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GÉOGRAPHIE
COMPLÈTE ET UNIVERSELLE.
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PARIS. — TYPOGRAPHIE DE EUGÈNE PENAUD,
10, rue du Faubourg-Montmartre.



MALTE-BRUN
GEOGRAPHIE
COMPLÈTE ET UNIVERSELLE
NOUVELLE ÉDITION,
CONTINUÉE JUSQU' A NOS JOURS, D'APRÈS LES DOCUMENTS SCIENTIFIQUES LES PLUS RÉCENTS
LES DERNIERS VOYAGES ET LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES
PAR V.-A. MALTE-BRUN FILS
Rédacteur en chef des NOUVELLES ANNALES DES VOYAGES
Secrétaire-adjoint et membre de la Commission centrale de la Société de Géographie
Professeur d'histoire et de géographie au collége Stanislas
ILLUSTRÉE DE
50 gravures, 8 cartes, 5 planches
et du portrait de l'auteur.
TOME SEPTIÈME
PARIS
MORIZOT, LIBRAIRE - ÉDITEUR
3, RUE ΡΑVÉE-SAINT-ANDRÉ.




PRÉCIS
DE
LA GÉOGRAPHIE
UNIVERSELLE
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Description physique générale de l'Alle-
magne. — Ordre à suivre dans la description topographique des différents États
de cette contrée.

Nous entrons dans un pays souvent considéré comme la croix des
géographes, à cause de ses innombrables subdivisions et de leur circon-
scription bizarre, si longtemps contraire à toute loi géographique, comme
à toute raison politique, et encore aujourd'hui peu conforme à ces prin-
cipes.
Notre méthode, nous l'espérons, ramènera dans ce chaos un ordre simple
et lumineux ; et en classant, sous leurs différents points de vue, les détails
nécessaires, elle rendra à cette belle et importante partie de l'Europe tout
l'intérêt qu'elle mérite.
Nous allons d'abord tracer un tableau physique général de l'Allemagne,
en prenant ce nom dans son acception vulgaire, qui est généralement
conforme à l'ethnographie.
L'Allemagne occupe la partie centrale de l'Europe; elle s'étend de la
Vistule et de la Warta, à l'est ; au Rhin, à l'ouest, et s'appuie sur les
Alpes, au sud ; tandis que la mer du Nord et la mer Baltique baignent ses
rives septentrionales.
Toutes les montagnes de l'Allemagne dépendent ou du système des Alpes
VII.
1

2
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIEME.
ou de celui des mons Hercynio-Carpathiens qui s'y rattache par le Rauhe-
Alp, ou les Alpes de Souabc. Du noyau central des Alpes helvétiennes, se
détachent des chaînes secondaires qui se continuent à travers le Tyrol, la
Carniole, la Carinthie et la Styrie, sous les noms d' Alpes rhétiques, car-
niques et noriques, tandis que d'autres parcourent l'Allgau de Souabe et la
haute Bavière, ou remplissent le pays de Salzbourg. Nos lecteurs en con-
naissent déjà l'enchaînement général et les sommets principaux par notre
tableau des montagnes
Observons ici qu'elles font de toute la partie sud-
est de l'Allemagne un des pays les plus montagneux de l'Europe, et que
même les plaines étendues au pied de ces chaînes ont une élévation consi-
dérable. La grande vallée danubienne, qui marque la limite des Alpes, est,
en plusieurs endroits tellement resserrée, qu'on peut regarder les chaînes
alpines comme liées, sur un grand nombre de points de l'Autriche, au sys-
tème hercynio-carpathien ; les hautes plaines de la Bavière les en séparent ;
mais, vers les sources du Danube, les montagnes de la Forêt-Noire réta-
blissent la liaison, qui y est aussi marquée par la chute du Rhin.
Nous désignons sous le nom de monts Hercynio-Càrpathiens ce plateau
qui, limité à l'ouest par le cours du Rhin, borné par la vallée du Danube,
au midi, et par le Dniester, à l'est, donne sur sa pente boréale naissance
à tous ces fleuves qui arrosent les plaines de la Pologne, de la Prusse et de
l'Allemagne septentrionale; plateau qui occupe en grande partie la Wété-
ravie, la Hesse, la Thuringe, la Bohême, la Moravie, la haute Silésie, la
haute Hongrie et la Transylvanie.
Cette grande terrasse domine au nord les plaines immenses, qui, pro-
longées depuis le Pas-de- Calais jusqu'au Sund, et des rivages de la Baltique
jusqu'aux bords du Pont-Euxin, isolent absolument les élévations de l'Eu-
rope septentrionale, des Alpes et des autres chaînes méridionales. Autant
les montagnes hercyniennes et carpathiennes s'élancent au-dessus des
plaines sarmatiques et teutoniques, autant leurs sommets restent au-des-
sous de la majestueuse chaîne des Alpes. Considérées de ce côté, elles ne
paraissent plus que comme une humble dépendance d'un empire plus
puissant, comme l'avant-terrasse septentrionale des Alpes et la contre-
partie de l'Apennin.
Ce qui établit une disparité entre la chaîne hercynio-carpalhienne et les
Apennins, c'est d'abord que la profonde vallée du Pô et la mer Adriatique
séparent d'une manière très-prononcée l'ensemble des Apennins et celui
des Alpes, tandis que la vallée du Danube est beaucoup moins excavée, et
1 Voir le tome VI, page 177.

EUROPE.—DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE.
3
même , dans sa partie supérieure, ainsi que nous venons d'en faire la
remarque, se trouve resserrée par des branches des Alpes orientales qui se
rattachent aux branches avancées des montagnes de la Bohême. A l'ouest,
les dépendances des Alpes joignent, non-seulement celles de la chaîne
hercynienne par la Forêt-Noire, mais encore par la continuation de
Vosges aux environs de Bingen. Il a également été confirmé que les mon-
tagnes calcaires du Bannat se lient avec celles de Servie, qui se joignent à
celles de Dalmatie, dépendance des Alpes.
Une différence plus essentielle encore entre les Apennins et les mon-
tagnes dont nous traitons, c'est que les premiers présentent une chaîne
non interrompue et assez régulière, tandis que le plateau Hercynio-Car-
pathien offre à l'œil d'un observateur sévère moins une chaîne qu'une
fougue suite de plaines élevées, sur le dos desquelles s'élancent, les unes
après les autres, de petites chaînes, dont la séparation très-distincte par le
haut, n'empêche pas qu'une base commune les réunisse.
L'ensemble de celte plaine couronnée de montagnes s'incline au nord
et au nord-est. On ne peut pas en douter, lorsqu'on a considéré le cours
de la Vistule, de l'Oder et de l'Elbe; mais les chaînes particulières placées
sur ce plateau comme sur une base commune, occasionnent des irrégula-
rités locales. C'est ainsi que l'Erz-gebirge (monts métalliques) de Saxe, et
se terminant vers la Bohême par des pentes rapides, semble interrompre
l'inclinaison générale. Le cours des eaux démontre néanmoins qu'il existe
une pente continuelle, quoique faible, vers le nord, et les élévations qui
semblent contredire cette règle générale doivent être considérées seule-
ment comme des digues placées en arête sur cette même pente.
Si nous voulons nous former une idée nette de l'ensemble des pays
montagneux et boisés qui constituent les monts Hercyniens, plaçons-nous
par la pensée sur le sommet des Carpalhes, dans le coin nord-ouest de la
Hongrie, et regardons vers le nord-ouest. Un long plateau, nommé Sude!en-
gebirge (monts Sudétes) et dont un rameau porte le nom de Gesenker-gebirge,
c'est-à-dire monts abaissés, se détache des pieds des Carpalhes, sépare le
bassin de l'Oder, et la Silésie du bassin de la Morawa, ou la Moravie, et
atteint l'extrémité orientale de la Bohême, où il se divise pour former une
enceinte de montagnes autour de ce pays. Au nord-est des sources de
l'Elbe, le Riesen gebirge (monts Géants), qui est la continuation de la
même chaîne, nous presente, du sud-est au nord ouest, une série de mon-
tagnes liées par une base commune et qu'aucune rivière ne traverse ; elle
fait face aux plaines de la S.lésie et de la Lusace. L'élévation de quelques

4
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME.
sommets du Riesen-gebirge proprement dit approche de 1,625 mètres.
Tournant par le nord à l'ouest, la chaîne ouvre un étroit passage à l'Elbe,
sans atteindre nulle part 1,300 mètres de niveau, sous les noms de Lau-
sitzer-gebirge {montagnes de la Lusace) et d'Erz-gebirge, jusque vers
la source de l'Eger, dominant les plaines de Saxe et les collines de Thuringe ;
à son extrémité occidentale, elle se lie à un mont du petit groupe nommé
Fichtel-gebirge (monts des Pins) ; de là, elle se tourne au sud-est sous le
nom de Bœhmer-wald (forêt de Bohême), faisant face à la Bavière et à une
partie du cours du Danube. Une partie du Bœhmer-wald présente des
sommets de plus de 1,300 mètres, et répond ainsi au Riesen-gebirge.
Arrivés aux sources de la Moldau, les montagnes baissent jusqu'à 650
mètres, et se dirigent vers le nord-est pour joindre de nouveau le Riesen-
gebirge par une chaîne appelée Mœhrisches-gebirge(monts Moraves). Dans
l'intérieur de ce bassin du haut Elbe ou de la Bohême, on voit le Milttel ■
gebirge, ou les monts du Milieu, suivre le cours de la rivière d'Eger avec
ses sommets basaltiques, élevés de 650 à 700 mètres.
Sortis de la Bohême, nous ne voyons plus que de petites chaînes liées
entre elles par des collines. Ainsi le Franken-wald (forêt de Franconie)
et le Thuringer-wald (forêt de Thuringe) continuation abaissée du Fich-
tel-gebirge, et qui sépare en partie la Saxe et la Thuringe de la Franconie,
n'atteignent nulle part à plus de 900 mètres, et se lient par des hauteurs de
400 à 600 mètres, au groupe de Rhœn-gebirge entre la Franconie aujour-
d'hui bavaroise et l'électorat de Hesse, dont les sommets atteignent tout au
plus 900 mètres, et se rattachent, par des collines volcaniques, au Spessart,
voisin d'Aschaffenbourg, et l'ancien Taunus, aujourd'hui die Hœhe, au
nord-ouest de Francfort, dont l'élévation est encore inférieure. Toutes
ces petites chaînes sont séparées entre elles par des vallées, et forment plus
exactement des groupes allongés chacun autour d'un sommet ou d'une
masse centrale. En continuant le long de la Werra (source du Weser, la
chaîne n'est plus qu'une série de plateaux, au-dessus desquels le Meisner
s'élève à environ 721 mètres, et c'est aussi la hauteur du sommet du
Wester-wald, groupe très-entrecoupé qui borde la Lahn. Toutes les hau-
teurs, ou collines rocheuses, qui, sous le nom général de montagnes west-
phaliques, couvrent le duché de Westphalie et une partie du pays de
Munster et de Paderborn pour se terminer vers Minden , au défilé nommé
(dans les livres) Porta westphalica, ne s'élèvent, en général qu'à 325
ou 400 mètres, et ne renferment aucun point connu auquel on puisse
soupçonner une plus grande élévation.

EUROPE.—DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE.
5
Un seul promontoire de ce pays élevé qui s'avance vers le nord, domino
au loin les plaines de la basse Allemagne; il se termine par un sommet
de 1,092 mètres: c'est le Brocken, ou Bloksber, point central du Harz,
groupe de montagnes qui s'abaisse de toutes parts autour de ce centre, et
ne se rattache du côté méridional que les collines boisées de l'Eichsfeld au
Thuringer-wald.
Tel est l'ensemble des monts Hercyniens; mais il faut encore remarquer
Jes liaisons qu'ils ont avec les promontoires des Alpes occidentales. Un
pays élevé, sillonné de profondes vallées, et dont le Steiger-watd est une
saillie avancée à l'ouest, lie le Fitchtelberg, berceau des sources du Mein,
à la petite chaîne de l'Alp, ou Rauhe-Alp, qui, s'élevant à environ 700
mètres, côtoie le bassin du haut Danube, et s'unit en équerre à la chaîne
plus considérable duSchwarzivald, ou de la Forêt-Noire, qui se détache
des petites Alpes de Zurich, s'élève à 464 mètres, et en séparant la vallée
du Rhin de celle du Necker, donne au Danube ses sources. Les hauteurs
de la Forêt-Noire, très-abaissées, sont séparées par le Necker des hau-
teurs volcaniques de l'Odenwald, que le Mein à son tour sépare du Spes-
sart. La chaîne des Vosges, détachée du Jura, continue sur le territoire
allemand dans la direction septentrionale sous le nom de Donnesberg
(mont Tonnerre) ; mais un plateau aride, nommé Hundsrück (le Dos du
chien, ou celui des Huns), s'en détache vers le nord-ouest, borde le bassin
de la Moselle, et, en resserrant la vallée du Rhin entre Bingen et Coblentz,
semble presque joindre les hauteurs du Taunus et du Wester-wald. Le
plateau des Ardennes entre la Moselle et la Meuse appartient rigoureuse-
ment à l'Allemagne, puisque le grand-duché de Luxembourg fait partie
de la confédération germanique ·, mais l'usage le joint au royaume de Pays-
Bas. L'extrémité nord-est et nord qui se trouve sur le territoire décidément
germanique, forme le plateau marécageux de Hohe-Veen et le groupe des
collines volcaniques de l'Eifel.
Autour de tous ces pays montagneux, nous trouvons les plaines. La
plus grande est celle qui, sans autre interruption que le cours des fleuves,
remplit la basse Silésie, l'ancienne Lusace, le Brandebourg, où elle offre
de véritables mers de sables; la Poméranie et le Mecklembourg, où elle
est semée de quelques collines-, le Hanovre où elle présente une hauteur
imperceptible, couverte de bruyères, qui, à travers le Holstein, joint les
landes centrales du Jutland ; enfin la partie basse de l'ancien cercle de
Westphalie, où elle prend le caractère d'une vaste tourbière, qu'elle offre
déjà partiellement dans tout son ensemble. Cette grande plaine septen-

6
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME.
trionale de l'Allemagne forme comme un golfe entre le Harz, l'Erz gebirge
et la Thuringe; cette plaine saxonne, dont Leipsick est le centre, se
distingue du reste par une élévation supérieure et un sol plus fertile. Dans
le milieu de l'Allemagne, les montagnes laissent peu d'espace à des plaines,
à moins qu'on ne veuille considérer comme telles les dos mêmes de quel-
ques unes des hauteurs qui séparent les rivières; ainsi le Kocher l'Iaxt
sillonnent de leurs vallées étroites un plateau uni, tandis que la grande
vallée du Neckcr est constamment variée par des collines qui y forment
saillie. Le caractère général de cette partie est celui d'un pays riche en
vallées verdoyantes, boisées, arrosées de sources limpides et ornées de
vues pittoresques d'un genre doux et uniforme. Les vallées du milieu d-e
la Bohême sont peut-être, avec celles de la Souabe, les plus imposantes.
Les bords du Mein, de la Fulda, de la Moselle, sont les plus riants, et la
vallée du Rhin réunit tout le grandiose d'un vaste tableau à l'image d'une
haute fertilité. En descendant le Danube, la grande et haute plaine de
Bavière étend au loin ses terres froides, mais fertiles, ses marais et ses
bois de sapins. Cependant, en entrant sur le territoire autrichien, on est
bientôt cerné par les branches des Alpes-, on franchit des précipices, on
traverse des défilés, on s'enfonce dans des vallées plus riches et plus
variées que celles de la Suisse, et ce n'est guère que dans la basse Autriche
au nord de Vienne, qu'on revoit des plaines.
Considérons maintenant l'ensemble des fleuves de l'Allemagne. Le
Danube naît sur les hauteurs de la Forêt-Noire, de trois sources: la
Brige-ach et la Brige, qui sont les plus fortes, et le Donau , proprement
dit, qui n'est qu'un faible ruisseau réuni en un bassin de pierre dans la
cour du château de Donau-Eschingen. Au fond , c'est la réunion des deux
premières qui forme le Danube. Le jeune fleuve, coulant rapidement,
mais sans cascade, à travers une vallée assez ouverte, reç it au-dessus de-
la ville d'Ulm, Vlller, et par celte réunion devient navigable. Sa profon-
deur, qui est ici de 2 mètres 50 centimètres, augmente successivement
jusqu'à 14 mètres. Le Lech et l'Isar, tous deux descendus du pied des
Alpes tyroliennes, et qui, en traversant la Bavière, baignent l'un les murs
d'Augsbourg, l'autre ceux de Munich, lui apportent déjà une grande
masse d'eau; de sorte qu'après une coudée au nord près Regensbourg
(Ratisbonne), il arrive en dominateur, aux approches de l'Autriche, au-
devant de l'Inn. Cependant la longueur du cours de l'Inn, presque égal à
celui du Danube, sa noble origine dans un beau lac, au sein des Alpes et
des glaciers ·, l'imposante limpidité de ses flots bleuâtres opposés aux eaux

EUROPE. —DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE.
7
troubles du Danube, ont engagé les géographes allemands à reven-
diquer pour lui le rang de fleuve principal ; mais, malgré cette réclama-
tion spécieuse, le Danube continuera dans l'usage général à maintenir
son ancien empire. Ici finit la partie supérieure du bassin du Danube. La
partie de son cours depuis Passau jusqu'à Vienne doit être considérée
comme une région à part: le fleuve, resserré entre des montagnes, n'y a
quelquefois d'autre vallée que son propre lit, et même celui-ci est embar-
rassé de rochers qui déjà depuis Passau rendent son cours agité et écu-
meux.Vis-à-vis de Grein, l'îlot rocailleux de Warth divise son cours en
deux: le Hœssgang, qui n'est pas navigable, et le Strùdel, qu'à présent
on passe sans danger depuis que l'art du mineur a fait disparaître une
partie des rochers. A peu de distance plus bas, les eaux, encore agitées
par la rencontre d'une pointe de rocher, se précipitent d'un côté dans un
gouffre appelé le Lueg, et forment de l'autre un tourbillon nommé le
Wirbel, plus écumeux que dangereux. Mais en approchant de Vienne, le
fleuve s'étend dans un lit plus large, embrasse des îles nombreuses, et
ralentit sa course en quittant le sol allemand. L'Ens est l'affluent le plus
considérable qu'il reçoit du côté méridional, mais il le cède encore à la
Morawa ou la March, qui lui apporte, aux confins même de la Hongrie,
toutes les eaux de la Moravie.
Le Rhin est un fleuve plus allemand que le Danube, quoique sa source
et sa fin n'appartiennent pas dans un sens politique à l'Allemagne. Ce
beau fleuve naît dans la partie sud ouest du canton des Grisons, où tous
les ruisseaux portent le nom de Rhein ou courant, mot qui paraît celtique
ou ancien germanique ; aussi il est difficile et de plus oiseux de déterminer
si le Rhin d'avant (Vorder-Rhein), est formé de plusieurs sources au pied
du mont Crispait, branche du Saint-Gothard, et sur les flancs du mont
Nixenadum, ou si le Rhin d'arrière (Hinter-Rhein) Jaillissant majestueu-
sement de dessous une voûte de glace attenante au grand glacier de Rhein
wald, a le plus de titres à être considéré comme la branche principale. Le
prétendu Rhin du milieu ( Mittel-Rhein) n'est qu'un torrent peu important,
dont le nom propre est Froda, et qui tire aussi d'un village voisin le nom
appellatif de Rhein ou courant de Medel. Le Rhin d'en-bas (Unter-Rhein)
a sa source vers l'extrémité occidentale du canton des Grisons, entre les
monts Badus et Crispalt, et reçoit dans sa partie supérieure leRhin du milieu.
Le Rhin d'en-haut (Ober-Rhein) prend naissance au glacier de Rhein-wald,
au pied du mont Muschelhorn, et se grossit de l'Albula. La réunion de
toutes ces branches forme le fleuve au bas du mont Galanda. Descendu

8
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME.
de ces hauteurs glaciales, élevées de plus de 2,000 mètres au-dessus de
l'Océan, le Rhin sort du pays des Grisons et se jette à un niveau de 390
mètres dans le lac de Boden (Bodensée), nommé en français lac de Con-
stance. Un savant géographe allemand, M. Hofmann, pense que le cours
primitif du Rhin a eu une direction toute différente-, qu'au moment d'at-
teindre les limites du pays des Grisons, le fleuve se jetait à travers les
montagnes de Sargans, allait se précipiter dans le lac de Wallenstadt,
passait de là dans celui de Zurich, et, en suivant le lit actuel de la Limmat,
venait se réunir à l'Aar, vis-à-vis de l'endroit mommé Rein. Cette hypo-
thèse, fondée sur quelques observations locales, mérite sans doute de
l'attention, mais nous ne l'admettrons pas sans un examen plus appro-
fondi. Dans son état actuel, le Rhin, en sortant du lac de Constance et de
celui de Zell, rencontre un peu au-dessous de Schaffhouse un chaînon
inférieur des Alpes qu'il ne réussit à franchir qu'en formant près de Laufen
la célèbre chute tant de fois admirée, et qui n'a pourtant que 23 mètres
de hauteur, à peine égale aux chutes du second ordre dans la Scandinavie.
Le Rhin à Laufen, après sa chute, a 348 mètres de niveau, et en arrivant
à Bâle il n'a plus que 248 mètres; cette partie de son cours, d'une rapi-
dité extrême, est. interrompue par une chute près de Laufenbourg et par
le tournant dangereux de Rheinfelden. Le fleuve s'accroît ici par sa réu-
nion avec VAar, qui est comme un second Rhin, et qui lui amène presque
toutes les eaux de rivières et de lacs de la Suisse, masse d'eau plus con-
sidérable que celle qu'il reçoit du lac de Constance. Arrivé à Bàle, le Rhin
se tourne au nord, et parcourt la belle et riche vallée où sont situés l'Alsace,
une partie du territoire badois, l'ancien Palatinat et Mayence ; c'est son
deuxième bassin : son cours y est encore très-impétueux jusqu'à Kehl ;
mais roulant dans un large lit parsemé d'îles boisées et riantes, il prend
tout-à-fait le caractère d'un grand fleuve, il se couvre de bâtiments et de
radeaux, quoiqu'il continue en beaucoup d'endroits à miner ses bords et à
changer ses rivages. A Mayence, il atteint une largeur de plus de 422
mètres, et, bordé à quelque distance de superbes montagnes chargées de
vignobles, il présente un panorama d'une grande beauté. Il reçoit dans
cette partie de son cours le Neckar, ou Necker, qui lui apporte la plupart
des eaux de la basse Souabe, et le Mein, qui, en serpentant par de larges
détours, lui amène les eaux de l'ancienne Franconie. Depuis Bingen
jusqu'au-dessus de Coblentz, les montagnes resserrent le cours du Rhin;
quelques rochers y forment même des bancs et des îlots; mais il n'est pas
bien prouvé qu'il y ait jadis été arrêté par une chute. Dans ce passage

EUROPE. — DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE.
9
pittoresque à travers la dernière barrière de montagnes, au pied de tant
de vieux châteaux suspendus sur des rochers sourcilleux, le Rhin reçoit,
entre autres rivières affluentes, la Lahn, enfoncée parmi des montagnes,
et la Moselle, qui, dans les innombrables détours de son cours méandrique,
débarrassée de bas-bonds, de marais, de tout objet désagréable, ressemble
à un canal que l'industrie aurait conduit exprès autour des prairies et des
vignobles, et qui même, sans avoir été l'objet d'un poëme, serait célèbre
parmi les plus belles rivières du monde. Le confluent de la Moselle avec le
Rhin est comme l'extrême vestibule de l'Allemagne romantique; le Rhin
roule désormais sa vaste nappe d'eau, large de 650 mètres, à travers une
contrée ouverte et plane ; il reçoit encore sur le sol allemand la Ruhr et la
Lippe. Arrivé en Hollande, il forme, avec ses trois bras artificiels, le Whaal,
le Leck et l'Yssel, un grand delta, qui renferme les villes les plus riches
de l'industrieux Batave; mais ses eaux, absorbées dans ces canaux, lais-
sent son lit ancien presque à sec, et ce fleuve si majestueux n'atteint la
mer que sous la forme d'un ruisseau imperceptible. Il serait absurde de ne
pas considérer en géographie physique, sinon le Whaal, du moins le Leck
et l'Yssel, comme les deux embouchures actuelles du Rhin; la Meuse de-
vrait cesser d'usurper à Rotterdam, à Dordrecht, un nom qui peut lui être
contesté, et, se contentant d'inonder le Biesbosch, ne- prétendre à d'autre
embouchure qu'à celle de Moerdyk : mais il en est de la gloire des fleuves
comme de celle des hommes; le hasard et l'usage prédominent sur les idées
justes. Le delta du Rhin a subi par la nature et par l'art tant de révolutions
violentes et tant de changements lents et imperceptibles, qu'il est difficile
de reconnaître, même après des recherches savantes, où était le véritable
emplacement de ses anciennes embouchures *.
Après un fleuve comme le Rhin, quelle figure pourrait faire l'Ems? C'est
pourtant un fleuve indépendant, qui a son bassin particulier, et qui, ayant
formé par inondation le golfe Dollart, présente une embouchure impo-
sante ; son cours, dans sa partie inférieure, traverse des tourbières et des
marécages déserts. Un fleuve plus important est formé dans les montagnes
centrales de l'Allemagne par deux rivières, la Werra et la Fulda, qui, en
1 En 869, un bras du Rhin, qui se jetait dans la mer du Nord, au village de
Ralwyk-sur-Mer, cessa d'y avoir son embouchure : il se perdit à quelques lieues
de là dans les sables pendant 840 ans. Depuis 4709, ce bras communique avec la mer
par un canal qui fut construit à cette époque. Il est à croire que ce bras était le prin-
cipal du fleuve, puisqu'il porte encore le nom de Vieux-Rhin, et qu'on y a reconnu
les restes d'une forteresse romaine qui dut y être construite pour en défendre
l'entrée.
J. ΗUOT.
VII.
2

10 LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME
réunissant leurs courants à peu près égaux, prennent le nom de Weser 1
Ce fleuve qui reçoit l'Aller, renforcé par la Leine, a une large embouchure
dans la mer du Nord; mais le peu de profondeur de son lit arrête la navi-
gation pour les gros vaisseaux à quatre ou cinq lieues au-dessous de la
ville de Brême. Quelquefois ses eaux éprouvent un mouvement de stag-
nation momentanée.
L'Elbe, plus considérable que le Weser, naît sous le nom slavon de
Labbe dans les monts des Géants ou Riesen-gebirge. Ses principales
sources sont la Fontaine-Blanche au pied de la cime de Schnee-Koppe,
et les onze fontaines de l'Elbe sur le pré Navorien ; l'eau réunie de celle-
ci prend aussitôt le nom d'Elbe, et se précipite par une belle cascade de 85
mètres dans la vallée nommée Elb-Grand. Elle reçoit au midi de la Bohême
la Moldawa ou Moldau, en bohême Wittawa, qui, plus large et plus forte,
aurait des droits à passer pour la branche principale. Après avoir encore été
renforcée par les eaux de l'Eger (en bohème Oritza), l'Elbe sort du bassin
circulaire de la Bohême par une ouverture fort étroite à travers des mon-
tagnes de grès très-escarpées, ouverture qui semble avoir été créée par
quelque révolution physique, au moyen de laquelle les parties les plus
basses de la Bohême auront été débarrassées des eaux qui y formaient un
lac ou plutôt une série de lacs. Descendue dans les plaines de la Saxe,
l'Elbe s'accroît principalement des eaux de la Saale et de la Mdde. Les
sables du Brandebourg lui envoient le Havel, qui est moins une rivière
qu'une longue suite de lacs, dont la Sprée est le principal affluent. L'Elbe,
qui paraissait d'abord se diriger sur le mer Baltique, se tourne à l'ouest,
et après avoir passé les collines de Lauenbourg, se partage en plusieurs
bras qui entourent les îles basses et fertiles au sud de Hambourg. A partir
du port de celte ville, où les vaisseaux de mer arrivent encore, elle prend
tout-à-coup une largeur immense et ressemble plus à un bras de mer
qu'à un fleuve. Les marées s'y font sentir pendant l'espace de 22 milles
d'Allemagne, et, lors du flux, le cours du fleuve vers la mer cesse entière-
ment. Au-dessous de Brunsbüttel, les eaux de la mer et celles du fleuve se
mêlent en tout temps ; cependant les navigateurs placent l'embouchure plus
bas, vis-à-vis le port de Cuxhaven.
L'Oder qui dans le dialecte allemand de Poméranie est nommé Ader et
dont l'ancien nom wendo-saxon est Wiadro, qui signifie cruche d'eau ,
prend sa source dans les montagnes de Moravie et dans le cercle d'Olmutz,
1 Busching considère le Werra comme la branche principale, et le nom même
comme une forme de celui de Weser.

EUROPE. — DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE.
11
au pied du Geenkes-gebirge. L'Oder traverse toute la Silésie, inondant,
minant et changeant presque partout ses rivages sablonneux et bas-, son
lit est souvent embarrassé par les grands troncs de chênes qu'il renverse
dans son cours à travers les forêts de la haute Silésie. Ce caractère de
désordre ne quitte pas l'Oder-, son lit continue à être mal encaissé à tra-
vers les sables de Brandebourg et de Poméranie ; il forme de vastes maré-
cages et des lacs tourbeux-, la Wartha, qui, venant de la Pologne, lui
apporte une masse d'eau presque égale à la sienne, présente le même
caractère; aussi le bas Oder se divise-t-il souvent en branches qui ren-
ferment des îles marécageuses. Entre Garz et Stettin , le bras oriental le
plus navigable prend le nom de Grande Reglitz ou Kranich, tandis que
l'autre bras conserve le nom d'Oder, tous deux se réunissent dans le lac
Dammsch, qui en se rétrécissant prend le nom de Papen-Wasser, et se
joint à un grand bassin d'eau douce nommé Stetinner-Haff, et que l'usage
local partage en grand et petit Haff. C'est un véritable lac fluvial, puisque
l'eau saumâtre n'y pénètre jamais; il communique avec la mer Baltique par
trois rivières : la Peene à l'occident, la Swine au milieu, et la Divenou à
l'est; celle-ci a le moins de profondeur, et la Peene en a le plus. Les
rivages de ces bouches de l'Oder ont subi des changements considérables
et plus d'une ville ancienne établie sur leurs sables perfides a été engloutie
dans les flots.
Tels sont les fleuves principaux de l'Allemagne. Ce serait maintenant le
lieu de parler des lacs remarquables ; mais ceux qui, en petit nombre, méri-
teraient cette distinction, tels que le lac de Boden ou de Constance entre la
Souabe et la Suisse; le lac de Chiem en Bavière ; celui d'Alter en haute
Autriche; celui de Czirknitz ou Zirknitz, dans les montagnes calcaires du
Carniole ; ceux de Dummer et de Steinhuder dans le Hanovre; de Waren
ou Muritz en Mecklenbourg, et la série des lacs formés par le Havel, dans
le Brandebourg, tirent chacun son caractère des circonstances locales,
et ne doivent pas être séparés de la descrption spéciale de chaque pays.
Le climat de l'Allemagne, déterminé par les diverses élévations et pentes
du terrain, embrasse une trop grande étendue en latitude pour pouvoir faire
l'objet d'une définition générale. Nous croyons qu'on peut le diviser en trois
grandes zones, qui elles-mêmes sont susceptibles de quelques divisions.
La première est celle des plaines septentrionales, soumises à une tem-
pérature plus humide encore que froide et surtout variable au gré de tous
les vents. Deux mers envoient à cette région leurs brouillards, leurs pluies
et leurs tempêtes; mais la plaine du nord-ouest, exposée à l'influence de

12
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME.
la mer du Nord, éprouve à la fois plus de brumes et des froids moins vifs,
mais des ouragans plus dévastateurs que la plaine du nord-est, soumise
aux influences moins puissantes de la mer Baltique.
La seconde zone générale embrasse tout le milieu de l'Allemagne, la
Moravie, la Bohême, la Saxe, la Franconie, la Souabe, les pays sur le
Rhin et la Hesse. Dans tous ces pays, les montagnes mettent les habitants
à l'abri des influences maritimes-, la salubrité de l'air n'est plus troublée
par des brouillards, ni l'ordre régulier des saisons interverti par les vents ;
mais l'élévation du sol y diminue le degré de chaleur qui serait naturel à
la latitude si on se trouvait au niveau de l'Océan. Cette zone, la plus
agréable de toute l'Allemagne, s'étend du quarante-huitième parallèle au
cinquante-unième, et peut se subdiviser en trois régions : celle de la Hesse
et de la Saxe, où la vigne ne donne plus en général qu'un produit peu
digne du nom de vin, mais où les abricots et les pêches mûrissent ; celle
de la Bohême avec la Moravie et une partie de la Franconie, où l'élévation
des montagnes rend le séjour des neiges plus long, mais aussi l'effet de
la chaleur solaire plus prompt et plus puissant, de sorte que tout dépend
des expositions; enfin celle des pays sur le Mein, le Necker et le Bhin, où
la vigne, parmi des produits médiocres, en donne aussi d'excellents, où
les châtaigniers et les amandiers forment des forêts, et où généralement
la belle saison est (même plus que dans la France septentrionale) à l'abri
des changements journaliers ; enfin cette dernière région, dont Mayence,
Heidelberg et Wurzbourg sont les villes centrales, jouit du meilleur climat
de l'Allemagne et d'un des plus salubres et même des plus agréables de
toute l'Europe.
La troisième zone générale est celle des Alpes, où l'élévation considé-
rable du sol et la rapidité des pentes produisent le rapprochement des
températures extrêmes; de sorte qu'au sud du Danube la culture de la
vigne disparaît en Bavière et dans la haute Autriche, mais reparaît avec
une nouvelle vigueur aux environs de Vienne, et que les glaciers éternels
du Tyrol et du Salzbourg touchent aux vallées de la Styrie et de la Car-
niole, couvertes de maïs, de vignobles, et reçoivent pour ainsi dire le
parfum des oliviers de Trieste et des citronniers de Riva ou Reif, dans
le Tyrol. Des distinctions plus exactes trouveront leur place dans nos
descriptions spéciales.
Une particularité du territoire de l'Allemagne, c'est l'extrême abondance
d'eaux minérales, soit chaudes, soit acidulées. Les eaux thermales d'Aix-
la-Chapelle, de Pyrmont, de Carlsbad, de 1 œplitz, de Bade sur le Rhin, de

EUROPE. — DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE.
13
Bruckenau, de Wiesbaden, de Hombourg, sont en possession de ras-
sembler tous les ans une foule d'illustres et même d'augustes malades ou
oisifs. Celles d'Ischl, de Bade près Vienne, et bien d'autres ne le cèdent en
rien à celles que nous venons de nommer, mais elles attendent un médecin
phrasier pour les vanter. Sellers, Dribourg, Rohitsch, avec leurs eaux
acidulées, Seidschitz et Sedlitz avec leurs eaux amères, et d'autres fon-
taines de santé, attestent également que le sol allemand, à l'exception
des plaines septentrionales, est rempli de dépôts ou de veines de minéraux
les plus variés, circonstance qui cependant n'empêche pas l'Allemagne de
jouir généralement d'eaux pures et salubres pour les usages ordinaires de
la vie, si on excepte toutefois quelques cantons tourbeux de la Westphalie
et quelques vallées glaciales du Salzbourg.
Nous passerons à la considération des objets les plus remarquables des
trois règnes, en commençant par les roches et les minéraux.
Les montagnes de la Moravie, de la Silésie et de la Bohême orientale,
renferment quelques mines de cuivre et de fer, quelques indices d'or dans
les minerais d'arsenic, ainsi que d'argent dans le plomb; elles contien-
nent des marbres, des charbons de terre, plusieurs pierres fines, par
exemple, les chrysoprases de Silésie; mais en général elies ne sont pas
riches en métaux. C'est la chaîne qui sépare le bassin de la Bohême des
plaines de la Saxe qui a mérité le surnom de métallique (Erz gebirge), et
qui est en effet le plus riche dépôt des minerais d'argent de toute l'Europe,
et le seul qui semble ne jamais diminuer. Dans les quarante dernières
années du dix-huitième siècle, ou a frappé, à Freyberg, pour 22 millions
d'écus de Saxe (85,800,000 fr.), La richesse de ces montagnes, en cuivre,
en étain et en fer, n'est pas moins grande ; mais l'étain abonde principale-
ment, et dans la meilleure qualité, du côté de la Bohême, dont les mines
rivalisent avec celles de l'Angleterre. Au contraire, les mines d'argent de
la Bohème, autrefois extrêmement riches, sont aujourd'hui ou épuisées ou
négligées. Les lavages d'or, jadis très-productifs, ou du moins très-vantés,
ne sont plus, en Bohême ni en Saxe, que d une importance très-secon-
daire; mais l'un et l'autre de ces pays produisent toutes les variétés possi-
bles de métaux en quantité plus ou moins considérable : dans l'un et
l'autre on trouve également les variétés les plus précieuses et les plus
utiles de granites, de marbres, de porphyres, ainsi que de cristaux et de
pierres fines, moins parfaites, il est vrai, que celles de l'Oient, mais parmi
lesquelles cependant les topazes de Saxe et les grenats de Bohème méritent
leur réputation.

14
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME.
Les montagnes de la Thuringe et de l'Eichfeld ne sont pas très-riches
en minéraux; mais entre le pied de ces montagnes et celui du Harz,
on doit remarquer une hauteur qui semble couvrir une immense couche
de cuivre, dont la ville de Mansfeld indique à peu près le centre. Cette
couche, qui se trouve de 50 à 90 mètres au-dessous du sol, renferme
encore des pétrifications et des débris fossiles très-curieux ; un peu plus
à l'est, et sous le lit même de la Saale, une veine d'eau salée s'étend
probablement du pied des montagnes de l'Erz-gebirge jusqu'au lac salé
d'Eisleben, et aux célèbres salines du Halle; ce riche dépôt paraît se perdre
sous les bases des montagnes de Harz. Dans les entrailles de celles-ci,
l'art du mineur exploite soigneusement de l'argent, du plomb, du cuivre
et du fer; mais le produit diminue d'année en année, et il n'a jamais égalé
celui des monts métalliques. Le fer est le seul métal généralement répandu
et exploité dans les montagnes entre le Weser, le Mein et le Rhin; celles
du Wester-wald. appartenant pour la plupart au duché de Nassau, en sont
remplies, et l'ancien duché de Westphalie, avec le duché de Berg, fournit
aux fabriques d'armes prussiennes le meilleur acier de l'Allemagne, après
celui de la Styrie; mais l'exploitation du charbon de terre et celle des
salines est plus lucrative. Il en est de même dans les montagnes à l'ouest
du Rhin ou dans les dépendances des Ardennes et des Vosges : dans les
premières surtout, les dépôts de houilles, qui tiennent à ceux des Pays-
Bas, sont d'une haute importance. Les laves d'Andernach et la cendre
volcanique du même endroit, qui sert à faire le ciment nommé trass*,
sont remarquables comme rappelant les nombreux dépôts volcaniques qui
remplissent le bassin inférieur du Rhin. Les lavages d'or de ce fleuve et de
quelques-uns de ses affluents n'offrent qu'un objet de curiosité.
Les mines de la Forêt-Noire donnent de l'argent, du cuivre et du fer,
mais en petites quantités. Les branches orientales des Alpes qui par-
courent les territoires bavarois et autrichien contiennent bien une variété
de minéraux; mais deux objets seuls méritent de figurer dans cet aperçu
général : l'un c'est la longue série de sources salées qui depuis Hall, dans
le Tyrol, suit le pied de la chaîne septentrionale des Alpes par Reichenhall
en Bavière, et Hallein, dans le Salzbourg, jusqu'à Ischl en Autriche,
au-dessus de l'Ens ; l'autre est le riche dépôt du meilleur fer de l'Eu-
rope, qui se trouve du côté oriental des Alpes noriques dans la Styrie,
auquel on doit joindre les grandes mines de plomb dans la Carnitine, et
celles de mercure près d'Idria, les plus importantes de l'Europe après
1 C'est le mot terrasse défiguré.

EUROPE. - DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE
15
celles d'Almaden en Espagne. Tels sont les grands traits de la géographie
minéralogique de l'Allemagne. Une foule d'autres minéraux curieux et
intéressants seront indiqués dans les descriptions spéciales.
Les productions du règne végétal ne le cèdent pas aux richesses miné-
rales, mais elles suivent une autre distribution. Les forêts tiennent le
premier rang, puisque, outre qu'elles fournissent à la consommation des
habitants, aux constructions, aux fabriques et aux mines, elles donnent
encore un excédant considérable à l'exportation ; elles couvrent, selon
l'opinion reçue, près d'un tiers de la surface du pays. Dans la région cen-
trale, le chêne est l'arbre dominant, et toutes les collines sont ornées de
cet arbre national, autour duquel se groupent les hêtres, moins beaux
cependant qu'en Danemark, des frênes magnifiques, des ormes, des peu-
pliers, des pins et des sapins; tandis que dans les positions plus abritées,
les noyers, les châtaigniers, les pommiers, les poiriers, les amandiers, les
pêchers et toute sorte d'arbres fruitiers, étalent leurs fleurs variées et leurs
riches productions. Cette peinture convient à la zone centrale de l'Alle-
magne; les arbres conifères, et principalement le pin, qui, dans celte
zone, se tient aux hauteurs moyennes et occupe quelques terrains arides,
se multiplient davantage dans les plaines sablonneuses qu'arrosent l'Oder
et l'Elbe; mais ce n'est généralement que l'espèce la plus commune, et
il ne faut pas chercher dans l'Allemagne septentrionale, ni le pin au
bois terme, ni le sapin élancé que la Scandinavie fournit aux construc-
tions navales. Les forêts de pins qui, en suivant le cours des rivières,
se dirigent du nord-ouest au sud-est, forment en quelque sorte des asso-
ciations exclusives, où peu d'arbres à feuilles changeantes sont admis; à
ces forêts un peu tristes succèdent ou s'entremêlent de longues landes,
couvertes de bruyères, plantes également sociales, et qui représentent en
quelque sorte en petit la végétation des forêts voisines ; ajoutez-y des
prairies le long des rivières et des marsches ou terrains d'alluvions le long
des côtes maritimes, et vous avez le tableau végétal des plaines septentrio-
nales de l'Allemagne. Car il en faut séparer les belles collines du Holstein
oriental, du Mecklenbourg maritime et de l'île de Rugen, où les chênes
reparaissent sur un sol moins sablonneux; cette lisière appartient à la
région des îles et péninsules dano-cimbriques.
Le midi de l'Allemagne, qui dépend immédiatement du système des
Alpes, offre probablement deux échelles de végétation pour les forêts :
celle de la pente au nord, depuis les Alpes tyroliennes jusqu'au Danube,
et celle de la pente orientale de l'Autriche, de la Styrie et de la Carniole,

16
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME.
sans parler de la lisière méridionale. Occupons-nous d'abord de la pre-
mière. Le sapin et le mélèze semblent s'élever jusqu'à 1,786 mètres, et
peut-être le pinus cimbra les dépasse-t-il encore; mais cette région des
conifères ne se termine pas généralement à 1,300 mètres pour faire place
à une région de hêtres, comme Wahlemberg l'admet pour la Suisse sep-
tentrionale ; toutes les hauteurs de la Bavière, à 650 mètres, sont dominées
par le pin rouge et le genévrier, tandis que le chêne et le hêtre y restent
des arbres d'une vigueur médiocre, quoique assez communs. Les bouleaux
sont aussi très-répandus sur toute cette pente.
La zone végétale de l'Autriche, ou de la pente est et sud-est des Alpes,
présente une succession plus rapide depuis la région des neiges éternelles,
sur le Glockner, depuis les hauteurs parfumées de l'œillet alpin, de la Vale-
riana cellica, ou ornées de rhododendron, de soldanella, de l'aretia, jus-
qu'aux vignobles de la frontière de Hongrie et jusqu'aux oliviers de l'Istrie.
Mais les limites précises des végétations ne se trouvent pas indiquées par
les botanistes; la culture de la vigne paraît s'élever à 650 mètres, celle du
froment à 1,300 mètres, et le reste du sol est principalement réservé aux
arbres conifères et aux pâturages.
La flore de l'Allemagne, tant centrale que méridionale, paraît abonder
principalement en plantes ombellifères et cruciformes; il faut y ajouter,
pour la partie alpine, les primulacées et les phyleumes. Les plantes bul-
beuses réussissent surtout dans les vallées chaudes de l'Autriche, comme
les bruyères et les vaccinium, les genévriers dans les plaines du nord. Sur
toutes les montagnes moyennes, les anémones, les jacinthes, les violettes,
les muguets, émaillent les près humides, tandis que le sureau à grappes,
le prunier muhaleb, le rosier à fruits pendants, le néflier, le baguenaudier,
le cornouiller, le rosier-cannelle, les églantiers, forment les sous-bois et
les haies. L'Allemagne moyenne offre surtout un aspect agréable; la ver-
dure du printemps y dure longtemps, et beaucoup de fleurs et d'arbustes
des Alpes y semblent suivre le cours des fleuves depuis leurs sources. Ainsi,
le faux ébénier ne cesse d'embellir les rivages du Rhin et du Danube.
Les céréales de toute espèce prospèrent généralement en Allemagne; le
froment et l'orge sont plus cultivés dans le midi, et on préfère à tout autre
le froment d'hiver de Bavière ; l'épeautre domine dans le grand-du hé de
Bade et dans le royaume de Wurtemberg, sur le Rhin et le Mein ; le maïs
est répandu en Styrie, en Moravie, dans le Tyrol ; le blé-sarrasin est plus
commun dans les sables du nord. La manne (fesluca fluitans) est cultivée
sur l'Oder. L'Allemagne, prise dans son ensemble, produit certainement

EUROPE. —DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE.
17
au delà de sa consommation, et fournit des exportations à la Suisse, à la
Hollande, à la Suède, et à quelques provinces orientales de la France. Si
elle pouvait manquer de céréales, la culture toujours croissante de la
pomme de terre, déjà immense dans le Nord, suffirait seule pour empêcher
le retour des disettes comme celles qu'éprouvèrent jadis la Saxe et la haute
Autriche. Les légumes alimentaires abondent en Allemagne, et quelques-
uns parviennent à une excellence inconnue dans d'autres pays; le chou,
par exemple, qu'on exporte au loin sous le nom de sauer-kraut1, surpasse
même les produits de la Belgique, et les Allemands en disent autant des
diverses espèces de navets, de carottes, de pois et de fèves, il est certain
que la culture des légumes, particulièrement conforme au caractère patient
des Allemands, est poussée à un haut degré de perfection. Le jardinage
varie beaucoup selon les climats, et tandis que le riche Holstein en manque,
beaucoup de contrées moins fertiles, dans le centre de l'Allemagne, se font
une source de revenus par la culture d'arbres fruitiers et de légumes culi-
naires, dont la désignation plus spéciale ne peut trouver place ici. La nation
doit à une grande consommation d'excellents légumes une partie de sa
santé robuste. '
Parmi les plantes utiles, le houblon est un objet de culture extrêmement
important; il trouve ici son sol et son climat; le produit excellent, surtout
aux environs de Brunswick, dans la Bohême et dans la Franconie bava-
roise, suffit aux nombreuses brasseries qui, en dépit des modes anglaises,
soutiennent encore leur antique renommée. La culture du tabac, quoique
les fumées de la pipe enveloppent toutes les réunions publiques, n'est pas
poussée à une grande perfection, et le tabac indigène reste très-inférieur à
celui de l'Amérique et de la Macédoine. La garance de Silésie; le safran
d'Autriche, la gaude d'Erfurt, les diverses autres plantes tinctoriales,
aujourd'hui moins recherchées dans les arts, ne sont plus l'objet d'une cul-
ture aussi générale. A l'égard du chanvre, l'Allemagne ne produit que le
tiers de ce qu'elle consomme dans ses fabriques de voiles et de cordages.
Le préjugé qui donne la préférence au chanvre de Bussie est refuté par
l'excellence de celui du pays de Bade, où il en croît des tiges de plus de
5 mètres de haut, et où l'on fait 59 mètres de toile d'un seul kilogramme.
En revanche, le lin, cet objet principal de la manufacture la plus nationale
du pays, est généralement cultivé.
Les vignobles de l'Allemagne ont déjà été indiqués dans nos observations
sur les climats. Ceux qui bordent le Rhin et le Mein ont toujours de la célé-
1 Sauer, acide; kraut, légume. De là les Français ont fait choucroûte.
VII.
3

18
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME.
brité dans le pays même ; le Johannisberg, le Nierenstein, le Leiste, le Stein
et autres, sont vantés par les géographes, chantés par les poêtes et bus par
quelques vieux patriotes allemands et par quelques gourmets en Russie et
en Hollande-, mais l'exemple des grands, le bas prix des vins français, et
les obstacles que les douanes intérieures opposent à la circulation des pro-
duits, concourent à ruiner ces vignobles, qui, sous des administrations
plus patriotiques, répondraient aux soins industrieux de l'infortuné vigne-
ron. Aujourd'hui tout le nord de l'Allemagne consomme généralement des
vins de la Garonne, introduits par Brême, Hambourg et Stettin. La Silésie
boit, comme la Pologne, les vins de Hongrie. Les vignobles de l'Autriche,
de la Styrie et du Tyrol, peut-être inférieurs en qualité, produisent un grand
profit au pays. Les raisins du bord de la Moselle, du Necker, du lac de
Constance, ne donnent qu'un vin plus ou moins médiocre, et les vignobles
de Naumbourg, de Gruneberg, ne produisent, comme ceux de Witzen-
hausen et de lèna, que du vinaigre. On estime la production totale de
l'Allemagne en vin, a environ 12 millions d'eimer, dont près de 5 millions
pour l'Autriche; ce serait la moitié de ce que produit la Hongrie et un
sixième des récoltes de la France.
Une culture plus généralement conforme au climat est celle des arbres
fruitiers, surtout celle des pommiers, des cerisiers, dans le nord ; des châ-
taigniers, des amandiers et des pêchers, dans la zone centrale ; elle n'est
pourtant pas florissante, quoique la pomme de Borstorf1 ait acquis une
juste réputation en Europe. On a voulu forcer la culture du mûrier à
l'usage des vers à soie-, le climat s'y refuse, hors quelques lisières de
l'Autriche-, mais on se flatte maintenant de nourrir ces vers avec le feuil-
lage des arbres indigènes.
Dans un pays aussi riche en pâturages, les bestiaux constituent natu-
rellement une des productions les plus importantes. Les bœufs de l'Alle-
magne sont principalement de deux races: l'une est celle des Alpes,
répandue en Autriche, en Bavière, dans le Tyrol et à Salzbourg, où elle
est élevée et nourrie absolument à la manière suisse-, mais, chose singu-
lière, au milieu des pâturages aromatiques, elle donne moins de lait et
des fromages moins recherchés ; l'autre est celle dite d'Ostfrise, qui s'est
propagée en Westphalie, en Holstein et dans tous les terrains bas nommés
les marsches ; mais parmi cette race massive et lourde, les animaux à
chair délicate et à formes gigantesques viennent du Jutland. Le bœuf
vraiment indigène est d'une espèce peu remarquable. Dans le pays d
1 Postophe dans le jargon des jardiniers français.

EUROPE. — DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE.
19
Hohenlohe, il y a des bœufs de race suisse dont la chair excellente est
recherchée à Paris. Ceux de la Styrie semblent être d'origine hongroise.
Les bêtes à cornes sont estimées, dans les statistiques, à 15 ou 18 mil-
lions. Le nombre des bêtes à laine s'élève à 25 millions, et le croisement
de races est porté très-loin , surtout en Saxe et en Silésie. Le cochon, de
trois variétés, fourmille en Westphalie, en Bavière et dans la Poméranie.
L'Allemagne exporte beaucoup de viande salée et fumée, du jambon et des
peaux ; elle produit de la laine, dont plusieurs qualités sont excellentes, au
delà du besoin de ses importantes fabriques.
Le cheval allemand, plus remarquable par sa force que par sa beauté,
forme l'objet des soins particuliers du cultivateur allemand ; la race de
Mecklembourg et de Holstein est recherchée pour la remonte de la grosse
cavalerie et pour les voitures, celle d'Ostfrise a les formes plus grossières.
La Styrie et d'autres provinces voisines des Alpes donnent des chevaux
très-robustes et très-sûrs pour grimper à travers les montagnes-, mais en
Bavière on élève maintenant des chevaux propres à la course. Ceux des
bruyères de Senne en Westphalie courent vite, il est vrai; mais trop minces
et trop vilains, ils ne sont que des sauvageons. La cavalerie légère doit se
pourvoir en Pologne et en Ukraine.
La volaille abonde dans la plupart des provinces; la Styrie vante ses
dindes et la Bohême ses faisans; la Poméranie est couverte d'oies, qui ne
manquent pas non plus en Westphalie. Les forêts et les bruyères fourmil-
lent de gibier de toute espèce ; seulement la perdrix rouge n'y a pas été
trouvée jusqu'à présent. Les essaims d'oies sauvages deviennent quelque-
fois un fléau, dans le nord surtout, où aussi les cicognes jouissent d'une
vénération populaire. Le héron habite les bords du Rhin ; l'aigle des Alpes,
diverses espèces de faucons, de chats-huants et de corbeaux, distinguent
les forêts et les montagnes de l'Autriche, où le paruspendulinus que nous
avons vu à Astrakhan, suspend aussi ses nids. En général, tous les oiseaux
des Carpathes et des Alpes sont communs à l'Allemagne méridionale ; tan-
disque les plaines germaniques du nord sont plus particulièrement peu.
plées d'oiseaux qui habitent les rivages de la Baltique. L'industrie alle-
mande, et surtout celle des Tyroliens, fournit des serins, dits oiseaux des
Canaries, à tout le nord de l'Europe.
La pêche maritime de l'Allemagne est peu considérable, quoique l'acti-
vité de quelques navigateurs de Hambourg, d'Altona, d'Embden, aille
chercher la baleine jusque parmi les glaces du Groenland et les essaims
de harengs sur les bancs de Shetland. Les délicieux poissons de la Bal-

20
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME.
tique, communs à la Prusse, au Mecklembourg et au Danemark ne doivent
point trouver place dans cet aperçu. Nous jetterons seulement un coup
d'œil sur la pêche fluviale des Allemands: elle est très-considérable, mais
elle devrait l'êtreencore davantage. Le Danubepossède ses énormes husons,
outre une foule d'autres poissons, parmi lesquels diverses espèces de
cyprinus et de perca lui sont particulières; mais l'anguille est bannie de ses
eaux et de celles de ses affluents. Il serait très-curieux de distinguer avec
précision les espèces qui vivent dans la partie supérieure du Danube avant
sa réunion à l'Inn, et celles que cette rivière des Alpes y amène. L'excellent
saumon, qui abonde surtout dans le Rhin , se trouve aussi dans l'Elbe et le
Wéser. On distingue parmi les poissons de l'Elbe et parmi ceux du Wéser,
le véron. Les rivières du Harz et de l'Erz-gebirge sont riches en truites et
en loches. L'Oder nourrit de gros esturgeons. La murène abonde dans les lacs
nombreux de la Poméranie et du Mecklembourg. On vante les lamproies de
Lunebourg, le saumon argenté du lac Chiem, l'ombre bleue du lac Wurm,
outre la foule de poissons ordinaires des lacs et des rivières. Mais les perles
qu'on trouve dans quelques ruisseaux de Bohême, de Saxe et des Ardennes,
ne méritent pas grande attention ; elles sont en général d'un blanc de lait.
Les aurochs et les élans ont disparu des forêts de la Germanie , où l'on
trouve encore le petit ours, le lynx, le chatsauvage elle blaireau. Les loups
mêmes sont rares ; ils descendent des Carpathes et des Ardennes ; mais dans
le milieu de l'Allemagne la vigilance des campagnards les fait aussitôt dis-
paraître. Le hamster (mus cricetus ), dont la Saxe semble être la patrie,
puisqu'on les y déterre quelquefois par milliers, la souris des champs et le
rat d'eau, sont les animaux les plus nuisibles. Les renards, les martres, les
castors ont beaucoup diminué. Autrefois les princes et les seigneurs entre-
tenaient d'immenses parcs de gibier surnommés noble ; il y avait telle
principauté plus peuplée de gibier que d'hommes; les cerfs, les daims, les
sangliers, les lièvres et les lapins, y jouissaient du privilège de détruire les
moissons naissantes du paysan, en attendant qu'une grande chasse de cour
vînt détruire ses récoltes. Plus civilisés, plus vertueux, les princes alle-
mands cherchent aujourd'hui des plaisirs plus dignes de l'homme que celui
de voir un cerf expirer sous la dent des chiens et entretiennent bien moins
de gibier. Ce n'est guère que dans quelques grandes seigneuries de Bohême
de Moravie et de Saxe, qu'on voit aujourd'hui ces fameuses chasses, van-
tées dans les gazettes de cour, où l'on tue en trois jours 1,200 pièces de
gibier, et où l'on voit une peuplade entière de 3,000 lièvres ramassés pour
périr sous les yeux de quelque auguste chasseur.

EUROPE. — DESCRIPTION DE L'ALLEMAGNE.
21
L'industrieux castor habite encore les hauteurs du Bœhmerwald et les
ivages de la Salza ; l'innocent bouquetin des Alpes se montre, ainsi que
le chamois, parmi les glaciers du pays de Salzbourg ; la marmotte vit dans
le Tyrol et la haute Bavière. En général, les faunes des Alpes et des Car-
pathes s'unissent dans les montagnes du sud-est de l'Allemagne.
Nous allons maintenant visiter chacun des nombreux États qui compo-
sent le grand corps germanique. Mais quel ordre adopter? Quelle méthode
suivre? Pour ramener quelque clarté dans cette confusion d'États enclavés
les uns dans les autres, nous chercherons à concilier à la fois les divi-
sions physiques et les divisions politiques, en groupant en trois sections :
Allemagne septentrionale,
Allemagne centrale,
Allemagne méridionale,
les quarante États qui composent aujourd'hui la Confédération germa-
nique, et nous terminerons par un livre d'ensemble, qui fera connaître
l'état social, intellectuel et moral des peuples germaniques.
Le tableau suivant indiquera à la fois l'ordre que nous nous proposons
de suivre dans notre description topographique, le nom des États alle-
mands confédérés, leur situation physique, et le bassin hydrographique
auquel ils appartiennent.
BASSIN HYDROGRAPHIQUE
NOM DE L'ÉTAT.
CAPITALE.
AUQUEL IL APPARTIENT.
ALLEMAGNE SEPTENTRIONALE.
Monarchie PRUSSIENNE
I Berlin
Vistule, Oder, Elbe. — Wéser,
Ems, Rhin.
Duchés de HOLSTEIN et de LAUENBOURG t. .
Glückstadt.
Eyder, Elbe.
Grand-Duché de MECKLEMBOURG-SCHWERIN.
Schwérin. ,
Elbe, Varnow, Recknitz.
Grand-Duché de MECKLEMBOURG-STRELITZ.
Slrelitz. . .
Elbe ( par le Ha vel ), Trave, Re-
cknitz.
République de LUBECK
Lubeck.. . .
Trave.
République de HAMBOURG. . .
Hambourg.
Elbe.
République de BREME
Brème. . . .
Wéser.
Royaume de HANOVRE
Hanôvre. . .
Elbe, Wéser,Ems.
Grand-Duché D'OLDEMBOURG.
Oldenbourg
Wéser, Jahde, Ems.
Seigneurie de KNIPHAUSEN. . .
Kniphausen.
Jahde.
Duché de BRUNSWICH
Brunswich.
Véser (par l'Aller et l'Ocker),
Elbe ( par la Saale).
Principauté de LIPPE-DETMOLD.
Detmold.
Rhin ( par la Lippe), Wéser (par
la Verra).
Principauté de LIPPE-SCHAUENBOURG.
Bückebourg.
Wéser ( par l'Emmer).
Principauté d'ANHALT—DESSAU. . . .
Dessau. . .
Elbe (par la Mulda).
Principauté D'ANHALT-BERNBOURG. .
Bernbourg.
Elbe (par la Saale),
Principauté d'ANHALT-KOETHEN. . .
Kœthen. . .
Elbe.
1 Voir la description tie ces duché , tome VI, page 683 et suivantes.

22
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
CAPITALE.
BASSIN HYDROGRAPHIQUE
NOM DE L'ÉTAT.
AUQUEL IL APPARTIENT.
ALLEMAGNE CENTRALE
Grand-Duché de LUXEMBOURG
1
Luxembourg.
Rhin (par la Moselle).
Duché de NASSAU
Wiesbaden.
.
Rhin ( par le Mein et la Lahn).
GranD-Duehé de HESSE-DARMSTADT.
Darmstadt. .
Rhin.
Grand-Duché de HESSE-ELFCTORALE.
Cassel
Wéser, Rhin.
Landgraviat de HESSE-HOMBOUBG.
Hombourg.. .
Rhin ( par la Nahe et le Mein).
République de FRANCFORT
Francfort. . .
Rhin ( par le Mein).
Principauté de WALDECK
Corbach. . . .
Wéser ( par la Fulda).
Grand-Duché de SAXE-WEIMAR.
. .
Weimar. . . .
Elbe ( par la Saale), Wéser ( par
la Verra).
Duché de SAXE-MEININGEN-HILDBOURGHAUSEN.. . Meiningen.
Wéser (par la Verra), l'Elbe
( par la Saale).
Duché de SAXE-ALTEMBOUBG. . .
Altembourg.
Elbe ( par la Mulda et la Saale).
Duché de SAXE.-COBOURG-GOTHA.
Cobourg. . .
Rhin ( par le Mein), Wéser (par
la Verra).
Royaume de SAXE
Dresde
Elbe et Oder.
Principauté de SCHWARTZBOURG-RUDOLSTADT. . .
Rudolstadt
. . Elbe ( par la Saale).
Principauté de SCHWAKTZBOCRG-SUNDERSHAUSEN. Sondershausen. Elbe ( par la Saale).
Principauté de REUSS-GREIZ
Greiz
Elbe (par la Mulda).
Principauté de REUSS-SCHLEIZ
Schleiz
Elbe (par la Saale et la Mulda).
Principauté de REUSS-LOBENSTEIN-EBERSDORF. . Ebersdorf. . . , Elbe ( par la Saale et le Mein).
ALLEMAGNE MERIDIONALE.
Principauté de LIECHTENSTEIN
Vaduz. .... . Rhin.
Principauté de HOHENZOLLERN-SIGMARINGEN.
Sigmaringen. . Danube
Principaulé de HOHENZOLLERN-HECHINGEN.
,
Hechingen. . . Rhin ( par le Necker).
Grand-Duché de RADE
Carlsruhe. . . . Rhin et Danube.
Royaume de BAVIÈRE
Munich
Danube et Rhin.
Royaume de WURTEMBERG
Sluttqard. . . . Danube et Rhin.
Empire d'AUTRICHE
Vienne
Elbe. Oder. Vistule, Danube,
I
Rhin, Adigé, Brenta et Isonzo.
Voir plus loin la description de ce duché avec celle de la monarchie Néerlandaise.
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne septentrionale. — Monarchie prus-
sienne. — Coup-d'œil historique et physique. — Description topographique. —
Provinces polonaises et provinces à l'est du Wéser.
La Prusse se compose aujourd'hui de deux grands groupes de provinces
et de quel jues territoires isolés.
1° La Prusse orientale à l'est du Wéser, qui est la plus importante,
renferme les provinces de Prusse, Posen, Rrandebourg, Poméranie, Silé-
sie, Saxe. Elle est bornée au nord parle duché de Mecklembourg et la mer
Baltique-, à l'est par une ligne de démarcation qui la sépare de la Russie;
au sud par les provinces autrichiennes de Galicie, Silésie et Bohême et par

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
23
le royaume et les divers duchés de Saxe; à l'ouest par la Hesse-Cassel, le
Hanovre et le Brunswick.
2° La Prusse occidentale ou à l'ouest du Wéser renferme les deux pro-
vinces de Westphalie et du Rhin, et a pour bornes au nord le Hanovre ; à
l'est la principaulé de Lippe, le Brunswick, la Hesse-Cassel, le Nassau et
la Bavière-Rhénane ; au sud la France-, à l'ouest le Luxembourg, la Bel-
gique et la Hollande.
Deux routes militaires réunissent ces deux territoires et assurent en tout
temps les communications.
Les territoires en dehors de ceux que nous venons d'indiquer et qui
dépendent de la Prusse sont, outre quelques cantons secondaires, la prin-
cipauté de Lichtenberg acquise en 1834 ; les deux duchés de Hohenzollern
Sigmaringen et Hechingen cédés en 1849 , et le canton suisse de Neuf-
châtel (ancienne principauté) qui s'est déclaré indépendant en 1848, mais
sur lequel la Prusse n'a pas renoncé aux droits de souveraineté que lui
donnent les traités de 1815.
Nous allons parcourir chacune des deux grandes parties qui composent
la monarchie prussienne, remettant à leur position spéciale la description
des autres territoires ou enclaves, et nous aurons soin de réunir dans des
tableaux statistiques les documents les plus propres à compléter notre
description.
La Prusse proprement dite et le grand-duché de Posen, qui vont d'abord
nous occuper, ne sont pas des pays allemands ; cependant la nécessité de
de ne pas multiplier les divisions nous fait un devoir de les décrire ici avec
les États de la Confédération germanique.
Mais voyons d'abord quelle fut l'origine de cette monarchie.
Dans les contrées que baignent, avant de s'écouler dans la mer Baltique,
la Vistule à l'ouest, et le Niémen à l'orient, les anciens Æstyi, Venedi et
Guttones, avaient, avant le dixième siècle, formé un peuple mixte, wendo-
gothique, sous le nom de Pruczi1 nom qui probablement vient de quelque
ancien mot wende, lié avec celui de prusznika, terre dure et glaiseuse,
comme le sont celles du plateau intérieur de la Prusse orientale. Ils étaient
divisés en plusieurs tribus, dont les principales étaient les Pruczi propres,
nommés aussi Sembes ou indigènes, dans le Samband, pays appelé aupa-
ravant Wittland, et les Natangi, ou habitants de taillis, au sud de Pregel.
Les Lithuaniens et les Samogitiens appartenaient à la même race que les
Pruczi, et tous ensemble avaient pour principale souche les anciens
1 Prononcez Prutsi. On trouve aussi écrit Prutzi, Pruteni et Brutzi.

24
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
Venedi ou Wendes, parmi lesquels d'autres tribus gothiques et finnoises
ont dû vivre disséminées, ou ont quelquefois du exercer une domination
temporaire.
La langue des anciens Pruczi, comprimée avec violence dans les trei-
zième, quatorzième et quinzième siècles, et éteinte en 1683, ne différait
que comme un dialecte de celle des Lithuaniens, et doit être considérée
comme la fille en ligne directe de celle des Venedi ou anciens Wendes.
Cette langue, que nous nommeronsproto-wende, a dû retentir sur les bords
de la Baltique depuis un temps immémorial-, car le commerce de l'ambre
jaune, qui semble se perdre jusque dans la nuit des temps, se faisait, au
moins aux premiers siècles de l'ère vulgaire, entre les Venedi de la Bal-
tique et les Veneti de l'Adriatique, et une semblable communication indique
toujours une parenté très-ancienne de ces peuples.
Les Pruczi n'avaient d'autre lien national connu que la hiérarchie qui
présidait à leur culte commun. Le kriwe, ou juge suprême, était en mémo
temps le suprême pontife, le grand sacrificateur. Il résidait à Romowe, dont
la situation n'est pas très-certaine, mais qui ne paraît pas avoir été éloi-
gnée de la province centrale de Natangie, ni du site où postérieurement
s'éleva le monastère de la Sainte-Trinité. Le kriwe, qui prenait aussi le
titre de kriwve-kriweyto, juge des juges, paraît avoir été électif parmi les
prêtres. Quelquefois, dans sa vieillesse, il s'immolait lui-même pour le
salut de son peuple. Le kriwe avait sous lui une longue série de prêtres ou
de magiciens initiés à diverses parties du culte.
Mais nous ne savons rien de positif sur les principales divinités de ce
peuple ; car, tandis qu'on cite généralement une espèce de trinité com-
posée de Perkunos, le dieu de la lumière et du tonnerre; de Pikollos, le
dieu des enfers, et de Potrimpos, le dieu de la terre, des fruits et des ani-
maux, d'autres passages signalent, comme culte dominant, l'adoratiou du
soleil, de la lune et des astres, et même celui des animaux réputés sacrés
pour chaque canton particulier. La vénération des animaux, tels que les
lézards, les grenouilles, les serpents, a duré en Lithuanie jusque dans le
dix-septième siècle.
Les fêtes de trois grandes divinités présentent l'appareil sinistre des
sacrifices sanglants, et on y offrait même des victimes humaines; les pre-
miers missionnaires du christianisme et les chevaliers teutoniques furent
immolés au milieu de tourments affreux.
Les sanctuaires des anciens Prussiens et Lithuaniens n'étaient que des
places consacrées à l'ombre des chênes ou des tilleuls antiques. Le chêne

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
25
de Romowe, toujours verdoyant, offrait sous ses épais rameaux un abri
complet contre la pluie et la neige-, les chrétiens l'abattirent. Celui de
Thorn servit de poste de défense à une troupe de chevaliers. Dans le creux
de celui de Welau, un homme à cheval pouvait se retourner : deux mar-
graves de Brandebourg en firent l'essai ; cet arbre tomba de vieillesse au
seizième siècle.
Les Pruczi, loués pour leur humanité envers les naufragés par Adam
de Brème, organe du roi Suénon de Danemark, paraissent avoir vécu sous
la domination d'un grand nombre de seigneurs indigènes, indépendants
les uns des autres, et qui n'exerçaient dans leurs provinces qu'une auto-
rité limitée à la fois par les prêtres et le peuple. Leurs grains, leur miel, la
viande de leurs troupeaux, leur fournissaient une nourriture abondante ;
ils tiraient du lait des juments une boisson enivrante, et s'habillaient des
pelleteries recherchées par les nations voisines. Les chefs habitaient des
maisons étendues et solides, en bois. Des forteresses, également en bois,
couvraient les frontières, mieux défendues d'ailleurs par le courage des habi-
tants. LesPolonais, encore sauvages, enlevaient dans leurs courses les fruits
et les enfants. L'hospitalité des Prussiens ouvrait un libre accès aux étran-
gers paisibles, à l'exception des sanctuaires où les images de leurs divi-
nités reposaient sous l'ombrage épais des arbres sacrés ; en approcher était
un crime punissable de mort. Les Pruczi avaient « les yeux bleus, la che-
« velure blonde et le teint fleuri ; » portrait qui ne correspond pas entière-
ment avec le physique des paysans samogitiens et lithuaniens, seuls restes
purs de la nation ; mais il est probable que la race blonde, descendue des
Guttones ou Goths, formait la classe dominante. Une distinction des sei-
gneurs et des vassaux devient manifeste par toutes les circonstances des
guerres des Prussiens contre l'ordre Teutonique ; mais de simples esclaves
n'auraient pas combattu avec autant de vaillance.
Les Prussiens ayant, vers la fin du dixième siècle, puni de mort un des
apôtres du christianisme, qui venait changer le culte de leurs pères, les
princes de la Pologne, devenus chrétiens, saisirent cette occasion pour
subjuguer un pays qui était à leur convenance. Boleslas Ier vengea la
mort de saint Adalbert en ravageant la Prusse par le fer et la flamme. Il
paraît que cette méthode de conversion ne plut pas aux Prussiens ; ils res-
tèrent païens et libres-, ils battirent entièrement les Polonais en 1163,et
envahirent plusieurs provinces le long de la Vistule. Ayant déployé la ban-
quère rouge et blanche de la sainte croix, Waldemar II, roi de Danemark,
oumit, au commencement du treizième siècle, plusieurs parties de la
VII.
4

26
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
Livonie et de la Prusse; et cette dernière province lui resta fidèlement
attachée, même à l'époque où il perdit toutes ses autres conquêtes (l'an
1227).
Les faibles successeurs de Waldemar perdirent de vue les Prussiens,
qui, de jour en jour, devenaient plus formidables pour les Polonais. Ces
derniers, désespérant de se pouvoir mettre à l'abri des incursions des
Prussiens, appelèrent à leur secours les chevaliers de l'ordre Teutonique,
l'un de ces ordres moitié religieux, moitié militaires, qui devaient leur ori-
gine aux croisades. Les chevaliers porte-glaives s'étaient déjà fixés dans
la Courlande, et avaient profité des revers de Waldemar II pour lui enlever
une partie de la Livonie. Après eux les chevaliers teutoniques vinrent
s'établir dans le pays de Culm, que la Pologne leur céda. Cent chevaliers,
sous Hermann de Balk, parurent les premiers, et commencèrent la con-
quête de la Prusse. En l'an 1230, Thorn devint leur capitale, et ils par-
vinrent à subjuguer en cinquante-trois ans, un pays qui avait résisté
pendant quatre siècles aux armes victorieuses de la Pologne. Trois fois le
désespoir souleva toute la nation prussienne; trois fois quelques milliers
de chevaliers triomphèrent d'un peuple mal armé. Les provinces, con-
quises une à une, furent aussitôt garnies de châteaux-forts que les vaincus
furent obligés de construire. Le grand-maître établit, en 1309, sa rési-
dence à Marienbourg, château-fort qui jadis bravait même l'artillerie, et
dont les murailles épaisses, les voûtes hardies, l'énorme pilier central, les
salles pleines d'ornements historiques, excitent encore l'admiration des
connaisseurs; c'était leCapitole de l'ordre Teutonique. Ce fut alors que la
langue allemande, qui était celle de la plupart des chevaliers teutoniques,
devint dominante en Prusse. Les anciens Pruczi, en partie convertis, en
partie repoussés en Lithuanie, cessèrent enfin des guerres sans fruit. Les
seigneurs baptisés furent admis dans l'ordre. Le peuple échangea son
ancien état de vassal contre une servitude bien plus dure. Les nombreuses
colonies d'Allemands, appelées par l'ordre, élevèrent des cités florissantes,
auxquelles on assura des priviléges presque républicains. Ainsi se for-
mèrent successivement les trois ordres d'États provinciaux qui partici-
pèrent aux diètes, la souveraineté restant réservée à l'ordre Teutonique.
Mais les chevaliers firent peser sur les Pruczi un joug si lourd, que ceux-ci
appelèrent à leur secours leurs anciens ennemis les Polonais. Le roi de
Pologne,, Jagellon, battit complétement les chevaliers à la journée de Tan-
nenberg, en 1410, et humilia leur insolent orgueil.
Le destin de l'ordre Teutonique semblait fini. Jagellon en assiégeait les

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
27
restes dans Marienbourg; toutes les provinces cherchèrent à traiter avec le
vainqueur. Deux hommes sauvèrent, pour quelque temps du moins,
l'ordre, Henri Reuss, le nouveau grand-maître, par sa ferme activité, et
Conrad Lezkau, bourguemestre de Dantzick, en amenant des renforts ines-
pérés. Mais la tyrannie impolitique des chevaliers continua, et en 1440,
les villes de Dantzick, d'EIbing, de Thorn et autres, ainsi que la noblesse
de plusieurs provinces, conclurent une alliance formelle contre l'ordre
Teutonique. Enfin, en î 454, toute la Prusse occidentale se mit en insur-
rection contre l'ordre, et se plaça sous la protection du roi Casimir IV, qui
leur confirma tous leurs priviléges ; en sorte que ce pays forma en effet un
État absolument indépendant de la république de Pologne, qui n'était
soumis qu'au roi en personne, et qui tenait ses diètes à part. La guerre
sanglante qui fut la suite de cette affaire dura treize ans, pendant laquelle
les Polonais ravagèrent entièrement la partie de la Prusse restée fidèle à
l'ordre Teutonique. On prétend que de 21,000 villages, il n'y en eut que
3,013 qui échappèrent aux flammes ; près de 2,000 églises furent détruites.
La paix conclue en 1466 confirma les Polonais dans la possession de la
Prusse occidentale, qui dès-lors prit, dans les géographies, le nom de
Prusse royale ou polonaise. Les chevaliers de l'ordre Teutonique ne con-
servèrent la partie restante qu'en se reconnaissant vassaux de la Pologne.
En vain essayèrent-ils de se soustraire à cette injurieuse domination,
après une guerre de six années, ils furent vaincus, et la paix de Cracovie ;
en 1525, anéantit le pouvoir de l'ordre Teutonique, et changea totalement
la constitution de la Prusse. Le margrave Albert de Brandebourg, grand-
maître de l'ordre, fut reconnu par ce traité comme duc héréditaire de la
Prusse, sous la souveraineté de la Pologne.
Albert introduisit dans la Prusse ducale la réforme de Luther, et fonda,
en 1544, l'université de Königsberg. En 1618, l'électeur Joachim Friderich
fit entrer le duché de Prusse dans la maison électorale de Brandebourg,
qui depuis cette époque en a conservé la possession. Par le traité de
Wehlau, en 1657, sous le grand-électeur Frédéric-Guillaume, le duché de
Prusse fut élevé en souveraineté indépendante. Son fils et successeur,
Frédéric Ier, prit en 4 700, de sa propre autorité, le titre de roi. La Pologne
fut la seule puissance qui se refusa longtemps à lui reconnaître cette
dignité.
Ainsi sortit le royaume de Prusse des débris de l'ordre Teutonique, il
était bien humble à son origine, et ne comptait pas au delà de 7 à 800,000
habitants. Mais les différents partages de la Pologne, en 1772, 1791 et

28
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIEME.
1792, vinrent successivement en tripler l'étendue. Au moment des grande
guerres qui suivirent la Révolution, son existence fut un instant menacé
et Napoléon put mettre la main sur l'épée du grand Frédéric, en disap
« ceci est à moi ! » L'orage passa avec les traités de 1814 et 1815, la
monarchie prussienne rentra non-seulement dans ses anciennes posses-
sions, mais s'accrut encore. Depuis celte époque, la Prusse a profité de la
paix pour répandre la prospérité dans ses États.
La description physique de la Prusse ne saurait guère être qu'un appen-
dice du tableau général de la plaine sarmatique, ou la neuvième région
physique de l'Europe, que nous avons esquissée en tête de la description
de la Pologne. Cependant il faut remarquer quelques traits particuliers.
Les plaines sablonneuses, mais fertiles, de l'ancien royaume de Pologne,
s'étendent à travers la province de Posen; et, devenues moins fertiles,
elles remplissent toute la partie ouest de la Prusse occidentale : on y voit
une lande alterner avec un marais ou un petit bois marécageux, et la
côte se terminer, vers la Baltique, en dunes qui se confondent avec celles
de la Poméranie. Mais la nature du sol change lorsqu'on passe dans la
Prusse ancienne proprement dite, ou le pays compris entre la Vistule et
le Memel ; les bords de ces deux fleuves, surtout vers leur embouchure,
présentent d'abord des terres basses, fertilisées par des inondations;
ensuite s'élève un plateau de terres argileuses, orné de forêts, animé de
lacs, parsemé de collines, mais la plus haute de ces collines, le Galtger-
ben, près Cumehnen, n'a que 165 mètres au-dessus du niveau de la mer
Baltique. Les autres ne s'élèvent qu'à la moitié de cette hauteur, et
les falaises par lesquelles la côte se termine, quoique abruptes, n'ont
généralement que 50 à 60 mètres de hauteur. Les rivages orientaux
du Curische-Haff sont formés de terrains tourbeux qui s'étendent jusque
près de Memel au nord, près de Kaukehnen à l'est, et près de Labiau
au sud.
Les fleuves qui ont leur embouchure en Prusse sont les suivants : le
Niemen, en lithuanien Nemony (le silencieux ou l'invariable), venant de
Lithuanie, et qui, en se jetant dans le lac maritime nommée Curische-
Haff par deux branches, le Russ et le Gilge, finit lui-même sans nom
indigène, mais reçoit en allemand celui de la ville de Memel, située sur
l'écoulement du Curische-Haff : la branche nommée Russ se subdivise
près du bourg de ce nom en trois autres branches, l'Almat, le Skirviet et
la Pokolna, qui forment à leur embouchure une multitude d'îles. Le Pre-
gel, en ancien prussien la Prigolla ou Ρrigora (rivière des collines),

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
29
formé par les débouchés des lacs de l'intérieur de la Prusse, ou, si l'on
veut, par la réunion de l'Angerap et de la Pissa, reçoit encore une rivière
considérable, l' Alle, et s'écoule dans le lac maritime nommé Frische-Haff-,
il forme au-dessus de Königsberg plusieurs îles assez considérables, et ne
porte jusqu'à cette ville que de petits navires: une farte barre, qui se
trouve à son embouchure, empêche les gros bâtiments de le remonter.
Enfin la Vistule (Wisla en polonais, Weichsel en allemand) se partage en
trois bras, l'un conservant le nom généra! et s'écoulant dans la Baltique,
au nord de Dantzick ; l'autre, nommé la Vieille-Vistule, et qui verse ses
eaux peu abondantes dans le Frische-Haff; le troisième enfin qui, sous le
nom de Nogat ou Nogath, s'écoule également dans ce lac. Les eaux de la
Vistule paraissent avoir perdu de leur profondeur, et déjà près de Thorn
ce fleuve est guéable.
Nous avons nommé les deux lacs dits Frische-Haff et Curische-Haff.
C'est un des traits les plus curieux de la géographie de la Prusse. Le mot
haf signifie en danois et en suédois une mer quelconque. Ce mot, importé
peut-être par les conquêtes de Waldemar II, dénote maintenant, sur les
côtes de la Prusse et de la Poméranie, ces lacs qui se trouvent à l'embou-
chure de l'Oder, de la Vistule, du Pregel, du Memel et d'autres fleuves.
Ce ne sont pas proprement des golfes et des lagunes, puisque l'eau y est
douce, ni des lacs, puisqu'ils communiquent directement à la mer par de
grands détroits navigables. Nous les nommerons lacs maritimes.La Prusse
compte deux grandes eaux de ce genre.
Le Frische-Haff, c'est-à-dire le haf aux eaux douces, a vingt-une
lieues en longueur, et de deux à quatre en largeur. Une chaîne de bancs
de sable le sépare de la mer Baltique, avec laquelle il communique par un
détroit nommé Gatt. Ce détroit n'a que 3 mètres d'eau, et le Frische-Haff
lui-même est encore moins profond, circonstance qui diminue tous les
avantages commerciaux que l'on serait tenté d'attribuer à ce lac d'après
un coup d'œil sur la carte.
Le Curische-Haff a vingt lieues de long sur cinq à dix de large; la lan-
gue de terre dite Curische-Nerung, qui le sépare de la mer, est plus
étroite, mais aussi plus élevée que celle du Frische-Haff. On trouve ici
tant de bancs et de bas-fonds, que les bateaux peuvent seuls traverser
cette eau, encore y est-on exposé à des ouragans fréquents. Il commu-
nique à la Baltique par un canal d'environ 1,000 mètres de largeur sur
4 de profondeur. Depuis ses bords méridionaux jusqu'au village de
Windebourg, ses eaux n'ont point de courant; mais au delà elles devien-

30
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
nent très-rapides, et quelquefois même elles entraînent les navires à
travers les récifs dont la côte est bordée. Le canal de la Deime le met en
communication avec le Pregel, et favorise par là le commerce de la petite
ville de Tapiau, située à peu de distance de Pregel. Le Curische-Haff
doit son nom aux anciens Cures ou Koures, qui en habitaient les bords
Les pêcheurs qui habitent les bords de ce lac conservent le nom de
Cures. Les tempêtes ensevelissent souvent leurs frêles cabanes sous des
amas de sable.
Le succin, ou l'ambre jaune, substance que l'on regarde aujourd'hui
comme une résine végétale de l'ancien monde, est une des productions
minérales les plus intéressantes de la Prusse. C'est une substance résineuse
solide, très-légère, à cassure vitreuse ; de couleur jaunâtre, rougeâtre ou
brunâtre, attirant les matières légères lorsqu'elle a été frottée, s'enflam-
mant et s'évaporant dans le feu, en répandant une odeur agréable et lais-
sant à peine un résidu charbonneux. Les peuples gothiques le nommaient
glar, ou glas, verre, et dans une mythologie qui semble antérieure à celle
d'Odin, le Glasiswoll, ou le palais aux murs d'ambre, figure comme une
création magique ravissante. Les Grecs donnèrent au succin le nom
élec-
tron; et comme il a la qualité d'attirer les matières légères, lorsqu'il a
été échauffé par le frottement, on a de ce mot grec formé les expressions
de force électrique, électricité, et autres semblables, de sorte qu'une
petite substance fossile a donné des noms aux phénomènes les plus impo-
sants et les plus terribles de la nature. Les opinions sur son origine ont
varié à l'infini, mais elle paraît être végétale. Quelle que soit son origine,
l'ambre a dû être fluide dans son état primitif, puisqu'on y voit souvent
enfermés des corps étrangers, comme des feuilles, des insectes, des gouttes
d'eau, du bois.
L'ambre, ou plutôt le succin pur, était d'un prix énorme chez les
anciens; ils le mettaient au niveau de l'or et des pierres précieuses. Les
Phéniciens furent les premiers qui pénétrèrent dans les mers du Nord pour
chercher celte matière. Il est aujourd'hui passé de mode. On en fait encore
à Stolpe, en Poméranie, et à Konigsberg, en Prusse, des petits bijoux, des
poudres d'odeur-, on en extrait un acide appelé acide succinique, utile dans
les laboratoires de chimie, et surtout une huile fine qui sert pour la com-
position des vernis gras, blancs et transparents, auxquels elle donne beau-
coup d'éclat. Les Danois et les Italiens exportent en grande partie l'ambre
brut et y gagnent la main-d'œuvre. C'est en Turquie surtout que les Armé-
niens vendent les produits de cette industrie, l'huile et l'acide exceptés. On

EUROPE. - DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
31
croit que beaucoup d'ambre jaune est porté à la sainte Ka'aba, à la Mekke.
On estime la quantité d'ambre trouvée en Prusse à 200 tonnes par an-, et
comme c'est une régale, le roi en tire 70 à 80,000 francs de revenu.
L'étendue de la côte où l'on recueille actuellement en Prusse le succin,
est d'à peu près 6 lieues en longueur, depuis Pillau jusqu'au delà du vil-
lage de Palmnicken. Ce ne sont que les vents forts de nord et de nord-ouest
qui le poussent sur le rivage. Mais à Dirschkeim, on a ouvert, dans les
collines mêmes de la côte, des carrières d'un produit plus certain. D'autres
endroits, dans l'intérieur de la Prusse, contiennent des dépôts d'ambre
jaune ; et c'est même à Schleppacken, à 12 milles d'Allemagne, sur la fron-
tière de la Litbuanie, qu'on a trouvé le plus grand morceau connu 1. Les
hautes collines de Goldapp, à 7 lieues au sud de Gumbinnen, en donnent
beaucoup, et les falaises de la vallée de la Vistule, près Thorn et Grau-
denz, n'en sont pas dépourvues.
C'est assez parler d'une curiosité, passons aux choses utiles. Le
royaume de Prusse est singulièrement fertile en blés de toutes espèces,
particulièrement en seigle et en orge, moins en froment-, le blé-sarrasin et
les pois, le millet et le grémil, ou manne, s'y recueillent aussi en quantité.
La culture des pommes de terre est poussée très-loin, et cette production
sert de nourriture à la plupart des habitants. Le houblon et le tabac vien-
nent très-bien en plusieurs endroits. La culture des légumes, sans être
aussi commune qu'en Allemagne, n'est pas négligée. Les arbres fruitiers
sont loin de suffire aux besoins du royaume. Le chanvre et le lin sont deux
articles d'exportation très-considérables ; le premier vient mieux dans la
partie occidentale, l'autre dans l'orientale.
Les forêts, encore très-étendues, consistent en chênes, tilleuls, ormes,
aunes, pins et bouleaux ; mais les beaux et grands chênes deviennent
rares. On exporte de la potasse et du goudron. Les fleuves et les lacs
donnent jusqu'à soixante-dix-neuf espèces de poissons excellents, entre
autres les murènes et les anguilles, qu'on exporte fumées ; les esturgeons
du Frische-Haff fournissent du caviar.
Les urus, ou aurochs, ont disparu ; mais on voit encore de temps à
autre quelques ours et quelques élans, ainsi que beaucoup de sangliers et
de cerfs. La nature a favorisé ces contrées en leur donnant, dans un haut
degré de perfection, la plus noble de ses productions parmi les quadru-
pèdes, je veux dire le cheval. Il nous semble qu'on doit distinguer ici deux
1 Ce morceau, d'environ 37 oentimètres de long sur 19 de largo, est déposé à
Berlin, au cabinet des mines.

32
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
races de chevaux : l'une qui doit son origine aux chevaux tatares, et c'est
celle de la Pologne et de la Lithuanie; l'autre provenant des chevaux alle-
mands, français, napolitains, danois, que les chevaliers teutoniques ame-
nèrent avec eux dans la Prusse. Les chevaux de la première de ces deux
races sont plus lestes, mais d'un pied moins sûr que les autres. Il y avait
autrefois plusieurs haras royaux dans la Prusse orientale ; mais depuis le
dessèchement des marais de Stallupohnen, on les a réunis tous dans cet
arrondissement. Ce district des haras, nommé le Stutamt, et dont Tra-
kehnen est aujourd'hui le chef-lieu, est vraiment unique dans l'Europe
pour l'étendue et la magnificence; mais il serait plus utile pour les culti-
vateurs s'il était disséminé par plusieurs sections sur toute l'étendue du
pays. On peut encore compter ici une troisième race de chevaux ; elle est
petite, court-jointée, mais agile et capable de fatigue. On la regarde comme
un reste de la race indigène commune à la Prusse, à la Lithuanie et même
à la Scandinavie.
Pour faire notre voyage topographique dans la monarchie prussienne,
nous commencerons par la Prusse proprement dite, qui se subdivise en
Prusse orientale et Prusse occidentale, et, sous le rapport politique, forme
les régences de Königsberg, de Gumbinnen, de Dantzick et Marienwerder.
Ce fut le roi de Bohême, Prismislas Ier, qui, en 1255, conseilla aux che-
valiers teutoniques, ses alliés, de construire sur le Pregel un château-fort,
qui reçut en son honneur le nom de Konigsberg, mont royal. Cette ancienne
capitale de la Prusse a près de 4 lieues de pourtour; mais cet espace est
rempli de jardins et même d'étangs. La ville, qui compte 75,240 habitants,
se compose de trois parties : la Vieille-Ville, le Löbenicht et l'île de
Kneiphof. D'anciens remparts entourent fort utilement ces trois quartiers,
parmi lesquels celui de Kneiphof'est un des plus beaux. On a, de la tour du
château, une vue superbe sur le Frische-Haff, sur le port, le fleuve, la ville
et une grande partie de la Prusse. L'ancienne citadelle, appelée Friedrichs-
bourg, est couverte de constructions industrielles. La cathédrale est un
vaste édifice qui, par son architecture et ses ornements intérieurs, attire
l'attention des voyageurs; elle renferme les tombeaux de plusieurs grands
maîtres. L'hôtel-de-ville, dans l'île de Kneiphof, la bourse, l'arsenal, la
salle de spectacle et les collections de l'université, méritent aussi d'être
mentionnés. Le port n'ayant que 3 mètres de profondeur, et la partie de
Frische-Haff qu'on traverse pour y arriver étant encore moins profonde,
les grands vaisseaux sont obligés de décharger par des alléges ; néanmoins
le commerce, surtout en exportation de blés et de bois de construction, est

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
33
florissant. L'université a été illustrée par Kant, un des philosophes les plus
subtils, mais écrivain ténébreux. Königsberg possède, outre son univer-
sité, dont la fondation remonte à l'an 1544, un grand lycée appelé colle-
gium Friedericianum, un gymnase, une école normale, un séminaire pour
les théologiens et les instituteurs, une école des métiers, et une société
royale de littérature. Elle est la patrie du naturaliste Klein, du grammairien
Gottsched et du philosophe Kant, en l'honneur duquel on a récemment
élevé un monument. Konigsberg est relié au chemin de fer de Berlin à
Dantzick par un embranchement qui passe à Dirschau, Marienbourg,
Elbing et Braunsberg.
A 8 lieues à l'ouest de la capitale, on voit sur une presqu'île baignée par
la Baltique et le Frische-Haff, la forteresse de Pillau, la clef militaire de la
Prusse orientale, le port où mouillent les gros navires pour Konigsberg. La
ville ne renferme que 4,500 habitants-, elle est bien bâtie et n'est point
entourée de remparts: son fort est sa seule défense. Les côtes intérieures
de la presqu'île et ses environs sont appelés le paradis de la Prusse.
En remontant le Prégel vers l'est, nous remarquerons Wehlau, au con-
fluent de l'Aile, Insterbourg, avec 6,000 habitants, où l'on fabrique une
bière double nommée zinober, et Gumbinnen, ville assez agréable et indu-
strieuse, peuplée autant que la précédente, et chef-lieu d'une régence qui
comprend la partie dite lithuanienne et la Prusse.
Au nord, sur le Memel ou Niemen, nous voyons Tilsit, la seconde ville
de la Prusse orientale, peuplée de 12,000 habitants, et célèbre par l'entre-
vue d'Alexandre Ier et de Napoléon, au mois de juillet 1807. A l'embou-
chure de la petite rivière de la Dange, sur le canal qui réunit le Curische-
Haff à la Baltique, Memel, forteresse respectable et ville de commerce
florissante, surtout par l'exportation du chanvre et du bois, occupe la
stérile et triste extrémité de la Prusse. Son port est spacieux et sûr, mais
l'entrée en est obstruée par des bancs de sable : cependant il y entre
annuellement plus de 1,000 navires. Elle renferme environ 9,000 habi-
tants.
Entre Tilsit et le Curische-Haff, s'étend un pays plat, marécageux et
exposé aux débordements des deux bras du fleuve Memel, nommés Gilge
et Russ, qui le traversent. Ces contrées manquent de grains et de bois ,
mais les pâturages sont excellents, et les habitants peuvent fournir tout le
royaume de beurre et de fromage.
En revenant sur Königsberg, nous voyons devant nous les plaines fer-
tiles et boisées de la Prusse centrale, où les châteaux anciens et les fermes
VII.
5

34
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
ou vorwerk modernes figurent d'une manière plus intéressante que les
villes peu considérables et peuplées uniquement de petite bourgeoisie,
d'ailleurs assez industrieuse et civilisée. Braunsberg, capitale de l'Ermeland
ou de l'ancien évêché de Warmie, fait seule une exception : située sur la
petite rivière de la Passarge, elle commerce en fil, en grains et en mâts, et
compte plus de 6,000 habitants. Des établissements d'instruction publique
lui donnent quelqu'importance. Rastenbourg, sur le Guber ; Bartens lein
et Heilsberg, sur l'Aile-, Landsberg. sur leStein ·, Preussich-Eylau et Fried-
land, toutes deux célèbres par les victoires remportées en 1807 par Napo-
léon ; Nordenbourg, Barthen, et plusieurs autres, sont moins peuplées.
Chaque ville a ici sa boisson célèbre ; ainsi à Preussisch-Holland, près du lac
de Drausen , on vante la bière nommée fullwurst, et à Goldapp on exalte
l'hydromel. Dans le lac de Bantkin, près de Gerdauen, on voit une île flot-
tante qui, par ses mouvements, indique les changements de l'atmosphère,
et qui, pour cette raison, est appelée par les habitants Almanack de Ger-
dauen. La pelite ville de Frauenbourg, où siège le chapitre de l'évêché
d'Ermeland , est illustrée par Nicolas Copernic, inventeur de l'hypothèse
la plus vraisemblable sur le système planétaire; il y a été chanoine, et y est
mort le 24 mai 1543. On y remarque son tombeau.
Dans la Prusse occidentale, les villes de quelque importance sont serrées
contre la Vistule, qui seule vivifie le pays. Commençons par Dantzick ou
ou Danlzig, en alien and Danzig, en polonais Gdansk, d'où le nom latin
moderne Gedanum. Cette ville qui existait déjà en 997, fut longtemps le
grand marché maritime de la Pologne. C'est aujourd'hui la première place
commerciale de toute la monarchie, importante surtout par ses distilleries
renommées. Elle renferme, avec ses six faubourgs, plus de 65,000 âmes.
Elle est mal bâtie principalement le quartier appelé la Vieille-Ville (Allstadt).
Les vestibules avancés dans les rues les rendent étroites , et défigurent les
maisons. Le faubourg appelé Vorsladl est moins irrégulier. Il est un quar-
tier cependant qui a reçu le nom de Ville-Droite ( Rechtstadt ), parce que
les rues en sont alignées. Dans le Quartier-Bas(Niedersladt) on remarque
plusieurs jolies maisons, et l'une des plus belles rues de la ville, le Long-
Fossé (Lavg-Graben). La cathédrale est l'un des principaux édifices de la
ville; après, il faut citer l'hôtel de-ville, le grand arsenal, la cour des
nobles, l'ancien bâtiment des jésuites et le théâtre. Parmi ses 21 églises
paroissiales, 13 appartiennent aux évangéliques luthériens, 4 aux réformés
et 4 aux catholiques. Les plus riches négociants se trouvent parmi les réfor-
més. Un observatoire astronomique, un grand cabinet d'histoire naturelle,

EUROPE. - DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
35
plusieurs sociétés savantes, un gymnase académique avec une bibliothèque
de 30,000 volumes, une école des arts et de dessin, et un institut royal de
navigation, attestent le goût des habitants pour les sciences. La ville est
entourée d'ouvrages de fortification, et a soutenu plusieurs siéges fameux,
notamment celui de 1807 par les Français et celui de 1813 par les Russes.
Le port de Dantzick est formé par l'embouchure de la Vistule, et défendu
par les forts de Munde ou Weichselmunde. La rade, ou ce qu'on appelle
proprement le golfe de Dantzick, consiste dans la partie de la mer qui se
trouve abritée contre les vents du nord par la langue de terre sur laquelle
est située la petite ville d'Hela. Dantzick est relié à Berlin par une ligne
principale de chemin de fer qui passe par Dirschau, (où se soude l'embran-
chement de Königsberg), Bomberg, Kreuz, Stettin et Berlin.
Dans le village d'Ohra, que l'on comprend parmi les faubourgs de
Dantzick, les marchands aisés possèdent de jolies maisons de campagne.
A deux lieues de Dantzick, Zoppot, village dans une situation charmante
au bord de la mer, est devenu, depuis 1822, un établissement de bains
très-agréable et très-fréquenté ; la route de Berlin traverse ce village.
Sur le Nogath, bras de la Vistule et sur Je chemin de fer de Königsberg,
nous trouvons Marienbourg, en polonais Malborg, l'ancienne capitale de
l'ordre Tcutonique, dont nous avons déjà parlé. C'est aujourd'hui une
ville de 5 à 6,000 habitants, avec des fabriques de toile et de drap ; elle est
environnée de murailles. On y admire le magnifique château où résidaient
les grands-maîtres de l'ordre Teutonique, édifice qui a été restauré depuis
peu d'années. Les werders, ou îles basses, qui se trouvent sur le territoire
de celte ville et en partie sur ceux de Dantzick et d'Elbing, sont extrême-
ment fertiles et bien peuplées. L'agriculture et la nourriture des bestiaux
y sont portées à un haut degré de perfection.
C'est encore dans ce pays bas et fertile que nous voyons la ville riche et
commerçante d'Elbing. Elle tire son nom de la petite rivière d'Elblach1 qui
sort du lac Drausen, pour se jeter dans le Frische-Haff. Le port d'Elbing
est formé par le canal de Kraffuhl, mais les bâtiments un peu grands s'ar-
rêtent près de Pillau. Le commerce, qui est considérable, consiste en
exportations de blé et de chanvre, et en importations de vins, de fer et de
denrées coloniales ; la population de 21,637 habitants, demeure dans des
maisons gothiques mais solides. Les rues sont étroites et tortueuses dans
la Vieille-Ville ; elles sont larges et garnies d'habitations élégantes dans la
Nouvelle-Ville ; mais toutes sont bien éclairées la nuit. Elbing possède un
Elbl, petite Elbe, ou elv, rivière. Ach. eau.

36
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
gymnase avec une bibliothèque considérable, cinq hôpitaux, une maison
de correction et de travail, et une maison de refuge pour les femmes âgées;
enfin cette ville est traversée par le chemin de fer de Konigsberg. A
Tolkemit, sur leFrische-Haff, les Elbingeois font la pêche des esturgeons,
qui produit dans certaines années jusqu'à 1,200,000 pièces. On y prend
aussi une si grande quantité de grives en automne, qu'on en charge plu-
sieurs bateaux.
En remontant la Vistule, nous trouvons successivement Marienwerder,
en polonais Kwidzin, avec 6,000 habitants, dans un canton fertile en
pommes excellentes; Graudentz ou Graudenz, ou Grudziadz, qui, avec sa
forteresse importante, aujourd'hui la clef de la Vistule, renferme plus
de 8,000 habitants; Culm ou Chelmno, avec un seminaire et un collége
catholiques, un hôpital tenu par des sœurs de charité, et une école mili-
taire pour 120 jeunes gens nobles. Culm fut fondée dans le treizième siècle,
et fit partie de la ligue hanséatique. Ces trois villes fabriquent des toiles et
des étoffes de laine.
Nous terminons notre course à Thorn, la plus ancienne ville de toute la
Prusse, fondée en 1231 par le premier grand-maître de l'ordre Teutonique:
depuis l'an 1454, elle était une république vassale de celle de la Pologne ;
Charles XII en rasa les fortifications; elles ont été rétablies dans ces des-
nières années. Thorn a beaucoup souffert par les épouvantables persécu-
tions qu'èxcrcèrentles catholiques, et surtout les jésuites, contre les luthé-
riens, sous la domination polonaise. Ses 14,000 habitants sont presque tous
de la religion évangélique. Le gymnase luthérien, fondé en 1594, est très-
célèbre par le nombre des savants qu'il a produits. Nicolas Copernic y
naquit le 10 janvier 1472. Thorn est encore renommée par son pain d'épice,
ses navets , son excellent savon, et son port d'une demi-lieue sur la
Vistule.
Les habitants de la Prusse occidentale et de la Prusse orientale se com-
posent aujourd'hui de seigneurs, de simples nobles, de possesseurs de
terres libres sous le droit de Culm, de bourgeois avec des privilèges plus ou
moins étendus, et de paysans, tous libres de leur personne, et propriétaires
du sol, depuis la loi du 11 septembre 1811, mais soumis à diverses rede-
vances et corvées envers les possesseurs de terres nobles, à l'exception des
cultivateurs des woerders et des habitants des colonies nouvelles, il est dans
les werders des paysans riches, qui commencent à élever leurs enfants avec
soin, et qui ne se refusent ni le vin, ni le café, ni les habits de bon drap; la
civilisation de cette classe est aujourd'hui très-avancée.

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
37
A l'autre extrémité du pays, les paysans dits lithuaniens, mais qui au
fond sont les descendants des anciens Pruczi, conservent avec leur idiome
un reste de paresse et d'ignorance routinière-, ils fabriquent cependant
eux-mêmes l'étoffe épaisse dont ils s'habillent. Ces Lithuaniens portent une
écharpe colorée, appelée margin, et roulée autour des hanches, qui a beau-
coup de rapport avec le plaid écossais. Les Koures, qui vivent en pêcheurs
sur les bords du Haff, mettent le margin sur les épaules-, leurs femmes
portent des bottes et des bonnets d'hommes. Une ceinture en argent ou
en fer-blanc, chargée d'un grand nombre de clefs est l'orgueil des femmes
ménagères.
La noblesse comprend quelques descendants des anciens chevaliers leu-
toniques, qui, renonçant à leurs vœux monastiques, ont formé les nœuds
du mariage. D'autres familles sont arrivées plus tard du nord de l'Allemagne.
Ils conservent un air de commandement, une dignité de manières que tem-
père aujourd'hui l'usage du monde. On y reconnaît quelques traits de la
noblesse livonienne, une fierté aristocratique adoucie par des sentiments
philanthropiques. Les richesses de la noblesse prussienne sont très-
modérées; il n'y a pas une terre de la valeur d'un million de francs.
Les bourgeois diffèrent, selon la grandeur des villes et selon l'origine
plus ou moins purement allemande, ou mêlée de sang polonais et wende.
Memel, Königsberg, Elbing Dantzick, Thorn, conservent le plus de traces
de leur ancienne liberté comme villes hanséatiques.
Nous avons pu répandre quelque variété dans la description de la Prusse,
mais il faut marcher vite à travers le grand-duché de Posen, ou province de
Posnanie, divisé aujourd'hui en deux régences, celle de Posen et celle de
Bromberg. C'est absolument un coin de la Pologne : même plaines, mêmes
sables, entremêlés d'argile et de terre noire : même fertilité en toutes sortes
de blés, même nature de forêts. Le seigle y est plus beau que dans le Bran-
debourg. Les champs sont plantés de pruniers, de pommiers, de poiriers,
mais ils sont petits. Les asperges et les morelles croissent spontanément
et en abondance. On tire un grand parti des champignons. La volaille
domestique et le gibier ailé fourmillent. Les abeilles abondent. La province
renferme encore d'immenses marais, couverts de broussailles et de joncs,
surtout le long du cours tortueux de l'Obra. La rivière principale est la
Wartha. Un canal très-utile fait communiquer la Vistule par la Netze avec
l'Oder.
Le paysan est encore ignorant et adonné à l'ivrognerie, et malgré tout
ce que la législation et l'administration ont fait pour l'élever au rang d'un

38
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
être raisonnable, ses progrès sont lents et incertains. Autrefois les petits
nobles, du temps de la république, traitaient les paysans comme des
nègres: Us violaient toute fille qui leur plaisait, et répondaient par cent
coups de bâton à quiconque s'en plaignait-, il n'y avait ni lois, ni justice
pour un paysan. Mais sous la domination prussienne, la vie physique du
paysan est devenue plus agréable que celle des cultivateurs allemands : ils
ont une nourriture très-abondante, des vêtements grossiers, mais propres
à résister au froid, une chaumière sale, mais bien couverte et un lit de
plumes.
Le clergé catholique, qui autrefois ne prêchait pas d'exemple, s'est beau-
coup amélioré ; mais il conserve encore une aversion marquée pour le sys-
tème éclairé du gouvernement prussien, qui a restreint de tous côtés ses
revenus et son pouvoir. La noblesse, quoique jouissant d'une participation
raisonnable aux affaires de l'administration, n'est pas encore tout à fait
revenue de sa dédaigneuse malveillance pour les Allemands; c'est la mau-
vaise humeur d'un écolier indocile contre un maître un peu pédant. Avec
tous ces obstacles, la province de Posen se transforme peu à peu en une
province allemande; on y compte actuellement, sur 1,352,014 habitants,
380,077 Allemands, et, ce qui n'est pas moins remarquable, 416,448 chré-
tiens évangéliques. Ce changement provient de l'introduction constante
des manufacturiers industrieux venant de Silésie et de quelques colonies
agricoles de la Souabe, introduction favorisée, il faut le reconnaître, par
les membres les plus éclairés de la noblesse polonaise. Les juifs, dont le
nombre est de 80 à 85,000, sont presque les seuls commerçants; le défaut
des capitaux livre à leurs avides spéculations l'exportation des toiles du
pays, qu'ils vendent comme produit de la Silésie. Les routes laissent encore
beaucoup à désirer ; cependant la province est traversée par deux lignes de
chemin de fer qui, à Kreuz, se séparent de la grande ligne de Berlin à
Dantzick ; le premier embranchement mène à Posen par Mialla, Wonke et
Samter ; le second, un peu plus septentrional, mène à Bromberg par
Sehneidemül et Nakel.
Parcourons les villes : Poznan ou Posen, ancienne capitale de la
Grande-Pologne, est située sur les rivières de Wartha et de Prosna, entre
des collines, bien fortifiée et défendue par une bonne citadelle; elle a, de
l'autre côté de la Wartha, deux faubourgs au milieu d'un grand marais, où
ils sont, aussi bien que la ville même, exposés à de fréquentes inondations
par le débordement de la rivière. Elle possède un gymnase. La cathédrale
et l'hôtel-de-ville sont de beaux édifices. On doit citer encore l'église de

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
39
Saint-Stanislas, bâtie dans le goût italien. La population s'élève aujour-
d'hui à 44,963 habitants, sans la garnison ; on y comprend 8,000 juifs.
Les fabriques de drap, de cuir et de pipes à fumer, mais plus encore le
commerce d'expédition et les trois foires annuelles, rendent cette ville
assez vivante. Un chemin de fer la relie aujourd'hui à Berlin et aux autres
grandes villes de la monarchie.
Au nord de Posen, nous traversons la Wartha à Obornik, et nous arri-
vons à Rogozno ou Rogasen, petite ville de 5,000 âmes, située sur un lac
long et étroit ; puis, en tournant à l'ouest, le long de la Wartha, nous
trouvons Oberzyko ou Obersitzko, Wronki, Nenbrück, Zirke, Birnbaum et
Schwerin ; tous ces endroits sont peuplés de juifs et de tisserands de drap.
La ville seigneuriale de Méséritz (en polonais Miedzyrcec), est située sur
l'Obra et peuplée de 5,000 habitants : on y fabrique des draps estimés.
En suivant la frontière silésienne, nous rencontrons successivement
plusieurs villes industrieuses. Bomst, en polonais Babimost, est peuplée
en partie par des cordonniers et des vignerons. Kargowa, appelée en alle-
mand Unruhstadt; a des fabriques de drap. Fraustadt, en polonais
Wschowa, compte de 8 à 9,000 habitants, sans la garnison ; elle fait un
grand commerce de blé, laine et bétail; on y trouve beaucoup de fabri-
cants de drap et de toile : elle dépendait autrefois de la principauté de
Glogau, en Silésie. Le roi Casimir la prit en 1343 ; mais il promit de lui
conserver ses priviléges, entre autres celui de battre monnaie, qu'elle avait
reçu de ses princes. Lissa ou Leszno est encore plus peuplée; elle compte
10,000 habitants, parmi lesquels il y a 4,000 juifs, qui y possèdent une
grande synagogue. La ville fait un commerce considérable, et renferme
250 manufactures de drap. Lissa n'était autrefois qu'un village. Le comte
Baphaël Leszczynski y reçut favorablement un grand nombre de protes-
tants, qui s'y étaient retirés de la Silésie, de la Bohème, de la Moravie et
de l'Autriche; il leur accorda le libre exercice de leur religion. Cette ville
est la patrie des comtes de Leszczynski, d'où est sorti Stanislas, roi de
Pologne et ensuite souverain de la Lorraine.
Rawicz ou Rawitsch, peuplée de 9,000 habitants, dont les sept hui-
tièmes sont luthériens, est importante par ses fabriques de drap. Elle fut
fondée par des refugiés allemands pendant la guerre de Trente-Ans. En
1707, les Busses la brûlèrent ; et en 1802 elle fut ruinée par un incendie.
Cette ville appartient aux Sapiéha, une des plus puissantes et des plus
anciennes maisons de la Lithuanie. Bojanowo, au nord-ouest de la précé-
dente, Punitz, en polonais Poniec, Gorchen ou Gorka, avec 4 à 5,000

40
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
habitants, Krotoschin ou Krotoszyn, et Zéduny, peuplées de 7,000 âmes ;
Oslrow ou Ostrowo, et Kempen, où l'on fait un grand commerce de che-
vaux, renferment toutes beaucoup de juifs, de luthériens, de marchands ou
de fabricants de drap et de toile.
Voilà quelles sont les principales villes de manufactures de cette inté-
ressante province. Elles sont toutes situées le long de la frontière alle-
mande. Leurs produits n'égalent pas encore ceux de la Silésie, mais ils
gagnent tous les jours. Les paysans polonais mêmes, sortis de la servitude,
peuplent aujourd'hui les ateliers. Les villes de la régence de Bromberg,
situées plus près de la Vistule, sont moins peuplées et moins importantes.
Bromberg, chef lieu de gouvernement ou de régence, est située sur la
Brahe, au commencement du canal de la Netze ou de Bromberg. Elle ren-
ferme un séminaire pour les maîtres d'école, un gymnase et 8,000 habi-
tants. Elle est reliée, par un chemin de fer, à Berlin et aux autres grandes
villes de l'Europe centrale.
Nous devons remarquer Gnesne ou Gnesen, en polonais Gniezno, comme
étant la plus ancienne ville de la Pologne, et le siége d'un archevêché formé
l'an 1000 de l'ère chrétienne. Boleslas Ier acheta des Prussiens le corps de
saint Adalbert, qu'ils avaient tué, et le fil inhumer dans l'église principale ;
Sigismond III lui fit ériger un tombeau d'argent; mais on dispute pour
savoir si le corps de ce saint est encore en Pologne, ou si ceux de Bohême
l'emmenèrent avec eux, à Prague, en 1038. Gnesen, peuplée de 5,000
âmes, possède quelques manufactures de drap, et l'on y tient une foire de
huit semaines, durant laquelle il se vend une énorme quantité de bœufs et
de chevaux. Les autres villes de la régence sont : Chodziesen, Czarinkow,
Inowvraclaw, Moglino, Schubin et Wongrowce ; leur population est de 2 à
3,000 âmes.
Nous commencerons nos descriptions chorographiques de la Prusse
allemande par la Silésie, comme touchant au grand-duché de Posen, que
nous venons de quitter. Cette grande et belle province s'étend entre la
Bohême et la Pologne, et se lie à la côte septentrionale aux autres pro-
vinces prussiennes sur une ligne assez large. Les renseignements les plus
authentiques portent la surface actuelle à 74,174 milles géographiques
carrés allemands, ou 40,718 kilomètres carrés. La population doit être
évaluée à 3,061,593 âmes.
On regarde les Guadi ou Lygi comme les premiers habitants de la Silé-
sie-, plus tard les colons esclavons qui, dans le sixième siècle, vinrent
occuper la Silésie, prirent le nom de Klesy ou Zlesaki, qui veut dire

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
41
«les derniers, ceux sur l'arrière, pour se distinguer des colons qui s'étaient
établis en Bohême, et qui s'appelèrent Czechy, c'est-à-dire les premiers,
ceux sur l'avant. Il paraîtrait que c'est de leur nom Zlésy que la Silésie a
tiré le sien.
La Silésie était certainement Slavonne dès le sixième siècle ; peut-être
'
l'était-elle dès l'origine de sa mise en culture; mais elle n'est renommée
que dès le onzième siècle sous le nom de Gau de Zlésane. Elle ne fut long-
temps qu'une province de la Pologne ; mais en 1350, l'empereur Charles IV,
roi de Bohême, la réunit par un mariage à sa couronne. La Pologne, qui
avait des droits très-fondés à la suzeraineté de ce pays, y renonça par
plusieurs actes solennels. L'Empire germanique garantit à la Bohême la
possession de la Silésie, qui, depuis cette époque jusqu'en 1740, a pu
être considérée comme un pays sinon soumis, du moins allié à l'Alle-
magne.
Les Silésiens, ayant en grande partie embrassé les réformes de Luther
et de Calvin, eurent à souffrir des injustices, des perfidies et des atrocités
sans nombre de la part du gouvernement austro-bohémien. L'épée victo-
rieuse du héros Scandinave Charles XII força les Autrichiens à cesser en
partie leur système de persécution, et bientôt ce pays échappa pour tou-
jours au pouvoir de l'Autriche.
En 1740, le roi de Prusse Frédéric II débuta, sur le théâtre de la gloire,
en conquérant ou plutôt en surprenant la Silésie, sur laquelle il avait à la
vérité des prétentions assez fondées, et depuis cette époque elle est une
des provinces les plus industrieuses et les plus commerçantes de la monar-
chie prussienne.
Le sol de la Silésie, à l'est de l'Oder, ne présente qu'une grande plaine
légèrement ondulée par des collines, et qui se confond avec celles de
Pologne, en s'abaissantconstamment du sud au nord; mais, dans la par-
tie occidentale, le terrain , généralement plus inégal, se termine par de
hautes chaînes de montagnes. La portion la plus élevée est le Riesen-
gebirge ou montagnes des Géants; sa direction est du nord-ouest au
sud-est.
Au nord de cette chaîne centrale et principale, on distingue la chaîne
d'Iser-Kamm ; elle s'étend au nord-ouest de Hirschberg jusque vers Mark-
lissa en Lusace : la direction est parallèle à celle des montagnes des Géants.
Au sud-est de l'Iser-Kamm ou crête d'Iser, s'élève, dans la direction de
l'est à l'ouest, le Woklische-Kamm. Au sud de la chaîne centrale, on trouve
les montagnes du comté de Glatz, qui sont également connues sous le nom
VII. 6

42
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
d'Eulen-gebirge ou montagnes des Hiboux. La direction de ces montagnes,
d'après les cartes, semblerait être du nord au sud; mais elles consistent
réellement en trois chaînons parallèles entre eux et avec les montagnes des
Géants; ces chaînons se dirigent chacun du nord-ouest au sud-est, mais se
succèdent du nord au sud. Il y a encore à l'est de Glatz plusieurs groupes
plus avancés vers les plaines: plus au nord, le Zobten y est presque isolé.
Le Schnéeberg ou mont Neigeux se trouve au sud-est du comté de Glatz, en
Moravie et dans la Silésie autrichienne. Ces montagnes paraissent n'être
que les escarpements septentrionaux du plateau très-élevé qui, à travers
la Moravie et la Silésie autrichienne, va se joindre aux monts Carpathes.
Ce plateau porte le nom de Gesenker-gebirge, c'est-à-dire monts abaissés.
La chaîne du Riesen-gebirge, fongue d'une vingtaine de lieues et large
de 4 à 5, renferme les vallées les plus pittoresques ; ses principaux som-
mets sont le Schnée-Koppe, le Strumhaud et le Teufelfichte. Dans les
Eulen-gebirge, le point culminant est le Hoho-Eule qui a 985 mètres.
Entre toutes ces chaînes s'étendent des prairies humides et quelquefois
marécageuses : une des principales est la prairie blanc/te, sur les flancs du
Riesen-gebirge, qui a 2,260 hectares de surface. La prairie d'Iser est aussi
remarquable; mais le plus curieux phénomène est celui que présente le
Seefelder, tourbière dans l'arrondissement de Glatz, à l'élévation de 926
mètres au-dessus du niveau de la mer.
Pour donner en quelques mots le résumé de la constitution géognos-
tique de la Silésie, nous dirons que toute la plaine qui s'étend au nord des
montagnes est composée d'argile marneuse et de terre végétale; que vers
les frontières de la Pologne elle se termine par un vaste dépôt d'argile
renfermant du fer limoneux ; qu'au nord de Gleiwitz ce dépôt repose sur
un calcaire métallifère particulier à la haute Silésie ; qu'elle est bornée au
sud-est par des lambeaux appartenant aux formations houillère et porphy-
rique, et que les montagnes qui la bornent au sud montrent dans toute
l'étendue de la chaîne les roches anciennes superposées dans l'ordre sui-
vant : le granite, le gneiss, le schiste argileux, le grès houiller, le calcaire
de sédiment inférieur ou de transition, le porphyre rouge, et le grès de
sédiment moyen employé comme pierre de construction.
Les productions de la Silésie, considérées sous le rapport de l'utilité, en
font une des provinces les plus riches. Outre l'ardoise, les pierres meu-
lières, les terres à pipe et autres, on cite le marbre près de Kaufung, la
serpentine de la montagne de Zobten et dans le cercle de Frankenstein, le
porphyre de Schonau, les cristaux de roche de Prieborn, de Krummendorf

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE
43
et du Mumemlgrube ·, les jaspes cornalines, onyx et agates de Brunzlau ·,
enfin, une sorte particulière de chrysoprase qui se trouve près de Grache
et de Kosewitz.
Il y a quelques sources salées dans la haute Silésie, mais généralement
cette province manque absolument de sel; elle est mieux fournie de tourbe
et de charbons de terre. La principauté de Schweidnitz, le comté de
Glatz, la principauté de Neisse, et presque toute la haute Silésie abondent
en ce fossile. La plaine qui borde l'Oder produit une excellente tourbe.
L'alun, le vitriol, la calamine ou le minerai de zinc de la haute Silésie,
et l'arsenic de Reichenstein, fournissent un produit assez considérable.
Parmi ces substances minérales, le zinc est la plus importante; l'exploi-
tation de ce métal ne commença dans la haute Silésie que vers l'an 1764 ;
en 1798 elle ne s'élevait annuellement qu'à 13,000 quintaux-, aujourd'hui
elle dépasse cette quantité de plus de 200,000 quintaux. L'or qu'on tirait
de l'arsenic était en si faible quantité qu'on a abandonné cette opération
dangereuse. De même l'exploitation renouvelée des mines d'étain près do
Giehren a cessé, quoiqu'on prétende que dans des temps plus reculés on
en ait tiré près de 300 quintaux par an. On extrait environ 38,000 quin-
taux de cobalt par année.
Les mines de cuivre de Rudelstadt donnent par an 850 quintaux; le
produit des autres n'est pas bien connu. Tarnowitz, dans la haute Silésie,
a une riche mine de plomb qui en même temps contient de l'argent.
Les mines de fer son t les plus nombreuses et les plus importantes de la
Silésie. Le minerai n'est pas riche; le quintal donne environ vingt-quatre
livres de fer de fonte-, ce fer est très-ductile. Près de Malapane, où il y a
une fonderie royale de canons et une raffinerie d'acier, on a trouvé du
fer carbonaté qui est très-propre à faire l'acier brut. On en trouve aussi à
Tarnowitz d'une très-bonne qualité. Dans la basse Silésie, on a décou-
vert près de Schmiedelberg une mine de fer magnétique qui fournit un
très-bon fer pour les quincailleries. Du côté de Warthenberg et Sprottau,
on exploite la mine de fer limoneuse.
Les mines de fer appartenant à la couronne occupent 3,567 ouvriers;
celles des particuliers emploient encore un plus grand nombre de bras :
ainsi l'on évalue le produit des forges royales à 96,000 quintaux de fer
brut, à 38,000 de fonte et à 33,000 de fer en barres; tandis que les
forges particulières donnent 246,000 quintaux de fer brut, 18,000 de
fonte et 136,000 de fer en barres.
Au total, les minéraux de la Silésie, qui se trouvent presque tous du

44
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
côté allemand ou sur la gauche de l'Oder, ne sont pas tous d'une exploi-
tation également lucrative, mais ils donnent du travail à la population et
fournissent à la plupart des besoins du pays. En 1843 on comptait 1,219
mines exploitées, occupant 23,000 ouvriers, et dont le produit était
d'environ 30,000,000 de francs.
La Silésie renferme aussi un grand nombre de sources minérales dont
les principales sont celles de Charlotlenbrunn, de Georgenbad près de
Landen, de Reinerz et de Warmbrunn.
Les productions du règne végétal sont beaucoup plus abondantes
encore. On cultive tous les blés ordinaires dans le Nord, et en outre le blé
de Turquie, l'épeautre , le millet et le sarrasin. Dans les districts monta-
gneux, les pommes de terre remplacent le blé. On cultive aussi beau-
coup de lentilles, de pois et d'autres légumes. Les fruits viennent bien,
surtout près de Gruneberg et de Beuthen. On force la nature à produire des
vins qui généralement sont de médiocre qualité. Les plus belles produc-
tions végétales de la Silésie sont le lin et le chanvre, qui viennent par-
tout et en très-grande abondance, sans cependant suffire aux immenses
besoins des manufactures du pays. C'est surtout près de Neisse, Oels,
Trebnitz, Sagan et Wartenberg que la culture du lin fleurit. On fait tous
les ans venir la semence de la Livonie et autres provinces russes. L'ex-
portation des toiles de lin par la seule douane de Wittemberg est de plus
de 40,000 quintaux par an. Une autre plante textile, la petite gentiane,
commence à être beaucoup cultivée. La gaude et la garance, plantes qui
servent à la teinture, y viennent aussi en abondance ; mais on est surpris
de voir la culture du safran négligée ; quant à celle du tabac, on ne doit
pas s'attendre à la trouver très-répandue dans un pays où tout le monde
est occupé de cultures plus lucratives. La soie n'entre aussi que pour peu
de chose dans la somme des productions silésiennes, malgré les efforts du
gouvernement pour encourager l'industrie séricicole.
Les forêts sont ce que la haute Silésie possède de plus précieux. L'an-
cienne principauté d'Oppeln, qui offre une superficie de 14,072 kilomètres
carrés, n'est presque qu'une forêt continuelle. L'Oder y coule à travers les
plus belles et les plus épaisses forêts de chênes que l'on puisse voir. Dans
la basse Silésie, les montagnes d'un côté, les grandes plaines sablon-
neuses de l'autre, abondent en forêts. Les districts limitrophes de la
Pologne en sont couverts presque en entier; mais les contrées entre la
Lusace et l'Oder souffrent souvent beaucoup de la disette de bois. Outre
les chênes, les pins et les sapins, on trouve encore des mélèzes, surtout

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
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près des frontières de la Moravie; on en tire de la térébenthine. Les forêts
fournissent en bois, potasse, goudron, résine, noir de fumée et autres
articles d'exportation, pour plus de 2,000,000 de France.
La laine de Silésie, déjà très-bonne en son état originaire, a été amé-
liorée par l'introduction des béliers espagnols. On tond encore les brebis
deux fois par an , et la laine d'été est préférée à celle d'hiver. Le produit
annuel est de 10,000,000 de livres prussiennes; il est loin de suffire aux
besoins des manufactures. Le nombre de bêtes à laine est de plus de
2,600,000. On ne tient que ce qu'il faut de vaches pour fournir du lait et
du fromage aux besoins domestiques. En plusieurs endroits, on s'en sert
pour le labourage, tant les bœufs et les chevaux sont rares. On élève
encore moins de porcs. Les montagnards ont beaucoup de chèvres; et ces
animaux doivent trouver d'excellents pâturages, puisque deux donnent
autant de lait qu'une vache. La Silésie ne possède généralement que de
petits chevaux importés de Lithuanie et de Pologne. Il est vrai que les
montagnards du côté de la Bohême possèdent une race de chevaux plus
forte, mais elle n'est que très-peu répandue dans le reste du pays.
Le gibier est rare ou commun, selon que les districts sont riches en
forêts. Parmi les bêles sauvages qu'on trouve ici, nous remarquons le
lynx, ou loup-cervier, qu'on rencontre quelquefois dans les montagnes,
et le castor; mais ce dernier devient rare; l'ours, n'aimant point la
foule, a quitté ce pays pour habiter la Pologne. La pêche est importante.
L'Oder fournit des saumons, des esturgeons, longs quelquefois de 3 à
4 mètres; des zantes, des bises ou glanis, qui pèsent quelquefois 20 à
25 kilogrammes ; des lamproies, motelles et autres sortes. Les nombreux
étangs sont remplis de brochets, de murènes, de truites.
La principale industrie de la Silésie, concentrée dans les beaux et grands
villages des montagnes aux environs de la ville de Hirschberg, a pour
objet la fabrication des toiles, qui, avec celles de batistes et de voiles,
produit une valeur d'exportation de plus de 8,000,000 d'écus de Prusse.
Les draps exportés valent 3,000,000 d'écus, et les objets en coton près de
1,500,000. Les exportations de la Silésie sont estimées, année moyenne, à
la valeur de 36,000,000 d'écus. La Silésie tire de la Moldavie, de la
Russie et de la Prusse, pour 3,000,000 d'écus en bœufs, chevaux et
porcs, dont une partie est réexportée; en graine de lin, chanvre, peaux
et autres objets; elle tire pour plus de 2,000,000 de vins, de fer, de
cuivre et de fil de l'Autriche, beaucoup de sel gemme de la Galicie, pour
4 à 5,000,000 de vins, de soieries et de marchandises coloniales de Ham-

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LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
bourg, de Berlin, de Stettin et de Dantzick; au total, l'importation s'élève
à la somme de 30,000,000 d'écus. Avec le commerce de transit, la circu-
lation commerciale peut-être évaluée à 60,000,000 d'écus.
Tous les avantages de la position géographique de la Silésie sont plus
ou moins balancés par son climat particulier. La partie méridionale
éprouve, à cause de l'élévation du sol et de l'épaisseur des forêts, des
hivers longs et rigoureux ; mais l'air y est très-sain. Les cantons monta-
gneux, vers la Bohême, ont des eaux pures, des hivers très-neigeux et do
longues pluies en automne. Dans le nord, où le climat est le plus doux, le
grand nombre d'étangs et de marais, que l'on évalue à 7 ou 800, rend en
plusieurs endroits l'air moins salubre, surtout le long de la frontière polo-
naise, où les bonnes eaux sont rares.
Les habitants de la Silésie, dont on évaluait le nombre, à la fin de 1849,
à 3,061,593 individus, sont divisés d'origine et de religion. Le plus grand
nombre parie aujourd'hui l'allemand, et descend, du moins en grande
partie, des colons venus de Franconie et du Rhin. Les Allemands, au
nombre d'environ 2,000,000, se distinguent par leurs goûts industrieux,
leur amour pour les sciences utiles, leur tolérance religieuse, qui s'unit à
des sentiments d'une piété élevée. Enthousiastes pour les intérêts de leur
province, ils se sont défendus contre Bonaparte quand toute la Prusse lui
cédait ; ils citent avec orgueil, parmi leurs compatriotes, le philosophe
Wolf, le moraliste Garve, et Opitz, le père de la poésie allemande
moderne.
Une petite portion de la haute Lusace étant aujourd'hui réunie à la
Silésie, on compte parmi les habitants 40 à 50,000 Wendes qui conser-
vent leur ancien idiome slavon. Mais la plus nombreuse race slavonne est
celle qui forme la population rustique de la haute Silésie; indigène du
pays, elle tient le milieu entre les Polonais et les Moraviens, tant pour
l'idiome que pour les traits physiques. Cette population, d'environ
800,000 âmes, reçoit des Allemands le nom de Wasser-Polaken, c'est-à-
dire Polonais du pays aquatique. Leur langue était parlée, écrite et
employée dans les actes publics de toute la Silésie concurremment avec la
latine, jusqu'en 4 352, que l'allemand fut introduit dans les chancel-
leries.
Sous le rapport de la religion, la Silésie compte environ 1,560,000
évangéliques-lulhériens, y compris les réformés. Ils demeurent principa-
lement dans les parties voisines de Lroilau, et s'étendent de là dans tout
le nord de la province. Les catholiques, au nombre de 1,476,000, domi-

EUROPE. - DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
47
nent surtout dans la haute Silésie et dans les montagnes vers la Bohême.
Des mennonites, des hussites, ou anciens frères moraves, des herrenhu-
tiens, ou frères modernes, jouissent aussi d'une parfaite liberté de culte ;
ils sont au nombre de 3 à 4,000, et les Israélites de 30,000.
L'enseignement théologique est parfaitement libre, et la faculté catho-
lique de L'Université de Breslau est mieux dotée que la faculté protestante.
La noblesse silésienne possède 3,504 seigneuries et terres nobles, esti-
mées à une valeur de 150,000,000 d'écus, depuis que l'établissement d'une
caisse de crédit provincial a mis les propriétaires à même de résister aux
embarras qui naissent de fréquentes variations dans le prix des blés. Les
ducs, les grands et les petits barons, jouissent encore, dans la nouvelle
organisation des États provinciaux, de grandes prérogatives. Mais le
paysan, jadis soumis à une sorte de vasselage plus sensible dans la haute
Silésie, est depuis 1810 un homme libre, soumis à la loi; il peut acquérir
des propriétés libres, mais les seigneurs conservent leurs droits utiles sur
les terres, tels que les robottes, ou corvées, les landimies, ou 10 pour
100 des successions, et une fouie de redevances diverses. Le tiers-état se
composait autrefois de la ville de Breslau, qui jouissait, sous le gouverne-
ment autrichien, d'immunités presque égales à celles d'une république,
et qui votait avec l'ordre des chevaliers, plus un petit nombre d'autres
villes immédiates qui votaient dans un collége inférieur; mais aujourd'hui
la classe bourgeoise est représentée d'une manière égale. La Silésie est
aujourd'hui partagée en trois régences ou gouvernements, qui prennent le
nom de leurs chefs-lieux, Breslau, Leignitz et Oppeln.
Entreprenons notre excursion topographique, en partant de la capitale,
Breslau, dont l'ancien nom indigène est Wraclaw, qu'on prononce
Wratslw. Cette ville très-ancienne, déjà brûlée en 1241 par les Tatares
Mongols, est située au confluent de l'Ohlau et de l'Oder, dans une plaine,
bien qu'à 150 mètres d'élévation au dessus de la mer Baltique. Ses envi-
rons, couverts de jardins maraîchers, d'arbres fruitiers et de plantations
de garance, présentent l'image de la fertilité, Ses rues sont généralement
étroites, mais la cathédrale, d'une architecture gothique aussi hardie que
simple, la flèche de Sainte-Élisabeth, les superbes bâtiments du ci-devant
couvent des Augustins, l'élégant palais de Scœnborn (autrefois de Hatz-
feld), l'arsenal, la bourse, l'hôtel des monnaies, quelques autres édifices
publics et beaucoup de belles maisons bourgeoises, quoiqu'un peu gothi-
ques, donnent à cette ville un extérieur assez imposant et digne de son
titre officiel de troisième capitale de la monarchie.

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LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
Le Salzring, qui sert de promenade publique, est orné de la statue de
Blücher. On remarque aussi dans celle ville le monument du général
Tauenzien. La population qui, en 1817, s'élevait à 78,000, est au-
jourd'hui de 110,702 individus. A l'exception de 10,000 juifs, les
deux tiers de ses habitants sont catholiques et le reste est protestant. La
ville a un théâtre, plusieurs sociétés littéraires et patriotiques, quatorze
bibliothèques publiques, parmi lesquelles celles de l'Université compte
100,000 volumes; un musée, un observatoire et beaucoup d'autres éta-
blissements publics. Celle ville, la seconde de la monarchie par son im-
portance, est l'entrepôt principal de la province, son industrie et son
commerce sont très-considérables. Ses grandes foires où l'on vend princi-
palement des bœufs de l'Ukraine ou de la Moldavie et des laines de Silé-
sie, attirent une foule de marchands de pays très-éloignés.
La démolition des fortifications de cette ville a non-seulement donné
naissance à un grand nombre de beaux édifices, mais a considérablement
contribué à sa salubrité. Ses établissements d'instruction, au nombre de
plus de 84, sont dans un état satisfaisant de prospérité. Les établissements
de bienfaisance sont entretenus avec le plus grand soin. Breslau possède
trois lignes de chemins de fer. La première la relie à Berlin et aux autres
grandes villes de la monarchie; elle se soude avec toutes les grandes lignes
de l'Allemagne centrale; la seconde, continuation de celle-ci, unit Breslau
à Vienne, par Oppeln, avec embranchement sur Cracovie ; la troisième
dont l'importance est tout industrielle, unit Breslau à Schweidnitz et à
Freybourg.
A quatre lieues de Breslau, il existe dans le petit village de Skarsine,
une source ferrugineuse très-fréquentée. A Criblowitz, on voit le tombeau
et le monument de Blùcher.
Essayons de parcourir les lieux remarquables de la régence de Breslau,
ils sont peu nombreux du côté polonais et sur la rive orientale de l'Oder.
Namslau est le chef-lieu d'un arrondissement qui fournit la meilleure laine
de la Silésie : on y trouve plusieurs manufactures de draps. Oels, ville da
6,000 habitants, renferme un grand château du moyen-âge, avec une
bibliothèque et un musée d'histoire naturelle, un gymnase, une salle de
spectacle et plusieurs manufactures. Dans les environs de Trebnitz, petite
ville de 4,500 âmes, les immenses forêts de bouleaux font donner au canton
le nom de pays des balais. Les baronnies de Trachenberg ou Straburek, et
de Militsch ou Mielicz, renferment dans leur sol argileux et fertile un très-
grand nombre d'étangs grands comme des lacs. Le parc de Freyhan mérite

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
49
d'être vu. A Neuschloss, il y a des vignobles considérables. A Wohlau,
petite ville située au milieu d'un pays marécageux, on compte plusieurs
fabriques de toile damassée.
Oppeln, en slave Oppolie, capitale de la régence du même nom, sur
la rive droite de l'Oder, qui y forme une île où se trouve un ancien château-
fort, et sur le chemin de fer de Berlin à Vienne par Breslau, est renommée
par ses fabriques de pain d'épice ; elle compte près de 12,000 âmes.
Gleiwitz renferme une des plus belles forges royales de la Prusse. Tarnowitz
n'a que 3,400 habitants, mais ses environs abondent en richesses miné-
rales. Pless, en polonais Pszozyna, située à quelque distance de la rive
gauche de la Vistule, est le chef-lieu d'une principauté, qui, sous la sou-
veraineté de la Prusse, appartient à la maison d'Anhalt.
Du côté allemand, la régence présente un grand nombre d'endroits
remarquables. Ratibor, sur la gauche de l'Oder qui y devient navigable,
est le siége d'une cour de justice dont le ressort comprend toute la régence
d'Oppeln, elle est peuplée de 6,000 âmes. Leobschutz ou Hlubzien, chef-
lieu de cercle, est peuplée de 5,000 âmes-, Ober-Glogau ou Klein-Glogau
(le petit Glogau) est une ville murée qui renferme un chûteau avec
une bibliothèque. Neisse, place forte qui compte 16,000 habitants, et
qui pour sa défense peut inonder ses environs jusqu'à une grande dis-
tance, est la résidence d'un évêque dont le palais est très-beau. Située sur
la rivière dont elle porte le nom, elle possède des fabriques de lainages, de
toiles de lin, de rubans et de bonneterie, et une manufacture d'armes
blanches. Neisse est reliée à la grande ligne de chemin de fer de Berlin à
Vienne par Breslau, à l'aide d'un embranchement qui s'y soude Brieg.
Cette dernière ville est située près de la rive gauche de l'Oder, à 136 mètres
d'élévation au-dessus du niveau de la mer. Ses remparts ont été démolis en
1807 par les Français, et de belles promenades les remplacent aujourd'hui.
La principale ressource de ses 12,000 habitants est la fabrication des toiles
rayées. Dans la petite ville de Strehlen, qu'entoure une double enceinte
de murailles et de fossés, et dans trois villages voisins, une colonie de
Bohêmes-Hussites conservent leur idiome et leur culte évangélique, qui a
précédé la réforme de Luther. A Ohlau, chétive cité sur une rivière qui
porte le même nom, tout annonce l'aisance qu'y font naître l'industrie et
l'activité. On y compte plusieurs fabriques de draps et de papier.
Élevons-nous dans les cantons montagneux, dont nous pouvons en
grande partie voir le panorama de Schweidnitz, ville très-manufacturière de
11,000 âmes, aujourd'hui réunie à Breslau par un chemin de fer. Elle porte
VII.
7

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LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
le titre de seconde capitale del a Silésie. Arrosée par la Weistritz qui va se
jeter dans l'Oder, elle se fait remarquer par ses rues larges et bien bâties,
etpar quelques belles places publiques. L'hôtel-de-ville et l'église catholique
dont le clocher est le plus élevé de toute la Silésie, sont les deux édifices
les plus importants. Elle possède un grand nombre de fabriques de soie-
ries, de lainages et de toiles. Sa situation au milieu d'une contrée fertile
contribue à l'étendue de son commerce, qui consiste principalement en
grains, en bétail, en laine, en tabac, en draps, en cuirs, en papiers et en
houille que l'on exploite dans ses environs. Freybourg, petite ville de 2,4 00
habitants, liée à Breslau par un embranchement, est importante comme
entrepôt du commerce des toiles de Silésie.
En remontant le cours de la Neisse, nous arriverons dans une vallée
étroite au milieu de laquelle s'élève Gtatz, entourée de murailles et défen-
due d'un côté par un vieux château placé sur une montagne qui domine
tous les environs, et de l'autre par une forteresse nouvelle et régulièrement
bâtie. Dans les montagnes qui l'entourent, on exploite de la serpentine.
Si nous descendons vers le Katzbach, aucune ville importante ne s'offre
à nous avant d'arriver à Liegnitz, située sur les bords de cette petite rivière
qui va se jeter à quelques lieues de là dans l'Oder, et traversée par le cbe-
min de fer de Breslau à Vienne. Celte ville qui compte aujourd'hui plus
de 11 ,000 habitants, n'était qu'un village quand Boleslas, en 1175, l'en-
toura de murailles et la fortifia. Son château qui passe pour une des plus
belles constructions de la Silésie; ses boulevards en terre, plantés de beaux
arbres ; ses environs fertiles, ornés de promenades et de sites pittoresques ;
les édifices qu'elle renferme, parmi lesquels il faut citer l'église catholique
de Saint-Jean, fondée en 1348 par Wenceslas ·, la magnifique chapelle de
l'ancien couvent des jésuites, où furent déposés les restes des ducs de
Liegnitz ou de Brieg ; l'hôtel-de-ville ; le magasin des drapiers, où l'on
conserve d'anciennes armures; enfin sa grande place et quelques établis-
sements d'utilité en font une résidence intéressante sous plusieurs rap-
ports. Elle possède plusieurs belles manufactures de draps. La garance
forme un article considérable de son commerce. Les jardiniers de cette ville
entretiennent une branche d'industrie assez importante : on dit qu'ils
exportent annuellement pour 100,000 reichsthalers, ou 370,000 francs,
de plantes potagères.
De Liegnitz on aperçoit, à 4 lieues au sud-ouest, Goldberg, ville de
7,093 âmes, située près de la rive droite du Katzbach, à 175 mètres au-
dessus du niveau de la mer. Elle est entourée d'une double muraille , et

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
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lire son nom d'une riche mine d'or que l'on a exploitée jadis clans ses
environs.
En allant de Leignitz à Glogau, on passe sur le champ de bataille où le
grand Frédéric battit les Autrichiens en 1760. Les Silésiens appellent cette
ville le grand Glogau ( Gross-Glogau) pour la distinguer de la petite ville
du même nom (Klein-Glogau) dans la haute Silésie. Entourée de fortifi-
cations importantes, située sur la rive gauche de l'Oder, au milieu d'une
plaine fertile, elle communique par un pont de bois avec l'île de Dom, dans
laquelle sa cathédrale est bâtie. C'est une ville riche et industrieuse, réunie
par un embranchement à la grande ligne de chemin de fer de Berlin à
Vienne par Breslau, et sa population s'élève aujourd'hui à plus de 12,000
habitants, sans compter sa garnison qui est habituellement de 2,000
hommes. Si nous nous dirigeons vers l'extrémité septentrionale de la Silé-
sie, Grüneberg, au centre d'un vignoble peu estimé, dont la plus grande
partie de la récolte ne sert qu'à faire du vinaigre, est une cité importante
par ses grandes manufactures de draps, ses filatures de laine et ses
fabriques d'indiennes ; elle ne renferme pas moins de 10,000 âmes. Vers
le confluent de la Bober et de la Queis, s'élève une jolie pelite ville, Sagan,
jadis fortifiée, aujourd'hui entourée d'une muraille et d'un fossé. On y
remarque un grand château avec un beau parc : ce château commencé par
Wallenstein, n'est pas encore achevé; les bâtiments de l'orangerie méritent
surtout de fixer l'attention. Sagan renferme 5,000 habitants et plusieurs
établissements manufacturiers. En continuant à remonter la Bober, et en
parcourant le versant oriental des monts Géants, nous verrons Bunzlau ou
Boleslaw, ville de 6,000 habitants, dont la principale industrie consisle
depuis longtemps dans la fabrication d'une faïence brune estimée, et qui
possède une école nationale et un hospice royal d'orphelins. Hors de sa
double enceinte de murailles et de fossés, la source appelée Quekbrunnen
est célébrée par les poëtes silésiens. A une demi-lieue de la ville, on remar-
que le monument érigé à la mémoire du général russe Koutousof-Smolenski.
Citerons-nous Löwemberg ou. Lemberg, chef-lieu de cercle, sur la rive
gauche de la Bober? Hirschberg, qui compte 7,000 habitants, qui ren-
ferme plusieurs beaux édifices et des fabriques de draps, et qui est en outre
l'entrepôt de la plus grande partie des toiles qui se fabriquent dans la pro-
vince? La longue ville de Schmiedeberg, formée de deux rues principales,
est bâtie au pied du Khalemberg sur l'Yssel, à près de 460 mètres au-dessus
de la Baltique. Elle donne son nom à l'une des montagnes les plus remar-
quables du Riesen-gebirge, le Schmiedeberger-Kam, haut de 1,090 mètres.

