la plus sauvage de la province. C'est une
plaine immense comprise entre l'Amazone et la chaîne de montagnes
appelée Tumacumaque : on l'a nommée la Guyane brésilienne; elle est
entrecoupée de marécages couverts d'épaisses forêts et fréquemment
inondée par les nombreux affluents du fleuve. Sa superficie égale à peu près
trois fois celle de la France.
Les Macus ou Macousis, qui habitent les bords du Haut-Maou et une
partie des montagnes de Pacaraina, dans la province de Para, ont conservé
une tradition qui rappelle Deucalion et Pyrrha. Ils croient que le seul
homme qui ait survécu à une inondation générale a repeuplé la terre en
transformant les pierres en hommes.

516
LIVRE CENT VINGT-UNIÉME.
En remontant le Rupunuri entre les montagnes de Macanara, dans les
environs du lac Amucu, le voyageur Hortsmann signala, en 1749, des
rochers couverts de figures ; M. de Humboldt a aussi remarqué près du
rocher de Cassimacari, sur les bords du Cassiquiare, des figures informes
représentant des corps célestes, des crocodiles, des serpents, etc. ; enfin,
M. Schomburgk a signalé des sculptures analogues à la cascade de Wara-
ponta, sur les bords de l'Essequibo. Cette cascade, dit-il, n'est pas seule-
ment célèbre par sa hauteur, elle l'est aussi par les figures qui y sont
taillées dans la pierre. Les naturels les croient l'ouvrage du Grand Esprit.
Toute celte zone de rochers sculptés qui traversent une vaste portion de
l'Amérique méridionale de l'ouest à l'est appartient à une antique civilisa-
tion, remontant peut-être, comme l'a dit M. de Humboldt, à une époque
où les races que nous distinguons aujourd'hui étaient inconnues de nom
et de filiation. Le respect que partout ils portent à ces sculptures grossières
prouve que les Indiens d'aujourd'hui n'ont aucune idée de l'exécution de
semblables ouvrages. Il y a plus encore : entre l’Eucaramada et Caycara,
sur les rives de l’Orénoque, ces figures hiéroglyphiques sont souvent
placées à de grandes hauteurs sur des murs de rochers qui ne seraient
aujourd'hui accessibles qu'en construisant des échafaudages extrêmement
élevés. Lorsqu'on demande aux indigènes comment ces figures ont pu être
sculptées, ils répondent en souriant, comme rapportant un fait qu'un
homme blanc seul peut ignorer : « que ce fut jadis, aux jours des grandes
eaux, que leurs pères naviguaient en canot à cette hauteur. »
Au delà de l'Uruguay, la province de Mato-Grosso embrasse les sources
des principaux affluents qui versent leurs eaux d'un côté dans le Parana,
de l'autre dans l'Amazone. Nous en avons tracé la description physique en
parlant ci-dessus de la constitution générale du Brésil. Les bords des
rivières se couvrent spontanément de forêts de cacaoyers, et d'autres
arbres communs dans la région basse du Brésil; les hauteurs, composées
de sable, n'offrent qu'une herbe dure et grossière. Les rivières roulent des
paillettes d'or; le même métal abonde dans plusieurs vallées, redoutées à
cause de leur insalubrité extrême. Il y a aussi des terrains d'alluvion
renfermant des diamants. La ville de Cuyaba, située près du bord oriental
de la rivière du même nom, à 96 lieues de son confluent avec le Paraguay,
contient avec ses dépendances environ 30,000 âmes. Les viandes, le
poisson, les fruits, et toutes sortes de végétaux y abondent. Le territoire
adjacent est très-propre à la culture, et renferme de riches mines d'or
découvertes en 1718, dont le produit annuel est estimé plus de 20 arobes,

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
517
chacune de 22 livres pesant. L'établissement de San-Pedro-del-Rey, à
20 lieues au sud-ouest de Cuyaba, se compose déjà de 2-000 habitants,
dont une partie s'occupe de l'exploitation du sel et de l'or. Malo-Grosso,
chef-lieu de la province, n'a que 5 à 6,000 âmes. Jadis elle portait le nom
de Villa-Bella. On y voit un hôtel des monnaies pour la fonte de l'or qu'on
exploite sur son territoire.
Dans toutes ces esquisses topographiques, nous n'avons fait attention
qu'aux centres de population civilisés, mais il reste encore de nombreuses
tribus indigènes sur lesquelles il faut jeter un coup d'œil. Les anciens colons
portugais ne parlent qu'avec effroi des naturels du Brésil, qu'ils désignent
généralement sous le nom d'anthropophages: cependant les jésuites, à force
d'application et de patience, étaient parvenus à en faire des êtres sociables,
bons, doux et dociles comme des enfants. Ils ont le teint cuivré, le visage
court et rond, le nez large, la chevelure noire et lisse, le corps trapu et bien
conformé. C'est ainsi du moins que nous les peint Mawe, à qui l'un de leurs
chefs en amena une cinquantaine de demi-civilisés, au nord de Rio-Janeiro,
dans le district de Canta-Gallo. Les hommes portaient une veste et des
caleçons-, les femmes, revêtues d'une chemise et d'un jupon court, avaient
autour de la tête un mouchoir noué à la manière portugaise. Leur chef était
un fournisseur d'ipécacuanha. Ils habitent dans les forêts, et paraissent y
mener une vie fort misérable, n'ayant pour subsister que des racines, des
fruits sauvages et le produit de leur chasse. Ayant entendu beaucoup vanter
leur adresse à manier l'arc, Mawe plaça une orange à trente verges de
distance : toutes leurs flèches la percèrent. Il leur désigna ensuite, à qua-
rante verges de distance, un bananier d'environ huit pouces de circonfé-
rence : aucun tireur ne manqua le but, quoiqu'ils fussent dans une
mauvaise position. A la chasse, où il les suivit, ils découvrirent habituel-
lement les oiseaux avant lui; et, se glissant à travers les halliers et les
broussailles avec une agilité surprenante pour se mettre à portée, ils ne
manquèrent jamais d'abattre le gibier. Ils avalent les viandes à peu près
crues, sans se donner seulement la peine de plumer ou de vider la volaille.
Ils aiment avec passion les liqueurs spiritueuses ; il est dangereux de leur
en offrir. Du reste, ils ne montrent aucune humeur farouche, mais ils ont
une grande aversion pour la culture des champs. Rarement on en voit un
d'eux servir en qualité de domestique, ou se livrer à un travail salarié. L'or
et les pierres précieuses dont le pays abonde n'ont aucun attrait pour eux,
et ils n'en ont jamais fait la recherche. Cette tribu, observée par Mawe,
paraît avoir apartenu aux Boutocoudys, établis dans les montagnes orien-

518
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
tales de Minas-Geraës. Quoique souvent défaits et cruellement punis par
les Paulistes, qui, les premiers, pénétrèrent chez eux il y a plus d'un siècle,
ils défendent jusqu'à ce jour avec opiniâtreté leur indépendance et leur sol
natal. Ne pouvant lutter à force ouverte contre les postes portugais, ils ont
recours à la ruse. Enveloppés tantôt de branches et de jeunes arbres qu'ils
assujettissent autour de leurs corps, tantôt enduits de boue ou de cendres,
et couchés par terre, ils guettent les colons et les nègres pour les tuer de
loin au passage. D'autres fois ils forment des piéges dangereux en fixant
des pieux pointus dans des trous qu'ils recouvrent de feuilles et de bran-
chages. Lorsqu'ils ont signalé à leur vengeance une maison isolée et
reconnu la force de ses habitants, ils l'incendient avec des traits allumés,
et massacrent impitoyablement ceux qui cherchent à se sauver. Ils ont
surtout une haine implacable contre les nègres, qu'ils regardaient, dans
le commencement, comme une espèce de grands singes, et qu'ils mangeaient
avec un appétit particulier. Les armes à feu seules leur imposent, et ils se
mettent à courir aussitôt qu'ils en entendent la détonation. Les prisonniers
ne se laissent jamais fléchir ni par de bons ni par de mauvais traitements ; et
quand ils perdent enfin l'espoir de s'évader, ils refusent ordinairement toute
nourriture, et se laissent mourir de faim. Une proclamation qui fut faite
par don Pedro les invita à se réunir dans les villages, et à se faire chrétiens,
en leur offrant la protection du gouvernement, avec la jouissance com-
plète des droits et priviléges accordés à ses autres sujets : mais elle ne
paraît pas avoir produit de grands résultats.
Les Pourys, qui demeurent à côté des Boutocoudys, font encore de fré-
quentes incursions dans les districts civilisés, et, selon un témoin oculaire,
ils dévorent les prisonniers après les avoir fait rôtir.
Les Tupis, qui occupaient toute la province de Saint-Paul et de Santos,
se trouvent réduits à quelques bandes errantes sur les contins des provinces
espagnoles de l'Uruguay. Ces sauvages, très-féroces, parlent un dialecte
de la langue guarani, répandue dans toutes les contrées intérieures et méri-
dionales du Brésil. Les Carigais, les plus paisibles indigènes, demeurent
au sud des Tupis. Les Tupinaques s'étendaient depuis le fleuve Guirican
jusqu'à la rivière Camama. Les Topinambous habitaient la côte depuis le
fleuve Camama jusqu'à celui de San-Francisco du Nord ; mais ces deux
tribus et quelques autres, leurs voisines ou leurs alliées, paraissent éteintes
ou confondues parmi les cultivateurs portugais. Quelques voyageurs
donnent le nom de Topinambous à des tribus errantes et très-féroces, qui
s'étendent le long de la rivivière de Tocantin. Les Pelivares, au nord-est du

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
519
Brésil, sont hospitaliers et cultivateurs. Les Mologagos, sur le fleuve Paraiba
du Nord, ressemblent, dit-on, aux Allemands par la blancheur de leur peau
et par leur haute stature. Les Tapuyes demeurent dans l'intérieur du gou-
vernement de Maranhao, et jusque vers Goyaz. Sur l'Amazone, on trouve les
Pauxis, les Urubaquis, les Aycuaris, les Yomanais, et une foule d'autres
tribus dont il serait fastidieux d'énumérer les noms. Les Cuyabas et les
Buyazas occupent les parties centrales de la chaîne de Mato-Grosso, Les
Boruros, aux habitudes singulières, habitent sur les bords de l'Araguay.
Les Parexis, dans la province de Mato-Grosso, donnent leur nom au
plateau central de l'Amérique méridionale. Les Barbados, établis sur les
rives du Sypotuba, premier affluent occidental du Paraguay, se distinguent
des autres naturels du nouveau continent par leur grande barbe. Près
d'eux se tiennent les Pararionès, et plus bas les Boriras-Aravivas, formés
d'une réunion de deux peuplades amies des Portugais 1. Quelques-unes
des nombreuses tribus concentrées jadis sur les bords fertiles du Paraguay,
ont été dispersées ou anéanties par les Espagnols et les Paulistes portu-
gais; d'autres, à l'approche des usurpateurs étrangers, se sont retirées
dans des contrées moins favorisées par la nature. Plusieurs milliers de
naturels ont été rassemblés ou transférés par les jésuites dans leurs éta-
blissements sur l'Uruguay et le Parana : d'autres, enfin, se sont alliés aux
Portugais et aux Espagnols, en sorte qu'on ne trouve guère de ceux-ci sur
les frontières dont la figure ne présente des indices d'un mélange de sang
indien. Parmi les indigènes primitifs qui se sont maintenus sur le Para-
guay, les vaillants Guaycouros, ou Indiens-cavaliers, tiennent le premier
rang. Ils occupent les deux rives du fleuve, depuis le Taquari et les mon-
tagnes d’Albuquerque, pendant l'espace de 100 lieues. Armés de lances
extrêmement longues, d'arcs et de flèches, ils ont souvent fait la guerre
aux Espagnols et aux Portugais, sans avoir jamais été vaincus. Ils font de
longues excursions dans les pays limitrophes, et s'y procurent des chevaux
en échange de fortes toiles de coton qu'ils fabriquent eux-mêmes 2.
Le fameux système sur l'influence des climats se trouve fortement com-
promis par les faits que l'Amérique méridionale offre à notre attention : un
peuple doux et faible habitait parmi les froides montagnes du Pérou; un
peuple féroce et intraitable errait sous le soleil brûlant du Brésil. Malgré la
grande inégalité des armes, les Brésiliens ne reculèrent jamais. Jamais ils
ne se sont laissé vaincre par un ennemi faible et sans courage; il n'était
1 Mawe, p. 196, 301.
2 Notice sur les Guaycouros dans les Nouvelles annales des Voyages, t. III, part, II.

520
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
aisé de remporter sur eux des victoires, que parce qu'ils n'avaient aucune
connaissance des armes à feu, et parce qu'on savait semer parmi eux la
discorde1.
« La conquête de la province de Saint-Vincent, dans le Brésil, disent les
« auteurs portugais, nous la devons au seul fameux Tebireza ; celle de
« Baja, au vaillant Tœbira 2; celle de Fernambouc, au courageux Stagiba,
« dont le nom en langue indienne signifie bras de fer. La conquête de Para
« et de Maranhao est due au fameux Tomagia, et à d'autres qui servaient
« dans l'armée des Portugais contre les Hollandais, et aussi à l'invincible
« Camarao, qui s'est immortalisé à la reprise de Fernambouc, dans la
« guerre contre les Hollandais. »
Les Indiens du Brésil estiment principalement la force du corps et la
férocité : au moment même d'être égorgés, et dévorés par leurs ennemis,
ils les insultent et leur expriment leur mépris; ils cherchent à prouver par
ces bravades qu'on peut bien leur ôter la vie, mais non pas le courage. Le
voyageur Léry et ses compagnons, tous nés sous la zone tempérée,
n'étaient pas même capables de tendre un arc des Indiens de Tomoy,
habitants de la zone torride, dans les environs de Rio-Janeiro. Léry con-
vient même qu'il était obligé d'employer toutes ses forces pour tendre un
arc destiné à un enfant de dix ans.
La nation des Ouctacazes, autrefois l'ennemie implacable des Portugais
et de tous les autres peuples de l'Europe et du Brésil, conserve encore à
présent son indépendance entière, quoique dans un état d'amitié parfaite
avec ses voisins, les habitants du district de Campos-dos-Ouctacazes dans
la province de Minas-Geraës. La douceur et la générosité ont soumis ces
cœurs qui bravaient la mort.
La langue la plus généralement répandue dans le Brésil est celle des
Guaranis-, parlée dans divers dialectes par les Tupis, les Tapuyes, les
Omaguas et les Topinambous, elle est même habituellement désignée sous
le nom de langue brésilienne. Les racines de cette langue ne nous ont
offert aucune analogie avec les langues de l'Asie : elle paraît présenter deux
ou trois rapports isolés avec des idiomes de l'Afrique et de la mer du Sud;
mais on peut assurer qu'elle est, dans son ensemble, la langue américaine
la plus éloignée d'une affinité radicale avec aucune autre, même avec celles
de l'Amérique 3. Elle forme, moyennant un grand nombre d'affixes, des
1 J. Stadius, Hist. Brasil., part. I, c. XIX et xlii. Léry, Hist. navig. in Brasil., c. XIII.
2 Vasconcellos : Histoire du Brésil, 1. m, p. 101 à 357.
3 Voici les mots brésiliens qui nous ont présenté des analogies avec les idiomes
africains :

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DU BRÉSIL.
521
prépositions, des modes et des temps très-compliqués et très-différents de
ceux de notre syntaxe. Il y a deux conjugaisons affirmatives, et deux néga-
tives; le verbe neuire a sa conjugaison distincte de celle du verbe actif.
Un nombre étonnant d'adverbes, ou plutôt de syllables intercalatives, sert
encore à modifier et à allonger les verbes 1. L'onomatopée ou la formation
des mots est très-bizarre ; par exemple, Tttpa, Dieu, est un composé de
deux mots qui signifient littéralement qu'est-ce? Le mot couna, femme,
nous avait fait illusion par son rapport de son et de sens avec le kona des
Skandinaves ; mais cette similitude disparaît dès qu'on sait que couna est
un composé peu galant de deux mots qui signifient langue courante.
Quelle que soit l'extension de cette langue-mère, elle n'embrasse pour-
tant pas la totalité du Brésil. Le savant Hervas assure, d'après les manus-
crits desjésuites portugais, que, dans le nord et le centre du Brésil, il existe
cinquante et une tribus qui parlent des idiomes entièrement différents du
guarani et du tupi; quelques-uns lui paraissent avoir de l'affinité avec des
dialectes caraïbes 2.
Nous aurions voulu terminer cette description rapide et imparfaite d'un
pays encore mal connu, par quelques notions certaines sur les forces poli-
tiques du nouvel empire dont il est le siége ; mais les matériaux complets
et authentiques manquent encore, et ceux que nous pouvons donner seront
suffisamment détaillés dans les tableaux 3.
Tout nous porte à admettre que le Brésil renferme 5,340,000 habitants,
sur lesquels il y a plus d'un million de Portugais.
Ara, jour. — Araiani, ciel, en sousou. Bou, terre. — Boke, idem, en sousou. Aba,
homme. — Auvo, idem, en mokho. Ii, eau. — Ji, idem, en mandingo; Je, idem, en
sousou. Acang, tête. — Oukoung, idem, en sokko; Koung, en mandingo.
Les analogies avec les langues océaniques sont plus faibles encore. Le Brésilien
dit tuba, père; tayra, fils ; tagira, fille; tiquyira, frère ami, mots qui ressemblent
de loin à taina, enfant mâle; taoguède, fils aîné; touaghané, frère aîné ; aux îles des
Amis.
Voici les nombres en brésilien ; oyepe, un; mocoï, deux; mosampir, trois; monhé-
rudic, quatre; opacambo, dix.
1 Arte da grammatica da lingua do Brasil, composta pelo P. Figueroa, 4· édition,
Lisbonne, 1795.
2 Hervas : Catalogo delle lingue, p. 26 et suiv. — 29.
3 Lorsque l'ouvrage de M. F. de Castelnau sera entièrement publié, on connaîtra
beaucoup mieux la géographie du Brésil. Déjà dans la partie historique de son
voyage, éditée en 6 volumes, en 1851, on prévoit tout ce que la science qui nous
occupe devra à ce savant voyageur ainsi qu'à ses compagnons, MM. Deville Weddell et
l'infortuné d'Osery, assassiné en décembre 1846, sur les confins du Pérou et du Brésil,
au moment où. il descendait l'Amazone pour rejoindre M. de Castelnau. Nous avons
plus d'une fois consulté, avec fruit, cet important ouvrage dont la partie géographi-
que ne paraîtra qu'en 1856-57.
V. A. M-B.
V.
66

522
LIVRE CENT VINGT-UNIEME.
Le gouvernement brésilien est une monarchie constitutionnelle; le chef
de l'État prend le titre d'empereur ; il sanctionne ou rejette les lois, pro-
roge ou dissout les Chambres et commande l'armée. Il y a au Brésil deux
Chambres, celle du sénat, dont les membres sont nommés à vie, et celle
des députés, nommés pour deux ans par les provinces. La Chambre élec-
tive a l'initiative sur les impôts, sur le recrutement, sur le choix de la
dynastie en cas d'extinction de la famille régnante, et sur la mise en accu-
sation des ministres. Chaque province a une Assemblée législative, où se
discutent les affaires d'intérêt local ; mais l'Assemblée générale peut
annuler les lois provinciales.
Tous les Brésiliens, à l'exception des mendiants, des domestiques et
des esclaves, jouissent du même droit civil et politique. La Constitution
consacre la liberté individuelle et religieuse, le libre exercice de l'indus-
trie, et la liberté presque illimitée de la presse.
L'armée de terre ne dépasse pas 24,000 hommes ; quant à la marine,
elle comptait, vers la fin de 1850, 120 bâtiments à vapeur et à voiles de
toutes dimensions, avec 418 bouches à feu et un personnel de 4,000
hommes.
Le budget général s'est élevé pour l'année 1850-1851 à 85 millions de
francs, dont les deux tiers proviennent des droits de douane, l'autre tiers
sur les droits perçus sur les monnaies, les diamants, les patentes, etc. Comme
chaque Assemblée provinciale a le pouvoir de voter des impôts pour sub-
venir à ses dépenses locales, le budget général avec les budgets particuliers
des provinces peut monter à 105 millions de francs pour tout l'Empire.
La dette extérieure s'élève à peu près à 155 millions de francs, la dette
intérieure à 140, et la somme de papier-monnaie en circulation dans tout
l'Empire, à 136 millions de francs.
Pour l'organisation judiciaire, chaque paroisse a un juge de paix,
chaque commune possède des juges, et chaque district un tribunal de
première instance et un tribunal criminel. On peut appeler de leur juge-
ment à quatre cours supérieures siégeant à Rio, Bahia, Pernambuco et
Maranhao ·, enfin, en dernier ressort, on peut recourir à une cour suprême
siégeant à Rio.
Il existe au Brésil de nombreux établissements de bienfaisance ·, les plus
importants sont les Maisons de Miséricorde, et les associations fraternelles
des confréries de Saint-Antoine, de Saint-François-de Paule, des Carmes,
de la Conception, de la Bonne-Mort et du Bon-Jésus. Les carmes, les
bénédictins et les franciscains possèdent de nombreux couvents. Rio pos-

AMÉRIQUE.
- TABLEAUX STATISTIQUE DU BRÉSIL.
523
sède un archevêque métropolitain, et chacune des provinces un évêque
ou un prélat.
L'instruction publique est surtout répandue dans les provinces mari-
times, et l'on comptait, en 1850, 42,215 élèves dans les écoles de l'Empire.
Enfin la presse brésilienne jouit, avons nous dit, d'une liberté presque illi-
mitée, car elle n'est sujette ni au cautionnement ni à aucun droit de timbre ;
ses principaux organes sont le Jornal do Comarca, journal officiel, le
Correio-Mercantil et le Diario de Pernambuco. Les progrès du Brésil dans
la voie civilisatrice sont lents, mais du moins ils sont constants, et depuis
quelques années ils ont pu être rapides, grâce à la paix profonde qui règne
dans cet immense Empire.
TABLEAUX statistiques du Brésil.
Statistique générale.
SUPERFICIE POPULAT. POPULAT.
DETTE
REVENDS.
DÉPENSES.
ARMÉE.
MARINE.
en lieues.
absolue ». par lieue c.
PUBLIQUE.
8 bat. à vapr.
300,000,000 f. 150,000,000 f. 145,000,000 f.
2 frégates.
401,600
5,340,000
13
en 1851.
en 1S52.
eu 1852.
24,000 h.
5 corvettes.
12 bricks.
20 bât. infer.
1 Dans cette population nous ne comprenons pas les Indiens qui vivent à l'état sauvage. Il est probalbe, qu'en en
tenant compte, le chiffre de la population du Brésil atteint 7 à 8 millions d'âmes.
Statistique des Provinces.
POPULATION
PROVINCES ET COMARCAS 1.
des
VILLES.
PROVINCES.
RIO-DE-JANEIRO
591,000
RIO-DE-JANEIRO t, Boa-Vista, Santa-Cruz,
Marica , Macacu, San-Salvador-dos-
Campos.
SAN-PAULO
610,000
Comarca de San-Paulo.
San-Paulo †, Villa-da-Princeza.
Comarca d'Ylu.
Ytu ou Hitu, Porto-Feliz, Sorocaba.
Comarca de Paranagua et Corytyba.
Corytyba, Paranagua.
SANTA-CATARINA
50,000
Cidade de Nossa-Senhora do Desterro,San-
Francisco, Laguna, Santa-Anna.
SAN-PEDRO OU RIO-GRANDE-DO-SUL. . . .
170,000,
Portalegre ou Porto-Alegre, Rio-Grande
ou San-Pedro, Estreito.
.
MATO-GROSSO
82,000
Mato-Grosso t , ci-devant Villa-Bella,
Cuyaba, Diamantino, San-Pedro-del-
Rey, Nova-Coimbra.
GOYAZ
150,000
Comarca de Goyaz.
Goyaz, ci devant Villa-Boa, Meia-Ponte
Comarca de San-Joao das duas Barros.
Pilar, Ouro-fino, Santa-Cruz, Bomfin.
Natividade, Aguaquente, Porto-Real,
1 Cette dernière division civile paraît abandonnée aujourd'hui, et remplacée par des julgados, ou arrondissements
judiciaires, subdivisés en freguezias, ou paroisses.

524
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
POPULATION
PROVINCES ET COMARCAS.
des
VILLES.
PROVINCES.
MINAS GERAES
930,000
Comarca de Ouro-Preto (or noir).
Cidade de Ouro-Preto ou Villa-Rica, Ma-
rianne f.
Comarca du Rio das Maries.
San-Joao del Rey, San-José.
Comarca du Rio das Velhas.
Sabara ou Villa-Real <lo sabara, Cahite ou
Villa-Nova da Raynha.
Comarca de Paracalu.
Parapatu ou Paracalu do Principe, San-
Romao.
Comarca du Rio-San-Francisco.
Rio-San-Francisco das Chagas, ou Rio-
Grande.
Comarca du Seno-Frio.
Villa do Principe.
ESPIRITO-SANTO
74,000
Victoria, Ville-Velha do Espirito-Santo.
BAHIA
560,000
Comarca de Bahia.
San-Salvador ou Bahia ††, Caxoerra, Ita-
picuru.
Comarca de Jacobina.
Jacobina, Villa-de-Contas.
Comarca de Itheos.
San-Jorge ou Itheos, Olivença.
Comarca de Porto-Seguro.
Porto Seguro, Belmonte.
SERGIPE
267,000
Cidade de San-Christovao ou Sergipe.
ALAGOAS
257,000
Alagoas ou Cidade das Alagoas, Penedo.
PERNAMBUCO
602,000
Comarca do Recife.
Cidade do Recife ou Pernambuco.
Comarca de Olinda-
Olinda t, Goyanna, Pasmado.
Comarca de Sertao (du Désert),
Symbres, ci-devant Orazaba.
PARAHYBA
246,000
Parahyba, Pombal.
RIO-GRANDE
69,000
Natal, Portalègre.
CEARA
273,000
Comarca do Ceara.
Cidade da Fortalezza ou Ceara, Aracaty.
Comarca de Crato.
Crato, Icco ou Yco.
PIAUHY
46,000
Oeyras, Parnahyba ou Pranahyba.
MARANHAO 183,000 Cidade de San-Luiz ou Maranhao †, Hycatu.
PARA OU GRAND-PARA
190,000
Comarca do Para.
Belem ou Para †, Macapa-
Comarca de Marajo.
Villa-de-Monforte ou Villa-Joannes,Chaves
Comarca do Rio-Negro.
Barra do Rio-Negro, Barcellos.
Comarca do Solimoës.
Olivença, Matura, Ega, Alvellos ou Coary.
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
Suite de la Description de l'Amérique. — Description des Guyanes française,
hollandaise et anglaise.
Le nom de Guyane ou Guayane, qui paraît appartenir en propre à une
petite rivière tributaire de l'Orénoque, a été donné, par extension, à cette
espèce d'île environnée, au sud, à l'ouest et au nord, des eaux de l'Amazone,

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DES GUYANES.
525
du Rio-Negro, du Cassiquiare et de l’Orénoque, et baignée au nord et au
nord-est par l'océan Atlantique.
Cristophe-Colomb découvrit la Guyane en 1498; Améric Vespuce y
aborda l'année suivante; Vincent Pinçon explora ses côtes en 1500·,
quelques auteurs prétendent que Vasco-Nunez les reconnut en 1504 ; le
navigateur Philippe de Hulten, qui y aborda vers 1545, prétendit y avoir
vu une ville dont les toits brillaient avec tout l'éclat de l'or; en 1595 l'anglais
Walter Raleigh remonta l'Orénoque jusqu'à 200 lieues de son embouchure;
enfin, un aventurier français, nommé Laravardière, s'y établit en 1604.
Ces différentes expéditions avaient principalemeut pour but de découvrir
dans cette contrée un pays tellement abondant en or, qu'on l'avait surnommé
El-Dorado. On ne sait qui avait répandu le bruit de l'existence de ce pays
fabuleux; mais lorsque Laravardière s'y établit, il fut facile de reconnaître
qu'aucune partie de l'Amérique n'est plus pauvre en or que la Guyane, et
que ses montagnes même sont, en général, très-peu métallifères.
Après plusieurs tentatives infructueuses, la première colonie française
fut établie à la Guyane en 1635 ; vers la même époque quelques colons
anglais avaient formé à l'embouchure du Surinam un établissement dont les
Français s'emparèrent et qui passa ensuite au pouvoir des Hollandais,
auxquels les Anglais l'enlevèrent ; ceux-ci, pendant la guerre de la révo-
lution, se rendirent maîtres de tous les établissements hollandais, qu'ils
restituèrent à la paix d'Amiens; mais en 1808 ils reprirent la partie qui
leur appartenait primitivement, et dont la possession leur a été assurée
par le traité de 1814. Depuis cette époque les gouvernements français,
anglais ou hollandais ont porté tous leurs soins vers la prospérité des
colonies qu'ils possèdent dans cette contrée.
L'intérieur de la Guyane est encore imparfaitement connu. Cependant
nous savons que les monts Mairari s'élèvent à plus de 1,000 mètres
au-dessus du niveau de la mer ; que les monts Roraima, qui sont de 1332
mètres plus élevés, s'étendent depuis 5 deg. 10 min. de latitude septen-
trionale jusqu'à 60 deg. 48 min. de longitude orientale; ils sont habités
par les Indiens Arecunas ; on y voit un des précipices les plus effrayants
que l'on puisse citer ; il est taillé à pic sur une hauteur de 486 mètres :
l'Essequibo, l’Orénoque et le fleuve des Amazones prennent leurs sources
dans ces montagnes. Sur les bords du Maruoua on remarque des figures
hiéroglyphiques gravées dans le granit. La rivière de Parmia forme un
grand nombre de rapides. Près de Purumani, la grande cataracte de la
Panina a 23 mètres de hauteur. Sur les bords du Mereouari, qui a sa source

526
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
dans les monts Sarisharinima, habitent les Guinaas, qui parlent un langage
différent de celui des autres indigènes.
Les côtes sont partout peu élevées, et même dans la plus grande partie,
si basses, que la haute mer les couvre pendant l'espace de plusieurs lieues.
Les caps ou promontoires ne se font apercevoir qu'à une petite distance :
cependant les vaisseaux s'en approchent sans danger, parce que des sondes
régulières indiquent d'une manière presque uniforme la proximité de la
côte. Les eaux de la mer, jusqu'à une distance de dix à douze lieues, sont
troubles à cause de la quantité de limon et de vase que les rivières y portent.
Parmi les terres basses, celles où les eaux de la mer restent stagnantes
se couvrent de palétuviers ; les autres, inondées seulement par les eaux
douces, portent des joncs, et servent d'asile aux caïmans, aux poissons, et
à toutes sortes de gibier aquatique. Ces dernières s'appellent savanes
noyées; les savanes sèches produisent d'excellentes herbes de pâturages.
Composé de sable, de limon et de coquillages, ce terrain paraît en partie
être le produit de la mer, qui, dans chaque inondation, y laisse un dépot,
et qui, en formant des dunes en plusieurs endroits, élève d'elle-même len-
tement la barrière qui un jour doit arrêter sa fureur. La mer rejette tantôt
de la vase et tantôt du sable; les palétuviers rouges croissent aussitôt dans
la vase, et lorsque les dunes de sable postérieurement formées interceptent
l'eau de la mer dont ils ont besoin, on les voit successivement mourir.
Quelques tertres isolés qui s'élèvent au milieu des terres basses, paraissent
avoir été anciennement des îles ; les alluvions successives les ont développés
et réunis au continent. Mais à quatre et surtout à dix lieues de la mer, on
rencontre des montagnes, presque toutes granitiques, quartzeuses ou schis-
teuses. Les roches calcaires sont inconnues dans la Guyane. Les petites
montagnes qui bordent la côte, ordinairement à la distance d'une ou deux
lieues ont généralement leur direction parallèle à celle de la côte.
Les principales rivières, telles que l’Oyapok, le Marο ni, le Surinam
et l’Essequibo, ont l'embouchure très-large et peu profonde, comme c'est
l'ordinaire dans un terrain bas et meuble. Leurs cataractes offrent rarement
un aspect majestueux. L'Oyapok en compte 8 dans l'espace de 20 lieues :
le Maroni les a moins nombreuses, mais plus grandes-, l'Essequibo n'en a
pas moins de 39 dans un assez petit espace. Les mêmes traits peuvent
s'appliquer aux autres rivières, qui sont le Démérary, la Berbice, le large
Corentin, le Sinnamary, si tristement célèbre, l’Aprouague et l’Arouari,
pendant quelques années limite des Français et des Portugais.
La saison sèche, qu'on appelle le grand été, dure, à Cayenne, depuis la

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DES GUYANES.
527
fin de juillet jusqu'en novembre. La saison pluvieuse règne surtout dans
les mois qui correspondent à l'hiver d'Europe ; cependant les pluies sont
plus fortes en janvier et février. Dans la règle, le mois de mars et le commen-
cement de celui de mai présententun temps sec et agréable; on appelle cette
époque le petit été. En avril et mai, les pluies reviennent aussi fortes que
jamais. Le climat tant décrié de la Guyane est moins chaud que celui des
Indes orientales, de la Sénégambie et des Antilles. Le thermomètre centi-
grade, à Cayenne, s'élève à 35 degrés dans la saison sèche, et à 30 dans la
saison pluvieuse. D'autres observateurs indiquent pour Surinam des termes
qui paraissent encore plus bas, savoir : 31 pour le maximum moyen de
chaleur, et 25 degrés pour la chaleur moyenne de l'année. Ce qui surtout
diminue la chaleur à la Guyanne, c'est l'action des vents dominants, qui
viennent du nord pendant la saison pluvieuse, et de Test, quelquefois du
sud-est, pendant la saison sèche. Ces vents passant tous sur de vastes éten-
dues de mer, apportent une température plus fraîche, de sorte que dans
l'intérieur, le froid des matinées oblige l'Européen à se chauffer. 11 y a des
différences sensibles entre le climat de diverses parties de la Guyane. Sur
l’Oyapok les pluies sont plus fréquentes qu'à Cayenne. L'époque des sai-
sons n'est pas partout la même. A Surinam, les pluies et les sécheresses
commencent un ou deux mois plus tard qu'à Cayenne ; mais le voyageur
Sledmann ajoute que ces époques ne sont pas entièrement fixes.
Considéré sous le rapport de la salubrité, le climat a été trop calomnié.
Il a les doubles inconvénients attachés à tout pays en friche, couvert de bois
ou de marais, et à toute contrée chaude et humide. Les maladies qui atta-
quent les Européens nouvellement arrivés sont des fièvres continues. Ce
sont les abatis nouvellement faits qui exposent le plus la santé des nouveaux
colons ; le soleil développe les miasmes qu'exhale un terrain formé de
débrisdesvégétaux accumulés depuis des siècles; mais ce danger n'existe
que dans les premières années. Les fièvres tierce et double-tierce, qui règnent
habituellement dans le pays, sont incommodes, mais peu dangereuses. Les
épidémies sont très-rares, et la petite-vérole y a été extirpée.
Les inondations de la Guyane présentent au voyageur un tableau curieux
dont nous allons essayer de retracer l'image. Grossies par des pluies conti-
nuelles, toutes les rivières se débordent ; toutes les forêts avec leurs
immenses troncs, leurs labyrinthes d'arbustes, leurs guirlandes de lianes,
flottent dans l'eau. La mer joint ses flots amers aux eaux courantes; elle y
apporte un limon jaunâtre-, les poissons de mer, les oiseaux aquatiques et
les caïmans se répandent partout; les quadrupèdes sont obligés de se réfu-

528
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME
gier sur le haut des arbres; et à côté des singes qui, en gambadant, se sus-
pendent aux arbres, on voit courir les énormes lézards, les agoutis, les
pécaris, qui ont quitté leurs tanières inondées; à côté d'eux, les oiseaux
palmipèdes, qui, par leur conformation, semblent condamnés à rester sur
terre ou dans l'eau, s'élancent ici sur les arbres pour éviter les caïmans et
les serpents, qui partout se jouent dans l'eau ou se vautrent dans la fange.
Les poissons abandonnent leur nourriture ordinaire offerte par l'humide
élément, et mangent les fruits et les baies des arbustes parmi lesquels ils
nagent. Le crabe s'attache aux arbres, l'huître croît dans les forêts. L'In-
dien qui, dans son bateau, parcourt ce nouveau chaos, ce mélange de terre
et de mer, ne trouve pas un coin de terre pour se reposer ; il suspend son
hamac aux branches les plus élevées de deux arbres, et dort tranquillement
dans ce lit aérien, que les vents balancent au-dessus des flots.
Toute l'année a ses récoltes de fruits; cependant les arbres mêmes qui
sont toujours chargés de fruits, n'en portent en abondance qu'en certains
temps fixes, qui semblent être les époques de leur récolte : tels sont les
orangers, les limoniers, les poiriers-avocats, dont le fruit est surnommé
moelle végétale (laurus persea), les sapotilliers, les corossols et plusieurs
autres qui ne viennent que dans les endroits cultivés. Ceux qui croissent
naturellement dans les forêts ne produisent qu'une fois par an, et la plu-
part dans les mois qui correspondent au printemps d'Europe. Tels sont les
fruits de palmiers, ceux du mari-tembour, du prunier-mombain, et autres.
Parmi les arbres fruitiers transportés de l'Europe, il n'y en a que trois qui
aient réussi généralement, savoir: la vigne, dont cependant les raisins
pourrissent dans le temps des pluies, et sont dévorés en été par les insectes;
le grenadier, et surtout le figuier. Les arbres fruitiers des Indes orientales,
tels que les manguiers et les jambosiers, viennent infiniment mieux.
Avant l'arrivée des Européens, la Guyane possédait trois espèces de
cafiers, le coffea guaynensis, le paniculata et l’occidentalis; mais on y a
introduit le cafier arabique. Les girofliers, les cannelliers, les muscadiers y
ont été transportés avec beaucoup de succès. Il y a plusieurs espèces de
poivriers. Le cacaoyer vient spontanément à l'est de l'Oyapok. L'indigo et la
vanille y sont indigènes. Parmi les plantes alimentaires du pays, le manioc
amer et le ca-manioc1 tiennent le premier rang; les ignames, les patates,
les tayoves, deux espèces de mil offrent encore une nourriture abon-
dante.
1 Bajou, v. I, Mémoire XV; mais Aublet, t. II, Mémoire III, distingue cinq sous-
espèces de manioc propre ou vénéneux.

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DES GUYANES.
529
La Guyane a donné à ia médecine le précieux quassia ou bois de Suri-
nam. Beaucoup d'autres végétaux produisent de§ sucs amers et astringents
d'une grande utilité médicale, tels que le dolichos pruriens, la violette
ytombou, espèce d'ipécacuanha, la noix d'huile de castor, le costus ara-
bique, la potalée amère. Il faut en chercher les noms dans les mémoires de
MM. Bajon et Aublet. Parmi les gommes et résines, on doit remarquer la
gomme copahu ou capivi. Le laborieux médecin M. Leblond a cherché en
vain le quinquina, môme sur les montagnes de l'intérieur. Ce végétal n'a
pu franchir les plaines basses qui environnent et isolent le plateau de la
Guyane.
Mais à côté de ces arbustes salutaires, les forêts de la Guyane cachent les
poisons les plus terribles. La duncane est un petit arbrisseau qui donne à
l'instant la mort aux bestiaux qui en mangent ; on assure que l'instinct
des animaux ne leur apprend pas à connaître cette plante redoutable. Les
ravages du poison végétal nommé wourara sont tels, selon Stedmann, qu'un
enfant mourut sur-le-champ pour avoir sucé la mamelle de sa mère un ins-
tant après qu'elle eut été frappée d'une flèche qui en avait été enduite.
Parmi les arbres forestiers de la Guyane, les uns, mous et spongieux,
comme les bananiers, les palétuviers, ne servent qu'à allumer le feu ; les
autres, extrêmement durs, incorruptibles et susceptibles du plus beau poli,
ont l'inconvénient de résister à la scie et aux autres outils; tels sont le oua-
tapa, le balata, l'angelin. Quelques autres espèces, en se rapprochant de
ceux-ci, donnent plus de prise aux outils : on distingue le férole, qui s'ap-
pelle aussi bois satiné; le licaria, qui, dans sa jeunesse, porte le nom vul-
gaire de bois de rose, et dans sa vieillesse est faussement désigné par les
colons comme un arbre différent, sous le nom de sassafras; deux espèces
d’icica, qu'on décore du titre de cèdre noir et blanc, le bagassier, le couri-
mari et l'acajou. L'aspect des forêts de la Guyane est imposant et varié.
Les majestueux panax morolotoni, le bignonia copaia. le norante, élèvent
leurstêtes jusqu'à 25 et 30 mètres. Le faramier, l'ourate, le mayèpe répandent
au loin une odeur balsamique. Les lianes et les arbrisseaux grimpants, en
décorant ces forêts, les rendent souvent impénétrables; là c'est le mourou-
cou ou le malani, dont les branches sarmenteuses s'élancent autour des
troncs et des rameaux ; ici c'est l'ouroupari et le rouhamon, qui, l'un par
ses épines en forme de crochets, l'autre par ses vrilles, s'élèvent jusqu'aux
cimes des arbres les plus hauts. On voit des grappes de fleurs de diverses
espèces pendre de tous les côtés sur l'arbre, dont le feuillage véritable dis-
paraît presque sous des ornements étrangers.
v.
67

530
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
Nous pourrions encore remarquer une foule d'arbres utiles ou curieux,
tels que la simira, qui donne une belle teinture rouge ; le cotonnier sau-
vage, qui a souvent 4 mètres de circonférence, et dont on construit des
canots très-grands; le patavoua, qui forme un grand parasol, dont un seul
sert de toit à une cabane pour vingt-cinq personnes; le vouay, dont les
grandes feuilles sont employées à couvrir les maisons, et résistent pendant
plusieurs années aux injures de l'air.
Les mammifères de la Guyane sont des mêmes espèces que ceux du Bré-
sil et du Paraguay. Les jaguars passent pour être petits, mais ils n'ont pas
encore été très soigneusement observés. M. Bajon dit cependant que
le jaguar peut terrasser un bœuf, mais qu'il est timide et lâche devant
l'homme1 ; Stedmann lui donne 2 mètres de long du museau à la naissance
de la queue. Le couguar l'approche en grandeur. Le couguar noir (felis
discolor) est ici de la grosseur d'un grand chat; mais sa peau est aussi belle
que celle du jaguar, et sa férocité, sa soif de sang n'est pas moindre. Selon
Stedmann, le jaguarète serait encore une quatrième espèce de chât, qui a la
peau tachetée de noir et de blanc, ce qui est contraire à l'opinion aujour-
d’hui reçue, et d'après laquelle les naturalistes regardent le jaguar et le
jaguarète comme synonymes, mais formant deux variétés différentes. Les
autres espèces du genre felis sont le felis unicolor, et le margay ou felis
tigrina. Après le tapir, les fourmiliers comptent parmi les grands quadru-
pèdes. Les espèces les mieux connues sont le fourmilier didactyle, le taman-
dua et le tamanoir ; celui-ci a quelquefois 2 mètres 60 centimètres de la
tête à la queue; il se défend avec ses griffes même contre le jaguar; s'il
réussit à serrer cet ennemi entre ses pattes, il ne le lâche qu'après l'avoir
tué. Le chien crabier vit sur les bords de la mer ; il se sert de ses pattes,
presque comme un homme de ses mains, pour tirer les crabes de leurs
trous. Parmi les familles des singes, extrêmement nombreuses, on distingue
l'atile coïata, qui se suspend aux branches par sa longue queue tournée en
spirale; le timide atile belzébuth, le joli petit saki-winski, appelé tamarin
par quelques Français ·, le doux et aimable kisikisi, le farouche alouate
(mycetes seniculus), le sapajou-sajou (cebus apella), et cinq ou six autres
espèces de ce genre ; le sagoin saimiri, l’ouistiti vulgaire, et beaucoup
d'autres qu'il serait trop long d'énumérer. Parmi trois espèces de biches,
le cariacou se rapproche, pour la grandeur et pour la forme, du chevreuil
1 Bajon : Mémoire sur Cayenne. Voyez aussi le voyage de Schomburgck et le t. V
de la Relation du voyage de M. F. de Castelnau dans l'Amérique du Sud ; chap. LIX et
suivants.

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DES GUYANES.
531
d'Europe. L'agouti est le gibier le plus commun et le meilleur; cependant
la chair du paca est encore préférée. Le cabiai habite les bords des rivières
et des lacs; ses soies et ses défenses lui donnent l'air d'un cochon. Le
pécari, appelé aussi tassajou ou cochon des bois, animal très-différent de
nos cochons, s'attroupe en grand nombre. Il passe, sans se déranger, à
travers les jardins et les cours, même à travers les rangs d'une armée.
Les écureuils, mentionnés par Bancroft, ne paraissent pas différer sen-
siblement des espèces connues en Europe. Le coati, qui a quelquefois
65 centimètres de long, emporte sans façon les oies et les coqs d'Inde ; le
grison (gulo vittalus), nommé crabbodago à Surinam, est d'un caractère
si féroce, que, sans être pressé par la faim, il immole tout animal vivant
qu'il rencontre et dont il peut se rendre maître.
La Guyane possède plusieurs espèces de tatous et de didelphes ou
sarigues. Stedmann nie à tort l'existence du fameux didelphis œneas ou
virginiana, qui, en cas de danger, porte, disait-on, ses petits sur le dos.
Parmi les chauves-souris, le vampire de la Guyane est redouté ; il y en a
qui ont 65 à 95 centimètres d'envergure ; le vesperlilio lepturus, décrit et
figuré par Schreber, ne s'est encore trouvé que dans les environs de
Surinam.
Le serpent boa est appelé à Surinam aboma ; il devient quelquefois long
de 13 mètres et d'une circonférence de 1 mètre 30 centimètres ; il engloutit
des sangliers, des cerfs, des tigres entiers. Quelques coups de fusil bien
dirigés donnent la mort à ce nouveau Python ; les nègres lui enlacent une
corde autour du cou, le suspendent à un fort arbre, et l'entourant de leurs
bras grimpent après le reptile comme à un mât, atteignent son cou, lui
ouvrent la gorge avec un couteau, et se laissant couler à terre le pour-
fendent dans toute sa longueur; puis l’écorchent tout palpitant pour avoir
sa graisse qui est excellente. Les deux serpents venimeux les plus connus
sont celui à sonnettes et celui nommé grage : ce dernier, habitant des
forêts de l'intérieur, est le plus méchant; son venin n'est pas aussi actif,
mais la courbure et la disposition particulière de ses incisives rendent ses
morsures terribles.
La Guyane abonde en crapauds, en lézards et en caïmans. Les gastro-
nomes y recherchent Viguana deticatissima, espèce de lézard qui vit sur
les arbres, et dont la chair est un mets friand. Les alligators infestent les
fleuves et les grandes rivières.
La Guyane nourrit la plupart des oiseaux indigènes et particuliers au
Nouveau Continent. Trois oiseaux de la Guyane ressemblent extérieure-

532
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
ment nu faisan ; l'un d'eux, le parraqua, a le cri extrêmement fort. Le tou-
can, l'agami, le tangora, le colibri et une petite perruche appelée calli, et
qui n'est pas plus grosse qu'un moineau, animent les forêts et y étalent
leurs couleurs variées. Le prionus giganteus, que l'on rencontre sur les
bords de la Mana, et qui est le plus grand insecte connu, et le fulgore
porte-lanterne, remarquable par sa propriété phosphorescente, sont les
principaux insectes de la Guyane. Parmi les poissons d'eau douce, lepacou
et l’aymara offrent au voyageur une nourriture délicieuse. Le warapper
est pris parmi les arbres où il vient s'engraisser pendant l'inondation, et
où il reste embarrassé dans les branches lors de la baisse des eaux. Le
lamantin habite les rivières et les lacs; le poisson volant est poursuivi dans
les eaux par le requin, et dans les airs par le cormoran ; enfin le sucet
rémore (echineis remora) s’attache fortement par la tête aux corps solides.
Mais il est temps d'en venir à la description particulière des colonies
européennes.
Les colonies ci-devant hollandaises d’Essequibo ou Essequebo, de Démé-
rari et de Berbice, forment aujourd'hui la Guyane anglaise. Les limites du
côté de la république de Venezuela (département d'Orinoco), ne sont pas
bien fixées. On évalue néanmoins sa superficie à 3,120 lieues géogra-
phiques carrées, et sa population à 117 ou 118,000 habitants, dans les-
quels sont compris les nègres indépendants, les tribus sauvages indigènes,
et quelques centaines d'Indiens engagés venus des colonies des Indes orien-
tales pour suppléer au manque de bras qui a résulté de l'émancipation des
noirs. Le bourg et le port D’ Essequebo sont dans une excellente situation
sur le confluent des deux grands cours d'eau de Courna et d'Essequebo.
Les habitants demeurent la plupart dans leurs plantations le long du fleuve.
Les bois étant abattus, l'air de mer y circule librement, et le climat est plus
tempéré qu'à Surinam. On avait cru trouver des mines sur le haut du
fleuve Essequebo, dont le cours est d'environ 200 lieues ; les cartes y
marquent même une mine de cristal; mais les essais que les Hollandais ont
faits pour découvrir ces trésors n'ont pas eu de succès.
Le gouvernement d'Essequebo-Démérari est la plus florissante de ces
colonies. Stabrock, que les Anglais appellent George-Town, en est la capi-
tale et compte près de 25,000 habitants, qui joignent aujourd'hui le luxe
anglais aux manières hollandaises. Les grandes richesses des colons ont
fait naître ici des prix excessifs et incroyables pour toutes les denrées étran-
gères; une livre de thé coûtait naguère une guinée. Fort-insel, dans la
colonie d'Essequebo, est un poste peu important.

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DES GUYANES.
533
On ne trouve ni à Essequebo ni à Démérari ces bancs de coquillages si
fréquents sur toute la côte de la Guyane-, ces dépôts de la mer ne com-
mencent qu'à Berbice. Le terrain d'Essequebo et de Démérary est une vase
tantôt bleuâtre et tantôt grise, qui souvent n'a que la consistance de la
boue.
Dans la colonie, ou le gouvernement de Berbice, l'endroit principal est
la Nouvelle-Amsterdam, sur la rivière Berbice, qui n'a point de chutes
d'eau comme les autres rivières de la Guyane. Les terres basses s'étendent
ici, sans interruption, à deux, trois et quatre lieues de la côte. On y trouve
plus de plantations de cacao et de café que de sucre.
La petite cité de Nouvelle-Amsterdam est bâtie dans le goût hollandais ;
chacune de ses maisons, couverte de feuilles de bananiers, s'élève au milieu
d'un jardin qu'entoure un fossé qui se remplit et se vide à chaque marée,
et forme en quelque sorte une île particulière. Ainsi l'Océan se chargeant
chaque jour d'enlever les immondices de celte ville, contribue à sa salubrité.
Le fort de Nassau défend l'entrée de la colonie du côté de la mer.
Huit peuplades sauvages, dont quelques-unes passent pour être anthro-
pophages, existent dans la Guyane anglaise; ce sont les Araouaaks, les
Accaouais, les Caraïbises, les Ouaraous, les Macasi's, les Paramani's, les
Attaraya's et les Attamacka's. M. Hillhouse, employé supérieur de la colo-
nie, en visita quelques-unes en 1830 et 1831.
« Les Araouaaks, dit-il, croient à un Être suprême, auteur de toutes
« choses, et dont le frère gouverne l'univers; ils croient aussi à un être
« malfaisant qu'ils cherchent à se concilier par les conjurations de leurs
« peaye-men, ou sorciers. Ces jongleurs se servent d'une calebasse dans
« laquelle ils mettent des cailloux, et qu'ils agitent pour chasser ces enne-
« mis du lit des malades. D'après la tradition de ces Indiens sur la création,
« le Grand-Esprit s'étant posé sur un cotonnier de soie, détacha des mor-
« ceaux de l'écorce de cet arbre, qu'il jeta dans un ruisseau au-dessous de
« lui, et qui, bientôt animés, prirent la forme de tous les animaux. L'homme
« fut le dernier des êtres qu'il anima; après l'avoir créé, Dieu le plongea
« dans un profond sommeil, et l'ayant touché pendant ce sommeil,
« l'homme, à son réveil, trouva la femme à ses côtés. »
Les Araouaaks sont d'une taille moyenne ; leurs mains et leurs pieds
sont d'une petitesse extrême, surtout chez les femmes; leurs yeux se
dressent obliquement vers les tempes, et leur front est plus déprimé que
celui des Européens.
Les Accaouais, dont le nombre se monte à environ 700 sur les rives du

534
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
Démérari, et à 1,500 sur celles du Massarouni, ne sont pas d'une taille plus
élevée que les Araouaaks ; mais leur peau est d'un rouge foncé. Ils sont
turbulents, querelleurs, belliqueux, et peuvent supporter les plus grandes
fatigues-, mais toute espèce de subordination leur est insupportable, et
leurs chefs ont moins d'ascendant sur eux que dans les autres tribus.
Les Caraïbiscs ou Caraïbes occupent la partie supérieure de PEssequebo
et du Coiouni. Renommés pour leur bravoure, ils sont les plus crédules,
les plus bornés, les plus obstinés et les plus vindicatifs de tous les Indiens.
Ils ont, d'après quelques traditions, habité jadis les îles Caraïbes. Toute
espèce de nourriture animale paraît convenir aux Caraïbiscs; ils mangent
les tigres, les chats, les rats, les grenouilles, les crapauds, les lézards, les
insectes, comme le poisson et le gibier; cependant le poisson est l'aliment
qu'ils préférent.
Les Ouaraous ou Waraws habitent la côte de Pommeroun, depuis
Maroco Crick jusqu'à l'Orénoque.Leur nombre n'excède pas 700 individus
des deux sexes. Ils sont presque tous constructeurs de bateaux, et ils tirent
un grand profit de la vente de leu rs pirogues. Les femmes Indiennes coha-
bitent avec l'autre sexe dès l'âge de dix à douze ans, elles sont vieilles à
trente ans et l'on assure qu’elles dépassent rarement quarante ans.
Les Macasi's sont d'une petite stature, faibles de corps, et d'une teinte
plus jaune que les Accaouais, avec lesquels ilsontd'ailleurs quelque ressem-
blance. Leur nombre est peu considérable.
Les Paramani's, les Attaraya's et les Attamacka's font trois peuplades
tellement enfoncées dans les terres, que la colonie n'a aucun rapport avec
·
elles. Ils passent pour être à la fois belliqueux, sanguinaires et pillards,
comme la plupart des montagnards, et déterminés à ne souffrir aucun
blanc sur leur territoire.
Les Bonnys ou Bonis sont des nègres qui se sont retirés dans les parties
les plus inaccessibles des forêts de la Guyane anglaise. Leur nom est celui
d'un soldat français qui, après avoir déserté Cayenne pour éviter une puni
tion qu'il avait méritée, chercha un refuge au sein de cette tribu de nègres,
les exerça au maniement des armes et en devint le roi. Ces Bonis sont au
nombre de 7 à 8,000.
La superbe colonie de Surinam reste aux Hollandais; c'est peut-être le
chef-d'œuvre de ce genre d'industrie humaine. Aucune des Antilles ne pré-
sente une culture aussi étendue et aussi lucrative. .
La Guyane hollandaise, baignée au nord parl'Atlantique, borné à l'ouest
par la colonie anglaise, au sud par le Brésil, et à l'est par la Guyane fran-

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DES GUYANES.
535
çaise, dont elle est séparée par le cours du Maroni, a une superficie que
l'on peut évaluer à 5 ou 6,000 lieues et une population que l'on évaluait
en 1849 : à 52 ou 53,000 âmes, composée de 12,577 colons ou libres et
de 40,413esclaves ; de plus 17 à 18,000 Indiens indépendanls ou nègres
fugitifs errent dans l'intérieur. Cette colonie hollandaise est traversée par
deux rivières considérables, le Surinam et la Saramaca, qui vont se jeter
dans l'Océan. Sa capitale, Paramaribo, est une des plus belles et des plus
riches villes de l'Amérique méridionale; toutes ses rues sont larges, par-
faitement droites, plantées de chaque côté d'allées de citronniers, d'oran-
gers et de tamariniers toujours chargés de fleurs ou de fruits, et, au lieu
d'être pavées, elles sont sablées comme les allées d'un jardin. Les rues des
faubourgs sont plantées comme celles de la ville; les places publiques,
ombragées également par de beaux arbres, sont vastes et régulières. Toutes
les maisons sont construites en bois plus ou moins précieux, et les fenêtres,
au lieu de vitres sont garnies de rideaux de gaz parfaitement disposés pour
défendre de la chaleur. Les habitations en général sont élégamment ornées de
peintures, de glaces, de dorures, de lustres de cristal et de vases de por-
celaine; les murs des chambres ne sont jamais enduits de plâtre ni cou-
verts de tapisseries de papier, mais sont lambrissés de bois précieux. Le
palais du gouverneur est un magnifique édifice couvert en tuiles. Le port
est garni de larges quais d'un abord facile en tout temps; il s'ouvre à l'em-
bouchure du Surinam, que l'on voit toujours sillonné par des barques et
des canots dont le nombre annonce la plus grande activité commerciale.
Pendant l'année 1846 la valeur des importations a été de 1,757,155 fr., 37
et celle des exportations de 2,498,570 fr., 19. Cette ville fut en grande
partie détruite en 1821 par un incendie qui consuma 1,500 bâtiments ;
mais ce désastre fut bientôt réparé. Sa population est d'environ 22,000
individus, parmi lesquels se trouvent plus de 9,000 blancs. Elle entretient
des relations continuelles avec des peuplades indigènes; elles y portent des
bois précieux et d'autres objets qu'elles échangent contre des armes à feu.
Les environs de Paramaribo sont couverts de charmantes maisons de cam-
pagne. Le fort Zélandia défend l'approche de la ville.
Le fort de la Nouvelle-Amsterdam est entretenu sur un pied respectable ;
il s'élève sur une langue de terre entre le Surinam et le Commewyne.
Savanna, à environ 16 lieues de Paramaribo, sur la droite du Surinam
est un joli village entièrement habité par des juifs, qui y prouvent que ce
peuple peut ne pas s'adonner exclusivement au commerce ; ils s'y livrent
aussi à l'agriculture. Ils y ont une synagogue et une école supérieure.