52
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
A l'ouest, nous trouvons Lauban ou Luban, ville de 5,000 âmes, et pour
ainsi dire la rivale d'Hirschberg en industrie ; Muskau sur la Neisse, jolie
résidence moins importante par le nombre de ses habitants, qui s'élève à
1,500, que par ses fabriques, et surtout par celles d'alun, et qui possède
une bibliothèque et une galerie de tableaux; enfin sur la même rivière,
Görlitz, jolie ville traversée par un embranchement qui unit le chemin de
Berlin à Vienne à ceux de l'Allemagne centrale par Dresde, est célèbre par
ses belles manufactures de draps. Elle renferme 12,000 habitants et quel-
ques édifices remarquables.
Du haut du mont Landskrone, qui domine Göùrlitz à une demi-lieue au
sud-ouest, et dont le nom, qui signifie couronne du pays, convient parfai-
tement à une cime élevée, la vue s'étend par un temps clair sur un horizon
d'environ 100 kilomètres. De cette montagne on aperçoit les différents éta-
blissements thermaux en réputation dans toute la Silésie pour les affections
rhumatismales : là sont les célèbres bains de Liebverda, plus loin les eaux
ferrugineuses de Flinsberg ; sur la gauche, on voit enfin le village de Mar-
ckersdorf, près duquel, au combat de Reichenbach, le 22 mai 1813, Duroc
fut atteint par le même boulet qui tua le général Kirgener et blessa mortel-
lement le général Bruyère.
Nous avons parcouru rapidement la Silésie; la province dans laquelle
nous allons entrer nous offrira plus d'intérêt: c'est celle qui a servi de
point central à cette puissance nouvelle qui, depuis un siècle, a joué un
si grand rôle dans les événements qui ont agité l'Europe; enfin c'est au
milieu de cette province qu'est placée la capitale de toutes les possessions
prussiennes.
Le Brandebourg est formé d'une partie de l'ancienne Marche du même
nom, ainsi appelée de la ville de Brandebourg, sa capitale; d'une partie du
cercle de Wittemberg et de celui de Meissein ; de la principauté d'Erfurt, et
enfin d'une petite portion de la Silésie. Il est borné au sud est par celte pro-
vince, à l'est par le grand-duché de Posen, au nord par la Poméranie et les
deux grands-duchés de Mecklembourg, à l'ouest par la province prussienne
de Saxe, dont une partie du cours de l'Elbe le sépare; et au sud-ouest par
la principauté d'Anhalt-Dessau. Sa plus grande largeur est d'environ 60
lieues du nord au sud, et d'environ 55 de l'est à l'ouest. Sa population
composée d'Allemands, de Suisses et d'anciennes familles françaises réfu-
giées, est bien moins considérable, à surface égale, que celle de la Silésie;
on l'évaluait à la fin de 1849 à 2,190,022 habitants.
Les premiers peuples qui habitaient le Brandebourg étaient, du temps de

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
53
Tacite, les Lombards (Longobardi), les Bourguignons (Burgundiones),
les Semnons ( Semnones ), qui se vantaient d'être les plus braves et les plus
nobles des Suèves, et les Guttons ( Guttones) qui faisaient partie des Van-
dales. Vers le cinquième siècle, ces peuples, repoussés probablement par
les Venedi ou Wendes, envahirent différentes provinces de l'empire romain,
et les Wendes occupèrent la contrée qui constitue aujourd'hui la province
de Brandebourg ·, ils s'y subdivisèrent bientôt en plusieurs petits peuples,
selon les portions du pays qu'ils habitèrent; ainsi il y eut les Lutitzi, les
Wilzi, les Walutabi, les Ha-Svelli, etc. Sigifred, comte de Saxe, fut
nommé margrave de Brandebourg, en 927: c'est le plus ancien titulaire
de cette principauté sur lequel l'histoire fournit des renseignements authen-
tiques.
En 1133, Albert, surnommé l'Ours, et appelé aussi le Beau, fils d'Othon-
le-Riche, comte de Ballenstedt, conquit sur ces peuples la ville de Bran-
bourg, et fut nommé en 1150, par l'empereur Conrad III, à la dignité
d'électeur et de margrave. La Marche de Brandebourg n'était en quelque
sorte couverte que de marais et de forêts: ce prince entreprit de faire
défricher la contrée; il y bâtit des villes, entre autres Berlin, Bernau,
Francfort sur-l'Oder et Landsberg; il bâtit des églises, fonda des monas-
tères , établit et dota des colléges, et entreprit d'éclairer et de civiliser ces
peuples à demi barbares; enfin il devint par ses bienfaits le véritable fon-
dateur du margraviat de Brandebourg. Jusqu'à Albert l'Ours cette Marche
avait, selon l'usage, été donnée à vie aux différents margraves, par les
empereurs; mais ce prince fut le premier pour lequel elle fut érigée en
fief. Cette principauté passa, de plusieurs branches qui s'éteignirent suc-
cessivement , jusque dans les mains de Sigismond, roi de Hongrie. Mais
élu empereur par le crédit de Frédéric, comte de Hohenzollern et burgrave
de Nuremberg, ce prince, dépourvu de cet esprit d'économie aussi utile
aux rois qu'aux particuliers, céda en 1411, à Frédéric , à titre de fief héré-
ditaire et avec la dignité électorale, l'État de Brandebourg pour la somme
de 400,000 florins d'or.
Albert, fils du margrave Frédéric de Hohenzollern, partagea ses États
entre ses trois fils : l'aîné fut revêtu de la dignité électorale, et reçut la
Marche de Brandebourg; le second eut le margraviat d'Anspach, et le
troisième la principauté de Kulmbach. Peu de temps après, ces deux
petits Etats furent réunis à la Marche de Brandebourg.
C'est au règne d'Albert, grand-maître de l'ordre Teutonique, que
commence la puissance de la couronne de Prusse. Il renonce à la religion

54
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
catholique et embrasse la réformation de Luther. En 1525, par le traité
de Cracovie, il est reconnu duc héréditaire de la Prusse orientale, fief
relevant de la couronne de Pologne. En 1648, la principauté d'Halbers-
tadt et l'évêché de Minden sont acquis à la maison de Brandebourg par le
traité de Westphalie. Le Brandebourg eut beaucoup à souffrir pendant la
guerre de Trente ans ; mais, sous l'administration vigoureuse de Frédé-
ric-Guillaume, surnommé à juste titre le Grand-Electeur, ses maux furent
bientôt réparés. Ce prince, oblige, en 1657, la Pologne à reconnaître la
Prusse orientale comme État indépendant. En 1701, Frédéric III, dans
une assemblée des États à Kônigsberg, prend le titre de Frédéric Ier, roi
de Prusse, se couronne lui-même et pose le diadème sur la tète de son
épouse. En 1702, il enlève aux Hollandais une partie de la Gueldre et
tout le duché de Limbourg. En 1707, il accepte la souveraineté de Ncuf-
châtel et de Vallengin en Suisse, et achète le territoire de Tecklenbourg ;
enfin, en 1712, il ajoute à ses domaines la principauté de Meurs sur les
bords du Rhin. Frédéric-Guillaume Ier, en 1720, obtient pour 2 millions
d'écus la possession de Stettin, de la Poméranie citérieure, au-dessus de
la rivière de Peene et des îles Usedom et de Wollin, acquisition d'autant
plus importante qu'elle rend la Prusse maîtresse des bouches de l'Oder.
Sous le règne de Frédéric II, la monarchie prussienne s'augmente, par le
traité de Breslau en 1742, de la meilleure partie de la Silésie. En 1745, la
paix de Dresde lui valut une indemnité d'un million d'écus. Son existence
parut un instant menacée par la guerre de Sept ans, mais Frédéric II
triompha de la coalition formée contre lui.
Le grand roi déploya alors toutes les ressources de son génie pour
réparer les maux de la guerre; en peu de temps ses Étals se repeuplèrent,
et le spectacle de l'industrie et de l'aisance succéda au tableau de la dévas-
tation. Nous avons déjà dit à propos de la province de Prusse quelle avait
été la fortune de la monarchie depuis cette époque ; nous ne reviendrons
donc pas sur ce sujet, qui, d'ailleurs, nous entraînerait au delà du cadre
de cet ouvrage et nous éloignerait du but que nous poursuivons.
Le sol du Brandebourg est plat et généralement sablonneux. Son incli-
naison est si peu sensible qu'on y remarque un grand nombre de marais et
de petits lacs alimentés par les fréquentes inondations des rivières. Le gou-
vernement prussien a profité de cette disposition physique pour établir un
système de canalisation propre à favoriser le commerce intérieur par la
communication des rivières avec les fleuves; ainsi, la Sprée est unie à
l'Oder par le canal de Frédéric Guillaume; le Havel communique au même

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
55
fleuve oar les canaux de Finow. Outre ces deux canaux importants, on en
cite plusieurs autres qui sont ceux de l'Oder, de Fehrbellin, de Storkow,
de Ruppin, de Templin, etc., qui portent les noms des différentes villes
au milieu desquelles ils passent, ou des principales rivières qui les ali-
mentent.
Il serait trop long de nommer tous les lacs qui s'étendent au milieu de
cette contrée. Il suffira de citer quelques-uns des plus importants, ce sont,
près de Beeskow, le Schwielung ou Schwieloch, qui a près de trois lieues
de longueur, et que traverse la Sprée ; le Scharmützel, long de plus d'une
lieue et le plus considérable de ceux qui arrosent les environs de Storkow ;
le Soldin et le Müggel, qui s'étendent aux environs du bourg de Copnick ;
le Beetz et le Breitling, près de Brandebourg ; le Wehrbellin, de plus
d'une lieue de long, près de Joachimsthal ; et le lac de Ruppin, qui a plus
d'une lieue et demie de longeur. Nous pourrions citer encore le Grimnitz,
le Rheinsberg, le Prenzlow, le Lindow, le Dolgen, près de Templin, le
Plauen et le Teupitz.
Le terrain sablonneux du Brandebourg n'est point défavorable à la végé-
tation naturelle. On y compte un grand nombre de forêts, mais elles ont
déjcà l'aspect des forêts septentrionales ; elles se composent de frênes, de
hêtres et de chênes, et principalement de pins et de sapins, dont une
grande partie est employée dans la marine ou livrée au commerce. Quant
à la partie du sol réservée à la culture, on conçoit facilement qu'elle ne soit
pas généralement fort productive ; l'art y fait plus que la nature. Les culti-
vateurs y sont industrieux, et, grâce aux encouragements que l'agriculture
reçut du grand Frédéric, des terrains incultes se sont couverts de moissons,
de sombres forêts se sont changées en riantes prairies, des marais fangeux
et malsains ont été desséchés, et toutes les terres ont augmenté de valeur.
Les produits de la culture sont le lin, le chanvre, le tabac, le houblon, les
céréales, et quelques plantes colorantes employées dans les nombreuses
manufactures. Les environs de Priegnitz, de Beeskow et de Teltow sont cou-
verts de champs où l'on cultive avec succès le lin et le chanvre le plus estimé,
ainsi que le millet et la plante improprement appeléeblé sarrasin. Les plantes
potagères y réussissent parfaitement ; on y récolte surtout une espèce de
petit navet qui y a été porté par des Français qui fuyaient les persécutions
causées par la révocation de l'édit de Nantes. Cette racine y a si bien
réussi, qu'elle est devenue un légume recherché pour la table du riche et
un article d'exportation assez lucratif. Une autre plante, dont l'emploi est
d'une grande importance, est cultivée dans les environs de Berlin ; nous

56
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
voulons parler de la betterave. C'est en Prusse que l'on essaya pour la pre-
mière fois de mettre en pratique les expériences de Margrave relatives à
l'extraction du sucre que renferme la racine de ce végétal, et longtemps
avant que cette découverte pénétrât jusqu'en France, on comptait, aux
environs de la capitale de la Prusse, plusieurs fabriques importantes de
sucre de betterave.
La récolte totale du Brandebourg ne suffit pas à la consommation de ses
habitants. Il est vrai que la capitale entre pour beaucoup dans cette con-
sommation ; elle en absorbe environ le tiers, et Postdam un cinquième,
suivant les calculs de certains auteurs. La vigne est assez rare dans cette
contrée, et la culture en est restée jusqu'à ce jour négligée comme n'étant
point assez productive; on n'en remarque plus que dans quelques portions
de terre peu considérables, et seulement aux environs des villes les plus
importantes, telles que Postdam, Berlin, Brandebourg, etc.
Dans celte province, les bêtes à cornes sont moins nombreuses que dans
la Silésie et d'une petite espèce ; aussi est-ce de la Podolie que l'on tire la
plus grande partie des bœufs que l'on consomme dans les grandes villes.
Depuis que l'industrie a favorisé l'amélioration des bêtes à laine, le Bran-
debourg nourrit un grand nombre de troupeaux. Sous le rapport de la
quantité, peut-être que cette contrée ne le cède point à la Silésie ; mais il
s'en faut que les laines qu'on en retire soient aussi recherchées. Les che-
vaux sont d'une petite race et conséquemment peu estimés. Les forêts sont
peuplées des mêmes animaux que ceux dont nous avons parlé en traitant
de la Silésie.
Le Brandebourg est, de toutes les provinces de la monarchie prus-
sienne, celle où l'on s'occupe avec le plus de succès de l'éducation du
ver à soie; les produits qu'on en relire sont très-importants; c'est une des
richesses industrielles que les Prussiens doivent aux lumières du grand
Frédéric et aux encouragements qu'il sut leur donner. Les nombreuses
bruyères et la culture du blé sarrasin ont facilité aux cultivateurs les
moyens de nourrir un grand nombre d'abeilles, et d'entretenir ainsi une
des plus utiles branches d'industrie rurale que puisse exploiter cette pro-
vince, et qui y augmente chaque année. Enfin, les poissons, dont les eaux
abondent, fournissent facilement à la subsistance d'un grand nombre
d'habitants. L'Elbe n'est pas très-poissonneux; mais, en revanche, les lacs,
la Sprée, et la plupart des autres rivières, le sont considérablement. Quel-
ques-uns de ces poissons sont très-recherchés. Il en est surtout plusieurs
que l'on pêche dans la Sprée, et qui sont tellement estimés, qu'ils consti-

EUROPE.— DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
57
tuent une branche d'exportation pour le pays; celui qu'on connaît sous le
nom de tendre, ou de grande murène, est de ce nombre.
Les manufactures sont très-nombreuses et très-importantes dans le
Brandebourg ; on y fabrique des toiles de lin et de coton, des soieries, des
draps et d'autres étoffes de laine, des porcelaines, des verreries, du tabac,
et quelques produits sur lesquels nous donnerons des détails en parlant des
villes qui en tirent leur principale richesse. La plupart des métaux y sont
travaillés avec succès; on y compte plusieurs fabriques d'armes, d'usten-
siles en fonte, d'objets de luxe en fer, d'aiguilles et de fils d'or, d'argent,
de laiton, etc.
Il n'est pas étonnant que, dépourvu de montagnes, le sol du Brande-
bourg soit pauvre en produits minéraux. Sous le rapport géologique, ses
terrains appartiennent principalement à la formation secondaire. On y
trouve en abondance des schistes alumineux que l'on exploite pour la fabri-
cation de l'alun; c'est à Freyenwalde que cette exploitation est la plus
importante. Le principal métal de cette contrée est le fer ; il appartient à
la variété connue sous le nom de fer hydraté, et donne lieu à plusieurs
exploitations considérables. Des recherches faites avec soin y ont fait aussi
découvrir des bancs de houille; c'est à l'aide de ce combustible qu'on a pu
utiliser le minérai de fer et établir de nombreuses forges, des usines, des
fonderies, ainsi que des manufactures de tôle, de fers-blancs, etc. Les envi-
rons du village de Rudersdorf fournissent les meilleures pierres de taille de
la contrée ; elles se tirent d'une roche calcaire, connue des Allemands sous
le nom de muschelkalk, et qui donne à la calcination une excellente chaux.
Près de Prenzlow, et dans toute la partie septentrionale de la province, il
existe des dépôts considérables de craie. Aux environs du village de Spe-
renberg, sur la frontière de la Saxe, les carrières de gypse sont très-abon-
dantes, et sont exploitées pour en faire un plâtre d'assez bonne qualité.
Dans quelques localités, on trouve une argile employée à la fabrication des
poteries. Enfin, on conçoit que les tourbières doivent être très-communes
dans cette contrée, qui renferme tant de plaines marécageuses; le com-
bustible que l'on en extrait est d'une grande utilité pour l'économie domes-
tique et pour l'industrie. En général, on voit s'élever çà et là, au sud-est
de Berlin et de Custrin, des îlots d'argile plastique, et, au sud de ces deux
villes, d'autres îlots de fer limoneux.
Pour terminer ce qui est relatif à la constitution physique du Brande-
bourg, nous devons dire qu'il renferme quelques eaux minérales ferrugi-
neuses : celles de Freyenwalde, de Francfort et des environs de Berlin,
VII.
8

58
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
sont les seules qui jouissent de quelque réputation. Les cours d'eau les
plus remarquables sont VOder, qui traverse sa partie orientale, et qui y
a pour affluents la Bober, la Neisse et la Wartha. Les débordements de
cette rivière sont presque aussi nuisibles que ceux du fleuve dans lequel
elle se jette. Le Havel, grossi du Rhin, de la Sprée et du Dosse, va se
jeter dans l'Elbe qui, sur un espace de 70 kilomètres, forme la limite occi-
dentale du Brandebourg. Le Havel se distingue par l'extrême lenteur de
sa course; il se répand à travers une ligne tortueuse et presque continuelle
de lacs et d'étangs, en sorte qu'au milieu de ce dédale aquatique on
cherche souvent en vain la rivière. La Sprée, qui prend sa source en
Saxe, coule au-dessous de Kottbus au milieu de vastes marais auxquels
elle donne son nom.
Le climat de la province de Brandebourg participe de la situation élevée
de la contrée et de l'influence des lacs qui couvrent son sol. L'air y est
doux et humide, les variations de température y sont fréquentes. Comme
elle n'est abritée par aucune chaîne de montagnes, si ce n'est celles de la
Bohême, de la Saxe et de la Silésie, qui en sont assez éloignées, elle est
souvent exposée à la violence des grands vents du nord et de l'est. Sa
latitude lui donne quelque analogie avec les pays septentrionaux : dans
les hivers rigoureux, le thermomètre baisse jusqu'à 12 ou 18 degrés-, en
été, il s'élève jusqu'à 25 ou 26 degrés.
La population du Brandebourg se compose de divers peuples, alle-
mands, suisses et français; mais le caractère qui distingue la nation en
général ne participe point du mélange de ces peuples. Dans la haute
société on remarque une certaine vivacité de caractère, une sorte de gaieté
qui n'existe point dans les classes inférieures. Les naturels du pays, qui
forment la masse de la nation, sont généralement lourds, pensifs et taci-
turnes. Ce peuple aime les arts et les sciences-, il est religieux et tolérant;
la croyance la plus générale est le protestantisme, partagé entre la réfor-
mation de Luther et celle de Calvin ; le catholicisme y est beaucoup moins
répandu que dans la Silésie.
L'allemand qu'on parle dans le Brandebourg se fait remarquer par sa
douceur et sa pureté; cependant la langue française y est très-répandue;
les gens de lettres et les personnes de la haute société l'emploient volon-
tiers et avec facilité.
Le Brandebourg dont on peut évaluer la superficie à 734 milles carrés
géographiques allemands ou à 40,280 kilomètres carrés, a aujourd'hui
une population de 2,129,022 habitants, il se divise en deux arrondisse-

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
59
ments de régence, celle de Postdam y compris Berlin et celle de Francfort
(sur l'Oder).
Nous allons parcourir cette province et examiner sous les divers points
de vue les plus intéressants les différentes villes qui méritent de fixer
notre attention. Parmi celles qui sont situées entre l'Oder et la Wartha,
dans la partie du Brandebourg qui confine au grand-duché de Posen, il
en est peu d'importantes-, la plus considérable compte à peine 5,500 habi-
tants; c'est celle de Züllichau ; son territoire est riche et fertile, mais l'ai-
sance de ses habitants est principalement due à ses manufactures de drap
et de laine, à ses fabriques de toile, qui alimentent le commerce qu'elle
fait avec la Pologne, l'Allemagne et même l'Italie. On montre près de
Kalzig, dans ses environs, l'emplacement où les Prussiens furent battus
par les Russes en 1759. Sur les bords de l'Oder, la petite ville de Krossen
est entourée de murailles et défendue par une citadelle.
Si nous nous dirigeons au nord-ouest en suivant le cours du fleuve, une
grande et belle ville méritera de nous arrêter un instant : Francfort-sur-
l'Oder était comptée autrefois au nombre des cités impériales; elle jouissait
à ce titre des immunités et des avantages que l'on accordait à des rési-
dences même plus importantes qui prenaient avec ostentation le titre de
villes libres. Elle est considérée comme la septième ville du Brandebourg;
29,969 habitants, de belles rues, trois faubourgs, plusieurs établissements
utiles, quelques monuments remarquables, de belles promenades, un
pont de 76 mètres de longueur, justifient sans doute ce titre et le rang
qu'elle occupe comme chef-lieu de régence et de cercle. Elle est sur le
chemin de fer de Berlin à Vienne par la Silésie. Son ancienne université,
fondée en 1506, a été transférée à Breslau, mais elle possède encore de
nombreux établissements d'instruction publique et des institutions de
bienfaisance. Le commerce de celte ville est important; trois foires s'y
tiennent chaque année; il s'y fait de grands marchés, non-seulement en
toiles et en soieries, qui sont ses principaux produits manufacturiers, mais
encore en pelleterie, en maroquin, en bonneterie, en tabac et en graine
de lin, que l'on récolte dans ses environs et que l'on exporte de là en
Silésie et en Bohême. Ses opérations commerciales sont journellement
activées par des canaux qui entretiennent un communication facile avec
Berlin et la Baltique. Francfort était autrefois regardée comme une ville
forte. Les Français y entrèrent le 28 octobre 1806.
En quittant Francfort pour aller à Kottbus, nous traverserons le canal
de Frédéric-Guillaume, qui parcourt cinq lieues de pays, fait communi-

60
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
quer l'Oder à la Sprée, et porte aussi le nom d'une petite ville qu'il arrose.
Nous laissons à notre droite Furstenberg sur l'Oder, autre ville qui fut
presque entièrement détruite par un incendie le 26 mai 1807, et dont la
seule importance est d'être une station du chemin de fer de Silésie. Vis-à-
vis de celle-ci s'élève, sur les bords de la Sprée, Beeskow, qui renferme
3,000 âmes, des fabriques de draps et de toiles, ainsi qu'un ancien château
dans lequel se rassemble aujourd'hui la cour de justice. La même indus-
trie et à peu près le même nombre d'habitants se retrouvent à Lubben ou
Lubio. Cette petite ville est située dans une île formée par la Birste et la
Sprée. On remarque quelques vignobles aux environs de Kottbus ; ils sont
peu estimés et ne suffisent point à la consommation de ses 7,000 habitants,
dont l'industrie manufacturière consiste principalement en fabriques de
draps et de toiles. Cette ville bâtie sur la rive droite de la Sprée qui n'y est
pas navigable, a remédié à ce grand inconvénient commercial par un
petit chemin de fer qui l'unit à Goyaz, située un peu au nord-ouest, sur
un des lacs que forme la Sprée alors navigable jusqu'à Berlin.
Nous dirons peu de chose de Spremberg, dont le nom indique la situa-
tion sur une île de la Sprée: sa population n'excède point 2,000 âmes.
La petite ville de Dobrltugk s'élève sur la rive droite du Dober : assez bien
bâtie, on n'y compte qu'un millier d'habitants, une église, un château,
une fabrique de drap, mais plusieurs distilleries de genièvre. Dans la par-
tie du Brandebourg que nous parcourons, on remarque beaucoup de can-
tons marécageux.
Guben, sur le chemin de fer de Silésie, ville de 8,000 àmes, et qui fait
un commerce très animé en chanvre et en toiles fabriquées dans ses envi-
rons-, Gassen, autre station au-sud de la précédente, dont le village de
Alt-Gassen est en quelque sorte un faubourg, et dont les environs renfer-
ment quelques vignobles: Luckau, dont le tiers des maisons fut brûlé
pendant la guerre de 1813 ; Golssen, dont les environs sont couverts de
tabac et de lin ; Juterbock, à l'embranchement du chemin de fer de Berlin à
Vienne par Dresde et Prague, et de la ligne qui dessert les duchés de
Saxe-, Baruth , qui fait partie d'une baronnie appartenant au comte de
Solms-Sonnenwald, et qui possède une belle église et une verrerie célèbre;
Belzig, que défendait autrefois un vieux château-, Lackenwalde, station
do chemin de fer de Berlin à Dresde, avec trois faubourgs et deux manu-
factures considérables de draps; enfin Belitz, avec ses anciens remparts,
sont autant de petites villes industrieuses et les seules que nous puissions
nommer dans toute la partie méridionale du Brandebourg, comprise entre

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
61
ses limites occidentales et la rive gauche de la Sprée, depuis la frontière du
royaume de Saxe jusqu'à Potsdam.
Cette ville, connue dès le dixième siècle sous le nom de Postdepimi,
puis sous celui de Postzeim, peut être regardée comme l'une des plus
agréables du Brandebourg; elle s'élève entre les deux lacs de Schwielow
et de Weise, au confluent de la Nuthe et du Havel, dans une île de 18 kilo-
mètres de tour, qui comprend quelques villages, et qui est formée par ces
deux rivières, un canal et ces lacs. Ses maisons, ornées de belles façades,
ses rues larges, alignées et bien pavées, ses places publiques et plusieurs
de ses édifices sont dignes d'une résidence royale. On y compte un grand
nombre de manufactures, et sa population s'élève aujourd'hui à 39,864
habitants, non compris la garnison , évaluée à 8,000 hommes. Entourée
de murs et de palissades qui la séparent de ses faubourgs, Potsdam a
neuf belles portes, dont la plus remarquable est celle de Brandebourg. Ses
principaux édifices sont: le palais royal construit en 1660 ; les églises de
Saint-Nicolas, et de la Garnison, cette dernière renferme le tombeau du
grand Frédéric; le casino, le théâtre, l'hôtel des invalides, le manége et
la maison des Cadets. Potsdam mérite le surnom de Versailles prussien.
Cette ville qui a été une des premières de la Prusse à jouir des avantages
des cnemins de fer, est sur la ligne qui, par Magdebourg et Hanovre, unit
aujourd'hui Berlin à l'Europe centrale. Potsdam n'est pas seulement une
résidence royale, c'est encore une ville commerçante ; on y fabrique des
étoffes de laine, des tissus de coton, des soieries, des dentelles, des toiles,
des chapeaux, etc. Les brasseries y sont fort importantes. Le plus consi-
dérable de ses établissements d'industrie est la manufacture royale d'armes ;
on y fabrique annuellement 7,000 fusils, mais on pourrait en confection-
ner 18 à 20,000. Les jardins des faubourgs sont cultivés avec beaucoup
de soin. C'est dans un de ces faubourgs que l'on a découvert en 1821 une
source minérale qui est aujourd'hui assez fréquentée, et qui a beaucoup
d'analogie avec celle de Freyenwalde. Près de la ville sont situés le châ-
teau de Sans-Souci, le Palais-Neuf et le Palais de marbre. Les jardins de
ces trois maisons de plaisance, les tableaux et les objets précieux qu'elles
renferment, la vue magnifique dont on jouit à Sans-Souci, la chambre
à coucher dans laquelle mourut Frédéric le Grand, et dont les anciens
meubles sont conservés avec soin; sa bibliothèque, sa galerie de tableaux
restée intacte depuis sa mort, sont autant d'objets dignes de l'attention
des voyageurs et des souvenirs qu'ils retracent. Le château de Sans-Souci
n'est qu'un bâtiment d'un seul étage, flanqué de deux pavillons. Sa posi-

62
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME
tion sur une hauteur lui donne un bel aspect. Le Palais de marbre est
situé dans le parc de ce château. C'est à trois quarts de lieues de Sans-
Souci que se trouve le Palais-Neuf, dont on admire les belles proportions.
L'île des Paons ( Ρfauen Insel) est remarquable par une autre belle maison
royale. Les environs du lac où cette île est située offrent d'agréables points
de vue. On a dit avec raison que c'était une véritable oasis au milieu des
sables du Brandebourg.
Autant les environs de Potsdam sont agréables et pittoresques, autant la
position de Berlin offre de monotonie. Cette ville, fondée en 1163, en com-
prend aujourd'hui cinq autres et quatre faubourgs. Dans les treizième,
seizième et dix-septième siècles, on y vit successivement se former les
quartiers appelés le Vieux-Cologne et Friedrichswerder, les faubourgs de
Kopnick et de Spandau, le quartier de Neustadt, les faubourgs du Roi et
de Stralau, le Nouveau Cologne, le Friedrichsstadt, le faubourg de Bosen-
thal, et enfin, en 1824, celui d'Oranienbourg. Elle est située au milieu
d'une plaine sablonneuse, dominée par de légères inégalités du sol ·, mais
les routes qui y conduisent sont bonnes et bien entretenues ; les sables qui
l'environnent y sont presque tous cachés par une excellente culture, et l'on
est grandement dédommagé de l'ennui qu'inspirent ses environs lorsqu'on
est arrivé dans son enceinte. Elle n'a rien de la tristesse de Potsdam. C'est
sans contredit la ville la mieux bâtie de l'Allemagne ; non que les édifices
s'y fassent remarquer par le goût, l'élégance et la pureté de leur architec-
ture : on y reconnaît au contraire ce genre allemand qui est l'opposé du
vrai beau; mais l'ensemble en est imposant, les rues sont larges et bien
alignées; tout rappelle dans cette capitale le génie de FrédéricII, qui
employa des sommes considérables à son embellissement.
Parmi ses édifices, le plus remarquable est sans contredit le Palais du
roi, qui renferme une bibliothèque, une précieuse collection de médailles
et d'antiques, un cabinet d'histoire naturelle, une galerie de plus de 300
tableaux de prix, sans compter ceux qui composaient la collection Gius-
tiniani à Rome. Après le palais, l'établissement le plus curieux est l' ar-
senal; il passe pour être le plus vaste de toute l'Europe : le fait est qu'il
peut contenir des armes et des munitions pour une armée de 200,000
hommes. On y voit les statues de Bulow et de Scharnhorst, et l'une des
salles renferme les modèles de 18 forteresses de France.
On cite à Berlin plusieurs palais remarquables par leur architecture :
tels sont celui du prince Charles, et l'ancien palais des chevaliers de l'ordre
de Saint-Jean ; tels sont encore, parmi les propriétés particulières, ceux

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
63
des princes de Sachen, Hardenberg et Radziwill. La classe aisée de ses
habitants y jouit de plusieurs établissements vastes et commodes, consacrés
à ses plaisirs. On y compte quelques jardins publics : les quatre jardins
d'hiver sont, dans cette saison, fréquentés par la belle société. Les autres
lieux de réunion de Berlin ne le cèdent point à ceux des principales capi-
tales de l'Europe : tels sont une salle de concert qui contient plus de 1,000
auditeurs, et qui dépend du nouveau théâtre royal-, enfin, le théâtre de
l'opéra italien, qui l'emporte en grandeur sur la plupart de ceux d'un grand
nombre d'autres capitales. Au théâtre de la ville royale (Konigstadt) sont
attachés 50 artistes, tant acteurs, chanteurs que chanteuses.
Parmi les églises de cette ville, nous devons citer celle de Sainte-Hed-
wige, consacrée au culte catholique, et construite sur le modèle du Pan-
théon à Rome; l'église de Sainte-Marie, bâtie dans le treizième siècle, et
remarquable par sa tour gothique, haute de 90 mètres ; l'antique église
Saint-Nicolas, dont la construction remonte au delà de l'an 1200, intéres-
sante par ses ornements gothiques, et dans laquelle on remarque le tom-
beau du célèbre Puffendorf ; la cathédrale ou le Dôme, dont les caveaux ont
servi de sépulture aux princes de la maison royale; l'église de Sainte-
Dorothée, remarquable par les tombeaux qu'elle renferme, entre autres le
monument du comte de la Marche ; enfin, l'église de la Garnison, terminée
sous Frédéric-Guillaume en 4722.
De toutes les places de Berlin, celle qui est le plus digne d'une grande
ville est la place Guillaume, ornée des statues de cinq des généraux (Keith,
Schwerin, Seidlilz, Winterfeld et Ziethen) qui s'illustrèrent dans la guerre
de Sept ans. Les autres places principales sont celle d'Alexandre, celle des
Gendarmes, celle de la Parade, celle de la Β elle-Alliance, et celle de Lust-
garden. L'un des ornements de cette ville est la statue équestre de Fré-
déric-Guillaume, fondue en bronze par Schluler, et placée sur le Long-
Pont (Lange-Bruche). Elle pèse plus de 3,000 quintaux. Devant la porte
de Halle, on admire, sur le Kreuzberg, le Kriegsdenkmahl, monument
élevé, en 1820, à la gloire de l'armée prussienne.
De toutes les rues de Berlin, la plus remarquable est sans contredit celle
appelée (Inter den Linden (Sous les Tilleuls) ; elle est ornée de six rangées
de ces arbres, sa longueur est de 4,250 mètres et sa largeur de 50, son
allée principale est large de 16 mètres; elle est décorée de belles statues.
Après celle-ci, on doit citer les rues Frédéric et Guillaume.
Des quinze entrées de Berlin, la plus belle est sans contredit la porte de
Brandebourg, qui rappelle, par sa forme et son architecture, les Propylées

64
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
d'Athènes ·, elle est surmontée par un quadrige en cuivre, chef-d'œuvre de
patience plutôt que de l'art, qui fut exécuté par un chaudronnier de Berlin,
en cuivre laminé et repoussé.
Berlin renferme un grand nombre d'établissements utiles ; tels sont
l'université, dont le palais est magnifique; le musée, l'académie des
sciences, la bourse, la monnaie, la douane, l'école du génie et de l'artil-
lerie, l'arsenal et l'hôtel royal des Invalides. Outre l'université, que l'on
doit regarder comme la première de l'Allemagne, on trouve à Berlin diffé-
rentes académies destinées à répandre l'instruction relative à plusieurs
connaissances spéciales, et un grand nombre d'écoles. Il y a 24 biblio-
thèques publiques. La jeunesse studieuse trouve d'ailleurs au sein de Ber-
lin, non des cours publics, mais un grand nombre de cours particuliers ;
les pauvres seuls y profitent des écoles gratuites ouvertes le dimanche.
Les établissements fondés pour distribuer des secours aux indigents,
aux malades, aux veuves et aux orphelins, les sociétés bibliques et de bien-
faisance, sont en si grand nombre, qu'il serait difficile d'en donner un
aperçu.
Berlin n'est pas seulement renommée pour la fabrication de ses bijoux
en fer fondu, dont le fini et lu délicatesse du travail font oublier leur peu
de valeur réelle ; les voitures qu'on y fabrique sont depuis longtemps esti-
mées pour-leur légèreté et leur élégance autant que pour leur solidité. Ses
manufactures de porcelaine rivalisent depuis longtemps avec celles de la
Saxe, et, pour certains détails, elles ont acquis une grande réputation.
Elle possède plusieurs fabriques d'étoffes de soie, de coton et de laine,
parmi lesquelles la grande manufacture royale de draps tient le premier
rang. Enfin, on trouve à Berlin des établissements relatifs à toute espèce
d'industrie, et des ouvriers habiles dans tous les genres.
La population de la capitale de la Prusse s'est singulièrement accrue.
depuis le commencement du siècle-, en 1661 elle était de 6,500 habitants ;
en 1804, de 113,000 ; maintenant (1850) elle est de 423,902 habitants.
Berlin est aujourd'hui mise en communication avec les différentes villes
de l'Europe par cinq lignes de chemins de fer : la première relie cette
capitale à la Prusse rhénane par Magdebourg, Brunswich et Hanovre ; la
seconde unit Berlin à Vienne par Dresde et Prague ; la troisième ligne part
de Berlin, traverse Francfort, Breslau, et va rejoindre Cracovie, tandis
qu'une ligne partant de cette dernière ville va rejoindre Varsovie, Saint-
Pétersbourg et Moscou ; la quatrième ligne se dirige vers les provinces du
nord-est de la monarchie, et vient aboutir à Dantzick et à Konigsberg ;

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE
65
enfin, la cinquième unit Berlin à Hambourg, en traversant le Mecklem-
bourg-Schwerin dans sa partie méridionale. De chacune de ces lignes
partent des embranchements qui vont atteindre toutes les villes commer-
çantes du royaume.
Berlin offre plusieurs promenades publiques, telles que le Lustgarlen,
dont nous avons déjà parlé ; la place du Cercle et les Zelte, rendez-vous
habituels de la belle société. Mais si l'on sort des murs par la porte de
Brandebourg, le Thiergarten, ou le jardin de la Ménagerie, qui est pour
Berlin ce qu'est le bois de Boulogne pour Paris ; l'Exerzirplatz, espèce
de Champ-de-Mars où les troupes font leurs manœuvres, et le parc de
Charlottenbourg, qui renferme le mausolée de la reine Louise ; le Pic-
kelswerder, sur une colline d'où la vue s'étend sur le Havel et sur le petit
nombre de sites agréables que l'on remarque autour de la capitale, et d'où
l'on aperçoit, à 2 lieues à l'ouest de Berlin, la ville de Spandau; enfin
l'établissement des eaux minérales de Friedrichsbrunnen sont, de tous
les environs, les lieux les plus fréquentés par les promeneurs. Cependant
l'île des Paons, les landes des Lapereaux (Hasenheide), les landes des Fil-
lettes (Iungfernheide), le pays des Mohabites, les villages de Buchholz,
Lichtenberg, Pankow, Schönberg et de Tempelhof; Treptow, renommé
pour la fête des pêcheurs qui s'y célèbre tous les ans, et qui y amène de
Berlin la plus complète et la plus bizarre cohue qu'il soit possible de voir;
Stralan, qui rivalise avec le précédent pour la même fête, en sorte que la
foule se partage entre ces deux villages; enfin celui de Grossburen,
l'on voit le monument en fer de la bataille de 1813, sont encore autant de
buts de promenade pour les habitants de Berlin.
De tous les lieux que nous venons de nommer, Charlottenbourg est,
selon nous, le plus intéressant ; c'est en quelque sorte le Saint-Cloud de
la Prusse. Le château jouit du privilége de recevoir assez fréquemment la
visite du roi et celle des princes de sa famille. Au milieu des jardins de
cette résidence royale s'élève un petit temple d'une élégante simplicité
qui renferme le mausolée de la reine Louise.
A environ 11 lieues au nord-est de Berlin, le village de Mögelin mérite
d'être cité pour l'important institut agronomique qui y est établi. Ce
domaine comprend 485 hectares de terres en culture ; on y entretient une
ferme-modèle, une brasserie et une distillerie.
Si l'on descend le Havel jusqu'à Brandebourg, les bords de cette rivière,
qui forme de distance en distance des nappes d'eau larges de 1,500 à
2,000 mètres, au milieu desquelles s'élèvent des îles, offrent des sites
VII.
9

66
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
assez agréables. La première ville que nous verrons est Spandau, forte-
resse importante construite au confluent du Havel et de la Sprée, sur le
chemin de fer de Berlin à Hambourg par le Mecklembourg. La population
de cette ville est de 8,000 âmes ; elle renferme une manufacture d'armes,
des tanneries, des distilleries, des fabriques de toiles, de soieries et de
rubans. Plus bas, nous revoyons Potsdam, puis nous arrivons à Bran-
debourg sur le Havel et sur le chemin de fer de Berlin à Hanovre. Dans
cette dernière, on remarque encore combien dut être funeste à l'industrie
française la révocation de l'édit de Nantes. La plupart des manufactures
de draps, de toiles, de papiers de tenture, et nombre d'autres établisse-
ments industriels, y sont dus à l'activité des Français réfugiés ; aussi son
commerce jouit-il d'une grande prospérité. Le nombre de ses habitants
s'élève à 18,309. La cathédrale, l'église Sainte-Catherine et l'hôtel des
Invalides sont les principaux édifices de cette ancienne capitale de la
marche du Brandebourg. De la montagne de Karlung, qui domine la ville
au nord-est, on jouit d'une très-belle vue; c'est de là que souvent on voit
le Havel et les lacs des environs couverts de barques de pêcheurs. Ces eaux
sont tellement poissonneuses, que la pêche y est très-productive, et que
le fermage qui s'en fait au profit de la ville forme une branche assez con-
sidérable de ses revenus.
En sortant de Brandebourg, les sinuosités du Havel nous conduisent à
Rathenow ou Rathenau, situé à 6 lieues au nord-est de la première. Cette
petite ville de 6,000 habitants fut bâtie en 430 ·, son gymnase possède une
belle bibliothèque, et son église un beau tableau de Rode. Havelberg,
située dans une île que forment deux bras du Havel, est moins peuplée
que la précédente, et mérite toutefois d'être citée : il s'y fait un commerce
assez considérable de bois-, elle possède un chantier de construction pour
les bateaux destinés à la navigation du Havel ; on y compte plusieurs raf-
fineries de sucre-, mais ce qu'elle offre de plus curieux, c'est son ancienne
cathédrale, qui passe pour une des plus belles de l'Allemagne ; son évêché
n'existe plus. Perleberg, avec une population de 3,000 âmes, est une jolie
ville arrosée par la Stepnitz, au-dessous du confluent de cette rivière et de
la Perle. Elle possède une belle fabrique de drap, mais son principal com-
merce consiste en bestiaux et en lin dont les récoltes sont très-abondantes :
tous les ans il s'y tient une grande foire dans laquelle il s'en vend une
quantité considérable. Vers les frontières occidentales et septentrionales
du Brandebourg, nous ne trouvons plus de cités dignes de notre attention,
si ce n'est la petite ville de Rheinsberg ou Rhinsberg, qui possède une mai-

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
67
son de plaisance dont les jardins sont magnifiques. Pour y aller de Perle-
berg, nous ferons un détour, afin de n'être point obligé de traverser deux
petits pays qui occupent ensemble à peine 2 lieues de superficie, et qui
font partie du grand-duché de Mecklembourg-Schwerin. On a de la peine
à concevoir comment, dans les derniers traités, la Prusse n'a point cédé
à cette principauté voisine quelques portions de ses frontières, pour ne
pas avoir dans ses Etats une enclave étrangère qui ne contient que quel-
ques pauvres villages, et dont l'acquisition ne devait point offrir de grandes
difficultés.
Witt stock, près du champ de bataille de 1636 ; Gransée ; Neu-Ruppin,
sur le lac de ce nom, et Lindow ou Lindau, ne méritent guère que nous
nous y arrêtions. Mais Oranienbourg ou Orangebourg, sur le Havel, con-
serve le souvenir du grand-électeur Frédéric-Guillaume. Ce prince possé-
dait une belle maison de plaisance dans cette petite ville, qui s'appelait
d'abord Bœlzow ou Batzau, et, par une galanterie toute royale, il donna
à cette résidence le nouveau nom qu'elle porte, en l'honneur de la prin-
cesse Louise d'Orange qu'il venait d'épouser. Bernait, sur le chemin de
fer de Stettin et de Dantzick, ne doit son commerce et son industrie qu'à la
colonie française qui s'y est établie lors de la révocation de l'édit de Nantes.
Des fabriques de soieries et de diverses étoffes, des brasseries estimées, y
entretiennent l'activité et l'aisance qui en est la suite. On y compte trois
églises et un hôpital, et cependant sa population s'élève à peine à 3,000
âmes.
Au sud-ouest de Bernau on ne traverse aucune résidence remar-
quable jusqu'à Cüstrin, place forte très-importante située au confluent de
l'Oder et de la Wartha et entourée de marais qui la rendent formidable. On
remarque son beau pont sur l'Oder qui a 270 mètres de longueur ; elle
possède deux colléges et un hôpital. Sa population de 5,800 habitants
exerce plusieurs genres d'industrie, tels que la fabrication de diverses
étoffes et d'objets de bonneterie. A 10 lieues au nord-est de Cüstrin, la
Wartha arrose la ville de Landsberg, plus importante encore par son
commerce avec la Pologne et la Poméranie, que par sa population qui
s'élève cependant à près de 12,000 habitants. C'est la dernière cité de la
partie la plus orientale du Brandebourg qui mérite quelque attention.
En descendant l'Oder, nous voyons à quelque distance de sa rive gauche
la petite ville d'Angermunde, sur le chemin de fer de Stettin, dont la popu-
lation de 2,700 habitants comprend un grand nombre de familles françaises,
on y trouve une école allemande, une école française et un séminaire. Non

68
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
loin de cette ville, mais sur les bords du fleuve, on remarque Sehwedt,
dont on cite le château royal, le beau manége et les importantes manufac-
tures de tabac. Sa population s'élève à plus de 6,000 habitants; c'est dans
ses environs qu'est la jolie résidence royale appelée Monplaisir. Au sud
d'Angermunde citons la petite ville Neustadt-Eberswald, autre station du
chemin de fer poméranien. Elle possède l'académie forestière de Prusse et
un institut forestier. Prenblow ou Prenzlau est la ville la plus septentrionale
du Brandebourg. Située sur le lac auquel elle donne son nom, peuplée de
15,000 âmes, riche de son industrie qui consiste en fabriques do drap, de
toile, de cuir et de tabac, et en un commerce assez important en grains
et en bestiaux, c'est une des cités les mieux bâties de la province. On y
remarque l'église Sainte-Marie, une belle place publique et une jolie pro-
menade. Une partie de ses habitants descend de protestants français réfu-
giés après la révocation de l'édit de Nantes.
Afin de terminer la description de la partie septentrionale de la Prusse,
nous allons passer dans la Poméranie. Cette province est bornée au nord
par la mer Baltique, à l'ouest, par le Mecklembourg et le Brandebourg ; au
sud, par cette dernière province; et à l'est par la Prusse occidentale. On
évalue la superficie à 374 milles carrés allemands, ou à 41,663 kilomètres
carrés. Sa population s'élève à 1,197,701 individus; on voit par là que
cette province est moins peuplée que la Silésie et le Brandebourg. Son nom
allemand Pommern lui vient du mot slave Pommarski, c'est-à-dire pays
situé près de la mer.
Du temps de Tacite, la Poméranie était occupée par les Goths, les
Rugiens, les Lemoviens et les Helvecones, peuples qui appartenaient, du
moins les trois derniers, à la nation slave. Les habitants de la partie occi-
dentale, qui forme le territoire de Stettin, portaient le nom de Sideni. Vers
le cinquième siècle, ces peuples quittèrent la contrée pour envahir diverses
provinces de l'empire romain. Les Venèdes ou Wendes leur succédèrent,
et fondèrent en Poméranie un royaume dont les chefs portaient le titre de
Konjur af Vindland (rois du pays des Wendes). Leur premier prince s'ap-
pelait, dit-on, Mistew ou Mistevojus. Mais ce royaume fut de peu de durée,
les différentes nations qui l'habitaient formèrent plusieurs petits États sous
des princes particuliers, c'est-à-dire Slaves , Cassubiens ou Poméraniens
proprement dits. Le culte de ces anciens peuples admettait une espèce de
trinité qu'ils représentaient par une idole à trois têtes, à laquelle ils don-
naient le nom de Triglaf. Ce fut vers le onzième siècle qu'ils furent con-
vertis au christianisme par Othon, évêque de Bamberg. En 1186, l'empereur

EUROPE.— DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
69
Frédéric Ier associa pour la première fois à l'empire les princes et les ducs
de Poméranie.
La Poméranie eut d'abord ses ducs particuliers jusqu'en 1637 ; elle
fut longtemps ensuite disputée entre la Prusse et la Suède qui se la par-
tagèrent en 1648 ; enfin depuis 1814 , la première de ces puissances est
restée seule maîtresse de cette province.
La Poméranie est un territoire sablonneux, formé par des alluvions et
des atterrissements diluviens mêlés d'argile et d'un peu de terre végétale.
La pente du terrain est si peu sensible, que les eaux des rivières s'y accu-
mulent et y forment des lacs dont plusieurs atteignent une assez grande
étendue. D'autres portions de terrains sont couvertes de marais; aussi l'at-
mosphère y est-elle fréquemment chargée de brouillards. L'hiver y est
assez rigoureux : cependant on peut dire que ce pays froid et humide n'est
généralement point malsain. Sa position en longitude, entre le 10e et le
15e degré, et en latitude, entre le 53e et le 54e, explique la durée de ses
jours : les plus longs sont de seize heures et demie, et les plus courts de
sept heures et demie.
Ce pays renferme de nombreuses forêts et des tourbières considérables.
D'après l'idée que nous venons d'en donner, on ne s'étonnera point de son
peu de fertilité : les bords seuls des lacs et des rivières sont susceptibles
d'une culture avantageuse; mais l'agriculture n'y est point aussi avancée
que dans la Silésie. La vigne réussit encore moins dans la Poméranie que
dans le Brandebourg; ce qui tient principalement à la température plus
froide de la première de ces provinces.
Les eaux de la Poméranie sont très-poissonneuses; on y pêche beau-
coup d'esturgeons et de saumons, qui remontent souvent les rivières. Il
n'est pas rare de prendre dans l'Oder des esturgeons qui ont 2 ou 3 mètres
de longueur. Ces poissons y précédent ordinairement le saumon. Jadis les
forêts de cette province étaient peuplées d'aurochs ou urus, et d'élans;
mais ces animaux y sont devenus fort rares, On prétend même dans le pays
que c'est principalement depuis les dernières guerres qui ont ravagé ces
contrées que l'aurochs a disparu. De ces vastes forêts qui donnent aux
habitants la facilité d'engraisser un grand nombre de porcs, on tire de très-
beau bois de construction pour la marine et pour le commerce. L'ancienne
Poméranie ultérieure, celle qui s'étend à l'est de l'Oder, est riche en eaux
minérales et en salines : l'eau n'y est point aussi douce que dans les autres
provinces prussiennes. Cette portion est couverte de nombreux pâtu-
rages qui nourrissent une grande quantité de bétail. On y élève aussi,

70
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
comme dans le reste de la province, des chevaux dont la race est assez
estimée.
Près de la pointe la plus septentrionale de la Poméranie, vis-à-vis do
Stralsund, s'élève l'île de Rügen, dont l'étendue, la configuration et le sol
méritent une description détaillée. Les anses et les baies qu'offrent ses con-
tours lui donnent une forme découpée tout à fait particulière. Au nord-est
s'étend la presqu'île de Jasmund, qui, par une faible langue de terre
sablonneuse, se joint à celle de Wittow au nord-ouest, tandis qu'au sud-
est se trouve la presqu'île de Monkguth. Sa longueur du sud au nord est
d'un peu plus de 50 kilomètres ·, sa plus grande largeur, de l'est à l'ouest,
est d'environ 40 à 45 kilomètres ; sa superficie est de 935 kilomètres. Elle
n'est séparée du continent que par un canal qui, près de Stralsund, n'a pas
plus de 2 kilomètres de largeur. Ses golfes étroits, profonds et contournés,
offrent peu de sûreté pour les navires, parce qu'ils sont remplis de bas-
fonds et de bancs de sable qui changent souvent de place. L'un d'eux,
appelé Göllen, situé entre les îles de Riigen et d'Hiddensée, s'accroît con-
tinuellement et menace de fermer ce passage, qui est la seule issue navi-
gable que Stralsund possède vers le nord. D'un autre côté, le golfe de
Bodden s'agrandit et devient plus profond. Les agitations de la mer sont
d'ailleurs si considérables dans ces parages, qu'il ne faut souvent que quel-
ques heures pour renverser les digues les plus fortes et les môles les plus
solides. Ces golfes lui donnent une forme très-irrégulière et la divisent en
quatre portions principales, qui ne tiennent l'une à l'autre que par des
isthmes étroits. Elle est entourée de différentes petites îles dont les plus
importantes sont, à l'ouest, Hiddensée et Ummanz, et, au sud, Rüden, qui
en est éloignée de 6 kilomètres. Cette dernière faisait partie du Riigen
avant l'an 1309 ; mais à cette époque les eaux de la mer envahirent une
partie de l'île et formèrent quelques-unes des baies que présentent ses
contours, ainsi que 'e Bodden, qui, par son étendue, annonce que Riigen
a perdu dans sa partie méridionale un terrain de 64 kilomètres de super-
ficie.
La partie septentrionale de l'île de Rügen est composée de craie; le
centre et le reste de l'île sont couverts d'argile, de sables et de cailloux
roulés, ainsi que d'une terre rougeâtre très-fertile et qui semble due à des
alluvions. L'île présente un terrain ondulé qui offre une foule de sites pit-
toresques, de beaux jardins et un grand nombre d'antiquités. Le point le
plus élevé est Hertabourg, qui a 153 mètres-, celui que l'on remarque
ensuite est le Siége du rai (Königsstuhl), qui s'élève à 127 mètres au

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
71
milieu d'autres rochers de craie qui offrent les formes les plus hardies et
les plus bizarres.
Les anciens habitants de Riigen semblent avoir donné leur nom à cette
île : on les appelait Rugit ou Rugiani; ils étaient d'origine slave, comme
les autres peuples de ces contrées septentrionales. Leur conversion au
christianisme date du douzième siècle. Déjà, dans le dixième, des moines
de l'ancienne abbaye de Corvey, en Westphalie, s'y étaient rendus pour y
prêcher l'Évangile-, mais après leur départ, les habitants s'étaient empressés
de retourner à leur ancien culte. Ce ne fut qu'en 1168 que Wlademar Ier,
roi de Danemark, s'étant emparé de l'île, les força à se faire chrétiens.
Leur industrie s'est portée depuis longtemps sur l'agriculture et sur la
nourriture de nombreux bestiaux. La fécondité de certaines parties du
sol devait nécessairement les conduire à ce double but ; aussi l'île de
Riigen est-elle considérée comme le grenier de Stralsund. Ses grands
pâturages offrent non-seulement les moyens d'élever beaucoup de bœufs,
de moutons et de chevaux, mais encore, ce qui n'est pas moins impor-
tant, des oies renommées par leur grosseur, et qui fournissent au com-
merce des plumes fort estimées. La population de Riigen est évaluée à
environ 38,000 habitants.
La plupart des laboureurs y sont réunis dans des villages, parmi les-
quels Bergen, peuplé de 3,000 âmes, a pris le rang et a reçu les préroga-
tives d'une capitale ; c'est le centre de l'administration et le séjour des
autorités. Citons encore Sagard, bourg de 1,200 habitants, important par
ses eaux thermales et ferrugineuses ; Putbus, où l'on voit les bains de mer
de Friedrich-Wilhelmsbad et Carenza, aujourd'hui Garz, autrefois la
résidence des anciens souverains de l'île.
Depuis des siècles, il ne s'est opéré aucun changement dans la situation
politique et morale du peuple de certaines parties peu fréquentées de l'île ;
on peut même dire que la civilisation n'y a pas avancé d'un pas. Les habi-
tants de la presqu'île de Monkguth, par exemple, parlent un dialecte, ou,
si l'on veut, un patois qui est particulier à cette presqu'île. Ils ont aussi un
costume à eux; ils fabriquent eux-mêmes l'étoffe dont ils s'habillent, et ils
vivent dans une indépendance et une innocence qui rappellent les temps
des patriarches. Depuis un temps immémorial, ils suivent une coutume
assez singulière. Les femmes choisissent leurs maris; ce sont elles, et non
point les hommes, qui font les propositions de mariage.
Le détroit qui sépare l'île de Riigen de celle d'Hiddensée porte le nom
de Frogg. Cette île, que l'on nomme aussi Hiddensöe, large d'une demi-

72
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
lieue et longue de trois et demie, est dépourvue de bois. Son sol, quoique
sablonneux, est couvert d'assez bons pâturages ; la mer rejette fréquemment
de l'ambre jaune sur ses côtes. Elle ne renferme que 6 à 700 habitants,
répartis dans quatre villages, dont le principal porte le nom de Kloster. Ils
s'adonnent à la pêche ainsi qu'à la fabrication de la toile; leur langage,
qui est un mélange de slavon, de danois, de vieux allemand et de suédois,
est presque inintelligible pour les Allemands.
Ummanz, longue de sept kilomètres sur quatre de largeur, ne renferme
qu'un village du même nom. Rüden n'est qu'un îlot de deux tiers de lieue
de longueur. Il est presque entièrement environné d'écueils et de bancs de
sable, et renferme quelques hameaux et un village nommé Katen.
Au sud de Rüden, s'étend, entre la Pcene, le Pommersche-Haff et la
Baltique, une île encore plus découpée que celle de Rügen, puisque dans
certains endroits elle a à peine 1 kilomètre de largeur, et que dans d'autres
elle a plus de 17 kilomètres : c'est Usedom, ou Uesedom ; sa longueur du
sud-ouest au nord-est est de 46 à 50 kilomètres ; sa superficie est évaluée
à 340 kilomètres cari és. Dans ses points les plus rapprochés du continent,
elle n'en est pas éloignée de 800 mètres; ses rivages méridionaux circon-
scrivent une grande partie du lac appelé Pommersche-Haff, ou Sletinner-
Haff, lac moins grand que le Frische-Haff et le Curische-Haff, mais qui
cependant comprend 45 kilomètres de l'est à l'ouest, et 9 du nord au sud
dans sa moyenne largeur. Il se décharge dans la Baltique par la Peene au
nord-ouest, qui alimente le grand lac d'Achterwasser, la Swiene au nord
et le Dievenow au nord-est, qui forme le lac de Cammin. L'île d'Usedom
nourrit une population de plus de 16,000 habitants; son sol est couvert
de collines de sable et de forêts peuplées de sangliers, de cerfs et d'autres
animaux. La terre y est peu fertile ; aussi le peuple de cette île s'adonne-t-
il plus à la pêche qu'à l'agriculture. Usedom renferme une ville du même
nom, dont la population est évaluée à 1,600 âmes ; sa capitale est Swiene-
münde, ville de 4 à 5,000 âmes, bien bâtie et pourvue d'un bon port, où
s'arrêtent les navires trop forts pour pouvoir remonter jusqu'à Stettin.
Un canal de 800 mètres de largeur sépare l'île d'Usedom de celle de
Wollin, dont la superficie est un peu moins considérable; celle-ci ren-
ferme 8,000 habitants, dont 3,500 vivent dans sa capitale, appelée aussi
Wollin. Son sol, tout différent de celui d'Usedom, est forme d'une terre
d'alluvion et couvert d'excellents pâturages qui servent à la nourriture
d'un grand nombre de bestiaux, principale richesse de l'île.
Parcourons maintenant les villes les plus importantes de cette province

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
73
qui forme aujourd'hui les trois régences de Stralsund, de Coslin et de
Stettin. Dans le nord, Stralsund, chef-lieu de régence, fut longtemps la
capitale de la Poméranie suédoise; elle s'élève sur le détroit de Gallon,
qui la sépare de l'île de Rügen. Sa fondation remonte à 1130. Ses rues
sont étroites et mal alignées; ses maisons sont sales et mal construites.
Ce fut longtemps une place des plus fortes de l'Europe ; cependant, l'élec-
teur Frédéric-Guillaume en 1678 et les Français en 1807 s'en emparèrent.
Son port, sûr, mais peu spacieux et environné de bas-fonds, son arsenal,
sa bibliothèque urbaine, son gymnase avec de belles collections de livres,
de médailles et d'histoire naturelle, sont les seuls objets remarquables
qu'elle renferme. Autrefois, elle était au nombre des villes hanséatiques ;
elle a conservé plusieurs priviléges favorables à son commerce, qui a tou-
jours été considérable. En 1807, sa population ne s'élevait qu'à 11,000
âmes; aujourd'hui elle est de 19,198.
A l'ouest de Stralsund, s'élève la petite ville de Barth, à l'embouchure
de la rivière du même nom. Ses 4,000 habitants s'enrichissent par leur
commerce maritime. Au sud-est, la ville de Greifswalde, qui compte près
de 10,000 âmes, est la mieux bâtie de toutes celles de ce cercle. Ses édi-
fices les plus remarquables sont l'église Saint-Nicolas, l'hôtel-de-ville et
l'université, fondée en 1456. La collection d'histoire naturelle et la biblio-
thèque de cet établissement méritent de fixer l'attention. Sa situation à
1 lieue de la mer favorise ses relations commerciales ; son port est com-
mode ; elle a des chantiers pour la construction des navires. Le bois d'El-
déna, situé dans les environs, présente des sites et des points de vue char-
mants. On exploite à quelque distance de ses murs une saline considérable.
Wolgast, située sur le canal qui sépare le continent de l'île d'Usedom, est
une petite ville assez bien bâtie, ayant un petit port, 4,400 habitants et un
commerce assez actif; c'était autrefois la résidence des ducs de Poméra-
nie, dont l'ancien château s'élève encore au-dessus de sa vieille enceinte.
Le cours de la rivière de la Peene sépare le cercle de Stralsund de celui
de Stettin ; les deux villes les plus orientales sont Demmin et Anklam,
cette dernière est plus industrieuse, riche de ses fabriques de toiles, de
draps et de cuirs ; elle renferme près de 8,000 habitants de plus ; son port
sur la Peene est souvent rempli de navires. Pasewalk, avec ses fabriques
de draps, ses tanneries, ses distilleries et ses 6,000 habitants, ne mérite
point de fixer l'attention ; mais Stettin, ou vieux Stettin, offre au con-
traire, avec une population de 44,963 âmes, tout ce qui peut exciter l'in-
térêt dans une ville riche et éclairée. Cette ville, qui est une des places les
VII.
10

74
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
plus fortes de la Prusse, occupe la rive gauche de l'Oder ; elle commu-
nique par un pont avec le faubourg de Lastadie, situé sur la rive droite et
entouré de fossés, de travaux avancés et de marais ; elle comprend encore
quatre autres faubourgs appelés Ober-Wiek, Nieder-Wiek, All-Torney et
Neu-Torney. Stettin, qui parait avoir été bâti par les Sidini ou Sideni,
prit rang pendant le moyen âge parmi les villes hanséatiques ; aujour-
d'hui, chef-lieu de régence, elle est le séjour des autorités de la province
et de la cour suprême de justice. Le château royal, l'hôtel du gouverne-
ment, la maison des États, le théâtre, la bourse et l'arsenal sont les prin-
cipaux édifices à visiter. Elle possède un gymnase royal, avec un observa-
toire, un collège médical, une école de pilotage, des écoles de dessin et de
navigation, et un séminaire pour les maîtres d'école. Stettin est une des
plus importantes stations du chemin de fer de Berlin à Dantzick et à
Königsberg.
Hors de la ville, le village de Ziegenarth contient un wauxhall qui sert
de rendez-vous aux promeneurs de la haute société. On se réunit aussi au
pont de Wiek, et à Frauendorf, sur l'Oder, pour les promenades en bateau ;
le lac de Damm, les vastes forêts qui s'étendent sur sa rive droite, les plaines
qui se perdent à l'horizon sur la rive opposée, les vaisseaux qui cinglent
vers l'embouchure de l'Oder, procurent un magnifique coup d'œil qui
ajoute au charme de ces promenades. Le commerce de Stettin est très-con-
sidérable ; son port reçoit annuellement 800 à 1,000 navires de différents
tonnages. Les Français s'emparèrent de cette ville en 1806, et en restèrent
possesseurs jusqu'en 1813.
A l'est de Stettin, sur les bords de l'ihna, Stargard ou Neu-Stargard,
sur le chemin de fer de Berlin à Königsberg, ville de 10,000 âmes, pos-
sède un gymnase royal, une école primaire des arts et métiers, des distil-
leries et des fabriques de drap. On y remarque la coupole de l'église de
Sainte-Marie, qui passe pour être une des plus belles de toute l'Allemagne.
Si nous nous dirigeons vers le nord, Treptow ou Neu-Treptow, sur la
Réga, renfermant 4,500 habitants, n'a, malgré ses fabriques de drap, ses
tanneries, ses distilleries et son commerce maritime, rien qui puisse fixer
l'attention de l'observateur; les alluvions de la rivière ont encombré son
port. Mais plus à l'est, Colberg, sur le bord de la mer, à l'embouchure de
la rivière appelée Persante, est, après Stettin, la place la plus forte de la
Poméranie; sa population s'élève à 9,000 individus. Ses principaux édi-
fices sont l'hôtel-de-ville, la cathédrale et un aqueduc qui fournit de l'eau
à toute la ville. Elle fait un commerce assez important, et renferme des

EUROPE.—DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
75
fabriques de toile et de drap Coslin, chef-lieu de régence, moins considé-
rable puisqu'elle ne renferme que 6,000 âmes, est une ville bien bâtie ; il
est vrai qu'elle est nouvelle, puisque, totalement détruite par un incendie
en 1718, elle doit sa reconstruction à Frédéric-Guillaume Ier. La recon-
naissance de ses habitants a fait élever à ce prince une statue sur l'une
des places publiques de la ville.
La petite ville de Neu-Stettin, qui ne renferme que 3,000 habitants,
s'élève entre les lacs de Stre;zig et de Wilm, non loin des sources de la
Persante. Polzen ou Potzin, ville de 2,500 âmes, située au milieu d'une
plaine agréable et fertile, entourée de montagnes et de forêts, est connue
par un établissement d'eau minérale situé dans ses environs, et appelé
Louisenbad.
Si nous nous portons au nord-est, nous trouverons, sur les bords de la
rivière de la Stolpe, une ville du même nom, dont la population est de
7,500 habitants. Elle fait un commerce maritime assez considérable; on y
compte des brasseries et des fabriques de toile; mais elle est surtout connue
par ses jolis ouvrages en ambre jaune. A l'embouchure de la Stolpe,
Rügenwalde dont le nom rappelle les anciens Rugii, possède un petit port
dans la Baltique ; on y fabrique des toiles à voiles; on y distille de l'eau-de-
vie. Cette ville de 4,500 âmes, qui renferme un établissement de bains de
mer, est dans certaines saisons le rendez-vous d'un assez grand nombre de
voyageurs. Nous pourrions citer, pour terminer ce que nous avons dit sur
la Poméranie , la petite ville ou plutôt le bourg de Lauenbourg, où l'on
fabrique, ainsi que dans ses environs, des draps et des coutils; Rummels-
burg, qui possède la même industrie ; Belgard, entièrement environné d'eau
et situé près du confluent du Leitnitz et de la Persante; Tempelburg entourée
de murailles; la jolie petite ville de Pyritz, qui fait un grand commerce
de blé , et qui est la première de toute la Poméranie qui ait embrassé le'
christianisme en 1124 ; mais aucune de ces villes ne mérite que nous nous
y arrêtions.
L'une des dernières et des plus importantes acquisitions que la Prusse
ait faites, est celle de la province de Saxe formée en grande partie de plu-
sieurs portions enlevées en 1815 aux États saxons. Ainsi elle se compose
de la plus grande partie du duché de Saxe, de l'ancien cercle de Thuringe,
qui dépendait du royaume de Saxe; des principautés de Mersebourg, de
Naumbourg et de Zeitz ; d'une partie des cercles de Leipsick, Misnie, Neu-
stadt et Voigtland, de presque toute la principauté d'Erfurt, de la partie
méridionale de l'Eichsfeld, pays qui appartenait autrefois à l'électeur de

76
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
Mayence, et qui, en 1807, fut incorporé au royaume de Westphalie;
d'une portion de l'ancien comté de Henneberg et de la principauté de
Querfurt ; de tout le comté de Mansfeld , de Hohnstein, de la principauté
prussienne de Halberstadt, de l'ancien duché de Magdebourg et de la
vieille Marche électorale. Divisée en trois régences, celles de Magdebourg,
de Mersebourg et d'Erfurt, elle est bornée au nord et à l'ouest par le
royaume de Hanovre, le duché de Brunswick et la Hesse électorale ·, au
sud par les duchés de Saxe-Weimar, de Saxe-Cobourg-Gotha, de Saxe-
Altenbourg, et au royaume de Saxe; enfin, à l'est et au nord-est, par le
Brandebourg, dont l'Elbe et le Havel la séparent en grande partie. On
évalue sa superficie à 460 milles carrés d'Allemagne, ou à 25, 297 kilo-
mètres carrés, et sa population à 1,781,297 habitants. On peut juger par
là de la richesse de cette belle province.
Il est difficile de donner quelques notions historiques sur les anciens
peuples qui l'habitèrent; nous savons seulement que ce sont les mômes
que ceux qui, avant l'ère chrétienne, occupaient le territoire qui constitue
aujourd'hui le royaume de Saxe; que c'était principalement les Langobardi
ou Lombards au nord, et les Cherusci au sud, et qu'une grande partie de
cette province a été ensuite habitée par les Wendes. On sait que les anciens
Saxons immolaient à leurs dieux les prisonniers de guerre; que semblables
aux Celtes, ils ne leur élevaient point de temples, et qu'ils leur consacraient
les vastes forêts de la Germanie. Comme ces peuples incivilisés qui vivent
encore dans les régions les plus septentrionales, leur superstition se por-
tait sur une foule d'objets ; ils cherchaient à deviner l'avenir par le vol des
oiseaux comme par le hennissement des chevaux dont les différentes into-
nations étaient interprétées par leurs prêtres. La chair des animaux con-
stituait comme aujourd'hui leur principale nourriture. L'usage des boissons
fermentées remonte chez eux à la plus haute antiquité. Nous ne rappelle-
rons point les conquêtes de ces peuples guerriers, qui, à diverses époques,
portèrent leurs armes dans plusieurs contrées de l'Europe, en Angleterre
et jusqu'en Espagne. L'histoire atteste aussi avec quelle ardeur ils résis-
tèrent pendant trente ans aux troupes de Charlemagne. Ce prince, dont on
a vanté les lumières, ne leur fit une guerre si opiniâtre que pour les forcer
à embrasser le christianisme, qu'ils adoptèrent enfin par lassitude et par
épuisement. Mais leur conversion forcée ne fut point de longue durée, et
ce ne fut que sous Albert l'Ours, au douzième siècle, qu'ils commencèrent
à sentir les bienfaits du christianisme.
Les terrains de cette province sont extrêmement variés sous le rapport

EUROPE.—DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
77
géologique-, aussi renvoyons-nous aux ouvrages spéciaux pour connaître
la longue nomenclature des roches qui les composent.
Elle est riche en métaux, en charbon de terre et en diverses substances
minérales. Dans les montagnes qui font partie du groupe de Harz, on exploite
des mines d'argent, de cuivre, de fer et des houillères ; dans la partie cen-
trale, du gypse et des salines; dans la partie méridionale, des argiles à
porcelaine; enfin, dans les lieux bas, de la tourbe.
Les montagnes les plus élevées de cette province sont le Brocken ou le
Bloxberg, et le Dolmar. La première, qui reste couverte de neige depuis le
mois de novembre jusqu'à celui de juin, a 1,125 mètres d'élévation au-
dessus du niveau de la Baltique. Elle forme l'extrémité septentrionale des
montagnes du Harz, et la limite orientale de la province de Saxe. C'est au
pied de cette montagne granitique que la Bode, l'Ile et l'Ocker prennent
leur source.
Le climat de la province de Saxe est généralement doux et salubre. Le
sol en est varié : dans quelques endroits seulement il est sec et sablonneux;
plus généralement il est gras et exige beaucoup de soins et de travail : c'est
dans la régence de Magdebourg qu'il est le plus fertile ; dans le nord, il est
froid, mais les engrais le rendent très-productif.
Nous ne nous étendrons point sur les produits agricoles de cette pro-
vince; il nous suffira de dire qu'elle est fort riche en grains, en fruits, en
plantes potagères; qu'on y récolte du lin, du chanvre, du tabac, du hou-
blon, de la garance, du colza, et de la chicorée que l'on prépare pour le
café, et qu'il s'y trouve quelques vignobles, principalement sur les bords de
la Saale et de l'Elbe; mais le vin qu'on en obtient est au-dessous du
médiocre. Le pays renferme quelques forêts, insuffisantes pour les besoins
de ses habitants.
Nous verrons, dans la description des principales villes de cette pro-
vince, que l'exploitation de ses mines, que ses usines et ses fonderies, ses
manufactures d'étoffes et ses fabriques de sucre de betterave, ses chevaux,
ses bêtes à cornes et ses moutons, en font une des plus riches contrées du
royaume de Prusse. Elle possède un plus grand nombre de bêtes à laine
que la Silésie. Les principales villes, sous le rapport du commerce et de
l'industrie, sont: Aschersleben, Erfurt, Halle, Langensalza, Magdebourg,
Muhlhausen, Naumbourg et Nordhausen.
Le nombre des catholiques est ici moins considérable qu'en Silésie ; mais
il surpasse de beaucoup celui des catholiques de la Poméranie et du Bran-
debourg. Les statistiques les plus récentes l'évaluent à 111,432, tandis

78
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME,
que le nombre des évangéliques est de 1,626,328 ; on porte à 4,686 le
nombre des Israélites.
La province de Saxe renferme plusieurs terres appartenant à des princes
étrangers, tels que le grand-duc de Saxe-Weimar, le duc de Brunswick,
le prince de Schwartzbourg, les princes d'Anhalt. Mais nous aurons soin
de trailer séparément de ces domaines enclavés dans la Prusse.
Si nous commençons notre course dans cette province par sa partie
orientale, la première ville importante digne d'être remarquée sur les bords
de l'Elbe, est Wittemberg, place forte importante, sur le chemin de fer qui
met Berlin en communication avec les principautés d'Anhalt-, elle dépend
de la régence de Mersebourg. Celte cité, d'où l'on traverse l'Elbe par un
pont de bois, contient 8,000 habitants. Ses principaux établissements
utiles consistent en un lycée, un séminaire pour les prédicateurs, une école
d'accouchement. Peu de villes ont autant souffert des funestes effets de la
guerre et des incendies. On montre dans cette ville la chambre qu'habita
Luther : une foule d'étrangers de distinction y ont écrit leur nom sur les
murs-, on y conserve sous verre celui de Pierre le Grand, tracé avec de
la craie. L'église du château renferme le tombeau de Luther et celui du sage
Mélanchton, son ami, dont les nombreux et savants écrits ont contribué
à établir la réformation en Allemagne, et qui mourut en demandant au
ciel l'union de l'Église. On y voit aussi celui de l'électeur palatin Frédéric
le Sage, qui protégea le protestantisme. Pendant longtemps l'académie de
Willemberg célébra par un deuil général la mort du savant réformateur de
l'Allemagne.
On compte dans les environs de Wittemberg plusieurs établissements
manufacturiers importants, tels que des fabriques de sucre de betterave,
d'acide sulfurique et de couleurs. A Bitterfeld, sur la rive gauche de la
Mulde, on fabrique de la faïence, des draps et de la toile. Aux environs de
Brehna, on remarque de grandes cultures de houblon, de cumin, de
garance et de lin.
Sur la rive gauche de l'Elbe, s'élève Torgau, qui depuis l'agrandisse-
sement de la Prusse est devenue une ville forte du premier rang. Sa popu-
lation est de 7,000 habitants. Naumbourg, situé au confluent de l'Unstruttz
et de la Saale, renferme 12,000 habitants. Cette ville, assez bien bâtie, et
environnée de murailles, est un chef-lieu de cercle. Elle possède un palais
royal, un bel hôtel-de-ville, de vastes magasins d'artillerie, une cathédrale
bâtie en 1027, dont le trésor renferme des objets assez curieux, et l'église
de Saint-Wenceslas, qui, par ses proportions et son architecture, peut être

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
79
considérée comme un édifice remarquable. Ses principaux établissements
sont: un tribunal de commerce, une bibliothèque, une école bourgeoise,
une maison destinée à l'éducation des orphelins, et plusieurs hôpitaux. Les
objets de bonneterie et de parfumerie que l'on fabrique dans cette ville
jouissent en Allemagne d'une réputation méritée. On y confectionne une
grande quantité de souliers qu'on expédie aux foires de Leipsick. Celle
qui se tient dans cette ville le 25 juin est considérable et dure quinze jours.
Cette ville est une des stations de l'importante ligne de chemin de fer de
Berlin à Francfort-sur-le-Mein par Leipsick, Halle et Weimar. Les envi-
rons de Naumbourg sont agréables et fertiles ; on y cultive la vigne avec
succès, et l'on y fait un vin qui ressemble, dit-on, à celui de Bourgogne ; il
s'en fuit une grande consommation, sans compter celui que l'on emploie
aux distilleries d'eau-de-vie. Près du village de Kösen, à une lieue de la
ville, il y a une saline qui fournit annuellement plus de 40,000 quintaux
de sel.
Si nous suivons le cours de la Saale, nous remarquerons sur la rive
gauche de la rivière la jolie ville de Weissenfels, dont les 6,100 habitants
se livrent à plusieurs genres d'industrie, et dont les filatures, les fabriques
d'amidon, la passementerie et les ouvrages d'orfévrerie sont estimés. Le
château, qui fut la résidence des ducs de Saxe-Weissenfels, et surtout
l'église, dans laquelle on remarque quelques tombeaux, sont les seules
curiosités que renferme cette ville. Son principal établissement consiste en
un séminaire de maîtres d'école, qui jouit d'une grande réputation en
Prusse ·, il renferme 50 à 60 élèves. Nous ne parlerons point de la chambre
du bailli à l'hôtel-de-ville, dans laquelle on conserve des traces du sang
de Gustave-Adolphe, dont le corps y fut disséqué après la victoire qu'il
remporta sur Wallenstein, le 18 novembre 463.2, en perdant la vie. Le
champ de bataille où il reçut le coup mortel, fut illustré depuis par une vic-
toire plus mémorable et par un homme de guerre plus extraordinaire :
c'est près du village de Groos-Gorschen que, le 2 mai 1813, Napoléon défit
les armées russe et prussienne. Par suite de cette sanglante journée, la
petite ville de Lutzen eut les deux tiers de ses maisons réduites en cendres.
Le prince Léopold de Hesse-Hombourg périt à quelque distance du bel
obélisque en fer, surmonté d'une croix, que le roi de Prusse a fait élever,
en 1817, en mémoire de ce jeune général. Lutzen est une petite ville de
1,400 âmes.
En continuant à descendre la Saale, nous apercevons le village de Ross-
bach, célèbre par la victoire que remporta Frédéric II sur les Impériaux et

80
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
les Français en 1757. Mersebourg, station du chemin de fer de Weimar à
Halle et Leipsick, mérite de fixer notre attention, autant par les objets inté-
ressants que cette ville renferme, que par le rang qu'elle occupe comme
chef-lieu de régence. On y compte 12,000 habitants et divers monuments
dignes de fixer les regards, tels sont : l'hôtel-de-ville, le palais du comte
de Zach, le pont sur la Saale, et l'ancienne cathédrale, dans laquelle
on remarque le tombeau en bronze de l'empereur Rodolphe de Souabe. La
ville possède un collége, une maison d'orphelins et un hospice pour les
pauvres. Le commerce de Mersebourg est assez important ; on y tient
quatre foires par an. Mais ce qui rend cette ville intéressante aux yeux de
la plupart des Allemands, ce sont ses brasseries, dont les produits jouissent
d'une grande réputation : on y fabrique près de 27,000 tonneaux de bière
par an. Les environs de Mersebourg sont agréables et fertiles ; on y
remarque plusieurs belles maisons de campagne : mais l'établissement des
eaux minérales de Lauchsl'àdt, petite ville qui renferme un théâtre ; les
salines de Kötschau et Durenberg, et le bel étang de Saint-Gothard, sont
ce qu'il y a de plus intéressant dans ses environs.
Si l'importance et la population d'une cité étaient la principale base qui
servît à déterminer son rang politique, Halle, qui renferme 33,848 habi-
tants, mériterait plutôt le titre de chef-lieu de régence que Mersebourg. Elle
se compose de cinq faubourgs et de trois villes : Halle, Neumarkt et Glo-
cha, séparées l'une de l'autre et gouvernées chacune par ses propres
magistrats. La cathédrale, qui renferme plusieurs tableaux de l'ancienne
école allemande ; la tour rouge, qui est élevée de plus de 80 mètres;
l'église de Saint-Ulric ; l'hôtel-de-ville, où l'on conserve l'antique consti-
tution impériale connue sous le nom de Bulle d'Or ; plusieurs beaux ponts
construits sur la Saale, ne sont point les objets auxquels nous nous arrê-
terons. Cette ville a d'autres titres à la célébrité : son université, fondée en
1694, a fourni plusieurs savants et artistes à l'Allemagne, entre autres
l'orientaliste Michaelis et le musicien Haendel, qui, à l'âge de dix ans,
avait déjà composé plusieurs sonates. C'est une des villes d'où rayonne
avec le plus d'éclat, sur toute l'Allemagne, le flambeau des connaissances
scientifiques et littéraires ; elle renferme un grand nombre de précieuses
bibliothèques et -d'établissements d'instruction de tout genre. Les bains
d'eaux minérales de Halle méritent aussi de fixer l'attention ; l'eau en est
ferrugineuse. Cette ville possède un grand nombre de fabriques, dont les
plus importantes sont celles d'amidon et de quincaillerie. En hiver, les con-
certs, les bals, les redoutes, une salle de spectacle et des cercles qui ser-

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
81
vent de réunion aux personnes qui s'occupent de sciences et de litté-
rature, sont les sujets de distraction qu'offre la ville. En été, les envi-
rons présentent des promenades charmantes : telles que Giebichenstein,
le mont Reil et le mont Saint-Pierre. Halle est une des importantes
stations du chemin de fer de Berlin à Francfort-sur-le-Mein par
Weimar.
On exploite sur le territoire de Halle de la houille; les ouvriers qui tra-
vaillent à cette extraction portent le nom de halloren : ce sont les seuls
restes non dégénérés des anciens Wendes ; ils ont conservé les mœurs, le
langage, les lois et même le costume de leurs ancêtres.
Nous ne dirons rien de la culture des champs qui environnent Halle, des
excellents légumes que l'on y récolte, des fabriques de sucre de betterave
que l'on remarque hors de son enceinte, ni du nombreux gibier dont ses
champs abondent-, nous nous hâterons de passer à Wettin, petite ville de
3,500 âmes, dans laquelle on voit encore le vieux château qu'habitaient
autrefois les princes saxons. Cette cité est aussi le siége d'un conseil royal
des mines-, on exploite dans ses environs des houillères qui occupent plus
de 200 ouvriers. Plus loin, le village de Rothenbourg ne présente quelque
intérêt que par ses mines de cuivre qui produisent annuellement 4,400
quintaux de métal.
Nous allons terminer ce qui nous reste à dire sur la régence de Merse-
bourg, en jetant un coup d'œil rapide sur les villes dont nous n'avons
point encore parlé. Eisleben, la plus importante de ces dernières, a 7,500
habitants ; située sur une colline, elle se divise en ancienne et nouvelle
ville. Malgré son ancienneté, et quelques monuments que renferme l'église
de Saint-André ; malgré ce qu'offre d'intéressant l'église de Saint-Pierre et
le château à moitié ruiné qui fut la résidence des comtes de Mansfeld ;
malgré son hôtel de-ville, dont les habitants font admirer la toiture en
cuivre, l'un des plus beaux titres de cette ville à la célébrité est d'avoir été
le berceau de Luther ; la maison dans laquelle naquit en 1483 et mourut
en 1546 ce réformateur, a été consacrée à une école gratuite d'orphelins
et d'indigents. A deux lieues d'Eisleben, on montre le lac Salé (Salzée),
au milieu duquel s'élève un monticule que l'on regarde comme un tombeau
antique, et d'où la vue s'étend au loin, d'un côté sur le cours de la Saale et
de l'autre sur les montagnes du Harz.
La population d'Hettstadt est d'environ moitié de celle d'Eisleben. On
compte dans ses environs plusieurs mines dont on extrait du cuivre et de
l'argent. Nous avons peu de chose à dire des petites villes de Zeitz, San-
VII.
11

82
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
gerhausen, Stolberg et Querfurt. Leur population ne dépasse pas 5 à 6,000
âmes, et elles sont assez industrieuses.
La régence d'Erfurt est moins étendue que la précédente. Nous ne cite-
rons que quatre villes: sa capitale, Nordhausen, Ellrich et Langertsalza.
Erfurt peuplée de 32,224 âmes, était jadis une cité impériale; elle possède
une industrie variée et un commerce assez étendu. Ses seuls édifices sont :
sa cathédrale où l'on voit une cloche pesant 27 milliers, le palais du gouver-
nement et la bibliothèque publique. Erfurt, qui est une des meilleures places
fortes de la Prusse, est encore une ville savante; on y compte un grand
nombre d'établissements scientifiques et littéraires. Elle est sur la Gerra
et sur le chemin de fer de Berlin à Francfort -sur-le-Mein, par Halle et
Weimar.
Nordhausen, sur la Zorge, renferme 12,000 habitants. Ses édifices
publics n'ont rien de remarquable, mais la bibliothèque de l'ancien couvent
d'Himmels'garten mérite d'être visitée. Son commerce est très considé
rable ; elle renferme surtout beaucoup de distilleries. Les environs de
Nordhausen offrent quelques lieux remarquables, tels que la prairie d'or
(goldne-aue), les ruines du château de Rothenbourg, plusieurs autres
monuments du moyen âge, et quelques grottes remarquables par leurs
stalactites d'albâtre. La population d'Ellrich ne s'élève qu'à 3,000 habi-
tants. On y compte plusieurs fabriques de draps et d'autres étoffes. Elle ne
renferme aucun établissement digne d'attention-, mais on remarque dans
les environs la caverne de Kelle dont les magnifiques stalactites excitent
l'admiration des curieux
Traversons une branche du Harz au pied de laquelle la Leine prend sa
source; nous verrons, au confluent de cette rivière et de la Geisle, Heili-
genstadt, jadis capitale de la principauté d'Eichsfeld. Elle renferme une
école normale d'instituteurs primaires, un château et un gymnase. Hors de
ses murs, on remarque une jolie cascade, et plus loin un vieux château au
pied de la montagne d'Ilsebeth ; ses environs sont couverts des montagnes
les plus pittoresques. Mühlhausen, l'une des plus anciennes villes libres
de l'Allemagne, n'a perdu qu'en 1802, époque à laquelle elle fut cédée
à la Prusse, son titre de ville impériale. Sa population est de plus de
10,000 âmes. C'est dans ses murs que les manufacturiers des environs
envoient leurs laines pour être filées et teintes. Langensalza, ville de 8,000
âmes, qui doit son nom à la rivière de Salza, non loin de laquelle elle est
bâtie, est intéressante sous le rapport de son industrie et de son commerce.
La régence de Magdebourg renferme un plus grand nombre de villes

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
83
importantes que les deux régences que nous venons de parcourir. Qued-
limbourg, sur la Bude, est l'une des plus peuplées ; on y compte au moi ns
12,000 habitants. On remarque sur une montagne qui domine la ville le
vieux château où résidait jadis l'abbesse souveraine du pays, princesse
qui, malgré les vœux d'humilité attachés à sa pieuse profession, jouissait
de la noble prérogative de siéger comme membre de l'Empire au milieu
des prélats du Rhin. Une partie de cet édifice est réservée à un hospice où
l'on reçoit les orphelins et les enfants des criminels. Tout près se trouve
l'église collégiale, qui renferme le tombeau de Henri Ier dit l'Oiseleur, et de
l'impératrice Catherine. Quedlimbourg est la patrie des deux Wolf, l'un
théologien et philologue, l'autre physicien, et du célèbre poëte KIopstock.
Près de la ville se trouvent deux sources minérales; le Bruhl, joli bois qui
sert de promenade, le bois de Pierre (Steinholz), la montagne des Cham-
bres (Stubenberg), le rocher appelé Rosstrappe, et le mur du Diable
( Teufelsmauer). A Wernigerode, située à 725 mètres d'élévation sur la
pente du mont Brocken, on trouve un gymnase, une bibliothèque, un
cabinet d'histoire naturelle et un beau jardin botanique. Cette ville, qui
renferme plus de 4,000 habitants, s'enrichit par le commerce de ses blés,
de ses bois, des forges et des distilleries que l'on compte dans ses envi-
rons. Halberstadt, sur le Holzemme, est, après Magdebourg, la cité la
plus importante de la régence; le nombre de ses habitants s'élève à 19,840,
parmi lesquels on compte plus de cent familles juives. Elle possède trois
écoles, un séminaire destiné à former des instituteurs, et une société litté-
raire dont les écrits sont estimés. Cette ville est l'une de celles qui offrent,
dans toute la province, le plus de sujets de distraction. Elle est fort
ancienne. Ses plus beaux édifices sont sa vieille cathédrale, remarquable
par ses vitraux et les beaux tableaux qui la décorent; l'église de Notre-
Dame, plus ancienne encore, dont on admire les orgues; l'église de Saint-
Martin, dont la tour est d'une grande hauteur; l'hôtel-de-ville, qui était
autrefois un palais, et que décore une belle statue de Roland; enfin l'une
des deux synagogues. Sur la place de la cathédrale, on remarque un
antique autel érigé à l'une des divinités de la Germanie. Les environs
présentent les promenades les plus agréables et des sites vraiment enchan-
teurs. Halberstadt est aujourd'hui reliée à la grande ligne du chemin de
fer de Berlin à Cologne par Brunswick et Hanovre, à l'aide d'un petit
embranchement, qui s'y soude à la station d'Oschersleben, petit village de
7 à 800 âmes. Halberstadt a donné naissance à deux hommes qui jouis-
sent en Allemagne d'une réputation acquise à des titres bien différents-,

84
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME.
l'un est le célèbre poète patriote Gleim ; l'autre est Breyhahn , qui passe
pour être l'inventeur de la bière. A deux petites lieues de la ville se trouve
le village de Strobeck, dont les habitants sont renommés comme joueurs
d'échecs: ils doivent, dit-on , ce talent à un chanoine qui fut jadis exilé
dans ce village, où, pour s'occuper, il donna des leçons d'échecs, et qui
devenu évêque, y fonda une école où ce jeu était enseigné avec autant de
soin que le catéchisme.
Sur les bords de la Saale, la petite ville de Kalbe est entourée de hou-
blonnières considérables-, celle de Barby, située sur les bords de l'Elbe,
possède un observatoire, un cabinet d'histoire naturelle et une imprimerie.
Nous avons passé devant Aschersleben, sans parler de son gymnase et de
ses fabriques de toiles et de flanelles ; nous dirons seulement que cette
ville est bien bâtie, et qu'elle renferme 10,000 habitants. Hâtons-nous
d'arriver à Magdebourg, la plus importante ville de la province de Saxe.
Cette grande et belle cité, autrefois impériale et hanséatique, renferme
56,181 habitants; son sol est élevé de 77 mètres au-dessus du niveau de
la mer-, l'Elbe contribue à rendre ses moyens de défense plus efficaces ;
aussi est-elle regardée comme l'une des premières places fortes de l'Europe.
Nous éviterons d'entrer dans de trop longs détails sur ses principaux édi-
fices, qui consistent en un bel hôtel des postes, de vastes bâtiments pour
la douane, une cathédrale, un palais de justice, l'hôtel de la régence et le
palais ducal. Nous avons vu combien sont fréquents dans toute la Prusse
les établissements destinés à l'éducation des orphelins: celui de Magde-
bourg est digne de l'importance de ce chef-lieu. La cathédrale est citée pour
la beauté de son portail, de son maître-autel et de ses fonts baptismaux.
On y remarque plusieurs tombeaux, entre autres celui de Funck, l'un
des savants les plus recommandables de l'Allemagne; mais l'église de la
Garnison est plus intéressante sous le rapport de l'antiquité: elle a été
bàtie en l'an 1016. Dans l'église de Saint-Sébastien on voit le tombeau de
Otto de Guericke, célèbre physicien, qui naquit à Magdebourg en 1602,
et qui inventa la machine pneumatique. Celte ville possède divers éta-
blissements utiles, tels qu'un séminaire destiné à former des professeurs,
plusieurs écoles, deux instituts pour l'enseignement du commerce, et une
maison royale de jeunes demoiselles ; une bibliothèque publique de 20,000
volumes, une société de médecine et plusieurs sociétés d'art et de littéra-
ture ; plusieurs établissements de charité, un théâtre allemand et plusieurs
salles de concerts. Les opérations commerciales de cette ville ne consis-
tent point seulement dans la vente de ses étoffes de laine, de fil cl de coton,

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
85
de ses bougies, de ses poteries fines, et des autres produits de ses manu-
factures ; sa situation favorable la rend l'entrepôt de l'Allemagne et du
Nord ; aussi quatre lignes de chemins de fer viennent-elles y aboutir. La
première, la ligne de l'est, conduit à Berlin par Brandebourg et Potsdam ·,
la seconde, la ligne de l'ouest, continuation de la précédente, mène dans
les provinces rhénanes par Brunswick et Hanovre ; la ligne du nord con-
duit à Hambourg et à Lubeck ; enfin la ligne du sud mène à Vienne et dans
les États secondaires de l'Allemagne par Halle, Weimar et Leipsik.
Au sud de Magdebourg, la petite ville de Schœnebeck, station du chemin
de fer de Halle et Leipsik, forte de 6,000 habitants, est renommée par ses
salines, par ses productions chimiques, et surtout par ses bains d'eau
salée, qui sont aussi fréquentés que ceux de mer. Une population de
10,000 habitants, composée en grande partie de Français réfugiés et de
Suisses-, une fabrication annuelle de plus de 8,000 pièces de drap, ren-
dent Burg digne d'être citée. C'est une station du chemin de fer de Berlin.
Tangermunde s'élève sur la rive gauche de l'Elbe ; elle est entourée de
murailles et dominée par un ancien château-fort. Stendal, sur le chemin
de fer de Magdebourg à Hambourg, ville de 6,000 habitants, a donné
naissance au célèbre antiquaire Winkelmann, fils d'un pauvre cordon-
nier. Stendal était autrefois la capitale de la Vieille-Marche. Elle fait un
grand commerce de laines. Salzwedel ou Soltwedel, sur le Jetzel, est la
dernière ville un peu importante que l'on puisse citer sur la frontière
septentrionale de la province de Saxe; sa population s'élève à 6,000 âmes;
le produit de ses fabriques est considérable. Au treizième siècle elle faisait
partie de la ligue hanséatique. Ses environs renferment plusieurs sources
minérales qui ne sont point exploitées.
Nous venons de parcourir les sept provinces qui constituent, selon
nous, sous le rapport géographique, le royaume de Prusse proprement dit,
c'est-à-dire une contrée de 4,225 milles carrés. Sous le point de vue poli-
tique, il nous reste à compléter cette description par celle des quatre pro-
vinces de Westphalie, de Juliers, Clèves et Berg, du Bas-Rhin et de
Neuchâtel ; mais séparées des terres de la métropole par plusieurs États
allemands, tels que le grand-duché de Hesse, la Hesse électorale, le duché
de Brunswick, le royaume de Hanovre et quelques petites principautés,
ces possessions qui confinent au Hanovre, aux Pays-Bas, à la France,
peuvent être considérées comme des conquêtes provisoires, faites, non
sur les champs de bataille, mais sur la table d'un congrès, où , par des
arrangements réglés à la hâte, des peuples qui n'ont point les mêmes inté-

86
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
rêts, qui ne suivent point les mêmes lois, sont devenus tout à coup Prus-
siens. On pourrait aussi regarder ces possessions comme des pays occupés
militairement ou commodes colonies prussiennes. Nous consacreronsdonc
spécialement à leur description le livre suivant, en nous réservant de
décrire la principauté de Neuchâtel lorsque nous traiterons de la Suisse.
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne septentrionale. — Monarchie
prussienne. — Description topographique des provinces à l'ouest du Wéser. —
Coup d'œil statistique et politique sur l'ensemble des possessions de la Prusse.
Nous allons maintenant parcourir la Prusse occidentale ou à l'ouest du
Wéser-, elle renferme les deux provinces de Westphalie et du Rhin. La
première a une superficie de 368 milles carrés géographiques allemands
ou de 20,608 kilomètres carrés, et une population de 1,464,921 habi-
tants, dont 808,824 sont catholiques-, elle forme les régences de Munster,
de Minden et d'Arnsberg. La seconde a une superficie de 487 milles carrés
géographiques allemands ou de 27,272 kilomètres carrés et une population
de 2,811,172 habitants, dont 2,074,153 sont catholiques ; elle forme
les régences de Cologne, de Dusseldorf, de Coblentz, de Trèves et d'Aix-
la-Chapelle.
La province de Westphalie comprend les anciens évêchés souverains de
Munster et de Padcrborn,la principauté de Minden, le comté deLa Mark,
la baronnie de Hohenlimbourg, le comté de Ravensberg, et une partie
de celui de Lingen, qui sont autant de possessions qu'elle a recouvrées.
Les territoires considérables qui y ont été ajoutés sont l'ancien duché de
Westphalie, la principauté de Corvey, une partie de celle de Salm, les
seigneuries de Rheda, Rheina-Walbeck, Dulmen et Gehmen, et le comté
de Rittberg. Cette province est bornée à l'ouest par les Pays-Bas ; au nord
par le Hanovre ; à l'est par les principautés de Lippe et de Waldeck, une
partie du Hanovre, la Hesse électorale, le grand-duché de Hesse-Darm-
stadt ; au sud par la principauté de Nassau et la province de Juliers, Clèves
et Berg.
Ce pays était peuplé jadis par les Bructeri, les Marsi et les Sicambri,
tous peuples de la souche Franco-Saxonne. Il parait, d'après Tacite et

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
87
Strabon, que les Bructeri habitaient entre l'Ems, la Lippe et le Rhin ; que
les Marsi occupaient le territoire actuel de Munster , et que les Sicambri
vivaient sur les terres de la rive gauche de la Lippe. De tous ces peuples,
les Brucleri étaient les plus importants ; ils se partageaient en deux bran-
ches: les grands et les petits Brucleri.
Toute la partie orientale de cette province, ainsi que la partie méri-
dionale, sont couvertes de montagnes qui forment deux chaînes distinctes.
Au sud, les monts Ebbe, qui courent de l'orient à l'occident, y forment
une limite naturelle: à ces monts se rattachent ceux que l'on nomme
Rothaar et Egge, et qui s'étendent, du sud-ouest au nord-est, sur une
longueur d'environ 120 kilomètres. De la chaîne qu'ils forment, descen-
dent la Lenne et la Ruhr ou la Roër, qui se réunissent pour aller se jeter
dans le Rhin; la Lippe, qui lui porte le tribut de ses eaux ; et enfin l'Ems,
qui, malgré son peu d'importance, prend son rang parmi les fleuves.
La province de Westphalie, dont les terrains appartiennent aux forma-
tions calcaires et surtout granitiques, renferme plusieurs richesses miné-
rales : on y exploite dans la partie du nord-est du fer, du plomb et du
sel; et dans la partie méridionale non-seulement ces trois substances
mais encore de l'argent, du cuivre, du zinc, de la houille, des grès, des
ardoises, du marbre et de l'albâtre.
La partie du nord-ouest, bien qu'entrecoupée de collines et de monta-
gnes, est peu importante sous le rapport minéral; elle est même peu
fertile en céréales, mais elle produit beaucoup de chanvre et de lin. Au
sud on trouve beaucoup de bois et de belles prairies, de vastes champs
cultivés en blé, en lin et en navette, et l'agriculteur nourrit de nombreux
et beaux bestiaux. La troisième partie se fait également remarquer par sa
fertilité, par ses gras pâturages et le nombre de ses animaux domestiques.
L'Aa, l'Ems, la Lippe et la Ruhr ou la Roër, sont les principales rivières
qui arrosent la province; le Wéser ne la traverse que sur une dizaine de
lieues de longueur.
Passons en revue les villes de chacune des trois régences. Munster,
chef-lieu de régence, capitale de la province et résidence de la cour
suprême de justice, était autrefois une forteresse importante. On prétend
qu'elle doit son origine à un monastère fondé par Charlemagne. Cette
ville appartenait au moyen âge à son évêque ; elle est célèbre dans l'his-
toire pour avoir été en 1533 la capitale éphémère de Bockels, surnommé
Jean de Leyde, chef des anabaptistes, et par la signature du fameux traité
de Westphalie, qui en 1648 mit fin à la guerre de Trente ans.

88
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIEME.
Sa situation sur la rivière d'Abe, qui se jette un peu plus bas dans
l'Ems, est assez agréable; un canal qui porte son nom donne à son com-
merce une grande activité; aussi sa population est-elle considérable, on
l'évalue à 24,664 habitants. Elle est maintenant la résidence d'un arche-
vêque. Son chapitre est composé de quarante chanoines qui doivent faire
preuve de seize quartiers de noblesse. Munster est bien bâtie, et renferme
dix églises : celle de Saint-Lambert porte encore au haut de sa tour les
trois cages en fer qui servirent au supplice de Jean de Leyde et de ses deux
complices. Ses remparts et son château-fort, qui furent détruits en 1765,
ont été convertis en promenades. Elle possède une université, un jardin
botanique, une bibliothèque, une école de dessin , une d'arts et métiers,
une école vétérinaire, trois gymnasses, un séminaire catholique, une
maison de détention et de travail et plusieurs hôpitaux. Sa cathédrale, où
l'on voit une très-belle chapelle, renferme quelques monuments d'anti-
quité. Cette ville est sur un embranchement de chemin de fer qui se soude
à Hamm, à la grande ligne de Cologne à Berlin par Minden, Hanovre et
Brunswick; cet embranchement doit se continuer vers le nord jusqu'à
Emden en suivant la vallée de l'Ems. Toutes les autres villes de la régence
sont bien moins importantes, il suffira de les nommer.
Borken, à 10 lieues à l'ouest de Munster ; Bocholt, résidence du prince
de Salm-Salm ont 3 à 4,000 habitants; Warendorf, en possède plus de
4,000, elle a un gymnase; Kösfeld, située entre deux collines, entourée
de quelques fortifications, contient 5,600 habitants; enfin Sleinfurt ou
Burgsteinfurt, qui appartient au prince de Bentheim-Steinfurt, et qu'ar-
rose l'Ahe, en renferme 2,500 ; son gymnase est très-renommé. A 6 lieues
au nord de Munster, Lengerich ou Margarethen-Lengerich, au pied d'une
montagne, renferme une jolie église dans laquelle furent signés les préli-
minaires du traité de Westphalie, Toutes ces villes s'enrichissent du pro-
duit de leurs fabriques de toiles.
Minden, ville fortifiée, arrosée par le Wéser, riche par son commerce
étendu et varié; peuplée de plus 12,000 habitants, et placée dans une
situation agréable, sur le chemin de fer qui par Hanovre et Brunswich
conduit à Berlin, possède un gymnase, un séminaire pour les maîtres
d'école, une maison d'orphelins et une société biblique. L'ancien palais
épiscopal est son plus bel édifice. On remarque encore sa cathédrale
gothique. Dans les environs de celte ville, nous devons faire remarquer
les sources salées de Frédéric-Guillaume, près d'Eidinghausen ; le
domaine de Boehlhorst, dans lequel on exploite des hoillères fort riches

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
89
et la Porte-Westphalienne, passage pratiqué entre les deux montagnes de
Jacobsberg et de Wittikindsberg, à travers lequel coule le Wéser. Au
sud-ouest de Minden , la petite ville d'Enger passe pour avoir été la rési-
dence de Witikind le Grand, qui y fut inhumé dans l'église paroissiale
L'empereur Charles IV lui fit ériger, en 1377, un mausolée qui en 1414
fut transporté à Herford, mais que l'on a restitué en 1822 à Enger. Les
vases à boire qui servaient au héros saxon, et que l'on conservait à Her-
ford, sont maintenant dans l'église de la première de ces villes, qui possède
aujourd'hui ses cendres et son tombeau.
En se dirigeant vers Paderborn, on traverse la plaine basse et maréca-
geuse au milieu de laquelle est située Herford ou Herforden , ville indu-
strieuse de 7,000 habitants, arrosée par la Werra et l'Aa, elle est entourée
de vieux remparts transformés en jardins et en promenades. Celte ville est
une des stations du chemin de fer de Cologne à Berlin par Minden et
Hanovre. Près de la ville il existe, dans le village de Bounte, des eaux
minérales. Bielefeld, adossée à une montagne qui fait partie du Teulobur-
gerwald, contient la même population que Herford, et comme elle, elle est
importante par son commerce de toiles. On y fabrique aussi ces pipes en
magnésie carbonatée, connues sous le nom d'écume de mer, et si recher-
chées par les fumeurs.
Paderborn, ville de 8,200 âmes, sur l'embranchement destiné à unir
entre elles la grande ligne deCologne à Berlin par le Hanovre, et la ligne qui
de Berlin vient traverser les Étals saxons, est le siége de la justice suprême
de la régence et d'un évêché dont l'érection est due à Charlemagne. Le
Furstenberger-hoff, ancien palais des souverains d'Allemagne, est un
édifice digne de quelque attention. Il en est de même de l'église collégiale,
dont la construction remonte à l'an 1010. C'est près de cette église que se
trouve la principale source de la rivière de Pader, dont les eaux paraissent
froides en été et chaudes en hiver. Cette source est assez forte pour faire
mouvoir plusieurs moulins. La ville est environnée de murailles, mais ses
anciens remparts ont été transformés en promenades agréables. Elle est fort
ancienne: Charlemagne y résida pendant sa guerre contre les Saxons; au
moyen âge, son importance commerciale la fit admettre dans la ligue han-
séatique ; aujourd'hui son commerce est presque nul. Longtemps elle
appartint à son évêque, puis au landgrave de Hesse ; c'est depuis 1802
qu'elle est sous la domination prussienne. On voit dans ses environs le
bourg de Neuhaus, dont le château et les jardins servent de but de pro-
menade; et près de la forêt de Teutobourg, le champ de bataille où, vers
VII.
12

90
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
l'an 10 de notre ère, Arminius ou Hermann défit les légions de Varus :
le nom du hameau de Römerfeld (champ des Romains) atteste encore le
souvenir de cet événement. Non loin du village d'Altenbecken, le ruisseau
appelé Bullerborn sort avec fracas d'une montagne et disparaît bientôt sous
la terre-, c'est près de cette source que le minerai de fer, que l'on tire du
mont Reh, alimente deux forges et un haut-fourneau. A quatre lieues à
l'est de Paderborn, sur le versant oriental du mont Egge, la petite ville de
Dribourg possède dans ses environs une source minérale et des bains très-
fréquentés. A peu de distance de cet établissement, on voit encore les ruines
du château d'Ibourg, détruit par Charlemagne.
Entre les principautés de Waldeck et de Lippe-Detmold, la Prusse
possède une enclave d'environ 78 kilomètres carrés, où l'on voit la petite
ville de Lügde ou Lude, ceinte de murailles et peuplée de 2,500 habitants,
dont la principale industrie consiste à fabriquer de la dentelle.
Arnsberg ou Arensberg, chef-lieu de régence, est une petite ville qui
compte au plus 4,500 habitants. Située sur une colline, entourée presque
entièrement par la Ruhr ou la Roër, on y jouit de la vue d'un site mon-
tueux et pittoresque, embelli par les ruines d'un vieux château où s'assem-
blaient jadis les barons de la Westphalie. On a établi dans cette résidence
une société d'agriculture, un gymnase catholique, et le gouvernement
prussien l'a enrichie par de nouvelles constructions. Son industrie consiste
en distilleries d'eau-de-vie, fabriques de potasse.
Une ville beaucoup plus importante qu'Arnsberg, puisque sa popula-
tion est de plus du double, est celle de Soest ou Sost, station du chemin
de fer de Cologne à Cassel par Paderborn ; ses vieux remparts et ses tours
lui donnent de loin un singulier aspect. Les produits de ses tisserands,
de ses tanneurs et des agriculteurs de ses environs, constituent son prin-
cipal commerce. Cette ville est fort ancienne : elle a fait partie de la ligue
hanséatique, et elle a joui du privilége de battre monnaie. C'était jadis un
honneur d'y jouir du droit de citoyen. Hamm, ancien chef-lieu du comté de
La Marck, au confluent de l'Ahse et de la Lippe, entourée de remparts dont
les fossés ont été transformés en belles promenades, et défendue par un fort
qui porte le nom de Ferdinand, possède une église de chacun des cultes
catholique, luthérien et réformé, une société d'agriculture et d'économie,
et un gymnase renommé pour l'éducation soignée qu'y reçoit la jeunesse.
Son industrie consiste en fabriques, en blanchisseries de toiles, et en tan-
neries. Ses jambons jouissent d'une grande réputation, principalement en
Hollande. Sa population s'élève à environ 5,000 habitants; elle est sur la

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
91
grande ligne de Cologne à Berlin et les deux embranchements de Munster
et de Paderborn viennent s'y souder. Unna, qu'enrichissent ses poteries,
ses brasseries, ses distilleries, et surtout les salines de Brockhausen, ren-
ferme 3,500 habitants, trois églises et un gymnase. Dortmund, autrefois
ville libre impériale et fortifiée, peuplée aujourd'hui de 6,000 âmes, est le
siége d'un conseil suprême des mines, et possède un gymnase considérable
et plusieurs églises. Ses fabriques d'épingles et de divers objets de quincail-
leries, 150 métiers de tisserands, ses brasseries et ses distilleries d'eau-de-
vie et de vinaigre, sont d'un produit considérable, c'est une station du
chemin de fer de Cologne à Vienne ; l'embranchement d'Aix-la-Chapelle par
Crefeld s'y soude. En général, il est peu de villes et même de villages
qui, dans cette régence, ne possèdent une industrie très-productive.
Les diverses cités que nous avons à passer en revue, et la plupart de
celles que nous avons parcourues, sont surtout intéressantes, par leurs
forges et par l'emploi qu'y subissent le fer et divers autres métaux. Ainsi
Hagen , qui fabrique des draps et du papier , possède des forges, des
aciéries et des usines, dans lesquelles on confectionne des ustensiles
en fer, destinés à tous les usages. Dans ses environs se trouve une
vallée de plusieurs lieues de longueur, célèbre par ses établissements
industriels et ses usines, où l'on travaille le fer. Ses nombreuses fabriques
présentent dans leur ensemble l'aspect d'un long village : aussi lui a-t-on
donné le nom d'Emperstrasse. La petite ville de Schwelm, qui est, ainsi
que la précédente, station du chemin de fer de Cologne à Berlin, dont la
population de 4,000 individus est peu supérieure à celle de la précédente,
et qui possède un gymnase, trois églises et un établissement d'eaux miné-
rales, joint à une industrie à peu près semblable à celle de Hagen, des
fabriques de toiles et de savon, des brasseries et des distilleries. On va
voir dans ses environs la grotte de Klutert, où l'eau suinte de tous
côtés. Altena, plus fort d'environ 600 âmes, fabrique du fil de fer, des
épingles, des dés et des aiguilles à tricoter. Iserlohn, sur un terrain
montueux et infertile, rachète cette position par son industrie ; elle fabrique
de la quincaillerie, des épingles et des boutons. Sa population, moitié
luthérienne et moitié catholique, s'élève à 6,000 habitants. Elle possède
encore des papeteries, des fabriques de soie et de velours. Tous ces pro-
duits alimentent le commerce de plus de soixante maisons importantes qui
correspondent avec la France, l'Italie et le Nord. Parmi les curiosités que
l'on observe dans ses environs, se trouvent la caverne de Sundwich, qui
renferme des ossements fossiles; la mer de rochers, masse de grès dont

92
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
les ondulations représentent grossièrement les vagues; enfin les ruines
du château de Hohensybourg, où résida, pendant quelque temps, Wilikind.
Le bourg de Limbourg ou d'Hohen-Limbourg, qui fait partie d'une
baronnie qui appartient au comte de Bentheim-Tecklembourg, joint à
quelques-unes des branches d'industrie dont nous venons de parler, la
fabrication des clous et du fil d'archal. On y travaille aussi l'albâtre que
l'on exploite dans ses environs. Olpe, sur la Bigge, renferme plus de
cinquante forges de fer en barres et en morceaux, environ trente aciéries,
quinze fabriques de fer-blanc, deux fonderies de cuivre, dans lesquelles on
fabrique des flans pour les monnaies. Une industrie aussi active, con-
centrée dans une petite ville qui alimente ses ateliers du produit des mines
de son territoire, a engagé le gouvernement à y établir une justice des
mines. Siegen, ville de 4,000 habitants, avec un château et des jardins
sur les bords de la Sieg, une église paroissiale réformée et une réservée
au culte catholique, possède une justice royale, des mines et un gymnase.
Outre ses filatures de laine, ses fabriques de toiles et de savons, on y
compte un grand nombre d'usines, de forges et de fonderies. Ses environs
sont riches en carrières d'ardoises et en mines de divers métaux. Près du
village de Mosen se trouve la montagne de Slalhberg, presque entièrement
formée de protocarbure de fer ou d'acier naturel, qui passe pour fournir
au commerce le meilleur acier de l'Europe. On exploite aussi sur le terri-
toire de Siegen plusieurs mines qui produisent annuellement 700 marcs
d'argent, 300 quintaux de cuivre et 400 quintaux de plomb.
Nous entrons maintenant dans la province de la Prusse-Rhénane, com-
posée aujourd'hui de l'ancien duché de Clèves-Juliers-Berg et du grand-
duché du Bas-Rhin.
L'ancienne province de Juliers-Clèves-Berg, formée des anciens
duchés de Clèves et de Gelder, de la principauté de Mors, ou Meurs, des
comtés d'Essen et de Werben, du grand duché de Berg, fondé par Napo-
léon, et d'une partie du duché de Juliers , est bornée à l'ouest et au nord
par les Pays-Bas, au nord-est et à l'est par la province de Westphalie, au
sud par celle du Bas-Rhin. Elle est divisée en deux régences, celle de
Cologne et celle de Düsseldorf.
Les peuples germains qui habitaient jadis le sol de ce pays, sont célèbres
dans l'histoire par le rôle important qu'ils y jouèrent dans les guerres que
Rome eut à soutenir dans les contrées qu'arrose le Rhin. Sur la gauche de
ce fleuve, les Ubii et les Gugerni étaient les peuplades les plus importantes;
sur la rive droite, on trouvait les Usipètes, les Tencteri et les Sicambri.

EUROPE.-DESCRIPTION DE LA PRUSSE
93
Les Ubii, que Tacite nomme aussi Agrippinenses, étaient voisins des
Gugerni. Ils se tenaient dans les environs du territoire actuel de Meurs.
Inquiétés par les Suèves, qui exigeaient d'eux un tribut ou menaçaient de
les détruire, ils se virent forcés, vers l'an 54 avant notre ère, d'appeler à
leur secours Jules César, stationné de l'autre côté du Rhin. Mais il paraît
que de nouvelles attaques de la part des Suèves les disposèrent à accepter
avec reconnaissance la protection de Vespasien Agrippa, qui leur accorda
des terrains sur la rive gauche du Rhin en face de leurs anciennes demeures.
Cette migration se lit probablement à l'aide d'un pont qu'Agrippa construi-
sit sur le fleuve. Elle fut la suite du bon accord qui régnait entre les Ubii
et les Romains ; on en peut trouver la preuve dans Strabon et dans Sué-
tone. Fidèles alliés de Rome, ils s'attirèrent l'inimitié de leurs compatriotes,
et parurent beaucoup plus attachés à leur nom romain d'Agrippinenses,
qu'ils tenaient de la femme de Claude, qu'à leur nom germain d'Ubier, qui
semble signifierpeuple riverain; en effet, chaque fleuve se nommait Ob ou
Ub dans la Germanie. Les Gugerni faisaient partie des peuplades germa-
niques auxquelles, huit ans avant l'ère chrétienne, Tibère accorda la
permission de s'établir sur la rive gauche du Rhin, Ils appartenaient à
celle nation sicambre qui, du temps de César, habitait la contrée située
entre la Sieg et la Lippe ; leur population s'élevait à environ 40,000 âmes.
Les conditions de leur changement de séjour furent de défendre leur nou-
velle patrie contre les attaques de leurs voisins de l'autre rive. Leur
territoire s'étendait depuis la branche du Rhin qui prend le nom de Whaal
jusque dans les environs de Meurs. Ce pays avait d'abord été occupé par
les Menapii, qui prirent part à la révolte des Bataves sous le commande-
ment de Claudius Civilis. Le nom de Gugerner, dont les Romains ont fait
Gugerni, paraît venir du vieux mot germain gairnjan (demander), et
indique la qualification de volontaires que prirent ces peuples en s'éta-
blissant sur le territoire soumis aux Romains. Les Usipètes appartenaient
aux premiers peuples germains que les Romains connurent sur la rive
gauche du Bas-Rhin, où, fuyant les poursuites des Suèves, ils s'établirent
l'an 56 avant notre ère. Ils y devinrent la terreur des Bataves, jusqu'au
moment où César les tailla en pièces et les força de repasser sur la rive
droite du fleuve ; ils s'y établirent au sud de la Lippe, dans les pays qu'oc-
cupaient les Sicambri, près des possessions des Tencteri, qui avaient
partagé les hasards de leur expédition et les conséquences de leur défaite.
Ces derniers étaient, suivant Tacite, renommés par leur cavalerie. Les
Sicambri, qui cédèrent une partie de leur territoire aux Usipètes et aux

94
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
Tencferi, étaient l'un des peuples les plus puissants, les plus nombreux
de la Germanie, quoiqu'ils ne fussent qu'une des nations dont parle Pline
sous le nom d'Isthœvones. Les Sicambri furent soumis par Drusus douze
ans avant l'ère chrétienne.
Depuis les environs de Clèves jusqu'à Bonn, les plaines qui bordent
les deux rives du Rhin sont couvertes d'alluvions modernes qui ont été
formées par le fleuve. Quant aux collines, elles offrent successivement des
grès, de l'argile, des formations calcaires et granitiques: enfin, aux
environs de Siegberg, de Rlankenberg et de Königswinter, on voit s'élever
ça et là des mamelons basaltiques et porphyriques qui forment les sept
montagnes (Siebengebirge) qui, par leur aspect bizarre et la richesse de
leur végétation, attirent les regards du voyageur. Les sept points culmi-
nants de ce groupe sont le Drachenfels, le Gbnsehals, le Löwenbourg,
l'Oehlberg, l'Oehlberg royal, le Petersberg et le Wolkenbourg.
Les deux régences de Cologne et de Dusseldorf offrent de vastes plaines
et des marais dans la partie septentrionale, et elles sont montagneuses
dans leur partie méridionale ; c'est dans celte partie seule qu'elles sont
garnies de bois. Les forêts couvrent à peu près le tiers des deux régences,
et cependant le combustible végétal ne suffit pas à la consommation des
habitants et des usines. Presque toutes les rivières y sont navigables; le
seul canal important est celui qui communique du Rhin à lu Meuse. La
régence de Düsseldorf possède des mines de fer, de cuivre, de mercure et
de plomb ; celle de Cologne est presque dépourvue de richesse métallique.
Le sol est généralement fertile, bien que la récolte en grains ne suffise
pas à la consommation des habitants; mais il produit beaucoup de lin, de
tabac, de houblon et de colza. La partie la moins productive est sur la rive
droite du Rhin, parce que le sol en est profond et pierreux ; sur la rive
opposée, il serait extrêmement productif s'il était moins entrecoupé de
marais. L'activité et l'industrie des habitants ont néanmoins rendu cette
province fort riche. Le nombre des manufactures est immense ; on y compte
plus de 70,000 fabricants.
Le climat est en général tempéré, mais l'influence du sol s'y fait aisément
sentir ; sur la rive gauche du Rhin, l'air est humide et moins sain que sur la
rive droite, où il est sec et pur ; dans les montagnes il est généralement froid.
Ce pays renferme d'antiques débris, et des lieux dont les noms rappel-
lent encore la puissance des Romains : nous ne passerons point sous
silence ce qui peut intéresser l'archéologue et l'historien. Commençons
notre excursion chorographique par la régence de Düsseldorf.

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
95
Clèves ou Kleves, divisée en haute et basse ville, agréable par sa situa-
tion sur le Kermisdal, à deux petites lieues du Rhin, au milieu d'un pays
fertile, et bâtie sur les pentes de trois collines qui paraissent lui avoir fait
donner son nom, du mot latin clivum (élévation), dont les Romains ont
probablement fait Clivia, est peuplée de 8,000 habitants. Elle possède
uue école de médecine, un gymnase, un théâtre, un bel hôtel-de-ville et
des fabriques de soie, de bas et de chapeaux; des distilleries, des faïen-
ceries et trois fonderies de cuivre, de fer et d'étain. Les environs de
Clèves présentent de tous côtés des collines couvertes de verdure, de jolies
vallées, des prairies émaillées, des champs fertiles. Du haut de la tour du
Cygne qui dépend de l'ancien château de Schwauenbourg et qui domine
la vieille ville, on découvre, par un temps clair, un grand nombre de
villes et de villages. Sur le territoire de Clèves se trouve le Richwald,
ancien bois sacré, Sacrum nemus, dont parle Tacite, où Claudius Civilis
organisa l'insurrection des Bataves contre les Romains.
Emmerich, sur le Rhin, est remarquable par son canal de sûreté, qui
peut contenir cent gros bateaux de commerce; cette ville, qui renferme
5,000 habitants, a un gymnase et un séminaire. La petite ville de Xanten
ou Santen, à peu de distance du Rhin, est mieux bâtie que les deux pré-
cédentes : on y voit un temple protestant et une église catholique ornée de
quelques-uns des précieux tableaux de Jean Calcar. Il paraît que jadis elle
était arrosée par le fleuve : on y voit encore son ancien lit. On croit qu'elle
est l'Ulpia castra de Tacite : plusieurs antiquités romaines y ont été décou-
vertes; il existe encore des restes d'un aqueduc au Vorstenberg, à un
quart de lieue de la ville; et dans ses environs, près du village de Wisten,
on croit que se trouvaient les Vetera castra, dont fait mention Ptolémée
et dont parle souvent Tacite, lorsqu'il raconte la révolte de Claudius Civilis.
A quelque distance de ces ruines, on prétend reconnaître, près du village
de Kellen, la ville de Colonia trajana, et même sur le mont Vorstenberg,
à un quart de lieue de Santen, les restes d'un prétoire. Ce qu'il y a de
certain, c'est qu'on a découvert dans cet emplacement des débris de con-
structions romaines, des tombeaux, des urnes, des thermes et des médail-
les. Wesel, qui n'était qu'un village au commencement du douzième siècle,
renferme maintenant, en y comprenant ses faubourgs, 16,228 habitants
dont l'industrie s'exerce sur plusieurs genres de fabrications, et dont le
commerce entretient avec les Pays-Bas des relations très-actives. Elle
possède deux paroisses catholiques, une église luthérienne, un temple
réformé, un gymnase, un séminaire et un théâtre. Oberwesel, située un

96
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
peu plus haut sur le Rhin, était autrefois ville impériale; aujourd'hui elle
ne renferme pas 3,000 habitants. Elle est dominée par une montagne que
couronnent les ruines du château de Schonberg, qui appartenait à une
famille qui a fourni plusieurs hommes distingués, et plus connus sous le
nom de Schomberg.
Dans la petite ville de Geldern, à quelques lieues du Rhin, on remarque
la construction de l'hôtel-de-ville. Mors ou Meurs, sur la rive droite de
l'Eider, à une lieue du fleuve, dont la population ne s'élève pas à plus de
3,000 individus, ne mérite d'être cité que par l'intérêt qu'offre tout près
de là le village d'Asberg, qui passe pour être la ville d'Asciburgium, dont
parlent Tacite et Ptolémée. On a déterré dans ce lieu les lions qui ornent
l'hôtel-de-ville de Mors. On y conserve aussi deux pierres portant les noms
de deux centurions, des tombeaux romains, des vases, des lampes, des
armes et des médailles. Kempen, renferme un château, une fabrique de
de toiles, des distilleries et 3,600 habitants catholiques. Duisbourg, qui
contient 1,800 habitants de plus, est remarquable par sa belie position
entre la Ruhr et l'Anger, à une demi-lieue du Rhin, par sa forêt et les sites
agréables qui l'entourent. On croit que cette ville est l'ancien Teutobur-
gum. Son gymnase, sa société littéraire, sa maison des orphelins, sa belle
église de Saint-Sauveur, et surtout ses fabriques de toiles, de draps et de
savons, sa manufacture de tabac, enfin son commerce actif avec les Pays-
Bas, en font une ville assez importante. Elle est sur le chemin de fer
rhénan qui unit Bonn, Cologne et Dusseldorf à Berlin par Dortmund
et Hanovre. On remarque dans ses environs deux forges et fonderies qui
fournissent plus de 1,000,000 de kilogrammes de 1er, et une manufacture
royale d'armes.
La plus jolie ville de la province est Crevelt ou Crefeld : elle est sur un
sol marécageux et peu salubre; mais l'industrie de ses habitants et la
prospérité de ses manufactures en ont fait une cité intéressante et peuplée
de 36,134 habitants. Ses environs sont couverts de jardins, de maisons de
campagne et d'établissements industriels. Neuss (Nova-Cas tra), qu'arrose
l'Erft, et qui contient 7,000 âmes, est une ville manufacturière, sale et
mal bâtie, dont la fondation est attribuée à Drusus. Elle a été plusieurs
fois assiégée et saccagée par les Alluarii, les Huns, les Normands, les
Impériaux et les Français; mais le plus célèbre de ses sièges est celui que
lui fit subir en 1475 le duc de Bourgogne Charles-le-Téméraire, à la tète
de 80,000 hommes. C'est dans ses environs, mais sur la rive droite du
Rhin, que se trouve Dusseldorf, le chef-lieu de la province.

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
97
Cette ville, tout-à-fait digne du rang qu'elle occupe dans la régence
que nous parcourons, est, par ses établissements, ses rues bien percées,
sa population de 26,463 âmes, l'une des plus importantes places de la
Prusse Rhénane. Son nom signifie village sur le Düssel, ruisseau qui l'ar-
rosait seul avant qu'elle s'étendit jusque sur les bords du Rhin. Elle n'était
en effet qu'un village, lorsqu'au commencement du treizième siècle le
duc de Neubourg, électeur palatin, la fit agrandir pour y établir sa rési-
dence. Parmi les édifices qui décorent la ville, on cite principalement
l'hôtel des monnaies, la grande caserne, l'église collégiale et le vieux
château. Les principaux établissement utiles de Düsseldorf sont l'hospice
des pauvres, l'académie des sciences, celle de peinture et de dessin, le
gymnase, dix écoles élémentaires, une école polytechnique, une de méde-
cine et de chirurgie, et la galerie publique de peinture formée de sou-
scriptions d'amateurs, et renfermant de bons tableaux de toutes les écoles.
Le commerce de cette ville est fort considérable: elle possède des raffine-
ries et des fabriques de glaces, de soieries et d'étoffes de laine. Cette ville
est sur le chemin de fer rhénan, deux embranchements viennent s'y
souder, le premier se dirige vers l'ouest et va à Gladbach reoindre les
lignes belges par Aix-la-Chapelle et Liège; le second qui se dirige vers
l'est, rejoint Dortmund, Hanovre et Berlin par Elberfeld et Barmen.
Elberfeld, qui renferme 38,663 habitants, est située sur le Wipper,
affluent du Rhin. Ses sociétés scientifique et biblique, son musée et son
hospice civil ne nous arrêteront point, mais son industrie la place au rang
d'une des premières villes de l'Allemagne, car elle réunit les fabriques et
les manufactures des plus diverses. Les dernières maisons d'Elberfeld
touchent presque celles de Barmen, qui a deux lieues d'étendue, une
population de plus de 20,000 âmes, et une industrie non moins importante
que celle d'Elberfeld. On estime le produit annuel de l'industrie de ces
deux villes à plus de 60 millions de francs. Elles sont traversées par le
chemin de fer de Berlin à Cologne. Solingen, renommée par ses excel-
lentes armes depuis plus de 500 ans, est une ville de 5,000 âmes ; avec sa
banlieue elle possède une population de 12,000 individus, employés pour
la plupart dans ses nombreuses fabriques d'armes et de coutellerie; son
industrie semble néanmoins avoir un peu perdu depuis quel ue temps.
Entrons maintenant dans la régence de Cologne qui comprend onze cercles.
La partie située sur la rive gauche du Rhin forma , en 1794, les départe-
ments français de la Roër et de Rhin-et-Moselle ; en 1806, la partie qui
s'étend sur la rive droite fut réunie au grand duché de Berg, jusqu'en
VII.
13

98
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
l'année 1814, que le tout passa à la Prusse. Un trajet de quelques heures
nous conduira de la station d'Elberfeld dans l'antique et belle ville de
Cologne, que les Allemands écrivent Köln. Sa population que l'on évaluait
en 1827 à 64,960 est aujourd'hui de 94,789 habitants. Ce chef-lieu de
régence doit être placé au premier rang parmi les plus importantes villes
des bords du Rhin. Si Cologne était bâtie comme Dusseldorf, et peuplée
dans la même proportion, elle serait à comparer aux plus belles cités de
l'Allemagne ; mais un tiers de son enceinte est occupé par des jardins,
des vignes, des promenades et de grandes places ; ses rues étroites et
sombres, ses maisons dans le style gothique, construites les unes en
briques, les autres en bois et le plus petit nombre en pierre, lui donnent
un aspect sombre et désagréable qui nuit à l'impression que devrait faire
éprouver la vue de ses plus beaux édifices. Parmi ceux-ci, l'on doit citer
l'hôtel-de-ville, l'école centrale ou l'ancien collége des Jésuites; l'hôtel de
commerce, servant aujourd'hui de halle, et dans lequel il existe une salle
immense où 4,000 personnes peuvent se tenir à l'aise, et que la ville loue
pour servir aux fêles, aux bals et aux grandes réunions d'hiver; l'arsenal
qui renfermait autrefois d'anciennes armes et un grand nombre d'antiqui-
tés ; l'église de Saint-Géréon, bâtie en 1066 ; celle de l'Assomption ; l' église
des Apôtres, beau monument du onzième siècle; celle de Notre-Dame-du-
Capitole, la plus ancienne de la ville, puisqu'elle a été bâtie par Plectrude,
femme de Pepin et nièce de Charles-Marlel ; la cathédrale ou le Dôme,
église bâtie au treizième siècle, et qui serait un monument magnifique,
s'il était achevé. Dans la chapelle qui est derrière le maître-autel, on
remarque une antique châsse d'or qui renferme les reliques de plusieurs
saints, cl l'on voit les tombeaux de quelques électeurs de la maison de
Bavière, et le lieu où furent déposées les entrailles de Marie de Médicis.
L'église de Saint-Pierre dans laquelle fut baptisé Rubens, offre aux
regards des amateurs le beau tableau qu'il fit du martyre de cet apôtre, et
qui, destiné pour cet édifice qu'il orna jusqu'en 1794, passa vingt ans au
Louvre, d'où il retourna à sa première place. L'industrie y est peu active
en raison de sa populalion; on y compte cependant plusieurs manufac-
tures, des distilleries, dont les 15 plus importantes sont celles où l'on pré-
pare l'eau spiritueuse si connue sous le nom d'eau de Cologne. Cette ville
fabrique aussi des étoffes de laine, des rubans, des faïences, etc. Mais ce
qui. contribue à l'enrichir, c'est son port sur le Rhin, qui la rend l'entre-
pôt d'un commerce considérable avec l'Allemagne et les Pays-Bas. La
classe aisée y possède plusieurs établissements scientifiques; on y trouve

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
99
un bon collége avec une bibliothèque de 60,000 volumes , une seconde
bibliothèque moins considérable, un cabinet de physique, un jardin bota-
nique, une collection de minéralogie, un amphithéâtre anatomique, une
galerie de tableaux et un conservatoire des arts et métiers. Parmi les
établissements fondés dans un but d'utilité, on compte plus de vingt
hôpitaux, un hospice d'orphelins, un de maternité et une maison de santé
pour les aliénés. Nous ne dirons rien du théâtre do Cologne, ni de ses
places publiques généralement vastes ; mais nous rappellerons que cette
ville, entourée de fossés et de vieux murs flanqués de 83 tours, et dont
l'étendue a 9 kilomètres de circonférence, est d'une très haute antiquité ,
puisqu'elle passe pour avoir été la capitale des Ubii (oppidum Ubiorum)
qui prit le nom de Colonia Agrippina lorsqu'Agrippine, qui était née dans
ses murs, en lit agrandir l'enceinte. Elle possède quelques débris d'anti-
quité, tels que les restes d'une halle romaine. L'église de Saint-Pierre a
été construite sur les ruines d'un temple, et celle de Notre-Dame sur l'em-
placement qu'occupait le Capitole.
Sous le régne de Claude, Cologne prit le titre de ville municipale et de
capitale de la seconde Germanie; l'an 449, Mérovée, roi des Francs, en
chassa les Romains ; peu de temps après, elle fut ruinée par Attila, mais
rebâtie par les Romains. Chilpéric les en chassa, et elle devint la capitale
du royaume de Cologne, qui subsista jusqu'à l'époque où Clodowig, c'est-
à-dire Clovis, s'en empara et réunit son territoire à celui de la France.
Les rois de la première race s'y fixèrent, ainsi que Charlemagne lui-même
qui préféra souvent son séjour à celui d'Aix-la-Chapelle; puis, sous le
règne d'Olhon le Grand, en 957, elle fut déclarée ville libre et impériale.
En 1187, elle fut entourée de murs par l'archevêque Philippe de Heinsberg;
en 1260, elle prit rang dans la ligue des villes hanséatiques ; au quator-
zième siècle, ses archevêques reçurent le litre d'électeurs ; enfin, sous la
domination française, elle fut le chef-lieu d'un des arrondissements du
département de la Roër.
Cette ville antique s'enorgueillit d'avoir donné le jour à Rubens, au
célèbre médecin et philosophe Corneille Agrippa, et à saint Bruno, le fon-
dateur de l'ordre des chartreux. C'est dans la maison Lambez que naquit
Rubens, et que mourut Marie de Médicis. En 1822, l'administration muni-
cipale a fait ériger un monument à la mémoire du grand peintre que Cologne
a vu naître. Cologne est une des plus importantes stations du chemin do
fer rhénan. Elle est en communication avec la Belgique et la France par
Aix-la-Chapelle et Liège, et avec Berlin et le reste de l'Allemagne par Dus-

100
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
seldorf, Elberfeld et Hanovre. C'est un des premiers nœuds du réseau des
chemins de fer européens.
-
Woringen, à quelques lieues au nord de Cologne, est l'ancien Buruncum
des Romains, dans lequel était cantonné un détachement de la septième
légion ; on y remarque quelques ruines. Muhlheim-sur-le Rhin (Mühlheim-
am-Rhein), petite ville de 5 à 6,000 âmes, est d'une origine antique : elle
passe pour avoir été, sous le nom de Divilia, la principale cité des Ubii,
dont Cologne n'était qu'un bourg, et l'on prétend que ce fut là que César
bâtit un pont sur le Rhin. Au seizième siècle , elle n'était qu'un village,
lorsque l'esprit d'intolérance qui fit chasser do Cologne les protestants,
plaça Muhlheim au rang des villes riches et industrieuses ; elle devint alors
le refuge de ceux-ci, et, depuis ce temps, sa prospérité s'est constamment
soutenue. On y construit un grand nombre de bateaux. Deutz ou Duitz,
qui passe pour être fort ancienne, et dans laquelle Constantin éleva un
fort qui dominait le Rhin, vit plusieurs fois détruire ses fortifications.
Celles qu'on y a récemment construites rendent cette petite ville plus forte
que jamais. Zulpich est le Tolbiacum de Tacite, ville célèbre dans le moyen
âge par la victoire que remporta Clovis sur les Allemands, et qui fut l'une
des causes de sa conversion au christianisme.
Bonn, l'ancienne Donna, vis-à-vis de laquelle, suivant Florus, Drusus
construisit un pont sur le Rhin, est située sur la rive gauche de ce fleuve,
à environ 5 lieues au-dessus de Cologne, à laquelle elle se trouve unie par
un chemin de fer qui, dans un avenir prochain, sera sans doute continué
jusqu'à Coblentz et Trèves. Sa position agréable l'avait fait choisir pour
leur résidence par les anciens électeurs. Sa population s'élève à 17,688
habitants ·, elle est bien bâtie et renferme plusieurs maisons remarquables
par leur élégance. Elle possède quatre églises assez belles, un hôtel de-
ville construit dans le goût moderne, un collége et un théâtre. Son château
d'une élégante construction, sert maintenant de local à l'université, fon-
dée en 1818, et qui, en peu de temps, est devenue une des plus célèbres
de l'Allemagne. Sur la place de Saint-Remi, on remarque un monument
d'antiquité du plus haut intérêt, formé de colonnes, et consacré à la
Victoire. On a établi aux environs de cette cité une école d'agriculture
dont la pépinière sert de promenade ; à deux lieues de là se trouve la petite
ville de Brüth, remarquable par le magnifique château d'Augustembourg
et par ses eaux minérales. Non loin de Bonn, le village de Traunsdorf,
dont le vrai nom est, suivant les antiquaires, Trajansdorf, paraît être le
Castrum Trajani: on y a trouvé en effet plusieurs antiquités romaines.

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
101
Bonn fabrique des siamoises, de l'acide nitrique et du savon ; on voit sou-
vent sur son marché des saumons de 15 à 25 kilogrammes, que l'on pêche
dans la Sieg, rivière qui arrose la petite ville de Siegbourg située à une
grande lieue de Bonn, sur la rive droite du Rhin.
L'ancien grand-duché du Bas-Bhin est borné, à l'ouest et au nord, par
les Pays-Bas ; à l'est, par les régences de Dusseldorf et de Cologne, et par
la principauté de Nassau, le grand-duché de Hesse-Darmstadt, le land-
graviat de Hesse-Hombourg, la principauté de Birkenfeld et la province
bavaroise du cercle du Rhin ; au sud, par la France. Il est divisé en trois
régences, dont les chefs-lieux sont Aix-la-Chapelle, Coblentz et Trèves.
Les peuples germains qui habitaient les vastes forêts de cette province
étaient les Eburones et les Treveri. Les premiers occupaient les deux rives
de la Meuse, mais ils s'étendaient jusque sur le territoire actuel de Juliers.
Ils paraissaient être les plus anciens peuples de la contrée. Leur princi-
pale forteresse est appelée, dans les Commentaires de César, Alualuca.
Ils jouent un grand rôle dans la guerre des Gaules, par la victoire com-
plète que, sous le commandement d'Ambiorix, ils remportèrent sur une
légion romaine. Il paraît que, repoussés plus tard par César, ils cédèrent
leur territoire aux Tungri. Les Treveri formaient une nation puissante et
guerrière, redoutable surtout par sa cavalerie, dont César parle avec éloge.
« Ce peuple, dit Tacile, se glorifie de descendre des anciens Germains. »
Il paraît en effet qu'il faisait partie des peuplades qui, longtemps avant
l'expédition de César dans les Gaules, traversèrent le Rhin pour se fixer
dans la fertile vallée de la Moselle, Ce qui prouve l'antiquité de son établis-
sement dans cette contrée, c'est l'état de sa civilisation à l'époque où les
Romains le connurent. Il n'errait point dans les forêts ; il exerçait au con-
traire une sorte d'autorité sur les Nervii, les Ubii, les Tungri et les Ebu-
rones, ses voisins ; il connaissait les arts, il bâtissait des villes, il était régi
par des lois. Son gouvernement, que l'on peut appeler une monarchie
aristocratique, était confié à une noblesse ayant pour chef un prince électif.
Le prince était le juge suprême de la nation ; il était proclamé comme chez
les Gaulois et les Germains, et placé publiquement sur un bouclier. La
réunion de la noblesse formait le sénat chez les Treveri. Ce sénat conserva
même son autorité sous la domination romaine ; et l'an 275 de notre ère,
celui de Rome se servait, en écrivant à celui de Trêves, du protocole sui-
vant : Senalus amplissimus curiœ Trevirorum. Chez cette nation, l'homme
naissait soldat; la cotte d'armes était sa robe virile; la guerre avait pour
lui des charmes; il s'élançait au combat avec d'autant plus d'ardeur, que

102
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
défendre son habitation et sa patrie était le plus sacré des devoirs. Per-
suadés que la divinité dirigeait et secondait leurs efforts, les Treveri pla-
çaient leurs armes et leurs étendards dans les lieux qui lui étaient con-
sacrés. C'est pour cela que pendant la guerre le prêtre de la cité avait seul
le droit de punir ou de renvoyer le coupable devant le juge souverain. La
bravoure était, selon ces peuples, la seule vertu qui trouvât sa récom-
pense après la mort. Les Treveri habitaient une partie de la contrée que la
longueur des cheveux de ses habitants fît nommer par les Romains la
Gaule chevelue (Gallia comata). Comme les autres peuples germains, on les
reconnaissait à leur chevelure blonde, séparée sur le front et tombant de
chaque côté. Quelques-uns cependant la nouaient élégamment sur le haut
de la tête ; tous laissaient croître leur barbe. Remarquables par une haute
stature, leur corps était couvert d'une courte et large tunique sur laquelle
ils jetaient un manteau de laine. L'habillement des femmes différait de
celui des hommes principalement par la longueur; mais leurs tuniques
sans manches laissaient voir les bras et les épaules. Tels sont les princi-
paux renseignements que l'on peut puiser dans les monuments et les écrits
des anciens sur les Eburones et les Treveri. Entre ces deux peuples étaient
situés les Condrusi et les Gœresi, dont parle César, et qui étaient en quel-
que sorte des peuplades soumises aux Treveri.
La constitution géologique du grand-duché du Ras-Rhin est très-variée.
On y rencontre des terrains d'alluvion et de transport, des terrains de
transition, et enfin dans l'Eifel Gebirge des terrains volcaniques. Les
argiles, les lignites, les grès, les calcaires, les schistes et les basaltes
s'y montrent, suivant la nature de ces terrains ; quelques-uns sont iden-
tiques avec ceux des bancs de Paris.
On comprendra facilement qu'une telle variété dans les terrains annonce
une grande richesse minérale. Elle consiste principalement en exploita-
tions de fer, de plomb, de zinc et de houille. Elle renferme des terres à
porcelaine ; les laves des environs d'Andernach sont taillées en meules
dont on fait un commerce important; la roche d'origine volcanique appe-
lée pépérine, connue dans le pays sous le nom de dückstein, et dans le
commerce sous celui de stass d'Andernach, est expédiée par la Hollande
dans plusieurs pays, où, réduite en poudre, elle est employée à faire des
ciments hydrauliques. On exploite plusieurs fabriques considérables, dont
les principales sont à Bilchingen, à Münster-am-Stein et à Theodorshalle.
La région volcanique de l'Eifel renferme un grand nombre de sources
minérales qui participent, en général, des propriétés dont jouissent les

EUROPE. - DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
103
eaux de Selters dans le pays de Nassau : les plus connues sont celles de
Gerolstein, de Thönnigstein et de Bertrich ; mais les plus célèbres de toutes
sont celles d'Aix-la-Chapelle.
Les montagnes et les plateaux qui couvrent la province appartiennent,
sous le point de vue géographique, à deux systèmes : celles du nord,
c'est-à-dire l'Eifel et les Hohe-ween, à celui des Ardennes; celles du
sud, ou le Hoch-wald, l'Idar-wald et le Hundsrück, à celui des Vosges.
Le Rhin traverse le pays du sud-est au nord-ouest, et la Moselle du sud-
ouest au nord-est; celle rivière reçoit sur sa rive droite la Sarre, et sur
sa rive gauche la Kill, le Salm et le Lieser. Les autres cours d'eau, moins
importants, sont l'Ahr, l'Erft, la Nahe, la Nette, l'Our, la Roër et la Soure.
La partie montagneuse est couverte de forêts; le reste, à l'exception
des terrains tourbeux et marécageux, est cultivé avec beaucoup d'intel-
ligence et de soin. Le sol est généralement léger; les terres les plus fer-
tiles et les mieux cultivées sont situées sur les rives du Rhin, de la
Moselle, de la Nahe, de la Nette, de l'Ahr et de l'Erft. L'Eifel ne com-
prend que des terrains peu propres à la culture. Partout le bœuf est préféré
au cheval pour le labourage. On y récolte peu de blé, mais beaucoup de
seigle, d'avoine, de pommes de terre et surtout d'épeautre. Dans les années
moyennes, sous le rapport de ces produits, les céréales suffisent à la con-
sommation du pays. Certains cantons de la partie méridionale abondent
en houblon, les montagnes du Hundsrück en beau lin, et les bords du
Rhin, de la Moselle, de l'Ahr et de la Sarre, en vins estimés. Les meilleurs
crus sont, pour les vins du Rhin, Bacharach et Ober-Wesel, et pour
ceux de Moselle, Berncastel, Trèves et Valdrach. Enfin il ne manque à la
richesse agricole du pays que de meilleures races de chevaux, de brebis
et de bêtes à cornes.
L'industrie manufacturière est moins active dans cette province que
celle de Juliers-Clèves-Berg ; cependant on y fabrique beaucoup de draps,
de papiers, de cuirs et d'objets de quincaillerie; les forges et les usines y
sont nombreuses et considérables.
Quant au climat, il est très-varié; la température est froide et humide
dans les montagnes; mais assez chaude dans les plaines et les vallées. On
compte environ 86 jours de pluie par an, et l'on évalue à 19 pouces la
quantité d'eau qui y tombe; c'est beaucoup moins que celle qui tombe à
Londres et en Hollande, année commune.
Nous commencerons notre excursion par la ville de Juliers ou Jülich,
qui, malgré son peu d'importance, est intéressante par son commerce et

104
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
ses fabriques de draps et de padoux. Celle petite cité est d'ailleurs recom-
mandable par son antiquité ; on en attribue la fondation à Jules César. Elle
est appelée Juliacum dans l'Itinéraire d'Antonin ; Ammien Marcellin en
parle également. Après la chute de l'empire romain, elle eut ses comtes
particuliers, jusque vers le milieu du quatorzième siècle, que l'empereur
Charles IV l'érigea en duché. Elle est défendue par une grande citadelle
bâtie sur pilotis, au bord de la Roër; on y remarque l'hôtel-de-ville, orné
de statues colossales, monuments du moyen-âge.
Aix-la-Chapelle ou Aachen, chef-lieu de cercle et capitale de la province
dont elle est la principale ville, contient 50,533 habitants ; ce n'est cepen_
dant qu'un peu plus du tiers de sa population au temps de sa splendeur,
c'est-à-dire à l'époque où les empereurs d'Allemagne y recevaient la cou-
ronne et y faisaient même quelquefois leur séjour. Alors le commerce et
l'industrie contribuaient à l'enrichir; aujourd'hui les étrangers n'y sont plus
attirés que par ses eaux minérales, qui, ainsi que ses fabriques de draps,
de soieries, de cotonnades el d'indiennes, son horlogerie et son orféverie,
constituent sa principale richesse. Quelques auteurs se sont efforcés de
prouver son origine romaine par son nom latin Aquœ Grani et par ses
nombreux restes d'antiquités, en attribuant sa fondation à Serenius Gra-
nus, qui vivait sous le règne d'Adrien; mais il est probable qu'avanl le
cinquième siècle, elle n'était qu'un bain romain ou qu'une ville peu
considérable, qui fut entièrement détruite par Attila, et qu'à Charlemagne
seul appartient l'honneur de l'avoir placée au rang des plus importantes
cités des Francs; ce fut à lui qu'elle dut le titre de seconde Rome. Il l'af-
fectionnait, parce qu'il y reçut le jour. Cette ville, dont les anciens remparts
ont été convertis par Napoléon en promenades agréables, et dont quelques
rues sont assez larges et régulières, possède plusieurs édifices remarqua-
bles. Son hôlel-de-ville, monument des dixième et quatorzième siècles, est
l'un des plus beaux de l'Allemagne ; sa façade a 56 mètres de longueur. On
ne peut se lasser d'admirer la richesse de ses ornements. 11 parait avoir
été bâti sur l'emplacement d'une forteresse romaine; une de ses tours porte
encore le nom de tour de Granus. C'est dans une de ses salles que Louis-
le Débonnaire, Charles Quint, et un grand nombre d'autres souverains
ont élé couronnés. Celle salle est décorée des portraits des ministres signa-
taires du traité de paix de 1748. C'est dans son enceinte que s'est tenu le
congrès de 1818. Ce que la ville renferme ensuite de plus curieux, ce sont
ses églises, toutes fort anciennes. Celle de Saint-Ulric, dont on admire la
hardiesse et l'élévation des voûtes, renferme plusieurs tableaux de peintres

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
105
célèbres; celle des Cordeliers contient un des plus beaux jeux d'orgues
de l'Allemagne, et un excellent tableau de Rubens. Mais la plus digne
d'attention par ses magnifiques vitraux, par ses trente colonnes colossales,
par ses portes en bronze et par la beauté de son architecture gothique,
c'est la cathédrale ou l'église de Notre-Dame. Elle a été bâtie par Charle-
magne; on y conserve le siége en marbre blanc sur lequel cet empereur et
les princes qui lui ont succédé se sont assis; le chœur y a élé ajouté en
4 353. Tous les sept ans, on y expose à la vénération du peuple plusieurs
reliques qui y attirent un grand nombre de pèlerins. Ce que tous les
étrangers voient dans celte église avec intérêt, c'est le tombeau de Charle-
magne, portant cette simple inscription: Carolo magno ; c'est le crâne de
ce prince qui y fut enseveli ; c'est la croix d'or enrichie do pierreries et con-
tenant une parcelle de la vraie croix, bijou qu'il ne quittait jamais; c'est
enfin son cor de chasse en ivoire garni d'or. On a construit depuis la domi-
nation prussienne, à Aix-la-Chapelle, un bâtiment pour la bourse et une
redoute, dont l'extérieur, orné d'arcades, est d'une assez belle architecture.
Cette ville possède un beau théâtre allemand, dont on admire le fronton sou-
tenu par huit colonnes colossales; un superbe édifice en forme de rotonde,
où se réunissent les différents jets de la Source d'Hèloïse (Elisen Brunnen),
fréquentée chaque année par un nombre considérable de baigneurs. Ses
établissements littéraires et scientifiques sont peu importants; ils con-
sistent principalement en une académie des arts, une de musique, une
école de dessin, un collége et une collection de modèles relatifs aux arts et
à l'industrie. Elle possède encore une belie galerie de tableaux. Son com-
merce, très-étendu, est principalement alimenté par ses nombreuses
fabriques de cotonnades, son orfévrerie, son horlogerie et sa quincaillerie.
Les environs d'Aix-la-Chapelle sont extrêmement agréables; les terres y
sont peu fertiles, mais bien cultivées; les promenades y sont nombreuses.
Celle de Mont-Louis (Louisberg) est une des plus fréquentées ; c'est une
colline qui domine la ville, et qui a été plantée d'arbres disposés en
agréables bosquets, que l'on traverse pour arriver à une belle salle de
danse, entourée d'un balcon d'où l'œil parcourt les beaux points eo vue de
tous les environs. Aix-la-Chapelle est un des principaux nœuds du réseau
des chemins de fer de l'Europe ; cette ville est, par Liège, Malines et Char-
leroi, en communication avec la Belgique et la France ; un embranche-
ment l'unit à Maëstricht, et elle communique avec Berlin et les autres
villes de l'Allemagne, soit par Duren et Cologne, soit par Crefeld et Dort-
mund.
VII.14.

106
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
Près d'Aix-la-Chapelle se trouve la petite ville de Burtscheid ou Βοrcette,
connue par ses eaux thermales, qui sont presque aussi renommées que
celles d'Aix-la-Chapelle, et dont les 6,000 habitants trouvent dans le pro-
duit des draps qu'ils confectionnent et dans la fabrication des aiguilles,
l'aisance que l'on y remarque. Le chemin qui conduit à cette ville, et la
jolie vallée dans laquelle elle est située offrent aussi des promenades déli-
cieuses, surtout lorsqu'on approche des sources chaudes, qui s'annoncent
de loin par les vapeurs qu'elles exhalent. Duren, l'ancienne Marcodurum
de Tacite, sur la Roër, principale station du chemin de fer d'Aix-la-
Chapelle à Cologne, égale Burtschied en population ; son industrie con-
siste principalement en tanneries, fabriques de draps, de rubans et de
savon. On compte dans ses environs plusieurs forges, des papeteries et
d'autres usines mises en mouvement par deux dérivations de la Roër qui
se réunissent dans la ville. Eupen, sur la frontière belge, et près du
chemin de fer de Liège, peuplée de 12,000 habitants, dont la classe
la plus industrieuse descend de familles françaises réfugiées, possède
des tanneries, des savonneries et des papeteries, mais surtout d'impor-
tantes manufactures de draps. Par ses tanneries, Malmédy fait un com-
merce considérable. C'est une ville ancienne qui, dans le moyen âge,
portait le nom de Malmundarium; sa population est de 45,000 âmes.
Visitons les villes qui bordent le Rhin. Unkel, sur la rive droite, est
renommée par ses vins et par deux groupes de colonnes basaltiques appelés
le grand et le petit Unkelstein, qui appartiennent à une colline volcanique
voisine, el forment dans le fleuve des écueils dangereux. Sur la rive oppo-
sée, Rheinmagen ou Remagen, le Rimogagus des Romains, est traversé
par la roule de Bonn à Coblentz. Près de Remagen s'élève l'Apollinaris-
berg, montagne couronnée par les ruines de l'antique abbaye de Siegbourg
dont la vieille église gothique renfermait les reliques de saint Apollinaire.
En repassant le Rhin, visitons Neuwied, autrefois capitale d'une princi-
pauté, petite ville régulièrement bàtie et industrieuse, qui renferme des
fabriques d'ébénisterie, d'ustensiles de fer-blanc, de divers objets de quin-
caillerie et de mousselines, toiles et savons. C'est vis-à-vis de celle ville
que l'armée française, sous les ordres du générai Hoche, traversa le Rhin
en 1797, et battit les Autrichiens. Aux environs se trouve le village de la
Tour-Blanche ( Weisselhurm ), où l'on voit le monument élevé par l'armée
de Sambre-et-Meuse à la mémoire de Roche, dont les cendres reposent sur
la rive gauche du Rhin, aux environs d'Andernach, non loin de celles de
Marceau, En approchant de Coblentz, Ehrenbreilstein . ou Thal Ehren-

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
107
breilstein occupe le fond d'une petite vallée, et est dominée par un rocher
sur lequel les Prussiens ont depuis 1816 construit une redoutable forte-
resse destinée à remplacer celle que les Français avaient détruite en 1799.
Elle est comprise dans le système de défense de Coblentz.
D'Ehrenbreitstein à Coblentz. on passe le Rhin sur un pont volant, qui
part et repart de quart d'heure en quart d'heure. Cette capitale de la pro-
vince est située sur le fleuve, à l'embouchure de la Moselle. Elle est entou-
rée de formidables fortifications. Ses rues sont alignées et bien bâties.
Elle renferme 25,318 habitants et quelques beaux édifices, parmi lesquels
nous citerons l'église Notre-Dame, le château de l'électeur et le théâtre.
Ses principaux établissements utiles sont un collège, un séminaire et un
mont-de-piété. On cite ses quais et son pont de pierre sur la Moselle.
Coblentz est l'ancien Confluentes dont il est fait mention dans l'itinéraire
d'Antonin et dans Ammien Marcellin. En 1792, elle fut le rendez-vous de
tous les émigrés français destinés à former l'armée du prince de Condé. Son
commerce consiste principalement en grains, en bois, en houille, et surtout
en vin de la Moselle. Dans ses environs qui offrent des sites variés et pit-
toresques, Teinstein est connu pour ses eaux minérales; mais à quatre
lieues au nord-ouest, nous ne devons point passer sous silence la petite
ville d'Andernach, VAntunnacum des anciens, où l'on voit plusieurs anti-
quités curieuses, telles que la porte de Coblentz, le bain des Juifs, qui
sont de construction romaine, et les restes du palais des rois d'Austrasie ,
près duquel s'élève une tour que l'on regarde aussi comme étant en grande
partie l'ouvrage des Romains. Son église est un beau monument du onzième
siècle. Celte petite cité de 3,000 âmes , qui s'élève à l'embouchure de la
Nette, au pied d'une montagne volcanique de 220 mètres de hauteur au-
dessus du niveau du Rhin, fait des exportations considérables des différents
produits des feux souterrains qui ont jadis couvert toute la contrée : ses
tufas sont employés avec succès en Hollande dans la construction des
digues, et ses meules en laves sont très estimées. C'est aussi tout près
d'Andernach que se réunissent ces énormes trains de bois de construction
tirés des forêts de l'Allemagne, et destinés principalement pour les ports
des Pays-Bas, et qui, montés par 400 honmes, ont ordinairement plus de
325 mètres de longueur sur 30 de largeur. A une lieue au sud-est de celte
ville, se trouve le lac de Laach : 40 sources l'alimentent; il ne gèle point,
même par le? plus grands froids ; on y pêche de très-beaux poissons et sur-
tout d'énormes brochets,
Depuis Coblentz jusqu'à Kreutznach, on ne trouve aucune ville digne

108
LIVRE CENT CINQUAINTE-CINQUIÈME
d'être citée ; il en est cependant deux dont nous devons faire mention sur
la rive gauche du Rhin : la première est Boppart, peuplée de 3,000 habi-
tants, et renfermant trois églises, un collége, des tanneries, et deux
fabriques de toile et de coton filé. Elle occupe l'emplacement de Baudo-
brica, l'une des cinq citadelles construites par Drusus. Les rois francs y
eurentun palais dont on voit encore quelques restes, et dans le moyen
âge elle eut le titre de ville impériale. La seconde appelée Bacharach,
moitié moins peuplée, est célèbre par les vins de ses environs. Elle s'étend
au pied de deux collines: ses murs, flanqués de tours, se prolongent sur
l'une des deux jusqu'au village de Staleck, qui paraît occuper l'emplace-
ment d'une forteresse romaine. Les ruines de l'église de Saint-Werner,
isolée près de ce village, sont des restes précieux de l'architecture du
moyen àge, et le temple réformé est construit dans le goût byzantin. De
ce lieu , la vue s'étend sur de riches paysages. Un peu au-dessous de la
ville, se trouve l'îled'Heilesen ; c'est entre cette île et la rive droite du
Rhin que se trouve le rocher appelé Ellerstein ou Altar-Stein {Pierre de
l'autel), qui n'est visible que pendant les sécheresses el quand les eaux
du fleuve sont basses: lorsque les vignerons le voient paraître, ils en
augurent une bonne vendange. Mais ce que ce roccher offre de plus inté-
ressant pour l'histoire de Bacharach, c'est que dans de vieilles chroniques,
on le désigne sous le nom de Ara Bacchi (autel de Bacchus), et que c'est
de ce nom que l'on prétend que Bacharach tire le sien. Les côtes auxquelles
s'appuie la ville sont couvertes de vignes : les meilleurs crus sont ceux des
vallées de Diebach, de Mannebach et de Slug. Deux faits historiques attes-
tent leur ancienne réputation : le pape Pie Il en faisait venir tous les ans
un foudre à Rome, et l'empereur Wenceslas, surnommé avec raison
l'ivrogne, vendit, au quatorzième siècle, la liberté aux bourgeois de Nurem
berg, pour quatre foudres de ces vins. Kreulznach, ville assez bien bâtie,
dont la population s'élève à 9.000 habitants, possède plusieurs fabriqués
de tabac, de savon , de sucre de betterave, ainsi que des tanneries et des
distilleries. On exploite dans ses environs deux salines qui produisent
annuellement près de250,000 kilogrammes de sel. L'une d'elles appartient
au grand-duché de Hesse.
Une chaussée conduit de Kreulznach à Trêves par la petite ville de
Stromberg, près de laquelle on exploite des carrières de marbre bleu. On
traverse les montagnes du Hundsriich, région physique qui doit, dit-on,
son nom aux Huns, auxquels les Romains l'abandonnèrent et dont les
points les plus élevés atteignent 1,000 mètres au-dessus du niveau de la

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
109
mer1. Les belles forêts qui couvrent les flancs de ces montagnes, le Sim-
mern et plusieurs autres petites rivières qui arrosent les vallées, donnent
à cette petite contrée l'aspect le plus sauvage et le plus pittoresque.
En arrivant à Trèves, que les Allemands appellent Trier, on est étonné
de la grande quantité de monuments et de débris qui attestent l'importance
et la splendeur de cette ville lorsqu'elle portait le nom d'Augusta Treviro-
rum ; c'était la principale ville des Treveri. Plusieurs empereurs y fixèrent
leur résidence ; elle joua un rôle important au moyen âge, et ses arche-
vêques, qui s'étaient rendus indépendants au commencement du dixième
siècle, avaient le titre d'électeurs de l'empire. Prise par les Français en
1794, elle devint momentanément le chef-lieu du département de la Sarre ·,
elle ne comptait alors que 8 à 10,000 âmes, aujourd'hui elle en a 19,016.
Située sur le bord de la Moselle, au milieu d'une riche vallée, ses environs
offrent plusieurs promenades charmantes; dans son enceinte on remarque
quelques beaux édifices, plusieurs places, des rues assez larges et bien
alignées. Son industrie consiste en diverses fabriques de toiles et d'étoffes
de laine. Elle possède aussi des tanneries, des raffineries de sucre de bet-
terave et des fonderies. Son université, fondée en 1455, et supprimée en
1722, a joui pendant longtemps de quelque réputation. Les antiquités
qu'elle renferme ont encouragé dans son sein l'étude de l'archéologie : son
musée est fort riche, et sa bibliothèque, qui ne l'est pas moins, surtout en
manuscrits et en éditions du quinzième siècle, se compose de plus de
70,000 volumes. Parmi ses monuments romains, l'un des plus anciens est
le pont sur la Moselle ; il a plus de 225 mètres de longueur et 8 de largeur;
il date, dit-on, de 28 ans avant notre ère. Un autre édifice plus important,
mais moins ancien, puisqu'on le croit du temps de Constantin le Grand,
est la porte Noire ou de Mars (Porta Martis) qui fut, en 1035, convertie
en une église dédiée à saint Siméon. C'est dans ce vaste bâtiment qu'on
a réuni les objets d'antiquité trouvés dans la ville et dans les environs. Les
Thermes, dont l'une des portes, dont l'antiquité ne paraît pas remonter
au delà du troisième siècle, sert d'entrée à la ville. Enfin, un édifice remar-
quable par son importance et sa conservation, est celui que l'on a regardé
comme le palais de Constantin, et qui paraît n'être qu'une dépendance des
Thermes. Depuis longtemps il sert de caserne. Le palais impérial était
proche du pont. La plupart des églises de Trêves sont belles: quelques-
unes rappellent encore la richesse des couvents auxquels elles ont appar-
tenu. La cathédrale, que l'on peut regarder comme la plus ancienne, a
1 Hundsrück signifie cependant le dos du chien.

110
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
plutôt l'extérieur d'une forteresse que d'un temple ; l'église de Notre-
Dame, monument du treizième siècle, se fait remarquer par la légèreté de
son architecture gothique, et celle de Saint-Paulin, d'une construction
moderne, par les belles peintures qui ornent la voûte de la nef. Ce n'est
point seulement dans la ville que de nombreuses antiquités rappellent la
splendeur romaine ; hors de l'enceinte de Trêves on retrouve, au pied du
mont de Mars, les restes d'un amphithéâtre ; on a enlevé les vignes et les
terres qui cachaient le sol que foulaient jadis les gladiateurs, et c'est au-
jourd'hui l'un des mieux conservés qui existent. C'est dans ce lieu même
que Constantin, longtemps honoré comme un saint, eut la barbarie de faire
dévorer par les bêtes féroces, l'an 306, plusieurs milliers de prison-
niers francs ou français, ainsi que leurs chefs Askarich et Ragoys. Ce
prince eut encore la cruauté de renouveler pendant plusieurs années ces
spectacles sanglants, et de leur donner le nom de jeux français (ludi
francici).
Trèves possède plusieurs établissements utiles; nous ne citerons que
les plus importants : l'hôpital civil ; la maison de mendicité, établie dans
l'ancien couvent des Augustins ; le gymnase, autrefois le lycée ; le sémi-
naire êpiscopal ; enfin, l'école bourgeoise. Trêves et Coblentz n'ont pas
encore de ligne de chemin de fer (1853), mais il est probable qu'elles
seront, dans un avenir prochain, traversées par la continuation de la ligne
Rhénane qui, de Bonn, ira gagner Coblentz, Trêves, Luxembourg, Thion-
ville; et, à Metz, ira se souder aux chemins de fer français. Trêves est la
patrie de sainte Hildegarde et du littérateur Conrad Fieisch.
A quelque distance de la route qui conduit à Luxembourg, on retrouve
les restes de la voie romaine de Trêves à Reims. C'est dans celte direction
et sur la route même qu'existe, au milieu du village d'Igel, l'un des monu-
ments les plus curieux que les Romains aient laissés dans les Gaules.
C'est une espèce de tour à quatre faces terminée en forme de pyramide,
et surmontée d'un globe terrestre sur lequel repose un aigle. L'inscription
mutilée, mais expliquée et restituée par quelques antiquaires, prouve
que c'est un tombeau qui a été élevé par deux des membres de la famille
des Secundinus à Secundinus Securus, riche négociant, fondateur d'Igel
vers la fin du quatrième siècle.
Depuis Trêves jusqu'à l'extrémité méridionale de la province, notre
excursion ne nous offrira rien de bien intéressant. A Sarrebourg ou Saar-
burg, petite ville de 2,000 âmes, on passe un assez beau pont sur la Sarre,
et l'on remarque une petite cascade qui descend en écumant de l'une des

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
111
rues de cette cité sale et montueuse. En remontant le cours pittoresque de
la Sarre, que bordent de hauts rochers escarpés, on côtoie le village de
Mettlach, où l'on voit encore les restes d une superbe abbaye de bénédic-
tins convertie en manufacture de porcelaine. A Sarrelouis, bâtie en 1680,
et fortifiée par Vauban, on entre par deux portes, et les rues bien alignées
et bâties avec régularité aboutissent à une belle place carrée qui en occupe
le centre, et que décorent une église et l'hôtel du gouverneur. Avant les
désastreux traités de 1815, celte ville appartenait à la France ; sa popu-
lation est de 7,500 habitants. Elle est la patrie du maréchal Ney. C'est
dans ses environs que se trouve l'importante usine de Dilling, où l'on
fabrique des tôles et des fers-blancs.
Sarrebriick ou Saarbrück, sur la frontière française, plus étendue que
Sarrelouis, compte 8,000 âmes. Ses rues sont larges et bien bâties, et ses
édifices sont modernes et construits avec élégance. Un beau pont la réunit
à la petite ville de Saint-Jean, qui en est devenue le faubourg. La mon-
tagne du Ilalberg, qui s'élève près de son enceinte, parait avoir servi d'em-
placement à la ville romaine dont il est fait mention dans l'Itinéraire d'An-
tonin, sous le nom de Pons Saravi; quelques ruines y sont encore appelées
par les paysans la vieille chapelle païenne (die alte heiden cap elle). Sarre-
briick fait le commerce du fer et de la houille que l'on exploite dans ses
environs, et du produit des fabriques de porcelaines, d'instruments ara-
toires et de tabatières en carton, établies sur son territoire. C'est une des
stations de l'embranchement de Nancy, Metz et Hombourg qui unit le che-
min de fer de Paris à Strasbourg à celui du grand-duché de Bade et à ceux
de l' Allemagne centrale par Francfort sur le Mein. A peu de distance du
village de Solsbach, on montre comme un phénomène une petite colline
qui brûle et jette de la fumée depuis plus d'un siècle; elle renferme une
houillère mise en combustion par la décomposition du sulfure de fer.
En vertu d'un traité passé en 1834 entre le duc de Saxe-Cobourg-Gotha
et le gouvernement prussien, la principauté de Lichtenberg, située sur la
rive gauche du Rhin, a été cédée par le duché à la Prusse. Cette princi-
pauté, qui fait partie de la régence de Trèves, se compose des cantons de
Saint-Wendel, Baumholder, Graumbach, Kusel, Tholey et Ottweiler. La
petite ville de Saint-Wendel, qui renferme environ 2,000 habitants, n'a
rien qui mérite de fixer l'attention. Près de celle de Baumholder on voit le
vieux château qui donne son nom à la principauté. Dans les environs du
village de Graumbach on exploite des agates et des améthystes. Enfin celui
de Sonenhof s'élève sur les ruines de la ville de ce nom.

112
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
Il nous reste à parler du cercle de Wetzlar, qui dépendait du grand-
duché du Bas-Rhin, et qui appartient aujourd'hui à la régence de Coblentz,
dont il est cependant éloigné de plus de 5 lieues. Son territoire, enclavé
au milieu des possessions des princes de Nassau et de Hesse-Darmstadt,
occupe une superficie d'environ 570 kilomètres carrés. Welzlar, situé à
l'embouchure de la Dill et du Wetzbach dans la Lahn, est une ville vieille
et mal bâtie, renfermant 5,000 habitants, dont l'industrie consiste prin-
cipalement en tanneries. Braunfels renferme un chàteau-fort et 1,300 habi-
tants. Le pays auquel appartiennent ces deux villes est tellement inégal et
montueux, qu'on ne s'y sert point de voilures.
Énumérons les autres enclaves de la monarchie prussienne dont nous
n'avons pu parler.
Un petit territoire de 128 kilomètres carrés, situé dans le duché de
Saxe-Cobourg-Gotha, et dépendant de la régence d'Erfurt, contient le
bourg Wandersleben et celui de Mühlberg, où Ton fabrique du sulfate de
fer, de l'alun et de l'indigo, et près duquel on voit le vieux château de
Gleichen.
Au milieu des principautés de Saxe-Weimar, de Schwarzbourg et de
Reuss, s étend un territoire un peu moins exigu que le précédent, et qui
dépend aussi de la même régence. Sa superficie est d'environ 135 kilo-
mètres : il renferme la petite ville de Rahniz, dont la population est de
700 habitants, et que défend un château-fort, ainsi que deux petits bourgs»
Gössitz et Ziegenrïck.
A la régence d'Erfurt appartient encore le territoire de Suhl ou Suhla,
ville de 5,500 âmes, qui possède une importante manufacture d'armes. Les
terres qui en dépendent, et qui comprennent une partie de la contrée
montagneuse appelée forêt de Thuringe (Thuringer-Wald), forment une
superficie de 480 kilomètres carrés, entourée par des possessions apparte-
nant au royaume de Saxe, aux duchés de Saxe Weimar et de Saxe-Cobourg-
Gotha, à la principauté de Schwarzbourg Rudolstadt et à la liesse élec-
torale. On trouve sur ce territoire les bourgs de Benshausen, Schwarza,
Heinrichs, où l'on voit plusieurs usines, et la petite ville de Sehleusingen,
entourée de murs, défendue par un château, et possédant une bibliothèque,
un hôpital, une maison pour les pauvres, et plusieurs fabriques.
Dans la principauté de Reuss-Lobenstein-Ebersdorf, la Prusse possède
quatre peines enclaves dont la plus importante est le territoire de la petite
ville de Gefell, aux environs de laquelle on exploite une mine de fer. Ces
enclaves dépendent aussi de la régence d'Erfurt.

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
113
Il en est de même de la petite ville de Benneckenstein et de ses environs,
dans le duché de Brunswick.
Dans les duchés d'Anhalt, le village de Lbbnitz et trois autres enclaves
moins considérables, font partie de la régence de Mersebourg.
Enfin, dans le royaume de Hanovre, les territoires d'Hehlingen et de
Wolfsbourg appartiennent à la régence de Magdebourg.
Pour compléter celte description chorographique de la Prusse, il nous
faudrait entrer sur les territoires les plus éloignés des deux principautés
de Hohenzollern, dernières acquisitions de cette monarchie, et sur celui du
canton de Neufchàtel; mais afin de ne pas nous écarter de l'ordre que nous
avons adopté, nous nous proposons de décrire ces deux annexes avec les
États qui les entourent. Terminons donc par quelques aperçus généraux
de statistiques.
La Prusse, dans les limites que nous lui avons indiquées, et en compre-
nant les principautés de Hohenzollern, a une superficie de 5,102 milles
carrés géographiques allemands, ou 14,172 lieues géographiques carrées.
Sa population était, à la fin de l'année 1851, de 16,669,153 habitants ;
le recensement de 1846 en accusait 16,112,948, parmi lesquels on
comptait 9,885,583 protestants et 6,046,292 catholiques. Les neuf pro-
vinces, (Prusse, Brandebourg, Poméranie, Silésie, Posnanie, Saxe, West-
phalie, Province Rhénane, Hohenzollern) forment 26 arrondissements
ou régences, et chacune de ces régences est subdivisée en un certain
nombre de cercles. Il y en a en tout 330.
Près du quart de la population de la Prusse est réparti dans les villes,
dont le nombre s'élève à 11021, et parmi lesquelles 36 ont plus de 10,000
habitants ; le reste occupe 292 bourgs et 36,704 villages et hameaux.
La nation est divisée en cinq classes distinctes : les nobles, les ecclé-
siastiques, les bourgeois, les militaires et les paysans. Les nobles forment
environ 20,000 familles; les ecclésiastiques sont au nombre de près de
15,000.
Les divers cultes jouissent en Prusse de la plus grande liberté; chaque
citoyen est admissible à tous les emplois, quelle que soit sa religion ; mais
celle de l'État est le protestantisme, et l'on y comprend sous ce nom la con-
fession d'Augsbourg et la communion réformée : les deux cultes y sont unis
et presque confondus. Les habitants qui les professent forment près des
deux tiers de la population, et le catholicisme est professé par plus d'un
tiers de celle-ci. Les deux principaux cultes ont chacun leurs prélats et leurs
minisires.
VII.
15

114
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
On compte pour le culte catholique trois archevêques, à Breslau,
Cologne et Posen, et cinq évêques, à Culm, Ermeland, Munster, Pader-
born et Trêves. Le culte protestant a à sa tête un consistoire général, et
dans chaque province un consistoire provincial, dirigé par un président et
un surintendant général.
On considère la Prusse comme une monarchie militaire. Cependant le
roi est loin de posséder une autorité absolue ·, son pouvoir est limité par les
priviléges dont jouissent les différents ordres de l'État, et surtout par l'opi-
nion publique. C'est ainsi que depuis 1848, la royauté a dù faire de grandes
concessions en faveur du mouvement libéral, et un gouvernement consti-
tutionnel a été inauguré ; mais le parlement prussien n'est encore réduit
qu'à un rôle fort secondaire. Le parlement est la réunion des deux
chambres ; la première est composée des princes de la famille roya'e et des
chefs des anciennes familles autorisés par le roi; d'un certain nombre de
membres nommés à vie; de 60 représentants élus par 200 propriétaires
fermiers les plus imposés de chaque province ; de 38 autres nommés par les
autorités communales des grandes villes, et de 6 membres élus par les pro-
fesseurs ordinaires de chacune des 6 universités. La seconde chambre est
formée de 350 membres. Les colléges électoraux peuvent se composer d'un
ou de plusieurs cercles, d'une ou de plusieurs grandes villes, qui comptent
plus de 10,000 habitants. L'élection est à deux degrés; la durée des légis-
latures est de trois ans; le roi peut dissoudre les deux chambres; la res-
ponsabilité des ministres est consacrée.
Le roi est en outre assisté dans l'exercice du pouvoir législatif par un con-
seil d'État composé de 51 membres. Le ministère est divisé en sept dépar-
tements : 1° les affaires étrangères; 2° la justice; 3° les affaires ecclésiasti-
ques, la médecine et l'instruction publique ; 4° le commerce, l'industrie et
l'agriculture; 5° l'intérieur et la police; 6° la guerre ; 7° les finances. Chaque
province est administrée par un président supérieur nommé par le gouver-
nement: il en est de même de chaque régence, et chaque cercle est régi
par un collége de régence à la nomination des citoyens, et par des conseils
composés des employés supérieurs; a la tête de chaque commune se trouve
un maire qui reçoit un traitement cl qui est assisté d'un conseil municipal
dont les membres sont aussi élus par les citoyens.
La Prusse n'est point un État riche, aussi la plus sévère économie
règne-t-elle dans l'administration de ses revenus. Ceux-ci s'élevaient en
1851 a 93,294,959 thalers ou 346,957,237 francs ; les dépenses pour la
même année à 96,367 532 thalers ou 358,377,218 franes ; et la dette

EUROPE.—DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
115
publique était évaluée à 191,776,532 thalers ou 712,308,698 francs.
L'organisation judiciaire est la même pour tout le royaume, à l'exception
de la Province Rhénane. A la tête de l'administration judiciaire se trouve
le ministre de la justice, puis viennent la cour do cassation, les 21 cours
d'appel et les justices de ville ou de cercle secondées par les commissions
judiciaires. La Prusse Rhénane forme une cour d'appel particulière dont
le siége est à Cologne, et dont l'organisation a beaucoup d'analogie avec
celle des tribunaux français. En outre il y a à Dantzick et à Konigsberg
des colléges de commerce et d'amirauté. Dans les provinces orientales, il
existe outre les trois degrés de juridiction, dont nous avons parlé plus haut,
des tribunaux particuliers, soit pour certaines espèces particulières de
procès, soit pour des classes spéciales de justiciables.
L'organisation militaire de la Prusse est surtout fort remarquable, et
pourrait servir de modèle aux autres nations européennes.
Sur le pied de paix l'armée est de 122,000 hommes ; mais en temps de
guerre, la Prusse peut mettre facilement 500,000 hommes sous les armes.
L'armée permanente se compose de volontaires qui s'équipent et s'entre-
tiennent à leurs frais pendant un an-, d'enrôlés volontaires soldés et âgés
de 17 à 40 ans ; d'une partie de la jeunesse requise, de 20 à 25 ans; des
vétérans qui se vouent au métier des armes au delà du temps prescrit par la
loi; enfin des jeunes gens de famille, qui sont nommés officiers, après
avoir subi des examens. La réserve comprend les corps de la landwehr
espèce de milice qui forme 36 régiments, et qui se divise en deux bans :
tous les jeunes gens qui n'ont pas servi pendant cinq années dans l'armée
active font partie du premier ban jusqu'à 32 ans accomplis. Le deuxième
est formé d'hommes plus âgés. En temps de paix, les deux bans restent
dans leurs foyers, où ils sont régulièrement instruits au métier des armes.
En cas de guerre, le premierban est destiné à renforcer l'armée permanente,
et le deuxième à former la garnison des places fortes, quelquefois même à
compléter aussi les cadres de l'armée. La landwehr se compose d'infante-
rie, de cavalerie et d'artillerie. Dans les moments de danger imminent, le
roi appelle à la défense du pays la levée en masse des hommes de 17 à 50 ans;
c'est ce que l'on nomme la landsturm. Tout citoyen prussien est astreint au
service militaire depuis 20 jusqu'à 50 ans: mais il n'est tenu à un service
régulier que pendant les cinq premières années-, il ne passe même que trois
ans sous les drapeaux. Ce terme expiré, il est renvoyé en temps de, paix»
dans ses foyers, d'où il ne sort que pour un service temporaire, jusqu'à la
cinquième année, après laquelle il est inscrit sur les contrôles du premier

116
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
ban de la landwehr. Les provinces sont divisées en huit circonscriptions
territoriales qui fournissent chacune un recrutement d'un corps d'armée.
Les remontes de la cavalerie ne coûtent rien à l'État : tout individu qui pos-
sède trois chevaux est tenu d'en fournir un à l'escadron de son cercle ou
canton ; si cette réquisition no suffit pas, les autorités locales obligent les
propriétaires fonciers de les fournir, ou se chargent elles-mêmes de cette
fourniture, qu'elles font payer ensuite aux contribuables. Les seuls chevaux
de cuirassiers sont achetés à l'étranger, c'est-à-dire dans le Holstein et le
Mecklembourg. L'avancement dans l'armée n'a lieu que par rang d'ancien-
neté. Bien que la discipline avilissante instituée par Frédéric-Guillaume ait
été abolie en 1818, on infligeait encore en 1832 la punition humiliante des
lattes: aujourd'hui celle-ci n'existe plus; les autres sont la prison, les arrêts
et la corvée. Le contingent que la Prusse fournit à l'armée de la confédéra-
tion germanique est de un homme et demi pour cent; en 1815 on l'avait
fixé à 79,494 hommes et la contribution fédérale était de 29,406 francs.
Puissance entièrement militaire, la Prusse est, après la France, celle
qui possède le plus grand nombre de places de guerre: elle en compte 28
importantes qui sont Custrin et Spandau, dans le Brandebourg ; Glatz,
Glogan, Neisse, Kosel, Schweidnitz et Silberberq, en Silésie; Dantzick,
Graudentz, Pillait, Thorn et Weichselmiinde en Prusse ; Posen dans le
grand-duché de ce nom; Colberg, Stettin et Straîsund en Poméranie ;
Erfurt, Magdebourg, Torgau et Wittemberg, dans la province de Saxe;
Minden, dans celle de Westphalie ; enfin Coblentz, Cologne, Ehrenbreit-
stein, Jnliers, Sarrelouis et Wesel, dans la Province Rhénane. La Prusse
entretient aussi une garnison dans la forteresse de Luxembourg, sur le
territoire de la Hollande, et dans celle de Mayence dans le grand-duché de
Hesse-Darmstadt.
La Prusse n'a pas moins de 32 ports situés sur les côtes de la mer Bal-
tique, s'étendant de Barth en Poméranie jusqu'à Memel à la frontière de
Russie. Sa marine marchande se compose de 1,403 bâtiments de 275,818
tonneaux; dont 531 navires jaugeant 14,606 tonneaux sont destinés au
cabotage. Cette marine fait un commerce assez considérable, malgré la
concurrence que lui font les chemins de fer et la gêne que lui impose le *
péage du Sund, aussitôt qu'elle veut sortir de la Raltique. La marine mili-
taire ne tient pas un rang important parmi celles des peuples voisins; elle
ne se compose que 50 bailments inférieurs, armés de 150 canons. Deux
ports militaires ont été créés, l'un sur l'île Dantrolm, près de Stralsund,
et l'autre près de Swinemünde.