536
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
Batavia est un établissement formé par le Gouvernement hollandais pour
les malheureux lépreux; il est dirigé par une mission catholique et compte
5 à 600 âmes. Groningue, Willemsburg sont d'autres centres de population
naissants.
L'aspectdes colonies hollandaises et anglaisesa quelque chose d'extraor-
dinaire, d'unique même pour ceux qui ont vu la Hollande ou le Bas-Holstein.
Une vaste plaine, absolument horizontale, couverte de plantations floris-
santes, émaillées d'un vert tendre, aboutit, d'un côté à un rideau noirâtre
de forêts impénétrables, et est baignée, de l'autre côté, par les flots azurés
de l'Océan. Ce jardin, conquis sur la mer et sur le désert, est divisé en un
grand nombre de carrés environnés de digues, séparés par de larges routes
et par des canaux navigables. Chaque habitation semble un petit village à
part, et le tout ensemble réunit, dans un étroit espace, les charmes de la
culture la plus soignée aux attraits de la nature la plus sauvage.
On appelle nègres Bush ou Bosh des nègres originairement marrons ou
révoltés qui ont peu à peu formé des bandes très-considérables et habitent
dans l'intérieur de la colonie. Après une guerre longue et acharnée, qui a
duré pendant les années de 1756 à 1761, un traité fut conclu avec eux et
de part et d'autre il a été fidèlement observé. Les nègres Bush reconnus par
ce traité forment les nations d’Auca, de Saramaca, de Mœsinga et de
Becœ. Les premiers habitent le haut de la rivière de Catica ; les seconds
celui de la rivière de Surinam et de la Saramaca, et les derniers les sources
de la Marowyne.
Outre ces nègres Bush, il se trouve encore dans la Guyane hollandaise
différents établissements non reconnus de nègres marrons, formés depuis
une centaine d'années, et des nègres Bonnys, dont nous avons parlé qui
ne se montrent jamais et qui sont en guerre perpétuelle avec les nègres
Bush reconnus. Le nombre des nègres Bush peut être de neuf à dix mille.
Chaque nation a un chef, et chaque campement a un capitaine.
Ces nègres vont tout nus, mais ils vivent dans l'abondance. Ils font de
bon beurre avec la graisse clarifiée des vers-palmistes ; ils tirent une très-
bonne huile des pistaches de terre. Au moyen de trappes artistement pra-
tiquées et des hautes marées, ils prennent abondamment du gibier et du
poisson, qu'ils font sécher à la fumée pour les conserver. Leurs champs
sont couverts de riz, de manioc, d'ignames, de plataniers. Ils tirent du sel
des cendres du palmier, comme font les Hindous, ou bien ils y suppléent
fréquemment avec du poivre rouge. Ils ont toujours en abondance le vin de
palmier, qu'ils se procurent par une incision de 33 cent, carrés dans le tronc,

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DES GUYANES.
537
dont ils reçoivent le jus dans un vase. Le latanier, ou le pineau, leur fournit
tous les matériaux pour construire leurs maisons. Le calebassier leur donne
des coupes ou des gourdes. Le mauricia renferme des filaments dont ils
font leurs hamacs, et même il croît sur les palmiers des espèces de bonnets
d'un tissu naturel, comme le suslillo du Pérou. Les lianes de toutes sortes
leur servent de cordes. Pour avoir du bois, ils n'ont qu'à le couper. Ils
allument du feu en frottant l'un contre l'autre deux morceaux debois qu'ils
nomment by-by. Ce bois étant élastique, leur procure aussi d'excellents
bouchons. Avec la graisse et l'huile, qu'ils ont en abondance, ils peuvent
faire des chandelles ou allumer des lampes; les abeilles sauvages leur
donnent de la cire et de très-bon miel.
En outre de la population libre et esclave, se trouvent les Indiens qui se
partagent en quatre grandes nations : les Caraïbes, les Warews, les
Arawccas, qui existent, comme nous l'avons vu, dans la Guyane anglaise,
et les Cabougres ou Câpres. Ces derniers sont pour la plupart, établis aux
bords de la rivière Marowyne; ils forment tous de petits campements qui
rarement dépassent une centaine d'individus. On peut estimer le nombre
total des Indiens de cette région à environ 2,500. Ils sont doux, affables,
mais paresseux et adonnés à l'abus des liqueurs fortes.
L'autorité suprême dans la Guyane hollandaise est maintenant exercée
au nom du roi par un gouverneur, commandant les forces militaires et
navales, avec l'assistance d'un conseil colonial présidé par lui. La justice
est rendue par la cour de la colonie de Surinam; il y a en outre, une cour
militaire. La garde de la colonie est confiée à un major-commandant qui a
sous ses ordres 6 compagnies, dont une d'artillerie et une de soldats noirs
dits guides coloniaux ; la milice compte 5 compagnies et a son major parti-
culier. La Guyane hollandaise, sous le rapport financier, reçoit encore
annuellement environ de 50,000 florins de la mère-patrie.
La Guyane française, entre la précédente et le territoire brésilien, n'a
point encore de limites officielles bien déterminées. Le traité d'Amiens les
fixa à l'Arouary, rivière qui débouche dans l'Amazone en dedans du cap
Nord; mais la paix de 1815 a provisoirement indiqué l'Oyapok pour limites,
et il est à craindre que le provisoire ne soit devenu définitif, grâce à l'in-
souciance de nos hommes d'Etat. La Guyane française, d'après ces limites,
comprend donc, depuis l'embouchure du Maroni jusqu'à celle de l'Oyapok,
une étendue de 80 lieues de côtes. Ces deux rivières, qui lui servent de
limites à l'est et à l'ouest, sont les plus considérables qui l'arrosent. Entre
ces deux cours d'eau, l’Approuague et la Mana ont 30 à 40 lieues de lon-
Y.
68

538
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
gueur. Cette partie de la Guyane est plus saine que les deux autres, et pre-
sente les éléments de la plus grande prospérité. 11 n'y règne aucune maladie
endémique ; la petite-vérole n'y a paru que deux fois en vingt-quatre ans,
et la fièvre jaune qu'une seule fois depuis la fondation de la colonie. Le
sol est très-fertile-, mais quels progrès l'agriculture ne peut-elle pas y faire,
puisque sur une superficie égale au cinquième de toute la France, cette
colonie n'a que 7,774 hectares en culture, dont les trois quarts sont cul-
tivés en sucre, en colonnier-roucouyer, en légumes, en riz et en maïs ; et
l'autre quart en café, en cacao et en diverses épices ! Le territoire de cette
colonie renferme de vastes savanes, dont les pâturages pourraient servir à
fonder une branche d'industrie importante, en y élevant des chevaux et des
bêtes à cornes dont il serait facile d'approvisionner les Antilles. Le nombre
des bestiaux est loin d'être en rapport avec les moyens élémentaires que
leur offre le sol si fécond de la colonie. L'intérieur des terres est habité par
un peuple indépendant appelé les Oyampis ; ne pourrait-on pas en uti-
liser le voisinage en les civilisant, en leur inspirant le goût de la vie séden-
taire, et en les engageant à cultiver en grand sous notre protection le coton
et le café? Enfin la superficie de cette colonie est la plus considérable
des trois, puisqu'on l'évalue à 5 ou 6,000 lieues carrées, et cependant la
population est la plus faible.
La Guyane est la seule des possessions françaises où l'émancipation des
esclaves ait ruiné le travail. Bien avant 1848, époque de cette émancipa-
tion , elle languissait faute de bras ; ses immenses savanes, ses vastes forêts
vierges appelaient et appellent encore des cultivateurs laborieux et des
pionniers intelligents. La population de la Guyane était en 4848 de 1,300
blancs, de 5,000 hommes de couleur et de 12,000 noirs affranchis. Elle
est presque toute concentrée dans l'île de Cayenne.
La nature n'a pas traité Cayenne avec moins de faveur que Surinam.
Mais l'ignorance, si commune chez les hommes d'Etat français; la pré-
somption , compagne de l'ignorance ; enfin la puissance combinée de la
routine et de l'intrigue ont toujours enchaîné les hommes éclairés et entre-
prenants qui ont proposé les vrais moyens pour faire sortir cette colonie
de sa trop longue enfance. Outre l'indigo, le coton et le café que les
Indiens cultiveraient, ils pourraient fournir tous les vivres nécessaires à
une grande population de nègres.
Cayenne est le chef-lieu de la colonie française. Cette ville, bien fortifiée
du côté de la mer, est presque inaccessible du côté de la terre, où des
marais et des bois remplissent l'île dans laquelle elle est située. Cette île,

AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DES GUYANES.
539
large de 7 lieues et longue de 10, est baignée par l'Atlantique, la rivière
d'Ouya et celle de la Cayenne. Son sol est très-fertile, mais les mosquitos
et d'autres insectes y sont plus incommodes que sur le continent. Cayenne
est loin de pouvoir être comparée aux cités des Guyanes anglaise et, hollan-
daise. Son port aurait besoin d'un quai commode; il est menacé d'être
mis à sec par les alterrissements. La ville est formée de deux parties,
l'ancienne et la nouvelle. La première est mal construite, entourée de
vieilles murailles et dominée par des fortifications en ruine. La seconde est
plus considérable et mieux bâtie; ses rues sont larges et bien aérées. Les
deux quartiers réunis renferment un peu plus de 3,000 habitants ; on y
entretient un jardin botanique de naturalisation. Il y a une cour d'appel,
un tribunal de première instance et une imprimerie. Dans les environs de
Cayenne, est le vaste établissement national de la Gabrielle, où l'on cultive
le giroflier en grand. Si de l'île de Cayenne on gagne la terre ferme on
rencontre d'abord le petit village de Guisambourg, composé d'une douzaine
de maisons et d'une jolie chapelle, il date de 1834. Approuague, avec
2,000 habitants, est la plus importante plantation de canne à sucre de la
colonie, à l'embouchure de la rivière qui lui donne son nom. Les autres lieux
habités sont : Oyapok, sur la rivière du même nom, dont les environs four-
nissent différents bois de teinture; Kourou, bourg fortifié et bâti avec la
plus grande régularité ; Remiré, village dans l'île de Cayenne ; sur les bords
de la Mana, la Nouvelle-Angoulême, que l'on nomme aujourd'hui la Maria,
colonie fondée en 1824 par des habitants du Jura, est un village important
de 7 à 800 habitants, parmi lesquels on comptait 52 noirs; enfin nous
citerons encore Sinnamary, bourg tristement célèbre pour avoir été le
tombeau de plusieurs Français qui y furent déportés pendant la révolution.
A 4 lieues à l'ouest de Cayenne, en face de l'embouchure de la rivière
de Kourou, est le petit groupe des îles du Salut; la salubrité de leur climat,
et leur position isolée, les ont fait choisir par le gouvernement pour y fonder
un établissement pénitentiaire de déportation, destiné à remplacer les
bagnes de France. Travail et moralisation, telle est la sage pensée qui a
présidé à cette tentative de régénération sociale de l'homme. Une autre
colonie composée de ceux qui par leur bonne conduite, auront mérité
quelque amélioration dans leur position, vient d'être fondée en 1852, au
lieu dit la Montagne-d’Argent près de l'Oyapok.
Vis-à-vis de la pointe septentrionale de l'île Maraca, appelée aussi île du
cap Nord, se trouve l'embouchure de la rivière de Mapa ; après l'avoir
remontée pendant quatre lieues, on arrive dans le superbe lac de Mapa,

540
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
qui a au moins 50 milles de circonférence, et dans lequel se trouvent plu-
sieurs îles élevées, dont la principale est l'île de Choisy, au nord de laquelle
se trouvent les îles de Mackau. Ces îles ne sont jamais inondées, comme
toutes les terres environnantes couvertes de palétuviers. L'île de Choisy a
5 lieues de circonférence, et sa fertilité est admirable; le gouvernement
français y a fondé un établissement. Parmi les nombreuses rivières qui se
jettent dans le lac, nous citerons la rivière Saint-Hilaire et la rivière
Bertrand.
L'île de Maraca, ou du Cap-Nord, n'est séparée de l'embouchure de la
Mapa que par un canal de 2 lieues ; elle a 15 à 18 lieues de tour, et ses
terres sont d'une grande fertilité. Sur toutes les cartes, cette île est repré-
sentée comme formée de terres noyées, mais c'est une erreur. Il est probable
que jadis elle était sous l'eau à toutes les marées ; mais aujourd'hui elle
n'est inondée que pendant l'époque des grandes pluies et du débordement
des fleuves ; et encore son sol n'est-il couvert que de 1 à 2 pouces d'eau. Il
y aurait donc fort peu de travaux à faire pour la garantir de ces inondations,
qui ne sont pas complètes, puisqu'elle nourrit une grande quantité de cerfs
et de léopards. Elle est ombragée d'arbres de haute futaie ; au centre on
trouve un vaste lac d'eau douce où l'on pêche le lamantin.
Depuis plusieurs années, un millier de Français sont établis sur l'île de
Mapa, et comme il y a eu très-peu de mortalité parmi les colons et parmi
les soldats, il est prouvé maintenant que le climat de ce nouvel établis-
sement est beaucoup plus sain que celui de Cayenne 1.
Nous avons dit que les limites actuelles de la Guyane française sont
l’Oyapok à l'est et le Maroni à l'ouest; mais les habitations européennes,
dans la partie ouest, ne s'étendent qu'aux bords du Courou. Parmi les
cultures, celle du giroflier a donné jusqu'à 110 millions de livres pesant.
Le rocou et l'indigo réussissent parfaitement. La valeur des exportations a
au moins sextuplé depuis l'an 1789, où elles ne s'élevaient guère qu'à la
somme d'un demi-million.
Outre les deux tribus des Roucouyènes et des Poupourouis, l'intérieur
de la Guyane nourrit un certain nombre de peuplades sauvages.
Les Galibis sont la principale et la plus nombreuse de la Guyane fran-
çaise, celle dont le langage est le plus universellement entendu de toutes
les autres. Ceux qui demeurent près de Cayenne sont entassés dans leurs
1 Mémoire sur les nouvelles découvertes géographiques faites dans la Guyane
française et sur le nouvel établissement formé a l'île de Mapa, par le baron Wal-
ckenaer.


AMÉRIQUE. — DESCRIPTION DES GUYANES.
541
cabanes à la manière des animaux. Il y en a où l'on compte quelquefois
jusqu'à 20 et 30 ménages. La sécurité avec laquelle ces sauvages vivent
entre eux fait que rien ne ferme dans leurs demeures ; les portes en sont
toujours ouvertes, et l'on y peut entrer quand on veut. Celte tribu s'est
créé une-langue douce et régulière, riche en synonymes, et régie par une
syntaxe très-compliquée et très-ingénieuse. Cet effort d'intelligence semble
prouver que si ces sauvages repoussent avec obstination nos arts et nos
lois, c'est d'après une sorte de raisonnement qui leur fait préférer la vie
indépendante. Leur nombre est d'environ 10,000 âmes ; ils occupent prin-
cipalement le pays entre le Courou et le Maroni, pays dont la côte, bordée
d'un récif presque inaccessible, prend le nom de Côte du Diable.
Les Kiricotsos, et les Parabuyanes, sur le Haut-Maroni, sont aussi
des tribus puissantes. On distingue encore les Palicours, et dix ou douze
autres tribus qui habitent les terres noyées et les riches pâturages entre
l'Oyapok et l'Araouary ; mais on nous assure que les Portugais, à qui ce
territoire fut cédé par le traité de Vienne, en emmenèrent tous les habi-
tants, afin de couvrir par un désert absolu la frontière septentrionale de
leur empire brésilien.
L'état de pauvreté et de barbarie où les Européens trouvèrent ces peu-
plades n'est pas une preuve tout-à-fait concluante contre les traditions, qui
annonçaient aux aventuriers espagnols et anglais l'existence d'un pays,
dans l'intérieur de la Guyane, abondant en or, et nommé El-Dorado,
dont la capitale, Manoa, renfermait des temples et des palais couverts de
ce métal précieux. Ce fameux but de tant d'expéditions a même été presque
atteint, à ce qu'assurent des relations authentiques. Un chevalier alle-
mand, Philippe de Hutten, dont le nom a été défiguré en Une, a conduit,
de 1541 à 1545, une petite troupe d'Espagnols depuis Coro, sur la côte de
Caracas, jusqu'à la vue d'une ville habitée par les Omégas, remplie de
maisons dont les toits brillaient avec l'éclat de l'or, mais qui n'était envi-
ronnée que d'une contrée faiblement cultivée. Repoussé par les Omégas,
ce chef audacieux se proposait d'y retourner avec des forces plus considé-
rables, lorsqu'un assassinat termina ses jours. Les toits d'or peu vent être
une fable ou une illusion d'optique produite par des rochers de mica. Le
nom des Omégas semble identique avec celui des Omaguas, nation assez
civilisée, entreprenante, et répandue sur les deux bords de l'Amazone.
Une petite ville du nom de Manoa a été visitée par les missionnaires
péruviens, sur les bords de l'Ucayale. Mais Philippe de Hutten a-t-il réelle-
ment vu une ville des Omaguas ? Une autre explication se présente indépen-

542
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME.
damment de l'histoire de cette expédition. Les Indiens de la Guyane ont pu
avoir eu une idée obscure de l'empire des Incas, des temples et palais de
Cuzco, couverts en partie d'or, ainsi que du grand lac Titicaca. Leurs
récits n'auront été qu'un peu exagérés, et les Espagnols auront cherché
ce que déjà ils possédaient. Dans tous les cas, l’El-Dorado paraît étranger
aux plateaux de granit très-peu métallifères de la Guyane 1.
Nous terminerons avec la Guyane notre exploration de l'Amérique du
Sud, dont les différents États ont, ainsi qu'on a pu le voir, pour commune
origine les anciennes colonies portugaises et espagnoles. En ne consultant
que leur histoire passée, il serait difficile de prévoir le rôle que ces belles
contrées doivent jeter dans l'avenir politique du monde ; mais si l'on se
souvient des dons que la Providence semble s'être plu à accumuler sur ces
heureuses régions, on sera, dit M. F. de Castelnau,1 convaincu qu'elles
sont destinées à opérer de profondes révolutions dans les transactions com-
merciales des peuples. « Les denrées coloniales, qui sont encore des objets
« de luxe pour la plus grande masse du genre humain, feront un jour
« partie des nécessités absolues de la vie ; alors le sucre et le café seront
« placés sur la même ligne que le pain, parmi les produits indispensables
« à la consommation de l'homme. Ces denrées peuvent être fournies par
« l'Amérique du Sud en quantités illimitées, et il n'est pas douteux qu'elles
« ne puissent être obtenues à des prix de moitié inférieurs à ceux qu'elles
« représentent aujourd'hui, lorsque la liberté du commerce viendra enfin
« étendre sur le monde entier les bienfaits de la concurrence. L'ancien
« système colonial était basé sur le système de l'exclusion ; il doit aujour-
« d'hui être remplacé par celui de la liberté de transaction commerciale.
« Mais pour que l'Amérique du Sud puisse atteindre le degré de prospérité
« auquel elle semble être appelée, il ne suffit pas que les puissances euro-
« péennes lui ouvrent leurs marchés, il faudra que les divers États qui se
« sont partagé le bel héritage de l'Espagne et du Portugal, renoncent à
« des dissensions civiles qui retardent leurs progrès vers la civilisation,
« ainsi que leurs productions. Retenues, pendant plusieurs siècles , sous
1 M. le baron A. de Humboldt a indiqué une origine encore plus rapprochée de la
tradition d'El-Dorado. Il a fait voir que le principal trait de cette tradition est un roi
tout couvert d'or.
Ce trait se retrouve à Bogota, dans la Nouvelle-Grenade, où le

grand-prêtre de Bochica s'enduisait tout le corps d'un vernis d'or. L'espace nous
manque pour examiner de nouveau cette question, nous rappellerons seulement que
les rois d'Afrique s'enduisent également le corps d'une couche de poudre d'or. Voyez
notre tome IV.

2 Voyez la remarquable conclusion de la relation de l'Expédition dans l'Amérique
du Sud; tome V, page 245. 1851.

ASIE.—DESCRIPTION DES GUYANES.
543
« le joug colonial de leurs mères-patries, les nations de cette partie du Nou-
« veau-Monde se sont soustraites avec violence à ces entraves, et leur ont
« substitué sans transition des institutions plus avancées en principes que
« celles qui régissent les peuples de l'Europe occidentale depuis longtemps
« livrés au pénible travail de la régénération politique; mais s'il en est
« ainsi sur le papier, leur application a produit des conséquences bien
« différentes, car il n'en est résulté le plus souvent que de sanguinaires
« tyrannies ; de là viennent tous leurs malheurs, les lois étant presque
« toujours en désaccord parfait avec les moeurs des peuples. Le Brésil seul
« doit à des institutions moins opposées à celles qui le régirent longtemps
« d'avoir maintenu l'intégrité de son territoire ; mais les vices de sa consti-
« tution entourent le gouvernement bien intentionné, mais faible, de ce
« beau pays, de difficultés sans cesse renaissantes qui entravent sa marche
« et son développement.
« Les parties espagnoles, dont les habitants ont fait des progrèsinfini-
« ment supérieurs , sous bien des rapports, à ceux de leurs voisins, sont
« cependant livrées à des révolutions anarchiques et continuelles auxquelles
« ces derniers ont heureusement échappé. Pendant que les peuples catho-
« liques s'entre déchirent les uns les autres, le génie du protestantisme
·« américain se redresse formidable, et menace d'étouffer dans sa puis-
« sante étreinte des peuples énervés par l'ardeur du climat, affaiblis par la
« désunion, et surtout corrompus par les hideux effets de l'esclavage. Celte
« lutte sera longue peut-être, mais livrée à elle-même, son résultat ne
« peut être douteux. La Floride, le Texas, une partie notable du Mexique,
« sont déjà représentés parmi les étoiles de l'Union qui, semblable à une
« voie lactée, se couvrira peut-être un jour des emblèmes de l'Amérique
« entière. »
N'avons-nous pas vu, il y a à peine quelques mois, Cuba, ce dernier
des joyaux de la couronne de Castille, menacée par des aventuriers anglo-
américains, disposés à renouveler, au profit de leur pays, les scènes qui
lui ont valu l'annexion de quelques provinces mexicaines. C'est à l'Angle-
terre, dont les intérêts commerciaux seraient compromis ; c'està la France
que l'on rencontre toujours au premier rang, lorsqu'il s'agit de la pro-
pagation des idées grandes et généreuses, de veiller à la conservation de
l'indépendance des anciennes colonies espagnoles et portugaises du Nou-
veau-Monde , et de leur venir en aide, dans le pénible enfantement de leur
organisation sociale.

544
LIVRE CENT VINGT-DEUXIEME.
TABLEAUX statistiques des colonies des Guyanes.
Guyane Anglaise.
SUPERFICIE
POPOLAT.
ÉTAT
VILLES
en lieues
POPULATION.
par
COMTÉS.
FINANCIER
géogr. carr.
lieue carr.
ET VILLAGES.
en 1836.
Colons.. .
5.000
Nègres.. .
93,000
Demerara et Essequibo, George-Town.
Recettes :
3,120
Indiens.. .
2,000
37
74.922 habitants.
106,081 liv. s.
New-Amsterdam.
Aborigènes
17,000
Berbice, 21,586 habit.
Dépenses :
113,946 liv. s.
117,000
Guyane Hollandaise.
ÉTAT
GOUVERNE-
VILLES
NOMS DES DIVISIONS
POPULATION.
du commerce
MENT.
ET VILLAGES.
ET DISTRICTS.
extérieur
en 1846.
Colons. . . 9,844
La haute Surinam et Thora- Importat. :
Esclaves. . 42.950
Paramaribo,
rica.- Para -La haute Cot-
9.782 lib
tica et Perica. - La basse 1,757',155 07
5,330
M
Surinam.
11,895 escl
Cottica -La haute Comme-
Total
. 52,794
wyne.- La basse Comme-
Exportat. :
Plus, indig. 17,000
wyne. - Malapica. - Sara-
21,677
maca. — La basse Nickerie 2,498,570 19
69,794
ou occidentale. — La haute
Nickerie ou orientale.
Guyane Française.
DIVISIONS.
POPULATION EN 1848.
1er CANTON. — SES VILLES.
2me CANTON. — SES VILLES.
Hommes 8,670 ι 17,835
Cayenne (ville).. 5,220
Femmes 9,165 t 17,835
Cayenne (île) .
8,713
Indiens Aborig.
1,449
La Tour-de-Ville 1 439
Canton
Courou.. . 987
id. Brésil, réf.
243
Canton
Tonne-Grande. . 1,000
Sunnamary 974
5,400 Garnison. ...
671
4
de
< Mont-Sinery. . . 1,269
Fonctionnaires.
25
Sinnamary Iracoubo. · 460
Mana
522
Divers. .....
50
Cayenne Oyapok
604
Approuage.
■ . 1,944
Kaw ................................................ 1.048
21,360
Roura .................................... 1,965

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
545
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
Fin de la Description de l'Amérique. — Description particulière de l'Archipel
Colombien ou des grandes et petites Antilles.
Entre les deux continents de l'Amérique dont nous venons d'achever la
description, s'étend en arc de cercle une chaîne d'îles à laquelle on a
donné le nom insignifiant d'Antilles 1, et le nom inexact d’Indes occiden-
tales, mais que la raison et la reconnaissance doivent nommer l’ Archipel
Colombien. L'extrémité méridionale de cet archipel se rattache au cap
Paria, dans l'Amérique méridionale, tandis que son extrémité septentrio-
nale se lie à la Floride par les îles Bahama, et que la pointe occidentale de
Cuba correspond en quelque sorte à la partie la plus avancée de l'Yuca-
tan. Ainsi les Antilles tiennent doublement au continent de l'Amérique sep-
tentrionale.
On divise ces îles en grandes et petites Antilles. Les grandes sont: Cuba,
la Jamaïque, Saint-Domingue et Porto-Rico.
Les Anglais, les Français, les Espagnols donnent des sens très diffé-
rents aux termes d'îles du Vent et d'îles sous le Vent. L'acception de ce
terme de marine dépend de la position du navire et de la route qu'on se
propose de suivre.
L'étendue de mer qui se trouve entre les Antilles, l'Amérique méridio-
nale et les côtes de Mosquitos, de Costa-Rica et de Darien, s'appelle aujour-
d'hui mer des Caraïbes. Celte mer, une des plus fréquentées du globe, nous
présente plusieurs phénomènes dignes d'attention. Le premier est ce mou-
vement des eaux connu sous le nom de courant du golfe ( gulfstream). On
doit le considérer comme l'effet du mouvement doux, mais universel, de
toute la masse des eaux de l'Océan, portées par le grand courant équatorial
de l'est à l'ouest, et poussées à travers les ouvertures de la chaîne des pe-
tites Antilles contre le continent américain. Ce mouvement uniforme n'em-
pêche pas les eaux de l'Océan, depuis les îles Canaries jusqu'à l’embou-
1 C'est le nom de l'île imaginaire d'Antilia, appliqué aux découvertes de Colomb.
Voyez notre Histoire de la Géographie, vol. I de ce Précis.
V,
69

546
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
chure de l'Orénoque, d'être d'une si parfaite tranquillité, qu'un canot pour-
rait sans danger traverser cet espace, auquel les Espagnols ont donné le
surnom de mer des Dames. Pour être tranquille, ce mouvement n'en est pas
moins fort ·, il accélère la marche des navires qui voguent des Canaries à
l'Amérique méridionale ; il rend presque impossible la traversée en ligne
directe de Cartagena à Cumana, ou de Trinidad à Cayenne. Le nouveau
continent, à partir de l'isthme de Panama jusqu'à la partie septentrionale
du Mexique, forme une digue qui arrête le mouvement de la mer vers l'oc-
cident. Depuis Veragua, le courant est forcé de changer sa direction pour
suivre celle du nord, et de se plier à toutes les sinuosités des côtes de Costa-
Rica, de Mosquitos, de Campêche et de Tabasco. Les eaux qui entrent dans
le golfe du Mexique par l'ouverture qui se trouve entre l'Yucatan et l'île de
Cuba, après avoir éprouvé un grand remous partiel entre la Vera-Cruz et la
Louisiane, retournent dans l'Océan par le canal de Bahama; elles y for-
ment ce que les marins appellent proprement le courant du golfe, qui est
comme un torrent d'eaux chaudes, sortant du golfe de la Floride avec une
grande vitesse, et s'éloignant insensiblement de la côte de l'Amérique sep-
tentrionale, en suivant une direction diagonale. Lorsque les navires venant
d'Europe et destinés pour cette côte ne sont pas sûrs de la longitude où ils
se trouvent, ils peuvent s'orienter dès qu'ils ont atteint le courant du golfe,
dont la position a été exactement déterminée par Franklin, Williams et
Pownall. Depuis le 41e parallèle, ce long courant d'eaux chaudes se dirige
vers l'est, en diminuant peu à peu de température et de vitesse, et en aug-
mentant de largeur. Avant d'arriver aux plus occidentales des Açores, il se
partage en deux bras, dont, au moins à certaines époques de l'année, l'un
se porte sur l’lslande et la Norvége, et l'autre sur les îles Canaries et les
côtes ouest de l'Afrique. Ce remous de l'océan Atlantique explique pour-
quoi, malgré les vents alizés, des troncs de cedrella odorata sont poussés
des côtes d'Amérique sur celles de Ténériffe. Dans le voisinage du banc de
Terre-Neuve, la température du courant du golfe qui charrie avec une
grande rapidité les esux chaudes des parallèles moins élevés, dans des lati-
tudes plus septentrionales, est, selon les expériences de M. de Humboldt,
de 3 à 4 degrés centigrades plus élevée que celle des eaux voisines qui
en forment pour ainsi dire les rives, et dont le mouvement est comparative-
ment nul.
La tranquillité habituelle de la mer des Caraïbes est, de temps à autre,
troublée par des ouragans et des coups de vent qui, se propageant à travers
les étroites ouvertures de la chaîne des Antilles, prennent une extrême

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
547
intensité. En temps ordinaire, les eaux sont si transparentes qu'on dis-
tingue les coraux et les poissons à 60 brasses de profondeur: !e vaisseau
semble planer dans l'air; une sorte de vertige saisit le voyageur, dont l'œil
plonge à travers le fluide cristallin au milieu des jardins sous-marins où
des coquillages et des poissons dorés brillent parmi des touffes de fucus et
des bosquets d'algues marines.
Le canal entre l'Yucatan et l'île de Cuba présente de deux côtés le phé-
nomène des sources d'eau douce jaillissant au sein de l'onde amère. Nous
avons déjà décrit celle de la côte d'Yucatan ; les autres sont vis-à-vis, sur
la côte occidentale de Cuba, au sud-ouest du port de Batabano, dans la
baie de Xagua, environ à 2 ou 3 milles marins de la terre; elles jaillissent
avec tant de force, que l'approche de ces lieux fameux est dangereux pour
les petites embarcations, à cause des lames très-hautes qui se croisent en
clapotant. Les navires côtiers viennent quelquefois y prendre, au milieu de
la mer, une provision d'eau douce. Plus on puise profondément, plus l'eau
a de douceur. On y tue souvent des lamantins, animal qui ne se tient pas
habituellement dans l'eau salée.
Toutes les îles un peu considérables de cet archipel renferment de hautes
montagnes ; les plus élevées se trouvent dans la partie occidentale de Saint-
Domingue, dans l'est de Cuba et dans le nord de la Jamaïque, précisément
aux endroits où ces grandes îles se rapprochent le plus. La direction de
ces montagnes, en la considérant en gros, paraît bien être du nord-ouest
au sud-est; mais en examinant attentivement les meilleures cartes de
chaque île, on découvre dans la plupart un point central d'où les rivières
descendent, et où les diverses branches de montagnes paraissent se réunir
comme dans un noyau. Dans quelques îles, comme à la Guadeloupe, ce
noyau renferme des volcans; il paraît plus généralement formé de granit
dans les petites îles, et de roches calcaires dans les grandes. Mais la géolo-
gie des Antilles n'a pas encore été observée dans la vue d'en saisir l'en-
semble. On a remarqué avec raison que, dans les petites Antilles, les
plaines les plus étendues se trouvent sur la côte méridionale. Mais ce fait
cesse d'avoir lieu dans les îles Vierges et dans les grandes Antilles. Le seul
trait d'uniformité se trouve dans les escarpements brusques qui, dans la
plupart des îles, séparent les terres hautes des terres basses; ils sont sur-
tout frappants à Saint-Domingue, où on les appelle mornes.
Les rochers de corail ou de madrépores sont aussi communs que les
pierres ponces, et des recherches plus attentives prouveront peut être que
cette substance a joué un rôle aussi important dans la formation de cet

548
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
archipel, qu'elle en a joué dans celle des archipels du Grand-Océan. L'île
de Cuba et les îles Bahama sont environnées d'immenses labyrinthes de
rochers qui s'élèvent au niveau des flots, et qui se couvrent de palmiers ;
ce sont exactement les iles basses de l'océan Oriental.
Toutes les Antilles sont à peu près soumises au même climat. Dans la
sécheresse, qui dure ordinairement depuis le commencement de janvier
jusqu'à la fin de mai, la chaleur du jour serait insupportable si des brises
de mer ne s'élevaient à mesure que le soleil prend de la force. Les pluies,
qui caractérisent la saison de l'été, tombent par torrents ; ce sont de véri-
tables déluges ; les rivières s'enflent en un moment ·, tout le plat pays est
submergé. L'air, fortement imprégné d'humidité, couvre de rouille tous les
métaux susceptibles de s'oxyder. L'humidité souvent continue sous un ciel
enflammé, qui fait en quelque sorte vivre les habitants dans un bain de
vapeurs, ne contribue pas peu à rendre le séjour, dans la partie basse
de ces îles, désagréable, malsain, et même dangereux pour un Européen.
Le relâchement successif des fibres trouble et interrompt l'activité des fonc-
tions vitales, et produit à la longue une atonie générale.
Le défaut habituel d'électricité paraît contribuer à faire disparaître ces
teintes animées qui distinguent l'Européen. Les miasmes répandus par des
eaux de mer stagnantes et des vases croupissantes deviennent, surtout
pour les hommes des pays froids, les germes de la terrible fièvre jaune. La
nature a indiqué un moyen de salut, c'est de chercher un air plus frais sur
les flancs des montagnes. La zone chaude, où les fièvres putrides menacent
notre existence, s'étend depuis le bord de la mer jusqu'au niveau de
400 mètres; là commence la zone tempérée, où le thermomètre centigrade
ne marque plus que 19 à 23 degrés en plein midi, où nos plantes potagères
réussissent le mieux, et où abonde le quinquina-pitou (chinchona caribea).
Cette zone se termine à 800 mètres plus haut, où le thermomètre s'arrête à
47 degrés-, les brouillards, élevés des parties basses, s'accumulent sur
les montagnes, et la pluie devient habituelle. C'est la zone froide des
Antilles.
Il ne s'est pas trouvé d'autres mammifères sauvages que ceux de la plus
petite taille, tels que la chauve-souris fer-de-lance, le rat volant ou my-op-
tère (myosteris daubentonii), le kinkajou (potos caudivolvulus), le rat-pi-
loris (muspilorides) ; les lézards, les scorpions, les serpents sont très-com-
muns; mais parmi les petites Antilles, la Martinique et Sainte-Lucie sont
les seules qui renferment de véritables vipères et des scorpions venimeux.
Le scorpion existe à Porto-Rico, et probablement dans toutes les grandes


AMÉRIQUE.
— ARCHIPEL COLOMBIEN.
549
Antilles. Le vorace caïman habite les eaux dormantes, et quelquefois les
nègres mêmes ne peuvent se soustraire à sa dent meurtrière. Les tortues
les plus délicates se prennent sur les plages voisines de la Jamaïque. Les
perroquets et les colibris embellissent les forêts; les oiseaux aquatiques,
en troupes innombrables, animent les rivages. On admire l'oiseau-mouche,
qu'on appelle aussi oiseau-murmure, à cause du bourdonnement produit
par le mouvement continuel de ses ailes; on le voit lancer son bec effilé
dans les fleurs parfumées des orangers et des limoniers, pour en exprimer
un instant le suc et l'essence; ailleurs, à le voir suspendu dans les airs
au-dessus des campêches en fleurs, on le croirait enivré des parfums qui
s'en exhalent; puis on le voit tout-à-coup disparaître avec la rapidité de
l'éclair, pour revenir, peu de moments après, savourer de nouveau ces
délicieuses odeurs, et déployer dans toutes ses courses un plumage magni-
fique où brillent les plus riches nuances de pourpre et d'or, d'azur et d'éme-
raude.
Les magnifiques végétaux que nous avons admirés dans les autres parties
du globe situées entre les tropiques égalent ici en taille, en beauté, leurs
frères du continent. Le bananier, qui, d'abord faible, cherche l'appui d'un
arbre voisin, forme à lui seul, dans le cours des années, un bocage ; le tronc
creusé du cotonnier sauvage 1 fournit un canot capable de contenir 100
hommes; une feuille du palmier à éventail suffit pour garantir huit per-
sonnes du soleil ou de la pluie; le chou-palmiste balance sa tête verdoyante
sur une colonne quelquefois haute de 75 mètres. Des rangées d'arbres de
Campêche 2 et du Brésil entourent les plantations. Le caroubier joint au
bienfait de ses fruits celui de son épais ombrage. L'écorce fibreuse du
grand cecropia fournit de solides cordages. L'élégant tamarinier, précieux
par ses cosses acides, le bois de fer, le cèdre, et une espèce de cordia,
désignée dans les îles anglaises sous le nom d’ormeau d’Espagne, sont très-
estimés pour les ouvrages de charpente solides et durables. Rien ne surpasse
l'utilité de l'arbre à roue 3 dans la construction des moulins. Les orangers,
les citronniers, les figuiers, les grenadiers, à l'entour des habitations, rem-
plissent l'air d'un parfum exquis, ou offrent leurs fruits délicieux. La
pomme, la pêche, le raisin, et généralement tous les meilleurs fruits de
l'Europe, ne mûrissent que dans les parties montagneuses, tandis que les
plaines, où rien ne modère le feu du soleil, se parent de productions indi-
gènes, telles que le cachou 4, la sapote 5, la sapotille6, la poire d'avocat 7, la
1 Bombax ceiba. — 2 Hœmatoxylum campechianum — 3 Laurus chloroxylon.
—4 Ana
cardium occidentale. — 5 Achras mammosa. — 6 Achras sapotilla. —7 Laurus persea.

550
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME,
mammée 1, avec plusieurs fruits des Indes orientales, comme la pomme de
rose 2, la goyave 3, la mangue 4, etquelques espèces de spondiaset d'ananas.
Dans l'émail des vastes savanes on distingue le serpidium de Virginie,
l’ocymum americanum, Je cleome à cinq feuilles, le turnera pumicea. Le
long des coteaux, la modeste sensitive se cache sous le gazon, entre les
sida, les dianlhea, les ruelia, ombragés par l'élégant troène d'Amérique,
ou par des acacias de toute espèce, notamment l'acacia de Farnèze, inté-
ressant par la délicatesse de ses feuilles et le parfum de ses petites feuilles
jaunes, disposées en boucles. Sur le penchant des mornes déserts, divers
cactiers présentent leurs troncs difformes, hérissés de faisceaux d'épines,
tandis que les grands raisiniers5 décorent les rochers voisins de la mer.
Dans les bois, les nombreuses familles des lianes6, dont les branches
sarmenteuses s'entrelacent au haut des arbres, forment des dômes de fleurs
et des galeries de verdure.
Parmi les autres végétaux, les plus curieux sont les fougères arbores-
centes : elles sont ici, comme dans toute la zone torride, des plantes vivaces,
qui acquièrent un grand accroissement. Lepolypodium arboreum, en parti-
culier, pousse un tronc élevé de plus 6 mètres, et couronné de larges
feuilles dentelées qui lui donnent exactement l’air et le port d'un palmier.
La médecine réclame encore le gaïac ou lignum vilœ, la wintera-cannella
et la chinchona caribea.
L'élévation du centre de ces îles, la diversité des expositions, la grande
différence du climat des montagnes d'avec celui des côtes, et la nature du
terrain, tout concourt à jeter dans la végétation une variété infinie aussi
agréable qu'utile.
La plupart des productions commerciales qui font aujourd'hui la richesse
des Antilles proviennent de végétaux naturalisés etentretenus par la cullure.
Cependant on trouve la vanille sauvage dans les bois de la Jamaïque et de
Saint-Domingue; l'aloès, cultivé à la Barbade, croît spontanément sur le
sol pierreux de Cuba, des Lucayes et de plusieurs autres îles. Le bixa
orellana, d'où l'on tire le rocou, est commun ici comme dans tous les pays
chauds de l'Amérique. Le piment est non-seulement indigène, mais il
refuse de se multiplier sous la main de la culture. Le myrtus-pimenta
affectionne particulièrement les flancs des montagnes qui regardent la mer;
il y forme des bocages où l'on jouit d'une promenade d'autant plus commode
qu'aucun arbuste ni arbrisseau ne croît sous son délicieux ombrage.
1 Mammœa americana. — 2 Eugenia jambos. — 3 Psidium pyriferum. — 4 Volkameria
aculeata.— 5 Cocolobauvifera — 6Convolvulus dolichos, grenadilla, raiana, bignonia, etc.

AMERIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
551
L’igname et la patate, également indigènes, forment le principal aliment
des nègres. L'Afrique a fait présent aux Indes occidentales du manioc et
de l'arbrisseau à pois d'Angola. Mais les cultures qui subviennent au luxe
et aux fabriques de l'Europe absorbent toute l'attention d'un planteur des
Antilles ·, et sans les immenses fournitures en blé qui arrivent du Canada et
des Etats-Unis d'Amérique, la disette affligerait très-souvent ces magni-
fiques contrées.
La grande marchandise d'étape des Indes occidentales est le sucre. Il
paraît difficile de ne pas croire à l'existence d'une canne à sucre indigène
en Amérique, mais on prétend que l'espèce cultivée y fut apportée soit de
l'Inde, soit de la côte d'Afrique. On assure que la canne à sucre fut
transplantée, en 1606, des Canaries à Saint-Domingue par un certain
Aguillar, habitant de la Conception-de-la-Vega, et que le premier moulin
à sucre futconstruit par un chirurgien de Saint-Domingue, appelé Vellosa.
Mais ce fait ne prouverait qu'une importation locale, sans décider le fond
de la question. Depuis une vingtaine d'années, la canne d'Otaïti est géné-
ralement introduite dans les Antilles ; elle fournit un suc plus abondant
que la canne ordinaire ou créole. Un champ de cannes, au mois de
novembre, époque de leur floraison, offre un des coups d'ceil les plus ravis-
sants que la plume puisse décrire ou le pinceau imiter. La hauteur des
tiges, qui varie depuis 1 mètre à 2 mètres 50 et plus, caractérise fortement
la différence de sol ou de culture. Au moment de la maturité, le champ
déploie un vaste tapis d'or que les rayons du soleil viennent nuancer par
de larges bandes du plus beau pourpre. Le sommet des tiges est d'un vert
noirâtre ; mais à mesure qu'elles se sèchent, soit de maturité ou par l'effet
des grandes chaleurs, la couleur change et devient celle d'un jaune roux;
des feuilles larges et étroites pendent du haut des tiges, et semblent
s'écarter pour laisser jaillir une baguette argentée : la longueur de cette
baguette varie de 50 centimètres à 2 mètres, et sur son sommet flotte mol-
lement un panache blanc, dont les houppes sont terminées par une frange
délicate du lilas le plus tendre. Une plantation de cannes en feu offre, au
contraire, les horreurs les plus pittoresques qui puissent s’offrir à l'imagi-
nation d'un peintre ou d'un poëte. Il n'y a pas d'incendie aussi alarmant,
il n'y a pas de flammes aussi rapides; on ne saurait se figurer la vélocité
et la furie avec lesquelles ce feu dévore et se propage. Dès qu'on s'aperçoit
que le feu est à une plantation, on frappe à coups redoublés sur les
coquilles d'appel; les échos retentissent et renvoient le bruit au loin; l'alarme
se répand dans les établissements limitrophes. Le tintamarre de ces coquilles,

552
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
l'agitation des nègres au milieu des feux, leurs pantomimes expressives,
leurs travaux, l'impatience bruyante et tumultueuse des blancs, les groupes
de chevaux et de mulets qui passent dans le fond du tableau, le mouvement,
le désordre et la confusion qui règnent partout, les tourbillons de fumée,
la marche rapide des flammes, le pétillement, le craquement des cannes
qui se consument, tout cela forme un ensemble de scènes horribles et
sublimes à la fois.
L'arbrisseau qui nous fournit le coton trouve souvent dans ces îles le
terrain sec et pierreux qu'il aime ; mais la récolte, qui demande un temps
sec, n'est pas assez assurée. Le cafier originaire de l'Arabie-Heureuse, en
fut long-temps une propriété enviée. Les grains, trop vieux, n'ayant jamais
voulu lever en d'autres pays, on transporta le plant même à Batavia ;
ensuite, par multiplication, à Amsterdam et à Surinam, à Paris et à la
Martinique. Tantôt cet arbre récompense les soins du cultivateur dès la
troisième année, et tantôt seulement à la cinquième ou sixième : quelque-
fois il ne produit pas une livre de café, et d'autres fois il en donne jusqu'à
3 ou 4. En quelques endroits, il ne dure que 12 ou 15 ans; et en d'autres,
25 à 30.
Ce tableau général des Antilles devrait être suivi d'une discussion sur
les indigènes exterminés par les Européens. Les Caribes, Caraïbes ou
Caraïbiscs s'étendaient-ils au delà des Antilles? Les tribus populeuses de
Saint-Domingue et de Cuba, différentes des Caribes, étaient-elles de la
race qui habitait la Floride ou de celle d'Yucatan ? L'espace nous défend
d'examiner ces questions, sur lesquelles d'ailleurs nous ne pouvons pro-
poser aucune opinion certaine.
Commençons notre topographie par la plus grande et la plus occidentale
de ces îles. Cuba, que l'on pourrait à juste titre surnommer la reine des
Antilles, longue de 263 lieues, sur une largeur qui varie de 10 à 40,
approche en étendue de la Grande-Bretagne. Sa population était en 1850
de 898,752 habitants, 425,767 blancs et 472,985 de couleur, parmi
lesquels on comptait 323,759 esclaves. La population flottante de File
s'élevait à 40,000 âmes, et l'émigration annuelle peut être représentée par
un chiffre approximatif de 4,734 habitants. On a remarqué que la popula-
tion de cette belle île avait augmenté depuis 1790 de 29 pour 100 par chaque
période décennale.
Une chaîne de montagnes traverse l'île de l'est à l'ouest ; mais les terres
près de la mer sont en général basses et inondées dans les saisons pluvieuses.
Cette superbe île passe pour avoir le meilleur sol de toutes les Antilles ; son

AMERIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
553
climat est chaud et sec, mais plus tempéré que celui de Saint Domingue,
grâce aux pluies et aux vents du nord et de l'est qui le rafraîchissent. Il
faut en excepter quelques vallées exposées au midi et brûlées par la réver-
bération des rochers. Les anciens historiens vantent l'or fin de cette île, et
une tradition affirme que les canons du fort El-Morro, qui défend Santiago,
ont été faits du cuivre indigène. Une mine, exploitée de nos jours aux
environs de Santiago de Cuba, a fourni du platine, de l'aimant, des mala-
chites soyeuses et des cristaux de roche couleur de topaze. Dans la juridic-
tion de la Havane on a découvert une mine de fer de très-bonne qualité. On
y trouve beaucoup d'eaux chaudes minérales. Ses salines sont abondantes.
Mais les richesses actuelles de l'île sont ses excellentes et nombreuses
sucreries, qui produisent de 17 à 18 millions d’arrobes 1 d'un sucre très-
fin; ses plantations de café qui en produisent annuellement 1,470,750
arrobas. Elle abonde encore en manioc, maïs, anis, ou pastel, coton,
cacao, et en tabac préférable à tout autre de l'Amérique. Cette dernière
production a été, en 1848, de 168,094 charges estimées 25 millions de
francs. On y voit tous les arbres et végétaux des Antilles, particulièrement
le beau palmier royal. L'île fournit aux chantiers de l’Espagne de magni-
fiques bois de construction. Depuis un demi-siècle les abeilles y ont été
introduites par des émigrés de la Floride ; maintenant on en exporte une
quantité considérable de la plus belle cire blanche. Parmi les fruits, l'ananas
est singulièrement renommé. On ne trouve dans toute cette île aucun animal
venimeux ni féroce. Les premiers habitants étaient pacifiques, timides, et
ne connaissaient pas l'abominable coutume de manger de la chair humaine-,
ils détestaient le vol, la luxure; aujourd'hui les colons sont les plus indus-
trieux et les plus actifs des îles espagnoles. Les femmes y sont vives et
affables-, celles des classes inférieures se couvrent très-peu, les dames
mêmes, dans l'intérieur de leurs maisons, ne sont vêtues que de gazes
légères. Dans les campagnes, l'hospitalité des habitants force le voyageur
à s'asseoir à la table de la maison, où il y a toujours des places réservées
pour les passants.
La Havane, capitale de toute l'île, est la résidence du capitaine-général
gouverneur, d'un évêque, le chef-lieu du département occidental, et le
siége d'un arsenal de la marine; son port, le meilleur de l'Amérique, peut
contenir 1,000 vaisseaux-, l'entrée en est fort étroite, mais bien défendue ·,
ses fortifications en ont fait une des plus fortes places du monde.
L'aspect de la ville est triste*, ses rues sont étroites, tortueuses et sans
1 L’arroba ou arrobe équivaut à 11 kilog. 50.
V
70

554
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
pavés, dont les seuls édifices remarquables sont la cathédrale, qui renferme
le tombeau de Christophe Colomb, la douane, l'hôtel des postes, le palais
du gouverneur et la manufacture de tabacs, mais ses habitants passent
pour les plus civilisés de toutes les anciennes colonies espagnoles de l'Amé-
rique. Par ses nombreux établissements littéraires, et surtout par sa célèbre
université, elle prend une place importante parmi les grandes cités du
Nouveau-Monde. On y compte plusieurs sociétés littéraires et savantes,
et environ 150,000 habitants, en y comprenant ses faubourgs. Son com-
merce est très-important et en fait la seconde place du Nouveau-Monde après
New-York. Une tête de chemin de fer la met en communication avec les
principales villes de l'île1. Dans ses environs nous citerons Regla et Gua-
nabacoa, petites villes de 7 à 8,000 âmes. Cette dernière possède des
sources minérales et des bains.
Puerto-del-Principe, vers le milieu de l'île, siége d'un archevêché, est
le chef-lieu du département du centre, et compte aujourd'hui près de
30,000 habitants, elle prend tous les jours de l'accroissement, elle est
reliée à Nuevitas, qui est son port, par un chemin de fer de 65 kilomètres.
Santiago-de-Cuba, la capitale ecclésiastique de l'île, et le chef-lieu du
département oriental, est bâtie sur la côte méridionale, au fond d'une belle
baie, sur un port sûr et commode. Peuplée d'environ 25,000 âmes, elle
fournit au commerce du sucre et du tabac très-renommés. La ville de
Bayamo, la quatrième de l'île, compte 14,000 âmes. Màtanzas, à 75 kilo-
mètres à l'est de la Havane, au fond d'une baie et dans la partie la plus
fertile de l'île, est aujourd'hui la seconde place de commerce de Cuba; le
chiffre de ses importations et de ses exportations atteint près de 20 millions
de francs; elle a 15,000 habitants. Trinidad, sur la côte méridionale de
l’île, ville de 12,000 âmes, possède un port fort commerçant. Holquin et
El-Cobra sont des bourgs importants par les mines de cuivre qu'on exploite
dans leur voisinage. Le port de Cardenas, uni à la Havane et à Matanzas
par un double chemin de fer, prend depuis quelque temps une grande
importance.
Au sud-est de la partie la plus occidentale de Cuba, nous devons men-
tionner l'île de Pinos, nommé aussi Filipina-Nueva, c'est la plus grande
des petites îles qui entourent Cuba. Elle forme une juridiction de la capi-
tainerie générale de la Havane; sa ville principale est Nueva-Gerona, dont
le port est fréquenté.
Nous terminerons ce que nous avons à dire de l'île de Cuba en disant que
1 En 1850 on comptait dans l'île de Cuba 482 kilomètres de chemins de fer.