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA PRUSSE.
117
L'industrie a fait depuis quelque temps de notables progrès en Prusse,
et plus particulièrement dans la Silésie, la Westphalie et la Province Rhé-
nane. Les manufactures de laine, de coton et de toile sont les branches
les plus importantes de la fabrication prussienne: viennent ensuite les
fabriques de soie et d'ouvrages en cuivre, fer, laiton et autres articles de
quincaillerie. Le gouvernement n'a d'ailleurs rien négligé pour imprimer
une vive impulsion au commerce et à l'industrie nationale. Par une com-
binaison ingénieuse et savante, il a rendu un service signalé à la Prusse
et à l'Allemagne, en instituant l'union des douanes ou Zollverein. Celte
union douanière acceptée par la Bavière, la Saxe, le Wurtemberg, Bade,
la Hesse électorale, le grand-duché de Hesse, les États de Thuringe,
Brunswich, Nassau et Francfort, a fait tomber les odieuses barrières qui
arrêtaient à chaque relais dans cette Allemagne si morcelée la circulation
des produits. L'union douanière allemande, à la tête de laquelle se trouve
la Prusse, est basée sur le principe d'une frontière commune pour tous les
États participants, sur la liberté complète du commerce dans toute l'étendue
du territoire de l'union, sur un système douanier commun et sur le partage
des revenus calculés d'après la population. La part de la Prusse qui, en
1849 , avait été de 16,689,280 thalers (le thaler vaut 3 fr. 72 c.) n'a été,
en 1851, que de 16,087,575 thalers. L'étendue des frontières que le Zoll-
verein est obligé de surveiller est de 1,105 milles allemands, dont 702
appartiennent à la Prusse.
Le gouvernement prussien déploie d'ailleurs une grande activité pour
améliorer les voies de communication; il y a dans toute la monarchie 1,700
milles allemands de routes, tandis qu'en 1836 , il n'y en avait que 419
milles; la longueur des chemins de fer prussiens était en 1852 de388 milles.
On comptait à la même époque six lignes télégraphiques principales d'une
longueur totale de 415 milles allemands.
Ce qui fait la gloire de la Prusse, c'est son admirable système d'instruc-
tion publique. L'éducation primaire est obligatoire ; le nombre des écoles
primaires est de 24.201 ; elles sont fréquentées par 2,453,062 enfants des
deux sexes, qui reçoivent l'instruction de 30,865 instituteurs ou institu-
trices. L'instruction secondaire est donnée dans des écoles dites moyennes,
les écoles supérieures et les progymnases ou gymnases préparatoires. Le
nombre de ces écoles est de 505. Enfin les gymnases proprement dits, ser-
vant d'écoles préparatoires pour les universités, sont au nombre de 117 :
ils sont fréquentés par 28,770 élèves. Il y a en Prusse 8 universités, celles
de Berlin, de Bonn, de Brcslau, de Greifswald, de Halle, de Königsberg

118
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME,
et les universités catholiques de Munster et de Braunsberg ; elles étaient
fréquentées en 1851 par 4,667 étudiants; les universités de Berlin et de
Bonn sont les plus importantes.
Des huit provinces prussiennes que nous avons décrites, il n'y en a que
six qui font partie de la confédération, et pour lesquelles la Prusse a quatre
voix à l'assemblée générale de la diète, et une à l'assemblée ordinaire. Ces
provinces sont celles de la Poméranie, de Brandebourg, de Silésie, de Saxe,
de Westphalie, et la Province Rhénane. Les armes royales sont une aigle
noire couronnée, portant le chiffre F. R. sur la poitrine. Le pavillon prus-
sien est noir et blanc, de manière que les deux bandes noires sont séparées
par une bande blanche. Le pavillon royal est blanc, avec l'aigle royale au
milieu, et sur la partie gauche du haut, une croix de fer.
Le roi de Prusse n'a point de liste civile: l'État lui fait une dotation. Ce
souverain , le plus puissant de l'Allemagne après celui de l'Autriche, se
plaît à éviter l'éclat qui entoure la plupart des têtes couronnées. Cette sim-
plicité n'a point sa source dans une avare parcimonie, mais dans une sage
économie et dans le caractère du prince, ennemi du faste et de la repré -
sentation. Le roi dîne à une heure, comme le simple citoyen, et tout excès
est banni de sa table et de sa cour. Lorsqu'il sort, rien ne distingue sa
voiture de celle d'un particulier. Elle est attelée de deux chevaux seule-
ment ; lui-même est ordinairement habillé d'une simple redingote, sans
aucune marque de sa haute dignité, et il traverse le plus souvent les rues
de Berlin sans se faire remarquer. Son exemple est suivi par les princes
de sa maison, qui, en général, se distinguent très-peu, à l'extérieur, des
riches particuliers. Tout le personnel attaché aux princes du sang mariés
se réduit à trois dames pour une princesse, et à trois grands-officiers pour
un prince. Mais cette économie dans les équipages, dans le service domes-
tique, dans la table, n'exclut point la bienfaisance. Jamais l'infortune ne
s'adresse vainement à la munificence de la famille royale; le roi l'exerce
surtout pour l'embellissement de la capitale.
Les fêtes de la cour ne sont ni nombreuses ni brillantes; elles se bornent
ordinairement à quelques bals donnés par le roi et les princes ; mais dans
les occasions extraordinaires, on a vu la cour de Prusse déployer une
pompe vraiment royale : telles furent les cérémonies qui eurent lieu lors
du mariage de la princesse Charlotte avec le grand-duc Nicolas, aujour-
d'hui empereur de Russie.
Dans des occasions solennelles, à l'arrivée de quelque prince étranger,
aux fêtes publiques, il y a réunion générale à la cour. Ces cercles n'ont

EUROPE. — TABLEAUX STATISTIQUES DES ÉTATS DE LA PRUSSE.
119
jamais lieu à la demeure du roi, dite le palais, mais au château. Tous les
employés de l'administration et de l'armée, depuis le simple référendaire
et le lieutenant, peuvent s'y montrer sans être invités, et le roi aime à les y
voir affluer. Les dames doivent être présentées, mais sans avoir besoin de
faire preuve de noblesse. II y a en général peu de cérémonies, et l'ancienne
étiquette est entièrement tombée en désuétude. Elle ne s'est conservée
dans toute sa rigueur que pour les mariages des princes et princesses de la
famille royale.
Tableaux Statistiques des États de la monarchie prussienne, d'après
les renseignements les plus récents.
STATISTIQUE GÉNÉRALE.
SUPERFICIE
POPULATION POPULATION
FINANCES EN 1851.
FORCES MILITAIRES.
en lieues géographiq, carrées.
en 1850.
par lieue car.
Les 6 provinces à
Revenus.
Armée de terre.
l'est du Wéser..
11,739 12,00S,920
1.023
346,957,237 fr
nommes
Armée permanente:
Les 2 provinces à
Dépenses.
Garde royale. , .
18 220
l'ouest du VVéser.
2,375
4,275,003
1,801
358,377,218 fr.
Cavalerie
19,232
Holienzollern He-
Artillerie et gen. . 15,408
chingen
15
20,471
1,365
Dette publique.
165,000
712,308,698 fr.
Holienzollern Sig-
Landwehr
160,000
maringen. ...
43
41 141
956
Laudsturm. ...
»
Contrib. fédéral.
14,172 1G,3',5,G25
1,154
Août 1818,
Flotte
canons
29,406 fr.
1 bâtiment à vapeur..
4
1 corvette 12
Depuis 1848,
1 transport
4
1,120,000 fr.
2 avisos à vapeur. . .
8
3batiments à vapeur
»
36 chaloupes canonn..
»
6 yoles »
50 bâtiments.
150
Contingent fédéral.
Avant 1848 — 79,484.
Depuis 1848
215,184,

120
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.

121
ΕUROPE.
—TABLEAUX STATISTIQUES DES ETATS DE LA PRUSSE.
16
VII.

122
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.

EUROPE. — TABLEAUX STATISTIQUES DES ÉTATS DE LA PRUSSE.
123
Tableau de la population, des provinces et des régences prussiennes, classées
par religions, en 1846.
PROVINCES ET REGENCES.
ÉVANGÉLIQUES. CATHOLIQUES
GRECS. ΜΕΝΝΟΝ. ISRAËLITES.
TOTAL.
PR. DE LA PRUSSE ORIENT.
1.289,394
181,557
1,411
1,121
7,132
1,480,318
Régence de Königsberg .
671,100
171,294
48
385
5,251
847.952

de Gumbinnen. .
618.294
10,263
1,363
736
1,881
632,366
PR. DE LA PRUSSE OCCID.
502.148
482,496
53
12.005
22.489
1,019,105
Régence de Dantzick..
208, 249
183,088
26
8,750
5,778
405,805

de Marienwerder
293.899
299,408
27
3,255
16,711
613 300
PR. DE POSNANIE
410,648
860,390
61
1
81,299
1,364,399
Régence de Posen
239.493
605,550
43
»
55,344
900,430

de Bromberg.. .
177,155
260,840
18
1
25,955
463,969
PR DE POMÉRANIE
1,145,939
10,630
16
1
8,487
1,165,073
Régence de Stettin
540,426
3,418
1
1
4,10
547,952

de Cöslin. . · . .
423.309
6,591
14
»
4,226
434,140

de Stralsund. . .
182,204
621
1
»
155
182,981
PR. DE SILÉSIE 1,558,215
1.476,905
28
11
30,650
3,065,809
Régence de Breslau. . . .
694,343
460,365
7
11
11,268
1.165,994
d'Oppeln
95.906
875,010
16
»
16.386
987,318

de Liegnitz.. . .
767.966
141,530
5
»
2,996
912,497
P. DE BRANDEBOURG
2,016,011
33,905
98
14
16,965
2,066,993
Régence de Polsdam, y
compris Berlin. .
1.191,758
23222
70
1
11.815
1,226,866

de Francfort. . .
824,253
10,683
28
13
5,150
840,127
PR. DE SAXE
1,626,328
111,432
5
1
4.6S6
1,742,452
Régence de Magdebonrg..
660.017
11,395
1
»
2,736
674,149

de Mersebourg. .
721,846
2,346
2
»
492
724,686
— d'Erfurt
244,465
97,691
2
1
1,458
343,617
PR. DE WESTPHALIE. . . .
622,026
808,824
2
90
14,771
1,445,719
Régence de Munster-. . .
39,631
378,194
»
6
3,213
421,044

de Mimlcn. . . .
268,926
184 918
1
49
5,909
459,833

d'Arensberg. . .
313,469
245,682
1
41
5.649
565,842
PR. DU RHIN
6.>8,874
2,074.153
1
1,281
28,388
2,763,080
Régence de Cologne. . . .
67.760
411,325
»
25
5.100
484,593

de Dusseldorf..
317,457
541.751
1)
917
7,489
887,614

de Coblentz.. . .
161.281
329.857
1
213
8,205
499,557

deTrêves
68,895
414.693
»
125
4.981
488,699

d' Aix la Chapelle
13,481
386,522
»
1
2.613
402.617
Population civile et milit
9,835.583
6,016.292
1,6 5
14.531
214,867
10112,948
Statistique des finances do la Prusse. Budget de 1852.
RECETTES.
I. Ministère des finances :
Thalers1.
Domaines et forêts
9,824,930
impôts directs
22,846,636

indirects
27,923,099 } 70,i75,800
Sel et loterie
9,306,262
Divers
572,853 y'
II. Ministère du commerce, de l'industrie et des travaux publics :
Postes et télégraphes
7,643,806
Mines, usines et salines
6,267,379
14,153,031
Autres recettes
241,866
III. Ministère de la justice
7,563,402
IV. Ministère de l'intérieur
589,862
A reporter:
92,782,115
» Le thaler vaut 3 fr. 72 c.

124
LIVRE CENT CINQUANTΕ -CINQUIÈME.
Report:
92,782,113
V. Ministère de l'agriculture
1,178,654
VI. Ministère des cultes, de l'instruction publ. et des affaires médicales.
78,77 2
VII. Ministère de la guerre
231,149
VIII. Ministère des affaires étrangères
Total des recettes
94,277,300
Excédant des années précédentes
2,723,721
Ensemble
97,001,021
DÉPENSES PERMANENTES.
A. Frais d'administration, d'encaissement et d'exploitation, dépenses des branches
séparées de l'administration :
I. Ministère des finances :
Thalers.
Domaines et forêts
3,578,290
Impôts directs
950,098
-
indirects
3,960,277
11,621,657
Loterie et sel
3,035,062
Dépenses diverses
97,930
II. Ministère du commerce, de l'industrie et des travaux publics :
Postes, télégraphes, journaux, etc
6/768,374 1
Fabrique de porcelaine de Berlin
110,895
11,896,648
Mines, forges et salines
5,017,379
B. Dotations
9,895,127
C. Administration de l'État :
I. Ministère d'État
210,065
II. Ministère des affaires étrangères
980,155
III. Ministère des finances
8,995,577
IV. Ministère du commerce, de l'industrie et des travaux publics.. . .
0,701,518
V. Ministère de la justice
9,797,637
VI. Ministère de l'intérieur
· ·
4,064,054
VII. Ministère de l'agriculture
1,772,846
VIII. Ministère de l'instruction publ., des cultes et des affaires médicales :
Culte évangélique
349,228

catholique
125,401
3,394,602
Instruction, arts et sciences
1,392,885
Dép. comm. affaires médicales, etc
927,088
IX. Ministère de la guerre :
Armée
23,273,630 )
Marine
411,716 V 27,298,375
Invalides, pensions, etc
3,613,719 î
Total des dépenses permanentes.. . .
93,628,261
Excédant des années précédentes
2,523,721
Ensemble
96,151,982
DÉPENSES EXTRAODINAIRES.
Ministère des
finance . .
92,000

du commerce et des travaux publics
1,180,000
A reporter :
1,272,000

EUROPE. — TABLEAUX STATISTIQUES DES ÉTATS DE LA PRUSSE.
125
Report :
1,272,000
de la justice. . . ·
212,120
de l'intérieur
56,000
de l'agriculture
156,117
des cultes, de l'instruction publique et des affaires médicales.
522,575
de la guerre
1,063,940
Dépenses extraordinaires
3,282,752

ordinaires
96,151,982
Ensemble
99,434,734
Recettes
97,001,021
Déficit
2,433,713
DETTE DE L'ÉTAT EN 1852.
Le capital de la dette de l'État portant intérêt s'élève à la somme de 151,154,055 tha
lers, dont pour :
Thalers.
Dette consolidée (bons de la dette du 2 mai 1852)
106,442,675
Emprunt volontaire de 1848 (obligations de 1848)
15,000,000

de 1850 (obligations de la dette du 1er juillet 1850)
18,000,000
Cautions des employés de l'État
5,990,000

des éditeurs de journaux
535,000
Emprunts à primes du commerce maritime
4,112,980
Exigence de la caisse des veuves de militaires
890,400
Exigence du fonds do secours des veuves et des orphelins des cmplo)és
des finances
183,000
151,154,055
Dettes provinciales
6,977,578
Exigence de la dette publique en 1852 :
Ecus.
Intérêts
5,947,372 9,658,500
Amortissement et autres
3,711,128
'
Dette ne portant pas intérêt
30,842,347
En vertu d'une ordonnance royale du 28 novembre 1851, il a été contracté un nou-
vel emprunt de 16,000,000 de thalers à 4 1/2 pour 0/0 pour construction de chemins
de fer.
Armée prussienne en 1852.
INFANTERIE.
Bataillons.
5 régiments de grenadiers
14
Régim. de landwehr de la garde (4).
Corps de la garde, 4 brigades
Chasseurs de la garde
1
Tirailleurs de la garde
1
A reporter :
16

126
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME.
Report :
16
32 régiments de ligne
96
8 régiments de réserve
8
8 corps d armée, 32 brigades et 2 brigades
pour les garnisons des forteresses fede-
Régiments de landwehr (32).
raies de Mayence et de Luxembourg.
Bataillons de landwehr (8).
Bataillons de chasseurs
8
Infanterie de ligne : 43 régiments et 18 bataillons
136
Landwehr du 1er ban : 32 régiments et 8 bataillons. 104
116
Landwehr de la garde : 4 régiments
12
CAVALERIE.
1 régiment des gardes du corps.
5

de la garde, dont 2 de landwehr»
8

de cuirassiers
4

de dragons.
12

de hussards.
8

de uhlans.
38 régiments de l'armée active,
Et 104 escadrons de cavalerie de landwehr du 1er ban.
ARTILLERIE.
1 régiment d'artillerie de la garde.
8



et une section d'artificiers.
Corps du génie : 216 officiers.
PIONNIERS.
9 compagnies de pionniers, dont 1 de la garde et 2 de réserve ; et do plus, la land-
wohr des chasseurs, de l'artillerie et des pionniers.
INVALIDES.
13 compagnies, non compris ceux des maisons des invalides de Berlin, do Stolpe et
de Rybnick.
Chaque corps d'armée est formé de 2 divisions; chaque division se compose de
I brigade d'infanterie, de 1 brigade de cavalerie, de 1 brigade do landwehr, de 5 à
6 bataillons d'infanterie, de 6 escadrons de cavalerie, de 6 compagnies d'artillerie
et de pionniers, et de 1 section de chasseurs; en tout: 29 bataillons d'infanterie,
24 escadrons de cavalerie, 1 régiment d'artillerie avec 96 bouches à feu, 1 section
de pionniers et 1 ou 2 compagnies d'invalides. La force d'un corps d'armée, sans y
comprendre la landwehr, peut être évaluée, sur le pied de paix, à 14,000 hommes
et à 3,000 chevaux.

Force totate de l'armée active, y compris la réserve. . . 225,550 hommes.
du Ier ban
174,616

Force totale de la landwehr
du 2e ban
175,196

575,362 hommes.

EUROPE. — TABLEAUX STATISTIQUES DES ÉTATS DE LA PRUSSE.
127
Tableau des divisions militaires de la Prusse.
CORPS D'ARMÉE.
QUARTIER GÉNÉRAL.
DIVISIONS.
QUARTIER GÉNÉRAL.
1re division.
Königsberg.
1
Königsberg
er copps.
2me »
Danlzick.
2me »
Stettin
3me
»
Stettin.
4me
»
5me »
Bromberg.
Francfort.
3me
»»
Berlin
6me
»
brandebourg.
4me
»
Magdebourg
7me
»
Magdebourg.
8me
»
Εrfurt.
9
Glogau.
5
me
»
me
»
Posen 10me »
Fosen.
Breslau
11me
»
Breslau.
6me
»
Neisse.
13"»
»
Munster.
7me
»
Munster
14me
»
Dusseldorf.
15me
»
Cologne.
8m
Coblentz
e
»
16me
»
Trèves.
Marine marchande de la Prusse en 1852.
A VOILES
A VAPEUR.
DISTRICT
DE
Capacité
Nombre.
Equipage.
Nombre.
Capacité.
Equipage.
en tonneaux.
VAISSEAUX.
Königsberg.. . .
138
27,203 1/2
1,498
7
368
55
Dautzick 118
26,187
1,440
4
142
29
Stettin 330
40,062
2,559
9
326
70
Cöslin
59
8.587
525
»
»
»
Stralsund 332
31,618 1/2
2,223
1
36
7
977
133,658 1/2
8,245
21
872
161
BATIMENTS DE CABOTAGE.
Konigsberg.. . .
1
23
3
»
»
»
bantzick
3
60
9
3
48
14
Stettin
186
3
2,811 1\\2
364
45
13
Cöslin
67
979
155
»
»
«
Stralsund
270
3.346 1/4
531
»

»
527
7,219 3/4
1,662
6
93
27

128
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
Suite de la Description de l'Europe — Allemagne septentrionale. — Description des
deux grands duchés de Mecklembourg-Schwerin et de Mecklembourg-Strelitz. —
Description des trois villes libres de Lubeck, Hambourg et Brême.

Le Mecklembourg forme deux grands-duchés, celui de Schwerin et celui
de Strelitz, gouvernés par des princes, appartenant à deux branches d'une
même famille. Considérée comme un seul État, cette contrée est bornée au
sud par la province prussienne de Brandebourg; à l'est par une partie de
cette province et la Poméranie ; au nord par la mer Baltique ; à l'ouest par
le territoire de la ville libre de Lubeck, dont le lac de Dassovv la sépare,
et par le duché danois de Lauenbourg, avec lequel une partie du cours de
la Steckenilz détermine une petite ligne de sa frontière-, au sud-ouest enfin
par le royaume de Hanovre, avec lequel l'Elbe forme une portion de sa
limite.
Il est probable que les plus anciens peuples du Mecklembourg apparte-
naient à la race Scandinave, et qu'ils furent subjugués au commencement
de notre ère par la nation des Wendes ou Venedi, connue en Europe sous
le nom de Vandales. Lorsque ces peuplades du nord se mirent en marche
vers le quatrième siècle pour conquérir des contrées soumises aux Romains
dégénérés, les habitants du Mecklembourg, qui portaient aussi, mais plus
anciennement, lenom de Vandales, abandonnèrent leur patrie, dans laquelle
plusieurs peuples slaves ou wendes ne tardèrent pas à s'établir. Ces Wendes
se divisaient en plusieurs tribus : les Heruli ou Herules, les Variai ou
Warnes , les Vilsi ou Wilses, et les Obotriti ; mais en peu de temps ces
derniers restèrent seuls maîtres du pays; et vers le neuvième siècle, leur
royaume s'étendait depuis la Steckenitz jusqu'à la Peenne.
Les ducs de Mecklembourg appartiennent à la plus ancienne maison
régnante de l'Europe. L'origine de cette maison est tellement reculée, que
les généalogistes et les historiens ne sont point d'accord sur le prince qui
la fonda. Selon les uns, elle descendrait de Genseric, roi des Vandales, qui
saccagea Rome l'an 455 de notre ère; selon d'autres, elle aurait pour chef
Wislas ou Wisilas, roi des Hérules, bisaïeul de Mistew II, dit le Fort ; on
peut donc, sans crainte d'exagérer l'ancienneté de cette maison , la faire
remonter jusqu'au temps de Charlemagne. Quelques-uns de ces princes
méritent une mention particulière: Jean, dit le jeune fonda en 1419 l'uni-

EUROPE. —DESCRIPTION DES DUCHÉS DE MECKLEMBOURG.
129
versité de Rostock ·, Jean-Albert, mort en 1576, introduisit la religion pro-
testante dans ses États; enfin Adolphe-Frédéric , qui, pour s'être uni aux
ennemis de la maison d'Autriche, fut détrôné en 1628 par l'empereur Fer-
dinand II, qui donna ses États à Walstein, mais qui après la paix de Prague,
et après que le roi de Suède l'eut rétabli sur le trône, se réconcilia avec
lui, donna le jour aux deux princes Frédéric et Adolphe-Frédéric II, chefs
des deux branches de Mecklembourg. Ceux-ci, après la mort de leur père,
se partagèrent ses États. Le premier fonda la maison de Schwerin, et le
second celle de Strelitz. Ces deux principautés sont restées séparées , et
font partie de la confédération germanique. Ce n'est qu'en 1815 que ces
princes commencèrent à prendre le titre de grands-ducs.
Le Mecklembourg ne forme pour ainsi dire qu'une vaste plaine sablon-
neuse, au milieu de laquelle s'étendent des forêts et des lacs ; ceux-ci même
sont sans exagération plus nombreux que les villes ; les plus considérables
sont ceux de Plan, de Flesen, de Mulchin, de Mürilz, de Cummerow, de
Schwerin, de Dassow, de Ribnitz, de Krakow, de Schaal, de Koelpin, de
Ratzebuurg, de Tollen et de Pelersdorf. Tous sont abondants en poissons.
Quelques montagnes s'élèvent au milieu de ces plaines basses; la plus con-
sidérable est le Rhunenberg ; sa hauteur au-dessus du niveau de la mer
Baltique est de plus de 300 mètres. Une autre montagne moins considérable
est le Pelersil, dans le grand-duché de Strelitz ; une troisième, nommée
Hohebourg, s'élève à 165 mètres ; le rocher appelé Heilige-Damm (la Sainte-
Digue), dont le nom indique peut-être l'antique vénération du peuple pour
cet amas de pierres plates et unies de différentes formes et de différentes
couleurs, qui, placé près de la ville de Dobberan, semble servir de digue
aux flots qui viennent s'y briser avec fracas, est un monument naturel assez
curieux. La mer Baltique forme deux enfoncements ou golfes assez consi-
dérables à l'ouest de cette digue naturelle: l'un est le Wallfisch et l'autre
le Sals-Haff, séparés par l'île de Pöel, longue d'un peu plus de 9 kilomètres
et la seule que nous ayons à citer sur la côte de Mecklembourg, généralement
escarpée et peu découpée.
Les principaux cours d'eau qui arrosent les deux grands-duchés sont :
la Steekenilz, le Warnow, la Recknitz, la Peene, et la Tollense, qui appar-
tiennent au bassin de la Baltique: les autres, tels que l' Elder et la Sude, sont
des affluents de l'Elbe.
Les sables siliceux du Mecklembourg sont remplis de gros cailloux et de
blocs roulés de différentes roches. Ils paraissent reposer sur de vastes dépôts
de craie; mais ils en sont séparés par des sables, des grès, des argiles rem-
VII.
17

130
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
plisde restes d'anciens végétaux ou delignites qui renferment des morceaux
de succin ou d'ambre.
Tout le pays qui compose les deux principautés de Mecklembourg fait
partie de la grande plaine qui s'étend depuis le pied des montagnes de la
Silésie, de la Saxe, du Harz, du Veser et du Rhin, jusqu'à la Baltique et à
la mer d'Allemagne, et qui se prolonge sans interruption depuis la Russie
jusque dans la Pologne, la Prusse et les Pays-Bas. Les parties voisines de
la mer sont si basses, qu'on est obligé de les garantir par des digues contre
les irruptions des flots. Les rivières qui descendent des montagnes causent
des débordements fréquents et inondent quelquefois des provinces entières.
Le nord et le nord-ouest du Mecklembourg, ainsi qu'une partie de la Pomé-
ranie, étant généralement plus élevés que le reste de la plaine septentrionale
de l'Allemagne, sont couverts d'un sol assez fertile, moins garni de landes
cl de bruyères; le sud-ouest du Mecklembourg présente des collines et de
longues vallées dont les sites variés rompent la monotonie des plaines. Le
centre du Mecklembourg en est la partie la plus élevée: cette espèce de
plateau se prolonge du sud-est au nord-ouest à travers tout le pays, mais
il est fréquemment entrecoupé par des enfoncements que remplissent les
lacs dont nous venons de donner la liste. Les points culminants des plaines
fournissent à des exploitations de pierres de construction, de grès et même
de quelques marbres. Dans les deux grands duchés les forêts sont encore
en assez grand nombre, malgré les défrichements faits dans ces derniers
temps.
Le climat du Mecklembourg est en général tempéré; mais les mombreux
lacs qu'il renferme y entretiennent une grande humidité. L'atmosphère
y est souvent chargée de brouillards. La température est plus douce dans
le Mecklembourg-Strelitz que dans le Mecklembourg-Schwerin.
Des deux grands-duchés, le Mecklembourg-Schwerin est le plus riche
en bestiaux ; on y élève aussi un grand nombre de chevaux : leur taille haute,
leur agilité et leur vigueur en ont fait une race fort estimée. Quant aux
produits agricoles, ils sont assez abondants; ils consistent en pommes de
terre, en céréales, en chanvre et en houblon ; de belles prairies fournissent
un excellent fourrage. Il faut dire aussi que l'agriculture a reçu dans ce
pays de grands perfectionnements, et que dans quelques localités, on est
parvenu, à force d'industrie, à remédier aux inconvénients d'un terrain sou-
vent sablonneux, ou bien humide et marécageux.
Le grand-duché de Mecklembourg-Strelitz se compose de deux parties
fort distinctes, séparées par le Mecklembourg-Schwerin : la plus orientale

EUROPE.—DESCRIPTION DES DUCHÉS DE MECKLEMBOURG.
131
est la seigneurie de Stargard, comprenant le territoire des villes do Fricd-
land , Furstemberg, Wesenberg, du bourg de Mirow et de Neu-Strelitz, sa
capitale ; l'autre partie,limitrophe des possessions danoises et du territoire
de Lubeck, porte le nom de principauté de Ratze ourg: tout le reste du
Mecklembourg appartient à la branche de Schwerin. Plusieurs petites
enclaves situées dans le Mecklembourg-Schwerin, dans le duché de Lauen-
bourg et entre ce duché et le territoire de Lubeck, font partie de ces deux
divisions.
Le Mecklembourg-Schwerin a une superficie de 228 milles carrés géo-
graphiques allemands ou de 610 lieues géographiques carrées. Sa popu-
lation était en 1852 de 543,328 habitants. Le Mecklembourg-Strelilz a
une superficie de 36 milles carrés géographiques allemands ou 101 lieues
carrées. Sa population qui en 1848 était de 92,292 habitants, ne dépasse
pas 100,000 âmes en 1852.
En faisant connaître l'organisation politique des deux grands-duchés de
Mecklembourg, les rapports qui existent entre la noblesse, la bourgeoisie
et les paysans, nous aurons indiqué tout ce que les deux principautés offrent
de plus intéressant sous ce point de vue. Le droit de succession à la cou-
ronne ducale s'exerce par droit de primogéniture ; l'héritier présomptif est
reconnu majeur à dix-huit ans; les autres princes du sang reçoivent des
apanages en numéraire, et les princesses une dot qui, jusqu'à présent, a
été fixée à 20,000 reichsthalers. D'après le traité fait en 1442 entre les
maisons de Mecklembourg et de Brandebourg, après l'extinction totale de
la première, le territoire doit appartenir à la seconde, c'est-à-dire au
royaume de Prusse. D'après d'autres traités qui remontent à l'an 1572 , et
renouvelés plusieurs foisdepuis, le grand-duc partage avec les seigneurs le
produit des contributions et le droit de rendre justice ; différents collèges
ont en outre le droit de veiller aux intérêts des communes ; enfin les seigneurs
des deux grands-duchés forment un corps séparé sous le nom de vieille
union du pays (Alte landes union).
A la tête des 112 familles seigneuriales sont placés trois maréchaux des
provinces, choisis chacun dans une de ces familles ; ils forment, avec huit
conseillers et le député de Rostock, un conseil chargé de diriger les affaires
seigneuriales et provinciales. Les principales villes du Mecklembourg nom-
ment en outre des députés qui s'assemblent annuellement sur la convocation
du grand-duc. La réunion des députés des deux grands-duchés compose
les Etats: ainsi ces États sont communs aux deux principautés et en dis-
cutent les intérêts. Ils s'occupent des affaires relatives aux contributions

132
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
et de la délibération des lois que le prince présente par écrit. Dans ces déli-
bérations, les députés ont le droit d'exposer les plaintes de leurs commet-
tants et de demander l'abolition des abus. Les seigneurs ont encore des
assemblées particulières dans les chefs-lieux du justice ; mais lorsqu'ils
jugent convenable de faire des convocations provinciales, ils doivent en
avertir le souverain. La cour suprême d'appel de Parchim étend sa juridic-
tion sur les deux duchés. Les villes ont en général le droit de nommer
leurs maires; les magistrats et tous les fonctionnaires qui dépendent du
ministère de la justice sont à la nomination du prince.
L'organisation politique et administrative du grand-duché de Meck-
lembourg-Strelitz , est tout-à-fait semblable à celle de l'autre grand-
duché.
Ces deux États réunis ont une seule voix à l'assemblée ordinaire de la
diète; mais celui de Mecklembourg-Schwerin a deux voix à l'assemblée
générale, et celui de Mecklembourg-Strelitz en a une. Le premier four-
nissait, avant 1848, à la confédération germanique un contingent de 3,580
hommes, et le second 718 ; mais depuis le contingent militaire a été porté
pour tous les États de 1 à 1 et demi pour cent de la population.
Dans les deux duchés de Mecklembourg, les princes de la famille régnante,
ainsi que la plupart des habitants, sont luthériens, ou, pour parler plus
exactement, sont attachés à la confession d'Augsbourg. Le clergé est sou-
mis à la juridiction des consistoires. Cependant on y compte aussi des
réformés, des catholiques et des juifs, qui jouissent du libre exercice de
leur culte.
Ce que nous venons de dire suffit pour donner une idée de l'organisa-
tion des deux grands-duchés de Mecklembourg. Jetons un coup d'œil sur
les principales villes qu'ils renferment, et commençons par la partie la
moins importante, la principauté de Strelitz, et par la seigneurie de Star-
gard (Herrschaft-Stargard), bornées par le Mecklembourg-Schwerin et
les États prussiens; celle seigneurie a 19 lieues de longueur et 5 à 6 de
largeur.
Nous aurons peu de chose à dire sur les cités que nous allons parcourir.
Stargard, que domine un vieux château, ne mérite une mention que pour
ses manufactures de drap, et surtout ses fabriques de poterie. Sa popula-
tion est d'un peu plus de 1,200 habitants. Friedland, qui en renferme
4,000, n'a pour ainsi dire d'autre industrie que la fabrication du tabac,
des pipes de terre et des cartes à jouer. Neu-Brandenbourg, ou le Nou-
veau-Brandebourg, ville située sur le lac de Tollen, et peuplée de 5 à

EUROPE. —DESCRIPTION DES DUCHÉS DE MECKLEMBOURG.
133
6,000 âmes, a des distilleries, des fabriques de drap et de toile de coton.
On cultive beaucoup de tabac et de houblon dans ses environs. Alt-Stre-
litz, ou Vieux-Strelitz, qui contient 3,500 habitants, dont environ 500
juifs, possède une maison de correction et d'aliénés, des fabriques de cuir,
de papier et de tabac. Enfin, Neu-Strelitz, ou Nouveau-Strelitz, capitale
du duché, sur le lac de Zierk, est remarquable par la régularité avec
laquelle elle est bâtie. Elle ne date que de l'année 1733·, ses rues, droites
et bien percées partent d'un même point, la place du marché, en formant
une étoile rayonnée. C'est le siége des colléges supérieurs du duché; on
y remarque le palais ducal, un gymnase, une belle école des arts et métiers,
et un institut appelé Carolinum, destiné aux maîtres chargés de l'éduca-
tion. Sa population est évaluée à 6,000 habitants; son industrie, assez
variée, consiste principalement en armes blanches et en divers ouvrages
en fer.
La principauté de Ralzebourg, séparée du grand-duché de Mecklem-
bourg-Strelitz par toute la longueur du Mecklembourg-Schwerin, est phy-
siquement limitée par le lac de Ratzebourg, la Wackenitz et la Trave; sa
longueur, du nord au sud, est de 5 lieues, et sa largeur de 3. Son sol est
assez fertile. Elle a pour chef-lieu Schönberg, petite ville de 1,200 habi-
tans. La ville danoise de Ralzebourg, qui donne son nom à la principauté,
appartient en partie au grand duché de Mecklembourg-Strelitz. C'est
aujourd'hui une station des chemins de fer de Berlin et de Hambourg à
Lubeck.
Dans le grand-duché de Schwerin, qui s'étend de l'est à l'ouest sur une
longueur d'environ 36 lieues, et sur une largeur de 20 du sud au nord,
on compte un plus grand nombre de villes importantes que dans le précé-
dent. Nous citerons d'abord Wismar, qui renferme 10,000 habitants;
située au fond d'un golfe, cette ville possède d'assez beaux chantiers de
construction. Elle est liée à Schwerin par un embranchement du chemin
de fer mecklembourgeois. On montre dans l'église de Sainte-Marie une
grille en fer, au sujet de laquelle le peuple rapporte diverses traditions
miraculeuses. Rostock, sur le Warnow, à 2 lieues de l'embouchure de
cette rivière dans la Baltique, est la plus importante résidence de la con-
trée. Le grand-duc y possède un palais. Elle est bâtie dans le goût gothi-
que, et divisée en trois parties : l'ancienne ville, la nouvelle, et celle du
milieu ; de vieilles fortifications forment son enceinte; sa population est
d'environ 20,000 habitants. Son université jouit de quelque réputation ;
elle fut fondée en 1419. Rostock possède aussi plusieurs écoles, des

134
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME,
sociétés savantes et une bibliothèque publique. On y remarque plusieurs
beaux édifices, entre autres, l'église de Sainte-Marie qui renferme le cœur
du célèbre Hugues Grotius, l'arsenal, et l'hôtel-de-ville appelé Promo-
tions-haut. Elle est la patrie du général prussien Blucher. Le commerce y
est considérable, grâce à son port, dont l'entrée est défendue par un fort
et qui peut recevoir des navires qui ne tirent pas plus de 3 mètres d'eau.
C'est à celte ville que vient se terminer la ligne de chemin de fer du
Mecklembourg. Dans ses environs, on cite les bains de mer établis à Dob-
beran comme les plus célèbres de toute l'Allemagne, non-seulement sous
le rapport des cures qu'on leur attribue, mais encore par la commodité des
logements, les sujets de distraction qu'on y trouve et la société choisie qui
s'y réunit. Warnemünde, à l'embouchure du Warnow, est le véritable
port de Rostock. Butzow, à 6 lieues de cette dernière, doit la plupart de
ses manufactures aux réfugiés français qui s'y établirent à l'époque de la
révocation de l'édit de Nantes.
Schwerin, autrefois Schwelfe, dont la population est de 13,000 habi-
tants, est située entre deux lacs; le plus considérable, qui porte son nom,
a plus de 22 kilomètres de long du sud au nord. Elle se divise en trois
parties : la vieille ville (Altstadt), la nouvelle (Neusladt) et le faubourg
(Vorstadt). Elle est entourée de murailles percées de deux portes, et passe
avec raison pour la mieux bâtie de tout le Mecklembourg. Elle ne renferme
cependant point de monuments remarquables : ses églises, la synagogue,
l'hôtel des monnaies et les hôpitaux sont les seuls édifices dignes d'une
capitale et de la résidence d'un prince souverain. Le palais du grand-duc
est bâti sur une des îles qui s'élèvent au milieu du grand lac de Schwerin,
et qui contribuent à y ménager des points de vue charmants. Les jardins
méritent d'être visités par les étrangers. Cependant ceux du château ducal
bâti à Ludwigsbourg, ou Ludwigslust, à 12 kilomètres de Schwerin, sont
encore plus agréables par leur situation au milieu d'un beau pays.
L'industrie de Schwerin consiste principalement en distilleries, en tan-
neries, en fabriques de drap, de tabac, de chapeaux de paille, de toiles et
de bougies de blanc de baleine. Celte capitale est aujourd'hui en commu-
nication avec les autres villes de l'Allemagne par un chemin de fer qui, à
Hagenow, vient se souder à la grande ligne de Berlin à Hambourg.
L'ancienne ville de Mecklembourg, qui donna son nom aux deux grands-
duchés, et qui fut la capitale du royaume des Obolrili, n'est plus aujour-
d'hui qu'un village de 600 habitants, chef-lieu d'un petit bailliage.
Parchim ou Parchen, sur le bord d'un petit lac, est le siége de la cour

EUROPE. — DESCRIPTION DES DUCHÉS DE MECKLEMBOURG.
135
suprême d'appel pour les deux grands duchés, et d'une sous-intendance
de la confession d'Augsbourg. Peuplée de 6,000 âmes, cette ville, divisée
en vieille et nouvelle, est entourée de murailles. Elle renferme des fabri-
ques semblables à celles de Schwerin, et des fonderies de cuivre et d'étain.
On croit qu'elle existait au deuxième siècle sous le nom d'Alistus, et que
son nom moderne lui vient de parcum, mot de la basse latinité, parce
qu'elle possédait, avant l'établissement du christianisme, un enclos qui
renfermait plusieurs idoles. Grabow, sur la rive gauche de l'Elbe, petite
ville où se tiennent annuellement quatre foires, est une station du chemin
de fer de Berlin à Schwerin et à Hambourg. Nous n'avons rien à dire do
Plau ou Plage, qui donne son nom à un lac ; de Röbel, fondée en 1226
par Henri Borwin II; de Boizenbourg, près des bords de l'Elbe, ville com-
merçante qui perçoit en droits de douane 3 à ί millions de francs par an ;
de Waren et de Warin, qui semblent rappeler le nom des Warini ou
Warnes ; de Krakow, dont l'origine date du treizième siècle, et à Malchin,
situé près du lac du même nom, et de quelques autres petites villes. Mais
Güstrow est plus importante, c'est une ville industrieuse et commerçante
d'environ 9,000 âmes, située sur la rive gauche du Nebel, et unie aujour-
d'hui par un embranchement au chemin de fer de Schwerin à Rostock.
Le commerce du grand-duché de Mecklembourg-Schwerin n'est pas
sans importance ; mais de tous les ports, celui de Rostock, ou plutôt celui
de Warnemünde qui dépend de cette ville, est le plus fréquenté ; il y entre
annuellement près de 700 navires ; et dans celui de Wismar, environ 160.
La marine marchande du grand-duché se compose de 318 bâtiments,
5 bateaux à vapeur et 52 bâtiments côtiers. Des grains, du beurre, des
fromages, du tabac, des bois de construction, des chevaux, des bêtes à
cornes, des porcs, sont principalement les objets d'exportation de ce pays.
Il reçoit de la Russie de l'huile, du suif et du chanvre ; de la France, des
vins ; de la Suède, du fer, des harengs, de la morue ; enfin, de l'Angleterre,
de l'étain, du plomb, du charbon de terre et divers produits de ses manu-
factures.
Les deux grands-duchés de Mecklembourg-Schwerin et Strelitz occupent
le quatorzième rang dans la Confédération germanique, et ils n'en sont
pas les États les moins intéressants. Cependant leur commerce et leur
industrie auraient encore beaucoup à gagner si l'on y ouvrait de nouvelles
voies de communication, et si l'on conduisait dans des canaux qui, offri-
raient alors aux produits d'utiles débouchés, les eaux des lacs et des
étangs si nombreux dans cette région.

136
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
L'industrie et le commerce ont une telle influence sur la civilisation,
par les richesses dont ils disposent et par l'esprit d'indépendance qu'ils
propagent, que partout où ils s'établissent, partout où ils prospèrent, la
liberté doit triompher tôt ou tard des obstacles que le pouvoir fait naître
pour entraver sa marche. Au moyen âge, les principales villes de l'Alle-
magne, soumises à l'Empire, étaient gouvernées par des évoques, des
ducs et des comtes, qui souvent tentèrent de conquérir leur indépendance.
Worms et Cologne prouvèrent leur attachement à l'empereur Henri IV en
embrassant sa cause malgré leurs évêques : ce qui détermina la couronne
à augmenter le nombre des hommes libres, en accordant aux individus de
la classe ouvrière de ces villes le droit, qui passait alors pour un privilège,
d'être affranchis de la coutume par laquelle le seigneur ou l'évêque qui
jouissait du gouvernement temporel héritait de tout leur mobilier ou du
moins de ce qu'il jugeait à sa convenance. D'autres villes obtinrent suc-
cessivement les mêmes avantages; bientôt elles achetèrent le droit de se
choisir des magistrats et de faire défendre leurs intérêts par des deputés
qu'elles envoyaient à la diète germanique. Ces libertés ou ces priviléges,
qui distinguèrent des autres cités les villes impériales, ne furent d'abord
réservées qu'aux citoyens qui habitaient leur enceinte. Bientôt les paysans,
qui cherchaient à se mettre à l'abri des vexations de leurs seigneurs,
payèrent le droit de s'établir sous leurs murs entre les fossés et les palis-
sades, on les appela pour celte raison bourgeois des palissades ( pfahl
burger). Leurs habitations, pressées autour des villes, prirent plus lard,
par suite de cette dénomination, le nom de faubourgs. Enfin les cités
obtinrent peu à peu d'étendre ce droit de franchise jusqu'à une distance
assez considérable de leurs remparts. Ceux qui vinrent s'établir sur ces
terres jouirent également du droit de bourgeoisie, sous le nom de bour-
geois du dehors (ausburer) : de là l'origine des villes libres possédant en
propriété des territoires également libres, et constituant ainsi plusieurs
petits États indépendants.
Tant d'avantages ne firent qu'augmenter la jalousie que les seigneurs
portaient aux villes impériales. Si la liberté est difficile à acquérir, elle est
bien plus difficile encore à conserver : ces villes, rivales sous le rapport de
leur commerce et de leur industrie, sentirent la nécessité de se réunir et
de former une sorte d'État fédératif, afin de résister plus facilement aux
tentatives des évoques et des nobles qui regardaient comme une usurpa-
tion les privilèges obtenus à prix d'argent.

EUROPE. — DESCRIPTION DES TROIS VILLES HANSÉATIQUES.
137
Telle fut l'origine de la ligue hanséatique, due à une cause semblable,
mais elle avait surtout pour but de favoriser le commerce de quelques-
unes de ces villes impériales. Le vieux mot allemand hanse1, qui signifie
alliance, n'annonçait pas seulement l'intention de faciliter entre elles les
transactions commerciales, mais de mainlenir, contre les tentatives des
princes qui habitaient les bords de la Baltique, la libre navigation sur
cette mer. On fait remonter cette ligue à l'an 1164, et Brème passe pour
être la première qui en conçut le projet et qui l'exécuta.
Les richesses que ces villes acquirent par cette alliance furent si consi-
dérables, que la plupart des cités commerçantes de différents pays deman-
dèrent à en faire partie, et l'on y vit figurer Anvers, Amsterdam, et plu-
sieurs autres ports de la Hollande ; Calais, Rouen, Bordeaux et d'autres
villes de France-, enfin Cadix, Lisbonne, Naples et Londres ; mais cette
confédération gigantesque se réduisit peu à peu à quelques villes mari-
times de la Baltique.
Quant au nombre des villes dont la hanse était composée, l'on voit aisé-
ment qu'il doit être impossible de rien dire de certain. Tantôt de nouveaux
membres furent admis, tantôt d'anciens exclus, par forme de punition ou
par jalousie; de sorte que les listes données par plusieurs auteurs offrent
des contradictions et des doutes sans nombre.
Le nombre des villes qui avaient droit de voter dans les assemblées
générales ordinaires paraît avoir été de soixante-dix à quatre-vingts dans
le temps de la plus grande considération de la hanse ; celui des villes en
quelque sorte associées ou subordonnées a varié selon les temps. Ce qu'on
va lire suffit pour se former une idée de l'importance et de l'étendue de
cette fédération.
La hanse était composée de villes contributionnaires qui participaient à
toutes les dépenses communes selon les besoins du moment, et de celles
qu'on appelait annuistes, parce qu'elles ne payaient qu'une rétribution
annuelle qui était fixée une fois pour toutes. Celte distinction est essen-
tielle, car la première classe des villes jouissait seule du droit de voter
dans les assemblées générales ordinaires, qui avaient lieu tous les trois
ans, et où les affaires communes se décidaient; les villes de la seconde
1 Nous ne doutons pas que le vieux verbe hanser et le substantif hanse, ainsi que hans,
compagnon, camarade, et hansgraf, juge d'une corporation, n'aient originairement
quelque rapport au mot hand, la main, et à l'ancienne coutume de se saluer et de
conclure les marchés, et même les négociations les plus solennelles, en se touchant
dans la main.
VII.
18

138
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
classe n'avaient de voix immédiate que dans les assemblées de quartier,
ou bien dans les assemblées générales extraordinaires, lorsqu'il s'agissait
de renouveler le pacte de fédération. Les quartiers étaient au nombre de
quatre. Lubeck était la république directrice, ou, comme l'on disait, la
métropole de celui qui comprit Hambourg, Brème, Lunebourg, Wismar,
Rostock, Stralsund, et quelques autres villes nommées Vandaliques, les-
quelles ont constamment joué les premiers rôles dans la fédération. Le
quartier dont Brunswick était la métropole comprenait Magdebourg, Bran-
debourg, Hildesheim, Hanovre Eimbeck, Gottingue, et autres villes, la
plupart appelées Trans-Vandaliques, à cause de leur situation par rapport
à Lubeck. Les côtes orientales de la mer Baltique formaient un quartier
qui reconnaissait Dantzick pour métropole; les villes de Thorn, Elbing,
Konigsberg, Riga, Revel, Narva, et anciennement Wisby, sur l'île de
Gotland, en étaient les membres les plus distingués. Le quatrième quar-
tier comprenait toutes les villes de l'ancienne hanse occidentale, telles que
Munster, Osnabruck, Dortmund, Nimègue, Deventer, Groningue, Cam-
pen, Dordrecht, et autres villes de la Westphalie et de la Hollande, à la
tète desquelles se trouvait Cologne, regardée comme la seconde en rang
parmi les quatre métropoles. Ces métropoles convoquaient les assemblées
de quartier, et leur soumettaient les articles sur lesquels on allait délibérer
en assemblée générale, ou, comme on disait, en hanse commune,
La hanse possédait en outre, pour maintenir son commerce dans les
pays où on le favorisait, quatre grands comptoirs, à Novogorod pour la
Russie, à Bergen dans la Norvége, à Londres et à Anvers; d'autres comp-
toirs, dépendant d'un seul quartier ou d'une seule ville, se trouvaient sur
tout à Stockholm, à Cadix et dans quelques ports de la France. On enten-
dit, sous ce nom de comptoirs, de véritables colonies, composées des
maisons de commerce originaires d'une ville hanséatique, ou qui s'étaient
liées par serment de fidélité à la hanse. Ces colonies ne trafiquaient qu'avec
les villes hanséatiques, se servaient des mêmes mesures, des mêmes poids,
des mêmes us et coutumes, employaient pour la plupart la langue alle-
mande, recevaient leurs lois de l'assemblée générale de Lubeck; en un
mot, elles étaient absolument dévouées aux intérêts de la hanse1.
Outre ces colonies dans l'étranger, plusieurs villes hanséatiques for-
1 Ces colonies n'étaient que sujettes, et non pas alliées de la hanse. Ce n'est donc
qu'improprement que plusieurs auteurs français disent que Calais, le Havre, Brest,
et autres villes françaises, ont été villes hanséatiques. La même observation doit s'ap-
pliquer à Bergen, à Stockholm et à d'autres places.

EUROPE. — DESCRIPTION DES TROIS VILLES HANSÉATIQUES.
139
niaient avec d'autres cités de l'Allemagne des confédérations, qui leur y
donnaient souvent une influence prédominante.
Lubeck représentait le chef de cette puissante fédération ; c'était à cette
ville qu'on avait laissé la direction des affaires courantes, l'expédition et la
promulgation des lois, la correspondance avec les puissances étrangères;
elle convoquait des assemblées générales, qui se tenaient ordinairement
dans ses murs et sous sa préséance ; elle nommait tous les ans le syndic
de la hanse ; enfin, le trésor et les archives étaient sous sa garde. Pendant
le cours de quatre siècles, Lubeck n'a été qu'une seule fois menacée de
perdre la confiance de ses co-alliés.
Les principes qui animaient la confédération hanséatique peuvent être
rangés sous deux classes différentes. Si l'on regarde les uns, ce n'est qu'un
juste amour de l'indépendance, ce n'est que fraternité, ordre et justice
qu'on y découvre ; les premiers rayons de la saine politique et d'une légis-
lation régulière y brillent à travers la nuit des siècles ignorants ; la paix et
l'humanité semblent y avoir trouve un asile contre la barbarie, et l'on est
affligé de ne pas voir tous les royaumes s'engloutir dans celte union répu-
blicaine. Mais, en poursuivant plus loin l'examen des décrets des assem-
blées hanséatiques, on découvre bientôt ces vues usurpatrices et oppres-
sives, cette insatiable avidité, ces basses intrigues, cette perfidie, cette
froide cruauté, qui ont toujours caractérisé les États dont le but était un
monopole universel en commerce ; on ne voit dans ces villes hanséatiques
qu'autant de Cartilages. On est forcé d'applaudir aux courageux et sages
souverains qui ont lutté contre ces insolents marchands, dont l'astucieuse
politique aurait voulu voir se courber sous leur aune de Lubeck, comme
sous un sceptre de fer, tous les peuples de l'Europe septentrionale.
Par un heureux concours de mesures oppressives ; par la jouissance de
privilèges immenses et exclusifs ; par l'établissement de postes régulières,
lorsqu'il n'y en avait aucune trace dans le reste de l'Europe-, par l'exercice
souvent mal fondé, du droit d'étapes, et par plusieurs autres moyens que
nous ne pouvons pas tous énumérer, la hanse Teutonique accapara toutes
les richesses de l'Europe septentrionale. Elle armait des flottes, levait des
a mées, déclara la guerre aux rois, et jouit d'une telle considération, que
les princes mêmes soumirent leurs différends à son arbitrage.
La découverte de l'Amérique et du cap de Bonne-Espérance aurait pu
lui ouvrir de nouvel es carrières, mais elle n'en sut point forcer l'entrée.
Les efforts que fit Charles V, pour étendre le commerce des Pays-Bas,
furent aussi autant de coups portés à la hanse.

140
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
Ce fut vers la fin du seizième siècle que les symptômes d'une dissolution
totale de la hanse devinrent plus fréquents.Telle était encore la considération
dont jouissait la confédération, que les Provinces-Unies et le roi de Suède
briguèrent leur union. Un traité d'union eut lieu entre la hanse et la Hol-
lande en 1616 ; mais ce furent les dernières lueurs de sa gloire. Le renouvel-
lement de l'union, proposé en 1604, n'avait été signé que par une dizaine de
villes. Vers l'année 1630,1a confédération était absolument dissoute de fait.
A l'époque de sa prospérité, l'union hanséatique était une puissance
maritime formidable ; elle eut, ainsi que nous l'avons dit, ses vaisseaux de
guerre et ses soldats ; ses flottes furent redoutables aux rois de Danemark :
au quatorzième siècle, elles bloquèrent Copenhague, et forcèrent Walde-
mar III à céder à la confédération une des petites îles danoises. En 1428,
40 vaisseaux, montés par 12,000 soldats, sortirent de ses ports, et mar-
chèrent contre Érik, roi de Danemark; en 1615, elle secourut Brunswick,
assiégée par son duc, qui fut forcé d'en lever le siége : elle eut tour à tour
pour protecteurs le grand-maître de l'ordre Teutonique, la Suède et le
Danemark. Au commencement du dix-huitième siècle, le nombre des villes
hanséatiques se réduisait à six: Brème, Lubeck, Hambourg, Rostock,
Dantzick et Cologne. Ce titre qu'elles conservaient n'avait déjà plus de
signification : elles n'avaient plus d'armées à solder, de monopole à proté-
ger, d'alliances à maintenir. Aujourd'hui même, Lubeck, Hambourg et
Brême ne sont plus considérées que comme des villes libres, jouissant d'un
gouvernement particulier.
Examinons la situation politique et commerciale de chacune d'elles.
Le territoire de Lubeck se compose de trois parties, dont la plus grande
est enclavée dans le duché de Holstein, et est arrosée par la Trave, la
Wachenitz et la Steckenitz : elle a environ 9 à 10 lieues de superficie. Les
deux autres, beaucoup plus petites, sont formées de petites enclaves situées
dans le duché de Lauenbourg, ou entre ce duché et ceux de Holstein et de
Mecklembourg-Strelitz. Ce territoire renferme 2 villes et 79 villages et
hameaux; sa superficie est de 598 milles carrés géographiques allemands,
ou de 16 lieues carrées, et sa population de 47,742 habitants. Lubeck, sa
capitale, en possède à elle seule 29,852. Elle s'élève au confluent des trois
rivières de la Trave, de la Wackenitz et de la Steckenilz, qui se jettent à
trois lieues de là dans un golfe qui porte son nom, et elle est unie aux
autres villes de l'Allemagne par un embranchement spécial, qui se soude
près de Buchen à la ligne de chemin de fer de Hambourg à Vienne par le
Mecklembourg.

EUROPE. — DESCRIPTION DES TROIS VILLES HANSÉATIQUES.
1 41
Il est peu de villes qui soient mieux situées pour le commerce de la Bal-
tique. Bâtie par Godescalde, roi des Hérules ou des Obotriti, l'an 1066,
elle n'était qu'un gros bourg que les Rugiens avaient saccagé, lorsqu'on
1144, Adolphe II, comte de Holstein, la releva et la plaça au rang des villes.
En 1158, elle fut cédée au duc de Saxe, Henri le Lion, qui l'agrandit, pré-
para sa splendeur et lui donna un code de lois qui porta le nom de Droits
de Lubeck, et qui devint dans les quatorzième et quinzième siècles la base
des codes civils commerciaux de toutes les villes hanséatiques et de leurs
nombreuses possessions. En 1161, elle fut le siége d'un évêché qui jus-
qu'alors était établi à Oldenbourg. Ruinée plusieurs fois par les Danois,
son commerce l'aida toujours à se relever. Fatiguée des assauts qu'elle
avait à soutenir contre des voisinsbarbares, elle se mit, au commencement
du treizième siècle , sous la protection de l'empereur Frédéric II, qui la
déclara ville libre et impériale. Elle entra ensuite dans la ligue hanséatique
et y tint pendant longtemps un rang considérable ·, enfin elle devint le
chef-lieu d'un des arrondissements des Bouches-de-l'Elbe. Trois ans plus
tard elle reprit son rang de ville libre, qui lui a été garanti par les actes du
congrès de Vienne.
Lubeck, entourée de remparts garnis de beaux arbres, est construite en
grande partie sur une colline. Ses rues, qui ont beaucoup de pente, sont
larges, alignées, propres et composées de maisons bâties en pierres, mais
dans le goût antique-, quelques-unes cependant, parmi les plus modernes,
se font remarquer par leur élégance. On cite au nombre de ses principaux
édifices, l'ancienne cathédrale, qui renferme plusieurs objets d'antiquité;
l'église de Sainte-Mario, dans laquelle on remarque une horloge curieuse
comme machine uranographique, et des peintures allégoriques représen-
tant la danse des morts. Les tours de cette église ont 130 mètres de hau-
teur. Nous devons encore nommer l'hôtel-de-ville, vieil édifice appelé la
maison du conseil, où l'on voit la célèbre salle hanséatique, celle du con-
seil ornée de belles peintures, et celle de la trésorerie décorée de sculptures.
L'ancien arsenal et la bourse n'ont rien qui mérite de fixer l'attention. On
n'a point négligé dans cette ville de fonder et d'entretenir des établissements
destinés à l'éducation primaire, à l'éducation commerciale et industrielle,
à la destruction de la mendicité, et au soulagement du malheur et de l'in-
digence.
Lubeck a donné le jour à quelques hommes distingués, tels que le
médecin Meibom ou Meibomius, l'antiquaire Kirchman, et le peintre
Kneller.

142
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
La ville et le territoire de Lubeck forment une petite république dirigée
par un sénat de 20 membres nommés à vie, parmi tous les citoyens de la
république, sans égard à leur position sociale, et parmi lesquels on choisit
tous les deux ans, deux membres pour remplir les fonctions de bourg-
mestre. La bourgeoisie est représentée par 120 délégués élus pour six ans
par 11 districts. Les revenus de l'État sont estimés, en 1852, a 1,144,262
francs; les dépenses à 1,156,812 fr. 80 c, et la dette publique à 7 mil-
lions de francs. Depuis 1816, chaque citoyen est imposé à une contribu-
tion extraordinaire destinée à l'amortissement de la dette nationale. La
force armée consiste en 15 compagnies de garde bourgeoise et en un con-
tingent de 940 hommes pour la confédération germanique.
Le gouvernement lubeckois a une voix à la diète germanique réunie en
assemblée générale, et une voix avec le landgraviat de Hesse-Hombourg et
les villes libres de Brème, Hambourg et Francfort, lorsque la diète est
constituée en assemblée particulière.
On compte à Lubeck un grand nombre de manufactures et on y con-
struit des navires. Le commerce consiste principalement en denrées colo-
niales, en exportations de grains et en importations de divers produits
qu'elle tire de la Suède, de la Russie, de la France, de la Hollande et de
l'Angleterre.
Les gros navires qu'elle reçoit arrivent à Travemande, petite ville for-
tifiée qui compte 1,800 habitants, et située à l'embouchure de la Trave
dans la mer Baltique; cette ville, qui s'enrichit par le commerce de Lubeck,
est fréquentée par un grand nombre d'étrangers qui viennent y prendre
des bains de mer. Du haut de son phare, on jouit d'une vue magnifique qui
s'étend d'un côté sur la mer, et qui, du côté de la terre, se prolonge bien
au delà du territoire de Lubeck. Les navires d'un fort tonnage déchargent
leurs marchandises dans la rade. Un service de bateaux à vapeur établit
des communications fréquentes et rapides entre ce port et ceux du Havre,
de Kronstadt, de Copenhague et de Stockholm. Au moyen de ce service,
on ne met que huit à dix jours pour aller de Paris à Saint-Pétersbourg.
Hambourg s'éleva, au commencement du neuvième siècle, près d'une
forteresse construite par Charlemagne, sur les bords de l'Elbe, pour servir
de boulevard à l'Allemagne contre les Wendes païens. En 810, cette con-
struction fut détruite par les Vilses ; mais la position avantageuse de la
nouvelle ville pour le commerce ne tarda pas à y attirer un grand nombre
d'habitants ; elle fut érigée en évêché. En 1002, les Wendes la saccagèrent
et détruisirent sa cathédrale. Plus tard, la ville fut fortifiée. En 1258, elle

EUROPE. — DESCRIPTION DES TROIS VILLES HANSÉATIQUES.
143
possédait un territoire considérable et jouissait déjà d'une constitution
municipale et de prérogatives importantes. Enfin, en 1618, elle fut décla-
rée ville libre de l'Empire, et dès cette époque elle se plaça à la tête des
principales cités commerçantes de l'Allemagne. Elle était l'une des villes
les plus florissantes de l'Europe, lorsque, par sa réunion à l'empire fran-
çais, elle devint en 1810 1e chef-lieu du département des Bouches-de-
l'EIbe ; elle renfermait alors 107,000 habitants. Ses environs, couverts de
plantations, de riches maisons de campagne et de terrains en culture, res-
semblaient à un magnifique jardin qu'embellissaient le cours de l'Elbe, de
l'Alster et de la Bille, ainsi que des sites variés et délicieux. Mais en 1813
on dut, pour étendre ses fortifications qui furent mises sur un pied formi-
dable, faire disparaître ce qui concourait à embellir ses alentours. Devenue
place forte de premier ordre, elle perdit beaucoup de sa richesse et de son
importance commerciale; mais la paix, en rendant la vie au commerce, a
fait renaître dans cette antique cité l'activité et l'aisance qui la distin-
guaient de ses rivales; et lorsqu'elle put recevoir dans son port les vais-
seaux de toutes les nations, son indépendance était de nouveau proclamée.
En 1814, elle ne comptait plus que 60,000 habitants; aujourd'hui, on
estime sa population à 115,866 âmes, et avec ses faubourgs à 148,754
âmes, parmi lesquelles on comprend environ 2,000 catholiques, 4,000
réformés, 500 mennonites et 6,000 juifs; tout le reste appartient à la con-
fession d'Augsbourg.
Dans une ville aussi riche, on est étonné de ne pas voir un plus grand
nombre de beaux édifices : l'église de Saint-Michel, dont la tour est haute
de 125 mètres ; celle de Saint-Nicolas, dont l'orgue passe pour être le plus
grand qui existe ; l'hôlel-de-ville, la Bourse, l'hôtel Potocki, l'Amirauté
et la maison d'Eimbeck, sont les seuls qu'on puisse citer; encore ne sont-
ils remarquables que parce que la ville vieille, où ils sont presque tous
situés, ne renferme que des rues sales et étroites et des maisons très-éle-
vées, pour la plupart en briques et en bois. Le quartier que l'on nomme
la nouvelle ville offre de belles rues, des maisons bien bâties, et sur les
rives de l'Alster, une jolie promenade appelée le Jung-fern-stieg. L'Alster,
qui vient du Holstein, s'élargit un peu au-dessus de la ville et traverse un
lac dont une partie se trouve hors des remparts, et l'autre, sous le nom de
Binnen-Alster, forme dans l'intérieur un vaste bassin entouré de belles
plantations d'arbres. La multitude de bateaux qui couvrent ce bassin et
qui lui donnent l'air d'une ville flottante, la foule des promeneurs qui cir-
culent autour pendant les soirées d'été, ont quelque chose qui étonne et

144
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
frappe tout à la fois l'œil de l'étranger. L'Alster se répand ensuite dans
une douzaine de petits canaux qui, parcourant tout le centre de la ville,
sont d'un immense avantage pour le commerce.
L'activité qui règne au port depuis le matin jusqu deux heures, l'af-
fluence des commerçants de toutes les classes qui se pressent ensuite à la
Bourse, le nombre d'équipages qui parcourent la ville à toute heure, pla-
cent cette cité commerçante après Londres et Amsterdam pour l'importance
des affaires et le luxe des habitants. L'intérieur des habitations ne dément
point l'idée qu'on s'en fait en la parcourant. Le luxe de la table, le goût
des réunions, celui de la parure et des plaisirs, s'y font remarquer dans
presque tous les rangs.
Hambourg est un asile ouvert aux hommes de toutes les nations, de
tous les partis. Quoique le goût des sciences, des lettres et des arts le cède
à celui des sciences commerciales, cette grande ville s'enorgueillit d'avoir
donné le jour à plusieurs savants ou érudits : c'est la patrie d'Ebeling, de
Busch, de Reimarus, du savant Basedow qui s'occupa de théologie et
d'éducation, du littérateur Gronovius, du poëte Hagedorn, de l'érudit
Holstenius, du chroniqueur Krantz, du bibliographe Lambecius et du
médecin Rolfinck. Elle possède plusieurs établissements d'utilité et d'in-
struction publiques, parmi lesquels nous devons citer la bibliothèque
publiqu3 riche de près de 100,000 volumes, le gymnase et le collége
appelé Johanneum, qui comptent parmi leurs professeurs des savants
distingués.
On ne rencontre point de mendiants dans cette ville ; cependant elle
renferme, dit-on, environ 12,000 pauvres, ce que l'on conçoit facilement
quand on sait que les objets de première nécessité y sont extrêmement
chers. Mais l'administration entretient des maisons de travail pour la men-
dicité, et divers hospices pour les malades et pour les enfants trouvés.
Le gouvernement hambourgeois est aristo-démocratique. La souverai-
neté est partagée, d'après la Constitution nouvelle de 1850, entre un sénat
composé de 15 membres, dont 7 doivent avoir étudié le droit et les finances,
et les autres doivent appartenir au commerce, et le corps de la bourgeoisie.
Ce dernier est formé de 192 membres, dont 96 sont choisis parmi les habi-
tants de Hambourg, 48 nommés par les propriétaires fonciers les plus
imposés, et 48 pris dans la magistrature, le commerce et l'industrie. Dans
les cas urgents, le sénat s'adjoint un conseil de 20 membres pris dans la
bourgeoisie et qui porte alors le nom de comité civique. Le sénat et la
bourgeoisie concourent à la nomination de 3 bourgmestres.

EUROPE. — DESCRIPTION DES TROIS VILLES HANSÉATIQUES.
145
Hambourg, quoique ville fermée, entretient un corps de troupes peu
considérable-, son contingent pour la confédération est de 3,580 hommes.
Sa tranquillité intérieure est maintenue par une garde bourgeoise de
10,000 hommes ; tous les hommes de vingt à quarante-six ans en font
partie; on n'en exempte que les magistrats, les pasteurs, les maîtres d'école,
les médecins et les pharmaciens, excepté dans les grandes circonstances.
Le gouvernement hambourgeois a une voix à la diète germanique géné-
rale, et se joint aux trois autres villes libres de l'Allemagne pour une voix
à la diète ordinaire.
Les finances ne sont pas le côté brillant de la république de Hambourg.
Les revenus de Hambourg et de son territoire s'élèvent, pour 1851, à
11,575,117 francs, et les dépenses à 11,727,292 francs. La dette publique
dépasse 50 millions de francs, et fait figurer la république au quatrième
rang après l'Espagne, la Hollande et l'Angleterre, parmi les États où la
dette est la plus lourde proportionnellement au nombre des habitants.
A Hambourg, le nombre des fabriques est considérable. C'est dans ses
murs que l'on fume la viande connue sous le nom de bœuf de Hambourg,
et dont elle fait une grande exportation. Sur son territoire et sur les terres
voisines de ses possessions, elle entretient plus de 20 fonderies de cuivre
et 8 de laiton. Mais le produit de son industrie manufacturière n'est point
à comparer à celui de son commerce avec l'étranger. C'est la première
place de commerce de l'Allemagne; elle est le grand marché de la Saxe, de
la Bohème, et de tous les pays baignés par l'Elbe et ses affluents, avec les-
quels elle est d'ailleurs plus étroitement liée depuis quelques années par
une triple ligne de chemins de fer, se dirigeant, la première, vers Berlin et
l'Allemagne orientale, par le Mecklembourg ; la seconde, vers Francfort et
l'Allemagne occidentale, par Harbourg et Hanovre, et la troisième, enfin,
se dirigeant au nord vers Kiel et les États danois. Elle possède 351 navires,
qui entretiennent des relations continuelles avec les ports des nations voi-
sines, et même avec Lisbonne. Elle fait souvent des armements considé-
rables pour la pêche de la baleine, et l'on peut évaluer à plus de 4,400 le
nombre de bâtiments qui entrent dans son port ou qui en sortent annuel-
lement. Son commerce de denrées coloniales est de la plus haute impor-
tance.
Du côté de la terre, la ville est mieux fortifiée que du côté de la mer, où
elle est quelquefois sujette à des inondations, malgré la digue qui s'élève le
long de l'Elbe.
Hambourg et son territoire forment une superficie de 20 lieues carrées ;
VII.
19

146
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME
on y compte, outre la capitale, une petite ville, 2 bourgs, 13 villages et
50 hameaux, dont la population s'élève à 39,300 habitants. Ce territoire se
compose de trois parties, 1° les terres qui entourent la ville ; 2° le bailliage
de Bergedorf, situé également près de la ville, sur la rive droite de l'Elbe,
et comprenant quelques îles de ce fleuve et plusieurs paroisses enclavées
dans le Holstein ·, 3° le baillage de Ritzebùttel, qui s'étend entre l'embou-
chure de l'Elbe et celle du Weser, au nord du territoire hanôvrien de Stade,
qui le sépare de celui de Hambourg ; il comprend, à l'embouchure de l'Elbe,
la petite île de Neuwerk, de 2 lieues de superficie.
La petite ville de Bergedorf, ou Bargedorff, est à 3 lieues au sud-est de
Hambourg, au confluent de la Bille et d'un canal qui va se joindre à l'Elbe ;
elle renferme une église, un château, et 3,200 habitants. Le bourg de Rit-
zebüttel est à 20 lieues au nord-est de Hambourg, près de la rive gauche et
vers l'embouchure de l'Elbe. 11 est bien bâti et dans une situation agréable;
sa population est de 2,000 habitants. Les voyageurs qui viennent de Ham-
bourg y séjournent jusqu'au moment où ils peuvent s'embarquer à Cux-
haven, petit village peuplé de pêcheurs, et situé dans le même bailliage, à
un quart de lieue au nord de Ritzebùttel. Le port de Cuxhaven est vaste,
commode, et un des plus sûrs de la côte. Ce fut pour s'assurer de la navi-
gation de l'Elbe jusqu'à la mer que la ville de Hambourg fit, au quatorzième
siècle, l'acquisition du territoire qui forme le bailliage de Ritzebùttel.
En remontant le Weser, depuis son embouchure jusqu'à son confluent
avec la Wümme, nous arrivons au territoire de Brême, qui est borné à l'est
et au sud par le fleuve et au nord par la rivière.
La ville de Brême, ou de Bremen, comme siége des assemblées de l'an-
cienne ligue hanséatique, figurait jadis en première ligne parmi les cités de
cette ligue ; elle est située à 12 lieues des bouches du Weser. Elle était déjà
considérable sur la fin du huitième siècle, lorsque Charlemagne y fonda
un archevêché; aujourd'hui elle renferme 53,478 habitants, dont les deux
tiers appartiennent au culte réformé. Sa cathédrale est réservée à ceux qui
suivent la confession d'Augsbourg, et quatre églises paroissiales aux réfor-
més. Ses établissements d'instruction et de bienfaisance sont nombreux cl
bien tenus ; les édifices les plus remarquables sont : l'observatoire du docteur
Olbers, qui naquit dans cette ville; la bourse, la maison des notables et
l'hêtel-de ville, recommandable aux yeux des gourmets pour ses caves, qui
renferment les vins du Rhin les plus estimés par leur âge et leurs qualités.
Sur la grande place, on voit la statue de Roland. Brême est divisée par le
Weser en vieille et nouvelle ville : la première est sombre et mal bâtie; la

EUROPE. — DESCRIPTION DES TROIS VILLES HANSÉATIQUES.
147
seconde, sur la rive gauche du fleuve, contient quelques rues alignees et
des maisons construites dans le goût moderne. Ses anciennes fortifications
ont été transformées en promenades. Son commerce a reçu une nouvelle
activité depuis qu'elle est unie, par un embranchement qui suit la rive
droite de l'Elbe, à la grande ligne de chemin fer de Cologne-Hanôvre-Berlin.
Cette ville possède un grand nombre de manufactures; on y fabrique de
la toile, du camelot, des draps, des bonnets et des bas de laine, du tabac,
de l'huile et des glaces. Ses raffineries de sucre sont estimées, et ses bras-
series fournissent la bière qui a le plus de réputation en Allemagne ; mais
c'est surtout par son commerce qu'elle acquiert le plus d'importance. Elle
est située de la manière la plus avantageuse pour servir d'entrepôt à toutes
les marchandises qui descendent le Weser; aussi fut-elle considérée, après
Hambourg, comme l'une des plus importantes conquêtes de la France sous
le gouvernement impérial. Elle devint alors le chef-lieu du département des
Bouches-du-Weser. Elle fait des pêches considérables de harengs, de sau-
mons et de baleines; en 1817, elle expédia 41 navires pour celle du hareng.
Elle tire annuellement de l'Allemagne pour plus de 5,000,000 de reichs-
thalers de toiles, que l'on apprête dans ses blanchisseries, ainsi que plu-
sieurs autres produits contre lesquels elle fournit des vins de France et
d'Espagne et diverses denrées coloniales. On estime à plus de 1,000 le
nombre des navires qui entrent tous les ans dans son port. Son commerce
est favorisé par 250 navires qui lui appartiennent, par plusieurs compa-
gnies d'assurance maritime, une banque et une caisse d'escompte. Ses
revenus sont estimés, en 1852, à 3,689,706 francs; ses dépenses, à
3,638,690 francs.
Le territoire qu'elle possède compte 25,569 habitants et 10 lieues de
superficie; il contient 35 villages ou hameaux, et le bourg de Vegesack.
Ce bourg et Elfsleth, dans le duché d'Oldenbourg, lui servent de port.
Les gros vaisseaux ne peuvent même arriver jusqu'à ces deux petits ports,
qui sont situés à quelques lieues de la mer ; les marchandises sont trans-
portées à la ville sur des barques.
Brême est gouvernée par un sénat de 16 membres nommés à vie, dont 5
au moins doivent être commerçants, et par une chambre de 300 représen-
tants nommés par la bourgeoisie pour quatre années. Le sénat choisit
dans son sein 2 bourgmestres qui restent en charge pendant quatre ans ;
de telle sorte que tous les deux ans, l'un d'eux quitte ses fonctions.
Le patriotisme qui règne dans cette petite république y a fait partager en
diverses classes tous les citoyens en état de porter les armes. Les hommes

148
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
de vingt-six à trente-cinq ans forment cinq bataillons ; les employés du
gouvernement en sont seuls exemptés, lorsque leurs fonctions sont incom-
patibles avec le service militaire. Les hommes de vingt à vingt-cinq ans
composent aussi un bataillon-, c'est le seul qui soit équipé et habillé, ce
qui se fait même aux frais de l'État. La ville n'a pas d'autres troupes per-
manentes que cette milice nationale ; cependant elle est tenue de fournir à
la confédération germanique un corps de 1,185 hommes.
Les trois villes libres de Lubeck, Hambourg, Brême et celle de Franc-
fort-sur-le-Mein ont à la tête de leur organisation judiciaire une cour
suprême d'appel commune : le président est nommé par les sénats des
villes, et les membres, au nombre de 6, sont choisis 1 par chaque ville
libre ; Francfort et Brême nomment le cinquième ·, le sixième est envoyé
alternativement, une fois par Lubeck et deux fois par Hambourg. Cette
cour suprême réside à Lubeck. Il y a, en outre, dans chacune des villes
des tribunaux inférieurs criminels ou civils. Lubeck, Hambourg et Brême
tiennent, avec Francfort-sur-le-Mein, le dix-septième et dernier rang assi-
gné aux États confédérés dans le petit conseil de la diète. Ces quatre villes
ont dans le plenum ou assemblée générale chacune une voix, et dans la
diète permanente ou ordinaire, elles se réunissent au landgraviat de Hesse-
Hombourg pour nommer un membre. Lubeck est dans l'ordre de la chan-
cellerie la première des villes libres, puis viennent Francfort, Brème et
Hambourg. Tous les États de l'Europe et la plupart de ceux de l'Amérique
entretiennent avec ces villes des rapports diplomatiques suivis, et elles se
font représenter par des agents dans les cours étrangères.
TABLEAUX statistiques des grands-duchés de Mecklembourg-Strelitz
et Schwérin.
Grand-duché de Mecklembourg-Strelitz.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
ÉTAT MILITAIRE.
en
1848.
par lieue carr.
en 1850.
36,1 milles carrés géo-
Revenus.
3,212,500f
Armée,
graphiques allem.,
96,292
9G0
588 infanter.
Dette. . . 4 000,000
ou
718 hom.
71 cavaler.
Contribut. fédérale,
52 artiller.
101 lieues géographiq.
carrées.
8,395 fr.
Contingent fédéral,
1,403 hommes.

EUROPE. — TABLE AUX STATISTIQUES.
149
BAILLIAGES.
VILLES ET BOURGS.
Neu-Strélitz NEU-STRELITZ. 7,000 habitants.
DUCHÉ
Alt-Strélitz
Alt-Strélitz, * 000.
DE MECKLEMBOURG-STRELITZ
Stargard (2 bailliages)
Stargard, 1,400. — Νeu-Brande bourg, 6,500
ou
Seldeberg Woldegh, 1,200.
SEIGNEURIE DE STARGARD
Fürstenberg
Fürstenberg. 2,400.
Superficie, 29,6 mil. carr. ail
Mirow Mirow, 1,200.
Population, 80,374 hab.
Hohenzieritz Hohenzieritz, 650.
PRINCIPAUTF.DE RATZEBOURG
Superficie,6,5 mil. carr all. Schönberg Schonberg, 1,400.
Population, 15,918 hab.
Grand-duché de Mecklembourg-Schwérin.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
ÉTAT MILITAIRE.
en 1852.
par lieue carr.
en 1852.
218 mill. carr. géog. Luthériens. 539,175
Revenus,
Armée,
Réformés180
890
ou
3,153,126 thalers
3.000 infanter.
Catholiq. .
635
ou 11,729,628 francs 3,846
600 cavaler.
610 lieues géograp. Juifs.
.
.
3,338
1
246 artiller.
carrées
Dépenses,
543 328
Contingent fédéral,
3,395.476 thalers
ou 12,631,170 francs
8,150 hommes
Dette publique,
4,600,000 thalers.
Contribut. fédérale,
41.894 francs.
CERCLES.
VILLES ET BOURGS.
SCHWÉRIN, 1,300 habitants, — Buckow, 1,200. — Dobberan, 1,G00.
— Domtz (place forte), 1,700. — Eldena, 1,400. — Gadebusch,
1,500,— Grabow, 2,600. — Grevismuhlen. 1,500. — Hagenow,
1.700. - Ivenack, 900. — Ki iwitz, 1,500. — I.iibz, 1,300 — Mal-
MECKLEMBOURG chow, 1,500. —Mecklembourg, 800. — Neustadt, 1.100. — Reden-
tin,3.O0O - Rehna, 1.600. —Sternberg, 1.300. — Toddin, 1,000.
—Walsinühlen, 1,200.—Wittenbourg. 1,500 —Zarrentin, 1,600.
— Parchim, 6,000. — Waren, 2,500. — Ludwigslust. 4,200.—
Brühl. 1,000. — Kröpelin, 1,500.
Gustrow, 10,000. — Boizenbourg, 3,000. Dargun. 1,000. — Dob-
bertin, 800. — Gnoien, 1,100 — Goldberg, 1,500. — Neukalden,
WENDEN
1,600. — Plau, 2.200. - Ribnitz, 2,200. — Schwaan, 1.000. -
ou duché de Mecklembourg- <
Stavenhagen, 1,400. — Teutenwickel, 1,000. — Wradenhagen,
Gustrow (16 Bailliages.
800. — Krakow, 800.— Lage, 1,100. — Malchin, 3,000. — Marlow,
900. — Penzlin, 1,800. - Röbel, 2,200. — Sülze, 1,600. — Tessin,
1,300. — Teterow 2,200.
PRINCIPAUTÉ DE SCHWÉRIN
Butzow, 3,500. — Marnitz, 1,500. — Rühn,400. — Tempzin, 600
(6 Bailliages).
— Warin, 1,400.
SEIGNEURIE DE WISMAR.
.
Wismar, 12,000. — Poel (dans l'île de ce nom), 1,200.

DE
ROSTOCK..
Rostock, 22,000.

150
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME.
Tableaux statistiques des trois villes libres de Lubeck, Hambourg et Brème.
Ville libre de Lubeck.
POPULATION
FINANCES
ÉTAT
SUPERFICIE.
POPULATION.
COMMERCE.
par lieues g. c.
en 1852.
ΜΙLIΤΑIRΕ.
Ville et ter-
Ville et fau-
2,940
Revenus.
120 navires.
Armée.
ritoire. . .5,21 bourg. . . 29,852
880,202 marcs Entrés en 1851 à 15 compag.
Moitié (les
1 campagne. 12,833
ou 1,346,709 fr.
Lubeek
de milice.
Vierlande.0,77 Les
Vier-
Dépenses.
1,096 navires.
lande. . . . 5,057
889,359 marcs
Conting. féd.
Milles car.
ou 1,361,485 fr.
Sortis 1,150.
géog. all.5,98
47,742
Dette.
700 hom.
ou
13,000.000 mar.
Importation.
En
lieues
ou 20,000,000 fr 132,000,000 kilog
géog. carr. 16
Contrib. fédér.
de marchandis.
4,753 fr.
Ville libre de Hambourg
POPULATION
POPULATION
FINANCES
ÉTAT
SUPERFICIE.
COMMERCE.
en 1S48.
par lieues g. c.
en 1851.
MILITAIRE.
20
lieues Ville. .
. 115,866
9,401
Revenus.
351 navires,
Armée.
géograp. Faub. St-
7,565,436 marcs
dont 8 vapeurs.
1,400 hom.
carrées.
George. . 16,731
ou 11,575,117 fr.
En 1851,
10,000 milic.
Faub. St-
Dépenses.
Entrés 4,169 navires.
Paul. . . 16,157
7,664,897 marc,
Conting. féd.
Campagne 39,300
ou 11,727,292 fr. Sortis 4,129 navires.
Dette (environ).
2,820 hom.
Importation en 1850.
188,054
33,000,000 mar.
ou 50,000,000 fr. 353,136,070 m. banco.
Contrib. fédér.
15,188 fr.
Exportation en 1850.
313,829,250 m. banco.
IMPORTATION.
EXPORTATION.
1845. — 291,880,410 ma rcs banco.
1845 — 276,424,500 marc banco.
1846. — 281,665 730
»
1846 — 276,392,060
> »
1847. — 301,740,770
1847 — 296,376,650
» »
1848. — 245,141,950
»
1848 — 215,579,970
ι »
Ville libre de Brème.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
ÉTAT
SUPERFICIE.
COMMERCE.
en 1819.
par lieues g. c.
en 1852.
MILITAIRE.
3,5
milles Ville.
. . . 53,478
7,90i
Revenus.
236 bâtiments jau-
Armée.
carrés
Campagne. 18,413
989,706 thalers.
geant 92,870 tonn.
géograp. Ville de Ve-
ou 3,689,706 fr.
1 bataill.d'inf
allem.
5 bat. de mil.
gesack.
. 3,538
Dépenses.
Importation.
ou
Port
de
978,277 thalers.
703,369 quintaux.
10
lieues
Brème. . 3,618
Conting. féd.
OU 3,638,990 fr.
carrées.
Dette.
Exportation,
1,185 hom.
79,047
3,515,994 quintaux.
Contrib. fédér.
5,670 fr.

EUROPE. — DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
151
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne septentrionale. — Description du
royaume de Hanôvre. — Description du grand-duché d'Oldenbourg et de la
seigneurie de Kniphausen.
Le Hanovre est une des contrées du nord de l'Europe d'où sortirent au
cinquième siècle ces Saxons qui envahirent l'Angleterre. Le Hanôvrien ,
peuple jadis grossier, entreprenant, est maintenant paisiblement soumis
au pays que ses ancêtres ont conquis*, jadis guerrier féroce et dévastateur,
une vie errante et aventureuse avait pour lui des charmes-, aujourd'hui
civilisé, bienfaisant, attaché au sol qui l'a vu naître, il semble n'avoir
conservé de son antique origine que la bravoure dans les combats, cl
l'amour d'une sage liberté; enfin autrefois il adorait des divinités san-
guinaires, aujourd'hui il pratique une douce religion, le christianisme
réformé. Ce peuple appartenant à la branche Cimbro-saxonne, se divi-
sait en plusieurs peuplades ou tribus. Les Vinili qui, sortis de la Scan-
dinavie, reçurent ensuite le nom de Longobardi ou Langobardi, à cause
de leur longue barbe, occupaient les deux rives de l'Elbe; les Angli habi-
taient plus au nord sur la rive gauche du fleuve, et les Petits-Chauci sur
la même rive près de son embouchure; les Chemi, habitaient à l'embou-
chure du Weser; les Fusi ou Fosi se tenaient dans le pays qui comprend
aujourd'hui le territoire d'Hildesheim ; les Brucleri occupaient les bords
de l'Ems ; enfin les Chamavi et les Cherusci, qui se mêlèrent plus tard aux
Francs, vivaient près des forêts du Harz.
Lors de Ja grande invasion des nations slaves, une peuplade wende,
appelée les Polabres, c'est-à-dire habitants des campagnes, s'établit dans
les environs de Lunebourg et se mêla aux Saxons.
Le Hanovre soumis d'abord au grand-duché ou royaume des Saxons,
tomba sous la domination de Charlemagne et continua d'être gouverné
par les ducs de Saxe, de la famille de Witikind, et ensuite celle de Rillung.
Cet ancien et véritable duché de Saxe était divisé en Westphalen, à l'ouest
du Wesei, et Ost-phalen entre le Weser, l'Elbe et le Harz.
Au commencement du douzième siècle, la principauté de Hanovre passa
sous la domination de la maison de Bavière; Henri le Lion fut un de ses

152
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
souverains les plus illustres ; elle forma ensuite un duché qui devint, au
dix-septième siècle, l'apanage d'un des fils du duc de Brunswich, et l'em-
pereur Leopold l'érigea en électorat en 1692 en faveur d'Ernest-Auguste.
Le fils de ce dernier, Georges-Louis, ayant été proclamé roi d'Angleterre,
à la mort de la reine Anne, en 1714, les destinées du Hanovre se trou-
vèrent unies à celles de l'Angleterre ; envahi par les Français en 1802,
les Anglais ne rentrèrent en possession de ce pays qu'en 1812. L'année
suivante il fut érigé en royaume et augmenté de divers territoires. La
couronne de Hanovre resta unie à celle d'Angleterre jusqu'à l'avénement
de la reine Victoria ; alors la loi salique toujours en vigueur dans ce pays,
appela au trône Ernest de Cumberland, oncle de la jeune reine, et depuis
cette époque, le royaume de Hanovre a ses souverains particuliers.
Le royaume de Hanovre se compose de deux parties principales, sépa-
rées l'une de l'autre par le duché de Brunswick. La plus considérable, ou
la septentrionale, est bornée au nord par la mer d'Allemagne et par l'Elbe
qui la sépare des duchés danois de Holstein et de Lauenbourg, du terri-
toire de Hambourg et de la province prussienne de Brandebourg. A l'est
elle est contiguë à la province prussienne de Saxe ·, au sud au duché de
Brunswick, aux principautés de Waldeck, de Lippe-Detmold, de Lippe-
Schauenbourg, à la Hesse-Électorale et à la province prussienne de West-
phalie. A l'ouest elle est séparée du royaume de Hollande par une limite
tracée à travers les marais de Bourtange et la baie de Dollart, dans laquelle
l'Ems se jette. La partie méridionale est bornée au nord par le duché de
Brunswick; à l'est par le même duché et la province prussienne de Saxe,
vers le point le plus élevé de la chaîne du Harz; au sud par la province de
Saxe et la Hesse-Électorale ; et à l'ouest par celte dernière et la province
prussienne de Westphalie, dont le Weser la sépare sur une longueur d'une
lieue. Outre ces deux parties, le Hanovre comprend le comté de Hohnstein,
enclavé entre le duché de Brunswick et la province de Saxe; et le territoire
de Polle entre le même duché, la principauté de Waldeck et la province de
Westphalie.
On peut évaluer la superficie de ce royaume à 69,865 milles carrés géo-
graphiques allemands ou environ 1,940 lieues carrées. Sa population était
en 1848 de 1,758,847 habitants.
Depuis les bords de la mer Baltique jusqu'aux extrémités méridionales
du Hanôvre, le terrain monte graduellement à mesure qu'on approche des
montagnes du Harz, dont la plupart des ramifications appartiennent à ce
royaume. Dans les parties les plus voisines de la mer, et surtout dans la

EUROPE. —DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
153
contrée orientale que le bas Elbe et le bas Weser arrosent, le sol est en
grande partie formé par les atterrissements et les alluvions de ces deux
fleuves. Elles sont souvent exposées à de grandes inondations, dont on
ne peut neutraliser les funestes effets que par des digues. Après ces deux
fleuves, nous citerons, parmi les principaux cours d'eau, l'Ilmenau et
l'Oste, affluents du premier-, l'Aller, affluent du second, et qui se grossit
de la Leine et de VOcker; enfin l'Ems avec la Hase ou la Haase qui lui
porte ses eaux. Ce qui semble prouver combien les terres du Hanovre sont
depuis peu de temps sorties du sein des eaux, c'est la grande quantité de
marais qui les recouvrent. Il en est de môme de la contrée occidentale, que
l'Ems traverse. Les cantons qui occupent ces divers terrains sont peu
productifs, mais les plus stériles sont surtout ceux des landes de Lunebourg
et de Verden, situées entre l'Elbe et le Weser, et des landes de Meppcn, sur
la rive droite de l'Ems. Dans ces cantons pauvres et peu propres à l'agri-
culture, on ne remarque que des campagnes sablonneuses, couvertes de
forêts de sapins, de bruyères et de marais. Aux environs du territoire de
Brême on a rendu à l'agriculture plusieurs portions de terrains maréca-
geux; mais que de soins et de temps ne faudrait-il pas pour convertir en
terres labourables les vastes landes de Lunebourg, qui occupent, de l'est à
l'ouest, une longueur d'environ 25 lieues, et du sud au nord, depuis Celle
jusqu'à Harbourg, une étendue non moins considérable ! Ces plaines arides
ont mérité le nom d'Arabie de l'Allemagne. Sur la rive gauche de la Vechte,
qui coule à l'ouest de l'Ems, les environs de Beintheim n'offrent aussi
que des landes immenses, couvertes çà et là de marais et de flaques d'eau
stagnante.
Au point de vue géologique, les plaines du Hanovre sont sablonneuses,
ou appartiennent aux terrains calcaires secondaires qui viennent s'appuyer
sur le groupe du Harz, qui s'élève comme une île au milieu de ce terrain.
Les montagnes qui constituent ce groupe sont généralement granitiques ;
elles sont plus roides et plus escarpées vers le midi que vers le nord; elles
n'appartiennent pas toutes au royaume de Hanovre : nous verrons que la
Prusse, les duchés de Brunswick et d'Anhalt-Bernbourg en possèdent
quelques parties.
Le Harz, cette contrée montagneuse si riche en métaux, dépend du pays
que les anciens nommaient foret Hercynie (sylva Hercynia) ; la similitude
du nom latin et du nom allemand prouve suffisamment que les Romains
n'ont fait que traduire la dénomination germanique de Harzwald (la forêt
des Pins) : cette contrée était en effet couverte autrefois de vastes forêts de
VII.
20

154
LlVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
sapins. Les montagnes du Harz occupent une longueur de plus de 30 lieues
sur 12 de largeur. Des vallées escarpées, des bois et quelques marais y for-
ment un labyrinthe naturel dans lequel il est impossible de se diriger sans
guide.
Le mont Brocken ou Bloxberg, élevé de 1,115 mètres au-dessus de la
mer Baltique, est le point central du Harz. C'est de là que rayonnent pres-
que dans tous les sens les branches qui composent ce groupe auquel Stein
donne une superficie de 178 lieues carrées. Tout ce qui se prolonge à
l'ouest du Brocken porte le nom de Haut-Harz (Ober-Harz), et à l'est de
cette montagne celui de Bas-Harz (Unter-Harz). L'une des branches, en
se dirigeant vers le sud, forme la ligne de partage qui sépare le bassin du
Weser de celui de l'Elbe. Elle rencontre, vers la source de la Leine, le
Dun-gebirge, qui n'est que le prolongement septentrional du Thüringer-
wald ; de là elle projette au nord-ouest un rameau qui, sous les noms de
Weser-gebirge et de Soiling, s'étend entre la Leine et le Weser. Une autre
branche court au nord-est, entre l'Holzemme, affluent de la Bode, et l'Oc-
ker qui va se jeter dans l'Aller. Une troisième branche se dirige vers le
nord entre l'Innerste et l'Ocker ; une quatrième entre la Leine et l'In-
nerste ·, enfin, vers l'est, s'étendent les branches qui séparent les bassins
de la Bode, de l'Helme et de la Wipper.
Outre les nombreuses rivières qui descendent du Harz, on distingue
plusieurs sources importantes : la plus remarquable est la fontaine des
Sorcières (hexen brunnen). Ce nom indique sans doute le souvenir de
quelques pratiques superstitieuses des anciens peuples de ces contrées.
Lorsque l'épée de Charlemagne y fonda le christianisme, quelques-unes
des prêtresses des antiques divinités germaniques auront conservé l'ha-
bitude d'aller près de cette source faire leurs cérémonies, et les prêtres
chrétiens, confondant ce culte avec celui des démons, auront désigné cette
fontaine par le nom qu'elle a conservé. Elle est placée à 7 à 8 mètres au-
dessous de la cime du Brocken, et fournit une masse d'eau fort abondante.
Sur le sommet de cette montagne, il se passe souvent, vers le matin ou le
soir, un phénomène physique qui a été longtemps la terreur de l'habitant
du Harz : si le spectateur est placé entre le soleil et un nuage, il voit son
image réfléchie dans ce nuage comme dans un miroir, mais plus grande et
difforme. Jadis, l'ignorance accréditait l'opinion qu'un spectre, auquel on
donnait le nom de spectre de Brocken, était caché dans ce nuage. Cet effet
d'optique rentre dans la classe de ceux que l'on comprend sous le nom de
mirage.

EUROPE.— DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
155
Dans le calcaire ancien qui s'appuie sur les roches granitiques du Harz,
on remarque plusieurs cavernes moins célèbres encore par les nombreux
détours qu'elles offrent à la curiosité du voyageur que par l'énorme quan-
tité d'ossements fossiles que l'on y a découverts. Les plus curieuses de ces
cavernes sont celle de la Licorne et celle de Baumann.
Le Harz est depuis longtemps célèbre par ses mines : celles de fer sont
les plus abondantes. Les autres métaux que l'on y recueille sont le plomb,
l'argent, le cuivre, le zinc et même l'or. Le soufre et l'arsenic y sont éga-
lement exploités. Enfin on y trouve des marbres, des ardoises, des pierres
de taille, du gypse, des argiles de différentes espèces, et des sources salées
et d'eaux minérales.
Il est peu d'endroits en Europe où la science du mineur soit aussi avan-
cée qu'au Harz. Les ouvriers employés aux mines forment une population
particulière de plus de 60,000 individus, originaires de la Franconie. Les
premiers qui s'établirent dans ces montagnes y furent envoyés par Char-
lemagne ; mais, au onzième siècle, une nouvelle migration se fit pour
exploiter les mines du Rammelsberg, qui venaient d'être découvertes. Ces
hommes, aujourd'hui reconnaissables à leur uniforme noir à parements
rouges, sont organisés militairement par compagnies, ayant pour chefs
des ingénieurs dont le rang correspond aux grades de généraux, de colo-
nels, d'officiers et de sous-officiers. Leur association est remarquable par
l'esprit de corps qui y règne. Ils ont conservé de leurs ancêtres cette pas-
sion pour la chasse qui leur rend cet exercice plus agréable que pénible,
cet amour de la musique qui leur fait écouter avec intérêt les chants de
leurs compatriotes, et cette urbanité un peu rustique, mais franche, qui
leur fait accueillir les étrangers, et qui porte leurs enfants à aller au-devant
de ceux-ci en les appelant cousins.
Le royaume de Hanovre renferme peu de lacs : il n'en est que trois qui
soient dignes d'être cités. Le premier est le Steinhunder-meer, sur la limite
de la principauté de Schauenbourg-Lippe ; le second, le Dumer-see, sur
celle du grand-duché d'Oldenbourg. Celui-ci surtout, très poissonneux,
est remarquable par son étendue; il occupe un espace de 1 lieue de lar-
geur et de 2 de longueur. Mais le plus extraordinaire est celui de Jordan,
situé dans la province de l'Ost-Frise ; il s'étend sous terre à une distance
considérable, et le sol qui le recouvre, dit Stein, est devenu assez ferme
pour supporter le poids des voitures.
Le climat du Hanovre est généralement tempéré: les naturels du pays
vantent sa salubrité, mais il faut avouer que dans les lieux bas et maréca-

156
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
geux il est d'une humidité dangereuse, et que dans la plus grande partie
de la contrée la température est extrêmement variable : près des bords de
la mer, elle ne l'est pas moins qu'en Angleterre. L'hiver y est rigoureux,
et dans l'été même on est souvent exposé au froid. Les rosées, les vapeurs
qui s'exhalent de la surface de la terre pendant les nuits d'été, à l'approche
du lever et du coucher du soleil, ont quelquefois une funeste influence sur
certains tempéraments. Le vent du nord-ouest souffle fréquemment pen-
dant l'hiver ; au printemps, c'est le vent d'est ; et pendant l'été, pendant
même une partie de l'automne, c'est celui du sud-ouest qui règne. L'in-
fluence de ces vents et les changements de température contribuent à faire
tomber les dents avant l'âge.
D'après cet exposé, on ne sera point étonné que certaines maladies
soient assez fréquentes dans le Hanovre. Lorsque le mois de juillet est très-
chaud, l'habitant est exposé à plusieurs épidémies dangereuses. Mais les
maladies les plus répandues sont les fièvres nerveuses et intermittentes, les
phthisies, les paralysies et les apoplexies.
Les richesses naturelles du Hanovre consistent dans le produit de la
pêche des rivières et des lacs qui l'arrosent, de la mer qui le baigne, du
gibier qui peuple ses forêts, ses champs et ses marais, des bestiaux que
son territoire nourrit, des végétaux qui croissent sur son sol, et des mines
que ses montagnes renferment. Sous ces divers rapports, il est peu de pays
qui soient mieux partagés.
Depuis les encouragements que le roi George III accorda, en 1792, à
la pêche de la baleine, un grand nombre de Hanôvriens part tous les ans
pour aller exercer ce genre d'industrie autour du Groënland. La pêche est
aussi très-productive sur les côtes du Hanôvre ; celle des rivières procure
en abondance la plupart des poissons de nos contrées, tels que des per-
ches, des barbeaux, des carpes, des brochets, des truites, mais surtout
des anguilles monstrueuses.
Le Hanôvre ne manque pas de forêts. Outre celles du Harz, on en compte
plusieurs d'une assez grande étendue, telles que celle de Bentheim, dans
le comté de ce nom ; et dans celui de Lunebourg, celle de Barn, celle de
Gohrde, qui porte le nom d'un village, celle de Kaltehofstube, celle do
Lucie, celle de Ninder, etc. Mais il y en a très-peu dans le duché de Brême,
dans la Frise orientale et dans le gouvernement d'Osnabrück.
Les forêts fournissent des bois propres à la mâture des petits navires, des
courbes pour leur construction, et des planches-, le bois de chauffage y est
cher, mais l'exploitation de plusieurs houillères remédie à cet inconvénient.

EUROPE. — DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
157
Ces belles forêts sont peuplées de cerfs, de sangliers, de chevreuils, de
lapins et de lièvres; mais, heureusement pour les cultivateurs, le nombre
en diminue sensiblement depuis une vingtaine d'années. Les lieux maré-
cageux abondent en oiseaux aquatiques, et les environs d'Osnabrück four-
nissent un grand nombre d'ortolans. C'est principalement dans le Harz que
les loups sont à craindre par leur nombre et par leur grosseur.
Les bêtes à cornes sont d'une taille médiocre, mais la chair du bœuf et
celle du mouton des montagnes passent pour être d'un goût exquis. Le
porc y est aussi d'une qualité excellente. Parmi les animaux de ce pays, le
cheval jouit surtout d'une réputation méritée. Soit que l'abondance des
pâturages et la grande quantité d'avoine qu'on y récolte y aient perpétué
les belles races, ou qu'elles y soient indigènes, on est souvent étonné de
la beauté des attelages des chariots des paysans. Il est cependant à remar-
quer que le croisement des races du midi avec celles du nord n'a jamais
réussi dans le Hanôvre. Maintenant, plusieurs propriétaires livrent au
commerce des laines qui peuvent supporter la comparaison avec celles de
l'Angleterre et de l'Espagne. Quelques districts du Hanôvre tirent un grand
profit de la vente des oies. Mais ce qui est encore d'un produit assez impor-
tant, c'est l'éducation des abeilles. Au printemps, lorsque les prés sont
émaillés de fleurs, on voit, dans la principauté de Lunebourg, des paysans
qui ne font point d'autre métier que de sortir de leurs villages pour
recueillir ces précieux insectes et en remplir près de 60,000 ruches. Ce
comté exporte annuellement pour plus do 800,000 francs de cire et de
miel.
La plus importante richesse du Hanôvre consiste dans le produit de ses
mines ; on y exploite annuellement environ 200,000 quintaux de fer,
5,000 de plomb, 7,000 de cuivre et 40,000 marcs d'argent; l'exploitation
du cuivre fournit en outre 2,000 quintaux de sulfate de ce métal ou de
vitriol. Les exploitations du Harz donnent un produit que l'on peut évaluer
à 2,040,000 rixdales, ou à plus de 11,700,000 francs, sans y comprendre
la houille, la tourbe, le marbre, les pierres de construction, les argiles à
poterie, etc.
L'agriculteur, dans le Hanôvre, ne tire point tout le parti possible des
terres; on est étonné de la quantité de celles encore en friche, et du grand
nombre de marais qui, malgré les encouragements du gouvernement, ne
sont point encore desséchés. Il est vrai que les sociétés d'agriculture éta-
blies dans quelques villes importantes ont proposé plusieurs améliorations;
mais que do temps il faut pour que de tels établissements puissent éclairer

158
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
la masse des agriculteurs guidés par la routine plutôt que par la raison !
Cependant les essais que l'on a faits pour transformer en bons pâturages
des terrains couverts de roseaux ou de bruyères, ont eu, dans la partie
septentrionale de la principauté de Lunebourg, les plus heureux résultats.
La culture produit principalement des pâturages, de l'avoine, des céréales,
du maïs, des fêves, des haricots, des pommes de terre et d'autres légumes,
et enfin du chanvre et du lin. On ne cultive le blé, l'orge et l'avoine que
dans les terrains bas, dans la Frise orientale, sur les bords des rivières et
près de la mer. Après ces végétaux, c'est la culture du seigle et du sarrasin
qui est la plus répandue, principalement dans la partie méridionale. La
plupart des terres sablonneuses sont réservées à la culture des pommes de
terre ; elles y réussissent parfaitement.
A l'exception de la pomme, les fruits à pepins ne sont ni aussi gros, ni
aussi variés, ni aussi bons dans le Hanôvre qu'en France; il en est de
même des fruits à noyaux. La vigne n'est cultivée que dans les jardins, et
principalement pour la table du riche, car il est rare que le raisin y arrive
à une parfaite maturité.
Les fabriques sont peu répanduesdans ce royaume, l'habitant y est plus
disposé à aller exercer une industrie quelconque en pays étranger qu'a
cultiver les terres, ou à choisir un métier dans son pays. Stein évalue à
16,000 le nombre d'individus qui s'expatrient tous les ans pour la Hol-
lande. Le Hanôvrien réussit cependant assez bien dans la fabrication du
tabac, du savon, de quelques étoffes de laine, et surtout dans la manuten-
tion du fer et du cuivre. L'art de filer et de tisser le lin occupe un grand
nombre de bras. On estime à une valeur annuelle de 5,500,000 florins le
produit de cette fabrication dans les territoires de Lunebourg, de Brème,
d'Osnabrück, de Hoya et de Diepholz. Les deux sexes s'en occupent, mais
les toiles que l'on y fabrique ne sont point à comparer à celles de la Prusse
et de la Frise. Les tanneries du Hanôvre ne livrent à la consommation que
des cuirs d'une médiocre qualité; cependant la sellerie y est bien exécutée.
Ajoutons aussi que pour les objets de goût et de luxe, la joaillerie, la pas-
sementerie et l'orfévrerie y sont plus avancées que dans plusieurs autres
contrées de' l'Europe.
Des routes parfaitement entretenues, plusieurs lignes de chemins de fer,
des bateaux à vapeur qui remontent et descendent continuellement l'Elbe,
le Weser, l'Ems et l'Aller, facilitent beaucoup en Hanôvre le commerce
d'exportation et d'importation ; celui de transit avec le Nord et l'Allemagne
n'est point sans importance. Parmi les places commerçantes les plus con-

EUROPE. — DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
159
sidérables, on doit citer Münden, où il arrive annuellement par le Weser,
370 navires, par la Werra 110, et par la Fulda 130. Les routes qui se
dirigent vers le sud-est de l'Allemagne portent aussi, année commune, en-
viron 150 chariots et 600 voitures, et celles qui communiquent avec le
sud-ouest de la même contrée, une quinzaine de chariots et 120 voitures.
On peut évaluer ces diverses exportations à plus de 1,800,000 francs.
Le Hanôvre fait un commerce maritime assez important par les ports de
Münden, de Celle, de Harbourg, de Leer, et surtout d'Emden ; il avait
en 1851, 794 navires jaugeant 316,600 tonneaux. Ce pays était le centre
d'une petite union douanière formée en 1834, reposant sur des principes
libéraux, que l'on nommait steuerverein, et dont faisaient partie le duché
d'Oldenbourg, la principauté de Lippe-Schaumbourg et d'autres petits
États. Mais depuis 1851, le steuerverein a été réuni au zollverein prussien.
Jusqu'en 1823, le royaume de Hanôvre était divisé en onze provinces;
mais comme ces provinces étaient trop inégalement circonscrites, on a adopté
à celte époque une division comprenant sept gouvernements (Land-dros-
teien) dont nous allons indiquer la circonscription.
Le gouvernement de Hanovre se compose de l'ancienne princinauté de
Kalenberg, du comté de Hoya et de celui de Diepholz. Il renferme 32 bail-
liages et 9 justices ou tribunaux indépendants des bailliages.
Le gouvernement de Hildesheim, formé de la principauté de ce nom, de
celles de Gottingue et de Grübenhagen, et du comté de Hohnstein contient
37 bailliages et 25 justices.
Le gouvernement de Lunebourg, composé de la principauté du même
nom, comprend 37 bailliages et 8 justices.
Le gouvernement de Stade embrasse les duchés de Brême et de Verden
et le pays de Hadeln. Il est divisé en 16 bailliages et 28 justices.
Le gouvernement d'Osnabrück répond à peu près à l'ancien évêché sou-
verain de ce nom, et renferme la principauté d'Osnabrück, les comtés de
Lingen et de Bentheim, et les cercles de Meppen et d'Emsbühren. On y
compte 11 bailliages.
Le gouvernement d'Aurich comprend seulement l'ancienne province
d'Ost-Frise ; il renferme 12 bailliages et 5 justices.
Enfin la capitainerie des mines de Clausthal ou capitainerie moniueuse
de Clausthal (Berg-haupt Munnschaft-Clausthal) a le rang de gouverne-
ment, et etend sa juridiction sur le Harz supérieur (Ober-Harz). C'est
une concession faite en faveur des priviléges dont jouissent les mineurs
depuis des siècles. Ce gouvernement ne comprend que 3 bailliages.

160
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
Nous avons vu que la population du Hanovre était de 175,874 habitants:
on peut évaluer à 1,443,979, le nombre des chrétiens de la confession
d'Augsbourg, à 89,064 celui des réformés, à 214,081 celui des catholiques,
à 11,179 le nombre des juifs, et à 524 celui des mennonites. La confession
d'Augsbourg a ses pasteurs, ses surintendants et ses surintendants géné-
raux, soumis aux consistoires de Hanôvre, Osnabrück, Aurick Hildes-
heim, Stade et Otterndorf ; les réformés ont leurs pasteurs et leurs con-
sistoires-, les catholiques, leurs justices officiates, leurs ecclésiastiques
et leurs évêques, sous la direction des évêques d'Osnabriick et de Hil-
desheim.
Les Hanôvriens ou Bas-Saxons ont, plus que les habitants de la Haute-
Saxe, conservé cette franchise, cette simplicité, cette hospitalité, et en
général toutes ces antiques vertus qui, selon Tacite, composaient le
le caractère des anciens Germains. C'est surtout parmi les habitants des
Landes que l'isolement et la pauvreté ont empêché la corruption de s'in-
troduire. Dans les cantons maritimes appelés Marschland, il règne, à côté
de la simplicité et de la rusticité, un luxe très-grand qui cependant ne
s'attache qu'aux objets solides, comme bijoux d'or et d'argent, bons meu-
bles, bons lits; ou à des denrées qui flattent directement les sens, comme
café, thé, vins de France ou bières fortes. Ce luxe, suite naturelle de la
liberté et de la richesse de ces paysans navigateurs et de leurs relations
avec les Anglais et les Hambourgeois, ne les empêche pas de rester aussi
industrieux que leurs ancêtres, dont ils conservent religieusement le cos-
tume. Dans les villes hanôvriennes ; et surtout dans la capitale on remarque
en plusieurs points une imitation assez heureuse des mœurs et des manières
anglaises. La noblesse est fort attachée à ses préjugés de naissance. Les
mêmes hommes s'appuient des principes de la philosophie moderne pour
s'opposer à l'agrandissement du pouvoir exécutif, et des principes de l'aris-
tocratie féodale pour maintenir entre eux et la bourgeoisie une distance res-
I ectueuse. C'est précisément le même esprit que la noblesse du Holstein.
Le royaume de Hanôvre fait partie de la confédération germanique, où
il occupe le cinquième rang, et où il a quatre voix à la diète en assemblée
générale, et une en assemblée ordinaire. Le contingent qu'il est obligé de
fournir à 'a confédération est de 13,504 hommes. Le gouvernement de ce
royaume tient à la fois du régime féodal et du régime représentatif. Les
États hanôvriens, composés de la noblesse, du clergé et des députés des
villes, se divisent en deux chambres qui s'assemblent annuellement dans
la capitale et y discutent les projets de loi.

EUROPE. — DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
161
On peut aujourd'hui considérer le Hanôvre comme jouissant du régime
représentatif. L'administration française s'était implantée en Hanôvre, au
commencement de ce siècle, avec le pouvoir impérial ; mais à peine le roi
d'Angleterre fut-il rentré en possession de son royaume de Hanôvre, qu'il
rétablit l'ancienne administration du pays, avec ses formes surannées, ses
diversités locales, ses juridictions exceptionnelles. Depuis lors jusqu'à la
révolution de 1848, l'administration hanôvrienne n'a pas fait de progrès;
depuis 1848, elle s'est améliorée en plusieurs points, notamment sous le
rapport judiciaire. Le jury a été institué ; il a commencé à fonctionner en
1850, et les tribunaux ont reçu une organisation nouvelle.
L'armée hanôvrienne, en temps de paix, se compose de 22,000 hommes,
parmi lesquels on compte 5,000 hommes de cavalerie et 1,500 d'artillerie ;
le reste est en infanterie. Elle se recrute par des enrôlements volontaires et
par des appels que décrètent les États. En cas de guerre, cette armée peut
s'augmenter de deux tiers par l'appel de la landwehr, milice nationale qui
n'est point soldée, et qui n'est soumise à aucun service en temps de paix.
D'après une loi rendue en 1817, tout individu qui a atteint l'âge de dix-
neuf ans, sans distinction de rang, est obligé de faire partie de ce corps.
On en excepte les infirmes, les ecclésiastiques, les professeurs, les employés
du gouvernement, les anciens officiers après six années de service et les fils
uniques qui ont eu un frère tué devant l'ennemi. Les étudiants seuls ont le
droit de se faire remplacer. Tous les dimanches la landwehr est exercée
par escouades, excepté pendant le temps de la récolte, et tous les ans par
compagnies et par bataillons. Le corps royal des dragons provinciaux fait
sur les routes le service de la gendarmerie.
Les principales places de guerre sont Embden, Hameln et Harbourg.
Herzberg possède une manufacture d'armes, Hanôvre un arsenal et une
école d'artillerie et du génie, et, près d'Hameln, il existe à Herzen une
fabrique de poudre. Depuis 1815, dans l'ordre civil et l'ordre militaire, le
mérite est récompensé par la distribution d'une décoration dont l'institu-
tion admet des grand'croix, des commandeurs et des chevaliers.
Après cet aperçu de tout ce qu'il y a de plus intéressant à dire sur le
Hanovre sous le rapport de ses produits, de sa population, de son gouver-
nement et de ses forces, nous devons donner une idée des principales villes
qu'il renferme. Hanôvre, sa capitale, est située dans une plaine sablon-
neuse, au confluent de la Leine et de l'Ihine, petites rivières dont la pre-
mière est navigable, et qui la divisent en deux parties, la vieille et la nou-
velle villes. La plupart des maisons sont bâties en briques; cependant les
VII.
21

162
LIVRE CENT CINQUANTE SEPTIÈME.
nouveaux quartiers sont beaux et réguliers. La vieille ville n'était en 1130
qu'une forteresse, mais en 1178 elle obtint le droit et le titre de cité. La
nouvelle ville se divise en deux parties, appelées l'Ægydien-Neustadt et le
Kalenberger-Neustadt ; la première est la seule qui soit construite sur un
plan régulier. La population de cette capitale est de 38,000 habitants.
L'élévation de son sol est de 60 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ses
anciens remparts ont été nivelés et transformés en une belle esplanade.
Les environs de Hanôvre sont remarquables par les prairies qui l'entou-
rent, par les sites les plus pittoresques, et par la charmante promenade de
Linden. De loin, cette ville ressemble à un jardin parsemé d'édifices et de
clochers revêtus de lames de cuivre. Le cours de la Leine, qui se replie
autour d'elle, ajoute encore à l'illusion que ce coup d'œil présente ; mais
lorsqu'on approche de son enceinte, on voit que ses maisons et ses rues
sont agréablement entrecoupées de plantations de tilleuls et de peupliers ;
enfin on est étonné du mouvement qui règne dans ses rues et sur ses places,
bien éclairées de nuit, de l'élégance de quelques-unes de ses constructions,
qui contrastent singulièrement avec l'architecture allemande et même
gothique de quelques anciennes habitations particulières. Les édifices les
plus remarquables sont le palais du roi et celui du vice-roi, l' arsenal,
l'hôtel des États, le palais de justice, le bâtiment de la bibliothèque
publique et des archives, la cour de Lockum et le théâtre. Le monument
élevé à la mémoire de Leibnitz, sous le nom de temple d'honneur, est digne
de ce grand homme : il est construit en marbre de Carrare, et décore l'es-
planade. Nous devons citer encore l'église du château, l'hôtel Cambridge
et les écuries royales.
La jeunesse studieuse, et en général toutes les personnes qui s'occu-
pent des lettres et des sciences, trouvent de quoi se satisfaire dans celte
ville, qui possède une société d'histoire naturelle recommandable par ses
travaux, plusieurs cercles littéraires et une riche bibliothèque publique.
Les établissements destinés à l'instruction publique y sont dignes d'une
capitale. Le lycée, l'école Israélite, l'école vétérinaire, celles d'anatomie,
de médecine et d'accouchement, et plusieurs autres, ne sont pas les seuls
établissements qui attestent sous ce point de vue la sollicitude du gouver-
nement : l'école normale ou séminaire des maîtres d'école est un modèle
en ce genre : on y procure aux deux sexes des connaissances utiles jointes
à la littérature et a la morale. L'institut destiné, sous le nom de Georgia-
man, à ta jeunesse noble, est organisé militairement.
Il nous faudrait entrer dans de trop longs détails si nous voulions décrire

EUROPE. — DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
163
tout ce que renferment d'intéressant les diverses collections scientifiques
de Hanôvre, depuis le cabinet d'histoire naturelle, celui des médailles et
des antiquités, placés dans le palais du roi, jusqu'à la bibliothèque publi-
que, dont le nombre de livres dépasse 200,000. Quoique les arts ne soient
point, dans cette ville, arrivés à un grand degré do perfection, elle est
cependant assez intéressante sous le rapport de l'industrie et du commerce.
On y trouve des manufactures de galons d'or et d'argent, de drap, de
cotonnade et de toile; plusieurs fabriques de tabac, de savon, de faïence,
de fleurs artificielles, etc.; d'importantes brasseries, des imprimeries, des
raffineries, des distilleries, et surtout des fabriques de broderies qui jouis-
sent en Allemagne d'une grande réputation. Hanovre fait des affaires con-
sidérables avec Brême et Hambourg. Elle exporte par la Leine des grains,
des bois à brûler et de charpente, et une partie des produits des mines du
Harz. Cette ville est une des plus importantes stations du chemin de fer qui
unit Aix-la-Chapelle et Cologne à Berlin et à l'Allemagne orientale; un
embranchement, qui se dirige vers le sud par Göttingue et Cassel, va
rejoindre à Cuxhagen la grande ligne de Francfort à Berlin et Vienne, à
travers les États saxons.
Les Allemands vantent, dans les environs de Hanôvre, les deux maisons
royales de plaisance appelées Herrenhausen et Montbrillant; on voit dans
la première un grand jet d'eau beaucoup plus volumineux que celui de
Saint-Cloud et qui s'élève à peu près à la môme hauteur. Ne quittons point
le territoire de Hanovre sans rappeler que cette ville est la patrie de l'illustre
astronome Herschell.
Si nous remontons la Leine, nous passerons devant la petite ville de
Gronau, située dans une île vis-à-vis l'embouchure de la Dep; puis nous
verrons, au confluent de la Warne et de la Leine, Alfeld, autre petite ville
entourée de murailles, station du chemin de fer de Hanôvre à Cassel par
Gottingue, où l'on fait un grand commerce de fil et de toile. Nous traver-
serons ensuite les États du duché de Brunswick, et nous arriverons à
Eimbeck ou Einbeck, ville de 5,000 habitants, bâtie sur les bords de deux
ruisseaux affluents de l'Ilme. Elle était autrefois la capitale de la princi-
pauté de Grubenhagen, et entourée de fortifications aujourd'hui en partie
ruinées. Ses rues sont tortueuses et mal pavées, et ses maisons construites
dans le style gothique, mais elle possède une place publique assez belle.
On y voit trois églises : l'une d'elles renferme les mausolées des ducs de
Grubenhagen, dont le château en ruines donne aux environs un aspect
très-pittoresque. Il y a dans la ville un hospice d'orphelins, deux hôpitaux,

164
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
une maison de charité, un gymnase, des écoles élémentaires, une école
d'industrie, des fabriques de toile, d'étoffes de laine, de maroquin et de
tabac. Les environs renferment des blanchisseries considérables. On
célèbre chaque année dans ce pays une fête populaire appelée en alle-
mand Nachbarschafthalten, c'est-à-dire réunion de bon voisinage.
A quelques lieues à l'ouest d'Eimbeck, on voit, près de la petite ville
de Dassel, une belle papeterie, une scierie, plusieurs moulins à huile, et
de grandes usines où l'on coule chaque année plus de 500 quintaux de
fer en barre, et où l'on fabrique des haches, des faux et d'autres outils.
Plus loin, mais au sud de la précédente, la ville d'Uslar, entourée de
murailles, est le siége d'une surintendance protestante ; on y voit deux
forges royales et une usine royale pour le cuivre. Entre des montagnes et
des rochers s'élève la petite cité d'Hardegsen, que nous traverserons avant
de revenir sur les bords de la Leine et d'entrer dans Göttingen, ou Göt-
tingue, l'une des villes universitaires les plus célèbres de l'Allemagne.
Elle est située au pied du mont Haimberg, sur le bord de la Leine et sur
le chemin de fer qui relie Hanôvre à Cassel, dans une fertile vallée élevée
de 148 mètres au-dessus du niveau de la mer Baltique-, elle était autrefois
au nombre des villes hanséatiques. On la dit fort ancienne ; son origine
paraît remonter aux premiers siècles de notre ère. Ses remparts ont été
convertis en une promenade, d'où l'on jouit d'une très-belle vue. Elle
est formée de trois parties: l'ancienne, la nouvelle ville, et le quartier
appelé Masch. Ses rues sont larges et bien éclairées la nuit ; sa population
est évaluée à 12,000 habitants. Elle possède des fabriques de tabac, de
divers objets en fer et en cuivre, d'étoffes de laine, et des tanneries. Ce
qui la rend surtout intéressante, c'est son université, fondée en 1734
par le roi George IL C'est là que l'instruction publique est parvenue à un
degré de perfection qui fait honneur aux lumières du fondateur, au zèle
et à l'instruction des professeurs, choisis généralement parmi les savants
les plus recommandables de toute l'Allemagne. Tout, dans cette ville,
contribue à faciliter les moyens d'instruction; elle renferme de nombreux
établissements scientifiques, parmi lesquels nous citerons: une biblio-
thèque de 300,000 volumes, formée de celle de Leibnitz, qui y laissa ses
nombreux manuscrits, et enrichie chaque année d'ouvrages utiles aux
arts et aux sciences; un muséum d'histoire naturelle, dans lequel on
remarque la belle collection de crânes formée par le savant professeur
Blumenbach ; et un jardin botanique que l'on peut ranger parmi les plus
riches de l'Europe. Gottingue a produit plusieurs hommes célèbres dans

EUROPE. — DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
165
les sciences, entre autres le médecin Michaelis, le littérateur Casalius et
Blumenbach.
Hameln, sur le Weser, à 10 lieues au sud-ouest de Hanôvre, est le chef-
lieu du cercle de son nom. Cette ville de 10,000 âmes est la principale
place forte du Hanôvre ; elle renferme un grenier de réserve, une maison
de détention, un entrepôt royal de fer, des distilleries, des brasseries et
quelques manufactures.
Au confluent de la Werra et de la Fulda, qui par leur réunion forment le
Weser, s'élève, dans une jolie vallée, la ville de Münden, autre station du
chemin de fer de Hanôvre à Cassel, dont les 6,000 habitants, riches de
leurs brasseries, de leurs tanneries et de leurs fabriques de vinaigre, de
drap, de savon, de tabac et de faïence, se livrent à un commerce assez con-
sidérable, que la navigation du fleuve rend très-actif. On évalue à plus de
2,500,000 francs la valeur de la toile qui se vend annuellement à Münden.
A Duderstadt, située à 5 lieues à l'est de Gottingue, il se fait un commerce
considérable en grains, en bière, en eau-de-vie, et surtout en toile à voile.
Oslerode s'offre au nord de la précédente, au milieu des montagnes du
Harz. C'est une petite ville entourée de murailles et remplie de fabriques.
Dans ses environs, on exploite des mines de fer, dont elle est l'entrepôt.
Le bourg de Herzberg, sur la rive gauche du Sieber, renferme 3,000 habi-
tants, et possède la seule manufacture d'armes qu'il y ait dans le Hanovre.
Sur une montagne de 625 mètres de hauteur au-dessus du niveau de la
mer, s'élève Saint-Andreasberg, chef-lieu d'un bailliage des mines, où l'on
fabrique beaucoup de dentelles et de fil de lin. Sur les limites du Hanôvre
et de la Prusse, Elbingerode s'étend au bord d'un ruisseau affluent de la
Bode, à 525 mètres au-dessus du niveau de la mer. Des forges considé-
rables environnent cette petite ville. Clausthal, dans le Harz supérieur,
est la ville la plus importante de cette contrée montagneuse. Sa population
est de plus de 10,000 habitants; son sol est à 560 mètres au-dessus du
niveau de la mer. C'est le siège d'une administration supérieure des mines;
elle possède un hôtel des monnaies, deux églises, un gymnase et huit
écoles élémentaires. Ses habitants s'occupent de l'exploitation des mines
et de la fabrication de la dentelle.
En quittant Clausthal pour aller à Goslar, il faut traverser une partie
du duché de Brunswick. Celte ville est située sur les bords de la Gose,
ruisseau qui lui donne son nom, et qui, non loin de là, se jette dans l'Oc-
ker. C'était autrefois une ville libre et impériale, qui occupait le septième
rang parmi les villes de l'Empire et le second parmi celles de la basse Saxe ;

166
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME,
ses hautes murailles, ses rues étroites, sombres et tortueuses, ses maisons
construites dans le goût gothique, attestent son ancienneté. Elle paraît
avoir été fondée par Henri l'Oiseleur, et fortifiée pour la première fois en
1201. On prétend que c'est dans ses murs que le moine Berthold Schwartz
inventa la poudre à canon. On y remarque les restes du Kaiserburg, ou
fort impérial, vieil édifice dans lequel les empereurs d'Allemagne tenaient
leur cour et rassemblaient la diète. L'église de Saint-Étienne renferme
un monument assez curieux d'antiquité saxonne ; c'est le Kaiserstuhl, ou
autel de Crothos, qui consiste en une espèce de coffre en bronze, percé
d'un grand nombre de trous par lesquels passaient les flammes qui con-
sumaient les victimes humaines que l'on attachait dessus. Goslar est le
siége de l'administration des mines de Brunswick et de Hanovre. Elle est
célèbre par la fabrication d'une espèce de bière connue sous le nom de
gose; elle possède des brasseries considérables, des fabriques de produits
chimiques et des fonderies de plomb. Une partie de sa population est
occupée à ces divers genres d'industrie et à l'extraction des ardoises de
ses carrières ·, elle est peuplée de plus de 6,000 âmes. C'est près de cette
ville que s'élève le mont Rammelsberg.
Descendons les pentes septentrionales du Harz, et remarquons, dans
une plaine inégale, sur les bords de l'Innerste, la vieille ville de Hildes-
heim, qui était déjà assez importante lorsque Charlemagne fit la conquête
de la Saxe. Aujourd'hui on y compte 16,000 habitants, occupés du com-
merce et de la fabrication des toiles. Elle est grande, mais mal bâtie, et
possède un collége renommé et plusieurs églises, dont la plus remarquable
est la cathédrale, que décorent de beaux tableaux, et dans laquelle on voit
un monument digne de l'attention des antiquaires-, c'est une colonne qui
est surmontée de la statue d'Irmensul, ou d'Hermensul, l'Arminius des
Romains. Outre sa grande cathédrale, cette ville renferme quatre édifices
remarquables : le palais épiscopal, celui du conseil, l'arsenal et le trésor.
Elle entretient, proportionnellement à sa population, un très-grand nombre
d'établissements publics. Le village du Berg, près de la ville, en est en
quelque sorte le faubourg. On remarque non loin de là une grotte nom-
mée la Grotte des Nains, où il se forme une sorte de sulfate de soude.
Hildesheim a vu naître Hahn, médecin et chimiste distingué, et le célèbre
missionnaire morave Oldendorp, qui, en 1763, partit pour aller prêcher
dans les Antilles et dans l'Amérique septentrionale ; la variété de ses con-
naissances le mit à portée de publier sur tes pays qu'il parcourut des détails
aussi exacts qu'instructifs relatifs à la géographie et à l'histoire naturelle.

EUROPE. —DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
167
Au bord de la Fuse, dans une plaine marécageuse, nous remarquerons
la petite ville de Peina avec une enceinte de murailles et un petit château
fort ; à Burgdorf, station du chemin de fer de Hanôvre à Hambourg, nous
traverserons la petite rivière de l'Aue, et nous arriverons ensuite à Zell ou
Cell, autre station du même chemin de fer. Cette ville, peuplée de 12,000
âmes, et située dans une plaine sablonneuse , au confluent de la Fuse et
de l'Aller, est le siége de la cour suprême d'appel du royaume. Trois fau-
bourgs, de belles rues, plusieurs places, un château royal entoure de
murailles et de fossés, un hôtel des invalides, une maison d'aliénés qui est
en même temps une maison de correction fort bien administrée, la rendent
digne de l'attention des étrangers. Enrichie par un commerce de transit
considérable, et par la navigation active de l'Aller, cette ville, siége d'une
surintendance des cultes, possède plusieurs fabriques de bougie, de drap et
de papier.
Lunebourg, principale station du chemin de fer de Hanôvre à Ham-
bourg, est une ville importante par sa population qui s'élève à 12,000
habitants, et par le rang qu'elle occupe commechef-lieu de gouvernement;
elle est située sur l'Ilmenau, l'un des affluents de l'Elbe. Le monastère de
Saint-Michel, où l'on voit les tombeaux de plusieurs anciens ducs de
Lunebourg, et où l'on a établi une école appelée l'* Académie des Cheva-
liers, qui possède un musée renfermant quelques antiquités remarquables
du moyen âge, l'hôtel-de-ville avec la salle des princes et le château royal,
sont ses principaux édifices. La ville ne se compose que de maisons
anciennes et de rues étroites et sombres, mais elle est riche en établisse-
mentsutiles, tels que six hôpitaux, une maison d'orphelins, deux gymnases
et un institut militaire pour les jeunes gens nobles. Les nombreuses abeilles
qu'on élève hors de ses murs, les carrières de pierre calcaire ouvertes dans
le mont Kalkberg, lessalines exploitées dans ses environs, et d'où l'on lire
annuellement plus de 100,000 quintaux de sel, ses marchés où plus de
70,000 chevaux sont vendus tous les ans, enfin les produits de ses nom-
breuses fabriques donnent à son commerce une grande activité.
A sept lieues au nord-ouest de cette ville, le chemin de fer nous conduit
à Harbourg, port franc, d'où l'on s'embarque pour Hambourg, située sur
l'autre rive de l'Elbe. Elle est le siége d'une surintendance générale. C'est
une petite cité murée dont la citadelle commande le passage de l'Elbe. De
là nous descendrons à Stade, sur la Schwinge. Malgré son titre de chef-lieu
de gouvernement, ses 6,000 habitants, son gymnase, son école de cava-
lerie, sa maison de travail, son hospice d'orphelins, sa halle des marchands,

168
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
ses fabriques de flanelle, de bas et de dentelles, et son commerce assez
actif de transit, celle ville fortifiée et entourée de quatre faubourgs ne
mérite point que nous nous y arrêtions. Mais si nous remontons l'Ems,
à son embouchure, nous verrons sur la rive droite Emden ou Embden, la
ville la plus commerçante du royaume. La baie de Dollart donne à son
port une grande importance surtout relativement aux chantiers de con-
struction qu'elle possède et aux nombreux bâtiments qu'elle arme tous les
ans pour la pêche du hareng et de la baleine. Sans être une forteresse, elle
est entourée de remparts et de fossés. Il est peu de villes aussi bien arro-
sées. Son port est sûr, et sa rade offre un excellent mouillage, même pour
les vaisseaux de ligne: un phare placé sur l'île de Borkum indique l'en-
trée du Dollart. Elle possède des chantiers pour la construction des navires.
Son vaste hôlel-de-ville renferme une belle collection d'armes anciennes.
Cette cité, renommée par ses fabriques de tabac et de bas de fil, a une
population d'environ 14,000âmes. L'embranchement prussien deMunster,
qui se soude à Hamm à la grande ligne de Cologne-Hanôvre-Berlin, doit
être continué jusqu'à Emden, en suivant la vallée de l'Ems, par Lingen
et Meppen.
Nous ne quitterons point les parages de la mer du Nord sans parler des
îles qui bordent le rivage, depuis l'embouchure de l'Elbe jusqu'à celle de
l'Ems. Les noms sont Spikerooge, Langerooge, Ballrum, Norderney, Iuist,
et Borkum. D'autres îles s'étendent encore à l'ouest de l'embouchure de
l'Ems, mais elles appartiennent à la Hollande. Les envahissements que la
mer a faits depuis six siècles sur les côtes hanôvriennes et hollandaises, et
dont la trace est en quelque sorte marquée par l'agrandissement graduel du
golfe de Dollart et de quelques autres golfes, semblent prouver que ces îles
faisaient jadis partie du continent. D'ailleurs ces faits sont confirmés dans
le pays par la tradition de l'engloutissement de plusieurs villages qui s'éle-
vaient jadis sur ces côtes aujourd'hui détruites. Borkum diffère des autres
îles, qui ne sont que des amas de sables, en ce qu'elle offre sur plusieurs
points de sa surface des terrains gras et propres à la culture. Sa circonfé-
rence est de 4 lieues; elle est tellement basse, que la marée la divise en
deux parties. On croit que les anciens la connurent sous le nom de Byr-
chants ou Fabaria. L'île de Iuist, très-basse, n'a qu'une lieue un quart de
longueur sur une demi-lieue de largeur; Norderney, un peu plus grande,
n'est qu'un banc de sable tapissé de quelques plantes: elle est très-peu-
plée, grâce aux bains de mer qui y sont établis depuis 1799, et qui sont
très-fréquentés; Ballrum, large d'une demi-lieue et longue de deux et

EUROPE.—DESCRIPTION DU ROYAUME DE HANOVRE.
169
demie, est souvent inondée dans les hautes marées; les trois îles de Lan-
gerooge, dont la plus occidentale se nomme Westerende, et la plus orien-
tale Oslerende, sont exposées aux mêmes inondations; enfin, Spikerooge
n'est qu'un amas de dunes entouré de hauts-fonds. L'espace compris entre
ces îles et le continent est si peu profond, qu'il est presqu'à sec pendant la
marée basse. Au surplus, malgré leur stérilité, toutes ces îles sont peu-
plées, et ceux qui les habitent y élèvent des bestiaux, et vivent principa-
lement de la pêche et de la chasse.
Rentrons sur le continent par Norden, petite ville assez bien bâtie, quoi-
que ancienne, à une lieue de Leysand, plage qui communique à la mer du
Nord par un canal; traversons Aurick, siége d'un consistoire protestant et
d'une surintendance générale. Le commerce communique de cette petite
ville à Emden par un canal. Leer, à six lieues au sud d'Aurick, sur la rive
droite de la Leda, qui est navigable pour les vaisseaux de 200 tonneaux,
est une ville très-commerçante de 10,000 âmes, dont le port renferme plu-
sieurs chantiers de construction. Le bailliage d'Aurick est en grande partie
couvert de marécages et de bruyères. Nous ne citerons le chef-lieu de
cercle, Meppen, petite ville de 2,000 habitants, que parce qu'elle se trouve
sur la roule qui nous conduit à Osnabrück.
Les érudits allemands ne sont pas plus d'accord sur l'origine de cette
dernière ville, qui existait déjà du temps de Charlemagne, que sur l'étymo-
logie de son nom, dans lequel les uns veulent voir Osenbrück (pont sur
l'Osen), et d'autres Ochsenbrück (pont de bœufs). Quoi qu'il en soit, la
petite rivière qui la traverse n'est point l'Osen, comme l'étymologie que
nous venons de rappeler pourrait le faire croire, mais la Hase ou la Haase.
Osnabrûck, qui compte aujourd'hui 12,000 habitants, fut érigée en évêché
par Charlemagne. Malgré la prépondérance de l'évêque, qui était jadis
souverain de cette cité, elle fut la première à embrasser la réformation de
Luther. Aujourd'hui elle possède un évêque catholique. Osnabrück, autre-
fois fortifiée, comme l'indiquent quelques restes de remparts, est généra-
lement mal bâtie ; on y remarque cependant quelques belles rues : telle est
celle qui conduit au château, assez vaste édifice qu'entoure un jardin orné
de pièces d'eau. On conserve dans la cathédrale les cercueils en argent qui
renferment les reliques de saint Crépin et de saint Crépinien ; la ville
possède plusieurs hôpitaux, un collège et une belle promenade, dans le
quartier nommé Freyung. Elle fait un grand commerce de toiles, et possède
des manufactures de tabac, de lainages grossiers, et des blanchisseries de
toiles.
VII.
22

170
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
En 1790, tout ce qui constituait l'électorat du Hanovre était compris
dans la partie orientale de l'ancien cercle de Westphalie, et dans la partie
occidentale de celui de la Basse-Saxe. Érigé en royaume en 1814, le
Hanovre s'est agrandi depuis par des traités particuliers ; il a céde au Dane-
mark le duché de Lauenbourg ; à la Prusse et au grand-duché d'Olden-
bourg plusieurs petits territoires en échange de ceux de Hildesheim et de
Goslar, de la Frise orientale, du comté inférieur de Lingen, des seigneu
ries de Plesse et de Gleichen, des bailliages d'Uchte et de Frudenberg,
de la partie septentrionale du pays d'Eichsfeld et du territoire de Meppen ;
en 1818, il a fait l'acquisition du comté de Spiegelberg.
En 1826, les revenus du royaume étaient évalués à environ 23 millions
de francs ; aujourd'hui on les estime à plus de 30.
Mais la dette publique ne monte pas à moins de 120 millions de francs,
dont les intérêts sont payés au taux de 4 pour 0/0. On peut juger, d'après
cela, que pour peu que le gouvernement s'occupe de l'amortissement de la
dette et des améliorations que le pays exige, les réserves qui restent dans
les caisses du trésor public ne doivent pas être fort importantes.
Des côtes du Hanovre on aperçoit une île dont nous dirons ici quelques
mots, bien qu'elle ne dépende pas de ce royaume et qu'elle appartienne à la
Grande-Bretagne depuis 1807, que les Anglais l'enlevèrent au Danemark,
qui fut obligé de la leur céder par les traités de 1814. Cette île, appelée
Helgoland, et située à 13 lieues des côtes du Holstein, est au nord des
bouches du Weser et au nord-ouest de l'embouchure de l'Elbe. Une ligne
de rochers de 500 pas de longueur, et que l'on gravit au moyen d'un esca-
lier, la divise en deux parties, l'une haute et l'autre basse. La partie haute,
dont le point culminant est de 72 mètres au-dessus du niveau de la mer, a
4,200 pas de circonférence, et renferme un fort, un arsenal, des magasins
et 300 à 400 maisons, l'autre, qui n'a que le tiers de la précédente, mais
qui s'accroît journellement par les alluvions que la mer y accumule, con-
tient environ 80 habitations. La population totale est de 3 à 4,000 habi-
tants, qui retirent de la pêche environ 125,000 francs par an. Le chef lieu
porte aussi le nom d'Helgoland. Le gouvernement britannique entretient
dans l'île un gouverneur, un sous gouverneur, un major de place et une
garnison de 400 hommes. Helgoland, ainsi que l'indique son nom, était
autrefois un lieu vénéré: les anciens Germains la nommaient Hertha, du
nom de la déesse de la terre, à laquelle elle était consaerée.
Le grand-duché de Holstein-Oldenbourg, ou simplement d'Oldenbourg,

EUROPE. — DESCRIPTION DE L'OLDENBOURG.
171
se compose de trois parties distinctes, dont la principale, ou l'Oldenbourg
proprement dit, est bornée au nord par la mer d'Allemagne ou du Nord, et
sur tous les autres points par le royaume de Hanovre, à l'exception d'une
frontière de 4 lieues de longueur, qui à l'est la sépare du territoire de la
ville libre de Brème. Sa longueur, du nord au sud, est d'environ 30 lieues,
et sa plus grande largeur, de l'ouest à l'est, de 17 lieues. Depuis ses limites
avec le pays de Brême jusqu'à la mer, le cours du bas Weser sépare du
royaume de Hanôvre cette partie importante du grand-duché. La seconde
partie de l'Oldenbourg consiste en douze petites enclaves formant la prin-
cipauté d'Eutin ou de Lubeck, et situées vers les extrémités orientale et
méridionale du duché danois de Holstein ·, la troisième est la principauté de
Birkenfeld, comprise entre la Prusse-Rhénane et la principauté de Lich-
tenberg, appartenant au duché de Saxe-Cobourg-Gotha.
Les trois parties réunies du grand-duché d'Oldenbourg renferment une
population de 275,000 habitants, répartis sur une superficie de 113 milles
carrés, ou 314 lieues géographiques carrées; et comme les deux petites
principautés sont proportionnellement plus peuplées que l'Oldenbourg
proprement dit, elles contribuent à donner pour terme moyen de la popu-
lation de tout le grand-duché, 876 habitants par lieue carrée.
Tout ce que l'on sait sur les premiers habitants du pays d'Oldenbourg,
c'est qu'ils appartenaient à la branche cimbro-saxonne qui, avant le qua-
trième siècle de notre ère, occupait les contrées voisines du cours de l'Elbe,
de celui du Rhin, et de la mer du Nord. On donne le nom de Chemi au
peuple qui habitait la plus grande partie des terres qui forment aujourd'hui
le grand-duché d'Oldenbourg. A l'époque reculée dont il s'agit, ce pays,
beaucoup plus marécageux qu'aujourd'hui, devait renfermer peu de ter-
rains habitables. C'est à l'embouchure du Weser et sur les bords de la Jahde
que ces antiques peuplades, qui vivaient de la pêche et de la chasse, rési-
daient.
Ce pays forma d'abord un comté, et le premier de ses comtes, qui vivait
au douzième siècle, se nommait Christian ou Christiern. Il fonda la ville
de ce nom, et eut pour successeur son fils Théodoric ou Thierry, surnommé
le Fortuné, probablement parce que son mariage avec Hedwige, héritière
du Sleswig et du Holstein, lui valut la possession de ces deux comtés. Ce
prince donna le jour à Christian Ier, qui régna en Danemark, et à Gerhard
le Belliqueux, qui fut comte d'Oldenbourg. Christian, fils aîné de Thierry,
hérita du Sleswig et du Holstein, et devint roi de Danemark en 1448 : l'un
de ses deux fils, Jean, régna sur ce dernier pays, et Frédéric sur le Sles-

172
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
wig et le Holstein ; mais appelé au trône danois après la déposition de
Christian 11, il laissa ce trône à son fils aîné Christian III, tandis que son
autre fils, Adolphe, devenait le chef de la maison de Holstein-Gottorp. Les
descendants de Gerhard possédèrent successivement l'Oldenbourg ; mais
Antoine Gunlher ou Gonthier, le dernier de ces princes, étant mort sans
enfants, le comté passa en 1667 à la couronne de Danemark. Vers celte
époque, la ligne de la maison Holstein-Gottorp monta sur le trône de
Russie, et le Danemark échangea avec elle l'Oldenbourg contre le Holstein.
En 1773, le grand-duc Paul en fut investi, et c'est à cette occasion que cet
ancien comté fut érigé en duché. En 1785, Paul en fit la cession à son
cousin Paul-Frédéric-Auguste, évèque de Lubeck et membre de la branche
ducale de Holstein-Gottorp. En 1803, ce prince reçut une augmentation
considérable de territoire dans l'évêché de Lubeck ·, on lui donna les bail-
liages de Vechte et de Kloppenbourg dans l'évêché de Munster, ainsi que
le baillage de Wildeshausen dans le Hanovre. En 1808, il entra dans la
confédération du Rhin, formée sous le protectorat de Napoléon ; mais en
1810, le duché fut anéanti par la formation des deux départements français
des Bouches-du-Weser et des Bouches-de-l'Elbe. Il ne lui resta que le pays
de Lubeck. Trois ans après, les événements politiques permirent au prince
de rentrer dans ses États ; enfin, en 1815, le congrès de Vienne lui conféra
la dignité de grand-duc, et lui céda la principauté de Birkenfeld, dont nous
avons parlé plus haut, et l'empereur de Russie lui abandonna la seigneurie
de lever.
L'Oldenbourg proprement dit est un pays plat, que quelques élévations
qui s'étendent le long de ses côtes garantissent des inondations de la mer.
Après le bas Weser, qui le baigne à l'est, ses principaux cours d'eau sont
la Hunte, affluent de ce fleuve, l'Iahde, l'Iumme, la Vehne, la Soesle, la
Leda et la Haase. La première de ces rivières a 45 lieues d'étendue; elle
n'est navigable qu'à partir de quelques lieues avant de se jeter dans le
Weser; elle forme, sur une longueur d'un peu plus de 3 lieues, la limite
entre ce pays et le Hanovre. La seconde, qui n'a que 5 à 6 lieues de lon-
gueur, se jette dans la mer du Nord, en donnant son nom à une baie longue
de 8 lieues et large de 4, au nord de laquelle s'étend la petite île de Wanger-
oge qui appartient au grand-duché. Les cinq autres rivières vont se joindre
à l'Ems, dans le royaume de Hanovre.
L Oldenbourg renferme un grand nombre de lacs, dont les principaux
sont le Zwischenahn et le Bummer, et plusieurs marais, dont les plus con-
sidérables s'étendent vers le sud-est du pays, au nord et au sud-ouest du

EUROPE. — DESCRIPTION DE L'OLDENBOURG.
173
lac Dümmer, qui, sur une longueur d'une lieue, sépare l'Oldenbourg du
Hanovre. De nombreuses écluses, conslruites dans le but de disperser les
eaux intérieures et de les conduire hors du pays, sont entretenues à grands
frais. Dans la partie méridionale s'étend une grande plaine nommée Gum-
ling.
Le territoire de la principauté de Lubeck présente aussi une surface
plate arrosée par la Trave et la Schwartau, et dans laquelle on remarque
les lacs d'Eutin, de Kell, de Plön et d'Ukley.
La principauté de Birkenfeld appartient physiquement à la région mon-
tagneuse du Hundsrück ; sa principale rivière est la Nahe.
Sur les bords des rivières de l'Oldenbourg, le terrain est gras et très-
fertile ; mais dans le reste du pays il est sablonneux, et conséquemment peu
productif. Les sables dont nous parlons reposent sur un dépôt de craie. Il
en est de même du terrain de la principauté de Lubeck. Quant à celle de
Birkenfeld, la nature de son sol et de ses roches est, sous plusieurs rap-
ports, beaucoup plus intéressante. On sait quelle quantité prodigieuse
d'agates, de jaspes, de calcédoines, on recueille aux environs du village
d'Oberstein ; on sait aussi tout le parti que l'industrie de ce petit pays retire
de cette richesse naturelle. On exploite aussi des mines de fer assez abon-
dantes.
Quant à l'Oldenbourg proprement dit et à la principauté de Lubeck, on
n'y connaît aucune substance métallique digne d'être mise en exploitation ;
mais dans le premier de ces deux pays il existe un grand nombre de tour-
bières, dont le produit est assez considérable pour fournir à des exporta-
tions importantes, et des argiles utilisées par les nombreuses tuileries du
pays.
Certaines parties du duché d'Oldenbourg sont fertiles en pâturages; on
y élève de nombreux troupeaux, beaucoup de bêtes à cornes, mais princi-
palement des chevaux presque aussi estimés que ceux du Mecklembourg.
Tous ces animaux sont compris parmi les objets que ce pays exporte. Les
paysans engraissent beaucoup de porcs; ils élèvent aussi des oies dont la
plume est un objet d'exportation ·, enfin les abeilles réussissent assez bien.
Aussi le beurre, le fromage, les viandes salées et fumées, les cuirs, les
peaux et la cire y sont-ils autant de branches de commerce.
Ce n'est que dans certaines parties que l'habitant peut exercer son indus-
trie sur les produits des animaux domestiques. L'intérieur du pays ren-
ferme peu de terrains propres à l'agriculture; c'est là qu'on rencontre
fréquemment des marais et des landes. Lorsqu'on parcourt surtout le sud-

174
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
ouest de cette contrée, on est quelquefois plusieurs heures sans apercevoir
un seul arbre, une seule habitation; de là vient que les grains récoltés
dans ce duché ne suffisent point à la consommation de ses habitants. Les
forêts y sont peu considérables, et sans les tourbières dont nous venons de
parler, la classe peu aisée manquerait souvent de combustible. Les prin-
cipaux végétaux utiles que l'on y cultive sont le houblon et le lin ; le pre-
mier est nécessaire dans un pays où sont établies de nombreuses brasse-
ries; le second alimente des fabriques considérables de toiles. On y récolte
aussi du chanvre, qu'emploient les tisserands du pays, et beaucoup de
colza, qui alimente un grand nombre de moulins à huile. Nous avons dit
que les bêtes à laine y constituent une des richesses territoriales ; mais il
est bon d'ajouter que leur toison ne sert point seulement à fabriquer des
draps, elle est principalement employée à une si grande fabrication de bas,
que dans les seuls cantons de Kloppenbourg et de Vechte le commerce inté-
rieur et d'exportation de cette branche d'industrie s'élève à une valeur de
plus de 100,000 écus par an. Dans le Humling, plaine la plus élevée de
tout le pays, et qui forme une lande sablonneuse assez riche cependant en
végétaux pour que de nombreux troupeaux puissent y trouver leur pâture,
les habitants n'ont d'autres richesses que leurs moutons et leurs abeilles;
ces moutons fournissent une laine assez grossière; mais les abeilles pro-
duisent une grande quantité de miel, grâce aux soins de ces paysans. Au
printemps ils quittent cette lande élevée, et transportent leurs ruches au
nord dans des plaines basses où l'on cultive de la navette; lorsque la
récolte de cette plante est faite, ils se dirigent avec leurs ruches dans les
terrains marécageux employés à la culture du blé-sarrasin ; ils y restent
jusqu'à ce que les landes qu'ils ont quittées soient couvertes de bruyères
en fleurs. L'industrie et les mœurs de ce petit peuple nomade rappellent
en quelque sorte ces tribus errantes dont nous parle la Bible.
La pêche maritime et celle des rivières est très-productive dans le pays
d'Oldenbourg; elle occupe et nourrit un grand nombre d'individus. Les
rivières et les côtes sont très-poissonneuses.
Quant au commerce, il est favorisé par les embouchures du Weser et de
l'Iahde, et surtout par celle de cette dernière, parce que la marée qui s'y
élève à 5 mètres permet aux navires d'approcher jusqu'à l'écluse de Varel.
Les syhles qui bordent la côte sont autant de petits ports d'où les marchan-
dises sont facilement transportées dans l'intérieur du pays par des canaux
ou par le Weser et l'Iahde.
La partie la plus septentrionale du duché d'Oldenbourg est exposée à un

EUROPE. —DESCRIPTION DE L'OLDENBOURG.
175
air froid et humide, dû à la proximité de la mer, et surtout à la configura-
tion de la baie de l'Iahde, qui s'enfonce de plus de 5 lieues dans les terres,
et qui doit son nom à la petite rivière qui s'y jette. Les terres qui entourent
cette baie se ressentent de l'influence des vents du nord ·, les froids s'y pro-
longent beaucoup plus longtemps que dans le reste de la contrée, où, en
général, le printemps et l'été sont plus tardifs que dans les autres parties
de l'Allemagne placées sous le même parallèle. Dans les plus grandes cha-
leurs de l'été, les soirées et les nuits sont souvent très-froides ; si l'on ne
prend de grandes précautions, le changement subit de température fait
naître des maladies dangereuses.
Les Oldenbourgeois parlent la langue allemande, mais leurs expressions
ont peu d'élégance, et, comme le disent les puristes allemands, leur pro-
nonciation a surtout le défaut d'être plate. La plupart des habitants sont
attachés à la communion luthérienne; on y compte cependant un grand
nombre de catholiques, beaucoup de réformés et quelques juifs; tous pro-
fessent leur culte avec la plus grande liberté.
Le gouvernement d'Oldenbourg a pour chef le grand-duc, dont le pou-
voir n'est pas limité par les États du pays : ceux-ci ne se rassemblent que
pour voter l'impôt. Le prince préside le conseil suprême, dans lequel on
discute les affaires importantes; toutes les branches de l'administration
sont soumises à un autre conseil, que préside le ministre dirigeant (ober-
land-drost). Un conseil de finances est chargé de tout ce qui a rapport
aux revenus et aux dépenses du pays. Le nombre des employés et des
fonctionnaires est très-limité : la plus sévère économie règne dans toutes
les branches du service public. L'administration de la justice se compose
de baillis, de magistrats, d'une chancellerie et d'une cour supérieure. Le
grand-duché est divisé en districts, en baillages et en paroisses. Le magis-
trat de chaque paroisse et les baillis relèvent de la justice cantonale du
district; les magistrats du district jugent en première instance; la chan-
cellerie tient lieu de cour d'appel; et enfin la cour de justice, tribunal
suprême, juge en dernier ressort.
Oldenbourg, capitale de tout le duché, et la ville la plus importante par
sa population, que l'on évalue à 8,000 habitants, est située au confluent
du Haren et de la Hunte, rivière peu importante, mais navigable, qui y
forme un port accessible pour de petits bâtiments et entouré de plantations
agréables. La ville, qui est fortitiée, se divise en vieille et nouvelle. Cette
dernière est assez bien bâtie: on y remarque quelques maisons élégantes.
Le château ducal, le palais du prince, la cathédrale de Saint-Lambert et

176
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
l'hôtel du gouvernement sont les édifices les plus remarquables. Trois
hôpitaux, un observatoire, un gymnase qui jouit d'une grande réputation,
un séminaire pour les maîtres d'école, une bibliothèque publique de plus
de 45,000 volumes sont les principaux établissements publics. Le grand-
duc a sa résidence habituelle à Rastède, petite ville de 4,000 âmes, et
à 2 lieues et demie d'Oldenbourg.
Delmenhorst, sur la Delme, renferme 2,000 habitants; on y fabrique du
cuir à la façon anglaise, et l'on y fait un grand commerce de chevaux.
Wildeshausen, ville qui contient 600 habitants de plus que la précédente,
est siiuée sur les bords de la Hunte, et possède des fabriques considérables
de draps et des tanneries.
Nous ne devons point passer sous silence le canton de Saterland, placé
au milieu d'une contrée marécageuse, et dont les habitants, Frisons d'ori-
gine, ont conservé la langue et les mœurs de leurs ancêtres. Depuis l'âge
de cinq ans jusqu'à la vieillesse la plus avancée, dit Stein, les deux sexes
s'occupent à tricoter des bas de laine avec une ardeur et une activité sans
exemple. Leur sol se compose de marais couverts d'un gazon que vendent
les habitants; ceux-ci, au nombre d'environ 2,000, habitent les trois pa-
roisses de Ramesloh, Scharrel et Strücklingen.
La petite ville de Vechla ou Vechle doit son nom à la rivière de Vechte.
Entourée de murs et de fossés, elle passe pour une place forte. On y
compte 1,600 à 1,800 habitants. C'est le chef-lieu d'un des cercles les
plus peuplés du grand-duché. Le bourg de Varel, situé à l'embouchure de
la Jahde, a un bon port défendu par le fort Christianbourg, un palais des
anciens comtes de Bentinck qui présente une belle façade, des marchés de
chevaux et de bœufs, un gymnase catholique, une population de 2,600
habitants. Son commerce est considérable: le flux facilite l'entrée des
navires dans ses murs. Dans le cercle de Kloppenbourg, nous mention-
nerons la petite ville de Frysoila ou Friesoite, où se tiennent chaque année
quatre grands marchés aux chevaux et aux bestiaux.
Le cercle ou la seigneurie de Jever, situé dans la partie septentrionale
du grand-duché, comprend les petits pays d'Ostringen, de Rustringen et de
Wangerland. Jever, son chef-lieu, est environné d'un fossé et de remparts
qui servent de promenades. Sa population est de 3,500 habitants. On y voit
un vaste château, plusieurs églises, une maison d'orphelins, un hospice de
charité, un gymnase et une inspection générale des pauvres. Ses établis-
sements industriels consistent principalement en distilleries d'eau de vie de
grains et en tanneries, Il s'y tient chaque année douze foires pour les bestiaux.

EUROPE. — DESCRIPTION DE L'OLDENBOURG.
177
Telles sont les principales villes du grand-duché d'Oldenbourg.
Nous avons dit que ce duché possède deux petites principautés : celle
de Lubeck et celle de Birkenfeld. La principauté de Lubeck ne comprend
point, ainsi qu'on pourrait le croire, le territoire de cette ville dont nous
avons déjà parlé ; elle devrait plutôt porter le nom
Eutin ou Utina, sa
capitale. Cette principauté, qui se compose de douze enclaves situées dans
le duché danois de Holstein, formait autrefois un évêché luthérien, dont le
siége avait été fixé à Lubeck, mais dont le titulaire, qui avait le rang de
prince de l'empire, résidait à Eutin.
Les deux principales enclaves dont il se compose sont celles d'Eutin
et de Kaltenhof, ou de Schwartau. Eutin est une petite ville bien bâtie,
située à trois lieues de la mer du Nord, sur le bord d'un petit lac très-pois-
sonneux. Sa population est de 3,000 habitants; elle est le siège d'une
chancellerie, d'un consistoire, d'une chambre fiscale, d'un tribunal civil
et d'une direction générale des hospices de la principauté. Elle possède
un château, un palais moderne avec de beaux jardins, un hôpital, un éta-
blissement de charité, un gymnase et une école d'industrie.
Le territoire de Birkenfeld, qui a été érigé en principauté, ne renferme
point de villes dignes de ce nom. Birkenfeld, située sur la Nahe, est
plutôt un bourg; sa population ne s'élève pas à 1,400 habitants ; on y
remarque un château et deux établissements de forges assez importants
Un autre bourg, plus intéressant par son industrie, est celui d'Oberstein ,
situé dans une petite vallée sur la Nahe ; ses habitants excellent dans la
taille et le polissage des agates, des calcédoines, des cornalines, du jaspe
et des autres pierres dures.
Le grand-duché de Holstein-Oldenbourg entretient un corps de troupes
de 3,593 hommes. Son contingent à l'armée fédérale est de 4,125 hommes;
ses revenus s'élèvent à 11,320,400 francs; ses dépenses à 13,466,400 fr.,
et sa dette publique à 4,112,000 francs. Nous observerons que les finances
de la principauté de Lubeck et celles de la principauté de Birkenfeld, que
nous avons réunies dans ces nombres, sont néanmoins par le fait séparées
de celles d'Oldenbourg. Il fait un commerce maritime de cabotage impor-
tant avec l'Allemagne septentrionale; il comptait, en 1851,510 navires
jaugeant 18,000 tonneaux. Conjointement avec les trois duchés d'Anhalt,
et les deux principautés de Schwartzbourg, il occupe la quinzième place
à l'assemblée ordinaire de la confédération germanique, et y possède une
voix ; mais à l'assemblée générale, il a une voix à lui seul.
Sur la côte occidentale de la baie du Jahde, s'étend un territoire appelé
VII.
23

178
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME.
la seigneurie de Kniphausen. C'est le plus petit des États de l'Europe; sa
superficie n'est que de 2 lieues et sa population d'à peine 3,106 individus.
Il fait partie de la confédération, à laquelle il fournit un contingent de 28
hommes qui se confond avec celui de l'Oldenbourg.
La capitale de cette petite principauté est Kniphausen, assez joli châ-
teau fortifié, comprenant une cinquantaine d'habitants, mais le prince
réside ordinairement à Varel, enclavé dans le grand-duché d'Olden-
bourg.
TABLEAUX Statistiques du royaume de Hanovre, du grand-duché d'Olden
bourg et de la seigneurie de Kniphausen.
ROYAUME DE HANOVRE.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1848.
par lieues g. c.
en 1852.
hommes
098,65
milles Homm. 875,321
906
Revenus.
Etat-major
22
carrés alle- Femm . 883,526
28,652 303 fr. Cavalerie, 8 régiments. . . 3,344
mands
Dépense»,
Infanterie,8rég. à 2 batail.)
176
ou
Total. 1,758,847
30.301.245 fr.
4 batail. lége
16,176
1.940 lieues
Dette publia. Génie, 2 compagnies.. . .
193
géographiq.
119,313.777 fr. Artillerie
1,367
carrées.
Contrib.fédér. Ouvriers
99
152,765
21,206
Contingent fédéral.
13,054
POPULATION
NOM DES PROVINCES.
SUPERFICIE.
VILLES PRINCIPALES-
en 1848.
HANOVRE, 36,000. Hameln, 6,000.
Boden-
HANOVRE
305
339,229
werder. 1,500. — Münder, 1,500. Neustadt-
am-Rübenberge, 1,400. Springe. 1.600.
Hildesheim, 15,000 Alfeld, 2,200. Bocken-
heim, 2,400. - Goslar, 8,000. Gottingue,
HlLDESHEIM. . . .
225
360,292
12,000. Gronau, 1.600 — Peina, 3,200.—
Ι
Münden, 6,000. Duderstadt, 5,500· — Elbin-
gerode, 3,200.
Lunebourg, 14,000.
Celle, 12,000.
Harbourg,
LUNEBOURG. . . .
568
326,427
4,500 — Dannenberg, 1,600. — Hitzacker, 900.
— Luchow, 2,500.
Uelzen, 3,000.
STADE
342
Stade. 8,000.
Verden, 4,500. — Olterdorf, 2,200.
265,808
— Buxtehude, 1,600.
Osnabrück, 14,000. Pappenbourg, 4,000. —
OSNABRUCK.
. . .
316
257,862
Fürstenhau, 1,000
Haselüne, 1,800.—Lingen,
2,000 - Meppen, 2,500.— Quackenbrück, 1,700.
AURICH
152
174,355
Aurich, 4,000.
Leer, 10 000. Emden, 14,000.
Clausthal, 10.000. — Andreasberg, 4,000. —
CLAUSTHAL. . . .
32
34,874
Zellerfeld, 4,000.

179
EUROPE. —TABLEAUX STATISTIQUES DE L'OLDENBOURG.
GRAND-DUCHÉ D'OLDENBOURG.
SUPERFICIE
POPULATION.
POPULATION
FINANCES
FORCES MILITAIRES
en lieues g. c.
en 1850.
par lieues g. c.
en 1852.
en 1852.
314
275,000
876
Revenus.
4 bataillons d'infanterie. . 2,800 homm
11,320,400 fr.
3 escadrons de cavalerie .
410
»
Dépenses.
Artillerie
3(i9
»
13,466,400 fr.
Arsenal
14
»
Dette publique.
4,112,000 fr
3,593 liomm
Contrib. fédér 1.
Contingent fédéral.
25,827
4,125
CERCLES. SUPERF. POPULAT
PROVINCES.
CHEFS LIEUX DES BAILLIAGES.
3 bailliages. — OLDENBOURG,
OLDENBOURG. .
89
33,232
8.000. — Elsfieth, 1,600. —
Zwischenahn, 1,000.
4 bailliages. — Delmenhorst,
2.500 — Berue, 600· — Gan-
DELMENHORST
42
33,604
derkesa, 650. — Wildeshausen,
3 000.
OLDENBOURG (propre).
.
3 bailliages. — Jever, 4,000. —
JEVER.
18
19,599
Superficie, 262 lieues g. c
Minsen, 160. — Tettens. 250.
3 bailliages. — Kloppenbourg,
Population,110.404 liomm.
KLOPPENBOUBG
73
32,234
1.000. — Friesorte, 1,000. —

111,408 femm.
Loningen, 1,100.
4 bailliages. — Neuenbourg. 500.
222,812
— Bockhorn, 500. — Rastède,
37
34,246
Revenus .
NEUENBOURG.
. . 2,950,400 fr.
4,500. — Westerstède, 900. —
Dépenses. . . 3,608,400
Varel, 3,000
5 bailliages — Ovelgönne, 850.
Abbehaussen , 300. — Braake,
OVELGONNE.
23
28,786
1,000. — Burhave, 500. —
Wührden, 750.
4 bailliages. — Wechta, 2.000· —
WECHTA.
38
33,674
Steinfeld, 400.—Damme.1,200.
— Dinklage, 900.
Principauté de LUBECK. .
1,437
I Militaires en service actif.
Superficie, 25 lieues g. c.
2 bailliages. — EUTIN, 3,500. —
Population, 22,146
Kaltenhof, 950.
Revenus. . . 4,389,600 fr.
Dépenses. . . 4,984,800
Princ. de BIRKENFELDEN.
Superficie, 23 lieues g. c.
Population, 15,531 liomm.
3 bailliages. — BIRKENFELD,

15,435 femm.
1.400 — Oberstein, 1,600. —
Hohefelden, 1, 000.
30,966
Revenus.
. 3 980,400 fr.
Dépenses.
. 4,873,200
SEIGNEURIE DE KNIPHAUSEN.
SUPERFICIE
POPULATION.
POPULATION.
CONTINGENT.
REVENUS.
en lieues géograp. car.
2 1/4
3,106
1,660
50,000 fr.
28

180
LIVRE CENT CINQUANTE-HUITIÈME.
LIVRE CENT CINQUANTE-HUITIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne septentrionale. — Description du
duché de Brunswick, des principautés de Lippe-Detmold et de Lippe-Schauen-
bourg ; des duchés d'Anhalt-Dessau, d'Anhalt-Bcrnbourg et d'Anhalt-Köthen.
Nous allons maintenant parcourir les États enclavés dans la Prusse et
dans le Hanovre, c'est-à-dire le duché de Brunswick, les deux principautés
de Lippe-Detmold et de Lippe-Schauenbourg, et les trois petits duchés
d'Anhalt-Dessau, d'Anhalt-Bcrnbourg et d'Anhalt-Kothen.
Ces pays étaient autrefois occupés par les Cherusci, les Chassuarii, les
Suèves et d'autres peuplades qui dans la suite se confédérèrent pour former
la formidable nation des Saxons.
Le duché de Brunswick se compose de trois parties principales, dont la
plus septentrionale et la plus importante , qui renferme la capitale, est
bornée au nord, à l'est et au sud par la régence prussienne de Magde-
bourg, et au sud, à l'ouest et au nord par le Hanovre-, la seconde, qui
forme le district du Harz, est pour ainsi dire enclavée dans le Hanovre
méridional, c'est-à-dire qu'elle confine à ce pays, au nord comme au sud;
mais à l'est elle est bornée par la Prusse, et à l'ouest par une enclave de
la principauté de Waldeck. Elle renferme une enclave du Hanovre. La
troisième, sur les pentes méridionales du Harz, porte le nom de district de
Blankenbourg et est entourée par les possessions de la Prusse et du Hanovre.
Le duché Comprend encore quatre autres parties, dont quelques-unes très
peu importantes, et plus ou moins éloignées des deux premières : l'une
d'elles est à plus de 25 lieues de la plus considérable. La quatrième, for-
mée du district de Kalworde, est enclavée dans la régence prussienne de
Magdebourg ; bien que peu considérable, elle renferme une petite enclave
de la Prusse. La cinquième, ou le pays de Bodenbourg, est enclavée dans
la province hanôvrienne d'Hildesheim. La sixième est comprise dans la
partie septen trionale de la même province. Enfin la septième, la plus sep-
tentrionale de toutes, qui forme le cercle de Thedinghausen, est située sur
la rive gauche du Weser, enclavée au milieu du Hanovre. La superficie de
toutes ces parties réunies est de 72,08 milles carrés allemands, ou 201
lieues géographiques carrées, et la population était, en 1847, de 208,943
individus, presque tous attachés à la confession d'Augsbourg.

EUROPE. — DUCHÉ DE BRUNSWICK.
181
Les richesses minérales de tout le duché, dont quelques districts appar-
tiennent à la région montagneuse du Harz, consistent en divers métaux,
tels que le fer, le plomb, le cuivre, le mercure, le zinc, et même 1 or et l'ar-
gent ·, on en tire aussi des marbres, des ardoises, des pierres à chaux, du
bitume, du sel et des terres propres à la fabrication de la faïence et de la
porcelaine. Quelques parties sont coupées de chaînes de collines couvertes
de belles forêts et formant entre elles des vallées très-riches ; d'autres pos-
sèdent de bons pâturages ; l'agriculteur sait y mettre à profit un sol géné-
ralement fertile : les céréales, la navette, le houblon, la garance, le tabac
et la chicorée que l'on travaille pour mêler au café et pour la préparation
de la soie, constituent ses principaux produits agricoles.
Le duché possède un grand nombre d'établissements industriels, tels que
des fabriquesde toile, de draps et de soieries, des moulins à huile, des pape-
teries, des manufactures de glaces et de porcelaine, des verreries et surtout
des forges et des usines.
Brunswick ou Braunschweig, capitale du duché, est située dans une
plaine et arrosée par l'Ocker qui s'y partage en plusieurs branches. On dit
qu'elle fut fondée, en 868, par Brunon, fils du duc deSaxe Adolphe, qui lui
donna son nom. Elle est assez grande, en y comprenant les faubourgs, qui
sont décorés de beaux jardins, et l'on porte sa population à 38,000 habi-
tants. La cathédrale est remarquable surtout par les tombeaux de la famille
ducale; l'église de Saint-André l'est par son clocher qui a 103 mètres
d'élévation. Les autres édifices qui méritent d'être mentionnés sont le
Graue-Hoff ou le Palaisducal, l'hôtel-de-ville, l'arsenal et la salle de l'Opéra.
La plus belle de ses places est celle du Bourg, ornée d'un lion en bronze
qu'on dit avoir été fondu au douzième siècle par Henri III,dit le Lion. Un
autre monument historique est celui qui a été consacré à la mémoire des
ducs de Brunswick, morts, en 1806 et 1815, sur le champ de bataille.
Brunswick possède encore de nombreux établissements de charité et d'in-
struction, parmi lesquels nous citerons le collége Carolinum, Vinslilut
ducal. C'est à Brunswick que fut inventé, dit-on, en 1534, par un nommé
Jurgen, le rouet à filer. Cette ville qui est une des principales stations de
la grande ligne de chemin de fer de Cologne-Hanôvrc-Berlin, fait un com-
merce assez important. C'est un des entrepôts de l'Allemagne-, elle fabrique
de la chicorée, des chapeaux, des rubans, des dentelles, des draps et de la
bijouterie. Il s'y tient chaque année, aux jours de la Chandeleur et de
la Saint-Laurent, deux foires importantes et six grands marchés auxbes-
tiaux.

182
LIVRE CENT CINQUANTE-HUITIÈME.
Sept belles avenues d'arbres, qui aboutissent à autant de portes, condui-
sent à Brunswick-, l'une d'elles, que côtoie aujourd'hui le chemin de fer,
est la route de Wolfenbuttel, ville fortifiée, arrosée par l'Ocker, et peuplée
de 9,000 âmes. C'est le siége du tribunal suprême d'appel de tout le duché
de Brunswick et des principautés de Lippe et de Waldeck. Elle renferme
une des plus riches bibliothèquesde l'Europe ; on y remarque aussi le monu-
ment élevé à la mémoire de Lessing, le La Fontaine de l'Allemagne. Celte
cité, station de la grande ligne de Cologne-Hanôvre-Berlin, est la plus
industrieuse de tout le duché. Helmstedt est, comme les deux précédentes,
le siége d'une surintendance générale des affaires ecclésiastiques; sa popu-
lation est de 7,000 âmes, et elle renferme plusieurs manufactures et quel-
ques beaux édifices publics, dont le plus considérable est celui de l'an-
cienne université, fondée en 1575 par le duc Jules de Brunswick, et sup-
primée en 1809 par Napoléon, qui fit transférer une partie de la bibliothèque
à Gottingue.
C'estaux environs d'Helmstedt que sont situés, dans une agréable vallée,
les bains d'Amélie, aujourd'hui abandonnés pour ceux de Charles (Karls-
brunnen), où l'on a construit une salle de spectacle. Aux portes de la ville
il existe d'autres bains près du lieu appelé Maschplatz ; onaperçoit le mont
Corneille et le mont Sainte-Anne, sur lequel s'élève un monument appelé
Autel des Holocaustes. On exploite sur le territoire d'Helmstedt du gypse
et de la houille.
Les autres villes situées dans la principale partie du duché que nous
parcourons, sont, au nord, Vorsfelde et Wechel, station du chemin de
fer, et au sud Scheppenstedt, jolie petite ville qui fabrique de la toile et du
coutil, et Schöningen, où l'on exploite une source qui fournit annuellement
près d'un million de kilogrammes de sel.
Le district du Harz nous offre peu de villes importantes. Harzbourg, unie
par un chemin de fer de Wolfenbuttel à Brunswick. Seesen, la plus consi-
dérable, n'a que 2,200 habitants; on y confectionne une grande quantité
de tonneaux. Près du bourg de Neustadt s'élèvent, sur le Burgberg, les
ruines d'un vieux château que fit bâtir l'empereur Henri IV, en 1068. Non
loin de ce bourg, les salines de Julius-Hall appartiennent en commun au
Hanovre et au Brunswick. C'est aux environs d'un autre bourg appelé
Lutter-am-Barenberg, que le général Tilly défit, en 1626, l'armée com-
mandée par Christian IV, roi de Danemark ; ce bourg tire son nom de sa
position au pied du Grand et du Petit Barenberg, sur le bord du Muhlenbach,
affluent de l'Innerste. La petite ville de Gandersheim doit son nom à la Gande

EUROPE. — DUCHÉ DE BRUNSWICK.
183
qui l'arrose. Elle renferme un château ducal et les bâtiments d'un ancien
couvent, dont l'abbesse était choisie dans la maison de Brunswick. Holz-
minden, ville de 5,000 âmes, sur la rive droite du Weser, au pied des mon-
tagnes du Soiling, renferme plusieurs établissements industriels impor-
tants. C'est l'entrepôt des toiles et des fers du duché, et celui d'une
grande quantité de denrées coloniales qu'elle expédie dans l'intérieur de
l'Allemagne-, elle possède un gymnase important par le nombre de ses
élèves. Bevern, ainsi qu'Eschershausen, ne sont que des bourgs, dont la
principale industrie consiste à fabriquer de la toile.
Dans la région montagneuse où viennent se terminer les derniers rameaux
de la chaîne du Harz, s'élève Blankenbourg, chef-lieu de l'administration
des mines du Harz. Elle fut la résidence des princes de Blankenbourg,
dont on voit encore le château ruiné. C'est dans ses environs que s'étend
une série de rochers appelée dans le pays la Muraille du Diable, et que l'on
voit le romantique Begenstein, ou Rocher pluvieux, et les célèbres cavernes
de Biel et de Baumann.
Sur la pente d'une montagne au pied de laquelle coule le Hassel, nous
apercevons la petite ville d'Hasselfelde, entièrement incendiée en 1794, mais
très-bien bâtie aujourd'hui.
Les petites enclaves qui complètent le territoire du duché de Brunswick
ne nous offrent que des localités sans intérêt. Kalvörde n'est qu'un bourg
entouré de houblonnières, et renfermant un château; Bodenbourg n'a que
800 habitants; Olsbourg est moins considérable encore; enfin Theding-
hausen, sur la rive gauche du Weser, fabrique de la toile et renferme 1,500
individus.
Tels sont les détails topographiques dans lesquels nous avons cru devoir
entrer relativement au duché de Brunswick. Ce pays comprend 12 villes,
11 bourgs, 423 villages et hameaux. Ses douanes et ses impôts de toute
espèce lui offrent un revenu de plus de 13 millions de francs, que viennent
balancer les dépenses; la dette publique dépasse 20 millions de francs. Le
contingent qu'il doit fournir à la Confédération germanique est de 4,000
hommes ( sur le pied de 1 et demi pour cent) ; sa contribution fédérale est
de 21,430 francs, et son armée, sur le pied de paix, est de 2,476hommes.
Conjointement avec le duché de Nassau, il tient le treizième rang dans l'as-
semblée particulière de la confédération, et seul il jouit de deux voix dans
l'assemblée générale.
La maison de Brunswick est une des plus anciennes de l'Europe; elle
descend d'Azo, premier marquis d'Este en Italie, et qui mourut vers la fin

184
LIVRE CENT CINQUANTE-HUITIÈME.
du dixième siècle. Elle a fourni des ducs à la Saxe et à la Bavière. Son p'us
ancien prince est WeJf ou Guelfe de Bavière. Au onzième siècle, un de ses
princes, Henri le Lion, disputa la couronne impériale à Frédéric Barbe-
rousse, mais il fut vaincu et mis au ban de l'empire. Au seizième siècle,
la maison de Brunswick se divisa en deux branches, la branche cadette,
qui prit le nom de Brunswick-Lunebourg, dont le chef devint dans la suite
successivement électeur de Hanovre et roi d'Angleterre, et la branche
aînée, appelée Brunswick-Wolfenbüttel, qui possède encore aujourd'hui
le duché.
Parmi les petites principautés que nous avons à visiter, la plus considé-
rable est celle de Lippe-Detmold : elle se compose d'un territoire situé entre
la province prussienne de Westphalie, le pays de Rinteln, qui appartient à
la Hesse-Électorale,une partie du royaume de Hanovre, une enclave de la
Prusse, et une qui appartient à la principauté de Waldeck. Ainsi elle est
presque entièrement entourée par une des plus importantes possessions
de la Prusse : au centre même de celle-ci se trouve le cercle de Lippstadt,
l'un des plus peuplés de la principauté. La portion la plus considérable
dont nous venons de déterminer les limites, a 12 lieues de longueur sur
9 dans sa plus grande largeur, et la superficie des deux est de 57 lieues
carrées, avec une population qui s'élève à près de 104,674 habitants.
Les roches de celte principauté, considérées géologiquement appar-
tiennent à la formation du calcaire ancien, et à celle des marnes irisées.
En général, le pays est montagneux et le sol est peu fertile. Les mon-
tagnes qui, dans la partie méridionale, appartiennent à la chaîne du Teu-
toburger-wald, sont garnies de forêts composées en grande partie de
chênes ; plusieurs cantons sont couverts de bruyères ; mais ceux qui
jouissent de quelque fertilité produisent du blé, du lin, du chanvre, du
colza, des légumes farineux et des fruits ; on y élève beaucoup de bestiaux
et d'abeilles. Le climat est doux, mais humide, et les brouillards y sont
fréquents.
La fabrication des toiles est la principale industrie du pays: le nombre
des métiers est de 2 à 3,000; on y fabrique aussi des étoffes de coton, des
tissus de laine, des pipes en magnésie carbonatée, connue sous le nom
d'écume de mer» Enfin la principauté possède des verreries, des papeteries
et un grand nombre de moulins à scie. Ses exportations consistent surtout
en bois, en fil, en laine et en toile.
On parle dans cette principauté un allemand corrompu. La plus grande
partie de la population est attachée à la communion réformée. Sous le rap-

EUROPE. — DUCHÉ DE BRUNSWICK.
185
port sanitaire, le pays est divisé en cinq inspections médicales. L'instruc-
tion élémentaire y est encouragée par le gouvernement: on y compte envi-
ron 120 écoles primaires.
Depuis l'année 1819, les habitants jouissent des avantages d'un gou-
vernement représentatif: les anciens États de la noblesse et de la bour-
geoisie ont été remplacés par des députés nommés par les propriétaires, les
bourgeois et les paysans ; chacune de ces trois classes d'habitants élit 7
représentants. Un consistoire est chargé des affaires ecclésiastiques. La
principauté de Lippe-Detmold envoie un membre à l'assemblée générale
de la confédération, et se joint aux princes de Schauenbourg-Lippe, de
Waldeck, de Reuss, de Hohenzollern et de Lichtenstein, pour en envoyer
un à l'assemblée ordinaire. Elle occupe, avec ces principautés, le seizième
rang à la diète germanique.
Jetons maintenant un coup d'œil sur les villes principales et cependant
peu importantes de cette principauté. La résidence du prince est Detmold,
sur la Werra, au pied du mont Teutberg : elle a 5,000 habitants, et de
nombreux établissements d'instruction et de charité. Le vieux quartier,
que Cluvier croit être l'ancien Teutoburgium, est sale et mal bâti ; mais le
nouveau est propre et régulier. Lemgo, ou Lemgow, arrosée par la Bega,
est plus peuplée que la capitale, et la ville la plus importante du duché:
on y compte près de 6,000 âmes. Uffeln ou Salz-Ufieln, sur la petite
rivière de Salze, possède dans ses environs des sources salées, et ren-
ferme 1,400 habitants. Quelques antiquaires prétendent que c'est entre
cette ville et la ville prussienne d'Herford que s'étend le champ de bataille
où furent défaites les légions de Varus. Horn, avec la même population,
est située près de la forêt de Teutobourg (Teutoburger-wald). Non loin
loin de ses murs s'élève une rangée de huit rochers placée verticalement
sur le sol ·, ses habitants les nomment Externsteine ; on les appelait correc-
tement autrefois Egerstersteine (Roches aux Pies).
Lippsladt, ville de 4,000 habitants, est située sur la Lippe, et possède
un petit territoire enclavé dans la province prussienne de Westphalie ;
elle était autrefois ville libre et impériale-, aujourd'hui soumise à deux
maîtres, le prince de Lippe en a la souveraineté conjointement avec le roi
de Prusse. Ses rues sont régulières et bien bâties; son commerce en grains
et en toiles de lin assez actif.
Au nord de la principauté que nous venons de décrire, s'étend la prin-
cipale partie de celle de Lippe-Schauenbourg, ou de Schauenbourg-Lippe,
ou encore de Schaumbourg-Lippe. Elle en est séparée par le territoire hes-
VII.
24

186
LIVRE CENT CINQUANTE-HUITIÈME.
sois de Rinteln, qui la circonscrit à l'est. Au nord, elle est bornée par le
Hanôvre, à l'ouest et au midi par la province prussienne de Westphalie.
La seconde est située au sud de la précédente, entre la principauté de
Lippe-Detmold, le territoire de Pyrmont et le royaume de Hanovre. Les
possessions du prince de Lippe-Schauenbourg ont à peu près 27 lieues
carrées.
Les terrains de la principauté de Lippe-Schauenbourg sont de la même
nature que ceux de la principauté de Lippe-Detmold. On y exploite de la
houille; on y connaît plusieurs sources minérales, entre autres celles
d'Eilsen et de Stadthagen. Le sol, assez fertile, est riche en blé, en
lin, en arbres fruitiers et en bois de haute futaie. Les marais de Hagen-
bourg et de Steinhude donnent beaucoup de tourbe.
Les habitants jouissent d'un gouvernement représentatif, comme dans
la principauté précédente. Le peuple des campagnes est seulement sou-
mis à quelques corvées et à plusieurs redevances, qui ont été conser-
vées.
Cette petite principauté comprend deux villes et deux villages. La capi-
tale est Bückebourg ou Bückenbourg, sur la petite rivière de l'Aue. Elle
renferme un château qui est la résidence du prince, un gymnase et 4,000
habitants. Stadthagen, ville de 2,000 âmes, à trois lieues au nord-est de
la précédente, est située dans une vallée agréable. Son église renferme
les tombeaux des princes de Schauenbourg. C'est la patrie du célèbre géo-
graphe Busching.
Les princes de la Lippe ont la prétention de descendre de Witikind, ce
qui donnerait à celte maison une antiquité de près de onze siècles ; mais
on ne peut suivre leur filiation qu'à partir du commencement du douzième
siècle. Dès cette époque, on les voit figurer sous le titre de waldgraves de
Westphalie. C'est au commencement du dix-septième siècle que s'établit
la branche de Schauenbourg-Lippe. Elle entra en 1808 dans la confédéra-
tion germanique avec la branche de Lippe-Detmold.
Avant de visiter les trois duchés d'Anhalt, nous donnerons un précis
historique sur les princes qui les gouvernent. S'il n'est pas certain qu'ils
descendent du grand Wilikind, ils partagent au moins l'honneur de tenir
un rang parmi les plus anciennes familles régnantes de l'Europe. L'origine
des ducs d'Anhalt remonte probablement au huitième siècle : mais ce qu'il
y a de certain, suivant quelques auteurs, c'est qu'ils descendent d'Esiko ,
comte de Ballenstedt, qui vivait dans le onzième siècle. On peut suivre la
filiation de cette famille jusqu'à Henri, premier prince d'Anhalt, c'est-à-

EUROPE.—DUCHÉ D'ANHALT-DESSAU.
187
dire jusqu'au commencement du treizième siècle. Diverses alliances la por-
tèrent à un haut degré de splendeur. Albert, surnommé l'Ours, l'un des
princesde cette maison, fut l'ait margrave et électeur de Brandebourg par
l'empereur Conrad III. Frédéric Barberousse donna à Bernard, l'un des fils
d'Albert, une partie des États enlevés à Henri le Lion. C'est de Bernard
que descendent les ducs actuels d'Anhalt. En 1686, la maison d'Anhalt
sedivisait enquatre branches: Dessau, Bernbourg, Köthen et Zerbst Cette
dernière s'est éteinte en 1793, et la famille se partage aujourd'hui en trois
branches : Anhalt-Dessau, Anhalt-Bernbourg et Anhall-Kothen, dont nous
allons examiner les différents duchés. Les ducs d'Anhalt se succèdent les
uns aux autres, et sous le rapport du crédit, ils sont solidaires, sous la
direction de la branche aînée, qui est celle d'Anhalt-Dessau.
Les duchés d'Anhalt sont enclavés dans les possessions de la monarchie
prussienne. Leur superficie totale est de 130 lieues carrées, et leur popu-
lation totale, en 1852, s'élevait à 164,400 habitants. On y compte 27 villes,
8 bourgs et 341 villages et hameaux. Ils possèdent, avec les maisons de
Schwarzbourg et d'Oldenbourg, une voix collective dans l'assemblée ordi-
naire de la confédération germanique. Dans l'assemblée générale, chacun
d'eux a une voix individuelle. Quant à l'administration de la justice,
ces trois duchés, comme les deux principautés de Schwartzbourg, res-
sortissent du tribunal d'appel de Zerbst, petite ville dont nous parlerons
bientôt.
Le duché d''Anhalt-Dessau se compose de plusieurs territoires situés sur
les rives de l'Elbe et de la Mulde. La partie principale est bornée au nord
par l'Elbe, et à l'est et au sud par la régence prussienne de Mersebourg,
et à l'ouest par le duché d'Anhalt-Kothen. Les autres parties sont situées
au nord de la précédente: l'une lui est contiguë ; lesdeux autres sont encla-
vées dans la régence prussienne de Magdebourg. La superficie totale de
toutes ces petites possessions est de 70 lieues carrées, en y comprenant
les possessions médiates. Sous le rapport de l'agriculture, le sol y est d'une
fertilité très-variable-, plusieurs parties sont basses, humides et couvertes
de petits lacs; d'autres sont légèrement sablonneuses. Les bailliages situés
sur la rive gauche de l'Elbe sont très-fertiles; ceux de la rive opposée ren-
ferment des bruyères. Toutes les parties du duché sont suffisamment boi-
sées. Les produits de la culture consistent en céréales, en lin, en pommes
de terre, en houblon. Les bestiaux, surtout les brebis, étaient fréquemment
atteints de maladies dangereuses, lorsqu'en 1815 le gouvernement ordonna
l'inoculation de la clavelée, mesure qui arrêta les ravages de ce virus con-

188
LIVRE CENT CINQUANTE-HUITIÈME.
tagieux. Le pays possède un grand nombre de filatures de laine et de bras-
series, des manufactures de tabac, et plus de 120 fabriques de draps. Dane
les campagnes, on trouve des moulins à huile, des papeteries, des distille
ries, des tuileries et des fabriques de poteries communes. Les exportations
consistent en huiles et en semences de carottes, en blé, en fruits, en laines,
en bestiaux et en poissons.
Dessau, sur la Mulde, est une jolie ville de 12,000 habitants, divisée
en quatre parties, la vieille et la nouvelle ville, le Sand et le Wasservor-
stadt ; elle renferme de beaux monuments, parmi lesquels se distinguent
le palais du duc et le théâtre ; et un grand nombre d'établissements utiles.
Dans ses environs, on remarque le Dreberg ou le Mont-Tournant et la
montagne de Seiglitz, avec le monument du comte d'Anhalt.
A Warlitz, petite ville de 2,000 habitants, le duc possède un très-beau
château et de magnifiques jardins. Les maisons de plaisance appelées Loui-
sium et Georgium méritent d'être vues. Zerbst, sur le bord de l'Elbe a
10,000 habitants, un gymnase, plusieurs écoles et une maison de correc-
tion et de travail. On fabrique dans cette ville des soieries et des velours,
ainsi que de la passementerie d'or et d'argent. C'est le siége du tribunal
d'appel des trois duchés d'Anhalt. Zerbst est la patrie de l'impératrice de
Russie Catherine IL La petite ville d'Oraniembaum, à 2 lieues et demie de
Dessau, est bien bâtie et agréablement située près de la montagne de Kap-
pengraben.
Iesnitz, la ville la plus méridionale du duché, renferme plusieurs fabri-
ques. Le duc possède un château à Sandersleben. La population générale
de ce duché est de 75,700 individus, presque tous protestants.
Plusieurs terrains dispersés constituent le territoire du duché d'Anhalt-
Bernbourg, dont la superficie peut être évaluée à 43 lieues carrées. Il ren-
ferme 7 villes et 67 villages, et sa population est évaluée à 52,641 habi-
tants. Ce duché se compose de deux parties principales: l'une sur la
gauche de la Saale, que l'on appelle la principauté intérieure, et qui est
limitrophe du duché d'Anhalt-Kothen ; l'autre appelée principauté supé-
rieure, et qui occupe une partie du Harz : elle est éloignée de la précédente
par un espace d'environ une lieue, espace qui appartient à la province
prussienne de Saxe. Cette dernière principauté est montagneuse et cou-
verte de forêts ; dans l'autre le terrain est bas ; il présente de grandes plaines
et des terres très-fertiles. Le climat y est en général tempéré, surtout dans
la partie orientale; car la principauté supérieure, qui s'étend jusque sur
les pentes des montagnes du Harz, est soumise à une température froide.

EUROPE. — DUCHÉ D'ANHALT-KÖTHEN.
189
On y trouve des mines de différents métaux, dont quelques unes sont assez
riches ; les produits agricoles sont à peu près les mêmes que dans la prin-
cipauté précédente; l'industrie y est variée; outre plusieurs manufactures
de différents produits, on y remarque des forges, des usines, des aciéries,
des fabriques de fil de fer et de sulfate du même métal, connu dans le com-
merce sous le nom de vitriol.
Bernbourg, la plus importante des villes du duché, a le litre de capitale.
C'est une ville bien bâtie, située sur les bords de la Saale ; elle a un hôtel
des monnaies, trois églises et plusieurs hôpitaux, ainsi que des fabriques
de tabac et de faïence. Sa population est de 6,000 âmes. Dans ses environs
on compte plusieurs petits vignobles sur le bord de la Saale.
Dans la principauté supérieure, la petite ville de Batlenstedt possède
un vieux château ducal, qui, par la beauté de ses jardins, est le seul édi-
fice remarquable de cette cité sombre et mal bâtie. C'est la résidence habi-
tuelle du prince. Les autres constructions sont un théâtre, une vaste
maison de bains, et une salle pour les redoutes. A Gernrode, on remarque
les bâtiments d'une ancienne abbaye impériale, dont la belle église ren-
ferme le mausolée de son fondateur, le margrave Gero. Hoymb, sur la
petile rivière de la Selke, possède une importante fabrique où l'on file le
lin qu'on cultive en grande partie dans ses environs, et qui forme sa prin-
cipale branche de commerce. La principauté supérieure offre une foule de
sites pittoresques, par le nombre de ses montagnes et de ses vallées.
Harzgerode, dont une partie des 3,000 habitants s'occupe de l'exploitation
des mines de fer et d'argent de ses environs, est placée sur un sol élevé
de 460 mètres au-dessus du niveau de la mer. C'est au Madchensprung,
ou Magdesprung, groupe de rochers sourcilleux, que sont situées les
usines et les exploitations métalliques du duché. Une seule mine d'argent
y produit annuellement environ 1,200 marcs. Les usines consistent en
deux hauts-fourneaux pour la fonte du minerai de fer, en quatre feux
d'affinerie pour le fer en barres et l'acier, et en d'autres ateliers où l'on
fabrique de la tôle et du fil de fer.
Sur une superficie de 41 lieues carrées, le duché d'Anhalt-Köthen ren-
ferme 4 villes, 3 bourg et 93 villages. Il est divisé en deux parties, situées
l'une sur la droite et l'autre sur la gauche de l'Elbe. Sa population s'élève
à 43,677 habitants. Le terrain y est plat, et le sol généralement fertile ;
parmi les produits de l'horticulture, on cite les pommes et d'autres fruits.
L'industrie y est moins active que dans les deux autres duchés; les habi-
tants s'occupent principalement à filer le lin et le laine.

190
LIVRE CENT CINQUANTE-HUITIÈME.
Köthen, que l'on écrit aussi Cœthen, est la capitale de cet État: elle
est située sur les bords du Zittau ; sa population est de 7,000 habitants.
Cette petite ville est la résidence du prince-, elle renferme plusieurs éta-
blissements d'éducation. On y fait le commerce de laines, et l'on y
fabrique des fils d'or et d'argent pour la broderie et la passementerie.
Les deux autres villes du duché sont, d'abord, sur le territoire situé à
la gauche de l'Elbe, Nienbourg, où se tiennent des foires assez fréquentées,
et dans la partie opposée, Roslau, qui renferme un château, mais qui n'a
pas plus de 1,000 habitants.
Le duché que nous venons de parcourir est le moins riche des trois
duchés d'Anhalt, par suite de l'exiguité de ses revenus et de l'énormité
proportionnelle de sa dette publique: on évalue celle-ci à 3,140,000
francs.
TABLEAUX Statistiques du duché de Brunswick, des principautés de
Lippe-Detmold, de Lippe-Schauenbourg, et des duchés d'Anhalt-Dessau,
d'Anhalt-Bernbourg et d'Anhalt-Köthen.
DUCHE DE BRUNSWICK.
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
POPULATION.
FORCES MILITAIRES.
par lieues carr.
en 1852.
72.08 milles
En 1847,
Revenus.
En temps de paix.. . . 2.476 hommes.
carres al-
268,943
1,338
13.170,625 fr.

de guerre . · 4.857 «
lemands.
Dépenses.
Contingent fédéral.
ou 201 lieues
En 1852,
13.170,625 fr.
4,033
geographi-
270,825
1,347
Dette publique.
ques carr.
19,333.047 fr.
Contrib fédér.
21,430 ff.
SUPERFICIE
POPULATION
CERCLES.
VILLES ET BOURGS.
en lieue carr.
en 1852.
BRUNSWICK
29
60,702
BRUNSWICK , 40.000.
— Scheppenstedt, 2,400.
WOLFENBUTTEL. . . .
30
52.662
Wotfenbuttel 9,000.
40
44,312
Helmsted
7 000. — Königsbutter, 3,000. —
HELMSTED
Schöninguen. 2,100.
HOLZMINDEN (Weser)
42
39,400
Hotzminden, 4,500.
—Thedinghausen, 1,500·
GANDERSHEIM (Harz).
37
42,257
Gandersheim, 2,500. — Neustadt, 1,000. —
Seesen, 2.400.
BLANKENBOUUG.
. . .
23
22,492
Blankenbourg, 3,500.
— Hasselfelde, 1,800.
Possensions médiates. Dans la Silésie prussienne: 1° dans la régence de Breslau, la principauté
d'Oëls avec la seigneurie de Medzibor (103 lieues geographiq. carr, 8 villes I bourg. „24 villages)
et la terre de Plomnitz dans le comte de Glatz, cercle de Habelschwerdt ; 2° dans le district d'Appeln,

cercle de Lublinitz, la seigneurie de Gutentag

EUROPE. — TABLEAUX STATISTIQUES.
191
PRINCIPAUTÉ DE LIPPE-DETMOLD.
SUPERFICIE
POPULATION
ABSOLUE
POPULATION
FINANCES
FORCES MILITAIRES.
en lieues.
en 1850.
par lieue carr.
57
104,674
1,835
Revenus,
Armée,
1,450,000 fr.
1 bataillon.. . . 853 hommes
Dépenses,
Réserve
243
H
2 000.000 fr.
Contingent fédéral.
Contrib fédér.
1,569 hommes.
7,368
(6 villes. — 6 bourgs. —155 villages et hameaux.)
Bailliages.
Chefs-lieux.
Popul. Ι
Bailliages.
Chefs-lieux.
Popul.
BARENTRUP
. . .
Barentrup.
1,000 OERLINGHAUSEN.
Oerlinghausen. . . .
500
BLOMBERG
Blomberg
1,800
Schieder, vill
400
BRAKE.
Lemgo
4.000 SCHOTIMAR.
. . .
Schöttmar, viLL. . . .
400
DETMOLD
DETMOLD
4.000 SCHWALENBERG.
.
Schwalenberg, vill. .
80)
HORN
Horn
1,400, STERNBERG
Sternberg, vill. . . .
500
LIPPERODE ». . . .
Lipperode
600 WARENHOLZ. . . .
Warenhotz, vill. . .
400
Ce bailliage comprend la moitié de la ville de Lippstadt.
PRINCIPAUTE DE LIPPE-SCHVAENBOURG.
SUPERFICIE
POPULATION
ABSOLUE
POPULATION
FINANCES.
FORCES MILITAIRES.
en lieues.
en 1849.
par lieue carr.
Réserve
144 hommes
27
23,837
1,069
Revenus,
422,500 fr.
Contingent fédéral,
Contrib fédér.
432 hommes.
3,145 tr.
(2 villes. — 2 bourgs. — 100 villages et hameaux.)
IBailliages.
Chefs-lieux.
l'opul. I
Bailliages.
Chefs-lieux.
Popul.
AHRENSBOURG.
Ahrensbourg. .
400 STADTHAGEN.
Stadthagen. . .
1,600
BUCKEBOURG.
BÜCKEBOURG.
.
3.000 ALVERDISSEN
Alverdissen, b.
700
HAGENBOURG. .
Hagenbourg, b.
1,000 BLAUBERG. .
Blauberg. . . .
?
DUCHE D ANHALT-DESSAU.
SUPERFICIE
POPULATION
ABSOLUE
POPULATION
FINANCES.
FORCES MILITAIRES.
en lieues.
en 1852.
par lieue carr.
en 1852.
03,082
1,513
Revenus,
Pied de paix,
2,182,982 fr.
700 hommes
Contrib. fédér.
Contingent fédéral.
5,413 fr.
960 hommes.
(8 villes. — 4 bourgs. — 114 villages et hameaux.)
Bailliages
Chefs-lieux
l'opul.
Bailliages.
Chefs-lieux.
Popul.
DESSAU
12,000 SCHEUDER
Scheuder
«
DESSAU . .
Oranienbaum .
1.500 RETZAU
Relzau, vill
200
KLEUTSCH.
Kleutsch, vill.
500 REHSEM
Rehsen, vill.
. . .
20)
WÖRLITZ .
Wörlitz. .
. .
2,000 SANDERSILEBEN. . . Sandersleben. . .
1,700
LIBRESDORF
Libbersdorf, vill
500 GROSS-ALSLEBEN. Gross Atsleben. b.
90
REUPZIG. .
Rupzig. . .
300 GROBZIG. . . . . . Gröbzig
2,700
RADEGAST.
Radegast b.
1 100 ZERBST
Zerbst
8.500
Frassdorf. .
1,700 LlNDAU
Lindau, b
1,000
FRASSDORF.
lesnitz
1,800

192
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
DUCHÉ D'ANHALT-BERNBOURG.
SUPERFICIE
POPULATION
ABSOLUE
POPULATION
FINANCES
FORCES MILITAIRES.
en lieues. g. c.
en 1852.
par lieue carr.
en 1852.
43
52,641
1,2 24
Revenus
11
2,628,886 i
Dépenses
2,622,391 f F.
Dette,
5,259,072 f r.
Contrib. féd ér.
Cont ingent fédéral.
3,786 fr.
980
(7 ν Iles. — 67 vil ages et hamea ux.)
Principautés.
Bailliages.
Chefs- lieux.
Popu
Principautés.
ailliages.'
Chefs-lieux.
Popu.
■ Ballenstedt.. Ballens tedt. . 3,500
Ko wik. . . Koswik
2,000
Harzgerode. Harg erode . 2,200 PRINCIPAUTÉ
tier nbourg - BERNBOURG. . 6,000
PRINCIPAUTÉ
Gernrode.. . Gernro de. . . 1,700 INFÉRIEURE.
Ρ otzkau.. Gross Mühlin-
SUPERIEURE.
Hoymb. · . . Hoymb
1,800
Mü hlingen.. gen 800
Gunthers- Gunl hers-
berg. . . .
berg
800
DUCHÉ D'ANHALT-KÖTHEN.
SUPERFICIE
POPULATION
ABSOLUE
POPULATION
FINANCES
FORCES MILITAIRES.
en lieues g. b.
en 1852.
par lieue carr.
en 1852.
41
43,677
1, 1, 065
Revenus,
350 hommes.
1,447,711 fr.
Contingent fédér al.
Dette,
645 hommes.
8,571,574 fr.
Contrib. fédér.
3,218 fr.
(4 vi Iles. -• 3 bour gs. 93 villages.)
Bailliages
Chefs-lieux
Popul.
Bailliages.
Chefs-lieux.
Popul.
KÖTHEN
KÖTHEN
NIENBOURG
6,700
Dornebourg, v. . . .
500
Nienbourg
DORNEBOURG . .
1,200
LINDAU
Lindau
1,000
WARENSDORF
ROSLAU Roslau
WULFEN
Warensdorf, b
Wulfen, b
900
900
900
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne centrale. — Description du duché
de Nassau, des grands-duchés de Hesse-Darmstadt et de Hesse-Cassel, du land-
graviat de Hesse-Hombourg, de la république de Francfort et de la principauté
de Waldeck.

Nous allons traverser quatre ou cinq États différents pour aller visiter
un duché plus important qu'aucun de ceux que nous venons de voir. Il est
situé à l'extrémité occidentale de l'Allemagne centrale.
Borné à l'ouest et au nord par les possessions prussiennes rhénanes , à

EUROPE. — DUCHÉ DE NASSAU.
193
l'est et au sud, par l'enclave prussienne de "Wetzlar et le grand-duché de
Hesse-Darmstadt, le duché de Nassau, long d'environ 22 lieues, et large
de 15, occupe une superficie de 235 lieues géographiques carrées. Pres-
que tout le pays est montueux : deux chaînes principales, bien que médio-
crement élevées, l'une dans la partie septentrionale, l'autre dans la partie
méridionale, la parcourent du couchant au levant. La première est celle
du Westerwald, la seconde celle du Taunus ou de Hohe. Entre les deux
chaînes s'étend le bassin de la Lahn, rivière qui coule de l'est à l'ouest,
pour aller se jeter dans le Rhin, à l'extrémité du duché ; car ce fleuve
forme la limite du territoire de Nassau, depuis le point où il reçoit le
Mein, jusqu'à celui où il reçoit la Lahn. Celle-ci se grossit de plusieurs
petites rivières qui sont sur sa rive droite, l'Elz et l'Aue , et sur sa rive
gauche l'Aar, le Dreisch, l'Embs, le Mühl et le Weil. Le Rhin y reçoit encore
le Wisperbach, le Mein et la Nidda.
Le Westerwald, dont le nom signifie Forêt de l'ouest, a en effet ses
cimes couvertes de forêts. Le Taunus n'est pas moins boisé ; mais il offre
moins de sources minérales. Les sommets les plus élevés de ces deux chaînes
diffèrent peu de hauteur-, ils atteignent 500 à 900 mètres.
La richesse minérale du pays consiste en mines d'argent, de cuivre, de
fer et de plomb, en carrières de marbre, en houillères, en exploitations
d'argile à foulon et à poterie, et en sources minérales. Les principales
mines de plomb argentifère sont des environs de Weilmünster et de Hol-
zappel; enfin les sources d'eaux minérales les plus importantes sont celles
d'Embs, de Fachingen, de Geilenau, de Langenschawalbach, de Schlan-
genbad, de Soden, de Wiesbaden, et surtout de Selters.
Le sol n'est point d'une grande fertilité, mais nulle part il n'est impro-
ductif ; celui qui l'est le moins est dans la région du Westerwald ; celle-ci
renferme à la vérité d'excellents pâturages. Les terres les plus productives
sont celles des bords du Rhin, où l'on cultive principalement la vigne, et
celles qu'arrosent la Lahn et l'Aar, où l'on récolte le meilleur blé. Partout
la culture est fort avancée ; on tire un grand parti de la vigne et des arbres
fruitiers; les prairies artificielles y sont parfaitement dirigées. Les meil-
leurs vins sont ceux d'Asmanshauser, de Geisenheim, de Hattenheim, de
Johannisberg, de Markbrunn, de Rüdesheim et de Rheingau. Ceux de
ce dernier vignoble, qui ne sont cependant point à comparer à ceux de
Johannisberg, se vendent, dans certaines années, 2,000 à 6,000 francs la
pièce.
L'industrie ne s'exerce en grand sur aucune branche de produits, si ce
VII.
25

194
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
n'est sur la fonte des métaux, et principalement du fer. On fabrique des
draps et des bas dans le bailliage d'Uringen,du maroquin à Idstein, du tabac,
des pipes, de la faïence, de la porcelaine, des aiguilles et du papier dans
plusieurs localités-, mais les manufactures les plus nombreuses sont celles
de potasse et de grosses toiles ; les brasseries et les distilleries d'eau-
de-vie.
Malgré tant d'éléments commerciaux, malgré la navigation du Rhin, de
la Lahn et du Mein , malgré des routes bien entretenues et une ligne de
chemin de fer, le commerce du duché a peu d'activité. Les capitaux se
portent principalement sur l'agriculture. Les principales branches d'ex-
portation sont les vins, les fruits, la potasse, le fer, les pipes, les aiguilles,
les eaux minérales, les bestiaux et la laine des brebis.
Le climat du duché est doux dans les vallées, et principalement au sud,
sur les bords du Rhin et du Mein ; il est froid dans le Westerwald et le Tau-
nus, mais partout salubre.
La maison de Nassau est fort ancienne ; elle eut pour chef Othon, comte
de Laurcnbourg, frère de l'empereur Conrad Ier. Vers le milieu du
treizième siècle, elle se partagea en deux branches: celle d'Orange
qui occupe aujourd'hui le trône de Hollande, et celle de Weilbourg qui
occupe le trône ducal. C'est Napoléon qui érigea, en 1806 , le comté de
Nassau en duché. Ce territoire renferme 31 villes, 36 bourgs et 816 vil-
lages.
Parmi les villes, nous citerons, dans la partie septentrionale, Braubach
et Holzappel, près desquelles on exploite des mines d'argent, dont le pro-
duit s'élève à plus de 80,000 florins; Diez, qui possède une belle école
d'horticullure, et qui a dans ses environs une maison de force, et l'ancien
château d'Oranienstein , résidence des ducs de Nassau; Dillenbourg, qui
porte le nom de la Dille qui l'arrose, et dont on cite le cuivre; Weilbourg,
située sur une montagneau pied de la quelle coule la Lahn, dans un petit pays
autrefois appelé Wetteravie, du nom de Wetter. Celte petite ville renferme
un gymnase, un château avec de beaux jardins , où résidait le prince de
Nassau-Weilbourg ; ses environs sont riches en mines d'argent, de fer et
de cuivre. Nous citerons encore Hadamar, qui possède un lycée et des
usines; Limbourg, petite ville murée, entourée de trois faubourgs ; Nassau,
que dominent les ruines de son vieux château ; Herhorn, où l'on trouve
une académie et une célèbre école protestante de théologie, fondée en 1584
par le comte Jean le vieux, ville qui a donné le nom aux deux savants philo-
logues Georges et Mathias Pasor.

EUROPE. — ÉTATS HESSOIS.
195
Les villes de la partie méridionale sont Langenschwalbach, qui possède
des sources et des bains d'eaux minérales renommés ; Runkel, qui donne
son nom à une principauté médiate appartenant aux princes de Wicd-
Runkel ; Hochst, qui, par sa position sur le Rhin, fait un commerce d'ex-
pédition fort animé. La plus considérable de cesvillcsn'apas plus de 3,000
habitants.
Wiesbaden, la capitale, en renferme 12,000. Entourée de montagnes et
de sites pittoresques-, ornée de deux châteaux et de quelques jolies construc-
tions; enrichie par le tribut qu'elle lève, chaque année, sur 3 à 4,000
étrangers qu'attirent dans ses murs 14 sources d'eaux thermales, ses bains
étaient déjà connus du temps des Romains, ainsi que l'attestent les tom-
beaux, les restes d'édifices et les nombreux objets d'antiquité que l'on a
découverts dans ses environs. On y remarque un bel établissement consa-
cré au soulagement des vieillards indigents, une société d'antiquaires ,
une d'agriculture et d'économie, une bibliothèque de 30,000 volumes,
et un beau théâtre. C'est à Biebrich, à une petite lieue de la capitale, que
réside le duc.
Parmi les sources minérales du duché de Nassau, celles de Nieder-
Sellers sont connues dans toute l'Europe. Ce village exporte quelquefois
par an près de 2,500,000 bouteilles de ces eaux dont le produit forme la
principale richesse du bailliage d'Idstein.
Le duché de Nassau est gouverné par un prince dont le pouvoir est tem-
péré par des États divisés en deux sections : la première est une assemblée
de la noblesse, composée d'un prince du sang, de six seigneurs et de
six députés de la noblesse-, la seconde, de 22 députés des villes. La cour
supreme d'appel, qui siège dans la capitale, ne compte que sept juges; les
autres tribunaux s'assemblent à Dillenbourg et à Wiesbaden.
La principale industrie du duché est l'art de travailler les métaux :
l'exploitation des mines et des forges occupe constamment plus de 8,000
ouvriers. Le duché de Nassau tient, avec celui do Brunswick, le trei-
zième rang dans la Confédération germanique, où conjointement avec cet
État, il a une voix aux assemblées ordinaires, et deux pour son propre
compte aux assemblées générales.
Entrons dans les États des princes de la maison de liesse. Ces États, au
nombre de trois : la Hesse-Électorale ou la Hesse-Cassel, le grand-duché
de Hesse-Darmstadt et le Landgraviat de Hesse-Hombourg sont fort inégaux
en population et en superficie.

196
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
On prétend que les Catti ont été les ancêtres des Hessois; que le nom
de ce peuple, en germain Catzen, a été changé en Hatzen, ou lias-
sen ; d'autres disent que la Hesse propre tire son nom d'une petite
rivière appelée Esse ou liasse. Nous n'approfondirons point ces questions
oiseuses.
Tous ces pays appartenaient, dans le moyen-âge, aux Francs et aux
Thuringiens. Vers l'an 902, on voit paraître les comtes de liesse, dont une
ligne vint en possession du landgraviat de Thuringe.
En 1294, la liesse eut le litre de principauté, qui insensiblement a été
changé en celui de landgraviat. En 1567, à la mort de Philippe le Magna-
nime , landgrave de Hesse, qui embrassa la réforme de Luther, ses deux
fils, Guillaume IV et Georges Ier se partagèrent ses États ; le premier fonda
la ligne de Hesse-Cassel, le second celle de Hesse-Darmstadt.
En 1803, Guillaume IX, qui gouvernait le landgraviat de Hesse Cassel,
changea son titre de landgrave en celui d'électeur. Il perdit d'abord ses
États dans les grandes guerres de l'empire, mais il les recouvra en 1814,
et depuis ils sont toujours restés dans sa famille.
Quant à la Hesse-Darmstadt, elle subit bien des variations dans l'étendue
de son territoire. Depuis 1567, par suite des guerres de l'Allemagne, elle
se partagea en deux branches, celle de Hesse-Darmstadt et celle de Hesse-
Hombourg. En 1806, le landgrave de Hesse-Darmstadt changea son titre
contre celui de grand-duc; il entra dans la confédération du Rhin, et jouit
d'une augmentation de territoire qu'il perdit en 1815 ; tandis qu'au con-
traire le landgrave de Hesse-Hombourg voyait le sien augmenté de la sei-
gneurie de Meisenheim.
Telle est en peu de mots l'histoire des trois branches de la maison de
Hesse.
Une population de 754,590 âmes ; une superficie de 490 lieues carrées,
donnent à la liesse-Électorale un rang assez important dans la Confédéra-
tion germanique.
Cotte principauté est bornée au nord par la province prussienne de
Westphalie et par une partie du royaume de Hanôvre ; à l'est par la régence
prussienne d'Erfurt, le grand-duché de Saxe-Weimar, le duché de Saxe-
Meiningen, et le cercle-bavarois du Bas-Mein ; au sud par ce même cercle
et le grand duché de Hesse-Darmstadt; à l'ouest par ce même duché et la
principauté de Waldeck. Elle possède aussi le cercle de Sehmalkalden,
enclavé entre le territoire prussien de Schleusingen et les duchés de Saxe-
Cobourg-Gotha et de Saxe-Meiningen ; plus le cercle de Schauenbourg,

EUROPE, —HESSE-ÉLECTORALE.
197
situé loin de la principale masse de la principauté, entre celle de Lippe-
Detmold et de Schauenbourg-Lippe, le Hanovre et la province prussienne
de Westphalie; enfin elle possède plusieurs petites enclaves dans la Saxe-
Ducale et la Hesse-Darmstadt.
Les principaux cours d'eaux qui arrosent la Hesse-Électorale, sont
d'abord le Weser, qui y reçoit le Diemel ; la Fulda, qui s'y grossit des eaux
de l'Eder ; la Werra qui, sur le territoire hanôvrien, va se jeter dans le
Weser; enfin le Mein, qui baigne une petite partie de sa frontière méridio-
nale. Le pays renferme un grand nombre d'étangs poissonneux, et plusieurs
sources minérales, parmi lesquelles celles de Geismar, Hofgeismar, Schwal-
heim, Vielbel, Volksmarsheim et Wilhelmsbad, jouissent de quelque répu-
tation.
Le Rhöne gebirge, chaîne de montagnes qui commence en Bavière, envoie
des ramifications dans la partie sud-est de la Hesse-Électorale, où elle se
joint aux Vögel-gebirge. Un de leurs rameaux porte, le long de la Fulda,
le nom de Fulda-gebirge. De ces monts dépendent le Reinhars-wald et le
Habrichts-wald, qui couvrent le nord-ouest de la principauté. Quelques
hauteurs qui dépendent de la chaîne du Spessart, se montrent vers l'extré-
mité méridionale. Ces montagnes où l'on rencontre des volcans éteints,
forment les nombreuses vallées qui sillonnent le sol : aussi renferment-elles
plus de pâturages et de forêts que de terres propres à l'agriculture. C'est
dans le Fulda-gebirge que l'on trouve les sommets les plus élevés : le Mil-
zebourg atteint la hauteur de 1065 mètres au-dessus du niveau de la mer,
et le Dammersfeld celle de 1,160 mètres.
Le territoire de la Hesse-Électorale est très-riche en minéraux. On exploite
du cuivre et de l'argile près de Hanau; à Honnefeld, de l'albâtre et des grès;
dans la partie occidentale, arrosée par la Lahn, des tripolis et des jaspes ;
près de la frontière de Hesse-Darmstadt et sur le territoire de Schwalkel-
den du sel et du fer. Dans l'arrondissement de Cassel, on trouve des sources
salines, des houillères, du cobalt, du cuivre, du plomb argentifère, et des
eaux minérales sulfureuses. Enfin, sur les bords de l'Eder, on a établi
depuis longtemps des lavages d'or, mais ils sont peu productifs.
Le climat de la Hesse, quoique tempéré, est plutôt froid que chaud, si
ce n'est près des bords du Mein, où les chaleurs de l'été sont très-fortes.
Comme dans tous les pays montagneux, les vallées et les plateaux y pré-
sentent, sous le rapport de la température, des différences qui influent
plus ou moins sur la nature des produits agricoles. Aux environs de Cassel
et de Hanau, on récolte dans les plaines descéréales, des légumes farineux,

198
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
des fruits de vergers-, sur plusieurs collines, du raisin, dans plusieurs val-
lées, du lin ci du chanvre, et dans les lieux où la culture no s'est point trop
étendue, les bois sont abondants.
La préparation du lin, l'art de tisser la toile, la fabrication des poteries
communes, des faïences, de la porcelaine et du verre; la confection de
diverses étoffes de laine et l'emploi des métaux forment la principale indu-
strie des habitants de la liesse. C'est surtout aux deux extrémités de l'Élec-
toral, sur les territoires de Cassel et de Hanau, que les produits industriels
sont le plus considérables.
Le commerce de la liesse consiste dans l'exportation de ses produits et
le transit des marchandises expédiées par Francfort, pour le nord de l'Al-
lemagne. Le Weser, la Werra et la Fulda facilitent ses moyens de trans-
port. Suivant Stein, Cassel expédie chaque année, pour les foires étrangères,
du fil et de la toile, dont la valeur représente environ 5,000,000 de francs,
plus 120,000 cruches d'eau minérale, ainsi qu'un grand nombre d'autres
marchandises, en échange desquelles elle reçoit du sucre, du café, du coton,
des vins de France et d'Allemagne, de la graine de lin et de chanvre.
Legouvcrncmcnt de la Hesse-Électorale est une monarchie constitution-
nelle: le pouvoir du prince y est tempéré par celui des Etats.
Le catholicisme est en minorité dans l'Électorat de liesse-, les réformés
et les luthériens y dominent. On y trouve encore quelques descendants des
réfugiés français qui quittèrent la France, en 1685, après la funeste révo-
cation de l'édit de Nantes, mais ils ont oublié leur langue maternelle et sont
entièrement confondus avec les Allemands.
Nous avons fait voir que sous le rapport commercial, la Hesse Électorale
est une des plus riches puissances dr troisième ordre; il en est de même
sous le rapport financier ; ses revenus pour la période 1846-47-48 ont été
évalués à 12,942,460 thalers, ou bien 42,061,695 francs. Sa dette n'est
pas énorme, grâce au droit de surveillance dont les États font un bon usage;
elle est d'environ 55 millions (1,642,566 thalcrs). L'armée, qui est d'en-
viron 20,000 hommes, se compose de deux brigades d'infanterie, d'une
brigade de cavalerie, d'un régiment d'artillerie; mais 2,000 seulement sont
sous les drapeaux en temps de paix. Le contingent fédéral de la Hesse-Élec-
torale est de 10,865 hommes, et la contribution fédérale est de 58,068
francs. Un corps do dragons organisé comme notre gendarmerie, est destiné
à maintenir la tranquillité publique.
L'ÉIcctorat renferme 62 villes, dont les moins importantes sont Hof-
geismar, station de chemin de fer de Berlin à Cologne par Halle, Weimar,

EUROPE. — HESSE-ELECTORALE.
199
Casscl et Dortmund, connue par le château ducal et le bel établissement de
bains situés à une demi-lieue de ses murs ; Eschwege, arrosée par la Werra,
et enrichie par le commerce de transit et par la culture du tabac ; au pied
du mont Meisner, Allendorf, dont les environs renferment une source
saline qui produit plus de 90,000 quintaux de sel ; Rothenbourg, station
de chemin de fer de Cassel à Vienne et Berlin par les États saxons ; c'est la
résidence du landgrave de Hesse-Rothenbourg, qui possède, sous la sou-
veraineté de l'électeur et du duc de Nassau, 8 villes et 219 villages, mais
qui, par suite d'arrangements particuliers, reçoit une rente annuelle de
300,000 francs: Homberg, dominé par une colline que couronne un
vieux château, dans lequel on voit un puits de 150 mètres de profondeur ;
enfin sur une montagne élevée, que baigne la petite rivière de Kinsig,
Gelnhausen, dont le territoire est riche en vignobles, ville entourée de
murailles, et défendue par un fort situé dans une île. Près de là se voient les
ruines du château de Pfalz, ancien séjour de l'empereur Barberousse. Cepen-
dant plusieurs cités assez importantes occupent le territoire de la liesse.
Cassel, sa capitale, est la plus considérable. Sa population ne s'élève
pas à moins de 35,000 âmes. Bâtie sur la Fulda, elle est divisée en trois
quartiers principaux: la vieille ville, la nouvelle ville basse et la nouvelle
ville haute, ou la ville française. Les deux premières sont anciennes , et
conséquemment mal bâties ; la dernière, qui esl la plus récente, est com-
posée de rues larges et alignées. De tous les édifices de Casscl, les plus
importants sont l'église catholique de Saint-Martin, l'arsenal cl le palais
électoral. Cette ville possède un lycée, un séminaire de maîtres d'école,
un observatoire, une académie de peinture et plusieurs autres établisse-
ments consacres à l'instruction. Le musée Frédéric, qui forme le plus bel
ornement de la place de ce nom, renferme une belle bibliothèque, une
riche collection d'antiques, d'objets de curiosité et d'instruments de
physique et de mathématiques. Le jardin de Bellevue, l'esplanade et le
beau jardin de l'Augarten, sont les principales promenades de la ville.
Cassel ne peut point être rangée parmi les villes de haut commerce ; cepen-
dant il s'y lient deux foires considérables. On y fabrique des toiles, des
tissus de laine et des faïences qui imitent celles d'Angleterre. Celle capitale
est une des principales stations de la grande ligne de chemin de fer qui tra-
verse l'Allemagne centrale en unissant Cologne, Dortmund, Paderborn,
Gotha, Weimar, Halle, Leipsick, Dresde, Berlin et Vienne. Un embran-
chement qui passe par Göttingue, unit aussi cette ville à Hanovre et à la
grande ligne de Gologne-Hanôvre-Berlin.

200
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
Ce qu'on admire le plus dans ses environs, c'est la belle maison de plai-
sance de Wilhelmshöhe, qui, lorsque Cassel était la capitale du royaume
de Westphalie, portait le nom de Napoléonshöhe, séjour enchanteur et
peut-être unique en Allemagne. On admire ses jardins, ses eaux, ses cas-
cades et le bâtiment bizarre, mais imposant, qui couronne la cime du mont
Karlsberg, et que l'on nomme le château des Géants.
Sur une autre montagne, au milieu des bois, s'élève le château du Lion
ou le Löwenbourg, imitation exacte de la demeure d'un ancien paladin.
Des ponts-levis, des tours à créneaux, des vitraux, des meubles antiques,
des armures et de vieux portraits, tout rappelle le Moyen-Age. Dans une
petite bibliothèque, on trouve une collection complète de tous les romans de
chevalerie dont l'Allemagne a été si longtempos inondée.
Cuxchagen est une petite ville que nous ne mentionnerons que parce
qu'elle est le point où se soude un embranchement de la grande ligne
Cologne-Cassel-Berlin, qui va gagner les chemins de fer du Rhin et de
l'Allemagne méridionale, par Francfort-sur-le-Mein.
Marbourg, sur la Lahn, principale station de l'embranchement qui unit
Francfort-sur-le-Mein et le chemin de fer du Rhin à Cassel, prend le titre
de capitale de la haute Hesse ; c'est une ville de 13,000 habitants. Elle
possède une belle église gothique, qui renferme des tableaux et des sculp-
tures d'Albert Durer, et les tombeaux de plusieurs princes de la Hesse ; une
université qui date de 1527, une bibliothèque de 55,000 volumes, une
société d'histoire naturelle, fondée en 1817, et des manufactures de serge
et de camelot.
Srnalkalde ou Schmalkalden, qu'arrose une petite rivière qui porte le
même nom, est une ancienne ville, environnée d'une double muraille et
d'un fossé à sec: on y remarque deux châteaux appartenant à l'électeur,
celui de Hessenhof, qui est fort ancien, et celui de Wilhelmsbourg. Cette
petite ville qui est la capitale d'un cercle enclavé dans les États saxons,
compte 6,000 habitants. Elle est importante par ses mines de fer et ses
forges. Ce fu-t dans ses mursqueles protestants se liguèrent en 1530,1537
et 1540. Srnalkalde est la patrie du géographe Cellarius. Il faut visiter, dans
les environs de cette ville, le célèbre Stahlbert, ou la montagne d'Acier, qui
n'est pour ainsi dire qu'une masse de fer.
Rinteln, à environ 20 lieues de Cassel, sur la rive gauche du Weser, ren-
ferme 5,000 habitants et un gymnase qui remplace son ancienne université
supprimée sous le règne de Jérôme Napoléon.
Fulde, située sur la Fulda, est plus considérable que Srnalkalde: sa popu-

EUROPE. — HESSE-DARMSTADT.
201
lation est de 12,000 âmes au moins. C'est le siége d'un vicariat épiscopal,
d'une cour supérieure de justice, d'une administration forestière et d'une
inspection des ponts et chaussées. On vante son pont en pierre, son
ancienne cathédrale, ou le Munster, qui renferme les restes de l'apôtre
allemand saint Boniface, en grande vénération dans le pays, et l'ancien
palais de ses évoques souverains. Cette ville est ancienne, mais assez
agréable-, elle possèdeun gymnase, une bibliothèque et une école des arts
et métiers.
Le pays de Fulde, quoique peu étendu, est intéressant sous plusieurs
rapports : on y récolte en abondance du blé, des fruits et du bon vin, peut-
être moins bon cependant que lorsque les principaux vignobles apparte-
naient à des moines qui, en le conservant pendant dix ans dans de grands
foudres, en décuplaient la valeur. Quelques-uns de ces vins se. vendaient
alors jusqu'à 9 florins la bouteille. Partout, dans cette province, le peuple
est industrieux, actif et laborieux.
Après Cassel, la ville la plus considérable de la Hesse est Hanau, chef-
lieu de province, et peuplée de 16,000 individus. Cette cité, qui est située
au confluent de la Kinzig et du Mein, et sur le chemin de fer de Francfort à
Munich et à Leipsick, est divisée en vieille et nouvelle ville: cette dernière
seulement est bâtie avec régularité, mais à la manière hollandaise, parce
qu'elle doit son origine à des Wallons et des Hollandais qui la fondèrent
vers l'an 1600. On y remarque la place de l'hôlel-de-ville. L'ancienne ville
mal bâtie, renferme une belle place d'armes et un château où réside sou-
vent le prince. Hanau possède, au nombre de ses établissements utiles,
un vaste hôpital, un arsenal, un mont de piété, un gymnase et une acadé-
mie de dessin. L'électeur a, dans ses environs , une maison de plaisance
appelée Philippsruhe; à Wilhelmsbad, qui n'est cependant qu'à une lieue
de Hanau, et dont le nom indiqueun établissement thermal, on remarque
un autre château appartenant au prince. Ses jardins considérables, bien
dessinés, sont le rendez-vous des baigneurs et de tous les habitants des
environs. A Salmünster, il y a un couvent de franciscains, et à Schlüchtern
qui n'a pas 1,500 habitants, une école latine.
Le grand-duché de Hesse-Darmstadt est un peu moins étendu que l'Élec-
toral de Hesse ; cependant il est plus peuplé. Sa superficie est de 425
lieues carrées, et sa population de 852,524 individus. On peut juger, par
celte évaluation, de la richesse de ce grand-duché. Il est formé de deux
portions séparées par le territoire de Francfort-sur-le-Mein, cl la province
VII.
26

202
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
hessoise de Hanau. La partie septentrionale est limitée , à l'ouest, par le
duché de Nassau et la province prussienne de Westphalie, au nord, à l'est
et au sud, par la Hesse-Électorale. La seconde est bornée au nord par la
principauté de Nassau, le territoire de Francfort et l'Électorat de Hesse ; à
l'est par la Bavière, au sud par le grand-duché de Bade, et à l'ouest par les
provinces rhénanes bavaroises et la régence prussienne de Coblentz. La
partie septentrionale a 21 lieues de long sur 12 de large; l'autre 23 sur
15. Outre ces deux principales parties, la Hesse-Darmstadt possède neuf
autres petits territoires, dont trois, ceux de Eimelrode, Horinghausen et
Vöhl, sont enclavés dans la principauté de Waldeck ; trois autres, ceux
de Finkenhof, Helmhof et Wimpfen, se trouvent dans le grand-duché de
Bade, et les trois dernières, moins considérables encore, sont entre le
duché de Nassau, la Hesse-Hombourg, la Hesse-Électorale et le territoire
de Francfort.
Dans la Hesse septentrionale s'étend la chaîne basaltique du Vogelsberg,
couverte de forêts, et dont les sommets aigus comme ceux du Feldberg, ne
dépassent point 8 à 900 mètres. Sur les bords du Rhin, c'est-à-dire dans
la contrée méridionale, le Malclenberg s'élève à 1,175 mètres au-dessus
du niveau de la mer. Les montagnes sont assez riches en cuivre, en plomb
et surtout en fer. On y exploite aussi beaucoup de pierres de taille et
d'ardoises ; mais les houillères et les salines ne suffisent pas à la consom-
mation.
Dans l'intérieur de la partie méridionale, les montagnes font place à des
plaines qui se prolongent depuis l'Oden wald jusqu'à la rive droite du Rhin ;
ce fleuve y reçoit le Mein sur sa droite, et la Nahe sur sa gauche. Dans la
partie septentrionale, les principaux cours d'eau sont la Lahn, la Nidda et
le Wetter, affluent de celle-ci.
La plus fertile des deux contrées est celle qui borde le Rhin. Dans pres-
que toute cette partie de la Hesse, les coteaux sont garnis de riches vignobles
dont les plus estimés sont ceux de Bodenheim, Bingen, Deinheim, Gau-
bischofsheim, Kostheim, Laubenheim, Mayence, Nackenheim, Nierstein,
Oppenheim et Worms. Grosswinterheim, Heidesheim, Niederingelheim
et Oberringelheim, produisent de très-bons vins rouges ; les plaines et les
vallées sont couvertes de beaux vergers et de champs d'une grande fécon-
dité. La partie montagneuse présente seule quelques exceptions à cet
ensemble général, mais elle offre en compensation des richesses miné-
rales assez importantes ; d'ailleurs le peuple y est plus industrieux que
dans les pays de plaines, quoique, en général, le Hessois paraisse être

EUROPE. — HESSE-DARMSTADT.
203
très-laborieux et doué d'une grande activité. Les arrondissement agri-
coles exportent du blé, des vins, des fruits secs, des bêtes à cornes et des
brebis; ceux des pays de montagnes livrent au commerce diverses etoffes
de laine, des toiles de coton et de lin, des cuirs, des métaux et divers objets
de quincaillerie. Les avantages que l'industrie retire de la fécondité et de
la richesse du sol sont encore encouragés par un gouvernement qui s'est
toujours montré sage et éclairé.
Les manufactures où l'on travaille les métaux sont peu importantes, si
l'on en excepte les forges et toutes les usines où l'on travaille le fer ; mais
on compte aujourd'hui un grand nombre de fabriques et d'autres usines,
dont les produits enrichissent le pays. Le commerce est favorisé par le
cours du Rhin, par celui du Mein, qui forment une partie des limites du
grand-duché, par des routes entretenues avec soin et par une importante
ligne de chemin de fer, qui unit les chemins badois et français à ceux du
nord et du centre de l'Allemagne.
Dans le grand-duché, les luthériens dominent ; ils étaient, en 1849, au
nombre de 408,706 ; puis viennent les catholiques au nombre de 210,107,
les mennonites, au nombre de 164,971 ; il n'y a que 30,269 réformés et
29,131 Israelites.
Depuis 1820, le grand-duché de Hesse-Darmstadt jouit d'un gouverne-
ment constitutionnel. Le souverain est secondé dans l'expédition des affaires
par un ministère, un conseil d'État et deux chambres électives. Ce petit
État possède en outre un ensemble assez complet d'institutions administra-
tives et judiciaires, une université célèbre, celle de Giessen, sept gym-
nases, un certain nombre d'écoles spéciales, et environ 1,600 écoles élé-
mentaires.
La force militaire de la Hesse-Darmstadt se compose d'environ 10,500
hommes; son contingent pour la Confédération germanique s'élève à
12,600 hommes. En temps de guerre, il peut mettre à sa disposition un
corps considérable de landweher.
Le grand-duché est divisé en trois provinces : celle de Starkenbourg,
dont les principales villes sont Darmstadt et Offenbach ; celle de la Haute-
Hesse, ayant pour chef-lieu Giessen, et comprenant huit villes de 2,000 à
3,000 âmes, enfin celle du Rhin, dont le chef-lieu est Mayence et dont les
autres villes les plus importantes sont Worms et Bingen. Nous commence-
rons notredescription pas la Haute-Hesse.
Giessen, ville de 9,000 habitants, est située au confluent du Wieseck et
de la Lahn. C'est une ancienne place de guerre, dont les remparts ont été

204
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
convertis en promenades ·, elle est célèbre dans la liesse par son université,
fondée en 1607. Deux bibliothèques publiques, un observatoire, des jardins
botaniques, où l'on enseigne tout ce qui a rapport à l'économie rurale et
forestière, une école d'accouchement, des écoles élémentaires gratuites,
des sociétés savantes et littéraires, prouvent que les arts, comme les sciences
utiles, y sont cultivés. On y compte plusieurs manufactures de lainages
et de cotonnades. Cette ville est une des principales stations de l'embran-
chement qui unit Francfort à Casscl.
Les villes les plus importantes de la province, après Giessen, sont
Lanterbach, qui n'a que 3,400 habitants-, Alsfeld, qui fabrique beaucoup
de draps communs, et qui a un château, deux églises et un hospice d'or-
phelins ; Schlitz, qui fait un bon commerce do cervelas cl de saucisses ;
Schotten, sa rivale dans la même branche d'industrie; Gernsheim, moins
peuplée, renferme un bel hôtel-de-ville ; et Griiningen, qui n'est presque
qu'un village.
Darmstadt, la capitale, n'est point la ville la plus considérable du
grand-duché, depuis que Mayence fait partie de cette principauté. Elle ren-
ferme 30,000 habitants; la petite rivière de Darm lui a donné son nom.
Darmstadt est divisée en vieille et nouvelle ville: la première entourée d'une
antique muraille, est noire, triste, et ne renferme rien de remarquable ; dans
la seconde, qui est assez bien bâtie, se trouvent le château grand-ducal, le
le musée, le gymnase grand ducal, le séminaire destiné à former des instil
tuteurs primaires ; l'école royale, l'académie de dessin, l'école des arts et
métiers, et une bibliothèque de 90,000 volumes. On cite parmi ses édifices
le vaste bâtiment destiné aux exercices militaires, la salle de l'opéra, la
caserne d'artillerie, le palais du prince héréditaire, et la principale église,
qui renferme les tombeaux des anciens princes de la maison régnante.
Darmstadt est une des principales stations du chemin de fer de Francfort à
Manheim et Carlsruhe.
Au nord de Darmstadt, sur la rive gauche du Mein, s'élève la jolie ville
d'Offenbach, peuplée de 10,0G0âmcs; la plus industrieuse du grand-duché,
unie aujourd'hui à Francfort par un tronçon de chemin de fer, elle est riche
de ses manufactures de soieries, de toiles cirées, de tabac et de passemen-
terie. Heppenheim, sur une belle route qui traverse la montagne de Berg-
strasse, et sur le chemin de fer qui unit Casscl et Darmstadt aux chemins
de fer badois et français, est une petite ville murée, avec deux faubourgs.
On voit près de là, sur l'Odenwald, les restes du château de Starkenbourg,
qui a donné son nom à la province. Au confluent du Rhin et de la Nahe,

EUROPE. — HESSE-DARMSTADT.
205
Bingen, située dans un canton riche et agréable, fait un commerce consi-
dérable de blés, de vins, de cuirs et d'étoffes de laine ·, on ne lui donne que
4,000 habitants. Depuis 1089 que Louis XIV la démantela, elle n'a plus
recouvré l'importance stratégique que sa position lui donnait.
Sur la rive droite du Rhin s'élève à pic le mont Rudesheim, que couronne
le vieux château d'Ehrenfels ; sur l'autre rive, les rochers amoncelés sont
couverts de ruines qui ne sont que les restes de vieux donjons du moyen
âge. C'est au bas de ces rochers qne le Rhin forme une cataracte appelée
Bingerloch, qui présente au navigateur un obstacle dont on exagère les
difficultés, mais qui n'est réellement dangereux que lorsque les eaux sont
basses. Au-dessous de cette chute , on voit, sur un rocher, au milieu du
fleuve, le Mausthurm ou la Tour-des-Souris, vieil édifice sur lequel les
anciennes légendes racontent une foule de recits fabuleux. Π paraît que
cette tour, ainsi que le château d'Ehrenfels, datent du commencement du
treizième siècle.
Worms, paraît être la ville de Borbctomagus, que Ptolémée désigne
comme la principale cité des Vangiones. Cette ancienne ville impériale,
station du chemin de fer de Manheim à Mayence, ne renferme que des rues
étroites et sombres ; on y remarque la cathédrale, beau monument de style
byzantin, l'hôtel des monnaies, l'hôtel-de-ville et le musée d'antiquités
romaines. Sa population est de 8,000 âmes, et son commerce, très-produc-
tif, consiste principalement dans la vente des vins qu'elle récolte sur les
fertiles terrains de la rive gauche du Rhin, au bord duquel la ville est
située.
Un peu au-dessous du confluent du Rhin et du Mein, s'élève Mayence
(en allemand Mainz), la ville la plus considérable du grand-duché de
Hesse. Elle renferme 40,000 habitants, quelques beaux édifices et plu-
sieurs établissements utiles. Cependant sa construction est loin d'être régu-
lière; ses maisons, presque toutes bâties en grès rouge, lui donnent un
aspect désagréable ; presque toutes ses rues sont étroites et tortueuses. La
place Verte et celle du Marché sont ses deux seules places passables ; sa
cathédrale, appelée le Dôme, est curieuse par sa construction, son antiquité,
le trésor considérable et les tombeaux qu'elle renferme. A l'extrémité sep-
tentrionale de cette ville, l'une des places fortes de la Confédération, on
voit les restes de l'ancien château électoral et une vaste place d'armes. Tout
près de là est le palais grand-ducal, qui appartenait autrefois à l'ordre Teu-
tonique. Une galerie le met en communication avec l'arsenal, qui n'est pas
fort éloigné du pont de bateaux qui traverse le Rhin, qui ici a 530 mètres

206
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
de largeur. Près du pont est le port de décharge pour les navires venant
du haut Rhin et du Mein, et pour ceux qui sont destinés pour le bas
Rhin : parmi ceux-ci il y en a qui transportent un chargement de 600
tonneaux.
De vieux murs avec des plates-formes et des batteries flottantes proté-
gent la ville du côté du fleuve. Sur le côté opposé, elle est défendue par de
vastes fortifications que l'on améliore sans cesse. On sait que Napoléon en
voulait faire un des principaux boulevards de l'empire français. Mais on
a peut-être trop étendu les travaux de défense, car ils exigeraient en temps
de guerre une garnison de 30,000 hommes. Ces fortifications se lient à la
citadelle, dont un bastion renferme un vieux monument appelé en allemand
Eichelstein, c'est à dire pierre du gland; c'est une tour ronde dont la con-
struction est attribuée aux Romains. Du haut de cette masse de pierres, on
jouit d'une très-belle vue sur la ville et sur le fleuve. Un autre édifice
antique que nous ne devons point passer sous silence, est l'aqueduc dont
il reste 59 piliers. Le bâtiment qui mérite le plus de fixer l'attention des
curieux est celui qui renferme les principales collections de la ville et la
bibliothèque riche de 100,000 volumes.
Mayence possède tous les établissements que l'on retrouve dans les
grandes cités, théâtre, gymnases, écoles primaires, hôpitaux , école de
médecine, etc. Le muséum des antiquités romaines recueillies dans ses
murs ou dans ses environs est riche et fort curieux ; on sait que cette ville
était déjà considérable sous la domination romaine: qu'elle fut longtemps
habitée par Drusus, et que les Romains la nommèrent Moguntiacum, puis
Moguntia.
L'industrie de cette ville se distingue particulièrement dans l'ébénisterie,
la carrosserie, la lutherie, la fabrication des fausses perles et la tannerie.
Cette ville, patrie de Guttemberg, possède plusieurs imprimeries et librai-
ries. Ses manufactures ne lui fournissent pas de grands moyens d'expor-
tation, mais la richesse de son territoire lui offre une importante compen-
sation. Elle expédie annuellement 30,000 quintaux de grains, 16,000
d'huile et de légumes, et 40,000 de vins. Ajoutons à ces produits ses
excellents jambons, qui depuis longtemps l'ont rendue célèbre chez les
gastronomes. L'établissement d'une double ligne de chemin de fer qui la
met en communication avec toutes les grandes villes de la France par
Worms, Forbach et Metz, et avec toutes les grandes villes de l'Allemagne
par Francfort, contribue puissamment à l'extension de son commerce.
Cette ville fondée par Drusus, dix ans avant l'ère chrétienne, fut rava-

EUROPE. — HESSE-DARMSTADT.
207
gee par chacun des peuples barbares qui passèrent le Rhin. Théodebert,
fils de Clovis, lui rendit une partie de son antique splendeur ; mais Char-
magne doit être considéré comme son second fondateur. Boniface en fut
le premier archevêque, en 747, et ses successeurs qui étaient électeurs de
l'Empire, y dominèrent ; elle eut bien à souffrir des grandes luttes de la
France et de la maison d'Autriche, et ce n'est que depuis 1815 qu'elle
fait partie du grand-duché de Hesse-Darmstadt.
D'après le règlement militaire définitivement arrêté par la diète germa-
nique, la ville hessoise de Mayence doit avoir en temps de paix une gar-
nison de 6,000 hommes environ, en troupes autrichiennes et prussiennes.
En temps de guerre cette garnison sera de 25,000 hommes.
Bien que Strasbourg et Harlem lui disputent l'honneur de l'invention
de l'imprimerie, il est constant que Guttembergy naquit en 1400, et que
ce fut à Strasbourg, en 1436, qu'il fit les premiers essais de cet art qui
assure à jamais le triomphe des lumières sur l'ignorance et la barbarie : ce
qui n'empêcha pas qu'en 1450 il ne contractât une association avec Faust
à Mayence, où il mourut en 1468, après y avoir imprimé plusieurs ouvrages.
Mayence a donc été aussi le berceau de la typographie ; mais elle ne paraît
pas en avoir profité, tant elle a été peu féconde en savants et en écrivains.
Celte ville n'a pas manqué de reconnaissance envers son illustre compa-
patriote, et elle lui a érigé, en 1837, une statue de bronze sur l'une des
principales places de la ville.
A l'extrémité du pont de Mayence s'étend, comme son faubourg, sur la
rive droite du Rhin, la petite ville de Cassel ou Castel, le Castellum Tra-
jani des anciens. Comprise dans le vaste système des fortifications qui
entoure Mayence, elle est considérée comme un point stratégique fort
important. C'est un lieu de passage très-fréquenté, où l'on remarque une
assez belle église, et où il se tient chaque année un marché considérable
de bestiaux.
C'est aux environs du bourg de Hockheim, à peu de distance de la ville,
que l'on récolte les meilleurs vins : on dit que dans les années favorables
la pièce de 600 pintes se vend jusqu'à 2,000 francs, prise au pressoir. Les
beaux vignobles qui s'étendent sur les collines qui dominent le Rhin donnent
au bassin de Mayence l'aspect le plus riche que l'on puisse imaginer. Le
fleuve, qui se dirige majestueusement vers le couchant, et dont les eaux
présentent une surface de 425 mètres de largeur; qui, vers le midi, se
prolonge en formant un rideau terminant une plaine immense; les haules
montagnes qui, vers le nord, semblent devoir l'arrêter dans son cours

208
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
rapide; les îles couvertes de verdure qui sortent de son sein; les villages
qui s'élèvent en amphithéâtre sur les pentes des hauteurs; la variété des
points de vue qui vous entourent; la teinte bleuâtre que prend la vieille
cité de Mayence au milieu de ces masses de verdure, forment un tableau
dont la magnificence frappe l'homme le moins sensible aux beautés de la
nature, enrichie par les efforts de l'industrie et de l'agriculture.
Nous sommes entrés dans des détails assez longs sur la Hesse-Électo-
rale, mais que pouvons-nous dire du Landgraviat de Hesse-Hombourg,
d'une principauté qui, d'après des renseignements officiels et des calculs
rigoureux, ne compte pas 25,000 habitants, sur une superficie de 15 lieues
carrées; dont les revenus ne s'élèvent pas à 1 million de francs, tandis que
sa dette publique est de 2,876,600 francs, et dont la force militaire ne se
compose que de 488 hommes? Malgré son peu d'importance, elle a encore
le désavantage d'être formée de deux petits territoires, éloignés l'un do
l'autre de plus de 20 lieues. L'un est celui de Hombourg, situé entre les
possessions de la Hesse-Darmstadt, et celles de Nassau ; l'autre, qui est le
plus étendu, est celui de Meissenheim, sur la rive gauche du Rhin, entre le
cours de la Nahc et celui de la Glan, et limitée à l'ouest par la principauté
de Birkenfeld, au sud par celle de Lichlenberg, à l'est par les provinces
rhénanes de la Bavière, et au nord par la régence prussienne de Coblentz.
Le premier comprend 4 lieues carrées, et le second 11.
Le sol des deux portions du landgraviat de Hesse-Hombourg est fertile
en produits agricoles, et riche en mines : le territoire de Hombourg en ren-
ferme quelques-unes; celui de Meissenheim possède des forgeset des
houillères. Hombourg-vorder-höhe, ou devant la hauteur, surnommé ainsi
pour le distinguer du Hombourg qui appartient à la Bavière, est la capitale
du landgraviat. Cette ville est située au pied d'une hauteur,-sur laquelle
est le château du prince; elle est petite, mais assez bien bâtie. Sa popula-
tion est de 4,000 âmes ; son industrie consiste en fabriques de toiles, de
soieries, de flanelles et de bas de laine. Meissenheim, sur la rivière de
Glau, n'a que 1,800 habitants, dont le commerce consiste dans la vente des
produits d'une verrerie et de deux usines où l'on travaille le 1er, d'une
mine de mercure, qu'on l'on exploite dans ses environs, et des vins de son
territoire.
L'établissement d'une petite république, presque au centre de la Confé-
ration germanique, n'est point sans intérêt, lorsqu'on pense qu'elle fut

EUROPE. — RÉPUBLIQUE DE FRANCFORT.
209
fondée en 1815, à l'époque même où les gouvernements paraissaient accor-
der à regret aux peuples quelques institutions qui admettaient la liberté
comme un droit plutôt que comme une simple concession révocable selon
les circonstances. L'époque de l'affranchissement de Francfort remonte à
une antiquité aussi reculée que celui des villes libres, dont nous avons
décrit les territoires dans un des livres précédents; aussi, en 1815, lors
de la reconstitution du corps germanique, fut-elle déclarée ville libre.
Aucune considération majeure ne s'opposait alors à ce qu'elle devînt l'une
des plus belles possessions d'un des États de la Confédération; mais soit
que son importance ail été un sujet de convoitise pour les principautés de
Nassau, de Hesse-Darmstadt et de la Hesse-Électorale, au milieu des-
quelles son territoire est enclavé, on a préféré lui restituer son antique
indépendance; et, sous le rapport de son commerce, elle n'a pu qu'y
gagner.
Le terroire de la république de Francfort se compose de trois petites
parties, dont la plus considérable, située sur les deux rives du Mein, est
enclavée dans les possessions de la Hesse-Darmstadt; les autres sont limi-
trophes de cette principauté et de celle de Nassau. Toutes les terres qui
lui appartiennent comprennent une superficie de 1,8 milles carrés géo-
graphiques d'Allemagne, ou de 5 lieues géographiques de France. Outre
la capitale, il renferme 2 bourgs et 6 villages ; la population totale était,
d'après le dernier recensement de 1849, de près de 70,244 habitants; la
ville seule a 39,310 âmes. On n'y compte que 6,000 catholiques, 2,000
réformés et 5,000 Israélites; le reste suit le culte de la confession d'Augs-
bourg. Elle est le siége de la diète germanique.
Francfort, en allemand Frankfurt, n'est point une belle ville, quoi-
qu'elle possède des monuments importants, plusieurs beaux palais, et des
maisons bien bâties ; ses rues sont généralement sombres, étroites et tor-
tueuses, mais elles sont bien pavées et éclairées la nuit. Les plus belles sont
le Wallgraben et le Ziel. Elle renferme plusieurs places publiques, dont
les plus remarquables sont le marché aux chevaux, la place d'armes, le Lieb-
frauenberg et le Romerberg. Nous allons citer ses édifices les plus curieux :
la cathédrale, ou l'église de Saint-Barthélemi, dans laquelle plusieurs empe-
reurs ont été couronnés, passe pour être l'ouvrage du roi Pépin, et peut
être de Louis le Pieux, roi de Germanie, qui mourut à Francfort en 876. A
l'hôtel-de-ville, appelé le Römer, on conserve précieusement la bulle d'or de
l'empereur Charles IV ; c'est, comme on le sait, l'ordonnance constitutive de
l'empire germanique au moyen âge : c'est dans cet édifice que les empereurs
VII.
27

210
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
tenaient leur cour; pendant la foire, on y établit des boutiques. Le Saalhoff,
que défigurent plusieurs constructions modernes, fut la résidence de Louis
le Débonnaire. Nous citerons encore le palais du prince de Tour et Taxis,
où se tiennent les séances de la diète germanique, le beau bâtiment de la
bibliothèque publique, la salle de spectacle, la bourse et le pont sur le
Mein, d'où l'on jouit d'une vue magnifique, et dont la longueur est de plus
de 1 25 mètres.
Le nom de Frankfurt ou Frankenfurt1 semble confirmer la tradition
que c'est sur l'emplacement qu'occupe cette ville que les Francs ou Fran-
çais se rassemblèrent au cinquième siècle pour entrer dans les Gaules ;
elle avait déjà le titre de ville, lorsque Charlemagne l'augmenta après
avoir défait les Saxons sous ses murs. Le faubourg situé sur la rive gauche
du Mein, qui la sépare de la ville, conserve encore dans son nom de
Sachsenhausen le souvenir d'un lieu qu'habitait une partie de ce peuple.
Francfort est l'une des premières villes qui s'empressèrent d'adopter la
réformation de Luther; elle joua aussi un grand rôle dans la ligue de Srnal-
kalde. Les richesses que lui procure son commerce contribuent à y mul-
tiplier les constructions modernes, qui la mettront sans doute un jour au
rang des plus belles villes de l'Allemagne.
Francfort se distingue parmi les villes libres par le goût de ses habitants
pour les sciences, les lettres et les arts ; elle renferme plusieurs galeries
de tableaux, d'antiquités et d'histoire naturelle ; les établissements publics
sont également dignes de la richesse de cette petite république. Pour
l'instruction, on compte deux gymnases, dont l'un est pour les protes-
tants, et l'autre pour les catholiques, un jardin botanique, une école d'ar-
chitecture, de peinture et de gravure, avec de belles collections d'objets
d'art ; une de mathématiques, et plusieurs écoles d'arts et métiers. La
bibliothèque publique contient plus de 100,000 volumes et un beau cabinet
de médailles. La ville compte parmi ses principaux établissements utiles
une société biblique, une maison d'orphelins, un hôtel-dieu , une mai-
son de réclusion et de travail, un bel hôpital et une maison de santé,
qui renferme un amphithéâtre anatomique. Au lieu d'un mont-de-piété,
dont les secours usuraires sont plutôt une calamité qu'un bienfait pour
les classes indigentes, elle a établi une caisse destinée à aider dans leur
commerce ou dans leur industrie les petits marchands ou les artisans qui
ont besoin de fonds.
La souveraineté de la république réside, à Francfort, dans le sénat, Je
1 Furt signifie gué, passage.

EUROPE. — PRINCIPAUTÉ DE WALDECK.
211
corps législatif et les députés permanents de la bourgeoisie. Le sénat pos-
sède le pouvoir exécutif ; il gouverne l'État, administre la justice, et sur-
veille les communautés des trois cultes chrétiens. Le corps législatif discute
et vote les lois, règle la levée des impôts, l'établissement de la force armée,
surveille l'administration, et confirme toutes les conventions de l'État.
L'industrie de Francfort entretient des fabriques d'étoffes de soie, de
tissus de laine communs, de toiles de coton et de lin; des manufactures de
tabac et de cartes à jouer; des fonderies de caractères d'impression ; enfin
des blanchisseries de cire, et des fabriques de faïence estimées. Mais ce
qui constitue sa principale richesse, c'est son commerce avec l'Allemagne,
dont elle est le principal entrepôt ; ce sont ses relations continuelles avec
les pays qui l'environnent ; ce sont les débouchés faciles qu'entretienn ent
la navigation du Rhin et du Mein , et quatre lignes de chemins de fer ; la
première allant au nord rejoindre, par Marbourg et Cassel, la grande ligne
de Cologne-Hanôvre Berlin ; la seconde au sud, allant par Darmstadt et
Manheim rejoindre les chemins de fer français et badois ; la troisième, à l'est,
se dirigeant par Hanau et Viirtzbourg vers la Bavière et les États saxons; la
quatrième enfin allant à l'ouest réjoindre Mayence; ce sont surtout ses
deux importantes foires de Pâques et de septembre, qui y attirent plus de
1,600 négociants des différentes contrées de l'Europe.
Francfort se glorifie d'être le siége de la diète de la Confédération, et
d'être la patrie de Charles le Chauve; mais elle possède d'autres titres à
la célébrité; elle donna naissance à l'immortel Goethe, et c'est dans ses murs
que fut publiée la plus ancienne gazette allemande.
Les territoires qui constituent la principauté de Waldeck comprennent
l'ancien comté de Waldeck proprement dit et celui de Pyrmont, formant une
superficie totale de 60 lieues géographiques carrées. La principauté de
Waldeck est bornée d'un côté par la province prussienne de Westphalie, de
l'autre par la Hesse-Électorale et une enclave du grand-duché de Hesse-
Darmstadt. Le comté de Pyrmont, plus septentrional, touche vers le nord
au Hanôvre, vers l'est à une partie du duché de Brunswick, vers le sud à
une enclave de la Prusse, et vers l'ouest à la principauté de Lippe-Detmold.
Ces deux parties sont peuplées de 59,697 habitants. La famille régnante
paraît descendre directement de Witikind, qui portait en effet le titre de
comte de Swalenberg et de Waldeck.
L'ancien comté de Waldeck, qui forme la plus grande partie de cette
principauté, présente une superficie de 55 lieues. C'est un des pays les

212
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
plus élevés de l' Allemagne. Il est traversé par les ramifications des monts
Rothaar et des monts Egge du sud-ouest au nord-ouest. Les plus hautes
cimes sont le Poen et le Dommel. Dans la partie orientale, on remarque
quelques volcans éteints, dont le plus considérable est le Lammsberg. Cette
contrée est généralement pierreuse et médiocrement fertile; l'air y est vif,
mais sain. Dans les montagnes, on exploite plusieurs mines de fer, de
cuivre et de plomb, des carrières de marbre et des ardoisières; dans les
vallées, le cours des rivières renferme des sablesaurifères : il y a des lavages
d'or à Alforden et à Hernhausen, sur les bords de l'Eder ; le pays possède
aussi plusieurs sources minérales.
Les produits agricoles sont peu importants; ils consistent en pommes
de terre et en céréales: cependant le blé y est assez abondant pour consti-
tuer une des branches du commerce d'exportation. La filature des laines,
la fabrication de divers tissus, l'exploitation des mines et quelques pape-
teries, sont les principaux genres d'industrie qui occupent la population.
Dans l'ancien comté de Pyrmont, entre la principauté de Lippe-Dct-
mold et les possessions du duc de Brunswick, se termine la chaîne des
monts Egge. Ce petit territoire, qui n'a que 5 lieues carrées, et qui compte
environ 5,000 habitants, est montueux et couvert de forêts. Le centre en
est occupé par un massif de grès bigarrés, entouré d'une bande de calcaire.
Le pays renferme des sources d'eaux minérales. Les habitants exportent
une grande quantité de bas tricotés.
Ces deux territoires sont arrosés par l'Aar, le Diemel, et l'Eder. Les
bords du Diemel sont fertiles, mais exposés à de fréquentes inondations.
La principauté de Waldeck jouit depuis 1816 d'un gouvernement repré-
sentatif. Ce sont les membres de la chambre élective qui examinent le
budget, qui volent les impôts, qui discutent les lois, et qui proposent au
prince les améliorations dont l'administration du pays est susceptible.
Corbach, ou Korbach, qui ne renferme que 2,000 habitants, prend le
titre de capitale ; elle est entourée de murailles ·, elle possède un château
et quelques établissements utiles. Sacltsenberg a des foires assez fréquen-
tées. Arolsen, résidence ordinaire du prince est bien bâtie ; on n'y compte
que 2,000 habitants. Le château qui est remarquable par son étendue,
renferme une galerie de tableaux , un cabinet d'histoire naturelle et de
médailles, et une bibliothèque de 30,000 volumes. A Nieder-Wildungen,
il y a un château.
Dans l'ancien comté, aujourd'hui le cercle de Pyrmont, on remarque
le village de Friedensthal, peuplé d'une colonie de quakers qui s'occupent

EUROPE. — TABLE AUX STATISTIQUES.
213
à fabriquer de l'acier et divers objets de coutellerie. Pyrmont ou Neustadt-
Pyrmont, ville de 2,500 habitants, est, depuis le quinzième siècle, célèbre
par ses sources minérales. Pendant la saison des eaux, les bals, les con-
certs, le spectacle lui donnent l'apparence d'une cité importante. Elle
renferme quelquefois près de 2,000 étrangers. La promenade est formée de
plusieurs allées de tilleuls, et bordée de boutiques élégantes bien assorties;
Je prince y possède un joli château. Pyrmont exporte annuellement près
de 300,000 bouteilles de ses eaux, dont les droits de sortie produisent plus
de 12,000 thalers.
TABLEAUX Statistiques du duché de Nassau, des grands-duchés de Hesse-
Électorale, de Hesse-Darmstadt, du landgraviat de Hesse-Hombourg,
de la république de Francfort-sur-le-Mein et de la principauté de
Waldeck,
DUCHE DE NASSAU.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1851.
par lieues carr.
eu 1851.
Armée.
84,5 milles carr. allem.
428,218
1,814
Revenus.
ou
8,480,000 francs.
Pied de paix. 4, 000h.
236 lieues géog. carrés.
Depenses.
Pied de guer. 22,000
8,975,615 francs.
Contingent fédéral.
Dette.
6,423 hommes.
21.624,000 francs
Contribut fédéral.
30.956 francs.
Cercles.
Bailliases.
Sup. en arp.
Population
Chefs-lieux de Bailliages
ou morgen.
en 1851.
et leur population.
WIESBADEN
Wiesbaden
56,909
27,292
WIESBADEN , 12,000.
Nassau
65,019
13,113
Nassau, 1,200.
NASSAU
Montabaur
70,041
18,283
Montabaur. 2 500.
Braubach
48,611
11,096
Braubach, 1,600.
Hachenbourg. . .
76.676
12,396
Hachenbourg, 1,300.
HACHENBODRG
Marienberg
46,984
9 532
Marienberg, 600.
Sellers
78,118
16.732
Selters, 800.
Hadamar.
61,015
19,712
Hadamar, 1,800.
HADAMAR
Walmerod
60,794
15,397
Walmerod.
Welbourg
96,874
19 387
Weilbourg, 2,200.
Herborn
99,175
152,842
Herborn, 2.400.
HERBORN
Dillenbourg. . . .
90,539
17,201
Dillenbourg, 2,600.
( Rennerod
60,839
14,913
Rennerod, 1,200.
Hœchst
46,931
18,275
Hœhs t, 1.800.
HOECHST
Huchheim
49,521
14,000
Hochheim, 1,900.
Kœnigstein.....
66,038
16.053
Kœnigstein 1.300.
Idstein
95,100
18.792
Idstein, 1 900.
IDSTEIN
Usingen
128,494
21,494
Usingen, 1.800.
I.angeuschwalbach.
73,556
11,259
Langenschwalbach, 1,800.
67,217
12,134
Nastœtten. 1,400.
LANGENSCHWALBACH.
Nastœtten
Welien.
88,364
10,704
Welien, 1,300.
Limbourg
50,588
16,454
Limbourg, 3,000.
LlMBOURG
Dietz
72,007
16,806
Dieu, 2,800.
Runkel
54,137
14,863
Runkel, 900.
Reichelsheim, 900.
REICHELSHEIM
I Reichelsheim.. . .
4,921
1.593
Rudesheim
59.411
13,262
Rudesheim. 2,400,
RUDESHEIM
Saint-Goarhausen.
57,582
11,789
Saint-Goathausen, 900.
Ettville
42,027
12,398
Eltville, 2,200.

214
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME.
GRAND-DUCHÉ DE HESSE-ÉLECTORALE.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1847.
par lieue carr.
176milles carrés all.
754,590
Revenus,
Pied de paix,
ou
1,540
15,000,000 francs.
2,500 hommes.
490 lieues géograp.
Dépenses,
Contingent fédéral,
carrées.
14,000.000 francs
11,317 hommes.
Dette.
55,000,000 francs.
Contribut. fédérale,
58,062 francs.
( 62 villes. — 38 bourgs. —1,275 villages et hameaux.)
Provinces.
Superficie
Population
Cercles.
Villes et leur population.
en I. c.
en 1847.
CASSEL
CASSEL, 35,000.
ESCHWEGE. . . .
Eschwe ge, 6.000.
BASSE-HESSE
FRIZLAR
Frizlar, 3,000
HOF-GEISMAR. .
Hof-Geismar, 3,000.
ou
224
HOMBERG. . . .
Homberg, 3,200.
CASSEL.
366,663
MELSUNGEN.
. .
Melsungen, 3,250-
ROTHENBOURG.
Rothenbourg, 3,200.
SCHAUENBOURG.
Rinteln, 5,000.
Witzenhausen, 3,200.
WITZENHAUSEN.
Allendorf, 3,800.
WOLFSHAGEN
.
Wolfsbagen, 3.250
FRANKENBERG. .
Frankenberg, 3,000.
HAUTE-HESSE. . . .
KIRCHHAIN
. .
Kirchhain, 2.000.
100
122,432
(Ober Hessen.)
MARBOURG.
. .
Marbourg. 12,000.
ZIGAINHAlN.
. .
Zigainhain. 1,800.
FULDE
Fulde, 12,000.
FULDE.
HERSFELD. . . .
Hersfeld, 6,000.
95
140,713
(Fulda.)
HÜNFELD.
. . .
Hünfeld, 2,000.
SCHMALKALDEN.
Schmalkalden, 6,000.
GELHAUSEN.
.
Gelnhausen, 3,000.
HANAU
Hanau, 16,000.
HANAU
70
124,782
SALMÜNSTER.
.
Salmünster, 1,600
SCHLÜCHTERN
.
Schlüchtern, 1,560.
GRAND-DUCHE DE HESSE-DARMSTADT.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1849.
par lieue carr.
en 1850.
152,7 milles carrés all. Homm m. 421,242
Revenus.
Pied de paix.
Femn 1. 431,282
2,005
15,405,530 fr.
10.498 hommes.
ou
Dépenses.
Contingent fédéral,
425 lieues géograph iq.
Tot al 852,524
16,985,530 fr.
12,787 hommes.
carrées.
Dette.
9,214,086 fr.
Conlribut. fédérale,
63,540 fr.
( 97 vil 1 es. - 56 b ourgs. — 2,15 3 villages et hameaux.)
Provinces.
Sup crficie
Population
Villes et leur popu ation.
EN ι 1. c.
■ι (14 district s. — DARMSTADT, 30,000 . —Offenbach, 10,000.
STARKENBOURG. .
1 52
318,584

Gross gerau, 1,800.— Diebour g, ,2,500.— Rheinheim,
1,600-Heppenheim, 4,000.
15 distric ts. — Giessen, 10.000. — Alsfeld, 3,500. -
Friedber g. 3,200. — Riedenkopf , 3,000.— Lauterbach,
HAUTE-HESSE.
. .
9 03
308,330
3,800. S chlitz, 3,600 — Herbsf< in, 1,800. — Schötten,
2,400. - Gernsheim, 2,800. — G rünberg, 2,800.
70
11 cantoni .— Mayence, 40,000 — Cassel, ι 200.-Alzey.
HESSE-RHENANE .
225,610
3,800.— Bingen, 5,000. — Wor ms, 10,000.

EUROPE. — TARLEAUX STATISTIQUES.
215
LANDGRAVIAT DE HESSE-HOMBOURG.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1846.
par lieues g. c.
en 1852.
5 milles carrés allem.
24,203
1,728
Revenus.
Armée.
ou
652,018 francs.
488 hommes.
15 lieues géographique.
Dépenses.
Contingent fédéral.
638,880 francs.
363 hommes.
Dette.
2.876,840 francs.
Conlribut. fédérale.
2,045 fr.
(3 villes, 1 b ourg,58 villag es ou hameaux.)
Seigneuries.
Superficie.
Pc pulation.
Chefs-lieux et leu r population.
HOMBOURG
4
1 0 393
HOM BOURG, 6,000.
MEISSENHEIM
10
1 3,810
Met ssenheim, 2,000.
RÉPUBLIQUE DE FRANCFORT.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1849.
par lieues g. c.
en 1852.
1.8 mille. carré. allem. Ville. . 59,316
14,060
Revenus.
Armée.
ou
8 villag. 10,038
3,502,240 francs.
890 hommes.
5 lieues géographique. Mililair.
890
Dépenses.
Contingent fédéral.
3,525,56
francs.
1,054 hommes.
Total 70,244
Dette.
14,204,000 francs
Contribul. fédérale.
4,900 fr.
PRINCIPAUTÉ DE WALDECK.
POPULATION
POPULATION
SUPERFICIE.
FINANCES.
FORCES MILITAIRES
en 1852.
par lieues g. c.
22 milles carrés allem.
59,697
990
Armée.
ou
Revenu 11,600,000 fr
650 hommes.
60lieues géographique.
Dette.
Contingent fédéral.
5,000,000 francs.
880 hommes.
Contribul. fédérale.
5,300 francs.
( 2 print pautés, 4 cercles 13 villes, 1 b )urg, 106 villages et ha meaux.)
Principautés 1.
Superficie
Population
Villes ρ incipales.
en lieues carrés.
1852.
CORBACH, 2,000.
S achsenberg, 1,200 —
WALDECK
55,3
53,074
PYRMONT
Arolsen, 2.000.—N éder-W ildungen, 800.
3,7
6,623
Pyrmont, 2,500. F riedensthal, 1,200.
1 L es deux principautés se subdivisent en q uatre cercles : Τ WISTE, EISENBERG, EDER et P YRMONT.

216
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne centrale. — Description des quatre
duchés et du royaume de Saxe, des deux principautés de Schwartzbourg, et des
trois principautés de Reuss.
La maison de Saxe est une des plus anciennes et des plus illustres de
l'Allemagne ; nul doute qu'elle ne descende du redoutable Witikind, chef
des Saxons. On sait qu'elle posséda d'abord le landgraviat de Thuringe,
puis le margraviat de Misnie ; que Frédéric le Belliqueux, qui eut la gloire
de fonder l'université de Leipsick, fut le premier margrave qui porta le titre
d'électeur de Saxe, en 1422 ; et que Frédéric le Bon, son successeur, fut
le père de deux princes, Ernest et Albert, fondateurs des deux branches
appelées de leur nom Ernestine et Alberline, qui règnent encore aujour-
d'hui sur les États saxons.
La branche Ernestine, qui était l'aînée, eut d'abord, avec la dignité
électorale, le duché de Saxe et la Thuringe, tandis que la seconde n'avait
que le margraviat de Misnie ; mais, en 1547, l'électeur Jean-Frédéric, qui
s'était mis à la tête des réformés, fut battu par Charles-Quint à la bataille
de Mühlberg ; fait prisonnier, il ne conserva la vie qu'en cédant à son
neveu Maurice, de la branche Albertine, qui l'avait trahi, la dignité élec-
torale et la presque totalité de ses États. C'est ainsi que la branche cadette
de Saxe prit le pas sur la branche aînée ·, les successeurs de l'électeur Jean-
Frédéric se partagèrent entre eux ce qui restait des anciens domaines de
ce prince. Telle est l'origine des quatre duchés saxons, que nous allons
parcourir.
Le grand-duché de Saxe-Weimar, ou de Saxe-Weimar-Eisenach, le plus
considérable des quatre duchés, se compose de trois parties détachées,
accompagnées chacune de quelques enclaves. La première, ou le cercle de
Weimar-Iéna, est bornée au nord par la province prussienne de Saxe, à
l'ouest par la même province et la principauté de Schwartzbourg-Rudol-
stadt, au sud par le duché de Saxe-Altenbourg, qui la limite aussi à l'est :
sa longueur, de l'est à l'ouest, est de 15 lieues, et sa largueur, du nord au
sud, de 11. La seconde, ou le cercle de Neustadt, au sud-est de la précé-
dente, avec laquelle elle forme la principauté de Weimar, est entourée par
le duché de Saxe-Altenbourg, et par les principautés de Reuss, au nord et

EUROPE. — GRAND-DUCHÉ DE SAXE-WEIMAR.
217
au nord-est; au sud par la province prussienne de Saxe, et à l'ouest par
le duché de Saxe-Meiningen : elle a 10 lieues de l'ouest à l'est, et 4 du
nord au sud. La troisième, qui forme le cercle ou la principauté d'Eise-
nach, à l'ouest des deux autres, est bornée au nord par la province de
Saxe, à l'ouest par la Hesse-Électorale, au sud par la Bavière, et à l'est par
les duchés de Saxe-Meiningen et de Saxe Cobourg-Gotha : elle a 15 lieues
du sud au nord et 4 de l'ouest à l'est. Deux principales enclaves appar-
tiennent au cercle de Weimar-Iéna : ce sont celles d'Ilmenau, au sud-
ouest, cl celle d'Allstedt au nord. Parmi celles qui appartiennent au cercle
d'Eisenach, nous citerons celle d'Ostheim au sud, et celle de Zillbach à l'est.
La superficie de tout le grand-duché est de 185 lieues, et sa population
était, en 1853, de 262,524 habitants, parmi lesquels on comptait seulement
10,600 catholiques et 1,454 Israélites. Le pays offre de larges vallées, où
coulent la Verra, la Saale et l'Ilm ; elles sont formées par quelques petites
montagnes qui s'étendent du nord-ouest au sud-ouest, et vont se réunir à
la chaîne du Thuringer-Wald. La partie méridionale est couverte par les
rameaux du Rhone-Gebirge. On n'exploite guère que du fer et du manga-
nèse, des salines, une houillère, et une mine de lignite ou bois bitumeux.
Le cercle de Neustadt renferme de la tourbe et de l'albâtre. La principauté
d'Eisenach est très-riche en argile à poterie et en terre à foulon. Le duché
ne possède que deux sources minérales : la première, près de Berka, aux
environs de Weimar ; la seconde à Ruhla, près d'Eisenach.
Dans les deux principautés, presque toutes les hauteurs sont couvertes
de forêts : le bois est une des principales richesses du pays. Le sol est en
général peu fertile, et la condition des cultivateurs laissant beaucoup à
désirer, il en résulte que les produits de l'agriculture ne sont pas très-con-
sidérables ; cependant la principauté de Weimar récolte assez de blé pour
pouvoir en exporter dans les bonnes années. Celle d'Eisenach, peu riche
en céréales, produit beaucoup de pommes de terre, de lin, de colza, de
pavots et de chanvre. Les fruits sont abondants, mais d'une médiocre qua-
lité ; on cite cependant les pommes de Boursdorf et les cerises des environs
d'Ostheim, dans la principauté d'Eisenach. Quant au vin, celui d'Iéna, et
celui de Kunitz dans celle de Weimar, sont d'une qualité tout à fait infé-
rieure. Les animaux domestiques, principalement les bêtes à cornes, sont
élevés avec soin dans les environs d'Eisenach, et sur le territoire de Neu-
stadt, dans la principauté de Weimar. A Allstedt, il y a un beau haras ; les
moutons fournissent une laine très-line, qui se vend sous le nom de laine
électorale.
VII.
28

218
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
Les principales villes du grand-duché de Saxe sont Weimar, Apolda,
Neustadt, léna et Eisenach. Elles sont trop peu importantes pour que nous
nous y arrêtions longtemps ; nous les visiterons rapidement. Weimar,
située dans une jolie vallée arrosée par l'Uni, renferme 12,000 habi-
tants. On remarque dans l'église principale les tombeaux des princes
et princesses de la famille ducale, celui de Herder, et quelques peintures
de Luc Cranach, dont on remarque le tombeau dans l'ancien cimetière.
Celte ville, que l'on a surnommée avec raison l'Athènes de l'Allemagne,
possède des écoles publiques, un collége, une académie de peinture et
quelques établissements de bienfaisance. Parmi ses édifices, le plus remar-
quable est le palais du prince, qui renferme de belles collections. Le parc,
dessiné à l'anglaise, est regardé comme un des plus beaux de l'Allemagne.
Nous ne devons pas oublier de citer, parmi les établissements utiles de
Weimar, l'institut géographique, où l'on publie huit écrits périodiques et
une foule de matériaux destinés à répandre le goût de la géographie, et
l'institut Goethe, association destinée à ranimer, par des fêtes et des con-
cours annuels, le goût des arts et des lettres. Cette capitale est sur la
grande ligne de chemin de fer qui va de Francfort à Berlin et à Vienne, en
traversant les Étals hessois et saxons.
Le grand-duc possède aux environs de Weimar une charmante maison
de plaisance, connue sous le nom de Belvédère, et dont on cite l'orangerie
et le jardin, l'un des plus riches de l'Europe en plantes exotiques. Il y a à
Tieffurth une belle école d'agriculture. A Osmannstedt reposent les cendres
du célèbre Wieland. C'est à Berka, à 2 lieues au sud de Weimar, petite
ville de 1,000 âmes qui possède une manufacture de velours, que sont éta-
blis des bains sulfureux très-fréquentés. Apolda, peuplée de 4,000 indi-
vidus, est connue par ses fabriques de draps. Neustadt-sur-l'Orla ( Neu-
stadt-an-der-Orla) renferme deux grandes manufactures de draps estimés.
Il s'y tient chaque année des foires importantes.
Iéna, avec 6,500 âmes, tient un rang honorable parmi les villes univer-
sitaires de l'Allemagne. De belles bibliothèques, dont une de 100,000
volumes, un musée d'histoire naturelle, un jardin botanique, un observa-
toire, un amphithéâtre d'anatomie, des établissements de clinique, servent
puissamment à l'instruction de la jeunesse ; tandis que des sociétés savantes
telles que celle de minéralogie, celle d'histoire naturelle, et la société latine,
contribuent, avec la Gazette universelle de littérature, à répandre le goût
de l'élude et des occupations utiles. L'université d'Iéna a été fondée en
1548. Cette ville, entourée de murailles flanquées de tours, est située dans

EUROPE. - DUCHÉ DE SAXE-MEININGEN.
219
une vallée arrosée par la Saale, que l'on y traverse sur un beau pont en
pierre: c'est dans ses environs que s'est livrée, le 14 octobre 1806, la
célèbre bataille qui porte son nom. Eisenach, station du chemin de fer de
Berlin à Francfort par Weimar, est une jolie ville de 9,500 habitants, bâtie
sur une élévation qui domine la Neisse. Elle est entourée de murs, et pos-
sède un château ducal, un hôtel des monnaies, une école de dessin, un
collége et plusieurs établissements utiles. La fondation de cette cité indus-
trieuse remonte à l'an 1070.
Plusieurs dépendances de la principauté d'Eisenach sont enclavées dans
la Bavière, dans les duchés de Saxe-Meiningen et de Saxe-Cobourg-Gotha,
mais elles sont trop peu importantes pour que nous en parlions ; il en est de
même d'un territoire situé dans la province prussienne de Saxe, et dont la
seule ville, Allstedt, qui dépend du cercle d'Iéna, renferme 2,200 habi-
tants. Ruhl ou Ruhla est intéressante par ses établissements industriels : il
y a un institut normal forestier; plusieurs manufactures de quincaillerie,
de pipes, de limes, de gants, de bas de laine, et d'autres objets. Peuplée de
2,600 habitants, elle est divisée en deux parties par le ruisseau du Ruhl,
qui lui donne son nom : l'une, de 1,200 habitants, appartient au duché de
Saxe-Weimar ; l'autre, de 1,600, à celui de Saxe-Cobourg Gotha.
Il règne dans le duché de Saxe-Weimar une grande activité commer-
ciale : à Eisenach, on fabrique annuellement plus de 100,000 pièces
d'étoffes de laine, beaucoup de rubans et de céruse ; a Iéna et Apolda, on
compte de nombreux métiers à faire des bas et des tissus. Kaltensundheim
est peuplée de tisserands : Burgel renferme plus de 40 fabricants de pote-
rie, et des distilleries de vinaigre; Weimar, des tanneries et des fabriques
de toile et de bas de poil de lapin. Stutzerbach, des verreries et des pape-
teries ; enfin, Ilmenau et ses environs possèdent des forges et des usines,
des manufactures de porcelaine et de boutons.
Le grand-duc gouverne, secondé par ses ministres, un conseil privé et
une chambre de députés. II y a un tribunal suprême d'appel à léna, auquel
ressortissent les différents tribunaux des bailliages. L'instruction est très-
répandue, surveillée et bien encouragée dans ce grand-duché. Outre
l'excellente université d'Iéna, on y compte 2 gymnases, 69 écoles bour-
geoises, 2 écoles normales et 343 écoles des campagnes.
Le duché de Saxe-Meiningen, ou de Saxe-Meiningen-Hildbourghausen,
est borné au nord par la principauté saxonne d'Eisenach, une enclave de
la Prusse et la principauté de Schwarzbourg ; la Bavière forme sa limite à

220
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
l'ouest et au sud ; à l'est ce sont le duché de Saxe-Cobourg-Gotha, les
principautés de Reuss et de Schwarzbourg, ainsi que deux enclaves prus-
siennes et une du grand-duché de Saxe-Weimar. Toute la partie que nous
venons d'indiquer forme une bande circulaire longue de 35 lieues et large
de 5, en y comprenant quatre enclaves : celle de Carnbourg, entre le grand-
duché de Saxe-Weimar et les États prussiens; celle de Kranichfeld, entre
les mêmes États et les principautés de Schwarzbourg ; le territoire de
Sonnenfeld, entre le duché de Saxe-Cobourg-Gotha et la Bavière, et enfin
dans ce royaume le pays de Königssberg. Sa superficie est de 128 lieues,
et sa population était, en 1853, de 166,334 habitants.
Une grande partie du sol de cette principauté est montagneuse, boisée,
et riche en fer, en sel, en soufre, en cobalt, en houille, en pierres de taille,
en marbre, en ardoise et en argile à foulon. Il y a bien quelques mines
d'or, d'argent et de plomb, mais elles ne sont pas assez importantes pour
être exploitées. Les deux salines les plus considérables sont celles de
Sulzungen et de Friedrichshall. Des rameaux appartenant au Franken-
wald, à l'est; au Thüringer-wald, vers le nord, et au Rhöne-gebirge, vers
l'ouest, se prolongent sur son territoire.
Le gouvernement de ce duché est monarchique et constitutionnel.
L'instruction publique n'est pas moins encouragée dans ce duché que
dans celui de Saxe-Weimar : on y compte plusieurs gymnases, des écoles
normales, 1 école forestière, des écoles bourgeoises et un grand nombre
d'écoles des campagnes.
Ses villes principales sont : Meiningen, Hildbourghausen, Saalfeld ,
Pösneck et Sonnenberg. Ces cités et plusieurs villages ont une industrie
fort active, dont les établissements consistent en usines, en verreries, en
papeteries et en fabriques de diverses étoffes.
Meiningen ou Meinungen, la capitale, environnée de monlagnes et
située sur la rive droite de la Werra, est une jolie petite ville de 6,000 âmes.
Ses établissements utiles sont un collége, un gymnase et une maison
d'orphelins; ses édifices, une église, le palais ducal, vaste et d'une élé-
gante architecture, et un beau bâtiment où se lient l'assemblée des États.
Le palais du duc renferme une bibliothèque de 24,000 volumes, un cabinet
de curiosités et le dépôt des archives. La ville est entourée de remparts et
de fossés. Son industrie se borne à fabriquer des futaines, des crêpes et
d'autres étoffes de laine.
La petite ville de Kranichfeld appartient à la fois au duché de Saxe-
Meiningen et de Saxe-Weimar.

EUROPE. — DUCHÉ DE SAXE-ALTENBOURG
221
Le village de Liebenstein possède dos eaux minérales très-fréquentées
et une fabrique de couteaux et de cadenas. On fait remarquer dans ses
environs le rocher sur lequel saint Bernard, l'apôtre de la Germanie, fit
ses premières prédications. A Dreissigacker, autre village, il y a un châ-
teau ducal dans lequel on a établi une académie forestière et un cabinet
d'histoire naturelle. La petite rivière de Steinach, dans laquelle on trouve
des perles, donne son nom à deux villages, Steinach et Obersteinach,
sont établies plusieurs usines.
Sonnenberg, petite ville située dans une vallée étroite sur le Roten, ne
consiste qu'en une seule rue d'une grande longueur : elle est remarquable
par ses fabriques de quincaillerie, son commerce et ses fabriques de
jouets d'enfants que l'on vend sous le nom d'articles de Nuremberg, et
par le mouvement perpétuel qu'elle a contribué à répandre dans tout son
territoire.
Hildbourghausen, arrosée aussi par la Werra, est une jolie ville de
5,000 habitants, ceinte de murailles, entourée de deux faubourgs, et
divisée en deux parties, la vieille et la nouvelle ville. A Roda, située dans
une vallée boisée, il y a un château ducal et une maison de charité. A
Kahla, sur la Saale, est un grand entrepôt de bois flotté. Saalfeld, ville
de 4;500 âmes, a un beau château ducal, un collége, un hôtel des mon-
naies, une direction des mines, une école latine et plusieurs manufactures.
Dans ses environs, il existe au Rotheberg une importante exploitation de
fer. Poseneck ou Pösneck, entourée de murs, n'a que 3,500 habitants ;
mais elle possède des fabriques de tissus de laine, des tanneries et une
manufacture de porcelaine.
Le duché de Saxe-Altenbourg se compose de deux portions principales,
séparées par la seigneurie de Gera, qui appartient à la principauté de Reuss-
Lobenstein-Ebersdorf. La partie orientale est bornée, au nord et à l'est,
par le royaume de Saxe ; au sud, par ce royaume et le duché de Saxe-Wei-
mar; à l'ouest, par ce duché, la seigneurie de Gera et la province prussienne
de Saxe. La partie occidentale touche, au nord et à l'ouest, à la princi-
pauté de Weimar ; au sud, au duché de Saxe-Meiningen, et à l'ouest à
celui de Saxe-Weimar. La première a 9 lieues de longueur sur 5 de
largeur ; la seconde, 10 de longueur sur 3 de largeur. La superficie des
deux, réunie à celle de plusieurs petites enclaves, est de 69 lieues carrées.
On exploite dans tout le duché, du fer, du cuivre, du cobalt, de la
houille, du gypse, du sel, du porphyre et du kaolin.

222
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
La partie orientale présente de belles plaines, tandis que l'autre offre
un grand nombre de collines qui appartiennent aux ramifications les plus
septentrionales de l'Erz-gebirge. La première est très-fertile en blé, la
seconde renferme beaucoup de bois. Dans l'une et dans l'autre, les mou-
tons fournissent une laine très-fine, qui se vend, comme dans les autres
pays saxons, sous le nom de laine électorale.
Le gouvernement de ce duché est, comme celui des deux précédents,
monarchique et constitutionnel.
Altenbourg, sa capitale, assez bien bâtie, forte de 16,811 âmes, ren-
ferme un château ducal, situé sur un rocher, qui mérite d'être visité. Cette
ville est une des principales stations du chemin de fer qui unit Berlin à
Munich par Leipsick, Bamberg et Nuremberg. Ronnebourg, à 5 lieues
d'Altenbourg, est une ville qui possède un château qui n'a rien de
curieux, une population de 5,000 âmes et un bel établissement d'eaux
minérales qui, cependant, est peu fréquenté. Eisenberg ou Eisenbourg,
petite ville peuplée comme la précédente, et dominée par un château,
renferme un observatoire et quelques établissements industriels, dont le
plus considérable est une manufacture de porcelaine.
Le duché de Saxe-Cobourg-Gotha comprend deux principautés sépa-
rées par des portions d'autres petits États. La principauté de Gotha, qui
est la plus considérable et la plus septentrionale, est bornée an nord et à
l'est par la province prussienne de Saxe, à l'ouest par la principauté d'Ei-
senach, et au sud par une enclave de la Prusse. Nous négligeons de
nommer d'autres parties d'États qui la bordent à l'est et à l'ouest. La
principauté de Cobourg, la plus méridionale, touche, au nord et à l'ouest,
le duché de Saxe-Meiningen-, au sud et à l'est, le royaume de Bavière. On
peut évaluer à 101 lieues géographiques carrées la superficie du duché ;
sa population, à la fin de 1852, était de 150,412 habitants.
La principauté de Gotha est bornée au sud par le Thüringer-wald, qui
étend jusque dans son centre ses rameaux peu élevés. Celle de Cobourg
est couverte, dans sa partie septentrionale, par les montagnes qui joignent
le Frankenwal au Rhône-gebirge ; elle offre la grande vallée de l'Itz,
nommée Itz-gründe, et plusieurs autres vallées fertiles. Les productions
minérales consistent en fer, en houille, en magnésie et en porphyre, que
l'on exploite pour en faire des meules. On récolte dans tout le duché une
assez grande quantité de blé, d'épeautre, de pommes de terre et de lin,
surtout dans la principauté de Gotha, qui produit aussi des carottes esti-

EUROPE. — DUCHÉ DE SAXE-COBOURG-GOTHA.
223
mécs et des truffes qui ne le sont pas moins. Dans les deux principautés,
le gros bétail est une des principales richesses ; on y nourrit des moutons
dont la laine est recherchée.
Le duché de Saxe Cobourg-Gotha jouit d'une constitution semblable à
celle du grand-duché de Saxe-Weimar. Il occupe, avec cette principauté
et celles de Saxe-Altenbourg et de Saxe-Meiningen, le douzième rang dans
la Confédération germanique, et s'unit à elles pour une voix dans les
assemblées particulières. Son contingent a été fixé à 2,245 hommes. Ses
revenus doivent être évalués à 3,782,583 francs, et sa dette publique à
9,969,631 francs.
Disons un mot de ses principales villes. Gotha, la plus jolie de toute la
Saxe ducale, est une de celles qui possèdent les établissements scienti-
fiques les plus remarquables. Son gymnase est célèbre; son observatoire,
situé sur le Séeberg, aux portes de la ville, est l'un de ceux qui ont rendu
le plus de services à l'astronomie par les travaux qu'y ont faits les savants
barons de Zach et de Lindenau; l'école normale est peut-être la plus
ancienne de l'Allemagne. Outre ces établissements, il y a une école
d'industrie et de commerce, une école militaire et plusieurs écoles élémen-
taires gratuites. Gotha est agréablement située sur le penchant d'une
colline au- dessus de la Leine. Elle renferme de belles fontaines et quelques
édifices d'une élégante construction. L'ancien château ducal, appelé
Friedenstein, qui la domine, possède une terrasse qui rivalise avec celle
de Windsor, en Angleterre. On y a réuni plusieurs collections précieuses.
Ce château, qui renferme aussi un arsenal, est à 400 mètres au-dessus du
niveau de l'Océan. Gotha fut bâtie vers l'an 964 par un archevêque de
Mayence; c'est une ville de 14,000 habitants; elle possède plusieurs éta-
blissements de bienfaisance. Elle fait un commerce important du produit
de ses manufactures de porcelaine et de ses fabriques d'étoffes de laine
et de coton, de papiers peints, de tabac, d'instruments de musique et
de chirurgie. Importante station de la grande ligne de chemin de fer de
Francfort à Vienne et à Berlin par Weimar et Leipsick, elle est l'entrepôt
d'un commerce actif entre ce te dernière ville et le reste de l'Allemagne.
Cobourg fabrique aussi plusieurs tissus et de la porcelaine; on y fait
divers objets de luxe en bois pétrifié; mais son commerce principal consiste
en tabac, en vins et en étoffes de laine. Elle est agréablement située sur la
rive gauche de l'Itz et dans une belle vallée. Ses plus beaux édifices sont
le magnifique château d'Ehrenbourg, l'une des résidences du prince,
l'hôtel-de-ville, l'arsenal et l'église de Saint-Maurice. Elle possède plu-

224
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
sieurs établissements littéraires et d'instruction publique ; sa population
est de 9,000 habitants. Elle est défendue par une citadelle.
Dans la principauté de Gotha, la petite ville de Friedrichsrode, siége
d'une administration des mines; celle d'Ohrdruff, où l'on voit un château
appartenant aux princes d'Hohenlohe, et celle de Zeller, sont importantes
par leur industrie. A Tonna, où l'on a découvert une source minérale, on
a établi une maison de bains. Près de ce village, on a plusieurs fois trouvé
des ossements d'éléphants au milieu du terrain d'alluvion qui constitue le
sol. On récolte dans ses environs de l'anis, de la garance et la plante
connue sous le nom de pastel (isatis tinctoria), dont la qualité l'emporte
sur celle que produit le reste de l'Allemagne.
Dans la principauté de Cobourg, Bodach possède un haras, avec un petit
château qui sert de rendez-vous de chasse; Neustadt, surnommée An-der-
Hayde, rivalise avec Sonnenberg pour la fabrication des jouets d'enfants.
Nous allons maintenant décrire le plus important des États saxons, le
royaume de Saxe, qui appartient encore aux descendants de Maurice de
Saxe, qui, ainsi que nous l'avons déjà vu, fonda la grandeur de la maison
Albertine en trahissant son oncle, et n'en trahit pas moins de nouveau, quel-
que temps après, Charles-Quint, son bienfaiteur. Parmi ses descendants
nous citerons Frédéric-AugusteIer, qui fut aussi roi de Pologne; Frédéric-
Auguste II, qui vit ses États ravagés pendant la guerre de Sept-Ans ; et le
sage Frédéric-Auguste III. L'électorat de Saxe fut érigé en royaume par
Napoléon, en 1807. Le congrès de Vienne, en 1813, lui conserva ce titre,
mais en lui enlevant plusieurs territoires, pour punir les Saxons d'avoir
combattu dans les rangs de la Grande-Armée.
Aujourd'hui ce royaume n'occupe plus qu'une superficie de 755 lieues
carrées, et ne comprend plus qu'une population de 4,987,832 habitants.
Il est borné au nord et à l'est par la Prusse, au sud par la Bohême et la
Bavière, et à l'ouest par les duchés de Saxe et la Prusse. Sa plus grande
longueur, de l'orient à l'occident, est d'environ 50 lieues, et sa plus
grande largeur, du midi au nord, de 30 lieues.
La partie méridionale du royaume est formée par les dernières pentes
des monts Métalliques, en allemand, Erz-gebirge, longue chaîne qui va
joindre à l'orient celle que l'on connaît sous le nom de Riesen-gebirge
Ces montagnes, dont le noyau est granitique, sont en grande partie cou-
vertes de gneiss; elles sont tellement riches en métaux de diverses espèces,
que la dénomination de monts métalliques leur convient parfaitement. On

EUROPE. — ROYAUME DE SAXE.
225
exploite l'argent, le cuivre, le plomb, l'arsenic, le bismuth et le manga-
nèse. L'exploitation de ces métaux occupe une population nombreuse ;
c'est dans celte contrée de l'Allemagne que l'art du mineur est devenu
depuis longtemps une science qu'ont honorée plusieurs hommes estimables
par leurs travaux et leur capacité-, c'est à Freybcrg enfin que le célèbre
Werner fonda la chaire de géologie qui a rendu son nom si cher à cette
science qu'il sortit du chaos, et qui n'était avant lui que l'art de bâtir des
systèmes auxquels leurs auteurs donnaient le litre pompeux de théories
de la terre.
L'Elbe traverse le royaume du sud-est au nord-ouest : ce fleuve en est le
seul cours d'eau navigable. Entre le Riesen-gebirge et l'Erz-gebirge, il
coule dans une vallée profonde, et ses rives sont escarpées. Il reçoit, sur le
territoire saxon, la Müglitz et la Weistritz, qui descendent de l'Erz-
gebirge. Ces montagnes donnent également naissance à l'Elster, à la
Pleisse et à la Mulde qui passe à Freyberg, ainsi qu'à la Mulde qui traverse
Zwickau.
Le royaume de Saxe jouit d'un climat sec et tempéré; la région monta-
gneuse est seule exposée à un froid assez rigoureux, à tel point qu'on y
voyage encore en traîneaux lorsque, dans les contrées basses, la neige est
fondue depuis longtemps. C'est en effet dans ces parties les plus basses,
comme aux environs de Leipsick, que la température est la plus douce. Ce
qui prouve que le climat y est sain,'c'est que la mortalité y est moins
considérable que dans les contrées voisines, et que les hommes y parvien-
nent souvent à un âge avancé.
De belles forêts bien entretenues couvrent les montagnes, qui forment
de jolies vallées cultivées avec soin et riches en beaux pâturages. Les
terres du royaume de Saxe sont partout d'une bonne qualité; l'agriculteur
y est intelligent, les produits en sont nécessairement considérables. La
race des moutons y est belle; on en élève de nombreux troupeaux dont la
laine, fort estimée, forme une branche de commerce important ). Plusieurs
sociétés d'agriculture encouragent l'éducation des abeilles, l'amélioration
des bêtes à cornes et des chevaux. D'autres sociétés ont pour but de favo-
riser, dans plusieurs cantons, la propagation de !a vigne ; celle-ci produit
des vins de bonne qualtié, mais dont la quantité ne suffit point à la con-
sommation. Les récoltes des céréales sont également insuffisantes, mais
beaucoup d'habitants y suppléent par la pomme de terre, qui y réussit par-
faitement. Enfin, les légumes et les fruits y sont abondants. Dans quelques
cantons, on cultive avec succès le lin, le chanvre, le houblon et le tabac.
VII.
29

226
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
Les richesses minérales que possède la contrée surpassent encore celles
que produit un sol cependant fertile. On les estime à un revenu brut de
8,300,000 francs. En outre des métaux que nous avons énumérés, on
exploite encore de la houille, du soufre, du kaolin, de la basalte, de
l'alun, du sulfate de fer, du quartz blanc, des mines de sel gemme, et l'on
trouve des agates, du jaspe et des grenats.
Proportionnellement à sa population, le royaume de Saxe est un des
plus actifs de l'Europe-, c'est un des principaux centres de l'industrie et
du commerce allemands. On y fabrique des toiles, des étoffes de soie, de
laine ou de coton, des blondes, des dentelles, des rubans, des mousselines,
des chapeaux de paille, du papier, des instruments de musique, des armes,
enfin des porcelaines et des faïences également estimées. Ces établisse-
ments industriels occupent un grand nombre de bras.
Le point de perfection auquel sont parvenus quelques-uns de ces éta-
blissements n'est pas seulement dû à l'intelligence et à l'industrie natu-
relle du peuple saxon ; le gouvernement emploie tous les moyens propres
à leur donner plus d'essor.
Le gouvernement de la Saxe est une monarchie héréditaire et constitu-
tionnelle. Le roi est secondé dans l'administration du royaume par un
ministère général, sorte de conseil d'État ; par six ministres et deux cham-
bres se réunissant pour former les États; la première, composée des
princes du sang, de la noblesse et des plus riches propriétaires fonciers;
la seconde, élective par le peuple: l'une ni l'autre n'a le droit d'initiative
dans la présentation des lois; celles-ci sont proposées par les ministres,
et les chambres ne peuvent les repousser ni refuser les impôts que condi-
tionnellement. L'administration est confiée à un conseil de cabinet, un
conseil des finances, un conseil militaire; la justice à une haute cour
d'appel, et les cultes à un consistoire supérieur ecclésiastique. Chacun
des quatre cercles qui forment la division territoriale a une cour de justice
et une administration particulière. Les paysans jouissent complètement
de la liberté individuelle.
Les revenus de la Saxe s'élevaient, pour 1852, à 8,128728 écus, ou
environ 31 millions de francs; les dépenses balançaient les recettes, et
la dette de l'État était de 43,132,148 écus, ou environ 160 millions de
francs.
L'armée se compose de 28,000 hommes. Son contingent dans la Con-
fédération germanique est de 27,828 hommes. L'armée se recrute sur une
réserve que l'on pourrait appeler landslurm, et qui comprend, sauf un

EUROPE. — ROYAUME DE SAXE.
227
grand nombre d'exceptions, les hommes de 18 à 31 ans. Les villes possè-
dent des gardes nationales. Enfin, la sûreté des routes est protégée par
un corps de gendarmerie à cheval.
L'allemand que l'on parle en Saxe passe pour le plus pur et le plus
correct. Cependant on reproche, dit-on, aux habitants des villes une pro-
nonciation traînante et affectée. La population du royaume de Saxe était,
en 1852, de 1,987,832 habitants. La grande majorité du peuple saxon
professe le culte de la confession d'Augsbourg : on ne compte que 33,725
catholiques et 2,582 réformés ; le nombre des juifs ne dépasse pas 1,022.
Cette riche contrée renferme 3,197 villages, 57 bourgs et 145 villes, dont
nous ne décrirons que les plus importantes.
Lorsqu'on arrive dans la capitale de la Saxe par la rive droite de l'Elbe,
la richesse de ses environs, la variété des sites que l'on y remarque, la
beauté de la route que l'on suit, la largeur et la propreté des rues des fau-
bourgs qui précèdent la ville, la longueur du magnifique pont de seize ar-
ches qui traverse le fleuve, donnent une haute idée de Dresde. Belle et
grande ville de 104,500 habitants, elle est bâtie sur les bords de l'Elbe,
au confluent du Wesseritz, dans une situation délicieuse, sur le chemin
de fer de Vienne à Berlin par Prague, et sur celui de Francfort à Berlin et
à Vienne par Gotha, Weimar, Halle et Leipsick ; un embranchement relie
encore cette ville à la grande ligne de Silésie et aux chemins de Cracovie et
de Varsovie; ces chemins lui assurent une communication prompte et fa-
cile avec toutes les grandes villes de l'Europe. Les rues de la vieille ville
sont un peu étroites, mais celles de la nouvelle ville, située sur l'autre
rive du fleuve, sont toutes larges et bien bâties. Les monuments les plus
remarquables de cette ville sont : la nouvelle église catholique, l'église de
Notre-Dame, imitation de Saint-Pierre de Rome; celles de Sainte-Croix
et de la Cour; le palais royal, le palais des princes, l'hôtel-de-ville et
l'opéra. Dresde se distingue aussi par le nombre de ses établissements
sientifiques et littéraires, parmi lesquels nous citerons les deux gymnases,
l'école de médecine, celles du génie et de l'artillerie, trois belles biblio-
thèques et un des plus précieux musées qui existent en Allemagne. Ville in
dustrieuse et commerçante, Dresde est de plus un des entrepôts de l'Al-
lemagne centrale.
Les environs de la capitale présentent plusieurs lieux remarquables.
Tout près de ses murs, se trouvent les beaux bains de Link, sur les bords
de l'Elbe; plus loin, Pillnitz, ou Pollnitz, village qui renferme un châ-
teau royal célèbre par le congrès dans lequel, en 1791, les souverains

228
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
étrangers signèrent une convention pour soutenir les Bourbons sur le
trône de France ; en 1818, il devint la proie des flammes, mais il a été
rebâti depuis avec un grand luxe. C'est la résidence habituelle du roi, pen-
dant l'été. Pirna, station des chemins de fer de Dresde à Vienne par
Prague, aux pieds de rochers escarpés que couronne la forteresse de Son-
nenstein, est fortifiée, et possède un ancien château, converti aujourd'hui
en hospice d'aliénés ; cette petite ville n'a que 4,200 habitants. Meissein,
au confluent de l'Elbe et de la Meissa, est une autre petite cité entourée de
murs et dominée par les ruines d'un château fort bâti par l'empereur
Henri Ier. C'est la patrie du poëte Schlegel et de l'historien du môme
nom.
Altenberg, à six lieues de Dresde, dans l'Erz-gebirge, est connu par son
exploitation d'étain, le meilleur après celui d'Angleterre, par sa culture
en grand du lin, par ses dentelles et par sa fabrication d'horloges en bois,
dont l'origine remonte à une époque très-reculée.
La ville la plus importante de la Saxe royale, après Dresde, est Leipsick,
ou Leipzig. Fondée vers la fin du quinzième siècle, ella porta d'abord le nom
slave de Lipzk, qui signifie tilleul, parce qu'elle était environnée d'une
plantation d'arbres de cette espèce. Avantageusement placée au confluent
de l'Etster-Blanc, de la Partha, et de la Pleisse, dans une plaine fertile,
le commerce y a tellement répandu l'aisance, multiplié les moyens de
délassement et les occasions de plaisirs, que beaucoup de personnes riches
préfèrent son séjour à celui de la capitale.
La ville présente un mélange curieux de vieilles maisons du seizième
siècle et de maisons modernes. Parmi ses nombreux édifices publics,
nous citerons seulement l'hôtel-de-ville, les églises de l'Université, de
Saint-Thomas, de Saint-Nicolas-, le théâtre, l'hôpital, et le vaste bâtiment
nommé le Gewandhaus, qui renferme une bibliothèque et une salle de bals
et de concerts. L'université qui date de 1409 tient un des premiers rangs
parmi les établissements littéraires de l'Allemagne. Elle est fréquentée par
1,500 étudiants, et possède un bibliothèque de 50,000 volumes, et toutes
les collections nécessaires à un établissement de ce genre. Les écoles, les
sociétés des arts et des sciences sont nombreuses. Enfin cette belle ville
qui joint à une industrie variée une grande richesse commerciale, fait avec
Londres et Paris le plus important commerce de librairie du monde entier.
Principale station du chemin de fer de Francfort à Berlin et à Vienne,
Leipsick voit accourir dans ses murs des commerçants de toutes les par-
ties de l'Europe, à l'époque de ses trois grandes foires annuelles du

EUROPE. — ROYAUME DE SAXE.
229
nouvel an , de la Saint-Michel et de Pâques. On y fait pour 80 millions
d'affaire?. Leipsick compte près de 66,G82 âmes. Cette ville a été, à l'époque
de ia guerre de Trente-Ans, et en 1813 , témoin de grands événements
historiques.
La petite ville de Chemnitz ou Alt-Chemnitz, qui porte le même nom que
la rivière sur laquelle elle est située, peut être comptée au nombre des plus
agréables et des mieux bâties de la Saxe; sa population est évaluée à
20,000 habitants ; elle est reliée au chemin de fer de Leipsick à Dresde ,
par un embranchement qui s'y soude à Riesa. Cette cité qu'enrichissent
ses fabriques de toiles, de mousselines, de calicots et de machines, pré-
tend avoir donné naissance au célèbre Puffendorf ; mais il paraît que cet
honneur appartient à la petite ville de Dippoldiswalde, située sur la
Weistritz.
La petite ville de Hohnstein, à 3 lieues de Chemnitz, sur la pente d'une
haute montagne, possède une belle église, un hospice de pauvres et d'or-
phelins, et plusieurs manufactures de tissus de coton. Elle est le point
central de la culture du lin propre au tissage du linge damassé. On exploite
dans ses environs des mines d'or, d'argent, de cuivre et d'arsenic. Plauen
station du chemin de fer de Dresde à Munich, qui ne renferme que 10,000
âmes, s'enrichit, comme Chemnitz, du produit de ses toiles, de ses mous-
selines et de ses calicots. Cette ville est située dans une belle vallée, sur la
rive gauche de l'Etster-Blanc. Elle est entourée de murs et dominée par le
château royal de Ratschauer. C'est le siége d'une grande maîtrise des eaux
et forêts, et d'une cour de justice. On y trouve plusieurs manufactures
importantes. Elle a vu naître le théologien Wolfgang et Bottcher qui inventa
la porcelaine de Saxe. La petite ville d'Adorf, à 3 lieues au sud-est de Plauen
jouit de quelque célébrité en Saxe par ses fabriques de draps et de toutes
sortes d'instruments de musique.
Freyberg, sur la Mulde, est le centre de l'industrie métallurgique
saxonne. On exploite dans les environs de cette ville de 12,000 âmes la
plus importante mine d'argent de l'Europe. Elle possède une célèbre aca-
démie des mines et de riches collections minéralogiques. L'illustre Werner
y professa longtemps la géologie. Celte ville possède plusieurs fabriques de
draps, de tissus de coton, de blanc de céruse et de quincaillerie ·, il existe
un martinet pour le cuivre, une fonderie de canons et deux moulins à poudre.
On a établi dans les environs, a Halsbrück, des bains de scories qui sont
très-fréquentés, et dont l'effet salutaire a été reconnu dans diverses mala-
dies. Tarand ou Granalen, qui renferme à peine 1,000 habitants, doit son

230
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
nom à la grande quantité de grenats que l'on trouve dans ses environs. Sa
situation près d'une forêt de 10,000 arpents y a fait établir une école fores-
tière. Annaberg, à 10 lieues au sud-ouest de Freyberg, est le point cen-
tral de la Saxe pour la fabrication et le commerce des dentelles.
Glaucha, ou Glauchau, possède plusieurs fabriques de différents tissus
de laine et de coton, des tanneries et des usines pour le fer et le cuivre, et
de plus elle est le principal entrepôt des produits du cercle de l'Erz-ge-
birge. Elle est la patrie du célèbre minéralogiste Agricola. A Swickau ou
Zwickau, ville de 7 à 8,000 âmes, il existe une école scientifique, une
bibliothèque, une église où l'on remarque un superbe tableau de Luc
Cranach, une fabrique de produits chimiques, et, près de ses portes, au
château d'Osterstein, une importante maison de travail et de correction.
Cette ville est unie à la ligne de chemin de fer de Dresde à Munich, par
Leipsick, à l'aide d'un petit tronçon de chemin de fer qui s'y soude à
Werdau. Schneeberg est le siége d'une intendance des mines.
Un pays de montagnes, un peuple de mineurs dont les mœurs diffèrent
de celles des habitants du reste de la Saxe, donnent aux villages que
l'on trouve aux environs de Chemnitz et de Schneeberg un aspect tout
particulier-, mais si l'on veut traverser un pays tout à fait digne d'inté-
resser le dessinateur ou le naturaliste, il faut aller de Freyberg à Königs-
stein et à Schandau, petites villes dont la population est peu importante,
mais dont la situation est des plus pittoresques. La première, station du
chemin de fer de Dresde à Vienne, par Prague, est une forteresse impre-
nable-, elle est bâtie sur un rocher élevé de 400 mètres au-dessus du
cours de l'Elbe-, un puits de 300 mètres de profondeur fournit en tout
temps une eau fraîche et limpide. Cette forteresse renferme des champs,
des jardins et des prairies. C'est au pied de la montagne qu'elle couronne
que la ville est bâtie. La seconde, située aussi sur le bord de l'Elbe, à une
lieue de la précédente, est entourée de montagnes et de rochers qui s'élè-
vent en amphithéâtre-, son port est animé par une navigation active, et,
près de la ville, un bain d'eau minérale chaude y attire tous les ans un
grand nombre de malades. Le pays auquel appartiennent ces deux villes
est rempli de tant de sites romantiques, qu'il a été surnommé la Suisse
saxonne.
Vers l'extrémité orientale du royaume, Zittau occupe un joli vallon sur
les bords du Mandau et de la Neisse. Sa population est de 8,500 individus ;
son commerce consiste en toiles blanches ou imprimées, et en draps. Elle
possède plusieurs établissements d'instruction et de charité. Elle est unie

EUROPE. — PAYS DE SCHWARZBOURG.
231
au chemin de fer de Dresde à Breslau et à Cracovie par un petit embran-
chement qui s'y soude à Lbbau. Cet embranchement passe par le village
rte Herrnhut, qui doit son nom à une colonie de frères moraves. Gross-
Schöenau, village de 4,000 habitants, à 4 lieues à l'ouest de Zittau, s'en-
richit par le produit de fabriques des toiles damassées.
Nous terminerons cette excursion par la ville de Bautzen ou Budissin,
située sur un rocher qui domine la rivière de la Sprée : un commerce con-
sidérable et de nombreuses manufactures en ont fait une cité importante.
C'est une des principales stations du chemin de fer de Dresde à Breslau
et à Berlin. Elle est peuplée de 15,000 habitants. On y remarque de
belles promenades, un théâtre, un gymnase et plusieurs autres établisse-
ments publics. Cette ville est du petit nombre de celles qui offrent un de
ces exemples de tolérance religieuse que nous voudrions voir imiter par-
tout : l'église de Saint-Pierre est partagée par une grille en deux par-
ties, dont l'une est réservée au culte catholique, et l'autre à la commu-
nion luthérienne. Sur la rive gauche de la Sprée, s'élève, à peu de
distance de la ville, la montagne du Protschen, sur laquelle on aperçoit
encore les ruines d'un ancien autel où les dieux des Wendes rendaient
leurs oracles. La construction du château qui, avec les fortifications,
défendait la ville, remonte, dit-on, au neuvième siècle; cependant l'his-
toire ne fait mention de Bautzen que vers l'an 1078 ; mais cette ville sera
longtemps célèbre dans les fastes de l'Allemagne par la lutte sanglante
que l'armée française épuisée soutint avec avantage contre les puissances
coalisées.
Le Pays de Schwarzbourg est, sous le point de vue administratif, un
petit dédale. Il se compose de trois territoires séparés : le premier, au
nord des deux autres, est enclavé dans la province prussienne de Saxe; il
a 11 lieues dans sa plus grande longueur de l'ouest à l'est, et 5 dans sa
plus grande largeur du nord au sud; le second, à 10 lieues au sud du
précédent, est situé entre la province prussienne de Saxe et les duchés de
Saxe-Weimar, de Saxe-Altenbourg et de Saxe-Cobourg-Gotha; il a
9 lieues de longueur et environ 6 de largeur; le troisième, à une lieue et
demie à l'est du précédent, est entouré par la principauté de Beuss-
Schleitz, par une petite enclave de la Prusse, et par les duchés de Saxe-
Meningen et de Saxe-Cobourg-Gotha ; il a trois lieues de largeur sur
trois et demie de longueur.
Ces trois territoires forment une superficie de 87 lieues carrées. Il sem-

232
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
blerait naturel qu'appartenant à deux branches d'une même famille, celui
du nord fût l'apanage de l'une, et les deux du sud celui de l'autre : il n'en
est point ainsi. La branche de Schwarzbourg-Rudolsladt régne sur une
grande partie du territoire septentrional, sur l'extrémité orientale de l'un
des territoires du sud, et sur la partie occidentale de l'autre ; de telle
sorte que le prince de Schwarzbourg-Sondershausen gouverne la plus
grande partie du nord et la plus petite du sud.
La chaîne du Thüringer-wald se prolonge dans la partie méridionale de
la plus grande des deux portions méridionales. On y remarque des som-
mités couvertes de forêts qui s'élèvent à 3 ou 400 mètres de hauteur.
Au bas des pentes de ces montagnes, se trouvent quelques plaines et
plusieurs vallées fertiles, parmi lesquelles on doit citer celle de Helm. Ony
trouve aussi des mines de fer, de cuivre, de plomb argentifère et de cobalt.
La richesse industrielle du pays consiste principalement dans l'emploi de
ces métaux, dans les exploitations de sel, dans des fabriques de porce-
laine, de poteries de grès, de tissus de différentes espèces, des verreries et
des distilleries; enfin en 13 forges et usines où l'on fabrique du fer-blanc.
Le blé et le lin y abondent; les bestiaux y sont très-nombreux.
La Principauté de Schwarzbourg-Rudolstadt comprend une superficie
de 43 lieues carrées, la population était, en 1852, de 69,038 habitants.
Le gouvernement représentatif y est établi depuis 1816. Rudolslatd,
Frankenhausen et Stadt-Ilm sont les principales villes du pays.
Rudolslatdt renferme 5,000 habitants ; c'est la résidence du prince;
son château, et les collections qu'il renferme sont dignes de l'intérêt des
curieux. Cette jolie ville, arrosée par la Saale et située dans le plus grand
des deux territoires méridionaux, possède plusieurs établissements
d'instruction et des fabriques de porcelaine et d'étoffes de laine. Franken-
hausen, sur le Wipper, est peuplée de 4,000 âmes; c'est le siége d'une
surintendance, d'un consistoire, d'une chambre fiscale et d'une adminis-
tration des forêts. On y voit des fabriques d'instruments de musique et des
teintureries. Dans ses environs, se trouvent des établissements d'eaux
minérales, une mine de sel qui produit 20,000 hectolitres, et le château
de Ralhsfeld, où naquit, en 1726, le poëte Zacharie. Stadt-Ilm, ou sim-
plement Ilm, porte le nom de la rivière qui l'arrose et qui prend sa source
dans le Thuringer-wald ; elle est bien bâtie et renferme un château. L'in-
dustrie de ses 2,600 habitants consiste principalement dans la fabrication
de diverses étoffes de laine; on y compte de 2 à 300 métiers. Leulenberg

EUROPE. — PRINCIPAUTÉ DE SCHWARZBOURG-SONDERSHAUSEN.
233
n'est remarquable que par la château de Fridenbourg, qui domine cette,
petite ville. Schwarzbourg n'est qu'un village, mais on y voit encore, sur
un roc escarpé, le château d'où sont sortis les princes de Schwarzbourg,
et au pied de ce rocher, une maison de correction où l'on travaille le
marbre et l'albâtre; une riche carrière d'ardoise est exploitée dans ses envi-
rons. Le prince de Schwarzbourg-Rudolstatd possède en commun avec le
comte de Stollberg, sous la souveraineté du roi de Prusse, Heringel et
Kelbra, dans la régence prussienne de Mersebourg; mais ces deux villes,
peuplées d'environ 1,700 âmes chacune, n'ont rien d'intéressant.
Une su perficie de 42 lieues carrées, un revenu d'environ 1,100,000 francs,
une dette de 800,000 francs, une population de 60,847 âmes, en 1852,
sont des renseignements qui peuvent donner une idée de la principauté
de Schwarzbourg-Sondershausen. On voit qu'elle est moins importante
que la précédente.
Dans cette principauté, le prince, chef de la branche aînée de la famille
de Schwarzbourg, jouit d'un pouvoir contrôlé par les États provinciaux.
Parmi les villes qu'elle renferme, Sondershausen a le rang de capi -
tale. Elle est située au confluent du Wipper et de la Bebra. Environnée de
murs percés de trois portes, elle possède un gymnase, une maison de tra-
vail et une d'orphelins. Sa population est estimée à 6,000 âmes. Près de
la ville, se trouve, sur une hauteur, le château du prince, A un quart de
lieue de là, les bains de Gunther, avec une source d'eau sulfureuse, atti-
rent un grand nombre de baigneurs et de promeneurs qui vont jouir du
beau parc qui dépend de cet établissement. Sur le mont Frauenberg,
on voit encore les restes du château de Jechabourg, que les Huns détrui-
sirent en 933. A Greussen, ville de 2,500 âmes, on compte plusieurs
manufactures de toiles et de flanelles; on cultive beaucoup de lin dans ses
environs. Arnstadt est la seconde ville de la principauté. Elle renferme
5,000 habitants; la Géra la divise en deux parties; c'est le siége des
colléges du pays; elle a des fabriques de toile et de laiton; il s'y fait un
commerce assez important. Elle renferme un château : mais le plus remar-
quable de ses édifices est l'église de Notre-Dame, que l'on prétend avoir
été bâtie par les templiers. C'est dans ses environs que se trouve la prin-
cipale mine de cuivre du pays.
La maison de Reuss se compose de plusieurs princes unis par les liens
de l'amitié comme par les liens du sang. La branche aînée possède la
principauté la plus riche; la branche cadette se subdivise en deux rameaux
VII.
30

234
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
dont les possessions sont très-inégales en population et en superficie. Les
généalogistes font remonter l'origine de cette maison jusque vers l'an 950,
et la font descendre d'Eckbert, comte d'Osterode, dans le Harz.
On prétend que ce nom de Reuss, ou de Ruzzo, c'est-à dire le Russe,
que porte la principauté, est un surnom que prit Henri le Jeune, prince
de Plauen, à la suite d'une singulière circonstance de sa vie aventureuse :
il faisait la guerre en Terre-Sainte avec l'empereur Frédéric Il, vers l'an
1238, lorsqu'il fut pris par les Musulmans et vendu à un marchand russe
qui l'emmena dans son pays, où il le garda douze ans comme esclave;
mais les Tartares étant venus ravager la partie de la Russie où il se trou-
vait, le conduisirent en Pologne et en Silésie, d'où il s'échappa, et vint se
réfugier à la cour de l'empereur. Il conserva le surnom qui rappelait le
peuple chez lequel il était resté prisonnier, et le transmit à ses deux fils,
souches de deux branches de cette maison, dont tous les princes portent
le nom de Henri, suivi d'un numéro de 1 à 100, et dont les différentes
séries, commencées en 1668, se renouvellent sans cesse.
Les trois principautés de Reuss comprennent deux territoires séparés
par une distance de 2 lieues. Le septentrional, ou le plus petit, est situé
entre la province prussienne de Saxe, au nord, le duché de Saxe-Alten-
bourg, à l'est et à l'ouest, et le grand-duché de Saxe-Weimar, au sud; il
a 6 lieues de longueur de l'est à l'ouest, et 4 de largeur du nord au sud.
Le territoire méridional est borné à l'est par le royaume de Saxe, au sud
par la Bavière, à l'ouest par le duché de Saxe-Meiningen, la principauté
de Schwarzbourg-Rudolstadt et l'enclave prussienne de Ziegenrück, et au
nord par le grand-duché de Saxe-Weimar ; il a 16 lieues de longueur dans
la direction du nord-est au sud-ouest, et 7 dans sa plus grande largeur du
nord au sud.
Les deux territoires sont parsemés de collines couvertes de forêts,
dont les plus considérables sont celles de Greitz et de Pollwitz. L'Elster
les traverse du sud au nord, mais la Saale n'arrose que la partie méri-
dionale.
La principauté de Reuss-Greitz, limitrophe du royaume de Saxe,
appartient à la branche aînée de celle famille. Elle se compose de la partie
orientale et de la partie occidentale du territoire méridional, c'est-à-dire de
la seigneurie de Greitz et de celle de Burg. Sa superficie est de 19 lieues
carrées. Son territoire , qui renferme des montagnes et des vallées , est
fertile, et son industrie est fort active : elle consiste en manufactures
d'étoffes de laine, en forges, en usines et en fabriques d'acier.