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
555
celle riche colonie forme, avec les Antilles espagnoles qui en dépendent,
la capitainerie générale du gouvernement militaire de la Havane. Elle est
divisée, au point de vue politique, en deux provinces : celle de la Havane,
et celle de Santiago-de-Cuba; militairement elle est partagée en 3 départe-
ments et 25 juridictions. La valeur de sa production agricole annuelle est
estimée à 325 millions de francs-, le chiffre de ses exportations est de 150
millions, et celui de ses importations dépasse 170 millions de francs. Ces
chiffres sont éloquents et justifient la convoitise intéressée des États-Unis,
et les tentatives blâmables de ces derniers temps.
L'île de la Jamaïque, par son étendue, est la troisième de l'Archipel.
L'industrie anglaise l'a élevée au rang des plus florissantes; toutefois elle
n'égala jamais la fertile Saint-Domingue.
De l'est à l'ouest, elle a environ 58 lieues de longueur, et, au milieu ,
près de 20 de largeur, en diminuant vers les extrémités à peu près dans la
forme d'un œuf. Une chaîne de montagnes escarpées, composées de rochers
renversés les uns sur les autres par de fréquents tremblements de terre, la
traverse dans toute sa longueur. Entre les roches nues à leur surface,
s'élève une grande variété d'arbres superbes qui offrent l'aspect d'un prin-
temps perpétuel, et à leur pied jaillit une quantité de ruisseaux clairs et
limpides, dont les nombreuses cascades, bordées de verdure, forment,
avec les hauteurs qui les environnent, le paysage le plus enchanteur. La
grande chaîne de montagnes est appuyée par d'autres qui diminuent gra-
duellement; les coteaux inférieurs sont parés de superbes cafiers, et, plus
bas, les plus riches plantations de sucre s'étendent à perte de vue dans les
plaines. Les savanes, dont le fond consiste en craie marneuse, portent un
gazon épais et brillant, qui rappelle les prairies d'Angleterre. Ce qu'on
appelle terre à briques est un mélange d'argile et de sable grisâtre ; ce terrain
est surtout propre à la culture de la canne à sucre. Dans les montagnes
près de Spanishtown, il y a des eaux thermales renommées ; dans les prai-
ries se trouvent plusieurs sources de sel. Le plomb est jusqu'à présent le
seul métal qu'on y ait encore découvert.
L'air de la partie basse de la Jamaïque est presque partout excessivement
chaud et peu favorable à la constitution physique des Européens. Les brises
de mer qui arrivent tous les matins ie rendent plus supportable. Les mon-
tagnes offrent au malade le salutaire bain d'un air frais et vif. Le sommet le
plus élevé a 2,470 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. Le sucre est la
plus avantageuse production de cette île. Autrefois on cultivait beaucoup
de cacao. Depuis une quinzaine d'années, les plantations de café ont été

556
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME
fort étendues dans la Jamaïque, de manière que cette île paraît actuellement
produire plus des trois quarts du café et plus de la moitié du sucre que
l'Angleterre tire de ses colonies. Les récoltes dans la Jamaïque sont plus
certaines et plus égales que celles des îles du Vent et sous le Vent, puisque
ces îles sont plus sujettes aux accidents des sécheresses et des ouragans.
Antigoa, par exemple, a produit dans quelques années près de 20,000
oxhofts de sucre, et dans d'autres moins de 1,000. La Jamaïque produit
aussi du gingembre et du piment. L'acajou , dont on fait un si grand usage
pour les meubles, y est, de la meilleure qualité ; mais ce bois commence à
s'épuiser. Parmi les autres bois dont elle abonde, nous signalerons le
savonnier, dont la graine a toutes les qualités du savon ; le mangrove et
l'olivier, dont les écorces sont très-utiles aux tanneurs ·, le fustic et le bois
rouge, employés dans la teinture-, enfin le bois de campêche. L'indigo y
était autrefois très-cultivé, et le cotonnier l'est encore, l'arbre à pain y a été
transplanté d'Otaïti par l'illustre botaniste Joseph Banks. On y récolte une
grande quantité de fruits de toutes les espèces connues dans les Antilles.
Port-Royal, autrefois la capitale de la Jamaïque, était située sur la pointe
d'une étroite langue de terre sablonneuse et aride, qui, vers la mer, formait
partie de la jetée d'un superbe port capable de contenir mille gros vais-
seaux, et si profond qu'il pouvait y charger et décharger avec la plus grande
facilité. Les tremblements de terre et les ouragans l'ont en grande partie
minée ; cependant elle renferme encore environ 10,000 habitants. Kings-
ton, la principale ville de l’île,-est composée de 2,000 maisons, dont plu-
sieurs sont élégantes, et, d'après le goût de ces îles et du continent voisin,
d'un seul étage, avec des portiques. On y compte près de 20,000 habi-
tants; son port est l'entrepôt du commerce de toute 111e. A quelque dis-
tance de Kingston, se trouve Santiago-de-la-Vega, aujourd'hui Spanish-
town, l'ancienne capitale du temps des Espagnols, et encore aujourd'hui
Je siége du gouvernement, d'un évêché et des cours de justice ; on y compte
6,000 habitants.
Tous les ports de la Jamaïque sont francs; les principaux sont, outre
ceux que nous avons nommés: Port-Morand, Black-River, Savannah, sur
la côte du sud; Lucea-Bay, Montego-Bay, Falmouth et Port-Maria, sur
la côte septentrionale.
En 1787, il y avait dans l'île de la Jamaïque 23,000 blancs, 4,093 gens
de couleur libres, et 256,000 esclaves; en sorte qu'il se trouvait au-delà de
11 nègres sur un Européen, et à peu près 9 esclaves et demi sur une per-
sonne libre.

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
557
La population est aujourd'hui de 380,000 habitants, dont environ
212,000 noirs émancipés; nous devons y ajouter quelques milliers d'en-
gagés venus des Indes orientales pour suppléer au manque de bras qui a été
le premier résultat de l'émancipation des esclaves dans les Antilles.
La Jamaïque forme un gouvernement général colonial duquel dépendent
les Lucayes, Balise et la colonie de Honduras. L'île est divisée en trois
comtés, et soumise à un gouvernement représentatif. Le pouvoir législatif
se compose du gouverneur, d'un conseil de douze membres nommés par le
roi, et d'une chambre de 45 représentants élus pour sept années par les
propriétaires. Les trois principales villes, savoir: Kingston, Santiago, ou
Spanishtown, et Port-Royal, y envoient trois membres ; les autres paroisses
chacune deux. Les dépenses et les revenus de la colonie montent habituelle-
ment à 2,500,000 fr. L'exportation et la culture ont diminué de 1806 à
1843 ; mais dans ces dernières années, et surtout depuis 1850, elles tendent
à reprendre une marche progressive. On peut évaluer à 36 millions la
valeur des marchandises expédiées annuellement d'Angleterre à la Jamaïque ;
cette île est le grand entrepôt du commerce de l'Angleterre avec l'Amérique
espagnole.
Haïti, que Christophe Colomb, en 1492, appela Hispaniola, doit main-
tenant attirer notre attention.
Au centre de l'île s'élève le Cibao, groupe de montagnes qui projette
trois chaînes principales, dont la plus longue court vers l'est. Les mon-
tagnes,en grande partie susceptibles de culture à leur sommet, produisent
une variété d'expositions et de climats souvent diamétralement opposés à
de très-petites distances. Très-sain sur les hauteurs, le climat des plaines
énerve promptement les Européens, et les maladies meurtrières qu'il fait
naître rendent une attaque de l'île extrêmement périlleuse1. A l'est et au
sud de l'île, on ne connaît ni printemps ni automne. La saison des orages
qu'on appelle hiver, y dure depuis le mois d'avril jusqu'en novembre. Dans
le nord, l'hiver commence en août et finit au mois d'avril. Le sol, généra-
ment peu profond, et en partie seulement formé d’une mince couche de
terre végétale qui s'étend sur un lit d'argile, de tuf et de sable, offre
néanmoins de grandes modifications qui le rendent propre à toutes les cul-
tures2.
1 Moreau de Saint-Méry : Description de la partie française de Saint-Domingue,
t.I, pag. 529.
2 On peut consulter un livre spécial sur la géographie de Haïti, qui renferme de
curieux documents : Géographie de l'île de Haïti, précédée du précis et de la date des
événements les plus importants de son histoire, par B. Ardouin. Port-au-Prince, 1832.


558
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
On a voulu rejeter les recits des anciens auteurs qui indiquent, dans
les montagnes de Saint-Domingue, des mines d'or, d'argent, de cuivre,
d'étain, de fer et d'aimant, du cristal de roche, du soufre, du charbon de
terre, du marbre, du jaspe, du porphyre de la plus grande beauté. Un miné-
ralogiste espagnol, D. Niéto, vérifia de nos jours l'existence de ces richesses
métalliques, qui pourraient encore, en partie, être exploitées avec profit.
Herrera dit que les mines de la VegaetdeBuenaventura produisaient annuel-
lement 400,000 marcs d'or. Ce fut dans la dernière qu'on trouva un mor-
ceau de ce métal de 200 onces pesant. Au commencement de ce siècle
même les nègres-marrons de Giraba exportaient une grande quantité d'or
en poudre.
Hispaniola fut une conquête importante pour les Espagnols par l'abon-
dance de l'or que l'on trouvait dans ses terrains d'alluvions ; ils obligeaient
les indigènes à leur fournir tout ce qu'ils pouvaient recueillir de ce métal.
L'établissement que les vainqueurs fondèrent, sous le nom de Santo-
Domingo, dans la partie méridionale de l'île, fut l'origine du nom de Saint-
Domingue qu'elle reçut dans la suite. Nous ne rappellerons pas les barbares
traitements infligés aux Caraïbes par leurs vainqueurs, ni comment les
vaincus, forcés à se révolter contre les Espagnols, furent entièrement
détruits par ceux-ci. Restés paisibles possesseurs d'une île déserte, les
Espagnols, au commencement du seizième siècle, la repeuplèrent d'es-
claves arrachés au sol africain. Il était réservé à ceux-ci de venger un jour
ceux qui les avaient précédés sur cette terre, devenue un séjour de misère
et de larmes depuis l'arrivée des Européens. La vengeance fut terrible ; mais
les Français, qui, dans le courant du dix-septième siècle, avaient fondé
une colonie à Saint-Domingue, en furent les victimes, aussi bien que les
Espagnols. Les premières scènes de révolte commencèrent en 1791. Enhar-
dis par quelques succès, ils proclamèrent leur indépendance. Attaqués par
les Anglais, qui cherchaient à s'emparer de l'île, les insurgés les repous-
sèrent et mirent à leur tête Toussaint Louverture, un de leurs chefs, qui
établit dans l'île un gouvernement républicain. Les Français tentèrent, en
1802, de recouvrer Saint-Domingue ; mais, malgré quelques succès et la
capture de Toussaint Louverture, ils furent obligés d'évacuer l'île. Dessa-
lines, son lieutenant, lui succéda ; il se proclama empereur sous le nom de
Jacques 1er, et mourut assassiné en 1808. Après sa mort, Haïti se divisa
en deux États distincts; l'un anarchique et composé de la province française
du nord, eut pour souverain Christophe, qui prit le nom de Henri 1er autre
lieutenant de Toussaint Louverture ; l'autre républicain, au sud, eut pour

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
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président Pétion. Christophe périt misérablement, et Boyer qui avait suc-
cédé à Pétion comme président de la République du Sud, réunit momen-
tanément toute l'île en un seul État, que la France reconnut en 1815,
moyennant l'obligation d'une indemnité de 150 millions payable par annui-
tés aux anciens colons. Les successeurs de Boyer n'eurent pas sa sagesse;
de funestes rivalités éclatèrent; elles ensanglantèrent l'île, et la division en
résulta. Aujourd'hui l'île d'Haïti est divisée en deux États de gouvernement
et d'étendue bien différents ; la partie française qui est la moins étendue ,
forme depuis 1849 l’empire de Haïti, et le général Soulouque, au profit
duquel s'est faite la dernière révolution, a pris le nom de Faustin 1er.
L'ancienne partie espagnole, située à l'est de la précédente, a conservé le
gouvernement républicain, et constitué la République Dominicaine. Tel
est l'état actuel de cette ile dont les révolutions politiques ne paraissent pas
encore être terminées.
Dans l'état d'incertitude où ces changements de chaque jour laissent le
géographe, nous nous contenterons du rapide exposé qui va suivre.
La République Dominicaine occupe toute la partie orientale de l'île ; elle
a une superficie d'environ 2,300 lieues géographiques carrées ; sa popu-
lation était en 1851, de 200,000 âmes ·, les hommes de couleur y sont en
majorité sur les noirs ; elle est administrée par un président élu pour 4 ans,
secondé par un conseil de cinq membres et un tribunal qui en compte quinze.
L'armée est de 6 à 7,000 hommes bien aguerris, et les côtes sont gardées
par 7 ou 8 bâtiments inférieurs.
Santo-Domingo, capitale de l'ancienne colonie espagnole, est aujour-
d'hui la capitale de cette petite république, le siége du gouvernement et
d'un archevêché; elle renfermait autrefois 25,000 habitants ; on ne lui en
donne plus que 12,000. On la considère comme la plus ancienne ville euro-
péenne d'Amérique : Barthélémy Colomb la bâtit en 1496, sur la rive gauche
de l'Ozama, et lui donna le nom de Nouvelle-Isabelle. Elle est entourée de
remparts flanqués de bastions; ses rues sont larges et droites, et ses mai-
sons bâties dans le goût espagnol. Son port est large et profond. Ses édifices
les plus remarquables sont: la cathédrale, bâtie dans le style gothique, et
dans laquelle les cendres de Christophe Colomb restèrent déposées jusqu'en
1795 ; l'arsenal dans lequel on conserve encore une ancre du célèbre navi
gateur ; enfin l'ancien palais du gouvernement.
Cette ville était magnifique, riche et populeuse sous Charles-Quint. Bien
qu'elle ait prodigieusement perdu de sa splendeur, elle sera toujours célèbre
pour avoir été le lieu où les conquérants du Mexique, du Pérou et du

560
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
Chili formèrent leurs vastes projets, et trouvèrent les moyens de les exécuter.
Santiago-de-los-Cavalleros ou Saint-Yague et la Vega sont les deux
principales villes de l'intérieur, où souvent le voyageur peut errer pendant
des journées entières au milieu de prairies superbes sans rencontrer d'autres
traces de population que les cabanes des gardiens de troupeaux. Ces deux
villes sont aujourd'hui presque sans importance, bien que la première soit
regardée comme une des plus salubres des Antilles. Près de la Vega se
trouyent, au milieu des forêts, les ruines de la Conception-de-la-Vega,
qui fut la ville la plus florissante de l'île jusqu'en 1564, qu'elle fut ruinée
, par un tremblement de terre et abandonnée par ses habitants. Couronnées
par de magnifiques forêts, les hauteurs, dans cette partie de l'île présen-
tent souvent des laves noirâtres, ou peut-être des basaltes réduits en petits
fragments. La baie de Samana, défendue par plusieurs îlots et rochers,
offre le plus beau port de l'île ; mais les bords de ce vaste bassin ont acquis
une réputation d'insalubrité. L’Youna, qui se jette dans cette baie, peut
être rendue navigable pendant l'espace de 20 lieues.
La petite ville de Samana, située sur cette baie, a pris depuis peu quel-
qu'importance commerciale. Saint-Christophe, à peu de distance de Santo-
Domingo, est devenue depuis peu d'années la principale place forte de l'île.
Ses environs sont couverts de belles plantations. Higuey est célèbre par sa
chapelle de Notre-Dame et par les nombreux pèlerins qu'elle attire des
diverses parties de l'île.
L'Empire de Haïti comprenant l'ouest de l'île, est formé par l'ancienne
partie française; sa superficie est de 1,500 lieues géographiques carrées,
dont les sept dixièmes sont couverts de montagnes et de forêts; sa popula-
tion peut être évaluée à 700,000 habitants, parmi lesquels le sexe féminin
domine, ici ce sont les noirs qui forment la majorité de la population; les
hommes de couleur y sont en petit nombre et mal vus.
La capitale de l'empire d'Haïti est le Port-au Prince (Port Républicain).
Elle est sur un terrain bas et marécageux, au fond du golfe de la Gonaive,
dans la partie occidentale de l’île. Le palais du gouvernement sur la place
d'Armes, est le seul édifice remarquable de cette ville. Ses rues ne sont
point pavées, mais elles sont larges et bien alignées. Ce qui lui donne une
grande importance, c'est l'activité de son commerce : on évalue à plus de
2 millions de francs les droits qu'on perçoit dans son port sur les 200
navires de toutes les nations qui y entrent annuellement, età près du double
les droits de sortie. Sa population a doublé depuis l'émancipation d'Haïti :
elle s'élève aujourd'hui à 30,000 individus.

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
561
Le Cap-Français, jadis la florissante capitale de cette belle colonie,
s'appela d'abord Guarico et Cabo-Santo, puis Cap-Henri, du nom du nègre
Christophe, qui s'était proclamé roi d'Haïti, sous le nom de Henri Ier.
Chef d'une armée bien disciplinée et d'une population résolue à ne jamais
se soumettre aux blancs, cet Africain imitait le cérémonial, le luxe et la
splendeur des cours européennes. Il cherchait à attirer des officiers blancs
par une solde libérale, et il commerçait avec les Américains, les Anglais et
les Danois. Son royaume se terminait aux plaines, aujourd'hui désertes,
qu'arrose l’Artibonite, rivière considérable. Mais la tyrannie la plus san-
guinaire déshonorait les grandes qualités de ce chef ; une révolte de ses
soldats ayant renversé son pouvoir, il se donna la mort de sa propre main.
Cette ville porte aujourd'hui le nom de Cap-Haïtien. Avant l'émanci-
pation d'Haïti, sa population était de 12,000 âmes ; ses habitants sont encore
au nombre de 8 à 10,000 ; mais elle n'est plus aussi commerçante que
orsqu'elle était le chef-lieu de la colonie française, bien que son port soit
un des plus sûrs et des plus commodes de l'île. Ses fortifications, jadis
importantes, sabelle église de Notre-Dame, et la plupart de ses monuments,
sont fort mal entretenus.
Un peu au nord-ouest de cette ville et sur la côte est la petite île de la
Tortue, peuplée d’environ 5,000 habitants, et célèbre pour avoir autrefois
servi de retraite aux boucaniers et aux flibustiers. C'est dans cette petite
île que fut aussi formé le premier des établissements français à Saint-
Domingue.
La ville des Cayes, capitale éphémère de l'Etat, fondé par le général
Rigaud, renfermait 15,000 habitants lorsqu'elle faisait partie de la colonie
française; c'est encore la seconde place de commerce de la république;
mais un terrible ouragan la détruisit entièrement le 12 août 1831. Saint-
Louis, malgré la beauté de son port, ne fait plus qu'un faible commerce;
mais Jérémie, grâce à la fertilité de ses environs, a conservé sa population
de 3 à 4,000 âmes.
La constitution impériale d'Haïti offre l'amalgame le plus extravagant,
de droit divin, de droit constitutionnel et de droit républicain. Il n'est pas
de peuple qui n'ait plus de droits politiques et civils, les citoyens Haïtiens
n'ont rien à désirer de ce côté; mais, c'est à la condition de ne pas en reven-
diquer l'exercice. Lepaysest divisé en provinces, arrondissements, paroisses
et sections rurales, administrés militairement par des généraux, des colonels
ou des capitaines. L'armée est de 30,000 hommes sur les cadres, mais
la plupart ne sont pas même équipés. L'état-major fort nombreux est hors
V.
71

562
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
de toute proportion avec l'armée : la marine militaire est nulle. Le budget
impérial est alimenté par les droits d'importation , d'exportation et l'impôt
des patentes. Enfin, le déficit est énorme-, tel est le tableau moral et poli-
tique que nous offre aujourd'hui cet empire éphémère.
Située à l'est de la précédente, l’île de Porto-Rico ou Puerto-Rico offre
la continuation de la grande chaîne des Antilles. Elle fut reconnue en
1493 par Christophe-Colomb. C'est la plus belle des colonies espagnoles.
Comme l'archipel dont elle fait partie, elle brille par le luxe de sa végétation,
par la variété de ses campagnes, par l'éclat de ses fleurs, par l'abondance
de ses produits. Elle est divisée de l'est à l'ouest, comme la Jamaïque,
par une chaîne de montagnes de 900 à 1,300 mètres de hauteur couvertes
de forêts. Le Layvonito domine la partie orientale, et le Lopello celle du
sud. Il y a de vastes savanes dans l'intérieur et sur la côte septentrionale.
Les montagnes de l'intérieur, ornées de cascades pittoresques, renferment
des vallées très-salubres; mais dans les plaines basses de la partie septen-
trionale, l'air est malsain dans quelques localités et pendant la saison
pluvieuse ·, car le nord de l'île est humide et sujet à ces pluies périodiques ;
qui caractérisent le climat des Antilles, et quelquefois aussi à leurs terribles
ouragans. Le sol de cette partie est ondulé et couvert de pâturages; toutes
les cultures y prospèrent, et les nombreuses rivières qui l'arrosent ne voient
jamais leur lit desséché. Dans le sud au contraire les pluies sont rares ;
l'eau cependant s'y trouve à 50 ou 60 centimètres de la surface du sol.
Aussi la canne à sucre, malgré la sécheresse de l'air, y croît-elle abon-
damment ; les plus grandes plantations se trouvent même dans la partie
méridionale. L'or, dont l'abondance avait premièrement engagé les Espa-
gnols à s'y établir, est devenu rare à Porto-Rico-, mais elle possède aujour-
d'hui des richesses plus réelles, car elle produit de bon bois de construc-
tion, du gingembre, du sucre, du café, du coton, de la casse, du
tabac, du riz, du maïs, des citrons, des oranges, etc. Cette fraîcheur,
cette humidité, sources de la fertilité de Porto-Rico, elle les doit aux forêts
qui occupent encore la plus grande partie de sa superficie. Ces forêts
attirent la pluie et en empêchent l'évaporation. Une des lois de la colonie
exige que pour un arbre coupé, trois autres soient plantés à sa place.
Porto-Rico renferme un grand nombre d'animaux domestiques-, ses mules
sont très estimées : on les recherche dans la plupart des autres Antilles.
On n'a point à redouter dans cette île la multitude d'insectes et de
reptiles qui sont le fléau des terres tropicales. En un mot Porto-Rico est
la plus saine de toutes les Antilles : ce qui le prouve, c'est que la mortalité

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
563
n'y est pas plus grande que dans nos contrées européennes. On évalue la
superficie de l'île à 530 lieues géographiques carrées et sa population a
380,000, âmes parmi lesquelles il y a environ 50,000 esclaves.
Saint-Jean de Porto-Rico, la capitale, est bâtie sur une petite île de
la côte septentrionale, jointe à la grande terre par une chaussée, et formant
un excellent port. Une enceinte bastionnée et une forteresse la placent au
rang des principales places fortes des Antilles, sa population est de
30,000 âmes. Ses fortifications sont considérables et bien entretenues.
Arecife et Guayama sont des bourgs importants par leur population. Ponce,
au sud de l'île, est importante par ses plantations ; elle a 15,000 âmes ;
Mayaguez qui en renferme 18,000, fait un commerce assez considérable
avec les îles voisines. L’Aguadilla, avec un port ouvert, dans la partie
du nord-ouest, remarquable par sa salubrité : San-Germano, ville consi-
dérable, peuplée de 32,000 âmes des plus anciennes familles de l’île ; les
baies de Guanica et de Guyanilla, situées sur la côte sud, et très-propres
à de grands établissements ; Faxardo, bourg très-agréable sur la côte
orientale : voilà les points principaux que l'espace nous permet d'indi-
quer.
Porto-Rico forme une capitainerie générale de laquelle dépendent les
petites îles qui l'environnent; le gouvernement est confié au capitaine
général, gouverneur civil et militaire, assisté d'un conseil. L'île est divisée
en 7 départements, il y a à Porto-Rico un évêché et une audience royale,
la force militaire se compose de 10,000 hommes de troupes et de 46,000
hommes de milice ; les revenus de l’ile sont annuellement d'environ
4 millions de francs.
A 5 lieues du cap Pinero, la pointe orientale de l'île de Porto-Rico, on
aperçoit les hauteurs verdoyantes et bien boisées de l'île de Biéquen ou
Boriquem, inhabitée, mais réclamée par l'Espagne, ainsi que les îles
Colubra ou Serpent, Kraben ou Crabe, et celles du Grand et du. Petit-
Passage, qui toutes font partie du groupe des Vierges.
Nous ferons précéder la description des petites Antilles de celle des îles
Bahama ou de Lucayes. Elles s'étendent dans le sud-est de la Floride, dont
elles sont séparées par un courant de mer large et rapide, qu'on appelle
golfe de Floride, ou nouveau canal de Bahama. Le vieux canal de Bahama
les sépare de l'île de Cuba. IL y en a 500, dont quelques-unes ne sont que
des rochers; mais il y en a particulièrement 12 grandes et fertiles, dont
le sol ne diffère en rien de celui de la Caroline. La population ne s'élève
qu'à 20 ou 25,000 individus, dont 11,000 nègres. Les principales sont la

564
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
Providence, où est la capitale, la Grande Bahama, presque déserte malgré
son étendue; Cat Island, qui n'est autre que l'île de Guanahani, dans
laquelle l'immortel Colomb débarqua dans la nuit du 11 octobre 1492, et à
laquelle il donna le nom de San-Salvador ; le groupe d’Acklin, où se trouve
Pittstown ; Inagua qui renferme d'importantes salines; Eleuthera et
Abaco.
On exporte de ces îles du coton, de l'indigo et du tamarin, beaucoup
de fruits, surtout des citrons, des oranges, des ananas, des bananes, de
l'écaille de tortue, de l'ambre gris, du bois d'acajou, de campêche et de
Fernambouc. En temps de guerre, les habitants gagnent considérablement
par le nombre des prises qu'on y amène, et, dans tous les temps, par les
naufrages qui sont fréquents dans ce labyrinthe de bancs et de rochers.
Ces îles, qui appartiennent aux Anglais, dépendent du gouvernement
général de la Jamaïque, et sont administrées par un lieutenant-gouverneur.
Elles ont un gouvernement particulier organisé' d'après les formes repré-
sentatives : ainsi le gouverneur est chargé au nom du roi d'Angleterre du
pouvoir exécutif ; le pouvoir législatif est confié à une chambre haute com -
posée de 12 membres, et à une chambre basse de 26 députés des districts.
Nassau, dans l'île de la Providence, est la résidence du gouverneur. C'est
une jolie petite ville d'environ 7,000 âmes, florissante par son commerce.
Les îles Lucayes reçoivent chaque année de l'Angleterre pour 2 à 3 millions
de marchandises, et en exportent pour 1 million et demi.
Lesîles Turques et les îles Caïques1, au débouquementde Saint-Domingue,
sont aussi occupées par les Anglais, et même fortifiées. Elles dépendent
des Lucayes. Ces îles forment deux groupes, peuolés chacun de 1,000 à
1,200 habitants.
Aneyada, Virgin-Gorda et Tortola, sont les principales îles que les
Anglais possèdent dans le petit archipel des Vierges, à l'est de Porto-Rico.
Le sol y est peu fertile ; mais le commerce interlope est d'une grande
importance. Ces îles, dont la population ne dcpasse guère 20,000 âmes,
n'ont de valeur que par le commerce de contrebande avec Porto Rico.
Les Danois ne sont entres dans la carrière du commerce qu'après les
Espagnols, les Français, les Anglais et les Hollandais. Ainsi ils ont trouvé
le Nouveau-Monde déjà partagé entre les autres puissances : ils n'ont pu
obtenir qu'avec beaucoup de difficultés quelques petites portions de ce
riche butin ; mais ils n'ont rien négligé pour donner à ces faibles posses-
1 Cayos en espagnol ; Kays cl Keys en anglais, c'est-à-dire Rochers.

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
565
sions toute la valeur dont elles pouvaient être susceptibles. Aussi les Indes
occidentales ne renferment aucune portion de terre, à l'exception de la
Barbade et d'Antigoa, qui soit mieux cultivée et proportionnellement plus
productive que l’île danoise de Sainte-Croix. Elle offre également le modèle
d'une excellente administration. L'île de Saint-Thomas est plutôt un poste
de commerce. La surface de ces îles et des îlots qui en dépendent n'est que
de 36 à 40 lieues carrées. La population est d'environ 1,000 âmes par lieue
carrée (39,614 en février 1850), et le revenu net, versé dans les caisses
du gouvernement, est de100,000 rixdalers (400,000 francs). Le sucre de
Sainte-Croix tient, pour la finesse et la blancheur, un des premiers rangs ;
le rhum égale celui de la Jamaïque. Christianstadt, ville de 5,000 âmes;
près de la pointe orientale de l'île, en est le chef-lieu. Elle est bien bâtie,
mais son port est d'un accès difficile. L’île de Sainte-Croix a été achetée
de la France pour 160,000 rixdalers (720,000 fr.); aujourd'hui il y a plu-
sieurs plantations qui se vendent deux fois plus. Saint-Thomas a un excel-
lent port, capable de contenir 100 vaisseaux de ligne. De vastes magasins
reçoivent ici journellement les marchandises de l'Europe ou des États-Unis.
La petite île de Saint-Jean a le sol et le climat très-bons, mais la culture y
est encore peu avancée. Il y a une bonne rade, que plusieurs auteurs ont
qualifiée de port.
L'île anglaise de l’Anguille (Anguilla) est toute plate. Ses habitants, peu
nombreux, s'occupent de l'éducation du bétail et de la culture des champs,
qui donnent du tabac excellent.
Saint-Martin renferme moins de terrain que sa dimension ne parait
en indiquer, parce que les côtes sont coupées de baies et d'étangs. L'inté-
rieur est montagneux, le sol léger, pierreux, et exposé à des sécheresses
fréquentes. Un marais salant donne un profit annuel qu'on estime à
500,000 francs. Les habitants, au nombre de 7,000, sont presque tous
d'origine anglaise. La France possède une moitié de l'île, et la Hollande
l'autre : la première a la partie septentrionale, Marigot en est le chef-
lieu, c'est une petite ville de près de 3,000 âmes; et la seconde la
partie méridionale.
Gustave III ayant remarqué combien d'avantages commerciaux le Dane-
mark tirerait de ces îles, voulut procurer à la Suède une possession dans
les Indes occidentales. En conséquence, il obtint de la France, en 1784,
l'île de Saint-Barthélemy, située entre les îles anglaises de Saint-Christophe
et de l'Anguille, et l'île hollandaise de Saint-Eustache. Cette position
facilite le commerce interlope. Le sol, quoique montagneux, manque abso-

566
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
lument d'eau. Le coton y réussit très-bien. On en exporte aussi de la casse,
du tamarin et du bois de sassafras. La végétation est en général beaucoup
plus riche et beaucoup plus variée que ne semblerait le permettre la grande
sécheresse du sol. Cette île est battue par des coups de vent très-violents.
Elle a 15,000 habitants. Gustavia, chef-lieu et unique ville de l'île, est
bâtie sur le port dit le Carénage, qui, à la vérité, n'admet pas de navires
tirant plus de 3 mètres d'eau, mais qui en peut contenir une centaine à la
fois. On porte à 10,000 le nombre de ses habitants.
Les Hollandais considèrent leurs îles comme des entrepôts de commerce,
et surtout de contrebande avec les sujets des autres puissances ; c'est dans
la Guyane qu'ils avaient concentré tous leurs établissements de culture.
L'île Saint-Eustache, qui n'a que 2 lieues de long et 1 de large, est
formée de deux montagnes qui laissent entre elles un vallon très-resserré.
Le sommet oriental présente un ancien cratère de volcan environné de
pierre ponce pesante et de roches de gneiss; mais il n'y a point de lave.
Quoique l'île manque de rivières et de sources, on y cultive du tabac
et un peu de sucre. On assure que le nombre des habitants monte à
15,000.
La valeur du produit de cette île s'élève annuellement à 600,000 francs. La
petite ville de Saint-Eustache, son chef-lieu, est assez bien bâtie, et ren-
ferme de grands magasins pour son commerce. Elle renferme 5 à 6,000
âmes.
Saba, rocher voisin de Saint-Eustache, a 4 lieues de circonférence, et
est environné d'une mer basse qui ne permet qu'aux chaloupes d'en appro-
cher. Après avoir débarqué sur la plage, il faut gravir le rocher par un
chemin très-raide et environné de précipices. Au sommet s'étend une
agréable vallée où des pluies fréquentes font croître des plantes d'un goût
exquis, des choux très-gros et de bon indigo. Un air pur y entretient la
santé, et les femmes conservent cette fraîcheur de teint qu'on désire et
qu'on cherche en vain dans les autres Antilles. Des maisons simples et élé-
gantes offrent autant de temples au bonheur domestique. Les habi-
tants, au nombre de2,000, fabriquent des souliers et des bas de coton,
dont la vente, avec le produit de leur indigo, fournit à leurs modiques
dépenses.
Ici la chaîne des Antilles devient double : la Barboude et l’Antigoa en
forment le chaînon oriental. Antigue, ou Antigoa, a une forme circulaire,
et près de 7 lieues d'étendue en tous sens. Cette île, que l'on regardait
autrefois comme inutile, est maintenant l'une des plus importantes, et

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
567
contient 56,000 habitants, dont les neuf-dixièmes sont noirs. Son port,
appelé English-Harbour, est le chantier le plus sûr et le plus propre au
radoub de la marine royale dans ces mers. On y voit un bel arsenal de
marine. Saint-Jean, ou Saint-John, la résidence ordinaire du gouverneur
des îles anglaises, dites sous le Vent (Leewards Island), est le port qui
fait le plus de commerce. Sa population est de 16,000 âmes. Les produc-
tions consistent en anis, sucre, gingembre et tabac.
La Barboude abonde en bestiaux, chevreuils, porcs et fruits; les noix
de cocos sont très-recherchées. Elle produit aussi du coton, du poivre, du
tabac, de l'anis, du gingembre, des cannes à sucre.
Passons au chaînon occidental ou intérieur. L'île de Saint-Christophe,
outre le coton, le gingembre et les fruits des tropiques, produit beaucoup
de sucre; son sol, formé d'une marne cendreuse, est singulièrement favo-
rable à la canne. Elle porte chez les Anglais le nom populaire de Saint-
Kitts, et compte 23,000 habitants. La petite ville de Basse-Terre, qui peut
avoir 5 à 6,000 âmes, est la résidence du gouverneur. Sandy-point est un
poste militairement important.
Les deux petites îles de Nevis et de Montserrat, situées entre Saint-
Christophe, et la Guadeloupe, ont le sol léger, sablonneux, mais extrê-
mement fertile en coton, tabac et sucre. Elles appartiennent, comme les
trois précédentes, à l'Angleterre, et possèdent ensemble plus de 17,000
habitants.
La Guadeloupe est divisée en deux parties par un bras de mer très-étroit,
L'une de ces parties prend spécialement le nom de Guadeloupe, c'est celle
que l'on désigne quelquefois encore sous le nom de Basse-Terre ; l'autre,
celui de Grande-Terre. Le petit détroit qui coupe ainsi l'île en deux', connu
des marins sous le nom de Rivière Salée, n'est accessible qu'à des embar-
cations calant un mètre et demi d'eau. Son utilité est grande toutefois pour
le transport des denrées des quartiers qui l'avoisinent.
A l'ouest de la Rivière Salée, la Guadeloupe proprement dite se présente,
avec ses chaînes de montagnes volcaniques, parmi lesquelles la Soufrière
vomit souvent de la fumée et des étincelles des flancs de son cratère couvert
de soufre. La pente de ces montagnes s'adoucit généralement et se termine
de manière à laisser entre leur base et le rivage de la mer, des étendues
de terre plus ou moins considérables. C'est dans cette espèce de ceinture
et sur les flancs praticables des mornes, que sont établies les cultures et les
habitations. La végétation y est d'une extrême richesse, les palmiers, les
bananiers, les lianes, les goyaviers en font les éléments les plus importants.

568
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
La seconde moitié de l'île, la Grande-Terre, située à l'est de la Rivière
Salée, ne présente au contraire, par un singulier contraste de la nature,
qu'une vaste plaine, dont le sol s'élève à peine de quelques mètres au-dessus
du niveau de la mer. La circonférence totale des deux parties de l'île est
d'environ 70 lieues.
La Grande-Terre est longue de 14 lieues et large de 6 ; l'autre, la Guade-
loupe proprement dite, a 15 lieues de long sur 7 de large, sa partie la
moins élevée se nomme la Basse-Terre, et la partie montagneuse est
nommée la Cabesterre. La petite île de Désirade, à l'est ; celle de Marie-
Galande, au sud-est, et 1e groupe dit des Saintes, au sud, dépendent de
la Guadeloupe, et font partie du gouvernement de ce nom. La surface en
est évaluée, au total, à 204,085 hectares ou 40 lieues carrées, et la popu-
lation, à 131,000 âmes dont 11 à 12,000 blancs, 15 à 20,000 gens de
couleur et le reste noirs.
Dans les enclos des habitations on voit le citronnier sauvage, l'arbre qui
produit le galbanum (Callopyllum palaba), et le campêchier, quelquefois
la poincillade, l'erythrina-corallodendrum, et le volkameria épineux. La
canne à sucre vient très-haute et très-forte, mais d'une substance quel-
fois trop aqueuse. Le café de l'île est moins estimé que celui de la Marti,
nique. Les abeilles y sont noires; elles font un miel très-liquide et de
couleur purpurine.
. La ville de Basse-Terre, peuplée de 12,400, a des rues régulières et
ornées de divers jolis bâtiments. Des promenades, des haies, des jardins,
des fontaines jaillissantes, contribuent à l'embellir. Le fort qui la défend
pourrait même en Europe passer pour une bonne forteresse : il domine
une rade ouverte, la ville n'ayant point d'autre port. Pointe-à-Pitre est le
chef-lieu de la Grande-Terre, et le siége d'un tribunal de première instance.
Quelques marais du voisinage nuisent à la salubrité de cette place, qui
d'ailleurs est bien bâtie et régulière. Son port est spacieux, et l'un des
meilleurs de l'Amérique, elle a été presque détruite en 1843 par un affreux
tremblement de terre. On estime sa population à environ 12,000 âmes.
Ses environs offrent les plus grandes plantations de café de toute la colonie,
Le Moule, chef-lieu de canton, a pris un rapide accroissement et compte
aujourd'hui 1,200 habitants, ses vastes plantations de cannes à sucre lui
assurent la première place sous ce rapport dans la colonie.
La Désirade produit d'excellent coton. Cette île, longue de 4 lieues et
large de 2, est formée d'un groupe de mornes et de montagnes qui d'un
côté sont taillées à pic et de l'autre s'abaissent insensiblement jusqu'à la

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
569
mer. Elles portent partout l'empreinte des feux souterrains. Il y û des parties
boisées et d'autres qui sont couvertes de belles et riches prairies. Le
nombre de ses habitants est d'environ 18,000.
A Marie Galante ou Marie-Galande on cultive, sur un sol montueux,
une bonne quantité de sucre et de café. Cette île est, après la Martinique
et la Guadeloupe, la plus importante des Antilles françaises; sa longueur
est de 4 lieues et sa largeur de 3 et demie. Elle est en grande partie bordée de
hautes falaises, au pied desquelles règnent des brisants et des gouffres.
Vers le sud-ouest seulement la côte est plate, mais la mer est traversée par
un banc de récifs : aussi Marie-Galante est elle dépourvue de ports. Son
sol montagneux., boisé, peu abondant en sources, mais généralement fertile,
est cultivé avec soin. Elle reçut de Christophe Colomb, lorsqu'il y débarqua
en 1493, le nom du navire qu'il montait. Le Grand-Bourg, sa principale
paroisse, se compose d'une dizaine de rues bien percées, de trois places
et d'une assez belle église. Cette résidence du commandant, et siége d'un
tribunal de première instance, renferme environ 2,500 habitants. Cette
petite ville a réparé les désastres de l'incendie qui en consuma la plus
grande partie le 17 mai 1838.
A l'ouest de cette île et à 2 lieues et demi au sud de la Guadeloupe, on
remarque le petit groupe des Saintes qui appartient aussi à la France, et
qui, composé de plusieurs îles, n'occupe que 2 lieues de longueur sur 1 de
largeur. Les cinq principales sont : au nord, l’Ilet et Cabrit ; au sud, le
Grand Ilet et La Coche; à l'ouest, la Terre-d'en-bas et à l'est la Terre-
d'en-haut. Elles renferment peu de terres propres à la culture; plus de la
moitié de leur superficieest en friche,en bois et en savanes; le reste est
cultivé en café et en coton. La Terre-d'en haut est la plus grande et la
moins stérile, bien qu'il n'y ait qu'une petite source qui tarit dans les
grandes sécheresses; c'est là que sont aussi les principaux établissements
civils et militaires. La population de tout ce groupe est d'environ 1,300
âmes, parmi laquelle on compte 500 blancs, 130 individus de couleur et
670 noirs. Ces îles sont importantes par les mouillages qu'elles offrent.
Elles furent découvertes le 4 novembre 1493 par Colomb, qui leur donna
le nom de Los Santos à cause de la fête de la Toussaint qui venait
d'avoir lieu.
La Dominique, située entre la Guadeloupe et la Martinique, dont elle
gêne beaucoup les communications en temps de guerre, est la plus
élevée et la plus accidentée des petites Antilles; son sol est maigre, et
plus propre à la culture du café qu'à celle du sucre : il y a néanmoins plu-
V.
72

570
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
sieurs ruisseaux de fort bonne eau, où l'on pêche d'excellent poisson, et
les coteaux d'où ils descendent produisent les plus beaux arbres des Indes
occidentales. Il y a aussi une raine de soufre. Selon quelques auteurs, on
y trouve des scorpions venimeux, des serpents et des couleuvres d'une
grandeur énorme. Elle produit du maïs, un peu de coton , de l'anis, du
cacao, du tabac, des perdrix, pigeons, poulets et porcs. Roseau ou Char-
lestown, ville de 6,000 âmes, est la résidence du gouverneur. La baie du
Prince-Rupert, près de Portsmouth, est une des plus grandes des Antilles.
La Dominique appartient aux Anglais, et fait partie du gouvernement des
îles du Vent; elle est administrée par un lieutenant-gouverneur, un conseil
législatif et une assemblée représentative. Les revenus de cette île sont
d'environ 180,000 francs et ses dépenses de 160,000. Sa population est
de 6,000 blancs et mulâtres, et de 14,000 noirs, en tout 20,000.
Avant les guerres de 1750 et de 1756, la Martinique était la principale
île française ; là s'accumulaient toutes les marchandises de l'Europe et des
Indes : 150 vaisseaux allaient et venaient dans ses ports; elle étendait
son commerce direct à la Louisiane et au Canada. Mais la perte de ces
colonies et la prospérité croissante de Saint-Domingue ont placé la Marti-
nique à un rang moins brillant, quoique toujours très-éminent.
Cette île, qui est à 25 lieues au sud de la Guadeloupe, a une circonfé-
rence de 40 à 50 lieues, elle présente une superficie de 38 lieues carrées ;
un tiers de l'île est en plaines, le reste en montagnes très-escarpées,
hérissées de rochers; les pics culminants sont la montagne Pelée qui a
1,350 mètres ci le piton du Carbet, qui en a 1,207, cette dernière mon-
tagne calcaire a la forme conique et pointue : elle porte assez souvent une
couronne de nuages, et la pluie qui ruisselle sur ses flancs en rend l'ascen-
sion difficile. La plupart des montagnes sont couronnées par des forets
presque impénétrables, où lefromagier gigantesque entre-croise ses branches
avec le balata, le courbaril avec le tîguier sauvage. En dehorsde ces forêts,
la végétation de l'île n'est pas moins riche, ni moins variée : les palmiers
élancés, les bananiers aux fruits savoureux, les lianes grimpantes, les
goyaviers aux feuilles d'un vert sombre, s'offrent tour à tour auprès des
habitations créoles. Le sol déchiré par les éruptions de cinq ou six volcans
éteints aujourd'hui, se montre tantôt découpé de mornes, de pitons et de
vallées, tantôt arrosé par plus de 60 rivières, dont les cours servent de
moteurs à de nombreux moulins à sucre; cinq de ces rivières sont même
navigables pour de petits bâtiments.
La Martinique est donc mieux arrosée que la Guadeloupe, elle est moins

AMÉRIQUE — ARCHIPEL COLOMBIEN.
571
sujette aux ouragans; ses productions sont les mêmes, et consistent prin-
cipalement en sucre d'abord, puis en café et en quelque peu de coton et de
cacao. Le chiffre de la population sédentaire était, en 1850, de 120,357
habitants, dont environ 9,000 blancs, 37,000 hommes de couleur, et le
reste noirs. Si on y ajoute la population flottante, évaluée à 2,937, on
aura pour population totale 123,551.
Cette île a plusieurs ports et baies commodes : on distingue surtout le
cul-de-sac Royal. Sur cette baie est bâti le Fort-Royal, avec la ville de môme
nom. Celle-ci renferme 12,000 habitants ; elle est en grande partie bâtie en
bois, mais les maisons sont très-propres. C'est le chef-lieu de la colonie, et
le siége d'une cour royale et d'un tribunal de première instance. Ses princi-
paux édifices sont l'église paroissiale, l'hôtel du gouvernement, les maga-
sins de la marine, l'arsenal et les hôpitaux. Des fontaines nouvellement
construites répandent dans les rues une agréable fraîcheur. Son port,
d'ailleurs bon et sur, a moins d'étendue que celui de Pointe-à-Pitre dans
la Guadeloupe, mais il est défendu par de bonnes fortifications. La ville de
Saint-Pierre, avec une rade, est une des places les plus commerçantes
de toutes les petites Antilles. Ses 66 rues, toutes pavées, bien éclairées la
nuit, et arrosées par des ruisseaux abondants qui tempèrent la chaleur du
jour, sont garnies de belles maisons. On lui donne 24,000 habitants sans y
comprendre la garnison. Ce qu'elle possède de plus remarquable est le
jardin botanique fondé en 1803 pour y naturaliser les plantes des Indes.
Lamentin, est une petite ville d'environ 10,000 habitants, dont le terri-
toire est occupé par d'importantes sucreries. Rivière-Pilote, possède dans
ses environs les plus riches plantations de café de toute l'île, c'est un bourg
de 4,000âmes. Le Pécheur, chef-lieu de canton de 6,000 habitants, doit à
son port, qui est très-fréquenté, la troisième place parmi les cités commer-
çantes de l'île.
L'île, aujourd'hui anglaise, de Sainte-Lucie, a été longtemps un sujet
de querelle entre l'Angleterre et la France. Le sol y est excellent : les
montagnes qui en occupent la partie orientale, ou la Cabesterre, parais-
sent avoir été volcanisées. La Soufrière est le cratère écroulé d'un volcan
éteint, près duquel s'élancent deux pitons semblables à des obélisques
verdoyants. L'air de l'île est extrêmement chaud et malsain; les reptiles
venimeux y abondent. Les cultures consistent en sucre et en coton. On y
trouve du bois de construction. Sa superficie est d'environ 7 à 8 lieues
carrées, et sa population ne s'élève pas au delà de 20,000 âmes. Elle
dépend du gouvernement général des îles du Vent et sous le Vent.

572
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
Le Carénage, dons la partie du nord-ouest de l'île, est un bon port où
32 vaisseaux de ligne peuvent se mettre à l'abri. On en sort avec tous les
vents, mais on ne peut y entrer que vaisseau par vaisseau. C'est un des
séjours les plus dangereux pour la santé des Européens. Cette ville, que
les Anglais nomment Port-Castries, renferme 5 à 6,000 habitants. Sainte-
Lucie est administrée par un lieutenant-gouverneur et un conseil colonial,
elle est divisée en 9 paroisses. Ses principales productions sont le sucre,
le rhum et le café. Le chiffre de ses importations et de ses exportations
atteint annuellement 4 à 5 millions de francs.
L'île Saint-Vincent, au sud de Sainte-Lucie, est extrêmement fertile.
Le sol consiste en un terreau noir, sur une forte glaise très-convenable à
la culture des cannes à sucre et de l'indigo, qui y vient supérieurement
bien. La côte orientale est peuplée d'une race mixte de Zambos, descen-
dants de Caraïbes et de nègres fugitifs de la Barbade et des autres îles. On
les appelle Caribes noirs. La superficie de cette île est de 17 à 18 lieues
carrées, et sa population est de 28,000 individus, dont les onze-douzièmes
sont noirs. Le chef lieu se nomme Kingston. C'est une ville de 9 à 10,000
âmes. La canne à sucre est la principale culture de cette île; elle en importe
annuellement en Angleterre 50 quintaux métriques. Saint-Vincent dépend
du gouvernement général des îles du Vent; elle forme avec les Grenadines
et quelques îlots voisins un gouvernement particulier administré par un
lieutenant-gouverneur, un conseil de 12 membres et une assemblée colo-
niale de 19 députés.
Le gouvernement do Saint-Vincent comprend les petites îles de Béguia,
de Petite-Martinique et autres, dont quelques-unes sont peuplées par un
petit nombre de familles peu aisées.
Les îlots nommés les Grenadines sont placés sur la même ligne et font
aussi partie du même gouvernement. Cariacon en est le principal et le
mieux cultivé. Ces îlots sont réunis par des récifs de roches calcaires
formées par des polypiers, et qui, d'après la description d'un naturaliste
instruit, paraissent exactement semblables aux rochers de corail de la mer
du Sud.
Cette chaîne d'îlots est terminée par la fertile île anglaise de la Grenade,
ou Grenada, longue de 10 lieues et large de 6, d'une superficie de 24 lieues
carrées, et peuplée de 29,000 habitants, dont 23,000 sont noirs. Le sol
est extrêmement favorable à la culture du sucre, du café, du tabac et de
l'indigo. Un lac, sur le sommet d'une montagne au milieu de l'île, lui fournit
une multitude de rivières qui servent à la fois à l'orner et à la féconder, Il

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL C0L0MR1EN.
573
y a autour de l'île plusieurs baies et ports, dont quelques-uns peuvent être
fortifiés avec beaucoup d'avantage. Elle jouit en outre du bonheur de ne
pas être sujette aux ouragans.
Cette île exporte tous les ans pour 23,000,000 de ses produits. George-
Town, autrefois Fort-Royal, sa principale ville, peuplée de 8 à 9,000
âmes, possède un des meilleurs ports des Petites-Antilles. La Grenade
dépend du gouvernement général des îles du Vent, elle forme un gouver-
nement particulier administré comme les autres colonies anglaises par un
lieutenant-gouverneur, un conseil et une chambre de représentants.
Découverte par Christophe Colomb, elle a été cédée à l'Angleterre par la
France, qui la possédait, en 1763, au traité de Paris.
Ici finit la chaîne des Antilles proprement dites. La Barbade, Tabago et
la Trinité, toutes les trois anglaises , forment une chaîne particulière.
La Barbade, Barbada ou Barbadoes, longue de 7 lieues et large de 3 et
demie, est la plus orientale des Antilles. Quand les Anglais y débarquèrent
pour la première fois en 1625, ils la jugèrent la plus sauvage, la plus
triste et la plus misérable qu'ils eussent encore vue. Il n'y avait aucune
espèce de bétail ni de bête de proie, aucun fruit, aucune herbe, aucune
racine propre à la nourriture de l'homme. Cependant les arbres étaient si
gros et d'un bois si dur, que les colons ne parvinrent qu'avec beaucoup de
peine à défricher autant de terre qu'il en fallait pour leur subsistance. Par
une persévérance invincible, ils firent en sorte d'y trouver de quoi vivre,
et ils ne tardèrent pas à découvrir que le sol était favorable au coton et à
l'indigo, et que le tabac, qui commençait alors à être en vogue en Angle-
terre, y venait assez bien. La population fit des progrès si rapides, que
25 ans après le premier établissement elle montait à plus de 50,000 blancs
et 100,000 nègres ou Indiens esclaves. Cet état brillant a duré un demi-
siècle. La population actuelle est encore assez considérable pour une île qui
n'a que 21 à 22 lieues carrées en superficie. On l'estime à 120,000 habi-
tants, dont les quatre cinquièmes sont noirs. Ses produits sont évalués à
25 ou 30,000,000 de francs. La capitale de l'île est Bridgetown, où réside
le gouverneur, qui est en même temps gouverneur-général des îles du Vent
et des îles sous le Vent 1. Ce gouverneur dirige les affaires de la colonie
avec l'assistance d'un conseil législatif et d'une chambre des représentants.
1 Les anglais appellent îles du Vent ou Windward Islands, la partie de l'archipel
des Caraïbes comprise entre la Martinique et Tabago inclusivement, et îles sous le
Vent, ou Leeward Islands, tout le nord de cet archipel, depuis et y compris la Domi-
nique.

574
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
Bridgetown est le port des Antilles le plus rapproché de l'ancien continent.
Elle est regardée comme une des plus belles villes des Antilles ; on y compte
1,200 maisons. La baie de Carlisle, au fond de laquelle elle est située,
peut contenir 500 vaisseaux. Speightstown, surnommé le Petit-Bristol,
renferme 5,000 habitants qui la plupart se livrent au commerce. Charles-
lown et Jamestown sont aûssi deux petites villes importantes.
L'île de Tabago, longue de 11 lieues et large de 4 et demie, et d'une super-
ficie d'environ 24 lieues carrées, a l'avantage de n'être point sur la ligne
du cours ordinaire des ouragans. Elle est située au nord-est de celle de la
Trinité, et, de même que celle-ci, elle a pour noyau des montagnes schis.
teuses dénuées de toute roche granitique, et qui semblent être une conti-
nuation de la chaîne de Cumana, sur le continent de l'Amérique méridio-
nale. Cette chaîne diffère entièrement de celle des Antilles. La position de
Tabago devant le détroit qui sépare les Antilles de-l'Amérique lui donne une
grande importance en temps de guerre. Son sol riche et encore vierge est
très-propre à la culture du sucre, et plus encore a celle du coton ; les figues
et les goyaves y sont excellentes ; tous les autres fruits des tropiques y
réussissent. On assure que le cannellier et le vrai muscadier se trouvent
dans cette île; il est plus certain que l'arbre à gomme-copal y croisse, ainsi
que cinq sortes de poivre. Il y a plusieurs baies et havres, principalement
sur les côtes nord et ouest. La population est, d'après les derniers rapports,
de 16,000 individus, dont les neuf dixièmes sont noirs, Scarborough, sa
principale ville, défendue par un fort, est peuplée de 2 à 3,000 âmes.
L'île de la Trinidad, ou de la Trinité, est située entre celle de Tabago
et le continent de l'Amérique espagnole, dont elle est séparée par le golfe
de Paria et les deux détroits de la Bouche-du-Dragon, ou de la Bouche-du-
Serpent. Elle a environ 35 lieues de longueur du sud-ouest au nord-est, et
22 de largeur dans le sens opposé. Sa forme en losange lui donne à peu près
96 lieues de circonférence et une superficie de 320 lieues carrées. Elle avait
été décriée comme malsaine; Raynal a, le premier. réfuté cette erreur.
Montagneuse vers le nord, elle n’offre, dans le centre et au midi, que des
plaines et des collines. Elle abonde en palmiers et en cocotiers, qui y crois-
sent sans être cultivés; elle produit du sucre, du café, de bon tabac, de
l'indigo, du gingembre, de l'anis; de beaux fruits, tels que citrons et
oranges, du maïs, du coton et du bois de cèdre. Ses produits annuels con-
sistent en 200,000 quintaux de sucre, 15,000 de coton, 5,000 de café,
3,000 de cacao et 3,000 hectolitres de rhum. Sa population est estimée à
50,000 individus. Parmi plusieurs curiosités naturelles, elle renferme un

AMÉRIQUE. — ARCHIPEL COLOMBIEN.
575
lac, ou plutôt un grand marais rempli de bitume-asphalte. La surface de
ce lac change souvent ; les bords, les îlots s'y engloutissent d'un jour à
l'autre.
Ce lac, élevé de 28 mètres au-dessus du niveau de la mer, a ordinaire-
ment plus d'une lieue de circonférence. On y remarque plusieurs trous de 2
à 3 mètres de profondeur, qui contiennent de l'eau qui n'a point du tout le
goût du bitume et qui nourrit un grand nombre de petits poissons. A une
lieue de la côte orientale de l'île, dans la baie de Mayaro, il existe dans la
mer un gouffre d'où, au mois de mars , après une détonation semblable à
celle du tonnerre, il sort une flamme et une fumée épaisse et noire qui se
dissipe aussitôt; mais, quelques minutes après, on trouve sur le rivage des
placards de bitume de 8 à 12 centimètres d'épaisseur sur 16 à 24 de lar-
geur. Près d'une des lagunes si communes à la Trinidad, on remarque un
monticule de terre argileuse, entouré d'un grand nombre de petits cônes de
30 à 70 centimètres de hauteur. « Les sommets de ces cônes sont tronqués
« et ouverts; ce sont autant de petits soupiraux qui exhalent un gaz d’odeur
« d'hydrogène sulfuré. Sur la partie la plus élevée de ce monticule est un
« cône d'environ un mètre et demi de haut, percé du sommet à sa base
« comme les autres. Celui-ci vomit continuellement une matière blanchâtre
« qui a le goût d'alun. » Près d'un marais de palétuviers, contigu au pré-
cédent , on voit un autre mamelon d'environ 27 mètres de diamètre et de
5 de hauteur. Il n'a pas autant de soupiraux que le monticule voisin, mais
sa cime présente une cavité circulaire remplie d'un liquide bouillant qui a
un goût d'alun. On y entend un bruit sourd et souterrain et la terre tremble
sous les pas1.
La cour de Madrid ayant ouvert la Trinidad à tous ceux qui voulaient s'y
établir, beaucoup de Français de la Grenade s'y réfugièrent. Par la paix
signée en 1801 avec la France, l'Angleterre obtint cette île importante par
sa fertilité, son étendue, et plus encore par sa position, qui domine l’Oré-
noque et la fameuse Bouche-du-Dragon.
La principale ville est Spanishtown, autrefois Puerto-Espana, en fran-
çais Port-d'Espagne, et que les Anglais nomment aussi Port of Spain ;
elle est située sur le golfe de Paria. D'abord bâtie en bois, mais détruite par
un incendie en 1809, elle a été depuis reconstruite en pierres dont l'île
abonde, et entourée de fortifications importantes; on y a aussi élevé un beau
môle. Sa population est de 15,000 âmes.
1 Dauxion-Lavaysse : Voyage aux îles de Trinidad, de Tabago, de la Margue-
rite, etc., t.I, p. 23-32.