EUROPE.— PRINCIPAUTÉ DE REUSS-SCHLEITZ.
235
Greitz, la capitale, située près de l'Elster, dans une vallée agréable et
fertile, renferme deux châteaux, dont l'un a été rebâti en 1802, et dont
l'autre est sur une colline au milieu de la ville. Elle a des manufactures
importantes et 7,000 habitants. Zeulenroda, petite ville commerçante de
4,300 âmes, a un arsenal et un hôpital. Ce sont les deux seules villes de
la principauté.
La branche cadette de Reuss se divise aujourd'hui en deux rameaux :
celui de Reuss-Schleitz et celui de Reuss-Lobenstein-Ebersdorf.
La principauté de Reuss-Schleitz a 27 lieues carrées de superficie, en
y comprenant la moitié du territoire de Géra. Sa capitale est Schleitz, sur
le Wiesenthal. Dire que cette ville renferme 4,700 individus, un collége,
une maison de pauvres, une d'orphelins, un séminaire pour les maîtres
d'école, une école du soir pour les ouvriers, et des fabriques de draps, de
toiles et de mousselines ; c'est en donner une idée suffisante. Tanna,
se tiennent des foires considérables, n'a que 1,300 habitants.
Deux petites seigneuries en Silésie, celle de Quarnbeck, dans le Schles-
wig, et quelques villages dans la province de Brandebourg et dans le
royaume de Saxe, forment encore une population de 8,000 âmes soumise
au prince de Reuss-Schleitz.
Un territoire de 38 lieues carrées, y compris la moitié de celui de Géra,
constitue la principauté de Reuss-Lobenstein-Ebersdorf. Son territoire
produit une assez grande quantité de fer pour alimenter plusieurs forges
importantes, ainsi que de l'alum et du vitriol, dont la vente forme une
partie de son commerce.
Le prince fait sa résidence à Lobenstein, petite ville que l'on peut
regarder, pour cette raison, comme la capitale de la principauté, et dont
les 3,000 habitants possèdent des tanneries et des filatures de laine et de
coton. Ebersdorf n'est qu'un bourg, mais riche de ses fabriques de brode-
ries, de cotonnades, de savon et de tabac. Géra qui, ainsi que son terri-
toire, appartient en commun aux deux princes de la branche cadette de
Reuss, est une petite ville que l'on peut regarder comme importante, si
on la compare aux trois capitales que nous venons de décrire. Elle est
peuplée de 8,000 âmes ; elle est riche et industrieuse, et quoiqu'elle ait
été presque entièrement détruite en 1780 par un incendie, son commerce
a pris une telle extension, qu'on l'a surnommée en Allemagne le Petit
Leipsick. Elle renferme une maison de détention, un gymnase, et quelques
écoles, dont une est destinée aux enfants des pauvres. Mais ce qui con-
tribue à l'enrichir, ce sont ses fabriques do cotonnades, d'étoffes do laine,

236
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
de chapeaux, de porcelaine, et ses tanneries. Plusieurs de ces établisse-
ments tirent un grand parti des eaux de l'Elster qui l'arrose.
Nous ne parlerons point de la branche séparée de Reuss-Kostritz, dont
le petit territoire forme la principauté médiate de ce nom, et qui reconnaît
la suzeraineté des deux branches principales des princes de Reuss. Elle
réside dans le bourg de Hohenleuben.
TABLEAUX Statistiques des duchés et du royaume de Saxe, des deux
principautés de Schwarzbourg et des trois principautés de Reuss.
GRAND-DUCHÉ DE SAXE-WEIMAR-EISENACH.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1853.
par lieue carr.
en 1853.
66 milles allem. carrés,
262,524
1,419
Revenus.
Armée.
ou
5,715.850 francs
2,380 hommes,
185 lieues géog. carrées.
Dépenses.
Contingent fédéral.
5,707,421 francs.
3,937 hommes.
Dette.
18,000,000 francs.
Contrib. fédéral.
23,521 francs.
(32 villes. —13 bourgs. — 604 villages.)
Principautés.
Cercles.
Superficie Population
Villes principales.
en 1. c.
WEIMAR, 12,000. — Bütlstedt, 2,200 — Apolda
Weimar- Iéna.
92
132,424
3,600. — Dornbourg, 1,500 — Burgel, 1,400
WEIMAR.
..
Neustadt
32
47,779
Iéna,7,000.
Lobeda, 1,000. — Magdala, 800
(
Berka, 1,200.— Neustadt-an der-Orla, 4,000.
Eisenach, 11.000. — Creutzbourg, 2,000. —
EISENACH. .
Eisenach
62
82,321 \\
Geisa, 1,800. — Berka, 1,200. — Ostheim-ver-
der-Rhön, 2,800. — Vach, 1,800.
DUCHÉ DE SAXE-MEININGEN-HILDBOURGHAUSEN.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1853.
par lieue carr.
en 1853.
45,75 milles allem. carr.
166,334
l,299
Revenus,
Armée.
ou
3,055,837 francs.
900 hommes.
128 lieues géog. carrées.
Dette,
Contingent fédéral.
7,99S,488 f'ranes.
2,495 hommes.
Contrib. fédérale.
13,455 francs.
(12 bail iages. —17 ville s. — 15 b ourg s. — 381 villages ou ha meaux.)
Principauté.
Villes princip ales.
Principauté.
Villes principales.
MEININGEN, 6,0C O.-The-
ildbourghausen,5,000.
mar, 1,500. -— Röm-
— Eisteld , 3,000. —
hild, l,800
Krani-
Heldbourg, 1,000. —
MEININGEN.
HIL DBOURGHAUSEN.
chleld, 900. - Schal-
Saaelleld , 4,500. —
kau, 1 000- sonnen-
Poseneck, 3,500.
berg, 3,500.

EUROPE. — TABLEAUX STATISTIQUES.
237
DUCHÉ DE SAXE-ALTENBOURG.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1851.
par lieue carr.
en 1-53.
24 milles carrés a lem.
132,849
1,925
Revenus,
Armée.
ou
2,000,000 francs.
800 hommes.
69 lieues géog. carr 'ées.
Dette.
Contingent fédéral.
5.000.000 francs.
1,992 hommes.
Conlrib. fédér.
11,491
(5 baill iages . — 8 villes — 2 bourgs. — 458 villages et hame aux.)
Cercles.
Supe rficie
Population.
Chefs-lieux de Baillia ges.
ALTENBOURG. . . ·
3 3
85,704
ALTENBOURG 16,811.Ronnebourg 4,500.-Kahla, 2,500.
SAAL-EISENBOURG
3 5
47,145
Eisenbourg, 5,000. Roda, 3,000.
DUCHÉ DE SAXE-COBOURG-GOTHA.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1852.
par lieue carr.
en 1853.
36,35 mill es carrés all.
150,412
1,504
Revenus,
Armée.
ou
3,782,583 francs.
900 hommes.
100 lieu es carrée
Dette,
Contingent fédéral.
9,000,000 francs.
2,245 hommes.
Contrib. fédéral.
13,025 francs.
(2 Bailliages. —9 villes. —10 b ourgs. — 521 villages. )
Bailliages. Superficie Pop ulation.
Villes principales.
en 1. c.
GOTHA , 14,000. — Friedrichsrode, 1,800. - Ohrdruff, 4,400. —
GOTHA. .
72
10
Zelle
COBOURG.
28
4 4,456
I Cobou rg, 10,000.-R odach, 1,600.—Neustad t-an-der-Hayde, 1,600.
ROYAUME DE SAXE.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1852.
par lieue carr.
en 1852.
Revenus
271,83 m. c. a. Horn.
970,142
Armée.
ou
Fern. 1,017,690
2,632
Dépenses 30, 973, 662 fr. Officiers généraux.
15
755 lieues g. c.
Dette.
4 brig. de 4 batail.
Tot. 1,987,832
160,000,000 francs.
à 4 compagnies . 15,748
Contribution fédéral.
1 brigade de chass.
140,060 francs.
à 4 bat. à 4 comp.
4,005
1 div. de cavalerie
à 4 régiments.. .
3,208
Arlill. pionn. pont.
2,420
25,396
Contingent fédéral.
29,817 hommes.

238
LIVRE CENT SOIXANTIÈME.
( 145 villes. —57 bourgs. — 3,197 villages ou hameaux.)
Cercles.
Superficie. Population
Villes et chefs-lieux de bailliages.
DRESDE, 104,500 — Grossenhayn, 5,000. — Hnhnstein, 3,200
DRESDE. .
218
507,705
— Meissen, 5.000. — Moritzbourg, C00. — Oschnetz, 4,500.
Pirna. 5.500. — Radeberg, 2,200 — Stolpen, I 500.
{ LEIPSICK, 66 682. — Borna, 3,000. — Colditz, 2.000. — Gri-
mena, 5,000. — Leissnig. 3,000. — Mugeln 1.500 —Mutzs-
LEIPSICK.
176
446,826
I
chen, 1,000. — Peg au, 3,000. — Rochlitz, 3,500. — Wurtzen,
1,500.
ZWICKAU, 10,000. — Freyberg, 12.000. — Altenberg, 4.000 —
Augustusbourg, 800. — Chemnitz, 20 000 — Dippoldis-
walde.
2,000 — Frauenstein, 1,000. — Tharand. 1,000. —
ZWICKAU.
234
735,557
Grunhayn, 1, 000. — Zobelitz, 1,000. — Nossen, 12,000. —
Frankenberg. 4,500 — Schwarzenberg. 1.800. — Stolberg,
2.500. — Wiesenbourg. 2.400. — Wolkenstein, 2,400. —,
Schneeberg, 8,000 - Annaberg. 6.000.
( BAUTZEN OU BUDISSIN. 15 000. — Zittau, 9,000—Zönigsbrück
BAUTZEN. .
127
297,744
1,500, - Plauen, 9,000.
PRINCIPAUTÉ DE SCHWARZBOURG-RUDOLSTADT.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
VILLES PRINCIPALES.
en 1843.
par lieue carr.
en 1854.
43 lieues g. c.
69,038
1,605
Revenus.
10 bailliages. — 4 villes. — 2
1,527,879 francs.
bourgs — 175 villages.
Contrib fédér. RUDOLSTADT. 5,000. — Schwarz-
770
6,294 francs.
bourg, 400. - frankenHausen,
Conting. fédér.
4,000 — Paulinzella, 500. —
1,035
Köniz. 600. — Leulenberg,
1,000. — Séebergen, 600. —
Schlotheinn, 600. Stadt-
Ilm, 2,6C0.
PRINCIPAUTÉ DE SCHWARZBOURG-SONDERSHAUSEN.
POPULATION
POPULATION
FINANCES.
SUPERFICIE.
VILLES PRINCIPALES.
en 1852.
par lieue carr.
en 1854.
42 lieues g c.
60,847
1,448
Revenus,
7 bailliages, — 2 villes. 6
1,062,120 li anes.
bourgs. —168 villages.
Armée.
Contrib. fédér. SOND RSHAUSEN, 6 000. —Keula,
500
5,263 fr.
1,800. — Arnstadt, 5 000. —
Conting fédér.
Gekren, 1,500. - Klingen, 800.
912
Greussen, 2,500.
PRINCIPAUTÉ DE REUSS-GREITZ (branche aîné ).
POPULATION
POPULATION
SUPERFICIE.
FINANCES.
VILLES PRINCIPALES.
en 1847.
par lieue carr.
18 lieues g. c
35,159
1,953
Revenus
2 villes — 1 bourg —95 villages.
600,000 lianes.
Conling. fédér.
Contrib fedér. GRFITZ, 7,500. — Zeulenroda,
526
2,597 lianes.
5,000.

EUROPE. —PRINCIPAUTÉ DE LIECHTENSTEIN.
239
PRINCIPAUTÉS DE REUS-SCHLEITZ ET LOBENSTEIN-EBERSDORF (branche cadette).
TERRITOIRES
POPULATION
POPULATION
ET LEUR SUPERFICIE
FINANCES.
VILLES PRINCIPALES.
en 1847.
par lieue carr.
en lieue géograp. carrée.
SCHLEITZ
17
Revenus.
21,782
1,282
500,000 francs.
SCHEITZ, 5,000. — Tauna.
1, 00. — Hohenleuben,
2,500.

LOBENSTEIN-
21
22,026
1,049
LOBENSTEIN,
3,500.

EBERSDORF.
800,000 francs.
Ebersdorf. 1,500.
GÉRA et SAALBOURG 20
33,208
1,660
Géra, 12,000. - Saal-
Conlinq féd.
Conting. fédér.
bourg, 1,600.
1,150
6,092 francs.
LIVRE CENT SOIXANTE-UNIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne méridionale. — Description des
principautés de Liechtenstein, de Hohenzollern-Sigmaringen, de Hohenzollern-
Hechingen et du Grand-Duché de Bade,
Nous allons maintenant pénétrer dans l'Allemagne méridionale ; nous y
trouverons des Étals plus importants et moins morcelés que ceux que nous
venons de visiter. Si nous en exceptons toutefois la petite principauté de
Liechtenstein et les deux principautés de Hohenzollern, qui vont d'abord
nous occuper. Ces deux dernières appartiennent aujourd'hui à la Prusse;
mais nous avons dû, à cause de leur position au sud de la ligne de partage
des eaux de l'Europe, en rejeter la description avec celle des pays situés
vers la même région physique.
L'une des deux plus petites principautés de l'Allemagne est celle de
Liechtenstein. Sa longueur, du nord au sud, est de 5 lieues; sa largeur
moyenne, de l'est à l'ouest, est d'une lieue et demie, et sa superficie de
7 lieues carrées. Elle est peuplée de 6,351 habitants; elle fournit 95 hommes
à la Confédération germanique. Son revenu public est de 50,000 francs,
et sa dette passe pour être d'environ 6,000,000 ; mais c'est probablement
en y comprenant les dettes particulières du prince, qui jouit personnelle-
ment d'un revenu de plus de 3,000,000, par les grandes propriétés qu'il
possède en Moravie, en Silésie et en Autriche, ainsi que dans d'autres par-
lies de l'Allemagne. Telles sont, entre autres, les belles principautés de
Troppau et de Iögerndorf, dont il jouit sous la souveraineté de l'Autriche
et de la Prusse; il peut donc y passer pour l'un des plus riches particuliers

240
LIVRE CENT SOIXANTE-UNIÈME.
de l'Europe. Il entretient une garde d'honneur de 12 hommes et une com-
pagnie de 87 grenadiers. La maison de Liechtenstein descend d'Azo IV d'Est,
mort en 1037. Les membres de cette famille sont restés catholiques, ainsi
que leurs sujets.
La principauté est située à 5 lieues au sud du lac de Constance, sur les
bords du Rhin. Un rameau des Alpes la couvre au sud et la traverse du sud
au nord, en divisant le pays en deux parties : à l'ouest, c'est la vallée du
Rhin ; à l'est, celle de la Samina, petite rivière qui va se jeter dans l'Ill, qui
est lui-même un affluent du fleuve. On y jouit d'une douce température ; le
sol y est presque partout fertile-, ses forêts sont belles, et les habitants
élèvent beaucoup de bêtes à cornes.
Ce pays est divisé en deux seigneuries : celle de Vadutz et celle de Schel-
lenberg.
Liechtenstein, autrefois Vadutz, bourg de 2,000 habitants, est la rési-
dence habituelle du prince; sa situation près de la rive droite du Rhin en
fait un séjour agréable; le château est assez bien bâti. Dans la seigneurie
de Schellenberg, il y a un château qui est la résidence d'un landamman,
magistrat chargé de la justice.
C'est à Vadutz qu'est le siége d'administration de la principauté; elle se
compose de la chancellerie, de la cour du prince, d'un juge, d'un receveur
des impôts, d'un intendant et d'un garde forestier.
Le pays de Hohenzollern est enclavé entre le royaume de Wurtemberg,
celui de Ravière et le grand-duché de Rade. Sa longueur totale est d'en-
viron 20 lieues, sa largeur moyenne de 3 et sa superficie de 58. Les prin-
cipaux cours d'eau qui la traversent sont le Necker et le Danube.
Ce pays, qui depuis 1850 appartient à la Prusse, était irrégulièrement
partagé entre les deux branches de Sigmaringen et d'Hechingen : ainsi, la
principauté de Hohenzollern-Sigmaringen comprenait la partie du nord-
ouest de tout le pays, et toute la partie méridionale, et la principauté de
Hohenzollern-Hechingen, occupait la partie centrale.
On y exploite du fer, de la pierre de taille, du gypse et de l'argile à
poterie. Il y a une source minérale assez fréquentée au village d'Imnau, sur
la rive droite de l'Eyach, et une d'eau sulfureuse, près du bourg de Glatt.
Les terres situées au sud du Danube sont fertiles, et jouissent d'un climat
tempéré, tandis que le reste est généralement pierreux et ingrat, et sous
l'influence d'une température âpre, produite par le voisinage des mon-
tagnes du Rauhe-Alp et des immenses forêts qui les couvrent. L'industrie

EUROPE.—PRINCIPAUTÉ DE HOHENZOLLERN-HECHINGEN.
241
y est peu répandue : elle ne consiste que dans l'exploitation de quelques
mines de fer, que dans deux ou trois usines où l'on travaille ce métal, que
dans la filature du lin et le tissage de la toile.
La principauté de Sigmaringen, qui a 43 lieues carrées, avait, en 1849,
41,141 habitants; elle comprend les bailliages de Sigmaringcn, Vöh-
ringen, Haigerloch et Glatt ; les seigneuries de Fürstemberg, de Tour-ct-
Taxis, et la baronnie de Speth, possessions médiates de ces trois familles.
Sigmaringen, sur la rive droite du Danube, entourée de murs, et pré-
cédée d'un faubourg, est la capitale de la principauté : le château du gou-
vernement est sur une hauteur, au nord de la ville. Il y a dans celle petite
capitale 1,800 habitants et une école normale. Vöhringen, à 2 lieues au
nord de Sigmaringcn, est une ville de 1,200 âmes.
Hetlingen n'est qu'un bourg de ϋ à 700 habitants. Il est dans la
baronnie de Speth : on y voit un château. Gammertingen, chef-lieu de cette
baronnie, est situé dans une vallée, sur la rive gauche du Lauchart : le
château sert de résidence au baron.
La petite ville de Trochtelfingen, qui n'est guère plus peuplée que les
deux bourgs précédents, est un chef-lieu de bailliage, dans les possessions
des princes de Fürstenberg, et dans la partie septentrionale du Hohen-
zollern.
Glatt est un bourg si peu considérable, que le bailliage dont il est le
chef-lieu ne forme pas, avec celui-ci, une population de 1,200 âmes. La
ville d' Hagerloch renferme 1,500 habitants; elle est située dans une con-
trée agréable, sur la rive gauche de l'Eyach, au pied d'une montagne, au
sommet de laquelle est un château entouré de hautes murailles. Sa situa-
tion, au milieu de rochers majestueux, est une des plus pittoresques que
l'on puisse imaginer. C'est dans ses environs que sont les bains d'Imnau.
La principauté de Hohenzollern-Hechingen est, ainsi que nous l'avons
déjà dit, entre les deux portions de celle de Hohenzollern-Sigmaringen.
Elle est limitée, au nord et au sud, par le royaume de Wurtemberg. Sa
longueur est de 6 lieues, sa largeur de 2 à 3, et sa superficie de 15. C'est
un pays montagneux, que traverse une partie du Rauhe-Alp, qui y élève
trois sommets remarquables : le Zellerhorn, le Zollerberg et le Heiligen-
berg. Leur hauteur ne dépasse point 1,025 mètres. Ces montagnes sont
couvertes de forêts. Les vallées qui s'étendent au pied de ces sommets sont
fertiles, bien cultivées, et produisent assez de blé pour la consommation
des habitants. Ceux-ci sont au nombre de 20,471.
La seule ville de la principauté est Hechingen, située sur une colline au
VII.
31

242
LIVRE CENT SOIXANTE-UNIÈME.
pied de laquelle coule le Starzel. Elle est entourée de murs et renferme un
palais, trois églises, un couvent, un gymnase et plusieurs fabriques dont
la plus importante est celle où l'on tisse diverses étoffes de laine. Sa po-
pulation est de 3,000 habitants.
Sur une montagne voisine s'élève le vieux château de Hohenzollern,
berceau de la monarchie prussienne. Cet antique édifice renferme une riche
collection d'armures.
Toutes les vallées qui, des sommets de la Forêt-Noire, s'abaissent vers
le Rhin, ainsi que tous les rivages orientaux de ce fleuve, depuis Bâle jus-
qu'au delà de Manheim, appartiennent au grand duché de Bade. Cet État,
qui est le plus considérable d'entre les petits États de l'Allemagne, possède
encore toutes les pentes de la Forêt-Noire jusqu'au bord du Rhin, et compte
parmi ses dépendances quelques districts au nord et à l'ouest du lac Con-
stance. Il est borné au nord par le grand-duché de liesse et la Ravière; à
l'est il est limitrophe avec le royaume de Wurtemberg et les principautés
de Hohenzollern, qui limitent aussi, au sud-est, ses contours irréguliers.
Les anciens peuples qui occupaient son territoire étaient les Alemanni ;
nous en parlerons dans notre description du Wurtemberg.
Celte principauté d'environ 65 lieues de longueur, large de M au nord,
de 31 au sud, et de 4 dans sa partie centrale, occupe une superficie de
278,5 milles cari és allemands ou de 773 lieues géographiques carrées; sa
population était en 1852 de 1,356,343 habitants. Elle renferme les défilés
et les passages les plus importants, soit pour couvrir la ligne duRhin, soit
pour pénétrer en Souabe. La cime la plus élevée est celle du Feldberg,
qui atteint 1,390 mètres au-dessus du niveau de la mer; la moins impor-
tante est celle du Winterhauch, qui ne dépasse pas 435 mètres. Le Storen-
berg, le Roskopf, le Pölle et le Todnauerberg, sont célèbres dans les fastes
de la stratégie par la belle retraite du général Moreau en 1796. A l'extré-
mité septentrionale du duché, s'étendent le Herberg et une partie de
l'Odenwald, chaînes de montagnes dont le Kniebis est l'un des points les
plus élevés.
Les montagnes de la Forêt-Noire les plus rapprochées du Rhin sont for-
mées de roches granitiques ; celles qui se dirigent vers le Wurtemberg sont
composées de grès et d'autres roches qui caractérisent la formation inter-
médiaire.
A l'exception de ce lac, appelé en allemand Bodensée, et que nous dési-
gnons sur nos cartes par le nom de lac de Constance, il n'existe sur le ter-

EUROPE. —GRAND-DUCHÉ DE BADE.
243
ritoire du grand-duché que de grands étangs, que l'on appelle impropre-
ment lacs ; ils sont presque tous situés dans la région la plus montagneuse
et à une hauteur assez considérable; celui de Schluch est sur le Feldberg,
à 742 mètres de hauteur ; celui d'Echner et plusieurs autres sont élevés de
476 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Dans les parties basses de ce pays, c'est-à-dire près des bords du Rhin,
du Mein et du Necker, la température est douce et agréable-, mais dans
les montagnes et particulièrement dans la chaîne du Schwarz-wald, le froid
est très-rigoureux pendant l'hiver, et pendant l'été l'air y est toujours très-
vif; il est même rare que la neige fonde dans la région la plus élevée.
Les forêts du grand-duché deBade occupent une superficie de 1,580,000
arpents: les terres arables en forment 1,300,000, les prairies 335,000 et les
vignes 74,000. On en compte 209,000 en terrains incultes, et 150,000
appartenant aux communes. Au-dessous de la région des forêts, les parties
élevées fournissent avec peine au cultivateur quelques chétives avoines et
des pommes de terre; les cerises n'y mûrissent qu'en septembre-, mais des-
cendez dans les vallées, le spectacle change: la vigne, l'amandier, le châtai-
gnier, les arbres fruitiers les plus variés, les céréales, le chanvre, le lin et les
plantes les plus utiles à l'homme croissent avec facilité, et contribuent à
répandre chez le cultivateur la richesse et l'abondance.
Le pays abonde en divers produits dont l'importance et la variété sont
dues à sa constitution physique. Nous ne parlerons pas des nombreux ani-
maux qui peuplent les forêts, du gibier dont les champs abondent, et du
produit que procure leur chasse. La pêche du Rhin et du lac de Constance
forme un revenu assez considérable ; les saumons paraissent fréquemment
dans le fleuve ; il n'est point de table bien servie qui ne réserve une place
d'honneur à la carpe du Rhin; on en prend souvent qui pèsent jusqu'à
près de 20 kilogrammes; mais l'un des poissons les plus utiles, et qu-
cependant est moins connu que ceux que nous venons de nommer, c'est
l'ablette. L'écaillé de ce poisson blanc est un objet de commerce considé-
rable : on l'exporte en Saxe, en France et en Suisse, où elle est employée
à donner à la perle de verre un éclat qui le dispute à celui de la perle fine.
Les richesses minérales y sont peu considérables, mais variées ; on y
exploite annuellement près de 12,000 quintaux de fer, 700 de plomb,
500 marcs d'argent, du cuivre, du zinc, de l'arsenic, de l'alun, du soufre,
de la houille et près de 4,000 quintaux de sel. Les terres propres à la
fabrication des poteries fines et grossières, les ardoises, le marbre et l'al-
bâtre y sont communs; l'or même est d'un produitque nous ne devons pas

244
LIVRE CENT SOIXANTE-UNIÈME.
passer sous silence. C'est sur les bords du Rhin qu'on le recueille ·, les
terrains d'alluvion que traverse le fleuve en contiennent des parcelles-,
120 individus, environ, s'occupent de le rechercher, mais la valeur de ce
métal ne s'élève par an qu'à la somme modique de 15,000 francs.
La partie de la Forêt-Noire comprise dans le grand-duché de Bade riva-
lise, pour la fabrication de kirschenwasser, avec celle qui appartient au
Wurtemberg. Sur les bords du Rhin etdu Mein, on citeplusieurs vignobles
qui produisent des vins généreux et pleins de feu : tel est entre autres
celui d'Affenthal, aux environs de Bade. Nous ne prononcerons pas
entre ceux de Steinbach, de Lauthcnbach , de Hamsbach, d'Orden-
bourg: nous ne dirons pas, comme quelques Badois ; que sur les bords
du lac de Constance ce sont les coteaux de la Bourgogne sous le ciel
de la Suisse: il nous suffira de faire remarquer que ces vins sont une
source de richesse pour le pays, puisque dans cerlaines années, on en a
exporté pour la valeur de plus de 2,000,000 de florins. C'est dans les envi-
rons de Badenweiler que l'on récolte le vin de Margrave ( Markgrafler),
regardé comme le meilleur de tout le grand duché. A l'exception des chevaux,
la plupart des animaux domestiques sont de belle race et assez nombreux.
Dans la plus grande partie du pays, les habitants s'occupent de la fila-
ture du lin et du chanvre, ainsi que la fabrication de divers tissus. Le
territoire d'Ettenheim exporte annuellement pour 30,000 florins de chanvre
brut ou filé ; dans celui de Pforzheim, on fabrique pour plus de 1,700,000
florins de quincaillerie. Dans la Forêt-Noire, on fait beaucoup de petits
ouvrages en bois et en paille. Malgré la stagnation du commerce, cette
contrée tire un grand produit de ses fabriques d'horloges en bois, de ses
cuillers en fer étamé, et d'autres branches d'industrie qu'il serait trop long
de détailler; 6 à 700 horlogers y fabriquent annuellement plus de 187,000
horloges de bois évaluées à la somme de 562,000 florins. Pour donner une
idée du mouvement industriel qui règne dans le grand-duché, il suffit de
dire qu'on y compte 100,000 ouvriers en différents genres.
Le commerce de transit est très actif-, les exportations sont encore con-
sidérables ; elles consistent principalement en bois de construction qu'on
expédie pour la Suisse, la France et les Pays-Bas. Nous avons déjà parlé
des vins et du chanvre-, ajoutons-y le blé, les fruits secs, le kirschenwasser,
le tabac, les eaux minérales et divers objets de quincaillerie, nous aurons
donné une idée suffisante de la richesse commerciale du pays, qui reçoit en
échange des vins de France, du sel, des denrées coloniales, des chevaux
et des tissus de luxe.

EUROPE. — GRAND-DUCHÉ DE BADE.
245
La seigneurie de Bade fut érigée en margraviat par Henri l'Oiseleur, au
commencement du dixième siècle. Ce marquisat passa entre les mains de
plusieurs familles qui s'éteignirent successivement. Les diverses branches
de la maison de Bade furent celles de Hochberg, de Sauzenberg et de Bade;
en 1503, toutes leurs possessions furent réunies sur la tête du margrave
Christophe, dont les fils fondèrent les branches de Bade-Bade et Bade-
Durlach. Celle qui règne aujourd'hui dans cette principauté, qui reçut en
1802 le titre d'électoral, et, quelques années après, celui de grand-duché,
est un rejeton de la dernière branche.
La maison régnante de Bade est attachée à la confession d'Augsbourg,
mais près des trois quarts de la population suivent le rit catholique ; le
reste est partagé entre la foi luthérienne et le culte réformé : ceux de celte
dernière communion sont quatre fois moins considérables que les luthé-
riens. On y compte aussi des mennonites et des juifs.
Le gouvernement du grand-duché est une monarchie constitutionnelle.
Les ministres sont responsables-, tous les citoyens sont admissibles aux
emplois. Il y a deux chambres, composées, la première, des princes de la
maison ducale, des représentants de la noblesse divisés en trois classes,
d'un évêque catholique, d'un ministre protestant, et de deux membres de
l'université; la seconde chambre se compose des députés des villes et
bailliages, élus à deux degrés. Les impôts sont votés pour deux ans.
La conscription a été conservée-, mais le code français, longtemps en
vigueur, a été remplacé par le rétablissement des lois romaines et des
anciennes coutumes en vigueur dans le duché avant le protectorat de
Napoléon, jusqu'à la publication d'un nouveau code badois en rapport
avec les mœurs des habitants. Le seul bienfait que ce pays ait conservé
de ses relations avec la France, est l'établissement d'un nouveau système
de mesures, basé sur la division décimale. Cependant le gouvernement du
pays de Bade est dans la voie du progrès : en 1832, une ordonnance a
supprimé les corvées seigneuriales, et tout fait espérer que la liberté de
la presse et l'émancipation des juifs y seront bientôt admis en principe.
Le gouvernement badois favorise l'instruction par de nombreux éta-
blissements dont les bienfaits s'étendent chaque jour-, entretient deux
universités, celle d'IJeidelberg et celle de Freybourg ; il a fondé quatre
lycées, ceux de Constance, de Bade, de Carlsruhe et de Manheim, et dans
les principales villes, 10 gymnases et 15 écoles, dont 7 où l'on enseigne
le latin ; enfin il a encouragé la fondation de plusieurs institutions spéciales,
telles que celle des sourds-muets, celle des élèves forestiers, celle des

246
LIVRE CENT SOIXANTE-UNIÈME.
architectes, les académies de commerce de Manheim et de Carlsruhe, et il
a fondé, dans celte dernière ville, le séminaire des pasteurs protestants, et
à Mersebourg un séminaire catholique.
Il y a des écoles primaires dans toutes les communes ; les enfants sont
tenus de les fréquenter dès l'âge de7 ans, jusqu'à 13 pour les filles, et
jusqu'à 14 pour les garçons.
On peut évaluer lesrevenus annuelsdu grand-duché de Badeà 9,718,248
florins ou 20,602,685 francs. Les dépenses sont un peu plus fortes, et
atteignent, pour 1852, le chiffre de 9,722,861 florins ou 20,612,465
francs. En janvier 1852, la dette publique s'élevait à 28,284,316 florins ou
59,962,741 francs ; mais outre cette dette publique générale, il y a un
emprunt de 32,609,791 florins, qui a été contracté pour la construction
des chemins de fer.
Le grand-duché de Bade est tenu de fournir à la Confédération germa-
nique un contingent de 20,350 hommes-, sa force militaire se compose
d'un effectif de 15,000 hommes, dont la moitié seulement sont sous les
armes en temps de paix.
Le pays est partagé en quatre cercles : ceux du Haut-Rhin, du Rhin-
Moyen, du Bas-Rhin et du Lac. Il renferme 36 villes, 108 bourgs et2,427
villages et hameaux.
Les habitants parlent un dialecte dur, qui parait être le résultat du
mélange de l'ancien allemand et du slave , et qui cependant diffère dans
plusieurs cercles, principalement aux deux extrémités de la contrée; ainsi
on reconnaît facilement à sa prononciation le peuple du Schwarz-wald
et celui de l'Odenwald.
Mais il est temps de parcourir les lieux dignes de quelque attention;
nous commencerons notre excursion par le nord.
Wertheim, ville siluée au confluent du Mein et du Tauber, est une
possession médiate du prince de Lowenstein-Wertheim, sous la souverai-
neté du grand-duc de Bade. Elle est entourée de murailles et renferme
deux châteaux et 3,600 habitants, qui s'enrichissent par la vente des pro-
duits de leurs tanneries, de leurs distilleries, de leurs vins, et par un
commerce de transit qu'alimente le cours du Mein, qui, en cet endroit, la
sépare de la Bavière. Mannheim ou Manheim, la plus considérable ville
du grand-duché, a éprouvé trois fois en un siècle et demi les funestes
effets du fléau de la guerre. D'abord elle s'éleva tout-à-coup, en 1606,
par les soins de Frédéric IV, comte palatin du Rhin, et de Frédéric V, son
fils, du rang de simple village à celui de place de guerre : ce fut la couse

EUROPE. — GRAND-DUCHÉ DE BADE.
247
de ses malheurs. Dévastée en 1622 par les Bavarois, elle avait à peine
réparé ses maux qu'elle fut comprise dans la destruction du Palalinat,
dont l'arrêt barbare déshonore à jamais le ministère de Louvois. On dit
que la fureur des soldats de Louis XIV alla jusqu'à profaner dans ses
murs les tombeaux des électeurs palatins. Rebâtie par ses princes, elle
fut bombardée en 1795 par l'armée française, et plusieurs de ses édifices
devinrent la proie des flammes. Cependant sa situation avantageuse au
confluent du Necker du Rhin, l'activité de son commerce, l'importance de
ses fabriques de toile, d'étoffes de laine et de bijouterie fausse en un alliage
connu sous le nom d'or de Manheim, ont puissamment contribué à lui
conserver l'importance dont elle jouit encore. Ses remparts, détruits par
les Français, ont été convertis en jardins qui contribuent à l'agrément de
ses environs tout à fait pittoresques. Sa population s'élève à plus de 24,316
habitants-, ses rues sont droites et bien alignées. On y remarque quelques
beaux édifices, parmi lesquels nous citerons le château ducal, l'église des
jésuites, la bourse, l'observatoire et le théâtre. Elle possède plusieurs
établissements de charité et d'instruction publique-, elle est le siége de la
cour suprême du grand-duché. Première place de commerce de tout l'État,
elle est une des stations les plus importantes du chemin de fer badois.
Elle est en relation avec Paris par la ligne de Saarbrück et Metz; vers le
sud elle communique avec Carlsruhe et Fribourg par Heidelberg. Enfin
elle est en rapport avec Francfort-sur-le-Mein et les grandes lignes de
l'Allemagne centrale et septentrionale, par l'embranchement de Frédrichs-
feld à Darmstadt et Francfort.
Le chemin de fer badois, qui commence à Manheim, nous conduira, en
remontant la vallée du Necker, à la ville universitaire
Heidelberg, dont
la fondation remonte au douzième siècle; elle est assez bien bâtie sur la
rive gauche du Necker. On y admire la place de Charles, et l'on ne peut
voir sans intérêt avec quel soin sont tenus les établissements d'instruction
qui concourent, avec le jardin botanique, les cabinets de physique, de
minéralogie, de chimie, et les bibliothèques, à attirer dans cette ville, forte
de 14,000 habitants, près de 800 étudiants. Son université est l'une des
plus anciennes de l'Allemagne-, elle date de l'an 1386, et jouit d'une répu-
tation méritée.
Parmi les savants auxquels cette ville donnale jour, on doit citer Fran-
çois Junius, auteur de plusieurs ouvrages estimés sur les langues anciennes
du Nord et sur les antiquités-, le littérateur Gérard-Voss ou Vossius ; l'an-
tiquaire Laurent Beger et le théologien Alting.

248
LIVRE CENT SOIXANTE-UNIÈME.
La montagne du Geisberg, qui s'élève auprès d'Heidelberg, est domi-
née par le vaste et magnifique château des électeurs, dont les caves
renferment le fameux tonneau qui remplaça celui qui fut détruit pendant
la guerre de Trente-Ans, ou plutôt c'est le second qui fut construit après
celui-là : ainsi, en 1644, l'électeur palatin Charles-Louis en fit élever un
qui surpassa le premier en capacité ; réparé en 1728, il fut remplacé en
1751 par un troisième plus grand et peut-être plus magnifique que les
deux autres : il fut construit par l'électeur Charles-Théodore. Long de 10
mètres 02, et d'un diamètre de 6 mètres 97, il contient 284,000 litres ; on
y monte par un escalier de 50 marches, et l'on évalue à 12 milliers le poids
du fer employé à le cercler.
On ne peut rien voir de plus magnifique que ce qui reste du vaste cha-
teau d'Heidelberg; de son balcon, on jouit d'une vue magnifique. De ce
point élevé, l'œil se promène avec plaisir sur l'une des plus riches con-
trées de l'ancien Palatinat, et sur les vignobles estimés d'Heidelberg et de
Weinheim, petite ville de 5,000 habitants, située près des frontières du
grand-duché de Hesse.
Schwetzingen, à 2 lieues d'Heidelberg, est un bourg d'environ 3,000
habitants, remarquable par son vaste château ducal, et surtout par son
jardin botanique, l'un des plus riches de l'Europe, et peut-être même le
plus riche en plantes alpines.
Philippsbourg, qui se nommait anciennement Udenheim, et qui dut son
nouveau nom à Philippe-Christophe, évêque de Spire, fut longtemps une
des plus fortes places de l'Europe. Les Français la prirent en 1644, en
1734 et en 1799 ; elle est aujourd'hui démantelée. Dans la jolie ville de
Bruchsal, une des stations du chemin de fer badois, peuplée de 9,000 âmes,
on remarque le château de l'ancien princeévêque de Spire; ses jardins,
bien dessinés, servent de promenade publique. Durlach, également située
sur ce chemin de fer, au sud de la précédente et dans une plaine fertile
sur le Pfinz, a un ancien château et 4 à 5,000 habitants.
En continuant à suivre le chemin de fer, nous arrivons à Carlsrühe,
capitale du grand-duché de Bade; son sol est élevé de 120 mètres au-
dessus du niveau de la mer; elle est bâtie avec beaucoup de régularité, et
toutes ses rues,alignées partent, en face du château ducal, en divergeant
comme les branches d'un éventail. La demeure du prince est d'une
élégante simplicité; ce qui la rend surtout agréable, ce sont les jardins
et la forêt qui s'étend dans la partie opposée à celle qu'occupe la ville. Le
château renferme une bibliothèque et de riches collections. D'autres collée-

EUROPE. — GRAND-DUCHÉ DE BADE.
249
tions, et surtout le musée, rendent la ville intéressante sous ce rapport.
Les édifices qui l'embellissent sont nombreux. La salle de spectacle, ou
le théâtre de la cour, est remarquable-, l'hôtel-de-ville est un édifice nou-
vellement construit ; les portes de Durlach et à d'Ettlingen sont d'une belle
architecture. Le lycée, l'école militaire, l'école royale, l'institut des sourds-
muets, l'école vétérinaire, l'école normale protestante et l'école polytech-
nique sont les principaux établissements d'instruction de cette ville , qui
en renferme un grand nombre. Carlsruhe, en un mot, ville de plaisir,
fière de son élégance, riche de ses établissements utiles, peuplée de 23,217
individus, se dédommage du peu d'importance de son commerce par son
industrie dans la fabrication des objets de luxe : elle est renommée pour
sa bijouterie, son horlogerie, ses meubles et ses voitures.
Pforzheim, cité commerçante de 8 à 9,000 âmes, la plus manufac-
turière de tout le grand-duché, est située au pied de la Forêt-Noire, au
confluent de l'Enz et de la Nagold ; elle renferme une maison de correction
et une maison d'orphelins-, on y confectionne beaucoup d'objets de bijou-
terie et d'horlogerie ; on y fabrique des draps, des maroquins et des pro-
duits chimiques; son commerce consiste principalement en blé, en huile,
en vins, et en bois de construction.
Entre Durlach, jadis la résidence des margraves de Bade et Ettlingen
siége d'une cour criminelle, on a découvert, en 1802, les restes d'une
maison romaine, les débris d'une chaussée et un monument qui paraît
avoir été consacré à Neptune. Sur le bord de la Murg, petite rivière de
16 lieues de cours, qui prend sa source dans la Forêt-Noire, et qui sert à
transporter jusqu'au Rhin les bois de cette région montagneuse, et sur le
chemin de fer badois, nous voyons Rastadt, ville célèbre par plusieurs
congrès et par l'assassinat des députés de la république française. Sa
population est de 6,000 habitants; elle possède un beau château ducal ; sa
position, essentiellement stratégique, puisqu'elle est le chef-lieu du Bas-
Palatinat, l'a fait déclarer forteresse fédérale. Elle renferme des établisse-
ments d'instruction publique et de charité; son commerce est important,
et ses fabriques d'acier et de tabatières en pâte de papier ont de la répu-
tation en Allemagne, aussi bien que ses voitures et ses armes à feu.
A la station de Oos, quittons la grande ligne badoise, un petit embran-
chement de quelques kilomètres nous conduira à Bade ou Baden-Baden,
située à 2 lieues de Rastadt. Cette ville de 6,000 âmes doit son nom et sa
célébrité à ses sources minérales et à ses bains connus et fréquentés du
temps des Romains, et qui chaque année réunissent 6 à 7,000 étrangers*
VII.
32

250
LIVRE CENT SOIXANTE-UNIÈME
On y remarque l'ancien collége des jésuites et les ruines du vieux château,
que l'on range avec raison parmi les plus belles et les plus pittoresques
de l'Allemagne.
Si nous revenons à Oos, pour continuer notre excursion par le chemin
de fer badois, nous passerons aux stations de Bülhl et d'Achern ; nous
laisserons sur notre gauche, près de Salzbach, l'emplacement du vieux
noyer au pied duquel Turenne expira, le 27 juillet 1675, et nous arriverons
à la station à 'd'Appenweier. Un embranchement s'en détache et va jusqu'au
pont de Kehl, petite ville de 1,500 âmes, située en face de Strasbourg.
Cet embranchement unit la ligne badoise à la grande ligne de Paris à
Strasbourg et aux autres chemins de fer français. Revenons sur la grande
ligne badoise.
Offenbourg, station du chemin de fer, petite ville entourée de murs, et
peuplée de 3,500 âmes, possède un territoire riche en vignobles. Lahr,
qui renferme aujourd'hui 5,000 habitants, est une des cités les plus com-
merçantes et les plus industrieuses du duché.
Au pied des montagnes de la Foret-Noire, Fribourg ou Freybourg, an
cienne capitale du Brisgau, et aujourd'hui une des plus importantes stations
de la ligne badoise, s'élève sur les bords du Ti eizam ; elle renferme 15,000
habitants, un gymnase et une administration supérieure des forêts. Son uni-
versité célèbre, fondée en 1456, ses collections scientifiques, sa société de
statistique et d'antiquités, et son commerce, la placent au rang des villes les
plus importantes du grand-duché ; Brisach ou Vieux-Brisach, que les
Allemands appellent Alt-Breisach, passe pour avoir été fondée par Drusus ;
elle serait alors l'ancienne capitale des Brisagavi, petit peuple qui dépen-
dait des Alemanni. Elle était autrefois célèbre par ses fortifications, que
détruisit Marie-Thérèse. Un mur l'environne encore. Elle fut presque
réduite en cendres, les 15 et 16 septembre 1793, par le feu des Français,
dirigé de la rive opposée du Rhin. Ce fleuve, qui l'arrose, n'a peint favo-
risé le commerce chez ses 2,500 habitants; la fabrication du tabac est sa
principale industrie. Au sud de Fribourg, le chemin de fer de Bade passe
encore à Mulheim, à Rheinweiler , pour venir s'arrêter à Haltingen, à
quelques kilomètres de Bâle.
La partie méridionale du grand-duché de Bade est celle qui renferme le
moins de villes digues d'être décrites. Les montagnes de la Forêt-Noire
sont en effet peu convenables à l'établissement de quelque cité un peu
importante. Nous ne pourrons citer que Willingen et Constance. Mais
avant de traverser la crête du Schwarz-wald, nous remarquerons au pied

EUROPE. —GRAND-DUCHÉ DE BADE.
251
du mont Blauen le village de Badenweiler, renommé par ses eaux ther-
males depuis près de vingt siècles ; les Romains y avaient fondé un éta-
blissement considérable. Vers les frontières du royaume de Wurtemberg,
on remarque, dons une vallée élevée et sur les bords du Brig, Willingen,
peuplée de 4,300 habitants ; le cercle dont elle dépend ne renferme qu'une
seule ville un peu plus importante, c'est Constance ou Constanz, qui
donne son nom au lac sur les bords duquel elle s'étend. Cette ville, de
6,800 habitants, est célèbre par le concile de 1451 et par le supplice de
Jean Huss et de Jérôme de Prague. Constance est sur la rive méridionale
ou suisse du lac auquel elle donne son nom; c'est une ville ancienne,
autrefois impériale et libre, assez bien bâtie, mais elle est triste, et ses
monuments remarquables sont le château ducal, le palais episcopal, la
cathédrale et l'ancien couvent des dominicains où fut tenu le concile.
Ses établissements industriels consistent en fabriques de toiles peintes;
c'est la principale branche de son commerce, auquel elle joint les grains,
les bois et les vins. Le port de cette ville a été déclaré port franc; elle
peut donc espérer, lorsqu'elle jouira des avantages d'un chemin de fer,
voir son importance commerciale s'accroître, et ressaisir le rang qu'elle
avait autrefois parmi les plus riches cités de l'Allemagne.
Parmi les petites villes de ce cercle, nous mentionnerons seulement
Donaueschingen, qui renferme environ 3,000 âmes; c'est dans la cour
du château de cette ville que naît le ruisseau, regardé par la plupart des
géographes, comme la véritable source du Danube.
Le gouvernement du grand-duché de Bade est depuis longtemps un'des
plus sages et des plus éclairés de toute l'Allemagne; i! a de bonne heure
fait participer les populations qu'il administre aux bienfaits du régime con-
stitutionnel et à quelques mesures libérales. Son administration financière
est économe et modérée. A côté du budget général de l'État, il en existe
encore de particuliers, tels sont ceux : de l'administration postale, de l'ad-
ministration des chemins de fer, de la direction des constructions de che-
mins de fer, de la caisse d'amortissement et de l'administration des bains.
Nous nous résumerons en disant que parmi les États secondaires de l'Al-
lemagne, le grand-duché de Bade est un État sérieux, qui occupe le sep-
tième rang dans la Confédération germanique, et qu'il entretient des rap-
ports diplomatiques avec les grandes puissances de l'Europe.

252
LIVRE CENT SOIXANTE-UNIÈME.
TABLEAUX Statistiques de la principauté de Liechtenstein et du Grand-
Duché de Bade 1.
4
PRINCIPAUTÉ DE LIECHTENSTEIN.
POPULATION
SUPERFICIE.
POPULATION.
FINANCES.
FORCES MILITAIRES. VILLES PRINCIPALES.
par lieue carr.
7 lieues carr.
6,351
907
Revenus.
Armée.
2 bourgs. 9 villages
50, 000 fr.
99 hommes.
et hameaux.
Dette.
Contingent fédér. Vadulz ou Liechtens-
6,000 000 fr.
95 hommes.
tein, 2000 -Châ-
Contrib. fédé.
teau de Schellen-
berg.
1 Le tableau statistique des principautés de Hohenzollern a été donné avec le tableau de la statisti-
que générale de la Prusse, à la page 119 de ce volume.
GRAND-DUCHÉ DE BADE.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
ÉTAT MILITAIRE.
en 1852.
par lieue carr.
en 1852.
278,50 m. c. a.
1,356, 943
4,831
Revenus.
Etat-major
185
ou
20,602 6s5 francs.
Infant., 1 div. de 2 brig. 11,514
773 lieues g. c.
Dépenses.
Caval , 1 brig. de 3 esc. 2.143
20,612,465 francs.
Artill.,1 rég à 5 batter. 1,158
Dette publique.
59 962,741 francs.
15,000
Contribut. fédérale.
Contingent fédéral.
116,716 lianes.
20,558 hommes.
(36 villes. —108 b ourgs. — 2,427 village 5.)
Cercles.
Superficie. Popul tion.
Villes principales et leur population.
21 bailliages. -- 389 communes.
CARLSR UHE, 23,217. —Dur la ch. 7,000 — Pforzheim, 8,000
RHIN-MOYEN.
214
462, 085
Brüc hsal,7,000. —Rastadt, 6,000. — Baden, 4.000 — Ettlin-
ghen ,4,000. — Offenbourg, 3,500. - Kehl, 4,000. — Lahr,
5,000
18 bailliages. -- 458 communes.
rg, 14,000. — Reichn au, 2,000. — Badenweiler, 700.
HAUT-RHIN. .
216
349, 202
Fribou risach, 3.500· — Lörrac ch, 2,500. — Endigen, 3,500. —
Sain -Blaise, 2.000.
20 bailliages. -- 382 communes.
Mannh heim, 24,316. — Heideb berg, 14.000. — Schwetzingen,
BAS-RHIN. . .
172
346, 578
2.80C . — Philippsbourg, 1. 500 — Wéenheim, 5,Ooo —
Sins heim, 3.000. — Werth eim, 3,800. — Bischoffsheim,
2,80( . —Waldurn, 2,600
15 bailliaqes. — 376 communes.
LE LAC
Consta nr.e, 8.000. — Neberlin gen, 2,800. - Willingen, 4 000.
171
199,0
ustadt, 1,600. — Donau ueschingen, 3,000. — Ludwigs-
hafen ,1,500.

EUROPE. —ROYAUME DE BAVIÈRE.
253
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne méridionale. — Description des
royaumes de Bavière et de Wurtemberg.
Le royaume de Bavière est borné au nord par le royaume et les duchés
de Saxe et la Hesse-Électorale ; à l'ouest par les grands-duchés de Hesse
et de Bade, et par le royaume de Wurtemberg ; au sud et à l'est par les
États de la monarchie autrichienne. Sa superficie est de 1304,30 milles
géographiques allemands, ou de 3,872 lieues. Fidèle à la marche que nous
avons adoptée pour la Prusse, nous considérerons tout le territoire com-
pris entre le Wurtemberg et l'Autriche comme le royaume de Bavière pro-
prement dit; et après avoir décrit sous les rapports physique et statistique
son importante superficie, nous considérerons séparément sous les mêmes
rapports le cercle du Palatinat ou la Bavière rhénane qui est séparé de
la Bavière proprement dite par la Hesse-Darmstadt et le grand-duché de
Bade.
La Bavière proprement dite, ou la vieille Bavière, occupe presque tout
le bassin formé à l'ouest par le Raühe-Alp et le Spessart; au nord par le
Rhöne-gebirge, le Thüringer-wald, le Franken-wald et le Fichlel-gebirge.
ou la Chaîne des pins; à l'est par le Böhmer-wald, et au sud par divers
prolongements des Alpes tyroliennes. Ce vaste bassin se divise naturelle-
ment en deux parties ou bassins secondaires. Le premier, ou le septen-
trional, est celui que traverse la Begnitz ; il n'est, à proprement parler,
que celui du Mein. Il est circonscrit par deux branches partant du point
où la Regnitz prend sa source, et dont l'une se dirige à droite, sous le nom
de Franken-wald, pour aller se rattacher au Fichlel-gebirge ; tandis que
l'autre, sous celui de Steiger-wald, se prolonge jusqu'à la chaîne du Spes-
sart, dont elle n'est séparée que par le cours du Mein. La principale pente
de ce bassin est dirigée du sud au nord; c'est aussi cette direction que
suit la Regnitz avant d'aller se réunir au Mein. Le second bassin, ou le
méridional, plus important que le premier, est traversé par le Danube ; il
est formé par les ramifications du Franken-wald et du Steiger-wald, et par
les autres montagnes que nous avons nommées : celles qui s'élèvent au
nord du fleuve sont bien moins importantes que celles qui se prolongent
au sud; aussi les affluents qu'il reçoit sur sa rive gauche sont-ils moins

254
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
considérables que ceux de la rive droite. Les trois qui méritent d'être cités
par leur étendue sont l'Altmühl, qui descend du Steiger-wald, le Naab,
qui descend du Fichlel-gebirge, et la Regen, qui prend sa source dans le
Bbhmer wald. Mais sur sa rive droite, ce sont VIller,\\e Lech, l'Isar ou
Viser et l' Inn, qui ont leurs sources dans les Alpes. La principale pente
de ce bassin est dirigée vers le nord-est. Les diverses ramifications de ces
montagnes forment des vallées larges et des plaines basses dont le sol est
ordinairement marécageux. La plaine la plus étendue occupe l'espace
compris entre Ratisbonne et Osterhofen, c'est à-dire une longueur de
15 lieues sur une largeur un peu moins considérable.
Le bassin du Danube nous montre donc d'une manière distincte la sépa-
ration de deux grands systèmes de montagnes : celui des Alpes au sud du
fleuve, et celui des monts Hercynio-C'arpalhiens au nord, comme nous
l'avons dit dans les généralités sur la géographie physique de l'Europe.
Nous avons indiqué la disposition de ces montagnes. Cependant quel-
ques détails sur le Spessart, le Rhöne-gebirge et le Böhmer wald, nous
donneront les moyens de compléter la géographie physique de la Bavière..
La chaîne du Spessart commence sur les bords du Mein, à l'endroit où
le cours de cette rivière la sépare de la chaîne de l'Oden-wald. L'extré-
mité la plus rapprochée du Mein porte le nom d'Engelsberg ; elle se dirige
vers le nord en projetant des rameaux au sud-ouest et au sud-est, et va
se rattacher à la chaîne du Rhöne-gebirge ; plusieurs ruisseaux, tributaires
du Mein, y prennent leur source. La hauteur moyenne do la chaîne est
d'environ 400 mètres. Les plus hautes cimes sont celles du Hohe-Wart,
qui s'élève à 600 mètres, et du Geyersberg, qui en a 624.
Le Rhone-gebirge occupe une étendue plus considérable que le Spes-
sart; à l'ouest il va se rattacher à la chaîne du Vogelsberg, et à l'est
celle du Thüringer-wald ; il fournit au Mein deux affluents, le Sinn et
la Saale.
Le Fichlel-gebirge, qui unit le Rhone-gebirge au Bohmer-wald, est en
grande partie granitique comme ces deux chaînes. Sa cime la plus élevée
est le mont Ochsen-Kopf. Deux petites rivières en descendent pour former
le Mein : l'une est le Mein blanc, et l'autre, au sud de celle-ci, est le Mein
rouge. Le lit de la première, à Culmbach, comparé à celui de la seconde,
à Bayreuth, est de 45 mètres plus haut. La pente du bassin du Mein, de
l'est à l'ouest, est considérable : on l'évalue à près de 300 mètres depuis
Bayreuth jusqu'à Wiirzbourg, c'est-à-dire sur une étendue de près de 30
lieues.

EUROPE. — ROYAUME DE BAVIÈRE,
255
Le Böhmer-wald se rattache, ainsi qu'on vient de le voir, au Fichlel-
gebirge; il commence aux sources de l'Eger, et se termine aux monts
Moravcs. Long de 85 lieues, sa largeur au nord-ouest est de 6 lieues, au
centre de 8, et au sud de 1 3. Depuis son extrémité septentrionale, il s'élève
graduellement jusqu'auprès de Waldmunchen ; près de Swiesel, il atteint sa
plus grande élévation, puis il diminue graduellement jusqu'à son point de
jonction avec les monts Moraves. Sesplus hautes sommités sont l'Arber, le
Rachel et le Dreysel, ou Drey-Sesselberg. Cette chaîne, très-escarpée du
côté de la Bavière, offre des pentes beaucoup moins rapides du côté de la
Bohême; elle projette sur le sol de la première plusieurs ramifications dont
les plus importantes sont le Greiner-wald, qui s'élevant près de Valdmun-
chen, voit couler au bas de ses pentes méridionales la Regen, affluent du
Danube, et le Bayer-wald, qui se détache du mont Rachel et va se terminer
près de Ratisbonne, en séparant le cours du Danube et celui de la Regen.
Celte rivière n'est pas la seule importante qui descende du Bohmer-wald
pour suivre les pentes du bassin du Danube : plusieurs des cours d'eau
qui forment le Naab prennent leur naissance dans cette chaîne et dans
celle du Fichtel-gebirge; il faut encore ajouter l' Ilz, qui a sa source
au pied du mont Rachel. Le Bohmer-wald offre des cimes décharnées,
des pointes en forme de pyramides et d'aiguilles, des abîmes profonds et
de nombreux marais. Les forêts qui en occupent les pentes sont peuplées
d'ours et de lynx.
Le cours du Danube partage le sol de la Bavière en deux grandes forma-
tions géogoliques. Au nord du fleuve, les terrains, y compris ceux du bassin
de la Regnitz et du Mein, appartiennent à la formation ancienne. Au
sud s'étendent, depuis le lac de Constance jusqu'au confluent de l'Inn et
du Danube, de vastes dépôts appartenant à la formation tertiaire, placés
sur des roches plus anciennes, qui vont s'appuyer sur les granites de la
chaîne des Alpes.
On trouve au nord du Danube, dans les terrains d'alluvion de la Regen,
de l'Altmühl et du Mein, des ossements fossiles, et dans le Steiger-wald
des cavernes remplies de ces mêmes ossements.
La partie la plus élevée et la plus méridionale de la Bavière se ressent du
voisinage et de l'influence des Alpes; les lacs y sont nombreux, plusieurs
ont une étendue considérable. Ainsi, sans compter celui de Constance,
dont une très-faible partie dépend de ce royaume, nous pouvons en citer
huit importants par leur superficie : celui de Ammer, d'où sort une rivière
de ce nom qui va se jeter dans l'Isar ; celui de Wiirm, celui de Chiem,

256
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
qui alimente la petite rivière d'AIz, affluent de l'Inn, et d'où s'élèvent
plusieurs îles, sont les plus étendus-, ajoutons le Staffel, le Kochel, le
Walchen, le Tegern, et le Bartholomœus, ou le lac Royal, nous aurons
relaté ceux qui méritent le plus d'être cités. D'autres moins vastes, ainsi
que beaucoup d'étangs, sont, avec ceux que nous venons de nommer, une
sorte de richesse pour cette partie de la Bavière, par les pêches abondantes
auxquelles ils donnent lieu.
On compte aussi dans la Bavière beaucoup de sources minérales : les
plus fréquentées sont celles de Siechersreuth ou d'Alexandre, situées dans
la contrée pittoresque du Fichlel-gebirge; les bains de Kissing en, dans
une vallée arrosée par la Saale, à 13 lieues au nord de Würzbourg ; dans
la même contrée, les eaux acidules et ferrugineuses de Rocklet et de Brüc-
kenau; et dans la partie méridionale du royaume, celles de Hardecker, qui
se consomment presque exclusivement à Munich.
Le climat de ce pays est généralement sain et tempéré : l'élévation du
sol et le voisinage des montagnes apportent cependant des modifications
considérables dans la température : au midi du Danube, l'air est vif, on
éprouve des hivers longs et rigoureux; c'est la partie la plus élevée de la
Bavière, c'est celle qui est le plus exposée à l'influence des glaciers éter-
nels des Alpes. Dans la région du Böhmer-wald, les vents du nord-est
rendentle climat sec et âprev ; au nord, le Fichlel-gebirge donne à la contrée
de la Haute-Franconie une âpreté moins grande peut-être, parce que les
vallées s'y étendent de l'est à l'ouest, et que les montagnes y modifient l'in-
fluence des vents du nord. Dans un grand nombre de lieux, le printemps et
l'été sont humides et pluvieux; mais dans les vallées ouvertes au sud, les
chaleurs de l'été sont souvent excessives. De toutes les saisons, la plus belle
est ordinairement l'automne.
Avant de nous occuper des produits naturels, des richesses agricoles et
de l'industrie de la Bavière, jetons un coup d'œil en arrière, voyons quels
étaient les peuples antiques qui habitaient cette contrée.
Elle était occupée jadis par deux nations considérables que séparait le
Danube. Au nord du fleuve s'étendaient les Hermunduri, au sud les Vinde-
lici. Les pentes du Bôhmer-wald ou de la forêt de Bohême, que les anciens
appelaient Gabrila Sylva, jusqu'au bord du Danube, et depuis l'embou-
chure du Naab jusqu'à celle de l'Ilz, étaient habitées par les Narisci,
peuple moins considérable que les deux précédents. Les Hermunduri ado-
raient, suivant Tacite, Mars et Mercure; ils eurent souvent des démêlés
et des guerres sanglantes avec les Catti leurs voisins, mais situés plus au

EUROPE. — ROYAUME DE BAVIÈRE.
257
nord. Dans ces luttes cruelles, ils vouaient l'armée ennemie à leurs dieux-,
alors, s'ils étaient vainqueurs, ils massacraient sans pitié les hommes et les
chevaux de l'armée vaincue. Ces peuples se soumirent cependant aux
armes des Romains, dont ils devinrent les alliés les plus fidèles, aussi
étaient-ce les seuls Germains, dit l'historien latin, qui communiquassent
librement avec les Romains, et qui pussent parcourir sans gardes les colo-
nies limitrophes; «et tandis, ajoute-t-il, que nous ne faisons voir aux
autres peuples que nos armes et nos camps, nous ouvrons à ceux-ci nos
maisons de la ville et de la campagne, qui n'excitent point leur cupidité».
Les Narisci, qui, suivant Tacite encore, habitaient près des Hermun-
duri, ne leur cédaient point en bravoure; nous avons peu de renseigne-
ments sur ce peuple. Ptolémée et Dion Cassius ne donnent sur leur
compte aucune particularité remarquable; mais nous devons faire obser-
ver que le premier de ces deux auteurs les appelle Varisti, et le second
Naristœ.
Les Vindelici s'étendaient depuis le lac de Constance ( lacus Venetus)
jusqu'au confluent de l'Inn et du Danube; ce fleuve leur servait de limite.
Suivant d'Anville, ils doivent leur nom à deux rivières, le Vindo, qui est
aujourd'hui le Wertaeh, et le Licus, aujourd'hui le Lech, sur le bord
desquelles ils avaient dès la plus haute antiquité leurs principaux établisse-
ments. Cette étymologie paraît assez naturelle. Les Vindelici furent soumis
par les Romains, et leur pays reçut de ceux-ci le nom de Vindelicia; il fut
joint ensuite à la Rhélie (provincia Rhœtia), dans laquelle furent établies
plusieurs colonies romaines. La plus importante paraît avoir été celle qui reçut
d'Auguste le nom d'Augusta Vindelicorum, aujourd'hui Augsbourg, quedans
les transactions commerciales on désigne encore sous le nom d'Auguste.
Une autre assez considérable fut Gambodunum, qui paraît être Kempten.
Ralisbonne, sur le Danube, a conservé dans celui de Regensberg son
ancien nom de Regina, qui lui vient de la rivière de la Regen à l'embou
chure de laquelle elle se trouve. Passau est l'ancienne Batava-Castra.
Enfin, Neu-Oetting, près de Muhldorf, paraît être le lieu nommé Pons-
Œni, ainsi que le confirment les restes d'une voie romaine découverte
dans ses environs.
La Bavière est le plus ancien duché de l'Allemagne; elle a conservé
depuis le cinquième siècle son titre, son nom et même une partie de son
antique constitution; les Allemands l'appellent Rayern, et ce nom rap-
pelle celui de Boii, l'un des peuples germains refoulés dans la Bohême
par les Romains, et qui en sortirent vers l'an 450 avec les Barbares con-
VII.
33

258
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
nus sous le nom d'Ostrogoths. Ce duché était encore appelé Boiaria dans
le moyen âge : il s'étendait plus loin vers Test que le royaume actuel. Le
premier chef ou duc des Bavarois paraît être Aldiger ou Aldeger. On croit
qu'il prit le titre de roi en 456, titre que ses successeurs conservèrent
jusqu'au neuvième siècle presque sans interruption. Charlemagne fit la
conquête de ce pays sur le roi Tasillon III·, plus tard il échut à son petit-
fils, Louis le Germanique. Les successeurs de cet empereur abandonnè-
rent l'administration de la Bavière à des margraves qui bientôt se rendirent
indépendants. Othon III, comte de Wittelsbach, qui régnait en 1101, est
regardé comme la souche de la maison royale actuelle de Bavière. Au
quatorzième siècle, cette maison se divisa en deux branches : la branche
Palatine ou Rodolphine, dont les descendants sont encore aujourd'hui sur
le trône de Bavière, et la branche Bavaroise ou Ludovicienne, qui s'étei-
gnit en 1777. La Bavière s'était montrée fidèle alliée de la France ; Napo-
léon l'érigea en royaume en 1806 en augmentant son territoire aux dépens
des États voisins et surtout de l'Autriche. A la paix de 1815, elle perdit la
plupart de ses annexes, mais les grandes puissances lui conservèrent son
titre de royaume et lui cédèrent par compensation, en France, une petite
partie de l'ancienne province d'Alsace avec Landau, une portion des
évêchés de Worms et de Spire, et l'ancien duché de Deux-Ponts.
Le sol des régions montagneuses de la Bavière proprement dite est d'une
qualité médiocre; mais dans les plaines basses et dans les vallées il est
très-productif. Dans le nord, les terres livrées à la culture sont générale-
ment légères; dans la partie méridionale, elles sont grasses et fortes. Le
gouvernement bavarois cherche à encourager l'agriculture, mais il aura
bien à faire pour vaincre l'indolente apathie et l'ignorance routinière des
paysans, qui sont autant d'obstacles à toute espèce de perfectionnement.
Près d'un tiers des terrains de l'Isar, du bas Danube et de la Regen est
encore inculte. Près d'un cinquième de la superficie de la Bavière propre-
ment dite est composé de terres vagues qui ne produisent que de mauvais
pâturages. L'administration a, dans ces dernières années, fait dessécher
des marais et rendu à la culture des terres considérables; mais ces opéra-
tions utiles exigent des dépenses qui s'opposent à l'accomplissement rapide
d'un pro,et dont la nécessité et les résultats sont du plus haut intérêt.
A quoi tiennent les différences que l'on remarque entre le rapport des
terres de même qualité, dans une contrée soumise à la même admi-
nistration, si ce n'est au degré de lumières et d'instruction des cultiva-
teurs?

EUROPE. —ROYAUME DE BAVIÈRE.
259
La Bavière a été pendant longtemps le pays de l'Allemagne le plus
arriéré sous le rapport de l'agriculture. Aujourd'hui même, malgré les
encouragements du gouvernement, cette branche si utile des connais-
sances humaines n'est point aussi avancée ici que dans l'Allemagne sep-
tentrionale, mais elle γ fait chaque jour de rapides progrès. En vertu d'une
loi de l'État, toutes les grandes routes sont bordées d'arbres fruitiers,
principalement de cerisiers et de pommiers. Ces arbres sont élevés dans
des pépinières aux frais du gouvernement et vendus au prix de revient à
tous les particuliers.
Les cercles de Souabe, de Haute, Basse et Moyenne-Franconie et celui
de la Haute-Bavière sont les mieux cultivés et ceux qui récoltent le plus de
céréales. Les produits n'y sont point, il est vrai, aussi considérables que
dans la Basse-Saxe et dans la Flandre, mais les habitants sont laborieux
et susceptibles de comprendre leurs intérêts ; ces cercles de la vieille
Bavière seront donc longtemps les plus riches et ceux dont l'abondance
des récoltes compensera l'insuffisance de celles des autres cercles. Les
deux derniers que nous venons de nommer produisent non-seulement des
grains, mais du vin, des légumes et des fruits. Dans les montagnes du
Spessart ('agriculture, autrefois négligée, fait chaque jour de nouveaux
progrès: les pommes de terre forment avec le pain la principale nourri-
turc des habitants. Dans quelques autres districts, comme dans ces mon-
tagnes, les récoltes suffisent à peine à la consommation-, cependant, nous
devons le dire, l'administration veille aux moyens de répandre les lumières
chez le peuple, et la Bavière trouvera un jour dans l'agriculture des élé-
ments de prospérité.
La Bavière produit beaucoup plus de céréales qu'elle n'en consomme.
On y récolte annuellement 70,000 quintaux de houblon, dont 30,000 sont
vendus à l'étranger. La culture de la vigne est un objet important dans les
deux cercles de la Haute et de la Basse-Franconie, ainsi que dans le Pala-
tinat et dans la Haute-Bavière. Parmi les vins que fournissent ces contrées,
celui que l'on nomme Steinwein jouit d'une grande réputation. On peut
évaluer à 1 million d'hectolitres la quantité de vins que produisent les
vignobles du territoire bavarois.
Les bestiaux forment, après l'agriculture, la principale branche de la
richesse territoriale : les prés qui s'étendent le long des rivières en favo-
risent l'accroissement et la multiplication-, il est môme à remarquer que
dans les départements où la culture est arrivée à un certain degré de per-
fection, les moyens d'améliorer les races se sont multipliés: dans les

260
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
cercles de la Haute, de la Moyenne et de la Basse-Franconie, le système
des irrigations, pratiqué avec zèle, a donné naissance à de magnifiques
prairies qui servent à engraisser de nombreux troupeaux; il semblerait
qu'une industrie ne s'établit point sans en faire naître une autre. Cepen-
dant on y voit peu d'animaux de belle race : la contrée la plus riche, sous
ce rapport, est celle qui s'étend sur les pentes des Alpes : les bêtes à cornes
pourraient y rivaliser, par la beauté, avec celles de quelques cantons
de la Suisse ; il est vrai aussi qu'elles forment la principale richesse de
cette partie élevée de la Bavière qui s'étend au sud de Munich.
Les cercles les plus riches en chevaux sont ceux de la Haute et de la
Basse-Bavière et de Souabe; en bêtes à cornes, ceux de Souabe, de Haute-
Bavière et de Basse-Franconie ; en brebis, ceux de Basse-Franconie, de
Moyenne-Franconie et de Haute-Bavière. Enfin, l'éducation des abeilles
est encore une des occupations les plus lucratives de quelques proprié-
taires. Elle est cependant moins répandue qu'autrefois, quoique l'usage
de la cire le soit beaucoup plus: c'est dans les cercles de Souabe et de
Moyenne-Franconie qu'on s'en occupe avec le plus de succès. Il en est
donc de l'entretien des animaux domestiques comme de l'agriculture : les
Bavarois sont également arriérés dans ces deux branches de l'économie
rurale. C'est sur la qualité comme sur la quantité qu'ils doivent porter
leurs soins ; car le nombre des bestiaux n'est pas considérable.
La science de l'horticulture a pris plus d'extension; on cite plusieurs
établissements importants de jardiniers-fleuristes et de pépiniéristes. La
culture des légumes s'étend principalement dans les environs des grandes
villes. Nous avons déjà dit que les cercles de la Moyenne et de la Basse -
Franconie possèdent plusieurs vignobles; c'est dans le premier que se font
les vins de Franconie, dont les meilleurs crus se trouvent sur les bords du
Lieste, près du Steinberg, aux environs de Saleck et de Wurzbourg. On
cite encore les vignes de Calmuth, d'Eiweilstadt, de Sommerach et
d'Eschendorf. La Bavière en possède aussi sur les bords du lac de
Constance. En général, la vigne paraît être cultivée dans ce pays avec
intelligence.
La conservation des bois et des forêts est un des objets dont s'occupe
le plus le gouvernement bavarois; leur exploitation fait vivre plusieurs
milliers d'individus. Les arbres les plus communs sontle chêne et le hêtre :
le premier y déploie un grand luxe de végétation; le second, beaucoup
plus commun, atteint fréquemment une hauteur de plus de 32 mètres. La
culture y a introduit le bouleau, le frêne et plusieurs espèces de conifères.

EUROPE. — ROYAUME DE BAVIÈRE.
261
Les forêts les plus considérables sont celles du Spessart, du Rhöne-gebirge,
du Zwiesler, du Mitten, du Kulwald, du Retzer, du Lorenz, et celles de
environs de Kempten. Les cercles les plus riches en forêts sont ceux de la
Haute-Bavière, de la Basse-Franconie, du Haut-Palatinat et de Souabe. On
peut évaluer leur superficie à environ 5,740,000 journaux, ou arpents du
pays. On a calculé qu'elles occupent 29 pour 100 des terres du royaume,
ce qui fait à peu près 8 arpents par famille.
La Bavière possède plusieurs carrières de meules, plusieurs exploita-
tions de pierres à aiguiser, des houillères, des mines de plomb et de cuivre;
mais ces diverses substances minérales ne sont point à comparer, pour
l'importance des produits, à ceux qu'elle retire de ses salines et de ses
mines de fer. Les sources salées les plus considérables sont celles du
cercle de l'Isar, celles de Reichenhall, de Traunstein et de Rosenheim.
Elle produisent par an près de 400,000 quintaux de sel ; la mine de Ber-
chlesgaden en fournit plus de 150,000, celle d'Orb 24,000 celle de Kissingen
16,000 ; mais ces produits sont insuffisants pour la consommation du
pays qui est, pour cette denrée, tributaire de ses voisins.
Les plus importantes mines de fer sont celles du territoire d'Amberg,
puis viennent celles des cercles de Haute-Franconie, de Haute-Bavière. Dans
la Bavière proprement dite, le cercle de la Haute-Franconie est le seul où
l'on exploite de la houille, mais le produit ne dépasse pas le quart de ce
que l'on retire des mines de houille du Palatinat.
L'industrie est encore moins avancée en Bavière que l'agriculture;
cependant les manufactures y sont assez nombreuses. On compte quelques
forges et usines dans les seuls cercles du Haut-Palatinat et de la Haute-
Franconie, plusieurs fabriques de fil de fer et 2 manufactures d'armes.
D'autres établissements ne pourront parvenir au degré de perfection con-
venable qu'à force d'encouragement : les filatures sont encore dans l'en-
fance; les tisserands ne livrent à la consommation que des toiles grossières;
on tire de l'étranger les toiles fines. Il en est de même des tissus de laine;
aussi les draps et les casimirs forment-ils une branche considérable d'im-
portation. La Bavière ne peut donner en échange de ces produits que des
fils de chanvreetde la laine filée pour les tapis communs. Les toiles de colon
et tout ce qui tient à la bonneterie se fabriquent et se consomment dans
le pays. Il est pourtant quelques branches d'industrie dans lesquelles les
Bavarois ont acquis sur leurs voisins une supériorité reconnue ; ainsi les
cuirs, qui sont un objet important d'exportation; les papiers, dont ils four-
nissent la Saxe ; les instruments de musique, de chirurgie et de mathéma-

262
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME,
tiques fabriqués à Munich sont recherchés en Allemagne ; et les cartes à
jouer de Nuremberg sont expédiées dans les différentes parties du monde.
Les produits de ces diverses branches d'industrie prélèvent annuellement
sur l'Allemagne et sur l'Europe un tribut de plus de 80,000,000 de francs.
Nous ne parlerons point des manufactures de coutil, de batiste et de den-
telles; leur nombre, assez restreint, n'occupe point une place importante
dans l'industrie de ce pays.
D'après ce que nous venons de dire des produits industriels de la Bavière,
on ne sera point étonné que son commerce soit peu important; heureuse-
ment pour ce pays que sa situation favorise les communications entre
plusieurs Étals et entretient une grande activité dans le commerce de tran-
sit. Le cours des principales rivières navigables, telles que le Danube, le
Rhin, le Mein, la Regnitz, l'Inn et le Salzach; deux canaux navigables;
celui qui sert à faire communiquer le Rhin avec la vallée de la Franconie,
et le canal Louis, commencé par Charlemagne, qui joint le Danube au
Rhin par l'Altmühl, la Regnitz et le Mein ; les routes nombreuses et assez
bien entretenues, qui occupaient déjà en 1812 une étendue de plus de
1,080 milles allemands, ou 1,793 lieues-, le service des postes, très cher
mais fort expéditif, trois lignes importantes de chemins de fer sillonnant
l'étendue du royaume dans différents sens , favorisent les transactions
commerciales.
D'après les documents publiés par l'administration, la population du
royaume de Bavière était, au commencement de 1826, de 4,037,000 indi-
vidus; au commencement de 1853, on l'évaluait à 4,559,452, savoir :
2,234,092 hommes et 2,325,360 femmes. Sur ce nombre il y a environ
3,070,000 catholiques, 1,200,000 protestants, 3,800 réformés et 65,000
Israelites. Le reste appartient aux autres confessions chrétiennes.
La Bavière ne reconnaît point de religion de l'État, les consciences y
sont libres : les catholiques, les luthériens et les réformés jouissent de
droits égaux ; le gouvernement n'intervient jamais dans les questions qui
ont quelque rapport au culte, mais il exerce sur tous une surveillance
impartiale. D'après le dernier concordat, le royaume est divisé en deux
archevêchés, dont l'un est à Munich et l'autre à Bamberg, et en six évô-
chés : ceux de Passau, de Ratisbonne et d'Augsbourg, et les évêchés
suffragants d'Eichstädt, de
Würzbourg et de Spire. Le culte protestant est
sous l'autorité du consistoire de Munich, et les Israélites sous celle de leurs
rabbins, dont la nomination est soumise à l'approbation du gouver-
nement.

EUROPE. — ROYAUME DE BAVIÈRE.
263
Les peuples de la Bavière ont conservé quelques traits caractéristiques
des différentes souches dont ils sortent : l'habitant de l'ancienne Souabe
est ignorant, superstitieux et sobre; le Franc ou peuple de l'ancienne
Franconic, est rusé, actif et entreprenant; le Bavarois proprement dit,
celui qui descend du mélange des Vindelici et des Boii, est sérieux, loyal,
fidèle à ses engagements, constant dans ses affections, attaché aux céré-
monies religieuses plutôt qu'aux préceptes de la religion, et prêt à tout
faire pour la patrie, si le prêtre le lui prescrit au nom de la divinité.
Le gouvernement cherche avec un zèle digne d'éloges à répandre dans
les populations une instruction solide et profitable; depuis longtemps des
notions assez étendues d'agriculture font partie de l'enseignement pri-
maire. Chaque paroisse possède une école élémentaire; on en rencontre
même dans presque tous les villages. La classe aisée est mieux partagée
sous ce rapport : des lycées, des colléges et des universités sont établis
dans plusieurs villes, mais leur nombre est loin d'être suffisant pour une
nation qui a le droit de prétendre à tenir un rang parmi les plus éclairées,
et qui paraît digne de la liberté.
La constitution politique de la Bavière remonte à l'année 1818, et
ressemble en plusieurs points aux constitutions qui furent, vers le même
temps, accordées au grand-duché de Bade et au royaume de Wurtemberg
Le pouvoir monarchique est limité par les attributions des chambres;
cependant le domaine des ordonnances ne laisse pas d'être étendu. L'éga-
lité des charges et des droits est proclamée, mais des réserves sont faites
en faveur des fiefs et des possesseurs de fiefs. La liberté des consciences
est reconnue, mais les trois communions chrétiennes sont seules admises
à la jouissance des droits politiques. La noblesse bavaroise jouit encore
d'immenses priviléges. A la tête de l'administration se trouve un conseil
d'État duquel font partie les sept ministres, six conseillers d'Étal et les
princes du sang désignés par le roi. Les états-généraux sont composés de
deux chambres : la première chambre est celle des sénateurs, elle comprend
des membres de la haute noblesse; leur titre est héréditaire. La seconde
chambre, dont les membres sont nommés pour six ans, est formée par les
représentants des grands propriétaires, des universités et des villes. Ces
états sont convoqués tous les trois ans et ils ont le droit de soumettre
leurs vœux et leurs propositions ; ils peuvent aussi recevoir des citoyens et
des communes les remontrances sur la violation des droits constitutionnels.
On compte en Bavière cinq ordres de chevalerie, dont le roi est grand-
maître, savoir : l'ordre de Saint-Hubert, celui de Saint-Georges, celui do

264
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
Saint-Michel, l'ordre militaire de Max-Joseph, et l'ordre du Mérite-Civil.
L'armée qu'entretient la Bavière répond par son importance au rang que
cet État occupe dans la Confédération germanique. La force militaire de
ce royaume se compose, en temps de paix, de 71,540 hommes et de 6,682
chevaux, qui se recrutent par la conscription; d'une réserve importante,
et d'une garde nationale. Son contingent pour la Confédération est de
68,391 hommes. Le temps du service est fixé à cinq ans. La gendarmerie,
instituée pour la sûreté du pays, est forte de 1,693 hommes. Tous les
hommes valides sont assujettis à faire partie de l'armée, soit dans le service
actif, soit dans la réserve ou dans la landwehr.
Le revenu de la Bavière est d'environ 125,000,000 de francs, et sa dette
publique de plus de 500,000,000. Ces résultats sont peu satisfaisants ;
mais de nombreuses réformes, des économies sagement entendues, faites
non-seulement dans les dépenses de l'État, mais dans celles de la cour, une
plus juste répartition de l'impôt, ne peuvent manquer d'améliorer la situa-
tion du royaume. D'ailleurs il faut attribuer en partie l'augmentation de
cette dette à l'emprunt fait pour la construction de chemins de fer.
Les possessions de la Bavière forment huit cercles ou départements,
qui portaient, avant 1837, les noms de cercles de l'Isar, du Danube infé-
rieur, de la Regen, du Mein supérieur, de la Rézat, du Danube supérieur,
du Mein inférieur et du Rhin. Ces noms ont été changés depuis. Voici
ceux que portent aujourd'hui les huit cercles, et leur concordance avec
l'ancienne division :
Haute-Bavière (ci-devant en grande partie le cercle de l'Isar); Basse-
Bavière (ci-devant Bas-Danube); Palatinat (ci-devant cercle du Rhin);
Palatinat supérieur et Batisbonne (ci-devant cercle de la Regen); Haute-
Franconie (ci-devant cercle du Haut-Mein ; Moyenne-Franconie (ci-devant
cercle de la Rézat); Basse-Franconie et Aschaffenbourg (ci-devant cercle
du Bas-Mein); Souabe et Neubourg (ci-devant Haut-Danube).
Réservons, ainsi que nous l'avons annoncé, le Palatinat pour une
description particulière, et commençons notre excursion chorographique
par la Haute-Bavière, dont le chef-lieu est en même temps la capitale du
royaume.
Au milieu d'une vaste plaine, et entre les collines de l'Isar et du
Galgen, Munich s'annonce de loin comme une grande cité; après Vienne,
on peut la compter au nombre des plus belles villes de l'Allemagne. C'est
d'ailleurs une de celles qui se sont embellies et agrandies le plus rapide-
ment, malgré l'ingratitude de son climat et du soi de ses environs. Son

EUROPE. — ROYAUME DE BAVIÈRE.
265
sol, arrosé par l'Isar, qui n'y est pas navigable et qui y forme plusieurs
îles, est élevé de 625 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle a une
enceinte murée, 7 portes et 6 faubourgs : ceux d'Au, de Ludwig, de
Schönfeld, de Maximilien, de Sainte-Anna et de l' Isar. La ville n'est pas
régulièrement bâtie. Au milieu de constructions modernes, on voit s'éle-
ver plusieurs édifices du moyen âge ; cependant on y remarque beaucoup
de rues larges, bien alignées, bordées de trottoirs, garnies de maisons
élégantes et de magnifiques hôtels, du moins en apparence, car plusieurs
de ces habitations, ornées de colonnes et de portiques, ne sont que des
édifices en briques revêtues de plâtre. Elle possède plusieurs places
magnifiques parmi lesquelles nous citerons la Haupt-Platz, place princi-
pale située au milieu de la ville.; la place Max Joseph, décorée de la statue
en bronze du roi Maximilien; et les places d'Armes et Caroline; sur cette
dernière est un obélisque de 35 mètres de hauteur, érigé en l'honneur
des soldats bavarois morts pendant la campagne de Russie. La ville
est divisée en quatre quartiers appelés : Anger, Hacken, Graggenauer-
Vierlel et Kreuz. Ce qui contribue à embellir Munich, ce sont ses places
publiques, telles que celles que nous venons de nommer; ce sont les
palais de Max, de Guillaume ou de Fugger, des États-Généraux; le
ministère de l'intérieur, l'hôtel-de-ville, la nouvelle monnaie, la douane,
l'arsenal, le nouveau manège; les deux principaux théâtres, dont l'un, le
nouvel Opéra, est un des plus beaux de l'Europe; le palais de Leuchten-
berg ; l'hôpital général, celui du Saint-Esprit; le muséum; la Glyptoithèque
ou musée de sculpture, l'un des plus beaux édifices de l'Allemagne; la
Pinacothèque ou musée de peinture, monument qui n'est pas moins
remarquable que le précédent; l'académie des sciences, jadis collége des
jésuites, et le plus magnifique qu'ils possédassent en Europe ; et surtout
le palais royal, dont l'architecture est irrégulière, mais dont l'intérieur
est de la plus grande magnificence et l'étendue si considérable, que l'on
disait autrefois qu'on y pourrait loger tous les rois de la chrétienté. Nous
citerons, pour son élégance et sa richesse, la chapelle de la cour, dans
laquelle on admire un tableau de Michel-Ange et plusieurs autres curiosités.
La nouvelle résidence royale, appelée Königsbau, et bâtie en grès sur
le modèle du palais Pitti, à Florence, efface encore la magnificence de ce
palais.
Parmi les vingt-six églises de Munich, nous n'en citerons que trois :
celle de Notre Dame ( Frauen-Kirche) ou la cathédrale, renferme plusieurs
tableaux de prix et le beau mausolée de l'empereur Louis de Bavière. Ses
VII.
34

266
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
deux tours, élevées de 100 mètres, sont souvent visitées par les curieux
qui vont y jouir d'une vue magnifique. Celle de la Trinité passe à tort
pour avoir été bâtie sur le modèle de celle du Vatican à Rome : c'est une
rotonde avec une coupole qui repose sur 18 colonnes d'ordre corinthien.
Celle de Saint-Michel est une des plus belles églises de l'Allemagne. On y
remarque un monument à la mémoire du prince Eugène Beauharnais, qui
fait honneur au ciseau du sculpteur danois Thorwaldsen.
Munich possède plusieurs collections publiques du plus haut intérêt-,
les plus importantes sont le musée royal de peinture ou Pinacothèque, le
musée des antiques ou Glyptothèque, la bibliothèque de la cour et de
l'État, la bibliothèque de l'université et le conservatoire général. L'aca-
démie des sciences, le principal corps savant de Bavière, fondée en 1709,
a sous sa surveillance les collections du conservatoire général, ainsi que
l'observatoire et le jardin botanique. Munich possède en outre une aca-
démie des arts.
Celte capitale a plusieurs établissements d'instruction de divers genres :
le principal est l'université, qui était autrefois à Landshut, et qui, après
avoir subi de grandes améliorations, est devenue l'une des plus considé-
rables de l'Europe; l'institut royal des études, qui se divise en quatre
écoles de différents degrés, et dans lequel plus d'un millier d'élèves se
préparent à suivre les cours de l'université; l'école de médecine et de cli-
nique, l'école centrale vétérinaire, l'école des beaux-arts, celle de topo-
graphie pour l'instruction des ingénieurs-géographes; l'école forestière,
destinée à former les gardes et les inspecteurs des forêts; l'académie
militaire, celle d'artillerie, l'école polytechnique centrale, celle de con-
struction ; enfin l'institut des sourds-muets, celui des demoiselles appelé
institut Maximilien, et destiné aux jeunes filles des familles distinguées;
le lycée et deux gymnases. Nous ne devons point oublier l'institut mathé-
matique et mécanique de Reichenbach, renommé pour le fini et la précision
des instruments sortis de ses ateliers; l'institut géographique, fondé par le
baron Cotta, et le grand établissement lithographique de M. Sennenfelder,
inventeur de la lithographie, qui, apportée par lui en France, y est par-
venue au plus haut degré de perfection.
Outre ces établissements qui font honneur à Munich, il en est plusieurs
exclusivement réservés à l'éducation des classes pauvres : tels sont l'école
destinée aux jeunes gens sans fortune et l'école gratuite des dimanches et
fêtes pour les hommes et les femmes. Elle possède aussi des sociétés phi-
lanthropiques et plusieurs établissements publics destinés au soulagement

EUROPE. — ROYAUME DE BAVIÈRE.
267
des indigents. Hôpitaux pour les deux sexes, maisons d'orphelins, hospices
d'enfants trouvés, établissement pour les aliénés, rien ne manque sous ce
rapport à Munich. Les enfants que l'on surprend à mendier dans les villes
et dans les campagnes sont soustraits à cet état dégradant qui engendre
tant de vices, et sont élevés aux frais du gouvernement, jusqu'à ce que
par leur travail ils soient en état de gagner leur subsistance. Plusieurs
maisons d'arrêt et de correction sont destinées aux criminels et aux
vagabonds.
La plus grande partie de la population de Munich, que l'on évaluait en
décembre 1852 à 106,776, avec les faubourgs, ne subsiste que des
dépenses de la cour et des emplois du gouvernement. Quoique la ville
renferme quelques fabriques de drap, de quincaillerie et de bijouterie,
plusieurs tanneries, des brasseries considérables, et une manufacture de
tapisseries de haute-lice, que l'on prétend être au niveau de celle des
Gobelins ; quoiqu'il s'y tienne plusieurs foires par an, et des marchés
de grains toutes les semaines, on peut dire que le commerce y est peu
important : le seul qui ait quelque activité est celui d'expéditions.
Parmi les principales promenades nous citerons le Praler, dans une
île de l'Isar : c'est un jardin qui sert de rendez-vous aux fumeurs; le
Jardin anglais, qui est pour cette capitale ce qu'est le Thiergarten pour
Berlin. Ce jardin est traversé par l'Isar : il est très-vaste et fort bien
dessiné. Près de là se trouve le jardin de la cour (Hofgarten), entouré
d'arcades sous lesquelles on a fait exécuter par les meilleurs artistes bava-
rois une suite de peintures à fresque qui représentent les principaux
événements de l'histoire de Bavière, depuis le treizième siècle jusqu'à nos
jours.
Munich est en communication avec Francfort, Cologne, Dresde,
Berlin et les autres villes de l'Allemagne septentrionale et centrale par une
ligne de chemin de fer qui, se dirigeant vers le nord, dessert en même
temps plusieurs villes importantes du royaume, telles que Augsbourg,
Nordlingue, Nuremberg et Bamberg. D'Augsbourg, un embranchement
va vers le sud-ouest rejoindre Lindau, sur le lac de Constance, et un
autre va à Ulm rejoindre la ligne du Wurtemberg. Le chemin de fer de
Munich doit être continué vers l'est pour rejoindre Vienne, par Rosenheim,
Salzbourg et Bruck.
Les environs de Munich présentent un grand nombre de lieux qui attirent
les promeneurs pendant les jours de fête : tels sont principalement Gross-
Hesselohe, le village de Paesing, dont la route est charmante ; celui do

268
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
Bogenhaüsen, où l'on voit un château, des bains et un nouvel observa-
toire ·, les bords de l'Isar, sur lequel on a élevé près de la ville un nouveau
pont de fer ; enfin les différents châteaux royaux situés à des distances
plus ou moins considérables de la ville. Le roi réside ordinairement l'été
à Nymphenbourg, village situé à une lieue et demie au nord-ouest de
Munich. Le château est bâti sur le modèle de celui de Versailles : on y
remarque une belle galerie do tableaux; le parc et ses belles eaux en font
un séjour délicieux. Schleissheim, à 3 ou 4 lieues au nord de la capitale,
est regardée comme une des plus magnifiques résidences de l'Allemagne;
on y admire un superbe salon et un grand escalier. Ce palais renferme plus
de 1,600 tableaux. On y a établi une importante école d'économie rurale.
Biederstein est une autre jolie maison de plaisance avec de beaux jardins.
Au nord-ouest de Munich, le roi possède le château de Landshut, situé
au bord de l'Isar, sur la pente d'une montagne que domine celui de
Trausnitz, bâti par les anciens ducs de Bavière. Divisée en vieille et nou-
velle ville, Landshut compte parmi ses plus beaux édifices l'ancien bâti-
ment où fut établie l'université, la chancellerie, l'hôtel-de-ville et l'église
de Saint-Martin, dont la tour a 125 mètres de hauteur. Ses établissements
de bienfaisance consistent en deux hôpitaux et en deux maisons pour les
pauvres. Il y a peu d'industrie dans cette ville; on n'y trouve que cinq
fabriques; son commerce est presque nul. Sa population est peu impor-
tante et ne s'élève qu'à 10,000 habitants. Freising, située sur l'Isar, à une
égale distance de Landshut et de Munich, renferme un château, une belle
cathédrale, un séminaire de maîtres d'école, et un institut de sourds-
muets. Sa population est de 4,000 habitants. L'évêché dont elle était le
siége a été transféré, en 1817, à Munich, et érigé en archevêché. Dans la
petite ville de Pfaffenhofen, il existe une école d'industrie et de dessin.
Landsberg, sur la rive droite du Lech, ceinte de murailles et dominée par
un château, a 10 églises et 4 hôpitaux, bien que sa population soit à peine
de 4,000 âmes.
Vers l'extrémité méridionale du royaume, un village appelé Tegernsée,
parce qu'il est situé sur le lac de Tegern, mérite de nous arrêter quelques
instants. C'est le chef-lieu d'une seigneurie de ce nom. Sa position au
pied des Alpes tyroliennes, la beauté du lac qui a 2 lieues de longueur, et
qui est entouré de montagnes boisées, en rendent l'aspect tout à fait
pittoresque. Ce village possède une ancienne abbaye, dont les bâtiments
ont été convertis en maison de plaisance. Chaque année le roi y passe une
partie de l'été pour s'y livrer aux plaisirs de la chasse.

EUROPE.— ROYAUME DE BAVIÈRE.
269
Nous venons de décrire les lieux les plus importants du cercle de la
Haute-Bavière, nous allons successivement parcourir les autres départe-
ments. Passait, chef-lieu de celui do la Basse-Bavière, est, suivant toute
probabilité, l'une des plus anciennes villes du royaume; sa situation au
confluent de l'Ilz, de l'Inn et du Danube, est extrêmement agréable. Elle
est divisée en quatre parties : la vraie ville, l'Innstadt, sur la rive droite de
l'Inn ; Ilzstadt, sur la rive droite de l'Ilz, et le faubourg (d' Anger, qui est
fortifié. Passau, ou la vraie ville, est très propre. Sa cathédrale et son
ancien palais episcopal sont ses principaux édifices; elle possède une
école militaire, une bibliothèque, un gymnase. Malgré sa position avanta-
geuse, son industrie et son commerce sont peu importants : la navigation
seule y est active. Les femmes ont la réputation d'y être belles. La ville est
peuplée de 11,500 habitants, y compris les faubourgs. Elle est célèbre par
le traité conclu en 1552 entre Charles-Quint et Maurice de Saxe, traité
qui cimenta la réformation de Luther en Allemagne. C'est dans ses envi-
rons que se trouvent les châteaux de plaisance de Freudeinheim, de
Lowenhof et de Rabengut. Près de l'Ilzstadt on voit, sur une montagne
appelée Mariahilfberg, une chapelle qui est un des lieux de pèlerinage les
plus célèbres de la Bavière. A peu de distance de cette montagne, il en est
une où l'on exploite le carbone naturel appelé graphite et dont on fabrique
les crayons de mine de plomb.
Straubing, ville de 7,000 habitants, est avantageusement située sur une
hauteur, au bord du Danube; c'est l'ancienne Castra Augustana des
Romains; elle est aujourd'hui célèbre par ses creusets et par ses poteries.
On y remarque quelques beaux édifices. Elle a un arsenal et une fonderie
de canons. Elle renferme un gymnase et plusieurs écoles : c'est dans ses
environs que se trouve la belle abbaye de l'Ober-Altaich, qui possède une
superbe bibliothèque. Bodenmaïs n'est qu'un bourg important par ses
mines et par ses fabriques de vitriol.
Ratisbonne, chef-lieu du Palatinat supérieur, fut jadis la capitale de la
Bavière et la résidence des anciens rois allemands de la race des Carlo-
vingiens. Cette vieille cité, que les Allemands appellent Regensburg, parce
que la Regen s'y jette dans le Danube, porta du temps des Romains le
nom de Castra Regina, puis celui de Augusta Tiberii; vers le commence-
ment du sixième siècle, elle prit celui de Reginenburg. Sous l'empereur
Frédéric Ier, elle reçut le litre et les priviléges de ville libre et impériale.
En 1486, elle rentra sous la domination bavaroise; mais en 1502 elle
redevint indépendante jusqu'en 1803, qu'elle échut en partage au prince

270
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME,
primat. Enfin, lorsque le grand-duché de Francfort fut fondé, elle fut
comprise, ainsi que son territoire, dans les États de la Bavière. Depuis
1662 jusqu'à cette époque, elle avait été le siége de la diète de l'Empire.
On compte à Ratisbonne plus de 22,000 habitants. Elle est entourée de
vieux remparts peu susceptibles de défense. La plus belle de ses vingt-huit
églises est la cathédrale, bâtie en 1400. L'église de Saint-Emmeran est
décorée de plusieurs bons tableaux. Nous ne citerons point ses hôpitaux
et ses nombreux établissements destinés à l'instruction ; ses musées et ses
collections scientifiques sont dignes d'une ville plus considérable, sa
galerie de tableaux est riche-, ses bibliothèques ne le sont pas moins. Au
nombre de ses plus importantes constructions, on cite le pont de quinze
arches sur le Danube, de 360 mètres de longueur; la célèbre abbaye de
Saint-Emmeran, aujourd'hui habitée par le prince de Tour-et-Taxis, qui
y a réuni de riches collections d'objets d'art et de science, et l'hôlel-de-
ville où s'assemblait la diète de l'Empire.
Ratisbonne est un point éminemment stratégique, et une des principales
stations de la navigation à vapeur sur le Danube. Dans son voisinage, à
Donaustauf, on trouve le beau et pittoresque site dans lequel le roi Louis
a fait élever le Walhalla, véritable Panthéon germanique consacré à toutes
les gloires nationales.
Stadt-am-Hof, ou la ville de la cour, est en quelque sorte un faubourg
de Ratisbonne, dont elle n'est séparée que par un pont. Cette petite cité
fut réduite en cendres en 1809, lors de la bataille de Ratisbonne, et
rebâtie avec plus de solidité et d'élégance : elle contient environ 1,500
habitants.
Le Vils, rivière qui se jette dans le Naab, traverse Amberg, à 12 lieues
au nord de Ratisbonne. Cette ville est entourée de murailles flanquées de
70 tours. Ses rues sont larges, alignées et assez bien bâties. Le château
royal, le collége, l'arsenal et l'hôtel-de-ville, bâtiment gothique, sont ses
principaux édifices. Le Vils est navigable pour les petits navires qui des-
cendent vers le Danube. Celte facilité de communication avec Ratisbonne
et plusieurs autres villes, ses nombreuses fabriques entretiennent dans
Amberg un commerce important.
Ingolstatd, sur la rive droite du Danube, passait autrefois pour l'une
des plus importantes villes de la Bavière; sa population est d'environ
6,000 âmes. Celte ville est assez bien bâtie; mais la peinluredont on pré-
tend orner les façades des maisons ne leur donne qu'un aspect bizarre.
De jolies fontaines, un château royal et plusieurs églises, s'y font remar-

EUROPE. —ROYAUME DE BAVIÈRE.
271
quer. On y a élevé, dans ces derniers temps, des fortifications qui en
font une des principales places fortes de l'Europe. Abensberg, ville de
1,500 âmes, sur la petite rivière d'Abens, est l'ancienne Abusina, cité
des Vindelici; on trouve encore près de ses murs des antiquités romaines.
Eicshtadt, arrosée par l'Altmühl, dans une vallée étroite, mais agréable,
est le chef-lieu de la principauté qui fut cédée sous la souveraineté de la
Bavière, à Eugène Beauharnais. Le château qu'elle possède est une très-
belle résidence-, après cet édifice on peut citer la cathédrale. Cette ville
possède un gymnase, une école, une bibliothèque et quelques collections.
Sa population s'élève à plus de 8,000 habitants. Le territoire d'Eichstädt
est fertile et produit du blé, du houblon, du lin, des fruits et des légumes.
On y élève peu de bestiaux, mais il abonde en poissons et surtout en
gibier. Ses montagnes contiennent quelques mines de fer, des carrières
de pierres, de marbres et d'ardoises. Il y a dans le même cercle, à 8 lieues
au nord-est d'Amberg, le bourg de Leuchtenberg, qui fut aussi érigé en
duché en faveur du prince Eugène Beauharnais.
Bayreuth, ville de 17,000 âmes, chef-lieu du cercle de la Haute-Fran-
conie, est située sur le Mein-Rouge dans une position agréable, au fond
d'une vallée formée par les rameaux du Fichtel-gebirge. L'élévation de
son sol est de 200 mètres au-dessus du niveau de la mer. Entourée de
vieilles murailles et de trois faubourgs, au nombre desquels se trouve la
petite ville de Saint-George, ses rues sont larges, régulières et bien
bâties. Parmi ses édifices, on ne peut cependant citer que le vieux châ-
teau de Sophienbourg et le nouveau palais; elle renferme plusieurs hôpi-
taux, un gymnase, un théâtre et quelques manufactures. Bamberg, est
arrosée par la Regnitz. Son étendue, sa population, qui s'élève, sans la
garnison, à près de 22,000 âmes, ses maisons bâties en pierre de taille,
ses deux superbes ponts qui la divisent en trois parties, dont la plus haute
s'élève majestueusement en amphithéâtre adossé sur plusieurs collines,
en font une des plus belles villes de la Bavière. Elle possède un château
magnifique, le Petersberg, et plusieurs belles églises. Ses établissements
d'instruction sont nombreux. Cette ville est renommée pour ses jardins
potagers ; ses manufactures ne sont pas sans importance, et sa position
sur le canal Louis et à la jonction du chemin de fer bavarois avec les
lignes de l'Allemagne centrale, lui donne une grande importance com-
merciale.
Hof, station du chemin de fer de Bamberg à Leipsick, à peu de dis-
tance de la frontière orientale du royaume, est arrosée par la Saale ; elle

272
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
contient plusieurs établissements d'éducation, un hôpital fort riche, une
bibliothèque et 8,000 habitants. L'industrie y est fort active : la filature
et le tissage du colon y emploient un grand nombre de bras, Kulmback,
qui compte près de 5,000 âmes, est située sur les bords du Mein-Blanc
par sa position entre deux montagnes, elle est une des villes les plus
agréables de ce cercle. Comme toutes les villes un peu importantes, elle
renferme un nombre suffisant d'hôpitaux et d'institutions de bienfai-
sance. Sur l'une des deux cimes qui dominent la ville, s'élève la forte-
resse de Plassenbourg, qui sert de prison d'État.
On remarque près du village de Gailenreuth, situé sur la rive gauche
du Wiesent, dans le bassin de la Regnitz, des cavernes naturelles rem-
plies d'ossements fossiles.
Le cercle de la Moyenne-Franconie est celui qui renferme le plus de
villes manufacturières et commerçantes de la Bavière. Son chef-lieu est
Ansbach, que l'on appelait autrefois Onolzbach, mais qui est plus connu
sous celui d'Anspach. Cette ville, arrosée par la Rézat, renferme 18 édifices
publics dont les plus importants sont le château et la chancellerie. Les
habitants sont au nombre de 17,000. On y trouve un gymnase, une biblio-
thèque et plusieurs écoles élémentaires ; elle a des manufactures de divers
tissus et des tanneries, mais son commerce est peu considérable. Anspach
est une résidence agréable par ses nombreuses promenades.
Erlangen, sur la Rcgnitz, ville de 18,000 âmes et station du chemin de
fer de Bamberg à Nuremberg et à Munich, est entourée d'un mur et divisée
en vieille et nouvelle ville ; ses rues sont larges et régulières : elle possède
la seule université protestante du royaume, une académie de naturalistes,
une société de physique et de médecine, et une d'agriculture et d'éco-
nomie. Son château royal n'a rien de remarquable. Ses fabriques sont
nombreuses et florissantes. Sous le rapport du commerce et de la popu-
lation, Furth est plus importante qu'Erlangen; elle est aussi bien bâtie et
s'élève au confluent de la Rcgnitz et de la Pegnitz. Les juifs forment
environ le quart de sa population, qui s'élève à 16,800 âmes ; ils y possè-
dent une haute école et plusieurs établissements utiles. Fürth est unie
à Nuremberg par un tronçon de chemin de fer-, elle est l'une des villes
'es plus industrieuses de la Bavière; sa manufacture de glaces est impor-
tante.
Au milieu d'une plaine fertile, quoique sablonneuse, la Pegnitz divise
Nuremberg ou Nürnberg en deux parties : la Sebalderseite au nord, et la
Lorenzerseite au sud. Une vieille muraille, flanquée de tours et entourée

EUROPE. — ROYAUME DE BAVIÈRE.
273
d'un fossé forme son enceinte, qui figure à peu près un carré. Ses rues
sont irrégulières, mais plusieurs sont larges et toutes sont assez bien
pavées; tout, jusqu'au Richsveste, vieux château qui la domine, donne
à cette ville l'aspect d'une de ces antiques cités du Moyen-Age. Ses
principaux monuments sont : l'hôtel-de-ville, l'ancienne cathédrale, l'église
Sainte-Claire et le vieux château. Elle renferme un grand nombre d'écoles
et d'établissements de bienfaisance. Nuremberg est une des principales
stations de la ligne bavaroise de Bamberg à Munich; elle est le centre de
l'industrie du royaume et une des principales places de commerce de
l'Europe centrale. On y fabrique principalement des instruments de
musique et de mathématiques, des lunettes, des épingles, des aiguilles, des
jouets d'enfants, etc. Les catholiques forment le vingtième de sa popula-
tion , estimée à 76,000 individus. Nuremberg est la patrie du célèbre
Albert Durer et de plusieurs hommes d'un mérite distingué; et si l'on veut
compter les inventions utiles qui ont eu lieu dans ses murs, Nuremberg a
des titres à la reconnaissance du genre humain. Pierre Hell y inventa les
montres vers la fin du quinzième siècle; Traxdorf, les pédales; Rudolphe,
les filières à étirer le fil de fer; Jean Lobsinger, les fusils à vent; un
inconnu, les batteries d'armes à feu; Christophe Denner, la clarinette;
Érasme Ébener, l'alliage connu sous le nom de cuivre jaune ; Martin
Behaim, la sphère terrestre, dont l'usage contribua sans doute à la décou-
verte de l'Amérique; enfin, Jean Muschel y perfectionna la trompette.
Les villes dont nous avons encore à parler nous paraîtront bien peu
intéressantes après Nuremberg. Schwabach, sur la rivière de ce nom,
station du chemin de fer de Munich, est renommée par ses fabriques
d'aiguilles, d'épingles, de fil d'archal, de cire à cacheter, de papiers, de
draps et d'indiennes; elle doit sa prospérité à une colonie de protestants
français qui s'y réfugièrent après la révocation de l'édit de Nantes. Le
nombre de ses habitants est de 7,500. La petite ville de Bayerdorf, sur la
Rcgnitz, autre station du chemin de fer, est connue par ses clous et ses
chaudrons. Rothenbourg, entourée dehautes murailles et bâtie dans le goût
gothique, a un bel hôtel-de-ville, une jolie fontaine, une bibliothèque riche
en manuscrits rares, et une population de 8,000 habitants. Dinkelsbuhl,
entourée de hautes murailles flanquées de tours et bâtie comme la précé-
dente, compte 7,000 àmes. Ses fromages jouissent de quelque réputation.
Nördlingen, principale station du chemin de fer de Munich, dont la char-
cuterie est recherchée des gourmands, exporte annuellement plus de
30,000 oies : bâtie sur l'Eger, elle est entourée de fossés, de remparts
VII.
35

274
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
et de tours: celle de l'église Sainte-Madeleine est élevée de 110 mètres.
Ses 7,600 habitants font le commerce du produit de leurs diverses
fabriques de toiles, de bas de laine, de futaines et de couvertures pour les
chevaux.
Le cercle de Basse-Franconie et d'Aschaffenbourg se compose de l'an-
cien grand-duché de Wûrzbourg, de la province d'Aschaffenbourg, de
plusieurs parties du territoire de Fülde et de quelques cessions faites par
la Hesse. Son chef-lieu est Würzbourg, située sur la ligne de chemin de
fer de Bamberg à Francfort-sur-le-Mein. Peuplée d'environ 24,000 âmes,
cette ancienne ville impériale, qui fut ensuite soumise au pouvoir d'un
évêque souverain, est entourée d'une haute muraille et d'un fossé profond.
Le Mein la divise en deux parties : celle de la rive droite est l'ancien
Würzbourg ; celle de la rive gaucho porte le nom de quartier du Mein. On
communique de l'une à l'autre par un beau pont de huit arches, long de
170 mètres. Dans le quartier du Mein s'élève, sur un rocher de 125mètres
de haut, la forteresse de Marienberg, au milieu de laquelle une antique
construction est regardée comme les restes d'un temple de la déesse Freya,
la Vénus des Scandinaves. La ville proprement dite n'est pas régulière-
ment bâtie, mais on y cite quelques édifices : le château royal est un des
plus beaux de l'Allemagne-, la cathédrale, l'église de Hang, le grand
hôpital de Julius, douze autres hôpitaux et plusieurs établissements de
bienfaisance, des bibliothèques, un observatoire, un jardin botanique et
d'autres collections scientifiques de divers genres; de nombreuses écoles
de différents degrés, telles qu'une école vétérinaire, un gymnase, une école
centrale d'industrie, un institut agricole, un séminaire ecclésiastique, et
surtout une université qui a plus de 400 ans d'antiquité; enfin un com-
merce considérable, surtout en vins, font de celte ville une des plus belles
acquisitions de la Bavière.
Les vignobles des environs de Würzbourg sont renommés depuis le
treizième siècle : les gourmets connaissent les vins de Franconie ; celui
de Leiste est le plus estimé; celui de Stein se récolte sur un terroir qui
appartient au grand hôpital : lorsqu'il est vieux, on le vend plus de
5 francs la bouteille. On cite encore celui de Schalksberg et celui de
Calmus. Presque tous ces vins sont chauds et liquoreux. Carlsladt, sur
le Mein, fait également un grand commerce de vins; le Mein arrose aussi
Schweinfurth, ville de 7,000 habitants, qui, dans sa vieille enceinte de
murailles, renferme plusieurs écoles, et est, ainsi que la précédente, une
des stations du chemin de fer de Bamberg à Francfort-sur-le-Mein. Ses

EUROPE. — ROYAUME DE RAVIÈRE.
275
environs produisent des céréales, du tabac et du vin. L'excellent vin de
Saalek constitue le commerce de la petite ville d'Haimmelbourg, sur la
Saale. Les 5,000 habitants de Kitzingen se livrent au commerce de vins
et d'expéditions pour l'Allemagne méridionale. Ce qu'il y a de plus remar-
quable dans cette petite ville entourée de murailles et de tours, c'est le
pont sur le Mein, par lequel on communique avec le faubourg d'Edwas-
hausen : il a 15 arches et 320 mètres de long. Sa longueur paraît d'autant
plus considérable qu'il n'a que 5 mètres de largeur. Kissengen est encore
une ancienne ville murée, mais petite et peuplée comme un simple village,
malgré sa position sur la Saalc, malgré plusieurs sources minérales dont
on expédie un grand nombre de bouteilles, un bel établissement de bains,
et des salines qui fournissent 16,000 quintaux de sel par an. Le village
de Booklet, à deux lieues de là, est célèbre en Bavière par ses bains d'eau
sulfureuse et d'eau ferrugineuse.
Au bas des pentes occidentales du Spessart s'élève, au bord du Mein,
une colline sur laquelle est bâtie Aschaffenbourg, première ville de Bavière
que l'on rencontre quand on vient de Francfort-sur-le-Mein par le chemin
de fer ; 7,000 habitants peuplent cette ville, dont les rues sont étroites,
mais que des écoles et des collections d'arts et de sciences rendent inté-
ressante, et qu'un superbe château embellit. Des tanneries et des fabriques
de sucre de betterave y sont établies ; c'est l'entrepôt de toutes les mar-
chandises qui descendent le Mein, et des bois de construction que l'on
tire de la foret du Spessart.
Retournons sur nos pas, et parcourons le cercle de Souabe et Neubourg,
auquel plusieurs villes importantes donnent de l'intérêt, et que certaines
branches d'industrie enrichissent : c'est de tous les cercles de la Bavière
celui qui renferme le plus de moulins à papier. Son chef-lieu, Augsbourg,
l'ancienne Augusta-Vindelicorum, capitale des Vindelici, est, après
Munich et Nuremberg, la plus importante ville du royaume. Elle est située
dans une plaine vaste et fertile, entre le cours du Lech et celui du Wer-
tach, qui se réunissent au pied de ses remparts; elle est assez mal bâtie et
compte plus de 37,000 âmes. Ses principaux édifices sont : l'hôtel-de-
ville, l'arsenal, la cathédrale, l'église Saint-Ulric, celle des Récollets, la
halle et le théâtre.
Augsbourg a un gymnase, plusieurs établissements d'éducation, des
hôpitaux et diverses maisons de bienfaisance. L'industrie manufacturière
y était autrefois plus active qu'aujourd'hui; cependant son commerce est
encore très-considérable, et il ne pourra que s'accroître, car elle est à la

276
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
jonction du chemin de fer bavarois qui communique avec ceux de l'Europe
centrale et de l'embranchement qui va rejoindre Munich. Elle possède
des fabriques de toute espèce ; on prétend que c'est dans ses murs que les
premières futaines ont été faites. Les affaires de commission et de change
en font un des points principaux de l'Europe commerçante.
Neubourg, ville de 7,000 âmes, sur la rive droite du Danube, est
entourée de murailles et dominée par un château royal bâti sur une hau-
teur ; elle a longtemps été la capitale d'un duché du môme nom.
C'est entre Neubourg et Donaworth ou Donau-Worth, ville où le che-
min de fer bavarois traverse le Danube, que s'élève la tombe de La Tour-
d'Auvergne, de ce héros qui n'ambitionna que le titre de premier grenadier
de France, et qui mourut en 1800 au Champ-d'honneur.
Memmingen, autrefois ville impériale, est arrosée par l'Ach, et peuplée
de 8,000 âmes. Au nombre de ses principaux édifices il faut mettre l'hôtel
de-ville, l'arsenal et la chancellerie. Elle renferme un lycée, un conserva-
toire de musique, une bibliothèque publique et plusieurs écoles pour les
deux sexes ; elle fait un grand commerce de toiles, de serge et de houblon.
Kempten, station du chemin de fer bavarois, rivalise avec la précédente
pour l'industrie et le commerce; elle est située sur le bord de l'Iller et
entourée de montagnes. A une demi-lieue de la ville, les bains d'Aich sont
connus sous le nom de Kempten.
Sur le bord du lac de Constance s'élève une ville de 6,000 âmes, qui
était jadis libre et impériale : on la nomme Lindau ; le chemin de fer bava-
rois vient y aboutir. Sa construction, en partie sur pilotis, au milieu de
trois îles, l'activité de son commerce d'expédition, son port, ou plutôt le
bassin Maximilien, qui peut contenir plus de 300 bateaux, lui ont fait
donner le nom de petite Venise. Elle possède un château du haut duquel
on jouit d'une vue magnifique.
Les différents cercles que nous venons de décrire sont administrés
chacun par un commissaire-général, qui a sous ses ordres les autres mem-
bres de l'administration, qui se divise en deux branches : l'intérieur et les
finances; la police y est soumise à l'autorité de plusieurs autres commis-
saires. Chaque cercle est ensuite subdivisé en diverses justices qui ont
chacune leur chef-lieu ; plusieurs de ces justices sont sous la dépendance
de quelques seigneurs privilégiés, ce qui leur fait donner le nom de justices
médiates et seigneuriales : nous n'en avons point parlé, parce que nous
avons pensé que l'énumération en serait fastidieuse et sans intérêt. La
cour souveraine d'appel de Munich est le premier tribunal du royaume;

EUROPE. — ROYAUME DE BAVIÈRE.
277
tous les tribunaux d'appel de cercle lui sont subordonnés, de même que
les tribunaux de cercles, ceux des villes et des campagnes : les justices
patrimoniales et seigneuriales sont subordonnées, à leur tour, à la cour
d'appel de chaque cercle.
Parcourons maintenant le cercle du Palatinat. Il est pour la Bavière ce
que province Rhénane est pour la Prusse : c'est un pays où l'agriculture,
l'industrie et l'instruction sont plus avancées que dans les autres États de
la monarchie à laquelle il appartient.
Le cercle du Palatinat est formé de la plus grande partie de l'ancien
département français du Mont-Tonnerre, d'une petite portion enlevée à
l'extrémité septentrionale de celui du Bas-Rhin, et d'une autre qui appar-
tenait à celui de la Sarre. Il fut d'abord donné à l'Autriche par le congrès
de Vienne ; mais en 1816, il passa à la Bavière. Sa superficie est de 105
milles allemands, ou de 292 lieues-, sa longueur de l'est à l'ouest est de
23 lieues, et sa largeur du nord au sud de 18. Il est borné au nord et à
l'ouest par la province prussienne Rhénane et par quelques possessions
du duché de Saxe-Cobourg-Gotha et du landgraviat de Hesse-Hombourg ;
au sud par la France, et à l'est par les grands-duchés de Bade et de Hesse.
Séparé du reste de la monarchie bavaroise par un intervalle de 13 lieues,
qu'occupe une partie du grand-duché de Hesse-Darmstadt, ce cercle est
en quelque sorte une colonie de la Bavière.
Une grande partie de sa surface est occupée par l'extrémité septentrio-
nale des Vosges : la cime la plus élevée est celle du Donnersberg ou du
Mont-Tonnerre, qui n'a pas plus de 650 mètres d'élévation au-dessus du
niveau moyen du Rhin. Ces montagnes sont presque partout couvertes de
forêts ; leurs pentes méridionales et leurs rameaux sont garnis de vignes ;
les jardins et les vignobles forment une superficie de plus de 15,000 hec-
tares. Enfin il y a dans ce pays dix fois moins de terrains incultes sur une
superficie égale que dans le plus fertile des autres cercles de la Bavière.
Sa population, en 1852, était de 611,476 âmes, ce qui offrait 2,094 habi-
tants par lieue carrée. On y comptait 12 villes, 29 bourgs, 713 villages ou
hameaux et près de 70,000 maisons.
Malgré l'importance de sa population, l'agriculture y est portée à un
tel point de perfectionnement, que le sol y produit le double de ce qui est
nécessaire â la consommation; les bestiaux surtout sont élevés avec le
plus grand soin, et l'on peut même dire que c'est là tout le secret de la
richesse agricole de ce pays. La propriété y est très-divisée : il y a peu de
grands propriétaires; mais aussi il n'est pas un habitant de la campagne,

278
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
si peu riche qu'il soit, qui ne possède une maison et un champ. La men-
dicité y est inconnue comme la disette, et celle-ci est si peu à craindre,
que lorsque la saison est défavorable aux céréales, elle favorise la végéta-
lion des racines potagères-, de telle sorte que lorsqu'il y a diminution d'un
côté, il y a compensation de l'autre. Les principales récoltes, outre celle
du vin, consistent en seigle, en épeautre, en orge, en avoine, en chanvre,
en lin, en tabac, en garance, en pommes de terre, en fruits savoureux, et
surtout en noix et en châtaignes.
Les rivières qui arrosent le pays descendent de la chaîne des Vosges. A
l'est de ces montagnes, la Lauter, qui a 46 lieues de cours-, la Quiech, qui
en a 12; la Spire ou le Speyerbach, qui en a 14, vont se jeter directe-
ment dans le Rhin; à l'ouest, VErbach, qui n'a que 8 lieues de cours, va
se joindre à la Blies, affluent de la Sarre; le Glan et l'Alsenz se rendent
dans la Nahe.
Le climat est sain et généralement doux; mais il est plus froid dans les
montagnes et sur le versant occidental que sur le versant opposé et dans
les plaines qui s'étendent jusqu'au Rhin.
Malgré la grande quantité de bois et de houille que renferme ce pays,
les habitants ne négligent pas d'exploiter leurs tourbières. Les mines
d'argent, de cuivre, de cobalt et de plomb sont peu productives-, mais on
livre annuellement aux usines 85,000 quintaux de houille, 33,000 de
plomb, et environ 6 à 700 de mercure. On y recueille encore de l'argile
propre à la fabrication des briques et de la poterie grossière, du porphyre,
du marbre, des grès, de la pierre à chaux et du sel gemme.
L'industrie sait tirer parti des richesses de toute nature qu'offrent les
entrailles de la terre comme la superficie du sol. Ainsi l'on compte dans le
cercle du Palatinat un grand nombre d'établissements industriels. Les
objets d'exportation sont les grains, le tabac, l'huile de navette, le
vin, l'eau de-vie, la graine de trèfle et de lin, les fruits secs, les bois
de construction, les planches de sapin et le bois de chauffage, le fer,
le mercure, le papier, les tissus de laine, les bestiaux, et principalement
les porcs.
Les Nemètes habitaient , du temps de César, le versant oriental des
montagnes de ce cercle et s'étendaient jusqu'au Rhin. Les Mediomalrici
occupaient le versant occidental. Tout ce qu'on sait de l'histoire des
Nemètes, c'est que peu de temps avant la guerre des Romains contre
Arioviste, ce peuple fut un de ceux qui forcèrent les Mediomalrici à aban-
donner la rive gauche du Rhin pour aller s'établir au delà des Vosges ;

EUROPE.—ROYAUME DE BAVIÈRE.
279
les Nemètes habitaient auparavant sur la rive droite du fleuve. Tacite ne
les regarde pas comme Gaulois. « Nul doute, dit-il, que les Vangiones,
les Triboci et les Nemètes ne soient d'origine germaine. » Il paraît, d'après
le même auteur, qu'ils servirent comme auxiliaires dans les armées
romaines.
Le cercle du Rhin n'est point soumis à la même organisation que les
autres provinces de la Bavière : on y a conservé, sauf quelques modifica-
tions, celle que le gouvernement, français y avait établie, de même qu'on
y a respecté la prédilection que les habitants n'ont cessé de témoigner pour
la législation française. Le pays est donc divisé en 4 districts, subdivisés
en 32 cantons.
Le chef-lieu, le siége des autorités départementales est Spire. Cette ville,
appelée en allemand Speyer, arrosée par une petite rivière qui porte le
même nom et qui se jette à peu de distance de là dans le Rhin, est entourée
de murailles percées de cinq portes. Les seuls monuments qu'on y puisse
citer sont l'hôtel-de-ville et la cathédrale-, plusieurs établissements utiles
lui donnent une importance plus grande que ne l'annonce sa population,
qui n'est que de 9,000 habitants. Elle jouit d'une industrie et d'un com-
merce qui ne manquent pas d'activité. Son port est franc et elle est, à
l'aide d'un petit embranchement, unie à la ligne de chemin de fer qui, par
Manheim, Forbach, Saarbriich et Metz, unit les chemins de fer Rhénan
et de l'Allemagne à ceux de la France. Il existe dans ses environs des
sources d'eaux minérales.
Spire est surtout une ville importante par ses souvenirs historiques;
elle existait avant l'ère chrétienne, elle s'appela d'abord Noviomagus, puis
Augusta Nemetum, du nom des Nemètes, dont elle était la principale cité.
En 348, elle était déjà le siége d'un évêché. Ruinée au commencement du
cinquième siècle par les Vandales et les Alains, elle tomba au pouvoir des
rois de France : Dagobert Ier, en 630, la restaura et rétablit son évêché.
Vers le huitième siècle, elle prit le nom de la petite rivière qui l'arrose ; au
onzième, son évêque, Rodiger ou Roger, la fit entourer de murailles. Sous
l'empereur Henri IV, elle devint ville libre et impériale, tout en reconnais-
sant l'autorité de son évêque; mais celui-ci n'avait pas même le droit
d'y résider. Ce fut en 4 529 que se tint dans cette ville la célèbre diète où le
nom de protestant prit naissance. Enfin Spire était riche, peuplée et ornée
de beaux édifices, lorsqu'en 1689 elle fut entièrement livrée aux flammes
par les troupes de Louis XIV, qui la pillèrent et ia ruinèrent; à peine rele-
vée de ses cendres, elle fut de nouveau ravagée par les Français en 1794 ;

280
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
mais depuis qu'elle est devenue la capitale du Palatinat, sa population s'est
accrue et. sa prospérité a pris un nouvel essor.
Les autres villes de ce cercle ne retracent aucun souvenir remarquable,
et conséquemment offrent peu d'intérêt. Frankenthal, dont le nom rap-
pelle le royaume de Franconie, n'a pas 4,800 habitants ; mais elle est
bien bâtie et la plus industrieuse du cercle. Au moyen de la navigation du
Rhin, qui n'en est éloigné que d'une petite lieue, elle fait avec l'Allemagne
un grand commerce de grains et des divers produits de ses manufactures.
Grünstadt, bâtie au milieu d'un territoire fertile, arrosée par la Liss, pos-
sède des fabriques de faïence et de cotonnades. Kaiserslautern, sur le
chemin de fer de Forbach à Manheim, renferme un gymnase, un sémi-
naire de maîtres d'école et 4,600 habitants; elle n'est connue que par le
souvenir qu'on y conserve de l'empereur Frédéric Barberousse qui y
possédait un vaste château, remplacé par une prison, et pour avoir été le
théâtre de deux batailles que se livrèrent dans ses environs les Français et
les Prussiens en 1793 et 1794. Pirmasens, qui retrace le souvenir de la
sanglante journée du 17 septembre 1793, pendant laquelle le duc de
Brunswick battit l'armée française, est bien bâtie, possède un beau châ-
teau et 5,000 habitants. Deux-Ponts ou Zwei-Brucken, qui en a 1,000 de
plus, est une jolie petite ville agréablement située sur l'Erlbach, et dont
les rues sont droites, propres et bien bâties. On y voit un superbe château.
Landau, sur le Queich, etGermersheim au confluent de cette rivière avec
le Rhin, sont deux forteresses fédérales occupées en commun par les
troupes de la Conféderation ; la première a été plusieurs fois assiégée par
les Français, et c'est dans la seconde que mourut l'empereur Rodolphe de
Habsbourg.
Nous pourrions encore citer dans le cercle du Rhin plusieurs bourgs et
villages qui, par leur population, passeraient pour de petites villes-, mais
nous en avons dit assez pour donner une idée exacte de ce pays intéres-
sant, dont le commerce doit son activité à l'industrie des habitants et à la
navigation du beau fleuve qui, à l'orient, le sépare du grand-duché
de Bade.
Nous terminerons ici ce que nous avons à dire de la Bavière, pays sage
et méthodique, qui est certainement le premier des États secondaires de
l'Allemagne, non-seulement par sa population, mais encore par l'intelli-
gence et la fermeté de la conduite qu'il a suivie en Allemagne depuis 1848.
Nous avons vu que son système administratif était assez libéral, et qu'il
laissait beaucoup de place à l'action des villes et des provinces; c'est un

EUROPE. — ROYAUME DE WURTEMBERG.
281
des pays de l'Allemagne où la presse périodique a pris le plus de déve-
loppement, et la Gazette d'Augsbourg, fondée par le baron de Cotta quelque
temps après 1789, est connue du monde entier. Enfin si l'architecture, la
sculpture et la peinture sont encore jusqu'ici restées des plantes exotiques
sur le sol bavarois, la musique est toujours l'art national par excellence ;
elle est d'ailleurs merveilleusement appropriée à la sociabilité un peu
bruyante des Bavarois, qui se distinguent entre tous les autres peuples de
l'Allemagne par des qualités pacifiques et solides.
Le royaume de Wurtemberg est situé entre la Bavière et le grand-duché
de Bade , qui l'entourent de toutes parts. Son étendue est de 354 milles
carrés allemands ou de 984 lieues géographiques carrées. Cette contrée
est couverte de montagnes et sillonnée par de larges vallées dont la plus
étendue est celle que traverse le Neckar ou Necker. Une branche considé-
rable du Schwarz-wald ou de la Forêt-Noire forme, sur une longueur de
28 lieues, la limite occidentale de ce royaume. Une seconde, celle du
Raühe-Alp, que les géographes français désignent sous le nom d'Alpes de
Souabe, part de la précédente et se prolonge vers le nord-est, entre le
cours du Necker et celui du Danube. Ces deux chaînes, qui ne sont
que les rameaux d'une souche qui part des bords du Rhin vis-à-vis de
Bale, et qui se bifurquent en formant une partie des limites naturelles du
Wurtemberg, au sud-ouest, renferment plusieurs montagnes élevées
de 1,000 à 1,200 mètres ; mais les moins considérables sont celles du
Raühe-Alp. Ces montagnes sont formées de calcaire bleu reposant,
ainsi que le grès houiller et et la marne des plaines, sur le gneiss et le
granit.
Les rivières qui ont leurs sources dans ces montagnes sont le Necker,
ainsi que l'Enz, la Fils, le Rems, le Kocher et le Iaxt, affluent du Necker;
le Tauber, affluent du Rhin ; le Danube et quelques petites rivières, telles
que la Reiss, le Roth et l'Iller, y prennent aussi naissance. Le plus consi-
dérable des lacs de l'intérieur du royaume est le Federsée, dont la longueur
est de près d'une lieue, et la largeur d'une demi-lieue. Nous ne parlerons
point du lac de Constance, qui forme seulement la limite méridionale du
Wurtemberg.
Les eaux minérales chargées de carbonate, de sulfate et d'hydrochlo-
rate de soude, sortent du gneiss, du granit, des marnes irisées et du lias,
bien que ces roches ne contiennent pas de soude. Les principales sources
VII.
36

282
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
minérales en usage sont celles de Liebenzell, de Goppingen, de Deinach,
de Canstatd, de Giengen et d'Heilbronn.
Le royaume est riche en charbon de terre, en soufre, en sel, en ardoi-
sières, en carrières de marbre et en divers calcaires propres aux construc-
tions. Les montagnes de la Forêt-Noire, couvertes de forêts, renferment
encore quelques mines de fer, de cuivre et même d'argent, mais en petite
quantité.
Les Alemanni ou Alamanni habitaient autrefois la contrée située entre
le haut Rhin et le Mein, occupée aujourd'hui par le grand-duché de
Bade et le royaume de Wurtemberg. Ainsi que l'indique leur nom, ils
ne formaient pas un peuple particulier, mais bien une réunion d'hommes
de différentes nations de la Germanie : en effet all, tout, mann, homme,
semblent être l'étymologie du mot Alemanni. Les Alemanni descendaient
probablement des Suevi; leur gouvernement était monarchique, ou du
moins ils se choisissaient un chef lorsqu'ils entreprenaient une guerre ;
leur religion était la même que celle des autres Germains; leurs mœurs
étaient même plus féroces; il est certain que leur haine contre les
Romains les porta à plusieurs actes de cruauté envers les prisonniers qu'ils
leur tirent. Caracalla marcha contre eux et les défit sans les soumettre;
ce n'est qu'à force d'argent qu'il put en enrôler quelques-uns dans ses
troupes. Vers le milieu du troisième siècle, ils s'emparèrent des forts que
les Romains avaient bâtis sur les bords du Rhin, et ravagèrent une partie
de la Gauie. Maximin les refoula sur leur territoire, où il mit tout à feu
et à sang; enfin leur histoire présente de nombreuses alternatives de vic-
toires et de défaites jusque vers l'an 388, qu'ils se soumirent â Maxence
Vers le milieu du onzième siècle, le Wurtemberg formait un comté situé
dans le cercle de Souabe : il ne fut érigé en duché que vers l'an 1495,
par l'empereur Maximilien. Sous Ulric VIII, qui s'engagea dans la ligue
de Smalkalde, une grande partie de ce pays embrassa la croyance de la
communion d'Augsbourg, dont ce prince approuvait les principes, et
maintenant on y compte plus de 1,000,000 de protestants.
Le duché de Wurtemberg avait, en 1796, une superficie de 416 lieues
et 608,000 habitants; il acquit ensuite, avec le titre d'électorat, une
augmentation de 103 lieues et de 118,000 habitants. Le traité de Pres
bourg procura à l'électeur le titre de roi, une grande partie des possessions
autrichiennes en Souabe, et enfin plusieurs petites villes sur les deux
rives du Danube, fleuve dont l'ancien duché de Wurtemberg n'atteignait
pas les bords. Le roi a gagné considérablement encore en soumettant à sa

EUROPE. — ROYAUME DE WURTEMBERG.
283
domination toutes les petites souverainetés appelées seigneuries immé-
diates qui constituaient, au milieu même du royaume, des enclaves
considérables.
Le climat du Wurtemberg est en général sain et tempéré ; mais sur les
hauteurs et dans les forêts qui s'étendent sur leurs pentes, la température
est froide, et les hivers durent longtemps. La terre y est féconde en
diverses productions agricoles : plus de la moitié de sa superficie est
employée en grande culture; les vignobles en occupent près d'un cinquan-
tième, les prés environ un septième ; le reste est occupé par des forêts.
Les vignes de ce pays ont été apportées de l'Alsace, de la Bourgogne, de
la Valteline et de la Hongrie; on a même vu des plants de Chypre et de
Perse y réussir parfaitement. Les belles plaines qui occupent le centre
du Wurtemberg produisent en abondance du froment, de l'épeautre, du
seigle et d'autres grains. Les pentes de la Forêt-Noire et du Rauhe-Alp
offrent de beaux pâturages: à leurs pieds, on voit dans les vallées des
forêts d'arbres fruitiers. En un mot, le Wurtemberg attache à chaque pas
les regards du voyageur par le contraste d'une nature sauvage et pitto-
resque avec les ouvrages de l'industrie humaine. Il est riche en chevaux,
en porcs, en bêtes à cornes et en brebis, parmi lesquelles on compte un
grand nombre de mérinos. Enfin les bois et les champs abondent en gibier
à poil ou à plume.
Les manufactures du Wurtemberg sont, en général, peu importantes;
mais elles sont nombreuses et surtout fort actives. Dans les pays de plaines,
on compte beaucoup de filatures de coton, de fabriques de toiles et de tri-
cot. Des fabricants d'horlogerie habitent les montagnes; dans les vallées
sont établies plusieurs papeteries, des tanneries, des forges, des usines,
et divers autres établissements. Le chiffre des brasseries s'élevait il y a
quelques années à plus de 1,500. Les distilleries sont plus nombreuses
encore. L'esprit qu'on fabrique dans ces distilleries n'est point tiré du
vin, de la pomme de terre ni du grain; on l'extrait du fruit de ce meri-
sier qui se multiplie si facilement dans les montagnes de la Forêt-Noire,
que la liqueur spiritueuse qu'on en retire, connue sous le nom de kirschen-
wasser, donne lieu à un produit annuel de plus de 130,000 florins 1,
et à une industrie qui fait vivre plus de 120 familles. Que les gourmets
estiment à tort ou à raison cette eau-de-vie germanique, les habitants du
Schvarz-wald ne devraient-ils point élever une statue à Thomas Leodgar,
1 La valeur du florin est de 2 francs 27 centimes.

284
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
qui en est l'inventeur, et à qui ils sont redevables de l'aisance dont ils
jouissent?
Le haut commerce du royaume consiste principalement dans l'expor-
tation de ses bois, de ses vins, de ses grains, de ses fruits secs, de ses
cuirs, de ses toiles, de son kirschenwasser et des horloges en bois fabri
quées dans ses montagnes. On récolte annuellement plus de 300,000 hec-
tolitres de vin, et plus de 5,400,000 kilolitres de grains, dont 300,000
sont exportés. La Suisse, la France la Bavière et l'Autriche sont les pays
avec lesquels il a des relations suivies. Il en retire des draps, de l'huile, des
laines fines, de la soie brute et des soieries, des tabacs et diverses denrées
coloniales.Quant au commerce intérieur, il est alimenté par certains produits
que le système des douanes a cru favoriser en évitant la concurrence étran-
gère, ou par le monopole que le gouvernement a établi dans plusieurs
branches ; ainsi, l'étoffe de coton qui porte le nom de la ville chinoise d'où
on la tire ne peut point entrer dans le royaume; le fer brut n'en peut point
sortir, et le sel ainsi que le tabac sont vendus exclusivement par le gou-
vernement. Mais, dans la vue de faciliter le commerce intérieur, l'autorité
suprême a, depuis quarante ans, établi un système uniforme de poids et
mesures, fondé sur le calcul décimal ; elle s'est de plus attachée a entre-
tenir les routes et à faire construire une ligne de chemin de fer qui traverse
le royaume du nord au sud et met les villes les plus importantes en com-
munication facile et prompte avec celles de l'Allemagne.
Les revenus du Wurtemberg s'élevaient, en 1852, à 12,446,215 florins
ou 28,252,905 francs; la dette publique était évaluée, à la même époque,
à 48,423,718 florins ou 109,921,839 francs.
Dans ce pays, où les dîmes enlèvent au cultivateur la moitié de son
revenu net, où les impôts en absorbent un cinquième, où la disette des
récoites se fait souvent sentir, il n'est pas étonnant que le paysan se
détermine à émigrer, soit dans les provinces méridionales de la Russie,
soit en Amérique. Le géographe Stein rapporte que dans les quatre premiers
mois de l'année 1817, les émigrations se sont élevées à 12,000 individus.
Il est vrai que certaines idées religieuses en engagèrent un grand nombre
à prendre ce parti, et que l'aurore boréale que l'on aperçut dans le Wur-
temberg au mois de février de la même année fut regardée par plusieurs
personnes comme un signe que le Ciel favorisait leur détermination.
L'armée se compose, en temps de paix, de 8,275 hommes formant une
division d'infanterie (8 régiments), une division de cavalerie(4 régiments).
un escadron de gardes du corps, un détachement de chasseurs et un régi-

EUROPE.— ROYAUME DE WURTEMBERG.
285
nient d'artillerie, dont 3 batteries à cheval et 4 à pied. En temps de guerre
les cadres sont doublés, et l'effectif peut être évalué à 19,017 combattants.
Le Wurtemberg tient le sixième rang dans la Confédération germanique ;
son contingent fédéral est d'environ 26,000 hommes, et sa contribution
fédérale de 162,875 francs.
La constitution politique du Wurtemberg date de 1819. La personne du
roi est inviolable-, la couronne est héréditaire dans la ligne masculine;
le roi est majeur à 18 ans. Le pouvoir exécutif appartient au roi; le pou-
voir législatif est exercé en commun par le roi et les états, mais leurs attri-
butions sont encore fort restreintes; c'est ainsi qu'ils ne jouissent pas du
droit d'initiative. Les états se composent de deux chambres : la première
est la chambre des seigneurs, elle est formée par les membres de la
noblesse; la seconde, ou chambre des députés, est formée par les repré-
sentants des bailliages, ceux des différents cultes et ceux de l'université.
L'assemblée est convoquée au moins tous les trois ans. A la tête de l'ad-
ministration se présente le conseil privé du roi, composé de 6 ministres et
des conseillers que le roi leur adjoint. Les libertés communales sont très-
étendues dans le Wurtemberg ; les affaires des communes sont administrées
par un conseil communal et une assemblée de bourgeois; des assemblées
dedistrict gèrent les affaires des districts, sous la surveillance des autorités.
Le président de la commune est nommé, par le roi, sur liste. Enfin la
répartition de l'impôt appartient aux autorités communales. Les diverses
communions religieuses s'administrent elles-mêmes, sous la surveillance
du roi. Il y a 6 diocèses évangéliques divisés en décanats et subdivisés en
paroisses. La communion catholique ne compte qu'un évêché qui est à
Rottembourg et qui relève de l'archevêché de Fribourg, dans le grand-
duché de Rade. Cet évêché est partagé en 638 paroisses.
Le Wurtemberg est une des contrées de l'Allemagne où l'instruction est
le plus répandue; tout hameau de 30 familles doit avoir son école, et
l'instruction est obligatoire pour les enfants de 6 à 14 ans. Les écoles du
dimanche, dont la fréquentation est également de rigueur, donnent le
complément de l'instruction primaire de 14 à 18 ans. Tous ces établisse-
ments sont sous la surveillance immédiate des pasteurs et des curés, et
chaque année, des professeurs, envoyés de Stuttgard et de Tubingue, sont
chargés d'aller inspecter ces diverses maisons. Pour répandre dans les
classes inférieures les connaissances horticoles, on a établi des jardins
modèles publies, des vergers et des pépinières. Les écoles industrielles
prennent, depuis plusieurs années, un accroissement sensible. Tous les

286
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
jeunes gens qui sortent des écoles élémentaires sont soumis à un examen
et reçoivent un certificat de capacité, sans lequel il est défendu de leur
donner de l'emploi.
L'enseignement supérieur comprend les écoles latines et les écoles
polytechniques. Les écoles polytechniques sont élémentaires ou supérieures
et enseignent les sciences à divers degrés. Les écoles latines se divisent
en écoles préparatoires, lycées, gymnases et écoles secondaires ecclésias-
tiques.
Les maîtres qui dirigent les colléges et les écoles sont tirés du séminaire
général d'Esselingen, école normale fort bien tenue. Dans les institutions
particulières seulement, on compte quelques ecclésiastiques. Quant aux
jeunes gens pauvres qui désirent embrasser l'état ecclésiastique dans les
communions protestante et catholique, ils sont élevés et instruits aux
frais de l'État. Il y a aussi une institution pour les jeunes femmes qui se
destinent à l'enseignement.
Le système général des établissements d'enseignement est couronné
par l'université de Tubingue, l'une des plus anciennes et des plus célèbres
de l'Allemagne, et l'une de celles qui, par les esprits hardis et téméraires
qu'elles ont formés, ont eu le plus d'influence pour propager le libéralisme
en Allemagne.
Les signes distinctifs destinés à récompenser le mérite civil et le courage
militaire consistent, dans le royaume de Wurtemberg, en deux ordres de
chevalerie : celui de l'Aigle-d'Or, fondé en 1702 et portant pour devise
Virtutis amicitiœque fœdus, est destiné aux militaires et aux princes
étrangers-, et celui du Mérite-civil. Il porte pour devise : Bene merentibus.
Les services des officiers sont en outre récompensés par une médaille d'or
et ceux des soldats par une médaille d'argent. Ces distinctions honori-
fiques, la fortune, la diversité des états et l'importance des emplois civils,
servent, depuis 1811, à partager en 10 classes les habitants du Wurtemberg.
Le royaume est divisé en quatre cercles, qui portent les noms des rivières
qui les traversent oudes montagnes principales qui forment la limite occi-
dentale de cet État. Ainsi au nord s'étendent ceux du Necker et du Iaxt ; à
l'ouest celui du Schwartz-wald ou Forêt-noire, et au sud celui du Danube.
Ces quatre grandes divisions comprennent 12 justices provinciales et 64
justices moins importantes.
Au milieu d'une jolie vallée bordée de coteaux et de vignobles, s'élève,
sur le bord du Nehenbach, et à peu de distance de son embouchure dans
le Necker, Stuttgard, la capitale du royaume. C'est une belle ville de

EUROPE. —ROYAUME DE WURTEMBERG.
287
47 à 48,000 âmes, qui s'est beaucoup augmentée et embellie dans ces
dernières années. Le roi y possède deux châteaux, dont le nouveau, situé
dans le faubourg d'Esslingen, sur une esplanade symétriquement plantée,
est d'une belle construction et d'une grande richesse dans son intérieur.
L'ancien renferme les bureaux du gouvernement. Stuttgard compte
encore d'autres beaux édifices, au nombre desquels nous citerons l'église
principale, la chancellerie et le théâtre de l'opéra. Autour du nouveau
palais s'élèvent les principaux établissements publics: ici c'est la biblio-
thèque, renfermant plus de 300,000 volumes, là le musée d'histoire natu-
relle, l'académie de peinture et de sculpture et le jardin botanique. Le
gymnase de Stuttgart jouit d'une grande réputation : c'est une sorte de
petit collége ; une trentaine de maîtres y sont attachés; il possède un
observatoire et une riche collection d'instruments de physique et de
mathématiques. Il y a dans cette ville un hôtel des monnaies, une école
des arts et métiers, un magnifique haras, une école vétérinaire et une
école forestière. L'industrie et le commerce de cette capitale sont favorisés
par le chemin de fer wurtembergeois, qui la met en rapports fréquents et
rapides avec les autres villes de l'Allemagne; ils consistent en fabriques
de draps, de toiles, de teintures, de soieries; de machines à vapeur et d'ou-
vrages en bronze. Dans les environs, on remarque un joli château appelé
la Solitude, bâti sur la pente d'une montagne, et d'où l'on jouit d'une vue
délicieuse: la salle de concert, celle de l'opéra, la ménagerie, les jardins
y fixent principalement l'attention. C'est dans le nouveau cimetière de la
ville et dans le caveau de la famille royale que, depuis 1827, sont déposés
les restes mortels de Schiller; sa tête, qui d'abord avait été déposée à la
bibliothèque, a été réunie à ses ossements.
Dans les environs de Stuttgard se trouve la petite ville de Kaunstadt,
sur le chemin de fer, peuplée de 4,500 âmes, et importante par ses manu-
factures. Si nous suivons les sinuosités du Necker, nous remarquerons,
en remontant le cours de cette rivière, Esslingen ou Esslingue, principale
station du chemin de fer, et siége du collège suprême de justice. Celte
ville de 8 à 9,000 âmes, autrefois au nombre des cités libres, n'est pas
dans une situation moins agréable que Stuttgard : elle est entourée de
vignobles et de forêts. A 3 ou 4 lieues au-dessous de la capitale, par
rapport au cours du Necker, nous ferons remarquer, sur la rive gauche,
la jolie petite ville de Luwigsbourg-ou Louisbourg, station du chemin de
fer, résidence royale où l'on voit un beau château, un hospice d'orphelins,
une maison de correction pour les femmes, et l'académie militaire, que

288
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
l'on y a transférée do Stuttgard. Les manufactures de draps, de toiles, de
porcelaine qu'on y a établies avec les secours du gouvernement, n'ont pu
porter la population de cette ville à plus de 10,000 âmes, sans compter
la garnison et la cour. C'est la véritable capitale de cercle du Necker.
A 6 lieues plus loin, sur la rive opposée, Heilbronn, ville un peu plus
considérable, autrefois libre et commanderie de l'ordre Teutonique, cité
qui s'enrichit par ses ouvrages en orfévrerie, par le produit de ses vignobles,
de ses fonderies de plomb à tirer, de ses distilleries, et par la navigation
active du Necker, possède une bonne académie. C'est à cette ville que
vient aboutir le chemin de fer wurtembergeois. A 10 lieues à l'est de Heil-
bronn s'étend celle de Hall, que l'on distingue de plusieurs autres du même
nom par la désignation de Hall de Souabe (Schwabisch-Hall). Située sur
les bords du Kocher, entourée de rochers, peuplée de plus de 7,000 âmes,
elle doit sa fondation aux abondantes sources salées de ses environs.
C'est la ville la plus peuplée et la plus remarquable du cercle du Iaxt.
Ellwangen, sur le Iaxt, chef-lieu de cercle, est, malgré son gymnase, son
lycée, sa cour royale et son commissariat épiscopal, moins intéressante
que Gmünd, arrosée par le Rems, ancienne place forte, que défendent
encore des murs flanqués de tours : ville tombée d'une population de
18,000 à celle de 6 ou 7,000 habitants, et connue par ses diverses
fabriques, où l'on travaille avec art les métaux précieux. Près du petit
village de Bietigheim, station du chemin de fer, commence l'embranche-
ment qui, par Bretten, dans le grand-duché de Bade, va rejoindre
Brüchsal, principale station du chemin de fer badois. L'industrie de la
petite ville de Geislingue ou Gesslingen, consiste en divers petits ouvrages
tournés en os, en ivoire et en bois, dont elle exporte par an pour plus de
90,000 florins. 4,500 habitants forment la population de Gœppingue ou
Göppingen, station du chemin de fer, arrosée par la Fils. Elle renferme
des fabriques de draps et de poteries.
Les eaux minérales du village d'Ueberkingen attirent des étrangers dans
ses environs, riches en sites pittoresques. On voit à peu de distance le
bourg de Hohenstaufen, placé sur une hauteur d'où la vue est magnifique.
Le vieux château ruiné qui domine ce bourg fut pendant longtemps le
séjour de l'empereur Barberousse. Le dernier rejeton de la famille de
Hohenstaufen était le jeune Conrad, qui périt sur l'échafaud, l'an 1269, à
Naples, pour avoir essayé de s'emparer du trône de Sicile, qu'avait occupé
son père, et que le pape venait de donner à Charles d'Anjou. Reutlingue
ou Reutlingen, autrefois ville libre, ne mérite d'être citée que parce qu'elle

EUROPE. — ROYAUME DE WURTEMBERG.
289
est le chef-lieu du cercle de Schwarz-wald, qu'elle contient 9,000 habi-
tants, et qu'elle possède un lycée. Ses vignobles, qui tapissent les pentes
du Raühe-Alp et du Georgenberg, ses tanneries et ses fabriques de den-
telles et de quincaillerie contribuent à l'enrichir.
Tubingue ou Tubingen, entre la rive gauche du Necker et la droite de
l'Animer, ne renferme que 8, à 9,000 habitants ; mais elle est importante
par son université, fondée en 1477 par Eberhard le Barbu ; on y fait de
très-bonnes éludes. L'église collégiale renferme les cendres des ancêtres
de la maison régnante. Il y a encore dans la ville un séminaire pour les
pasteurs évangéliques, une école vétérinaire et divers autres établisse-
ments qui justifient le rang qu'elle occupe ; mais elle est triste et mal
bâtie. Cette ancienne ville a été la résidence des comtes palatins de Souabe :
c'est dans ses murs que fut réglé, en 1514, l'acte connu sous le nom de
Tubingervertrag, qui fut jusqu'en 1819 la charte du Wurtemberg.
Ulm, principale station du chemin de fer, avec embranchement qui, à
Augsbourg, va rejoindre le chemin de fer bavarois, est une des principales
villes du royaume-, sa population est de 20,000 âmes; c'était autrefois une
ville libre et impériale. Sa situation au confluent du Blau et du Danube,
sur la frontière de la Bavière, les fortifications qui la défendent, ses
fabriques et ses blanchisseries de toiles, ses manufactures de tabac, les
expéditions, les transports et les commissions de transit qui alimentent son
commerce déchu, en font encore la seconde ville du Wurtemberg. C'est
une des forteresses fédérales. On cite parmi ses édifices la bibliothèque
publique, l'arsenal, l'hôtel-de-ville et l'église appelée le Münster. En
voyant diminuer l'importance de ses transactions commerciales, cette ville
a conservé ses titres à l'estime des gastronomes : les pâtisseries renom-
mées sous le nom de pains d'Ulm, les asperges qu'elle récolte, et les escar-
gots qu'elle engraisse, sont toujours en réputation : croirait-on qu'elle
exporte par an plus de 4,000,000 de ces mollusques!
C'est à ses papeteries, à ses fabriques de futaine que Biberach, princi-
pale station du chemin de fer, arrosée par la Riss et peuplée de 6,000 âmes,
doit sa prospérité. Nous citerons encore Rothenbourg, divisée par le
Necker en deux parties, dont celle de la rive droite, appelée Ehingen,
formait autrefois une ville distincte ; Freudenstadt, fondée en 1600 pour
servir d'asile aux protestants chassés des États héréditaires d'Autriche-,
Mergentheim ou Marienlhal, dont les remparts servent de promenades,
et dont le château était autrefois la résidence du grand-maître de l'ordre
Teutonique ; la jolie petite ville de Kirchheim, qui fait un commerce actif
VII.
37

290
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
en bestiaux et en laine. A Calm on fabrique des étoffes de laine pour
400,000 florins ; à Urach, sur l'Erms, on fait 8,000 pièces de toile par an.
Non loin de cette petite ville, on voit un couloir long de 300 mètres, pavé
en fer, et par lequel on fait descendre vers le bord de la rivière les bois de
construction coupés dans les montagnes du Raühe-Alp ; Friedrichshafen,
avec un millier d'habitants, est un petit port franc sur le lac de Constance,
auquel vient aboutir le chemin de fer wurtembergeois vers le sud, et
l'entrepôt du commerce du royaume. La pêche y est fort active, et l'on y
construit des bateaux à vapeur pour la navigation du lac.
Le peuple wurtembergeois a conservé la franchise, la gaieté et la bon-
homie des anciens Germains. Leur dialecte rude et leurs manières brusques
les exposent aux railleries des Allemands septentrionaux. Dans le moyen
âge, la Souabe fut la Provence de l'Allemagne; les chansons des minne-
sangers respiraient la même galanterie, la même vivacité que les romances
des troubadours. A notre avis, les recueils de ces poésies antiques ont
plus d'intérêt que beaucoup de productions modernes des muses alle-
mandes. Encore à présent, les assemblées des bergers du Wurtemberg
retracent l'image de l'Arcadie. On y voit les jeunes villageoises, légère-
ment vêtues, disputer le prix de la course. Les jeux commencent avec le
jour, les danses se prolongent dans la nuit, â la clarté de la lune. Il règne
partout dans ces assemblées, comme dans celles de la Suisse, beaucoup
de décence et d'ordre.
TABLEAU Statistique des royaumes de Bavière et Wurtemberg.
ROYAUME DE BAVIÈRE.
POPCLATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
es 1852.
par lieue g. c.
en 1852.
1394,30 milles Homm. 2,234,092
1,177
Revenus.
Pied de paix1 .
carrés alle- Femm. 2,325,360
125,228,466 fr.
hommes
mands
Dépenses.
Elat-major général
21
ou
Total. 4,559,452
134.371,857 fr. 16rég. d'inf. et6 bat. de chas. 53,584
3,872
lieues
Dette publiq.
8 — decavalerie
y,l32
géographiq.
508,209,778 fr. 3 — d'artillerie
7,726
carrées.
Contrib. fédér. 1 — du genre
1, 077
416,632 fr.
71,540
Contingent fédéral.
68,391
1 L'infanterie c et la cavalerie sont di visées en deux
orps d'armée, forr nés chacun de deux divisions, chaque
division ayant 2 b brigades d'infanterie e une brigade de cavalerie. Chacun des deux corps est formé de 8 régiments
d'infanterie (27 b. taillons à 5 compagn es) et de 4 rég iments de cavaleri

(28 escadrons). Sur le pied de guerre
chaque régiment l'infanterie est augme nté de 1,000 hom nmes et chaque ré| iment de cavalerie de 666 chevaux.

EUROPE. - TABLEAUX STATIQUES.
291
Nom du cercle.
Superficie
Population
Subdivisions et villes principales avec leur population.
en lieue g.c
en déc. 1852.
27 présidiaux ou juslicet et 3 juridictions
seigneuriales.
MUNICH, 106,776, — Berchfesgaden, 15,000. — Dachau
1,500. — Eberberg, 1,00ο. — Erding, 2,000. — Freising
3,800 — Landsberg, 4,200.— Landshut, 9.000 — Laufen,
!
2,800 — Miesbach, 800. — Moosbourg, 1,400 — Mühl-
HAUTE-
846
734,831
dorf, 1,500.—Pfaffennhofen, 1,600.— Reichenhall, 3 600.
BAVIÈRE.
— Rosenheim, 2,600.—Schongau, 1,400. — Sternberg
300 - Teisendorf, 700. — Tittmaning, 1,100 — Τölz,
1,200. - Trauenstein, 3,200. — Trostberg, 900. —
Vilsbibourg, 1,000. — Wasserbonrg, 1,600. — Weilheim,
1,900 — Werdenfels. 1,500. — Wolfrathshausen, 1,200
Juridictions seigneuriales.
Brannenberg,400. — Hohenaschau, 500. — Tegernsée, 300.
19 présidiaux ou justices et 1 juridiction
seigneuriale.
PASSAU, 12,000. — Altenötting, 1,000—Burghausen. 2,600.
— Cham, 2,200. — Deggendorf, 3,000. — Eggenfelden,
1 300 — Grafenau, 700. — Griesbach, 800. — Kötzting,
BASSE-
575
546,596
1,100. - Landau, 1,300. — Mitterfels, 500. — Pfarrkir-
BAVIÈKE.
chen, 1,400. — Regen, 1,100. — Simbaeh.300. — Strau-
bing, 8.000. — Vilshofen, 900. -Vegscheid, 500.-Viech-
tach, 800. —Wolfstein, 1,000.
Juridiction seigneuriale.
Irlbach, 400.
20 présidiaux ou justices, et 7 juridictions
seigneuriales.
RATISBONNE, 30,000, — Abensberg, 1,200.— Amberg, 9,000·
— Beilngries, 1,000. — Burglengenfeld, 1,800. — Hena-
nau, 900. — Ingolsladt,7.000.— Kastel, 1.100 — Kellheim.
2,800. — Nabbourg, 1.500. — Neumarkt, 2,700. — Neu-
HAUT-
'
bourg, 6,000 — Parsberg, 500. — Pfaffenberg, 400 —
480
468,479
PALATINAT.
Regenstauf, 1,500. — Riedenbourg, 900. — Roding,
1,000. - Staidt-am-hot, 1,500. — Sulzbach, 2,400. --
Tresswitz, 500. — Wladmünchen, 800.
Juridictions seigneuriales.
Echmühl, 100 — Eichstädt, 7,000. — Kipfenberg, 800. —
Laberweiting, 5C0. — Wackerstein,? — Winklarn,? —
Worth, 300.
34 présidiaux ou justices, et 6 juridictions
seigneuriales.
BAYREUTH, 16,000. — Bamberg, 25,000 — Bourg-Eberach
700 — Ebermanstadt, 1,800 — Eschenbach. 1,1P0. —
Forchherm, 3,500.—Gefrées, 1,100.— Grafenberg, 1,000
— Höchstadt, 1,400. — Hof, 9,000 — Hollfeld, 1,000.—
Kemnath, 1,500 — Kirchlamitz, 1,100. — Kronach
3,000.— Kulmbach, 5.000. — Lauenstein, 500. — Lich-
HAUTE-
352
499,709
lenfe's, 1,800. - Münchberg, 1,800 — Naila, 1,300. —
FRANCONIE.
Neustadt-am-Kulmen, 1,000. — Pegnitz, 1, 000. — Pot-
tenstein, 800. — Rehau, 1,100.— Schesslitz. 9!)0. — Selb
1,600. — Sesslach, 800.— Stadsteinach, 1,200. — Teus-
chnitz, 800. — Trischenreuth, 700? — Wladsassen,? —
Weidenberg, 2,200. — Weissmain, ?— Wunsiedel, 3,500.
Juridictions seigneuriales.
Banz, 300. — Ebnat, 900 — Presseck, 800. — Mitwitz, 300.
— Tambach, 300. — Thurnau, 1,300.
29 présidiaux ou justices.
ANSPACH, 18,000. — Altdorf, 2,400. — Markt Bibert, 1,200.
— Cadolzbourg, 1,000. — Dinkelsbühl, 8.000.— Erlan-
gen, 12,500. — Furth, 18,800 — Markt-Erlbach, 900. —
Feuchtwangen, 2,000.— Greding, 2.000. —Guzenhansen,
1,800 — Heidenheim, 2.000.— Heilsbrenn, 800. — Her-
MOYENNE-
rieden, 1,000. — Hersbriick, 1,600. — Herzogen-Aurach,
376
533 830
FRANCONIE.
1,500 - Hilpolstein, 600. — Lanf, 1,600 — Leuters-
hausen, 1,000.—Monheim, 1,500. — Neustadt-an-der-
Aisch, 2,000. - Nördlingen, 3,000 *— Nuremberg,
76,000.— Pleinl'eld,800. — Rotenbourg-an-der-Tauber,
8,00 ).—Schwabach, 9.500. Uffenheim, 1,600. — Was-
sertrudingen, 2,200. — Weissenbourg, 5,000.— Winds-
i
heim, 3,500.
I

292
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIÈME.
Nom du cercle.
Superficie
Population
Subdivisions et villes principales avec leur population.
en lieue g.c.
en déc. 1852.
48 présidiaux ou justices.
WÜRZBOBRG, 25,000. — Alzenau, 500. — Arnstein, 2,200.
— Aschaffenbourg. 8.000.—Aura, 1,300.—Bischofsheim,
1,60!).— Brückenau, l,5 0 — Carlstadt, 8.400.—Dettel-
bach, 2,500. — Ebern, 1,000. — Elteman. ? — Euerndorf,
700. — Fladugen, 800. — Frammersbach, 2,200. —
Gemünden, 1 200. — Gerolzhofen, 2,000. — Glensdorf,
400 — Hammelbourg, 2.300. — Hassfurt, 2,000. — Hil-
ters, 900. — Hofheim,
BASSE
470
1,300. — Hombourg, 600. —
595,748
Kaltemberg, 400. - Kissingen, l 000 — Kitzingen.6,000.
FRANCONIE.
I — Klingenberg, 900.— Königshofen-im-Grabfelde ,
1,500. — Lohr, 3.5(»0. — Mainberg,200. - Markt-Breit,
8.000. — Markt-Steft, 1.200. — Mellrichstadt, 2,000. —
Miinnerstadt, 1.600. — Neustadt-an-der-Saale, 1,700. —
Obernbourg, 1500. — Ochsenfurt, 2,000. — Orb, 4,000.
— Prötsborf. 400 — Röthenbuch, 800. — Röttingen
1.300. — Schweinfurt, 7,000. — Sulzheim, 300. — Wol-
kach, 1,600. — Klein-Waldtstadt, 600. — Werneck, 900.
— Weyers, 800 — Wolfmunster, ? — Zeil, 1,000.
32 présidiaux ou justices, et 18 juridictions
seigneuriales.
AUGSBOURG, 40.000. — Aicliach . 2,500. — Bucbloe, 700. —
Bureau, 26,000.— Oillingen, 3,400 — Donanworlh. 3,000.
— Friedberg, 2,000.—Füssen, 2.000.—GojKingen,1.500.
— Gronenbach, 1,000 — Günzbourg, 4,500.— Höchstadt,
SOUABE 480
565,783
2,500. — Iltertissen , 1,200. — Immenstadt, 1,300 —
Kaufbeuren, 4,500 — Kempten, 6,600. — Lauingen, 4,500.
— l indau, 6.500 — Mindelheim, 2,400 — Neubourg,
7.600. — Oberdorf, 1,100. — Obergunzbourg, 800.—
Oltenbuern, 1.700.— Rain, 1,200. — Roggenbourg, 1,800.
— Schwak-München, 2,800. — Schrobenhausen, 1,600.—
Sonthofen, 1,100.—Turkheim, 1.500. — Ursberg, 200. —
Weiler, ? — Wertingen, 1,400. — Zusmarshusen, ?
Divisé en 4 districts et 32 cantons.
Noms des districts.
SPIRE, 9 000. — Durkheim, 3,600. —
Frankenthal, 5,000. — Grünstadt.
SPIRE.
2,500. — Mutterstadt, 1.600. — Neu-
I( stadt-an-der-Harth, 1,700
DEUX-PONTS, 7,000. — Rliescasteï,
1,500 — Dhan, 700. — Hombourg,
1,800. — Neu-Hornbach, 1,100. —
DEUX-PONTS.
Landthul, 800. — Medelsheim, 400.
— Pirmasens, 6,000. — Waldfisch-
PALATINAT.
293
611,476
bach, 500. - Waldmohr, 600
LANDAU, 8,000. — Anweilér, 2.200.—
!
Bergzabern, 2,000. — Edenkoben,
LANDAU.
i
4,000.— Germersheim, 2,400. — Kan-
del, 2,800.
KAISERSLAOTERN. 6,000. — Golheim,
1,000. — Kirchheim-Poland, 2,200 —
Kussel, 1,400. — Lauterecken, 900. —
KAISERSLAUTERN.
Obermoschel,700.— Oterberg,1,600.
—Rockenausen, 1,100 —Weinweiler,
900. — Wolftein, 400.
ROYAUME DE WURTEMBERG.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1852.
par lieues carr.
eu 1852.
354,14 mill car. allem. Homm. 838,275
1,764
Revenus.
Pied de paix. 8,275h.
ou
Femm. 804.988
28,252,905 francs.
Pied de guer. 19,0(7
984 lieues géog carrées
Dette.
Contingent fédéral.
Total. 1,733,263
109.921,840 francs
2,600 hommes.
Contribut fédéral.
162,875 francs.

EUROPE. — ROYAUME DE BOHÊME.
293
( 131 villes. — 183 bourgs. — 1,671 villages. — 3,180 hameaux.)
Nom du cercle.
Superficie
Population
Villes principales.
on lieue carr.
en 1S59.
STUTTGARD, 45 000. — Ludwigsbourg 12,000.—
NECKER.
168
501,034
Heilbronn. 12,000. — Esslingen, 9,000- — Kan-
nstaud,7,000.

Reutlimgen. 12,000 — Rottweil, 4,000.— Rothem-
FORET-NOIRE,
bourg, 6.000. —Tubingue, 9,000. —Alw, 5,000.
240
443,872
Schwarz-Wald.
— Freudenstadt, 3,200. — Magold, 2,000. —
Tuttlingen, 6.000. — Urach, 3 600.

Ulm. 16.000. — Blaubenern, 22,000. — Gi>ppingpn.
DANUBE.
5,000. — Ehingen, 3.000. — Kirchheim, 4,000.
318
413,444
Donau.
— Biberarh. 6,000. — Fried-richshæfen, 1,200.—
Geislingen, 2.000.
Ellwangen, 2,600 - Hall, 7.000. — Gmündt,
IAXT.
258
374,913
7 000 — Marienthal ou Mergentheim, 3,000.—
Heidenheim, 2.600.
LIVRE CENT SOIXANTE TROISIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne méridionale. — Empire d'Autriche.
Description du royaume de Bohême, de la Moravie et de la Silésie autrichienne.
Les possessions de la maison d'Autriche ne forment pas, comme la
France ou l'Espagne, une de ces divisions éternelles du globe où la poli-
tique n'a besoin que de maintenir l'unité déjà établie par les mains de la
nature. On peut considérer l'Empire autrichien comme partagé naturelle-
ment en 9 grandes divisions, qui sont :
1. Le royaume de Bohême.
2. La Moravie et la Silésie autrichienne.
3. L'archiduché d'Autriche.
4. Le comté de Tyrol.
5. Le duché de Styrie.
6. Le royaume d'Illyrie.
7. Le royaume de Gallicie,
8. Le royaume de Hongrie et ses annexes.
9. Le royaume Lombard-Vénitien.
Les six premières qui vont nous occuper maintenant font encore partie
de l'Allemagne, sous le rapport politique, puisque le congrès de 1815 a
décidé qu'elles seraient comprises dans la Confédération germanique.Nous
décrirons les royaumes de Gallicie et de Hongrie, après avoir jeté un der-
nier coup d'œil d'ensemble sur l'Allemagne. Quant à la descriplion du

294
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
royaume Lombard-Vénitien, elle trouvera naturellement sa place avec
celle de l'Italie.
La Bohême, que nous allons examiner sous ses divers points de vue,
est un pays qui, sous le rapport de la géographie physique, comme sous
celui de la géographie politique, est entièrement séparé des pays qui
l'entourent. On ne conçoit même point à quel titre la Bohême, dont la
population est aux deux tiers slave, a pu être incorporée à l'Allemagne.
Sa superficie est d'environ 944 milles carrés d'Allemagne, ou de 2,622
lieues géographiques de France, et sa population était en 1851 de
4,409,900 habitants. Limitrophe à l'ouest avec la Bavière, au nord avec
la Saxe et la Silésie prussienne, elle estentourée par des chaînes de monta-
gnes qui forment un bassin naturel que l'on pourrait au premier abord con-
sidérer comme une antique mer Caspienne, au fond de laquelle se dépo-
sèrent différentes roches calcaires, des grès rouges et des dépôts houillers.
La partie la plus septentrionale du bassin est celle qui présente la pente
la plus rapide; aussi l'Elbe qui traverse celte partie est-il grossi de tous
les cours d'eau qui descendent des montagnes et qui se jettent, soit dans
son lit, soit dans celui de la Moldau, qui se réunit elle-même à l'Elbe.
L'issue par laquelle ce fleuve quitte le bassin de la Bohême pour aller se
jeter dans la mer du Nord, semble être celle par laquelle les eaux qui en
occupaient l'intérieur durent aller se réunir à l'Océan : peut-être doit-on
attribuer à cette irruption une partie des sables qui couvrent les provinces
prussiennes de Magdebourg et de Brandebourg, le Mecklembourg et le
Hanovre. Qu'on nous pardonne ces hypothèses fondées sur des faits, elles
se rattachent à la partie la plus intéressante de la géographie physique.
Quatre chaînes principales forment les contours de ce bassin : celle du Böh-
mer-wald s'étend du sud-est au nord-ouest jusqu'à celle de l'Erz-gebirge ;
celle-ci se prolonge du sud-ouest au nord-est jusqu'au Riesen-gebirge,
qui, suivant une direction contraire, va se rattacher au Möhrisches-gebirge
ou aux monts Moraves, dont la direction est du nord-est au sud-ouest, et qui
vont se joindre aux derniers chaînons du Bôhmer-wald. L'ensemble, de ces
quatre chaînes, qui appartiennent à la formation primitive et offrent du
granit, du grès, des micaschistes et de la syénite, forme, ainsi que l'ont
fait remarquer quelques géographes, un quadrilatère irrégulier, dont la
circonscription, en isolant la Bohême au milieu de l'Europe, a peut-être
eu une grande influence sur sa civilisation comme sur sa constitution poli-
tique! Les moins hautes de ces montagnes sont celles qui se dirigent du
nord-est au sud-ouest et au sud, et qui séparent la Bohême de la Moravie

EUROPE. — ROYAUME DE BOHÊME.
295
et de la Basse-Autriche. Vers les sources de la Moldau, à l'extrémité méri-
dionale du Bohmer-wald, une petite chaîne que l'on appelle les montagnes
du Diable ou Teufels-gebirge, semble indiquer le souvenir d'un culte
idolâtre.
La Bohême est riche en sources minérales; c'est surtout dans la partie
septentrionale qu'existent les plus renommées : les eaux de Sedlitz, dans
le cercle de Saatz ; celles de Satzkame, dans le district de Kaurzin ; celles
de Strobnitz, dans celui de Bechin; en outre, les eaux amères et salines
de Pallon, près de Brix; les sources alcalines de Bilin, celles de Carlsbad
et de Toplitz ; les sources ferrugineuses de Bechin, près de Trautnau et
d'Eger, dans le cercle d'Elnbogen ; les bains de Kleinkuchel, dans le dis-
trict de Beraun; ceux de Tetschen, dans celui de Leitmeritz ; enfin ceux
de Marienbad, connus depuis peu d'années, mais cependant très-célèbres,
suffisent pour donner, sous ce rapport, une idée de la richesse de ce pays.
La Bohême est un des pays de l'Europe les plus riches en productions
minérales, et l'Erz-gebirge est, de toutes les montagnes de ce royaume,
celle qui donne lieu aux exploitations les plus considérables. Sur les
pentes de cette chaîne, sont situées les seules mines d'étain un peu impor-
tantes non-seulement de la Bohême, mais de tout l'empire d'Autriche;
leur produit ne s'élève cependant annuellement qu'à 5,000 quintaux.
Au bas du Riesen-gebirge, on a commencé, depuis plusieurs années, la
recherche de quelques mines d'or. Le district de Kaursin était, il y a huit
siècles, tellement riche en filons aurifères, que, vers l'an 998 , la seule
mine de Tobalka produisait environ 100,000 marcs; ce filon, qu'on
exploitait dans une montagne des environs d'Eule, a été perdu pendant
les troubles des hussites. Jusqu'à présent, les essais que l'on a pu faire sur
plusieurs points n'ont pas répondu à l'attente des mineurs; cependant on
continue toujours avec succès l'opération du lavage sur les bords de
l'Eule, de la Sazawa, de la Wottawa, de la Lesnitz et d'autres rivières qui
coulent au milieu de terrains d'alluvions aurifères. Dans le district de
Tabor, sur le versant des monts Moraves, il existe des mines d'argent;
elles sont peu productives. En général, dans la partie du sud-ouest, les
mines célèbres dans les temps anciens sont aujourd'hui tout-à-fait épui-
sées. D'autres cantons renferment aussi plusieurs mines de cuivre; mais
elles sont loin d'égaler en produits celles de plomb, quoique ces dernières
ne rendent pas plus de 7 à 8,000 quintaux; celles d'argent fournissent
2,400 marcs. Les seules vraiment importantes sont les mines de fer; on
en exploite dans presque toutes les montagnes; la quantité do ce métal

296
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
forgé s'élève à 200,000 quintaux. Le zinc, l'arsenic et le mercure donnent
lieu aussi à diverses exploitations. Les houillères sont abondantes-, mais,
faute d'une quantité suffisante de canaux et de chemins de fer qui facilitent
le transport de leurs produits, on n'en tire pas tout le parti qu'on pourrait
en obtenir. Ainsi elles ne produisent qu'environ 220,000 quintaux, dont
30,000 proviennent des mines de la couronne, et 190,000 do celles des
particuliers. Ce n'est point exagérer que d'estimer qu'elles pourraient
donner un produit dix fois plus considérable-, il est vrai que dans l'état
actuel elles suffisent à la consommation de la Bohème. Il en est de même
des sources salées, dont le produit est assez considérable pour alimenter
non-seulement ce royaume, mais une grande partie de la Basse-Autriche.
Ce pays renferme aussi un grand nombre de substances minérales recher-
chées dans les collections ; quelques-unes des pierres précieuses que
l'on y trouve sont utilisées dans les arts de luxe. Le grenat, le rubis, le
saphir, l'améthyste, l'hyacinthe et la topaze sont employés par les lapi-
daires; le jaspe, la cornaline, et la calcédoine y sont réservés à différents
usages. L'emploi de la pierre de construction, du marbre et de la serpen-
tine y est assez fréquent; enfin on y recueille différentes roches propres à
faire des meules, des schistes utilisés comme pierres à aiguiser, etdukaolin
pour les manufactures de porcelaine.
Donnons une idée du système hydrographique de la Bohême.
Les deux principaux affluents de l'Elbe sont la Moldau et l'Eger. La
première traverse le royaume depuis son extrémité méridionale jusqu'à
Melnik : son cours est d'environ 70 lieues ; elle se grossit de la Sarawa à
droite et de la Beraun à gauche; elle est large, rapide, très-poissonneuse,
et commence à être navigable à Hohenfurth, à 37 lieues au sud de Prague.
Le canal que l'on a projeté d'établir pour la faire communiquer au Danube
sera très-favorable pour les relations commerciales. A partir du Teufels-
gebirge jusqu'à Prague, sur une longueur d'environ 40 lieues, sa pente est
de 85 mètres. Elle devrait avoir le rang de fleuve, que l'Elbe a usurpé, puis-
qu'au point de jonction de ces deux cours d'eau ce dernier n'a parcouru
qu'une longueur de 45 lieues. L'Eger, qui prend sa source dans le Fichtel-
gebirge, au point de jonction de cette chaîne avec le Bohmer-wald, et qui
se jette dans l'Elbe à Théresienstadt après un cours de 46 lieues, suit une
pente un peu moins rapide; elle est de 52 mètres sur une longueur de
32 lieues.
On compte en Bohême plusieurs lacs considérables : les plus impor-
tants sont celui de Teschmitz, dans le district de Klattau ; celui de Ρlo-

EUROPE. — ROYAUME DE BOHÊME.
297
kenstein, dans les montagnes de ce nom, et celui de Kummer, dans le
district de Saatz. Les étangs y sont très-nombreux.. En 1786, on en
comptait plus de 20,000, mais depuis cette époque, le nombre en a été
réduit par des desséchements successifs. L'un des plus vastes est celui
d'Ezeperka, près de Pardubitz; il contient quelques îles considérables
couvertes de bois. Plusieurs marais, formés par les débordements annuels
des rivières ou par les eaux qui, dans quelques parties basses, descendent
des montagnes, sont épars çà et là dans le royaume; mais comme ils
n'atteignent pas une étendue considérable, nous nous dispenserons d'en
parler.
Le climat de la Bohême est d'autant plus varié que ce pays est couvert
de montagnes élevées, de plaines étendues et de profondes vallées. II est
tempéré au centre et vers les frontières du sud-ouest; mais les cimes
couvertes de forêts influent sur la température jusqu'à une assez grande
distance de leurs pentes. Le vent qui domine ordinairement en Bohême
est celui du sud-est; celui qui souffle ensuite le plus fréquemment est le
vent du sud-ouest. En général le vent d'est, comme celui du nord-est, est
presque toujours accompagné d'un temps humide; mais ceux du nord,
du nord-ouest et du sud-ouest sont toujours un signe de sécheresse. Dans
une série de 18 années, on a évalué que le nombre des jours pluvieux
s'élève annuellement à 90; les jours d'orage, y compris ceux où le ciel
est chargé de nuages, comparés à ceux d'une parfaite pureté, sont dans
le rapport de 5 à 1.
On n'a point de documents précis sur l'origine de l'antique population
de la Bohême; on sait seulement qu'elle fut subjuguée et en grande partie
détruite par les Boii, qui, sous le commandement de Sigovèse, vinrent s'y
établir environ six siècles avant notre ère. Strabon, Pline et d'autres
auteurs parlent de ces peuples, auxquels la Bohême doit le nom qu'elle
porte.
Le gros de la nation, fixé au centre des montagnes de la Bohême, n'y
demeura pas longtemps à l'abri des attaques des peuples voisins. Les
Cirnbri, 280 ans avant J.-C, tentèrent de les soumettre, mais ils furent
vaincus; ce ne fut que 30 ou 40 ans après notre ère que les Marcomani
les repoussèrent et vinrent se fixer dans cette contrée. Les Boii, forcés
d'abandonner leur patrie, cherchèrent un refuge dans les plaines qu'arrose
le Danube, et qui forment une partie du royaume do Bavière.
Au rapport de Tacite, les Marcomani étaient les peuples les plus consi-
dérables de ceux qui occupaient l'espace compris entre le Danube et la
VII.
38

298
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
forêt Hercynie ; la conquête qu'ils firent de la Bohême en est une preuve.
Ils étaient gouvernés par des rois tirés des premières familles de leur
nation ; mais depuis le règne d'Auguste, Rome leur imposa des souve-
rains étrangers.
A l'époque où la puissance romaine commençait à chanceler, les des
rendants des Marcomani, pressés par des peuples dont les Romains con-
naissaient à peine les noms, furent à leur tour obligés de céder leur terri-
toire. Ces nations, sorties de la Pologne et du nord de la Hongrie, sont
connues sous là dénomination de Slaves. L'époque de leur première tenta-
tive contre la Bohême est incertaine : ce n'est que vers le sixième siècle
que l'histoire commence à en parler d'une manière plus précise. Ils ont
reçu des Slaves occidentaux le nom de Tchekhes ou Czechs, qui signifie
les premiers, parce que la contrée qu'ils habitaient était la plus rappro-
chée de l'Allemagne. Leur gouvernement fut d'abord populaire : mais
dans la crainte de se voir chassés de la Bohême par les Avares et les Huns,
ils se donnèrent un chef-, ce fut, s'il faut en croire la tradition, un mar-
chand franconien nommé Samo, homme de tête et de courage qui les
gouverna avec sagesse et sut les affranchir du joug des Avares. Restés
idolâtres jusqu'au milieu du neuvième siècle, les Slaves eurent à résister
aux attaques des rois allemands et aux prédications des religieux que
Rome ne cessait de leur envoyer; ce ne fut qu'en 894 que quatorze de
leurs princes et leur grand-duc Borziwoy se firent baptiser, et sous
Boleslas ou Boieslaw II, en 972, Prague fut érigée en évêché.
Othon Ier subjugua la Bohême et la soumit à l'Empire; en 1086, Henri V
donna au duc Brzetislaw Ier le titre de roi : depuis ce temps le royaume
fut électif. Vers le neuvième siècle, un grand nombre d'Allemands s'éta-
blirent successivement en Bohême : ce fut-un bien; ce pays, isolé des
autres nations, n'avait commencé à sortir de la barbarie que depuis l'éta-
blissement du christianisme, qui, en ouvrant des correspondances avec
Rome, préparait la civilisation des Slaves. Au treizième siècle, Ottocar Ier
et son fils Ottocar II encouragèrent de tout leur pouvoir l'établissement des
artistes et des ouvriers allemands. Sous ces princes, l'industrie se répandit
dans les villes; le commerce fut affranchi de ses entraves; l'ordre et la
tranquillité publique furent maintenus par des lois que les principales villes
conservèrent écrites. Ottocar II, appelé au trône d'Autriche, étendit son
pouvoir non-seulement sur la Bohème, mais sur une partie de la Silésie,
de la Pologne et de la Prusse. Mais pour son malheur il refusa avec dédain
la couronne impériale, et Rodolphe de Habsbourg, son grand-maréchal,

EUROPE.—ROYAUME DE BOHÊME.
299
choisi par les électeurs, lui enleva l'Autriche, la Carniole, la Styrie,
et ne lui conserva la Bohême que sous la condition qu'il lui rendrait
hommage.
Au quatorzième siècle, les mœurs et le langage des habitants avaient
subi de grandes modifications : les lois étaient écrites en allemand.
Prague, qui était déjà l'une des villes les plus importantes de l'Allemagne,
devint le siége des arts et des sciences. L'empereur Charles IV avait été élu
roi de Bohême, mais les États du royaume déclarèrent la couronne héré-
ditaire pour ses descendants ; c'est à ce prince que la capitale doit la fon-
dation de son université. Sous son fils Wenceslas VI, en 1378, le pays
vit réformer l'ordre judiciaire, et la langue nationale employée dans les
tribunaux ; ce fut à cette époque qu'on vit apparaître les réformateurs Jean
Huss, Jérôme de Prague, et Jean Ziska, qui soutinrent leur doctrine à main
armée. Après la mort de Wenceslas, le royaume redevint électif.
En 1526, la couronne échut à l'archiduc Ferdinand d'Autriche, parson
mariage avec Jeanne de Bohème; son règne fait époque, non-seulement
parce qu'il établit dans sa maison la succession héréditaire, et qu'il res-
treignit les prérogatives des États de la Bohême dans le seul droit de l'élec-
tion des souverains, mais encore parce que le pays commença à adopter les
principes de la réformation. Il essaya, mais en vain, de s'opposer à leurs
progrès en punissant de l'exil ceux qui étaient soupçonnés d'affiliation aux
nouvelles doctrines, et en établissant la censure des livres; lui-même
donna de la vogue aux ouvrages d'Erasme en acceptant la dédicace des
oeuvres de ce docteur, traduites en langue bohême. Maximilien II, son
successeur, doué d'un esprit sage et tolérant, accorda, en 1567, à tous les
cultes une liberté illimitée; mais Mathias, qui régna ensuite, crut de son
devoir de soumettre les protestants à de nouvelles entraves : au lieu de
controverses, il y eut des rixes et des révoltes qui furent le signal de la
guerre de Trente-Ans, et des malheurs de la Bohême. Sa population dimi-
nuée, ses finances épuisées faisaient craindre que de longtemps elle ne pût
réparer ses pertes, lorsque le règne de Marie-Thérèse cicatrisa ses plaies
encore saignantes. La Bohême doit à cette impératrice l'abolition de l'es-
clavage et la liberté de l'industrie; c'est à cette femme célèbre et à ses
successeurs que ce royaume est redevable d'une grande amélioration dans
l'ordre judiciaire, de plusieurs lois sages, d'un meilleur système d'éduca.
lion et de quelques institutions qui, sans être comparables à la plupart de
celles qui depuis le commencement de ce siècle ont assuré la prospérité de
plusieurs États de l'Europe, n'en sont pas moins un bienfait.

300
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
D'après l'acte fédératif de 1815, la Bohême fait partie de la Confédéra-
tion germanique. La succession au trône appartient en ligne directe à la
dynastie régnante, comme partie intégrante de la monarchie autrichienne;
suivant la loi fondamentale du royaume, son organisation politique reste
assise sur les mêmes bases que dans les siècles passés. Le roi, lors de son
couronnement, prêle le serment de ne point aliéner le royaume, de respecter
la constitution, de protéger les États, et de leur conserver les privilèges
qu'ils ont obtenus des empereurs Ferdinand II, Ferdinand III et de leurs
successeurs; de maintenir la justice et de soutenir de tout son pouvoir la
religion catholique, apostolique et romaine.
Les États sont divisés en quatre classes : celle du clergé , celle de la
noblesse supérieure ou des seigneurs, celle de la noblesse inférieure ou
des chevaliers, et celle des villes royales. Leurs députés se constituent en
assemblée générale aux époques fixées par le roi, sous la présidence d'un
commissaire royal-; leurs fonctions se bornent à aviser aux moyens d'exé-
cuter les propositions faites par la couronne; toute supplique ou proposi-
tion de leur part ne peut être faite si elle n'a été approuvée par le gouver-
nement ou par le président; car le roi de Bohême est toujours souverain
absolu de son pays. Les ducs, les princes, les comtes et tous les seigneurs
jouissant de majorats, représentent la noblesse supérieure; parmi les pri-
viléges accordés à celle-ci, on doit mettre en première ligne celui d'occuper
les 8 principales charges publiques. Bien que le nombre des villes royales
s'élève à 48, quatre seulement ont le droit, par les députés qu'elles
nomment, de les représenter toutes. Ces villes privilégiées sont Prague,
Budweis, Pilsen et Kuttenberg. Une autre classe de villes se compose de
celles qui sont immédiatement soumises au gouvernement; trois de ces der-
nières, Saatz, Kommotau et Kaaden, ont le droit de se faire représenter à
l'assemblée; enfin la dernière classe des villes privilégiées comprend les
cités protégées, qui, à ce titre, sont affranchies de la servitude et des impôts
seigneuriaux, quoiqu'elles puissent faire partie d'une seigneurie. La plu-
part des villes dont le territoire possède des mines appartiennent à cette
classe.
Malgré ces catégories et celles qui distinguent encore les paysans en
quatre classes, selon qu'ils sont propriétaires de maisons ou de terres,
qu'ils sont fermiers ou simplement journaliers, la répartition de la justice
n'admet point de différence personnelle dans les individus. La police exerce
une égale surveillance sur tous; cependant il faut le dire, celle-ci montre
à l'égard de la population juive une sévérité qui semble rappeler les pré-

EUROPE. — ROYAUME DE BOHÊME.
301
jugés du moyen-âge, que notre civilisation moderne tend de jour en jour à
effacer davantage.
Les cloîtres sont très-nombreux en Bohême : on compte environ 76
couvents, chapitres ou confréries, dont seulement 5 de femmes. L'arche-
vêque de Prague, qui prend le titre de prince du royaume, et qui reçoit de
Rome celui de légat du Saint-Siége, jouit du rang et des prérogatives de
prince; sa nomination, ainsi que celle des évêques, appartiennent au roi :
le pape ne fait que les approuver. Aucune bulle ne peut être publiée sans
le consentement du gouvernement. Les communions protestantes sont
sous la surveillance des consistoires de Prague et de Vienne. Le culte
israélite est soumis à l'inspection d'un conseil composé du grand rabbin
de Prague et de deux adjoints.
Le nombre des habitants de la Bohême s'élevait, en 1818, à 3,275,866
individus, dont 1,520,934 du sexe masculin, et 1,754,932 du sexe fémi-
nin; il était, en 1851, de 4,409,900. Sur ce nombre on comptait 4,190,892
catholiques; 34,311 protestants de la confession d'Augsbourg; 52,671
protestants réformés, et 70,037 juifs.
Trois nations principales composent /a population : les Tchèkhes ou
Slaves, les Allemands et les Juifs ; et quoique les premiers forment plus
des deux tiers des habitants du royaume, la langue allemande est d'un
usage général dans la haute société et dans la bourgeoisie des villes ; cepen-
dant la classe inférieure du peuple tchèkhe a conservé la sienne, et dans la
classe moyenne on parle généralement les deux.
La langue tchèkhe ou bohême est un des dialectes slaves qu'Adrien Balbi
désigne sous le nom de bohémo-poîonais; elle se distingue des autres dia-
lectes, tels que le polonais, le croate et le ragusain, non-seulement par ses
formes grammaticales, mais encore par l'usage des lettres allemandes,
tandis que ceux-ci se servent des lettres latines. On reconnaît le Bohême
d'origine tchèkhe à sa prononciation particulière; le Bohême allemand
conserve la prononciation bavaroise, saxone, silésienne ou autrichienne ,
selon qu'il descend de ces différentes nations, ou qu'il habite les frontières
qui en sont limitrophes. Le plus ancien monument de la langue tchèkhe
est un chant d'église composé vers l'an 990.
L'habitant de la Bohême est robuste, laborieux, d'une taille générale-
ment moyenne, et rarement gras.
Sous le rapport moral, l'Allemand et le Tchèkhe diffèrent autant que
par leur langage ; ils ne se ressemblent que par leur fidélité à remplir les
devoirs de la religion, par leur dévouement pour le souverain, et l'espèce

302
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
d'inimitié qu'ils portent à la noblesse seigneuriale. Ce qui distingue le
Slave de l'Allemand, c'est le soin qu'il prend de ses propriétés et le désir
constant qu'il montre d'en acquérir ; il est moins laborieux, moins suscep-
tible d'attachement et de fidélité dans ses affections, plus disposé à recher-
cher la société et les sujets de dissipation. Il se pique d'une grande pru-
dence et se montre ordinairement méfiant surtout dans ses rapports avec
l'Allemand, qu'il regarde toujours comme une sorte d'ennemi ; mais,
dans le service des armes, l'Allemand et le Slave rivalisent de zèle et de
courage. L'habitant des montagnes a pour caractère distinctif une sorte
d'aptitude aux arts, et une noblesse, une fierté dans les sentiments qu'on
observe rarement chez l'habitant des plaines.
Le voyageur qui parcourt la Bohême ne peut s'empêcher d'observer
des différences marquées entre les costumes des habitants. Ce n'est point,
comme dans beaucoup de pays, les seules nuances de condition et de for-
tune qui constituent ces différences; elles servent encore à distinguer le
Slave de l'Allemand et l'Allemand de l'Israélite. Dans les montagnes
comme dans les plaines, on reconnaît l'habillement slave à sa ressem-
blance avec l'habillement polonais. Quelques Allemands, ont, il est vrai,
adopté ce costume, mais un caractère particulier de physionomie empêche
l'œil observateur de les confondre; cependant ce n'est que chez le peuple
que l'on peut faire cette distinction. La classe moyenne, comme les riches,
s'habillent à la française, et nos modes même sont promptement adoptées
par ceux qu'on est convenu d'appeler les gens du bon ton. La plupart des
juifs ont conservé l'ancien costume resté en usage chez la classe ouvrière;
mais ils sont tous reconnaissables par le désordre qui règne dans leur
habillement et surtout par leur malpropreté. On remarque aussi des diffé-
rences frappantes dans la nourriture des habitants du peuple; mais elles
tiennent plus à la richesse ou à la pauvreté des cantons qu'à la richesse
ou à la pauvreté des habitants. Partout règne une grande sobriété. Dans
les montagnes, la farine de seigle, celle d'avoine, le lait et les pommes de
terre sont les aliments habituels, surtout chez le laboureur; la bière y est
réservée pour les jours de fête. Mais dans les vallées et dans les plaines,
où la nature, moins avare, récompense l'agriculteur de ses soins et de ses
peines, la nourriture est plus substantielle et plus variée; l'usage de la
viande y est moins rare, et, chez les riches cultivateurs, la bière est la
boisson habituelle; le vin la remplace quelquefois, mais l'eau-de-vie est
réservée pour le dimanche et les repas de cérémonie. Le juif, plus sobre
encore que les autres habitants, semble se priver de la nourriture néces-

EUROPE.
—ROYAUME DE BOHÊME.
303
saire; sa maigreur seule suffirait pour le faire reconnaître. Ce n'est que le
soir qu'il prend quelques aliments chauds, et, malgré l'état de misère et
de dégradation dans lequel il est tombé, jamais on ne le voit chercher à
s'en consoler en se livrant aux excès du vin, tandis que l'ivresse semble
être la jouissance du chrétien dans les jours de désœuvrement.
A voir avec quel mépris le paysan regarde celui qui ne possède point de
terres, on croirait que l'agriculture est très-avancée en Bohême, et que
l'agriculteur sait tirer du sol tout le parti convenable; néanmoins, il est peu
de pays où l'industrie agricole soit plus arriérée. L'indolence et la paresse
du cultivateur en sont les principales causes, puisque c'est dans les can-
tons où la qualité de la terre semblerait devoir produire les plus abon-
dantes récoltes, que l'on est étonné de leur médiocrité. Dans les mon-
tagnes, au contraire, l'aridité d'un terrain pierreux, et l'inclémence des
saisons, qui sont de puissants obstacles à la fertilité, ont rendu le peuple
plus actif et plus intelligent. Grâce à ses efforts, quelques cantons produi-
sent plus que ne l'exige la consommation locale, et l'on a même sur-
nommé, dans la chaîne centrale, le canton de Leitmeritz, le paradis de la
Bohême.
Les bergeries sont négligées non-seulement dans la chaîne du Biesen-
gebirge, qui renferme cependant d'assez bons pâturages,mais en général
dans tout le royaume; en revanche, les chèvres y abondent. Le cheval est,
dans ce pays, l'animal privilégié : on y compte beaucoup de haras, dont
plusieurs, entretenus aux frais du gouvernement, ont naturalisé une race
pleine de vigueur et d'autres qualités. Les plus importants sont ceux de
Blatto, Alt-Bunzlau, Chlumetz, Josephstatd, Klattau, Königsgrätz,
Nemoschutz, Nimbourg, Pardubilz, Pilsen, Pisek, Podiebrad, Prague,
Tabor, Theresiensladt et Kladrubg.
La nature ne paraît point favoriser en Bohême la culture de la vigne :
on n'estime qu'à 2,600 eimer, ou environ 1,400 hectolitres, la quantité
de vin qu'elle produit. Cependant voilà plus de -600 ans qu'elle y a été
introduite. On prétend même que dans le quatorzième siècle, sous le règne
de Charles IV, qui fit venir des plants de la Bourgogne et des bords du
Rhin, elle fut tellement répandue qu'on put, sans inconvénient, s'op-
poser à l'introduction des vins étrangers.
La culture des arbres fruitiers est d'un produit avantageux; leur
nombre a augmenté considérablement depuis 40 ans; et cependant à
cette époque on en comptait près de 11,000,000, principalement des
pommiers, des poiriers, des pruniers et des cerisiers, surtout dans les

304
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
districts de Bidskhow, Königsgrätz, Bunzlau, Saalz, Leitmeritz, Prachin
Rakonitz ; leur récolte annuelle est une branche importante de commerce.
Après ces végétaux, les deux plantes les plus productives sont le lin,
et surtout le noublon : cette dernière est cultivée dans tous ies terrains
doués de quelque fertilité. On en compte deux espèces, celui des champs
et le houblon vert, qui se propage de lui-même.
Les forêts de la Bohême renferment toutes les espèces d'arbres connues
en Allemagne; leurs coupes réglées produisent 6,936,000 stères; cette
quantité est plus que suffisante pour les besoins de la population, aussi
en exporte-t-on beaucoup.
L'éducation de ces industrieux insectes qui nous fournissent le miel et
la cire, est très-répandue dans le royaume, et nous ne croyons pas qu'on
puisse estimer à moins de 60,000 le nombre des ruches réparties chez les
divers propriétaires.
La chasse et la pêche sont très-productives dans ce pays-, les mon-
tagnes et les forêts abondent en gibier de différentes espèces, dont quel-
ques-unes même se multiplient dans les plaines livrées à la culture; les
rivières et les étangs nourrissent de nombreuses espèces de poissons.
Dans la Moldau, dans l'Elster et plusieurs autres rivières, on recueille un
grand nombre de perles produites par la mulette margaritifère ; dans
l'Elbe, on prend souvent des saumons, et surtout le poisson appelé par
les Allemands welsfisch (silure commun), de 45 à 50 kilogrammes. Dans
quelques étangs, on pêche assez fréquemment des carpes de 10 à 15 kilo-
grammes.
Depuis près de 40 ans, l'industrie a fait en général des progrès assez
rapides en Bohême. C'est surtout la fabrication des tissus de laine et des
tissus de coton qui a acquis le plus d'importance ; celle des toiles est aussi
considérable. Reichenberg est la principale ville manufacturière. Il existe
aussi à Hirschenstand et dans d'autres villages du cercle d'Élnbogen,
des fabriques de dentelles et de blondes qui sont connues depuis long-
temps.
La Bohême n'exporte qu'une petite partie des produits de son industrie:
l'excédant de sa consommation en toile de lin et de chanvre est expédié
en Saxe; la plupart des provinces de la monarchie autrichienne consom-
ment ses tissus de coton ; le système de douanes établi dans les États
limitrophes a considérablement diminué les exportations de draps : on
n'en envoie plus que quelques milliers de pièces en Bavière; cependant
Vérone, Bergame, Parme, Modène, le Piémont, la Toscane, les États de

EUROPE. — ROYAUME DE BOHÊME.
305
l'Église et la Turquie en reçoivent aussi. Tous ces produits et ceux de la
culture, tels que les grains, les légumes, les fruits et les bois que les forêts
produisent en sus de la consommation du pays, constituent un commerce
d'exportation assez considérable pour que la Bohême puisse se procurer
en échange les denrées coloniales nécessaires à ses besoins. Le produit de
ses pêcheries est en grande partie consommé par l'Autriche ; mais ce qui
anime surtout le commerce de cette contrée, ce sont ses foires annuelles,
dont les plus considérables se tiennent à Prague et à Pilsen.
Le transport des marchandises se fait principalement par l'Elbe, la
Moldau et l'Egor, sur des bateaux qui portent depuis 300 jusqu'à 1,200
quintaux. La navigation contre le courant se fait souvent à l'aide de voiles,
tant que les vents du nord et du nord-est règnent dans les contrées que
l'Elbe arrose.
La Bohême tire un grand avantage commercial du chemin de fer qui
permet de conduire de Budweis, sur la Moldau, les productions et les
marchandises à Linz, sur le Danube, et qui remplace avantageusement le
canal de communication projeté autrefois.
Les routes principales qui, en 1817, ne formaient pas une longueur
totale de 350 lieues, en présentent une aujourd'hui de plus de 650. Les 21
principales sont celles de Leipsick et de Vienne, les deux plus importantes
routes de commerce et de poste ; et celles de Carlsbad, de Budweis, de
Dresde, d'Éger, de Fisch, de Glatz, de Konigsgratz, de Linz, de Leitme-
ritz, de Littau, de Melnik, de Pilgram, de Poliezka, de Reichenberg, de
Rumbourg, de Saatz, de Silésie, de Tabor et de Töplitz. Le service des
diligences et de la poste appartient au gouvernement. Ajoutons-y la ligne
de chemin de fer de Budweiss à Linz, dont nous venons de parler, et qui,
sans aucun doute, n'est que le premier tronçon d'une ligne plus impor-
tante; ajoutons-y, encore, la grande ligne de Berlin à Vienne par Dresde
et Prague, qui, remontant la vallée de l'Elbe, traverse le nord-est de la
Bohême, et nous aurons complété l'exposé des grandes voies de commu-
nication de la Bohême.
Les détails dans lesquels nous sommes entrés suffisent pour donner une
idée exacte de la Bohême-, nous allons essayer de décrire ses principales
villes.
Presque au centre du royaume et sur les deux rives de la Moldau est
située Prague, sa capitale, que les Bohêmes nomment Praha. C'est une
grande ville, bien bâtie, qui compte 120,000 âmes. Sonbeau port, son
château royal appelé le Hradschin, sa cathédrale qui occupe le sommet
VII.
39

306
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
d'une colline, les nombreux palais de l'ancienne noblesse, le vieux style
architectural d'un grand nombre de maisons particulières, tout cela donne
à la ville un aspect d'antiquité et de grandeur. Outre les monuments que
nous venons de nommer, on remarque encore l'hôtel-de-ville, le palais
archiépiscopal, l'église de la Croix, celle de Thein, où l'on remarque le
mausolée de Tycho-Brahé ; celle de Saint-Veit, celle de Saint-Sauveur et
celle de Saint-Nicolas. Les palais de Wallenstein, de Schwarzenberg et de
Czernim attirent l'attention par leurs proportions et leur architecture.
La capitale de la Bohême renferme un très grand nombre d'établisse-
ments scientifiques, littéraires et artistiques. Au premier rang brille sa
célèbre université, le Carolinum, fondée en 1371 par l'empereur Charles IV.
C'est dans son enceinte que Jean Huss et Jérôme de Prague firent entendre
pour la première fois leurs prédications. A cette institution sont annexés
un observatoire, de riches collections scientifiques et une bibliothèque de
140,000 volumes. Viennent ensuite l'académie des sciences, l'institut
polytechnique, l'école vétérinaire, la société du Muséum national de
Bohême, l'académie de peinture et le conservatoire de musique. Prague se
distingue aussi par son activité industrielle. Elle renferme de nombreuses
fabriques de toiles et d'étoffes de coton, des tanneries, des chapelleries et
des verreries. La plus grande partie du commerce se concentre dans cette
capitale-, il s'y tient annuellement trois grandes foires. Son commerce
est d'ailleurs activé par sa position centrale sur une belle rivière navigable
et sur l'importante ligne de chemin de fer de Berlin à Vienne par Dresde.
Prague est une ville fortifiée, mais elle est dominée par des hauteurs qui la
commandent.
On croit que Prague occupe l'emplacement de la cité des Marcomani
appelée Marobudum, du nom de leur roi Marobod ou Maroboduus. Quel-
ques auteurs la regardent comme la Casurgis de Ptolémée. Ruinée par
l'invasion des Barbares, les Slaves la relevèrent en 611 ; elle acquit de
l'importance en 723, et vers le quinzième siècle sa population était si
considérable, que son université comptait 7,000 étudiants. Les persécu-
tions excitées contre Jean Huss, qui naquit dans les environs de cette ville,
et la révolte des hussites causèrent la ruine de cet établissement, qui ne
s'est relevé depuis que par la munificence des rois.
Après la capitale, il est peu de villes qui méritent une description
détaillée : dire que Reichenberg, sur la Reisse, est après Prague la plus
importante ville du royaume, bien qu'elle n'ait que 14,000 habitants, et
que c'est le Manchester de la Bohême; que Josephstadt, autrefois Pless,

EUROPE. —ROYAUME DE BOHÊME.
307
en est une des principales places fortes ; que Kuttemberg et Joachimsthal
doivent leur importance aux riches mines de métaux utiles que renferment
leurs environs ; que Iung-Brunzlau, petite ville bâtie en 973 par Boleslas II,
sur la rive gauche de l'ïsar, renferme 3,600 habitants, riches de leur indus-
trie et de leur commerce; rappeler que la petite cité manufacturière de
Reichstadt fut l'apanage du fils de Napoléon; citer parmi les villes les
mieux bâties Leitmeritz, petite place forte, peuplée seulement de 4,000
individus, et siége d'un évêché dont la cathédrale est très-belle; dans ses
environs, la forteresse de Theresiensladt, sur le bord de l'Egor, près de
son embouchure dans l'Elbe, qui domine une petite ville de 1,000 habi-
tants; Kamnilz, siége principal du commerce de verrerie; le fameux vil-
lage de Warnsdorf, le plus grand de toute la Bohème, et qui par ses 800
maisons bien bâties, ses édifices et son industrie, est plus important que
beaucoup de villes; Töplitz, dont les 2,600 habitants s'enrichissent du
produit de ses sources jaillissantes; Saatz, en bohême Zatecz, sur la rive
droite de l'Éger, peuplée de 3,800 individus, et fondée en 718 par un riche
seigneur bohème nommé Schwach ; Carlsbad, presque aussi célèbre par
ses épingles et ses ouvrages en acier que par ses eaux, petite ville entourée
de forêts et de hautes montagnes, et dont les sources, qui constituent sa
richesse, furent signalées, dit-on, pendant une chasse de l'empereur
Charles IV, par les cris d'un de ses chiens tombé dans une mare bouil-
lante, ce qui détermina ce prince à essayer leur vertu salutaire; Eger,
peuplée de 8,500 individus, dont l'industrie consiste à fabriquer des
cotonnades, des tuyaux de chanvre et des limes; Pilsen, aussi peuplée,
mais enrichie par ses manufactures de drap, par ses 4 foires annuelles,
par son institut philosophique et ses autres établissements littéraires, et
par les exploitations de fer et d'alun de ses environs ; Pisek, qui passe
pour être une des plus jolies villes du royaume; Budweis, qui renferme
un gymnase, un arsenal et 6,000 habitants, et qui communique par un
chemin de fer avec Linz-Freystadt, dans la Haute-Autriche; Tabor, sur
une hauteur et jadis fortifiée, célèbre pendant les guerres des hussites ;
Königsgratz, en bohémien Kralowy-hradecz, jolie ville de 6,000 âmes,
autrefois plus considérable, aujourd'hui siége d'un évêché, fortifiée par
Marie-Thérèse et renfermant des écoles et des collections ; citer, nous le
répétons, ces différentes villes, c'est prouver le peu d'importance de celles
que nous n'avons point comprises dans cette énumération.
Le gouvernement de la Bohême s'attache depuis longtemps à répandre
l'instruction et les lumières dans toutes les classes de la population. Il est

308
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
d'ailleurs à remarquer que tous les habitants de la Bohème, et surtout
ceux de la race slave, montrent beaucoup de dispositions pour les arts et
les sciences. L'université de Prague, l'école polytechnique, l'école nor-
male, les gymnases et les écoles d'industrie sont richement dotés; les
écoles élémentaires et les institutions particulières sont nombreuses, les
Israélites mêmes en possèdent un nombre suffisant. Il y a aussi plusieurs
sociétés savantes don t les travaux sont estimés, et des sociétés destinées à
répandre gratuitement l'instruction et l'amour du travail.
Ce qui fait surtout honneur au gouvernement et à la classe aisée de la
Bohême, c'est le nombre de ses établissements de bienfaisance: dans
presque toutes les villes on trouve des hôpitaux pour les malades, pour
les orphelins, pour les pauvres et des bureaux de bienfaisance chargés de
distribuer des secours en argent ou en nature aux malheureux.
La Moravie, en allemand Mœhren, tire son nom de la Morawa, rivière
ainsi nommée par les anciens Slaves, et que les Allemands appellent
Mardi. Cette province, qui porte le titre de comté ou de margraviat, est
réunie à la Silésie autrichienne sous le rapport politique, et forme une
province encore moins allemande que la Bohême, puisque les peuples
slaves en font plus des trois quarts de la population. Nous allons
examiner d'abord ces deux parties séparément sous le point de vue
physique.
L'étendue de la Moravie est de 45 lieues du nord au sud, et de 52 du
nord-est au sud-ouest. Elle est bornée à l'ouest par la Bohême, au sud et
à l'est par l'archiduché d'Autriche et la Hongrie, au nord par la Silésie.
Plus de la moitié de ce pays est couverte de montagnes, qui forment,
surtout vers le sud, des vallées agréables et fertiles. Le sol est élevé de
200 à 300 mètres au-dessus du niveau de la mer : sa pente est principa-
lement inclinée vers le sud; la March, sa principale rivière, qui prend sa
source dans les monts Sudètes, coule du nord au midi et reçoit la plupart
des cours d'eau qui descendent des montagnes; elle va se réunir à la Taya,
sur la frontière méridionale de la province.
Franchissons les montagnes qui séparent la Moravie de la Silésie;
montons sur l'Alt-Vater, qui, ainsi que l'indique son nom, semble être le
vieux père de la chaîne de Gesenke, dont les sommités vont se joindre à
celles des Sudètes, qui se prolongent au loin vers le royaume de Saxe. De
cette haute montagne on voit s'étendre, du sud-est au nord-ouest, la
longue et étroite Silésie autrichienne, qui occupe 38 lieues dans cette

EUROPE. — MORAVIE ET SILÉSIE AUTRICHIENNE.
309
'direction, sur une largeur moyenne de 8 à 9 lieues. En traversant ces
monts élevés, on ne peut s'empêcher de remarquer la belle cascade qui
tombe du Hungersberg, et le Bischofskappe, dont la cime atteint près de
900 mètres de hauteur. La contrée qui occupe le versant septentrional
de la chaîne de Gesenke est la partie la plus élevée des deux Silésies :
on y exploitait jadis de riches mines d'or et d'argent, surtout au Hackel-
berg. Suivant une tradition, les Mongols enlevèrent, en 1421, non seule-
ment les ouvriers employés à l'extraction de ces mines, mais la plupart
des mineurs de la Silésie. Ces exploitations, reprises depuis à diverses
époques, ne paraissent pas devoir être aujourd'hui d'un grand avantage.
Les Quadi, l'un des plus anciens peuples de la Moravie, étaient voisins
et amis des Marcomani, qui, ainsi que nous l'avons vu, se rendirent maîtres
de la Bohême. Les Quadi sont les mêmes peuples que Strabon appelle
Coldui; leur histoire est fort obscure jusqu'au temps de Caracalla, qui tua
leur roi Gaiobomar. Les Quadi, unis aux Marcomani, furent quelquefois
redoutables aux Romains, et ils envahirent plusieurs fois l'empire; mais,
accablés par le nombre et divisés entre eux, ils durent se soumettre à l'em-
pereur Valentinien; il parla avec tant d'emportement à leurs ambassadeurs,
qu'un vaisseau se rompit dans sa poitrine, et qu'il expira noyé dans son
sang. C'était le 17 novembre 375. Suivant Ptolémée, les Quadi possédaient
plusieurs cités importantes : Rhobodunum, aujourd'hui Hradisch; Phile-
cia, que l'on croit être Olmûtz ; Coridorgis, à peu de distance de Brünn ;
Phurgisatis, près de Znaïm ; 'et Mediolunum, dans les environs de Freu-
denthal, à l'ouest de Troppau.
Au septième siècle, les descendants des Quadi fondèrent le royaume de
Moravie, qui s'étendait jusqu'à Belgrade, et comprenait conséquemment
une grande partie de la Hongrie. Vers la fin du neuvième siècle, les Francs
et les Huns attaquèrent les Moraviens des deux côtés, et bientôt leurs vastes
possessions devinrent la proie de toutes les nations voisines. On fixe la
destruction totale de cet empire au règne de Suatobog et à l'année 908.
Deux cents ans plus tard, les Slaves dirigèrent leurs conquêtes sur ce
point et joignirent au royaume de Bohême la Moravie, qui fut érigée en
margraviat; mais depuis le règne de Mathias, roi de Bohême et de Hongrie
au quinzième siècle, la Moravie n'a plus eu de margraves particuliers.
La population de la Moravie était, en 1851, de 1,799,838 habitants, et
celle de la Silésie autrichienne, de 438,586 habitants. Les Slaves, trois
fois plus nombreux que les Allemands, habitent en grande partie le centre
du pays, et les Allemands les montagnes. Les premiers se divisent en plu-

310
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
sieurs branches : les Hannaques, les Straniaques, les Slowaques ou Char-
wales, les Horaques ou Poohoraques, les Podzulaques et les Wallaques. Les
Hannaques tirent leur nom de la petite rivière de Hanna ; ils ont un lan-
gage, des mœurs et un costume particuliers-, leur principale richesse con-
siste en troupeaux et en volailles. Les Slraniaques habitent près des
frontières de la Hongrie. Les autres peuplades se distinguent également
entre elles; mais la plus remarquable est celle que l'on nomme Wallaque.
Elle ne descend point de la Valachie, comme on pourrait le croire; elle
paraît avoir pris son nom du Waag ou du Waha, dont elle habitait autre-
fois les bords, avant qu'elle se fût étab ie sur le versant occidental des
petits Carpathes. Ces Wallaques parlent un dialecte bohême, et portent le
costume hongrois vert ou bleu. Avant le dernier siècle, lorsque d'immenses
forêts de hêtres et d'érables couvraient encore les montagnes qu'ils habitent
ils y recueillaient une grande quantité d'amadou, dont ils faisaient un
commerce important; aujourd'hui leur sol défriché les oblige à se livrer à
l'agriculture. Ils recueillent bien encore l'utile agaric que l'on vend sous le
nom
amadou, mais au lieu de cent charretées par an, ils n'en expédient
plus que cinq ou six que l'on dirige sur Leipsick. Ils se font remarquer par
leur propreté et surtout par la blancheur de leur linge; ils sont braves à la
guerre, tolérants dans leur religion, et d'une probité scrupuleuse dans
leurs relations habituelles. Les Hannaques et les Slowaques paraissent
descendre des Marcomani.
La langue slave, corrompue chez ces diverses peuplades, dérive du
tchèkhe ou du bohême. Les consonnes y sont multipliées, mais elle est
riche, harmonieuse même, et se prête facilement aux diverses intonations
du chant. Sa littérature est plus ancienne que la littérature polonaise. Ses
principaux monuments sont un hymne composé vers l'an 990 par l'évêque
Adalbert, le psautier latin-bohême de Wittemberg du douzième ou du
treizième siècle, la chronique de Dalemil, envers, qui date à peu près de
l'an 1310, et la traduction de la Bible.
Non-seulement en Bohême, mais en Moravie et en Silésie, on reconnaît
encore les différents dialectes du bohêmo-polonais chez les peuplades
slaves, malgré le mélange de mots allemands qu'elles y ont intro-
duits. Le hannaque est rude dans sa prononciation; le slowaque se
divise en deux sous-dialectes : le slowaque-morave,en usage chez les Slo-
waques cl les Wallaques, et le slowaque-silésien, mélange de polonais,
d'allemand et de slowaque. Tous deux se distinguent des autres par leur
douceur,

EUROPE. — MORAVIE ET SILÉSIE AUTRICHIENNE.
311
La nation allemande se subdivise aussi en quatre branches, que l'on
distingue par les noms suivants : les Hochlanders, ou Silésiens, qui
habitent la chaîne du Gesenke; les Kuhhändlers, qui occupent la partie
orientale du pays ; les Puijaners, ou Allemands-Autrichiens, et le Schon-
hangstlers, situés sur le versant oriental des monts Moraves.
Les peuples qui se fixèrent le plus tard dans la Moravie sont les descen-
dants des Allemands, qui s'y sont établis pendant la guerre de Trente-
Ans ; les Croates, que l'on reconnaît encore dans la seigneurie de Diirn-
holm ·, les Français, dans celle de Göding ; et les Juifs, dans les différentes
villes commerçantes.
La Moravie et la Silésie comptent 2,092,265 catholiques, 89,446 pro-
testants de la confession d'Augsbourg, 28,819 protestants réformés, et
40,064 juifs. La Silésie autrichienne renferme beaucoup de luthériens, et,
pour quelques affaires religieuses, elle est une des dépendances du dio-
cèse de Breslau. Le culte protestant est sous la direction du consistoire
général de Vienne; quant aux catholiques, ils ont pour chefs spirituels
l'évêque de Brünn et l'archevêque d'Olmütz. Comme en Bohême, les
couvents sont ici très-nombreux.
Malgré son élévation au-dessus du niveau de la mer, le climat de la
Moravie est plus doux que dans plusieurs contrées situées sous le même
parallèle. Au delà du 49e degré, on cultive encore la vigne avec assez de
succès. Dans les plus grandes chaleurs, le thermomètre monte à 28°, mais
aussi dans certains hivers on le voit descendre à 22. A Olmütz, la tempé-
rature moyenne est de 7°,3 ; les montagnes sont exposées à un climat
beaucoup plus rude que le centre du pays; aussi les récoltes se font-elles
cinq ou six semaines plus tôt vers le centre de la Moravie que dans la
contrée montagneuse de la Silésie. A Brünn, par exemple, les cerises sont
en pleine maturité au mois de juin, tandis qu'en Silésie elles ne com-
mencent à se colorer que dans les premiers jours d'août. Le vent du nord-
est est celui qui règne ordinairement dans ces deux pays. La direction des
montagnes et des vallées a d'ailleurs une grande influence sur l'action des
vents en Moravie et en Silésie; ceux de l'ouest, du sud-ouest et du sud
sont ordinairement accompagnés de pluie, d'orages et de brouillards; ceux
du sud-est rendent au contraire l'air pur et serein.
Le pays nourrit beaucoup de gibier, de volailles, de poissons, d'abeilles
et d'animaux domesliques; les bestiaux constituent la principale richesse
du Silésien. Ce peuple, sobre et laborieux, ne jouit point d'une grande
aisance. Les récoltes en céréales surpassent, en Moravie et en Silésie, les

312
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME
besoins de la population; cependant on récolte peu de blé pour l'expor-
tation. Les pommes de terre, la plupart des légumes, l'anis, le houblon, le
lin, le chanvre, la garance, le safran et le sénevé y sont abondants. Le lin
est cultivé en grand, principalement dans les cercles de Brünn et d'Olmutz,
mais il est moins estimé que celui de la Silésie. Outre la vigne, les arbres
fruitiers y réussissent, mais celui qui y est le plus commun est le noyer.
On exporte une grande quantité de vin. Des coupes de bois faites inconsi-
dérément ont diminué sensiblement les produits des forêts; mais depuis
que celles-ci sont administrées avec plus de soin, elles commencent à pro-
mettre pour l'avenir d'importants revenus. Dans les plaines, les prairies et
les pâturages sont peu considérables, mais ils sont assez étendus dans les
vallées et les montagnes pour que l'on doive espérer que les bestiaux et les
moutons deviendront aussi nombreux qu'en Bohême ; déjà on y élève plus
de chevaux que dans ce royaume.
Les richesses minérales de la Moravie et de la Silésie sont assez variées;
l'or et l'argent y étaient abondants jadis, ainsi que nous l'avons dit. Les
mines exploitées aujourd'hui sont principalement celles de fer, de houille
et de plomb; l'alun, le marbre et diverses autres roches y sont utilisés,
mais nous devons dire aussi que les eaux de sources y sont généralement
malsaines.
Sous le rapport de l'industrie, la Moravie est l'une des provinces les
plus riches de la monarchie autrichienne. Les plus importantes manufac-
tures sont celles de draps, de toiles et de cotonnades. Elles consomment
les matières premières que fournit le pays et une grande partie de celles
des provinces voisines ; ainsi par exemple, les laines de la Hongrie et le
lin de la Silésie et de la Galicie sont employés par les fabriques de la
Moravie. La March ne peut porter que des bateaux d'un faible tonnage,
mais de Trébitz, près de Hohenmauth, à Lundenbourg, sur les contins de
l'archiduché d'Autriche, le pays est sillonné par deux importantes voies
de 1er destinées à faciliter les transactions commerciales; elles passent à
Brünn et à Olmütz, et font partie de la grande ligne de Vienne à Berlin
par Dresde et Prague. L'embranchement d'Olmütz se soude même par un
tronçon avec le chemin prussien de Silésie.
Depuis l'année 1849, la Moravie forme deux cercles , et la Silésie un
seul. Ces provinces sont administrées par un gouverneur qui a le titre de
statthaller ou de landeshauptmann. Les intérêts des deux pays sont
confiés à des Etats dont les députés sont divisés en quatre classes : ceux
du clergé, ceux de la haute noblesse, les chevaliers et les députés des

EUROPE. — MORAVIE ET SILÉSIE AUTRICHIENNE.
313
sept villes royales. L'empereur les convoque tous les ans en assemblée
générale sous la présidence du gouverneur. Après la clôture, une dépu-
tation permanente s'occupe de toutes les affaires qui peuvent se présenter
dans l'intervalle des sessions. La justice est rendue par les tribunaux
établis dans chaque cercle, et par une cour d'appel qui siége à Brünn.
La capitale de toute la province est Brünn, située entre les rivières de
Schwarza et de Zwittawa, au pied d'une montagne. Elle est digne du
rang qu'elle occupe par sa population, qui est de plus de 38,000 âmes.
Ses anciennes fortifications sont en partie démolies, le reste tombe en
ruines-, sa citadelle seule est conservée pour servir de prison d'État. De
ses principaux édifices, nous ne citerons que l'hôtel-de-ville, le théâtre et
l'ancien couvent des Augustins, aujourd'hui l'hôtel du gouvernement.
Dans la salle où s'assemblent les États, on voit encore la charrue avec
laquelle Joseph H, à l'exemple des souverains de la Chine, retourna un
champ près de Rausnitz. L'une des plus belles places est celle du Marché
aux Choux ( Kraut-Markt ) ; elle est ornée d'une superbe fontaine. De ses
neuf églises, les deux plus remarquables sont celle de Saint-Jacques et
celle des Augustins dans l' Alt-Brünn ou la vieille ville. Les glacis ont été
transformés en promenades. Près de la ville s'élève le Spielberg, montagne
de 250 mètres de hauteur, dont l'extrémité, appelée le Frandzensberg,
était autrefois un calvaire. Les rochers arides qui le couronnent ont fait
place à une plantation au milieu de laquelle on a construit, en 1818, un
obélisque en marbre de 20 mètres de hauteur, portant une inscription à
la gloire des armées autrichiennes, pour les campagnes de 1813, 1814 et
1815. De celte promenade on jouit d'une très-belle vue, et l'on aperçoit
à 4 lieues , vers le sud est, le village et le champ de bataille d'Austerlitz.
Briinn est le siége d'un évêché : on y trouve plusieurs hôpitaux, des écoles
et des séminaires, un collège supérieur appelé Instilutphilosophique, une
société d'agriculture et d'histoire naturelle, une bibliothèque publique et
un jardin botanique. Dans le paiais épiscopal on a établi un très-beau
muséum. Le commerce de cette ville consiste principalement dans la
vente de ses draps, de ses soieries, de ses chapeaux et de ses toiles de
coton. Elle est considérée comme la plus importante de l'empire pour la
fabrication des tissus de laine. C'est à l'accroissement de son industrie
qu'elle doit l'augmentation rapide que sa population a éprouvée depuis
peu d'années.
La petite ville d'Austerlitz est remarquable par un château dont les
constructions souterraines sont une des curiosités de la Moravie. La
VII.
40

314
LIVRE CEINT SOIXANTE-TROISIÈME.
bataille du 2 déeembre,1805 la rend à jamais célèbre. A quatre lieues à
l'est d'Austerlitz, le bourg de Buchlowitz, peuplé de 1,300 habitants, est
connu par ses eaux minérales sulfureuses et par ses excellents fruits.
Plus loin, dans les montagnes, se trouve le village de Luhatschowitz,
dont les bains sont très-fréquentés : la fontaine de Vincent et celle
Armand sont entourées de jolis édifices en forme de temples ; tous les
ans elles sont le rendez-vous de malades attaqués de rhumatismes ou
d'affections cutanées. Poleschowitz est un bourg qui s'enrichit du pro-
duit de ses vignobles: ses vins sont les meilleurs de la province. Quel-
ques ruines que l'on remarque dans ses environs passent pour être les
restes de l'habitation de saint Cyrille, premier évêque de la Moravie; on
voit encore à Hradisch celles de la première église qu'il fit construire.
Ce chef-lieu de cercle, station du chemin de fer d'Olmütz à Vienne, est
situé dans une plaine fertile, mais exposée aux fréquentes inondations de
la March; il occupe une île au milieu de cette rivière, et renferme
1,500 habitants. Sa position l'oblige à entretenir 39 ponts dont un a
plus de 200 mètres de longueur. Hradisch était, au quinzième siècle, une
forteresse importante que Mathias, roi de Bohème et de Hongrie, assié-
gea plusieurs fois sans succès. Sur le mont Iaworsina, le village de
Strany est habité par une partie de ces Wallaques dont nous avons
parlé, et qui se distinguent des autres habitants par leurs mœurs, leur
langage et leur habillement; ils ont conservé des restes de leurs anciennes
habitudes guerrières : dans les jours de fêtes, ils se livrent avec ardeur
à une danse caractéristique qu'ils appellent la danse des voleurs, et dans
laquelle ils agitent leurs sabres avec beaucoup de dextérité. Du haut des
montagnes des environs de Strany, qui forment la frontière de la
Moravie, un œil exercé distingue, à 30 lieues de là, la tour de Saint-
Étienne.
Vers l'extrémité méridionale de la province s'élève, au milieu d'une
plaine, la ville commerçante de Nikolsbourg ou Mikulow, peuplée de
8,000 habitants, dont près de la moitié sont Israélites. On y remarque
un très beau château et un vaste édifice dans lequel est établi un gym-
nase. Znaïm, ville de la même population, y compris ses trois faubourgs,
est située sur la rive gauche de la Taya, dans une contrée fertile et cou-
verte de riches vignobles. Ses principaux édifices sont la maison de jus-
tice, la régie des salines et l'église paroissiale de Saint-Nicolas, d'une
architecture gothique. Près de la ville, dont il est séparé par une vallée
profonde, on remarque le chapitre de Pöltemberg, de l'ordre des cheva-

EUROPE. — MORAVIE ET SILÉSIE AUTRICHIENNE.
315
liers de la Croix. Znaïm a deux couvents et un gymnase. Les dames de
la bourgeoisie s'y font remarquer par leur haute coiffure en étoffe d'or,
et les hommes de la même classe par leurs habits bleus : la langue slave
est la langue dominante. Plus loin, sur le bord de la Taya, le bourg d'Eis-
grub est célèbre par la belle maison de plaisance du prince de Lichtens-
tein : le château est peu considérable, mais le parc, que traverse la rivière,
est l'un des mieux dessinés et des plus agréables que l'on connaisse.
Au milieu des monts Moraves on trouve lglau, en bohémien Gihlawa,
arrosée par un ruisseau qui se jette près de là dans l'Igla. Elle renferme
une belle place carrée, longue de 340 mètres et large de 20. Sa popu-
lation est de 13,000 habitants ; elle a trois églises paroissiales, un couvent
de minorités fondé par Ottocar II, un gymnase et un hôpital. En descen-
dant des monts Moraves, Trebitsch, entourée de murs et située dans une
vallée profonde au» bord de l'Iglawa, ne mérite quelque attention que par
la disposition pittoresque de ses habitations renfermant 5,000 âmes, par
le grand château qui la domine, par sa vieille église et le couvent des
Capucins. Si l'on veut jouir d'une vue aussi belle qu'étendue, il faut
monter sur le Mistkogel, montagne élevée dont le sommet est arrondi :
de là on voit se succéder jusqu'à Nikolsbourg, des plaines riches et
fertiles : on aperçoit la triste et profonde vallée de l'Igla, les ruines du
vieux château de Tempelstein, dont le puits a, dit-on, 500 aunes de pro-
fondeur, et sur la rive gauche de la Rokitna, la petite ville de Kromau>
dominée par des hauteurs couvertes de bois et disposées de manière à
présenter l'aspect d'un vaste amphithéâtre de verdure. Ces collines et ces
montagnes renferment des mines de houille, dont l'exploitation constitue
la principale industrie des 1,400 habitants de Kromau.
En suivant une route pénible dans les monts Moraves, on arrive, sur
les bords de la Schwartza, dans la petite ville d'Ingrowitz, qui ne possède
que 1,100 habitants, mais qui fait un commerce considérable de lin cl
de toiles écrues ; c'est le siège du surintendant des communions réfor-
mées moraves. En se dirigeant sur cette ville, on ne peut s'empêcher de
remarquer le mont Prositschka, sur lequel les anciens Slaves allaient
rendre grâces à leurs dieux. Sa cime, qui se couronne de nuages aux
approches du mauvais temps, tient lieu de baromètre aux paysans de la
contrée, Lorsque le ciel est clair, on y jouit d'une vue assez étendue pour
apercevoir la ville de Königsgratz en Bohême.
L'ancienne capitale de la Moravie était Olmütz, en Slavon Holomauc.
Ses fortifications, toujours entretenues, et sa citadelle, qui servit de pri-

316
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME.
son au général Lafayette, en font une place de guerre qui paraît d'autant
plus importante, que les travaux qui la défendent sont très-étendus. Sa
population et celle de ses cinq faubourgs sont de 13,000 âmes. La ville,
divisée en deux parties, Olmütz, propremement dite, et le quartier du
Dôme, est bien bâtie ; elle est le siége de la justice du district et la rési-
dence de l'archevêque, qui a pour suffragant l'évêque de Brünn. L'arche-
vêché d'Olmiitz est l'un des plus riches de l'empire d'Autriche. Le lycée
d'Olmutz et ses autres écoles sont célèbres, ses établissements de bienfai-
sance entretenus avec soin, son arsenal très-bien garni. Ses fontaines,
d'une construction élégante, font honneur au ciseau de Donner. Le plus
beau de ses édifices est l'hôtel-de ville. Le lycée, qui est une sorte d'uni-
versité, puisqu'on y enseigne la théologie, le droit, la médecine et la phi-
losophie, possède une bibliothèque de 50,000 volumes, un cabinet d'his-
toire naturelle et une belle collection d'instruments de physique. On
compte dans cette ville, qu'un chemin de fer unit à Vienne et à Berlin,
plusieurs fabriques de tissus de laine et des tanneries; elle entretient de
grandes relations avec la Pologne, la Russie et la Moldavie, par son com-
merce de bestiaux. On montre à Olmütz le lieu où l'empereur d'Autriche
eut une entrevue avec Napoléon peu de temps avant la bataille d'Auster-
litz. Quelques savants prétendent que cette ville est la même que celle
que Ptolémée désigne sous le nom d'Eburum.
La March, qui arrose Olmütz, descend vers le sud et traverse la plaine
où l'on voit Kremsier, en bohême Kromerzig ou Krowierzitz, l'une des
plus belles villes de la province, et résidence de l'archevêque pendant la
belle saison; elle est à 8 lieues au sud de la précédente. La population de
cette petite ville est de 4,000 âmes. Prerau, en slave Przérow, sur la
Betschwa, est un peu moins peuplée; c'est une des plus anciennes
villes de la contrée : on y voit un grand édifice qui appartenait aux Tem-
pliers. Weisskirchen, peuplée de 5,000 âmes, à peu de distance de la
Bestchwa, est fréquentée par les baigneurs qui vont prendre les eaux d'un
autre Töplitz, qu'il ne faut pas confondre avec celui de la Bohême, et qui
est situé à une demi-lieue de cette ville. Près de l'établissement thermal,
on remarque un précipice de 140 mètres de profondeur, au fond duquel
se trouve un étang d'eau gazeuse nommé Geratterloch.
Tels sont les principaux lieux de la Moravie : mais si nous franchissons
les montagnes qui la séparent de la Silésie, nous remarquerons, au pied
du Buzberg, au milieu d'une magnifique vallée, Iagerndorf, ville de
5,000 habitants, qui renferme un théâtre. Elle est entourée de murailles

EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE.
317
et dépend d'un duché appartenant au prince de Lichtenstein; la montagne
qui lu domine est fréquentée par les botanistes : sa cime supporle une
magnifique église. Sur les limites de l'empire d'Autriche, Troppau, chef-
lieu de la Silésie autrichienne, est une ville forte dont les rues sont larges
et alignées, et la population de 10,000 âmes. Le vieux bâtiment de l'hôlel-
de-vi!le, un théâtre, des églises et le château ducal de Lichtenstein, tels
sont ses principaux édifices. C'est le siége des tribunaux de première
instance et de commerce de la province, et du collége des caisses publiques ;
c'est la résidence d'un commandant de division militaire : elle renferme
quelques manufactures, et ses savons sont estimés. Les souverains absolus
s'y réunirent en congrès, d'octobre à décembre 1820.
Sur les pentes des Carpathes, dans une contrée couverte de forêts et de
pâturages, on voit, au bord de l'Olza, Teschen, peuplée de 6,000 âmes ;
c'est une ville entourée de murs et de trois faubourgs, et dominée par un
château. On y fabrique des draps, des toiles et des armes à feu estimées. En
remontant vers le sud-est, on aperçoit dans une vallée le village de Wei-
chsel ou Vistule, remarquable par une chute d'eau de 60 mètres de hau-
teur: les sources qui la fournissent sont celles du fleuve qui traverse la
Pologne. Enfin , sur la frontière du royaume de Galicie, Bielitz, ville de
5,000 âmes, est renommée pour ses fabriques de draps.
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne méridionale. — Empire d'Autriche
Description de l'archiduché d'Autriche.
Autour du pays que nous allons décrire, se groupent les différentes
possessions de la monarchie autrichienne, de cet empire qui offre la sin-
gulière réunion de peuples étrangers les uns aux autres, gouvernés au
nom d'un même souverain, mais d'après des lois différentes. Chez quel-
ques uns, l'amour de la patrie est un mot vide de sens et l'obéissance
passive l'unique devoir; chez quelques autres, celte obéissance même
est un effet de la crainte plutôt que de l'ignorance, et l'espoir de l'indé-
pendance fait encore palpiter leurs cœurs. Les uns, soumis depuis long-
temps, no semblent connaître d'autre bien que le repos ; les autres jaloux
de leur indépendance, croient l'avoir conservée, parce que leur pays porte

318
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
les noms de duchés et de royaumes: tous enfin sont plus isolés par leurs
mœurs et par leur langage, que par les chaînes de montagnes qui les
séparent.
L'ancien archiduché d'Autriche, en y comprenant le duché de Salzbourg,
est borné à l'ouest par la Bavière et le Tyrol, au nord par la Bavière, la
Bohème et 4a Moravie, à l'est et au sud-est par la Hongrie, et au sud par le
duché de Styrie. Ce pays, dont la superficie est de 710 milles carrés, ou
de 1,971 lieues géographiques carrées, est divisé par VEns, en deux par-
lies à peu près égales ; celle qui est située à la gauche de cette rivière porte
le nom de pays au-dessus de l' Ens ou gouvernement de la Haute-Autriche,
et la partie opposée, celui de pays au-dessous de l' Ens ou gouvernement
de la Basse-Autriche. Les montagnes du midi de la Bohême et les Alpes
Noriques bordent un large bassin que le Danube traverse majestueusement
de l'ouest à l'est. Ces montagnes prolongent leurs rameaux jusque vers
les bords du fleuve ; elles forment un grand nombre de vallées et quelques
petites plaines : aussi la Haute-Autriche est-elle l'une des contrées les plus
agréables et les plus romantiques de l'Europe. Les montagnes à de Manhart
et la chaîne du Greiner-wald sont d'une élévation considérable, mais celles
qui s'étendent au sud du Danube atteignent une grande hauteur ; quelques-
unes sont couvertes de glaciers éternels.
Les montagnes de l'Autriche sont composées de calcaire et de granit. On
y rencontre le quartz, le grenat et quelques pierres précieuses.
La Basse-Autriche ne possède pas de grandes richesses minérales. Les
mines d'argent et de plomb des environs d'Annaberg, si riches autrefois»
sont à peu près abandonnées. A Saint-Pölten et aux environs de Schott-
wein, on exploite encore du fer, mais en petite quantité. Il est vrai que
cette petite partie de l'Autriche renferme d'importantes houillères aux
environs de Schauerleithein, de Klingenfurt et de Thalern : leur produit
s'élève à plus de 230,000 quintaux par an. La Haute-Autriche possède
surtout de riches salines : les plus importantes sont celles de Hallein et de
Salzbach.
Les montagnes calcaires sont, pour le botaniste, intéressantes par la
richesse et la variété de leur végétation. Il est probable que leur composi-
tion géognostique, et surtout leur hauteur moins considérable, sont les
principales causes de cette abondance de plantes variées. Les lichens et
presque tous les cryptogames y manquent, tandis que les montagnes
schisteuses et granitiques en sont abondamment revêtues. Dans les pre-
mières, les sources sont rares, tandis que dans les secondes elles sont fort

EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE.
319
abondantes ; les escarpements, les déchirements rapides et profonds y
multiplient les cascades. Le terrain s'élève graduellement du nord au sud
dans le pays de Salzbourg ; et si Ton compare le niveau des plaines basses
avec la hauteur des sommilés les plus élevées, tel que celui de Wisbachs-
horn, la différence est de plus de 3,200 mètres.
Ordinairement en Autriche, dans les montagnes d'une moyenne hau-
teur, le printemps commence en juin et l'hiver en octobre : c'est vers cette
époque que les bergers retournent avec leurs troupeaux dans les vallées
et près de leurs cabanes. Dans les Hautes-Alpes, le printemps commence
en juillet, l'été en août, l'automne en septembre et l'hiver en octobre, et
dure jusqu'à la fin de juin. Certaines cimes et quelques gorges sont au
contraire le domaine exclusif de l'hiver-, d'autres jouissent d'un printemps
presque perpétuel ; d'autres enfin ne conservent l'été que pendant quel-
ques jours. Dans quelques parties des Alpes, les saisons sont pour ainsi
dire réunies: ainsi, quelques gorges sont remplies de neige en juillet et en
août ; mais à mesure que cette neige fond sur les contours, ceux-ci se
couvrent de plantes..Ailleurs les premières fleurs s'épanouissent, tandis
que non loin de celles-ci on aperçoit, sur quelques cimes exposées aux
rayons du soleil, d'autres végétaux, ornements de l'été des Alpes. Enfin
plus bas, sur les terrasses que forment les montagnes, on rencontre les
plantes compagnes de l'automne des Alpes, autour des paisibles cabanes
des bergers. En général, le printemps, l'été et l'automne sont très courts
dans les montagnes du Salzbourg : c'est ce qui fait que, sur 300 espèces
de plantes qui y vivent, 20 à peine sont annuelles ou bisannuelles, tandis
que toutes les autres sont vivaces.
Quittons les montagnes, nous verrons que la partie méridonale du
pays au-dessus de l'Ens est la plus froide, parce qu'elle est la plus
élevée de l'archiduché : le raisin y vient rarement en maturité; le
climat est plus doux dans la vallée du Danube; mais partout l'air est
pur et sain. Il y tombe annuellement 694 à 812 millimètres d'eau.
Les vents les plus fréquents sont ceux de l'ouest, du nord-ouest et de
l'est. Au-dessous de l'Ens le climat est tempéré, mais variable-, le ther-
momètre n'y descend pas à plus de 19 degrés, et n'y monte pas à plus de
25. Le nombre des jours secs est environ double de celui des jours
pluvieux.
A l'est et à l'ouest de l'Ens, il existe des terrains marécageux d'une
grande étendue et plusieurs sources minérales estimées. La partie de l'ar-
chiduehé au-dessus de l'Ens contient quelques lacs ou étangs considé-

320
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
rabies : les deux principaux sont l' Atter, dont la superficie est de 7,288
iochs ou arpents d'Autriche, ou 4,194 hectares, et le Traun, de 3,777
iochs seulement, ou de 2,173 hectares, mais dont la position pittoresque
et les sites environnants sont en réputation dans la contrée. Ce dernier
est formé par la rivière de la Traun, qui lui apporte les eaux d'un autre
lac, celui de Hallstadt. Sa longueur est de 3 à 4 lieues, et sa plus grande
largeur de près d'une lieue. Il est surtout remarquable par sa profondeur,
que l'on dit être d'environ 5 à 600 mètres.
Les plus importantes rivières tributaires du Danube sont au nord la
March, et au sud l'Ens, VAnisus des anciens, dont le cours est de 54
lieues; et la Traun, qui sort d'un petit lac dans les Alpes Noriques près
d'Aussée, traverse celui de Hallsladt, puis celui de Traun, et tombe près
de Lambach en formant une cascade au milieu de roches de 20 mètres de
hauteur. La navigation de celte rivière, de 30 lieues de cours, n'est point
interrompue par cette chute : on a établi en cet endroit un canal parallèle
d'environ 225 mètres de longueur.
Maintenant que nous connaissons la contrée qui comprend les deux
gouvernements de l'ancien archiduché d'Autriche, voyons quels sont les
peuples qui l'habitaient jadis.
Les terres comprises entre le Danube et les Alpes étaient, suivant Pto-
lémée, occupées par les Arnbilici et les Ambidrani, qui faisaient partie
des Norici. Ce pays portait chez les Romains le nom de Noricum. Les
environs de Tienne appartenaient à la Pannonie supérieure ; la rive gauche
du Danube était peuplée de quelques Norici et de Quadi. L'histoire des
Norici est fort incertaine; on croit qu'avant leur soumission aux Romains
ils étaient gouvernés par un roi. Sous le règne d'Auguste, le Noricum
devint une province romaine assez importante pour être divisée en deux
parties, dont la plus rapprochée du Danube portait le nom de Noricum
ripense; et l'autre, près des Alpes et au-delà, celui de Noricum mediterra-
neum. Les principales cités étaient, sur les bords du fleuve, Lauriacum,
aujourd'hui le village de Lorch ; Arelate, qui n'est remplacé par aucune
autre ville, et, dans les montagnes, Ovilabis (Wels) et Invavum ( Salz-
bourg ). Tant que les Romains furent puissants, les Quadi, les Marcomani
et d'autres peuples voisins respectèrent les Norici; mais dans la suite les
Goths les soumirent, Alaric les ravagea, les Suèves et les Hérules leur suc-
cédèrent.
Vers le sixième siècle, un peuple originaire des vallées de l'Oural, les
Avaras, occupèrent une partie de l'archiduché d'Autriche; il est probable

EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE.
321
qu'ils y fondèrent un royaume, que les peuples situés à l'occident appe-
lèrent Œsterreich ( royaume oriental). Charlemagne s'en empara et le
divisa en plusieurs comtés. Les excursions fréquentes qu'y firent les
Magyars ou Hongrois déterminèrent, en 928, Henri l'Oiseleur à les ériger
en un margraviat dont il donna l'investiture à son neveu Léopold. Fré-
déric Barberousse en fit un duché. Au treizième siècle, Ottocar, roi de
Bohême, s'en empara ; mais ce prince ayant refusé de rendre hommage à
Rodolphe de Habsbourg, élu empereur, celui-ci le tua dans une bataille,
et fit entrer dans sa famille ce duché, qui participa de l'importance que sut
acquérir depuis la maison d'Autriche. Telle fut l'origine de cette maison
que plusieurs généalogistes font remonter, les uns jusqu'au cheval de
Troie, les autres jusqu'à l'arche de Noé.
Les invasions dont l'Autriche a été le théâtre ont tellement mélangé le
sang des peuples qui s'y sont établis, qu'il est difficile d'y reconnaître les
nuances qui les distinguaient jadis. Cependant près des frontières de la
Moravie, dans le pays au-dessous de l'Ens, on trouve encore quelques
Slaves; dans le pays au-dessus de l'Ens, les descendants des Norici ne
démentent point leur antique origine : leur langage diffère de celui des
autres nationaux; les habitants du district de Salzach surtout montrent
dans leurs mœurs et dans leur caractère les restes d'un type particulier.
La plupart d'entre eux sont laborieux et doués d'une grande probité.
L'allemand-autrichien, langage moins pur que celui que l'on parle au
centre de l'Allemagne, est un des sous-dialectes du danubien. Dans le
pays de Salzbourg, on parle un patois bavarois; mais dans le reste de
l'archiduché le langage offre plusieurs variétés distinctes : toutes sont
riches en diminutifs, mais plus dures que le bavarois.
L'Autriche était peu exposée aux ravages des maladies épidémiques
avant l'invasion du choléra asiatique. Ordinairement la mortalité est
plus considérable que dans les autres possessions de la monarchie
autrichienne : le nombre des décès, comparé à la population, est dans le
rapport de 4 à 34. Dans les montagnes des environs de Salzbourg, on est
fréquemment peiné à la vue de ces êtres dégradés moralement et physi-
quement, si connus sous le nom de crétins.
L'Autrichien est laborieux : le soin d'accroître son patrimoine se remar-
que chez les habitants de toutes les classes; c'est là ce qui explique
comment l'agriculture et l'industrie sont parvenues dans l'archiduché à
un degré d'avancement qui semble être en opposition avec l'idée fausse-
ment répandue de l'apathie de ce peuple. C'est plutôt à la mauvaise qua-
VII.
41

322
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
litédu sol qu'à l'ignorance de l'agriculteur qu'il faut attribuer l'insuffisance
des récoltes en céréales dans les deux gouvernements au-dessus et au-
dessous de l'Ens. Sous ce rapport, le pays consomme plus qu'il ne produit.
Sur la rive gauche de l'Ens, les arbres fruitiers sont assez nombreux-, les
fruits que l'on fait sécher forment une branche d'exportation; mais sur
la droite de cette rivière ceux que l'on recueille dans les vergers repré-
sentent une valeur considérable, surtout dans les environs de Vienne, qui
fournissent aussi les légumes les plus recherchés dans cette capitale. Si
dans la contrée au-dessus de l'Ens le climat s'oppose à la réussite de la
vigne, dans le reste de l'archiduché la culture de cette plante , à laquelle
on donne un soin particulier, constitue l'une des principales richesses
agricoles. Les meilleurs vins sont ceux de Mauerbach, de Klosternenbourg,
de Feldsberg, de Griming, de Rötz et de Bisamberg. Au-dessous de l'Ens,
le lin, le chanvre et le safran sont cultivés avec avantage ; mais les prairies
sont insuffisantes, inconvénient qui s'oppose à la propagation des bes-
tiaux, dont le nombre ne satisfait point à la consommation qu'onen pourrait
faire; et les forêts, longtemps négligées, ne fournissent point assez de
bo is pour qu'il puisse se maintenir à la portée de toutes les fortunes. Au-
dessus de l'Ens, au contraire, les prairies sont tellement nombreuses, que
c'est, de toutes les parties de la monarchie autrichienne, celle qui fournit
le plus de fourrages; et malgré la quantité de bois que le froid oblige à
consommer, il se passera encore du temps avant que l'usage de la houille
ait besoin d'être encouragé dans l'intérêt des forêts qui garnissent les
montagnes.
Dans la Basse-Autriche, on élève beaucoup plus de volailles que de
bestiaux; mais la race des brebis s'y améliore, et les chevaux y sont beaux
et bons. Dans la Haute-Autriche, la bonté des pâturages a porté les habi-
tants à imiter les Suisses dans le soin qu'ils prennent des bêtes à cornes :
on y élève aussi des chevaux estimés pour leur vigueur. Les forêts de cette
contrée recèlent des loups, des ours, des chamois et beaucoup de gibier,
tandis que la Basse-Autriche voit diminuer avec ses forêts les animaux
recherchés par le chasseur.
Sur la gauche de l'Ens, le fer travaillé est de tous les métaux celui qui
occupe le plus de bras; les fabriques de tissus de laine, de toiles et de
mousselines y sont aussi fort nombreuses. La Basse-Autriche est plus
riche encore en industrie; elle surpasse même sous ce rapport tous les
autres pays de la monarchie ; ce n'est en quelque sorte qu'un vaste atelier.
Des filatures de coton, des fabriques de toiles des tanneries, des forges,

EUROPE, — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE,
323
des usines, des verreries, des papeteries, des manufactures de chapeaux,
de rubans et de draps, sont ses principaux établissements. Nous ne pou-
vons nous dispenser de citer aussi les armes à feu de Sleyer, les belles
glaces de Neuhaus, les pianos, la porcelaine, les équipages, les souliers
et l'orfévrerie de Vienne.
Une si grande variété d'objets manufacturés doit nécessairement entre-
tenirun commerce considérable-, mais tout se concentre à Vienne, qui,
par son rang de capitale, sa position et ses affaires de change et de
banque, est depuis longtemps le principal comptoir de l'Autriche. Lins,
Salzbourg. Steyer, Neustadt et quelques autres villes, servent d'intermé-
diaires avec Vienne. On ne peut pas estimer à moins de 20,000.000 de
florins la valeur des marchandises exportées ; à pareille somme les impor-
tations, et à 1 0,000,000 le commerce de transit. Les transports par eau se
font sur l'Ens, la March, la Traun, et surtout le Danube, qui porte sou-
vent des bateaux chargés de 3 à 4,000 quintaux, ainsi que par le canal
de Neustadt et de Vienne, fréquenté chaque année par environ 3,000
bateaux, qui transportent près de 800,000 quintaux métriques de mar-
chandises. Les transports par terre se font sur douze routes principales,
dont quatre dans la Haute-Autriche ont 104 milles de longueur totale, et
huit dans la Basse-Autriche forment plus du double, et par plusieurs lignes
de chemins de fer qui sont : celle de Vienne à Berlin par Prague et Dresde,
celle de Vienne à Pesth par Presbourg, et qui doit être continuée jusqu'à
Debreczin ; celle de Vienne à Laybach et Trieste avec embranchement sur
Munich, qui n'est pas encore terminée (1854) ; enfin les deux plus anciens
chemins de fer de l'Autriche, dont l'un commence au bourg de Man-
thausen, sur la rive gauche du Danube, et se dirige sur Budweis, en
Bohême, tandis que l'autre va de Linz à Gmunden.
L'archiduché d'Autriche présente, sous le rapport de la religion comme
sous beaucoup d'autres, ce contraste de priviléges et de restrictions qui
est le caractère des pays soumis à ce qu'on appelle le régime du bon
plaisir : ce n'est point un reproche que nous prétendons faire à l'adminis-
tration, mais seulement à la masse des habitants. Ils ont bien prouvé sous
Joseph II qu'ils n'étaient point préparés à profiter des institutions que ce
prince était disposé à leur accorder. On est étonné de voir que dans la
même province on donne d'un côté l'exemple de la liberté des cultes, et
de l'autre celui de l'intolérance. Ainsi que dans les autres États de la
monarchie autrichienne, la religion catholique est celle qui domine, et
c'est celle qui compte le plus de partisans dans la Basse-Autriche. Cepen-

324
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
dant les protestants, les grecs et les juifs y jouissent d'une égale protection
et possèdent des temples et des consistoires; et dans la Haute-Autriche,
qui renferme 30,000 luthériens libres de professer leur culte, les juifs ne
sont point tolérés.
Nous n'ignorons pas que les nuances qui existent dans les libertés et
les priviléges de quelques provinces tiennent aux conditions qui furent
stipulées à l'époque de leur réunion à la couronne. La contrée au-dessous
de l'Ens était dans l'origine le grand-duché d'Autriche; le pays situé sur
l'autre rive y a été annexé plus tard. Pendant la longue durée de l'empire
d'Allemagne, le grand-duché jouissait d'importants priviléges ; c'est môme
en raison de ces titres, et comme roi de Bohême, que l'empereur d'Autriche a
possédé jusqu'en 1850,seul, la présidencedelaConfédération germanique.
Cependant le pouvoir du monarque, en vertu de traités qui ont près de 400
ans d'antiquité, est censé modifié par les États du pays, que le prince, à
son avénement au trône, jure de maintenir. Organisés comme nous l'avons
vu en Bohême ; composés du haut clergé, de la noblesse et des députés de
quelques villes; divisés en assemblées générales et en une commission
permanente, ils ne se réunissent que d'après l'ordre du souverain. La
Haute et la Basse-Autriche sont divisées chacune en capitaineries et ont
aussi chacune leurs États provinciaux. Dans la première, un tribunal de
première instance, siégeant à Linz, ne s'occupe que des causes de la
noblesse et des classes privilégiées; 355 tribunaux inférieurs jugent les
différends qui s'élèvent entre les roturiers. Dans la seconde, on compte
612 tribunaux destinés pour les affaires de la roture, 216 présidiaux pour
la poursuite des crimes, et la noblesse est jugée par la cour suprême de
Vienne, qui prononce en dernier ressort sur les jugements rendus en
première instance dans les autres tribunaux. C'est à Linz et à Vienne
que siègent les deux conseils de censure, chargés non-seulement de
revoir les livres publiés dans le pays, mais encore ceux qui viennent de
l'étranger.
On évalue les revenus de la Haute-Autriche a environ 18,000,000 do
francs, et ceux de la Basse-Autriche à près de 57,000,000. Dans l'une et
l'autre, toutes les classes d'habitants, depuis le seigneur jusqu'au paysan,
jouissent d'une aisance que l'on remarque rarement ailleurs. Que d'argu-
ments les partisans du régime du bon plaisir pourraient tirer de ce fait,
qui, placé dans son véritable jour, prouve seulement que, sous un gou-
vernement absolu, la noblesse peut ne point abuser de ses privilèges,
et le peuple conserver ses droits, si les lois sont exécutées ; et surtout

EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE,
325
qu'un peuple économe et laborieux peut s'enrichir partout où la propriété
est respectée!
Voyons maintenant ce que renferment d'intéressant les différentes
villes de l'archiduché d'Autriche ; commençons notre excursion par le
magnifique bassin dont le centre est occupé par la capitale et par une
partie du Danube, et promenons nos regards sur ce vaste panorama. Vers
le nord, l'œil cherche à suivre les différents bras du fleuve, dont la rapi-
dité, la largeur et la navigation animée embellissent et vivifient ce riche
tableau. Des îles couvertes d'arbres ajoutent encore à la beauté du point
de vue que nous indiquons. Vis-à-vis de Vienne, la surface de ses eaux
est de 150 mètres au-dessus du niveau de la mer. A l'est, les bords du
bassin sont formés de montagnes couvertes d'habitations; elles se réu-
nissent à celles qui le terminent au sud ; vers l'ouest, le bassin s'élargit et
s'étend jusqu'aux monts Manhart, dont les flancs sont couverts de forcis;
au nord, l'œil s'égare dans une plaine dont il ne peut mesurer l'étendue;
enfin, au sud, les hauteurs sont couronnées de villages et de maisons de
campagne qui se détachent et se groupent çà et là au milieu de bouquets
de verdure. Derrière ces riants coteaux, des cimes élevées prennent dans
le lointain une teinte bleuâtre dont les différentes nuances se fondent
insensiblement avec l'azur du ciel.
Vienne, en allemand Wien, fondée, en 1142, par Henri Ier, duc d'Au-
triche, est la plus grande ville de l'Allemagne. Elle porte le nom d'une
petite rivière qui se jette dans le Danube, et qui coule au pied de ses
remparts entre la partie méridionale de la cité et ses faubourgs. Le sol
de cette capitale est élevé de 130 mètres au-dessus du niveau de la
mer; sa circonférence, en y comprenant celle des faubourgs, est de trois
milles d'Allemagne, ou de 6 lieues de poste. C'est à peu près la même
étendue que celle de Paris. Sa population est de près de 400,000
âmes sans la garnison. A peu près au centre du terrain qu'elle occupe
se trouve la véritable ville, entourée de fossés et de remparts, et com-
muniquant par 12 portes à 34 faubourgs; ses bastions et ses remparts
sont garnis de belles promenades; le Bourg-Bas ley et le Bastey de
Bothenthurm sont embellis par d'élégants cafés; vis-à-vis du Bourg, ou
du palais impérial, le mur de la ville, reculé sur le glacis, laisse à
découvert une belle plate-forme bordée de jardins, dont l'un est destiné
à la cour et l'autre appelé le Volksgarten, au public.
L'intérieur de la cité indique son ancienneté par l'irrégularité de plu-
sieurs de ses rues. Ses vingt places sont d'une médiocre étendue; ses

326
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
127 rues sont pour la plupart étroites, mais pavées en larges pierres de
grès et de granit; et d'une propreté remarquable, bien qu'elles n'aient
point de ruisseaux. Les maisons sont grandes, élevées et d'une archi-
tecture massive.
Les rues de Vienne sont embellies par d'élégants magasins, dont quel-
ques-uns pourraient être comparés aux plus beaux magasins de Paris.
On les remarque surtout dans les rues et sur les places les plus fré-
quentées : telles que la rue appelée le Fossé {Graben), celle de l'Évêché
( Bischosguffe), celle de la Tour rouge (Rotren thum strass), et la place
Saint-Etienne.
La plupart des places sont ornées de fontaines ou d'autres monuments ·,
celle du Hof est la plus grande et la plus régulière : elle est décorée
d'une statue colossale de la Vierge et de deux belles fontaines ornées de
figures allégoriques en bronze, fondues par Fischer; sur la place de
Joseph s'élève la statue équestre, également en bronze, de Joseph II ; une
fontaine dont les figures en plomb représentent les quatre principaux
fleuves de la Basse-Autriche, se fait remarquer sur la place Neue-Markt ;
deux belles fontaines décorent aussi le Hohe-Markt ; sur le Burg-Platz
se développe le palais impérial; mais sur la plus fréquentée de toutes,
celle du Graben, située au centre de la ville, et que l'on pourrait plutôt
appeler une large rue qu'une place, on voit le beau monument en
marbre consacré par Strudel à la Trinité, en commémoration de la peste
qui ravagea Vienne en 4713, et deux fontaines décorées de statues en
plomb. Cette place et le Kolh-Markt, grande et belle rue qui y aboutit,
sont les rendez-vous des élégantes Viennoises qui viennent y visiter les
principaux magasins de modes et de nouveautés. Le soir, les promeneurs
se réunissent pour prendre des glaces et d'autres rafraîchissements devant
les deux principaux cafés du Graben.
Entre le palais impérial et le boulevard qui entoure la ville proprement
dite s'étend une vaste place ornée de plantations et s'élève la plus belle
porte de la ville, appelée Porte du château (Burythor), sorte de colon-
nade formée de douze grandes colonnes d'ordre dorique, qui serait d'un
assez bon effet si elle n'était couverte d'un badigeon éclatant de blan-
cheur, qui lui donne l'aspect d'un monument en plâtre.
La place sur laquelle s'élève l'église de Saint-Étienne, la cathédrale de
Vienne, est une des principales de la ville. Sa partie méridionale com-
munique à une petite place appelée Place de la Souche dans le Fer
(Stock-im-Eisen-Platz). Elle doit son nom à un tronc d'arbre qui prouve

EUROPE.—ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE.
327
que la forêt de Vienne (Wiener-wald), s'étendait jadis dans cette partie
de la ville.
En tête des plus beaux édifices de Vienne, il faut mettre le palais
impérial, appelé le Bourg, bâtiment irrégulier dont plusieurs parties
modernes sont d'un très-beau style, mais dont l'intérieur n'offre rien de
remarquable.
Ce qui distingue ce palais de beaucoup d'autres résidences royales, ce
sont les riches collections scientifiques que l'on y a réunies : telles sont la
bibliothèque impériale et royale, qui renferme plus de 300,000 volumes
et plus de 16,000 manuscrits ; le musée des antiquités et le musée d'his-
toire naturelle.
L'une des salles du palais renferme le trésor impérial; il serait difficile
de décrire les objets précieux qui en font partie, tels que les insignes du
chef de l'empire et les joyaux de la couronne. Cependant il est impossible
de regarder sans intérêt, parmi les premiers, l'épée de Charlemagne, sa
couronne en filigrane d'or, ornée de pierres précieuses non taillées; son
globe impérial également en filigrane d'or et son sceptre en argent; parmi
les joyaux, l'un des diamants de Charles-le-Téméraire pesant 133 carats,
et le nœud en brillants de l'ordre militaire de Marie-Thérèse. Dans ce
trésor se trouvent aussi les reliques du Saint-Empire.
Le jardin du palais impérial qui s'ouvresur la galerie d'histoire naturelle,
renferme environ 1,500 plantes exotiques; vers le milieu s'élève la statue
équestre de l'empereur François Ier, époux de Marie-Thérèse; on y voit
de belles serres, dont une des salles est décorée d'un groupe en marbre
blanc, représentant Bellérophon qui tue la Chimère, ouvrage d'un élève
de Canova.
Dans la ville proprement dite, nous mentionnerons après le palais
impérial quelques-uns des principaux édifices. Le palais du prince Charles,
qui communique avec celui de l'empereur par un passage souterrain,
n'offre rien de remarquable dans son architecture, et la plus grande sim-
plicité règne dans son intérieur.
La chancellerie de Bohême et d'Autriche est un assez bel édifice. On
peut en dire autant de la chancellerie de la cour, du conseil aulique de la
guerre, où l'on voit une très-belle salle; du palais des États de la Basse-
Autriche, ancien édifice qui comprend quelques parties dans le style ogival,
et où. l'on remarque une grande salle ornée de fresques peintes par Peluzzi ;
du palais de la banque nationale, de la douane, de l'hôtel-de-vilie, du
palais de l'Université et du vaste bâtiment construit en 1819 sur l'empla-

328
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
cement du couvent de Saint-Laurent pour y placer les bureaux de la cour
des comptes et de la censure générale des livres. Nous pourrions citer
encore quelques hôtels appartenant à de riches particuliers, tels que le
palais du prince Esterhazy et celui du prince de Lichtenstein, ainsi que
l'hôtel de l'ambassade de France, édifice du temps de la renaissance,
décoré à l'extérieur d'une élégante frise représentant des amours debout,
mais dans des positions variées.
L'arsenal civil, sur la place de Hof, est encore un des beaux édifices de
Vienne ; c'est plutôt un musée qu'un arsenal, car les 16,000 armes qu'il
renferme existent depuis un et plusieurs siècles. On y remarque plusieurs
armures curieuses, l'étendard du grand-maître de l'ordre de Malte, le
linceul et le crâne du grand-visir Kara-Mustapha, qui commandait l'armée
turque au blocus de Vienne, en 1683, et qui, l'année suivante, fut étranglé
à Belgrade.
Dans le grand arsenal impérial, on voit autour de la cour l'énorme
chaîne avec laquelle les Turcs voulurent barrer le Danube à Bude, en
1529. En 1804 les Français emportèrent une partie de cette chaîne que
l'on peut voir, aujourd'hui, autour du péristyle du musée d'artillerie de
Paris. On montre encore dans ce musée le collet de cuir d'élan que Gustave-
Adolphe portait à la bataille de Lutzen, en 1532, la cotte de mailles de
Montécuculi, le ballon à l'aide duquel les Français gagnèrent la bataille de
Fleurus, et plusieurs drapeaux français du temps de la République.
La cité renferme encore d'autres constructions remarquables, ce sont
les principales églises. Celle de Saint-ΕtiennejOUIT du titre de cathédrale.
Ce bel édifice, qui fut commencé en 1144 et continué en 1359, n'est
malheureusement pas achevé. Sa teinte sombre contraste avec les construc-
tions de Vienne, si régulièrement badigeonnées. La tour, qui s'élève non
du faîte de l'église, mais de la surface du sol, ressemble à un obélisque
gigantesque accolé à l'un des côtés de l'édifice ; l'élégance de ses orne-
ments dissimule l'énormité de sa masse; elle fut terminée en 1433 ; elle a
150 mètres de hauteur. Elle porte plusieurs cloches dont une, qui pèse
354 quintaux, fut faite avec les canons pris sur les Turcs lorsqu'ils levè-
rent le siége de Vienne. Ce temple renferme les tombeaux de l'empereur
Frédéric III, de Rodolphe II, et d'Eugène de Savoie.
Parmi les autres églises du moyen âge comprises dans l'enceinte de
Vienne, nous citerons celle Saint-Michel, bâtie en 1220 par Léopold VU,
duc d'Autriche. Ce joli monument, du style ogival, est précédé d'un
portail dans le goût italien, surmonté du groupe de l'archange terras-

EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE.
329
sant le démon. Le corps de Métastase repose dans les caveaux de cette
église.
L'église paroissiale de la cour, ou l'église des Augustins, près du palais
impérial, qui fut fondée en 1330 par Frédéric le Bel, pour accomplir le
vœu qu'il avait fait pendant sa captivité dans le château de Trauznilz,
renferme plusieurs sépultures importantes parmi lesquelles nous citerons
celle de l'archiduchesse Christine, femme du duc Albert de Saxe-Teschen
et celle de l'empereur Léopold II.
L'une des chapelles, celle de Lorette, fondée par Éléonore de Mantoue,
épouse de Ferdinand II, est consacrée à conserver dans des urnes d'argent
les cœurs des membres de la famille impériale. C'est dans cette église que
Sobieski fit chanter le Te Deum après qu'il eut fait lever le siège de
Vienne.
L'église de Saint-Rupert est intéressante par les parties fort anciennes
qu'elle présente. Elle a été bâtie en 740 et restaurée en 1436 et en 1703 ;
on y remarque surtout les fonts baptismaux.
Parmi les églises de l'époque moderne, il en est deux qui méritent d'être
citées : celle de Saint-Pierre, qui passe à tort pour être construite sur le
modèle de la magnifique basilique de ce nom à Rome ; et l' église des Capu-
cins, ainsi appelée parce qu'elle appartient au couvent des religieux de
l'ordre de Saint-François, qui est situé sur la place du Nouveau-Marché.-
Bâtie au commencement du dix-septième siècle par l'impératrice Anne,
femme de Mathias, elle a été agrandie par Marie-Thérèse, et a été choisie
pour servir de dernière demeure aux empereurs d'Allemagne et d'Autriche.
Un seul jour de l'année, le 2 novembre, le caveau impérial est ouvert au
public ; mais tous les jours, à certaines heures, les étrangers, en frappant à
la porte du couvent, peuvent obtenir du révérend père capucin la permis-
sion de le visiter. C'est une sorte de cave éclairée sur la rue par des sou-
piraux, et dans laquelle on descend par un étroit escalier d'une vingtaine
de marches, précédé d'un des frères qui porte une lanterne. A partir de
celui de Mathias, 84 tombeaux très-peu espacés garnissent tellement cette
cave qu'il semble impossible qu'on en fasse tenir encore plus de cinq ou
six : ils sont tous en bronze, et parmi eux on remarque, près de la
muraille, la tombe de l'infortuné duc de Reichstadt, fils de Napoléon,
mort à 21 ans.
La cité ne renferme pas tous les édifices et établissements importants ;
il en est encore plusieurs dans les faubourgs-, tels sont les palais d'été de
Schwarzenberg, d'Esterhazy, de Lichtenstein et de Rasoumowski ; tels
VII.
42

330
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
sont encore l'institut polytechnique, dont les vastes bâtiments datent de
1816 ; le collége fondé par Marie-Thérèse et appelé Theresianum, ou
académie impériale des nobles, établi dans la résidence d'été que l'empe-
reur Charles VI avait surnommée la Favorite; l'institut impérial vétéri-
naire, l'une des meilleures écoles de l'Europe; le Josephinum ou l'aca-
démie royale médico-chirurgicale; la manufacture impériale de porcelaine,
l'institut impérial des sourds-muets et le beau jardin botanique de l'uni-
versité.
La ville communique avec les faubourgs par 72 ponts jetés sur le
Danube, la Vienne, et deux ruisseaux appelés l'Alser et l'Ottakrin qui
servent à l'écoulement des égouts de Vienne. Deux de ces ponts sont en
chemins de fer, l'un des deux ne sert qu'aux piétons; les autres ponts,
construits en bois ou en pierre, n'ont rien de remarquable. La ville de
Léopold (Léopolstadt), située dans une île formée par le Danube, est l'un
des plus beaux faubourgs; une belle promenade, appelée Brigitten-au,
plantée en quinconce, terminée par un petit bois, sert de point de réunion
à plus de 50,000 personnes le jour de Sainte-Brigitte, patronne de l'église
paroissiale.
La même île renferme le quartier appelé la Route des chasseurs (Jager-
. zeile), habité par la haute société, embelli par plusieurs palais, un théâtre,
et surtout par la magnifique promenade du Prater, à laquelle peu de pro-
menades en Europe peuvent être comparées. C'est un bois dont la riche
végétation est favorisée par les vapeurs qui, durant les plus chaudes nuits
d'été, s'élèvent du Danube qui le coupe en deux parties. Il faut une heure
et demie environ pour le traverser. Six grandes allées de marronniers le
traversent dans diverses directions ; de vertes prairies, où se réunissent
des troupes nombreuses de cerfs tellement familiarisés avec le bruit des
équipages, les troupes de cavaliers et la foule des piétons, qu'ils se laissent
volontiers approcher; une maison de chasse, un cirque olympique, un
panorama, un cosmorama, des théâtres, des orchestres, des jeux de bague,
des balançoires russes et une foule d'autres jeux, des cafés élégants pour
la haute société, des cabarets où le peuple boit de la bière, sont dispersés
le long des avenues, tandis que le promeneur qui aime le silence et la soli-
tude peut s'égarer au milieu des touffes d'arbres et loin de la circulation
des équipages aux riches livrées.
Entre le Prater et le Brigitten-au s'étend l'Augarten, grand parc destiné
par Joseph II à servir de promenade publique.
Au sud du Prater, de l'autre coté du Danube, s'étend le faubourg appelé

EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE.
331
Landstrasse, lieu des plus importants par son commerce. C'est dans ce
quartier que s'élève le palais du Belvédère, qui fut bâti par le prince
Eugène de Savoie, et dans lequel se trouve le musée impérial de pein-
ture, riche collection composée d'environ 2,500 tableaux classés par école
dans chaque salle. On y admire plusieurs chefs-d'œuvre de Raphaël, du
Titien et de Rubens.
On remarque dans le même faubourg l'hôtel des Invalides, qui possède
une belle chapelle et où sont logés 64· officiers et 615 soldats.
Dans le faubourg de Wieden, on remarque la plus régulière de toutes
les églises de Vienne, celle de Saint-Charles-Borromée, qui fut construite
en accomplissement d'un vœu de l'empereur Charles IV, pour faire cesser
la peste de 1713.
Les faubourgs de Vienne, malgré leur irrégularité, sont plus beaux
que la ville : ils semblent être une réunion de palais et de jardins ; les rues
en sont très-larges, mais les petits cailloux dont elles sontpavées les rendent
fatigantes pour les piétons.
Les écoles spéciales et d'instruction publique sont nombreuses à
Vienne. Dans l'institut polytechnique, on enseigne tout ce qui a rapport
aux arts, à l'industrie et au commerce. L'université, qui compte 44 pro-
fesseurs, 7 suppléants et 5 maîtres de langues, est fréquentée par 4,000
étudiants et possède une bibliothèque de 104,000 volumes. L'école des
orientalistes est destinée à former des interprètes pour faciliter les relations
de l'Autriche avec la Porte-Ottomane. Outre ces écoles, il en existe
d'autres pour les jeunes gens de la noblesse. Les beaux-arts sont ensei-
gnés dans un établissement spécial ; dans d'autres on s'occupe de leur
application aux divers produits de l'industrie. Une académie forme des
ingénieurs-, un conservatoire impérial, des musiciens distingués; une
école normale, des professeurs habiles; un séminaire, des ecclésiastiques
instruits et zélés; enfin on compte dans la ville trois grands colléges ou
gymnases; une université protestante; deux écoles normales primaires;
quatre écoles principales; et plus de 600 écoles populaires où l'on donne
l'éducation première à près de 34,000 élèves; d'autres écoles gratuites
sont ouvertes le dimanche depuis neuf heures jusqu'à onze heures, pour
les enfants d'artisans. Un grand nombre de jeunes filles appartenant à des
familles aisées sont élevées dans des couvents; mais il existe une institu-
tion destinée au filles d'officiers. Tous les grands établissements d'ins-
truction possèdent des collections analogues aux sciences et aux arts que
l'on y enseigne.

332
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME,
Les institutions de bienfaisance ne sont pas moins nombreuses; nous
ne citerons que les plus importantes : le grand hôpital, dans le faubourg
de l'Alser, est à la fois un édifice remarquable par ses vastes dimensions,
sa belle tenue et son utilité : il comprend 7 cours plantées d'arbres, 111
salles contenant 3,000 lits, et reçoit par an 25 à 30,000 malades; l'hos-
pice impérial des enfants trouvés, renfermant 13,000 enfants, et enfin
l'hospice des orphelins qui en contient 400 et en fait soigner 3,000 hors
de son enceinte, sont des établissements dignes de la capitale d'un vaste
empire.
A Vienne, la mendicité craint de montrer ses honteux lambeaux. La
ville destine, dans un des faubourgs situés entre les deux petites rivières
de l'Alster et de la Vienne, une maison de correction et de travail pour
tous les mendiants de la province; une maison de détention est réservée
pour les vagabonds qui ne sont coupables d'aucun délit; on a soin de ne
pas les mettre en communication avec les criminels; une maison semblable
est destinée aux jeunes gens des classes élevées.
Comme dans toutes les grandes villes, les habitants jouissent à Vienne
de mille sujets de distraction, de mille occasions de plaisir. On y trouve
cinq théâtres : le principal est le théâtre de la Cour, au palais impérial, où
l'on ne joue que des pièces allemandes ; puis vient celui de l'opéra; dans
celui du faubourg Léopold (Léopolstadt), le genre est tout à fait comique
et populaire.
Vienne est, par ses manufactures, la plus importante ville de la monar-
chie autrichienne : elles sont au nombre d'environ 150 et occupent près
de 80,000 individus. On y fabrique des soieries, des étoffes d'or et d'argent
des rubans, des cotonnades, des objets de quincaillerie, des instruments de
mathématiques, des aiguilles, des papiers de tenture et des voitures excel-
lentes. Elle a plusieurs manufactures de porcelaine, dont une seule, celle
du gouvernement, emploie 150 peintres et 3,000 ouvriers. Sa fonderie de
canons est importante, et chaque année il sort plus de 30,000 armes de
sa manufacture impériale. On confectionne également dans cette ville de
jolis objets en acier, de la bijouterie et de l'horlogerie, des instruments de
musique très-estimés, et divers produits chimiques. Elle est aussi le point
central du commerce de l'Autriche, et de la circulation du numéraire.
Les produits de son industrie, qui rapporte annuellement plus de
2,400,000 florins, donnent lieu à des exportations assez considérables,
que facilitent les grandes routes qui viennent y aboutir, le canal de Neu-
stadt, et les quatre lignes de chemins fer qui la mettent en rapport avec

333
EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE.
la plupart des capitales de l'Europe. On compte dans la cité et dans les
faubourgs, environ 1,000 établissements de commerce. Il s'y tient trois
foires principales-, et depuis quelques années on y a ouvert un vaste bâti-
ment destiné aux grandes expositions de tous les produits naturels et indus-
triels des États autrichiens.
Les fortifications intérieures que l'on remarque dans la ville proprement
dite, pas plus que les murailles qui forment l'enceinte des faubourgs , ne
suffisent pour faire de Vienne une place qui offre quelque résistance; sa
garnison ne dépasse pas 10 à 12,000 hommes.
Malgré son importance, cette ville a vu naître peu d'hommes célèbres :
on cite parmi ceux-ci quelques écrivains qui ont honoré la littérature
allemande, tels que l'historien Schröckh, le médecin Collin, le poëte Henri
de Collin, J.-B. Alxinger et le littérateur Mastalier.
Λ Vienne, les jouissances du luxe et de la table sont plus recherchées et
moins coûteuses que dans les autres capitales de l'Europe. Les richesses
de la noblesse viennent s'y enfouir de tous les points de l'empire, et enri-
chir le commerce et l'industrie. Le désœuvrement et l'ennui y font recher-
cher, par les riches, le plaisir des théâtres, qui cependant n'ont point en
Allemagne une grande réputation ; la littérature y fait peu d'honneur à la
langue allemande. Les sciences y jouissent de quelque considération
depuis que les membres de la famille impériale et des hommes d'État en
font un utile délassement, mais la musique seule y est cultivée avec
beaucoup de succès.
Il est peu de villes catholiques où l'on s'acquitte avec plus de ponctua-
lité des cérémonies et des dehors de la religion : la crédulité, la supersti-
tion et la bigoterie se font remarquer dans tous les rangs. Quelques voya-
geurs ont jugé très-sévèrement le peuple de Vienne. Malgré l'ignorance
presque générale qu'on lui reproche , ce qui est assez singulier après ce
que le gouvernement fait pour répandre l'instruction, les moeurs n'y sont
cependant pas dépravées : la probité chez les hommes, la fidélité chez les
femmes, et presque toutes les vertus privées règnent au sein de la plupart
des familles.
A la vue des bastions qui protégèrent la ville contre les attaques des
Turcs, que de souvenirs s'offrent à l'esprit! Deux fois, sous un chef qui
n'eut point de rivaux en gloire, les Français y entrèrent-, mais Vienne n'a
pas à rougir de ces deux époques : l'exemple de tant d'autres capitales
suffirait pour consoler l'Autrichien s'il portait l'esprit national jusqu'à
garder le souvenir des revers de la fortune. Prise en 1241 par Frédéric II,

334
LIVRE CENT SOIXANTE -QUATRIÈME.
duc d'Autriche ; en 1277, par l'empereur Rodolphe Ier; vainement assiégée
en 1477 par les Hongrois, mais obligée decéder huit ans après aux atta-
ques de Mathias, roi de Bohême et de Hongrie, Vienne résista aux troupes
ottomanes en 1529 et en 1683. Ce dernier siége est resté dans la mémoire
du peuple, et la ville ne fut délivrée d'une ruine certaine que par le cou-
rage de l'intrépide Jean Sobieski et des Polonais.
Celte ville antique, appelée Castra Fabiana ou Faviania, puis Vindo-
bona, devint considérable sous les premiers empereurs : au temps de
Ptolémée, la dixième légion germanique y tenait garnison ; Marc-Aurèle
y mourut ; Gallien la céda aux Marcomani, en épousant la flle d'un de
leurs rois ; Aurélius la réunit de nouveau à l'empire.
Nous avons parlé du beau coup d'oeil qu'offrent sur les hauteurs les
châteaux de plaisance des environs de Vienne; ils sont si nombreux que
ce serait beaucoup que d'entreprendre la description de ceux qui appar-
tiennent à la famille impériale : citons cependant Schonbrunn (Belle-
Fontaine), qui ne fut d'abord qu'un rendez-vous de chasse bâti par l'em-
pereur Mathias, mais qui fut reconstruit par Marie-Thérèse. Il est orné de
beauxjardins que décore une serre et qu'anime une ménagerie, et n'offre
d'autre souvenir historique important que celui de l'agonie et de la mort
de Napoléon II, duc de Reichstadt.
Le village de Schonbrunn n'a que 400 habitants. Laxenbourg, qui, dès
le treizième siècle, était connu sous le nom de Laxendorf, a 900 âmes. On
y voit deux châteaux appartenant à l'empereur: l'un d'entre eux, con-
struit par le duc Albert III, est dans le style gothique et entouré de fossés.
Laxenbourg est uni à la grande ligne de Vienne à Laybach par un petit
embranchement qui y amène, les dimanches et jours de fêtes, une par-
tie de la population de la capitale. Le parc de Laxenbourg a deux lieues
de tour, et est arrosé par la Schwaecha : ses portes sont ouvertes au
public.
Près de Schonbrunn, le village de Maria-Hietzing est un des plus
beaux de l'Autriche-, on y voit un théâtre et un établissement de bains,
des fabriques de tapis, de liqueurs et de vinaigre. Penzing est connu par
ses importantes fabriques de rubans, d'étoffes de soie et de cotonnades ;
il a 2,000 habitants. Modling, remarquable par ses bains d'eaux miné-
rales, et sa chapelle de saint Pantaléon bâtie dans le style saxon, a 3,500
habitants, un théâtre , des manufactures de cotonnades et des tanneries.
Cette petite ville est située à l'entrée d'une des plus Dittoresques vallées
des environs de Vienne. Des points de vue délicieux, embellis par des

EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE.
335
ruines factices et d'autres constructions dues au prince de Lichtenstein,
font de cette vallée du Briel un immense jardin anglais.
Quittons ces lieux unis par les chemins de fer à la capitale, et qui sem-
blent rivaliser par leur richesse et leur élégance, descendons dans la
plaine, et visitons quelques-unes des villes de la Basse-Autriche.
Kloster-Neubourg, sur le bord du Danube et qu'un petit tronçon de
chemin de fer unit à Vienne, mérite d'être citée non pour son impor-
tance, puisqu'elle ne renferme que 5,000 habitants, mais pour son
magnifique couvent de l'ordre de Saint-Augustin. Elle est à 2 ou 3 lieues
de Vienne; le cours du Kirlinger la divise en haute et basse ville. Les
anciens murs qui l'entourent tombent en ruines. Ses rues sont mal ali-
gnées. L'abbaye fut fondée en 1114 par le margrave Léopold IV, dont le
corps a été déposé dans l'église de ce monastère. Celui-ci fut rebâti en
1730. Il renferme un trésor dont l'un des principaux objets précieux est
la couronne archiducale dont l'archiduc Maximilien lui fit présent en
1616, et que l'on transporte à Vienne pour le couronnement de chaque
nouveau souverain. Il possède de plus une bibliothèque de 25,000 volumes,
avec plus de 400 manuscrits, et un cabinet d'histoire naturelle et de
médailles. il paraît que les chanoines de cette riche abbaye sont amateurs
de bon vin, puisque l'on remarque dans leurs vastes caves un tonneau
qui contient plus de 60,000 litres. La ville possède deux églises parois-
siales, une école supérieure, un hôpital civil, une caserne de pontonniers,
des fabriques de maroquin, de dentelles et de produits chimiques, et un
chantier de construction pour des barques armées.
Baden, sur le chemin de fer de Vienne à Laybach à quelques lieues au
sud de la capitale, sur la pente septentrionale du Calvarienberg, dominée
à l'est par de riants coteaux, et dominant à l'ouest une plaine fertile, n'est
peuplée que de 3,000 habitants; mais ses eaux minérales, dont on a
reconnu l'efficacité contre les affections rhumatismales, sont tellement
fréquentées, que dans la saison des bains on y compte souvent plus de
5,000 étrangers. C'est dans ses environs qu'est situé le magnifique palais
de Weilbourg, construit par l'archiduc Charles, et dont les jardins sont
tous les dimanches le rendez-vous des promeneurs de Baden.
Neustadt, ou Wienerisch-Neustadt, principale station du chemin de
fer de Vienne à Laybach est, après la capitale, la plus jolie ville de l'archi-
duché. Sa population est d'environ 9,000 habitants; ses fabriques sont
florissantes, ses établissements d'instruction sont nombreux. Il existe dans
son enceinte une école militaire et une école d'équitation, elle fournit de

336
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME
beaux marbres de ses environs toute la Basse-Autriche. C'est de cette ville
que se dirige le canal dont nous avons parlé et qui sert à approvisionner
Vienne de bois, de charbon de terre et de pierres de construction. Un
embranchement de chemin de fer part de cette ville, se dirige vers l'est
jusqu'à Oedenbourg, petite ville située non loin des bords occidentaux du
lac Neusied.
De Neustadt, on ne peut s'empêcher d'admirer la cime du Schneeberg,
qui s'élève à δ lieues à l'ouest de cette ville. Il est difficile de résister au
désir de gravir cette montagne, qui passe pour l'une des plus curieuses
de la Basse-Autriche. De son sommet on jouit d'un horizon qu'il est diffi-
cile de mesurer. Au nord, on aperçoit les chaînes boisées du Wiener-wald
et du Manhart; l'œil parcourt le plus beau panorama qu'il soit possible
d'imaginer. Vienne se présente alors comme un simple bourg, et le
Danube comme un fil d'argent jeté sur un tapis de verdure ; on peut
compter de là toutes les villes, et quoique l'éloignement les fasse paraître
comme des points placés sur une carte géographique, aucune sommité
n'est plus convenable pour faire apprécier d'un coup d'œil l'importance
et la richesse de l'archiduché. Si l'on se tourne vers le sud, la chaîne des
Alpes, qui se déploie sur une longueur de plus de 60 lieues, offre un
spectacle magnifique; à l'ouest, on distingue les montagnes de la Haute-
Autriche, les Alpes de Salzbourg et même celles du Tyrol ; au sud-est, la
vaste plaine hongroise se prolonge jusqu'auprès de Raab et d'Ofen ; à
quelques pas de la cime, on domine un affreux précipice de 2,000 mètres
de profondeur. De tous ces lieux habités, dont nous contemplions la
richesse en remontant le canal de Neustadt et en suivant le chemin de fer
de Vienne à Laybach, nous n'avons cité que ceux qui se trouvaient sur
notre route; mais du point élevé où nous nous trouvons, nous pouvons
compléter le tableau de la Basse-Autriche.
Vers le sud, et sur le prolongement du chemin de fer de Vienne à Lay-
bach, au bord de la Leytha, Bruck, au milieu d'une vallée, possède une
douane et renferme un marché orné d'une superbe fontaine. Cette petite
ville est célèbre dans toute la contrée par sa fabrique de machines, façon
anglaise, pour filer, et par le beau château du comte de Haarach, dont le
jardin botanique est regardé comme l'un des plus riches de l'Empire. Un
embranchement doit, de cette ville, se diriger sur Munich par Salz-
bourg (1853), et unir ainsi la capitale de la Bavière à celle de l'Autriche.
A peu de distance du fleuve, au pied d'un rocher sur lequel s'élève un
vieux château, Hambourg, avec 3,000 habitants a la plus importante

EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHE.
337
fabrique de tabacs de l'Autriche. Vers l'ouest, sur la rive gauche du
Danube, on voit Krems et Stein, petites villes, l'une de 3,600 habitants,
l'autre de 1,500, séparées par une allée d'arbres garnie d'une rangée de
maisons ; ce qui a donné lieu au dicton populaire : Krems et Slein sont
trois villes. L'industrie de Krems est active, et son commerce est consi-
dérable; celui de Stein ne dure que le temps favorable à la navigation du
fleuve. Vis-à-vis de cette dernière, on voit, sur la rive opposée, Mautern,
près de laquelle, en 1484, Mathias, roi de Hongrie, remporta une grande
victoire sur les Autrichiens. Dürrenstein conserve encore les ruines du
château dans lequel Richard-Cœur-de-Lion, revenant de la Palestine, fut
enfermé contre le droit des gens par Léopold, duc d'Autriche. Tuln, sur la
droite du Danube, qui y reçoit la Tulner, est petite, sale et peu peuplée,
mais elle a une église qui passe pour avoir été un temple romain; ses
environs fournissent de légumes les marchés de Vienne. Ses vieilles
murailles annoncent une ancienne place de guerre-, elle était encore forti-
fiée en 1683, lorsque Jean Sobieski y passa le Danube pour aller délivrer
la capitale de l'Autriche, assiégée par les Turcs. Molk, sur la même rive,
n'est qu'un bourg, mais il est remarquable par la magnifique abbaye de
bénédictins bâtie sur un rocher qui le domine. Ce couvent occupe l'em-
placement d'une forteresse romaine, et renferme un gymnase, des collec-
tions d'histoire naturelle et d'antiquités, et une bibliothèque. Entre le
Danube et le Wiener-wald, on voit, au milieu d'une plaine agréable,
couverte de champs bien cultivés, de jardins et de belles prairies, Saint-
Pollen, ville de 4,000 âmes et siége d'un évêché suffragant de Vienne;
elle doit son origine à une abbaye de chanoines de Saint-Augustin, fondée
au huitième siècle et supprimée en 784.
D'autres lieux, quoique moins importants, méritent encore d'être
cités : Awischofen, avec sa manufacture de glaces ; Aloosdorf, où l'on
cultive beaucoup de safran-, Mistelbach, dont les 3,000 habitants font un
commerce considérable de grains; Aleiben, où l'on voit une des plus
belles bergeries impériales de l'Autriche; Maria-Taferl, sur une mon-
tagne d'où l'on jouit d'une vue magnifique : ce n'est qu'un village, mais
il est célèbre par les processions que l'on y fait; plus de 100,000 pèle-
rins s'y rendent tous les ans; enfin, dans la plaine, Wagram, ou Teusch-
Wagram, village qui rappelle la célèbre bataille du 6 juillet 1809.
Il est temps de traverser l'Ens et de visiter la Haute-Autriche.
Linz, qui en est la capitale, n'est pas sans importance; elle compte
25,000 habitants; son nom dérivede celui de Lentia, qu'elle portait sous
VII.
43


338
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
la domination romaine. La ville, qui se divise en vieille et nouvelle, est
moins considérable et moins belle que ses trois faubourgs. Linz est le
siége d'un évêché ; ses principaux édifices sont le palais episcopal et l'hôtel-
de ville, où se tient la diète. Elle possède des établissements impor-
tants et des collections scientifiques ; entre autres un institut pour les
sourds-muets, une école normale, un lycée, un séminaire et une école du
génie, une bibliothèque publique et un magnifique théâtre. Ville d'indus-
trie et de commerce, elle renferme une manufacture impériale de draps et
de tapis, des lubriques de bonnets rouges pour la Turquie, de poudre de
guerre,de glaces, de tamis, et plusieurs tanneries. C'est l'entrepôt des faux et
des fers de la Styrie ; il s'y lient deux foires annuelles importantes-, et son
commerce est activé par deux lignes de chemin de fer, l'une se dirigeant
vers le sud-ouest à Gmunden ; la seconde, située sur la rive droite du
Danube, va, au nord, jusqu'à Budweiss, en Bohême, gagner les vallées
de la Moldau et de l'Elbe. Quoique les montagnes de la Bohême la garan-
ti sent des vents du nord, le thermomètre de Réaumury marque souvent
14 a 15 degrés de froid ; les vents d'ouest, très-fréquents, y sont fort
incommodes. Les femmes de Linz sont renommées par leur beauté. La
position de cette cité la rend propre à devenir un point militaire impor-
tant ; aussi l'a-t-on entourée tout récemment de fortifications qui en font
une des principales places d'armes de l'empire d'Autriche.
L Lus arrose Steyer, ville de 12,000 âmes, placée dans une vallée que
traverse la petite rivière du même nom. Le Bourg, vieux château du prince
de Lamberg, en est le seul édifice digne d'attention : il fut construit au
dixième siècle par le margrave Ottocar 1er. Elle est ornée de plusieurs
bel es fontaines, et possède une manufacture impériale d'armes à feu et
de fabriques importantes de toutes sortes d'objets en fer, et qui présen-
tent un mouvement extraordinaire.
Près de son embouchure dans le Danube, l'Ens baigne les murs d'une
ville de 5,000 habitants, à laquelle elle donne son nom : c'est l'une des
plus antiques cités de l'Autriche. On voit sur sa grande place une tour
isolée, batie par Maximilien Ier. En remontant la Traun, près du lac, se
présente la jolie petite ville de Gmunden. Sa population n'est que de
2,000 âmes, et ses plus beaux édifices sont l'hôtel-de-ville, l'administra-
tion et les magasins des salines. Ce qui donne de l'intérêt à sa position,
c'est le lac sur lequel elle est bâtie. Il est long de plus de 12 kilomètres et
large de plus de 3 ; ses eaux, ordinairement d'un vert sombre, deviennent
noues dans les temps d'orage. Près de là, se trouve, dans le bourg de

EUROPE. — ARCHIDUCHÉ D'AUTRICHK.
339
Garsten, un chapitre de bénédictins dont la fondation remonte à plus de
800 ans. L'église en est magnifique : elle renferme de beaux tableaux et
le tombeau d'Ottocar IV. Mais ce chapitre n'est point à comparer a celui
que l'on voit au bourg de Krems-Munster, dans une belle vallée sur la
rive gauche du Krems. Cette abbaye a é:é fondée en 777 par Tassilon,
duc de Bavière. Il existe près de ce lieu des sources incrustantes, dont les
eaux déposent sur les végétaux qui y crossent un sédiment calcaire telle-
ment abondant qu'on l'exploite en pierres destinées pour la batisse.
Halstadt, autre bourg de 1,800 habitants, n'est important que par ses
salines d'où l'on retire environ 10 millions d'hectolitres de sel. Il est au
pied du Salzberg. Près de ses murs s'étend un lac de 8 kilomètres de long,
de 2 de large, et d'une profondeur de plus de 200 mètres. Ses eaux, d'un
vert noirâtre, nourrissent de très-beaux poissons. On croit reconnaître
le Brundunum des Romains dans la ville de Braunau, fortifiée, et peuplée
de 2,000 habitants. Le bourg de Mondsée est remarquable par sa position
pittoresque au bord d'un lac long d'une lieue et demie, large d'une lieue,
et de 400 mètres de profondeur. Près du bourg de Bischofshofen, qu'arrose
la Salza, tombe avec fracas, d'un rocher de 125 mètres de hauteur, la
magnifique cascade de Bacshfall.
Les nombreux lacs, les chutes d'eau, les petites vallées arrosées par des
torrents, sont autant de caractères propres aux A'pes Noriques au milieu
desquelles nous nous trouvons. Nous avons devant nous cette longue
vallée de la Salza ou Salzach, qui traverse dans toute sa longueur le cercle
de Salzbourg ; à l'ouest de celte vallée se trouve celle de Mitter-Pinsgau
qu'arrose la Saala, et au sud-est celle de Lungau, élevée de 1,070 metres
au dessus de l'Océan et dans laquelle la Muhr prend sa source : les deux
principaux endroits que l'on y remarque sont Mauterndorf, bourg de
1,100 âmes, et celui de Tamsweg, deux fois plus peuplé. On ne trouve
aucune ville de quelque importance dans ces montagnes; mais le bourg
de Saalfalden, bien qu'il n'ait qu'un millier d'habitants, mérite d'être
visité par les curieux, Il est situé sur la droite de l'Urselauerbach, qui un
peu plus bas se jolie dans la Saala.
C'est près de ce bourg que s'étend, sur une longueur de 3 lieues, un
désert tellement rempli de roches qu'il a reçu le surnom de Mer pier-
reuse. Deux montagnes le dominent, le Hundstod et le Sehindelkopfk,
dominés à leur tour par le Seehorn, élevé de 2,620 mètres. Les amateurs
de beaux points de vue, ceux surtout qu'attirent ces sites silene eux et
sauvages si communs dans les contrées montagneuses, seront dédommagés

340
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATRIÈME.
de leurs peines en gravissant le Schafberg, qui s'élève au bord de 5 lacs:
Altersée, Krottensée, Mondsée, près du bourg dont nous avons parlé plus
haut, Schwarzenséé et Woffangsée. Cette montagne porte elle-même 3 lac :
le Krollensée, le Monchsée et un autre plus petit ; du haut de sa cime, qui
dépasse 1,830 mètres, on aperçoit 11 autres lacs. Le Weichselbach, dans
la vallée de Fuscb, arrose un établissement d'eaux thermales connu sous
le nom de Saint-Wolfgang. La maison de bains et celle du maître baigneur
sont les seules habitations qu'on trouve auprès de cette source ; plus
haut dans les montagnes on ne voit plus que quelques chalets.
Descendons la Salza, et terminons notre course par Salzbourg, l'une
des villes les plus intéressantes de la contrée. Elle a porté successivement
les noms de Juvavium, de Iîadriana et de Petena. L'an 448 , elle fut rui-
née par Attila, et rebâtie ensuite par les dues de Bavière, à la recomman-
dation de saintRupert. La Salza, ou si l'on veut la Salzach, y sépare deux
quartiers alignés et bien bâtis; un rempart entoure la ville, et trois fau-
bourgs appelés Mullen, Nonnthal et Slein en précèdent l'entrée. Sa popu-
lation de 16,000 âmes n'est point assez importante pour la largeur de ses
rues : le peu de mouvement qui y règne, joint à l'uniformité de ses maisons
construites à l'italienne, lui donnent un aspect qui attriste. Sa principale
porte est taillée dans un roc. Les constructions importantes de cette ville
sont, outre la cathédrale, dont la façade est ornée d'une statue en bronze
de la Vierge, le palais archiépiscopal et le château fort appelé Hohen-
Salzbourg, parce que, placé sur un rocher, il domine toute la ville. L'ar-
chevêché de Salzbourg a pour suffragants les évèchés de Brixen, dans le
Tyrol ; Gurk, en Illyrie ; Lavant, Leoben et Seckau, en Styrie. Cette ville
a un lycée qui possède une bibliothèque, un cabinet de physique et une
collection zoologique; une école médico-chirurgicale, un gymnase, une
école normale, un séminaire et une haute école. En 1623, on y fonda une
université qui fut supprimée en 1809. L'abbaye de Saint-Pierre possède
une riche bibliothèque. Salzbourg a vu terminer les jours du fameux
alchimiste Paracelse, dont les cendres reposent dans le cimetière de Saint-
Sébastien ; l'hôpital Saint-Jean renferme les restes des superbes bains
bâtis par les Romains; diverses antiquités ont été rassemblées par plu-
sieurs riches particuliers. Salzbourg enfin, qui est peu importante par son
industrie, mais qui sert aussi d'entrepôt aux faux de la Styrie, est, depuis
les travaux faits à Linz, la seconde forteresse de la Haute-Autriche; la
température y est très-variable et fait naître beaucoup de maladies.
L'Autrichien est sobre et fidèlement attaché à son souverain. Comme la

EUROPE. — DESCRIPTION DU COMTÉ DU TYROL.
341
plante, il semble différer selon la nature du sol ; il a moins de moralité
dnns les cantons vignobles que dans les cantons agricoles. Dans les
plaines, il est robuste et trapu, mais dans les montagnes, il est agile et
d'une taille élancée.
L'habitant de la Haute-Autriche est naturellement religieux, comme la
plupart des peuples montagnards. Il embrassa de bonne heure la foi chré -
tienne : dès l'an 350, Lorch était le siège d'un évêché. La réformation a
eu peu de succès chez ce peuple : le nombre des luthériens et des réformés
comparé à celui des catholiques, est dans la proportion de 1 à 61. Ce
peuple est doux, résigné, soumis et sérieux-, il conserve même dans ses
plaisirs une teinte de gravité qui se manifeste jusque dans la couleur domi -
nante de son costume : en général il ne porte que des étoffes brunes ou
noires. Les hommes se coiffent d'un petit chapeau entouré d'un large
ruban de soie. Ils s'habillent d'une longue redingote garnie de boutons de
métal ou de soie verte et doublée en toile de coton rouge; sous ce vête-
ment descend une veste de coton garnie d'une longue rangée de gros
boutons; leurs culottes sont en cuir noir et soutenues par des bretelles en
coton, ou par une ceinture en cuir; leurs bas sont presque toujours bleus,
et leurs souliers garnis de larges boucles en cuivre ou en argent. Les
femmes portent des jupons fort courts et de longs corsets, les uns et
les autres en une étoffe de couleur foncée; leur bonnet seul est
blanc et d'une forme ronde; leur chaussure consiste, comme celle des
hommes, en bas bleus et en souliers à boucles. Ce peuple parle l'allemand,
mais presque tous les montagnards font en outre usage d'un dialecte par-
ticulier, rude et désagréable à l'oreille.
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Allemagne méridionale. — Empire d'Au-
triche. — Description du comté du Tyrol, du duché de Styrie, et du royaume
d'Illyrie.
Les belles contrées du Tyrol vont nous montrer leurs montagnes cou-
vertes de neige, leurs rochers arides et nus. Nous y verrons des vallées qui
offrent à la fois et la sévérité d'un site sauvage et les richesses de la
culture.
Les deux versants des Alpes rhétiennes ou rhétiques, qui ne sont que la

342
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
continuation des Alpes de la Suisse, çonstiluent la plus grande partie du
Tyrol. Cependant, si l'on y voit moins de pointes élevées, on y remarque
des masses plus étendues en largeur; des montagnes que personne n'a
tenté de gravir, et qui paraissent être presque aussi hautes que le Mont-
Blanc, des profondeurs effrayantes, quelques cascades magnifiques ; des
glaciers de plusieurs lieues d'étendue, mais moins beaux qu'en Suisse;
des torrents et des ruisseaux qui sillonnent des vallées étroites, sinueuses
et d'une pente rapide ; d'un côté, le souffle glacial des vents du nord; de
l'autre, le hâle brûlant du sirocco : tel est en peu de mots le tableau de ce
pays montagneux.
Le Tyrol doit son nom à un ancien château situésur une montagne qui
domine l'Adige, près de Méran. Il devint par héritage la propriété des ducs
d'Autriche en 1363. Ce comté est limité au nord par la Bavière, à l'ouest
par la Suisse, au sud et à l'est par le royaume lombard-vénitien, l'Illyrie et
la Haute Autriche. Sa superficie est de 522,87 milles carrés géographiques
allemands, ce qui donne à peu près 1,452 lieues géographiques carrées.
Les Rhœti sont les plus anciens peuples connus du Tyrol ; ils se com-
posent de plusieurs peuplades, telles que les Vennonii, ou les Vennones,
dont parlent Ptolémée et Strabon, et les Brixantes, dont la capitale paraît
avoir occupé l'emplacement de Brixen. Pline dit qu'ils étaient originaires
de l'Étrurie. Il faut croire qu'ils en auront été chassés par quelque cause
politique ; il est peu probable qu'une nation renonce de son plein gré aux
douceurs d'un climat comme celui de l'Italie, pour aller s'établir dans une
contrée comme le Tyrol. Les Rhœti furent subjugués par les Romains sous
le règne d'Auguste, et leur pays reçut le nom de Rhœtia prima; celui des
Vindelici porta celui de Rhœtia secunda.
Le voyageur, placé à peu de distance des sources de l'Inn, voit se pro-
longer sur la droite de cette rivière une chaîne moins considérable que les
autres, et qui porte le nom d'Arlberg, ou de montagne de l'Aigle, ce qui
lait donner à la portion du nord-ouest de la province la dénomination de
Vorarlberg. Une autre chaîne, plus haute, et qui s'étend de l'ouest à l'est,
est celle que, depuis les anciens, on appelle Alpes rhétiennes, du nom de
la province romaine de Rhœtia. Il s'en détache, sur la frontière orientale,
une branche importante qui prend le nom d'Alpes noriques, parce que ses
deux versants formaient le Noricum des Romains.
Après l'Orller, la principale cime des Alpes rhétiques est le Tscherno-
wand. Les plus importants sont le Gebatsch et le Röfner. Le Tyrol pré-
sente deux grands bassins: au nord celui de l'Inn, qui se dirige vers le

EUROPE.— DESCRIPTION DU COMTÉ DU TYROL.
343
nord-est ; au sud celui de l'Etsch, ou de VAdige, qui va se jeter dans le
golfe Adriatique.
La chaîne rhétique, qui occupe le centre du Tyrol, est essentiellement
composée de granit et de gneiss, et les deux autres, au nord et au sud-est,
sont formées de roches de sédiment inférieur et moyen, ou si l'on veut, des
terrains intermédiaires et secondaires.
La richesse végétale des montagnes du Tyrol est connue de tous les
botanistes ; on y trouve beaucoup de légumineuses, d'orchidées, de labiées,
de crucifères et de composées; des cytises, des genêts et des euphorbes;
des saxifages, des gentianes et des rhododendrons. Pendant la nuit, l'air
est embaumé par l'odeur qui s'exhale du silene nutans. L'entomologiste
y peut recueillir un grand nombre d'insectes; on y trouve près de 600
espèces de coléoptères et 100 de lépidoptères. Les diverses espèces de
gibier sont très-communes-, des loups, des sangliers et des ours de petite
taille peuplent les forêts ; les fentes des rochers servent d'asile aux mar-
mottes, et sur les cimes élevées le bouquetin et le chamois cherchent un
refuge contre les poursuites du chasseur.
Les bœufs, les vaches et les chevaux y sont petits, mais d'une bonne
race ; les chèvres, plus nombreuses que les bêtes à laine.
Le Tyrol possède très peu d'eaux minérales chaudes, mais un grand
nombre de sources ferrugineuses. Le produit des métaux qu'on y exploite
n'est pas très-considérable ; celui de l'or n'excède pas 100 marcs ; celui
de l'argent est de 2 à 3,000 marcs. Ce métal s'y trouve presque toujours
uni au plomb ; on obtient 9 à 10,000 quintaux de celui-ci. Le cuivre, dont
on tire environ 3,500 quintaux, passe pour y être plus malléable, et con-
séquemment plus pur que dans plusieurs autres contrées; les exploitations
de zinc fournissent 5 à 6,000 quintaux ; le fer est le métal le plus abondant.
On y trouve aussi le cobalt, l'arsenic, le soufre et de riches salines qui ne
sont que la continuation de celles de Salzbourg. Les houillères donnent un
produit que l'on peut estimer au de la de 100,000 quintaux. Le travail des
mines est un moyen d'existence pour le Tyrolien ; mais elles ne sont pas
d'un grand rapport pour le gouvernement, qui d'ailleurs les faitfaiblement
exploiter.
L'habitant tire un meilleur parti de son sol ; il a porté l'agriculture à
un grand point de perfection ; il ignore ou dédaigne l'usage des jachères.
On dirait que le sol s'empresse de répondre aux soins assidus et à l'activité
du laboureur : chaque espace est utilisé; la terre végétale est transportée
sur les sommets escarpés ; l'herbe même qui croît sur les pentes des pré-

344
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
cipices est recueillie pour la nourriture du bétail ; l'action de la nature sur
les roches qu'elle décompose est mise à profit par l'homme : il transforme
leurs détritus en champs cultivés. II faut voir le paysan tyrolien, une cor-
beille sur la tête, descendre à l'aide d'une corde et d'un piquet le long des
roches inaccessibles jusqu'au fond des précipices, pour mettre à contribu-
tion quelques pieds de terre qu'il livre à la culture. Il obtient du maïs
d'abondantes récoltes ; mais les céréales que produit le pays sont insuffi-
santes pour la consommation des habitants. Le froment est cultivé princi-
palement dans le Wippthal et le cercle de Roveredo ; la pomme de terre
l'est surtout dans le nord et le millet dans le sud. Les vignobles occupent
la partie méridionale. Les coteaux favorables à la vigne sont couverts de
ceps vigoureux ; il est vrai que le vin qu'ils produisent ne se conserve pas
longtemps, mais s'il ne peut être un objet d'exportation, il alimente le
commerce intérieur. C'est principalement dans la vallée de l'Adige que
s'étendent les vignobles. Ils tapissent les pentes des environs de Brixen
et de Tramin ; ceux de ce bourg sont les plus estimés. Le Tyrolien cul-
tive aussi des arbres fruitiers ; on cite les pommes de Meran. Mais les forêts
surtout sont d'un grand rapport; il en exporte des bois de construction
jusqu'à Venise.
Malgré toute leur activité, 859,706 habitants ne pourraient point vivre
dans cette contrée s'ils ne cherchaient ailleurs que dans l'agriculture leurs
moyens d'existence. Quelques-uns n'ont d'autre richesse que leurs bes-
tiaux; mais qui croirait que l'oiseau qui des îles Canaries fut transporté
en Europe, où ses chants le font rechercher plus que son beau plumage
jaune, élevé chez !e Tyrolien, est un objet de commerce? Ce peuple lire
parti de tout, et vendre des serins hors de son pays n'est point un métier
qu'il dédaigne. Ce commerce d'ailleurs fait entrer annuellement dans le
pays une valeur de 50 à 60,000 florins. Il ne borne point là son industrie:
le Tyrol renferme peu de fabriques; mais aussi chaque habitant est ouvrier
ou fabricant. A défaut d'autre état, il se fait colporteur, jusque dans les
contrées les plus lointaines, et revient toujours dans sa patrie jouir du fruit
de ses économies. A 6 ans le Tyrolien quitte ses montagnes, et part pour
la foire de Kemp ten, en Bavière, et s'y rend utile pour la garde des oies ou
des bestiaux ; plus tard il émigre comme maçon, charpentier, mineur ou
marchand de tableaux. On en compte plus de 30,000 qui s'expatrient tous
les ans. L'un entraîné par une sorte d'amour de la guerre, parcourt les
montagnes en chasseur, et ne craint point de s'exposer aux plus grands
dangers pour atteindre sa proie; l'autre y recherche les plantes médici-

EUROPE. —DESCRIPTION DU COMTÉ DE TYROL.
345
nales, que des l'enfance il apprit à connaître aussi facilement que le plus
habile botaniste. Parmi ceux qui n'émigrent point, il en est qui exécutent
avec la plus grande adresse divers ouvrages en bois ; dans le Vorarlberg,
ils profitent de leurs vastes forêts pour construire en bois des boutiques,
des maisons même, dont les différentes pièces numérotées sont expédiées
jusque sur les bords du lac de Constance, et transportées de là dans les
pays voisins.Ce genre d'industrie rapporte au Tyrol près 200,000 florins.
Il semble que le Tyrolien soit né mécanicien-, les ruisseaux qui par-
courent ses vallées sont utilisés par des moyens ingénieux pour obvier au
défaut de bras; les eaux font mouvoir de distance en distance des roues
façonnées à cet usage. A-t-il besoin de farine ; désire-t-il se procurer de
l'huile pour son ménage : comme chaque individu se suffit en quelque
sorte à lui-même, il n'y a point de meuniers, il n'y a point de fabriques
d'huile; mais le ruisseau voisin est chargé de moudre le grain ou de pres-
surer la plante oléagineuse. Un voyageur allemand dit avoir vu un enfant
dans son berceau balancé d'un mouvement uniforme à l'aide d'une roue
que l'eau faisait mouvoir. Tandis que les hommes se livrent à leurs tra-
vaux, les femmes s'adonnent à des occupations productives : les unes
tricotent des bas, les autres font des gants de peau de chèvre-, celles-ci
brodent des mousselines: celles-là tressent la paille qu'elles façonnent
ensuite en élégants chapeaux. L'industrie manufacturière se borne à un
petit nombre d'objets. Dans l'Unter-inthal on travaille principalement les
métaux: à Etmau, on fabrique 30,000 faux par an; dans l'Ober-inthal
et le Vorarlberg, on tisse des tapis et des étoffes de coton ; dans les cercles
de Roveredo et de Trente, on recueille et on travaille la soie. Les métiers
de soieries fournissent annuellement plus de 75,000 aunes. Les tapis de
la vallée de Lienz sont les plus renommés. Le pays s'enrichit encore par le
commerce de transit entre l'Allemagne et l'Italie.
La bonté, la franchise, la fidélité à remplir ses engagements, l'attache-
ment à son souverain et l'amour de son pays sont les principales vertus
qui distinguent le Tyrolien. Ami de l'indépendance et de la liberté, il a
horreur de la conscription, et dédaigne, méprise même la lactique mili-
taire; mais soldat volontaire, il affronte avec calme les dangers, et se bat
en héros pour la défense de la patrie. Sévère dans ses mœurs, loyal dans
ses relations, ami généreux, la paix et la gaieté règnent dans son inté-
rieur. Naturellement dévot, mais superstitieux, il lui faut un culte impo-
sant par ses cérémonies, une religion qui parle à son cœur comme à son
imagination, et qui entretienne son ignorante crédulité. Il aime à peupler
VII.
44

346
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
les sombres forêts qui l'entourent, ou les cimes de ses montagnes, d'es-
prits, de démons et d'êtres surnaturels, il se plaît dans les récits d'appari-
tions de fantômes : il est peu de villages qui ne renferment une sorcière ou
un sorcier. Aussi ne voit-on ni réformés ni luthériens dans le Tyrol : à l'ex-
ception de huit ou dix familles juives, toute la population est catholique.
II y a plus d'éléments de liberté politique dans le Tyrol que dans les
autres provinces de la monarchie autrichienne. Depuis 1816, le gouver-
nement a confirmé les anciens droits dont il jouissait ; il lui a accordé une
constitution plus appropriée à ses besoins. Tandis que dans les autres pays
autrichiens la nation n'est représentée que par le clergé, la noblesse et quel-
ques députés des villes, les États.tyroliens, non-seulement se composent
de députés de ces différentes classes, mais encore de celle des paysans.
Le Vorarlberg jouit de quelques prérogatives particulières. En n'éta-
blissant point la conscription dans le Tyrol,le gouvernement a senti qu'il
s'en faisait un rempart plus sûr contre l'invasion étrangère; en temps de
guerre, chaque Tyrolien devient soldat ; habitué à la fatigue, adroit et bon
chasseur, il est peu d'armées qui pourraient résister à ce peuple, levé en
masse pour la défense de ses foyers. Il ne fournit à l'État, qui le ménage,
que quatre bataillons de chasseurs, formant en tout 5 à 6,000 hommes, et
qui ne sont tenus qu'à un service d'intérieur ; aucune troupe autrichienne
no peut séjourner dans le pays qu'avec l'autorisation des États; et, délivré
des douanes, ses contributions forment un revenu assez considérable, que
l'on évalue à plus de 2,500,000 florins d'Autriche.
Le comté de Tyrol renferme 21 villes, 32 bourgs et 1,558 villages, dont
quelques-uns sont aussi peuplés que des villes ; la plupart de celles-ci sont
peu considérables. Dans le Vorarlberg, Bregenz, sur les bords du lac de
Constance, contient 2,500 habitants ; elle est fort ancienne : c'est la Bri-
gantia de l'Itinéraire d'Antonin, et son vieux château, appelé Pfannenberg,
offre des restes de constructions romaines. Feldkirch, siége d'un évêché
et d'une cour supérieure de justice, renferme à peine 2,000 habitants.
Achenrein est un village qu'enrichit l'industrie métallurgique. Dans l'Inn-
thal supérieur, sur la rive droite du Piger, Imst, ville de 3 à 4,000 âmes,
expédie des serins jusqu'aux extrémités de l'Europe: ce commerce lui pro-
duit annuellement plus de 45,000 francs. Elle est propre et composée de
maisons peintes de toutes les couleurs. Scharnitz, passage dans les mon-
tagnes, sur la frontière de la Bavière, est l'ancien défilé que les Romains
désignaient sous le nom de Porta Claudia.
Inspruck, ou plutôt Innsbruck, dont le nom signifie pont sur l'Inn, est

EUROPE. — DESCRIPTION DU COMTÉ DE TYROL.
347
au milieu d'une vallée formée par des montagnes de 2,000 à 3,000 mètres
de hauteur, qui dans le mois de mai et de juin sont encore couvertes do
neige; c'est la principale ville et la capitale du Tyrol; sa population est de
15,000 âmes. Quelques-unes de ses rues sont ornées d'arcades; la princi-
pale est presque aussi large que les boulevards de Paris. Ses cinq faubourgs,
formés d'habitations modernes, sont le séjour des nobles et des riches.
L'hôtel de la poste aux lettres, le palais du gouvernement, ancienne rési-
dence des comtes de Tyrol, que décore la statue équestre de Léopold V ;
l'hôlel-de-ville, grand et spacieux; le théâXre et quelques-unes de ses
21 églises sont les seuls édifices que nous ayons à citer dans cette capitale.
On voit dans unedes salles de l'université d'Inspruck, fondée en 1672, et
divisée en quatre facultés, le célèbre globe de Pierre Anich, pâtre tyrolien,
qui devint un habile géographe, et qui dressa la meilleure carte qui existe
du Tyrol. La bibliothèque de cet établissement contient un grand nombre
d'ouvrages rares. Inspruck ne possède aucun reste de constructions
antiques qui justifient l'opinion qu'elle occupe l'emplacement de la cité
romaine de Vildidena ; mais on trouve en fouillant son sol un grand nombre
de médailles qui indiquent au moins qu'elle est située dans la direction
d'une voie romaine, dont il n'existe d'ailleurs aucune trace, bien qu'on y
ait découvert plusieurs bornes milliaires. Le commerce de cette ville est peu
important ; elle doit être unie à Rosenheim par un embranchement de
chemin de fer qui joindra en ce lieu la grande ligne de Vienne-Bruck-
Salzbourg-Munich.
A trois quarts de lieue au sud-est de cette ville, il faut' visiter dans le vil-
lage d'Amras ou d'Ambras une sorte de château fort que fit bâtir l'archiduc
Ferdinand, et qui renferme une grande quantité d'objets de curiosité.
Dans l'une des salles on voit une belle collection d'armures du moyen
âge-, dans une seconde, des lances d'une dimension gigantesque, et plu-
sieurs selles fort anciennes, qui toutes ont appartenu à des souverains;
d'autres sont décorées de drapeaux pris sur les Turcs, enfin des collec-
tions de tableaux et d'objets sculptés ou tournés en ivoire ou en bois,
chefs-d'œuvre de patience et d'adresse, y sont entassés. C'est du haut de
ce vieux castel que le fameux Walldstein, élevé par son père dans le
protestantisme, et n'étant encore qu'un des pages du margrave de Bur-
gau, se laissa tomber en dormant sans se blesser. Cette circonstance
décida de son avenir : persuadé qu'il devait la vie à la protection spéciale
de la Providence, il embrassa la religion catholique, et devint l'homme le
plus superstitieux et le plus entreprenant de son époque.

348
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
C'est à 3 lieues d'Inspruck, au pied du mont Schonberg, que commence
une petite vallée appelée le val de Slubei, que dominent les glaciers de
Serlesberg. Cette vallée est arrosée par le torrent du Ruzbach, qui, grossi
par d'autres torrents à l'époque de la fonte des neiges, déborde, et cause
souvent de grands ravages. Elle a environ 14 lieues de superficie : après
le Wipptbal c'est la plus grande de tout le Tyrol septentrional. On y compte
cinq villages : Schonberg a 300 habitants-, Mieders, 500 ; Telfes, 600 ;
Fulpmes, 1,000, et Neu-stift, 500. Ces villages renferment de bonnes
auberges et de grandes églises. La vallée de Stubei est une des plus indus-
trieuses du Tyrol. Elle approvisionne Inspruck d'oeufs et de volailles-, on
y engraisse des bestiaux; l'apprêt des laines et la filature du lin y occu-
pent les femmes, tandis que les hommes font toutes sortes d'objets de
quincaillerie. Ils livrent annuellement à la consommation 1,500 quintaux
demétaux façonnés;ils fabriquent pour la valeur de plus de 100,000 florins.
Hall, à trois quarts de lieue au-dessous d'Inspruck, sur la rive gauche
de l'Inn qui y est navigable, est le chef-lieu de la direction des salines ;
elle renferme 6,000 habitants ; ses belles mines de sel sont à 1 ,C65 mètres
au-dessous du niveau de la mer. Schawtz est peuplée de 8,000 habitants,
dont 2,000 sont occupés aux mines de son territoire qui produisent une
grande quantité de fer et de cuivre ; mais les mines d'argent, autrefois si
riches, indemnisent à peine aujourd'hui des frais d'exploitation. Sterzing,
ville de 2,000 individus, est celle que les Romains appelaient Urbs Stira-
ciorum ; elle fait un grand commerce de fer et de vins: mais rien n'est plus
sale et plus sombre que ses rues formées de hautes maisons de toutes les
formes et de toutes les couleurs, sans toits, crénelées et percées d'une mul-
titude de fenêtres étroites comme des meurtrières.
Brunecken ou Prunecken, chef-lieu de la capitainerie de Pusterthal, est
le siège d'une cour de justice souveraine. Il y a dans ses environs des bains
d'eaux minérales. Brixen, dans le même cercle, est quatre fois plus peuplée;
c'est une ville de 5 à 6.000 âmes. Placée au milieu d'une large vallée, il
est difficile de trouver une position plus agréable que la sienne. Les belles
collines qui la dominent à l'orient, couvertes d'une forte végétation, sont
parsemées de jolis villages et d'habitations riantes ; au-dessus de ces col-
lines apparaissent les cimes jaunâtres de Plossberg que décorent quelques
maigres broderies d'une neige tardive.
Bolzen ou Bolzano, présente plutôt l'extérieur d'une ville italienne que
d'une ville allemande: la vallée au milieu de laquelle elle s'étend offre
l'aspect d'un beau jardin planté d'arbres fruitiers, orné de maisons de

EUROPE. - DESCRIPTION DU COMTÉ DE TYROL.
349
campagne, et terminé par de hautes montagnes qui s'élèvent en amphi-
théâtre ; mais l'intérieur de la ville ne répond point à l'idée qu'on s'en fait ;
ses rues sont étroites et ses places très-resserrées. Sa population est de
8,000 âmes ; son ancien nom romain est Pons Drusi.
Cette ville est placée entre deux torrents considérables qui semblent
prêts à l',eugloutir, mais l'industrie des habitants y a mis bon ordre ; une
digue de près d'une demi-lieue de longueur a été placée le long du torrent
le plus faible, mais que sa pente et ses crues énormes rendent le plus dan-
gereux , le Talferbach , qui descend de l'Oberbotzen : dans quelques
endroits, cette énorme jetée, formée de grosses roches liées par un ciment
solide, a près de huit mètres d'épaisseur. Une rampe a été placée le long
de ses bords, du côté du torrent, et elle sert de promenade aux habitants;
des vignes abritc3s par ce mur couvrent la campagne et mûrissent à plu-
sieurs pieds au-dessous du niveau du torrent, dont les graviers amenés par
les eaux ont considérablement élevé le lit; le pont de bois qui traverse ce
torrent a deux cents pas de longueur.
Malgré ses murs de 3 à 4 mètres de hauteur, auxquels les habitants
donnent le nom de fortifications, Trente, en allemand Trient, en italien
Trenlo, l'antique Tridentum, ne serait point, en temps de guerre, à l'abri
d'un coup de main. C'est ici qu'on pourrait se croire dans une ville ita-
lienne : des rues larges, des maisons bien bâties, des fontaines et des
constructions en marbre, de beaux tableaux dans les églises, des couvents
et des hôpitaux feraient tout à-fait illusion sous ce rapport, si ses 10,000
habitants étaient plus familiarisés avec la langue italienne. Son château
fort, construit dans le style gothique, est vaste et décoré de marbres et de
peintures à fresque. La ville renferme plusieurs maisons ornées à l'exté-
rieur de peintures du même genre, qui datent des quinzième et seizième
siècles, et qui, malgré les injures de l'air et l'ardeur du soleil, se sont
parfaitement conservées. Trente est le siége d'un évêehé ; sa cathédrale
n'offre rien de remarquable. Dans l'église de Sainte-Marie-Majeure, où se
tint le concile qui dura depuis 1545 jusqu'en 1563, on voit le tableau qui
représente cette célèbre réunion. L'Adige, qui arrose cette ville, y est de
la môme largeur que la Seine à Paris, mais elle coule avec la vitesse d'un
torrent, et quelquefois ses crues subites portent la terreur dans les quar-
tiers voisins de ses rives. Les montagnes qui s'élèvent de chaque côté de
cette rivière, ne sont pas les moins considérables des Alpes. Pendant l'été
la contrée est exposée à une chaleur insupportable, et pendant l'hiver à
un froid excessif.