576
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME.
Sur la môme partie de la côte est Saint-Joseph d’Oruna, l'ancienne capi-
tale espagnole, peuplée encore de 5,000 âmes ; elle est située au milieu
d'une plaine bien cultivée, dans la partie nord-ouest de l'île. Le meilleur
port est celui de Chagaramus; on évalue la population à 30,000 indi-
vidus.
La Trinidad, vu son étendue et la prodigieuse fertilité de son sol, pour-
rait produire autant de sucre que toutes les îles du Vent réunies. Tabago
donne relativement encore de plus grandes espérances. Ces deux îles ont au
surplus le précieux avantage d'être hors de la portée ordinaire des ouragans,
et d'offrir par conséquent un mouillage où les flottes ne sont point exposées
à ces terribles coups de vent qui souvent les brisent dans les ports des îles
situées plus au nord. La Trinité forme un gouvernement colonial particu-
lier, administré par un lieutenant-gouverneur , qui relève du gouverneur
général des îles du Vent et sous le Vent.
Nous avons déjà parlé de 1’île Marguerite, dépendante de Caracas : il ne
nous reste donc à décrire, parmi les îles situées sur la côte espagnole du
continent, que les trois dont les Hollandais sont eu possession. Curaçao
en est la plus importante-, elle a 20 lieues de longueur sur 4 à 5 de largeur-,
aride et dépendante des pluies pour avoir un peu d'eau, cette île semblait
être condamnée à une stérilité perpétuelle. L'eau tirée l'un seul puits y est
vendue au poids de l'or. L'industrie hollandaise y fait croître, dans un sol
léger et rocailleux , du tabac et du sucre en quantité. Les salines donnent
un produit considérable-, mais c'est au commerce interlope, que l'île
doit son état florissant, car la valeur de ses produits n'est évaluée qu'à
500,000 francs.
Willemstadt, la capitale, est l'une des plus jolies villes des Indes occi-
dentales; les édifices publics ont ici plus d'élégance, les rues plus de
propreté , les maisons particulières une distribution plus commode , et les
magasins plus d'étendue que partout ailleurs. Le port protégé par le fort
d'Amsterdam est spacieux et sûr ; son entrée est étroite. La population de
la ville est de 8 à 9,000 âmes ; celle de l'île se composait, en 1848, de
15,524 habitants, dont 10,045 blancs et 5,479 noirs esclaves.
Bonair et Aruba, petites îles voisines, sont employées à élever du bétail;
elles ont environ 4,500 habitants, dont 1,200 esclaves.
L'archipel que nous venons de parcourir est un des principaux théâtres
de l'industrie et du commerce des Européens. Les richesses que la Hollande,
la France et l'Angleterre en ont tirées, ont plus contribué à la pros-
périté des métropoles que tout l'or, tout l'argent, tous les diamants du

AMÉRIQUE.—ARCHIPEL COLOMBIEN.
577
continent américain. L'Angleterre seule continue à en retirer d'immenses
bénéfices.
Terminons le tableau de l'archipel colombien par une esquisse des grands
spectacles que la nature y développe.
Contemplons une matinée des Antilles dans la saison des fortes rosées ,
et, pour en jouir complétement, saisissons le moment où le soleil, parais-
sant avec tout son éclat dans un ciel pur et tranquille, dore de ses premiers
feux la cime des montagnes, les larges feuilles des bananiers et les touffes
des orangers. Sous les réseaux de lumière qui les gazent avec délicatesse,
tous les feuillages divers semblent tissus de la soie la plus fine et la plus
transparente, les gouttes imperceptibles de rosée qu'ils ont retenues ne sont
plus qu'autant de perles que le soleil se plaît à colorer de mille nuances, et
du centre de chaque groupe de feuilles étincelle l'insecte qui nage dans ces
gouttes d'eau. Les prairies n'offrent pas un aspect moins ravissant ; toute
la surface de la terre n'est qu'une plaine de cristal et de diamant. Souvent,
lorsque les rayons du soleil ont dissipé les brouillards qui couvraient le
vaste miroir de l'Océan, une illusion d'optique vient en doubler les flots et
les rivages. Tantôt l'on croit voir un énorme lit de sable là où s'étendait la
mer, tantôt les canots éloignés semblent se perdre dans une vapeur embra-
sée , ou, soulevés au-dessus de l'Océan, ils flottent dans une mer aérienne
en même temps qu'on voit leur ombre s'y réfléchir fidèlement. Ces effets de
mirage sont fréquents dans les climats équatoriaux. La douce température
de la matinée permet à l'ami de la nature d'admirer les riches paysages de
cet archipel. Quelques montagnes nues et renversées l'une sur l'autre domi-
nent par leur élévation toute la scène inférieure. A leurs pieds se prolon-
gent des montagnes plus basses, couvertes de forêts épaisses. Les collines
forment le troisième gradin de cet amphithéâtre majestueux-, depuis leurs
sommets jusqu'aux bords de la mer, elles sont couvertes d'arbres et d'ar-
brisseaux de la plus noble et de la plus belle structure. A chaque pas ce sont
des moulins, des plantations, des habitations qu'on voit percer à travers les
branches, ou qu'on entrevoit ensevelis dans les ombres de la forêt. Les
plaines offrent des tableaux également neufs et variés. Pour vous en former
une idée, réunissez en pensée tous ces arbres etarbustes dont la magnifique
végétation fait l'ornement de nos jardins botaniques; rassemblez les pal-
miers, les cocotiers, les plantaniers; faites-en a plaisir mille groupes diffé-
rents en y joignan t le tamarinier, l'oranger et tel autre arbre dont les nuances
et la hauteur leur soient proportionnées ; voyez jouer au milieu les touffes
élégantes du bambou ; peignez-vous, entre toutes leurs tiges, les variétés
V,
73

578
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
bizarres de l'épine de Jérusalem, les riches buissons de Poléandre et des
roses d'Afrique, l'écarlate vive et brillante des cordia ou sébestiers, les ber-
ceaux entrelacés du jasmin et de la vigne de Grenade; les bouquets délicats
du lilas, les feuilles soyeuses et argentées de la portlandia ; ajoutez-y la
magnificence variée des champs de cannes étalant la pourpre de leurs fleurs
ou le vert émail de leurs feuilles; les maisons des planteurs, les huttes des
nègres, les magasins, les ateliers, la rade lointaine couverte d'une forêt de
mâts. L'Océan même offre souvent ici, dans la matinée, un aspect rare
partout ailleurs. Aucune brise n'en ride la surface ; elle est si étonnamment
transparente, que vous oubliez presque que les rayons de vue y soient inter-
ceptés; vous distinguez les rochers et le sable à uneprofondeur immense ;
vous croyez pouvoir saisir les coraux et les mousses qui tapissent les pre-
miers , et vous compteriez sans peine les mollusques et les testacés qui se
reposent sur l'autre.
Mais quel trouble soudain agite cette foule d'oiseaux et de quadrupèdes
qui, avec l'air du désespoir, cherchent des asiles? Ces sinistres pressenti-
ments nous annoncent l'approche d'un ouragan. L'atmosphère devient
d'une pesanteur insupportable, le thermomètre s'élève extraordinairement,
l'obscurité augmente de plus en plus, le vent tombe tout à - fait, la nature
entière paraît plongée dans le silence. Bientôt ce silence est interrompu par
les roulements sourds des tonnerres éloignés; la scène s'ouvre par une
foule d'éclairs qui se multiplient successivement, les vents déchaînés se
font entendre, la mer leur répond par le mugissement de ses vagues; les
bois, les forêts, les cannes, les plantaniers, les palmiers y joignent leurs
murmures et leurs sifflements plaintifs. La pluie descend à flots, les torrents
se précipitent avec fracas des montagnes et des collines , les rivières s'en ■
fient par degrés , et bientôt les ondes accumulées débordent de leur lit et
submergent les plaines. Bientôt ce n'est plus un combat de vents furieux,
ce n’est plus la mer mugissante qui ébranle la terre; non c'est le désordre
de tous les éléments qui se confondent et s'entre-détruisent. La flamme se
mêle à l'onde, et l'équilibre de l'atmosphère, ce lien général de la nature,
n'existe plus. Tout retourne à l'antique chaos. Quelles scènes n'éclairera pas
le soleil du matin ! Les arbres déracinés et les habitations renversées cou-
vrent au loin toute la contrée. Le propriétaire s'égare en voulant chercher
ce qui reste de ses champs. Partout gisent les cadavres des animaux domes-
tiques pêle-mêle avec les oiseaux des forêts. Les poissons eux-mêmes ont été
arrachés de leurs humides retraites, et l'on recule d'effroi quand on les
rencontre, loin de leurs demeures, meurtris en se froissant contre les débris.

AMÉRIQUE. — TABLEAUX STATISTIQUES DES ANTILLES.
579
TABLEAUX STATISTIQUES DES ANTILLES.
Ile de Saint-Domingue ou d'Haïti.
En 1850.
Superficie : 3,800 lieues carr. | Popul. absol. : 1,000,000. | Popul. par lieue carr. · 263.
ARRONDISSEMENTS,
STATISTIQUE
NOM DE L'ÉTAT.
PROVINCES.
COMMUNES, PAROISSES
PARTICULIÈRE.
ET QUARTIERS 1.
RÉPUBLIQUE
Superfic., 2.3001. c.
Ozama.
SANTO-DOMINGO ++.—Bani.—
DOMINICAINE.
Popul., 200.000 hab.
Saint-Christophe — Seybo.
Ar mée, 7,000 hom.
—Higuey.—Samana.—Baya-
Flotte, 7 ou 8 bâti-
guana—Los Lanos.—Monte
ments intérieurs.
de Plata. — Savana de la
Mar, q.Los Minas, p. —
Boya, p.
Cibao.
San- Yago. — Le Cotny.La
Vega.— Masoria.— Las Ma-
tas de la Sierra — Altamira,
p. — Puerto-Plata.
Dépendances—Les Iles
Azua.—Neybe.—Saint-Jean.
Alla vela, Beata et
Farfan de las Matas.
Saona.
EMPIRE DE HAÏTI.
Superfic., 1,500 1. c. Province de l'Ouest. PORT-AU-PRINCE. — La Croix
Popul, 800.000 hab.
des Bouquets. — L'Archaie.
Armée, 30,000 hom.
Jacmel.—Rainet.— Marigot.
Flotte, 1 corvette,
—Cayes de Jacmel, p.— Les
1 brick, 5 bâti-
Côtes de Fer, q —Sale-Trou,
ments inférieurs.
q. —Leogane. Le Grand-
Goave — Le Petit-Goave.—
Le Mirebalais — Les Coa-
bas.—Saint-Marc.—La pe-
tite rivière de l'Artibonite.
— Les Vérettes.
Province du Sud.
Les Cayes.—Le Port-Salut.—
Les Coteaux.— Torbec, p.—
La Roche à bateau, q. Les
Anglais, q.—Les Chardon-
nières, q. —Le Port à Pi-
ment. q.—L'Anse d'Aynaud.
Tiburon. — Dalmarie.— Les
Trois Rois, q.—I a petite ri-
vière Dalmarie, q — Jere-
mie. — Saint-Louis. — Ca-
vaillon.—Le Petit-Trou des
Roseaux, q.—Trou-Bonbon,
q. — L'Anse du Clerc, q—
Pestel, q.—Arquin.— L’anse
à Veau.—Le Petit-Trou.—
Miragoane — La petite ri-
vière de Nippes, q.L'A-
sile, q — Les Raradères, p.
— Saint-Michel du F. des
Nègres, p.
» Les noms en italique sont les chefs-lieux d'arrondissement. Les communes sont sans signe particulier. — p, in-
dique les paroisses, et q, les quartiers.— Ce tableau est extrait de la géographie de Haïti de M. Ardouin. — Les chif-
fres que nous donnons pour la population sont des maxima ; nous pensons qu'en accusant 160,000 pour la république
Dominicaine, cl 700,000 pour 1’ empire Haïtien, on se rapprocherait davantage de la réalité.

580
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
ARRONDISSEMENTS ,
STATISTIQUE
NOM DE L'ÉTAT.
PROVINCES.
COMMUNES, TAROISSES
PART ICULIÈRE.
ET QUARTIERS.
Prov. de l'Artibonile. Les Gonaïves. — Ennery. —
Dessalines, q — Le Gros-
Moine.—Terre-Neuve.—Le
Môle Saint-Nicolas.—Bom-
bardopolis.- La Marmelade.
— Hinche.— Saint-Michel de

l’Atalaye.
Dépendances. — L'île de
Province du Nord. Le Cap Haïtien — La Petile-
Gonave, l'île de la
Anse.—L'Acul de Word —La
Tortue.
Plaine du Nord, p.
—Sans-
Souci, p. —Le quartier Mo-
rin, q.

— Limonade, p. — Le
Port
de Paix. — Saint-
Louis du Nord.—Jean Rabel.
—Le Borgne.—Le Port Mar-
got.— Plaisance.— Le Lim-
bi. — La Grande-Rivière. —
Le Dondon. — Vallière —
Sainte-Suzanne, q.— Saint-
Raphaël, p.—Le Trou. Le
Fort Liberté.
— Ouanamin-

the.—Jacquezy, q.—Le Ter-
rier-Rouge. p.—Daxabou.q.
— Monte-Christo.

Antilles Anglaises.
GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE LA JAMAÏQUE.
SUPERFICIE
ILES ET GOUVERNEMENTS PARTICULIERS.
POPULATION.
VILLES ET BOURGS.
en lieues car,
GOUVERNEMENT DE LA JAMAÏQUE
780
38,000 hab. SPANISHTOWN. — Kingston. —
Ile de la Jamaïque divisée en trois
Port-Royal. — Montego-Bay.
comtés (Cornouailles, Middlesex
— Port-Antonia. — Falmouth.
et Surrey).
—Savanna-la-Mer —Morants-
Iles Cayman.
Bay
GOUVERNEMENT DES ΒΛΙΙΛΜΑ OU LUCAYES
580
20,000 hab. Nassau dans l'île Providence.
Le groupe d'Acklin ou crocked.
Id.
des Caïques ou Keys.
Id.
des Turques.
Surintendance Balize (Honduras)
1.200
3 000 hab. Balise. — Fort Georges.
de Terre-Ferme Mosquitie
2,001
4,000
Blewfields.—Grey Town (Saint-
Jean de Nicaragua) >?
1 Cédant aux justes réclamations de la république de Nicaragua, les Anglais ont dû abandonner cette place.

AMÉRIQUE. — TABLEAUX STATISTIQUES DES ANTILLES.
581
II° GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DES ILES DU VENT ET SOUS LE VENT
SUPERFICIE
ILES ET GOUVERNEMENTS PARTICULIERS.
POPULATION.
VILLES ET BOURGS.
en lieues car.
GOUVERNEMENT DE LA BARBADE
22
120,000 hab. BRIDGETOWN.Speghts-Town.
—Charlestown.— James-Town.
GOUVERN. DES LEEWARDS OU ILES SOUS LE
VENT, formé par Autigoa
H
56,000 hab. Saint-John.—English-Harbour.
Mont-Serrat et Nevis.
8
15,000
Plymouth et Charlestown.
Saint-Christophe. . .
Barboude et Anguilla.
Les Vierges anglaises
(Tortola —Virgin-
36
38,000
La Basse-Terre.— Sandy-Point.
Gorda. — Anegada.
— Jott-Van-Dyke,
etc., etc.).
GOUVERNEMENT DE LA DOMINIQUE. . ..
35
20,000 hab. Le Roseau — Saint-Joseph (L'île
est divisée en dix paroisses)
GOUVERNEMENT DE SAINTE-LUCIE
8
20,000 hab. Le Carénage ou port Castries.
GOUVERNEMENT DE SAINT-VINCENT. . . .
17
28,000hab. Kingston. — Tyrrels-Bay.
Les îles Grenadines.
GOUVERNEMENT DE LA GRENADE
24
29,000 hab. George-Town, autrefois Fort-
Royal.
GOUVERNEMENT DE TABAGO
25
16,000 hab. Scarborough.
GOUVERNEMENT DE LA TRINITÉ
320
50,000 hab. Spanishtown
— Saint-Joseph
d'Oruna. — Charagaramus.
1 Les Anglais appellent Iles du Vent ou Windward-Islands, la partie des îles de la mer des Antilles, comprise
entre la Martinique et Tabago inclusivement, et Iles sous le Vent, Leeward-Islands, tout le nord de cet archipel,
depuis et y compris la Dominique.
Antilles Espagnoles.
I° CAPITAINERIE GÉNÉRALE DE LA HAVANE.
STATISTIQUE
NOMS DES ILES.
DIVISIONS.
VILLES ET BOURGS.
PARTICULIÈRE.
CUBA.
Superficie, 6,500 1. c. Départ. Occidental. . LA HAVANE f, 150,000 — Bejucal,
Population :
20,000—Cano, 1,500—Guana-
jay, 2,400 —Guanabacoa, 5,000
Noirs et mul. 49,226
— Guines, 3,000.— Jésus del
Esclaves. . . 323,750
Monte, 2 500.— Madraga, 1.200.
Matanzas, 20,000 —Santa-Ma-
Total. . 798,752
ria del Rosario, 1,500.—Villa
de San-Antonio, 1,800.
Popul. par I c. 189
Armée, 10 rég. d'inf., Départ du Centre. . . Puerto Principe, 30,000.— Tri-
1 régitn de cava!..
nidad, 14,000 —Villa de Santa-
1 brig. (l'art., plus
Clara, 10,000 — Villa de San-
la milice.
Juan de los Remedios, 6,000.
Reven., 50.000.000 f. Départ. Oriental. . . Santiago de Cuba ††. 26,000 —
Imp.,
125,000.000
Baracoa , 4,000. — Canto del
Exp.,
90,000,000
Embarcadero, 5,000. — Higua-
ny, 3,000. - Holguin, 8,000 —
Mazaniello, 3,500.— San-Jero-
nimo de los Tunas, 2,500. —
Villa de Bayamo, 8,000.
PINOS.
Pinar del Rio dans l'Ile de Pinot
(Nueva Felipina).

582
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
II· CAPITAINERIE GÉNÉRALE DE PORTO-RICO.
STATISTIQUE
NOMS DES ILES.
DIVISIONS.
VILLES ET BOURGS.
PARTICULIÈRE
PORTO-RICO.
Superficie, 530 1. C.
Sept départements.
SAINT-JEAN
DE
PORTO-RICO †,
Population :
30.000. — Manaty. — Arecus —
Libres. . . . 330,000
Coanio —Guayma.— San-Ger-
Esclaves. . . 50 000
man. — Cabo Roxo. — Maya-
guez. — Pouce.
Total. . 380,000
Dans le groupe des Vierges, les
Popul. par 1. c. 022
Iles de Grand et Petit-Passage.
VIERGES (en partie). Arm.,10,000 h. de tr.
Colubra. — Biéque.
46,000 de mil.
Reven.,
5,000 000 f.
Imp.,
30.00 ',000
Exp.,
35,000,000
Antilles Françaises (en 1848).
GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE LA MARTINIQUE.
STATISTIQUE
NOMS DES ILES.
DIVISIONS.
VILLES ET BOURGS.
PARTICULIÈRE-
LA MARTINIQUE.
Superficie, 38 1. c Arrond. Fort-Royal. . LE FORT-ROYAL.Lamantin. —
Population :
Anses d'Arcet.
Blancs. . . .
9,000
Le Marin. . . Le Marin — Le Vauclain.
Couleur. . . 37,00 >
Saint-Pierre. Saint-Pierre. — Le Carbet — Le
Noirs. . . . 74,000
Pécheur.
Tr. et fonct.
3,198
La Trinité.. . La Trinité. LE Français. — Le
Robert.
Total. . 123,198
Armée.. . . 2,100h
Milice. . .
4.500
Imp.,
25.000 000f.
Exp.,
20,000 000
II° GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE LA GUADELOUPE.
NOMS DES ILES.
SUPERFICIE.
POPULATION.
DIVISIONS.
VILLES ET BOURCS.
LA GUADELOUPE...
3arrond. BASSE.-TERRE — Lamantin.—Ca-
MARIE GMANTE.
129,050
pesterre. — Vieux-Habitants.
LA DESDRADE.
8 > lieues c
13,763
1,200t. et f. 24 comm. La Pointe Pitre.— Moule —
LB* SAINTIS S.
Petit-Bourg —Grand- Bourg.
ST-ΜARTIN I.\\
(en
1314 130,780
Terre d'en haut. — Terre d'en
partie).
bas. — Marigot.

AMERIQUE.—TABLEAUX STATISTIQUES DES ANTILLES.
583
Antilles Hollandaises.
GOUVERNEMENT
GÉNÉRAL DE CURAÇAO
POPULATION
VILLES
NOMS DES ILES.
SUPERFICIE.
DIVISIONS.
en 1849.
ET BOURGS.
I.ibres.
Esc). Total.
CURΑÇAO.
10.045 5,i79 15 24) '
WlLLEMSTADT.
ARUBA.
2.048
535 2.583 Gouvern. du Curaçao
BUES AYRE ( Bon-Air)
1,3 33
696
2. 39
SAINT-EUSTACHE.
24 lieues c. <
772 1,336 1,908
SABA.
1,0:!:!
635
1,667
Gouv. de St-Eustache. Saint Eu Hache
SAINT-MARTIN
(en
943 1,657 2,600
Phitistburg g.
partie ).
Antilles Danoises.
GOUVERNEMENT DES INDES OCCIDENTALES DANOISES.
POPULATION
NOMS DES ILES.
SUPERFICIE.
VILLES ET BOURGS.
en 1850.
SAINTE-CROIX.
CHRISTIANSSTED.
— Fredericksied.
SAINT-THOMAS

53 lieues carrées.
39,650
SAINT-JEAN.
Saint-Thomas.
Antille Suédoise.
NOM DE L'ILE.
SUPERFICIE
POPULATION
VILLE.
SAINT-BARTHÉLEMY.
3 lieues carrées.
15,000
GUSTAVIA. (La Carénage)
OMISSION dans la description de l'Amérique, livre cent quatrième, page 84, ligne 23.
Au sud de Terre-Neuve, et à l'entrée de la baie de Forame, les Français possèdent
les deux petites îles de Saint-Pierre et Miquelon, dont la superficie peut-être évaluée
à 15 ou 16 lieues carrées. Le territoire en est plat et peu boisé; la pèche forme toute
l’industrie des habitants qui sont au nombre d'environ 2,000. Le chef-lieu de cette
petite colonie est Saint-Pierre, qui possède un port, et sert à ravitailler les bâtiments
qui chaque année vont à la pêche de la morue dans ces parages. Le gouvernement de
Saint-Pierre et Miquelon est administré par un officier de marine assisté d'un conseil.
Les Français y ont une station militaire navale pour la protection de leurs pêcheurs
qui, année commune, sont au nombre de 12 α 15,000.

584
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
TABLEAUX des principales positions géographiques de l'Amérique, déterminées avec
quelque certitude.
LONGITUDE 0.
NOMS DES LIEUX.
LATITUDE
N.
SOURCES ET AUTORITÉS.
DE PARIS.
RÉGIONS
DU NORD-OUEST.
deg. min. sec.
deg. min. sec.
Cap Glacé
70 29
)>
164
2 30
Cook. Connaiss. des Temps.
Cap du Prince de Galles 66 40 30
170 50 30
Grande carte russe de la côte
N.-O.
Norton
64 30 30
165
7 30
Cook Connaiss. des Temps.
Ile Clarke 63 15 ))
172
»
»
Idem l.
Ile Gore 60 17 )>
174 51
11
idem
Ile Ounalachka 53 54 45
168 47
11
Idem. Observ. astr.
Ile Kodiak cap Barnabas 57 10 »
154 35 15
Idem.
Cap Hinchinbrock 60 16 »
148 24 45
Cook.
Mont Saint-Elie
60
17 35
143 11
M
Malespina.
Port des Français
58 37
I)
139 28 15
Voy. de La Pérouse.
Cross-Sound, entrée 5S 12 ))
138 25 15
Cook.
Port de los Remedio 57 21 )>
137 50 15
Quadra.
Port Conclusion
56 15
»
136 43 45
Vancouver.
Ile Langara, pointe N 54 20 »
135 20 15
litem.
Cap Saint-James 51 57 50
134 12
11
Idem.
Cap Scott 50 48 »
13!) 41
15
Idem.
Noulka-Sound 49 36 6
128 46 15
Idem. Cook. Quadra.
Nouvel-Arkangel 57 3 »
2*4 42
11
Greenwich.
Cap Flattery 4.S 24 » 120 42 15
Idem.
Mont Olympe 47 50 »
125 46 15
Idem.
Havre de Gray 47 » »
126 13
15
Gray.
Columbia, entrée de la rivière. . .
40
19
»
126
14 15
Vancouver, etc., etc.
Cap Foulweather 44 49
»
126 16 15
Cook, Vancouver.
Cap Gregory 43 23 30
126 30 15
Idem.
Cap Blanc ou Oxford 42 52
»
126 45 15
idem.
Baie de la Trinité
41
3
»
120 14 15
Idem.
Cap Mendocin3 40 2 3 40
126 49 30
Idem, corr. Conn. des Temps.
BAIE D’HUDSON.
Fort du Prince de Galles
58 47 32
96 27 30
Connaissance des Temps.
Cap Résolution 61 29
»
67 30
»
Idem.
Cap Walsingham 62 39 »
80
8
1)
Idem.
Cap Diggs 62 41
»
81
10
»
Idem.
Ile Button 60 35 11
67 40
»
Idem.
Ile Salisbury 63 29
»
79
7
11
Idem.
Ile Mansfield, pointe N 62 38 30
82 53
11
Idem.
GROENLAND.
Akkia (Ile) 60 38
»
48 20
»
Malham.
Upernavik, factor dan 72 30 ))
11
Almanack nautique danois.
Barclay, cap 69 13 »
26 45 15
Scoresby.
Moskito Cove 64 55 13
55 10 45
Connaissance des Temps.
64 10 5 4-
52 31
18
Le miss. M. Ginge. Obs. astr.
Byam —Martin, cap
73 33
»
79 30 15
Ross
Farewell, cap 59 38 !>
45
2
»
Conn, des Temps, chronom.
Allan, cap 71 43 »
24 13 15
Scoresby.
Frederishshaab 62 » »
52 21
»
Graah, 1839.
ISLANDE.
Cap Nord. 66 44
»
25
4
11
Verdun de la Crenne, Voyage.
Connaissance des Temps.
Cap Langaness 66 22 11
18 £6
11
Idem.
Cap Reykraness 6.5 56
»
25 10
11
Idem
Hola
65 44
»
22
4
11
Idem.
Bagazar 6ti 20
»
18 57
11
Malham.
Lambhuns, observatoire
64
6 17
24 15 30
Idem.
Idem » »
»
24 24 18
Wurm, dans les Archives géo-
graphiques de Lichtenstein
Ile Grim 66 4i 11
21 43
11
Connaissance des Temps.
Ile Jean Mayen, pointe S 71 M 11
12 24
11
Bode, Annuaire astronom.
« Celte île répond à l'île Saint-Laurent, la principale du groupe des îles Sindow.
2 Cette île répond à l'île Saint-Mahlas des Russes.
S Privés, dans le moment, de plusieurs relations russes, nous n'avons pu établir les comparaisons et les synonymes
que nous aurions désiré indiquer dans celte partie du tableau.

AMÉRIQUE. —POSITIONS GÉOGRAPHIQUES.
585
NOMS DES LIEUX.
LATITUDE Ν.
LONGITUDE Ο.
SOURCES ET AUTORITES.
DE PARIS.
TERRE-NEUVE, CANADA, ETC.
deg. min. sec.
deg. min. sec.
Balard, cap.
46 46 46
55
Québec
13 38
Purdy.
46 47 30
73
Halifax
·
30
»
Connaissance des Temps.
44 44
»
65
Gaspe, la baie
56
».
Idem.
4S 47 30
66
Louisbourg
. . .
47
30
Idem.
45 53 40
02
Saint-Jean, le fort
15
»
Idem.
47 33 45
55
Cap Raze


Idem.
46 40
»
55
Belle-Ile, pointe Ν
23 30
Idem.
52
1
10
57 39 2$
Bayfield, 1843.
ETATS-UNIS.
Alexandrie
38 49
»
Boston. (maison des Etats).. . .
79 24 15
Bowditch.
42 21
23
73
New-Haven
24 38
Paine, 1843.
41
17
7
75
Mew-London (fanal). . · . . . .
19 10
D. J.-J. Ferrer».
41
21
8
7S
Annapolis
29 30
idem.
3i)
)>
»
78
Baltimore
57
54
Pame.
39 17 23
79
Bristol
10
15
Idem.
40
5
1)
77
Cambden
16
»
Alcedo.
34 15
))
83
Darmouth
30
»
Auteurs.
41
37
»
73
Falmouth
12
))
Alcedo.
41
33
»
Long-Island
. . . .
72 55
»
Idem.
41
»
)>
74
Pensacola
42
15
Blunt.
30 24
»
89
Petersburg
, . . .
47
15
Bowditch.
37
12
1)
80
Rhode-Island
4
15
Idem.
41
28
))
73
Richement
43
15
Idem.
37
30
)>
80
Vermont
· · · ·
4
15
Idem.
43 36
)>
75
New-York (la batterie)
,
17
42
Hem.
40 42
6
70
Albany
19
»
D. J.-J Ferrer ».
42 39
3
70
Philadelphie
5
13
Bowditch.
39 57
2
77
I ancaster
39
»
Idem.
40
2 26
78
Washington. .
39
15
Idem.
3S 5")
»
79
Cap Mayo
19
»
Connaissance des Temps.
38 50 46
77
Cap Hinlopen (le fanal)
13
6
1). Ferrer.
38 47
16
77
Idem
·
26 15
Idem.
38 46
»
77
Cap Hatteras
32 30
Connaissance des Temps.
35
14 30
77
Savannah (le fanal)
54 27
D. Ferrer.
32 45
»
83
Pittsbourg
16
»
Connaissance des Temps.
40 20 15
82
Galliopolis.
18 30
D. Ferrer.
38 49 12
84
Cincinnati (fort Washington). . .

»
Idem.
39
5 54
86
Continent de l’Ohio et du Missis
44 24
Idem.
sippi
37
))
20
91
Nouvelle-Madrid
22
45
Idem.
36 34 3)
91
Natchez
47 30
Idem.
31
33 48
93
Nouvelle-Orléans. .
45 15
Idem.
29 57 30
92
Idem
20
15
Idem.
29 51
45
92
Monterey
18 45
Connaissance des Temps.
3li 35 45
124
San-Francisco
11
21
Idem.
37 48 50
124 28
Santa-te (Nouveau-Mexique). . .
15
Idem.
36 12
»
107 13
»
Idem.
MEXIQUE, etc.
Mexico, au couvent de Saint-Au-
gustin
19 25 45
101 25 30
A. de Humboldt (Distances lu-
naires et solaires chronom.,
Queretaro
et beaucoup d'autres obs.)
20 36 39
102 30 30
Valladolid
Idem-
19 42
»
103 12
Volcan de Jorullo
15
Idem.
))
1)

101
21
45
Popoca Tepell
Idem.
18 59 47
100 53 15
Idem. rn. Bases perpendiculaires
Puebla de los Angelos
etobs. azianuthales .
19
»
15
100 22 45
A. de Humbolt. Βases perpen-
Pic d'Orizaba
diculaire et obs. azimuthal.)
19
2 17
99
Guanaxuato
35 15
Idem.
'
21
»
15
103 15
»
Xalapa
Idem.
19 30
8
99 15
»
Idem.
Vera-Cruz
19
11
52
98 29
Nouveau-Santander, la barre. . .
H
Idem.
23 45 18
100
18 45
D. J.-J Ferrer.
1 Les Mémoires et Notes de don JOSÉ-JOAQUIN FERRER se trouvent dans la Connaissance des Temps de 1817, et dans
les Transactions philosophiques de Philadelphie, tome IV.
2 M. OLTMANNS (Observations astronomiques du Voyage de M. Humboldt), trouve également 76 dég. 18 min. 52 sec.,
mais il ne regarde pas comme très-sûrs les divers termes de comparaison qu'il a employés.
V.
74

586
LIVRE CENT VINCT-TROISIÈME.
1 LONGITUDE 0.
NOMS DES LIEUX.
LATITUDE N.
SOURCES ET ADTORITÉS.
DE PARIS.
MEXIQUE, etc.
min. sec.
deg. min. sec.
Tampico, la barre
22 15 30
100
12
15
D.J.-J. Ferrer.
Campêche
19 50 14
92
53
21
Idem.
Disconoscida
20 ι
29 45
92
44
30
D. Cevallos.
Alacran, pointe 0
22
7 50
92
7 30
D. Velasquez.
Rio Lagarlos, l'embouchure.
21
34
»
90 30 15
D. J.-J. Ferrer.
Comboy, pointe Ν
21
33 30
89
»
»
Connaissance des Temps.
Tezcuco
19
30 40
109
9 33
D. Velasquez.
Acapulco
16 50 19
102
6
»
A de Humboldt.
San-Blas
...
21
33 48
107
35
48
Connaissance des Temps.
Cap San-Lucar (Californie).
29 52 28
112
10
38
Idem.
San-Diego
32 H9 80
119
37
3
Idem.
Guadalupe (île)
28
53
120
36
3
Idem.
Cholula (pyramide de). . .
19
2
G
100
33 30
Humboldt.
Durango
31
25
105 55
»
Otciza.
Oaxara
18
2
»
102
30
))
Malliam.
Papantla
20
27
»

56 30
Idem.
Perotte (coffre de)
19 29 35
99
2S
39
Oltmanns.
San-Luis-Potosi
22
»
»
103
1
»
Alcedo.
Tasco
18
35
»
101
49
Humboldt.
Tehuantepec
16
13
))
97
97
»
Banza.
Toluca
19
10
19
101
41
45
Humboldt.
AMÉRIQUE CENTRALE.
»
Nicaragua
11
»
85
3
7
Auteurs.
Nicoya
9
46
»
87
15 30
Alcedo.
Truxillo
15 54
«
88
17
15
Purdy.
GRANDES ANTILLES.
ILE DE CUBA.
La Havane (plaza dieja). . .
23
8
15
84
49 15
A de Humboldt, Galiano, Bo-
bredo, Oltmanns. Recherch
Batabano
il 23
19
84
45
56
Lemaur et Oltmanns. '
La Trinidad. . . .
21
48 20
Hi
36 53
Humboldt, Oltmanns.
Malanzas, la ville.
83
2
28
S3
57 36
D. Ferrer.
Cap Saint-Antoine.
21
54
»
87
17
80
Humboldt.
Cap de la Cruz. . .
19
47
16
80
4 80
Cevallos, Ollinanns.
Pico Tarquinio. ..
19 59 57
79
10
22
Idem.
Pointe Maizy. . . .
20
16 90
76
2S
8
Idem.
l'ointe Guanos. . .
93
9
27
84
3 37
Ollinanns.
Idem
»
»
84
1
30
Ferrer.
JAMAÏQUE.
Port-Royal. . . .
19
»
79
5 80
Conn. des Temps, Oltmanns.
Kingston
»
»
»
79
2
30
Ollinanns .
Cap Murant. . . .
17
5 45
78
85 93
Idem.
Cap Portland. .. .
-
»
»
79 18 25
Idem, et Humboldt.
SAINT DOMINGUE.
Cap Français, la ville.
1!)
46 20
74
88 10
Conn. des Temps, Oltmanns.
Port-du-Prince. . .
18
83 42
7 i
47
26
Idem.
Santo-Domiugo.
. .
18
as 40
72
19 52
Idem.
Mole Saint-Nicolas. .
19
49 2')
75
49 48
Conn. des Temps, Oltmanns.
Cayes
18
11
10
70
10 84
Idem.
Cap Samana
19
10
26
71
33 48
Idem.
Idem
19
16 20
71
29
15
D. Ferrer.
cap Enganno. . . .
LS
34
42
70 45 Si
Cevallos, Ollinanns, Connais-
sance des Temps.
ι Cap Raphaël
. · ·
»
»
71
18
47
Idem.
Cap Dame-Marie.. .
18 37 20
70 53 47
Oltmanns.
La Gonaïve, poinle ο
18
52
40
75 44 48
Idem.
PORTO-RICO
Porto-Rico, la ville .
18 V 10
68 33 3.)
Humboldt Serra et Churruea.
Par distances lun.; occulla-
t ons des satellite!, etc.
Cap Saint-Jean, pointe Ν-E · ·
18
26
»
68
3 80
Ferrer, calcule par Oltmanns.
Idem, poinle IN.-O
18
31
18
69 3 ;
8)
Idem.
Aguadilla. ou eité de San-Carlos.
13 27 20
69 32 45
Idem.
Casa de Muerlos, rocher. . . .
17
50
"
08 53 30
Idem 1.
1 Ce»observations corrigent la carte de Lorez, sous le rapport de la position générale de l’île de Porto-Rico.

AMÉRIQUE. — POSITIONS GÉOGRAPHIQUES.
587
LONGITUDE 0.
NOMS DES LIEUX.
LATITUDE Ν
SOURCES LT AUTORITES.
DE PARIS.
ILES LOCATES.
deg.
miN. sec.
deg. min. sec.
Iles Turques (caye de sable).. . .
21
11
10
73 35
7
Recherches d'Oltmanns, etc.
Iles Caïques (cayes de Providen-
ciers)
21 50 4Γ,
74 4 5
15
Idem.
Grande-Inague, pointe N.-E. . .
21
20
13
75
32 22
Idem.
Ile Kroodek, pointe E
22 30
9)
70 10
»
Idem.
San-Salvador, pointe N
24 39
D
78 11 30
Idem.
Providence (ile Nassau)
95
4 33
70 42 21
Connaissance des Tempi.
Idem
»
»
»
79 40 35
D. l'errer.
Ile abacu, pointe N. — E
20 29 52
79 23 43
Idem.
Nassau
25
5
»
79 39
»
Steets.
Mogane
22 20 40
75 35 23
Ducomm.
Exuma
»
78 11 15
Blunt.
Alabaster
25
40
»
79 16 • »
Riddle.
Andros
25 24
»
80 23 15
Blunt.
Aguilla
18 14 30
65 30
»
Ollinanns.
Bahama
26 21
»
80 55 15
Blunt.
LES
BERMUDES.
Saint-George
32 20
»
67 13
8
Mendoza Rios.
Pointe N - E.
39 17
4
07 12
8
Idem.
LES PETITES ANTILLES.
Saint-Thomas, le port
18 20 30
07 23 21
Recherches d'Oltomanns.
17
'.)
8
07
8 44
Idem.
Saint-Martin, le sommet
18
4 28
65 26 42
D Ferrer.
17 39 30
65
41
4
Oltmanns.
Saint-Eustache. la rade
17 99
»
65 95
»
Idem.
Antigoa, fort Hamilton
17
4 30
64
15
,,
Idem.
15 59 30
64
5 15
Idem.
15 18 23
63
52
30
Idem.
Martinique, Fort-Royal
14 35 49
63
26
»
Idem.
Idem, Saint-Pierre
14 44
»
63 :tl 54
Idem.
Barbade, observations de Maske-
Mem.
ne
13
5
15
61 50 33
Idem, fort Willoughby
13
5
»
61 56 48
Idem.
Grenade, Fort-Royal
»
D
1)
64
S 15
Idem.
Barboude
17 50 50
64 30 15
Riddle.
Désirade
10 20
11
63 26 30
Purdy.
Marie-Galante
15 51
»
03 89 15
Riddle.
Mont-Serrat
16 47 35
64 33 40
Oltmanns.
ILES SOUS LE VENT.
Tabago, pointe N.-E.
11
10 13
G2 '.7 30
Idem.
Tabago pointe S.-O
11
(i
(3
9
Idem 2.
Trinité, port d'Espagne
10 89 42
63 58 15
Idem.
Bouche-du-Dragon
))
»
))
04 39 95
A. de Humboldt, douleux.
Idem
»
»
»
64 13
»
Solanο, carte manuscrite.
Marguerite, cap Macanao
11
3 30
66 47 30
Oltminns.
Orchilla, cap Ouest.
»
»
)>
68 34 31
Idem.
.
COLOMBIE, GUYANE, etc.
Porto-Bello
9 33
9
81 55 30
Connaissance des Temps.
Cartbagêne des Indes
10 25 38
77 50
»
Humboldt, Noguera, observa-
Turbaco
tions des satellites, etc.
10 18
5
77 41
54
Humboldt, Oltmanns.
Monipox
9 14 11
76 '.7 43
Idem.
Honda
la.
5 11
45
77 21 51
Idem-
Santa-Fe de Bogota
4 85 48
76 34
8
Idem.
Cartago
4 44
50
78 20 15
Idem.
Popayan
2 20 17
78 59 45
Idem.
Pasto
1
13
5
79
1
Idem.
Santa-Marta
11
13
30
76 28 45
Recherches d'OlTmanns.
Caracas
10 80 50
69 25
»
Humbodt ; nombreuses obser-
vations astronomiques.
Idem
10 30 24
09 10 40
D. Ferrer.
Cumana
10 27 49
66 30
»
Humboldt.
1 On avait longtemps varié sur ces positions. Nous citeront, pour l'instruction du lecteur curieux d'apprécier
Pinexactitude des marchands de cartes anglais, les variantes que voici : Tabago, pointe sud-ouest, latitude, selon
Jefferys, 11 drg. 10 min.; selon Arrowtmith, 10 deg. 56 min.; longitude, selon Jefferys, 62 deg. 53 min. 47 sec; selon
Arrowsmith, 93 deg. 13 min. 15 sec.

588
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
LONGITUDE 0.
NOMS DES LIEUX.
LATITUDE N.
SOURCES ET AUTORITÉS.
DE PARIS.
COLOMBIE, GUYANE, etc.
deg. min. SCC.
deg. min. sec.
Cumanacoa 10 16 11
66
18 50
Humboldt.
San-Thomas de N. Guyana. . . .
8
8 11
60 15 21
Idem.
San-Fernando-de-Apures 7 53 12
70 2>
10
Idem.
Maypures 5 13 32
70
37
33
Idem.
Esmeralda 3 11 »
68 23 19
Idem.
Fort San-Carlos 1 53 42
69
8 39
Idem
Cayenne 4 56 15
54 35
1)
Connaissance des Temps.
Santa-Fé-de-Antiochia 6 35 I)
78 23
8
Restrepo.
Atapabo 3 14 11
70
13
4
Humboldt.
Varinas 7 35 ))
72 :<5
»
Alcedo.
Buenavista 5 42 45
77
6 37
Oltmanns.
Calaboso 8 56 8
70 10 45
Humboldt.
Cariaco 10 31
»
66
1
»
Alcedo.
Ibague 4 27 45
77
40 15
IDEM.
Maracaïbo 10 39 »
74
5 15
Purdy.
Mariquila
5 13
)>
77 21
51
Oltmanns.
Mosquitos, pointe 10 53 NI
68
19
»
Purdy.
Panama 8 57 10
81
50
9
Ollinanns.
Porto-Cabello 10 28 22
70 37
2
Humboldt.
Rio-Negro 6 13 1)
77 50
8
Restrepo
Tolima 4 20 25
77 40 30
Ollinanns.
Tolu 9 40 45
77 59 50
Fidalgo.
Cap Nassau 5 37
»
61
7 15
Ducomm.
LATITUDE S.
Cuenca 2 55 3
81 34 30
Humboldt.
Guayaquil 2 12 12
82
1
Β. Hall.
Hambato 1 13 55
81
10 38
Oltmanns.
PÉROU, CHILI, etc.
Quito » 13 17
81
5 30
Humboldt, observations as-
tronomiques.
Riobamba 1 41 46
81
2) 30
Idem, Bouguer, etc,
Loxa η )> »
81
44 43
Idem.
Guayaquil 2 11 21
82 16 30
Idem.
Truxillo 8 5 40
81
39 38
Idem.
Lima 12 2 45
79 27 30
Idem.
Callao (château Saint-Philippe). .
12
3 19
79 34 15
Humboldt; obs. du passage de
Mercure sur le disque du sol.
Arica 18 26 40
72 36 20
Connaiss. des Temps Obser-
vations astronomiques.
Cap Moxillones 23 5 »
72 45 30
Idem.
Copiapo 27 10
73 25 30
Idem.
Coquimbo 29 54 40
73 39 30
Hem. Obs. astronomiques.
Valparaiso 33 » 30
73 58 30
Idem,
ibid.
Conception 36 49 10
75 25
»
Idem,
ibid.
Talcaguana 36 42 21
75 59 27
Idem.
Valdivia 39 51 »
75 46 30
Idem.
San Carlos (île de Chiloe) 41 53 »
75 15
»
Idem.
Ile Madre de Dios, pointe N. . . .
49 45
»
78
7 30
Idem.
Ile Juan-Fernandez 34 40 )>
81
18 30
Idem.
Ile Mas-a-Fuero 33 45 30
82 57
30
Idem.
San-Felipe 5 46 6
81
57 45
Humboldt.
Payta 5 6 4
83 28
»
Duperrey.
Ambato 1 54
»
80 45
»
Alcedo.
Arequipa 15 45
»
76 51
15
Malespina.
Caneta 13 1
»
78 45 15
Idem.
Caxamarca 7 8 38
80 50 30
Humboldt.
Cuzco
13 42
»
73 20
Alcedo-
Huaca-Velica 12 56
77
11
»
Idem.
Lambayeque 6 41 51
»
»
»
Ollinanns.
Oaxaca 16 54
»
»
»
»
Laguna.
Valladolid 4 35 30
81
34
»
Alcedo.
Potosi 19 47 »
69
42
»
Idem.
Chillan 35 56 20
»
u
η
Idem.
Villa-Rica 39 10
»
74 30
»
Idem.
LATITUDE N.
Ile Albemarle, pointe N. O
. . .
»
2
»
93 50 15
Hem.
BRESIL , LA PLATA , PARAGUAY.
LATITUDE S.
Para 1 23
»
51 20
»
Connaissance des Temps.

AMÉRIQUE. — POSITIONS GÉOGRAPHIQUES.
589
LONGITUDE 0.
NOMS DES LIEUX.
LATITUDE S.
SOURCES ET AUTORITÉS.
DR PARIS.
BRÉ IL, LA PLATA, PARAGUAY.
deg. min. sec.
deg. mfn. sec.
Ile Saint-Jean l'Evangéliste.. . .
1
15
»
48 13
5
Ephémérides nautiques de
Coimbre 1807
San-Louis de Maranhao
2 29
»
46 22
»
Oriental Navigator. Terme
moyen de plusieurs obser-
vations chronometriques.
Idem.
)>
»
»
46
»
M
D. Jose Patriceo, carte offic.
Ceara
3 30
1)
41
8
11
Oriental Navigator.
Idem
»
»
»
40 48
11
D . Jose Patriceo.
Cap Saint-Roch. pointe Peteliuga
5
2
30
38
3
»
Orient Nav. Terme moyen.
Récif, port de Pernambuco- . . .
8
4
»
37 27
»
Ephémér ides de Coimbre.
8 13
u
37 25
5
Idem.
San-Salvador de Buhia, le fort. . .
12 59
»
40 53
»
Orient. Navigator. Terme
moyen de beaucoup d'obs.
Cap Frio
22 54
))
44 28 15
Mendoza Rios. Tables astr.
Idem
)>
»
»
44 13 12
Brought, Heywood.
Idem
»
»
»
43 50 30
Krusenstern.
Idem
23
2
»
43 51
30
Connaiss. des Temps. Ephé-
mérides de Coimbre.
Rio-Janeiro, le château
22 54
2
45 37 59
Connaiss. des Temps. 1817.
Idem
»
»

45
7 50
Dorta . Mémoire de l'Acadé-
mie de Lisbonne-
Saint-Paul
23 33 14
48 29
»
Idem,
ibid.
Idem
»
»
))
48 33 45
Oliveyra Barbosa, ibid.
Idem
23 33 10
48 59 25
Connaissance des Temps.
Barres dos Santos
24
2 30
48 22 30
Amiral Campbell, 1807.
Iguape
24 42
»
49 26
»
Idem-
Cananea
25
4 30
49 50
»
Idem.
Parananga
95 31
30
50 11
11
Idem.
Guaratuba
25 52
»
50 28
»
Idem.
Ile Sainte-Catherine, fort Santa-
Cruz
27 22 20
54 11
40
La Permise. Krusenstern, etc
Terme moyen.
San-Pedro, le port
32
9
»
56 21
20
Oriental Nav. Obs. anglaises
et espagnoles comparées.
Cnp Santa-Maria
34 37 30
56 21
20
Idem.
Maldonado, la baie, pointe orient.
34 57 30
57
7
»
Idem.
Monte-Video, le château
34 54 48
58 30
11
Idem.
Buenos-Ayres
34 25 26
60 43 38
Requisite Tables-
Idem
34 35 26
60 51
15
Connaissance des Temps.
Cap Saint-Antoine, partie nord. .
36
5 30
59
5
11
Carie espagnole de Rio-Plala.
Idem
36 52 30
59
7 29
Connaissance des Temps.
Alcantara
39 44
»
»
11
11
Antillon.
Tejuco
18
11
»
44 50
»
Alcedo.
Victora
20 17 49
42 43
1
Roussin.
Villa-Rica
20 26
»
28 10
u
Alcedo.
Assuncion
25
16 50
60
1
11
Correspondance astronom.
Atira
25 16 45
59 34
u
Alcedo.
RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
Belen
23 26 17
59 28
»
Idem.
Candelaria (ville ruinée)
27 26 46
58
7 35
Idem.
Fernando Noronha, la pyramide. .
3 55 15
34 55
»
Oriental Navigator.
3 52 20
35 51
11
Idem.
A la vue des Abrothos, poinle N.
17 40
»
42
16
11
Ephémérides de Coïmbre
18 24
l>
42 20
»
Idem.
Partie des Abrothos, poinle E. . .
18 11
»
38 25
11
Idem.
Santa Barbara, ilot.
18
4
))
41
55
»
Idem.
Monte-das-Pedras, îlot
18
»
»
41 50
11
Idem.
Trinidad, pointe S. E
20 31 45
31
39
»
Flinders, dist. lun.
Idem
»
»
»
31
43
11
Mem., chronomètre.
Idem, le centre
20 32 30
31
29
11
Horsburgh, observations de
dix vaisseaux anglais.
Idem
20 31
11
30 56 59
La Pérouse, distances lun. 3
1 Cet ouvrage nous a paru renfermer nombre de fautes typo graphiques, ce qui nous a engagé à ne pas citer toutes
les différences qu'il offre avec d'autres sources, même de la latitude. Par exemple, il met le cap Frio à 22 deg. 2 min.
2 L'espace ne nous permet pas de donner le grand nombre de variantes que les voyages présentent au sujet de
l'extent on de ces danger eux réc.fs.
3 Les Ephémér ides de Coïmbre donnent le même résultat, sans indiquer d'après quelle autorité.

590
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME.
LONGITUDE 0.
NOMS DES LIEUX.
LATITUDE S.
SOURCES ET AUTORITÉS.
DE PARIS.
RÉPUBLIQUE ARGENTINE.
deg. min. sec.
deg. min. sec.
Santa-Maria d'Agosta.
20 32
»
32
1)
7
Ephémérides de Coimbre ».
Martin Vaz
20 28 30
31
10 30
Orient. Nav. Terme moyen.
Idem
.
1)
»
31
1
»
Horsburgh.
Idem
20 30
»
3') 29 59
Connaissance des Temps.
Saxembourg
30 45
»
21
50
»
Lindemann de Monnikedam,
1670.
Idem (?).
»
»
M
19
»
»
Galloway, Américain, 1804 2
Columbus (peut-être Saxembourg)
30 18
»
30 40
»
Long, pilote de Columbus,
1809 3.
TERRES MAGELLANIQUES.
Port Valdez
42 30
»
66
»
30
Malespina et d'autres officiers
espagnols.
Port Santa Elena
44 32
»
67 49 45
Idem.
Port Malespina
45 11 15
69
))
»
Idern.
Cap lïlanco
47 16
»
68 19 30
Idem.
Port Désiré
47 45
»
68 23 30
Idem.
Port Saint-Julien..
49
8
»
70
3 30
Idem.
Port Santa-Cruz
50 17 30
70 51
30
Idem.
Rio-Gallegos
51
40
»
71
25
»
Idem.
Cap Virgine (de la Vierge). . . .
52 21
»
70 27 40
Idem.
Cap San-Espiritu
52 41
))
70 45 30
Idem.
Ile du Nouvel-An
54 48 55
66 19 30
Idem-
Cap Succès
55
1
))
67 37 30
Idem.
Cap Horn. .
55 58 30
69 41 40
Idem.
Iles Diego Ramirez
56 27 30
70 59 30
Idem.
TFRRE-DE-FEU.
Catherine, poinle
51
41
»
70 45 75
Ducomm.
Christmas (Harbour;
55 21 54
72
7 30
Riddle.
Cap Negro
54 31
1)
75 37
»
Malespina.
Cap Pilares
52 46
»
77 14 29
Connaissance des Temps.
Cap San-Diego
32 39 30
119 13 30
Espinosa.
ÎLES MALOUINES OU FALKLAND.
Port Egmont
51
24
»
62 12 30
Oriental Navigator.
Port Soledad
51 32 30
60 27 39
Idem.
Ile Géorgie, cap Ν
54
4 45
40 35
»
Cook.
Terres Sandwich, pointe S., ou
Thulé australe
59 34
»
30
5
»
Idem.
1 On ne dit pas dans le Ephémérides si cette île Santa-Maria fait partie du groupe de Trinidad, comme la latitude
le ferait croire, ou de celui de Martin Vaz, dont le nom n'est pas indiqué.
2 L'existence de l’îel de Saxembourg ou Saxemburg était révoquée en doute. La longitude indiquée par Lindemann
étant très-incertaine, une différence de 2 deg. ne saurait empêcher de reconnaître l'identité. Il ne s'agit que de cons-
tater en détail l'observation du capitaine Galloway. M. Flinders l'avait cherchée inutilement depuis 28 deg. jusqu'à 22,
et même plus loin, mais en inclinant sa course à l’Ε. S. E. La même année le capitaine américain, M. Galloway, assu-
rait l'avoir vue à l'ancienne latitude, mais beaucoup plus à l'est.
3 Le pilote Long, envoyé du Cap à Rio-Plata, observa une île qu'il crut être Saxembourg, mais qui est à 11 deg.
40 min. plus à l'ouest que l'île vue par Galloway. L'ile avait 4 lieues marines de long, 2 milles et demi de large; elle était
plate, mais offrait à l'est un pic élevé de 23 mètres. La route de Flinders n'atteint ni l'île Columbus, ni celle vue par
Galloway; si l'observation de ce dernier ne se confirme pas, l'île Columbus serait la véritable Saxembourg, malgré
l'énorme différence des longitudes. Mais nous pensons que les deux iles existent simultanément.
Beaucoup de ces positions géographiques diffèrent pour les minutes et les secondes
de celles que donnent d'autres ouvrages, ces différences sont dues à la variété des
points d'observation. — On peut d'ailleurs consulter pour les rectifier les tables
publiées avec tant de soin, chaque année, par l'érudit M. Daussy, dans la Connais-
sance des temps.




OCÉANIE.
591
OCÉANIΈ 1.
LIVRE CENT VINGT QUATRIÈME.
Description de l’Océanie ou du Monde maritime, comprenant les terres situées dans le
Grand-Océan, entre l’Afrique, l'Asie et l'Amérique. —Considérations générales.
Quittons les deux continents dont nous avons passé en revue les peuples,
les cités et les empires. Un autre monde, ou plutôt les superbes débris
d'un monde écroulé, nous attendent au milieu du Grand-Océan. Au sein
des flots, sur une ligne de 3,000 lieues, s'étend un labyrinthe d'îles, un
immense archipel, au milieu duquel nous distinguons une vingtaine de
grandes terres, dont la principale semble presque égaler l'Europe en
étendue.
Ces terres présentent de toutes parts des scènes propres à émouvoir
l'imagination la plus froide. Que de nations encore novices! que de grandes
carrières ouvertes à l'activité commerciale ! que de productions précieuses
déjà conquises par notre luxe insatiable! que de trésors encore cachés aux
regards de la science ! que de golfes, de ports, de détroits, de hautes mon-
tagnes et d'agréables plaines! quelle magnificence, quelle solitude, quelle
originalité et quelle variété! Ici le zoophyte, habitant immobile d'une mer
pacifique, crée par l'accumulation de ses dépouilles une enceinte de rochers
calcaires autour du banc qui le vit naître. Bientôt les oiseaux, les vents y
apportent quelques graines de semence ; bientôt le jeune palmier balance sa
tête verdoyante au-dessus des flots. Chaque bas-fond devient une île, et
chaque île devient un jardin. Plus loin c'est un sombre volcan que nous
voyons dominer sur la fertile contrée produite par la lave qu'il a vomie ;
1 Nous n'avons eu à introduire que quelques modifications dans la description
topographique de l’Océanie de la précédente édition, une partie de ce travail appar-
tient donc à la révision de M. Huot qui avait mis à profit les importants travaux de
MM. d'Urviile et Rienzi sur cette partie du monde.
V. A. M-B.