350
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
Le commerce de fruits et de soie donne de l'importance à Roveredo, chef-
lieu de capitainerie, en allemand Rovereith, située au centre de l'agréable
vallée de Lagarina, qui, parsemée de mûriers, de poiriers, de pommiers
et de cognassiers unis entre eux par d'immenses guirlandes de vignes, res-
semble à un vaste verger. La principale rue de la ville en donne une idée
très-favorable : elle est formée de maisons en marbre blanc d'une archi-
tecture riche en ornements; depuis quelques années son industrie a pris
un essor considérable et sa population est d'environ 12,000 âmes. Elle a
un gymnase, une bibliothèque publique et une académie degli agiati, ou
des sans-gêne, qu'une femme bel-esprit, Laura Bianca Saibanti, fonda
dans le dernier siècle, et qui eut un moment de célébrité.
Dans la partie la plus méridionale du Tyrol nous ne trouvons plus
qu'une ville qui mérite d'être citée, encore n'a-t-elle que 2,000 âmes :
c'est Riva, ou Reif, qui fabrique beaucoup d'objets de quincaillerie, entre
autres 800,000 guimbardes par an. Ses environs sont délicieux ; les autres
lieux sont sans aucune importance : Pieve, Caslello et Cinte sont des
villages connus pour le commerce de tableaux ; Rrentonico ne l'est pas
moins pour son talc verdâtre employé par les peintres sous le nom de
terre de Vérone.
Sous le nom de Noricum, les Romains comprenaient une grande partie
de la Slyrie ; le reste appartenait à la province qu'ils appelaient Pannonia.
Les Noriciétaient gouvernés par un roi, lorsque, sous le règne d'Auguste,
leur pays devint une province romaine. Suivant Ptolémée, le Noricum
renfermait plusieurs peuples ; à l'occident et vers le nord étaient les Ambi-
sontii, à l'orient et vers le midi les Ambidrani, les Ambilici, et principale-
ment les Norici. Après leur soumission aux Romains, ces peuples virent
leur pays changer d'aspect, et sentirent eux-mêmes les bienfaits de la
civilisation. Leurs marais furent desséchés, leur forêts défrichées, et la
vigne bientôt y fut naturalisée. Les habitants, de chasseurs farouches et
de pâtres indolents qu'ils étaient, devinrent de laborieux cultivateurs. Ce
fut encore sous l'administration romaine que la religion chrétienne, intro-
duite chez eux, contribua à rendre leurs moeurs moins sauvages, et que
s'élevèrent plusieurs villes là où l'on ne voyait que de misérables cabanes.
Les plus importantes de ces cités furent Celeia (Cilly), Idunum ( Iuden-
bourg), Novidunum (Ran), Petovio (Petau), Rogando (Rohitsch), et Viana
(Voirlsberg). Vers la fin du quatrième siècle, les hordes d'Alarie s'empa-
rèrent de cette contrée; elles voulurent d'abord y fixer le siége de leur

EUROPE.
— DESCRIPTION DE LA STYRIE,
351
empire, mais elles poursuivirent le cours de leurs conquêtes : les Suèves
et les Hérules puis après eux les Wendes et les Avares ne tardèrent point
à s'y succéder.
Ces hordes barbares ravagèrent les pays qui se trouvèrent sur leur pas-
sage ; elles saccagèrent les villes romaines, détruisirent les monuments
des sciences, et ne tardèrent pas à replonger la Styric dans l'état sauvage
dont elle avait eu peine à sortir sous la domination des Romains.
Cependant les Wendes et les Avares, fatigués de leur vie tranquille,
entreprirent des excursions sur les possessions de Charlemagne. Mais
repoussés de tous côtés et complétement défaits en 792, les premiers se
retirèrent entre la Drave, la Save et la Muhr, dans le pays qu'ils avaient
habité, et les autres se refugièrent en Hongrie. Lorsque l'armée de Charle-
magne se retira de la Styrie, un grand nombre de Saxons, et surtout de
Bavarois, s'y fixèrent, particulièrement dans la partie septentrionale,
appelée alors la Haute-Pannonie, et y apportèrent de nouveau la religion
chrétienne, que les Wendes et les Avares avaient anéantie. Ce sont ces
Allemands qui fondèrent Gratz, qui porta le nom de Bayerisch-Grätz, et
Sachsenfeld, qui n'est plus aujourd'hui qu'un bourg.
Les Magyars tentèrent plusieurs fois de s'emparer de la Styrie; leurs
invasions se renouvelèrent jusque vers les années 924 et 933, qu'ils
furent complétement repoussés en Hongrie par l'empereur Othon. Celui-ci
partagea la Styrie en plusieurs petites souverainetés. Vers le commence-
ment du douzième siècle, les comtes de Steyer la réunirent à leurs
domaines, et elle prit depuis cette époque le nom de Steyer-mark, ou de
Marche-Styrienne, qu'elle a conservé jusqu'à ce jour, bien que depuis
longtemps la ville de Steyer n'en fasse plus partie.
Erigée en duché par Frédéric Ier, elle échut par droit de succession à
la maison d'Autriche en 1186. Séparée de l'archiduché d'Autriche, elle en
fit une seconde fois partie en 1232 ; enfin Ottocar II, roi de Bohême, s'en
rendit maître; mais Rodolphe de Habsbourg, devenu possesseur de la
couronne impériale, s'empara de cette principauté, qui resta province
autrichienne.
Malgré les différentes invasions dont ce pays fut le théâtre au moyen-
âge, on y distingue encore deux peuples, les Allemands et les Wendes,
descendants des Slaves; les premiers forment une population de 700,000
individus, et les seconds d'environ 400,000. Ceux-ci occupent principa-
lement les capitaineries de Cilly et de Marbourg .Ils diffèrent autant par leurs
caractères physiques et moraux que par le langage. Le Styrien allemand

352
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
ou l'habitant de la Haute-Styrie est grand et robuste, probe, franc et labo-
rieux. Le Slyrien wende ou l'habitant de la Baasse-Styrie est faible, non-
chalant, frivole, et pourtant religieux. La plus grande partie de la
population est catholique ; on y compte à peine 5,000 protestants; quant
aux juifs, ils n'ont pas la permission de s'établir dans le duché. Le
nombre des nobles est dans la proportion de 1 sur 300 habitants, et celui
des ecclésiastiques de 1 sur 627. On compte en Styrie 5 individus par
famille; le nombre des femmes dépasse de 30,000 celui des hommes.
Le duché de Styrie, borné par le royaume d'Illyrie, l'archiduché d'Au-
triche et le royaume de Hongrie, comprend une superficie de 408,$71
milles carrés géographiques allemands ou de 1,136 lieues carrées; sa popu-
lation était en 1851 de 1,006,971 habitants. Celle contrée, couverte de
montagnes, présente plusieurs chaînes importantes : au nord les Alpes
noriques, vers l'est les Alpes slyriennes, et à l'ouest une branche des
Alpes juliennes. Les plus élevées qui, telles que le Grimming et le Kem-
pel, ont une hauteur de 1,200 à 2,000 mètres, occupent la région du
nord, et les moins considérables, celle du sud : ce qui fait diviser le pays
en Haute et Basse-Styrie. Ses principaux cours d'eaux sont l'Ens, la Muhr
et la Drave; le bassin de la Muhr est le plus étendu. Cette rivière reçoit
plus de 100 affluents ; elle fait mouvoir un grand nombre d'usines. Sa
pente, qui lui donne presque la rapidité d'un torrent, l'empêche de se
laisser arrêter par les glaces : de mémoire d'homme on ne l'a jamais vue
gelée. La pèche, qui est abondante' dans toutes les rivières de la Styrie,
est considérable dans la Muhr; la carpe y est rare, mais la truite, l'ombre,
le brochet et le barbeau y sont communs. Les lacs sont nombreux, mais
peu considérables.
La plupart des montagnes calcaires de la Styrie, principalement autour
de Bruck et de Gratz, offrent des cavernes dont quelques- unes méritent la
célébrité dont elles jouissent. Les plus importantes sont celles de Koggel-
lucken près du village de Mixnitz ; de Heidnischekirche, et de Bran stein.
Celte dernière offre une particularité qui la rend unique en Allemagne :
c'est qu'on y trouve de la glace en été, et qu'elle parait chaude en hiver.
Les mines forment la principale richesse du pays. Des lavages d'or
sont établis sur la Drave et la Muhr; les filons de plomb, qui rendent
annuellement 3 à 400 quintaux, fournissent environ 900 mares d'argent;
le cuivre n'est pas très-abondant : toutes les exploitations réunies ne don-
nent qu'un produit de 5 a 600 quintaux ; celles de cobalt en rendent à
peu près 7 à 800. Le 1er y est tellement répandu qu'on pourrait le croire

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA STYRIE.
353
inépuisable : on n'en retire cependant pas plus de 400,000 quintaux. Les
autres métaux, tels que l'antimoine, le bismuth, l'étain et le zinc, sont
très rares. La houille et le sel gemme sont assez abondants : le produit de
la première de ces deux substances pourrait être plus considérable : il
n'est que d'environ 40,000 quintaux; mais celui du sel est à peu près de
300,000. Le soufre y est aussi en assez grande abondance pour fournir 3
à 400 quintaux. C'est principalement sur l'emploi des métaux que s'exerce
l'industrie des habitants : ainsi en compte en Styrie un grand nombre
d'usines, et plus de 50 fabriques de faux.
Les sources minérales sont nombreuses : les établissements de bains
les plus fréquentés sont ceux de Doppel, d'Einoderbad, de Felsberg, de
Neuhaus, de Sauerbrunn, de Seckau et de Zlattendorf.
La Traun, l'Ens, la Muhr, la Raab, la Drave et la Save sont les princi-
paux cours d'eaux de la Styrie. Dans les parties septentrionale et occi-
dentale, il y a un grand nombre de lacs peu considérables : les plus
remarquables sont l'Altenaus-sée, le Grundel-sée, le Langen-sée et le
Wild-sée.
A l'extrémité des montagnes calcaires de la Styrie, le Lantsch, près de
Grätz donne asile, sur ses lianes escarpés et sur les bords de ses préci-
pices, à des plantes qui semblent se soustraire aux recherches du bota-
niste. Les bois qui couvrent ses cimes sont les seuls où croit le delphinium
intermedium : il y atteint la hauteur de 1 mètre 70 centimètres et charme
l'œil par ses jolies fleurs bleues. Les pentes de cette montagne présentent
le seul exemple de la peltaria alliucea vivant dans l'état sauvage.
L'air est en général très-pur en Styrie : il y règne cependant des fièvres
endémiques, mais c'est principalement dans les parties marécageuses.
Les goitres, et même le crétinisme, sont des affections assez répandues
dans la Haute-Styrie. Au milieu des montagnes l'air est vif et souvent
même très-froid; cependant les vallées jouissent d'une temperature plus
chaude que dans la plupart de celles des Alpes. A Grätz, la chaleur
moyenne est de 3 à 10 degrés, et la hauteur du baromètre d'environ 733
millimètres. Dans tout le duché il tombe annuellement 378 à 40G milli-
mètres d'eau. La Basse-Styrie est exposée à un climat assez doux pour
que le raisin y parvienne à maturité : son produit en vin est d'environ
11,000,000 d'hectolitres. Les vins de Styrie deviennent potables en peu
de temps ; ils sont en général d'une bonne qualité; plusieurs même égalent
par leur force les vins du Rhin. Le blé n'y produit point d'abondantes
récoltes, mais le lin y est remarquable par sa longueur et sa finesse. Le
VII.
45

354
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
froment des montagnes donne une meilleure farine que celui des plaines :
année commune, il ne fournit pas au-delà de 5 à 7 pour un. Quant au lin,
il réussit aussi beaucoup mieux dans les lieux élevés que dans les plaines.
L'orge est peu cultivée ; mais il n'en est pas de même de l'avoine. Ce n'est
que dans la Basse-Styrie que l'on sème le maïs et le sarrasin, ainsi que ie
chanvre. Cette dernière plante atteint quelquefois plus de deux mètres de
hauteur. Les légumes et les fruits réussissent parfaitement aussi : le navet,
la betterave et la pomme de terre y sont excellents : les poires, les pommes
et les prunes y sont plus belles que dans aucune autre province de la
monarchie autrichienne.
Les forêts de la Styrie sont tellement considérables, qu'on évalue leur
superficie au tiers environ de celle de toute la province. Ces forêts se com-
posent principalement d'arbres verts, parmi lesquels domine le mélèze, le
le sapin et le pin. Les autres arbres sont l'érable, le peuplier, l'orme et
quelques chênes.
Les pâturages occupent une superficie d'environ 160 lieues carrées, et
les prairies près de 120 lieues; de plus, les progrès que l'agriculture a faits
en Styrie ont multiplié les prairies artificielles : celles-ci donnent ordinai-
rement trois ou quatre récoltes par an. Dans les montagnes, les bêtes à
cornes sont d'une bonne race : elles passent pour être les plus belles de
toute la monarchie autrichienne; partout les bergeries sont nombreuses.
Le pays nourrit encore une énorme quantité de volailles, et surtout d'oies.
Le chasseur y trouve en abondance la perdrix rouge, la gelinotte, le coq
de bruyère et d'autre gibier; dans les montagnes il rencontre les chamois
par troupeaux.
La Styrie est divisée en trois cercles, dont les chefs-lieux sont Grätz,
Bruck et Marbourg; elle est gouvernée comme la plupart des provinces
de l'empire d'Autriche. Ses États se composent de trois classes de députés :
ceux de la haute noblesse, parmi lesquels figurent les évêques ; ceux de
la petite noblesse, et les députés des villes et des bourgs , jouissant du
privilége de se faire représenter dans les assemblées. Le pays recrute deux
régiments d'infanterie et fournit des hommes pour la cavalerie. Il y a 224
circonscriptions d'enrôlement. La Styrie dépend du même gouvernement
militaire que l'Illyrie. Ses exportations de toute nature, qui se répandent
en Autriche, en Hongrie et jusque dans l'empire ottoman , peuvent être
estimées à 5,000,000 de francs; ses revenus publics sont d'environ
16,000,000.
Élevons-nous dans la région montagneuse qui s'étend à l'extrémité

355
EUROPE. — DESCRIPTION DE LA STYRIE.
occidentale de la Styrie : prenons une idée de la richesse de la population
de ce duché, en jetant un coup d'œil sur ses principaux lieux habités,
depuis le nord jusqu'au midi. Très d'un lac, et à la jonction de trois petites
rivières qui forment la Traun, est situé le bourg d'Aussée. On exploite dans
ses environs plusieurs salines, dont le produit annuel est de plus de
200,000 quintaux. Eisenärzt, bourg dont l'église fut fondée par Rodolphe
de Habsbourg, est entouré de mines en exploitation; on en tire plus de
400,000 quintaux de fer. Au nord-est et sur la fontière , Zell ou Maria-
Zell est le pèlerinage le plus célèbre de l'Autriche; c'est le Lorette de la
contrée. Son église est une des plus belles et sans contredit la plus grande
de toute la Styrie. La beauté de son orgue, la grandeur de sa chaire en
marbre rouge, la richesse de la chapelle de la Vierge, dont l'image vénérée
est placée sur un autel d'argent, la grille du même métal qui ferme la cha-
pelle, et les objets précieux renfermés dans son trésor, attestent combien
sont nombreuses les offrandes des 100,000 pèlerins qui s'y rendent tous
les ans. Bruck, principale station du chemin de fer de Vienne à Trieste, et
à l'embranchement de celui de Vienne à Munich par Salzbourg, est située
sur la Muhr; c'est une jolie ville, chef-lieu de cercle. Elle a dans ses
environs un couvent de capucins, des ardoisières et des mines productives.
En remontant la même rivière, on trouve Léoben, l'une des villes les mieux
bâties de la Haute-Styrie : elle n'a que 3,500 habitants. C'est dans ses
murs que furent signés, le 8 avril 1797, les préliminaires du traité dit de
Campo-Formio , entre la France et l'Autriche. Elle possède de belles
casernes, des forges importantes et des magasins de sel. Elle donne son
nom à un évêché dont le titulaire réside au bourg de Gbss, à trois lieues au
sud-ouest de Bruck, sur la rive droite de la Muhr.
Plus haut, Iudenbourg ne renferme que 1,000 habitants : on croit
qu'elle occupe l'emplacement de l'ancienne ville romaine d'Idunum. Pen-
dant le douzième et le treizième siècle, elle était en grande partie habitée
par des juifs, comme son nom l'indique. L'importance qu'ils avaient su
donner à leur commerce leur attira la haine et les persécutions des chré-
tiens, qui parvinrent à les chasser ou à les détruire vers l'année 1312. Ses
maisons sont construites dans le goût gothique. En 1807, elle éprouva un
violent incendie dont elle eut beaucoup de peine à réparer les pertes. Son
couvent de franciscains est devenu une auberge, et le château ducal une
caserne. Rohitsch ou Rohlisch, en slave Bojatek, paraît avoir été une ville
romaine : on y trouve beaucoup d'antiquités. Ses eaux minérales acidules
sont renommées.

356
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
Dans la belle vallée de la Muhr, Gratz, chef-lieu de cercle et principale
station du chemin de fer de Vienne à Trieste, est la capitale de la province,
le siége du gouvernement et la résidence de l'évêque de Seckau. Elle
porta d'abord le nom de Bayerisch gratz, mais les Slaves la nommèrent
Niemetzki Grad. Sa population s'élève à 48,000 habitants, dont la plus
grande partie habite les faubourgs. On cite parmi ses édifices la cathédrale,
le théâtre, l'hôtel du gouvernement, où se tiennent les États du pays-,
l'hôtel - de-vi Ile nouvellement bâti et le bel établissement du Johanneum,
sorte d'académie fondée par l'archiduc Jean, dans laquelle des professeurs
distingués donnent des cours de plusieurs sciences. L'église de Sainte-
Catherine renferme le mausolée de l'empereur Frédéric II. Ses établisse-
ments instructifs consistent en une université fondée en 1826 , une aca-
démie de dessin, une école do commerce, une institution des cadets, une
école normale principale, un collége, des gymnases pour les garçons, et
des écoles pour les jeunes filles. Elle possède plusieurs sociétés savantes,
telles que celle d'agriculture et celle d'histoire naturelle et de géographie
nationale. Gratz était autrefois une place de guerre importante, que défen-
dait une citadelle située sur un rocher escarpé-, mais les Français détrui-
sirent ses fortifications. Elle n'a plus qu'un mur d'enceinte, et sa citadelle,
qui n'est plus entretenue, sert de prison d'État. Parmi ses nombreuses
fabriques on distingue celle où l'on travaille le fer et l'acier pour en faire
toutes sortes d'objets du plus beau fini; ses manufactures de cotonnades,
de mousseline, d'étoffes de soie, de tissus de laine, de chapeaux et de fer-
blanc. Son commerce avec l'étranger est fort important; il s'y tient chaque
année deux foires où se réunissent des Grecs, des Hongrois, des Polonais,
des Russes et des Turcs. On remarque sur une hauteur, à peu de distance
de la ville, un magnifique calvaire, une église et plusieurs chapelles.
Badkersbourg, que l'on pourrait surnommer la jolie, est bâtie sur une
île au milieu de la Muhr; ses fortifications, mal entretenues, ne la garan-
tissent point des fréquentes inondations de cette rivière. Dans ses envi-
rons, on voit, sur une hauteur, le village de Riegersbourg et son antique
château, remarquable par sa situation pittoresque et ses fortifications
taillées dans le roc.
Sur la rive droite de la Muhr, le bourg de Leibnitz, ou Libnitza, paraît
être la ville de Mureola, citée par Ptolémée, si l'on en juge surtout par ses
nombreuses antiquités et par les sculptures et les inscriptions romaines
employées dans la construction de la tour de Seckauberg, bâtie dans le
douzième siècle,

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA STYRIE.
357
Marbourg, au confluent de la Drave et de la Muhr, et principale station
du chemin de ter de Vienne à Trieste, renferme 6,000 habitants. Ce chef-
lieu de cercle ne possède aucun édifice important ; il fait un grand com-
merce de blés et de vins. Plus loin, sur la rive gauche de la Drave, s'élève
la petite ville de Peltau, ou Petau, en slave Ptuja. Elle n'a que 1,800 habi-
tants, mais on y voit un hôtel des invalides, trois couvents de dominicains,
de minorités et de capucins. C'est la ville la plus ancienne de la Styrie; on
croit qu'elle existait avant la domination romaine, cependant il est pro-
bable qu'alors elle était située sur l'autre rive. Luttemberg, à l'est de Pet-
tau, sur la rive droite du Stainz, est un bourg renommé par ses vins. Dans la
petite ville de Cilly, ou Zilli, station du chemin de fer de Vienne à Trieste,
on remarque un beau château et beaucoup d'antiquités. Elle fut fondée
par l'empereur Claude, l'an 41 de notre ère, et reçut le nom de Celeia. Ses
murs sont en partie construits avec des débris antiques ; son plus bel édi-
fice est la caserne nouvellement bâtie; elle a un château, un couvent, un
collège et une école normale. Suivant les légendes, c'est dans cette ville
que fut décapité, en 284, Maximilien, son premier évêque. Au bas des mon-
tagnes, au sud de Cilly, il existe un Tbplitz, appelé aussi Neuhaus, et
connu par ses eaux thermales très-fréquentées.
A l'extrémité méridionale de la province, sur la gauche de la Save, Ràn,
en slave Pröschze, est une petite ville entourée de murailles en ruines,
avec un faubourg, un château, un haras et un millier d'habitants. Son ter-
ritoire est fertile; le vin est la principale branche de son commerce. Aux
approches de l'automne, les eaux rapides de la Save se couvrent d'embar-
cations formées de tonneaux vides, liés ensemble et montés par des mari-
niers qui descendent jusqu'à la ville, lorsque le dieu des vendanges promet
aux habitants d'abondantes récoltes. On croit que Ran est le Novidunum
des Romains. En 1495, à la suite d'une bataille sanglante, ses environs
furent ravagés par les Turcs. On exploite près de cette ville des houillères
et des carrières de marbre.
A l'ouest de Gratz, sur la rive gauche de la Muhr, le canton de Voitz-
berg, entouré de montagnes qui le séparent de la Haute-Styrie et de l'Illy-
rie, est un pays dont la partie élevée ressent pendant sept mois les rigueurs
de l'hiver. Les orages y sont fréquents et terribles; mais, dans la partie
basse, les vallées abondent en fruits et en vins. Le sol fournit de la houille
et des pierres à aiguiser recherchées en Styrie. Le canton élève de bons
chevaux de trait. L'industrie y est répandue; on y voit des usines, des
papeteries, des clouteries, des tuileries et des moulins. Les habitants sont

358
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
affectés du goitre. La petite ville de Voitzberg, 3 bourgs et 20 communes
composent ce canton.
Le nom d'Illlyrie rappelle d'antiques souvenirs ; c'est un des plus anciens
royaumes de l'Europe. Philippe, roi de Macédoine, soumit les Illyriens
méridionaux, et fit de leur pays une province appelée Illyrie grecque. Les
Romains firent la guerre à Teuta, reine des Illyriens septentrionaux.
168 ans avant notre ère, le romain Anicius fit la conquête de ce royaume,
qui n'en conserva pas moins son titre; et les Illyriens, impatients du joug
de Rome, tour à tour vaincus et insurgés, ne furent complétement soumis
que par Tibère, vers la fin du règne d'Auguste. Leur royaume, érigé en
province romaine, conserva le nom d'Illyricum, et il fut augmenté de la
Liburnie et de la Dalmatie, fruits de nouvelles conquêtes. Pline place dans
Ylllyricum les Peucetiœ et les Japides, situés entre l'Istrieet la Liburnie;
nous devons y ajouter les Carni, qui occupaient le versant méridional des
Alpes comiques. On croit que ces peuples étaient d'origine celtique. La
Carniole, l'ancien pays des Carni, lire son nom du mot Korn, qui signifie,
comme chacun sait, blé, seigle, et toute espèce de grains.
Sous la domination romaine, l'Illyrie, augmentée de diverses provinces,
était si considérable, qu'après le partage de l'empire entre Honorius et
Arcadius, elle fut divisée en deux parties, dont l'une appartint à l'empire
d'Orient et de l'autre à celui d'Occident. A la chute de ce dernier, elle
tomba au pouvoir des empereurs de Constantinople ; vers le sixième siècle,
des colonies slaves s'emparèrent de quelques-unes de ses parties et les
réunirent aux royaumes de Dalmatie et de Croatie, qu'elles fondèrent. Suc-
cessivement partagée par les Vénitiens, les Hongrois et les Turcs, l'illyrie
avait perdu jusqu'aux traces de son nom antique, ou du moins il n'était
conservé par la chancellerie autrichienne qu'à l'égard de quelques posses-
sions de l'Autriche sur la rive droite de la Drave, lorsque Napoléon, après
la paix de Presbourg, s'étant fait céder Krainbourg, le Frioul, l' [strie, la
Croatie, au sud de la Save, une partie de la Dalmalie et du Tyrol, les
incorpora, sous le nom de provinces illyriennes, à son vaste empire. Ren-
trée dans ses possessions en 1814, l'Autriche réunit la Carniole et la
Carinthie, le territoire de Trieste, une partie de la Croatie, le Frioul autri-
chien et quelques parties du Frioul vénitien, l'Istrie vénitienne, l'Istrie
autrichienne, et une partie du littoral hongrois et du comitat d'Agram, et
créa le royaume d'Illyrie, pour distinguer sous ce nom une partie de l'an-
cien Illyricum des provinces hongroises et de celles qui s'étendent au sud

EUROPE. —ROYAUME D'ILLYRIE.
359
de la Drave; mais en 1822, les deux derniers territoires qui avaient appar-
tenu à la Hongrie lui ont été rendus. On voit, par ce que nous venons de
dire, que l'illyrie actuelle est si peu allemande, qu'on est étonné qu'elle ait
pu être comprise dans la Confédération germanique; et, en effet, les Alle-
mands n'y forment qu'un cinquième de sa population. Il est vrai que la
presqu'île d'Istrie, qui constitue la plus grande partie du cercle de ce nom,
n'appartient point à la Confédération.
Ce royaume est divisé en deux gouvernements indépendants : celui de
Laybach et celui de Trieste. Il est borné au nord et à l'est par l' archiduché
d'Autriche, le duché de Styrie, la Croatie civile et le littoral hongrois ; au
sud, par le généralat de Carlstadt et le golfe Adriatique, et à l'ouest par le
royaume lombard-vénitien et le comté de Tyrol. Sa superficie est de
δ 13,93 milles allemands géographiques, ou de 1,428 lieues géographiques
carrées de France.
Ce royaume est traversé dans différents sens par de hautes chaînes de
montagnes; les bords de la mer sont plats et sablonneux, mais à l'est, ils
sont marécageux. La partie méridionale du gouvernement de Trieste com-
prend la presqu'île de l'Istrie, terminée au sud par le cap appelé Promon
tore. Les vallées du district de Villach et de celui de Klagenfurt, dont le
sol est couvert de fragments calcaires, sont assez productives ; les terrains
des cercles de Laybach, de Neustadt et d'Adetsberg, tantôt pierreux ou
couverts de marais, de grès et de sable, ont peu de fertilité. Dans la par-
tie occidentale, baignée par le golfe Adriatique, la sécheresse du sol, qui
repose sur des roches calcaires, et la rareté de l'eau, ne paraissent point
nuire à la végétation. Il est seulement à remarquer, relativement à la
végétation naturelle que les plantes du versant méridional de ce royaume
offrent beaucoup d'analogie avec celles des bords de la mer Noire.
Deux principales chaînes étendent leurs rameaux en Illyrie : au nord
les Alpes carniques, au midi, les Alpes juliennes. Elles sont en grande
partie, surtout les dernières, composées de roches calcaires que les géo-
logues appellent secondaires, et dont la tendance à se désagréger par
place, de manière à former des cavités nombreuses et considérables,
pourrait les faire désigner sous le nom de calcaire caverneux. Il semble que
toutes ces montagnes soient creuses : on y compte presque autant de
rivières qui passent dessous que dessus. Lorsque l'on suit leurs cours, on
est étonné de les voir tour à tour sortir du sein de la terre et y rentrer à
quelque distance ; plusieurs se dessèchent totalement à certaines époques,
et reparaissent ensuite.

360
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
On citerait plus de mille cavernes dans la chaîne qui, du nord-ouest au
sud-est, traverse le royaume d'Illyrie. La plus importante est celle d'Adels-
berg : elle est située près du bourg de ce nom, dans une petite vallée. On
lui donne 2 lieues de longueur : c'est un labyrinthe dont il est difficile de
suivre les pentes rapides et les passages étroits ou sinueux qui communi-
quent à des salles immenses. Les stalactites qui les décorent, et qui pré-
sentent tantôt les ruines d'un vieux palais, tantôt des colonnades majes-
tueuses ; un torrent qui roule avec fracas dans ses cavités, dont les échos
répètent le bruit terrible; les ossements fossiles dont le sol est pétri,
mettent celte caverne au rang des plus curieuses. A une lieue plus loin,
on trouve celle de Magdalena, moins étendue, mais plus haute et plus
remarquable sous le rapport des stalactites : il semble que des cariatides
colossales en soutiennent la voûte, dont les concrétions calcaires se mon-
trent sous les formes les plus variées. A son extrémité, on remarque un
petit étang, dont les eaux nourrissent l'espèce de salamandre connue
sous le nom de Prolée.
Dans les montagnes de l'illyrie, on trouve une grande quantité de lacs
très-poissonneux : le plus digne des méditations du naturaliste est celui
de Czirknitez, sur lequel se succèdent, quelquefois dans la même année,
le pêcheur, le chasseur, le cultivateur et le moissonneur. Il est entouré de
tous côtés par des montagnes calcaires : au midi, le mont Javornick, au
nord, la Sliviza. Dans les années de sécheresse, sa circonférence est de
4 à 5 lieues, et de 7 à 8 dans les années humides. Il reçoit les eaux de
8 ruisseaux ; au milieu du lac s'élèvent 4 ou 5 îles : un village occupe la
plus grande, appelée Vorneck. A certaines époques irrégulières, les eaux
s'écoulent tout à coup par une quarantaine de trous ou de crevasses, qui
occupent le fond de son lit; l'habitant des lieux voisins se hâte de pêcher
le poisson que les eaux n'ont point entraîné, et de chasser les oiseaux
aquatiques qui y font leur demeure. Il ensemence le fertile limon aban-
donné par les eaux, espérant que ses peines trouveront leur récompense
dans une abondante récolte; mais souvent il perd le fruit de ses travaux,
ses déboursés et ses espérances. Par les issues qui servirent à leur écou-
lement, les eaux surgissent subitement avec un bruit épouvantable, sem-
blable à celui du tonnerre; les poissons reparaissent, les sarcelles et les
autres oiseaux reviennent occuper leur asile, et l'homme seul se plaint de
son imprévoyance.
Le royaume est riche en substances minérales : la Carinthie est connue
par ses fers carbonates, ses mines de plomb et de zinc qui gisent dans les

EUROPE. - ROYAUME D'ILLYRIE.
361
terrains de sédiment inférieur, ainsi que l'argent et le cuivre. La Carniole
n'est pas moins abondante en filons métalliques·, mais ses plus fameuses
mines sont celles de mercure, aux environs d'Idria ·, avec celles de Deux-
Ponts, dans la Bavière Rhénane, et d'Almaden, en Espagne, elles appro-
visionnent l'Europe. Ce métal y est à l'état de sulfure ou natif, dans des
schistes bitumineux. On trouve, dans les autres parties de l'illyrie, de
l'alun, du salpêtre et de la houille. Ces diverses richesses minérales circu-
lent dans la contrée par le cours de la Drave et de la Save, qui sont ses
principales rivières, et par l'Isonzo et le Quieto, qui se jettent dans le
golfe Adriatique.
L'illyrie n'est point un pays fertile, à en juger par un seul fait: c'est
que plus d'un tiers de son sol est encore inculte. Les parties cultivées le
sont cependant avec intelligence : on y récolte peu de froment et d'orge,
mais une assez grande quantité de seigle et d'avoine. Le chanvre y est peu
répandu, mais le lin y vient en abondance.
La vivacité de l'air dans les montagnes des environs de Villach et de
Klagenfurt s'oppose à la réussite de la vigne; au sud de ces montagnes,
on jouit d'un climat sain et tempéré. Entre Laybach, Neustadt et Adels
berg, la chaleur commence à se faire sentir, et augmente à mesure que
l'on descend vers le midi. La vigne et le châtaignier y réussissent : ils
n'éprouvent d'autre obstacle que celui de la mauvaise qualité du sol,
Dans les environs de Trieste, le figuier, le mûrier et l'olivier même ont
rarement à craindre l'influence de la gelée. La vigne y est très-productive,
mais les vins s'y conservent difficilement : il faut cependant en excepter
celui de la vallée de Vinodol, qui, mousseux et pétillant, est le champagne
de ces contrées. Les bestiaux et les bêtes à laine y vivent en très-grand
nombre, ce qui tient à l'abondance des pâturages ; mais ces animaux
paraissent être d'une race appauvrie. L'habitant des vallées se livre avec
succès à l'éducation de l'insecte qui se nourrit de la feuille du mûrier. Les
forêts occupent plus du cinquième de la superficie du sol ; elles sont en
grande partie composées de chênes, si ce n'est dans les montagnes, et
fournissent de beaux bois de construction pour la marine. Dans la pres-
qu'île d'Istrie, les chênes donnent de très-belles noix de galle.
L'illyrie n'est point un pays de manufactures; cependant les Illyriens
se livrent activement à diverses branches d'industrie. C'est surtout de la
lilature et du tissage du coton, du lin et de la laine, ainsi que de la prépa-
ration du maroquin, qu'ils s'occupent le plus généralement dans les villes;
mais dans les campagnes, l'exploitation des mines et le travail des métaux
VII.
46

362
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
fournissent du pain à la classe ouvrière; c'est l'industrie qui a pris le plus
d'extension dans les environs de Trieste et de Fiume. Vers les bords de la
mer, la pèche et la construction des navires emploient un grand nombre
de bras ; le reste du royaume s'occupe du transport et du transit des mar-
chandises apportées par le golfe Adriatique, et destinées pour Vienne cl la
Hongrie. Les principales places de commerce sont, dans l'intérieur, Kla-
genfurt, Laybach et Villach; et, sur le littoral de l'Adriatique, Capo-
d'Istria, Citta-Nuova, Pirano, Rovigno et Trieste.
Dans certaines parties du littoral adriatique, les vapeurs qui s'exhalent
des lagunes sont nuisibles à la santé; l'homme y est rarement robuste;
mais c'est à d'autres causes que celles du climat et de l'air qu'il faut attri-
buerle peu d'importance de la population : elle n'est que de 904 individus
par lieue carrée. Composée de Wendes, de Slaves, de Croates, d'Alle-
mands, d'Italiens, etc., elle ne s'élève pas à 1,291,196 habitants. La plu-
part professent la religion catholique : le nombre des protestants s'élève à
peine à 20,000.
Dans presque tout le royaume, l'allemand est le langage de la noblesse;
mais dans le gouvernement de Trieste, l'idiome en usage est l'italien cor-
rompu. Quelques Serbes ont conservé des restes de leur dialecte slavon.
La liberté des paysans est soumise à quelques restrictions : le royaume est
censé indépendant ; il a ses États, ou plutôt la Carinthie et la Carniole pos-
sèdent des États provinciaux ; mais ils ne prennent aucune part à la légis-
lation. Composés des députés du clergé, de la noblesse et des villes , ils
s'occupent seulement du vote et de la répartition de l'impôt. Les revenus
du royaume sont de 5,500,000 florins.
Visitons les différents lieux de l'illyrie. Sur les bords de la Drave,
Ferlach est un grand village de 3,500 habitants, où sont établies deux
manufactures d'armes qui fournissent annuellement 30,000 fusils. La
petite ville de Saint-Veit est l'entrepôt général des fers de la Carinthie; au
seizième siècle, elle en était la capitale. Sa principale place est ornée d'une
fontaine que l'on regarde comme antique. Klagenfurth, chef-lieu de cercle
sur la rivière du Glan, est régulièrement bâtie en forme de quadrilatère,
au bord d'un canal qui communique avec le lac de Worth. Ses places sont
ornées de fontaines; celle du marché est décorée d'une statue équestre en
marbre de Léopold Ier, et de celle en bronze de Marie-Thérèse. Dans le
palais de l'évèque de Gurk, on voit de belles collections. Cette ville de
10,000 âmes renferme plusieurs églises, un gymnase, un lycée qui pos-
sède une riche bibliothèque, un séminaire ecclésiastique et plusieurs

EUROPE. —ROYAUME D'ILLYRIE.
363
manufactures d'étoffes de laine, de soie et de coton. C'est la ville du royaume
où l'on parle l'allemand le plus pur-, on voit dans ses environs des ruines
que l'on suppose être celles de l'antique Tiburnia. L'ancienne cité de Vil-
lach et le village de Bleiberg, situé dans ses environs, sont célèbres, la
première par ses carrières de marbre blanc, et le second par ses mines de
plomb, qui passent pour être les plus belles de l'Europe, et dont on extrait
annuellement près de 33,000 quintaux de métal pur. Villach est dans une
vallée, profonde, mais fertile ; une vieille muraille forme son enceinte-, sa
principale église est intéressante par les tombeaux qu'elle renferme. Krain-
bourg, ville bien bâtie, au confluent de la Save et du Kauker, fut habitée
par les Slaves au huitième siècle; on croit qu'elle est sur l'emplacement de
Santicum.
Laybach, en slavon Lublana, principale station du chemin de fer de
Venise à Trieste, est située sur les deux rives du Laybach. Des étymolo-
gistes allemands prétendent que son nom dérive du mot slave Luba, qui
signifie forêt. Ses rues sont bien pavées et garnies de trottoirs, mais elles
sont étroites et irrégulières. On vante sa cathédrale pour ses beaux tableaux,
et son hôtel-de-ville pour son architecture gothique. Nous devons citer
aussi la maison des États, le théâtre, et, parmi ses 11 églises, celle des
Ursulines, qui est sans contredit la plus belle. L'ancien château archidu-
cal, bâti sur une montagne, sert maintenant de prison. Le château fort qui
domine la ville est sa seule défense, bien que son arsenal la range parmi
les places fortes. Laybach est le siége du gouvernement et du conseil de
censure. Elle s'enrichit par le commerce d'expédition pour l'Italie, la
Croatie et la Bavière. Autrefois ses manufactures d'étoffes de laine étaient
florissantes; aujourd'hui ses tanneries sont les seuls de ses établissements
qui prospèrent encore. Sa population est d'environ 16,000 âmes-, mais
cette cité est importante par son lycée, qui jouit des privilèges d'une uni-
versité; par son gymnase, son séminaire episcopal, son observatoire, sa
bibliothèque publique, son école d'industrie pour les jeunes filles, et ses
sociétés d'agriculture et philharmonique.
Gurkfeld ou Kersko, sur un coteau planté de vignes, au pied duquel
coule la Save, a 2,500 habitants, un château, quatre églises, et un établis-
sement d'eaux thermales. Plusieurs antiquités qu'on y a découvertes ont
fait présumer qu'elle était l'ancien Noviodunum, mais la question est fort
incertaine : quelques auteurs ont placé cette antique cité près de la petite
ville de Ran , presque au confluent du Gurk et de la Save. Neustädt, que
les Illyriens nomment aussi Novumestu ou Rudolphswerth, parce qu'elle fut

364
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
bâtie en 1365 par Rodolphe IV, archiduc d'Autriche, est fréquentée, dans
la saison des eaux, par les baigneurs établis aux deux sources chaudes de
Toplilz, petit village qui n'en est qu'à % lieues.
Au pied des montagnes de Iluskoken, qui occupent une longueur de 16
lieues, s'élève, sur la rive gauche de la Kulpa, la ville de Möttliny, connue
par les pèlerinages que l'on y fait. La renommée dont elle jouit chez les
bons paysans, qui s'y rendent en foule à certaines époques, n'a point tou-
ché le cœur des montagnards. Les Iluskoken forment encore une peuplade
à demi-civilisée, qui ne vit que de pillage, et qui appartient à l'Église
grecque. C'est celte peuplade que l'on désigne aussi sous le nom de
Serbe.
Arrosée par la Riese, Gottschée, appelée en slavon Hotzchevie, petite
ville de 1,600 âmes possède un château bien construit. Dans ses environs,
les Gottschers, au nombre de 44,000, se distinguent des autres habitants
par les mœurs, le langage et l'habillement-, ils font beaucoup de toiles et
différents petits ouvrages en bois qu'ils exportent en Autriche et en Hon-
grie : on les reconnaît à une petite hache dont ils sont toujours armés. Au
milieu d'une étroite et profonde vallée, et sur le revers des Alpes juliennes,
Idria, peuplée de 5,000 habitants, est célèbre non-seulement par son cal-
vaire, placé à une grande élévation, mais par ses mines de mercure, dont
l'entrée est au centre de la ville.
Dans le gouvernement de Laybach, les noms de lieux rappellent des
consonnances allemandes, mais dans celui de Trieste la plupart des noms
sont italiens. Gorice, en allemand Göritz, ou Görz, en italien Gorizia,
paraît tirer son nom du mot slave gora, montagne. Chef-lieu du cercle, et
peuplée de 10,000 âmes, elle est située sur les bords du Lisonzo, dans une
vallée fertile. Elle se divise en haute et basse ville : la première, vieille et irré-
gulière, est entourée de murs et défendue par un vieux château; la seconde,
sur la rive gauche de la rivière, est assez bien bâtie. Celte ville est le siége
d'un archevêché. On y trouve unesociété d'agriculture, des arts et du com-
merce. La cathédrale et les autres principaux édifices n'offrent rien de bien
remarquable. Dans les environs de cette ville se trouve Monte Santo,
connu par ses bons vins.
Sur les bords de la petite rivière d'Anfora s'élevait une cité romaine
qui fut détruite en 452 par les Huns. Elle n'a changé ni de place ni de
nom : c'est encore aujourd'hui la petite ville d'Aquilée ou d'Aquileja,
l'antique Aquileia. Mais après avoir été le séjour favori d'Auguste et de
plusieurs empereurs, après avoir renfermé 130,000 citoyens, sans compter

EUROPE.—ROYAUME D'ILLYRIE.
365
les esclaves et les enfants, elle n'a plus aujourd'hui que 1,500 habitants.
C'est sur le territoire d'Aquilée que l'on récoltait le vin généreux appelé
vinum pucinum, auquel l'impératrice Livia attribuait le mérite d'avoir pro-
longé les jours d'Auguste. Les fertiles collines y sont encore couvertes de
vignes et d'arbres fruitiers. Les lagunes de Marano, qui entourent Aqui-
leja, exhalent des vapeurs pestilentielles qui s'opposent à l'accroissement
de sa population. Dès l'an 1765, le gouvernement autrichien commença
à établir des canaux pour les dessécher; il a même changé en terres labou-
rables quelques-uns de ces marais-, mais ces travaux n'ont point encore
suffi pour réparer les maux qu'un trop long abandon a répandus sur le petit
territoire de cette ville.
Trieste, au fond du golfe du même nom, chef-lieu du gouvernement du
littoral, est le principal port marchand de l'Autriche, etl'un des plus impor-
tants de toute l'Europe méridionale. C'est le siége de l'administration mari-
time du gouvernement autrichien, le centre de la navigation à vapeur sur
l'Adriatique, et l'une des stations principales de cette navigation sur la
Méditerranée. La ville est. divisée en quatre parties: la vieille ville, la
nouvelle ville, appelée aussi Theresienstadt; Josephstadt et le faubourg
François. La nouvelle s'étend au pied de la montagne que couronne
le château. A l'exception de l'église des Jésuites, dont la façade est assez
belle, de l'hôtel-de-ville, du nouveau théâtre et du palais de la bourse, la
plupart de ses édifices sont peu remarquables; cependant tout y rappelle
le goût italien. Les maisons sont bien bâties et les rues larges, surtout dans
la nouvelle ville et dans le faubourg. Trieste est le siége de deux évêchés,
l'un catholique et l'autre grec. La cathédrale, qui paraît fort ancienne,
n'est remarquable à l'extérieur que par les restes d'antiquités romaines
qui ont servi à sa construction, et à l'intérieur que par le monument élevé
à la mémoire de Winckelmann. Trieste possède quelques monuments
antiques dignes de fixer l'attention : tels sont un arc de triomphe érigé à
Charlemagne, les restes d'un amphithéâtre romain qui fut déterré dans la
vieille ville, ainsi qu'un aqueduc souterrain qui sert encore à la conduite
des eaux. Elle occupe l'emplacement de l'antique Tergeste. Trieste qui,
depuis quinze ans, a pris une grande importance maritime, doit être, dans
un avenir prochain, unie à la métropole de l'empire autrichien, par un
chemin de fer qui ne va encore aujourd'hui (décembre 1853) que jusqu'à
Laybach. Sa population qui, sous le règne de Marie-Thérèse, n'était que
de 6,000 âmes, dépasse aujourd'hui 75,000 et celle de la ville et de sa
banlieue est de 82,596 habitants.

366
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
Capo-d'Istria, ville maritime de 5,400 âmes, construite sur un rocher
communiquant par un pont avec le continent, est le siége d'un évêché.
C'était autrefois la capitale de l'Istrie. Pirano, qui s'élève en pyramide à
l'extrémité d'un cap, renferme 6,500 individus dont la plupart s'occupent
de la pêche et de la construction des navires, de la culture de la vigne et de
celle de l'olivier. Son église principale, édifice gothique, est située sur une
hauteur au centre de la ville; son commerce est considérable, surtout en
sel tiré de ses lagunes. Dans la cathédrale de la petite ville de Parenzo, on
montre des mosaïques du dixième siècle, c'est-à-dire de 80 ans plus vieilles
que celles de Saint-Marc à Venise. Cet édifice est surmonté d'une belle
coupole. L'évêché est suffragant du patriarcat de Venise; la ville est sur
une presqu'île qui y forme un bon port abrité par plusieurs îles; la popu-
lation est de 4,000 âmes ; les terrains marécageux des environs y entre-
tiennent un air malsain. Rovigno, sur une langue de terre entourée de
rochers, est bien bâtie. On y remarque une ancienne église gothique d'un
très-beau style, qui était autrefois une cathédrale. Un commerce considé-
rable, la pèche et le cabotage enrichissent ses 10,000 habitants, et en font
une des villes les plus florissantes de l'Istrie.
Près du cap appelé Promontore, on voit dans la petite ville de Pola les
restes de cette importante cité que César fit détruire parce qu'elle était
dévouée à Pompée. Cette ville est le siége d'un évêché suffragantde celui
d'Udine. La pêche du thon donne quelque activité à son port. C'est de
ses environs que Venise tire le sable qu'emploient ses manufactures de
glaces.
Entre les côtes d'Istrie et le littoral hongrois, dans le golfe de Quarnero,
s'élèvent plusieurs îles que nous ne devons point passer sous silence, puis-
qu'elles font partie du royaume d'Illyrie. La plus considérable et la plus
proche de la presqu'île d'Istrie est Cherso, l'antique Crepsa. Séparée de
cette presqu'île par un canal de trois quarts de lieue de large dans sa par-
tie la plus étroite, elle en a 48 de longueur et 2 dans sa plus grande lar-
geur. Ses belles forêts fournissent des bois de construction ; ses pâturages
nourrissent des moutons et du gros bétail ; ses habitants dont on porte le
nombre à 10,000, naturellement industrieux, fabriquent des draps, la
liqueur appelée rosoglio et des trabaccoli, petits bâtiments avec lesquels
ils font le cabotage. Le chef-lieu de l'île porte aussi le nom de Cherso ;
cette petite ville de 4,000 âmes est située au fond d'une baie qui partage
l'île en deux portions presque égales ; c'est le siége d'un évêehé.
A l'est de la précédente, on voit l'île de la Veglia, longue de 8 lieues et

EUROPE. — COUP D'OEIL SUR L'AUTRICHE.
367
large de 2 à 4. Elle est comme Cherso riche en bois, et nourrit beaucoup
de moutons, de chèvres et de chevaux. Au nord et à l'est elle est monta-
gneuse et stérile ; mais on exploite dans cette partie de très-beau marbre ,
tandis que le reste fournit du vin, des fruits, et nourrit des mûriers utiles
aux habitants qui élèvent un grand nombre de vers à soie. Sa population
est de 17,000 âmes : son chef-lieu appelé Veglia, renferme 4,000 habi-
tants. C'est aussi le siége d'un évêché.
Les autres îles de l'archipel illyrien sont Osero, Unia, Sansego et les deux
petitsîlots de Santo-Pietro di Nembo. Osero ou Losini, l'ancienne Apsorus,
au sud-ouest de Cherso, est quatre ou cinq fois plus petite et cinq fois plus
peuplée. Lussin-Piccolo, village de 1,500habitants, estson chef-lieu, bien
qu'il en ait 200 de moins que Lussin-Grande. La petite île d'Unia, longue
de 4 lieues et large d'une demie, n'a que 2 à 300 habitants; Sansego en
a 600 ; enfin les deux îles de Santo-Pietro di Nembo, séparées l'une de
l'autre par un canal de 80 mètres de largeur, qui offre aux navires un
abri sûr contre les vents, ne sont peuplées que de deux ou trois familles.
Arrivés à l'extrémité méridionale des États autrichiens allemands, il est
important d'entrer dans quelques considérations sur l'ensemble de la monar-
chie autrichienne. Ces possessions, composées de la Bohème, de la Mora-
vie et de la Silésie, de l'archiduché d'Autriche, de la Styrie, du Tyrol et de
l'Illyrie, ont une superficie d'environ 10,489 lieues géographiques carrées
et une population que l'on évaluait en 1851 à 12,361,959 habitants, c'est-à-
dire un peu plus du tiers de la superficie et de la population de tout l'empire.
Les Allemands ne forment qu'un peu plus de la moitié de la population, et
c'est peut-être exagérer que d'en porter le nombre à 8,000,000. Il est facile
de juger par là combien la difference de langage et de mœurs doit en affai-
blir l'esprit national et la force politique. Considérée comme État fédératif,
l'Autriche n'en offre point les avantages : si les provinces allemandes se
montrent attachées au gouvernement et à la patrie, il est facile de remar-
quer dans la Hongrie et ses annexes, et surtout dans le royaume de Gali-
cie, une sorte d'indifférence, sentiment qui, dans les provinces italiennes,
passe à la haine pour le pouvoir qui les régit. Le gouvernement autrichien
a tout employé pour faire disparaître ces nuances; mais peu disposé à
confondre tant d'intérêts par des institutions qui seraient peut-être dange-
reuses dans l'état actuel de civilisation des peuples, il s'est accommodé
plutôt à leurs préjugés. Nous nous plaisons à reconnaître que les réformes
opérées depuis 1848 en Autriche ont beaucoup fait pour amener la sim-

368
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
plification des rouages jusqu'alors si divers et si compliqués de cette monar-
chie. L'empereur, il-est vrai, a rétabli la monarchie absolue, mais il a dû
faire la part des libertés publiques et satisfaire aux exigences du mouve-
ment des idées dans ces derniers temps. Il gouverne l'État, secondé par un
conseil de l'empire et par ses ministres. Ces derniers ne sont responsables
que devant l'empereur. Chaque province a sa diète composée d'une seule
assemblée dans laquelle se trouvent représentés par un nombre égal de
députés les diversintérêts sociaux, la grande propriété, la petite propriété,
le commerce et l'industrie-, elle s'occupe, sous la surveillance du gouver-
neur et des commissaires supérieurs, de tout ce qui concerne l'administra-
tion. Les provinces envoient de plus à Vienne des représentants désignés
par l'élection au suffrage universel, qui composent la diète générale de
Vienne et qui traitent, sous la surveillance des délégués impériaux, des
affaires générales de l'empire.
Le budget de l'Autriche n'est pas en proportion de sa population de
37 millions d'âmes, comme celui de la Russie, chez laquelle ie phénomène
est encore plus sensible ; il n'est pas la moitié du budget français. Les
guerres qu'elle a eues à soutenir en Italie et en Hongrie, en 1848 et 1849,
ont constitué un déficit de plus de 332 millions de florins ; mais la tran-
quillité dont jouit l'empire depuis 1851, lui a permis de réduire cette dette ;
les recettes sont d'ailleurs en progrès, et on les évaluait en 1851 à plus de
223 millions de florins (le florin vaut 2 fr. 60 c. ), tandis que pour la
même année on évaluait les dépenses à 279 millions de florins. Les opé-
rations du crédit foncier avaient, de plus, produit environ 4 30 millions de
florins, que l'on destinait à l'amortissement de la dette et à couvrir l'excès
des dépenses sur les recettes.
L'équilibre entre les dépenses et les recettes ne peut s'établir qu'au
moyen de diminutions notables dans les dépenses. La nouvelle organisa-
tion de l'armée, d'après l'ordonnance du 1er août 1852, a permis de réa-
liser bien des économies, en réduisant de beaucoup les cadres d'activité,
qui ne dépassent pas 250 à 280,000 hommes.
Tout l'empire est divisé en 15 grands gouvernements militaires. Il pos-
sède 18 places de guerre de première classe et 14 de seconde, 6 arsenaux,
8 fonderies de canons et 5 manufactures impériales d'armes. Le drapeau
national est noir et jaune.
La marine militaire de l'empire ne date que de 1815 ·, elle est peu consi-
dérable; bien qu'elle ait dans les populationsdu rivage de l'Adriatique, et
notamment dans la Dalmatie, une pépinière d'excellents marins, elle

EUROPE. — COUP D'OEIL SUR L'AUTRICHE.
369
n'atteint guère que les proportions d'une marine de puissance de troisième
ordre ; elle compte 6 frégates, 96 bâtiments inférieurs et porte 742 canons.
Les ports militaires sont Trieste et Venise-, puis viennent Fiume et Zara,
ports de commerce importants.
Le commerce maritime de l'Autriche a pris depuis quelques années de
rapides accroissements; Trieste, Venise et Fiume sont ports francs ; les
autres ports de commerce sont: Chioggia, Buccari, Porto-Ré, Zengh,
Carpolago, Zara, Spalatro et Raguse; en 1850, leurs importations dépas-
saient 250 millions de francs ; le nombre de leurs navires était de 6,083,
et leur tonnage d'environ 200,000 tonneaux. La compagnie du Llyod
autrichien, de Trieste, occupe dans la Méditerranée le premier rang pour
la navigation à vapeur; en 1837, elle comptait à peine 7 bâtiments,
aujourd'hui elle en compte près de 40, qui, en 1850, ont transporté 25 rail-
lions de kilogrammes de marchandises et 114 millions de francs d'espèces
monnayées. La navigation du Danube est aussi exploitée par une com-
pagnie, qui possédait, en 1850, 55 bateaux à vapeur, et avait transporté
263 millions de kilogrammes de marchandises, 85,000 tètes de bestiaux
et 30 millions de francs d'espèces monnayées.
Quels que soient les progrès accomplis par l'Autriche dans le commerce,
son industrie est loin d'avoir toute l'importance qu'elle pourrait prendre.
L'archiduché d'Autriche, la Bohême et la Moravie sont les seules provinces
vraiment manufacturières de l'empire; d'ailleurs, l'industrie n'est libre
qu'en Lombardie et en Vénétie ; dans les autres États de l'empire, sauf
quelques exceptions, l'exercice d'un grand nombre d'industries et d'autres
professions d'arts et métiers, est subordonné par l'autorité à des conces-
sions, ou continue d'être réglé par les usages et les maîtrises. Si l'on en
croit les statistiques officielles de l'Autriche, la production industrielle de
l'empire serait de plus d'un milliard de florins, dont les deux tiers appar-
tiendraient à l'industrie manufacturière proprement dite. Ce chiffre nous
paraît exagéré ; si on laisse de côté les provinces peu productives, telles que
la Hongrie, la Transylvanie, la Croatie, avec les confins militaires, on peut
évaluer à 512 millions de florins les productions des grandes industries
des autres provinces. L'industrie de la laine, du chanvre, de la soie, la
fabrication de l'eau-de-vie et de la bière, l'industrie des cuirs et des peaux,
et celle du coton, les produits et préparations chimiques, les préparations
de substances animales, l'industrie du fer, et celle de la poterie, de la tui-
lerie et de la verrerie, tiennent le premier rang dans cette évaluation.
Cependant l'industrie autrichienne laisse beaucoup à désirer, et si elle
VII
47

370
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
suffit pour le marché intérieur, elle n'est pas encore assez développée pour
figurer avec avantage sur le marché étranger.
Bien que l'agriculture soit encore dans l'enfance, la principale richesse
de l'Autriche est dans sa production agricole ; on évalue le sol productif
de l'Autriche à 85 pour 100 de son territoire 1.
La production est estimée à 28 millions d'hectolitres de froment,
37 millions d'hectolitres de seigle, 30 millions d'hectolitres d'orge, 50 mil-
lions d'hectolitres d'avoine, 20 millions d'hectolitres de maïs, 22 millions
d'hectolitres de vins et 40 millions d'hectolitres de tabac. La Hongrie entre
pour une part considérable dans ces résultats.
L'Autriche est un des pays où les voies de communication sont les plus
parfaites; les voies fluviales sont depuis vingt ans savamment exploitées,
et depuis 1840 un réseau de chemins de fer (358 milles allemands)
s'étend sur toutes les provinces; lorsque la ligne de Vienne à Trieste sera
livrée à la circulation, et réunie à celle de Venise à Milan, l'Autriche n'aura
plus rien à envier, sous le rapport des voies de communication, aux États
les plus favorisés, et son commerce y trouvera de nouveaux éléments de
prospérité." Ses lignes de chemins de fer seront en communication avec
celles des États européens les plus importants.
L'empire d'Autriche, politiquement parlant, n'est pas une nation, ce
n'est point un corps qui vive d'une vie simple et naturelle, c'est un vaste
mécanisme gouvernemental, résultant d'une sorte de transaction entre
divers peuples, dont la plupart, les Italiens exceptés , ne deviendraient
indépendants que pour être immédiatement la proie de la Russie. Elle a
un rôle important à jouer aussi en Allemagne, c'est d'empêcher les petits
États de se laisser absorber par la Prusse. La révolution de 1848 lui aura
du mois profité en cela, qu'elle aura servi à reconstituer sur des bases
plus simples et plus conformes aux idées nouvelles, son administration,
qui, d'ailleurs, a toujours été très-paternelle.
1 Si l'on évalue ce territoire à 56,410,000 hectares,
On aura : Terres arables
21,181,000 hectares.
Bizières
65,000

Vignobles.
1,012,000

Prairies et jardins
6,667,000

Oliviers, lauriers, châtaigneries, etc., etc..
66,000

Pâturages et pâtis
7,117,000

Forêts
20,302,000


EUROPE.— TABLEAUX STATISTIQUES DE L'EMPIRE D'AUTRICHE,
371
TABLEAUX STATISTIQUES de l'empire d'Autriche.
STATISTIQUE GÉNÉRALE.
POPULATION
POPULATION
FINANCES
SUPERFICIE.
FORCES MILITAIRES.
en 1S50-51.
par lieue carr.
en 1851.
Revenus.
Armée.
223,252,038 florins,
Pied de paix : 250 000 h.
ou 580,455,300 fr.
Pied de guerre: 539,768h.,
12120,42 milles carrés
Dépenses.
59,60* chevaux.
géogr. allemands,
278,420,470 florins,
Flolle.
ou 723,893,040 fr.
ou
36,514,466
1,085
Dette.
6 frégates. 215 canons.
5 corvettes. 92


1.023,200,000 flor.
33,668 lieues géogr.
11 bat. à vap. Cl

carrées.
ou 2,660.320,000 fr.
82 bat. inf.
374

Contrib fédér.
522.046 florins.
104 bat. port. 742 canons.
ou 1,357,320 francs.
STATISTIQUE GÉNÉRALE des pays composant l'empire d'Autriche, d'après la division
politique établie en 1849, d'après les données cadastrales de 1850 et le dénom-
brement de 1850-1851.
SUPERFICIE
NOMBRE DES
POPULA-
NOMS DES PAYS.
VILLES PRINCIPALES.
en milles
cercles
carrés
lieues
TION.
et
allemands. géog. c.
provinces.
BASSE-AUTRICHE. . .
361,50
1,003
1,538,047 1,533 1 cercle.
17
VIENNE, 408,000.
HAUTE-AUTRICHE. . .
217,77
601
706.316 1,175 1

12
Linz, 26,000.
SALZBOURG
130,38
362
1*6.007
403 1

3
Salzbourg, 14,000.
STYRIE
408,71
1,135
1,006,971
887 3

19
Grätz, 51.000
Carintlhie.
187.94
525
319,224
608 t

7
Klagenfurth, 12,000.
ILLYRIE. j Carniole..
181,38
504
463,956
920 1

10
Laybach, 1.600.
2
Littoral.
144,61
401
508,016 1,267
10
Trieste, 55,000.
TYROL ET VORALBERG.
522,87
1,452
859,706
592 4

20
Inspruch.. 12,000.
7

BOHÊME
943,95
2,622
4,409,900 1,681
79
Prague, 115,000.
2

25
MORAVIE
403,80
1,122
1,790,838 1,606
Brûun, 40,000.
SILESIE
93.57
260
438,5-6 1,686 1

7
Troppau, 12,000
GALICIE.
1420,52
3,945 5
4,555,477 1,154 3 arrondiss.
63
Lemberg. 71,000.
BUKOWINE
189.69
528
3S0,826
721 1 cercle.
6
Czernowitz, 12,000.
DALMATIE
232,41
645
393.715
610 1

7
Zara, 6 700.
I.0MBARD1E
392 15
1,089
2.725.740 2,523 9 provinces.
77
Milan, 156.000.
VENISE
433.87
1,205
2,281,732 1,893 8

79
Venise, 128,000.
HONGRIE
3265,45
9,070
7,864,262
867 5 districts.
265
Bude (Ofen), 40,000.
WOÏVODIE de SERBIE
et BANNATde TEMÈS.
544,81
1,513
1,426,221
942 5

25
Temesvar, 16 OOO.
CROATIE
et ESCLA-
VONIE.
332,74
924
868 456
939 6 palatinats.
25
Agram, 15,000.
TRANSYLVANIE.
. . .
1102,78
3.0(i3
2 073.737
677 5 cercles.
20
Klausenbourg, 25,000.
FRONTIÈRES MILIT. .
609,56
1,593
1,009.109 1,492 2 comm. mil.
36
Hermanstadt, 21,000.
Militaires. . . .
738,624
12
12120,42 33,668 36,514,466 1,085
69
799

372
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
TABLEAU DE LA POPULATION DE L'EMPIRE D'AUTRICHE D'APRÈS LES NATIONALITÉS.
(Recensement de 1846).
Slaves
.
15,282,196
Roumans, etc., etc., etc
8,104,756
Allemands
7,917,195
Races asiatiques (Magyares, Juifs, Arméniens, etc., etc.). . .
6,279,608
Total
37,583,755
TABLEAU DE LA POPULATION DE L'EMPIRE D'AUTRICHE D'APRÈS LES RELIGIONS.
ROMAINS. GRECS.
PROTESTANTS
GRECS
Autres
PAYS.
JUIFS
non-unis.
Catholiques.
d'Augs-
Réformés
sectes.
bourg.
Autriche au-dessous
de l'Ens
1,474,904
673
390
11793
2,320
23
4,296
Autriche au-dessus
de l'Ens
840,635
1
15,981
57
20
Styrie
997,620
6
5,383
65
Garinth. et Carniole.
766,290
232
257
18,005
Littoral
493,631
8
1,819
471
582
60
3.53)
Tyrol et Voralberg.
858.122
150
978
Bohême
4,190,892
7
34,311
52.671
44
70,037
Moravie et Silésie. .
2 092, '65
89.446
28,819
40,064
Galicie
2,236,765 1,194,911
310,169
30,595
2,109
2,203 328,8 6
Dalmatie
330.827
865
78,858
3
25
410
Lombardie
2,667 202
189
477
2,905
Venise
2,251,708
57
402
186
87
4,760
Frontières militaires
514,545
62,743
598,603
14,586
31,053 4,341
537
19,715,406 2,259.496
990,505
221,099
118,265 4,341
2,350 456,385
Hongrie (approx.)
6,068,280
780,300 1,402,400
827,800 1,655,600
265,620
Transylv. (approx.).
221,400
605,3)0
725,700
220,400
358,300 44,600
7,000
Total.
26,005,086 3,615,096 3,118,605 1,269,299 2 132,165 48,941
729,003
Militaires. . .
352,086
49,800
43,200
17,500
29,690 1,600
Total général. .
26,357,172 3,694,896 3,161,805 1,286,799 2,161,765 50,541
2,350 . 729,005
Les membre» de ces sectes et les Juifs faisant partie de l'armée, sont compris dans les autres cultes.
TABLEAU statistique des pays autrichiens qui font partie de la Confédéra-
tion germanique, avec leurs nouvelles divisions établies en 1849 1.
POPULAT.
NOMS
POPULAT.
NOMS DES ÉTATS.
des
CHEF-LIEU DE CERCLE.
en 1850-51.
en
CERCLES NOUVEAUX.
1850-51.
Basse-Autriche. 1,003 1.538,047 VIENNE.
Archid. d'AUTRICHE..
1,966 2,388,366 Haute-Autriche
601
706,316 Linz.
. Salzbourg.. . .
362
144,007 Salzbourg.
485
187 543 Brüch.
347
447,132 Gr'atz.
Duché de STYRIE. . .
1,135 1,006,971
Marbourg.. . .
303
372,296 Marbourg.
Nous donnerons les tableaux de la Galicie, de la Hongrie et du royaume Lombard-Vénitien, a la suite des livres
où nous aurons décrit ces provinces.

EUROPE. — TABLEAUX STATISTIQUES DE L'EMPIRE D'AUTRICHE.
373
POPULAT.
NOMS
POPULAT.
NOMS DES ÉTATS.
des
CHEF-LIEU DE CERCLE
en 1850-51.
en 1850-51.
CERCLES NOUVEAUX.
Duché de C
525
ARITNTHIE.
525
319,224 Carinthie. . . .
319.224 Grätz.
Duché de
Klagenfurth.
CARNIOLE. .
504
463,956 Carniole. . . .
504
508.016
Göritz 147
192,511 Goritz
Istrie
avec
250
232,909 Mitterbourg (Pisino)
Littoral ILLYRIEN, . .
401
508,016
Trieste et son
territoire.. .
4
82,596 Trieste.
Brixen
483
219.866 Brixen.
Comté de TYROL et
VORALBERG
Inspruck. . ■ .
530
217421 Inspruck.
1,452
859,706 Trente
311
318.658 Trente.
Brégenz 12S
103,761 Brégenz.
Prague 314
602,7'5 Prague.
Budweis 463
569.673 Budweis.
Eger
375
560,732 Eger.
Royaume de BOHÊME.
2,622 4,409,900 Gitschin. ....
408
838.774 Gitschin.
Bömisch-Leipa-
212
530 822 Römisch-Leipa.
Pardubitz.. . ·
378
677.890 Pardubitz.
Pilsen 472
629,374 Ρilsen.
Brunn
583
874,528 Brünn.
Margrav. de MORAVIE
1,122 1,799,838 Olmütz
539
925,310 Olmütz.
Duché de SILÉSIE. . .
260
438,586 Silésie 260
438,586 Troppau.
Duchés d'AUSCHWITZ
et ZATOR 2 (en Ga-
licie.,... 101
167,396 Auschwitz
et
Zator 101
167,391 Auschwitz.
10,489 12,361,959
10,489 12,361,959
1 Une partie de l'Istrie (105 lieues carrées) ; avec une population de 92,450 âmes, dépend seule de la Confédéra-
tion germanique.
2 Bien que soumis à l'administration de la Galicie, et appartenant au cercle de Wadovice, ces deux duchés sont
politiquement comptés avec la Silésie, parce qu'ils touchent immédiatement à l'ancien cercle de Teschen.
FINANCES DE L'EMPIRE D'AUTRICHE EN 1851.
Budget de 1851.
'
RECETTES.
DÉPENSES.
DETTE.
Recettes ordin. . 205,760,584fl. ». Dép. ordin. 257,558,370 fl. Au 31 janv. 1850 1,023,200,000 fl.
Recett. extraord.
17,491,454
20,862,100
Emp.desept. 1851
85,569,800
Id
de mai 1852
35,000,000
Id. de sept. 1852
80,000.000
223,252,038 fl.
278,420,470 fl. Papier monnaie en circulation en
Produit particulier des opérations
mai 1853,142,596,198 florins.
de crédit, durant la même
année, 129,674,627 fl, qui ont ser
Billets du Trésor Lombard-Véni-
ri à amortir la dette et à
couvrir le déficit.
tien, 1,004,485 lire.
1 Le florin vaut 2 fr. 60 c.

374
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME.
TABLEAU STATISTIQUE DU COMMERCE DE L'EMPIRE D'AUTRICHE.
Commerce en 1847.
IMPORTATION.
EXPORTATION.
Commerce spécial du Zollverband (territoire douanier de l'Au-
triche)
332,793 000 fr. 291.742.000 fr.
Marchandises importées et exportées conditionnellement
12,394,000
3.588,000
Transit
:
201,092,000
201,092,000
Commerce spécial de la Dalmatie
11,191 000
11.640.000
Transit de la Dalmatie. . . . ·
5,993,000
5,993,000
Total
563,468,000 fr. 514,055,000 fr.
Total du mouvement des importations et des exportations en 1847,1,077,518,000 fr
Commerce en 1850.
Importation
par terreImportations par terre 159, 250, 000 fr. 413, 284, 040 fr.
par merpar mer 254, 034, 040
Exportations
Exportations 272, 603, 500
Total du mouvement commercial
685,887,540 fr.
Etat de la marine marchande Autrichienne à la fin de 1849.
Litor. Vénitien. Venise
261 navires jaug
26,123 tonu. (dont 64 nav. au long c ).
Chioggia
1,198
19,216 —
Littoral Autrich. Trieste
1.198
135,257 —
(dont 402 nav. au long c).
745
15,644 —
Fiume. .
Croatie civile. .
Buccari.
441
41,395
(dont 108 nav. au long c.).
Portoré.
Zengh,
Zengh,
Carpola-
Carpola-
Croatie milit. .. 1 go
go, St-Georges,
151
1,719
Jablon
Jablonacz. . . . )
(Zara, Spalatro,
Littor. Dalmate.
Raguse, Porto-2,089
20,229 —
(dont
5 nav. au long c).
rose
Total.
6,083
259,583
Mouvement de la navigation en 1852.
Nombre
Nombre
Nom du port.
des
Leur tonnage.
des
Leur tonnage.
navires arrivés.
navires partis
Trieste.
12,552
740,795
529,774
Venise.
4,218
391,403
3,859
379,090
Fiume.
7,570
107,294
7,637
117.407
TABLEAU STATISTIQUE DE L'ORGANISATION MILITAIRE DE L'EMPIRE D'AUTRICHE
EN AOUT 1852.
CORPS D'ARMÉE.
ÉTAT-MAJOR.
Irearmée à Vienne (Autriche) 5 corps.
Généraux.
IIe année à Vérone (Italie)
4

6 feld-maréchaux. — 22 généraux de cavalerie
IIIe année à Pesth (Hongrie)
4

et d'artillerie. — 107 maréchaux de camp. —
IVe année à Lemberg (Galicie) 1

139 généraux-majors.
Ve armée de la Croatie, de l'Esclavonie et de la
Dalmatie, commandée par le Ban, ayant
Gardes.
4 divisions ou 10 brigades
Garde allemande formée de 75 officiers.
Garde noble italienne-
Gardes du corps, 92 hommes.
Gendarmerie de la garde, 100 hommes sans les

officiers
Garde du château, 300 hommes.

EUROPE. —TABLEAUX STATISTIQUES DE L'EMPIRE D'AUTRICHE.
375
INFANTERIE.
ARTILLERIE.
62 régiments d'infanterie de ligne à 4 bataillons
Artillerie de campagne.
de campagné, composés chacun d'une com-
5 régiments ayant 125 batteries de 8 pièces et
pagnie de grenadiers et de 5 de fusiliers, et à
10 compagnies de réserve.
un bataillon de dépôt composé de 4 com-
1 corps d'artificiers ayant 16 batteries à fusées
pagnies.
et 3 compagnies de réserve.
L'effectif de chaque régiment est de 5,964
hommes.
Artillerie de forteresse.
25 bataillons de chasseurs de 6 à 4 compagnies,
8 bataillons.
d'un effectif de 1,414 à 1,000 hommes.
4 bataillons de garnison.
Etablissements de l'artillerie.
6 compagnies de discipline.
12 compagnies de matériel. — 3 compagnies
CAVALERIE.
d'ouvriers artificiers.
8 régiments de cuirassiers à 7 escadrons, dont
Une direction de la fabrication des armes.
un de dépôt.
15 districts d'administration du matériel.
8 régiments de dragons à 7 escadrons, dont un
CORPS SPÉCIAUX.
de dépôt.
12 régiments de hussards à 8 escadrons, dont un
1 maréchal-général-des-logis.
de dépôt.
145 officiers d'étal-major.
12 régiments de hulans à 8 escadrons, dont un
2 régiments du génie à 4 bataillons, 49 com-
de dépôt.
pagnies.
L'effectif d'un régiment de grosse cavalerie est
44 officiers du corps des ingénieurs-géographes.
de 1,343 hommes et 1,148 chevaux.
4 bataillons ou 25 compagnies de pionniers.
L'effectil d'un régiment de cavalerie légère est
4 compagnies de flotilles.
de 2,038 hommes et 1,749 chevaux.
16 régiments de gendarmerie.
TABLEAU DES PLACES FOUTES ET DES LIEUX OU SONT ETABLIS DES ARSENAUX ET
DES FONDERIES.
PLACES FORTES.
ARSENAUX.
FONDERIES.
1re Classe.
2e Classe.

Lintz (Autriche).
Gradiska (Illyrie).
Vienne (Autriche).
Ebergassing (Autriche).
Salzbourg (Id.).
Capo-d'Istria (Id.).
Prague (Bohême).
Dobschau (Hongrie).
Prague (Bohême).
Kuffstein (Tyrol).
Budweis (ld.).
Brescia (royaumelom-
Olmütz (Moravie).
Theresienstadt (Boh.).
Bude ou Ofen (Hong.).
bard-vénitien).
Comoro (Hongrie).
Kônigsgrâtz [Id ).
Temesvar (Id.).
Ferlach (Illyrie).
Szcgedin (Id.).
Josephstadt (Id.).
Milan (royaume lom-
Karlsbourg (Transyl-
Alt-Orsova (Id.).
Leitneritz (ld.).
bard-vénitien).
vanie).
Esseck (ld.):
Bude ou Ofen (Hong.).
Teschen (Moravie).
Arad (Id.).
Karlstadt (confins mili-
Trieste (Illyrie).
Munkacs (Id.).
taires).
Ί roppau (Moravie).
Alt-Gradiska (Esclav.)
Peterwardein (confins
militaire).
militaires).
Belovar (Hongrie).
Karlsbourg (Transyl-
Brod (Escl. militaire).
vanie).
Temesvar (Hongrie).
Cronstadt (Id.).
Mantoue
(roy. lom-
Peschiera
( royaume
bard-vénitien).
lombard-vénitien).
Sebenico (Dalmatie).
Leguano (Id.).
Cattaro (Id.).
Zara (Id.).
TABLEAU STATISTIQUE DE L'ORGANISATION DE LA MARINE MILITAIRE DE L'EMPIRE
D'AUTRICHE EN 1852.
MATÉRIEL.
PERSONNEL.
6 frégates portant ensemble. .
215 canons.
1 vice-amiral. — 4 contre-amiraux — 4 capi-
5 corvettes
92
taines de vaisseau —11 capitaines de fré-
7 bricks
112
gate. — 14 capitaines de corvette. — 36 lieu-
6 goêlettes
58
tenants de vaisseau. — 42 lieutenants de
2 pontons
20
frégate. — 47 enseignes de vaisseau. —34 en-
1 bombarde
10
34 péniches
102
seignes de frégate. — 127 cadets de marine.
Un commandant en chef à Venise.
18 chaloupes canonnières. ...
60

5 bricks schoener
12 Deux divisions, l'une â Trieste et l'autre à
11 bateaux à vapeur 61
Zara.
9 petits bâtiments
»
104 bâtiments portant 742 canons

376
LIVRE CENT SOIXANTE-SIXIÈME.
LIVRE CENT SOIXANTE SIXIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Description de l'Allemagne. — Coup d'œil
général sur cette contrée.
Sous les rapports moraux, intellectuels, civils et politiques, quel effet
l'Allemagne produit -elle sur l'observateur qui la traverse dans tous les
sens et qui la juge avec impartialité? Ce vaste État fédératif est-il uni par
des intérêts communs ? est-il puissant par les ressources mutuelles que
peuvent s'offrir les Étals qui le composent, ou n'est-ce plutôt qu'une con-
trée dont les peuples ne sont unis que par le langage? Les lumières qui
germèrent pendant si longtemps sur son sol, les institutions nouvelles
qu'elles ont nécessitées ont-elles amélioré sa situation? Telles sont les
différentes questions qu'il nous semble utile d'examiner rapidement.
Lorsque plus de 300 États représentés à la dièle germanique recon-
naissaient la suprématie d'un chef élu sous le titre d'empereur, l'Alle-
magne pouvait être considérée comme une vaste contrée divisée en prin-
cipautés , et pour ainsi' dire en préfectures. Plus séparés du reste de
l'Europe, les Allemands pouvaient être considérés comme formant un seul
corps de nation ; mais aujourd'hui que l'Allemagne se réduit à 39 souve-
rainetés indépendantes, dont quelques-unes sont assez importantes pour
se suffire à elles-mêmes, des intérêts opposés ont en quelque sorte détruit
le lien fédératif : il n'y a donc plus, à proprement parler, d'Allemagne, ou
du moins elle diffère entièrement de celle du seizième siècle. Aussi les
peuples allemands aspirent-ils à obtenir un jour cette véritable nationalité
dont ils n'ont que le simulacre ; et avec la nationalité, les institutions qui ne
garantiront la force et la durée. L'adoption d'un système représentatif dans
les États du second et du troisième ordre, les tentatives pour obtenir quel-
ques adoucissements dans les charges, publiques, indiquent complètement
la situation des esprits en Allemagne. Les princes et les peuples y sont
sous la verge des deux grands États, et tous sentent profondément l'incon-
vénient de cette sujétion forcée, qui devient un obstacle aux améliora-
tions sociales.
Jadis le clergé et la noblesse jouissaient en Allemagne d'une prépondé-
rance et de prérogatives onéreuses au peuple. La réformation religieuse a

EUROPE.— COUP D'OEIL GÉNÉRAL SUR L'ALLEMAGNE.
377
miné, puis détruit le pouvoir temporel du clergé-, la tolérance est devenue
le plus grand besoin du plus grand nombre ; l'esprit de liberté a fait quel-
ques conquêtes, et tout a changé. Délivrés aujourd'hui des corvées et de la
plupart des redevances seigneuriales, les Allemands n'ont pu que gagner
à cet ordre de choses. Les impôts ont été répartis avec plus de régularité,
les roules ont offert des moyens de communications plus faciles, et l'ai-
sance s'est accrue dans toutes les classes. Il n'est pas jusqu'au fléau de
la guerre qui n'ait contribué à quelques améliorations. Si aujourd'hui, dit
un auteur allemand, les maisons sont partout numérotées, on le doit à la
nécessité de loger les soldats français, comme on dut à la guerre de Sept-
Ans l'usage d'éclairer les rues. Depuis l'occupation de nos armées, les
maisons sont mieux construites et mieux décorées, les logements plus
commodes, et les meubles plus élégants. Si les guerres de Napoléon furent
désastreuses pour l'Allemagne, elle doit peut-être à ce grand homme
autant de reconnaissance qu'elle lui témoigna de haine lorsqu'il l'accablait
du poids de sa puissance : le système continental a développé chez elle les
germes de l'industrie dont elle brille aujourd'hui.
Le Thuringerwald sépare l'Allemagne en deux régions : celle du nord
et celle du midi. L'Allemand du nord, nourri de pommes de terre, de
beurre et de fromage, abreuvé de bière et d'eau-de-vie, est le plus robuste,
le plus frugal et le plus éclairé; c'est aussi chez lui que le protestantisme
compte le plus de prosélytes. Délicat dans sa manière de vivre, habitué au
vin, quelquefois même adonné à l'ivresse, l'Allemand du midi se montre
plus gai, mais aussi plus superstitieux. Dans l'Allemagne septentrionale, les
habitations nombreuses, les villages ornés de fontaines, les maisons
propres et bien entretenues, les routes belles et bordées d'arbres fruitiers,
et les champs bien cultivés, annoncent les lumières et l'aisance des habi-
tants. Dans toute l'Allemagne les monuments sont bien entretenus , les
plus anciens ne tombent point en ruines faute d'entretien, mais seulement
lorsque la faux du temps se montre plus prompte à détruire que la main
de l'homme à conserver.
Madame de Staël a peint l'Allemagne d'un seul mot, en l'appelant la
patrie de la pensée; c'est là que prirent naissance tant de systèmes de
philosophie et de métaphysique plus ou moins connus, depuis le profond
Leibnitz jusqu'à l'incompréhensible Kant. On a dit avec raison que cette
contrée fourmille de savants ; ils ne sont pas, comme dans les autres États,
établis au sein des capitales : les plus petites villes en renferment. Quant
aux sciences physiques et naturelles, elles ν sont cultivées avec autant do
VII.
48

378
LIVRE CENT SOIXANTE-SIXIEME.
succès que dans le reste de l'Europe-, les gouvernements les encouragent
avec plus de zèle même que chez la nation qui se vante d'être la plus
éclairée. Quelque pénible qu'il soit pour un Français d'humilier l'orgueil
national devant des étrangers si longtemps nos inférieurs , nous devons
avouer que la paix du continent a procuré à quelques-uns des États alle-
mands l'occasion de nous égaler dans les connaissances les plus attrayantes
et les plus utiles : il suffit de visiter les collections de Vienne, de Munich,
de Berlin, de Francfort même; il suffit d'entretenir la plupart des hommes
célèbres de l'Allemagne, pour se convaincre qu'elle a peu de choses à nous
envier sous ce rapport. La théologie, le droit, la médecine, l'histoire et la
philologie la mettent au rang de la plupart des autres nations; ce n'est que
dans les sciences politiques qu'elle se montre inférieure, mais qui sait si
un jour elle ne les dépassera pas? Déjà les moyens de publicité y sont plus
actifs que chez nous : on y imprime au delà de 600 journaux et feuilles
d'annonces.
Les méthodes d'instruction adoptées dans les universités sont supé-
rieures à celles de nos colléges, et, pour le dire en passant, huit années
n'y sont point nécessaires pour donnerà un élève la connaissancedu latin,
et cependant il estpeu de pays où l'on trouve autant de gens qui connais-
sent les auteurs anciens et qui soient instruits en archéologie. L'enseigne-
ment primaire y est généralement aussi complet qu'il est possible de le
désirer; et la loi, dans la plupart des États de l'Allemagne, oblige les
parents à envoyer leurs enfants dans les écoles publiques. Dans plusieurs
États de l'Allemagne, la gymnastique fait partie de l'éducation : on a senti
que les exercices du corps n'étaient pas seulement nécessaires pour le
rendre souple et robuste, mais qu'ils donnaient au physique les moyens
d'exercer une influence salutaire sur le moral; le jeune homme qui s'adonne
aux jeux du gymnase chérit et conserve la pureté des mœurs : son corps,
fatigué par un exercice salutaire, fuit les dangereuses fatigues du liberti-
nage auxquelles la mollesse et le repos entraînent trop souvent la
jeunesse.
Les Allemands se livrent à la littérature avec d'autant plus d'ardeur que,
chez eux, la société offrant peu d'agréments, les jouissances de la lecture
et de l'étude y sont nécessairement mieux appréciées que partout ailleurs.
Chez eux la musique semble être un art inné : les étudiants qui aux jours
de fêtes se promènent en répétant en chœur des chants consacrés à la
gloire de la Divinité; le paysan qui se délasse de ses travaux en improvi-
sant quelques airs sur un mauvais clavecin; le pâtre qui de sa flûte har-

EUROPE. — COUP D'OEIL GÉNÉRAL SUR L'ALLEMAGNE,
379
monieuse fait retentir les échos, sont des scènes fréquentes dans les
diverses contrées de l'Allemagne.
L'Allemagne nourrit 41,212,759 habitants, répartis sur une superficie
de 31,972 lieues, ce qui fait environ 1,133 individus par lieue carrée. On
y compte environ 21,000,000 catholiques, 19,000,000 protestants,
30,000 herrenhuters ou piétistes et mennonites, 20,000 grecs et 400,000
juifs.
Elle n'a malheureusement pas un seul port de mer militaire ; elle manque
de canaux, surtout dans sa partie méridionale, mais elle est sillonnée par
un grand nombre de belles routes qui favorisent les transactions commer-
ciales, et surtout elle se trouve couverte d'un magnifique réseau de che-
mins de fer qui unit entre elles la plupart des villes importantes et
leur permet de livrer au commerce leurs productions les plus variées. Mais
l'Allemagne manque de marine, et son commerce intérieur est encore
entravé par les douanes, organisées aujourd'hui au profit de la Prusse.
Lorsqu'elle aura comblé sa dette-, lorsqu'elle aura adopté un système
douanier commun-, lorsqu'elle aura adopté un système de mesures et de
monnaies uniforme ; lorsqu'enfin ses peuples seront unis, elle deviendra
florissante au-dedans, et sera respectée au-dchors.
Nous terminerons cet aperçu général de l'Allemagne par un exposé
rapide de l'organisation de la Confédération germanique.
Par l'acte fédératif du 8 juin 1815, tous les États de la Confédération
sont égaux en droits. Les affaires sont confiées à une diète qui se réunit
soit en assemblée ordinaire, soit en assemblée générale. Dans l'assemblée
ordinaire, les Étals sont représentés par leurs plénipotentiares, qui votent
soit individuellement, soit collectivement. Le nombre des voix est de 17.
Ainsi les quatre duchés de Saxe n'en forment qu'une; ceux de Brunswick
et de Nassau, une ; les deux grands-duchés de Mecklembourg, une; le
grand-duché de Holstein-Oldenbourg, les trois duchés d'Anhait et les deux
principautés de Schwarzbourg, une ; les principautés de Lippe,de Waldeck,
de Reuss, de Lichtenstein et de Hohenzollern, une; le landgraviat de
Hesse-Hombourg et les quatre villes libres de Brème, Lubeck, Hambourg
et Francfort, une; le duché de Luxembourg, une; le Danemarck, pour les
deux duchés de Holstein et de Lauenbourg, une; et enfin chacun des autres
États de l'Allemagne, une.
La diète ne se constitue en assemblée générale que lorsqu'il s'agit de
délibérer sur une loi fondamentale ou sur une affaire d'un intérêt commun.
Dans cette assemblée, les voix sont réparties en raison de l'importance

380
LIVRE CENT SOIXANTE-SIXIÈME.
des États. Ainsi l'Autriche, la Prusse, la Bavière, la Saxe, le Hanovre et
le Wurtemberg en ont chacun quatre; le grand-duché de Bade, la Hesse-
Électorale, le grand-duché de Hesse, le Danemark pour le Holstein et le
Lauenbourg, et enfin le duché de Luxembourg, en ont chacun trois ; les
duchés de Brunswick, de Mecklembourg-Schewerin et de Nassau en ont
chacun deux; les 25 autres États en ont chacun une. Remarquons cepen-
dant que la seigneurie de Kniphausen n'ayant été déclarée État souverain
que depuis l'organisation de la Confération, n'a pas de voix individuelle,
et qu'elle se confond avec l'Oldenbourg pour les intérêts généraux ; que
les principautés de Hohenzollern, qui sont aujourd'hui réunies à la Prusse,
n'ont pas de voix particulières; enfin que les trois principautés de Reuss,
partagées en deux branches, n'ont que deux voix à la diète. Le nombre
total des voix est de 66.
Dans l'assemblée ordinaire il suffit de la majorité absolue des suffrages
pour décider une question, tandis que dans l'assemblée générale il faut les
deux tiers des voix. Lorsqu'il y a partage, le président, qui est toujours un
représentant de l'Autriche, décide la question.
En cas de guerre tous les États de la Confédération sont solidaires ;
aucun d'eux ne peut entamer de négociations particulières aveu l'ennemi
sans le consentement des autres. Dans les démêlés qui pourraient s'élever
entre eux, les États confédérés s'engagent par l'acte fédératif à ne point se
faire la guerre, mais à soumettre leurs différends à la décision de la diète.
La ville libre de Francfort-sur-le-Mein est le siége de la diète, et à ce titre
peut être considérée comme la capitalede la Confédération.
D'après les dispositions prises par la diète, l'armée fédérale se compo-
sait, avant 4 848, du contingent de chacun des États confédérés, à raison
d'un homme sur 100 ; mais d'après le comité militaire fédéral de 1852, le
contingent doit être augmenté de 1 /2 pour 100.
Cette armée est commandée par un général que désigne la diète ; elle est
divisée en 1 0 corps : le tableau statistique qui termine ce livre fera con-
naître la composition de chacun d'eux.-
La Confédération possède plusieurs places fortes, dont les principales
sont : Luxembourg, dans le grand-duché de ce nom; Mayence, dans le
grand-duché de Hesse; Landau, dans la Bavière rhénane; Germersheim,
dans la vieille Bavière, et Ulm, dans le royaume de Wurtemberg.
Au sein de la Confédération germanique, il existe 84 petits États média-
tisés, c'est-à-dire qui dépendent des princes sur le territoire desquels ils
sont situés. Ces États, érigés en duchés, principautés, comtés ou baronnies,

EUROPE. — TARLEAUX STATISTIQUES.
381
sont des restes de l'ancienne organisation féodale de l'A lemagne. Comme
il est utile de les connaître, parce que plusieurs appartiennent à des
familles illustres, nous en donnerons un tableau complet, qui servira à
faire juger de leur importance relative.
TABLEAU statistique de la Confédération germanique en 1852.
PACTE FEDERAL
DEPUIS 1848 REPRÉSEN-
POPULA-
CORPS
de 1815.
ΤAΤION.
ETATS 1.
d'ar-
TION.
Contri-
Contri-
Contin
Contin-
mée.
bution
bution
fédé-
fédé-
gent.
rale
gent 3,
2.
rale.
1. Autriche (1842)
flor.
flor.
2. Prusse (1er decembre 1846)
9,946 11,893,182
1,197
I à III
91,822 9430,33 178.396 522046,11 4 I
9,050 12,249,126
1,310
IV à VI
79,484 7905,7
183.736 526895,37 4 II
Hohenzollern (Les deux)
»
3. Bavière 1er décembre 1846
59
65,574
1,119
501
49,47
983
2755,64
3,872
4,054,874
VII
4
4.
1,048
35.600 3540,36
60,822 195996,36
III
Saxe-Royale (1
4
er décembre 1846).. .
755
1,836,433
IX
5.
2,432
12,000 1193,28
27,546
66066,16
IV
Hanovre ( 1e
4
r juillet 1848)
1,940
X
6.
1,758,856
907
13.054 1298,14
26.382
71866,24
V
Wurtemberg (1846)
1,000
1,743
VIII
4
7.
1,743,827
13,955 1387.51
26,157
76827,29
VI
Bade C1S46;
773
VIII
3
8.
1,362,774
1,763
10,000
994,33
20,440
55055,14 3 VII
Hesse-Electorale (décembre 1846). .
570
IX
9.
732,073
1.284
5,679
564 46
10,980
31264,8
VIII
Hesse grand-ducale (1846)
492
VIII
3
10.
852,679
1,736
6,195
616,7
12,790
34106,42
IV
Holstein et Lauenbourg (1
3
er fév. 1845)
488
526.850
1,079
X
3,600
358,2
7,902
19820,16
X
Luxembourg (1er février 1847). . . .
238
IX
3
12.
389,319
1,636
2,536
252,12
5.840
13961,4
XI
Brunswich (décembre 1846;
200
X
2
13.
268,943
1,345
2,096
208,28
4,033
11539,34
\\lll
Mecklembourg-Schwerin (nov. 1849)
C34
X
2
14.
534,394
827
3,580 356,3
8,016
19709,46 2 XIV
Nassau (décembre 1846)
228
IX
15.
418,627
1,836
4,039
301,7
6,279
16669,1
1 XIII
Saxe-Weimar (1849)
196
16.
261,094
1,332
division
2,010
199,54
3 915
11066,6
1
Saxe-Cobourg-Gotha (1846)
104
17.
147,195
1,415
de
·
1,116
111,00
2,208
6144,10
Saxe-Meiningen (1849)
127
1 XII
18.
163,323
1,286
réserve
1,150
114,22
2,450
6331,21
Saxe-Altenbourg (1846)
67
1
19.
129,589
1,919
982
97,40
1,943
5406,25
Mecklembourg-Strélitz (juillet 1848)
100
96,292
963
X
718
71,23
1,445
1
3951,15
XIV
Oldenbourg et Kniphausen (juill. 1846.
316
X
1
21.
278,909
882
2.829 219,31
4,183
12151 41
Anhalt-Dessau (1849)
48
1
22.
63,700
1,327
529
52,40
955
2915,00
Anhalt-Bernbourg (1846)
,
39
1
23
48,844
1,252
370
36,51
732
20S9 35
Anhalt-Koethen (1846)
41
24.
43,120
1,051
325
32.17
646
1786,46 » XV
Schwarzbourg-Sondershausen (1849)
43
60,002
1,395
1
division
451
44,52
900
2483,56
25. Schwarbourg-Rudolstadt (1849). .
44
1
26.
69,650
1,583
539
53,39
1,044
2669,31
Liechtenstein .1842)
7
1
27.
6,351
907
de
55
5,31
95
305,20
Waldeck (décembre 1846
60
28.
58,753
979
519
51,36
881
2856,6
Reuss, branche aînée 1846)
,
19
1
29.
33,803
1,778
22,8
507
réserve
223
1225,15
Reu.«s, branche cadette (1846)
58
1
30.
77,016
1,328
522
51,55
1,155
2874,9
XIV
Lippe-Scbauenbourg (1848)
27
1
31.
28,837
1,068
210
20.53
632
1156,10
Lippe (décembre I846)
56
1
32.
108,236
1,932
721
71,40
1,623
3967,23
Hesse-Hombourg (1846)
14
1
33.
24,203
1,729
200
19.53
363
1101,6
Lubeck (1845)
16
1
34.
47,197
2,949
X
407
40,26
706
2238,00
Francfort (1846)
4
div. rés.
1
35.
68,240 17,060
693
47.35
1.023
2631,24
XVII
Brême (1842)
14
X
1
36.
72,820
5,201
485
48,14
1,092
2670,11
Hambourg (1846)
20
188,054
9 402
X
1,298
129,6
2,820
1
7146,10
31,974 41,212,759
1,288
303,493 J 30,000 611,120 1, 750000 66 XVII
1 La date mise en regard du nom de chaque Etat indique l'époque à laquelle se rapporte la population que nous donnons.
2 Nous donnons les deux contributions fédérales telles qu'elles furent fixées en 1815:2° le 27 mai 1848. Le florin vaut
2 fr. 60 c.
3 D'àprès Pacte fédéral de 1815, le contingent fédéral de chaque Etat devait être de un pour cent de la population. Depuis
1852, il doit être porte de un pour cent à un et demi pour cent ;mais les hommes ne sont pas appelés sous les drapeaux,
sauf les cadres nécessaires pour former les garnisons des places fédérales.
L'armée fédérale comptait, en 1852. 10 corps d'armée ayant ensemble 292,377 hommes, savoir : infanterie de ligne, 216,343 ;
chasseurs, voltigeurs, tirailleurs, 1,138 : cavalerie, 40,754 ; artillerie et train de-équipages, 20,977 hommes; ayant 594 ca-
nons; 2,915 pionniers et pontonniers. La division d'infanterie de reserve compte 11,116 hommes, dont 1,457 chasseurs ;
total. 303,493 hommes. D'après la résolution de la diète fédérale du 10 mars 1853, il avait été décidé que l'armée fédérale
serait augmentée de 50,000 hommes, ce qui devait la porter à 353,493 hommes.

382
LIVRE CENT SOIXANTE-SIXIÈME,
TABLEAU STATISTIQUE DU ZOLLVEREIN OU DE L'UNION COMMERCIALE ET DOUANIÈRE
DE L'ALLEMAGNE l.
not
SUPERFICIE
ÉTENDUE
CIT.
POPULATION
de
en lieues
la frontière
PAYS QUI EN FONT PARTIE.
en décembre
géographi-
douanière
Importation
Transit,
1849.
en lieues
exportation
ques carrées
en 1851.
géograph.
eu 1852.
thalers 3.
thalers.
Prusse
14,412 2
16,669.153
1,172
16,087,575
17,137,889
Luxembourg
129
189,783
45
81,435
80,023
Bavière
3,878
4,526,650
256
1.236,281
1,271,(05
Royaume de Saxe. -
756
1,894,431
100
2,214,692
2,154,009
Wurtemberg avec les deux Hohen-
zollern
1.065
1,085,558
6
353.735
360,076
Bade
765
1,360,599
112
695.975
821,090
Hesse-Electorale
554
731,584
44
433. 845 5
410,539
Hesse-Darmstadt
428
852.917
417.208
475,278
Thuringe (Rayon douanier de la). .
659
1,014,954
»
39;,801
378.967
Brunswich
176
247.070
108
393,618
404,501
Nassau
235
425,686
»
75,249
78.779
Francfort-sur-le-Mein
4
71,678
874,637
897,564
23,075
29,800,063
1,844
23,256,051
24,469,720
ι Ce tableau est extrait de l'almanach de Gotha pour 1854 (quatre-vingt-onzième année de la collection).
2 On a pris les parties de l'union dans leurs frontières douanières spéciales et non selon leurs limites territoriales.
S l e thaler vaut 3 fr. 72 c.
4 Quelques Etats entièrement enclavés dans les autres n'ont, point de frontière douanière.
TABLEAU DES ÉTATS MÉDIATISÉS DE L'ALLEMAGNE.
REVENU
NOMS
TITRES
POPULA-
ETATS
EN FLORINS
TION
de
DES ÉTAIS MÉDIATISÉS.
DES PRINCES.
AUX QUELS ILS SONT AGRÉGÉS.
convention.
Autriche-Schaumbourg.
Archiduc.. .
3,581
30,000 Nassau.
Aremberg
Duc. .
. .
79,171
750,000 Prusse, Hanovre.
Bentheim-Teklenburg.
Prince. . . .
10.493
60,000 Prusse.
Bentheim-Bentheim. . .
Prince . , .
26,109
160,000 Hanovre, Prusse.
Bentink
Comte. . . .
8,129
150,000 Oldenbourg.
Bcemelberg
Baron. . ..
2,8 0
20,000 Prusse.
Castell
Comte.. ..
9,449
60,000 Bavière.
Colloredo
Prince. . . .
1,894
200,000 Wurtemberg.
Croy
Duc . . . .
9,533
150,000 Prusse.
Dietrichstein
Prince . . .
2,235
250.000 Wurtemberg.
Erbach-Erbach
Comte. . . .
15,614
110,00ο liesse, Wurtemberg.
Erbach-Fursteneau. . .
Comte. . ..
10,715
75,000 Hesse.
,Erbach-Schœnberg. . .
Comte. . . .
11,914
75,000 Hesse.
Erdœdy-Aspremoni. . .
Comtesse. .
281
70.000 Wurtemberg,
Esterhazy
Prince. . . .
820 1.800,000 Bavière.
Furstenberg
Prince.. ..
85,071
600,000 Bade, Wurtemberg, Hohenzol-
lern.
Fugger-Kirchberg
Comte.. ·.
11,980
60,000 Bavière, Wurtemberg.
Fuggea-Glœtt
Comte. . ..
3,912
40 000 Bavière.
Fugger-Kirchheim. . . .
Comte. . -. ·
2,334
35,000 Bavière.
Fugger-Nordendorf. . . .
Comte. . ..
600
15,000 Bavière.
Fugger-Babenhausen . .
Prince. . . ■
11,005
100,000 Bavière.
Gièch
Comte. . ..
12,000
80,000 Bavière.
Gœrz
Comte.. . .
6,898
60,000 Hesse.
Grote
Baron. . . .
518
15,000 Prusse.
Hobenlobe-Langenbourg.
Prince. . . .
17,500
90,000
Wurtemberg.
Hohentohe-Ingelfingen
.
Prince. . . ·
20 000
115,009 Wurtemberg.
Hohenlohe-Kirchberg. . ,
Prince. · . .
16 500
70,000 Wurtemberg.
Hohenlohe-Bartenstein. .
Prince. . . .
23,000
100,000 Wurtemberg.
Hohenlohe-Iaxtberg. .. .
Prince. . ..
10,800
80,000 Wurtemberg.
A reporter.
414,866 5,420,000

EUROPE. — TABLEAUX STATISTIQUES.
383
TITRES
REVENU
POPULA-
NOMS
ETATS
EN FLORINS
de
DIS ÉTATS MÉDIATISÉS.
DES PRINCES.
TION.
AUXQUELS ILS SONT AGRÉGÉS.
convention,
Report
414866 5,420,000
Hohenlobe-Schillingfurst.
Prince. .
17,698
100,000 Wurtemberg.
Isenburg-Birstein
Prince. .
25,957
180,000 Hesse-Electorale.
Isenburg-Birdingen. . . .
Comte. .
10,960
60,000 Hesse.
Isenbnrg-Wacchtersrach..
Comte. .
5,530
30,000 Hesse-Electorale, Hesse.
Isenburg-Meerholz. . . .
Comte. .
6,99S
45,000 Messe-Electorale, Hesse.
Kœnigsegg-Aulendorf. . .
Comte. .
4,828
100,000 Wurtemberg,
Leiningen
Prince. .
87,010
568.000 Bade, Bavière.
Leiningen-Bulligheim. . .
Comte. .
1,963
15,000 Bade.
Leiningen-Neudenau. . .
Comte. .
1,860
15,000 Bade.
Leiningen-Westerbourg. .
Comte..
4,751
25,000 Nassau.
Leyen
Prince. .
5,000
100,000 Bade.
Lœwenstein-Freudenberg.
Prince..
21,708
170,000 Bavière, Wurtemberg, Bade.
Lœwenstein-Rosenberg. .
Prince..
28,352
400,000 Bavière, Wurtemberg, Bade
Looz et Corswaren. . . .
Duc. . .
20,967
175,000 Prusse.
Neipperg
Comte. .
3,175
45,000 Wurtemberg.
OEtttingen-OEttingen. . .
Prince..
14.933
115,000 Bavière, Wurtemberg.
OEitingen-Wallerstein. . .
Prince. .
41.954
350,0 00 Bavière, Wurtemberg.
Ortenburg
Comte. .
2,300
25,000 Bavière.
Pappenheim
Comte. .
7,117
50,000 Bavière.
Plettenberg
Comte. .
1,250
86,000 Wurtemberg.
Puckler
Comte..
5,255
40,000 Wurtemberg.
Quadt-Isny
Comte. .
2,000
70,000 Wurtemberg.
Rechberg
Comte. .
38,164
85,000 Wurtemberg.
Rechtern-Limpurg. . . .
Comte..
6,695
14,000 Wurtemberg.
Salm-Salm
Prince. .
8.875
400,000 Prusse.
salm-Kirbourg
Prince. .
18,442
190,000 Prusse.
Salm-Horstmar
Prince. ·
45.779
200,000 Prusse.
Saim-krautheim
Prince. .
15,005
80,000 Wurtemberg, Bade.
Schaesberg
Comte. .
1,200
50,000 Wurtemberg.
Schœnborn - Wiesentheid.
Comte..
10,330
250,000 Bavière, Hesse.
Schœnburg-Waldenbourg.
Prince. .
42,500
150,000 Saxe.
Schœnburg-Bochsbourg. .
Comte. .
6,500
20,000 Saxe.
Schœnburg-Penigk. . . .
Comte..
15,0.0
40,000 Saxe.
Schwarzenberg
Comte. .
20,000
45.000 Saxe.
Solms-Brauntels
Prince .
12 065
300,000 Bavière, Wurtemberg.
Solms-Brauntels
Prince .
27,743
110,000 Prusse, Wurtemberg, liesse.
Solms-Lich
Prince. .
9,033
35,000 Prusse.
Solms-Laubach
Comte..
5,490
30,0 0 Hesse.
Solms-Rœdelheim. .
. .
Comte..
5,681
30,000 Hesse.
Stadion, ligne de Frédéric.
Comte..
2,060
30 ,000 Wurtemberg.
Stadion, ligne de Philippe.
Comte. .
1,478
90,000 Bavière.
Sternberg
Comte. .
3,497
50.000 Wurtemberg.
Stolberg-Wernigerode. .
Comte. .
16,736
325,000 Prusse, Hanovre, Hesse.
Stolberg-Stolberg
Comte..
5,205
50,000 Prusse, Hanovre.
Stolberg-Rosla,
Comte. .
10,990
75,000 Prusse, Hesse.
Thurn et Taxis
Prince..
30,746
500,000 Bavière, Wurtemberg, Hohen-
zollern.
Tœrring
Comte..
1,938
30,000
Wurtemberg.
Waldbolt-Bassenheim.. .
Comte..
620
40,000 Wurtemberg.
Waldburg-Waldsée. . . .
Prince..
15,000
70,000 Wurtemberg.
Waldburg Trauchbourg. .
Prinee. .
9,700
40,000 Wurtemberg.
Waldburg-Wurzuch. . .
Prince..
6,900
30,000 Wurtemberg.
Wied
Prince. .
38,89S
230,000 Prusse, Hesse.
Windischgraetz
Prince. .
2,235
100,000 Wurtemberg.
Witgenstein-Berlebourg. .
Prince. .
6.84.=
100,000 Prusse.
Witgeustein — Wilgenstein.
Prince. .
10,777
130,000 Prusse.
Totaux.
1,187,489 12,184,000
ÉTENDUE DES CHEMINS DE FER EXPLOITÉS EN 1853 EN ALLEMAGNE.
Mill. all.
Mill. all.
Mill. all.
Autriche
226,05
Bade
42
Anhalt
, 14,25
Prusse
443
Hesse-Electorale
40
Mecklembourg
, 29,75
Bavière
96
Grand-Duché de Hesse. 16,75
Holstein et Lauenbourg. . 33.50
Saxe
71
Duchés de Saxe
12.50
Schaumbourg-Lippe.. . ,
3,75
Hanovre
49,50
Brunswich
11,75
Villes libres
.
7,50
Wurtemberg
33,7.5
Nassau
6
Le mille allemand vaut 7 kilomètres 416 mètres. — Total : 1135,25 milles allemands

384
LIVRE CENT SOIXANTE-SIXIÈME.
TABLEAU DE LA POSITION GÉOGRAPHIQUE DES PRINCIPALES VILLES DE LA CONFÉDÉRATION
GERMANIQUE, D'APRÈS LE MÉRIDIEN DE PARIS.
VILLES. LATITUDES. LONGITUDES.
VILLESLATITUDES. LONGITUDES.
VILLES HANSÉATIQUES.
DUCHE D ANHALT-BERNBOURG.
deg.min.sec.
deg.min.sec.
I (leg.min.sec.
| deg.min.scc.
Lubeck.
53 54 18 N.
8 20 37 Ε
Bernbourg
| » » »
| 9' 25 13 E.
Hambour
53 32 51 N.
7 38 22 Ε,
Brême.
)3 4 38 N.[ 6 27 15 E.
DUCHÉ D'ANHALT-KOTHEN.
Köthen
51 16 0 N.l 9 42
0 E
GRAND-DUCHÉ DE HOLSTEIN-OLDENBOURG.
Nienbourg
[52 38 35 N.| 6 51
7 E
Oldenbourg
54 20 O N. 8 30 0 Ε.
DUCHÉ DE NASSAU.
Neuenbourg
[53 22 55 Ν.
5 35 19 Ε,
Marienberg
154 1 31 N. 16 41 34 E.
ROYAUME DE
HANOVRE.
PRINCIPAUTÉ DE LIPPE-DETMOLD.
Hanovre.
.
52 22 25 N.
7 22 40 E,
Lunebourg.
53 15 7 N
8 4 37 E
Blomberg
51 56 47 N.l 6 43 47 E
Stade. . . .
53 36 32 N.
7 3 19 E
Brake
[53 20 5 N. 6 6 37 E
Osnabruck.
52 16 35 N.
5 40 56 E
Aurich. . .
53 28 12 N. 5
7 7 E
PRINCIPAUTÉ DE SCHAUENBOURC-LIPPE.
Buckebourg
52 15 45 N.
6 41 11 E-
GRAND-DUCHÉ
DE MECKLEMBOURG-STERLITZ.
Stadthagen.
52 19 40 N
6 50 54 E
Neu-Strelitz
j53 21
0 N. 10 42 0 E,
Hagenburg.
52 26 21 N.
6 57 45 E
GRAND-DUCHÉ DE
MECKLEMBOURG-SCHWERIN.
PRINCIPAUTÉ
DE WALDECK.
Schwerin
53 33 0 N.
9 11 O E
Eisenberg
|50 2 20 N.l 10 27 29 E
Wismar.
53 49 25 N.
9 16 0 Ε-
Watdeck
[51 12 44 N.[ 6 41 18 E
Rostock.
Ι 54 0 1 N.
9 51 53 E.
PRINCIPAUTÉ DE SCHWARTZBOURG-RUDOLSTADT.
PRUSSE.
Rudolstadt
50 43 51 N.| 9 0 30 E
Province de Prusse.
Königsberg
]54 42 12 N. 18 8 44 E.
PRINCIPAUTÉ DE
SWARTZBOURG-SONDERS —
Gumbinnen
54 34 37 N. 19 51 0 E.
HAUSEN.
Dantzik
[54 20 48 N.| 16 17 47 E.
Arnstadt. . . ,
50 40 57 N.
8 37 15 E
Grand-duché de Posen.
Sondershausen.
51 22 33 N.
8 30
6 Ε·
Posen
!52 19 24 N. 15 2 0 E.
PRINCIPAUTE DE REUSS-LOBENSTEIN-
Poméranie.
EBERSDORF.
Stettin. .
53 23 20 N. 12 12 44 E
Ebersdorf.
50 29 33 N.l 9 20 8 E.
Colberg. .
54 7 O N. 13 17 0 E.
Géra. . .
50 53 22 N
9 43 46 E
Stralsund.
54 19 ON. 11 12 0 E.
HESSE-ELECTORALE.
BRANDEBOURG.
Cassel. . .
51 19 20 N. 7 15 3 E.
Potsdam.
Marbourg.
16 34 42 N. 13 22 45 E.
Berlin . .
52 31 41 N 11 2 0 E.
Fulde. . .
50 33 57 [S.
7 23 45 E.
Francfort.
52 22 8 N. 12 13 0 E.
Hanau. .
50 51
O N.
6 31 0 E
SILÉSIE.
LANDGRAVIAT DE HESSE-HOMBOURG.
51
Breslau 6 30 N 14 42 3 E. Hombourg
|51 54 14 N.l 7 16 54 E
Oppeln 50 36 30 N. 15 37 0 E.
Magdebourg 52 8 4 N 9 18 44 E.
GRAND-DUCHÉ DE HESSE-DARMSTADT.
Mersebourg 51 21 33 N. 10 0 1 E.
Erfurt
Giessen
50 36 O N.
» » » E.
50 58 45 N. 8 42 11 E.
Munster
Grumsberg. . .
51 57 0 N. 13 11 15 E.
51 58 10 N.
5 16 6 E.
Minden
Darmstadt . . .
49 56 24 N.
6 14 34 E.
52 17 42 N. 6 25 18 E.
Mayence.
. . .
49 59 50 N.
» » » E.
Worms
19 37 49 N.
6 0 57 E.
PROVINCE RHENANE.
Cologne
50 55 21 N. 4 35 0 E.
RÉPUBLIQUE
DE FRANCFORT.
51 13 12 N. 4 26 10 E.
Francfort
150 7 29 N.l 6 15 45 E.
50 22 0 N. 5 14 0 E.
Aix-la-Chapelle. . . . 50 55 0 N. 3 55 0 E.
SAXE.
49 46 37 N. 4 18 5 E.
Dresde. .
51
2 50 N 11 22 46 E.
Freyberg.
50 53 0 N. 10 57 0 E.
DUCHÉ DE BRUNSWICK.
Leipsick.
51 19 14 Ν 10 2 8 E.
Blankenbourg
53 9 15 N. 5 55 15 E.
Bautzen.
51 10 35 N. 12 4 50 E.
Wolienbuttel
[52 8 44 N.| 8 11 39 E.
GRAND-DUCHÉ DE SAXE-WEIMAR.
DUCHÉ D'ANHALT-DESSAU.
Weimar
50 59 12 Ν.
8 44 20 Ε.
Dessau
51 50; 6 N. 9 56 46 E.
léna
50 56 28 Ν·
9 17 0 Ε.
Lindau
47 31 44 N.| 7 21
0 E.
Eisenach
50 57 58 Ν.
9 37 15 Ε.

385
EUROPE. — ROYAUME DE GALICIE.
VILLES.
VILLES. LATITUDES.LONGITUDES.
LONGITUDES.
LATITUDES.
deg.min.sec.
I deg.min.sec.
GRAND-DUCHÉ DE SAXE-MEININGEN-HILD-
49 45 10 Ν. 11 3 1
E.
Pilsen.
49 24 23 Ν.
» » » Ε.
BOURGHAUSEN.
Tabor.
deg min.sec. deg.min.sec.
MORAVIE ET SILESIE.
Meiningen
50 35 26 N
8 3 58 E.
13 16 0 E.
Saalleld
53 47 0 N. 17 12 36 E.
Iglau. ;
'49 23 29 N.
Zhaïm
48 51 15 N. 13 4 2 36 E.
DUCHÉ DE SAXE-ALTENBOURG.
Brünn
49 11 28 N. 14 15 6 E
!i 57 15 E'
Altenbourg
46 14 9 N.|20 46 2 E.
Hradisch
49 30 22 N.
Olmütz
49 32
Ο N 14 49 Ο E
DUCHÉ DE SAXE-COBOURG-GOTHA.
TlOppau
49 50 0 N. 15 30 50 E'
Teschen
49 41 0 N. 16 12 30 E*
Gotha
50 56 8 N.l 8 23 45 E.
Cobourg
50 15 18 N.| 8 37 45 E.
AUTRICHE (BASSE-).
ROYAUME DE "WURTEMBERG.
Vienne
48 12 40 N. 14 2 30 E.
Saint Polten
4S 12 22 N. 13 15 52 E.
Stuttgart
48 46 15 N.l 6 50 45 E.
Kornenbourg
48 21 22 N. 13 58 45 E.
Reuthngen
48 29 15 N.
6 48 20 E.
Krems.
4 8 21 30 N. 13 15 45 E.
Ulm
48 23 20 N.
7 38 51 E.
Lintz
48 18 54 N. 11 56 30 E.
Ellwangen
48 58 O N.
7 43 0 E.
Wels
48 9 13 N. 11 41 13 E
11 59 30 E
GRAND-DUCHÉ DE BADE.
Steyer
48
4 45 N.
Satzbourg
47 48 40 N. 10 41
9 E
Carlsruhe. . . .
48 49 55 N.
6
0 30 Ε.
Manheim
49 29 18 N. 6 7 45 Ε
COMTÉ DU TYROL.
Heidelberg
49 24 40 N
6 21 23 Ε.
Bruchsal
9
49
3 30 E.
6 45 N. 12 55 26 Ε
Inspruck
47 16 8 N
Imst
47 14 20 N.
8 32 30 E.
BAVIÊRE.
Botzen
46 47 50 N.
8 48 0 E.
Trente
46 6 26 N.
8 43 30 E.
Munich. . . .
48 8 20 N.
9 14 15 Κ
Boveredo
45 55 36 N.
8 40 20 E.
Ratisbonne. .
49 0 53 Ν
9 40 0 Ε
Bregeutz
47 30 30 N.
7 23 40 E.
Augsbourg.
.
48 21 46 Ν.
8 34 27 Ε.
Landau. . . .
40 II 33 Ν.
5 47 15 Ε.
DUCHÉ DE STYRIE.
Anspach. . .
49 14 30 N.
8 10 0 Ε.
Cilly. . . .
46 40 0 N. 13 4 30 E.
Bayreuth . .
49 56 50 N.
»
»
» Ε
46 34 42 N. 13 22 45 E.
Wurzbourg. .
49 44 6 N.
7 35 15 Ε.
Marbourg. .
47 4 9 N. 13 7 0 E.
Spire
49 18 51 Ν.
0 6 1 Ε.
Gratz. . . .
47 24 34 N. 12 55 26 E.
Hambourg.
.
51 54 14 Ν.
7 16 54 Ε.
Brück · . ·
47 43 20 N. 12 22 30 E.
Germersueim.
49 12 30 N.
5 58 30 E.
Judenbourg.
ROYAUME DE BOHÈME.
ILLYRIE.
Villach. . ,
46 35 0 N 11 32 0 E
Budweis. . . .
48 59 43 N 13 29 0 Ε
Bunzlau
46 37 10 N. 11 59 45 E
51 15 0 N. 13 15 0 Ε.
Klagenfurt.
Chrudim
33 25 0 E
Laybach. ..
46
1 48 N. 12 26 25 E.
Gzalau
45 38 10 N. 12 3 10 E.
49 50 0 N
13 18 0 Ε.
Adelsberg. .
Elubogen
45 57 30 N. 11
8 30 E.
50 20 O N.
10 20
0 Ε
Gorice.
. .
Klattern
38 50 N.
49 23 42 N. 11
1
O Ε.
Trieste.
11 25 24 E.
11 22 20 E.
Königsgratz
50 12 38 N.
»
»
» Ε
Capo-d'Istria
|45 32 20 N
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Suite de l'empire d'Autriche.— Description du
royaume de Galicie ou de la Pologne Autrichienne.
La Galicie, Galizien, en y comprenant la Lodomérie, Lodomirien, la
Bukowine, Bukowina, et l'ancienne république de Cracovie, Krakow,
réunie à l'empire d'Autriche en 1846, constitue aujourd'hui la part de cet
état dans les démembrements successifs qu'a subis la malheureuse Pologne.
On peut évaluer la superficie de cette province de l'empire d'Autriche,
VII.
49

386
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
en y comprenant ses annexes, Cracovie et la Bukowine, à 1610,21 milles
carrés géographiques allemands, ou 4,473 lieues géographiques carrées,
et sa population, en 1851, à 4,936,303 habitants. La Galicie, qui dépen-
dait, sous les rois polonais, de la Haute-Pologne et de la Russie-Rouge,
et qui doit son nom moderne à la principauté russe de Galitz, en polo-
nais Haliez, paraît avoir été peuplée dans l'origine par les Carpi, les
Biessi et les Saboci. Les Carpi, dont le nom devenait, par la pronon-
citation polonaise, les Krapathes ou Crobathes, sont les plus célèbres dans
les quatrième et cinquième siècles; ils fondèrent au sixième siècle le
royaume de Grande-Crobathie. Leur pays fut envahi au huitième et au
neuvième siècle par les Slaves, que les Polonais nommaient Russinaky,
et ceux-ci y établirent les deux principautés russes de Galitz et de Vla-
dimir ou Lodomer. Ces deux petits Étals furent respectés par les Hon-
grois, agrégation de nations finnoises, qui les traversèrent pour aller
s'établir au sud des monts Karpalhes, dans le pays auquel ils ont donné
leur nom.
Le nom de Gallisia, Galilza ou Galléa était déjà connu des géographes
arabes, des Byzantins et des Islandais au milieu du douzième siècle. Ce
nom spécial se confond peu à peu avec celui de Russie, et c'est sous ce
nom que la Hongrie, par les traités de 1412 et 1423, en céda la possession
à la Pologne, bien que les rois de Hongrie conservassent le titre et les
armoiries de ducs de Galicie et de Lodomérie.
L'histoire de ces États n'est qu'une longue et confuse série de révo-
lutions calamiteuses, où les rois de Hongrie interviennent quelquefois
comme vengeurs et restaurateurs de quelque prince détrôné, quelquefois
comme conquérants en leur propre nom. Nous n'entrerons pas dans ces
détails-, nous ferons remarquer seulement que, lors de la cession, le roi
de Hongrie ne renonça à ses droits que pour le présent, expression
équivoque, et qui laissait ouverture aux reprises. Mais la Russie Rouge,
seule partie occupée par les Hongrois, n'embrassait nullement la partie
de la Haute-Pologne, aujourd'hui incorporée dans la Galicie.
D'après le droit public hongrois, et d'après le serment que les rois de
Hongrie prêtaient lors de leur couronnement, toute ancienne province de
la couronne, aussitôt qu'elle était récupérée, devait être réunie de nouveau
au royaume. Cependant, lors du premier partage de la Pologne, Marie-
Thérèse ayant revendiqué les royaumes de Galicie et de Lodomérie au
nom de la Hongrie, en forma une souveraineté à part. Les réclamations
de la diète restèrent encore sans effet. Au second partage, l'Autriche

EUROPE. — ROYAUME DE GALICIE.
387
augmenta les deux royaumes de plusieurs possessions polonaises; mais
la Lodomérie parut en être détachée, et le royaume de Galicie fut divisé
en Galicie orientale et occidenfale. En 1809, presque toute cette dernière
fut cédée à Napoléon, qui la comprit dans le grand-duché de Varsovie :
elle fait encore partie du royaume actuel de Pologne, et le reste de la
Galicie forme aujourd'hui le royaume de ce nom.
La Galicie est dans sa partie méridionale un pays montagneux, quoique
ses principales élévations, inférieures à celles de la Hongrie, n'atteignent
pas 3,000 mètres et restent généralement au-dessous de 1,200. On leur
donne plus habituellement le nom de Czerna que celui de Carpathes ;
la seule cime célèbre est celle de Babia-gura, séparée des monts Tatra
en Hongrie par une plaine élevée, et d'où la vue domine sur une grande
partie de la Galicie, de la Pologne et de la Silésie. Cette montagne qui,
suivant Wahlenberg, s'élève à 1,560 mètres au-dessus du niveau de
l'Océan, est composée de roches d'agrégation appartenant aux formations
granitiques et porphyriques. Mais il y a sur l'extrême frontière quelques
sommets formés de calcaire compacte et de grauwache, qui ont plus
d'élévation. La masse des montagnes de la Galicie paraît être composée
de calcaires et de grès rouge appartenant aux terrains de sédiment infé-
rieur, reposant sur des grès moins anciens que recouvrent la craie, ainsi
que des grès et des calcaires enveloppant des dépôts de sel gemme. Plus
bas, en descendant du midi au nord, commencent des collines généra-
lement formées d'argile et de sable. Le Pruth et le Dniester coulent au
milieu de terrains d'alluvion, d'où l'on voit s'élever des collines de cal-
caire analogue à celui des environs de Paris. Les substances minérales
que renferment ces collines sont des grains verts ou du silicate de fer,
quelques morceaux de succin, du soufre, très peu de fer sulfuré, du fer
argileux, des silex cornés et pyromaques, de l'argile smectique, des cris-
taux de chaux carbonatée, des lames de mica et des débris de bois
carbonisé.
Les alluvions anciennes contiennent des débris de végétaux, des os,
des dents d'éléphant et d'un animal qui paraît être le mastodonte. Dans
la vallée du Dniester, depuis Sambor, et dans celle du San, depuis
Iaroslaw, les terrains d'alluvions forment des prairies et des tourbières.
De Cracovie à Lemberg, une longue lisière de sables mouvants ne nourrit
que des pins résineux rouges. Les environs de Lemberg jusqu'à Comorn
à l'ouest, et jusqu'à la frontière du royaume à l'est, présentent un pla-
teau argileux, rempli de lacs et faisant le partage des eaux. La chaîne

388
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
de collines qui couronne ce plateau porte le nom de Monts Biesczad. Entre
le cours inférieur de la Podhorce, du Sered, de VOlchowiec et de la Zlota-
Lipa qui se jettent dans le Dniester, s'élèvent des collines crayeuses.
Les cours d'eau qui descendent du sud pour se jeter dans le Dniester
sont peu larges et fort profonds : les vallées qu'ils parcourent ont plu-
sieurs centaines de mètres de profondeur, de manière que leurs pentes
sont très escarpées, et que le voyageur, après avoir parcouru les plateaux
qui les dominent, est élonné de trouver devant lui des fonds si abruptes,
qui sont en quelque sorte les seuls points habités. Les autres rivières
qui descendent du nord coulent dans des vallées plus larges et à pentes
plus douces. Il en est de même de celles qui sont tributaires du Pruth :
aussi tous ces cours d'eau font-ils souvent de grands ravages par leurs
débordements.
Le plateau qui domine les bords septentrionaux du Dniester offre plu-
sieurs cavernes naturelles creusées dans le gypse. Dans la vallée étroite
du Sered on entre, près de Bileza, dans un vaste labyrinthe de galeries
souterraines, qui ne sont qu'à quelques mètres au-dessous du sol, et qui
se dirigent dans tous .les sens. L'absence de toute source jette de l'obscu-
rité sur l'origine de ces cavernes et de plusieurs autres que l'on remarque
dans des dépôts calcaires.
Le bassin de la Galicie n'offre que des sources sulfureuses, si l'on
excepte les nombreuses eaux acidules et ferrugineuses des Karpathes
septentrionales. On cite principalement celles de Sklo et de Lubinie»
près de Lemberg, celle de Rodatyeze, celle de Malinowka, celle qui se
trouve entre Lubinie et Sroki, celle de Rozdol sur le Dniester, celles de
Postanity et de Chocimierz, non loin de Stanislawow, et celle de Hero-
danka, près de Zalesczyky.
L'exposition générale de la Galicie y fait dominer le vent du nord-
est, qui, venant du plateau central de la Russie, produit des froids
excessifs. L'humidité y est aussi très-grande, et il y pleut bien plus que
dans aucune contrée voisine. La mauvaise préparation du pain, l'abus
de l'eau-de-vie et la disette de bons médecins sont les mêmes qu'en
Pologne. Les fièvres inflammatoires et bilieuses y sont rares ; mais les
fièvres rhumatiques et nerveuses, ainsi que la phthisie, l'hydropisie, la
syphylis et la plique, y rappellent toutes les misères du peuple polonais.
A cette esquisse du sol et du climat de la Galicie, joignons un aperçu
de ses productions. Les grains y sont au premier rang. En général, pour
ce qui a rapport à la culture des céréales, on peut diviser le terroir de

EUROPE. — ROYAUME DE GALICIE.
389
ce royaume en trois parties presque égales. Les montagnes et les
marais formeront la première, où il n'est presque pas possible de faire
passer la charrue ; la seconde sera formée par les plaines de sables mou-
vants, qui ne portent que rarement des grains d'hiver-, enfin la troisième
sera de la bonne terre labourable, qui rend cinq et six pour un. On y
recueille toutes les espèces de grains et de légumes, mais surtout du
froment, de l'avoine et du blé noir. Les meilleures terres sont dans les
cantons à l'est de Lemberg et dans les environs de Belz. En général,
on compte dans les bonnes années sur le quintuple de la semence. Quant
aux parties sablonneuses et montueuses, on y sème rarement des grains
d'hiver; mais quand cela arrive, la semence n'est que quadruplée, quel-
quefois triplée seulement, même dans les bonnes années. Le froment est
exporté; l'avoine et le blé sarrazin servent à la consommation, de même
que la pomme de terre, répandue depuis quelques années. Les asperges,
les melons d'eau et plusieurs autres plantes y croissent spontanément
et en abondance. Le genévrier est l'un des arbrisseaux les plus com-
muns. Il y a eu, aux environs de Lemberg, des vignobles en petit nombre,
mais la rigueur du climat, quoique sous le parallèle de Paris, a fait cesser
celte culture. Depuis quelques années que l'on y revient, on n'a obtenu
que des succès partiels. On récolte dans toute la Galicie 20 à 30,000 quin-
taux de tabac. A Makrotyn, il y a des champs de rhubarbe qui renfer-
ment plus de 40,000 plantes.
On cultive beaucoup de lin et de chanvre, principalement dans le cercle
de Przemysl ; pendant longtemps on n'en faisait que de très-grosses toiles,
qui ne laissaient pas que d'avoir un grand débit ; aujourd'hui cette indus-
trie acquiert une perfection notable. Les montagnes sont peuplées de tisse-
rands, d'ouvriers en fer et d'autres manufacturiers ou fabricants; il ne
manque à leurs ouvrages que la beauté du coup d'oeil, car, pour la toile
surtout, il serait impossible d'en trouver de meilleure qualité; on en fait
en quantité de très-fine, qui est même très-bonne et à bas prix. Le gou-
vernement autrichien a beaucoup encouragé les fabriques de draps, qui
sont déjà très-nombreuses.
Les haras de la Galicie sont dans un état prospère, et les Autrichiens
en tirent de quoi remonter une grande partie de leur cavalerie légère. Les
marchands juifs font un commerce de chevaux très-lucratif avec les pays
voisins, quelquefois avec plusieurs parties de l'Italie. Le royaume nourrit
encore un grand nombre de bêtes à cornes, de brebis et des milliers de
volailles.

390
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
On trouve beaucoup de forêts en Galicie. Ce sont les parties élevées
qui sont ordinairement les plus boisées ; les arbres qui y dominent sont le
sapin et le thuya. Près des bords de la Lipnika, dans les environs de Boch-
nia, on rencontre dans ces forêts solitaires des fourmilières qui étonnent
par leurs dimensions. Un savant français, M. Beudant, en a mesuré une
qui avait près de 2 mètres de hauteur et plus de 3 de diamètre à sa base ;
c'était, dit-il, une véritable colline de petits morceaux de bois accumulés.
Les forêts recèlent des ours, des loups, du gibier de toute espèce, et sur-
tout beaucoup de lièvres. On assure que l'on rencontre des castors sur les
bords du Bug.
Il n'existe point de véritables lacs en Galicie, mais on y voit plusieurs
milliers de beaux et vastes étangs, dont les deux plus grands sont dans le
district de Lemberg. Il y a de ces étangs ou viviers, qui ont une lieue de
long et de large, et qui rapportent la valeur de 60,000 florins. Les Gali-
ciens prennent un grand soin des abeilles, et le miel qu'ils recueillent est
excellent.
Les mines de fer, mieux exploitées sous le gouvernement autrichien,
ne sont pourtant pas encore d'une grande importance. Les forges de Jako-
sbeny, dans le cercle de Czernowitz, sur la rive gauche de la Bisztritz, don-
nent au delà de 200,000 kilogrammes-, celles qui sont situées dans les
districts de Stry, de Sambor, de Zolkiew, sont aussi fort riches; on
exploite du cuivre à Poschoryta et du plomb argentifère à Kerlibaba. A
Nowytarg, à Sandecz et à Lanczko, on trouve de l'argent: les sables de
la Bisztritz roulent quelquefois des paillettes d'or. Le cercle de Stanis
lawow, ou l'ancienne Pokutie, donne quelques marbres médiocres. Dans
la partie des monts Karpathes qui dépend de la Galicie, on extrait en
abondance de l'huile de pétrole, dont l'odeur est moins désagréable que
celle du pétrole du commerce ; on s'en sert dans le pays pour graisser les
roues des voitures et pour cirer le cuir noir, auquel elle donne le plus
beau brillant. On creuse des fosses dans les localités où elle existe, et elle
s'élève en bouillonnant au-dessus de l'eau-, en plusieurs endroits, elle
sort naturellement du sol. La source principale est à Truscawec ; il y en
a de considérables à Slaboda et dans d'autres localités.
Les sources salées ont donné à la ville de Halicz ou Galitch son nom,
qui est devenu celui d'un royaume, et qui probablement est aussi la
souche des anciens Halizones. Il y a 26 sources salées exploitées, en
Galicie, mais les plus célèbres carrières de sel gemme sont celles de
Bochnia et de Wieliczka,

EUROPE. — ROYAUME DE GALICIE.
391
Selon les historiens et les géographes polonais, les salines de Bochnia
furent découvertes en 1351. Ils attribuent cette découverte à sainte Cuné-
gonde, princesse hongroise, épouse du duc Boleslas V, mais avec des
circonstances fabuleuses, d'où cependant on pourrait conclure qu'elle a
amené des mineurs hongrois. Les exploitations régulières et bien connues
ne remontent qu'à 1442 ; elles donnèrent d'abord des produits très-consi-
dérables, mais aujourd'hui ceux des salines de Wieliczka l'emportent. Le
produit des unes et des autres, sous le gouvernement polonais, s'élevait,
selon Moczinski, à 10 millions de florins de Pologne, dont les frais absor-
baient les neuf dixièmes. D'après les améliorations faites sous le gouverne-
ment autrichien, ces salines devraient donner un produit plus considérable
qu'autrefois. La mine de Bochnia, selon M. Schober, consiste en un long
corridor souterrain qui a 240 mètres de largeur du nord au sud, et dont la
longueur de l'est à l'ouest est de 3,248 mètres; la plus grande profondeur
est de 325 à 400 mètres. La mine commence d'abord par les cristaux, et
le sel s'y trouve tout par filon ; il est un peu plus fin que celui de Wic-
liczka, surtout quand on creuse en profondeur. On le taille en petits mor-
ceaux pour être mis dans des tonneaux. On y remarque souvent des mor-
ceaux de bois brisés et noircis. Du reste, sur toute l'étendue du roc, il y a
si peu d'humidité, que l'on n'y trouve que de la poussière. Il y a de l'al-
bâtre dans cette mine.
Les salines de Wieliczka se divisent en trois parties : les Monts- Vieux
(Gory Stare), les Monts-Neufs (Gory Nowe), et les Monts-Saint-Jean
(Gory Ianinskie). Dans ces trois Monts ou Champs se trouvent 11 ouver-
tures ou puits. La ville est non-seulement toute minée, mais les mines
s'étendent encore sur tous les environs. Le puits qu'on nomme Wodna
Gora ne sert qu'à faire sortir les eaux qui s'infiltrent des terrains supé-
rieurs, car, ainsi que cela se conçoit, aucune source ne prend naissance
dans la masse même du sel. Dans le puits Leszno, le roi Auguste III a fait
construire un escalier tournant de 476 marches et qui a coûté 40,000 flo-
rins de Pologne. C'est par le puits Danielowitz que les voyageurs descen-
dent au moyen de cordes. Arrivé dans la première mine, on admire la
grandeur et la propreté des allées et des voûtes. Dans plusieurs de celles-
ci on trouve des chapelles et des autels taillés dans le roc, c'est-à-dire
dans le sel, et ornés d'un crucifix ou de quelque image de saint devant
lequel brûle continuellement une lampe.
L'air est très-sain, quoiqu'il s'y forme du deutoxyde d'azote qui s'élève
vers le toit des galeries, où il s'enflamme quelquefois par l'approche de

392
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
flambeaux. Les accidents malheureux y sont fort rares. On laisse d'espace
en espace de gros piliers de sel pour soutenir le toit; cependant il y eut,
en 4745, un écroulement considérable. Il y a beaucoup d'échafaudages
en bois. Le feu prit dans les souterrains par négligence en 1644 et 1696,
et s'y entretint longtemps.
Le nombre des ouvriers des salines de Bochnia et de Wieliczka dépend
du plus ou moins de travaux que les circonstances exigent : il y a quelques
années on en comptait 1,200. Ils travaillent à la lueur des lampes pen-
dant 8 heures par jour, et sont soigneusement visités à leur sortie de la
mine. On peut estimer le produit annuel du sel à environ 2 millions de
cetnars, ou à 100 millions de kilogrammes, dont les frais d'exploitation, à
un demi-florin de Vienne par cetnar ou par 50 kilogrammes, s'élèvent à
un million de francs. Les quatre sortes de sel que l'on exploite vendent
sur les lieux 3, 5, 6 et 4 2 florins le cetnar : en évaluant cette mesure à
4 florins seulement, le produit brut s'élèvera à 8 millions de florins ou de
francs, et le produit net à 7 millions.
Nous allons d'abord visiter la capitale de la Galicie, puis nous partage-
rons la description des autres villes et villages en deux divisions, fondées
sur l'ethnographie et l'histoire; la première comprendra la Petite-Pologne
habitée exclusivement par les Polonais, et la seconde la plus orientale du
pays qui est habité par un peuple du sang russe.
Lemberg, en polonais Lwow, et Léopol en polonais latinisant, capitale
autrefois de la Russie-Rouge, aujourd'hui de toute la Galicie, est une
grande et belle ville, en y comprenant les faubourgs, car la ville propre-
ment dite ne renferme pas plus de 300 maisons. Ses rues sont assez larges,
droites, bien pavées et proprement entretenues, chose rare dans ce pays.
Les édifices sont dans un style noble qui étonne le voyageur accoutumé à
la vue des masures polonaises. Nous attribuerons volontiers ce phénomène
à un fait historique : des Grecs se sont souvent réfugiés à Léopol dans le
treizième siècle; ils y auront entretenu le goût des beaux-arts. Il y avait
autrefois 72 églises, plus riches et plus belles les unes que les autres ; sous
le règne de Joseph II, le nombre en a été réduit à une vingtaine; il n'y en
a plus que 4 4 aujourd'hui : ce qui doit suffire à une population de 66,000
individus, parmi lesquels il y a plus de 20,000 juifs ; un autre tiers de la
population consiste en Arméniens et en Grecs. Toutes ces communions
ont leur temple, et, comme dans toute la Galicie, elles jouissent d'une
grande liberté pour leur culte. Lemberg est la résidence de trois prélats
chrétiens : un évêque catholique, un archevêque arménien et un évêque

EUROPE.—ROYAUME DE GALICIE.
393
pour le culte grec-uni ; il y a aussi un consistoire calviniste et une surin-
tendance luthérienne. Au centre de la ville on remarque une belle place,
sur laquelle s'élèvent l'hôtel-de-ville, la prison et une citerne à chaque
coin. La cathédrale catholique est surmontée de coupoles et de tours très-
hautes ; l'un des neuf couvents, celui des Dominicains, possède une belle
église bâtie sur le modèle de celle de Saint-Charles à Vienne, mais dans
de plus petites proportions. Plus loin se trouvent la bibliothèque publique
et le muséum national fondé par le comte Ossolinski. Les établissements
d'instruction sont une université fondée en 1817, un gymnase, une école
principale, et plusieurs écoles destinées aux jeunes gens appartenant aux
cultes dissidents. Parmi les édifices consacrés à la bienfaisance, on doit
citer l'hôpital, construit avec magnificence. Lemberg fait un commerce
étendu et avantageux avec la Russie, la Turquie et les autres pays voisins.
Elle est en quelque sorte l'entrepôt du commerce des ports de la mer Noire
avec l'intérieur de l'Allemagne. Il s'y lient des foires considérables où les
Russes apportent des peaux et des fourrures, où les Moldaves amènent des
bestiaux dont on approvisionne l'Autriche et la Silésie. La ville a un rem-
part qu'on a changé en rues et en promenades; hors de cette ancienne
enceinte s'élève au nord une colline de sable, appelée le Sandberg, que
dominent les ruines d'un vieux château, d'où l'on jouit d'une belle per-
spective sur la ville et sur une vaste plaine qui s'étend vers l'ouest. A peu
de distance se trouve isolé sur une petite élévation le magasin à poudre;
vis-à-vis le Sandberg, sur l'autre côté de la vallée, dans le faubourg de
Cracovie et sur une hauteur, on remarque la magnifique résidence de
l'archevêque arménien, qui se présente de loin comme une petite forte-
resse, et que l'on peut regarder comme l'un des principaux ornements de
la ville. Les faubourgs, au nombre de quatre, qui portent les noms de
Halicz, de Krakau ou de Cracovie, de Zolkiew et de Brody, sont très-
grands et très-jolis. On trouve à peu de distance des jardins publics, dont
le plus fréquenté est celui des jésuites. Les environs offrent une foule de
de vues riantes. L'esprit des habitants répond aux agréables dehors de leur
ville.
Winnike près de Lemberg est un bourg important par ses manufactures
impériales de tabac, qui fournit annuellement au commerce 3,500,000
kilogrammes.
Visitons la panic de la Galicie qui appartient à la Petite-Pologne, et
qui est habitée par des Polonais ; c'est la plus occidentale, elle confine à la
Silésie autrichienne et à la Pologne
VII.
50

394
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
Dans les pays en plaine, voisins de la Vistule, nous remarquerons
Rezczow ou Rzeszow, chef-lieu de cercle, jolie ville de 5 à 6,000 âmes,
qui s'élève dans une plaine fertile sur la rive gauche de la Wisloka. On y
voit un grand château où s'assemble le tribunal criminel. Elle possède un
gymnase et plusieurs écoles. On y fabrique de la bijouterie fine et fausse,
dont elle fait, par l'entremise des juifs, un commerce important avec la
moitié de l'Europe. A Lancut ou Landshut, près des bords du San, dans
le même cercle, il y a un beau château, celui du prince Lubormiski, remar-
quable surtout par ses jardins. Cette ville fabrique beaucoup de toile de
lin.
Tarnow, près de la rive droite de la Biala, est située sur une hauteur.
Elle renferme une école de cercle, un gymnase et une école juive alle-
mande ; des fabriques de boissellerie, de toiles, de linge de table et des
tanneries. La vente de ces produits s'élève chaque année à 2 ou 3 millions
de francs. Près de la ville on voit le château de plaisance de la famille de
Sanguszko, et les jardins à l'italienne appelés Gymniska. Plus loin s'élève
le mont Saint-Martin, dont les flancs portent, d'un côté, les ruines d'un
vieux château, et de l'autre une église en bois que l'on prétend avoir trois
siècles d'existence. De ce point on aperçoit, vers le nord, une vaste plaine,
et vers le sud la chaîne des Karpathes ; à l'occident on voit la Biala unir
ses eaux à celles du Dunajec ; dans le lointain, des cascades, des maisons
de campagne, des châteaux et des églises complètent la variété de ce beau
paysage.
Bochnia, ville de 6,000 habitants, à une demi-lieue de la rive droite de
la Raba, est bien bâtie. C'est le siége de la justice du cercle et d'une admi-
nistration des mines et des salines. Les bancs de sel qu'on y exploite four-
nissent annuellement 250,000 quintaux et occupent 300 ouvriers. A 5
lieues à l'est, Wieliczka, qui renferme plus de 6,500 individus, est
aussi le siége d'une administration des mines. La plupart de ses anciennes
maisons sont en bois, et les nouvelles en briques séehées au soleil. Ses
mines de sel, dont le produit annuel est de 1,500,000 quintaux métriques,
réunies à celles de Bochnia, s'étendent sur une longueur de plus de 12
kilomètres et une largeur de 2.225 mètres. Ce qui tend à accroître son
importance, c'est qu'elle est aujourd'hui réunie à Cracovie et à Vienne par
une grande ligne de chemin de fer qui sera peut-être un jour prolongée
jusqu'à Lemberg.
Cracovie que les Polonais nomment Krakow, après avoir été la capitale
de la monarchie polonaise au moment de sa plus grande puissance ; après

EUROPE. —ROYAUME DE GAUCIE.
395
avoir été la capitale d'une petite république que les traités de 1815 sem-
blaient devoir protéger, est depuis 1846 réunie, ainsi que son territoire, à
l'empire d'Autriche. Elle fut fondée vers l'an 700 par le roi Krakus et
Boleslas le Grand en fit plus tard la capitale de son empire. Située dans une
vallée délicieuse sur les bords de la Vistule, et sur un chemin de fer qui
l'unit par Prerau à Vienne, par Breslau à Berlin et par Varsovie à Saint-
Pétersbourg (?). Son antique château royal est converti en hospice ; sa
cathédrale, la plus remarquable de l'ancienne Pologne, renferme de
grandes richesses artistiques ; l'église gothique de Sainte-Marie est aussi
fort belle. Le palais épiscopal est une construction moderne. Elle possède
une université célèbre fondée par Casimir le Grand en 1347, une riche
bibliothèque, un observaloire, un beau jardin botanique et plusieurs autres
établissements d'instruction et de bienfaisance. Sa population est de
45,000 âmes, son commerce et son industrie prennent de jour en jour de
grands développements. Parmi ses nombreux faubourgs nous citerons
ceux de Kazimiers, peuplé particulièrement de juifs, Stradorn et Klepars ;
ce dernier est remarquable par les foires qui s'y tiennent. Le territoire de
cette ville possède d'importantes mines de fer, de zinc et de houille. On
doit visiter dans ses environs les villes ou villages de Lobsow, Bielany,
Prondwick, Krzanow, Mogila et Kyresznovice.
Vis-à-vis de Cracovie, au bord de la Vistule, nous trouvons Podgorze,
ville nouvelle, favorisée par un commerce actif et par plusieurs privilèges ;
aux pieds de la Babia-Gora, andrichow et Kenty, avec des fabriques de
toile et de linge de table-, Biala, avec des manufactures de draps et plu-
sieurs usines-, enfin, d'autres villes peu importantes, mais industrieuses-,
plus haut, dans les Karpathes, Nowy-Sandec, en allemand Neu-Sandec,
chef-lieu de cercle, ville assez spacieuse, mais mal bâtie, sise sur le bord
du Dunajec, au milieu d'une plaine fertile de 6 à 8 lieues d'étendue et bor-
née par des montagnes qui s'élèvent en amphithéâtre. Wadowice est un
petit chef-lieu de cercle, mais situé dans une très-fertile contrée. A deux
lieues de cette ville, Landskrona, entourée de forêts, est dominée par un
vieux château, célèbre dans l'histoire des derniers temps de la Pologne.
Nous voyons encore Stary-Sandec ou Vieux-Sandec, en allemand Alt-
Sandec, à 2 lieues au sud-ouest de la précédente, résidence d'un vicaire
général qui dépend de l'évêché de Tarnow ; Gorlitz ou Gorlice, surnommé
le petit Ûantzik, à cause de son activité manufacturière et commerçante :
près de cette ville on remarque des tertres qui indiquent d'anciennes sépul-
tures d'ariens-, Krosno, entrepôt important des vins de la Hongrie ; Jaslo,

396
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
petite ville insignifiante, quoique chef-lieu de cercle, et qui n'est remar-
quable que par les imposantes ruines d'un vieux château ; Sanok, autre
chef-lieu qui n'est pas plus important; enfin, dans les vallées qu'arrose le
haut San, plusieurs villages remarquables par l'exploitation du fer.
Au pied d'un rameau des Karpathes et à une égale distance de Sanok et
de Sambor, c'est-à-dire à 8 ou 9 lieues de l'une et de l'autre de ces villes,
est située sur la Wiar la petite cité de Dobromyl, célèbre autrefois par ses
presses typographiques, ou s'imprimèrent les œuvres de Duglosz, de Kad-
lubek et d'Orzechowski, historien polonais et plusieurs autres ouvrages
importants.
Cette partie de la Galicie ou de la ci-devant Haute-Pologne est habitée
par deux variétés de Polonais : les Mazurakes, dans la plaine, ont peu de
traits distinctifs ; mais les Gorales, ou montagnards, paraissent former une
race particulière, distinguée des autres races slaves par une taille plus
svelte, une physionomie plus marquée, un nez plus allongé, des lèvres
plus fines. Leurs yeux plus petits et leurs os zygomatiques plus saillants
les rapprochent néanmoins de la race slave. Plus vifs, plus agiles, plus
robustes, plus dociles et plus rusés que les Slaves de la plaine, ils porlent
à ceux-ci une ancienne haine. La hache est l'arme nationale des Gorales
dont ils se servent avec la plus grande dextérité : ils la lancent à plus de
quarante pas sans jamais manquer leur but. Elle leur sert aussi d'orne-
ment, et ils ne la quittent jamais, pas même dans leurs jeux et dans leurs
danses.
Les Gorales émigrent pour exercer les métiers nomades de colporteurs,
de merciers, etc., puis ils reviennent des plaines, au commencement de la
mauvaise saison, apportant à peine de quoi pourvoir à leur subsistance. .
La stérilité du sol de leurs montagnes se refuse à produire du froment;
l'orge et l'avoine y croissent, ainsi que le sarrasin, dont cependant la cul-
ture n'est pas encore bien connue. Une espèce de gâteau d'avoine, qu'ils
appellent platski, des pommes de terre et des choux, du petit-lait, du beurre
et du fromage, voilà toute la nourriture de ce peuple frugal. Son habille-
ment est aussi simple que sa nourriture; aussi les Gorales sont-ils leurs
propres tailleurs, leurs tisserands et leurs cordonniers. Ils fabriquent le
cuir de leurs chaussures, qu'ils fixent avec des courroies, à la manière
des anciens. L'été, ils portent des caleçons d'une forte toile de chanvre
avec une chemise pareille, en dehors de la culotte, serrée seulement au
milieu du corps avec une large courroie. En hiver c'est un drap blanc très-
grossier qui forme leurs caleçons ; ils y joignent pour habit une casaque

EUROPE. — ROYAUME DE GALICIE.
397
très-courte, d'un drap brun, aussi grossier que l'autre. Eux-mêmes se
fabriquent ces draps et se servent, pour les fouler, de leurs moulins à scie.
Ce drap est si compacte, que la pluie la plus forte ne saurait le pénétrer.
Ils se passeraient ainsi de l'univers entier s'ils n'étaient pas obligés de
recourir au bourg .voisin pour leur coiffure ; ils achètent à Makou leurs
chapeaux, qui sont de forme ronde.
Nous reprenons notre tournée topographique pour parcourir la partie
orientale de la Galicie habitée par un peuple du sang russe. Les deux pre-
mières villes qui réclament notre attention sont Przemysl et Iaroslaw ou
Jaroslaw, jadis les siéges de princes ou grands-ducs particuliers. Toutes
les deux sont situées sur le San, et toutes les deux ont quelques fabriques
et 10,000 habitants chacune. Un château fort sur un rocher domine
Przemysl. On y traverse le San sur un beau pont couvert de 95 mètres de
longueur : c'est le plus long de tous ceux de la Galicie, et peut-être le
mieux construit de l'empire d'Autriche. Cette ville était florissante dès le
onzième siècle ; ses églises, l'architecture de ses maisons et ses rues étroites
prouvent son ancienneté ; elle est entourée de murailles, et son vieux
château tombe en ruine; elle est le siége d'un évêché catholique et d'un
évêché grec. A Jaroslaw, située sur une colline riante, on voit aussi un
château; on y admire la belle église de Panna-Maria, c'est-à-dire de la
Sainte-Vierge, et le charmant site de l'ancien collége des jésuites. Le com-
merce des cierges et de la cire y est considérable. On y fabrique beaucoup
de toiles et des draps pour l'habillement des troupes ; c'est un des princi-
paux entrepôts de sel de la Galicie. Les forêts voisines sont remplies do
ruches d'abeilles.
Dans les arrondissements les plus septentrionaux, l'agriculture occupe
toutes les mains; cependant Belz, non loin du Bug, dans une plaine envi-
ronnée de forêts, a des fabriques de potasse dont les produits s'expédient
à Odessa, à Dantzik et en Bohême. A Zolkiew, chef-lieu de cercle, on voit
un superbe château qui appartenait jadis à l'illustre famille des Sobieski.
Sur la frontière nord-est, la ville privilégiée de Brody, peuplée de
18,000 habitants, dont près des trois quarts sont juifs, fait un grand com-
merce avec la Russie ; mais quoique les riches Israélites entretiennent une
école savante et une école de commerce, ils n'embellissent pas leurs mai-
sons. Les édifices les plus remarquables sont l'hôtel-de-ville, l'hôtel de la
douane et le château de la famille Potocki, dont les souterrains servent de
magasins. La ville est située dans une plaine bornée par des forêts; elle
est environnée d'un rempart transformé en promenade. Zloczow, chef-

398
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
lieu de cercle, est entourée de forêts, d'étangs et de cours d'eau qui vont
se jeter vers le nord ou dans le Bug. Cette ville a un vieux château qui
jadis était fort. Tarnopol, près de la rive gauche du Sered, qui y forme
un étang, doit à l'activité de ses tanneries une population de plus de
17,000 âmes. Brzezany, sur la Zlota-Lipa, pourrait être passée sous
silence, bien que ce soit un chef-lieu de cercle, qu'elle possède une
manufacture d'armes, et qu'on y fabrique des toiles à voiles.
Dans la partie méridionale, nous distinguons, sur le Dniester, une
ville passablement bâtie, Sambor qui a 11,000 habitants, des manufac-
tures et des blanchisseries de toile, et qui est le siége de l'intendance des
salines du cercle, dont elle est le chef-lieu. Plus loin, en remontant le
fleuve, on voit le Vieux-Sambor ou Alt-Sambor, appelé aussi Stare-
Miasto ; à l'est de cette ville, celle de Drohobycz, avec 8 faubourgs, peu-
plée de plus de 1 0,000 habitants, et très-commerçante, grâce à la syna-
gogue qu'elle possède, à la richesse des terres qui l'environnent et aux
salines qui l'entourent. Il s'y tient des foires très-fréquentées pour les
grains et les bestiaux ; des fonderies sont établies à ses portes; des salines
très-productives sont ouvertes à quelque distance, ainsi qu'à Modrzyc, à
Solek et à Bebnik. Stry, chef-lieu de cercle, est sur la gauche d'une rivière
du même nom, qui, un peu au-dessus, se divise en un grand nombre
de bras. C'est une ville de 9,000 âmes, dont les habitations servant à
la population juive sont en bois, tandis que les Polonais et les Allemands
habitent des maisons propres dans des rues assez bien alignées. Elle est
entourée de remparts et de fossés. HAliez 1, l'ancienne capitale de la
Galicie, ne compte que 5,000 habitants; ce sont pour la plupart des juifs
de la secte des karaïtes, cl leur séjour y remonte au delà du douzième
siècle, car les Byzantins observent déjà que les Chalisii, alliés de l'em-
pereur Manuel, suivaient la loi de Moïse, Stanislawow, ville bien plus
considérable, paraît destinée à être la forteresse principale du pays-, elle
est défendue par des travaux avancés. On y remarque une très-belle
église. Dans la contrée entre le Pruth et les montagnes nommées Pokutie,
on trouve la florissante ville de Sniatyn, peuplée de 6 à 7,000 âmes, et
très-fréquentée à cause des tanneries qu'elle renferme et des foires qui s'y
tiennent. On y vend des bœufs, des chevaux, de la cire et du miel ; ces
1 Le nom de Haliez tire son origine du sel qu'on y exploite, par suite du mot grec
Άς, qui signifie sel. Plusieurs villes d'Allemagne, telles que Halle en Tyrol, Halle dans
la province de Magdebourg, Halle en Saxe, Halle en Souabe, et Reichenhalls en Bavière,
prennent aussi leur nom à la même source.

EUROPE. — ROYAUME DE GALICIE.
399
objets viennent de la Moldavie. Kuty ou Kutow renferme, ainsi que la
précédente, une colonie d'Arméniens qui fabriquent du maroquin.
Les habitants de toutes ces provinces centrales et orientales de la Gali-
cie, bien qu'ils aient aujourd'hui en partie, et surtout dans les plaines,
adopté un langage mélangé du russe et du polonais, descendent de la
race à laquelle les Polonais donnent le nom de Russini ou Rousniaques,
pour les distinguer des Rosyanie ou Moskalé, qui sont les Grands-Russes.
Nous parlerons de ceux qui habitent la Hongrie. Un voyageur dit, au sujet
de ceux de la Galicie : « Un air particulier dans la physionomie des habi-
« tants vous avertit que vous êtes au milieu d'une horde slave différente ;
« ce sont les Rousniaques, gens moins civilisés encore, mais en revanche,
« moins dépravés que les Galiciens : leur frugalité est encore plus grande
« que la leur; ils paraissent aussi plus adonnés au travail, quoique plus
« ignorants en agriculture. Je n'ai jamais vu, par exemple, des femmes
« galiciennes filer leur quenouille en gardant leurs troupeaux, comme on
« le voit chez les femmes rousniaques. Ils sont de la religion grecque; leurs
« curés sont mariés, et comme ils sont plus mal payés que les autres
« ecclésiastiques, et qu'ils ont de plus la charge d'une famille, ils sont
« dans l'honorable nécessité de travailler; ils prêchent donc d'exemple,
« et ce n'est point en vain. Les églises se distinguent de celles des villages
« catholiques, en ce qu'elles ont trois clochers de grandeur différente :
« ces bonnes gens entendent par là figurer les trois personnes divines de
« la sainte Trinité ; ils ne croient pas apparemment que ces trois personnes
« soient égales. Le principal clocher est en l'honneur de Dieu le Père,
« Dieu le Fils est représenté par le second clocher, et le troisième rappelle
« le Saint-Esprit. Telle est l'explication qu'ils donnent de cette singularité.»
Les habitants de la Pokulie ont conservé plus que les autres Rousnia-
ques leurs moeurs particulières; mais les Houcoules ou Houcoules, pâtres
qui demeurent dans les Karpathes, gardent même quelques traces de la
vie sauvage, et mériteraient d'être mieux observés.
Le gouvernement autrichien a cherché à combattre les traces de bar-
barie que l'on rencontre encore dans ces contrées sauvages en y établis-
sant des colonies allemandes, qui déjà s'élèvent à plus de 100,000 indi-
vidus. I: est pourtant des inconvénients difficiles à vaincre. Les paysans
croupissent dans une ignorance et une paresse sans pareilles; la servitude,
qui ne pèse cependant pas sur le plus grand nombre, leur ôte pour ainsi
dire l'intelligence et le courage. L'agriculture, qui, grâce à la qualité du
sol, devrait faire la richesse du pays, y est tellement négligée, que l'habi-

400
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
tant des campagnes en retire à peine ce qui est nécessaire à sa nourriture.
Celui-ci est tellement placé dans la dépendance des juifs, qu'il leur cède
ordinairement l'excédant de Ja récolte avant même qu'elle soit effectuée.
Dans la campagne, tous les chevaux ne sont pas ferrés, et les charrettes
n'ont jamais de ferrure ; il est même rare que le cultivateur prenne la peine
de porter des engrais dans ses champs. Les propriétaires des biens fonds
sont ou des grands seigneurs qui possèdent des terrains plus vastes que
plusieurs principautés de l'Allemagne, et les abandonnent à la cupide rapa-
cité des régisseurs, ou de petits nobles vivant sur leurs terres, mais igno-
rant entièrement les pratiques agricoles, ou bien quelques paysans libres.
Le clergé, qui devrait être plus instruit que la noblesse, offre à cet
égard bien moins de ressources. Les curés s'élèvent peu au-dessus des
paysans libres. Le domaine public donne de justes espérances d'une
bonne culture ; mais longtemps le choix des régisseurs n'a pas été heureux :
c'est une amélioration qu'il faut attendre du temps et de l'expérience des
ministres autrichiens, qui aiment tout ce qui est bon, mais qui craignent
tout ce qui n'est pas allemand. Un développement plus libre des institu-
tions nationales pourrait seul achever la civilisation si bien commencée.
La situation géographique du pays fait que le commerce y occupe la plus
grande partie des habitants.
Déjà l'industrie a fait des progrès considérables. La fabrication des
toiles s'est répandue sur les frontières de la Silésie et dans les montagnes.
Ce n'était au commencement que de la grosse toile ; mais elle était, au
reste, de bonne qualité. On apprend maintenant peu à peu à lui donner
la finesse et la beauté du coup d'œil. Une autre branche importante est la
fabrication des couvertures de laine. La filature et les fabriques de tissus
de coton et de nankin, établies au village de Nawsie, égalent celles du
Levant. Parmi les verreries, celle de Lubaczow est considérable. Aux
environs de Wieliczka on fait, dans une cinquantaine de forges, de bons
ouvrages en fer, et cette industrie est répandue dans toute la partie mon-
tagneuse. Les tanneries, les blanchisseries de cire, les fabriques de bou-
gies, d'eau-dc-vie, de salpêtre, de potasse et autres, sont déjà dans un
état qui promet beaucoup. Une grande route commerciale contribue à
animer les exportations-, c'est un bienfait de Joseph II. Les nobles de
la Galicie ont la bonne habitude de consommer leur argent dans le pays;
bien peu d'entre eux vont se ruiner à la cour ou à l'étranger.
Nous devons placer ici la Bukowine ou Boukowine, qui est unie 1 sous
1 Voyez la note du tableau statistique relative aux divisions politiques.

EUROPE. — ROYAUME DE GALICIE.
401
le rapport administratif à la Galicie, sous le nom de cercle de Czernowicz
ou Tchernowilz, mais qui a ses États provinciaux à part, et une popu-
lation différemment composée. Le nom même, qui signifie pays des hêtres,
indique une nuance de climat et de culture ; des forêts de hêtres, mêlés
de pins et de sapins, couvrent les flancs pittoresques des Karpathes; et
dans les vallées de la Moldava, du Sereth et du Pruth, les blés, les pâtu-
rages, les fruits abondent ·, on y voit la vigne en treilles. De nombreuses
sources salines, des paillettes d'or dans la Bistriza, du plomb argentifère
au village de Kirlibaba, du cuivre près de celui de Poschorita, du fer aux
environs de celui de Jakobeny, où l'on en exploite 9,000 quintaux,
forment les richesses minérales du pays.
Suczawa, jadis résidence des despotes de Moldavie, dont on voit encore
le château ruiné, comptait, au quinzième siècle, 16,000 maisons; elle
n'en renferme aujourd'hui que 1,000, avec 8,000 habitants. Elle est
arrosée par une rivière qui porte le même nom et que l'on traverse sur un
pont couvert. Des vignes garnissent ses environs. Son intérieur renferme
trois églises grecques, un temple arménien et une synagogue. Sous la
domination romaine, l'emplacement de cette ville était occupé par une
station appelée Sucidava. La petite cité de Sereth, sur la rivière du
même nom, n'offre rien d'intéressant. Czernowitz ou Tchemowitz mérite
quelque attention, parce qu'elle est chef-lieu du cercle, ou capitale de
la Bukowine. Elle renferme 12,000 habitants. Sa situation sur une hau-
teur, non loin du Pruth, lui donne un aspect pittoresque. On y voit une
cathédrale grecque et une église catholique; elle renferme plusieurs
établissements utiles, tels qu'un hôpital, une école d'accouchement, un
institut des études philosophiques, un gymnase et une école primaire,
avec quelques beaux édifices, quoique en général la ville soit mal bâtie.
La principale industrie de ses habitants consiste à travailler l'or et l'ar-
gent et à fabriquer des voitures. Elle fait un commerce considérable avec
l'Allemagne et la Moldavie.
La population de la Bukowine, évaluée en 1851 à 380,826 habitants,
se compose principalement des Moldoveny, semblables en tout aux autres
Valaques, de religion grecque, et soumis à la domination de leurs boyards,
qui forment aujourd'hui l'ordre des seigneurs, comme les masiles celui
des chevaliers. Des colonies allemandes, arméniennes, juives, et même
magyares, se sont établies dans ce beau pays ; mais celle des Philippons
ou Lippowany est la seule remarquable. Ce sont des Russes de l'ancien
rite, ayant des cérémonies et des doctrines particulières en partie peu
VII.
51

402
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
connues. Émigrés de la Crimée, où les Tatares et les Russes les vexaient
tour à tour, ils vinrent ici demander un asile à Joseph II, et se montrent
dignes de la liberté qui leur est accordée, par leur conduite tranquille et
leurs mœurs frugales.
La Bukowine était le berceau de la nation moldave. En 1496, une
armée polonaise de 80,000 hommes, ayant assiégé Suczawa, fut repoussée
et entièrement défaite par les troupes de l'hospodar Élienne le Grand;
plus de 20,000 nobles polonais furent faits prisonniers : le vainqueur les
fit atteler à la charrue, et ils furent obligés de semer des graines de hêtre
sur le champ de bataille. Le hêtre est appelé bois de sang par les Va-
iaques, qui croient que la croix divine du Sauveur en était faite. Les
Turcs aussi s'en servent pour empaler leurs victimes. De là le nom de
forêt de sang, qui équivaut à celui de Bukowine. Lorsque les Autrichiens
eurent envahi ou repris la Galicie, Joseph II se fit faire par un officier
supérieur un rapport judicieux et profond, d'où il résulte « que la
» possession de la Bukowine est nécessaire pour flanquer convenable-
» ment les provinces autrichiennes qui font face à la Pologne et à la
»
Moscovie; qu'elle fournit une ligne de communication militaire entre
» la Galicie et la Transylvanie, ce baslion avancé de l'empire ; enfin que
» dans le cas d'une guerre avec le Turc ou le Moscovite, elle assure aux
» Autrichiens le terrain dominant les positions des ennemis. » Ces rai-
sonnements, parfaitement justes, décidèrent le maintien de l'occupation
déjà exécutée, et les Turcs, espérant l'appui de l'Autriche contre les
Moscovites, y donnèrent un consentement secret. L'hospodar Ghika osa
protester solennellement contre ce démembrement de la Moldavie; mais le
lendemain, sa tête mise devant ses pieds fit connaître la politique de la
Porte.
La Galicie avec la Bukowine exportent pour 20,000,000 de sel, grains,
bétail, chevaux, cuirs bruts et apprêtés, laine, cire, miel, bougies et
hydromel, tabac en feuilles, lin, chanvre, suif, soies de porc, surtout en
Autriche et en Moravie. Avec une population de près de 5,000,000 d'ha-
bitants, ce royaume fournit des recrues à 11 régiments d'infanterie et
à 4 régiments d'hulans ou cavalerie légère, ainsi qu'à un bataillon de
chasseurs. C'est là le plus important sacrifice du pays, car les revenus ne
s'élèvent qu'à environ 50,000,000 de francs. Ce royaume devrait surpasser
la plupart des États en bonheur, industrie et richesse ; tout commerce y est
libre, l'accise y est inconnue, les contributions y sont très-modérées; la
nature lui prodigue ses dons ; mais le manque de débouchés naturels

EUROPE. — ROYAUME DE GALICIE.
403
depuis que la Prusse est en possession de la Vistule, l'abrutissement des
paysans, et enfin la trop grande prépondérance de ces fénérateurs et bro-
canteurs juifs qui obstruent toutes les villes, voilà les maux qui compri-
ment l'essor de la civilisation.
Sous le titre de royaume, la Galicie fait partie intégrante de la monarchie
autrichienne. Ce pays est régi par une administration supérieure qui siège
à Lemberg, et qui est présidée par un fonctionnaire auquel on donne le
titre de vice-roi : il jouit d'une sorte de représentation nationale appelée
l'assemblée des États ; celle-ci se réunit tous les ans sur la convocation
de l'empereur. Les députés se divisent en quatre classes : ceux du clergé,
ceux de la noblesse, ceux des chevaliers ou nobles nés dans le pays et
payant une contribution foncière de 75 florins, et ceux de la bourgeoisie
que l'on choisit parmi les seuls habitants de Lemberg. Ces députés reçoi-
vent un traitement du gouvernement. Les attributions des États consistent
principalement dans la répartition des contributions directes et dans l'ad-
ministration des secours à allouer pour les logements militaires. Ils ne
peuvent envoyer des députations à l'empereur sans en avoir reçu l'autori-
sation. Dans l'intervalle des sessions, une commission permanente est
consultée au besoin par l'administration supérieure. Tout ce qui concerne
les affaires militaires est dans les attributions du commandant-général
militaire, qui réside aussi à Lemberg.
D'après ce que nous avons dit précédemment, nous pouvons, sans
crainte d'être taxés d'exagération, considérer la Galicie comme l'État le
moins éclairé de tous ceux qui composent la monarchie autrichienne. Ce
n'est que dans ces derniers temps que l'on a cherché à y répandre l'ins-
truction. Ce n'est qu'en 1816 que la seule université du royaume, celle de
Lemberg, a été fondée; précédemment, il n'y existait qu'une simple acadé-
mie. En 1817, la Galicie ne possédait que 9 gymnases; aujourd'hui elle en
a 13. En 1817, il n'existait pour les sciences politiques qu'un seul institut,
celui de Czernowitz ; aujourd'hui on en trouve un second à Przemysl et
un troisième à Tarnopol, où l'on voit aussi un institut de théologie avec un
séminaire catholique-romain. Il y a maintenant dans chaque district ou
cercle une école principale, 15 écoles primaires dans les principales villes,
16 écoles pour les filles et 220 écoles populaires. En 1829, on comptait
en Galicie 4 imprimeries, savoir : 2 à Lemberg, où l'on a imprimé six
ouvrages en polonais, et 2 à Bochnia, où l'on a publié quatre ouvrages
dans la même langue. Tel est l'état actuel de l'instruction du pays.