592
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
une rapide et superbe végétation brille à côté d'un amas de cendres et de
scories. Des terres plus étendues nous présentent des scènes plus vastes:
tantôt c'est le basalte qui s'élève majestueusement en colonnes prismatiques
ou couvre au loin le rivage solitaire de ses débris pittoresques ; tantôt les
énormes pics granitiques s'élancent avec audace vers la nue, tandis que,
suspendue sur leurs flancs, la sombre forêt de pins nuance tristement l'im-
mense vide de ces déserts. Plus loin, une côte basse, couverte de palétu-
viers et de mangliers, s'abaissant peu à peu sous la surface des eaux»
s'étend au loin en perfides bas-fonds, au milieu desquels les flots mugis-
sants couvrent les noirs rochers de leur écume cristalline. A ces sublimes
horreurs quelle scène ravissante succède tout-à-coup! Une nouvelle
Cythère sort du sein de l'onde enchantée: un amphithéâtre de verdure
s'élève devant nous; des bosquets touffus mêlent leur feuillage sombre au
vert émail des prairies ; un éternel printemps, un automne éternel, y font
éclore les fleurs et mûrir les fruits les uns à côté des autres; un parfum
doux et exquis embaume l'atmosphère, qui est constamment rafraîchie par
les souffles salubres de la mer; mille ruisseaux bondissent de coteaux en
coteaux; leur murmure plaintif se mêle aux joyeux concerts des oiseaux
qui animent les bocages. Sous l'ombre des cocotiers se montrent des
cabanes liantes et modestes; la feuille de bananier les couvre, la guirlande
de jasmin les enlace. C'est là que les hommes, s'ils pouvaient se dépouiller
de leurs vices, mèneraient une vie exempte de troubles et de besoins; le
pain leur croît sur ces mêmes arbres qui ombragent leurs gazons, qui pro-
tégent leurs danses et qui prêtent un asile à leurs amours. Leurs barques
légères se jouent tranquillement dans ces lagunes protégées par un récif
de corail, et qui, semblables à un vaste port, entourent l'ile entière; jamais
les vents courroucés n'osent agiter la surface azurée de cette mer prison-
nière.
Ce fut ici que l'on chercha longtemps ces Terres Australes qu'on crut
devoir égaler en étendue l'ancien continent-, et lorsque des voyages multi-
pliés eurent dissipé cette illusion, ce fut encore ici que les géographes
reconnurent une cinquièmepartie du monde.
En effet, ou il fallait se décider à ne voir même dans la Nouvelle-Hol-
lande et la Nouvelle-Zélande qu'un appendice de l'Asie, ou il fallait créer
une nouvelle division qui renfermât ces vastes terres. Une fois la nécessité
de cette division admise, on a eu tort de ne pas en déterminer la circons-
cription d'après des principes purement scientifiques. Pourquoi voulut-on
couper en deux ce grand archipel qui, vu sur le globe terrestre, présente un

OCÉANIE.
593
ensemble si frappant? Pourquoi voulut-on chercher entre les îles Moluques
et les îles des Papous une ligne de démarcation que la nature n'y a point
tracée! Le nom d'Asie n'a été donné par les anciens qu'au continent qui le
porte; les îles de Soumàtra, de Java, de Bornéo, découvertes par les
modernes, n'ont été attribuées à l'Asie que parce qu'on ignorait l'étendue
de l'archipel dont elles font partie. Pourquoi ne restreindrions-nous pas
cette acception dans les limites marquées par la nature?
La mer de Chine sépare l'Asie des terres du Grand-Océan, comme la
Méditerranée sépare l'Afrique de l'Europe. A l'ouest nous continuons cette
limite par le détroit de Malacca, et tournant ensuite autour de la poinle
septentrionale de Soumàtra, et même, comme l'a proposé depuis un voya-
geur français 1, tournant autour de la plus septentrionale des îles Andaman,
nous cherchons le point où. le 90e méridien à l'est de Paris coupe le 15e paral-
lèle au nord de l'équateur. Dans tout l'hémisphère austral, ce méridien
sépare convenablement les parages de la Nouvelle-Hollande de ceux de
Madagascar et d'Afrique; les îles d'Amsterdam et Saint-Paul restent à
l'archipel de l'océan Indien.
En sortant de la mer de Chine au nord, le canal entre Formose et les
Philippines, comme étant le plus large, marque la limite naturelle. De là
nous tirons une ligne qui, en suivant la partie de la mer la plus libre
d'îlots, circonscrit les parages du Japon à 100 et à 150 lieues de distance, et
arrive au point d'intersection du 40e parallèle avec le 145e méridien. A
partir d'ici nous séparons les parages de l'Amérique septentrionale de ceux
de l'archipel océanique par la plus courte ligne que l'on puisse tracer du
point qu'on vient de nommer au point d'intersection du 110e méridien et
de l'équateur. Ce même méridien servira de limite dans tout l'hémisphère
central. Au sud de l'équateur, la limite générale sera le 55e degré de lati-
tude.
La cinquième partie du monde ainsi déterminée se trouve située tout
entière dans le Grand-Océan, dans l'Océan par excellence. Ce caractère
essentiel ne lui est commun avec aucune autre division du globe ; ce
caractère donne une physionomie particulière à sa géographie, à son his-
toire naturelle, à son histoire civile. Il doit donc déterminer le nom de la
nouvelle partie du monde. Elle s'appellera Océanie; ses habitants seront
nommés Océaniens.
Ces noms doivent effacer les dénominations insignifiantes ou inexactes
1 M. G. Domeny de Rienzi, auteur de la Description de l'Océanie, ( 3 vol.in-8° ),
dans l'ouvrage intitulé : l’ Univers pittoresque. — FIRMIN DIDOT.
Y.
75

594
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
d'Austral-Asie, de Notasie, d'Indes-Australes et d’ Australie. Qu'est-ce
qu'il y a d'asiatique dans la Nouvelle-Hollande? Faudra-t-il bientôt appe-
ler l'Afrique Occidental-Asie, nom aussi correctement composé que celui
d'Austral-Asie ? Et pourquoi perpétuer le souvenir des Terres-Australes
dans le nom d'une partie du monde qui n'est pas exclusivement située
dans l'hémisphère austral?
Pour étudier les détails de ce vaste tableau, nous allons le décomposer
en plusieurs groupes ou divisions. Dans celte classification nous cherche-
rons à concilier les principes rigoureux de la géographie naturelle avec la
routine des géographes vulgaires.
La première division comprendra l’Océanie occidentale et renfermera
toutes les îles communément connues sous le nom d'îles des Indes orien-
tales; nous lui donnerons le nom de Malaisie, proposé par M. Lesson, qui
a visité tous les archipels qui la composent, et a reconnu que toutes les
côtes des grandes îles étaient peuplées de Malais.
La seconde division offrira l’Océanie australe, formée par la grande î!e
de la Nouvelle-Hollande à la quelle nous conservons le nom d’Australie
et toutes les terres qui l'environnent. Comme elle est la pairie de la race
noire océanienne, elle recevra le nom de Mèlanésie.
La troisième division sera l’Océanie orientale, à laquelle nous conserve-
rons le nom de Polynésie, que lui ont valu les nombreux archipels qui
constellent cette partie de l'Océan. Cependant nous en limiterons l'accep-
tion aux peuples qui reconnaissent le Tapou 1, parlent la même langue, et
forment la première division de la race cuivrée ou basanée.
Enfin, la quatrième division sera formée de l’Océanie boréale, et com-
prendra toute la seconde division de la race cuivrée. Comme elle n'est com-
posée que d'îles très-petites, nous lui imposerons le nom de Micronésie 2.
A ces quatre divisions, il convient d'en ajouter une cinquième, celle des
Terres Australes ou Terres Antarctiques, qui comprendra les terres volca-
niques, glacées et désertes, que l'on a découvertes dans ces dernières
années au sud du cercle polaire antarctique.
La nature a tracé d'une main puissante la physionomie particulière de
cette parlie du monde. D'abord la surface du globe n'est nulle part plus
hérissée d'inégalités; nulle part aussi, excepté en Amérique, les chaînes de
montagnes n'ont une direction si marquée du nord au sud, une polarité
aussi frappante. En même temps ces chaînes offrent généralement, vers le
1 Genre de superstition, dont il sera parlé dans l'un des livres suivants.
2 Voyez à la fin de ce livre, le tableau de chacune de ces divisions.

OCÉANIE.
595
milieu, une grande courbure dirigée de l'ouest à l'est. La mieux marquée
de ces chaînes est celle que forment les îles Mariannes, les îles Carolines,
les îles Mulgraves, et qui, probablement par l'île de Saint-Augustin et
quelques antres anneaux isolés, se joint à l'archipel des Navigateurs ou à
celui des îles des Amis. La direction générale est du nord-ouest au sud-
est. Même dans les îles Carolines, où celte chaîne polynésienne se tourne
droit à l'est, les chaînons particuliers paraissent se diriger du nord au sud.
Une autre grande chaîne se montre dans l'ile Luçon, qui est la plus grande
des Philippines ; elle passe par l'île Palaouan dans celle de Bornéo. La
direction de celte branche bien connue est du nord-est au sud-ouest. Elle
circonscrit d'un côté le bassin de la mer de Chine. Plus à l'est, la régula-
rité de la chaîne semble disparaître, ou, pour parler plus exactement, un
grand nombre de chaînes peu étendues s'y réunissent en groupes d'une
structure variée. Les chaînes de Célèbes et de Gilolo sont très-marquées,
mais une chaîne plus longue et plus haute traverse la Nouvelle-Guinée ;
elle renferme des sommets couverts de neiges éternelles. Dans la Nouvelle-
Galles méridionale, la longue série des montagnes Bleues ne se termine que
dans la Terre de Diemen, au cap du Sud et au cap Pillar, immenses masses
de basaltes qui donnent une haute idée de cette cordillère de l’Océanie cen-
trale. La quatrième grande chaîne commence aux îles Andaman et de Nico-
bar ; elle forme ensuite les îles de Soumàtra, de Java, de Timor et autres;
elle se dirige en forme d'arc du nord-ouest au sud-est, ensuite droit à l'est ;
mais elle passe probablement à la Nouvelle-Hollande par le cap Diemen,
et là elle ne peut guère avoir une autre direction que celle du nord au
sud 1,
Presque tous les archipels de l'Océanie orientale sont dirigés du nord au
sud; la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles Hébrides,
forment des chaînes très-marquées. Celle des îles Salomon, courbée du
sud-est au nord-ouest, est continuée par la Nouvelle-Irlande et la Nouvelle-
Hanovre. Souvent aussi chaque petite chaîne est terminée par une île plus
grande que les autres. Ainsi les îles d'Otaïli, d’Owaïhi et la Terre du Saint-
Esprit, se présentent à la tête d'une suite de moindres îles, comme dans les
opérations chimiques on voit un grand cristal suivi d'une série de moindres.
Ces deux principes auraient pu servir à hâter les progrès des découvertes,
et surtout à compléter la reconnaissance de chaque archipel. En remarquant
avec soin la direction d'une chaîne, on eût été à peu près sûr de découvrir
1 Voyez à la fin de ce livre, le tableau des montagnes de l'Océanie.

596
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
des îles ; et encore aujourd'hui, nous engageons les navigateurs à faire
attention à un principe qui peut les mettre en garde contre les immenses
récifs qui probablement suivent la direction des chaînes sous-marines.
Parmi ces milliers d'îles, les unes s'élancent à une hauteur considérable
en présentant la plupart du temps une forme régulièrement conique ; il s'y
trouve quantité de basalte, selon Forster, et les cendres de ces montagnes
présentent souvent de grands entonnoirs, et d'autres fois des lacs ronds,
que l'on peut prendre pour d'anciens cratères. Quoique la présence des
véritables substances volcaniques n'ait pas partout reçu des témoignages
suffisants, on connaît déjà dans l'Océanie au moins 174 volcans brûlants1.
Les navigateurs en parlent tantôt avec effroi et tantôt avec admiration. Ici,
comme dans les îles de Schouten, près la Nouvelle-Guinée, les flammes et la
fumée s'élevaient tranquillement au-dessus d'une terre fertile et riante; là,
comme dans la. partie nord des îles Mariannes, d'affreux torrents de lave
noire attristaient le rivage. Le volcan DE Gilolo fit éruption, l'an 1673,
avec une telle violence, que toutes les Moluques en tremblèrent; les
cendres furent transportées jusqu'à Mindanao, et les vaisseaux navi-
guèrent plus lentement dans une mer couverte de scories et de pierres
ponces.
On peut dire que presque toutes les îles de l'Océanie sont d'une origine
volcanique; les unes sont dominées par des cratères depuis longtemps
refroidis, tandis que d'autres sont fréquemment ravagées par des torrents de
lave. Les plus grandes montrent des basaltes placés sur des calcaires
anciens ou sur des plateaux granitiques, tandis que plus loin un cratère
menaçant vomit la flamme cl la fumée. Ainsi, Bornéo offre une série de
volcans éteints et des montagnes granitiques célèbres par la beauté des
cristaux de roche que l'on y trouve; ainsi Célèbes renferme et des volcans
actifs et d'autres éteints depuis longtemps, des montagnes où l'on trouve le
granit, et d'autres roches anciennes au milieu desquelles l'or se montre en
riches filons ou disséminé dans des terrains d'alluvions. Luçon, Mindanao,
et la plupart des autres Philippines, présentent la même constitution phy-
sique et la même richesse.
Les îles de la Sonde, plus connues, offrent une nature de terrains plus
variée; à Soumâtra, on trouve les diverses séries de formations, depuis le
granit jusqu'au calcaire oolithique, et depuis ce calcaire ancien jusqu'à la
craie et jusqu'aux terrains de sédiment supérieurs. Les basaltes, les roches
1 M. D. de Rienzi n'en compte que 63. Voir dans l'Encyclopédie méthodique,
au mot Volcan, un article remarquable de M. J.-J. Huot.

OCÉANIE.
597
trapéennes, les ponces, les obsidiennes, annoncent des volcans qui ont
précédé ceux qui y brûlent encore. A Java, les montagnes Bleues élèvent
leurs sommets granitiques jusqu'à la hauteur de 4,000 mètres-, leurs flancs
recèlent l'or et l'émeraude, et leurs terrains d'alluvion sont mêlés de rubis
et de diamants. Le trachyte et le basalte y annoncent aussi d'anciens vol-
cans, tandis que, parmi ses nombreux volcans modernes, il n'en est qu'un
petit nombre qui rejette des laves. Banca, riche en métaux précieux, est
surtout célèbre par la qualité de son étain. Sur la base des montagnes vol-
caniques de Bali s'étendent des terrains d'alluvion aurifères. A Timor et à
Vaïgiou, tous les terrains reposent sur des schistes. La première de ces îles
renferme des mines d'or et de cuivre. Le calcaire en couches horizontales
forme la base de l'île de Boni.
La Nouvelle-Guinée paraît être composée de roches et de terrains ana-
logues à ceux des îles précédentes. La Nouvelle-Hollande offre dans sa
vaste étendue des terrains et des montagnes de toutes natures, ainsi que
l'attestent et les granits et les houillères que l'on y a observés. Des murailles
de grès s'appuient sur ces granits-, le fer, le cuivre y sont abondants, mais
les roches calcaires y paraissent être d'une extrême rareté, quoiqu'on ail
observé sur le granit de ses côtes un immense dépôt de terrains de sédiment
supérieurs. De nombreux volcans éteints attestent l'influence que les feux
souterrains ont dû avoir sur le relief de ce petit continent. C'est à leur pré-
sence qu'il faut attribuer l'abondance des bois fossiles à l'état de lignites ;
mais ce que la Nouvelle-Hollande offre de plus remarquable, c'est que le
seul volcan actif qu'on y ait observé ne présente ni lave ni cratère, quoi-
qu'il lance continuellement des flammes ; c'est en quelque sorte une salse
gigantesque, un pseudo-volcan, comme si les volcans mêmes devaient
offrir sur cette terre les anomalies que présentent le règne végétal et le règne
animal.
Quant aux autres îles, principalement celles de la Polynésie, on peut les
caractériser d'une manière générale en disant qu'elles paraissent être des
montagnes soulevées du sein de l'Océan par l'action de la force volcanique.
Elles sont hautes vers le milieu, très souvent stériles dans cette partie, tan-
tôt régulièrement coniques, tantôt crevassées et déchirées. Cependant
quelques-unes de celles-ci offrent d'autres substances que des produits ignés;
le calcaire entoure les pilons volcaniques des îles Mariannes, et les Pelew
ou Palaos ont pour base des grès et d'autres roches.
Les îles basses paraissent avoir pour base un récif de rochers de corail,
ordinairement disposé en forme circulaire et posant sur un haut fond ; l'es-

598
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
pace du milieu est souvent rempli par une lagune ; le sable est mêlé de corail
brisé et d'autres substances marines. Il paraît donc hors de doute que ces
îles ont été formées originairement par ces rochers de corail, dont les
polypes sont les habitants , et selon quelques-uns, les créateurs; ensuite
agrandies et élevées par la lente accumulation des matières légères que la
mer a dû y rejeter. Mais il est très-remarquable que, parmi les îles ainsi
constituées, il y en a qui sont presque au niveau de la mer, tandis que
d'autres s'élèvent à une hauteur de plus de 100 mètres, comme par exemple
Tongalabou. On trouve à leur sommet des rochers de corail aussi troués
que ceux qui sont sur le bord de la mer. Or, les madrépores, les millepores,
les tubipores, qui élèvent ces édifices sous-marins (car le vrai polype à
corail ne s'y trouve pas), naissent, à ce qu'on assure, au-dessus de la
dépouille desséchée et durcie de leurs prédécesseurs morts. Ils ne peuvent
vivre au-dessus du niveau de la mer. Cette circonstance semble évidemment
prouver que la mer a autrefois baigné ces rochers, et les a à peu près laissés
à sec, et que les îles qui présentent une telle disposition, ont dû être sou-
levées au-dessus des flots, comme on vit l'île Julia s'élever, en 1831, au sein
de la Méditerranée.
Les récifs des polypiers rendent la navigation de cet Océan extrêmement
dangereuse. Il y a des parages où quelques-uns de ces édifices atteignent
la surface de l'eau, tandis que d'autres restent cachés sous les flots, souvent
seulement à la profondeur de quelques pieds. Malheureux le navigateur qui
s'égare au milieu des flèches aiguës de cette cité sous-marine! Malheureux
encore celui que le calme surprend, et dont les courants entraînent le navire
au mi lieu de ces récifs, où les flots mugissants se brisent en écume ! Le sage
Cook lui-même ne put ni prévoir ni éviter ces sortes de dangers. Par un
hasard heureux et unique, la pointe de rocher qui avait pénétré dans son
vaisseau se brisa, et étant restée comme soudée dans le navire, empêcha les
flots d'y entrer.
Les récifs souvent s'étendent d'île en île; les habitants de l'île Disapoint-
ment et ceux du groupe de Duff se rendent des visites en passant sur un
très-long récif; on dirait, en les voyant marcher, qu'un régiment défile
sur la plaine de l'Océan. On trouve sur les récifs couverts d'eau d'immenses
réunions de mollusques et de coquillages; les moules de toute espèce, les
huîtres, ou plus exactement pintadines ù perles , les pinnes-marines , les
étoiles de mer, les méduses s'y rassemblent par millions.
Une partie du monde ainsi constituée doit offrir une infinité de détroits.
Qui pourrait les énumérer tous ? Le délroit de la Sonde, proprement de Sunda,

OCÉANIE.
599
est l'entrée principale de la mer de Chine. L'Asie est séparée de l'Océanie ,
et spécialement de Soumâtra , par le long détroit de Malacca. Le détroit
de Banca est entre cette île et Soumàtra ·, au nord, le large canal entre l'île
Formose et les Philippines reste encore sans un nom particulier. A l'est de
Java on distingue, parmi une foule d’autres, le détroit de Bali; il ouvre
aux vaisseaux destinés à la Chine une route qui a ses avantages sur celle de
la Sonde. Le détroit de Lombock est entre cette île et Bali; celui de Man-
garay est entre les îles Kombo et Florès. Le détroit de Macassar sépare
Bornéo de Célèbes. A l'est de cette dernière île s'ouvre le grand passage des
Moluques. La navigation a donné quelque célébrité aux détroits voisins de
la Nouvelle-Guinée. Ceux de Dampier et de Bougainville ouvrent des pas ·
sages très-utiles aux navigateurs. Un détroit plus important sépare la Nou-
velle-Guinée (Papouasie) de la Nouvelle-Hollande (Australie) ; il porte le
nom de Torres, qui en a fait la découverte, longtemps méconnue ; le canal
le plus méridional trouvé par Cook, s'appelle le détroit de l’Endeavour. Au
sud de la Nouvelle-Hollande et au nord de la Terre de Diemen, le large
détroit de Bass présente un des passages les plus importants entre le Grand-
Océan proprement dit et l'Océan Indien qui en est un immense golfe. Le
détroit de Cook sépare les deux îles de la Nouvelle-Zélande.
Plusieurs parties de l'Océan prennent des dénominations particulières ,
d'après les pays qu'elles baignent; ainsi l'on distingue la mer de Chine ,
véritable Méditerranée, la mer de Célèbes, le golfe de Carpentarie Les
anciennes cartes donnent aux eaux qui séparent les îles de Java et de Timor
des terres de la Nouvelle-Hollande, le nom de mer de Lanchidol, proba-
blement composé de deux mots malais, laout, mer et kidor, sud. Flinders
a proposé de donner aux eaux comprises entre la Nouvelle-Calédonie , les
îles Salomon, la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Hollande, le nom de mer
de Corail.
La mer de Java, qui communique à la mer de Chine, est comprise entre
Bornéo, Soumàtra et Java. Celle de la Sonde, qui communique par le
détroit de Macassar avec celle de Célèbes, est entre Java, les îles Bali, Lom-
bock, Soumbava et Florès au sud, et les îles Célèbes et Bornéo au nord.
Celle de Soulou, appelée aussi mer de Mindoro ou des Philippines, est
entre ces dernières, Bornéo, Palaouan et les îles Soulou. La mer des Molu-
ques est formée par ces îles, la Nouvelle-Guinée, Timor-laout, Timor et
Célèbes. La mer d'Albion est circonscrite par la Nouvelle-Guinée, l'ar-
chipel de la Louisiane, celui de la Nouvelle-Irlande et les îles Salomon.
Enfin, on pourrait appeler mer de Carpentarie les eaux comprises entre l’île

600
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
Timor-laout, la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle Hollande : elle compren-
drait le golfe de Carpentarie, et l'on pourrait nommer mer de Diemen l'es-
pace circonscrit par l'île de ce nom, la Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-
Zélande.
Les vents et les courants qui régnent dans ce vaste Océan peuvent tous
se réduire à un seul principe, celui du mouvement général de l'atmosphère
et de la mer de l'est à l'ouest, en sens inverse de la rotation du globe. Le
vent perpétuel d'est règne généralement ici entre les tropiques et les cou-
rants, en suivant la même direction que les eaux. De là ces erreurs de Qui-
ros, de Mendana et d'autres navigateurs, qui crurent avoir fait infiniment
moins de chemin qu'ils n'en avaient réellement parcouru. Ce mouvement
général prend quelquefois plus de force entre les détroits divers qui presque
tous sont dirigés de l'est à l'ouest. Aux environs des Philippines, et près de
la Nouvelle-Calédonie, la rapidité du courant qui porte à l'ouest devient
extrême. Mais les grandes terres échauffées par le soleil attirent souvent
vers leur centre l'atmosphère maritime environnante, ce qui fait naître des
vents opposés au vent alizé. Tels sont les vents d'ouest qui règnent sur les
côtes occidentales de la Nouvelle-Hollande. Ces espèces de moussons ne
sont pas toutes connues. Chaque île a ses brises de mer et de terre qui
soufflent, celles-ci le jour et celles-là la nuit. A 40 degrés au nord et au sud
de l'équateur, règnent les tempêtes et les vents variables; cependant il
paraît que dans la partie nord de l'Océan on trouve le plus souvent des vents
d'ouest, tandis que dans les mers polaires australes, Cook trouva toujours
des vents d'est.
Les grandes terres de l'Océanie éprouvent l'influence d'un soleil vertical.
La Nouvelle-Hollande présente surtout un aspect aride; néanmoins on a
découvert une mer intérieure, ou plutôt un grand lac (le lac Torrens), situé
dans la partie méridionale; des rivières considérables coulent vers les
mêmes parties de l'île, mais l'eau en est communément salée et impropre
aux usages domestiques.
Les côtes marécageuses de quelques îles de l'Océanie du nord-ouest,
exposées à l'action d'une grande chaleur, produisent un air pestilentiel
qu'une culture bien entendue fera disparaître. Malgré ces incommodités
locales, l'Océanie offre à l'homme industrieux, sain et tempérant une plus
grande variété de climats délicieux qu'aucune autre partie du monde. Les
îles hautes et de peu d'étendue paraissent autant de paradis nouveaux. En
changeant de niveau, l'Anglais y retrouverait ses frais gazons, ses arbres
couverts de mousses; l'Italien ses bosquets d'orangers, et le colon des Indes

OGÉANIE.
601
occidentales ses plantations de cannes à sucre. Le peu d'étendue de cha-
cune de ces îles leur procure un climat semblable à celui de l'Océan lui-
même. Jamais la chaleur n'y devient insupportable, même pour des Euro-
péens septentrionaux. L'air est sans cesse renouvelé par les petites brises
de mer et de terre, qui se partagent l'empire des jours et des nuits. Ce prin-
temps perpétuel n'est que rarement troublé par les ouragans et les tremble-
ments de terre.
Les Philippines et les Moluques éprouvent l'effet des vents alizés. Les
parties de Bornéo et de Soumàtra, au nord de l'équateur, se ressentent
encore des moussons des mers du Bengale et d'Oman ; d'autres moussons
contraires régnent sur les parties méridionales de ces îles, ainsi que sur les
autres îles de la Sonde.
Dans la Polynésie, l'air est sans cesse renouvelé, principalement dans les
îles hautes, par les brises de mer et de terre. Les premières soufflent ordi-
nairement depuis 10 heures du matin jusqu'à 6 heures du soir, et les
secondes depuis 7 heures du soir jusqu'à 8 heures du matin.
Dans la Malaisie, dont les parties les plus éloignées de l'équateur n'en
sont pas à plus de 20 degrés, on ne ressent pas les grandes chaleurs qui,
sur les continents, sont l'attribut de cette latitude ; l'air y est constamment
rafraîchi par les montagnes de l'intérieur ou par les brises de mer-, mais le
sol bas et marécageux des côtes produit sur plusieurs points une tempéra-
ture insalubre.
Dans l'Australie, il semblerait que l'on doit éprouver la brûlante chaleur
de l'Afrique et de l'Amérique méridionale, mais elle y est beaucoup moins
forte. A la vérité l'hiver n'y est pas rigoureux, quoique la température en
soit plus basse que dans les latitudes correspondantes de l'hémisphère
boréal; il est encore caractérisé par des vents orageux et fréquents; les
froids n'y sont pas de longue durée. 11 faut cependant observer que les
époques des saisons y sont opposées à celles de l'Europe. La Nouvelle-
Zélande jouit d'un climat assez tempéré, mais humide et exposé à de vio-
lents ouragans. Celui de l'île de Diemen est un des plus sains que l'on con-
naisse.
Le règne végétal de l’Océanie reproduit toutes les richesses de l'Inde et
de l'Indo-Chine, mais avec un nouvel éclat, et à côté d'autres richesses
inconnues à l'Asie. Dans les îles de la Sonde, les Philippines, les Moluques
et la Nouvelle-Guinée, le riz remplace le blé. Il y en a de deux espèces:
celui des basses terres et celui des hautes terres. Les deux espèces de
jaquiers ou d'arbres à pain (Arlocarpus incisa, A, integrifolia) croissent
V.
76

602
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
dans ces îles, ainsi que dans les Mariannes ; les Nouvelles-Hébrides, les
archipels des Amis et de la Société, et les îles Sandwich. Les fruits de cet
arbre, parvenus à leur maturité, deviennent gros comme la tête d'un
enfant, farineux, et d'une saveur agréable qui rappelle à la fois le pain de
froment, la pomme de terre et le topinambour ; ils sont alors un aliment
aussi sain que nourrissant. Cet arbre atteint la grosseur du corps d’un
homme et la hauteur de plus de 12 mètres. Pendant huit mois de suite cet
arbre prodigue ses fruits avec une telle largesse, que trois suffisent pour
nourrir un homme pendant un an. Ce n'est pas son seul mérite; son écoree
intérieure sert à fabriquer une étoffe; son bois est excellent pour la con-
struction des cabanes et des pirogues ; on emploie ses feuilles en guise de
nappes ; la sève, glutineuse et laiteuse, fournit de bon ciment et de la glu.
La nombreuse famille des palmiers est répandue jusque dans les îles les
plus éloignées et les moins étendues. A peine y a-t-il entre les tropiques un
rocher, un banc de sable, sur lesquels l'étonnante végétation de ces arbres
ne soit répandue. Les palmiers, par la structure intérieure de leur tronc,
n'ont aucun rapport avec les arbres proprement dits. Ils se rapprochent des
fougères par leur port et leur structure, des graminées par l'inflorescence,
et surtout des asperges et des dragoneaux par leur manière de fructifier.
Mais quel arbre a le port aussi magnifique que le palmier? Qu'on se figure
une colonne droite, parfaitement cylindrique, couronnée à son sommet par
un vaste faisceau de feuilles vivaces, disposées circulairement les unes
au-dessus des autres, de la base desquelles sortent d'amples panicules ren-
fermés en partie dans de larges spathes et couverts de fleurs et de fruits !
Cependant cet aspect majestueux n'est que la moindre prérogative du pal-
mier; son utilité surpasse encore sa beauté. Les couches les plus exté-
rieures du tronc fournissent un bois dur et pesant ; on en fait des planches
et des pieux. Les spathes de ces sortes de cosses, qui renferment les
régimes, acquièrent une épaisseur et une consistance telles, que l'on peut
en faire des vases à divers usages. Les larges feuilles servent de toit. Le
péricarpe fibreux du cocotier, les feuilles et les pétioles dans plusieurs
autres espèces, dans toutes le tissu filamenteux qui recouvre le tronc, four-
nissent de la bourre et de la filasse. On en fait des cordages, des câbles,
même des toiles à voiles ; on s'en sert pour calfater les vaisseaux. Les
feuilles du latanier servent d'éventail aux belles Indiennes; celles du pal-
mier-éventail donnent des parasols qui couvrent une dizaine de personnes.
On écrit sur les feuilles de quelques palmiers; la noix du cocotier offre une
tasse naturelle. Enfin, les palmiers fournissent à eux seuls un nombre d'ex-

OCÉANIE.
603
cellents mets ; on mange et l'on apprête de plusieurs façons la chair douce
et pulpeuse des uns, le périsperme des semences des autres et le bourgeon
terminal du chou-palmiste. L'espèce de lait ou liqueur contenue dans la
vaste cavité de la noix de coco peut être convertie en vin, vinaigre et alcool ;
on en tire une bonne huile.
Les richesses végétales de la Malaisie sont immenses, prodigieuses,
splendides; les plantes les plus belles et les plus utiles de l'Inde et de l'Indo-
Chine s'y trouvent réunies, plus vigoureuses, plus fécondes, plus colorées,
confondues avec d'autres plantes indigènes plus précieuses encore et qui
les surpassent en éclat. Pour donner une idée de cette magnifique décora-
tion, il nous suffira de citer le muscadier, le giroflier, le cannellier, le poi-
vrier, l'arekier, le tamarinier, le sogoutier, le cocotier, l’artocarpe, le teck,
le sandal, le camphre, le benjoin, le bétel, le gingembre, le chou palmiste,
le bambou, le rotang, l'indigo, le coton, le café, le riz, le sucre, le tabac,
la patate, l'igname, le chou caraïbe; puis encore, la banane, la goyave,
l'ananas, la mangue, la grenade, le mangoustan, le citron, l'orange, le
pamplemousse et le letchi. Les bois de teinture, de construction et d'ébé-
nisterie, abondent, ainsi que les plantes médicinales ; et la liste des fruits
serait surtout interminable, car elle comprendrait la plupart de ceux de
l'Europe.
On ne peut se faire une idée dans nos climats d'un pareil luxe de végéta-
tion. Les terres y sont toujours vertes, et des fleurs du plus brillant coloris
mêlent constamment leurs parfums aux suaves émanations des arbres, aux
épices et à l'arôme des fruits les plus savoureux. C'est vraiment une nature
féerique, mais l'homme y est indolent autant que la terre est active et géné-
reuse ; et le terrible upas, arbre à poison, jette une ombre désagréable sur
ce ravissant tableau.
La Nouvelle-Guinée se rapproche beaucoup de la Malaisie pour les pro-
ductions du sol. La végétation s'appauvrit ensuite, sans cesser encore d'être
belle, à mesure qu'on s'avance dans les archipels qui s'étendent au sud-
est. Arrivé à la Nouvelle-Zélande, les végétaux nourriciers manquent tout-
à-fait, et les autres plantes sont peu nombreuses, peu variées, ce sont celles
des zones tempérées et froides; mais on y trouve le phormium tenax, le
plus beau lin ou chanvre qui soit au monde. Cette plante textile, vraiment
remarquable, croît aussi dans la petite île de Norfolk, où viennent en outre
des pins d'une hauteur prodigieuse.
La Nouvelle-Hollande ou Australie mérite d'être classée à part, à cause de
sa flore spéciale et du caractère particulier de sa végétation. Les arbres ont un

604
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME
feuillage sec, rude, grêle, aromatique, d'une verdure sombre et monotone
Leurs feuilles sont presque toujours simples ; les forêts qu'ils forment offrent
peu d'ombrage, manquent de fraîcheur, et leur aspect est triste et bru-
meux. Quelques-uns de ces arbres sont cependant fort beaux et fournissent
un bois estimé ; leur port imite assez celui des pins et des chênes, de même
que leur taille. Les principaux sont: les eucalyptus, dont on compte plus
de cent variétés. Plusieurs d'entre elles atteignent une hauteur de 60 mètres
sur 10à 12 mètres de circonférence; les casuarina, au bois dur, liant et
compacte; le xanthoma, duquel découle une gomme; le dacridium, aux
fleurs presque microscopiques; le metaleuca, lecalidris spiralis, lezamia,
et le cedrela australis, et quinze autres espèces de bois, rouges, blancs,
veinés de toutes couleurs. Il en est qu'on retrouve dans la Polynésie, et
surtout dans la Malaisie ; mais la plupart, et ce sont les plus singuliers, les
plus bizarres, n'existent que dans la Nouvelle-Hollande ou la Tasmanie (île
Van-Diemen), sa voisine.
La Mélanésie renferme en outre, dans sa partie intertropicale, bon nombre
des végétaux des climats chauds; seulement ce sont les moins utiles, ceux
qui ne portent pas de fruits. On n'y trouve, en fait de plantes alimentaires,
que le sogoutier, le chou palmiste, l'igname, et une banane sauvage, toutes
choses extrêmement rares. Nous ne parlons pas, bien entendu, des arbres
fruitiers cl légumes de l'Europe que les Anglais sont parvenus à naturaliser
dans la Nouvelle-Galles. En somme, la flore de cette grande terre, originale
et variée, passe pour renfermer quatre mille deux cents espèces de plantes,
réparties en cent vingt familles; mais nous sommes quelque peu incrédule
à l'endroit de ce chiffre exorbitant. Parmi les plantes en question, beau-
coup n'ont été décrites et classées que par des voyageurs soi-disant natu-
ralistes, qui ne les avaient vues et observées qu'un jour, une heure, une
minute. Or, tout le monde sait que les végétaux changentsouvent de forme,
d'aspect, de caractère enfin, selon l'âge et les saisons. Il serait donc pos-
sible que des descriptions et des noms différents se rapportassent quelque-
fois à une même plante. Nous soumettons cette réflexion aux botanistes
éclairés et consciencieux.
Le nombre des plantes correspond, dans la Polynésie et la Micronésie, à
la surface étroite des terres et à la nature peu variée du sol ; il est très-
limité. La Polynésie est donc fort mal partagée sous ce rapport. Mais, si
nous laissons de côté les chiffres, si nous faisons abstraction de la quantité
pour ne voir que la qualité et la profusion, nous n'hésiterons pas à porter
un jugement contraire. La végél;:tion y rappelle, par son éclat et sa vigueur,

OCÉANIE.
605
celle de la Malaisie, et les rameaux des arbres fléchissent sous le poids des
fruits les plus substantiels, les plus nutritifs, les plus rafraîchissants, les
plus exquis, tandis que l'igname, la patate douce et le taro, racines dont
la culture n'exige que peu de soins et d'efforts, s'échappent en quelque
sorte du sein de la terre comme d'une corne d'abondance. Que pouvaient
désirer de mieux les peuplades polynésiennes, condamnées à vivre dans
l'isolement? L'arbre à pain, le bananier, le cocotier, l'orange, le spondias
cytherea, l'inocarpe, le mûrier à papier, le vacois, le bambou, etc., valaient
mieux pour elles que les plus beaux bois d'ébénisterie et même des mon-
ceaux d'or. Elles tiren t des uns leur nourriture, des autres leurs vêtements,
leurs pirogues, les matériaux de leurs cabanes. Le casuarina leur sert à
faire des instruments et des armes. On retrouve cependant dans plusieurs
îles de la Polynésie et de la Micronésie, principalement aux archipels de
Fidji, de Taïti, des Marquises et de Sandwich, le.précieux sandal, au bois
odoriférant, et partout des végétaux de luxe ou d'agrément.
Jetons maintenant un coup d'œil sur les animaux de l'Océanie. En par-
lant des récifs formés autour des îles par les zoophytes, nous avons pu
faire apprécier le nombre immense et la multiplication rapide de ces petits
animaux dans le Grand-Océan. Les savants voyageurs qui nous ont éclairés
sur la véritable influence de ces animalcules marins, vont nous donner un
aperçu de la distribution des crustacés dans les différentes parties de
l'Océanie.
Partout où les côtes découpées en baies ont des eaux peu profondes,
disent-ils, les espèces de crustacés sont nombreuses, comme aux Mariannes,
aux îles des Papous, à la baie des Chiens-Marins, sur la côte occidentale
de la Nouvelle-Hollande, etc. Mais quand les rochers sont abruptes, battus
par la tempête, et que les plages manquent, les grandes espèces seules s'y
rencontrent en petit nombre-, c'est ce que MM. Quoy et Gaimard ont remar-
qué au Port-Jackson, sur les côtes orientales de la Nouvelle-Hollande et aux
îles Sandwich. Un gros ranine de couleur rouge, pris à Owaïhi, leur prouva,
par la conformation de ses pieds, tout-à-fait disposés pour un séjour habi-
tuel dans l'eau, que c'est à tort que des voyageurs ont dit que cet animal
quitte la mer pour aller jusqu'au sommet des arbres les plus élevés. Les
ermiles ou pagures sont très-communs dans l'Océanie; mais les Mariannes,
les îles des Papous et Timor sont les parages où ils sont en plus grand
nombre. A l'instant de la plus forte chaleur, ils cherchent l'ombre sous des
touffes d'arbrisseaux; et lorsque la fraîcheur du'soir se fait sentir, on les
voit sortir par milliers, roulant la coquille d'emprunt dans laquelle ils se

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LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
logent, se heurtant, trébuchant, et faisant entendre par leur choc un petit
bruit qui les annonce avant qu'on les aperçoive. Il paraît qu'il existe deux
espèces de ces animaux parasites ·, celle qui habite les eaux, et celle qui n'y
va presque jamais. A Guam, à Vaïgiou, on rencontre dans les forêts, à
plus de mille pas du rivage, de très-gros pagures logés dans des buccins.
Les crustacés les plus extraordinaires de ceux que l'on trouve aux envi-
rons de la Nouvelle-Guinée et près des îles des Amis, sont les phyllosomes.
Ces animaux à l'état vivant sont transparents dans toutes leurs parties
comme du cristal, les yeux exceptés, qui sont de couleur bleu de ciel. Leurs
mouvements sont excessivement lents-, bien différents en cela des agiles
alimes, qui, transparents aussi, nagent dans la vase avec la plus grande
vitesse.
Aucune mer n'est aussi poissonneuse que le Grand-Océan équinoxial : le
poisson forme la principale nourriture des habitants des différents archi-
pels. La plupart des espèces sont celles qu'on rencontre dans l'océan
Indien. Les bonites, les dorades, les thons, les surmulets, les muges, les
raies, paraissent abonder également sur toutes les côtes ; cependant plus
de 150 espèces nouvelles y ont été observées jusqu'à ce jour. Parmi les céta-
cés, le dugong des Indes est un des plus répandus; le dauphin tacheté vit
dans les parages de la Nouvelle-Zélande et des îles de la Société; le dau-
phin malais, entre Java et Bornéo ; le dauphin albigène, au sud de la Nou-
velle-Hollande, et le marsouin à tête blanche, aux environs de l'archipel
Dangereux; enfin, un mammifère marin beaucoup plus grand; la balei-
noptère mouchetée parcourt les vastes régions du même Océan.
La Pérouse se vit suivi, depuis l'île de Pâques jusqu'aux îles Sandwich,
par d'immenses troupes de poissons, parmi lesquels quelques-uns portant
le fer qu'on leur avait lancé étaient faciles à reconnaître. Depuis les rivages
de Bornéo jusqu'aux côtes de la Nouvelle-Guinée, on voit une peuplade
entière vivre constamment dans des bateaux et se nourrir de poissons qu'ils
nomment badschus. Près de la Nouvelle-Zélande, M. Labillardière vit des
bancs de poissons qui produisaient par leurs mouvements une sorte de
flux et de reflux dans la mer. Les espèces sont, pour la plupart, celles qu'on
rencontre dans l'océan Indien. Il y a une centaine de nouvelles espèces, la
plupart vaguement déterminées, ainsi que les nouveaux genres harpurus
et balistopodes.
Toutes les lagunes entre les récifs et la côte fourmillent d'écrevisses,
d'huîtres communes et d'huîtres à perles, ou, pour les désigner d'une
manière plus exacte, de pintadines margaritifères (meleagrina margariti-

OCÉANIΕ.
607
fera), ainsi que de coquillages d'une grandeur et d'une beauté extraordi-
naires.
Le nombre de poissons venimeux semble très considérable. Déjà Quiros
faillit se donner la mort en mangeant un sparus pêché sur les côtes de la
Terre du Saint-Esprit; les compagnons de Cook pensèrent s'empoisonner
au même endroit et par le même mets. On croit que ce poisson ne devient
dangereux que lorsqu'il s'est nourri de certaines espèces de méduses. Mais
le lélrodon qui, sur la côte de la Nouvelle-Galles, empoisonna Forster, ren-
ferme constamment un poison narcotique. A Taïti il y a une anguille de
mer très-venimeuse, et surtout une petite écrevisse rouge qui donne la
mort à ceux qui la mangent. L'équipage d'Anson trouva près des îles Ma-
riannes tant de ces poissons, qu'il fut résolu de ne plus en manger dutout.
Cet inconvénient paraît donc commun à tous les parages du Grand-Océan.
Les îles de la Malaisie posssèdent à peu près tous les principaux mam-
mifères de l'Asie méridionale. Ceux de Java sont des buffles d'une taille
petite; des chevaux également petits, mais vigoureux; des sangliers, un
tapir, un rhinocéros d'une espèce particulière (rhinoceros javanicus); le
tigre rayé et le tigre noir, plusieurs chats inconnus ailleurs; l'écureuil
bicolore, l'écureuil volant (morchus javanicus), et diverses espèces de
singes. Ceux de Borneo sont, outre quelques-uns de ceux que nous venons
de citer, le tigre, la panthère, l'éléphant, des bœufs sauvages, une espèce
de cerf appelé cerf d'eau, parce qu'il se tient dans les lieux marécageux
(cervus axis); l'orang-outang (simia satyrus), et la plus grande espèce de
singe connue (simia pongo). Soumàtra possède un rhinocéros particulier
(rhinoceros sumatrensis). Les forêts de Java nourrissent aussi, parmi
divers reptiles, un boa constrictor, serpent qui, suivant M. Leschenault,
avale des bœufs et des chevaux, mais dont la morsure n'est point veni-
meuse.
Les rivières de Soumàtra, comme celles de Bornéo, sont peuplées de
caïmans et de crocodiles, et pendant les chaleurs du jour on voit voltiger
autour des lieux habités le dragon volant (draco viridis), petit reptile que
l'on touche sans danger, et qui se nourrit d'insectes. Dans les Moluques,
ainsi qu'à Java, les forêts marécageuses servent de repaire au babiroussa,
mammifère dont le nom malais signifie cochon-cerf, bien qu'il ressemble à
un tapir haut sur jambes. A la Nouvelle-Guinée vit un sanglier d'une espèce
particulière appelé sanglier des Papous (sus papuensis), qui semble être
l'intermédiaire entre le pécari d'Amérique et le cochon. Ce dernier animal
et la volaille domestique abondent maintenant dans toute la Polynésie.

608
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
Dans cette partie de l'Océanie, les mammifères sont rares; plusieurs espèces
de phalangers et la roussette sont les principaux qu'on y trouve.
L'ornithologie offre dans toute l'Océanie un peu plus de variété et en
même temps plusieurs traits de ressemblance. La volaille domestique y
abonde; les poules sont plus grandes que les noires. Labillardière vit aux
îles des Amis plusieurs espèces de loris et autres oiseaux communs aux îles
Philippines et aux Moluques. A Taïti, comme à Amboine, de petits oiseaux
fourmillent dans les bocages d'arbres à pain. Leur chant est agréable, quoi-
qu'on dise communément en Europe que les oiseaux des pays chauds sont
privés du talent de l'harmonie. De très-petits perroquets, d'un joli bleu
saphir, habitent la cime des cocotiers les plus élevés, tandis que d'autres,
d'une couleur verdàtre et tachetée de rouge, se montrent plus ordinaire-
ment parmi les bananes, souvent dans les habitations des naturels, qui
les apprivoisent, et qui estiment beaucoup leurs plumes rouges. Ces espèces
paraissent généralement répandues entre le 10e parallèle boréal, et le
20e parallèle austral. Mais les oiseaux de paradis n'abandonnent leur corps
léger et leur plumage aérien qu'aux vents embaumés des côtes de la Nou-
velle-Guinée. Les oiseaux aquatiques sont les mêmes partout. A Amboine,
comme à Taïti, un martin-pêcheur d'un vert sombre, avec un collier de
la même couleur sur son col blanc ; un gros coucou et plusieurs sortes de
pigeons ou de tourterelles , se juchent d'une branche à l'autre, tandis que
les hérons bleuâtres se promènent gravement sur les bords de la mer, en
mangeant des mollusques à coquilles et des vers. L'oiseau tropique ou le
phaéton habite les cavernes qui se trouvent dans les lianes escarpés des
rochers ; les Taïtiens l'y poursuivent pour avoir les plumes de sa queue. Ils
attrapent aussi, dans la même intention, la frégate, oiseau de passage. Les
manchots du Grand-Océan diffèrent essentiellement des pingoins de l'océan
Atlantique. Ces oiseaux, presque sans ailes, qu'on rencontre à une distance
de 500 lieues de toute côte connue, habitent principalement la zone froide,
et même la zone glaciale. Mais une espèce, l’aptenodytespapua, se montre
jusque dans la Nouvelle-Guinée et dans les îles des Papous. Deux espèces
de sternes (sterna philippina, sterna inca) habitent les Carolines et les îles
de la Société : la dernière a été découverte pendant le voyage de la Coquille.
Les animaux de la Nouvelle-Hollande offrent généralement un caractère
tellement distinct de celui des animaux des autres contrées du globe, que
nous devons les grouper séparément. Si la botanique, dit M. Lesson,
imprime à ce pays une physionomie spéciale, le règne animal lui en donne
une plus étonnante et plus étrange peut-être. Le caractère que ce natura-

OCÉANIE.
609
liste fait remarquer dans les animaux de la Nouvelle-Hollande , c'est une
poche ou la marsupialité. Trois animaux seulement sont dénués de cet
organe: le phoque, une roussette de la partie intertropicale, et le chien ,
qui a suivi, dit-il, de misérables peuplades lors de leur émigration sur ce
continent appauvri. Depuis le doux et timide kanguroo, dont quelques
espèces sont les plus grands quadrupèdes du continent austral, jusqu'au
pélauriste à grande queue, animal de la taille du rat, dont la peau des flancs
est étendue entre les membres antérieurs et postérieurs, tous les mammi-
fères de ce continent mériteraient une description spéciale; mais nous ne
citerons qu'un petit nombre d'entre eux. Les potorous, qui ont, comme
les kanguroos, les jambes de derrière beaucoup plus grandes que celles de
devant, elVhalmature, qui se rapproche tellement des kanguroos, qu'il ne
semble en différer que par son système dentaire, la petitesse de ses oreilles
et sa queue presque nue ; ]e phascogale, qui vit sur les arbres, et les péra-
rnèles, qui ressemblent aux sarigues, nous sont encore imparfaitement
connus sous le rapport des mœurs. Les dasiures, dit M. Lesson, sont des
carnassiers qui remplacent, à la Nouvelle-Hollande, les fouines de nos cli-
mats. Le thylacine, de la taille et de la forme du loup qu'il représente, est
souvent mentionné dans les relations comme le loup de l'Australie. Il vit
dans les cavernes, sur le bord de la mer, à la terre de Diemen. Tous ces
animaux à poche , malgré la singularité de leur conformation, sont cepen-
dant moins extraordinaires que deux autres que l'on comprend sous la
dénomination de paradoxaux, c'est-à dire l'ornithorynque et l’èchidné. Le
premier, au corps couvert de poils, au bec de canard, aux pieds garnis
d'ergots venimeux, pondant des œufs, semble, suivant M. Lesson, être une
créature fantastique jetée sur le globe pour renverser par sa présence tous
les systèmes admis sur l'histoire naturelle; car on peut soutenir avec tout
autant de raison qu'il appartient aux quadrupèdes, aux oiseaux ou aux rep-
tiles. Le second, dont on fait deux espèces, selon les piquants qui couvrent
son corps sont plus ou moins garnis de poils, paraît aussi pondre des œufs,
au lieu de mettre au jour des petits vivants. Son museau, mince et très-
allongé, est terminé par une fort petite bouche; ses machoires, dépourvues
de dents, sont garnies de lames cornées, comme chez plusieurs oiseaux
palmipèdes; sa langue est extensible comme celle du fourmilier.
Les mêmes phénomènes de singularité qui caractérisent les mammifères
de la Nouvelle-Hollande se reproduisent pour les oiseaux. La plupart d'entre
eux , dit M. Lesson, ne pouvant tirer leur subsistance des fruits dont les
forêts sont privées, n'ont que des genres restreints de nourriture. Ceux qui
V.
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LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
vivent d'insectes ont la langue organisée comme les oiseaux des autres
climats; mais les perroquets, les merles et beaucoup d'autres passereaux,
obligés de pomper le suc mielleux des fleurs, ont à l'extrémité de la langue
des faisceaux de papilles qui ressemblent à un pinceau, et qui leur permet-
tent de ne rien perdre de cette matière toujours peu abondante. La plupart
des oiseaux du continent austral rivalisent avec ceux des autres continents
pour la vivacité des couleurs; mais un grand nombre présentent avec ceux-
ci des oppositions tranchées: ainsi le cygne d'Europe est considéré comme
le type de la blancheur, celui de laNouvelle-Hollande est au contraire d'une
teinte noire: le kakatoès est blanc à la Chine et aux Moluques; la même
espèce se trouve à la Nouvelle-Hollande, mais c'est seulement sur ce con-
tinent qu'on en trouve du plus beau noir. Partout les diverses espèces de
volatiles sont couvertes de plumes: sur le continent austral, le casoar
forme en quelque sorte le passage des animaux à plumes aux animaux à
poils. Parmi les oiseaux les plus remarquables, il faut mettre, comme le dit
M. Lesson, ce superbe rnenure, dont la queue est l'image fidèle, dans les
solitudes australes , de la lyre harmonieuse des Grecs ; ce loriot prince -
régent, dont la livrée est mi-partie de jaune d'or et de noir de velours; ce
scytrops, dont le bec imite celui du toucan ; ces perruches de toute taille et
de toutes couleurs ; ces bruyants martin-pêcheurs, et ce moucherolle cré-
pitant, dont le cri imite à s'y méprendre le claquement d'un fouet.
Divers reptiles plus ou moins dangereux pullulent dans la Nouvelle-
Hollande: ici c'est l'agame hérissé (agama muriata) encore peu connu ; là
les scinques, qui, par leurs courtes pattes, semblent, être intermédiaires
entre les lézards et les serpents: le plus remarquable de ce genre est le
gigantesque scinque noir et jaune. Le plus singulier des sauriens du con-
tinent austral est le phyllure, dont la queue s'élargit en forme de feuille ou
de spatule", et qui constitue deux espèces, l'une d'un brun marbré (phyllurus
Cuvieri, (l'autre d'une couleur orangée (phyllurus Milii). Quant aux ser-
pents, dit M. Lesson, ils y sont nombreux; on y trouve des couleuvres et
et des pythons de grande taille. Le serpent fil, à peine long de 15 à 25 cen-
timètres occasionne, dit-on, la mort en moins de quelques minutes, mais
l'espèce la plus redoutable sans contredit, comme la plus commune, est
le serpent noir, que son affreux venin a fait nommer acantophis bourreau.
Après avoir retracé le tableau physique général de l'Océanie, nous devons
considérer les races d'hommes qui habitent cette partie du monde. On a cru
pendant longtemps qu'elles se rapportaient toutes à deux souches princi-
pales, savoir: les Malais ou les Océaniens jaunes, et les Papous ou les

611
OCÉANIE.
Océaniens noirs. Mais, selon M. D. de Rienzi, les deux couleurs qui dis-
tinguent la population de l'Océanie comprennent quatre races distinctes :
les Malais et les Polynésiens forment les deux races jaunes ; les Papous ou
Papouas et les Endamènes les deux races noires.
Les Malais ne sont plus considérés par les savants comme originaires
de la petite péninsule de Malacca , où ils ne sont entrés qu'à une époque
assez récente. Leurs historiens nationaux tracent leur origine jusqu'à l'île
de Soumâtra; ils avouent aussi leurs rapports avec les Javanais.
Quelques auteurs, tels que lesavant Marsden, prétendent qu'ils sont indi-
gènes du pays de Palembang, ou de l'empire deMenangkabau ou Menangkar-
bou, dans l’ile de Soumâtra; d'autres, comme M. de Rienzi, les font sortir de
la côte occidentale de Bornéo. Nous les trouvons maintenant répandus dans
un grand nombre d'îles de l'Océanie. Ainsi, non-seulement l'île de Soumâ-
tra, mais une partie des îles Nicobar, des Moluques, de Bornéo, des Célèbes,
de Luçon, les îles Pâques et les îles Sandwich, sont habitées par cette race.
Ces insulaires ont la couleur basanée, les cheveux noirs, mous, épais,
abondants et frisés ; la tête légèrement rétrécie au sommet, le front un peu
bombé, les os de la pommette nullement saillants, mais la mâchoire supé-
rieure un peu portée en avant, et le nez gros et aplati par le bout, sans
être ni épaté ni camus.
Ces traits sont ceux des Malais. On a observé, il est vrai, quelques
différences de couleur et de cheveux entre les nobles et le peuple de Taïti;
ce qui a fait croire à Forster qu'une colonie de Malais avait subjugué,
dans ces îles, des peuplades de la race noire qui habite les grandes îles
voisines de la Nouvelle-Hollande. Mais ces nuances peuvent aussi dériver
des diverses manières dont les castes se nourrissent, les grands se réservant
la chair des quadrupèdes, et le peuple vivant principalement de poisson.
L'angle facial des Malais est ouvert de 80 à 85 degrés. Peu d'entre eux
ont, suivant M. de Rienzi, l'angle de 85 à 90 degrés, comme on le trouve
chez quelques variétés européennes.
La race des Polynésiens ou des Dayas, improprement appelés Dayaks,
paraît avoir eu aussi pour berceau l'Ile de Bornéo. « Leur teint blanc-jau-
« nâtre, plus ou moins foncé; l'angle facial aussi ouvert que celui des
« Européens; la haute stature, la physionomie régulière, le nez et le front
« élevés, les cheveux longs et noirs, la beauté, la grâce, les manières
« souples et lascives de leurs femmes, et surtout des danseuses; les rap-
« ports, quoique altérés, de leur langue; l'habitude de l'agriculture, de la
« chasse et de la pêche ; l'habileté à construire leurs pirogues et à fabri-

612
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
« quer leurs ustensiles-, leurs immenses cases, leurs croyances reli-
« gieuses, les sacrifices humains, leurs coutumes, et une sorte particu-
« lière de consécration ou tapou ; tout indique la plus grande ressem-
« blance entre les Dayas et les Polynésiens1. »
Les Alfouras ne forment point une race particulière: ce nom, dans la
langue des Dayas de Bornéo, signifie hommes sauvages. En général, les
peuples de la Malaisie appellent Alfouras des hommes noirs, jaunes ou
rouges, qui vivent dans l'état de nature. Ainsi les Alfouras de Bouro sont
cuivrés ; ceux de Soumàtra sont d'un jaune foncé; ceux de Mindanao et de
Mindoro sont au contraire très-noirs.
Les Malaisiens donnent le nom de Poua-Poua, qui signifie brun-brun,
à une race que l'on a long-temps appelée les Papous, et que les voyageurs
modernes nomment Papouas. A Bornéo, d'où ils paraissent être origi-
naires, on les appelle Igoloté et Dayer. Les Papouas sont noirs, mais
moins que les nègres de l'Afrique; leur angle facial est de 63 à 64 degrés
au minimum et de 69 au maximum. Leurs cheveux noirs ne sont ni lisses
ni crépus, mais laineux, fins et frisés. Ils sont rarement tatoués, sauf ceux
qui ne portent aucun vêtement. Leur taille est assez élevée. On les trouve
à la Nouvelle-Guinée, à la Louisiade, à la Nouvelle-Bretagne, aux îles Salo-
mon et Sainte-Croix, à la Nouvelle-Irlande, à la Nouvelle-Calédonie, dans
l'île de Van-Diernen, à la Nouvelle-Zélande, etc.
Le mélange des Malais et des Papouas a produit, dans plusieurs îles de
la Malaisie, une variété que M. de Rienzi a proposé d'appeler Papou-Malais.
Leur taille est généralement petite, et ils sont infectés d'une sorte de lèpre.
La race des Endamènes, devenue peu nombreuse par suite de la guerre
continuelle que leur font les Papouas, est noire; plusieurs tribus ont une
teinte bistre. Ils ont le crâne parfaitement rond, le front toujours en arrière,
les cheveux floconnés et crépus ; leur bouche est d'une grandeur démesu-
rée, leur nez large et épaté; leur angle facial n'a que 60 à 66 degrés d'ou-
verture; leurs bras sont très-longs, leurs jambes proportionnellement plus
longues; tout, en un mot, semble les rapprocher de l'orang-outang.
L'analogie des langues nous frappe dans les vocabulaires si incomplets
que Forster, le père Gobien, Marsden et autres nous ont procurés. Non-
seulement toute l'Océanie orientale parle le même langage en différents
dialectes, mais cette langue offre une ressemblance singulière avec celle
des Malais, surtout de Soumâtra, et, ce qui est encore plus étonnant, avec
1 V. de Rienzi, Description de l'Océanie, tome Ier.

OCÉANIE.
613
la langue de Madagascar, qui, selon Du Petit-Thouars, en présente le type
le plus riche et le plus régulier.
Cependant il paraît que l'analogie que présentent ces idiomes a été exa-
gérée. Ce qui a pu induire en erreur, c'est que le malayou, ou la langue des
Malais, est la plus répandue, et que la plupart de celles que l'on parle dans
la Malaisie et la Polynésie ont beaucoup de racines malayoues. M. de Rienzi
pense que le taïtien, le tonga, le mani, ou nouveau-zélandais, en un mot le
polynésien, dérive de la langue des Dayas; que le javan dérive du bouguis,
formé aussi du dayas, mais qu'il est mêlé de malayou et de sanskrit.
Au surplus, combien d'autres traits de ressemblance constatent la parenté
des peuples polynésiens!
La forme du gouvernement est généralement la même. Le capitaine
Cook nous informe que dans Hamao, une des îles des Amis, tamalao signi-
fie un chef. Le père Cantova nous dit, en parlant des îles Carolines : « L’au-
« torité du gouvernement se partage entre plusieurs familles nobles, dont
« les chefs s'appellent tamoles. Il y a, outre cela, dans chaque province,
« un principal tamole, auquel tous les autres sont soumis. » La même
espèce d'aristocratie féodale règne dans la plupart des îles de l'Océan. Cook
nous apprend que les chefs mêmes n'abordent le supreme monarque des
îles des Amis qu'avec des marques d'un profond respect; ils touchent ses
pieds de leur tête et de leurs mains. Les lettres du père Cantova nous
apprennent qu'on aborde les tamoles des îles Carolines avec la même véné-
ration. Lorsqu'un d'eux donne audience, il paraît assis sur une table éle-
vée, les peuples s'inclinent devant lui jusqu'à terre, et, du plus loin qu'ils
arrivent, ils marchent le corps tout courbé et la tête presque entre les
genoux, jusqu'à ce qu'ils soient auprès de sa personne ; alors ils s'asseyent
à plate terre et les yeux baissés, et reçoivent ses ordres avec le plus profond
respect. Ses paroles sont autant d'oracles qu'on révère; on rend à ses
ordres une obéissanee aveugle. Enfin on lui baise les mains et les pieds
quand on lui demande quelque grâce.
On trouve cependant des nuances assez remarquables dans les formes
gouvernementales, à travers la couleur féodale qu'on y remarque partout.
Ainsi dans la Malaisie et la Polynésie, ce sont en général des monarchies
électives dont les chefs sont choisis par une aristocratie héréditaire qui en
restreint l'autorité. Dans les Moluques cependant, chaque famille isolée
forme une société dont le chef ne reconnaît aucun supérieur. A Soulou,
le pouvoir suprême est héréditaire. Dans l Australie, chaque petite peu-
plade a son chef, qui jouit d'une grande autorité.

614
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
Dans les îles des Amis, on honore les chefs et les étrangers par des
danses nocturnes, accompagnées de chants et de musique. Dans les îles
Carolines, on exécute le soir de pareils concerts autour de la maison des
chefs; ils ne s'endorment qu'au bruit d'une musique exécutée par une
troupe de jeunes gens.
Les danses, dans les îles Palaos, dans les Carolines, les Mariannes, et
celles dans l’île de Watiou, ou Ouateou, au sud-ouest de Taïti, ont
ensemble une ressemblance frappante. Le cérémonial, dans plusieurs occa-
sions solennelles, est le même dans les îles très-éloignées les unes des
autres. Les habitants des îles Palaos, ceux des Nouvelles-Philippines et
des îles Carolines, et ceux de Mangia, éloignées d'environ 1,500 lieues,
saluentde la même manière. Leurs civilités et la marque de leurs respects
consistent à prendre la main ou le pied de celui à qui ils veulent faire hon-
neur, et à s'en frotter doucement tout le visage. L'attouchement par le bout
du nez est également en usage depuis les îles Sandwich jusque dans la Nou-
velle-Zélande.
Presque dans tout cet Océan, les Polynésiens reçoivent les étrangers
avec des chants solennels, et leur présentent en signe de paix une branche
de bananier. Au contraire, la race noire repousse le plus souvent toute
communication avec des étrangers.
Les mêmes termes servent à désigner le même genre d'instrument
national. Les mots tanger ifaifil, aux îles Carolines, signifient complainte
des femmes, et dénotent une espèce de spectacle public. Aux îles des Amis,
la même chose est nommée tangée véfaine 1.
En passant aux îles Mariannes, nous allons découvrir des ressemblances
encore plus décisives. La société des Erreoy était ce qu'il y avait de plus
singulier et de plus scandaleux dans les mœurs de Taïti, avant que les mis-
sionnaires évangéliques y eussent introduit le christianisme avec la civili-
sation, c'est-à-dire avant le commencement de ce siècle. Ces réunions
d'hommes et de femmes, qui ont érigé la débauche et l'infanticide en lois
fondamentales, sont un phénomène horrible, mais presque unique dans
l'histoire morale de l'homme. Le P. Le Gobien nous apprend qu'il existait
une pareille société aux îles Mariannes. Il dit : « Les Uritoy sont parmi eux
les jeunes gens qui vivent avec des maîtresses, sans vouloir s'engager par
les liens du mariage ; ils forment une association séparée. » On sait que le
dialecte de Taïti adoucit la prononciation de ses mots ; il faut observer qu’en
retranchant une seule lettre (la consonne Τ ), le mot Uritoy des îles
1 Voyez les Voyages de Cook et les Lettres édifiantes.

OCÉANIE.
615
Mariannes ressemble beaucoup aux Arreoys, ou Erreoys, selon l'ortho-
graphe de M. Anderson.
Le capitaine Cook a observé aux îles de la Société et à celle des Amis
trois castes ; les chefs, les propriétaires libres et le bas peuple, ou les serfs.
Le P. Le Gobien dit expressément qu'on remarque la môme division aux
îles Mariannes, où il y a trois États parmi les insulaires. Dans toute la
Polynésie, la noblesse est d'une fierté incroyable, et tient le peuple dans un
abaissement qu'on ne pourrait imaginer en Europe. Tout l'état politique
de ces îles rappelle les lois, les institutions des Malais et des Madécasses.
Il en est de même des idées qui tiennent à la religion.
Parmi les Caroliniens, les uns conservent le corps de leurs parents
morts, dans un petit édifice en pierre, qu'ils gardent en dedans de leurs
maisons ; d'autres les enterrent loin de leurs habitations. Ceci rappelle évi-
demment les Feiatouka des îles des Amis, et en général la coutume univer-
selle chez toutes ces nations de laisser dessécher les cadavres à l'air. Les
cimetières sont aussi enclos de la même manière. Les naturels des îles de
la Société, avant leur conversion au christianisme, déposaient autour des
endroits où ils enterraient leurs morts des guirlandes du fruit du palmier et
des feuilles de cocos, ainsi que d'autres objets consacrés particulièrement
aux cérémonies funèbres, et qu'ils plaçaient à peu de distance des provi-
sions et de l’eau Les naturels des îles des Larrons font, selon le P. Le
Gobien, quelques repas autour du tombeau; car on en élève toujours un
sur lieu où le corps est enterré, ou dans le voisinage ; on le charge de fleurs,
de branches de palmier, de coquillages, et de tout ce qu'ils ont de plus
précieux. Les Taïtiens n'enterraient pas les crânes des chefs avec le reste
des os, mais ils les déposaient dans des boîtes destinées à cet usage. On
retrouve encore aux îles Mariannes cette coutume bizarre; car le P. Le
Gobien dit expressément qu'ils gardent les crânes en leurs maisons, qu'ils
mettent ces crânes dans de petites corbeilles, et que ces chefs morts sont les
Anitis, auxquels les prêtres adressent des prières.
Les opinions de ces nations sur la vie future se ressemblent. Ils sont
persuadés de l'immortalité de l'âme, ils reconnaissent même un paradis et
un enfer; mais ce n'est point, selon eux, la vertu ni le crime qui y con-
duisent. Selon les habitants de Nouvelle-Zélande, l'homme qui a été tué
et mangé par l'ennemi est condamné à un feu éternel. Les naturels des îles
Mariannes pensent aussi que ceux qui meurent de mort violente ont l’enfer
pour partage.
Des rapports si frappants ne peuvent être l'effet du hasard ; lorsqu'on

616
LIVRE CENT VINGT-QUATRIEME.
les ajoute à l'affinité dans l'idiome des diverses peuplades, on paraît auto-
risé à conclure que les habitants de toutes ces îles ont tiré leurs usages et
leurs opinions d'une source commune, et qu'on peut les regarder comme
des tribus dispersées d'une même nation, et qui se sont séparées à une
époque où les idées politiques et religieuses de cette nation étaient fixées.
Mais si nous cherchons la marche de cette dispersion, croirons-nous
avec Cook, Forster et tant d'autres qu'elle a été uniquement dirigée de
de l'ouest vers l'est? Ces voyageurs disent avec raison qu'il a dû souvent y
avoir des partis de sauvages égarés dans leurs canots, et poussés vers des
rivages lointains où ils sont forcés de rester, n'ayant ni les moyens ni les
connaissances nécessaires pour pouvoir retourner chez eux. Les exemples
ne manquent point. En 1696, deux pirogues qui avaient à bord trente
hommes ou femmes, et qui partaient d’Ancorso, furent jetées par les vents
contraires et les orages sur l'île de Samal, l'une des Philippines, éloignée
de 300 lieues. En 1721, deux pirogues, dont l'une contenait vingt-quatre
et l'autre six personnes, hommes, femmes ou enfants, furent chassées d'une
île appelée Baroilep jusqu'à l'île de Guam, l'une des Mariannes. Enfin, le
capitaine Cook trouva sur l'île de Ouateva trois habitants de Taïti, qui
avaient été poussés de la même manière. Ouateva est éloignée de Taïti de
200 lieues.
Tous ces événements sont d'une vérité incontestable. Mais qui ne voit
pas, en jetant les yeux sur une carte, que ces trois partis de voyageurs
malheureux ont tous été portés par des vents alizés et par les courants vers
des terres situées à l'ouest de celles d'où ils étaient partis? Ainsi ces
exemples, tant de fois cités, prouveraient le contraire de ce qu'on prétend
conclure. Ils prouveraient que l'Asie et l'Afrique ont pu recevoir des colo-
nies sauvages du Grand-Océan, mais non pas que l'Océan en ait dû rece-
voir de l'ancien continent.
Comment donc expliquer cette dissémination de tant de tribus ayant des
mœurs et un idiome analogues? On les croirait sorties de l'Amérique méri-
dionale, si l'absence de toute ressemblance, soit de langage, soit de cons-
titution physique, n'en démontrait pas l'impossibilité. On pourrait être
tenté de les supposer originaires d'un ancien continent submergé, dont
leurs îles seraient les débris ; mais cette hypothèse, hasardée par un savant
estimable, n'expliquerait une difficulté qu'en en faisant naître mille autres.
Pourquoi cet ancien peuple, en se dispersant de l'est à l'ouest, ne se serait-
il pas répandu sur le continent de la Nouvelle-Hollande, où l'on n'a trouvé
que des peuplades appartenant à une race noire ?

OCÉANIE.
617
Voici la manière dont nous expliquons ce phénomène historique: Les
grandes îles de Luçon,de Célèbes, de Bornéo, de Java et de Soumâtra, sont
habitées par des nations qui parlent des langues plus ou moins rappro-
chées de celle des Malais, de sorte qu'on ne saurait leur refuser une ori-
gine commune; et cependant quelques-unes de ces langues, telles que la
tagale et la bissaye aux Philippines, la balienne à l'île de Bali, et celle des
Battas à l’île de Soumâtra, diffèrent assez essentiellement entre elles pour
qu'on soit obligé de les supposer très-anciennement séparées en corps de
nations. En même temps, d'autres branches de la langue malaie se
retrouvent à Madagascar, à 1,100 lieues à l'ouest de Soumâtra, aux îles
de la Société et même au delà, à 2,500 lieues à l'est des Moluques; elles
s'y retrouvent enrichies de cette harmonie, de ces formes grammaticales
qui supposent une civilisation avancée. Le même régime féodal, les mêmes
mœurs et probablement la même mythologie 1, se retrouvent dans ces terres
si éloignées les unes des autres. Il a donc fallu que cette langue, ces
usages, ces institutions, naquissent au sein d'un ancien empire, d'un
peuple puissant, d'un peuple navigateur, qui aura disparu du rang des
nations.
Quel fut le siége de cette Carthage malaie? Tout nous indique qu'il faut
choisir entre Bornéo, Soumâtra et Java. La première de ces îles est mal
connue ; la seconde a paru au savant Marsden être la véritable patrie des
nations malaies. Mais sans adopter ni repousser cette opinion, nous croyons
que la patrie de la civilisation malaie doit plutôt être cherchée dans l'île de
Java.
D'abord les traditions historiques de la colonie malaie établie à Malacca
indiquent Java comme le siége d'un grand empire, dont même cette tribu
émigrée avait reçu ses lois et sa religion. Même la plupart des livres malais
sont traduits du javanais.
En second lieu, la langue malaie est mêlée de beaucoup de termes hin-
dous ou sanskrits, termes spécialement affectés à des idées religieuses et
civiles. Ces termes se rapprochent en particulier du dialecte calinga ou
telinga, parlé dans le Golconde et l'Oryçah 2. On s'attendrait par conséquent
à retrouver ce mélange plus particulièrement dans les causes de la proxi-
mité. Au contraire, c'est le javanais, et surtout le javanais des habitants
des montagnes, qui montre le plus d'affinité avec le sanskrit. C'est aussi à
Java, surtout dans l'intérieur, qu'on retrouve les fêtes et cérémonies de
1 Voyez ci-après les articles Otahiti, Bali, etc.
2 Leyden, Mémoire sur les langues indo-chinoises.
V.
78

618
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
la religion brahmanique. L'histoire des Javanais les fait descendre de
Vichnou.
Mais à quelle époque Java fut-elle le siége d'une nation qui, civilisée
d'abord elle-même par des Brahmanes-Telingas, a peuplé de ses colonies
les rivages de l'immense Océan? Ce fut certainement avant l'introduction
du mahométisme, car cette religion ne s'est pas répandue au delà des
Moluques ; et le cochon, cet animal si impur aux yeux des musulmans, a
dû accompagner les colons malais jusqu'aux dernières îles de la Polynésie.
Ce fut encore très probablement avant le voyage de Marco-Polo, car il
semble parler de ce monde d'îles comme déjà connu et visité. D'un autre
côté, les anciens, au siècle de Ptolémée, n'avaient eu connaissance d'au-
cune nation civilisée au sud des Sinœ, ou des Siamois modernes. La chro-
nologie javanaise ne remonte qu'à un roi de Pajajaran, qui a dû régner en
l'an 74 après J.-C. Ainsi, les probabilités placent la fondation des premières
colonies malaies entre le quatrième et le dixième siècle de notre ère.
Une deuxième migration des peuples malais fut provoquée par le fana-
tisme mahométan; et cette migration, mieux connue, eut lieu dans les
douzième et treizième siècles. De là les différences si considérables entre
les Malais des côtes et ceux de l'intérieur.
Tout concourt à faire considérer les nègres océaniens comme indigènes
de la partie du monde qu'ils habitent. La forme plus carrée de leur tête,
la proportion des bras et des jambes, la barbe et les cheveux non laineux,
les distinguent de la race des nègres africains. Comme en Afrique et comme
partout où l'homme est resté dans le dernier degré de l'état sauvage, chaque
canton a son idiome radicalement différent de celui des voisins, et le
nombre de ces espèces de langues, ou plutôt d'argots, fatigue l'observation
et le calcul.
Outre ces grandes races, l'Océanie présente à l'observation des anthro-
pologistes plusieurs horribles et dégoûtantes variétés de l'espèce humaine.
Dans l'île de Mallicolo et aux environs de Glashouse-Bay, dans la Nou-
velle-Galles, la structure osseuse de la tête se rapproche de celle de l'orang-
outang d'une manière bien plus frappante que chez les nègres. L'intérieur
de Soumâtra renferme une peuplade qui, ayant la tête très-grosse et le corps
très-petit, peut donner une idée des pygmées ; une autre a le corps cou-
vert de longs poils, comme les habitants de la terre d'Yeso. Souvent ces
difformités paraissent dues à quelque maladie héréditaire de la première
famille qui aura peuplé un coin de terre isolé. C'est ainsi que les habitants
de l'île Nyas ont communément la peau couverte d'écailles, maladie qui

TABLEAUX DES GRANDES DIVISIONS DE L'OCÉANIE.
619
n'est pas inconnue en Europe. La leucélhiopie, ou cette espèce de lèpre
générale qui rend la peau des nègres d'un blanc livide, règne parmi les
Papouas dans la Nouvelle Guinée, et s'étend aussi à la race malaie, dans
l'île de Java, où l'on désigne les infortunés qui en sont atteints sous le nom
de kakerlaks. A part ces aberrations de la nature, le mélange de la race
malaie, ou, pour mieux dire, de celle des Océaniens olivâtres avec la race
des Océaniens nègres, a dû suffire pour faire naître toutes les nuances
qu'on remarque parmi les nations de cette partie du monde dont nous
allons donner la description spéciale.
TABLEAU des grandes divisions de l'Océanie.
MELANÉSIE.
POLYNESIE.
MICRONÉSIE.
Soumâtra
L'AUSTRALIE (Nou- LA
NOUVELLE-ZÉ-
Les îles Gilbert.
Banka.
velle-Hollande).
LANDE Tasmanie)
Les îles Malgrave
Billiton.
La terre de Van-Dié- Les îles Wallis.
Les îles Pelew (Pa-
ILES DE LA SONDE.
Java
men (Tasmanie).
Les îles Tonga (des
laos:.
Madura.
La Nouvelle-Guinée
Amis).
L’archipel des Caro-
Bali (Bally) Les îles de l'Ami- Lex îles Hamao (des
lines.
rauté.
Navigat ou Bou- Les îles Marshall.
Le Nouvel Hanovre.
gainville).
Les îles Mariannes
Soumtawa. La Nouvelle-Irlande. L'archip. Boggewin
(Marie-Anne).
ILES
Florès
La Nouvelle-Breta- Les
îles
Mangia L'archipel Anson-
SUMBAWA-TIMOR.
Ombaï.
gne.
(Cook).
L'archipel Magellan.
Timor.
Les îles Salomon.
Les îles Taïti (de la
L'arch de la Loui-
Société).
Banda.
stade.
Les îles Tabouaouï.
ILES MOLUQUES
Amboine.
L'archipel de La Pé L'île Waihou (île de
Ceram.
rouse.
Pâques).
Gilolo.
Les Nouvelles-Hé- Les îles Mangareva
AUX EPICES.
Térnate.
brides.
(Gambier).
Tidor.
La Nouvelle-Calédo Les îles l'omolou(ar-
nie.
chipel-Dangereux)
Les îles Viti (Fidji). Les îles Nouka-Hiva
L'île de Célèbes-
Leslies Norfolk.
(Marquises;.
Vile de Bornéo.
Les îles Washington.
L'archipel Soulou OU Holo.
Les îles llavaï ou
L'ARCHIPEL
DES
ÎLES PHILIP-
Sandwich.
PIKES.
On doit y joindre
une foule de petites
îles, la plupart inha-
bitées, en dehors de
ces archipels.

TERRES ANTARCTIQUES OU AUSTRALES.
Au Sud de l'Afrique :
Au Sud de l'Océanie
Au Sud de l'Amérique :
La terre d'Enderby.
La terre Subrina.
Les terres de Sandwich.
La terre Clarie.
La terre Louis-Philippe.
Terres de Wilkes??
Les Nouvelles — Shetland du
Les îles Batteny.
Sud.
La terre Victoria.
La terre de Graham.
Les îles Biscoë.

L'île Alexandre Ier.
L'île Pierre Ier.


620
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME.
TABLEAU de l'élévation absolue des principales montagnes de l'Océanie.
Malaisie.
MÈTRES
4,533
SYSTÈME DE LA SONDE
! te Gounong-Kossumbra (Soumâtra)
Le Gounong- Passama
(id.).
4,332
3,675
Le Bérapi, volcan
(id.).
Le Dembo.
id.
(id
.
3,660
L'Ayer Raya, id.
(id.). .
2,680
Le Bonk,
(id.). .
1,960
Le Smirou,
id. (Java)
3,898
Le Tagal,
id. (id.)
3,572
Le Djede,
id.
(id )
3,247
2,467
Le pic de l'île Lombock
2,339
Le Tomboro. volcan (Soumbavâ). . .
3,250
SYSTÈME BORNÉO-LUÇONIEN.
Le mont Saint-Pierre (Bornéo).. .
2,500?
Le Kinibalo
(id ). . . .
3,313
Le mont Mayon, volcan (Luçon). . .
1,949?
Le mont Mahaye
(id.). . . .
1,559?
Le mont Cavayan (Négros)
2,606
Le pic de Céram (archipel Moluques).
1,247
Le pic de Ternate
(id.)
2,122
Le pic de Bourou
(id.)
Le Lambo-Batan (Célèbes)
2,350
1,150
Le Gounong- Empong (id.). ....
Mélanésie.
1,942
SYSTÈME AUSTRALIEN.
Le Sea-View-Hill (montagnes Bleues)
,
Le pic culminant des Alpes australiennes
2,500
Les monts Darling
900
2,438
Le mont Bulka (monts Murrumbidgee).. - . . .
Le pic culminant des monts Barren (Diéménie). . .
1,500
Le pic de Tasman
(id.)
1,470
Le mont Wellington
· . .
1,290
4,282?
SYSTÈME PAPOUASIEN.
Le pic culmin. des mont Arfak (Paponasie occident.)
1,314
L'Astrolabe Paponasie orientale)
Montagnes de la Nouvelle-Irlande
2,500?
Le pic Guadalcanar (îles Salomon)
3,700
Le mont Capogo (Vanikoro)
920
1,949
SYSTÈME VITI.
Le pic culminant de l'île Tabe-Ouni. .
Le pic de l'île Handabon

1,169
Polynésie.
2,600
SYSTÈME TASMANIEN
Le pic Egmont (Nouvelle-Zélande du Nord)
Le pic culminant de la Nouvelle-Zélande du Sud.
1,949?
974
SYSTÈME DE TONGA.
. . .
Le volcan de l'île Tofoa
837
SYSTÈME DE HAMOA
Le pic de l'île Maouna
2,449
SYSTÈME DE TAÏTI. .
.
. . .
Le Tobronu (Taïti)
2,925
Le Mowa-Eraea (id.)
3,323
Le Mowa Oroena (id.)
1,260
SYSTÈME DE MENDANA.
.
.
,
Le pic de l'île Hiva-Oa
4,843
SYSTÈME DES ILES SANDWICH
Le Mauna-Roa (Havaï)
Le Mauna-Koa (id.)
4,029
Le Mauna-Vororay, volcan (id.)
3,288
Le Kiraueah,
id.
(id.)
1,181
Le pic de Mauwi
3,294
Le pic de Taouai.
...·
2,372
Falaise de Pari
330
Le Rocher de la femme de Loth
113
Micronésie.
893
SYSTÈME DES CAROLINES.
Le Mont-Saint, île Porcinipet (Carolines).
Le Bol (Hogoléon)
(id ). . . .
750
Le piton d'Oualan
(id.).. .
637
Montagnes de Guam (îles Mariannes).
Terres Antarctiques.
3,781
SYSTÈMES ANTARCTIQUES.
L'Erebus, volcan (terre Victoria)
Le plus haut pic des îles Balleny. . . . ,
3,703
731
Le mont D'Urville (terre Louis-Philippe).
Le pic Clarence (Shetland austral). . . .
1,389
Le pic de l'île Coronation
1,645

OCÉANIE. —MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
621
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
Suite de la Description de l'Océanie. — Description spéciale de la Malaisie. —
Description spéciale des îles de la Sonde et de l'île de Bornéo.
La première grande terre que l'Océanie nous présente en venant de
l'Asie, est l'île de Sumâtra, ou mieux Soumâtra, vaguement connue de
Ptolémée, qui paraît indiquer la pointed'Achem sous le nom de Jaba-Diu,
c'est-à-dire Java-Div, ou l'île de l'Orge. Dans quelques éditions de Ptolé-
mée, le nom de Samarade semble être une corruption de celui de Sou-
mâtra. Les Arabes la connurent sous les dénominations de Lamery et de
Saborma1. Marco-Polo en nomme quelques royaumes et cantons-, il l'ap-
pelle la Petite-Java, en opposition avec Bornéo, qui est sa Grande-Java 2.
Encore aujourd'hui, en combinant avec les rapports des Anglais, copiés
par les géographes, ceux des Hollandais qu'ils négligent, nous ne pouvons
guère décrire authentiquement que les côtes.
Cette île, nommée par les indigènes Andetis, et peut-être Samâdra,
s'étend du nord-ouest au sud-est l'espace de 376 lieues; sa largeur varie
de 20 à 85. Une chaîne de montagnes la traverse selon sa longueur; elle
est plus voisine du rivage occidental ·, néanmoins l'une et l'autre côte sont
basses et marécageuses. La chaîne principale est accompagnée de chaînes
secondaires. Quatre grands lacs, suspendus sur les gradins de ces chaînes,
émettent leurs eaux par des torrents rapides ou par des cascades impo-
santes; celle de Mansélar est célèbre. Le Gounong-Ρassama ou le mont
Ophir, mesuré par Robert Nairne, a 4,232 mètres au-dessus du niveau de
la mer. La plus haute montagne de l'île est le Gounong-Kossoumbra ; son
élévation est de 4,583 mètres; mais la plus célèbre chez les indigènes est
le Gounong-Bonko, ou la montagne du Pain de-Sucre, qui, de même que
les autres cimes, est considérée comme kramat par les indigènes, c'est-à-
dire comme un lieu sacré. Malgré les dangers que présente une ascension
jusqu'à son sommet, des Anglais l'effectuèrent en 1821, et reconnurent
qu'elle a environ 1,950 mètres de hauteur, et qu'elle est formée de roches
basaltiques et trappéennes, roches d'origine ignée qui dominent à Sou-
1 Voyez ci-dessus, vol. I, p. 271.
2 Vol. I, p. 340.

622
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
mâtra, surtout dans les environs de Bencoulen. Elle est couverte de forêts
jusqu'à une assez grande hauteur.
Parmi les montagnes de l'île, les voyageurs citent six volcans: le Gou-
nong ber-Api, ou montagne par excellence, qui a 3,675 mètres d'éléva-
tion; le Gounong-Dembo, qui en a 3,660; le Gounong-Ayer-Raya, qui en
a 2,680 ; et le Gounung-Tallang, qui fume sans cesse, mais qui depuis long-
temps n'a point d'éruption; enfin le Gounong Allas, dans l'intérieur des
terres. Le nombre de volcans est peut-être plus considérable que celui que
nous indiquons, puisqu'on ne connaît pas l'intérieur de l'île; aussi les
tremblements de terre y sont-ils très-fréquents.
Le sol est généralement une terre grasse, rougeàtre, couverte d'une
couche de terre noire souvent calcinée et stérile. On a trouvé dans les mon-
tagnes de la steatite, du granit gris et du marbre. Les trois quarts de l'île,
particulièrement vers le sud, présentent une forêt impraticable. Les mines
d'or avaient attiré l'attention des Hollandais ; mais les mineurs allemands
envoyés à Sillida jugèrent d'abord que le minerai, peu abondant, était d'une
exploitation trop difficile. Les Malais de Padang et de Menangkabou vendent
cependant par an 10 à 12,000 onces d'or, recueilli principalement par le
lavage. Les mines de Sipini et de Caye donnent de l'or de 18 à 19 carats.
A Bonjol et à Campon-Hardi, on exploite dans un sol formé d'alluvions des
mines d'or très-riches. On y a, dit-on, trouvé des pépites pesant 2 kilo-
grammes. Dans le district de Doladoulo, arrondissement du Kottas méridio
nal, on découvrit en 1841 une mine de diamants, ou un gisement de cette
pierre précieuse, qui paraissait devoir être abondante. Le gouvernement
s'est emparé de leur exploitation. L'intérieur renferme d'excellentes mines
de fer et d'acier. L'acier de Menangkabou est préférable à tous ceux de
l'Europe. L'étain, ce rare minéral, est un objet d'exportation; on le trouve
principalement près de Palembang, sur le rivage oriental; c'est une conti-
nuation des riches couches de Banca. On y trouve aussi du cuivre, de la
houille, du soufre et du salpêtre. La petite île de Poulo-Pisang, située au
pied du mont Pougong, est presque entièrement formée d'un lit de cristal
de roche. Le nappai paraît être une sorte de roche savonneuse; on ren-
contre aussi du pétrole. Les côtes sont en grande partie entourées de récifs
de corail.
Quoique située sous la ligne, Soumâtra ne voit que rarement le thermo-
mètre monter au-dessus de 30° centigrades, tandis que dans le Bengale il
atteint 39°. Les habitants des montagnes font du feu dans les fraîches
matinées. Cependant la ge'ée, la neige, la grêle, y paraissent inconnues.

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
623
Le tonnerre et les éclairs sont fréquents, principalement pendant la mous-
son du nord-ouest. La mousson.du sud-est, qui est sèche, commence en
mai et finit en septembre ; celle du nord-ouest ou pluvieuse commence en
décembre et finit en mars. On a trop décrié le climat de Soumâtra ; la côte
occidentale, couverte de marais très-étendus, a pu mériter le surnom de
Côte-de la-Peste, à cause des brouillards malsains dont elle est assiégée.
Mais beaucoup d'autres parties de l’île, et surtout la côte orientale, offrent
des situations salubres et de nombreux exemples de longévité.
Les îles Malayes, quoique ornées de tant de plantes rares et de tant
d'arbres précieux, sont généralement d'un sol ingrat pour toutes les cul-
tures nécessaires. Les Soumâtriens cultivent le riz de deux espèces : la
première, qui est la plus grosse et la meilleure, que l'on récolte dans les
terres hautes et sèches, et la seconde qui croît dans les terres basses et
humides. Ils tirent de l'huile de sésame-, ils mâchent la canne à sucre. Un
sucre noir appelé djaggari est extrait du palmier anou, qui fournit égale-
ment du sagou et une liqueur spiritueuse. Le cocotier surtout assure leur
subsistance. La pulpe du coco sert d'assaisonnement à presque tous les
mets-, ils en tirent une huile à brûler et à oindre les cheveux ; ils en extraient
une liqueur fermentée appelée toddi ; la tête leur fournit un chou bon à
manger appelé chou-palmiste. Soumâtra abonde en ces précieux fruits que
nous envions aux climats tropiques, tels que le mangoustan, cette mer-
veille des Indes, vantée même comme un remède universel; le dourion,
dont la pulpe blanche a un peu le goût d'ail rôti et des qualités très-échauf-
fantes ; les fruits de l'arbre à pain, mais d'une espèce médiocre; le fruit
du jambo mura, qui ressemble à une poire pour la forme-, les ananas, qui»
à Bencoulen, ne coûtent que 2 à 3 sous; les pommes de goyave, les limons,
citrons, oranges et grenades.
Le djarak (ricinus communis), le chanvre, les ignames, les patates douces
et le sagou y sont également cultivés. Parmi les plantes à teinture, on
compte le sapan, l'indigo, le cassoumbo, l’oubar, le carthame, etc.
D'innombrables fleurs étalent sur les montagnes de cette île de magni-
fiques tapis de pourpre et d'or. L’arbre triste est appelé en malaïou sounda
maloune, ou belle de nuit, parce que ses fleurs ne s'ouvrent que la nuit.
On y voit aussi deux espèces de rafflesia, Varistolochia cordiflora, la
brugmansia zeppelii, qui croît sur les lieux élevés, et une autre plante appe-
lée krouboul par les indigènes. La fleur que produit cette plante est d'une
grandeur à étonner le botaniste; elle a près de 2 mètres de circonférence et
pèse7 ou 8 kilogrammes; elle croît et s'épanouit sans tige ni feuilles.

624
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
La denrée la plus abondante est le poivre ; c'est la graine d'une plante
rampante qui ressemble à la vigne. Sa fécondité, qui commence à la troi-
sième année, s'étend quelquefois jusqu'à la vingtième. Les habitants cul-
tivent aussi le bétel (pinang), qui forme une des plantations les plus consi-
dérables de Soumâtra, le curcuma, le gingembre, le cardamome et la
coriandre. Il y a deux récoltes de poivre, la grande au mois de septembre,
la petite au mois de mars. La paresse des Soumâtriens ne se procure qu'en
petite quantité le poivre blanc en dépouillant les graines mûres de leur
enveloppe extérieure 1. Le camphre est une autre production remarquable
qu'on trouve dans l'arbre, sous la forme d'une cristallisation concrète. Le
camphrier croît spontanément dans le nord de Soumâtra, qui est la partie
la plus chaude; il égale en hauteur les plus grands bois de construction ;
il a souvent jusqu'à 3 mètres de circonférence. Chaque arbre donne environ
1 kilogramme et demi d'un camphre léger, friable et très-soluble, qui se
dissipe à l'air, mais beaucoup plus lentement que celui du Japon. L'huile
de camphre est produite par une autre espèce d'arbre. Le benjoin est la
gomme ou résine d'une espèce de sapin. Le cassia, sorte de cannelle gros-
sière, se trouve dans l'intérieur du pays.
Les rotangs sont exportés en Europe pour servir de cannes. Le colon de
soie abonde. Sa finesse, son lustre, sa douceur, le rendent à la vue et au
toucher bien supérieur au produit de l'industrieux ver à soie ; mais il est
bien moins propre au rouet ou au métier, à raison de sa fragilité et de sa
petitesse. Il ne sert qu'à rembourrer des oreillers et des matelas. L'arbre
pousse des branches parfaitement droites et horizontales, toujours au
nombre de trois, de sorte qu'elles forment les angles égaux à la même hau-
teur ; les rejetons croissent également droits, et les diverses gradations des
branches conservent la même régularité jusqu'au sommet. Quelques voya-
geurs l'ont appelé l’ arbre à parasol. Les cafeyers, qui sont en grand nombre,
donnent un fruit de médiocre qualité. Les ébéniers, les tek, les arbres de
fer abondent dans les bois, et on exporte de Palembang des mâts de 22 mètres
de long sur 2 de large.
Les chevaux sont petits, mais bien faits et courageux; les vaches et les
brebis y sont aussi de médiocre grandeur; les dernières viennent proba-
blement du Bengale. Le buffle est employé à quelques travaux domes-
tiques. Les forêts nourrissent l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, le
tigre royal, l'ours noir qui mange le cœur des cocotiers, la loutre, le porc-
épic, des daims, des sangliers, des civettes et beaucoup d'espèces de singes,
1 Marsden, Histoire de Soumâtra. — Radermacher, Description de Soumâtra.

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
625
particulièrement un singe à menton barbu, le simia nemestrina, qui paraît
particulier à cette île; le maïba, ou tapir bicolore de Malacca (lapirus
indicus ; le gibbon aux longs bras, ou gibbon lar, et des antilopes noires à
crinière grise. On accuse l'orang-outang de prendre souvent des libertés
avec les femmes qui se hasardent à traverser seules les forêts.
Parmi les nombreux oiseaux, le faisan de Soumâtra est d'une rare
beauté. Les poules d'Inde y fourmillent, et il y en a dans le midi une espèce
d'une hauteur extraordinaire, également connue à Bantam. L’ardea argala,
la plus grande espèce connue du genre du héron, se trouve également au
Bengale et dans le midi de l'Afrique. Vangang ou l'oiseau rhinocéros porte
sur son bec une espèce de corne, c'est le casoar. Les rivières sont infestées
de crocodiles et remplies de toutes sortes de poissons. On y trouve le camé-
léon et le lézard volant. Le lézard des maisons court sur le plafond des
chambres ; les insectes y fourmillent et sont très-importuns, particulière-
ment les termites destructeurs. L'hirondelle, dont on mange les nids, est
aussi répandue à Soumâtra.
Les indigènes divisent Soumâtra en trois régions: celle de Balla, au
nord, renferme le royaume d'Achem ou d'Achim, et plus exactement Atché,
avec les principautés vassales de Pédir, de Pacem et de Delli, l'intérieur
de cette division est habité par les Battas ; elle se termine à la rivière de
Sjax, sur la côte orientale, et à celle de Sinkel, sur la côte occidentale. La
deuxième division est l'ancien empire de Menangkabou, comprenant, sur
la côte orientale, les royaumes d’Iamby et d'Andragiri ; dans l'intérieur, le
pays des Redjangs, et sur la côte occidentale, les pays de Baros, Tapa-
nouli, Natal et autres; ceux de Priaman, de Padang, de Sillida, avec le
royaume d’Indrapoura. La troisième division, nommée Balloum-Ary ou
Kampang, embrasse le sud-est de l'île, où se trouve le royaume de Banca-
houlo ou Bencoulen ; le pays de Lampoungs et le grand royaume de Palem-
bang.
Mais en 1640 les Hollandais se sont établis dans cette île, dont ils pos-
sèdent aujourd'hui les deux tiers. Nous la partagerons donc en deux
grandes divisions : la partie indépendante et la partie néerlandaise.
Dans la partie indépendante qui se divise en plusieurs États, nous cite-
rons seulement les royaumes d’Achem et de Siak.
Le royaume d'Achem comprend l'extrémité septentrionale de l'île, et
s'étend sur la côte orientale depuis le cap Achem jusqu'au cap Diamonda,
en français Diamant ; au sud-est, il confine au pays des Battas.
Vers la fin du seizième siècle, les Achemais étaient le peuple le plus puis-
V.
79

626
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
sant de la Malaisie ; ils comptaient parmi leurs alliés plusieurs nations com-
merçantes depuis le Japon jusqu'à l'Arabie ; leur marine se composait de
plus de 500 voiles-, enfin, leur empire comprenait presque la moitié de
Soumâtra et une grande partie de la péninsule de Malacca. Ils ont perdu
leur prépondérance vers le milieu du dix-septième siècle.
Ils sont gouvernés par un sultan dont le pouvoir est héréditaire ; cepen-
dant l'ordre de primogéniture est souvent méconnu en laveur de l'enfant du
prince qui paraît le plus capable de gouverner ; aussi le choix du souverain
est-il quelquefois le sujet de guerres sanglantes. L'État d'Achem comprend
un grand nombre de principautés gouvernées par des radjahs ; celles de
Pédir et de Sinkel sont les plus considérables. Plusieurs petites îles
dépendent également de ce royaume. Mais l'anarchie qui règne souvent
dans cet État peut faire considérer comme indépendants la plupart des rad-
jahs. La capitale est Achem, sur la rivière du même nom, à une lieue de la
mer, qui y forme une rade vaste et sûre. Elle contient 8,000 maisons, cons-
truites en bambous et soutenues sur des pilotis de un mètre de hauteur,
destinés à les préserver des inondations subites. Ces habitations, n'étant
pour ainsi dire que des cabanes, semblent ne devoir renfermer au plus
qu'une population de 18 à 20,000 individus. Le palais du sultan, situé
hors de la ville, est une espèce de forteresse grossièrement bâtie, environ-
née d'un fossé qui peut avoir environ une lieue de tour, et défendue par
des canons d'un très-gros calibre. Les habitations de cette ville sont dis-
persées au milieu d'une vaste forêt de cocotiers, de bambous et de bana-
niers, au milieu de laquelle coule une rivière couverte de bateaux qui sortent
de la capitale au lever du soleil et y rentrent le soir. On y voit quelques
rues ; mais la plupart des quartiers sont séparés par des bouquets d'arbres,
en sorte qu'on arrive dans la rade sans se douter qu'on entre dans une
ville.
Avant l'arrivée des Européens aux Indes, le port d'Achem était fréquenté
par les Arabes. Les Portugais et les nations qui s'élevaient sur leurs
ruines ont essayé de s'y établir; mais les révolutions, trop ordinaires
chez un peuple belliqueux, les en ont chassés. Les habitants ont plusieurs
manufactures en soie et en coton, et des fonderies de canons. Le roi
d'Achem exploite aujourd'hui le commerce en monopole; il vend de l'or
très-fin, du benjoin, du poivre, des nids d'oiseaux, et des chevaux petits,
mais vifs.
Pédir, ville maritime, passe pour la seconde du royaume ; elle rivalise
avec Achem sous le rapport de l'importance commerciale. Les autres lieux

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
627
les plus remarquables sont Telosancaouay, petite ville sur la côte dans la
partie du nord-est de l'île, et Moukki, bourgade près de laquelle on exploite
une mine de cuivre. Pédir et un autre endroit appelé Délli fournissent aux
Achemais du riz, mais pas suffisamment pour leur consommation.
Le royaume de Siafc, l'ancien Etat de Campar, dans la partie moyenne
de la côte orientale, est arrosé par le Siak et le Danèer. Il se divise en deux
parties: le Campar-Kiri et le Campar-Kanan, c'est-à dire le Campar de
droite et le Campar de gauche. L'anarchie dont ce pays est depuis long-
temps la proie a favorisé l'ambition des principaux chefs ; tous sont indé-
pendants. Ceux des districts maritimes se livrent à la piraterie. Siak, sur le
fleuve de ce nom, est une petite ville qui ne peut pas avoir plus de
3,000 habitants, dans laquelle réside le sultan. Campar et Langkat sont
les lieux les plus commerçants. Il n'y a pas de marchands chinois à Cam-
par ; le commerce est entre les mains des Malais. La petite ville de Baton-
Bara est la résidence d'un rajah qui possède une marine marchande nom-
breuse.
Les possessions néerlandaises, dans l'île de Soumâtra, occupent la partie
orientale du sud-ouest de l'île; elles forment, 1°le gouvernement de la côte
occidentale (sud-ouest) de Soumâtra, subdivisé en trois parties, Padang,
Terres hautes de Padang, et Tapanouli (au pays des Battas); 2° la subdi-
vision indépendante de Bencoulen, formée de l'ancien royaume de ce nom ;
3° le district des Lampongs; 4° la résidence de Palembang, avec un poste
à Djambi (Moeara Kompeh) . Le gouverneur-général réside à Padang; la
population de la partie hollandaise était évaluée en 1849, à 3,430,000
âmes 1.
Le gouvernement de Padang se compose d'un vaste territoire autour do
la ville de ce nom, résidence du gouverneur hollandais. Padang est une
place de commerce importante; on en exporte du poivre, du camphre, du
benjoin, et l'on y rassemble tout l'or que l'on peut recueillir dans l'île et
qu'on envoie ensuite à Batavia. La ville, située sur la rivière de son nom,
qui se jette à peu de distance de là dans l'océan Indien, est défendue par
une forteresse. Les Hollandais formèrent cet établissement vers le milieu
du dix-septième siècle. Depuis 1791 jusqu'en 1794, il leur fut enlevé par
les Anglais, qui ne le restituèrent qu'à la paix générale, en 1814. On estime
que sa population est de 12,000 individus. Bencoulen, ville de 10,000 habi-
1 Voyez, dans le Bulletin de la Société de géographie de juillet 1852, le tableau
extrait de la carte de géographie et statistique des Indes néerlar daises de M. le
baron
Melvil de Carnbee.

628
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME,
tants, parmi lesquels on compte un millier de Chinois, est défendue par le
fort Marlborough, bâti par les Anglais; citons encore le port de Natal,
d'où l'on tire, dit-on, de l'or.
Le Menangkabou ou Menang Kabau est une grande plaine découverte,
entourée de collines, où l'on complaît, dit-on, 1,200 exploitations d'or.
Ce pays, situé presqu'au centre de l'île, était le siége d'un grand empire
auquel Soumàtra presque tout entière était soumise; mais les dissensions
qui divisèrent les habitants à propos de religion ont favorisé les Hollandais
dans leur projet de réduire ce pays à l'état de tributaire. Pancljarrachoung
et Menangkabou sont ses plus grandes villes. Dans la première, les naturels
fabriquent en filigranes d'or et d'argent des objets de luxe fort estimés,
ainsi que des fusils et des poignards très-recherchés. Priangan est un lieu
renommé pour ses eaux thermales, que les naturels ont l'habitude de fré-
quenter depuis un temps immémorial.
Le royaume de Palembang, dans la partie méridionale de l'île, après
avoir été sous la dépendance de l'empereur de Java, était naguère un de
ses principaux États indépendants; mais vaincu par les Hollandais, à la
suite des querelles qui s'élevèrent à l'occasion de la rétrocession à la Hol-
lande des pays occupés par les Anglais, le sultan de Palembang fut déposé,
et son successeur se reconnut le vassal des Hollandais. La ville de Palem-
bang, qui occupe un espace d'environ une lieue sur les deux rives du
Mousi, appelé aussi Palembang, qui a plus de 400 mètres de largeur en cet
endroit, est peuplée de 20 à 25,000 individus : ce sont des Chinois, des
Siamois, des Malais et des Javanais. Presque toutes ses maisons sont con-
truites en bambous et en nattes, et couvertes en chaume. Les seuls édifices
en pierre sont le palais du sultan et la grande mosquée. A sa sortie de la
ville, le Mousi se divise en deux branches, dont l'une coule au milieu d'un
groupe nombreux de petites îles, que l'on a appelées les Mille-Iles, et dont
la plupart sont comprises dans les jardins d'une maison de plaisance appar-
tenant au sultan.
Les terres d'alluvion augmentent ici dans une progression rapide. Mal
cultivé et couvert de forêts, ce pays exporte, outre les autres produits de
Soumàtra, du sassafras, du sang-dragon, de beaux bois de construction.
On y exploite une mine d'étain. Le climat quoique sujet à d'étonnantes
alternatives de chaud et de froid, n'est pas nuisible à la sante. Le sultan,
sans armée régulière, sans revenu fixe, étale son orgueil et sa mollesse dans
un vaste sérail. Les habitants de Blida doivent à leur extrême stupidité le
privilége d'être les seuls mâles admis dans cette enceinte, où ils servent de

OCÉANIE.— MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
629
porteurs d'eau. Les lois sont sans force, les juges sans honneur, et les
négociants sans probité. Les prêtres mahométans réussissent dans le com-
merce. Les voleurs ou sumbarawes vivent en communauté légalement
reconnue, sous un chef qui modère leurs excès et maintient la police. Les
Malais, ici comme dans toute l'île, portent une veste et une espèce de man-
teau, avec une ceinture dans laquelle ils mettent leurs crics ou poignards.
Ils portent des caleçons très-courts ; les jambes et les pieds restent nus;
un beau mouchoir enveloppe leur tête ; dans leurs voyages, ils mettent
un grand chapeau par-dessus. Les deux sexes liment leurs dents et les
peignent en noir. Les maisons sont de bois de bambou, couvertes de
feuilles de palmier, élevées sur des piliers; une mauvaise échelle sert d'es-
calier.
Dans l'intérieur vivent des nègres qui ont la tête extraordinairement
grosse, une taille de pygmée, des bras et des jambes d'une dimension très-
petite. Radermacher en a vu des individus à Palembang, et M. de Rienzi
près de la baie des Lampoungs.
Le Battak ou le pays des Battas, aujourd'hui tributaire des Hollandais,
qui confine avec le royaume d’Achem et le territoire hollandais, occupe une
longueur d'environ 50 lieues, et une largeur de 40; le Sinkel est sa princi-
pale rivière. Il renferme les montagnes de Deira et de Papa; celle de Bata-
Silondony est un volcan. Chez les Battas, il existe de l'or de lavage, et l'on
récolte du camphre et du benjoin. Ce pays, couvert de forêts impéné-
trables, est divisé en plusieurs districts, qui forment une sorte de confédé-
ration. Le chef, qui réside à l'extrémité du grand lac de Toba, paraît être le
principal des membres de cette association. Varous ou Barous, sur la côte
occidentale, est le plus important marché du pays ; Tapanouli ou Pont-
chang-Calchil, avec un port superbe, en est la seconde place de commerce.
Ces deux villes sont occupées par les Hollandais.
Le Battas, qui parlent une langue remplie de mots inconnus aux Malais
de la côte, admettent trois grands dieux, Battara-Couron, qui règne aux
cieux, Sorie-Pada, le dominateur des airs, et Mangalla-Boulang, le roi de
la terre. Un géant porte la terre sur sa tête ; un jour, fatigué de son fardeau,
il secoua la tête : les continents s'écroulèrent; l'Océan était sans rivage, le
maître du ciel y jeta une montagne qui devint le noyau des nouvelles terres ;
une fille céleste vint l'habiter, et de ses trois fils, mariés à leurs trois sœurs,
naquit un nouveau genre humain. Les Battas croient à une vie future et à
une espèce de purgatoire. Les mariages sont accompagnés de quelques céré-
monies singulières. La future se montre toute nue dans un bain à son futur,

630
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
qui convient ensuite du prix auquel il doit l'acheter. Les nouveaux époux
goûtent ensemble de deux sortes de riz, et le père de l'épouse étend sur le
couple un morceau d'étoffe. Les Battas savent faire de la poudre et se servir
des armes à feu; ils emploient l'or, l'étain et le fer à fabriquer des ustensiles
et de grossiers ornements; ils font des étoffes de coton; et leurs livres
sacrés, dont le gouverneur Siberg a porté un exemplaire à Batavia, sont
écrits de gauche à droite sur du papier fait avec de l'écorce d'arbre. Ils man-
gent la chair des criminels et celle des prisonniers de guerre trop griève-
ment blessés pour être vendus.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que ce peuple n'est anthropophage que
dans les cas déterminés par les lois: ainsi, leur code condamne à être
mangés vivants ceux qui commettent un vol au milieu de la nuit, ceux qui
se rendent coupables d'adultère, d'assassinat ou de complot contre la sûreté
publique, ceux qui contractent des unions que la consanguinité fait réprou-
ver, enfin les prisonniers faits à la guerre. Mais ils paraissent manger la
chair humaine, soit crue, soit grillée, avec tant de délices, qu'on est étonné
qu'il n'y ait pas d'exemples, ainsi que l'assurent les voyageurs, qu'ils aient
cherché à satisfaire leur goût révoltant hors des cas permis par la loi. La
chair humaine est cependant interdite à leurs femmes. Jadis ils étaient dans
l'usage de manger leurs parents devenus vieux; aujourd'hui cette coutume
barbare est abandonnée.
Les femmes des Battas sont chargées des travaux de l'agriculture. Un
mari achète sa femme et peut la vendre avec ses enfants. Ce peuple est d'une
taille plus petite que les Malais, son teint est moins brun.
Les Battas forment une population d'environ 2 millions d'individus. Ils
offrent le mélange le plus singulier de mœurs civilisées et de coutumes
féroces. Presque tous savent lire et écrire, et s'acquittent avec zèle des
devoirs de l'hospitalité. Leur gouvernement est régulier : c'est une confédé-
ration formée d'un grand nombre de chefs de districts; ils ont des assem-
blées délibérantes présidées par des hommes d'un talent reconnu.
Le pays des Lampoungs, jadis vassal du sultan de Bantam , à Java, est
borné au nord par l'État de Palembang. Il est arrosé par plusieurs rivières,
dont la seule qui ait quelque importance est le Toulangbavang. Ces cours
d'eau débordent tous les ans pendant la saison pluvieuse, c'est-à-dire en
janvier et février, et les villages, placés tous sur des lieux élevés, parais-
sent être bâtis sur des îles. Les habitants sont, de tous les peuples de Sou-
màtra, ceux qui, sous le rapport physique, se rapprochent le plus des
Chinois. Ils ont le visage large et les yeux très-fendus. Leurs mœurs sont

OCÉANIE — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
631
très-licencieuses ; mais ils sont hospitaliers, et traitent les étrangers avec
cérémonie. La religion mahométane est fort répandue parmi eux ; un petit
nombre a conservé le culte des idoles. Les deux principales bourgades ou
villes des Lampoungs sont Toulangbavang, sur la rivière de ce nom, et
Telok-Bilong. Leur pays est gardé par des troupes hollandaises.
On pourrait considérer aussi comme dépendant de la Hollande le pays
de Passoummah, gouverné par les chefs qui forment une sorte de confé-
dération. Leshabitants de Passoummah sont en général remarquables par
leurs formes athlétiques, par leur adresse et leur humeur belliqueuse. Ils
n'ont point de culte extérieur, et ne paraissent même avoir aucune idée
de l'existence d'un Être suprême. Ce qu'il y a de remarquable, s'il faut en
croire les voyageurs, c'est qu'ils ont pour le tigre une attention , un respect
sans bornes, qui va jusqu'à s'abstenir de le tuer, même lorsqu'il s'agit de se
défendre de ses attaques.
Un autre pays qui reconnaît la suprématie politique des Hollandais, est
celui des Redjangs, divisé, de même que le précédent, entre plusieurs
chefs. Les Redjans sont sobres, endurcis à la fatigue et hospitaliers. Chez eux
la peine capitale est presque inconnue-, le coupable peut racheter son crime
à prix d'argent. La polygamie est tolérée, mais ceux qui ont plus d'une femme
font presque exception. Ils témoignent de la plus grande vénération pourles
tombeaux de leurs ancêtres : ils croient que les âmes des morts passent dans
le corps des tigres; aussi ces animaux peuvent-ils les dévorer impunément.
L'île de Soumàtra et celles qui l'entourent à l'est et à l'ouest, peuvent
être considérées comme formant un groupe particulier. Elles sont presque
toutes gouvernées par un ou plusieurs chefs indépendants ·, quelques-unes
seulement sont soumises aux Hollandais. Nous citerons d'abord les princi-
pales. Le long de la côte sud-ouest, Engano, en grande partie couverte
de bois, a environ 10 lieues de circonférence ; elle est habitée par une peu-
plade qui parait être de race malaie. Les hommes et les femmes ignorent
l'usage des vêtements ; ils se font aux oreilles de larges trous qu'ils rem-
plissent de feuilles ou d'anneaux faits avec des cocos. Leurs habitations,
élevées sur des piliers, ressemblent à des ruches.
Cette île, que l'on a appelée Trompeuse, passait pour être habitée par
une race d'anthropophages. Charles Miller y descendit, et n'y trouva qu'un
peuple simple et grossier. Ils sont d'une stature élevée et d'un teint cuivré.
Leur nourriture ne consiste qu'en noix de cocos, pommes de terre douces,
cannes à sucre et poisson séché. On avait déjà dit qu'ils vivaient des lichens
croissant sur les rochers, ce qui n'est pas sans vraisemblance.

632
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
En se dirigeant vers le nord-ouest, on voit les deux îles Poggy ou Nas-
sau, peuplées d'environ 1 ,500 habitants dispersés le long des côtes dans
plusieurs petits villages. La plus méridionale est Nassau proprement dite ;
l'autre porte spécialement le nom de Poggy. Elles sont séparées par un
canal d'environ une lieue de largeur et bordées de grands rochers qui parais-
sent avoir été détachés de la côte par quelque commotion violente. Ces îles
sont montagneuses et boisées ; les forêts y fournissent des bois propres à la
mâture. Le sagou y croît en abondance ·, les habitants ne cultivent pas le
riz, mais les cocotiers et les bambous y sont très-nombreux. On y voit des
daims rouges, des porcs, des singes, un petit nombre de tigres, mais ni
buffles ni chèvres. Les habitants, d'une taille très élevée et d'un teint cui-
vré, ressemblent aux anciens Otaïtiens, tant par leurs traits, que par
l'aimable simplicité de leurs mœurs. La polygamie leur est inconnue, mais
es liaisons entre les personnes non mariées des deux sexes y sont regar-
dées comme une chose innocente. Ils prétendent descendre du soleil.
On aperçoit ensuile Si-Pora, appelée aussi Porah ou Bonne-Fortune,
et Si-Birou ou Mantawaï, Battou ou Mentao, et enfin Nias ou Poulo-
Nias.
Cette dernière île a environ 24 lieues de longueur sur 10 de largeur. Ses
montagnes, ses vallées, ses rivières et son sol fertile, lui donnent un aspect
agréable. Les habitants, généralement bien faits et robustes, ont le teint
aussi clair que les peuples de l'Asie orientale; ils ont dans les traits du
visage quelque chose du caractère grec; enfin ils diffèrent complètement
des Malais. Leurs femmes passent pour les plus belles de la Malaisie. On
estime la population de l'île à 200,000 individus divisés en 50 petits districts,
gouvernés chacun par un rajah, dont leplus puissant est celui de Bokonaro.
La plupart de leurs villages s'élèvent sur le sommet des collines , dans des
positions susceptibles de défense, car les peuplades y sont presque toujours
en guerre. Ce qui excite leur haîne, c'est le trafic des esclaves avec les
Européens et les Malais. Chaque tribu compte sur la vente de ses prison-
niers : aussi le nombre des individus qu'ils vendent annuellement s'élève-t-
il à plus de 1,500, malgré la surveillance des croiseurs anglais. Dans la
partie septentrionale de l'île, la population diffère de celle que nous venons
de dépeindre, parce qu'elle est mêlée à des Malais et à des Achemais.
Au nord de Nias se trouvent les îles Banjak, dont la principale a 6 lieues
de longueur; et au nord-ouest de celle-ci celle de Babi ou des Cochons, qui
est trois fois plus grande.
Près de la côte orientale, les îles de Roupat, de Pandjour, de Perpese-

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
633
ratte, de Bancalis, et quelques autres dépendent du royaume de Siak.
Lingen ou Lingga, appelée aussi Lengan, où l'on compte 10,000 habi-
tants, dont les deux tiers occupent la ville de Kwala-Daï, est remarquable
comme la principale possession des Malais indépendants, qui occupent à
20 lieues au nord le groupe de Bintang, île de 7 lieues de longueur entou-
rée de plusieurs autres plus petites. Le souverain de ces Malais a cédé aux
Hollandais un petit îlot appelé Riouw (Rhio), qui est devenu l'un des
points les plus commerçants de cette partie de l’Océanie ; elle forme une
résidence; sa population peut s'élever à 6,000 habitants.
Les Hollandais possèdent encore deux îles importantes, Banka et Billi—
toun, qui forment le groupe des îles Lepar. La résidence de Banka est
célèbre par ses mines d'étain, qui ne furent découvertes qu'en 1710 ou 1711.
Cette île a environ 50 lieues de longueur sur 9 dans sa plus grande largeur.
Elle renferme des montagnes de granit dont les contre-forts sont formés de
roches ferrugineuses : c'est entre ces montagnes que l'on exploite par le
lavage l’étain, qui gît dans des dépôts d'alluvion. Ce lavage occupe environ
2,000 Chinois : le produit s'en élève annuellement à environ 40,000 quin-
taux. Le chef-lieu de Banka est une petite ville nommée Mountoh ou Min-
tao, peuplée de 3,000 individus, et défendue par un fort qui la domine.
C'est la résidence du gouverneur hollandais. Billiton ou Billitoun, ainsi
que la précédente, faisait autrefois partie du royaume de Palembang. Depuis
1812, les Hollandais y ont une garnison destinée en grande partie à conte-
nir les habitants, pirates très-hardis. On croit cette île riche en étain ; mais
ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle renferme d'abondantes mines de fer.
C'est par le détroit qui sépare les deux îles de Banka et Billitoun que pas-
senties vaisseaux qui vont à la Chine ou qui en reviennent. Les navigateurs
regardent le climat de ces parages comme un des plus dangereux.
Le célèbre détroit de la Sonde, proprement de Sunda, sépare l'île de
Soumàtra de celle de Java. Le navigateur qui, en venant de l'océan Indien,
a ces deux îles à gauche et à droite, voit bientôt devant lui la grande terre
de Bornéo ; de là cette dénomination commune d'îles de la Sonde donnée
à ces trois contrées, dénomination insignifiante, que l'usage a consacrée.
Le nom de Sunda paraît venir du sanskrit sindu, mer, fleuve, grande eau,
et rappelle le Sund des Danois et le Sound des Anglais.
L'île de Java, jadis siége d'un grand et florissant empire indigène, centre
de la puissance d'une compagnie de commerce qui dominait sur toutes les
mers de l'Orient, mériterait une description bien plus détaillée que n'en
admettent les bornes de cet ouvrage. Cette île domine, par sa position, les
V.
80

634
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
principales entrées des mers qui baignent l'Asie orientale. En grandeur
elle n'égale ni Bornéo, ni même Soumàtra, car elle ne s'étend en longueur,
de l'ouest à l'est, que l'espace de 245 lieues ; sa largeur varie de 30 à 50, et
sa superficie peut aller à 5,700 lieues géographiques carrées. Sa popula-
tion est cependant plus considérable et ses habitants plus industrieux,
surtout pour ce qui concerne le commerce, les arts et l'agriculture. Le nom
de Djava est malais, et dénote, selon les uns, une grande île, selon les
autres, une espèce de grain qui croît ici1. Les Arabes et les Persans l'ap-
pelèrent Djezyret al Maha-Radje, l'île du grand roi.
D'après la grande carte de Yalentyn, l'île est traversée de l'est à l'ouest
par une chaîne de montagnes généralement plus rapprochée de la côte méri-
dionale, et qui, se doublant en plusieurs endroits, embrasse des plateaux
élevés, entre autres ceux où les provinces de Préangan et de Sourakarta
sont situées. La partie la plus occidentale présente une terrasse inférieure.
Les premières hautes montagnes commencent au sud de Batavia; elles
portent le nom de Pangerangon ou les Montagnes Bleues ; c'est entre la
province de Tcheribon et de Sourakarta, dans la partie la plus étroite de
l'île, que s'accumulent les plus hautes montagnes.
Les plus hautes montagnes ne dépassent point 3,500 mètres d'éléva-
tion ; leurs flancs sont escarpés, et leur sommet, presque aussi grand que
la base, est ordinairement terminé par un plan horizontal. Ces montagnes
présentent au géologiste un grand nombre de roches, telles que des amphi-
bolites, beaucoup de quartz, de feldspath et de mica; on y trouve des
masses de porphyre, de l'agate, du cristal de roche et du jaspe commun.
Comme presque tous les terrains quartzeux, elles sont peu riches en miné-
raux; elles renferment cependant du soufre, du plomb, de l’étain, du
cuivre, et même de l'argent; mais la difficulté du terrain et le peu d'abon-
dance du minerai en ont fait abandonner l'exploitation.
On compte parmi ces montagnes 46 volcans, dont nous ne nommerons
que les plus importants. Le Salak, haut de 2,500 mètres, et presque entiè-
rement composé de basalte, eut une éruption en 1761. Le Gounong-Gon-
tour ne cessa d'être en éruption depuis 1800 jusqu'en 1807. Il en eut
encore une en 1840. Le Kiarnis lance de l'eau chaude et de la boue. Le
Galong-goung eut une terrible éruption en 1822. L’Arjouna, haut de
3,300 mètres, rejette continuellement de la fumée. L’Idjen, dans l'une de
ses dernières éruptions, vomit un volume d'eau si prodigieux, que sur
1 Valentyn Description de Java, p. 64-66 (Indes orientales, t. V.

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
635
une étendue de 20 lieues une grande partie du pays situé entre ce volcan
et la mer fut complétement inondée.
·
L'île de Java est arrosée par un grand nombre de rivières-, on en compte
50 médiocres, et 5 à 6 qui sont navigables à quelque distance de leur
embouchure. Les deux plus considérables sont le Solo et le Keridi. On y a
compté plus de 588 espèces de poissons.
Les plaines de la côte consistent en une argile rougeâtre, peu fertile,
une argile noire très-riche, et une marne jaune entièrement stérile. A une
lieue de la mer commencent les terres d'alluvion, formées de sables, d'ar-
gile et de coquilles. Les montagnes, couvertes de bois et de plantes, enri-
chies de diverses cultures, offrent le coup d'œil le plus agréable.
Le thermomètre centigrade s'élève, dans les parties basses, telles que
Batavia, Sourabaya et Samarang, jusqu'à 53 degrés; mais si on s'élève de
1,000 pieds, il peut descendre jusqu'à 25. Il varie de 7 à 8 degrés depuis le
lever ou le coucher du soleil jusqu'à midi. Une telle température rend le
séjour de Java un peu contraire à la constitution des habitants de la zone
tempérée. Les eaux stagnantes des innombrables canaux, les arbres trop
multipliés et la malpropreté des habitants, avaient valu à Batavia i'épithète
de pestilentielle que lui ont donnée les Européens; mais aujourd'hui que
ces dernières causes ont disparu, ce pays ne mérite point la même qualifi-
cation.
A 12 lieues dans l'intérieur il y a des collines d'une hauteur considé-
rable, où l'air est sain et frais. Les végétaux d'Europe, et particulièrement
les fraises, y croissent fort bien ; les habitants y sont vigoureux; leur teint
annonce la santé. Les médecins y envoient aussi les malades, qui s'y gué-
rissent en peu de temps. Tout l'intérieur jouit des mêmes avantages. Près
de Sourakarta, la résidence de l'ancien empereur de Java, le voyageur res-
pire un air pur, frais et embaumé. De limpides ruisseaux roulent partout
une onde salutaire.
Les Javanais ne connaîtraient pas les vicissitudes des saisons, si des
vents périodiques ne divisaient l'année en deux parties, appelées mous-
sons. Chaque mousson dure 6 mois : l'une est sèche et ne donne à la terre
que l'eau indispensable aux plantes; l'autre est humide et fournit des
pluies qui tombent par torrents, surtout dans les pays montagneux. Du
reste, c'est le meilleur pays de la terre pour la végétation. Le riz de deux
espèces y croît en abondance, ainsi que le blé d'Inde ou le maïs (zea
mahis) ; on y récolte beaucoup d'espèces de haricots, des lentilles, du
millet, du sorgho jaune, des ignames fondantes et d'autres sans suc, des

636
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
patates douces, des pommes de terre d'Europe, qui sont tres bonnes ; on
trouve dans les jardins une abondance d'excellents légumes, tels que les
raves blanches de la Chine, le fruit de la plante appelée plante aux œufs
(melongena ovala) ; le pois d'Angole, et en outre toutes les plantes culi-
naires d'Europe. On y recueille encore, avec bien peu de culture, une
quantité très-considérable des plus belles et des plus grosses cannes à
sucre; elles donnent beaucoup plus que celles de l'Amérique, cependant
les moulins à sucre ont diminué de nombre.
On exporte une grande quantité de poivre. Parmi les plantes aromatiques
qui servent à la consommation des habitants, Thunberg remarqua le gin-
gembre sauvage et le zerurnbet, ou la globbée uniforme, le bétel, l’arek, le
curcuma et le poivre d'Espagne.
On y trouve aussi des plantes vénéneuses, telles que le tchettik et Vant-
char, que Rumph paraît avoir décrit sous le nom d'arbor toxicaria. Les
fougères, presque rampantes dans nos pays, parviennent à Java à une
élévation étonnante; les mousses y atteignent la hauteur de 33 cen-
timètres.
Les arbres fruitiers sont le bananier de paradis, le bananier nain, qui
produit un fruit très-délicat et très-sain, l'ananas, la goyave, l’iambos de
Malacca, le catappa ou badamier de Malabar, le jacquier des Indes. Le fruit
nommé corossel provient de l’anona squammosa. Les mangoustans, les
melons d'eau, les pampelmousses et les oranges se trouvent aussi dans
cette île. Les citrons y sont un peu rares, et les raisins ne sont pas très-
bons. La médecine emploie avec succès deux espèces de casse, cassia java-
nica et cassia fistula ; les fruits pendent à l'arbre comme de longs bâtons.
L'île de Java produit aussi deux espèces de coton : l'un, le fromager pen-
tandrique, arbre très-élevé ; l'autre est un arbuste, c'est le gossypium indi-
cum de Lamarck.
La rose de la Chine, le marsan ou murraie des Indes, les nyetantes, les
corallodendrum, étalent leurs fleurs parmi les buissons; dans les jardins on
cultive les plantes exotiques les plus recherchées ; Veugenia lafifolia y
épanouit ses pétales rouges et blanches, et la plupart des fleurs qui embel-
lissent nos parterres, telles que la reine marguerite, la balsamine, les œillets
d'Inde et les bleuets, n'y sont point inconnues. A Batavia l'on vend des
fleurs dans les rues, tous les soirs, au coucher du soleil. Plusieurs arbres
forment de belles allées et procurent des ombrages nécessaires; tels sont le
mimusope elengi, la nauclée d'Orient, le canari des Moluques, la gucttarde
de l'Inde (guettarda spinosa), et le grand filaos à feuille de prèle.

OCÉANIE. —MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
637
Les Javanais, en faisant de nombreuses entailles au tronc de Yhybiscus
tiliaceus, dans la saison des pluies, parviennent à lui faire produire, sur
toute sa longueur, des branches qui couvrent la terre. L'arbre de teck ou
téak forme de très-grandes forêts, à l'ombre desquelles croît abondamment
le panerais d'Amboine et plusieurs belles espèces d'uvaires, d'hélictères, de
bauhinies, ainsi que l'agave vivipare, avec lequel les habitants font des
des étoffes. Le muscadier uviforme porte un fruit qui n'est pas aroma-
tique.
Les buffles sont énormes et de couleur grisâtre. On les apprivoise et on
leur fait traîner de très-grands chariots. Les moutons sont rares; ils ont
des poils au lieu de laine, et les oreilles pendantes. Les chevaux sont petits,
mais vifs et vigoureux. Il y a des éléphants, des chameaux, des ânes, des
bœufs, des cerfs, des gazelles, des lièvres, des lapins; on y voit le tigre
royal (felis tigris), et plusieurs espèces particulières, telles que le felis melas,
le felis ondé, le felis servalin, et le felis de Java, des caméléons, des
iguanes et des lézards de toute espèce. Les sangliers pullulent dans les
bois. Il y existe aussi des rhinocéros, dont une espèce, le rhinocerosjava-
nicus, ne se trouve que dans cette île. Parmi les singes de Java, les natura-
listes nomment le semnopithèque nègre et la macaque brune. On trouve
aussi dans les bois l'écureuil bicolore et l'écureuil volant de Java (nyclerys
javanicus).
Tous les oiseaux de basse-cour qu'on y a transportés d'Europe s'y sont
acclimatés. Les oies et les canards sauvages, les cailles, les bécassines, les
faisans, les grèbes, les pies, l'aigle blanc et le paon sont communs dans les
forêts. On y remarque aussi le gigantesque émou ou casoar des Moluques,
et plusieurs espèces de perroquets qu'on ne trouve point ailleurs, tels que
le louri rouge et le kakatoès blanc, remarquable par la huppe qu'il porte
sur la tête. Les coqs sauvages ont le plumage très-brillant et la crête
blanche, mêlée d'une teinte légère de violet. Dans les marais habitent une
vipère verdàtre très-dangereuse et un redoutable serpent, l’outar sawa, qui
avale des volailles et même des chevreaux entiers.
Il ne manque pas non plus de crocodiles énormes. Ces reptiles connais-
sent, à ce qu'on assure, les habitants des contrées où ils se trouvent ; ceux-
ci les régalent quelquefois de peules ou d'autres viandes, et peuvent ainsi
jouer avec eux en toute sûreté 1. Les étrangers qui ont voulu tenter les
mêmes expériences ont payé de leur vie une telle témérité.
1 Voyez la Description de Java, par le comte de Hogendorp.

638
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
Les dragons volants voltigent aux environs des villes pendant la plus
grande chaleur du jour, comme les chauves-souris en Europe; et on les
attrape facilement et impunément. La cigale musicale se perche sur les
arbres, et fait entendre un cri très-perçant, semblable au son d'une trom-
pette; la blatte kakerlagor, et de petites fourmis rouges, s'insinuent par-
tout, mangent et détruisent tout. La terre fourmille d'autres insectes peu
dangereux.
Java produit en abondance ces fameux nids de l’hirundo esculenta que
recherche la gourmandise des Orientaux, espérant en vain y trouver de
nouveaux aiguillons de volupté. Marsden, dans son Histoire de Soumâtra,
assure que ces oiseaux avalent l'écume de la mer ·, Poivre a observé que
cette écume consiste en frai de poisson, délayé de manière à former une
espèce de colle. Cette opinion nous parait la plus vraisemblable, quoique
des Hollandais aient affirmé qu'une espèce du moins de ces oiseaux se nour-
rit uniquement d'insectes et forme ses nids avec le résidu de ses aliments.
L'île de Java, presque entièrement soumise à la Hollande, est divisée
aujourd'hui en dix-neuf régences, et quatre résidences subordonnées,
mais cependant indépendantes. Nous allons parcourir les villes les plus
remarquables.
Batavia, capitale des Indes hollandaises, située dans la résidence de
même nom, cl bâtie sur la rivière de Tjiliwong, occupe l'emplacement de
Djokatra, ville célèbre qui fut réduite en cendres par les Hollandais, vers
l'an 1620, et qui avait été construite sur les ruines de l'ancienne ville java-
naise de Sunda-Calappa. Elle a depuis subi une quatrième métamorphose.
Vers la fin du dix-huitième siècle elle avait très-peu de rues qui n'eussent
un canal d'une largeur très-considérable ; ces eaux stagnantes embellis-
saient moins la ville qu'elles ne l'empoisonnaient. Les bâtiments publics
étaient pour la plupart vieux, lourds et de mauvais goût : elle était fermée
par un rempart médiocrement élevé et tombant en ruines. Vers l'an 1800
elle fut abandonnée et presque démolie entièrement; depuis elle a été
reconstruite sur un nouveau plan; plusieurs canaux ont été desséchés, un
grand nombre de rues ont été élargies ; les voiries, les cimetières, en un
mot tout ce qui pouvait nuire à sa salubrité, a été éloigné, de sorte qu'elle
est aujourd'hui aussi favorable à la santé que la plupart des autres villes de
Java. Les anciens édifices ont été en partie réparés et en partie remplacés
par des constructions modernes, dont l'architecture est légère et conve-
nable au climat. Les plus remarquables sont l'hôtel-de-ville, celui du gou-
verneur général, l'église luthérienne, le théâtre., le grand hôpital militaire,

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
639
le palais de Weltevreden, bâtiment immense où sont établis les bureaux
civils et militaires, et la belle caserne qui, avec ce palais, orne la place
d'armes.
En débarquant au port ou Boom, on a devant soi l'ancienne ville, que
l'on traverse par trois ou quatre rues, assez fréquentées le matin ou pen-
dant les heures des affaires, et presque désertes le reste de la journée. C'est
à l'extrémité de l'ancien faubourg appelé Buîfen Neuw-poort-straat que
s'étendent les quartiers modernes; ils consistent en une suite de jolies habi-
tations entourées de jardins plus ou moins grands, qui se prolongent sur
une largeur de trois quarts de lieue, au bord du canal de Moolenvliet et de
Bijswijk; plus loin on aperçoit une grande plaine carrée entourée de mai-
sons : c'est le Weltevreden ou le quartier militaire; sur la droite une autre
plaine appelée Konings Plein est environnée de charmantes habitations.
Au delà du Weîtevreden on se trouve sur la route de Buitenzoorg, le long
de laquelle se succèdent, pendant une lieue jusqu'au delà du lac de Maes-
tur Cornells, des habitations d'une élégante architecture. « Ajoutez à cela,
« dit le comte de Hogendorp, quelques allées latérales aboutissant au
« canal ou aux carrés dont nous venons de parler, comme le Prinsen-
« Laan, le chemin de Gonnong Saharie, le chemin de Tanaabon, etc., et
« l'on pourra se faire une idée de la capitale de nos possessions orientales,
« telle qu'elle est aujourd'hui. Entre et derrière ces différents quartiers
« européens, se trouvent les quartiers des habitants asiatiques et des Chi-
« nois. Le quartier principal de ces derniers, ou camp chinois, est hors de
« l'enceinte et à l'ouest de l'ancienne ville, dont elle formait comme un
« vaste faubourg; mais à la longue ils se sont glissés partout, et on les
« voit maintenant établis de tous côtés, surtout dans les bazars situés
« entre les quartiers que je viens de citer 1. » Tous les employés euro-
péens et les plus riches habitants demeurent aux environs de la ville, où ils
vont tous les jours pour leurs affaires. Batavia ne renferme pas moins de
75,000 âmes. On y compte environ 34,000 Javanais ou Malais, 20,000 Chi-
nois, 600 Arabes, 15,000 esclaves, et un peu plus de 5,000 Européens.
Elle occupe le fond d'une large baie; son port est assez vaste pour rece-
voir une grande flotte ; il est très-sûr, mais peu profond. Cette ville possède
une société des arts et des sciences qui jouit d'une certaine célébrité dans
le monde savant.
Il serait impossible de faire le siége de Batavia par mer. L'eau est si basse
qu'une chaloupe peut à peine s'approcher à la portée du canon des rem-
1 Voyez la Description de Java, par le comte de Hogendorp.

640
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
parts, excepté dans le canal étroit appelé la Rivière, défendu des deux
côtés par des môles qui s'étendent à environ un demi-mille dans le hâvre.
Il aboutit à l'autre extrémité sous le feu de la partie la plus forte du châ-
teau,
Rantam, qui fut long-temps grande, populeuse, et le rendez-vous des
marchands de l'Europe, n'est plus la résidence de ce sultan dont les domes-
tiques, la cour, les gardes et les officiers ne se composaient que de femmes.
Ce petit prince, dont l'administration tyrannique entravait dans son royaume
la marche de l'industrie, est devenu simple pensionnaire du gouvernement
hollandais, et sa résidence a été abandonnée par suite de l'insalubrité de
son sol marécageux. Ses maisons en ruines sont la plupart désertes. Tout
son commerce s'est porté à Batavia. Céram, assez jolie ville, est ajourd'hui
la résidence du gouverneur de la province.
Sourabaya, la ville la plus considérable de l'île après Batavia, renferme
au moins 50,000 habitants. Bâtie à l'embouchure du Kediri, qu'on nomme
également Sourabaya, elle est fortifiée, très-solubre, munie d'une rade où
l'on peut entrer et d'où l'on peut sortir par tous les vents. On y distingue
les trois quartiers hollandais, chinois et malais. Les deux derniers n'ont
rien de remarquable ; mais le quartier hollandais présente d'élégants édi-
fices, un bel arsenal maritime et un hôtel des monnaies. Le nombre de
voitures qu'on voit dans cette ville, les chantiers de construction et les
magasins, la rendent semblable à l'une des plus florissantes places de
l'Europe.
Samadang ou Samarang occupe le troisième rang dans la classification
des villes de Java ; elle possédait un très-beau port ; la mer l'a rendu impra-
ticable par la quantité de bancs de sable qu'elle y a formés. Celte ville a été
à trois époques différentes, au quatorzième siècle, en 1819 et 1822, désolée
par le mordechi, que nous nommons choléra-morbus. On porte cependant
encore sa population à 30 ou 40,000 âmes. Le village de Ranyou-Kouning,
dans la résidence de Samarang, est remarquable par les le/tandis ou
temples antiques que l'on voit dans ses environs.
Tchéribon, chef-lieu de province, est une petite ville assez commerçante-,
à une lieue et demie, les mahométans vénèrent le tombeau d’Ibn Cheyk
Mollanah, le premier apôtre de l'islamisme dans cette île. Cinq terrasses,
adossées à une montagne, présentent des parapets ornés de beaux pots de
fleurs, offerts par les rois musulmans de toutes les îles voisines ; le tombeau
est ombragé de palmiers.
C'est sur les limites de la province de Tchéribon que s'étend cette vaste

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
641
forêt de Dagon-Louhour, dont les arbres forment des voûtes de verdure
tellement épaisses qu'elles sont impénétrables à la lumière du soleil, et que
pour la traverser en plein jour il faut s'éclairer par des torches.
Builenzoorg, où l'on arrive après avoir traversé Batavia, est un beau
château qui a été rebâti en 1816, et qui est intéressant par le jardin bota-
nique que le baron Van-der-Capellen y a fondé.
Dans la partie de la Côte-Orienlale, on remarque, en allant del'est à l'ouest,
les villes suivantes : Tagal, avec 8,000 habitants ; Japara, anciennement
le chef-lieu de la côte, dans laquelle les Chinois possèdent un temple ;
Joana, dont les environs fournissent du riz, de l'indigo et de beaux bois
de construction ; Rembang, le grand marché pour les bois de djati ou de
tek; Pamanoucan ou Baniouwangui, dans la province aujourd'hui déserte
de Balambonoung, dont la capitale du même nom a été détruite par les
ravages de la guerre.
Les parties intérieures et méridionales de la moitié orientale de l'île for-
maient autrefois le royaume de Mataram, dont le souverain prenait le titre
de sousouhounam et d’'empereur de Java. Des guerres civiles, fomentées
par la Compagnie, ont permis à celle-ci de partager cet empire, déjà très-
diminué, entre deux princes, dont l'un résidant à Soura-Karta, grande
ville ou plutôt réunion de villages qui forment une population de 100,000
âmes, conserve un million de sujets et le titre d'empereur, tandis que
l'autre, établi à Djokjo-Karta, ville tout à fait semblable et égale en popu-
lation à la précédente, a reçu de la main des Hollandais un État de 660,000
habitants, et le titre de sultan. Un militaire allemand, qui a visité la cour
du sousouhounam, dépeint le pays sous des couleurs très-favorables. L'air
pur et frais est embaumé par mille fleurs odorantes. Tantôt on erre dans de
vastes plaines couvertes de riz, de coton, de café, de végétaux de toutes
espèces; tantôt, monté sur les collines, on voit les limpides ruisseaux
former de petites cascades à l'ombre de forêts épaisses. Des grottes natu-
relles présentent la fraîcheur la plus délicieuse. La vue plane, dans le loin-
tain, sur la mer, les rochers et les volcans, dont la fumée nuance l'azur
d'un ciel tranquille.
La population de l'île de Java, qui s'élevait en 1849 à 9, 584, 130 habi-
tants, en y comprenant celle de la petite île de Madura, se compose d'indi-
gènes, ou bhoumi, et d'étrangers. Parmi ces derniers, les Hollandais, les
Chinois, les Macassars, les Baliens, sont les plus remarquables. Parmi les
indigènes, on distingue une peuplade de nègres qui erre, dit-on, dans les
montagnes, et une tribu nommée Isalam, qui habite sur la côte ; mais nous
Y
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LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
n'avons pu recueillir aucune notion certaine, ni sur leur caractère phy-
sique ni sur leur langue. Les Javanais indigènes paraissent être de race
malaie, anciennement établie dans l’île, mais qui, ayant été civilisée par
une colonie d'Hindous, et spécialement de Calingas, en a reçu un grand
nombre de mots et plusieurs institutions.
Les ruines que le voyageur rencontre à chaque pas entre le Brambanam
et le mont Gounoung-Dieng, appelé aussi Gounoung-Prahou, dans les dis-
tricts de Paranaguara, de Trengali, de Madion, de Bava, de Tchéribon, de
Kalangbret, de Jayaraya, de Kirtasana, de Malang, de Strengat et de Mage-
tam, prouvent que Java a éprouvé de grandes et terribles révolutions phy-
siques et politiques. Les débris de temples, parmi lesquels se trouvent
d'innombrables fragments de colonnes et de statues, et les magnifiques
tombeaux que l'on remarque, attestent à Java une ancienne civilisai ion qui
a passé comme celle des Égyptiens, des Grecs et des Romains. Le district de
Kediri nous présente les ruines de l'antique Madjapahit, capitale de l'île ;
elles sont couvertes d'arbres, de buissons et de mousses, de sorte qu'on dis-
pute aujourd'hui sur son étendue, comme on disputera peut-être plus lard
sur sa situation et sur son existence. Les ruines de cette ville consistent en
une muraille de 325 mètres de longueur et de 4 de hauteur, bâtie en briques
cuites et qui entourait l'étang de Madjapahit. Dans un village voisin appelé
Trangwoulan, on le voit magnifique mausolée d'un prince musulman, de sa
femme et de sa nourrice, et tout près de là les tombes de neuf autres chefs.
Ces monuments sont gardés par des prêtres. Le territoire sur lequel se
trouvent toutes ces constructions est compris dans la résidence de Sou-
rabaya.
D'autres parties de Java offrent diverses ruines qui indiquent une civili-
sation assez avancée et une connaissance très-remarquable de l'art. Les
plus vastes édifices sont en pierre de taille, réunies sans mortier ni ciment.
Il est probable que toutes les antiquités de Java ont été détruites à l'époque
de l'introduction du mahométisme chez les Javanais.
Les Javanais, en général sont petits de taille ; ils ont le teint pâle, les
cheveux longs, le nez un peu épaté. Fidèles à leurs engagements, crédules
comme tous les peuples ignorants, amateurs du merveilleux, indolents par
caractère, patients dans l'adversité, extrêmement respectueux envers leurs
parents, attachés à leurs enfants, ils préfèrent une vie pauvre et tranquille
à des richesses qu'ils ne sauraient garder. Ils sont hospitaliers ; chez eux,
le vol n'est commis que par quelques individus des classes inférieures ; ils
ignorent le tumulte et l'agitation d'une vie industrieuse. Ils savent cepen-

OCÉANIE. — MALAISIE.. — ILES DE LA SONDE.
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dant très-bien préparer les peaux, fabriquer le sel, qui fait, avec le soufre,
la base de leur commerce ; ils font du papier avec les filaments de l'écorce
du goulou ; ils excellent aussi dans l'art de teindre les étoffes; le vin de
l'aren leur donne l'indigo, l'écorce du mangoustan le noir, et le tégrang la
couleur jaune. Ils tirent l'écarlate de la racine du wong-koudou, et avec
ces couleurs, qu'ils savent bien combiner, ils teignent des étoffes dont la
régularité étonne les Européens. Quelques-uns travaillent aussi les métaux.
A ces exceptions près, tous les Javanais se contentent de cultiver leurs
champs ; le reste du temps se passe à fumer l'opium et à mâcher le siri, ou
bien à goûter les utiles plaisirs de la pêche. Les femmes, laborieuses et éco-
nomes, filent du coton et fabriquent la toile qui sert à habiller la famille;
mais dans ces climats brûlants on ne s'habille que par décence. Les hommes
se contentent de s'attacher autour des reins une toile qui tombe jusqu'aux
genoux. Les Bantamois se distinguent des autres Javanais en se couvrant
la tête d'un bonnet en forme de casque. Les femmes se couvrent pendant
qu'elles sont fiancées, et le jour de leurs noces, de vêtemen ts riches et gra-
cieux, mais elles ne portent ordinairement de plus que leurs maris qu'une
petite camisole de toile bleue qui leur cache les épaules et la poitrine. Les
enfants restent nus jusqu'à l'âge de sept ans.
Leur manière de vivre est aussi frugale que leur habillement est simple;
le riz et les ignames, assaisonnés de piment, forment la base de leur nour-
riture. Il est à remarquer que les Javanais mangent une argile rougeàtre.
Torréfiée sur une plaque de tôle, et roulée en cornets, cette terre est expo-
sée au marché sous le nom d’ampo. Son goût est fade, et sa propriété prin-
cipale est d'apaiser la faim sans nourrir celui qui la mange. On lui attribue
aussi de rendre maigre et fluet.
Ils construisent leurs maisons en bambou, et les couvrent avec des
feuilles de palmier ou avec du chaume. Ces maisons sont ordinairement
partagées en deux parties : la première où se fait le ménage, et la seconde
où se retire la famille pour se coucher. La négligence avec laquelle ils
traitent le feu les expose souvent à voir leurs habitations, devenir la proie
des flammes; mais dès qu'un Javanais a sauvé le coffre de bois qui ren-
ferme tout son avoir, il voit tranquillement brûler la maison qui hi coûte si
peu à construire. Les chefs font quelquefois bâtir des maisons en pierre
ou en briques, mais sur le même modèle que celles du pays ; les fenêtres en
sont petites, le toit est bas ; on y étouffe : aussi demeurent-ils pendant le
jour sous des espèces de galeries isolées, où l'air circule aisément et où le
soleil ne saurait pénétrer.

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LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
La polygamie, quoique admise par la religion, n'est guère en usage que
parmi les grands. Le divorce est permis par les lois, moyennant une somme
d'argent qu'on évalue à 250 fr. pour la classe aisée et à 100 pour les classes
inférieures. Il est môme autorisé par la coutume. Ici, comme dans l'Inde,
existe l'usage barbare qui condamne les femmes à se brûler vives sur le
bûcher de leurs maris.
Partout les femmes sont traitées avec égards. L'usage leur accorde une
liberté dont, selon Deschamps, elles n'abusent pas. D'autres voyageurs, et
surtout les Hollandais, en parlent plus désavantageusement ; elles doivent
souvent employer les philtres pour exciter les désirs languissants et le poi-
son pour venger les infidélités.
Les Javanais, convertis au mahométisme dans le commencement du
quinzième siècle, professaient auparavant une religion idolâtrique dérivée
du brahmanisme, ou du moins de la même source où les Hindous ont puisé.
Au mépris des lois du prophète, ils sont très-tolérants en matière de reli-
gion, et se permettent d'enfreindre les préceptes du Coran en mangeant
des viandes défendues et en buvant du vin et autres liqueurs.
Les habitants des montagnes s'abstiennent encore de toute nourriture
animale, et croient à la transmigration de l'âme. Ils prétendent descendre,
les uns du dieu Wichnou, les autres d'une espèce de singe nommé le wou-
wou1. Il paraît aussi que l'île a reçu anciennement une colonie venue de la
Chine, ou peut-être de l’Indo-Chine. La couleur jaune réservée pour les
habits de l'empereur, comme dans la Chine, plusieurs temples chinois dans
la partie orientale de l'île, enfin une tradition que les voyageurs du sei-
zième siècle avaient recueillie, semblent mettre hors de doute cet événe-
ment dont on ne saurait fixer l'époque.
Ces peuples conservent une foule de traditions orales; quelques-unes
sont écrites; la plus remarquable est celle qui assure que les îles de Sou-
mâtra, de Java, de Bali, furent séparées par un tremblement de terre vers
l'année 1000 de l'ère vulgaire. Ils ne comptent pas, comme nous, par le
système décimal, mais par le système quinaire; leurs jours sont partagés
en cinq parties; pour évaluer la marche journalière du soleil, ils n'ont
d'autre mesure que la longueur de leur ombre. Leur année est divisée,
comme la nôtre, en 12 mois, mais ces mois sont inégaux. Ce qu'il y a de
plus étonnant, c'est que leurs mois portent les noms des 12 signes du
zodiaque, moins celui des gémeaux, qui est remplacé par le papillon. Ils
1 Ou Gibbou-wouwou ( Hylobates leuciscus).

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
645
ont trois cycles, celui de 12 ans, celui de 20, et celui de 30 ; leur ère cor-
respond à l'an 76 avant J.-C.
Les Javanais parlent divers dialectes qui tous se rapprochent du malaïou.
Le dialecte de Sunda règne dans l'ancien royaume de Bantam et sur la
côte opposée de Soumâtra. Le bas-javanais paraît dominer dans tout le
reste de l'île-, mais, à la cour des princes, on parle le haut-javanais, qui
est rempli de mots sanskrits. Les caractères sont dérivés de ceux des
Arabes.
Les poésies des Javanais ne peignent que l'amour et les jouissances :
leur langue est faite pour l'harmonie, mais leur musique n'y répond pas;
elle est monotone et traînante; ils psalmodient plutôt qu'ils ne chantent;
ils ne connaissent que deux sortes de poëmes. Le récit qu'ils appellent
tohérita est un mélange de fable et d'histoire, où l'on voit les dieux et les
rois se disputer tour à tour l'empire de Java. L'autre genre de poésie com-
prend les chansons ou panton; ce sont de petits poëmes composés avec
plus de goût : on y trouve quelquefois des comparaisons ingénieuses.
Ils connaissent aussi l'apologue, mais la comédie est encore chez eux
dans sa première enfance ; ce n'est, à proprement parler, qu'une panto-
mime dont on lit en môme temps l'explication. Une espèce de hangar
ouvert de tous côtés sert de théâtre; les spectateurs sont rangés autour,
et le lecteur ou souffleur, armé d'un bâton comme un maître d'orchestre,
fait mouvoir tous les acteurs à leur tour, et lit la pièce.
Parmi les amusements, il n'en est aucun qui soit plus généralement
suivi que la danse appelée tandack. Sitôt que la nuit commence, on entend
retentir partout le son bruyant de la musique. Une tente dressée à la hâte,
éclairée par plusieurs lampes, abrite les acteurs et une partie des specta-
teurs: trois ou quatre femmes, demi-nues, la tête ornée de fleurs, dansent
au son des instruments en s'accompagnant de la voix. Celte danse s'exé-
cute par le mouvement successif de toutes les parties du corps ; les bras,
les jambes, les mains, la tête, les yeux, tout est en action. Quelque charme
qu'ait ce spectacle pour un Javanais, ce n'est aux yeux d'un Européen
qu'une suite de contorsions. Les femmes qui se livrent à ce spectacle sont
appelées ronguin ; ce sont les courtisanes du pays. Les gens du peuple
aiment avec fureur le combat des coqs ; ils y passent des journées entières;
ils excitent les combattants du geste et de la voix : l'espoir et la crainte
se peignent tour à tour sur la figure des parieurs.
Les Javanais, très-patients et très-phlegmatiques, ne se querellent
guère; mais ils se battent par plaisir. Ce jeu, qu'on appelle anclon, con-

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LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
siste à s'appliquer des coups de baguette en cadence, jusqu'à ce qu'un des
deux s'avoue vaincu et se retire: ils frappent indifféremment partout;
mais, pour ne pas se blesser à la tête, ils l'enveloppent d'une pièce de toile
qui ne laisse que les yeux à découvert.
Si le peuple a ses combats, les grant's ont aussi les leurs ; mais les efforts
des faibles animaux ne suffisent pas pour amuser leurs barbares loisirs.
Le tigre, la terreur de ces contrées, est nourri dans leur résidence pour
combattre contre leurs sujets; ils en conservent toujours dans le voisinage
de leur palais.
Il existe à Java deux manières de rendre la justice : celle des Euro-
péens et celle des indigènes. Les Européens s'y conduisent comme dans
les autres colonies et obéissent aux mêmes lois. Le Coran est le code
des Javanais. Ils ont deux tribunaux. Celui du panghoulou ou grand-
prêtre, qui rend la justice à l’entrée d'une mosquée musulmane appelée
Sirambi, suit rigidement les lois du prophète; c'est à lui de juger les affaires
importantes et de condamner les grands criminels. Le second tribunal est
celui de Djaksa, qui est moins sévère , et s'occupe spécialement des
affaires ordinaires. Quand la sentence est résolue, les juges la présentent au
roi, qui la prononce par lui-même ou par l'organe de son premier ministre ;
il peut appliquer la loi ou la modifier à son gré. Hors les peines afflictives,
le condamné jouit de la faculté de racheter sa peine par une amende.
Les princes de Java, quoique tous plus ou moins dépendants de la Com-
pagnie hollandaise et du gouvernement de Batavia, continuent à étaler tout
le faste du despotisme oriental. La cour du sousouhounam mérite une atten-
tion particulière comme ayant probablement conservé quelques usages
vraiment nationaux. Les noms les plus magnifiques désignent tous les
emplois; les officiers civils et militaires sont des soleils de bravoure ou des
soleils de prudence. Sourakarta paraît signifier demeure du soleil. Le titre
de sousouhouman est synonyme d’auguste. On dit qu'à l'époque de sa puis-
sance, comme chez l'ancien sultan de Bantam, son palais était habité et
gardé par 10,000 femmes, parmi lesquelles 3,000 étaient destinées spé-
cialement aux plaisirs du souverain. L'enceinte intérieure du palais
s'appelle le lhalm. Les statues des héros javanais ornent une cour circu-
laire de trois quarts de lieue de circonférence. C'est là qu'on donne les
fêtes et les combats du tigre. Deux tamariniers offrent sous leur ombrage
un asile inviolable à tout Javanais qui veut adresser des supplications à
l'empereur. Ce prince peut à peine mettre sur pied 20 à 30,000 hommes
mal armés.

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
647
Trois îles voisines de Java en dépendent sous le rapport physique et
politique.
Celle de Madoura {Madura) ou Madouré, fertile en riz, et peuplée de
60,000 âmes, forme une des dix-neuf résidences de Java. Sa végétation est
très-riche ; on y trouve le bombax, l’erythrina, le champoka, le taujoung
(mimusops elengi), le malati et le nympœa nelumbo ; l'étranger ne peut
voir sans étonnement les belles fleurs de ces plantes. L'île est divisée en
trois districts qui ont pour chefs-lieux Bangkalan, Parmokassan et Sou-
rnanap ; ces trois villes sont aujourd'hui la résidence de trois princes indi-
gènes qui gouvernent sous la suzeraineté des Hollandais.
L'île de Lombok est gouvernée par un radjah ; ses habitants, dont la civi-
lisation est assez avancée, passent pour être très-habiles dans l'agricul-
ture ; on croit que le brahmanisme et le bouddhisme sont encore suivis par
quelques-uns, et qu'on a conservé l'abominable usage d'immoler les veuves
sur le bûcher de leurs maris.
L'île de Bali (Bally), séparée de celle de Java par un détroit du même
nom, a reçu de quelques auteurs hollandais l’épithète déplacée de Petite
Java. Elle est divisée en huit petites principautés indépendantes qui por-
tent le nom de leurs chefs-lieux. Les principales sont Karrang-Assem,
Giangour, Tabanan, Billing et Kloug-Kloug qui jadis dominait sur toute
l’île : Karrang-Assem est une grande ville située au pied d'un volcan du
même nom. Son port est le seul de toute l'île qui puisse recevoir des navires
d'un fort tonnage. Une chaîne de hautes montagnes couvertes de forêts
impénétrables la traverse du nord-ouest au sud-est ; elles renferment des
minerais d'or, de fer et de cuivre. Dans la plaine extrêmement fertile en riz,
on voit Gilgil, capitale et résidence d'un sultan, située sur une rivière du
même nom qui se jette dans le détroit de Lombok, à l'est de l'île. Balinli
est aussi regardée comme une des principales villes de Bali; son commerce
est assez florissant ; elle doit cet avantage à son port où les étrangers vien-
nent à certaines époques de l'année ; ils y apportent de grosses toiles, de la
mousseline, des mouchoirs et de l'opium ; ils prennent en retour du bœuf
sec, des peaux, du suif, du massoï et de la muscade de Céram.
Les habitants, plus blancs et mieux faits que les Javanais, réunissent
beaucoup d'intelligence à beaucoup de courage. On recherche les esclaves
de Bali. Les femmes se brûlent avec leurs époux, persuadées qu'elles renaî-
tront à une nouvelle vie. Vêtus d'un costume léger, un bouclier suspendu
au bras gauche, les hommes exécutent des danses guerrières en brandis-
sant leurs crise avec des accents sauvages.

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LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
Les Balinais ont reçu leur religion de l'Inde. De même que les Redjangs
et les Baltas, ils croient à la métempsycose. Ils reconnaissent plusieurs
dieux, tels que Brahma, Vichnou, Siva, dont le culte est le plus en hon-
neur; Ségara, ou le dieu de la mer, et Râma qu’ils croient être sorti d'une
île au confluent de la Djemnah et du Gange. Dans un de leurs temples, on
voit la statue de ce dieu assise sur un taureau; c'est de là que vient le res-
pect qu'ils ont pour la vache; ils ne mangent pas de sa chair, ne se vêtent
pas de sa peau, et sont très-soigneux à ne lui faire aucun mal. Leur livre
sacré est le Niti Sastra, qui ordonne aux personnes de distinction l'absti-
nence de certains animaux. Chez ce peuple, on ne voit aucun religieux
mendiant. Celui qui veut faire pénitence se prive de certains aliments,
s'enfonce dans une solitude, ou se condamne, mais très-rarement, au
célibat.
Ils célèbrent avec une grande pompe deux fêtes religieuses, dont l'une
dure cinq jours et l'autre deux ; ils sont très-attachés à leur religion. Leurs
temples ont une étendue de 30 à 40 mètres de longueur, et renferment dif-
férentes pièces, séparées par des allées où l'on range des arbres odorifé-
rants. Les uns sont construits en briques et couverts en chaume, les autres
en bois et couverts en gamouli (boras sus gomutus). Us sont ordinairement
en mauvais état. Au dehors on voit quelques statues d'une argile grossière
et la plupart mutilées. Ceux qui exercent le sacerdoce, et qu'ils appel-
lent aïdas, sont remarquables par leur longue chevelure; ils ont un cos-
tume particulier pour les cérémonies. La rétribution qu'ils tirent des funé-
railles et du brûlement des corps fournit à leur subsistance.
La langue des Balinais est un mélange de celle de leurs voisins. Leurs
livres, presque tous mythologiques, sont écrits sur des feuilles de palmier;
ils ont une écriture grossière, lente et peu distante. Les établissements des-
tinés à l'instruction sont en très-petit nombre : aussi y a-t-il très-peu de
personnes qui essaient d'écrire. Le mois se compose chez eux de trente cinq
jours, et l'année, qui commence au mois d'avril, de 420 jours 1.
Bali et Lombok ont une population que l'on évalue, en 1849, à
1,205,000 âmes 2, elles font partie du même gouvernement hollandais, et
sont du ressort de la résidence subordonnée de Banjoevanji dans l'île de
Java.
A l'est de Lombok s'étend l'île de Sumbava ou Soumbava, longue de 60
1 M. de Rienzi : Description de l'Océanie.
2 Rapport présenté en 1852 aux états-généraux néerlandais, par le ministre de la
marine.

OCÉANIE. — MALAISIE. —ILES DE LA SONDE.
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a 70 lieues sur 20 dans sa plus grande largeur. Sa population est d'environ
80,000 âmes. Elle est divisée en plusieurs petits Etats; les principaux sont :
le Dompo ou Dompou, le Soumbava, le Pekat, le Sangaz, le Tomboro,
dont le fameux volcan détruisit en 1815 le cinquième de la population, et
le Bima, avec une ville du même nom. Ce dernier district, couvert
d'immenses forêts, renferme des mines d'or, de cuivre et de fer. Le sol de
l'île de Soumbava, presque déserte depuis la cruelle famine qui suivit
l'éruption du volcan de Tomboro, est presque stérile; le riz, des arachides
ou pistaches de terre, du tabac, des nids d'oiseaux, des paillettes d'or et des
chevaux de petite taille sont la base de son commerce. Tous les princes de
l'île, réunis dans une confédération, ont conclu, avec la Compagnie hollan-
daise, un traité qui assure à celle-ci un commerce exclusif-, mais ce traité
n'est pas exécuté rigoureusement. Soumbava est une assez grande ville, avec
un bon port. Le royaume de ce nom comprenait autrefois l'île de Lombok ;
aujourd'hui il dépend du sultan de Bima. La petite ville de Bima possède un
port dont l'entrée est majestueuse. L'île de Manggaray ou Comoro, qui
forme avec Soumbava le détroit de Sapi, fait aussi partie de l'État de Bima.
On connaît peu l'île de Florès ou plutôt Endé, appelée aussi Mangderaï,
qui s'étend à l'est de Soumbava sur une longueur de plus de 60 lieues et
une largeur de 20. Les Portugais y avaient établi une colonie qu'ils parais-
sent avoir abandonnée ; cependant ils ont encore une église à Larantouka,
où chaque année des prêtres de Timor vont baptiser les enfants des nou-
veaux convertis. Les Bouguis occupent la côte méridionale de cette île,
dont le reste est divisé en plusieurs petits Etats indépendants ; ils en expor-
tent des esclaves, de l'huile de coco, de l'écaille, du bois et une can-
nelle commune.
Au sud d'Endé est située Sandal-Bosch ou Sandana, que les Malais
nomment Poulo-Tjinnuna, île presque abandonnée, où l'on trouve du
bois de santal, des buffles, des chevaux et des faisans. Elle est très-escar-
pée dans sa partie méridionale, et paraît être indépendante.
L'île de Solor est peu étendue; son sol, montagneux et stérile, n'offre
que des nids d'oiseaux et quelques bambous aux habitants, qui font un
grand commerce d'huile de baleine, d'ambre gris et de cire. Les Hollan-
dais y possédaient le fort Frederik-Henrick; mais les Portugais regardent
comme leurs vassaux les petits princes ou radjahs qui gouvernent cette
île. Les Soloriens passent pour d'excellents navigateurs. Sobrao, longue
d'environ 10 lieues, large de 5, et peuplée de Malais, dont un grand nombre
ont été convertis au christianisme par les missionnaires portugais, est gou-
V.
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LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
vernée par un radjah dont la résidence est, Adinara, petite ville qui donne
aussi son nom à l'île. Lomblem, un peu plus grande que la précédente et
habitée aussi par des Malais, est divisée entre plusieurs radjahs qui parais-
sent être indépendants.
Panlar ou Panier, à une douzaine de lieues au nord de Timor, est une
île montueuse où l'on remarque deux pitons d'origine volcanique. Un îlot
situé vers sa pointe méridionale a reçu des navigateurs anglais le nom d’île
South : le sol en est peu élevé. Ombay ou Mallua est assez élevée. Sur beau-
coup de points, les côtes sont très-escarpées et n'offrent souvent aux canots
qu'un abordage difficile, sans aucun mouillage pour les navires. Ces deux
îles sont peuplées par une race guerrière et barbare qui passe même pour
être anthropophage.
Au sud des cinq îles que nous venons de nommer, se trouve la grande
île de Timor, dont le nom, dit-on, signifie orient. Sa longueur est d'envi-
ron 105 lieues et sa largeur de 20 à 25. Ses montagnes calcaires, compo-
sées jusqu'à la hauteur de 250 mètres de coquillages marins, se couvrent
de toutes sortes d'arbres et d'arbrisseaux. Le bois de santal, la cire des
abeilles sauvages et les nids d'hirondelles salanganes, sont à peu près les
seuls objets qu'elle exporte. Cependant, on y a reconnu de beaux eucalyp-
tus, et une espèce de sapin qui pourrait fournir des mâts: Le cafeyer y a
réussi, et les forêts de l'intérieur possèdent le cannellier, le latanier, le cas-
sier, le manguier, peut-être même le giroflier. Le sol pierreux et le terrain
coupé de montagnes et de ravins laissent peu d'endroits propres à la cul-
ture du riz ; et sans les bananiers, les cocotiers, les jacquiers, les eugenia
et autres arbres fruitiers, Timor ne saurait nourrir sa population, que l'on
évalue à 1,057,800 âmes, en y comprenant les îles qui en sont voisines
(Ombay, Soamba, Savoë, Rotti, etc.). Les rivières charrient souvent de
l'or, mais ne roulent pas en général des eaux salutaires. La chaleur et
la sécheresse qui règnent depuis mai jusqu'en novembre, cèdent la place à
des torrents de pluie qu'amène l'impétueux vent du nord-ouest, depuis
novembre jusqu'en mars. Le climat de celte île n'est par très-sain, cepen-
dant elle forme une résidence hollandaise, dont le chef-lieu, défendu par le
fort Concordia, prend le nom de Coupang; c'est une ville de 3,000 âmes,
fort agréablement située au fond d'unepetite rade, au milieu de vergers déli-
cieux qui, presque sans culture, prodiguent toute l'année les fruits les
plus exquis et les odeurs les plus suaves. Les métis des Européens , les
colons chinois et les Malais y passent leurs jours dans un voluptueux
loisir, se reposant sur leurs esclaves des soins de la vie.

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
651
La côte nord-est de Timor obéit aux Portugais, qui, après avoir aban-
donné le poste de Lifao, ont maintenant un fort à Dillé ou Diely, endroit
pourvu d'une rade et peuplé de 2,000 âmes. Une colonie de Portugais,
mêlés d'indigènes, occupe Je canton Uikoessi, sur la côte septentrionale.
Les chefs indigènes de toute la côte méridionale sont indépendants, et
règnent sur des peuplades de nègres semblables à ceux qui vivent dans
l'intérieur de Bornéo et des autres îles voisines. Le despotisme, la supers-
tition et la volupté donnent aux Timoriens la même physionomie qui règne
chez les autres insulaires de cette partie du monde. Quelques radjahs, ou
princes, se disent descendants des caïmans où crocodiles, et paraissent
dignes de cette illustre origine.
Entre le cap San-Jacintho et le cap Batou-Méra, s'élève la petite ville de
Sétérena, qui appartient aux Portugais. Le mouillage qui est en face de cette
ville se nomme Rade des Portugais. A l'est du cap Batou-Méra, on
voit Tobonikan, petite cité agréablement située dans une vallée ombragée
de cocotiers et de palmiers. Au nord-est de Sétérena, on voit au fond d'une
anse la ville d’Atapoupou, qui s'étend au milieu de nombreux groupes d'ar-
bres. Cette ville appartient aux Portugais, ainsi que celle de Boutouguédé.
Suivant les renseignements les plus récents, Timor est partagée en 63
petits Etats, presque tous vassaux des Portugais et des Hollandais. Les
tribus de Bellos sont vassales des premiers, et celles de Vaïkenos recon-
naissent la suprématie des seconds. Luka, sur la côte méridionale, et
Samoro. dans la partie centrale, sont les capitales de deux royaumes peu-
plés de Bellos. L'Etat de Vealé est le plus important chez les Vaïkenos; le
prince a sa résidence dans l'île Simao, dont il est le souverain. Le chef de
l'Etat d'Amanoubang prend le titre pompeux d'empereur. Dans l'intérieur
se trouvent quelques chefs tout à fait indépendants.
Le paganisme domine à Timor, bien que la plupart des princes préten-
dent être chrétiens. Les naturels ont la plus grande vénération pour le cro-
codile, auquel ils continuent, dit-on, d'offrir quelquefois une jeune vierge
en sacrifice.
L'île Simao, au sud-ouest de Timor, peu fertile, quoique couverte
d'arbres, offre un refuge aux vaisseaux que la mousson du nord-ouest
chasse de la rade de Coupang. L'île Kambing ou Cambi, situéeentre Simao
et Timor, présente un phénomène de géographie physique; ce sont des
ébullitions d'eau sulfureuse, semblables aux salses de l'Italie. L'île de Rotti,
plus étendue, est aussi plus fertile; elle fournit aux Hollandais beaucoup do
riz et du jaggari, ou sucre de palmier. Selon Cook, on y faisait du sucre

652
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
de canne. Les habitants, mieux faits et plus robustes que les Timoriens,
repoussent le joug européen et la religion chrétienne ; cependant leurs
quinze radjahs sont maintenant vassaux des Hollandais. On les accuse de
mener une vie très-licencieuse et d'avoir les goûts les plus honteux. Leurs
femmes sont recherchées pour les harems de Soumâtra, de Java et de Timor.
Les habitants de la petite île Dao sont tous orfèvres.
Savou est le nom de deux petites îles à l'ouest de la précédente ; quoique
très peuplées, elles exportent beaucoup de riz. Leur fertilité étonnante
brave même les sécheresses les plus prolongées. Les hommes s'arrachent
la barbe, et ont conservé quelques traces du tatouement, ou de l'usage de
se graver des figures dans la peau. Ces deux îles, situées entre Timor et
Soumbava, sont gouvernées par quatre radjahs tributaires des Hollandais.
A l'est d'Ombay et a 7 lieues au nord de Timor, l'île Wetter est mon-
tueuse, et présente dans le contour de ses côtes plusieurs baies assez éten-
dues. Bien qu'elle ait peu de cours d'eau, elle est presque entièrement cou-
verte de bois. Les Hollandais ont un comptoir dans la partie orientale de
cette île.
Au sud-est de Wetter, l'île de Kisser n'a que 2 lieues de longueur du
nord au sud ; une montagne en occupe le centre. Les Hollandais ont un
comptoir sur la côte occidentale, dans une petite baie où les navires peu-
vent mouiller et se procurer des rafraîchissements.
A partir de Wetter, les îles de la Sonde forment une chaîne de petites
îles où l'on remarque Borna, dont le sol est peu élevé-, Danimar, qui ren-
ferme un volcan-, Teuw et Nila. A l'est de Timor, on trouve Letti et Moa,
dont les habitants sont idolâtres, et élèvent de nombreux moutons recher-
chés à Banda ; Lakar, ou Lakor, dont les habitants n'ont pas d'autre eau
que celle de pluie ; et plus loin, Sermata, Welang et Baber, où les Hollan-
dais avaient autrefois un poste; la belle île de Timor-Laout, qui, avec celle
de Laarat, forme une grande baie-, enfin les îles Key.
Ces îles, fertiles en cocotiers, limoniers, orangers et pisang, nourrissent
une nation semblable aux Malais par le teint et les cheveux. Chaque village
a son chef, son temple, son idole. Ils se font la guerre entre eux au sujet
de la pêche. Les dépouilles mortelles de l'homme sont inondées d'huile,
séchées devant le feu, et conservées plusieurs mois avant que d'être enter-
rées; usage qui rappelle les insulaires de Taïti. Faibles et mal armés, ces
peuples n'ont montré aux Européens que des manières douces et hospita-
lières. Ils vont commercer à Banda. Leurs seuls mammifères sont les
chèvres et les cochons.



OCÉANIE. — MALAISIE. — ILES DE LA SONDE.
653
Le détroit de Bali offre une route sûre aux vaisseaux qui retournent en
Europe pendant la mousson d'ouest, et qui alors ne peuvent que difficile-
ment passer par le détroit de Sunda. Ici les courants très-forts les entraînent,
même avec un vent contraire.
Au nord de Java et au sud-ouest des îles Philippines s'étend la grande
terre à laquelle les Hollandais donnèrent en 1530 le nom de Bornéo, et
que les naturels appellent à juste titre Kalemantan, Tana-Bessar-Kale-
mantan, Poulo-Kalemantan, noms qui signifient île de Kalemantan,
grande terre de Kalemantan. C'est la plus considérable des îles connues
après la Nouvelle-Hollande. Elle peut avoir 315 lieues de long sur une lar-
geur qui varie depuis 45 jusqu'à 245 lieues ; elle en a 200 de large sous
l'équateur. Cette grande largeur a empêche les Européens de pénétrer
dans les parties centrales-, l'insalubrité de l'air les a éloignés des côtes :
aussi la géographie de Bornéo est-elle restée bien incomplète.
La principale chaîne de montagnes se dirige du nord au sud, et s'ap-
proche très-près de la côte orientale. Les Hollandais lui donnent le nom de
Monts Cristallins, à cause des nombreux cristaux qu'on y trouve. Un des
principaux sommets s'appelle, chez les indigènes, Kinibalou, ou mont
Saint-Pierre ; il a 3,250 mètres d'élévation. Une seconde chaîne va de l'est
à l'ouest, et donne naissance à la plus grande partie des rivières. Un ou
deux volcans et des tremblements de terre ont souvent bouleversé cette île.
Les côtes, sur une largeur de 5 à 20 lieues, n'offrent que des terrains
marécageux et en partie noyés, et mouvants. On n'y peut avancer qu'en
naviguant sur les fleuves, qui y forment un grand nombre de branches et
de canaux.
Le Kappouas, qui traverse presque les trois quarts de l'île de l'est à
l'ouest , est le fleuve le plus considérable. Le Bandjer-Massing et le
Reyang ou Rayoung prennent leur source dans les montagnes qui se trou-
vent au sud du lac Danao-Malayou, et coulent ensuite du nord au sud. Le
Varouni, appelé aussi Bornéo, prend sa source dans la chaîne principale,
se dirige du sud au nord-ouest , et se jette dans l'Océan après avoir reçu un
grand nombre de rivières-, à la distance de 20 milles de la mer il est navi-
gable pour des navires de 300 tonneaux. On remarque encore le Kinaba-
tangan, qui est plus longtemps navigable que le Bandjer-Massing, et se
jette dans la mer des Philippines. Le Κouran, le Passir, le Kotti et plu-
sieurs autres, dans la partie orientale, peuvent porter de petits vaisseaux ·,
ils prennent leur source dans la chaîne des montagnes situées au nord-
ouest du territoire de Bandjer Massin. Dans la partie occidentale se trou-

654
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
vent cinq grandes rivières navigables-, ce sont : la Ponthianak, la Sambas,
la Lava, le Pogoro et la Soukadana; leurs embouchures, obstruées par des
bancs de sable, ne permettent l'entrée qu'aux petits navires.
Les baies principales sont, au nord, celle de Malloudou ; au nord-est,
celles de Lohlok et de Sandakan; à l'est, celles de Darvel, de Santa-Lucia,
de Salawang, de Balik-Papan et la baie Profonde; au sud la grande baie
de Bandjer-Massing ; au sud-ouest celle de Soukadana; à l'ouest la baie
de Sedang et celle de Bornéo.
Nous nommerons parmi les caps les plus remarquables le Sampanmang
au nord, les caps Kinabatangan, Kenneungan et Donderkom à l'est-, les
caps Salatan, Sambar et la pointe Pilatle au sud; enfin les caps Apy,
Dalo, Sisar et Baram à l'ouest.
Le lac Kini-Ballou, dans la partie septentrionale, est le plus considé-
rable de l’Océanie ; son diamètre est de 12 à 15 lieues; la profondeur de
ses eaux blanchâtres varie de 4 à 7 brasses. Comme il renferme plusieurs
petites îles, les Hollandais lui donnent quelquefois le nom de mer. Le
Danao -Malayou couvre, au centre de Bornéo, un espace de 8 lieues de lon-
gueur sur 4 de largeur-, la profondeur de ses eaux varie de δ à 6 mètres.
Comme dans le Kini-Ballou , on y remarque plusieurs petites îles et un
très-grand nombre d'espèces de poissons.
Quoique située sous la ligne équinoxiale, l'île de Bornéo n'éprouve
point des chaleurs insupportables. Les brises de mer, celles des montagnes,
et, depuis novembre jusqu'en mai, des pluies continuelles y rafraîchissent
l'atmosphère. Le thermomètre varie peu à Soukadana ; il ne descend guère
au-dessous de 28 degrés centigrades, et s'élève rarement au-dessus de 35.
Le fer, l'étain, le cuivre, se trouvent dans plusieurs montagnes; les
districts de Sadang et de Saravah produisent l'antimoine; ce minéral ne
s'y trouve pas comme dans les mines de l'Europe, mais il est par couches
entassées les unes sur les autres, comme les pierres dans les carrières. L'or
abonde dans l'île, mais il n'est pas caché au fond des entrailles de la terre :
on le trouve à une petite profondeur; les mines les plus abondantes sont
celles de Trado, de Mandour, de Landak, à'Ambauwang, de Bornéo et de
Bandjer-Massing. Les diamants se trouvent dans des terrains meubles, à
peu de distance de la surface; les plus fins sont ceux de Landak, exploités
par les Dayaks1. Le radjah de Matan possède un des plus gros diamants
connus; brut, il pèse 3G7 carats, et taillé il en pèserait 184. Les Malais
attribuent à cette précieuse pierre la vertu de guérir toutes les maladies;
1 M. D. de Rienzi ; Description de l'Océanie.

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILE BORNÉO.
655
heureux les malades qui peuvent boire de l'eau dans laquelle elle a été
trempée !
La côte septentrionale de l'île est la plus riche, la plus fertile et la plus
salubre. On y trouve des forêts de styrax, arbre qui ressemble au sapin et
qui produit des graines odoriférantes, et la célèbre résine de benjoin ; le
canari (canarium), renommé pour ses noix ; le bananier, dont le fruit est
appelé figue de paradis; le kouming, dont la pulpe fournit une huile esti-
mée ; une espèce de durion qui produit des fruits plus gros que la tête d'un
homme, et le dammara, dont la résine, appelée dammer, est recherchée.
On cultive le riz, les ignames, le bétel et toutes sortes d'arbres fruitiers
des Indes. Les choux-palmistes servent de nourriture. Les forêts contien-
nent des arbres d'une hauteur prodigieuse; il y en a qui fournissent d'ex-
cellents bois de construction, d'autres donnent les gommes appelées sang-
dragon et sandaraque. Dans quelques montagnes au sud-ouest de l'île, on
prétend avoir trouvé des bosquets de muscadiers et de girofliers1. Une
production mieux connue et la plus précieuse de toutes, c'est le cam-
phrier, qui croît dans toute sa perfection. Le camphre de Bornéo se vend
12,000 francs le quintal, tandis que celui de Soumâtra ne coûte que
8,000 francs ; celui du Japon se donne à un prix incomparablement plus
bas. Les rotangs y abondent; on exporte une grande quantité de ces joncs
précieux. Le poivre, le gingembre, le coton, y croissent, et la culture des
muscadiers et des girofliers y a réussi.
C'est à Bornéo qu'on trouve les plus grandes espèces de singes, le pongo
de Wurmb, qui a environ 1 mètre 30 centimètres de hauteur, et l'orang-
outang, qui ressemble encore plus à l'homme par son aspect, ses manières
et son allure. On a observé une espèce d'orang-outang inconnue aux
autres pays; elle approche beaucoup plus de l'homme que l'espèce carac-
térisée par son nez saillant, la conformation de sa tête et de ses membres ;
mais ses mains, au nombre de quatre, établissent entre ces deux êtres une
énorme différence. On y voit le gibbon, adoré à Java, et plusieurs autres
espèces du même genre, appelées par quelques auteurs siamang et wou-
WOU ; enfin , l'orang-roux (pithecus satyrus), que l'on rencontre par
troupes qui se rassemblent pour dévaster les plantations de cannes à sucre,
les récoltes de riz et les fruits.
Cette île possède encore deux espèces de bœufs sauvages de très-grande
taille, des sangliers, des tigres, des éléphants, deux espèces de rhinocéros,
1 Valentyn : Description de Bornéo, IV, 235; voyez la Carte annexée. — Raderma-
cher, Description de Bornéo,

656
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
le bicorne et l'unicorne. Ces derniers animaux ne sont point répandus dans
l'île entière; on en voit seulement dans les districts d'Oungsang et de Pai-
tan, au nord, de même qu'on ne trouve les chevaux que dans ceux de
Padassang et Tanpassak, également situés dans la partie septentrionale.
Les animaux répandus dans toute l'île sont: l'ours, dont on distingue deux
espèces au pelage noir, l'ours de Bornéo (ursus euryspilus) et l'ours malais
(ursus malayanus) ; la civette, qui produit le musc, la loutre, plusieurs
variétés de chèvres, le babiroussa, les chiens, les chats, les rats, des tor-
tues, le cochon, le porc-épic, des crocodiles et des serpents très-nombreux
en espèces.
Les espèces d'oiseaux sont innombrables, et pour la plupart très diffé-
rentes de celles de l'Europe. Ou y trouve en abondance l'hirondelle dont
on mange les nids, des paons, des oies, des canards sauvages, des poules,
des pigeons et diverses espèces de perroquets. Les abeilles sont en si grand
nombre, que la cire est un article très-considérable d'exportation. Les vers
à soie y sont indigènes. Les côtes abondent en mollusques et en crustacés.
Les rivières et les lacs nourrissent une foule de poissons différents.
La population de l'île paraît être de 3 à 4 millions d'individus.
Les États qui se trouvent le long des côtes sont en partie vassaux des
Hollandais et en partie indépendants. Les premiers forment deux grandes
provinces connues sous les dénominations de résidence de la côte occiden-
tale (en hollandais West Kust), et résidence des côtes orientale et méridio-
nale (Zuid en oost Kust) 1.
Dans la première de ces résidences sont compris les États du radjah de
Sambas, ceux de Moumpava, de Ponthianak, de Landak, de Simpang et
de Matan.
Le royaume de Sambas possède les mines renommées de Semini et de
Lara; la partie septentrionale est habitée par des pirates dayaks. Sa capi-
tale est Sambas, petite ville, avec un fort hollandais; elle est située à
12 lieues ½ de l'embouchure de la rivière qui porte le même nom; elle n'a
de remarquable que le palais du sultan, orné de tableaux et autres richesses
des Européens qui ont été victimes de la piraterie à laquelle se livraient les
habitants avant que les Hollandais y eussent un résident. Les maisons de
Sambas sont les plus misérables que l'on puisse imaginer : elles sont
toutes construites en bois sur des radeaux flottants, amarrés à de gros
1 Pour compléter ce que nous avons dit des possessions hollandaises de la Malaisie,
on peut consulter la belle carte (en plusieurs feuilles) des Indes Néerlandaises que
nous devons à M. le baron de Derfelden de Hinderstein ; cet important travail est
accompagné d'un volume in-4° qui lui sert d'explication.
V. A. M-B.

OCÉANIE. — MALAISIE. - ILE BORNÉO.
657
pieux placés dans le fleuve. Celle du sultan ne diffère des autres que parce
qu'elle est plus grande. Les environs de cette ville abondent en poudre d'or.
Le sultan de Sambas est le plus puissant de la côte.
Le royaume de Moumpava est arrosé de l'est à l'ouest par la rivière de
Soungui-Raïah, sur laquelle se trouve un port du même nom, principale-
ment fréquenté par les Chinois. En quittant ce port et en s'avançant sur la
rive gauche de la rivière, on entre dans les districts montagneux de Matrado
ou Montrado, et de Mandour, riches en métaux. Ce pays est uniquement
habité par des colons chinois, dont la plupart s'occupent de l'extraction
des mines. La ville la plus importante est Montrado, qui s'élève au pied
d'une montagne dont elle prend le nom ; elle renferme environ 3,000 habi-
tants. Elle consiste pour ainsi dire en une seule rue longue de trois quarts
de mille. On n'y remarque ni temple ni bâtiment destiné à un culte reli-
gieux; les habitants ont chez eux leurs idoles. En allant vers l'intérieur de
l'île, on trouve les cantons de Lourak, de Salakao, de Sinkana ou Sin-
kaouan et de Madar, où les Chinois ont des établissements. Les villes les
plus importantes portent presque toutes le nom du canton où elles se trou-
vent. En général, elles ne consistent qu'en une ou deux rues dont les mai-
sons en bois sont couvertes en chaume.
Le royaume de Ponthianak, au sud du précédent, est arrosé par la grande
rivière qui lui a donné son nom. Il fournit beaucoup de poudre d'or; Pon-
thianak, sa capitale, bâtie à l'embouchure de la rivière, dans un sol maré-
cageux, est remarquable par son commerce et par la grande quantité d'es-
claves qu'elle renferme. Les Chinois y apportent des marchandises et rem-
portent des bois de teinture, des rotangs, de la cire, du camphre, des nids
d'oiseaux et de l'or. Le climat est sain; on n'y connaît presque en fait de
maladies que la petite vérole, qui y fait les plus affreux ravages. Sa popu-
lation s'élève à 3,000 habitants.
Le royaume de Landak, à l'est du précédent, est arrosé par la rivière du
même nom ; il s'étend dans l'intérieur de l'île-, on n'en connaît que la partie
occidentale. Sa ville principale paraît être Landak, aux environs de laquelle
on trouve les diamants dont nous avons déjà parlé.
Le royaume de Matan se trouve au sud-ouest de l'île. La capitale actuelle,
située sur les bords de la rivière de Katappan, est la résidence du radjah.
C'est dans ce royaume que se trouve l'antique Soukadana, ville aujour-
d'hui déchue, mais qui fut la capitale d'un empire puissant.
Le pays de Simpang et celui de Kandawangan sont gouvernés par des
princes qui se reconnaissent vassaux du radjah de Matan.
V.
83

658
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
Les côtes sont occupées par des Malais, des Javanais, des Bougasses
ou natifs de Célèbes, et quelques descendants d’Arabes. Ces peuples, ainsi
que ceux de l'intérieur qui en diffèrent, et que l'on distingue en Dayaks,
Idaans, Tidouns, Biadjous, Kayans, Dousoums, Marouts, etc., obéissent
à de nombreux despotes qui prennent le titre de sultans. Le mahométisme
est la religion dominante. Les princes et les nobles étalent un luxe barbare.
La seconde résidence hollandaise renferme le royaume de Bandjer-Mas-
sing, baigné par le fleuve de ce nom. Elle se compose d'un grand nombre
de cantons, tels que ceux de Pambouan, de Komaay, de Mandava, de
Bandjer, du Grand et du Petit-Dayak, de Tana-Laout, de Tatas , de
Martapoura, de Karang-intan, de Doukou-Kanang, de Doukou-Kirié et
du Doussoun, qui comprend les grandes plaines qui bordent le fleuve.
Martapoura ou Boumi est la résidence du sultan de cette vaste contrée ,
et Bangjer-Massing est le chef-lieu de la résidence hollandaise. Cette ville
bâtie sur la rivière du même nom, dont l'embouchure est encombrée de
bancs de sable, est assez commerçante-, sa population est de 6,000 habi-
tants. Près de cette ville est le fort de Talas, que certains géographes nom-
ment Tatar, et qui est occupé par les Hollandais.
Les États indépendants occupent plus de 22,500 lieues carrées. Le plus
remarquable est celui de Varouni sur la côte septentrionale ; c'est la partie
la plus peuplée de Bornéo. La capitale est Varouni ou Bornéo, la ville la
plus commerçante et la plus importante de l'île; son commerce principal
est avec le détroit de Malacca; son hâvre est spacieux et à l'abri des vents.
Bâtie à l'embouchure du Bornéo, au milieu des marécages et au niveau de
la marée haute, elle présente un singulier coup d'œil : ses maisons, au
nombre de 4,000, s'élèvent sur des poteaux et communiquent ensemble par
des ponts de bois; ses rues sont de petits canaux: c'est la Vénise de la
Malaisie. Le fort seul est bâti sur la terre ferme ; le nombre des habitants
est d'environ 12,500. Cette ville est la résidence d'un sultan qui régnait
autrefois sur l'île entière. De là vient que les Européens ont appelé
celle-ci Bornéo, du nom de ce royaume ; mais ils auraient dû la nommer
Varouni.
Nous citerons encore sur la côte orientale deux petits États indépen-
dants : le royaume de Passir et celui de Kotti. Les princes qui les gou-
vernent sont Malais ; ils résident à Passir et à Kotti ; leurs sujets sont des
corsaires redoutés.
A l'orient de Varouni s'étend le pays des Tirouns ou Tidouns ; la côte
est généralement basse et marécageuse. C'est de toutes les parties à l'orient

OCÉANIE. —MALAISIE. — ILE BORNÉO.
659
la plus riche en or. On y voit un grand nombre de rivières navigables. Les
habitants paraissent être venus des Philippines ; ils se nourrissent de sagou
et se font redou ter par leurs pirateries. Les villes les plus considérables de ce
peuple sont Tapian-Dourian, les ports de Sibouka et de Kouran, et quel-
ques bourgs peu considérables. Dans leurs expéditions militaires, les Tindous
se nourrissent après le combat de la chair des ennemis ; ils sont naturelle-
ment cruels, fourbes et emportés.
Les Malais des côtes dont nous venons d'indiquer les principaux États
sont des colonies venues de Java et de Soumâtra. L'intérieur est peuplé
d'une race également malaie, mais plus anciennement établie dans l'île. On
les appelle les Biadjous ou proprement les Viadhjas, nom évidemment san
skrit, et synonyme avec ceux de Battas, Wedas et Vyadhias ou sauvages de
Soumâtra, de Ceylan et de l’Hindoustan. On en appelle quelques tribus
Malem, nom qui en hindoustani, signifie montagnards. Enfin, les échan-
tillons qu'on a recueillis de leur langue renferment beaucoup de mots com-
muns au malai et au sanskrit, circonstance qui met dans un nouveau jour
l'ancienne parenté de toutes ces nations.
Ces indigènes de Bornéo s'appellent eux-mêmes Dayaks au sud et à
l'ouest, et Eidahans au nord. Ils sont d'un teint plus clair que les Malais ,
d'une haute stature, d'une constitution robuste et d'un caractère naturel-
lement doux, simple et paisible; ils sont patients, équitables, mais leur
justice ne s'exerce point envers les étrangers; ils sont très-intelligents pour
ce qui concerne les arts mécaniques ; leur extérieur est agréable. Tant
et de si belles dispositions sont effacées par leurs préjugés et leurs supersti-
tions, qui en font des hommes extrêmement féroces et sanguinaires. Les
principaux d'entre eux s'arrachent une ou plusieurs dents de devant, pour
en substituer d'autres d'or. Ils se peignent le corps de diverses figures ,
et ne portent qu'une ceinture pour tout vêtement. Les habitations sont de
vastes huttes en planches, sans aucune cloison, et qui contiennent quel-
quefois jusqu'à 100 personnes. Les Biadjous suspendent au-dessus de
l'entrée de leurs huttes les crânes de leurs ennemis ; les jeunes gens ne
peuvent se marier avant d'avoir coupé soit une tête, soit les parties viriles
d'un ennemi. Entre eux ils observent des lois sévères. Les femmes mêmes
sont traitées avec douceur ; elles se couvrent d'une écharpe et d'un énorme
bonnet ou parasol de feuilles de palmier. Quelques-unes d'elles se distin-
guent par leur talent pour la danse pantomimique.
Les Alforèses ou Haraforas, peuplade de l'intérieur, ne paraissent guère
différer des Eidahans que par un teint plus bronzé et par l'extrême lon-

660
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME.
gueur des oreilles. Les danseuses de cette tribu, recherchées par les Euro-
péens, font admirer leur docile souplesse dans des pantomimes généralement
licencieuses.
Outre ces peuples mal connus, on nomme encore les Négrillos ou noirs,
tribu qui doit habiter les forêts inaccessibles même aux Eidahans, et dont
les Européens ne paraissent avoir vu aucun individu. Leur nom semble dire
que ce sont de vrais nègres, comme les Papouas de la Nouvelle-Guinée.
Il existe encore une foule de peuples que nous ne nommerons pas, attendu
qu'ils n'ont rien qui les caractérise; leurs habitudes, leur religion et leurs
lois sont à peu près celles des Dayaks. Comme ces derniers ils cultivent peu
la terre, et vivent de la chasse ou de la pêche. Ils estiment beaucoup la chair
du chien, du buffle et les pieds du chameau ; ils mangent les gazelles, les
perroquets, les serpents, les crocodiles, les tortues, une espèce de chauve-
souris, les singes et le jeune requin. Ils sont commerçants et portent dans
les marchés voisins les productions naturelles du sol ; ils font des cordages,
de la poterie, des outils de fer ; les femmes fabriquent des étoffes de soie
et de coton. La plupart font grand cas de l'or et des diamants; d'autres ne
les exploitent que pour les vendre aux étrangers et en obtenir des mar-
chandises ; ils diffèrent de langage et se font une guerre continuelle.
Leurs armes sont la sarbacane pour lancer les flèches, l’épée , la lance,
les bâtons et de longs boucliers. Leurs vêtements consistent en une cein-
ture de toile de coton ou d'étoffe en écorce d'arbre roulée autour des reins ;
les guerriers sont couverts de peaux d'ours et de léopards. Leur gouver-
nement est despotique, et la dignité de sultan est héréditaire.
Plusieurs nations européennes ont essayé longtemps en vain de s'établir
sur les côtes de Bornéo. Les indigènes ont constamment chassé ou mas-
sacré ces étrangers. Les Hollandais, qui d'abord formèrent en 1643 un
établissement à Ponthianak-, n'avaient pas été mieux traités ; mais ils repa-
rurent sur les côtes en 1748. Leur escadre, quoique très-faible, en imposa
tellement au prince de Tatas, qui possédait seul le poivre, qu'il se déter-
mina à leur en accorder le commerce exclusif; seulement il lui fut permis
d'en livrer 500,000 livres aux Chinois. Depuis ce traité, la Compagnie hol-
landaise envoya à Banjer-Massing du riz, de l’opium, du sel, de grosses
toiles, objets sur lesquels elle gagna à peine les dépenses de son établis-
sement. Ses avantages consistaient dans le bénéfice que l'on pouvait faire
sur les diamants et sur 6,000,000 de livres pesant de poivre.
En 1823, une expédition hollandaise remonta la Ponthianak et s'empara
successivement des territoires des princes restés jusqu'alors indépendants.

OCÉANIE. — MALAISIE. — ILE BORNÉO.
661
C'est réellement de cette époque que date la suprématie que les Hollandais
exercent sur plus de la moitié de l'île. Les Chinois prennent une part active
au commerce de Bornéo.
Les Anglais avaient formé, en 1773 et 1803, dans l'île Balambangang,
au nord de Bornéo, un établissement qui a été détruit par les indigènes ;
en 1813 une nouvelle tentative ne leur réussit guère mieux ; mais en 1846,
ils ont obtenu du sultan de Bornéo la petite île de Labouan ( Labuan ) sur
la côte occidentale de Bornéo. Cette île est d'une grande importance
pour eux ; c'est un point de relâche pour ses bâtiments qui, de Calcutta
et Singapour, vont à Manille et dans les différents ports de la Chine.
C'est d'ailleurs un point stratégique pour les expéditions qu'il faut entre-
prendre presque annuellement contre les pirates malais qui infestent ces
parages.
Les îles voisines de Bornéo, et que l'on peut regarder comme dépen-
dantes de cette grande terre, sont, comme celle de Labouan, toutes très-
petites; cependant nous ne devons pas les passer sous silence. Dans la mer
de la Chine se trouvent, à l'ouest de Bornéo, les îles de Natuna ou Natouna,
qui se divisent en méridionales et septentrionales. Ce ne sont que des îlots,
à l'exception de la Grande-Natuna, nommée par les Malais Poulo-boung-
ouran, et qui a environ 14 lieues de longueur du nord au sud sur 6 de
largeur. Elle est couverte de montagnes assez hautes; ses côtes sont en
partie basses et sablonneuses et en partie escarpées. Plus à l'ouest, les
îles Anambas sont peu connues et d'ailleurs peu importantes. La Grander
Anambas paraît être seule habitée.
Au sud, dans la mer de Java, les petites îles de Solombo, qui dépendaient
jadis du Bandjer-Massing, sont devenues un repaire de pirates malais.
Poulo-Laut ou Poulo-Laout, qui n'est séparée que par un étroit canal de
la côte du sud-est de Bornéo, renferme une colonie de Bouguis.
A l'est, dans la mer de Célèbes, le groupe de Maratuba ou Maratouba
comprend une île de 9 lieues de longueur. Les Soulous y vont pêcher des
holothuries.
Au nord, dans la mer de Mindoro ou des Philippines, on trouve le groupe
de Cagayan, habité par les Bissagos, qui font le métier de pirates.
FIN DU TOME CINQUIÈME.


TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE CINQUIÈME VOLUME.
Pages
LIVRE CENT UNIÈME. — Description de l'Amérique. — Considé-
rations générales. —Orographie et géologie de l'Amérique. — Origine
des Américains.
1
Différence que l'on remarque dans la configuration de l'ancien et du nouveau con-
tinent.
2
Systèmes des montagnes. — Constitution géognoslique des montagnes.
Ibid
Climats de l'Amérique.
7
Tableau des bassins de l'Amérique. — Fleuves. — Lacs.
9
Richesse métallique. — Animaux. — Végétaux.
10
Hommes. — Langues. — Usages.
13
Migrations. — Probabilités de l'origine asiatique de quelques peuples américains.
24
Tableau des élévations des principales montagnes de l'Amérique.
28
LIVRE CENT DEUXIÈME. — Suite de la Description.de l'Amérique.
— Terres Arctiques.
30
Aridité naturelle de la description de ces contrées.
Ibid
Question du passage au nord-ouest.
Ibid
Difficultés d'une exploration maritime ou terrestre dans ces parages.
31
Ce que l'on doit appeler Terres Arctiques.
32
Description de la presqu'île Melville et de la presqu'île de Boothia-Félix.
33
Opinion émise par M. Daussy à propos de cette dernière.
34
Description des terres situées au sud du détroit de Barrow-Lancastre, et à l'est de la
péninsule Melville.
35
Description des terres situés entre la mer de Baffin et le canal Wellington. — La baie
Crocker. — Le cap Riley. — Le cap Franklin.
36
Iles du canal de Wellington.
Ibid
Description des terres situées à l’est du canal de Wellington.
37
Cap Holtbam. — Baie du Désappointement. — Cap Lady Franklin.
Ibid
LIVRE CENT TROISIÈME. — Suite de la Description de l'Amérique.
— Groenland. — Islande et Spitzberg.
38
Le Groenland, aspect physique. — Végétaux. — Animaux. — Habitants.
Ibid
Établissements danois du Groenland. — Upernavick. — Friderikshaab. — Julia -
neshaab.
40
Côtes occidentale et orientale du Groenland.
42
L'Islande. — Description physique. — Montagnes. — Végétaux. — Animaux.
44
Divisions politiques de l'Islande. — Villes. — Commerce. — Industries.
51
Caractère. — Mœurs. — Littérature des Islandais.
§3

664
TABLE DES MATIÈRES.
Pages
Ile Jean-Mayen.— Le Spilzberg. La pèche de la haleine.
56
Tableau des divisions administratives du Groenland et de l'Islande.
58
LIVRE CENT QUATRIEME. - Suite de la Description de l'Amérique
— Amérique Anglaise du nord. Première section. Gouvernements
généraux du Canada et de la Nouvelle-Ecosse.
59
Description physique du Canada. — La chute de Niagara.
Ibid.
Le Bas-Canada. — Ses villes. — Québec, Montréal.
66
Le Haut-Canada. — Ses villes. — Kingston, Toronto.
69
Population. — Caractère, mœurs et coutumes des habitants du Canada.
70
Administration du Canada, ses nouvelles divisions politiques. — Revenus, commerce,
importations et exportations.
73
Tribus sauvages du Canada.
75
Nouveau-Brunswick. — Saint-Jean. —Nouvelle-Ecosse. — Halifax.
77
Ile du Cap-Breton ou Ile-Royale. — Ile Saint-Jean ou du Prince-Edouard. —
Anticosti.
80
Description de Terre-Neuve, St.Jean.—(St-Pierre et Miquelon, p. 583).Les Bermudes. 81
Tableau des divisions administratives de l'Amérique Anglaise du Nord.
85
LIVRE CENT CINQUIEME. — Suite de la Description de l'Amérique.
Amérique Anglaise du nord. Seconde section, Nouvelle-Bretagne
ou territoire de la Compagnie de la Baie d'Hudson.
87
Description physique de la Nouvelle-Bretagne.
Ibid.
Région du Grand-Océan, ou Columbia, (Nouvelle-Géorgie, Nouvelle-Hanovre,
Nouveau-Cornouailleset Calédonie Occidentale).
89
Peuplades indigènes, les Wakas , les Killamouks, les Tacullies, etc.
94
Description des pays qui appartiennent au bassin de l'océan Arctique. — District de
la rivière de la Paix. — District du Petit Lac de l'Esclave. — District du Grand
Lac de l'Esclave. — District de la rivière Mackensie.
95
Pays des Esquimaux. — Cap Dalhousie. — Cap Bathurst. — Baie Franklin. — Cap
Parry. — Monts Melville. — Rivière Itoscoë.
97
Golfe du Couronnement. — Caps Franklin et Alexander. — Rivière de Back. — Cap
Victoria.
98
Description des pays qui appartiennent au bassin de la mer d'Hudson. — District de
Churchill. — District de la rivière Anglaise. — District de la rivière Nelson. —
District d'York. — District de Saska'.chawan. — District de Cumberland.— District
de la rivière des Cygnes. — District de Norwége. — District de Ouinipeg.— District
de la rivière Rouge. — Dislrict du lac Rainy. — District d'Islande. — District de la
Saverne. — District d'Albany. — District de Moose.—Dislrict d'Abbilibbé et dis-
trict de Rupperts-Rivers.
99
Caractères, mœurs et coutumes des Esquimaux.
102
Tribus indigènes des Chippeways , des Knistenaux.
104
La mer d'Hudson , son étendue, ses îles , ses côtes.
106
Description du Labrador. — Ses habitants.
107
LIVRE CENT SIXIEME. — Suite de la Description de l'Amérique. —
Amérique Russe.
1
1
0
Etendue superficie et population de l'Amérique Russe.
Ibid.
Description de la mer de Béring, ses îles.
111
Description des îles Aléoutiennes, Ounalachka, Ounimak.
112
Ile de Kodiak, Saint-Paul. — L'archipel du Boi George. — La Nouvelle-Arkhangel.
114

TABLE DES MATIÈRES.
665
Pages
Factories russesde Terre-Ferme. — Le mont Saint Elie.
116
Les Koluches, leur caractère, leurs mœurs.
Ibid.
Triste aspect de l'Amérique russe.
117
Monts Huskisson et Coppleston. — Rivière du Youcou, de Kouskoquim et d'Atna.
118
Pays des Ougatachmioutes, des Tchougatechis. et des Tchouktehis.
119
Cap de Glace, pointe de Barrow, Pointe Béechey et Pointe-Démarcation.
Ibid.
Compagnie américaine russe. —Son importance.
120
LIVRE CENT SEPTIÈME. — Suite de la Description de l'Amérique.
États-Unis Anglo-Américains. — Description physique générale.
121
Précis historique. — Limites. — Superficie. — Population.
Ibid.
Côtes. — Régions physiques.
122
Montagnes
123
Lacs. — Fleuves et rivières.
124
Climat. — Nature du sol.
131
Végétation. — Animaux. — Minéraux.
133
Division politique des Etats-Unis. — Tableau de ces divisions.
139
LIVRE CENT HUITIÈME. — Suite de la Description de l'Amérique.
— États-Unis, partie orientale. — Description topographique et
politique.
140
Nouvelle-Angleterre.
Ibid.
Maine. — Augusta, Portland.
141
New-Hampshire, — Concord, Portsmouth, Manchester, etc.
142
Vermont. — Montpellier, Middlebury, Burlington, etc.
143
Massachusetts. — Boston, Salem. Charlestown, Lowell.
144
Rhode-Island. — Providence, Newport.
147
Connecticut. — Hartford, New-Haven, Cornwall, Middletown.
148
New-York. — Albany, New-York, Brooklyn, West-Point, Troy, Buffalo.
150
New-Jersey. — Trenton, Neuwark, Princeton.
155
Pennsylvanie. — Philadelphie, Pittsbourg, Lancaster.
156
Delaware. — Dover, Wilmington.
160
Maryland. — Annapolis, Baltimore.
161
District fédéral de Columbia. — Washington.
162
Virginie. — Richmond, Charlottesville, Warmsprings.
165
Caroline du nord. — Raleigh, Wilmington, Charlotte.'
167
Caroline du sud. — Columbia, Charleston, Beaufort, Georgetown.
168
Géorgie. — Milledgeville, Savannah, Augusta, New-Mexico.
170
Floride. — Climat. — Divisions, etc., etc. — Tallahassée, Saint-Augustin.
171
LIVRE CENT NEUVIÈME. — Suite de la description de l'Amérique.
— Etats-Unis, partie centrale. — Description topographique et
politique.
176
Ohio.—Columbus, Cincinnati, Chillicothe, Cleveland, Nouveau-Connecticut.
Ibid.
Michigan. — Lansing, Détroit, New-Buffalo, Pontiac.
180
Wisconsin. — État physique. — Milwaukee, Prairie du Chien.
182
Minesota. — État physique. — Saint-Paul Fort, Snelling. — Indiens Sioux.
183
Missouri ou Nébraska. — État physique. — Fort Laramie. — Tribus indiennes.
185
Iowa. — État physique. — Indiens. — Illinois. — Iowa, Monroé, Dubuque.
188
Illinois. — État physique. — Springfield, Vandalia, Chicago, Nauvo.
190
V.
84

666
TABLE DES MATIÈRES.
Page
Kentucky. — État physique. — Franckfort, Lexington,Louisville, Maysville.
192
Tennessée.
— Etat physique. — Maysville, Knoxville, Maryville, Brainerd.
192
Missouri.
— Etat physique. — Jetferson, Saint-Louis, Franklin, Leavenworth.
194
Arkansas. — État physique. — Little-Bock. Gibson, Napoléon, Warmspring.
196
Le Territoire Indien. — État physique. — Habitants.
197
Territoire du Nouveau-Mexique. — État physique. — Santa-Fé, Paso-del-Norte.
200
Alabama. — État physique. — Montgomery, Tuskaloosa, Mobile, Cahawba,
202
Mississippi. — État physique. — Jackson, Natchez, Washington.
203
Louisiane. — État physique. — Baton-Rouge, Nouvelle-Orléans, Donaldson-
ville.
204
Texas. — État physique. — San-Felipe de Austin, Brazoria, Galveston, Houston.
208
Le Champ d'Asile. — Le Grand Désert américain.
212
LIVRE CENT DTXIÈME. — Suite de la Description de l'Amérique..
États-Unis, partie occidentale. — Description topographique et
politique.
213
Aspect physique de la région occidentale.
Ibid.
Description du territoire de l'Orégon. — État physique. — Nature du sol.
214
Population indigène. — Orégon-City. — Fort Vancouver. — Astoria.
217
Description du territoire d’Utah. — État physique. — Le grand lac Salé.
Ibid.
Habitants. — Les Mormons. — La Nouvelle-Jérusalem.
220
Description de l'État de Californie. — État physique.
221
Région aurifère. — Histoire de sa découverte. — Principaux gisements.
224
San-Francisco. — Monterey. — San-José. — Sacramento-City. — Stockton. —
Sonoma.
227
Population européenne et indigène. — Mœurs. — Coutumes.
229
Routes qui conduisent de New-York en Californie.
230
LIVRE CENT ONZIÈME. — Coup-d'œil sur les monuments d'une
antique civilisation, observés sur le territoire des Etats-Unis. —
Quelques détails sur les principales tribus indiennes des territoires
de l'ouest du Mississippi.
231
Tumuli. — Fortifications. — Autres monuments.
232
La nation des Sioux, ses tribus, mœurs et coutumes.
212
Les Chipeouays, les Crées, les Ménomènes, les Winebagos.
244
Les Otogamis, les Saques, les Avouas, Les Ricaras, les Shoschonies. — Mœurs et
coutumes.
245
Les Kansas et les Osages. — Mœurs et coutumes.
2i7
Les Panis ou Pawnées, les Tetans, les Arikaras, les Cheyennes.
249
Les Apaches et les Comanches. — Le mois mexicain.
250
LIVRE CENT DOUZIÈME. — Considérations générales sur les États-
Unis de l'Amérique septentrionale.
251
Différentes nations européennes qui habitent le territoire de l'Union. — A-t-elle a
craindre une dissolution violente dans l'avenir?
Ibid.
Résumé historique de l'agglomération des États.
254
Population. — Superficie.—Division politique.
Ibid.
Administration et gouvernement.
255

TABLE DES MATIERES.
667
Pages
Armée. — Marine. — Marine marchande. — Budget. — Commerce. — Presse pério-
dique. — Instruction primaire, etc., etc.
256
Tableau de la superficie et de la population des États-Unis en 1850.
260
Tableau statistique de chacun des États et Territoires en 1850.
262
Tableau du budget de 1850-1851.
263
Tableau du commerce des Étals-Unis.
264
Tableau des accroissements décennaux des États-Unis.
Ibid.
Tableau de l'armée de terre en 1851.
265
Tableau des divisions militaires en 1851.
Ibid.
Tableau de la marine militaire des États-Unis en 1851.
267
Tableau statistique de la marine à vapeur des États-Unis en 1851.
268
Tableau des principales sectes religieuses aux États-Unis.
Ibid.
Tableau des canaux des États-Unis.
269
Tableau des lignes de chemins de fer en 1851,
270
Tableau de l'immigration européenne de 1789 à 1850.
272
LIVRE CENT TREIZIÈME. — Suite de la Description de l'Amérique.
— États-Unis du Mexique. — Description générale physique. —
Habitants du Mexique.
273
Ancienne division.
Ibid.
Résumé historique.
274
Bornes. — Superficie. — Population du Mexique.
275
Montagnes. — Volcans. — Richesses minérales.
276
Lacs. — Rivières. — Iles du Mexique.
282
Climat. — Régions physiques. — Végétaux. — Animaux.
283
Habitants. — Maladies. — Castes. — Langues.
291
LIVRE CENT QUATORZIEME. — Suite de la Description de l'Amé-
rique. — Etats-Unis du Mexique. — Description topographique et
et politique des provinces et des villes.
304
Division politique actuelle.
Ibid.
Territoire de Californie. — Tribus indiennes. — Les missions. — Loreto. — San-
José. — La Paz
Ibid.
Iles Revilla-Gigedo.
306
État de Sonora. — Urès, Sonora, Guaymas, Pitic. — La Pimeria.
307
Tribus indigènes des Apaches, des Cérès, des Opatas, des Yaquis, etc.
308
État de Sinaloa. — Culiaçan, Cinaloa, Mazallan.
309
État de Durango. — Durango, Tamascula, Nombre de Dios.
310
État de Chihuahua. — Chihuahua, Atotonilco. — Bolson de Mapimi.
Ibid.
État de Cohahuila. — Saltillo, Monte-le-Lovez, Parras, San-Rosa.
311
État de Nuevo-Leon. — Monterey, Caderéita.
312
État de Tamaulipas. — Victoria, Tampico, Solo Marina.
Ibid.
État de San-Luis de Potosi. — San-Luis de Potosi, Charcas, Catorce.
313
État de Zacatecas. — Guadalupe, Panuco, Sombrerete, Aguas Calientes.
Ibid.
État de Xalisco. — Guadalaxara, San-Blas, Tonala, Bolânos, Chapala.
3l4
Territoire de Colima. — Colima. — Ancien royaume de Mechoacan.
315
Etat de Guanaxuato. — Guanaxuato, villa de Léon, Allende, Zelaya.
Ibid.
État de Mechoacan. — Valladolid, Pascuaro, Tzintzontzan. — Tlalpuxahua.
316
Ancienne intendance de Mexico.
317
État de Queretaro. — Queretaro, Cadereita, San-Juan-del-Rio.
318

668
TABLE DES MATIÉRES.
Pages
District fédéral. — Mexico.
Ibid.
Etat de Mexico. — Toluca , Tabuca , Atotonilco, Tula, Actopan.
322
État de Guerrero. — Chilpazingo, Sumpango, Zacatula, Acapulco.
324
État de Puebla. — La Puebla, Cholula, Zacatlan, Atlisco.
3 5
État de Vera-Cruz. — Panuco, la Vera-Cruz, Jalapa, Tuxtla, Orizaba.
327
État d'Oaxaca
Oaxaca, Etla, Jamiltepec, Tehnantepec.
330
Projets de communication entre les deux Océans a travers le Mexique.
331
État de Chiapas. — Ciudad-Real, Chiapas, Tuxtla, Palenqué.
332
État de Tabasco. — Santiago de Tabasco, Nuestra-Senora de Vittoria.
333
État d'Yucatan. — Mérida, Campêche, Valladolid.
Ibid.
Gouvernement. — Administration du Mexique.
334
Tableaux statistiques du Mexique.
336
LIVRE CENT QUINZIÈME. — Suite de la Description de l'Amérique.
— Amérique-Centrale. — Description physique et politique.
338
Ce que l'on doit entendre par Amérique-Centrale.
Ibid.
Superficie. — Population. — Cotes. — Montagnes. — Fleuves.
Ibid.
Projets de communication entre les deux Océans à travers l'Amérique-Centrale.
339
Aspect physique du sol, climat, productions.
340
Résumé historique et anciennes divisions.
341
Colonie anglaise de Balize ou de Honduras.
Ibid.
République de Guatemala. — Guatemala. — Villes et gouvernement.
342
République de Honduras. — Comayagua. — Villes et gouvernement.
345
Mosquitie anglaise et indépendante.
346
République de San-Salvador. — San-Salvador. Villes et gouvernement.
347
République de Nicaragua. — Léon. —Villes et gouvernement.
348
République de Costa-Rica. — Villa-Nueva-de-San-José. — Villes et gouvernement.
350
État politique et avenir de l'Amérique-Centrale.
352
Tableaux statistiques de l'Amérique-Centrale.
353
LIVRE CENT SEIZIÈME. — Suite de la Description de l'Amérique,
— Description physique générale de l'Amérique méridionale.
353
Superficie. — Dimensions.
354
Llanos.
Ibid.
Cours d'eau.
355
Montagnes.
360
Zones de température.
367
Végétation.
368
Animaux.
371
LIVRE CENT DIX-SEPTIÈME.—République de la Nouvelle-Grenade.
— Description physique.
374
Divisions politiques. — Santa-Fe-de-Bogota. — Villes et bourgs.
377
Communication entre les deux océans. — Chemin de fer de Panama.
382
Panama. — Carthagène. — Popayan. —Pasto. — Boyaca.
384
Administration et gouvernement de la Nouvelle-Grenade.
.
388
République de Venezuela. — Description physique.
389
Divisions politiques. — Caracas. — Guayra. — Maracaibo. — Varinas.
392
Guyane colombienne. — Tribus indiennes qui l'habitent.
393
Administration et gouvernement de la république de Venezuela.
398

TABLES DES MATIÈRES.
669
Pages
République de l'Equateur. — Description physique.
Ibid.
Divisions politiques. — Quito. — Guayaquil. — Guença. 339
Volcans du Pichineba et du Cotopaxi. — Iles Gallapagos. 401
Administration et gouvernement de la république de l'Equateur 404
Tribus indiennes de la Colombie. — Caractère des Colombiens. Ibid.
Tableaux statistiques des républiques colombiennes. 409
LIVRE CENT DIX-HUITIÈME. — Suite de la Description de l'Amé-
mérique. — Description particulière des républiques Péruviennes,
c'est-à-dire du Pérou et de la Bolivie.
411
Ancien empire des Incas et résumé historique.
Ibid.
Description physique. — Richesses minérales.
412
République du Pérou. — Limites, superficie, population.
415
Lima. — Callao. — Aréquipa. — Arica. — Cerro-Pasco. — Huancabelica. — Hua-
manga. — Puno. — Cuzro. — Sicuani.
416
Le lac de Titicaca et ses îles.
423
Divisions, gouvernement et administration du Pérou.
Ibid.
République de la Bolivie. — Limites, superficie, population.
424
La Plata. — La Paz. — Potosi. — Puerto-Lamar. — Oruro. — Cochabamba.
425 ■
Divisions, gouvernement et administration de la Bolivie.
427
Nations indigènes du Pérou. — Langue quichua, etc., etc.
428
Tableaux statistiques du Pérou et de la Bolivie.
442
LIVRE CENT DIX-NEUVIÈME. — Suite de la Description de l'Amé-
rique.— Description particulière du Chili, de l'Araucanie, de la
Patagonie et des Terres Magellaniques.
444
Description physique du Chili. — Divisions politiques.
Ibid.
Description topographique des villes. — Caldéra, Coquimbo, Valparaiso, Santiago,
Concepcion, Valdivia.
446
Archipel Chiloé. — Archipel Chonos. — Iles Juan-Fernandez.
448
Gouvernement et administration du Chili.
450
L'Araucanie et les Araucans.
451
Patagonie. — Aspect physique. — Peuplades indigènes.
453
Détroit de Magellan et Terres Magellaniques.
458
Les îles Malouines ou Falkland.
461
Tableaux statistiques du Chili.
463
LIVRE CENT VINGTIÈME. — Suite de la Description de l'Amérique.
Description particulière des républiques Argentine, du Paraguay et
de l'Uruguay.

464
République Argentine. — Résumé historique. — Superficie.
Ibid.
Division et population. — Description topographique des provinces et des villes.
465
Les anciennes Missions des jésuites, services qu'ils ont rendus.
470
Description de la province et de la ville de Buenos-Ayres.
472
Les pampas. ■— Les gauchos. — Etat politique de la république Argentine.
474
Description de la république de l'Uruguay ou Cisplatine.
476
Description de la république du Paraguay.
479
Tableaux statistiques des républiques Argentine, de l'Uraguay et du Paraguay.
483

670
TABLE DES MATIÈRES.
Pages
LIVRE CENT VINGT-UNIÈME. — Suite de la Description de l'Amé-
rique. — Description de l'empire du Brésil.
485
Etablissement des Portugais au Brésil. — La ligne de démarcation. — Leurs envahis-
sements.
Ibid.
Description physique du Brésil.
487
Climat. — Substances minérales. L'or et les diamants en 1850. Végétation. —
Animaux.
490
Divisions administratives. —■ Rio-Janeiro.
500
Autres provinces et villes.
502
Indigènes du Brésil.
517
Gouvernement et administration du Brésil.
520
Tableaux statistiques du Brésil.
523
LIVRE CENT VINGT-DEUXIÈME. — Suite de la Description de
l'Amérique. — Description des Guyanes française, hollandaise et
anglaise.
524
Découverte de la contrée de la Guyane. — Montagnes et rivières.
525
Climat. — Végétation. — Animaux.
526
Guyane anglaise. — Superficie. — Population. — George-Town.
532
Peuplades indigènes.
533
Guyane hollandaise. —Superficie.— Population. — Paramaribo.
534
Les nègres Bush. — Les indigènes. — Gouvernement et administration.
536
Guyane française. — Superficie. — Population. — L'île de Cayenne.
537
Possessions de Terre-Ferme. — Colonies pénales des îles du Salut et de la montagne
d'Argent. — Peuplades indigènes.
539
Coup d'ceil sur l'état politique et l'avenir des anciennes colonies portugaises et espa-
gnoles de l'Amérique du sud.
542
Tableaux des colonies anglaise, hollandaise et française de la Guyane.
544
LIVRE CENT VINGT-TROISIÈME. - Fin de la Description de l'Amé-
rique. — Description particulière de l'Archipel Colombien ou des
grandes et petites Antilles.
545
Considérations générales sur les Antilles. — Animaux. — Végétaux.
Ibid.
Ile de Cuba. — Sa population. — La Havane. — Santiago. — Administration. —
Commerce.
552
Jamaïque.—Description physique et politique.—Kingston.—Spanishtown.—Popula-
tion. — Gouvernement et administration.
555
Haïti ou Saint-Domingue. — Description physique — Résumé historique.
557
République Dominicaine. — Superficie, population. — Saint-Domingue.
559
Empire de Haïti. — Superficie, population. — Port-au-Prince et autres villes.
560
Gouvernement et administration de l'empire de Haïti.
561
Porto-Rico. — Saint-Jean. — Gouvernement.
502
Iles Bahama ou Lucayes.
563
Iles Turques ou Caïques.— Iles Vierges.— Sainte-Croix.— Saint-Thomas.— Saint-
Jean.
504
Iles Anguille. — Saint-Martin. — Saint-Barthélémy. — Saint-Eustache. — Saba.
— Antigoa.
565
La Barboude. — Saint-Christophe. — Nevis. — Montserrat.
567
La Guadeloupe. La Désirade.— Marie-Galante. — Les Saintes. La Dominique.
— La Martinique.
Ibid.

TABLE DES MATIÈRES.
671
Pages
Sainte-Lucie. — Saint-Vincent. — Ile Beguia, Petite-Martinique, Grenadines,
Grenade.
571
Barbade. — Tabago. — Trinidad.
573
Curaçao. — Bon-Air et Aruba.
576
Grands spectacles de la nature aux Antilles.
577
Tableaux statistiques des Antilles.
579
Saint-Pierre et Miquelon, omission du livre 104, page 84.
583
Tableaux des principales positions géographiques de l'Amérique, déterminées avec
quelque certitude.
584
LIVRE CENT VINGT-QUATRIÈME. — Description de l'Océanie ou
du Monde maritime, comprenant les terres sttuées dans le Grand-
Océan, entre l'Afrique, l'Asie et l'Amérique. — Considérations géné-
rales.
591
Coup d'œil général sur l'Océanie.
Ibid.
Limites et dénominations de l'Océanie. — Sous-divisions de cette partie du monde.
593
Chaînes que forment les îles. — Nombre de volcans actifs qu'elles renferment.
594
Caractères des îles de la Sonde. — Idem de la Nouvelle-Guinée et autres.
596
Iles basses et récifs de corail.
597
Détroits. — Mers particulières.
598
Vents et courants. — Climat.
600
Règne végétal.— Règne animal.— Crustacés et. poissons.— Cétacés.— Mammifères.
— Oiseaux. — Animaux de la Nouvelle-Hollande. — Reptiles.
601
Races d'hommes.
610
Langues océaniennes. — Gouvernements. — Danses et chant.
612
Société des Erreoy et Uritoy. — Castes. — Cérémonies funèbres. — Idées sur l'autre
vie.
614
Les Océaniens sont-ils les tribus dispersées d'une même nation ?
615
Tableau des grandes divisions de l'Océanie.
619
Tableau de l'élévation des principales montagnes de l'Océanie.
620
LIVRE CENT VINGT-CINQUIÈME. — Suite de la Description de
l'Océanie. — Description spéciale de la Malaisie. — Description spé-
ciale des îles de la Sonde et de l'île de Bornéo.
621
Ile Soumâtra. — Montagnes. — Richesses minérales. — Climat. — Richesses végé-
tales. — Animaux. — Indigènes.
Ibid.
Divisions et divers Etats de l'Ile de Soumâtra.
625
Partie indépendante. — Royaumes d'Achem et de Siak.
Ibid.
Partie hollandaise. — Gouvernement de Padang. — Bencoulen. — Menangkabou. —
Royaume et ville de Palembang. — Pays des Battas. — Pays des Lampoungs. —
Pays de Passoummah. — Pays des Redjangs. — Iles Poggy ou Nassau. — Iles Nias.
— Banjak, Lingen, Banka et Billiton.
627
Le détroit de la Sonde.
633
Ile de Java.—Montagnes.—Volcans.—Rivières.—Climat.—Végétaux.—Animaux.
Ibid.
Divisions politiques de l'île. — Batavia. —Population de celte ville.
638
Bantam et Céram. — Sourabaya, Samadang, Tchéribon. —Partie de la côte orien-
tale : Tagal, Joana, Balambonoung. — Sourakarta.
640
Population de l'île de Java.— Portrait et mœurs des Javanais. — Littérature.— Jeux.
— Supplices, justice, tribunaux. — Princes de Java.
641
Iles Madoura et Lombok. — Ile Bali, villes, habitants,
647

672
TABLE DES MATIÈRES.
Pages
Ile Soumbava, villes, Etats. — Iles Florès, Solor, etc., etc.
648
Ile Timor, dimensions, productions. — Villes. — Princes, Etats, tribus de Timor.
650
Iles Simao, Rotti, Dao, Savou et autres.
651
Ile Bornéo. — Dimensions, montagnes. — Rivières et baies, cap, lacs.
653
Climat, mines. — Végétation.— Animaux.
654
Population. — Etats. — Royaumes de Sambas et de Moumpava.— Ville de Matrado.
— Royaume de Ponthianak, de Landak et de Matan.
656
Pays de Simpang et de Kandawangan.—Royaume de Brandjer-Massing.— Etat de
Varouni. — Royaumes de Passir et de Cotti. — Pays des Tirouns ou Tidouns. —
Biadjous. — Alforèses ou Haraforas
657
Négrillos. — Riadjaks.
660
Origine de la puissance des Hollandais.
Ibid.
Iles voisines de Bornéo. — Labuan, Nantouna et autres.
661
FIN DE LA TABLE DU CINQUIÈME VOLUME.
Paris. — Typographie de E. et V. PENAUD freres, 10, rue du Faubourg-Montmartre.





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