404
LIVRE CENT SOIXANTE-SEPTIÈME.
TABLEAUX STATISTIQUES DU ROYAUME DE GALICIE EN 1851 ».
POPULATION
REVENUS
SUPERFICIE. POPULATION.
par
DIVISION POLITIQUE 2.
en francs.
lieue carrée.
4,473
4,936,303
1,103
50,000,000
20 cercles—100 villes. 270 bourgs. —
6,140 hameaux ou villages.
1 En y comprenant l'ancienne république de Cracovie, réunie à l'Autriche depuis 1846, et la Bukowine ou eercle
de Czernowitz.
·
2 La Galice, dans la nouvelle division territoriale établie en 1849, se subdivise en trois arrondissements, Lem-
berg, Cracovie et Stanislawow, et la Bukowine ou ancien cercle de Czernowitz forme une province séparée. Mais
en 1854 cette division politique, quoique décrétée, n'avait pas encore été réalisée.

SUPERFIC
NOM DU CERCLE.
en lieue
POPULATION.
CHEF-LIEU ET VILLES PRINCIPALES.
carrée.
LEMBERG. . .
122
195.601
Lemberg, 66,000. Grudek, 7,000.— Szczerzec. 1,400.
CRACOVIE.
.
52
144,331
Crarovie, 45,000.— Chrzanow, 4.200. Krzeszowice,
2.5 0.
WADOWICE. .
194
376,307
Wadowice, 3 000. Andrychow, 3,000. Biala, 2,800.
— Kenty, 3,400.
BOCHNIA. . .
128
234,6C6
Bochnia, 6 000.— Podgorze, 1.700.— Wieliczka, 6,500.
_ Woyniez. 1.500.
SANDEC. .
.
188
256,083
Neu-Sandec, 4,000. Alt-Sandec, 3,000. Ciez-Ko-
wice. 1.400.
JASLO. .
.
.
108
264 518
Jaslo. 2,000. Osier, 1.000.
TARNOW. .
.
197
250,926
Tarnow, 6.000. Pilsno, 1,800. Ropczyce, 1,200.
RZESZOW.
.
232
22 .459
Rzeszow. 6.000 Laneut, 2,400.
SANOK. . .
.
250
274,011
Sanok, 1.800.— Brzozow, 2,500. Dubiecko, 1,600. —
Dobromyl, 1.400.
SAMBOR. . .
,
258
299,090
Sambor, 1 l00. - Alt-Sambor, 3,000. Strasol, 4,000.
— Drohobycz. 8. 000
PRZEMYSL
.
.
194
250,532
Przemysl, 1,000 Jaroslaw, 8.500.— Jaworow. 3,000.
ZOLKIEW. . .
,
261
220,043
Zolkiew, '«.500. Lubaczow, 1,600. Belz, 2,000. —
Sokal. 2.500.
ZLOCZOW.
.
.
260
242,964
Zloczow. 8 000. Brody, 18.000. Busk. 3.000.
TARN POL. . .
183
217.647
Τarnopol, 17.000 —Mikulince. 2.500.Husiatyn, 2 000
BRZEZANY. .
,
223
221,010
Brzezany 5,00). Burstyn, 2,200.— Bobrka, 3,000
STRY
310
227.916
Stry 9.000 Halicz, 5,000.
STANISLAWOW
270
243,932
Stanitlawow, 12,000.— Maryannol, 1,800. Solot-
wina 2,800.
CZORTKOW. ..
191
193,712
Czortkow. 2,000· Iazlowice, 2,500. Zaleszczy-
kv, :{,000.
KOLOMEA.
.
.
254
214,459
Katomea, 8,000 Kutow, 5,000. Sniatyn. 7.000.
CZERNOWITZ.
,
526
380,826
Czemowitz, 14,000.— Sereth, 5,000.—Surzawa, 8,000
POPULATION PAR NATIONS D'APRÈS LE
Culte grec-uni.
LE RECENSEMENT DE 1848.
Diocèses.
Siéges.
Polonais
1,854,800 Archevêché de Lemberg, Ha-
Rousniaques,
1,891, 300 , liez et Kamieniec
Lemberg.
Vainques
281,650 Evêché
Przemysl.
Juifs
455,000
Culte arménien-uni.
Allemands
80,000
Lippowanys
10,000 Archevêché
Lemberg.
Arméniens
6,500
Culte grec-non-uni.
Zigueunes (ou Bohémiens). .
2,180
Grecs
664 Évêché de Bukowine. . . . Czemowitz.
4,582,094 Communion de la confession d'Augsbourg.
ÉGLISES CLASSÉES PAR CULTES.
Culte catholique romain.
Surintendance soumise au
consistoire de Vienne. . . Lemberg.
Diocèses.
Siéges.
Archevêché
Lemberg.
Communion réformée.
Évêché
Przemysl.
Idem
Tyniec.
Idem.. .
Idem.
Idem
Cracovie.

405
EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE.
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Suite de la Description de l'Europe.— Fin de l'empire d'Autriche.—Description de la
Hongrie et de ses annexes. — Recherches sur la nation hongroise, son origine. —
Coup d'œil général sur le royaume de Hongrie et sur les États qui en dépendent.

La Hongrie réunit autour de l'antique croix de saint Etienne diverses
nations : le Magyar, accouru sur ses coursiers indomptés des bords du
Volga; le Slovaque et ses frères, descendus des monts Karpathiens ou
des Alpes Noriques; le Germain, arrivé en longeant le Danube, et les
Valaques, pasteurs des Alpes de Dacie ; tous Européens ou semi-Euro-
péens, malgré la différence pittoresque de leur costume; tous chrétiens,
malgré la nuance de leurs rites. La Transylvanie, sœur de la Hongrie,
sous ses lois indépendantes, unit à peu près les mêmes éléments civils
et religieux. Pourquoi séparerions-nous ces deux masses homogènes? II
est vrai que la Croatie et la Dalmalie appartiennent à une autre région
physique; mais dans une science historique, comme la géographie, les
divisions usuelles doivent prédominer sur les divisions systématiques, et
les petites fractions, créées par l'histoire ou la politique, doivent être
annexées aux grandes masses de la manière la plus commode pour la
mémoire du lecteur. Voici donc l'ensemble que nous allons embrasser
dans une seule et même description. Les monts Karpaliens ou Karpathes,
appelés Krapack en polonais, environnent au nord et à Test la vaste
plaine où le Danube semble s'arrêter au milieu de son cours, et qui forme
la principale partie de la Hongrie. A l'est de cette plaine, la Transylvanie
occupe trois grandes vallées entre les branches des monts Karpathiens.
A l'ouest, l'Esclavonie s'étend entre la Drave et la Save ; plus loin encore,
la Croatie s'appuie aux dernières branches des Alpes Juliennes. La Dal-
malie descend sur les rivages de l'Adriatique. Telle est la situation géné-
rale des provinces dont nous allons tracer d'abord le tableau physique
général, ensuite la description topographique et etnographique.
Les monts Karpathiens, dans leur ensemble, s'étendent sur une ligne
demi-circulaire d'environ 300 lieues, dont 100 font partie de la grande
arête européenne, et forment la limite des deux grands versants de la
mer Noire et de la Baltique. On peut les diviser en trois parties : les

406
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Karpathes occidentales, qui ont 40 lieues de longueur et sont liées aux
monts Sudètes, l'une des dépendances du système alpique ; les Karpathes
centrales, qui occupent une longueur d'environ 100 lieues; enfin les
Karpathes orientales, qui se prolongent sur une étendue de 160 lieues,
et décrivent un demi-cercle jusqu'au bord du Danube. C'est dans les
Karpathes centrales que se trouve le groupe de Tatra. Toute la partie du
sud-est répond aux Alpes Baslarniques ou Daciques des anciens, du
nom de deux peuples qui habitaient dans son voisinage. Bien que les
Karpathes soient loin d'égaler les Alpes en hauteur, elles peuvent être
comptées au nombre des montagnes les plus élevées de l'Europe. Nous y'
distinguons plusieurs groupes, chaînons et promontoires.
Le groupe de Tatra est le plus élevé de tous, et ses sommets graniti-
ques s'élèvent jusqu'à 2,420 mètres. Il s'étend de l'est à l'ouest, et
s'élance brusquement à l'est au-dessus des plaines de Kesmark et des
montagnes arénacées qui servent de limites entre la Hongrie et la Galicie
orientale. Il est compris entre le Poprad, qui y prend sa source au sud
et tourne brusquement au nord; le Dunajec, qui prend sa source au nord;
le Waag ou Vag et l'Arva, qui le séparent au sud et à l'ouest des mon-
tagnes voisines. Deux groupes particuliers, au nord-ouest du premier,
forment les limites naturelles entre la Hongrie, la Galicie orientale et la
, Moravie. L'un d'eux, nommé le Baszkid, s'étend entre l'Arva, le Vag, la
rivière de Kiszucza et les sources de la Vistule; l'autre se dirige au sud-
ouest, depuis la Kiszucza jusqu'à Presbourg, et se nomme généralement
Je Javornik. Il s'étend sur une longueur d'environ 15 lieues entre la
Krivaja et le Drin. C'est le défilé de Jablunka qui les sépare en masse.
Des recherches locales y feront distinguer diverses terrasses.
On comprend généralement en Hongrie sous le nom de Fatra tout cet
amas de montagnes moyennes et riches en mines qui s'étendent depuis
le Vag jusque vers Kaschau ·, mais cette dénomination s'applique encore
dans un sens spécial, tantôt à la montagne de Kœnigsberg avec ses pro-
longations, et tantôt à deux autres, dont l'une, étant située sur les limites
des comitats ou comtés de Thurotz et de Liptau, s'appelle le grand Fatra,
et l'autre, située dans le comté d'Arva, le petit Fatra. Il vaut mieux
distinguer les diverses parties par des limites géographiques. Une petite
chaîne s'étend entre les rivières de Vag, de Nyitra et de Thurotz, du
nord-est au sud-ouest, depuis Predrnir jusqu'à Freystadt. Entre la
rivière de Nyitra et celle de Gran s'élève un groupe parallèle au dernier,
et qui s'étend depuis Nyitra jusqu'à Kremnitz ; il est lui-même formé de

EUROPE.
ROYAUME DE HONGRIE
407
trois petits groupes, dont le plus remarquable se nomme le Klak.
Au nord de ce groupe se présente, entre les rivières du Tburotz et de
Revucza, la petite chaîne des montagnes de Fatra proprement dites, qui
s'étend entre Rosemberg et Neusohl. Les habitants allemands donnent le
nom d'Alpes de Liplau à une chaîne faussement nommée groupe par
M. Beudant, et qui s'étend de l'ouest à l'est, parallèlement au Tatra, entre
les rivières de Vag et de Gran, depuis le Prossiva jusqu'au Kralova-
hora, et qui semble se lier à une multitude de montagnes particulières
entre la rivière de Hernat, qui coule dans les plaines de Leutschau, et
celle de Sajo. Plus au sud, à la gauche du Gran, jusqu'aux bords des
rivières de Sajo et d'Iipoly, qui se dirigent en sens contraire, l'une à l'est
et l'autre à l'ouest, se présente une masse de montagne composée d'un si
grand nombre de petits groupes particuliers, qu'il est presque impossible
de les classer. Nous citerons néanmoins le Polanaberg, le Vepor, le
Szilna, l'Ostrosky et le Nagyszel.
Presque entièrement détaché de tous ces groupes, le Matra s'élève
subitement à une assez grande hauteur au-dessus de la plaine, et se
trouve compris entre la petite rivière de Zagyva et celle de Tarna : le
Sasko, qui appartient à ce groupe, a 900 mètres d'élévation, et le
Kekes 1,010. On donne le nom d'Osztra , ou de Buk-Hégy, au petit
pays montueux compris entre la rivière de Tarna et celle de Sajo.
De la ville d'Epériès à celle de Tokay se dirige une chaîne célèbre en
Hongrie sous le nom de Hégy-Allya, ou monts inférieurs, dont les par-
ties méridionales produisent le vin le plus généreux de l'Europe. Fekete-
Hégy en est le point le plus élevé; les collines de Tokay en forment la pointe
sud-est. Au nord-est du Hégy-Allya, un groupe particulier s'élève en
avant des montagnes de sable qui forment les limites de la Galicie
orientale; c'est le groupe de Vihorlet, compris entre les plaines des rivières
de Laborcza et de Ungh.
A partir du mont Tatra, la chaîne des monts Karpathes se dirige vers
l'est en décrivant un arc de cercle et en s'abaissant; mais cet abaissement
ne parait pas s'étendre au delà des comitats de Saros et de Zemplin ; plus
a l'est elle se relève, sans peut être atteindre tout à fait celle des monts
Tatra, mais en joignant sans interruption complète les Alpes de la Tran-
sylvanie. Les montagnes de la Hongrie offrent généralement des sommets
granitiques; mais un peu plus bas, le granite est recouvert par le calcaire
compacte et saccharoïde qui repose sur des schistes argileux.
Les Alpes de la Transylvanie présentent des chaînes bien marquées à

408
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
côté de quelques groupes moins déterminés. Un grand système de monta-
gnes se montre à l'extrémité la plus orientale, où les rivières de Maros, de
Küküllo, d'Aluta, de Szamos, de Bisztritz-Moldavique et de Moldava,
prennent naissance ; mais il nous paraît que, formé de plusieurs groupes
particuliers, il a plus de largeur que d'élévation. A l'endroit où les fron-
tières de la Hongrie, de la Transylvanie et de la Bukowine se rencontrent,
une chaîne se détache au nord-ouest de cette grande masse précédente,
entre le Szamos oriental et la Theiss ; elle se prolonge à l'ouest par Kap-
nik, et renferme des sommets élevés, entre autres le Ilosaly. Une grande
et puissante chaîne, coupée néanmoins par l'Aluta, forme les limites de
la Transylvanie et de la Yalachie. C'est là que sont les sommets les plus
vantés : ceux du Butetsch ; mais ils ne sont pas encore mesurés avec les
soins nécessaires. C'est l'extrémité occidentale de cette grande chaîne qui
forme les montagnes du Bannat, groupe particulier, dont on peut observer»
du haut du mont Szemenik la masse médiocrement élevée, mais hérissée
de rochers escarpés. Elles semblent s'unir par des rochers qui embarras-
sent le cours du Danube aux montagnes de la Servie. La constitution géo-
logique de ces montagnes paraît être la même que celle des montagnes de
la Hongrie, seulement c'est la roche nommée Grauwake, composée de
sable quartzeux et de mica qui recouvre ou environne le pied des mon-
tagnes granitiques.
Tels sont les sommets dont l'ensemble décrit un demi-cercle irrégulier
sur les frontières orientales et méridionales de la Transylvanie. Le milieu
de ce pays forme un terrain plus bas, dont les roches presque entièrement
arénacées renferment de nombreuses mines de sel, et où les rivières roulent
de l'or. Ce plateau, traversé par quelques petits chaînons, se maintient à
une élévation considérable au-dessus de la Basse-Hongrie, et se relève
même vers l'ouest en montagnes qui forment deux massifs particuliers. Le
premier se trouve compris entre le bras occidental du Szamos, les sources
de la Kraszna, du Berettyô et du Sebes-Körös ou Kœrœs-Rapide ; il ren-
ferme le Bihary-Hégy, le Czaf, le Vaskho et plusieurs autres groupes dis-
tincts. Le deuxième massif, qui est une véritable chaîne, se prolonge entre
le Maros au sud, l'Aranyos au nord, et nourrit les sources du Fejer-Körös
ou Kœrœs-Blanc ·, elle renferme le Gaina, le Kladowa, et se termine avec
le Villages. Tout ce pays montagneux entre la Transylvanie et la Basse-
Hongrie est encore imparfaitement connu.
Nous devons encore remarquer deux chaînes de montagnes qui, du
côté occidental, entrent dans la Hongrie. Ce sont des branches des Alpes

EUROPE. ROYAUME DE HONGRIE.
409
Styriennes. La première, allant de sud-est à nord-est, forme, au nord du
lac Balaton, les monts Bakonny, hauts de 637 mètres et se termine par les
monts Pilicz vers Gran; l'autre suit le cours de la Drave vers le sud-est,
et, s'étant presque effacée dans la plaine de l'Esclavonie, se relève dans la
Syrmie pour former les pittoresques collines de Fruska-Gora.
Les Alpes Juliennes, qui commencent dans la Carniole, se continuent
enire la Croatie et la Dalmatie hongroise, vers la Dalmatie vénitienne , ou
elles joignent la chaîne albano-dalmate, branche du système du mont
Hæmus : nous y reviendrons dans la topographie.
La Hongrie renferme deux des plus grandes plaines de l'Europe ; l'une,
longue de 40 lieues et large de 25, embrasse sa partie occidentale, bornée
par les montagnes de l'Autriche à l'ouest, celles du comitat de Nyitra au
nord, et le Bakony au sud-est ; l'autre, longue de 120 lieues et large de
80, forme la Basse-Hongrie dans le sens physique, et présente en grande
partie un désert salin et sablonneux, terminé vers le Danube et la Theiss
par d'immenses marais. On prétend que le niveau de la plaine basse est de
11 0 mèlres au-dessus du niveau de la mer, et que celui de la plaine supé-
rieure n'a que 10 mètres de plus ; mais elle s'élève en grande partie par
pentes insensibles vers les hauts pays qui les circonscrivent; elle n'éprouve
pas non plus les brûlantes chaleurs de la grande plaine. Celle-ci est une
Afrique européenne. Un horizon sans limites fatigue l'œil du voyageur.
Le mirage, produit d'un ciel ardent, le tourmente d'illusions perfides; et
souvent le brouillard malsain, enveloppant toute cette scène d'un voile
épais, lui dérobe les indices de la roule et l'environne d'une solitude
absolue. Entendra-t-ii le mugissement des troupeaux? Apercevra-t-il la
hutte du berger, ou s'égarera-t-il parmi les roseaux des marécages?
Il existe en Hongrie deux lacs d'une très-grande étendue, le lac Balafon
et le lac de Neusiedel. Le premier est situé entre les comitats de Szalad et
de Schimegh. Sa plus grande étendue est d'environ 17 lieues du sud-ouest
au nord-est : sa plus grande largeur est à peu près de 2 à 3 lieues ; mais
il est des points où il est plus étroit et ne présente guère que trois quarts de
lieue. Sa profondeur est d'environ 10 mètres. Son niveau au-dessus de la
mer est d'à peu près 140 mèlres. Vers son extrémité nord-est, il est presque
barré par une petite masse de montagnes ou presqu'île, qui s'avance d'en-
viron une lieue au milieu de ses eaux. Ce lac, dont la superficie est éva-
luée, en y comprenant à la vérité les marais environnants, à 66 lieues
carrées (24 milles d'Allemagne carrés), est principalement alimenté par la
rivière de Szalad; il reçoit en outre 8 aulres rivières : la quantité d'eau qui
VII.
52

410
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
s'y jette parait cependant peu volumineuse relativement à sa superficie,
qui doit fournir à une evaporation considérable; aussi à peine a-t-il un
débouché, car la petite rivière de Sio, qui semble en sortir pour se jeter
dans le Danube, n'est qu'un marais avec lequel le lac communique par
son bord méridional, et qui ne devient rivière qu'après avoir reçu les eaux
des montagnes orientales du comitat de Schimegh.
Le lac de Neusiedel se trouve entre le comitat d'OEdenbourg et celui de
Wieselbourg. Sa plus grande dimension est du nord au sud, et peut avoir
environ 8 lieues et demie; sa largeur, vers ses deux extrémités, est d'en-
viron 3 lieues, mais il se rétrécit au milieu et peut alors avoir environ une
lieue et demie; il n'a que 50 à 60 centimètres de profondenr; il commu-
nique à sa partie méridionale avec des marais considérables qui s'étendent
à l'est, et qui, après la réunion de plusieurs ruisseaux, finissent par
s'écouler dans la rivière de Raabnitz depuis l'an 1800, que le prince d'Es-
terhazy a fait ouvrir un canal d'écoulement de 6 mèlres de largeur et de
2 de profondeur, qui s'étend depuis ce lac jusqu'aux marais de Wasen-
Hanschag sur une longueur de 6 à 7 lieues. Il paraît encore ici que l'éva-
poration à la surface du lac et des marais voisins doit à peu près compen-
ser le volume des eaux qui viennent s'y rendre par divers ruisseaux, dont
le plus considérable est la Vulka ; en sorte que la rivière de Raabnitz est
beaucoup moins forte qu'on ne pourrait le présumer, d'après l'étendue de
terrain dont elle devrait recevoir toutes les eaux. Celles de ce lac sont pur-
gatives, et tiennent en dissolution, selon les uns, du nitrate de potasse, et
selon d'autres du sulfate de soude. Il est sujet à des débordements : en
4789, il s'éleva, dit-on, de près de 5 mètres en 48 heures.
11 paraît prouvé que le lac de Neusiedel n'est pas du tout le Peiso de
Pline, Pelso d'Aurélius Victor, et Pelsodis de Jornandès, situé dans la Pan-
nonia Prima, et sur lequel l'empereur Galerius, en lui donnant un écou-
lement dans le Danube, gagna des terres labourables. Aucun géographe
ancien, ni la Table de Peutinger, ni les itinéraires, ne placent un lac dans
cette position. Un acte public de 1339 parle d'une rivière de Ferto, et un
autre acte désigne des villages situés dans le terrain où s'étend le lac. Ces
circonstances peuvent faire croire que le lac s'est formé peu à peu, dans le
dixième ou onzième siècle, par la stagnation des eaux de la rivière, qui, à
la suite de quelques éboulements, n'ont pu trouver un débouché. Encore,
en 1725, un éboulement a-t-il fait accroître la salure des eaux, qui, en
1763, à la suite d'un petit tremblement de terre, parurent comme en ébul-
lition. Mais où était donc le Pelso? Les uns en reconnaissent les traces

EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE.
411
entre Saint-George et Landsitz; les autres, avec plus de probabilité, le
regardent comme identique avec le Balaton. A la vérité, ce lac n'a été
desséché que pour une petite partie, mais on voit les traces de travaux
anciens et modernes; et comment un si grand lac aurait-il pu échapper
aux regards des anciens? car le lac Ulkea de Dion Cassius, l'Hiulkas de
Zozime, qu'on a voulu regarder comme répondant au Balaton, est dans
une autre position.
Les autres grands lacs se confondent avec les marais qui les entourent;
tel est, par exemple, le lac de Palicz ou Palitsch, près de Théresienstadt,
qui a, dit-on, jusqu'à 12 mèlres (6 toises) de profondeur, et dont le fond,
dur et solide, est sur une couche de sel alcalin, appelé par les chimistes
sous-carbonate de soude. Plusieurs lacs, qui sont indiqués sur les cartes
au milieu de la plaine, ne sont que des flaques d'eau, qui le plus souvent
sont à sec pendant les chaleurs de l'été.
La langue hongroise, qui a été obligée d'emprunter au turc un terme
pour désigner la mer, est riche en mots pour distinguer les diverses espèces
de marais; ceux dont les eaux se couvrent d'une souche flottante d'herbes
aquatiques s'appellent lap ; ceux dont le terrain boueux produit des roseaux
et des joncs sont nommés mostar. Les marais sont extrêmement étendus
dans la Hongrie, et particulièrement au milieu de la grande plaine, sur les
bords de la Theiss et du Danube, ainsi que dans les larges vallées où coulent
la Drave et la Save. On évalue la surface du terrain envahi par les marais à
300 lieues carrées, ce qui pourrait bien être au-dessous de la réalité. De
plus, comme les rives de plusieurs rivières sont extrêmement basses, il
arrive souvent, après les débordements, que certaines parties des pays de
plaines conservent pendant longtemps, même pour toujours, des eaux
croupissantes. Les Hongrois éclairés s'occupent sérieusement do diminuer
les marais de leur pays ; ce serait non-seulement le moyen de rendre à la
culture une immense quantité de terrains, mais encore de mettre les habi-
tants à l'abri des miasmes putrides auxquels ils se trouvent exposés dans
tant de lieux différents, où régnent le scorbut et les fièvres intermittentes.
Quoique ces influences malignes s'étendent sur un terrain d'environ
300 lieues carrées, il reste encore plus de 15,000 lieues carrées dans les
Etats hongrois, où le climat n'est pas plus insalubre qu'en France ou en
Allemagne.
Les fleuves appellent encore notre attention. Le Danube,. Donau en alle-
mand, Duna en hongrois, après la Volga le plus grand fleuve de l'Europe,
entre dans la Hongrie au bourg de Deven, à l'instant où il reçoit à sa

412
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
gauche la rivière de March ou Morava. Il présente au-dessous de Presbourg
un grand nombre d'îles, et se partage bientôt en trois bras principaux,
dont le plus considérable se dirige à l'est-sud-est. Les deux autres, après
avoir formé deux grandes îles, se réunissent au bras principal : l'un
au-dessous de Raab, après avoir reçu du sud les rivières de Laita et
de Baab; l'autre à Comorn, après avoir reçu la rivière de Vag, qui,
dans un cours de 36 milles, forme plus de cent tourbillons. A partir de
Raab, le fleuve coule directement à l'est, et son cours semble se resserrer
à l'approche des montagnes entre lesquelles il passe au-dessous de Gran,
après avoir reçu à sa gauche les eaux des rivières de Gran et d'Ipoly.
Après quelques sinuosités entre les rochers, il atteint la petite ville de
Waizen, où tout à coup il se détourne au sud, en longeant le pied des col-
lines de Saint-André et de Bude ; sa pente, depuis Ingolstadt jusqu'à Bude,
est de près de 3 mètres ·, son changement brusque de direction paraît déter-
miné par les collines dépendantes du mont Czerhatz et par le niveau de la
grande plaine, incliné davantage à l'ouest. A peine le Danube est-il entré
dans les plaines de la Hongrie, qu'il commence de nouveau à s'étendre et
à former des îles considérables ·, ses eaux paisibles n'ont pas un demi-mètre
de pente par lieue; ses bords deviennent extrêmement marécageux, surtout
dans la partie méridionale du comitat de Pesth, et dans les comitats de
Bacs et de Tolna, vers l'embouchure de la Drave, qu'il reçoit à la droite.
Sa direction au sud se continue jusqu'aux limites de l'Esclavonie, où les
premières collines de la Fruska-Gora suffisent pour retarder sa réunion
avec la Save. Le fleuve reprend son cours vers l'orient, et, longeant ce
petit groupe de montagnes, il se détourne encore au sud-est pendant quel-
que temps, reçoit la Theiss, puis la Save à Belgrade, le Témsch à Pant-
schova, et roule alors ses eaux plus rapides au pied des montagnes de la
Servie. Bientôt son lit se resserre, et ses flots impétueux se pressent ; il
s'échappe entre les montagnes du Bannat et celles de la Servie par des
gorges très-profondes, qu'il semblerait lui-même avoir creusées. Enfin, à
Neu-Orsova, il sort des Etats hongrois; et plus tard, ayant franchi les
digues qui semblaient s'opposer à son passage, il s'étend de nouveau dans
les vastes plaines de la Valachie et de la Moldavie, où ses eaux s'unissent
enfin à la mer Noire.
La Theiss, Tisza en hongrois, est, après le Danube, la rivière la plus
considérable de la Hongrie. Elle se forme, à l'extrême limite du Marmaros
et de la Bukowine, par la réunion de la Theiss Blanche et de la Theiss-
Noire, qui descendent du versant occidental des Karpathes : la première du

EUROPE. —ROYAUME DE HONGRIE.
413
mont Pietros, et la seconde du mont Csorna. Elle traverse les vastes marais
des comitnts de Szathmar et de Szabolcs, et après un circuit considérable,
tourne tout-à-fait au sud dans les vastes plaines de la Hongrie, à travers
lesquelles elle coule jusqu'au Danube, où elle se jette entre Semlin et
Peterwardein. Cette rivière reçoit dans son cours presque toutes les eaux
de la Transylvanie et la plus grande partie de celles des montagnes sep-
tentrionales de la Hongrie. Parmi celles que la Theiss reçoit de la Tran-
sylvanie, nous remarquerons d'abord le Szamos qui présente deux branches,
dont la plus grande vient des montagnes les plus orientales de la princi-
pauté, et ensuite le Körös ou Kœrœs, dont les différentes branches nais-
sent au milieu des montagnes qui forment les limites du comitat de Bihar
et de la Transylvanie-, on en distingue trois sous les noms de Kœrœs
rapide, de Kœrœs noir, et de Kœrœs blanc ; il résulte de leur réunion une
rivière assez forte, qui va porter à la Theiss, vis-à-vis de Csongrad, la plus
grande partie des eaux rassemblées sur les pentes occidentales des pre-
mières montagnes de Transylvanie. Tout le terrain que traversent les trois
Kœrœs est extrêmement marécageux; on évalue à 28,089 hectares la quan-
tité de terrain usurpé seulement par le Kœrœs rapide, et à 35,750 hectares la
quantité des terrains fangeux qui sont inondes de temps à autre. Le Maros
ou Marosch (Muresohul en valaque), qui est encore une des grandes rivières
de Hongrie, prend sa source au fond do la Transylvanie, au mont Magos,
dans les hautes montagnes du siége Csik ; elle reçoit l'Aranyos, venant
par un circuit des montagnes occidentales de la Transylvanie, et les deux
Kukullo, (Kuchel, en allemand, Tœrnava en valaque), qui prennent au
contraire leurs sources dans les parties orientales de la principauté. Le
Maros aboutit à la Theiss vis-à-vis Szegedin. Parmi les rivières que la
Theiss reçoit des montagnes du nord de la Hongrie, on distingue le Bodrog,
qui lui apporte, au-dessous de Tokay, toutes les eaux des comitats de
Zceplin, de Unghvar et de Béregh ; le Hernath, qui, prenant sa source
dans le comitat de Zips, reçoit par la Tarcza les eaux du comitat de Saros,
et par le Sajo toutes celles des environs de Gömor et de Torna; enfin, les
petites rivières d'Eger, de Zagyra, etc., qui portent à la Theiss les eaux
des montagnes de Matra, de Czerhatz, etc.
C'est ainsi qu'au milieu des plaines de la Hongrie la Theiss roule une
masse d'eau considérable, et la Injonction du Maros, près Szegedin, n'a pas
moins de 200 mètres de large. Les Hongrois disent qu'il y a dans la Theiss
autant de poissons que d'eau. Comme la Theiss, le Maros, le Koros, le
Szamos, le Bodrog, sont navigables dans une grande partie de leur cours,

414
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
on devrait s'attendre à les voir animés par un commerce actif ; mais les
rives trop bassos, et bordées de marais impraticables, empêchent souvent
la communication d'un endroit à l'autre. On ne remonte pas la Theiss au-
dessus de Szegedin, quoiqu'elle porte bateau à Szigeth, et cette rivière ne
sert guère que de communication avec l'intérieur de la Transylvanie, au
moyen du Maros, qui est navigable jusqu'à Karlsbourg. Cette plaine basse,
mais solide, sépare la Theiss du Danube; on la coupe par le canal Fran-
çois, long de 14 milles allemands, et navigué par 1,100 bateaux.
La Save, Szava en illyrien, Szava-vize en hongrois, Sau en allemand,
qui forme en partie la limite méridionale des États hongrois, vient des
montagnes de la Carniole, à travers la Styrie, et entre dans la Hongrie
près de Zagrab; elle reçoit la Kulpa, l'Unna, le Verbas, la Bosna et la
Drina ; elle coule sur un lit d'argile mêlée de sable et de grès; sa pente
est peu considérable, aussi déborde-t-elle fréquemment et couvre-t-eIle
alors toutes les plaines basses qui l'avoisinent, où elle laisse souvent des
eaux stagnantes pendant la plus grande partie de l'année. On l'a encaissée
par des digues dans un assez grand nombre d'endroits; mais il arrive
souvent que ces travaux sont emportés par la violence des eaux. Cette
rivière, de 110 lieues de longueur, qui est navigable dans la plus grande
partie de son cours, est la voie ordinaire de l'exportation des grains et
des tabacs dans la Dalmatie et l'Italie. Les bateaux remontent jusqu'à
Sziszek, d'où ils se dirigent par la Kulpa jusqu'à Carlstadt; de là les char-
gements sont transportés par terre.
La Drave, en allemand Drau, qui sous le nom primitif de Drage, prend
sa source dans le Tyrol, se porte directement au sud-est pour se jeter dans
le Danube au-dessous d'Eszek. Cette rivière forme la limite naturelle entre
la Hongrie et les deux provinces de Croatie et d'Esclavonie; elle a 160 lieues
de longueur ; le principal cours d'eau qu'elle reçoit est la Mur, venant
de la Styrie. A partir de Legrad, le cours de la Drave commence à se
ralentir, et, arrivée.dans l'Esclavonie, où sa pente est encore moins con-
sidérable, celte rivière se répand fréquemment dans les terres, et y laisse
beaucoup d'eaux stagnantes, surtout vers son embouchure. Elle commence
à être navigable à Villach; le grand nombre d'arbres qu'elle a entraînés
dans sa course en rend la navigation très-dangereuse.
Une seule petite rivière, mais cependant navigable, refuse au Danube
le tribut de ses eaux; c'est le Poprad, qui prend sa source au pied méri-
dional des montagnes de Tatra, dans le comitat de Zips; elle tourne subi-
tement au nord pour se jeter dans le Dunajec, dont les sources se trouvent,

EUROPE.— ROYAUME DE HONGRIE.
415
en Galicie, sur la pente septentrionale du Tatra, et qui va bientôt lui-
même, après un cours de 34 lieues, grossir la Vistule.
L'Aluta, ou l'Alt, se distingue aussi par un cours singulier : née dans
les montagnes orientales de la Transylvanie, les Nagy-Hagyrnas, elle
traverse du nord au sud une vallée alpine, revient sur elle-même au nord,
vers les limites du district de Cronstadt, coule ensuite à l'ouest, et enfin,
arrivée dans le district d'Hermanstadt, se courbe subitement au sud pour
s'échapper au passage de la Tour-Rouge, traverser la Valachie, et se
jeter dans le Danube près de Nikopoli, après un cours de 90 lieues.
Le climat de la Hongrie varie surtout d'après l'élévation du sol. Le
Tatra seul garde des neiges éternelles-, mais sur plusieurs autres mon-
tagnes, même dans la Transylvanie, les neiges restent encore au mois
de juillet. Le nord de la Hongrie, moins rempli de montagnes élevées,
participe pourtant au climat froid des deux hauts massifs qui l'avoisinent.
Dans les comitats d'Arva, de Liptau et de Zips, au nord-ouest, et dans
le Marmaros, au nord est, l'hiver étale toutes ses rigueurs pendant six
mois de l'année; la neige tombe quelquefois en septembre, et ne fond
souvent que dans les premiers jours de juin ; les grains y fleurissent à
peine vers le 20 juin, où ils sont mûrs dans la plaine. Le climat s'adoucit
à mesure que les montagnes s'abaissent. Une ligne courbe tirée de Neutra,
par le comitat de Honth, à Kaschau, nous paraît marquer la région où
les chênes, les hêtres, les arbres fruitiers et le blé commencent à pros-
pérer ; tandis qu'une autre ligne courbe tirée par Vacz, Gyongyos, Erlau,
Tokay, signale le climat le plus doux, le climat où la vigne atteint sa
perfection, et où les melons couvrent les champs sans que l'on éprouve
encore les brouillards et les ardeurs des plaines inférieures. Ces collines
heureuses s'élèvent généralement de 2 à 300 mèlres au-dessus du niveau
de la mer Noire1 ; elles forment comme le rivage verdoyant d'un golfe
de plaines. Les montagnes qui séparent la Transylvanie des plaines de
la Basse-Hongrie tempèrent considérablement l'air de toute celte province,
dont le milieu ne produit que des vins aigrelets, quoique le niveau ne
soit que de 220 mètres à Médiasch, et de 290 mètres à Schasbourg, au-
dessus de la mer Noire, et quoique la latitude soit de 2 degrés plus méri-
dionale que Tokay.
La plaine supérieure, garantie par la petite chaîne boisée des monts
Bakonie contre les chaleurs excessives, jouit d'une température heureuse,
et ses coteaux, parsemés de vignobles, sont un pays de santé comme de
i Cyöngyös, 155 mètres; Erlau, 180 ; Tokay, 118 ; mais c'est le sol des rues.

416
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
plaisir. Cependant les grandes îles du Danube, entre Presbourg et Comorn,
ainsi que le vaste marais de Wasen-Hansag, à l'est du lac Ferto, se cou-
vrent de brouillards nuisibles au blé. La plaine inférieure, ou la Hongrie
centrale et basse, présente des caractères climatériques tout-à-fait diffé-
rents : chaleur brûlante dans le jour, froid humide dans la nuit, exha-
laisons des terrains nitreux, miasmes putrides qui s'élèvent des marais,
brouillards comme sur un vaste lac, telles sont les qualités dominantes
de ce climat. On y ignore à peu près la neige, et l'habitant du milieu de
cette immense prairie, ne pouvant d'aucun côté apercevoir une mon-
tagne, s'étonne de voir le Danube amener des glaçons. Pendant les cha-
leurs de l'été, les landes de Kecskemet et de Debreczin sont le théâtre
de ce phénomène physique appelé mirage, et que les Hongrois nomment
Delibaba, ou la fée du Midi.
On a beaucoup exagéré l'insalubrité de ces régions basses ; mais elle
ne saurait être niée, et elle lient à des causes trop puissantes pour être
facilement diminuée. C'est sans doute en parlie à l'incurie des habitants
qu'il faut attribuer les épizooties et les maladies endémiques, si fréquentes
dans les parties basses de la Hongrie. Des eaux stagnantes y exhalent,
pendant les fortes chaleurs de l'été, les vapeurs les plus méphitiques et les
plus nuisibles à la santé des hommes. Mais comment une population plus
nombreuse et plus industrieuse ferait-elle pour absorber cette masse d'eau
qui descend de tous les pays environnants? Les Hongrois proprement dits
paraissent en souffrir moins que les Allemands et les Esclavons. Il faut
convenir, d'un autre côté, que les eaux salées nitralées, dans plusieurs
comtés, infectent tellement toutes les sources, qu'on ne peut obtenir quà
force de filtrations une eau tant soit peu propre aux besoins domestiques.
L'usage immodéré des viandes a été considéré par quelques anciens méde-
cins comme la cause de plusieurs maladies fréquentes dans ce pays, parti-
culièrement de celle connue sous le nom de charbon de Hongrie, ainsi
que du scorbut. Mais les savants modernes ont prouvé par de nombreuses
observations que la classe d'habitants la plus exposée à ces maladies est
celle des Valaques, qui, conformément aux préceptes de leur religion,
passent 238 jours de l'année sans manger de viande ; les femmes surtout,
qui vivent d'eau et de légumes, en meurent fréquemment.
Voyons maintenant quelles sont les productions aussi abondantes que
précieuses dont la Hongrie est enrichie par les mains de la nature. Un
ancien proverbe hongrois dit que Neusohl est ceint de murs de cuivre,
Schemnitz de murs d'argent, et Kremnitz de murs d'or. Les métaux de

EUROPE.—ROYAUME DE HONGRIE.
417
toute espèce, à l'exception de l'étain, se trouvent dans les montagnes kar-
pathiennes; les mines d'or de Schemnitz et de Kremnits ont cependant
beaucoup perdu de leur ancienne richesse; on n'y trouve aujourd'hui que
peu d'or massif, et le quintal de minerai ne contient que 2 ou 3 drachmes
de ce métal. Le produit annuel monte de 2 à 3,000 marcs d'or, et de 80 à
90,000 marcs d'argent. La mine la plus profonde de Schemnitz,est de
600 mètres au-dessous du sol : néanmoins elle est encore à 320 mètres
au-dessus de la surface de la mer. Les mines de Felso et de Nagy-Banya,
dans le comitat de Szathmar, sont assez productives. On trouve de l'or pur
sur le mont Ponor, dans le comitat de Bihar. Mais l'or de Botza, dans le
comitat de Liptau, qui se trouve mêlé avec l'argent dans du schiste gris,
est regardé comme le plus lin de la Hongrie, et en général de toute l'Eu-
rope. Toutes les rivières de la Transylvanie charrient de l'or; mais
YAranyos est celle qui en porte les plus grandes paillettes. Parmi les
40 mines de ce pays, les unes se trouvent dans les montagnes de grès de
Véraespatax, les autres dans la roche arnphibolique de Fazebay ; celle de
Nagy-ag offre un minerai singulièrement riche, dans lequel M. Kitaibel a
le premier découvert le métal nommé tellure. Le lavage d'or dans la Drave,
aux confins de la Croatie, de la Hongrie et de la Styrie, donne 1 ,800 marcs
par an ; dans le comitat de Temesch, qui fait partie du Bannat, on retire
des rivières 12,000 marcs d'or. Plusieurs traces d'anciennes exploitations
semblent prouver que les Romains ont connu les trésors métalliques de la
Transylvanie et du Bannat de Temeswar, qui faisaient partie de la province
de Dacie. Observons cependant que beaucoup de ces mines sont aujour-
d'hui ou épuisées ou bien sont de très peu de rapports ; plusieurs ont été
abandonnées.
Le fer se trouve dans les comitats de Gömor, de Sohl, de Honth, de
Veszprim, de Zips, d'Abaujvar, dans le Bannat de Temesvar, dans la
Transylvanie, à Wagda, Hunyad, Donsatra et autres endroits. Le produit
annuel s'élève à 3 ou 400,000 quintaux.
Le cuivre abonde surtout dans les mines de Neusohl, Herrengrund,
Rosenau, Schmölnitz, Gölnitz, Dobkau, en Hongrie propre; à Dognaczscha
et Deutsch-Orawitz, dans le Bannat de Temesvar; à Deva, Wesel et
Guraszada, en Transylvanie. La Hongrie seule produit annuellement
38,000 quintaux de cuivre d'une qualité supérieure; la Sibérie est le seul
pays de l'ancien continent qui ait une plus grande abondance de ce métal.
Le plomb, le mercure natif, l'antimoine, l'orpiment, ou sulfure d'ar-
senic, le cinabre, ou sulfure de mercure, le soufre, le sulfate de cuivre et
VII.
63

418
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
de zinc, l'alun, méritent encore d'être cités parmi les minéraux de la
Hongrie. Le produit n'en est pas si considérable que celui des mines d'or,
d'argent et de cuivre ; néanmoins elles seraient remarquées et vantées dans
bien d'autres pays. On y exploite plus de 24,000 quintaux de plomb. La
seule mine de Zlatna, en Transylvanie, donne 760 quintaux de mercure;
les exploitations d'antimoine produisent 5,200 quintaux. Dans les envi-
rons de Debreczin et de Grosswardein, l'alcali minéral, ou le natron, se
trouve en une efflorescence légère sur des terrains sablonneux; quelque-
fois le lac Kis-Maria en est couvert. Le produit annuel en est estimé à
10,000 quintaux.
Une production bien plus importante, c'est le sel, soit fossile, soit de
source. Les immenses dépôts de sel minéral accompagnent principa-
lement les dépôts de sédiment supérieur, et semblent, comme ceux-ci,
avoir été couverts par les eaux de la mer. Dans cette région où, pour ainsi
dire, chaque rocher est un bloc de sel,'on voit passer à côté de ces masses
salines des ruisseaux limpides dont les eaux n'ont aucun goût saumâtre ;
mais descendu dans la plaine, on rencontre à chaque pas des sources sau-
mâtres et même très-salées qui jaillissent au pied des collines. Le sel de
roche et de source se trouve en quantité étonnante, surtout en Transyl-
vanie, à Torda, Vizaka, Kolos, Szek, Dées, et plus encore à Parajd. Il y a
dans cette province 6 mines de sel, 25 endroits où il s'en trouve des indices,
et 120 puits salés. La production annuelle monte à plus d'un million de
quintaux. Rhonaszek dans le comitat de Marmaros, mérite le premier rang
parmi les salines de la Hongrie propre. Celles de Nagy-Bosca, de Szlatina
et autres en sont voisines. Cette province seule produit environ 600,000
quintaux par an. Le gouvernement retire un immense profit de cette pro-
priété. Quelques-uns l'évaluent à 10 millions de florins.
La Hongrie ne manque pas de ces rochers et de ces pierres que recher-
chent l'industrie, le luxe des arts et la curiosité des amateurs. On trouve
dans le Bannat une sorte de pouzzolane qui sert aux mêmes usages que
celle de l'Italie, des pierres ponces qui offrent tous les caractères et le
degré d'utilité de celles des îles volcaniques de la Méditerranée; du marbre
de différentes qualités, surtout du rouge, à Grosswardein et à Dotis;
d'autre dans le comitat de Krasso, qui rivalise avec celui de Carrare ; de
l'albâtre, de l'aimant, de l'asbeste fibreuse verte, à Dobschau ; du cristal
de roche à double pyramide hexagone, qu'on vend pour des diamants; de
l'aventurine, des calcédoines, des jaspes, des grenats ordinaires qui sont
contenus dans la mine de cuivre à Dognaczka; dans le Bannat, des opales

EUROPE,—ROYAUME DE HONGRIE.
419
nobles, soit irisées, soit couleur de topaze jaune, à Czerwenica, près
Kaschau, seule mine en Europe ·, de prétendues topazes enfumées, des
améthystes, des bois opalisés et du bois bitumineux à odeur de truffe.
Une richesse plus réelle , c'est la houille ; elle ne paraît pas abondante;
cependant une houillère près OEdenbourg a fourni, en 1806, près de
300,000 quintaux.
La Hongrie est riche en sources minérales. Nous en pourrions citer un
grand nombre, en ne nous arrêtant qu'aux plus importantes. Dans le
comitat de Saros, les eaux de Bartfeld ou de Tapoly sont situées à un
quart de lieue .de cette ville dans une vallée arrosée par la rivière de
Tapoj. Trois sources y fournissent des eaux à boire et trois autres des eaux
thermales. Elles sont efficaces surtout dans les affections intestinales et
rhumatismales. Les eaux de Fured, dans le comitat de Szalad , se trou-
vent sur le Plattensée; elles sont la propriété du couvent de Tihany, et
sous tous les rapports elles remplacent les eaux de Spa. Les bains d'Her-
cule, au fond d'une étroite vallée traversée par la Czerna, jouissaient déjà
d'une grande réputation au temps des Romains, On y voit encore des
monuments des empereurs et de quelques sénateurs qui les ont fré-
quentés. On y distingue huit sources, toutes d'une température dif-
férente, mais si élevée qu'il est impossible d'y rester plus de dix minutes:
on dit qu'elles ont de 37 à 50 degrés du thermomètre centigrade. Elles
sont prescrites dans les affections rhumatismales et dans les fièvres inter-
mittentes. Le comitat d'Abaujvar possède les eaux de Keket, situées près
du village de ce nom, à quelques milles de Kaschau. Ces eaux ont été
longtemps négligées ; mais leur situation dans une contrée agréable a
déterminé la construction d'un établissement convenable sous tous les
rapports et très-fréquenté depuis que les médecins en crédit les recom-
mandent contre les toux opiniâtres, la goutte et les hémorroïdes. Les
eaux de Lublau, près de la ville de ce nom, sur la rive droite du
Poprad, ne sont avantageusement connues que depuis l'an 1808 : elles
peuvent remplacer celles de Pyrmont et de Spa. Les cinq bains de Bude
ou d'Ofen sont connus pour leurs vertus salutaires; ils n'ont que le seul
inconvénient d'être un peu éloignés de la ville. La source minérale de
Postyen, dans le village de Téplitz (1), sur la rive droite du Waag , dans
le comitat de Neutra, est à la température de 60 à 62 degrés centigrades :
on la recommande en boisson contre la paralysie, les crispations de nerfs
1 Ce nom vient du slavon teply (chaud) : il est probable que les autres Téplitz ou
Toeplitz ont la même étymologie.

420
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
et les obstructions. Les eaux de Szalatnya, dans le comitat de Honte,
sont an nombre des plus précieuses de l'Europe. Celles de Szkleno ,
entre Alstatht et Schemnitz, dans le comitat de Barse, comprennent six
sources dont la température est à 55 degrés centigrades. Elles sont très-
fréquenlées. Celles de Szobrantz, à deux milles d'Unghvar, sont célè-
bres par leur efficacité contre les affections scrofuleuses, la goutte et
d'autres maladies.
Le règne végétal n'offre ni moins de richesse ni moins de variété que le
régne minéral. Ici, ce sont les campagnes les plus riantes, où le froment, le
blé sarrasin, le millet, le riz, le mais, les arbres fruitiers, récompensent un
travail léger par une moisson immense; là, ce sont des vignobles qui pro-
duisent les meilleurs vins de toute l'Europe; plus loin, des pâturages
nourrissent des troupeaux aussi nombreux, aussi beaux que ceux de
l'Ukraine. Quoique l'économie rurale soit ici de beaucoup inférieure à
celle d'Allemagne, néanmoins l'extrême bonté du sol et l'influence
bienfaisante du climat, procurent aux Hongrois, presque sans travail,
toutes ces richesses qui rarement ailleurs se trouvent réunies. Aussi
toutes les provinces ne participent-elles pas également à ces bienfaits de
la nature; les contrées montagneuses du nord manquent même quelquefois
de grains, et on y est souvent forcé de manger, comme en Norwége et
en Ecosse, du pain d'avoine. On y cultive une variété particulière de
seigle, nommé ikrista, et qui est venue de Moravie. Il y a aussi des
plaines stériles dans le milieu, le long du Danube. Le comitat de
Bihar surpasse tout le reste pour les blés. Les provinces méridionales de
la Hongrie abondent surtout en une variété de maïs qu'on nomme kukurus
(koukourous) ou kukrutza, et qui a souvent des épis de 30 centimètres
de long. Les cinq plantations de riz qui existaient en 1802 dans le Ban-
nat ont eu le plus grand succès, et ont servi à répandre plus loin cette
culture, bien convenable aux parties marécageuses de la Hongrie.
C'est dans le comitat de Zemplin, dans le district de Tokay, près le
village de Tarczal, sur le mont Mézès-Malé (c'est-à-dire rayon de miel),
que croît le fameux vin de Tokay, regarde par les Hongrois comme un
nectar digne de la table des dieux. Ce vin, qui même dams son canton
natif est fort rare, doit ses excellentes qualités en partie au sol, qui n'est
qu'une poussière brune, douce, friable et légère, fermentant avec les
acides, et ressemblant à du basalte décomposé, et en partie au soin qu'on
a de recueillir d'avance les premiers raisins mûrs, de les sécher, et d'en
extraire une essence semblable au miel pour le goût et à la thériaque

EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE.
421
pour la vue. C'est en mêlant cette essence au vin ordinaire du canton
qu'on produit le véritable vin de Tokay, dont il y a deux sortes, l'une
appelée ausbruch , l'autre masklass ; le premier se vend par antals, le
second par barils qui contiennent deux antals : dans le masklass, il y a
deux fois autant de vin ordinaire, avec la même quantité de l'essence,
que dans l'ansbruch. Keresztur, Sator-Wihely, Tallya, Mada, Toltswa,
Sator-Allya, et autres vignobles voisins, fournissent tout le vin qui dans
le commerce porte le nom de Tokay. Ceux qui se prétendent doués au
plus haut degré de la science du gourmet, assurent que les vins de Tokay
propre, de Tarczal et de Mada, ont le plus de douceur, celui de Tallya le
plus de corps, et celui de Zombor le plus de force; ils ajoutent que ceux
de Szegi et Zsadany offrent le bouquet le plus exquis, et que le Toltswa
et le Benye petillent d'un feu plus vif que les autresl C'est aux soins du
roi Bela IV que la Hongrie doit ces précieux vignobles : il en fit venir
en 1241, les premiers plants, qui avaient été choisis parmi les meilleurs
de l'Italie et de la Grèce. Une espèce, qu'on nomme encore formint, des-
cend, dit-on, de ces fameuses collines de Formies qui, selon Horace,
fournissaient la table de Mécène ; d'autres plants ont été apportés de
Malvoisie, en Morée, par les Vénitiens. On prétend que les prélats du
concile de Trente, et le pape lui-même, ont reconnu la supériorité de
ces vins sur ceux d'Italie et de France. Il est certain que le savant Her-
mann Conring vantait déjà ces vins en 1576, quoiqu'il paraisse que leur
grande célébrité, et la meilleure méthode de les faire, ne datent que de
l'an 1650. Aujourd'hui le produit annuel de tout le canton est de 400,000
eimer ou 232,000 hectolitres. La principale consommation s'en fait à
Vienne et à Varsovie.
Outre ce vin fameux, la Hongrie en possède encore de très-bonnes
sortes. Celui de Menès égale presque le Tokay en feu et en arôme ; il rem-
place parfaitement le Malaga. Le vin de Rusth, sur le lac de Neusiedel,
doit, selon Busching, « brûler comme de l'alcool. » OEdenbourg, Wersitz
dans le Bannat, et les montagnes autour de Bude, donnent des vins qui,
selon les Hongrois, égalent le Bordeaux, tandis que ceux de Villany et de
Vagh-Ujhely seraient comparables aux meilleurs vins de Bourgogne. Il
paraît que les vins de Schiracs, Vashegy, Szerednye et Magyarad ont toute
la pétulance du champagne mousseux. Mais c'est dans la partie occiden-
tale de l'Esclavonie, connue sous le nom de Syrmie, qu'il faut chercher
les vins les plus spiritueux et les plus séduisants après celui de Tokay.
Le vin rouge de Syrmie égale le Monte-Pulciano. Le plus ancien vignoble

422
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
est celui du mont Alma ; les premiers plants furent mis en terre par l'em-
pereur Probus, l'an 270. Mais ni les vins d'Esclavonie, ni ceux de Croatie,
ne supportent le transport; ceux de la Transylvanie le supporteraient,
mais ne le valent guère. La Hongrie propre renferme plus de 911,000
arpents de vignobles qui, année commune, donnent 18,230,000 eimer
(10,318,180 hectolitres) de vin.
Le lin et le chanvre viennent surtout dans le Bannat, dans les comitats
d'Arva, d'Eisenbourg, de Zips et de Saros. Le pastel et la garance sont
cultivés dans le comitat de Borsod, près d'Apatin, et dans le Bannat. Les
melons et les arbouses à chair rouge, les pruniers, les cerisiers à fruit gros
et excellent, enrichissent toutes les tables. On exporte près de 200,000
quintaux de tabac. Les Safraniczi, ou cultivateurs du safran, sont des
paysans du nord de la Hongrie-, on y a de très-bonnes noix de galle.
La Hongrie n'est pas riche en bois; elle ne renferme des forêts, d'ail-
leurs peu considérables, que vers le nord et l'ouest, ainsi que dans la
Transylvanie. La grande plaine où les fleuves du pays se réunissent,
manque d'arbres; les habitants de cette partie sont obligés d'employer,
pour se chauffer, des roseaux, de la paille et d'autres combustibles sem-
blables. La forêt de Bakony, la plus considérable parmi celles de la Hon-
grie, est remplie de chênes de la plus grande beauté ; il y en a qui sont
presque aussi droits et aussi hauts que les sapins. Les monts Karpathiens
sont couverts de pinus pumilio, appelés ici krumholz, et dont on tire un suc
connu sous le nom de baume de Hongrie. Parmi les arbres qui fournissent
du joli bois de menuiserie, on distingue l'if et le coudrier de Byzance ; on
y trouve aussi le tilleul blanc, qu'on croyait n'appartenir qu'à l'Amérique.
Toute la Hongrie renferme environ 4,500,000 hectares de bois de haute
futaie.
Le bétail à cornes est de la plus forte race ; il a le poil et les cornes d'une
longueur extraordinaire ; il se distingue encore par sa couleur grise. Les
troupeaux les plus nombreux paissent dans les grandes plaines, entre
Debreczin, Gyula, Temesvar et Pesth ; mais les bœufs que nourrit la Tran-
sylvanie sur ses collines verdoyantes ont la chair plus délicate. On trouva,
en 1786, que le nombre des bœufs de la Hongrie était de 2,394,000; on
croit qu'il a diminué. On en conduit tous les ans 150,000 têtes en Autriche
et en Italie. La Hongrie renferme environ 700,000 hectares de prairies
qui donnent par an 17,000,000 de quintaux de foin et 300,000 hectares
de pâturages.
Mais à côté des prairies que la nature elle-même revêt de la verdure la

EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE.
423
plus riante, l'indolent Hongrois laisse de vastes communaux en proie aux
eaux stagnantes et aux mauvaises herbes. C'est là qu'il envoie paître ses
moutons et ses chevaux.
Le mouton indigène de Hongrie est d'une espèce particulière; c'est
Yovis strepsiceros L. Ce mouton se distingue par sa grande taille et ses
cornes tournées en spirale ·, sa laine est courte et grossière. Du croisement
de cette race indigène avec les moutons de Turquie, il est résulté une
variété répandue dans le midi de la Hongrie, et dont la peau, garnie.de sa
laine, fournit une jolie pelisse. Dans la Hongrie occidentale, et surtout dans
le comitat de Raab, on a introduit des moutons d'Espagne, dont la laine
se vend 120 florins, tandis que la laine ordinaire n'en vaut que 40. On
s'occupe beaucoup depuis plusieurs années d'améliorer la laine des mou-
tons ; mais les troupeaux passent une grande partie de l'année en plein air,
usage qui leur est souvent préjudiciable.
Les chevaux des seigneurs sont beaux et légers, mais petits. Les grands
propriétaires commencent aussi depuis quelques années à en améliorer la
race : il en est un assez grand nombre qui ont des haras particuliers dans
leurs terres. Le haras royal, près de Mézohegyes, dans le comitat de
Csanad, renferme toujours environ 10,000 étalons et cavales. Les Armé-
niens élèvent surtout de beaux chevaux. Les paysans hongrois en ont
très peu et d'une mauvaise espèce. L'Autriche ne saurait remonter de ses
propres moyens sa grosse cavalerie. Les grands seigneurs se servent des
chevaux napolitains pour la selle, et des holstenois ou danois pour l'at-
telage. On a des buffles, des mulets et des ânes, mais en petite quantité.
Les porcs se trouvent surtout dans le centre de la Hongrie, au nombre de
plusieurs millions : la plus grande partie de ces immenses troupeaux ont
été achetés maigres dans la Bosnie et la Servie : les paysans hongrois les
engraissent ; leur chair est une nourriture favorite dans le pays. Le porc
de Hongrie est de la variété commune ; mais celui de Servie, nommé mon-
goulitza, a le poil crépu. Les poules et les oies de la Hongrie occidentale
égalent en qualité celles de la Styrie et de la Bohême ; on en exporte beau-
coup sous le nom de ces deux pays : tant un nom peut donner de mérite,
même à des oies!
Aucune espèce de gibier ne manque ni dans la Hongrie ni dans les pays
annexés : cerfs, daims, chamois, marmottes, ours, loups, loutres, martres,
loup-cerviers, lemmings ou rats de montagnes, aigles et vautours, coqs
de bruyère, perdrix, gelinottes, francolins, bécasses, faisans, oies et
canards sauvages, outardes et pélicans : voilà les quadrupèdes et les

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LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
oiseaux les plus communs dans les forêts de la Hongrie. Rien n'égale la
profusion du poisson, soit dans les rivières, soit dans les innombrables lacs
et étangs. Le lac Balaton est le seul qui nourrisse le délicieux fagas ; on
estime beaucoup sa chair blanche et tendre; il atteint ordinairement
1 mètre 20 centim. de longueur. On peut se procurer l'esturgeon de la mer
Noire par le Danube et la Theiss, et les saumons délicieux de la Baltique
par la rivière de Poprad. On doit remarquer le huson, ou le grand estur-
geon du Danube, dont les œufs servent à faire le caviar. Les carpes étaient,
en 1798, en si grande abondance, qu'on en donna la centaine pour cinq
florins du Rhin, ce qui fait onze francs le cent, ou onze centimes la pièce ;
c'était de la meilleure espèce. La Hongrie fournit Vienne de tortues et de
grenouilles. On trouve dans quelques rivières des unio ou mulettes qui
produisent des perles.
Cette variété d'excellentes productions ferait de la Hongrie le plus beau
pays du monde, si la paresse des habitants et les défauts de l'administration
féodale n'y retardaient pas les progrès de la civilisation. La partie monta-
gneuse de la Hongrie pourrait égaler les plus beaux pays de la France
septentrionale , et la partie basse pourrait rivaliser avec la Lombardie ,
mais il faudrait, pour arriver à ce but, plus de population, plus de canaux,
plus d'industrie, moins de privilèges, et après tout, la prospérité du pays
dépendrait toujours de la domination du Danube, qui en est le seul
débouché naturel.
Parcourons maintenant les provinces, les villes et les lieux mémorables
des pays hongrois ou liés à la Hongrie ; mais afin d'éviter une sécheresse
fastidieuse, nous allons entrecouper la description des lieux par la peinture
des nations qui les habitent. Nous prendrons une marche entièrement
géographique en partant du centre, et en examinant successivement les
parties extérieures par masses, autant qu'il se peut, naturelles, et qui rap-
pellent pourtant les grandes divisions politiques, dont le détail est renvoyé
aux tableaux et aux cartes. Comme chaque endroit a deux noms au moins,
et quelquefois cinq, savoir, en hongrois, en latin-hongrois, en allemand,
en slavon et en valaque, nous devons, après toute nos précautions contre
l'ennui, demander l'indulgence de ceux qui n'aiment pas les nomencla-
tures.
Remarquons d'abord dans le centre Ofen, en hongrois Buda, en slavon
Budin, sur la rive droite du Danube, ville libre, royale, et ancienne capitale
de toute la Hongrie, qui après avoir longtemps vu Presbourg usurper la
première place, a recouvré ses droits, mais non pas toute son ancienne

EUROPE. - ROYAUME DE HONGRIE.
425
splendeur. Cette ville, qui passe pour avoir été la résidence d'Attila, VEt-
zelburg des saga's, tant allemandes que Scandinaves, doit, dit-on, son
nom hongrois à Buda, frère d'Attila. Quelques auteurs font dériver son
nom de celui de Budini, peuplade scythe dont parle Hérodote-, d'autres
pensent qu'il vient du mot slave Voda qui signifie eau, parce qu'il existe
plusieurs sources minérales dans les environs de cette ville, et que par la
même raison il a pu recevoir des Allemands lu dénomination de Bad, Bod
ou Bud, dans les différents patois germaniques, d'où les Esclavons auront
fait Budin, et que les Hongrois auront transformé en Bada, Boda ou
Buda. Quant au nom allemand de Ofen, on s'accorde à le faire dériver des
fours à chaux (Kalk Ofen) qui se trouvent dans ses environs. Celte ville
fut érigée en ville royale par le roi Bela IV et agrandie par Mathias. Elle a
été entre les mains des Turcs depuis 1529 jusqu'en 1686 ; elle porte encore
les traces des dévastations qu'elle a subies. Les bains chauds construits
par les Turcs méritent d'être vus.
Sur le plaleau d'une montagne isolée s'étend la plus grande partie de
la ville, appelée la ville haute, entourée de fortifications qui furent célèbres
pendant la guerre contre les Turcs. Tout autour s'étend la ville basse;
au nord le quartier appelé Christinastadt ou le quartier Christine, au sud
le Baisenstadt ou le quartier des Rasciens. En remontant le cours du
Danube on trouve le Fischerstadt et le Wasserstadt, comme on dirait le
quartier poissonnier et le quartier aquatique. La circonférence de toute
la ville est de deux lieues et demie. Le palais du vice-roi, construit dans le
style le plus moderne au milieu de la forteresse, domine la ville haute : il
est remarquable par son étendue et sa position magnifique. On remarque
encore le palais qui renferme l'ancien observatoire, et sur une montagne
voisine appelée Blocksberg, le nouvel observatoire dépendant de l'uni-
versité de Pesth. Outre cet établissement, on doit citer l'archigymnase
(archigymnasium), deux écoles principales (Hautptschulen), une école
de dessin, un collége pour les Illyriens, plusieurs maisons d'éducation
pour les jeunes personnes, ainsi que divers établissements de bienfaisance,
tels qu'un hôpital et un hospice d'orphelins. On y compte quatre couvents
et cinq églises dont les tours carrées se terminent par de petites coupoles.
Quatre d'entre celles-ci sont catholiques, et la cinquième est grecque.
Dans la belle saison, époque à laquelle la noblesse vit dans ses terres,
cette ville est fort triste; mais l'hiver elle est très-animée. Elle compte
environ 48,000 habitants.
Les eaux minérales d'Ofen jouissent d'une certaine célébrité. L'une des
VII.
54

426
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
promenades les plus fréquentées de ses environs est l'île Marguerite, ou du
Palatin, qui s'étend un peu plus haut au milieu du Danube; le premier
de ces noms lui vient d'un couvent qui n'existe plus, et dans lequel vécut
Marguerite, fille du roi Bela IV. Cette île, transformée en un charmant
jardin, a 1,000 pas de longueur sur 400 de largeur. Les vignes que l'on
cultive près de la ville produisent annuellement 150,000 eimer (87,000 hec-
tolitres) de vin. Le commerce de Bude consiste principalement dans la
vente de ses vins ; son industrie est peu digne de fixer l'attention : cepen-
dant nous devons dire qu'on y fabrique des soieries, des voitures, des
liqueurs et des cuirs vernis. Des vestiges de temples, de bains et d'aque-
ducs, que l'on a découverts dans la ville haute annoncent qu'Ofen remplace
une ville romaine que l'on croit être Sicambria.
On ne peut regarder Bude que comme la forteresse de Pesth, ville libre,
royale, située sur la rive gauche du Danube, et qui communique de l'une
à l'autre par un beau pont. Le nom slave de cette dernière est Pessi. Les
maisons de cette ville sont pour la plupart construites sur pilotis pour
éviter les effets des inondations du Danube, qui quelquefois s'élèvent,
comme en 1838, jusqu'à 9 mètres au-dessus du niveau ordinaire du
fleuve. On y trouve les tribunaux supérieurs de tout le royaume, les
bureaux du gouvernement, des rues larges, de belles maisons, quelques
palais de la noblesse, et de jolies promenades. Une magnifique place
entourée de beaux édifices borde son port. C'est dans ses murs que s'as-
semble ordinairement la diète de Hongrie, et que réside le surintendant
de la confession helvétique, qui comprend dans sa juridiction le cercle
en deçà du Danube. Pesth est une des plus grandes et des plus belles villes
du royaume. Le mouvement qui y règne contraste avec le silence qui dis-
tingue Bude. Elle est environnée de quatre beaux faubourgs remplis de
jardins agréables. Elle se divise en ancienne et nouvelle ville. Toutes les
deux se composent de rues assez régulières, mais la dernière est généra-
lement mieux bâtie. Les édifices qui s'y font le plus remarquer sont l'hôtel
des Invalides, ou la grande caserne, une autre caserne, appelée le nouveau
bâtiment (Neugebaude), le nouveau théâtre, l'un des plus grands de l'Eu-
rope, et les bâtiments de l'Université.
Le musée national mérite une mention toute particulière : on y remarque
la belle collection de manuscrits du conseiller Keler, toutes les richesses
que renfermaient les galeries de Sankowicz et que le gouvernement a
achetées 1,400,000 florins; un grand nombre de manuscrits des auteurs
classiques, entre autres un Tite-Live copié au douzième siècle, des chro-

EUROPE. - ROYAUME DE HONGRIE.
427
niques allemandes qui remontent jusqu'au huitième siècle; enfin, une col-
lection de poëtes hongrois qui commence par Janus Pannonius, et qui
consiste en 375 ouvrages en latin et 1,000 en hongrois. Parmi les objets
d'antiquité, on cite un Jupiter-Sérapis, haut de 44 centimètres, taillé dans
une agate onyx.
Pesth possède aussi un grand nombre d'écoles primaires et secondaires ;
plus de 4,000 enfants y reçoivent l'instruction. Elle offre un assemblage
de plusieurs cultes et de diverses nations: on y entend parler hongrois,
latin, allemand, slave et grec. Dans le quartier de Josephstadt, c'est le
slowaque qui règne ; les Rasciens y conservent aussi leur idiome. Dans
l'église gréco-valaque, on célèbre le culte alternativement en grec et en
valaque; les juifs, au nombre de 7 à 8,000, y ont 2 synagogues; les
catholiques, que l'on porte à 65,000, y possèdent 4 églises; les protes-
tants, évalués à 6,000, y ont 2 temples, et les Grecs, au nombre de 2,500,
2 églises. Pesth est, après Vienne, la ville la plus commerçante des bords
du Danube; il s'y tient quatre foires-, pendant la durée de l'une, qui est
de quinze jours, 43 à 14,000 charrettes passent à l'octroi. Cette capitale
est aujourd'hui unie à Vienne par une ligne de chemin de fer qui suit la
rive gauche du Danube. Cette ligne se soude à Ganserndorf, près de
Wagram (archiduché d'Autriche), au chemin de fer de Vienne à Prague et
à Berlin ; passe à Presbourg, Diòszeg, Köbëlkut, Waitzen, Dunakész et
Pesth, d'où elle se dirige, à l'est, vers Debreczin. Pesth possède aussi quel-
ques manufactures, mais elle manque de fortifications. Les Hongrois l'ap-
pellent leur Vienne, et même leur Londres. La population de Pesth est de
87,000 habitants; réunie à celle de Bude, elle forme un ensemble de plus
de 135,000 individus, nombre qui rappelle la population des capitales du
second ordre. La fameuse plaine de Rokasch est à quelques lieues de
Pesth. C'est là que la nation hongroise s'assemblait pour élire ses rois.
Quelquefois on y vit 80,000 tentes, sous lesquelles campait toute la
noblesse du royaume.
Aux environs de ces villes centrales, en montant au nord, nous voyons
Vacs, en allemand Waizen, que l'on prononce Vaitzen, station du chemin
de fer hongrois, ville bien peuplée, sur le Danube, vis-à-vis l'ile fertile de
Saint-André : elle est la résidence d'un évêque ; elle possède un séminaire,
un collége de piaristes, un gymnase et un établissement militaire, appelé
Ludovizeum, destiné à former des officiers. Sa magnifique cathédrale,
construite sur le modèle de Saint-Pierre de Rome, est une des plus belles
églises de la Hongrie, Waizen fait un commerce considérable en céréales,

428
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
en vins et en bestiaux. Godollo, en slave Gedelow, avec un superbe palais
du prince Grassalkowitz, est un bourg de 18,000 habitants, où l'on fait un
commerce assez important du miel qu'on recueille dans ses environs. A
Vissegrad, où l'on voit les restes d'une muraille crénelée, il y avait un
château royal habité par le grand Mathias Corvin, dans une magnifique
exposition, mais aujourd'hui tombé en ruines. Gran, ville royale et libre,
chef-lieu de comitat, près du confluent du Gran et du Danube, que l'on
y traverse sur un pont volant, est le siége d'unarchevêché catholique;
mais le titulaire, primat de Hongrie, ne l'habite plus-, elle est la résidence
d'un évêque grec-uni. Cette ville est riche en noms; elle s'appelle Eszter-
gom en hongrois, Ostrihom en slavon, et Strigonium en latin officiel. Elle
s'appuie à une colline où l'on voit les restes d'une ancienne forteresse qui
commandait le fleuve. Une belle église, bâtie sur le plan d'une croix
grecque, mais qui malheureusement n'est point achevée, couronne digne-
ment la colline. On remarque dans cette cité une autre église, le palais
de l'archevêque, un vaste séminaire, l'hôtel de ville, et la colonne de la
Trinité. Parmi ses établissements industriels, on ne pont citer qu'une
fabrique de draps. La station de Nana, située en face de la Ville et de l'autre
côté du Danube, la met en communication avec Vienne et Pesth.
Nous allons parcourir la partie nord du cercle cis-danubien de la pré-
tendue Hongrie-Inférieure, terme absurde, car nous voyons approcher les
montagnes. Aussi a-t-on tout à fait abandonné la division géographique
qui faisait appeler Haute-Hongrie toute la partie qui s'étend à l'est de la
Theiss, et liasse-Hongrie, celle qui occupe toute la région à l'ouest de
cette rivière. Fixons nos regards sur Presbourg, en hongrois Posony, en
slave Pressporek, une des plus belles villes de la Hongrie, et même long-
temps regardée comme sa capitale. Elle a perdu ce rang définitivement en
1790, bien que la diète s'y soit assemblée cinq ou six fois depuis cette
époque. Elle est sur une colline dont le sommet, élevé de 30 mètres au-
dessus du Danube, est couronné par un château, vaste édifice quadran-
gulaire flanqué d'une tour carrée à chaque angle, et qui tombe en ruines.
Au bas de la ville le fleuve se partage en plusieurs bras. De l'autre côté du
fleuve s'étend une agréable promenade où toute la haute société se ras-
semble. Les fortifications qui séparaient Presbourg de ses faubourgs
n'existent plus; ceux-ci sont plus beaux que la ville, les rues en sont plus
larges et les maisons mieux bâties; les faubourgs renferment plusieurs
jolies places publiques, tandis que la ville n'en a que deux, dont la plus
grande est ornée d'une fontaine et la plus petite d'une fontaine et d'une

EUROPE.— ROYAUME DE HONGRIE.
429
colonne érigée par Léopold Ier en l'honneur de la Vierge. La cathédrale,
surmontée d'un haut clocher, est d'une belle architecture ogivale. C'est
dans cette église que les rois de Hongrie se faisaient autrefois couronner.
Presbourg possède une bibliothèque publique, un institut pour la littéra-
ture slave, un archigymnase, un séminaire et le principal gymnase luthé-
rien de la Hongrie. Elle a aussi une académie des sciences. Le commerce
sur le Danube, le transit sur le chemin de fer de Vienne à Pesth, dont elle
est la plus importante station ; quelques manufactures de lainages, de
soieries, de tabac et des tanneries, concourent à animer cette ville peuplée
de 40,000 individus, dont environ 32,000 appartiennent au culte catho-
lique, 5,500 à la confession d'Augsbourg, plus de 2,000 au culte Israé-
lite, et quelques centaines au rite grec. On croit que Presbourg a été fondé
par les Iazyges, longtemps avant la domination romaine. La Colline royale
(Königsberg) mérite d'être remarquée : c'est une sorte de tribune en pierre
garnie d'une balustrade, au sommet de laquelle chaque roi de Hongrie,
après son couronnement, montait en grand costume et à cheval en bran-
dissant l'épée de saint Etienne vers les quatre points cardinaux, pour indi-
quer qu'il défendrait le royaume contre tous ses ennemis.
Les plaines et les collines des environs de Presbourg sont fertiles en blé
et en vins-, les pâturages nourrissent de beaux bestiaux et une race de
béliers remarquable par sa grosseur et la beauté de ses cornes.
Au sud de Presbourg s'étend la grande île de Schütt, en hongrois
Czaòllköz, fertile en fruits et en herbages, mais exposée à des brouillards
qui détruisent le blé, et dont les habitants sont sujets aux goitres. Le dis-
trict appelé Szek-Vaika, « le siége de Vaika, » est un petit Etat à part, formé
d'une partie des domaines de l'archevêque de Gran ; les petits nobles qui les
tiennent en fief s'appellent prœdialistes, et vivent sous une administration
spéciale. Comorn, en hongrois Komarom ou Komorn, en slave Komarna,
ville antique de plus de 12,000 habitants, est située à l'extrémité orientale
de l'île, au confluent du Donau-Vaag, de la Neutra et du Danube; elle
appartient au cercle trans-danubien ; sa citadelle n'a jamais été prise : elle
passe pour une des plus fortes de l'Europe ; on y entretient une nombreuse
garnison. Charlemagne battit les Huns-Avares dans cette île. Quatre
églises, dont une dédiée à saint André, est assez belle; des quais spacieux,
des maisons d'une bonne apparence annoncent que l'aisance règne dans
cette ville.
Au nord de Presbourg, nous remarquons Tyrnau, en hongrois Nagy-
Szombath, ville manufacturière bien bâtie, et peuplée de 7,000 habitants.

430
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
On y remarque les vastes bâtiments de la maison des Invalides. Son prin-
cipal commerce est la vente des vins de Hongrie : on cite les vastes caves
d'une seule maison de commerce qui renferment ordinairement40 à 50,000
eimer de vins (22,640 à 28.300 hectolitres), et dans lesquelles se trouve
un tonneau qui contient 119,440 litres, c'est-à -dire beaucoup plus que le
fameux foudre d'Heidelberg. Cette ville est aujourd'hui unie au chemin
de fer de Presbourg par un embranchement qui est destiné à être continué
à travers les plaines septentrionales de la Hongrie. Modern, en hongrois
Modor, station du chemin de fer de Presbourg à Tyrnau, est une petite
ville qui a le titre de royale, et qui est le siége d'une surintendance de la
confession d'Augsbourg. Landsilz, ou Cseklesz, est un bourg qui ren-
ferme une manufacture d'indiennes, avec un magnifique château apparte-
nant aux comtes Esterhazy. Plus tard nous verrons Léopoldstad, ou Léo-
poldvara, petite forteresse située près de la rive droite de Waag, dans une
plaine marécageuse; Miava, bourg industrieux de 10,000 habitants, est
célèbre pour ses distilleries et surtout ses confitures. Postent/, ou Püschtin,
et Rajecz, bourg avec des sources chaudes, ainsi que le village appelé
Teplitz, et en slave Teplicz.
Entrons dans le pays des mines. Au fond d'un sombre vallon nous
découvrons Kremnitz, Komêrez-Banyaen hongrois, siége de la Chambre
royale des mines, avec un hôtel des monnaies. Ces établissements sont
dans les faubourgs : la ville n'est formée que d'une quarantaine de maisons
au milieu desquelles s'élève une église catholique. Mais Schemnitz, Sely-
mecz-Banya en hongrois, Sstavnica en slavon, est la première parmi les
villes de mines par sa population et l'activité du travail. Elle renferme
18,000 habitants. Bien qu'elle soit bâtie avec irrégularité, on y remarque
un grand nombre d'habitations propres et même élégantes, et quelques
belles églises. La célèbre école des mines de cette ville fut fondée par
Marie-Thérèse : on y a attache une chaire des sciences forestières.
Les mines de Schemnitz sont les plus importantes de l'Europe : elles
renferment de l'or, de l'argent, du plomb, du cuivre, du fer, du soufre et
de l'arsenic. On y a poussé les travaux jusqu'à la profondeur de plus de
300 mètres; des machines simples et ingénieuses y sont employées à
retirer les eaux. Leur produit a beaucoup diminué depuis plusieurs
années : cependant on l'évalue encore à la somme de 2 millions de florins.
Elles sont la propriété du gouvernement; mais tout propriétaire d'un ter-
rain peut y ouvrir une mine, sous la condition de vendre le métal au gou-
vernement à un prix établi. Nous devons citer encore d'autres lieux

EUROPE. —ROYAUME DE HONGRIE.
431
importants par leur richesse minérale
tel est le village d'Herrengrund,
en hongrois Urvolgy, situé à 5 lieues au nord de Kremnitz, où l'on exploite
annuellement environ 1,500 quintaux de cuivre et 600 marcs d'argent.
Nous citerons encore la ville de Neusohl, en hongrois Bestercze-Banya,
en slavon Banska-Bystrice, ville libre et royale, siége d'un évêehé suffra-
gant de l'archevêché de Gran, d'une surintendance de la confession
d'Augsbourg, d'une direction et d'un tribunal des mines ; renfermant un
vaste et vieux château et une belle église couverte en cuivre, et remplie
d'ornements précieux. On y fabrique des armes blanches et l'on exploite
dans ses environs un minerai de cuivre noir qui donne quelques onces
d'or par quintal. Altsohl, en hongrois Zolyom, en slavon Zwolen, à 3 ou
4 lieues de la précédente, paraît avoir eu jadis des mines en exploitation
dans son voisinage. Il en est de même de la petite ville de Königsberg,
que les Hongrois nomment Uj-Bania, et les Slovaques Nova-Banya ou
la Nouvelle-mine. Les mines que l'on exploitait dans ses environs ont été
comblées par des éboulements. Cette cité, qui jouit du double titre de
libre et de royale, mériterait à peine le rang de village en France.
Toute la population qui s'occupe des travaux de mines, quoiquo labo-
rieuse, sobre et religieuse, présente l'extérieur de la pauvreté et presque
de la misère. Le genre de leurs occupations et la rigueur du climat
excluent l'élégance des vêtements; la nature sombre et grande qui les
environne leur interdit les pensers joyeux, et au milieu de ces trésors
qui agitent le monde, leur indifférence et leur frugalité les rendent comme
étrangers à la terre. Mais comme leur regard étincelle d'un feu concentré
lorsqu'un voyageur s'intéresse à leurs travaux! comme ils offrent avec
enthousiasme leurs services à celui qui veut descendre dans leurs galeries
souterraines!
Descendons vers les rives de la Neutra, affluent du Waag, nous y ver-
rons la petite ville de Neulra, chef-lieu d'un comitat du même nom. C'est
le siége d'un évêehé qui passe pour l'un des plus anciens de la Hon-
grie. Aux lisières du pays des mines, on trouve près de rive gauche
de la Rima, que l'on passe sur un beau pont, Rima-Szombath, en alle-
mand Gross-Steffetsdorff, en slave Rymawska-Sobola, bourg florissant
par ses manufactures, ses tanneries et ses fabriques de pipes ; Saint-Niklas,
en hongrois Szent-Miklos, où il y avait un beau collège de jésuites ; Saint-
Marlin, où l'on voit une assez belle église, et Skleno, autrement Glas-
hütte, avec des bains chauds très-fréquentés.
Les montagnes calcaires, dans les comtés de Thurocz, de Liptau et

432
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
d'Arva, renferment entre leurs bancs, très-vastes et horizontaux, d'im-
menses creux qui forment des cavernes nombreuses. Les plus célèbres sont
celles de Drachenhœhle, près Demanova ou Demeny-Falva ; elles ren-
ferment des ossements d'animaux gigantesques. La plus riche en ce genre
de curiosités s'appelle la Caverne du Dragon. On prétend aussi avoir
trouvé des ossements dans celle qui se nomme Okno. Dans le comilat de
Gomor, le village d'Agtelek donne son nom à une caverne que l'on nomme
aussi Boradla, et qui est célèbre dans le pays par son étendue et les stalactites
qu'elle renferme : elle est traversée, dit-on, par une rivière souterraine.
La grotte de Szilicza ou Szililze est remplie de glace. Les eaux souterraines
ont formé dans celle qu'on surnomme czierna (ou noire), des obélisques
de glace dont l'éclat contraste avec les sombres voûtes qui les couvrent.
En montant vers le Tatra, d'autres merveilles sont indiquées au voya-
geur. C'est un ruisseau « qui passe pour tirer du sang des pieds, » près
Trztina; objet bien moins effrayant que son nom, car c'est simplement un
cours d'eau brunâtre, où il y a quelque minéral dissous, et qui nuit à la
santé de ceux qui, pour faire les foins, marchent longtemps dans la froide
prairie qu'il arrose ; ce sont les rochers de Szulyo, qui enferment dans un
amphithéâtre taillé à pic un village solitaire du même nom ; ce sont les trois
lacs, vert, noir ci blanc, qui tirent ce nom des accidents de couleur pro-
duits en partie par la qualité de leur fond, en partie par le reflet des rochers
voisins. Le lac vert est en grande partie de couleur noire, mais des sources
jaillissant avec force d'un fond de sable blanc, y produisent en beaucoup
d'endroits une teinte verte.
Le lac de Palitsch, près de Theresienstadt, est un de ceux qui déposent
sur leurs bords du sous-carbonate de soude : ce qu'il est bon de faire
observer, c'est que la formation de ce lac, qui n'a pas moins de 4 à 5 lieues
de circonférence, ne date que de la fin du siècle dernier. Il attire une foule
innombrable d'oiseaux aquatiques. Les lacs de natron ou de ce sous-car-
bonate de soude qu'on a souvent confondu avec le salpêtre, se trouvent
dans les comitats de Bacs et de Pesth ; mais ils sont très-nombreux entre
Debreczin et Nagy-Varad, surtout dans les landes situées dans toute la
région de la haute Theiss. Les efflorescences salines qui se déposent au
bord de ces lacs, dont la plupart se dessèchent pendant l'été, leur ont fait
donner le nom de Lacs-Blancs, en hongrois Fejer-to. Elles se renouvellent
trois ou quatre jours après qu'elles ont été enlevées, en sorte que pendant
la belle saison on en ramasse des quantités considérables qu'on transporte
à Debrcczin, tant pour la fabrication du savon que pour l'exportation. On

EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE.
433
en livre ainsi annuellement au commerce plus de 10,000 quintaux, et l'on
pourrait en obtenir cinq ou six fois plus si les besoins l'exigeaient, parce
qu'on néglige l'exploitation de lacs très-riches, uniquement à cause de
leur éloignement. Tout le terrain qui les entoure est couvert de salicornia,
de salsola, et d'autres plantes des côtes maritimes, qu'on recueille aussi
pour en tirer le même sel par incinération.
Au milieu de ces scènes de la nature, nous passons sans nous en douter
dans le cercle en deçà de la Theiss, partie de la Hongrie supérieure; mais
continuons à noter les particularités remarquables. Les habitants, alle-
mands, de seize villes libres du comté de Zips, ou plutôt de seize bourgs,
méritent l'attention du philosophe. C'est probablement une colonie de la
Silésie allemande, appelée par le roi Geysa en même temps que celle de la
Transylvanie. Ils jouissent d'une haute réputation de probité et de persé-
vérance, mais ils redoutent la moindre innovation, et retiennent jusqu'aux
petites manières de leurs ancêtres; cependant, après de mûres réflexions,
les hommes ont adopté le pantalon hongrois, tandis que les femmes con-
servent rigoureusement la forme de leur bonnet. Leur démarche est grave,
leur conversation cérémonieuse ; mais ce cadre antique ne doit pas faire
dédaigner l'intéressant tableau qu'il renferme. Partout on travaille et on
prie; les familles sont aussi assidues à l'église qu'aux champs de lin; les
jeunes filles mettent des soins extrêmes à préparer ces matériaux, dont
leurs frères tirent un tissu solide et élégant. Chaque croisée, chaque petit
jardin étale des roses, des narcisses, des giroflées et des œillets, élevés par
le soin du beau sexe, qui se pare les dimanches de ces innocents atours.
Le nom de Szasz, ou saxon, qu'on donne en Hongrie aux Allemands de
Zips et de Transylvanie, est un nom générique de toutes les nations ger-
maniques. La colonie allemande de Zips a de grands rapports de dialecte et
de mœurs avec la partie montagnarde et industrielle do la Silésie, ce qui
n'exclut pas l'origine thuringienne ou rhénanique que l'on a voulu lui
assigner.
Neudorf, en hongrois Iglo, en slave Nowawes, est la plus riante des
seize villes privilégiées du comitat de Zips, et la plus importante sous le
rapport administratif, parce qu'elle est le siége des autorités du comitat,
d'un tribunal et d'une direction des mines. L'hôtel-de-ville y est assez
beau; on y trouve des fabriques et des blanchisseries de toiles, des pape-
teries, des scieries et des usines pour le cuivre et le fer que l'on exploite
dans ses environs. On y compte environ 5,500 catholiques et 2,500 luthé-
riens. Bela, sur la rive gauche du Poprad, est la plus gothique de ces
VII.
55

434
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
villes, qui, nous devons le dire, ne sont désignées que sous le titre de
bourgs par l'administration. Kesmark, bourg industrieux, surtout en fabri-
cation de toiles, est une station favorite des voyageurs. Le Siége des dix
lanciers, district privilégié, est un reste curieux des institutions féodales
de la Hongrie ; la noblesse qui l'habite devait fournir une garde de lanciers
attachés immédiatement à la personne du roi.
Descendons des Karpathes vers la plaine, par Epériès, Kaschau et
Erlau ; c'est la grande route de Pologne à Bude et Pesth. La ville royale
d'Epériès, en slavon Bressowa, peuplée de 8,000 âmes, est le siége d'une
cour de justice, d'un évêque grec-uni, suffragant de celui de Gran, et d'une
surintendance de la confession d'Augsbourg, dont la juridiction s'étend
sur tout le cercle en deçà de la Theiss ; elle a quelques fortifications, de
grands faubourgs; de beaux édifices, entre autres la cathédrale et l'hôtel-
de-ville ; un gymnase catholique, un collège académique luthérien qui jouit
d'une grande réputation, des fabriques de draps et de toiles. Près de
Sowar, ou Salzbourg, village de 4,000 habitants, à trois quarts de lieue
d'Epériès, il y a des salines très-importantes. Kaschau, en hongrois Kassa,
en slavon Kossice, ville libre royale, est regardée comme la capitale de la
Hongrie supérieure; elle a joué un rôle dans les guerres civiles. Elle pos-
sède une université fondée en 4 657, une cathédrale construite avec goût
et ornée d'un grand nombre de sculptures, un beau palais épiscopal, un
collège luthérien , un grand arsenal, un théâtre assez bien construit, des
bains d'eau minérale, des tanneries, des fabriques de tabac et de poteries, et
fait un commerce considérable en vins. On lui donne plus de 14,000 habi-
tants. L'air, qui y était malsain, a été corrigé par le desséchement des
marais. Dans les montagnes à l'ouest de cette route, on remarque Leut-
schau, en hongrois Locze, ville peu importante, mais connue pour son
hydromel. C'est dans son enceinte que fut établie la première imprimerie
hongroise ; on y voit un bel hôtel-de-ville et une superbe église. Schniœl-
nitz est un grand bourg, avec une des meilleures mines de cuivre de toute
la Hongrie; on y exploite aussi de l'or, de l'argent, du fer et du soufre.
Rosenau, en hongrois Rozsno-Banya, siége d'un évêehé suffragant d'Er-
lau, a de grandes blanchisseries de toile, une manufacture de draps, des
bains d'eau minérale, et, dans ses environs, de riches mines de cuivre et
de mercure. Enfin, Dobschau, ou Dobsina, dans une étroite vallée, ren-
ferme les principales usines et forges du comitat de Gomör.
Dans le pays des petites montagnes où nous arrivons eh quittant Kas-
chau, nous voyons, au milieu de vignobles estimés et de champs de melons,

EUROPE. —ROYAUME DE HONGRIE.
435
le populeux bourg de Miskolez, avec plus de 26,000 habitants, dont plu-
sieurs turcs-, celui de Gyongyös, non moins agréablement situé, avec
8,000 habitants-, puis Erlau, ville autrefois plus considérable, et qui
compte encore près de 18,000 habitants ; elle possède un grand collège
avec un observatoire astronomique. Depuis 1803, elle est le siége d'un
archevêché qui a pour suffragants les évêchés de Szathmar, de Rosenau,
de Zips et de Kaschau. Parmi ses édifices, on cite la cathédrale et l'arche-
vêché, mais surtout les bâtiments de l'université. Tous ces édifices, vus
des hauteurs voisines, donnent à la ville un aspect assez imposant. Son
commerce de vin et ses fabriques de draps la rendent florissante. Le voya-
geur anglais Townson, impatienté de n'avoir pu goûter dans son auberge
le fameux vin d'Erlau, a cru devoir dire beaucoup de mal des habitants, il
eût été de meilleure humeur s'il avait dîné à Fuorcontrasti, superbe châ-
teau de l'évêque d'Erlau, à une lieue de cette ville, qui, en hongrois, se
nomme Eger, en slavon Iayer, et en latin Agria. Sur les deux rives de
l'Eger, qui partage la ville en deux parties, il y a des eaux thermales dont
les bains, nommés épiscopaux, sont les plus fréquentés.
En repartant d'Erlau, dans la direction nord-ouest, nous passons le
gros bourg d'Uj-Hely, appelé généralement Satorallya-Ujhely, peuplé de
7 à 8,000 âmes, avec 300 celliers taillés dans le rocher, et le célèbre
Tokay, ou Tokai, dont le nom s'écrit aussi Tokaj, ou plus exactement
Najy-Tokaj. Ce bourg ne mériterait pas d'être cité, s'il n'était justement
célèbre par ses vins ; la Theiss, qui le borde, en facilitant son commerce, en
fait un séjour assez animé; on y remarque quelques maisons bien bâties;
les habitants ont généralement un air d'aisance qui tient à la fertilité du
pays. Sarospatak, bourg de 8,000 habitants, renferme un excellent collége.
Nous voilà dans les pays montagneux, sur la haute Theiss, premier
siége des Hongrois, lors de leur entrée dans le royaume. Le château fortifié
de Ung-Var est un des premiers établissements des Hongrois. Munkacs,
ou Munkalsch, citadelle plus forte, occupe un grand rocher porphyrique
isolé, et presque inaccessible; elle sert de prison d'Etat. La digne épouse
du patriote Tækæli (que nous nommons Tékéli) défendit cette citadelle
pendant trois ans contre les Autrichiens. La forteresse date de l'an 1360 :
le bourg de Munkacs renferme au delà de 5,000 âmes ; on y fabrique
beaucoup de bas ; les plus grandes salpétrières des Etats autrichiens y
sont établies. C'est à Podhering, à une petite lieue de Munkacs, qu'existe
une importante fabrique d'alun, où l'on traite le minerai qui s'exploite aux
environs de Bereghszask.

436
LIVRE CEINT SOIXANTE-HUITIÈME.
En passant dans le cercle au-delà de la Theiss, nous y distinguons le
bourg d'Huszth, avec un château fort sur un rocher à pic ; Szigeth, bourg
de près de 7,000 habitants, qui expédient le sel tiré des mines de Rho-
naszek ; Nagy-Karoly, avec 8,000 habitants, et les beaux jardins du comte
Karoly ; la ville royale de Nagy-Banya, c'est-à-dire grande mine, en alle-
mand Neustadt, avec 5,000 habitants, un hôtel des monnaies, un tribunal
des mines et d'autres établissements, et, près de cette ville, le bourg de
Felso-Banya, c'est-à dire mine haute, qui surpasse la ville en population ;
enfin, Szalhmar, ville entourée en partie de murs, faisant un commerce
actif do vins et ayant plus de 12,000 habitants. Le grand marais d'Ecsed
fournit en abondance de la soude : le bourg qui donne son nom à ce
marais possède un château, autrefois très-fort, où l'on conserva pendant
longtemps la couronne de Hongrie.
Nous nous arrêtons pour jeter un coup d'œil sur les nations qui peu-
plent toutes ces contrées de la Hongrie septentrionale. Les Magyars ou
Hongrois n'y sont pas nombreux-, ce sont les Slowaques ou Slovaques,
peuples slavons, anciens sujets du royaume de la grande Moravie, qui
habitent toute la partie nord-ouest, et qui s'étendent aussi le long de la
frontière septentrionale; ensuite les Rousniaques, frères de ceux de la
Russie-Rouge, qui dominent dans tout le nord-est. Les Magyars n'oc-
cupent que les lisières de la grande plaine, le pays des collines autour de
Presbourg, Erlau, Szalhmar, et ils ont aussi pénétré dans les montagnes
moyennes, vers Torna Gomör, Kaschau; il en reste dans les comitats
d'Unghvar, ou Ungh-var, et de Beregh. Jetons un coup d'œil sur les deux
nations dominantes, l'une et l'autre branches de la grande race slavonne.
Les Slovaques forment la population presque entière des comitats do
Neutra, de Trentschin, de Turocz, d'Arva, de Liptau, de Sohl, de Zips,
de Bars, de Saros ; ils en forment la moitié ou un grand tiers, dans ceux de
Presbourg, de Honth, de Néograd, de Gomôr, de Torn, d'Abaujvar, de
Zemplin ; ils s'étendent encore dans ceux de Gran et de Pesth, au sud, et
dans celui d'Unghvar, au nord-est. Ils sont plus actifs, plus industrieux
que les Hongrois; ils s'étendent successivement, et, de nos jours même,
il s'en est établi des colonies dans le pays plat et dans beaucoup d'endroits
où il n'en existait pas auparavant.
Les Slovaques sont en général d'une assez belle taille, et les habitants
des hautes montagnes, nommés Kopaniczares 1, se distinguent même par
des fermes gigantesques. Le tempérament sanguin des Slaves leur donne
1 De kaponica, labour fait avec la bêche. Ils sont pour la plupart protestants.

EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE.
437
une gaieté, une légèreté, une adresse qui en font le contraste completdes
Allemands; mais aussi la volupté les domine; ils n'ont ni la probité des
Allemands, ni la fierté des Hongrois, ni la bienveillante hospitalité de l'un
et de l'autre. La servitude les a flétris; leur langue, qui n'est cultivée que
depuis peu, leur fournit peu de moyens de civilisation intellectuelle; mais
leur aptitude pour les mathématiques appliquées, pour les arts mécaniques,
pour l'agriculture, les rend des sujets très-utiles ; leur industrie leur donne
de l'aisance; aussi les voit-on les jours de fêtes vêtus avec propreté, quel-
quefois même avec élégance. Des pantalons de drap, des bottines, un gilet
de drap sans manches, garni de très-gros boutons d'argent, en forme de
grelots ciselés et ouvragés à la surface, voilà ce qui compose leur habille-
ment d'été : le gilet ouvert et flottant par-devant laisse voir la chemise, qui
est brodée sur la poitrine, et quelquefois même sur les manches: une
ceinture de cuir sert à maintenir les habits autour du corps, et renferme
le briquet, l'amadou, la pipe et le sac à tabac; dans l'hiver, une grande
pelisse de drap ou de peau de mouton les garantit des rigueurs de la sai-
son. Quant à la coiffure, elle varie dans les différents lieux : souvent
nu-tête, les cheveux huilés et assez bien peignés, ils portent ici un large
chapeau rond, là une espèce de long tuyau de poêle sans rebord, de 50 cen-
timètres de hauteur; ailleurs, une simple calotte de feutre. Les femmes
s'annoncent de loin par le bruit que font leurs bottines à talons de cuivre,
et ornées de grelots ; elles portent un jupon de drap, et un corset sans
manches, ordinairement de couleur foncée; leur chemise, le plus souvent
brodée sur les manches, présente quelquefois une garniture en dentelle
grossière. Les jeunes filles sont en cheveux, réunis par-derrière en une
queue garnie de rubans de toutes couleurs qui flottent sur le dos. Les
femmes se coiffent avec une longue bande de toile, qui se place par le
milieu sur la tête, vient croiser sur le menton, et les deux bouts, après
avoir tourné en arrière du cou, reviennent tomber élégamment sur la poi-
trine : leur visage est tellement enveloppé par cet ajustement, qu'à peine
on aperçoit leur nez. Cette coiffure, assez bizarre, garantit le cou do la
froidure du vent.
L'idiome parlé par les Slovaques est un peu différent du slavon de
Bohême et de Moravie ; mais les sermons sont prononcés en bohême, ou
czéche (tchèque) pur et régulier, surtout parmi les protestants. Les livres
slovaques sont imprimés en caractères allemands. Le total des Slovaques,
que l'on distingue, selon les dialectes, en Horniaques, Szolaques, Trpaques
et Krekacses, etc., dépasse 3,000,000 d'individus.

438
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Les Rousniaques, ou Ruthènes, qu'on nomme aussi Orosz, et, par abus,
Grecs, à cause de la religion qu'ils professent, sont originaires de la
Russie-Rouge (Galicie orientale), d'où il paraît que les guerres civiles, les
changements de dynasties et l'oppression féodale les ont fait émigrer en
Hongrie, vers le douzième siècle ; ils y habitent particulièrement les comi-
tats de Saros, de Beregh, de Ugocs, de Unghvar, de Zemplin, et une partie
du Marmaros : placés ainsi sur la limite de leur pays natal, ils entre-
tiennent des liaisons avec leurs compatriotes qui sont restés en Galicie,
dans les cercles de Stanislawow, les Slavons de Stry et de Sambor. 11 s'en
est aussi établi dans la Bukowine, même en Transylvanie, où ils se sont
confondus avec les Valaques. Leur nombre, en Hongrie, s'élève presqu'à
560,000 individus, que l'on distingue, d'après les dialectes, en Lissaques
et en Lemaques.
C'est une des peuplades demi-sauvages de l'Europe. Sans industrie,
sans activité, les Rousniaques mènent en général une vie assez misérable.
Arrivés comme fugitifs, ils vivent encore entre eux, et quoique leur langue
soit aussi un dialecte slave, ils ne paraît pas qu'ils se soient liés avec les
autres Esclavons; ce qui tient sans doute en partie à leur religion ; les uns
suivent le rit grec-uni, les autres le rit grec oriental. Le mariage n'est pas
assujetti chez eux à un ordre légal bien fixe; leurs filles, qu'ils fiancent
ordinairement à l'âge de cinq ou six ans, sont élevées dans la maison de
leurs belles-mères jusqu'à l'âge de nubilité; mais quelquefois un ravis-
seur enlève une fille restée chez ses parents. Dans le village de Krasnibrod,
près d'un monastère de l'ordre de saint Basile, il se tient un marché
aux filles trois fois dans l'année. A Maté-Szalka, dans le comitat de
Szathmar, il y a une réunion de ce genre tous les ans à la Sainte-Made-
leine. Chez ces peuples, les femmes sont chargées des travaux les plus
rudes.
Dans le comitat de Zemplin, un mélange de Slovaques, de Rousniaques
et de Magyars, a reçu le nom de Szotacks ou Szotaques. Ils diffèrent des
autres Slaves, que nous venons de décrire, par leur dialecte et par leurs
mœurs. Le seul caractère physique qui les distingue est la couleur de
leurs cheveux ; ils sont d'un blond presque blanc; rarement on en trouve
parmi eux quelques-uns qui aient les cheveux noirs. Ils vivent générale-
ment en famille et d'une manière patriarcale. Ils s'occupent principalement
de l'éducation du bétail ; d'autres font le métier de rouliers : ils transpor-
tent des marchandises en Pologne, en Russie, en Prusse et en Autriche.
Le Szotaques s'allient rarement avec d'autres peuples; ils conservent soi-

EUROPE. —ROYAUME DE HONGRIE.
439
gneusement leur langue, et se gardent bien d'y introduire des mots étran-
gers.
Disons adieu aux Karpathes et descendons dans les plaines de la Hongrie
méridionale. Dans la contrée fertile, quoiqu'en partie marécageuse, au
nord du Maros, notre attention se porte d'abord sur Debreczin, la plus
industrieuse ville de toute la Hongrie, et la plus peuplée après Pcsth, car
elle contient prés de 60,000 âmes-, elle n'a ni sources d'eau potable, ni
bois de chauffage, ni matériaux de bâtisse, et c'est à ses manufactures
seules qu'elle doit sa splendeur. Des étoffes de laine, entre autres des gou-
bas, imitant une peau de mouton ; des zischmes, ou bottes à la hongroise ·,
des tanneries, des fabriques de savon, de têtes de pipes et de rosaires,
voilà quelques-uns des produits de ce Sheffield ou Birmingham de la
Hongrie. Il s'y tient trois foires par an, et un marché de porcs chaque
semaine. Quoique mal bâtie, elle gagnera beaucoup en importance lors-
qu'elle sera unie à Pesth par un chemin de fer. II y a ici une université
ou collége de la religion réformée, avec une bibliothèque de 20,000
volumes.
C'est encore dans la grande plaine que nous trouvons Nagy-Varad,
nommé en allemand Gross-Wardein, forteresse et ville de 16,000 âmes,
sur la rivière de Körös; siége de deux évêchés, l'un catholique, l'autre
grec-uni, d'une académie royale que l'on peut assimiler à une petite uni-
versité, d'un archigymnase catholique, et de plusieurs autorités. La cathé-
drale, qui fut fondée par Ladislas-le-Saint en 1080, est un bel édifice.
Gross-Wardein est entouré de belles fortifications. Ses eaux thermales
sont assez fréquentées. Au sud-ouest de cette ville nous voyons aussi,
sur le Körös-Blanc, Nemet-Gyula ou Magyar-Gyula, bourg de 5,000
habitants, ayant six églises catholiques, deux réformées et deux grecques;
plus loin, celui de Szarvas, où 14,500 habitants vivent au milieu de
marais et de prairies où ils élèvent un grand nombre de bestiaux ; vers le
sud, celui d'Oroshaza, dont la population est de plus de 9,000 individus.
Non loin des bords de la Thèiss, Hodmezo-Vasarhely est un grand bourg
plus considérable qu'aucun des précédents : il renferme 25,500 habitants
et une société savante qui cherche à répandre les connaissances physiques.
Sur les deux rives du Maros, les deux Arad attirent notre attention.
O-Arad, en allemand Alt-Arad ou le Vieux-Arad, sur la rive doite, est la
résidence d'un évêque grec; c'est le principal marché aux bestiaux de
toute la Hongrie : c'est là que s'approvisionnent les marchands de Vienne
et des autres parties de l'Allemagne. Près de là est l'ancien château d'Arad

440
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
qui donne son nom au bourg et au comitat de ce nom. Ce château, qui
fut célèbre dans les guerres contre les Turcs et pendant les troubles du
dix-septième siècle, tombe maintenant en ruines. Uj-Arad, en allemand
Neu-Arad ou le Nouvel-Arad, est sur la rive opposée : il fut bâti par les
Turcs, et fortifié par le prince Eugène de Savoie. On y fait un commerce
considérable de bois de construction qui descend de la Transylvanie par
le Maros. A quatre lieues des deux Arad, Menes est un village dont le vin
rouge est le meilleur de la Hongrie après celui de Tokay. Toutes ces
plaines, fertiles en blé, vin, tabac, melons, et remplies d'immenses pâtu-
rages, ont pour habitants des Hongrois et des Valaques.
Nous allons parcourir les villes et autres lieux remarquables situés
dans la plaine entre le Danube et la Theiss. En partant de Pesth, que nous
avons choisi pour centre, nous trouvons Ketskemet, le plus grand bourg
de la Hongrie : il est peuplé de 37,000 habitants, la plupart Hongrois; il
donne son nom à une lande, où l'on ne trouve que du sable mêlé de
coquillages; ses environs sont cependant bien cultivés. Ce bourg ren-
ferme cinq églises, un collége, deux gymnases, un hospice d'orphelins et
un hôpital militaire. On y trouve des tanneries et plusieurs manufactures
de savon, et il s'y fait un grand commerce de bestiaux et de laine. Nagy-
Koros, également un simple bourg, quoique peuplé de 12,000 habitants,
possède de bons vignobles. En remontant le Danube, nous apercevons
Raczkove, bourg dans l'île de Csepel où le célèbre prince Eugène lit bâtir
un château ; Eugeniusberg, autre château qui rappelle également la
mémoire de ce grand capitaine : il s'y délassait par l'étude de l'agricul-
ture; il fut le premier qui y fit venir des brebis d'Arabie pour perfec-
tionner la race du pays; plus bas, Kalocza, ville ancienne et déchue, où
réside un archevêque. Dans l'intérieur, nous remarquons Theresienstadt
ou Maria-Theresianopel, jadis bourg appelé Szabatka, aujourd'hui ville
libre et royale, peuplée de 41,000 Hongrois, Croates et Serviens, c'est
une colonie de Rasciens ou Serviens, attirés à force de grandes immunités
et autres avantages commerciaux, qui a créé la prospérité de cette grande
cité ou plutôt de cette réunion de plusieurs villages. Un grand nombre de
tanneries, des fabriques de toile, de tapis et de savon, ainsi qu'un com-
merce considérable de chevaux, de bétail, de laine et de peaux, expliquent
l'accroissement rapide de sa population, qui en 1827 ne s'élevait qu'à
28,000 âmes. Son territoire rural, le plus vaste d'aucune ville des États
autrichiens, renferme 160,000 arpents hongrois, ou 17 milles carrés; est
planté en vignobles. Szegedin ou Szeged, ville libre et royale, forteresse

EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE.
441
de seconde ligne, au confluent de la Theiss et du Maros, bien bâtie,
entourée de six faubourgs, est la résidence d'un protopope grec, et le
centre d'un commerce actif. On y construit une grande quantité de
bateaux, et l'on y compte 32,000 habitants : ceux de la classe inférieure
s'y font remarquer par leur air martial et par leur costume qui ressemble
à celui des Tatars et des Persans; mais ce qu'il y a de remarquable, c'est
que la langue latine est généralement en usage chez les habitants de cette
classe. Plus au sud, nous voyons Zombor ou Sombor, située près du beau
canal François H nouvellement creusé pour unir le Danube à la Theiss :
c'est une ville libre et royale, peuplée de 20,000 âmes, qui, avant 1751,
n'était qu'un bourg ; Neo-Planta, nom gréco-latin, que les Hongrois
rendent par Uj-Videk et les Allemands par Neusatz, est celui d'une ville
libre qui, en 1770, ne comptait que 4,000 habitants ; aujourd'hui elle en
renferme 16 à 17,000, la plupart Serviens ou Rasciens et Arméniens:
c'est la résidence de l'évêque de Bacs.
Faisons remarquer plusieurs districts particuliers renfermés dans cette
région. Entre la Basse-Theiss, le Danube et Neusatz, s'étend le district
militaire des Czaïkistes ou Tchaïkistes, dont Titul est le chef-lieu. Ces
Tchaïhstes sont des Illyriens destinés à monter la flottille danubienne,
qui consiste en galères appelées tchaïkes, et portant 4 à 12 canons. Ils
fournissent un corps composé de 11 à 1,200 hommes, leur chef est tou-
jours Illyrien de nation. Le bourg de Titul renferme les chantiers, l'arsenal
et les maisons pour l'état-major. On y admire les restes d'un retranche-
ment des Romains qui s'étendit des bords du Danube à ceux de la Theiss,
et qui probablement servit à couvrir un établissement semblable à celui
des Tchaïkistes. On a trouvé des proues de vaisseaux (rostra), des ancres,
des outils de construction, des monnaies romaines et autres antiquités,
dont une grande partie se conserve dans l'arsenal de Titul.
En remontant vers le nord, nous traverserons la Petite-Kumanie ou
mieux Roumanie (Kis-Kunsag), située en deux morceaux principaux
et trois autres plus petits entre Pcsth et Theresienstadt, entre le Danube
et la Theiss. Elle comprend une superficie d'environ 130 lieues carrées,
et une population de plus de 42,000 habitants, catholiques et réformés,
avec Felegy-Haza, bourg de 10,000 âmes. C'est une plaine d'une ferti-
lité moyenne, arrosée par quelques cours d'eau; les champs de blé, les
vergers, les vignobles, sont clair-semés parmi d'immenses pâturages, où
l'on rencontre beaucoup de lacs de natron, point d'arbres, à peine des
broussailles : aussi y est-on réduit à employer comme combustible la fiente
VII.
56

442
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
et le fumier des bestiaux. Les ardeurs de l'été multiplient ici le phénomène
du mirage; c'est la fée du midi, Delibaba, qui s'amuse à montrer au ber-
ger et à son troupeau languissant des lacs azurés, couronnés de palais en
ruines, et des forêts imaginaires. Dans les steppes de la Petite-Kumanie
paissent de grands troupeaux de bêtes à cornes, de chevaux, de moutons
et de porcs ; on y élève aussi beaucoup d'abeilles.
La Grande-Kumanie, en hongrois Nagy-Kunsag, est située entre Pesth
et Debreczin, sur la rivière de Berettyo ; c'est une plaine parfaite où abon-
dent le froment, le vin, les melons, les abeilles et les tortues. Sur une
superficie de 55 lieues carrées, elle nourrit plus de 33,000 Kumans, la
plupart de religion réformée. Kardzag, grand bourg de 9,000 habitants,
est leur chef-lieu.
Les Kumans, ou Kourmans, tribu tatare, jouaient un grand rôle dans
les onzième et douzième siècles : originaires peut-être des bords de la
Kama, ils parcouraient, dévastaient ou dominaient le pays entre le Volga
et le Danube. Subjuguées an 1237 par les Mongols, leurs nombreuses
tribus frappèrent encore dix et vingt ans plus tard les regards observateurs
de Carpin et de Rubruquis. Réfugiés en Hongrie dès l'an 1806, mais
encore en plus grand nombre du temps de Tchinghiz-Khan, ils se mêlèrent
dans toutes les discussions civiles; mais, après avoir adopté les mœurs et
la langue des Hongrois, ils reçurent le baptême en 1410. Ils ont perdu tout
souvenir même de leur idiome, et le dernier individu qui s'en rappelait
quelques mots était un bourgeois de Kardzag, mort en 1770. Cependant,
des oraisons dominicales, conservées en kuman, prouvent que le tatare ou
turc y dominait.
La Iazygie, ou pays des Iasz ou Iazyges (en hongrois Iaszzag), se
trouve au nord-ouest de la Grande-Kumanie, et au nord de la Petite : c'est
une plaine marécageuse, arrosée par la Zagyva, qui y reçoit la Tarna et
qui se joint à la Theiss. Le sol est fertile en blé, en maïs, en tabac, en vin,
en pâturages, mais dénué de bois, on y élève aussi beaucoup de bestiaux
et de chevaux. Iasz-Bereny, le chef-lieu, avec 13,000 habitants, mais
sans industrie, sans arts et métiers, n'est qu'un immense village. On y
remarque encore Iasz-Apaty et Arok-Szallas. Les Iasz sont au nombre de
• dans de 55,000, sur un territoire d'environ 47 lieues carrées. Malgré le
nom que la latinité officielle hongroise leur a imposé, il n'est pas suffi-
samment prouvé qu'ils descendent des Iazyges-Metanastœ, établis dans
le nord de la Dacie, au delà du Tibiscus (la Theiss) dans l'angle que forme
cette rivière avec le Danube. C'est plutôt une tribu de Kumans qui ser-

EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE.
443
voient dans l'avant-garde comme archers, ce qu'exprime leur nom hon-
grois. Les chancelleries ont aussi traduit ce nom par Balistarii, et quel-
ques auteurs hongrois en ont fait celui de Philistœi.
Dans une île de la Iazygie, formée par la Zagyva, et dans laquelle on
voit un couvent de franciscains, on prétend que fut trouvé le tombeau
d'Attila, roi des Huns, mort en 458.
Les trois tribus kumaniennes jouissent d'un grand nombre d'immu-
nités-, leur territoire fait partie du domaine de la couronne. Placées sous
l'autorité directe du palatin du royaume, elles ont leurs tribunaux, leur
système d'impôts, et môme, à la diète, leur députation spéciale.
Les Haïduckes ou Haydouques, qui possèdent aussi quelques priviléges,
ne sont qu'un corps militaire à part ; leurs villages, décorés du titre de
villes de ïïaydouques, sont situés au nord-est de la Grande-Ku manie, entre
Debreczin et Tokay ; on en compte six dont le chef-lieu est Boszormeny,
bourg assez bien bâti et peuplé de 6 à 7,000 âmes. Le pays des ïïay-
douques est, comme celui des Kumaniens, généralement plat et maréca-
geux, mais cependant très-fertile en blé, en vin et en tabac. On y élève de
même un grand nombre de bestiaux. Les habitants, au nombre de 50,000,
jouissent de privilèges qu'ils tiennent du régent de Hongrie Jean Corvin,
qui les leur accorda au quinzième siècle, en récompense de leurs services
militaires. Ils sont gouvernés par un colonel-général; ils ne paient pour
toute contribution qu'une somme fixe de 22,000 florins, et envoient deux
députés à la diète hongroise.
Visitons la partie de la Hongrie située à l'ouest du Danube, et que l'on
désigne administrativement sous le nom de cercle trans-danubien, espèce
de carré oblique, que bornent de trois côtés le Danube et la Drave, et qui
par le quatrième côté joint les contrées montagneuses de Styrie et d'Au-
triche.
Nous partons de Bude, et, traversant les collines agréablement boisées
de Philis, nous remarquons Dotis ou Tata, bourg de plus de 9,000 habi-
tants, avec des eaux thermales très-fréquentées, près desquelles on a décou-
vert un grand nombre d'antiquités romaines. Il y a dans ce bourg une
grande manufacture de draps, plusieurs fabriques de diverses étoffes, des
moulins à foulon et à farine, ainsi que des scieries. Ce bourg occupe une
hauteur baignée d'un côté par la Tata, et de l'autre par un petit lac dont
les bords sont couverts de maisons qui forment en quelque sorte un fau-
bourg ou plutôt un autre bourg nommé Tavoros ou ville du lac. Plus
loin, on voit Saint-Martin, en hongrois Szent-Marton, bourg au pied

444
LIVRE CENT SOIXANTE- HUITIÈME.
d'une colline nommée le mont sacré de Pannonie par les bénédictins, qui
possèdent la superbe abbaye que le 'roi Geysa y a fondée. Raab, en hon-
grois Györ, ville de 16,000 habitants, mérite quelque attention : c'est la
mieux bâtie de ce cercle et la plus importante comme place de guerre et
place de commerce. Elle est située sur un bras du Danube qui y reçoit la
Raab et la Rabnitz. Divisée en ville intérieure et ville extérieure, la première
est fortifiée et séparée de la seconde par des glacis. Le seul inconvénient
qu'on y éprouve est le manque d'eau potable. A quoi sert donc que cette
ville soit baignée par trois rivières! Siège d'un évêché catholique, ses plus
beaux édifices sont le palais épiscopal et la cathédrale. Elle possède une
académie royale, fondée en 1750, un archigymnase et une école normale.
Sa principale industrie consiste en fabriques de coutellerie et d'armes
blanches : mais le commerce y est favorisé par la largeur du Danube, qui
est de 400 pas, et sur lequel naviguent sans cesse de petits bâtiments.
Raab était déjà, sous les Romains, une place forte que l'on nommait Arabo,
Arabonia.
A une lieue de la côte occidentale du lac, Neusiedel s'élève presque au
pied du mont Brennberg, où l'on exploite une importante houillère,
OEdenbourg, en hongrois Soprony, ville manufacturière et commerçante;
c'est de là surtout que se fait l'exportation des porcs de Hongrie pour
l'Autriche; la ville possède 1,920,000 klafter (toises) carrés de vignobles
qui produisent 32,000 eimer de vin. C'est le siége d'une surintendance de
la confession d'Augsbourg, dont la juridiction s'étend sur tout le cercle
au de là du Danube. La ville, proprement dite, est bien bâtie et petite, mais
elle a de grands faubourgs et une population de 14,000 âmes. On y trouve
des manufactures de draps, de cotonnades, et une raffinerie de sucre. Dans
ses grands marchés de bestiaux, il se vend annuellement plus de 40,000 têtes
de gros bétail et plus de 80,000 porcs. On croit qu'OEdenbourg est l'an-
cienne Sempronium, qui servit de garnison à la 15e légion romaine.
A côté du lac de Neusiedel, dont les bains sont, dit-on, prescrits pour
remplacer ceux de mer, s'étend, jusque dans le comitat de Raab, l'im-
mense marais de Hansag, qui ne produit que des roseaux et du foin que
l'on exporte pour Vienne. Le sol verdoyant qui couvre les eaux de ce
marais, que l'on a vainement essayé de dessécher, a une épaisseur d'un
mètre : il tremble sous les pas des marcheurs ; on ne se hasarderait pas à
le traverser sur des voitures chargées.
A trois lieues d'OEdenbourg, nous apercevons la petite ville d'Eisen-
stadt, en hongrois Kis-Marton, dans laquelle un couvent de franciscains

EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE
445
renferme les sépultures de la maison d'Esterhazy, et près de laquelle on
voit un magnifique château des Esterhazy, qui ont établi ici la haute admi-
nistration de leur vaste principauté. Neusiedel-am-sée, sur les bords sep-
tentrionaux de son lac, n'est qu'un bourg de 1,800 habitants, nommé en
hongrois Nizider; sur ses bords occidentaux, la petite ville de Rusth, qui
possède de célèbres vignobles, est souvent ravagée par des inondations.
Sur les rives méridionales du lac, le village d'Esterhazy est le Versailles,
aujourd'hui délaissé, des princes qui en tirent leur nom.
En tournant au sud nous distinguons Guns, ville libre royale, où siége
le tribunal suprême de ce cercle; et en descendant la Güns Stein-am-
Anger, c'est-à-dire rocher sur la plaine, petite ville épiscopale qui occupe
l'emplacement de l'antique Salaria, l'une des principales cités romaines
dans les colonies illyriennes, et à laquelle, sous le règne de Claude, on
donna le nom de Claudia-Augusta. Le château et l'archevêché sont rem-
plis de divers objets d'antiquités que l'on a trouvés dans cette ville : les
principales sont deux belles colonnes de porphyre, le torse d'une statue
de Minerve, des tombeaux, des urnes renfermant encore la cendre des
morts, des lacrymatoires et plusieurs objets qui servaient aux sacrifices.
Cette ville se nomme en hongrois Szombat-Hely ; c'est le lieu natal de
saint Martin, évêque de Tours.
Traversons cette région montagneuse et boisée, connue sous le nom de
forêt de Bakony (Bakony-Wald), dans laquelle le roi André Ier, défait par
son frère Bela, erra longtemps et périt de misère, et dans laquelle aussi
les habitants de la Hongrie trouvèrent si souvent un refuge contre la fureur
des hordes étrangères. C'est au bord du lac Balaton qu'est situé le bourg
de Keszthsly, avec un château des comtes Fesztetics, qui y ont établi une
excellente école d'agriculture et d'économie appelée Georgicon, où l'on
enseigne les mathématiques, l'histoire naturelle, la botanique, l'économie
rurale et la mécanique. Ce bourg possède aussi une école de droit et une
école normale. On y fabrique des draps et l'on y fait un grand commerce
des vins de ses environs. Passons rapidement devant Saint-Gothard, en
hongrois Szent-Goth, bourg fameux par la grande victoire que Montecu-
culli remporta sur les Turcs en 1664, et devant Strigau ou Strido,
naquit un homme de génie, un Père de l'Église, saint Jérôme.
Les contrées au sud et au sud-est du lac Balaton, quoique fertiles en
blé et en vin, sont arriérées en civilisation et renferment peu de villes
populeuses. Kanisa ou Nagy-Kanisza, bourg, autrefois place de guerre
très-forte; Szigelvar ou Ujsziget, qui l'est encore, et qui a été illustré

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LIVRE CENT SOIXANTE -HUITIÈME.
en 1566 par la défense et la mort héroïque de Zrini, le Léonidas hongrois ;
Funfkirchen, en hongrois Pecs, ville jolie, d'une seule rue, et siége d'un
évêché dent l'église passe pour la plus ancienne de la Hongrie, se trou-
vent le long de la Drave, mais à quelque distance de cette rivière. Mohacs,
bourg sur le Danube, est fameux par la terrible défaite des Hongrois en
1526, dans laquelle Louis II, leur roi, périt de la main des Turcs ; et par
celle non moins grande des Turcs en 1687. Le fleuve forme en face de ce
bourg une île considérable nommée Mohacs ou Margarethen.
Tolna, sur le Danube, Simonsthurm, dans les plaines marécageuses
du Sarviz, dans lesquelles un haras est établi et près desquelles on récolte
d'excellents vins rouges; et enfin Hogvesz, avec le château des comtes
Appony, n'arrêtent guère un voyageur; mais nous devons, en remontant
au nord, distinguer Stuhl-Weissembourg, en hongrois Szèkes-Feyer-Var,
en slavon Bilyhrad, ville libre, royale, de 18 à 20,000 habitants, où les
rois étaient anciennement couronnés et enterrés. Elle a une cathédrale
très-riche, un séminaire, des fabriques de draps et de flanelles, et trois
superbes avenues bordées de maisons et de jardins. Nous terminons notre
tournée à Veszprim, ville épiscopale, non loin de l'extrémité septentrio-
nale du lac Balaton, et dont les foires réunissent dans leurs costumes
variés et bigarrés de couleurs éclatantes les paysans de toutes les con-
trées voisines.
Dans la partie de la Hongrie que nous venons de parcourir, les Magyars
ou Hongrois forment les trois quarts de la population ; mais vers la fron-
tière occidentale deux autres nations sont en grand nombre. Les Alle-
mands vivent surtout dans les comitats d'OEdenbourg, de Wieselbourg
et d'Eisenbourg ·, ils y ont introduit leur système d'agriculture, leur indus-
trie et leurs mœurs, originaires de la Styrie et de l'Autriche; les autres
(et ce sont les plus récemment établis) viennent de la Souabe ; ils parlent
des dialectes durs et sonores.
Les prétendus Vandales sont surtout nombreux dans les comtés de
Szalad et de Sumeg, et en partie dans ceux d'OEdenbourg et d'Eisen-
bourg; ils occupent en tout 160 villages, mais leur noyau est dans la
seigneurie de Bellatinz, où Turnischa est leur chef-lieu. Leur nom, si
fameux dans l'histoire, excite d'autant plus l'attention, que les anciens
Vandales, réfugiés en Pannonie, y vécurent quarante ans en sujets
romains, et y exercèrent ensuite d'horribles ravages ; mais ils étaient de
race gothique, selon l'opinion générale; et ceux de Hongrie s'appellent
Stovènes, et ne diffèrent un peu des autres peuplades slaves que par leur

EUROPE. — ROYAUME DE HONGRIE.
447
idiome; ils ne se distinguent que par leur religion protestante de leurs
voisins les Wendes, ou Windes de la Styrie, dont ils paraissent être une
branche. La chancellerie hongroise les aura décorés du nom de Vandales
comme étant le plus célèbre, et d'ailleurs employé par la plupart des
latinistes du moyen âge comme synonyme de celui de Wendes. Cependant
cette peuplade mériterait un nouvel examen.
Au sud du Maros, c'est-à-dire dans l'ancien Bannat de Temesvar, qui,
jusqu'en 1718, resta au pouvoir des Turcs, et qui ne fut formellement réuni
à la Hongrie qu'en 1779, nous remarquons Temesvar ou Temeschwar, en
valaque Timisioara, forteresse grande et régulière, sur le canal Bega, qui
unit deux affluents du Danube, l'Alt-Bega et la Ternes. C'est une ville
royale dont les rues sont larges et droites et les maisons à l'italienne, mais
entourée de marais, qui sont plus avantageux à sa défense militaire qu'à
la santé de ses habitants-, elle est le chef-lieu du comitat de Ternes ou
Temesch, l'un des trois qui divisent l'ancien Bannat, et qui doit son nom
à la rivière du Ternes ou Temesch, affluent de la Theiss. Ses quatre fau-
bourgs sont en grande partie habités par des Rasciens. Parmi ses édifices
publics, on remarque sa belle cathédrale, dans le style gothique, l'hôtel du
comitat, la maison de ville, la synagogue, le lazaret militaire et l'hôpital
civil. Les produits de ses fabriques consistent principalement en draps, en
huile, en tabac, en papier, en fil de fer et en soie filée; elle est le centre
d'un grand commerce de transit, principalement en grains, en vins et en
soie que l'on récolte dans ses environs. Selon d'Anville, Temesvar serait le
Tibiscus qui servit de lieu d'exil à Ovide.
En s'élevant vers les montagnes, on trouve, dans une vallée agréable
et fertile, la ville royale et libre de Werschitz, qui renferme 13,000 habi-
tants, rasciens et allemands. Nous pouvons citer encore, sur les bords du
Ternes, Lippa. résidence d'un protopope grec; les deux Lugos, que sépare
la rivière; sur la rive droite Olah-Lugos, en allemand Lugosch-Walla-
chisch, en valaque Logosul-Rumunyeszh, dont les 6,000 habitants se com-
posent d'Allemands, de Valaques et de Rasciens ; sur la rive gauche,
Nemel-Lugos, en allemand Deutsch-Lugosch, en valaque Logosul-Nemc-
zieszh, moins important que le bourg précédent.
Dans le district du Régiment- Valaque-Illyrien, qui comprend un terri-
toire d'environ 300 lieues carrées, borné par la Valachie, la Transylvanie,
les bords du Danube, et une ligne tirée de la Bisztra au fleuve, nous devons
signaler les lieux les plus remarquables. Karansebes, ou simplement
Sebès, sur la rive droite du Ternes, et la résidence de l'état-major du dis-

448
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
trict régimentaire ; c'est un entrepôt de marchandises turques; on croit que
ce bourg occupe l'emplacement d'une colonie romaine. Mehadia, sur la
rive gauche de la Bella-Recea, occupe un défilé nommé la Clef de Meha-
dia, parce qu'il est regardé comme celle du Bannat. Il y a dans ce bourg
une administration des salines, et, à ses portes, les bains d'Hercule, que
nous avons déjà cités, et qui ont conservé la célébrité dont ils jouissaient du
temps des Romains. Près des bords du Danube, vis à-vis une grande île
que forme ce fleuve, le bourg de Moldova, aujourd'hui presque ruiné, était
autrefois une forteresse redoutable. On y trouve des restes de constructions
antiques qui prouvent que les Romains y exploitaient des mines de cuivre
et de plomb qui y existent encore. Dans les chaînes de montagnes qui se
terminent à peu de distance du Danube, on connaît une célèbre caverne,
celle de Veterani, qui s'étend en plusieurs ramifications entre les rivières
de Cserna et de Nera jusqu'au fleuve qu'elle domine dans une sorte de
défilé. On prétend que les Romains l'avaient fortifiée; plusieurs retran-
chements en rendent la défense facile; c'est un poste important pour le
passage du Danube; mais la citerne qui y est creusée ne donne qu'une eau
mauvaise.
Tout le Bannat, y compris le district de la limite militaire, offre, sur un
sol humide et gras, et sous un ciel ardent, d'immenses récoltes de blé, de
maïs, de riz, de tabac; il a pour habitants des Valaques, des Serviens, et
quelques colonies allemandes et hongroises.
Dans le district régimentaire du Bannat allemand, dont la superficie
n'est que de 200 lieues carrées, nous ne signalerons qu'un seul lieu digne
de quelque attention : c'est Pancsowa, en allemand Pantschova. Cette
ville, agréablement située près du confluent du Ternes et du Danube,
compte plus de 6,000 habitants et possède une école de mathématiques et
une école normale allemande.
Visitons les royaumes d'Esclavonie et de Croatie, États qui font partie
du royaume de Hongrie, et dont la géographie physique doit nous arrêter
quelques instants.
L'Esclavonie, ou la Slavonic en hongrois Tol-Orszag, est bornée au
nord par le Danube et la Brave, qui la séparent de la Hongrie proprement
dite; au sud par la Save, qui la sépare de la Turquie d'Europe; à l'est par
cette rivière, qui se joint au Danube, et par la basse Theiss, qui se jette
aussi dans ce fleuve ; à l'ouest par l'Illova, la Lonya et la Save, qui la sépa-
rent en partie de la Croatie. Sa superficie est d'environ 860 lieues carrées,

EUROPE. — ROYAUME D'ESCLAVONIE.
449
en y comprenant le territoire des Tchaïkistes qui, sous le rapport admi-
nistratif, en fait partie.
Cette contrée est, comme on le voit, une sorte de grande île entourée
presque de tous côtés par des rivières, et traversée dans toute sa longueur
par une chaîne de montagnes qui n'est qu'une ramification des Alpes
Carniques. Cette chaîne porte dans le pays le nom de Carievitza. Elle n'est
pas généralement d'une grande élévation ; cependant elle présente quel-
ques pics assez considérables, tels que le Papuk, qui s'élève de 910 mètres
au-dessus du niveau de la Save. Ces montagnes, composées de gros quar-
tiers de roches calcaires, et portant sur leurs sommets escarpés de magni-
fiques forêts, offrent des aspects très-pittoresques et même des vues
riantes, surtout vers Possega, où elles s'abaissent et forment de grandes
vallées. Quelques-unes présentent des rochers nus, presque tous taillés à
pic ; vers Peterwardein on remarque des serpentines, des porphyres et
d'autres roches appartenant aux terrains de cristallisation, qui alternent
avec des roches de sédiment inférieur. Dans la partie occidentale de la
chaîne on trouve çà et là des gisements de différents métaux, particuliè-
rement de fer, de cuivre et de plomb argentifère; mais ils sont peu exploi-
tés. Les collines qui forment le, derniers degrés de ces montagnes sont
composées de grès à lignite. Les montagnes de Fruska-Gora, dans la Syr-
mie ou l'Esclavonie orientale, renferment des houillères. Ces collines
sont garnies de vignobles et de vergers; les grandes plaines basses qui
s'étendent à leurs pieds produisent en abondance toutes sortes de denrées.
Presque tout le sol de la partie orientale est formé d'alluvions argileuses et
noirâtres dont les portions les plus fertiles sont quelques plaines centrales
et les bords de la Save et de la Drave.
La température de ce pays est en général douce et presque comparable
à celle de l'Italie. Dans les montagnes l'air est vif et salubre; dans le voi-
sinage des rivières il est presque toujours malsain par suite de leurs fré-
quents débordements.
Pendant huit mois de l'année la chaleur et l'humidité entretiennent en
Esclavonie une verdure perpétuelle ; on voit constamment éclore des fleurs
nouvelles ou mûrir de nouveaux fruits. Dès que les eaux rassemblées pen-
dant l'hiver disparaissent, les prairies se couvrent spontanément de
diverses espèces de trèfles et d'autres herbes nutritives; aussi le bétail y
parvient-il à une grosseur égale à celle des bœufs de la Hongrie. Le nombre
des moutons s'élève à deux millions et demi.
L'agriculture, quoique peu aidée des lumières de la science, produit en
VII.
57

450
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Esclavonie de très-abondantes récoltes. Le mais donne le centième et quel-
quefois le deux centième grain. On récolte une grande quantité de froment,
mais il est mêlé de toutes sortes de mauvaises graines; la paresse empêche
les habitants de sarcler les champs et de trier les blés. Tout le produit de
l'Esclavonie en grains s'évalue à 4 millions de metzen (2,459,840 hecto-
litres) par an. Outre les blés cultivés, ce pays abonde en une espèce de
grain qu'on appelle manne ; c'est le fesluca fluitans de Linné. Toutes sortes
de fruits et de légumes viennent ici en abondance; les pêchers, les aman-
diers, les figuiers, les châtaigniers, les pruniers, sont surtout très-com-
muns. Il y a des plantations de pruniers si vastes, qu'on les prendrait pour
des forêts. Les Esclavons liront des pruneaux une boisson forte et saine,
qu'ils nomment raki, ou sliva vilcha. Les auleurs allemands assurent que
cette liqueur est préférable au rhum. La culture du tabac est d'une grande
importance, surtout à Possega, où le tabac égale celui de Turquie. Les
mûriers blancs réussissent parfaitement dans ce pays, et par conséquent
la soie qu'on y récolte est de très-bonne qualité. La garance y vient spon-
tanément, et les Autrichiens, en ayant apporté des plants du jardin de
Schœnbrunn, furent étonnés de trouver ceux du pays meilleurs. La réglisse
d'Esclavonie est excellente. Les cochons y découvrent partout des truffes
aussi aromatiques que celles du Piémont, mais on néglige cette produc-
tion. On ne lire non plus aucun parti du frêne à fleurs qui en Calabre
donne une manne précieuse, et qui, de même que le peuplier d'Italie, vient
aussi bien en Esclavonie qu'au pied des Apennins.
Les vastes forêts de la partie occidentale fournissent en bois de chêne
d'excellents matériaux pour la marine. Les animaux qui peuplent ces forêts
sont l'ours, le loup, le renard, le linx ou loup-cervier (felit-lynx), la fouine
et le blaireau. Les loutres peuplent les rivières; on voit quelques castors
établis dans les canaux formés par les îles de la Save.
L'Eselavonie se divise en deux parties principales : l'Esclavonie civile,
qui comprend presque les deux tiers de tout le pays, et qui a pour capitale
Esseck, et l'Esclavonie militaire, qui entoure la précédente au sud et à
l est, et qui a Peterwardein pour chef-lieu. Commençons notre description
des principales villes par la partie civile.
Esseck ou Eszek, en slavon Oszick, ville fortifiée, peuplée de 12,000
âmes, sur la rive droite de la Drave, est au milieu de marais qui en ren-
dent l'air malsain ; ce fut devant cette ville que Soliman le Grano, en 1566,
fit construire un pont de bois, ou plutôt une suite de ponts et de jetées,
longue de 2,852 mètres, ouvrage qui, pendant un siècle entier, fit l'orgueil

EUROPE. — ROYAUME D'ESCLAVONIE.
451
des Turcs et l'effroi de la Hongrie. Cette ville se compose de la forteresse
que des ouvrages importants rendent redoutable, et de trois grands fau-
bourgs qui en sont un peu éloignés. Depuis 1773 on a établi sur les marais
qui l'environnent une digue d'une lieue de longueur. Eszek occupe l'em-
placement de Mursia, colonie romaine fondée sous Adrien et capitale de
la Pannonie inférieure.
Possega, ville royale peu importante, a un château en ruines et une belle
église catholique. Nous verrons ensuite Vukovar, Naschitz, Pakracz et
autres bourgs remarquables par leur grandeur, quoique en général mal
bâtis. Celui d'Iregh, au pied de la montagne de Karlowitz, est entouré de
vignobles; à Ilok ou Slok, sur la rive droite du Danube, il y a un château
et un couvent de franciscains dont l'église renferme le tombeau du dernier
duc de Syrmie, mort en 1525. Ce bourg était jadis fortifié : on prétend
même que les trois châteaux en ruines qui s'élèvent sur les hauteurs voi-
sines ont été construits par les Romains.
Visitons maintenant l'Eselavonie militaire, ou les confins militaires.
Nous remarquerons d'abord, sur le bord du Danube, Pelerwardein, en
hongrois Pelervar, place importante, qui se compose de plusieurs par;ies
bien fortifiées et d'ouvrages avancés. Elle ne renferme que 4,564 habitants.
En 1716 le prince Eugène y remporta sur les Turcs une victoire mémo-
rable qui nous a valu une des plus belles odes qu'il y ait en français. Près
de cette ville on aperçoit Karlowitz, ville qui comprend 900 maisons dont
à peine la moitié est en pierre, tandis que les autres ne sont que des
rabanes. Elle est le siége d'un archevêché grec qui a pour suffragants les
évêchés d'Arad,de Bacs, de Bude, de Karlstadt, de Pakracs, de Temesvar
et de Vessees. La trêve conclue en 1699 entre l'Autriche, Venise, les Polo-
nais et les Turcs a rendu cet endroit célèbre: on eut alors le bon esprit de
ne faire qu'une trêve de 25 ans au lieu d'une paix éternelle. A sept lieues
au sud-est de celte ville, le village de Szalankement ou Szlari est célèbre
par deux défaites des Turcs, l'une en 1697, l'autre en 1716.
Arrêtons-nous dans la partie la plus basse de l'Eselavonie, à Semlin, en
hongrois Zimony, qui n'était autrefois qu'un bourg, et qui, depuis 1739,
s'est élevé au rang de la seconde ville de commerce de la Hongrie. C'est
le passage ordinaire de tout ce qui s'expédie de l'Autriche pour la Turquie.
Il y a à Semlin un conseil de santé qui, en cas de besoin, fait subir la
quarantaine aux voyageurs et aux marchandises. Cette ville, de 10,400
âmes, est très-avantageusement située sur le Danube près de l'embou-
chure de la Save. Elle est défendue du côté du fleuve par un baslion en

452
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
terre : sur les autres points elle est adossée à des collines ou entourée de
marais. Mitrowitz, grand bourg, à huit lieues de Peterwardein et quinze
de Belgrade, est à une petile lieue de l'emplacement de l'ancienne ville de
Sirmium, capitale de l'Illyricum, du temps des Romains. C'est la résidence
de l'état-major du régiment de Peterwardein, et l'entrepôt d'un grand
commerce de peaux et de bestiaux venant de la Servie et de la Bosnie-
Douze couvents grecs de l'ordre de saint Basile animent les vallées pitto-
resques de la Fruska-Gora. Ratscha, à cinq lieues de Mitrowitz, est un
village qui s'élève sur la rive gauche de la Save, et qui ne mérite d'être
cité que parce qu'il possède une forteresse qui défend le passage de la
rivière vis-à-vis de l'embouchure du Drin ; mais Brod, chef-lieu du district
régïmentaire de ce nom, est à la fois une place de guerre et une place de
commerce très-active; il s'y tient un marché considérable de cuir, de
laine et de coton. Le Nouveau-Gradiska, en croate Nova-Gradiska, sur
la Ternava, est un autre chef-lieu du district régimentaire de ce nom, que
défend une forteresse-, tandis que sur la rive gauche de la Save, une autre
petite place forte appelée Vieux-Gradiska, siége d'un évêché catholique,
s'élève vis-à-vis une forteresse turque appelée aussi Gradiska.
La Croatie avec ses dépendances comprend, sur une superficie de
1,280 lieues carrées, trois régions physiques : le pays couvert de mon-
tagnes, de vallées et de plaines, que parcourent la Drave, la Save et la
Kulpa.; le plateau formé par les diverses branches des chaînes de mon-
tagnes connues sous le nom à Kapella, de Wellebitchi et autres; enfin,
la côte maritime qu'on a longtemps appelée Dalmatic hongroise, et qui est
incorporée aujourd'hui à la Hongrie avec l'Eselavonie et la Croatie. Toutes
ces montagnes sont une dépendance des Alpes Juliennes. De ces trois
régions, le plateau offre les phénomènes les plus intéressants pour la géo-
graphie physique. Les montagnes dont il est formé s'élèvent à des hau-
teurs considérables : le Plissivitza a environ 1,786 mètres; le principal
sommet des monts Wellebitchi atteint le niveau de 1,700 mètres; beau-
coup d'autres sommets parviennent à 1,200 ou 1,400 mètres : les monts
Kapella restent à 950. Ces groupes de montagnes présentent la même
constitution géognostique que celles de l'Eselavonie : ce sont des roches
calcaires, des porphyres, des serpentines et des grès à lignites. Les masses
calcaires, singulièrement escarpées, crevassées dans tous les sens, sont
percées de cavernes immenses, et coupées par d'affreux précipices. Sur
le dos de ce massif de montagnes, principalement dans la partie méridio-
nale, s'étendent des vallées souvent fermées de tous côtés, et dans les-

EUROPE. — ROYAUME DE CROATIE.
453
quelles coulent des rivières qui, ne trouvant aucun débouché, se perdent
dans les entrailles de la terre, d'où probablement leurs eaux arrivent par
des conduits souterrains jusqu'au lit de la Kulpa. Souvent ces rivières
enflées par les pluies, et ne pouvant s'écouler assez rapidement dans les cavi-
tés qui les reçoivent, inondent toute la vallée et en font un lac. On distingue,
parmi ces vallées celles qui forment les cantons de Licavie et de Corbavie,
habitées par des peuplades à demi-sauvages. Outre les rivières de Lika et
de Corbava, celle de Gyula mérite d'être remarquée parmi celles qui n'ont
aucun écoulement visible. La Szluinchicza, avant de s'engouffrer, forme
43 belles cascades, et fait mouvoir un nombre égal de moulins. Cette
région, quoique parsemée de petits vallons pittoresques et cultivés avec
soin, peut en général être considérée comme stérile sous le rapport de la
végétation. Les marbres les plus beaux et les plus variés y abondent; on
en a construit tous les ponts et les parapets de la voie Joséphine, et la plu-
part des maisons à Fiume, Zeng et Porto-Ré.
Le fléau de ces contrées est le vent du nord, qu'on désigne ici sous le
nom grec et albanais de bora : rien n'égale le froid qu'il apporte, si ce n'est
la véhémence avec laquelle il souffle; on l'a vu soulever de grosses pierres
qui retombaient à des distances considérables. Il y a même un canton
nommé Rudaicza, que ce vent rend inhabitable et presque inaccessible.
L'étroite lisière qui se trouve entre les montagnes et la mer, ou plutôt le
golfe de Guarnero, jouit, partout où le bora ne pénètre pas, du climat de
l'Italie, et voit mûrir les figues, les citrons, et d'autres fruits du Midi.
La plus grande partie de la Croatie, celle qu'arrosent la Drave et la
Save, offre de vastes terrains fertiles en seigle, maïs et avoine, beaucoup
d'arbres fruitiers, surtout des pruniers, quelques vignobles et des forêts
immenses de chênes d'une hauteur surprenante. La Croatie produit environ
3,700,000 metzen, ou minots de Vienne, de toutes sortes de grains. Un
établissement pour le perfectionnement des moutons à laine fine, formé à
Merkopaly, a obtenu de grands succès. La mine de Szamobor donne par
an8,000quintaux de cuivre. En général, ce pays ressemble à la partie
occidentale de l'Eselavonie.
Le royaume de Croatie se divise en Croatie civile et Croatie militaire,
ou confins militaires croates : la première au nord et seconde au sud de la
Save; la première comprenant les comitats d'Agram, de Warasdin et de
Koros; la seconde renfermant les généralats de Carlstadt, de Warasdin et
du Bannat-Gränze. Les comitats sont divisés en marches ou jaras, et les
généralats en districts régimentaires.

454
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Nous allons visiter en idée les lieux les plus remarquables de ces divi-
sions administratives.
Sur une hauteur, aux bords de la Save, nous voyons Agram, en croate
Zagrab, en italien Sagabria, et anciennement Grecs ou Grœtz, c'est-à-
dire le château, la ville forte. Elle est la capitale de la Croatie ; c'est une
ville libre royale, siége du ban, c'est-à-dire résidence du vice-roi de la
Croatie et du commandant général des districts militaires croates* et de
plus, siége d'un évêché. Il y a une université et une imprimerie. Sa posi-
tion, à une demi-lieue de la rive gauche de la Save, est très-pittoresque.
Elle est bien fortifiée et divisée en deux parties, l'une appelée ville royale,
et l'autre ville episcopate. L'évêque est tenu d'entretenir un bataillon de
soldats, dont le colonel, pris parmi les chanoines, est en même temps
commandant du fort de Dubitza. Agram n'a point de manufactures; mais
la navigation de la Save y entretient un commerce considérable : c'est
dans ses marchés que se vendent une partie des tabacs et des blés de la
Hongrie, ainsi que les pores que nourrit la Bosnie. Sa population,
qui s'élève à plus de 17,000 individus, se compose en grande partie de
nobles.
il y a peu de choses à dire sur Warasdin, ville fortifiée aux bords de la
Drave, si ce n'est qu'elle est bâtie en forme de carré, entourée de bastinns
et de fossés ; qu'elle possède un vieux château qui menace de tomber en
ruine ; que ses rues sont assez régulières et bien pavées, et qu'elle renferme
quelques beaux édifices, tels que l'hôtel du comitat. Körös-Vasarhely,
nommée en croate Krisevczi, en allemand Kreutz, prétend avoir été la
capitale du royaume. C'est aujourd'hui le siége d'un évêché de grecs-unis.
Nous n'oublierons pas Κrapina, bourg d'où doivent être sortis les deux
frères Czech et Lech, premiers fondateurs des monarchies bohémienne et
polonaise, si l'on veut croire les historiens de ces peuples. Près de ce
bourg se trouve la montagne de Krapina-Gora, qui renferme des
houillères, et, dans ses environs, des établissements de sources ther-
males.
Dans le district de Kreulz se trouve Kaproncza ou Kopreinitz, ville de
3,500 habitants. Carlsladt ou Karlstadt, forteresse importante, sur la
Kulpa, siège d'un évêché grec-uni, suffragant de l'archevêché de Karlo-
witz, et station du régiment de Zzluin, est le chef-lieu d'un généralat
très-étendu, qui comprend les places de Petrinia, Goszpich, Ollochacz,
Ogulin, Szluin, Zeny, et nombre d'autres; car dans la Croatie comme
dans la Bosnie et la Dalmatie, il n'y a si petite colline qui n'ait une espèce

EUROPE. — ROYAUME DE CROATIE.
455
de fort. Belovar, ville nouvellement bâtie, la plus jolie de toute la Croatie,
est le chef-lieu de l'état-major des deux régiments du Bannat.
Tels sont les détails qu'il était utile de donner sur ces deux provinces,
intitulées royaumes, quoique l'Esclavonie n'ait guère que 7 à 800,000
habitants, et la Croatie un peu plus de 1 million, y compris les districts
militaires.
Dans cette population il n'entre que très-peu de Hongrois, mais un
nombre considérable de Serviens, principalement pour la Syrmie. Le dia-
lecte slavonien se rapproche, par sa douceur, de celui de Servie. Les
Croates, anciennement Horwather, Hrowathes ou Chrobates, c'est-à-dire
montagnards, forment seuls la population de leur pays; c'est une branche
particulière de la grande famille slavonne ; leur dialecte, infiniment plus
dur et surtout plus guttural que les divers dialectes serviens, forme un
anneau de transition entre les Slavons orientaux ou Russes et les Slavons
occidentaux ou Polonais-Bohèmes : l'idiome croate se rapproche spé-
cialement de celui des Slovaques de Hongrie, et des Bohèmes ou Czèches.
Venus probablement des monts Karpathes dans le septième siècle, les
Croates furent appelés par l'empereur Héraclius pour délivrer la Dal-
matic du joug des Abates, Avares ou Awares ; ils s'y établirent et sou-
mirent les peuplades anciennes d'une partie de l'Illyrie et du Noricum, peu-
plades proto-slaves, selon notre opinion, et dont les Wendes actuels nous
paraissent les descendants. Renforcés par tant de frères, ils fondèrent
les duchés ou principautés, en leur idiome zupanies, de Carinthie, de
Frioul, de Liburnie ou Croatie propre, de Jadra en Dalmalie, d'Esclavonie
et autres. Ces petits États plièrent en partie sous Charlemagne, mais
en général ils s'allièrent avec l'empire grec. Cependant, lors du schisme,
l'Église de Rome conserva sur eux son autorité spirituelle, tandis que
l'Allemagne leur transmit quelque chose de son esprit féodal. Leur pre-
mier archiziipan connu fut Crescimir, dans le dixième siècle, dont le
fils, Dircislav Ier, prit le titre de roi. La Croatie s'étendait alors sur la
partie occidentale de la Dalmalie et de la Bosnie-, la capitale, qui se nom-
mait Beligrad, semble avoir été sur les bords de la mer Adriatique, à
l'endroit nommé Zara-Vecchia par les Vénitiens, mais Biograd dans le
pays, quoique d'autres pensent que ce pourrait être l'endroit nommé
encore Biograd, Belligrad ou Bielgrad, sur la petite rivière de PJiva,
qui se jette dans le Verbas, vis-à-vis Jaïcza. Vers l'an 1100, la Croatie
fut incorporée à la Hongrie.
Les Croates, jadis très-belliqueux, ont continué jusque dans la der-

456
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
nièrc moitié du dix-huitième siècle, de ravager le territoire ottoman par
de petites incursions d'où ils revenaient en triomphe dans leurs vil-
lages. Le gouvernement autrichien les a soumis à une discipline plus
régulière-, mais ils préfèrent encore les hasards de la guerre aux travaux
de la paix. Ceux qui vivent plus loin de la frontière turque ont pris des
habitudes plus laborieuses. Sans civilisation, ils ne sont pas sans vertus ;
leur rudesse sauvage se joint souvent à des sentiments généreux, et
surtout à une grande fidélité envers un gouvernement qui sait manier leur
caractère. Leurs maisons ne sont que de vastes granges sans fenêtres,
sans cheminées, et où l'homme, le bœuf et le cochon vivent sous le même
toit. Leurs femmes aiment à réunir dans leur habillement les couleurs
les plus variées et les plus éclatantes. Plus de la moitié des Croates
vivent dans les districts militaires-, ce peuple a l'air d'une armée momen-
tanément arrêtée dans sa marche, et un voyage parmi eux animerait
le talent d'un historien des nations militaires du moyen âge.
La lisière étroite qu'on appelle tantôt Dalmatie hongroise, tantôt plus
exactement littoral d'Illyrie ou de Croatie, et, d'après la dénomination
officielle adoptée par le gouvernement autrichien, littoral hongrois, ren-
ferme quelques villes remarquables, parmi lesquelles nous distinguerons
Fiume, en allemand Saint-Veit-Am-Pflaum, en croate Reka, ville assez
florissante, surtout depuis que la belle chaussée Louise (Louisenstrasse),
lui ouvre une communication avec l'intérieur du pays.
Le port de Fiume reçoit 7 à 8,000 bâtiments, et la valeur des échanges
commerciaux s'élève à 4 millions de florins-, c'est le Trieste de la Hongrie,
et, comme Trieste, c'est une ville italienne par le langage, les mœurs et
le théâtre; mais les vents impétueux qui bouleversent le golfe Quarnero
en rendent l'accès difficile et quelquefois périlleux. Fiume est le siége de
l'évêché de Modruss, d'une cour d'appel, d'un tribunal de commerce
d'un comité sanitaire. Elle est défendue par deux forts, l'un sur une mon-
tagne, et l'autre sur la côte. Les anciens quartiers sont composés de rues
étroites et tortueuses; mais les nouveaux, beaucoup mieux bâtis, s'em-
bellissent de jour en jour. Les plus beaux édifices sont les églises, princi-
palement la cathédrale : on peut y joindre aussi le théâtre. Pour le dire en
un mot, Fiume est une ville industrieuse autant que commerçante : on y
compte plusieurs fabriques de draps, de toiles, de chapeaux, de liqueurs,
de faïence, etc. Tombée au pouvoir des Français en 1809, elle fut comprise
dans les provinces illyriennes, qui ne furent restituées à l'Autriche qu'en
1814. Le nombre des habitants de cette ville dépasse 10,000. Hors de ses

EUROPE.— ROYAUME DE DALMATIE.
457
murs on remarque le magnifique bâtiment de la compagnie des sucres, qui
est un des plus vastes établissements de ce genre.
Nous décrirons les îles du golfe Quarnero avec celles de la Dalmatie.
Autour de Fiume demeurent les Sbiztri, qui, selon les uns, sont d'an-
ciens Carni; selon les autres, d'anciens Liburmens; mais qui paraissent
avoir parlé un dialecte slavon qu'ils ont oublié pour l'italien.
Les autres petits ports du liltoral hongrois, tels que Zeng ou Segna,
Kralievicza ou Porto Ré, et Karlobago ou Carlopogo, ont moins d'impor-
tance, quoique ce dernier, dans lequel Joseph Il a fait creuser un bassin
profond et défendu contre les vents du sud-ouest par deux îles, soit le
point où aboutit la magnifique chaussée, établie à grands frais par-dessus
des montagnes jadis inaccessibles, et où roulent maintenant des voitures
et des caissons d'artillerie ; les distances y sont marquées par des pyramides
de marbre blanc, portant des cadrans solaires, et au pied desquelles jail-
lissent des fontaines rafraîchissantes.
Nous ne sortirons pas de cet intéressant coin de terre sans avoir fait
remarquer le petit canton de Turopolia (plaine de Turo), qui se compose
de 33 villages, dont les habitants, depuis Bela IV, jouissent des priviléges
de noblesse, s'administrent eux-mêmes sous un landgrave {cornes terres-
tris), exercent la juridiction criminelle, et envoient à la diète de Hongrie
un député spécial.
Vingt fois les caprices administratifs ont changé de forme et de place
ce littoral ; vingt fois l'esprit bureaucratique des statisticiens allemands
a déplacé les villes et les ports naturellement dépendants de la Croatie-,
mais la Hongrie a obtenu la restitution de cette dépendance.
Des rapports de langue et d'histoire lient à la Croatie et à l'Esclavonie
trois petites contrées situées sur la mer Adriatique, et aujourd'hui réunies
par l'administration autrichienne sous le nom de royaume de Dalmalie.
C'est le littoral de la région physique à laquelle appartiennent l'Albanie
et la Bosnie ; nous avons déjà, à propos de la Turquie, décrit ses caractères
physiques. Roches calcaires, terrains arides, marais et eaux stagnantes,
rivières en partie sans débouchés, cavernes et gouffres souterrains ; le soleil
de l'Italie, mais quelquefois le souffle glacial du bora; au lieu d'hiver, un
déluge de pluie pendant six semaines; les fleurs et les arbustes les plus déli-
cats végétant toujours en plein air; d'épaisses forêts dans les vallées inté-
rieures; à peine de l'herbe sur la côte, mais des olives, du raisin de Corinthe,
des vins doux et chauds; une immensité de poissons dans les nombreux
golfes; tels sont les traits dominants de ces contrées. La première est la
VII.
53

458
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME
Dalmalie ex-vénitienne, la seconde le ci-devant territoire de Raguse, la
troisième le district des Bouches de Cattaro.
Parmi les rivières qui arrosent la Dalmalie ex-vénitienne, il en est deux
qui se distinguent par leurs beautés pittoresques : la Kerka, née dans
une grotte, bondit à travers de nombreuses petites cascades et forme
surtout cinq grandes cataractes, dont celle de Scardona offre le coup
d'œil le plus romantique; la Cettina a un caractère plus sombre : deux
de ses sources jaillissent du sein de cavernes noirâtres-, la rivière, roulant
entre des précipices sauvages, tombe, près de Velika-Gubovitza, de
50 mètres de hauteur dans un abîme.
Zara, siège des autorités, avec un port fortifié, possède des fabriques
de rosoglio, de marasquin et d'étoffes en soie et en laine; Zara-Vecchia ou
Biograd, ancienne résidence des rois de Croatie; Scardona, sur la rive droite
de la Kerka, qui forme un peu au-dessus une cascade magnifique, ancien
chef-lieu de la province romaine de Liburnie, aujourd'hui siège d'un
évêché suffragant de Spalalro, petite ville que défendent une muraille et
deux forts, et qui s'est tellement accrue depuis plusieurs années par son
commerce avec la Turquie, que sa population est de plus de 8,000 indi-
vidus ; Sebenico, avec une cathédrale dont on admire la hardiesse et la
légèreté, un vaste port, que le fort San-Nicolo protège, et une enceinte
de rochers qui la défendent mieux que ses tours et ses mauvais bastions;
telles sont d'abord les villes qui attirent nos regards. Salona, patrie de
Dioclétien, ne s'est pas relevée depuis sa destruction au septième siècle
par les barbares. Près de là nous voyons Trau, en slavon Tragur, siège
d'un évêché, aussi bien que Nona, l'ancienne Ænona, petite ville réduite
à une population de 500 âmes, située à quelques lieues au nord de Zara,
dans une île jointe au continent par deux ponts; Spalalro ou Spalato,
siège d'un archevêché fondé en 650, et qui a pour suffragants tous les
évêchés de la Dalmalie, à l'exception de ceux du cercle de Raguse,
ville entourée de murailles en partie ruinées, pourvue d'un port excellent,
divisé en deux bassins, l'un extérieur, profond de 28 mètres, et pouvant
renfermer soixante bâtiments de 300 tonneaux; l'autre intérieur, profond
de 3 mètres, et contenant 20 navires de 100 tonneaux. Cette ville a été
bâtie au milieu des vastes ruines d'un palais de Dioclétien et d'autres anti-
quités romaines : la cathédrale remplace un temple de Diane; l'église
de Saint-Jean-Baptiste occupe l'emplacement d'un temple d'Esculape ;
une autre n'est qu'un temple de Jupiter auquel on a ajouté une flèche.
La ville possède un beau musée d'antiquités recueillies dans les environs.

EUROPE. - - ROYAUME DE DALMATIE.
459
Spalatro fait un grand commerce de viandes fumées et salées, d'huile, de
vin et de figues ; ses foires sont importantes ; elle a des fabriques d'étoffes de
laine, de soie, de liqueurs; des tanneries, des pêcheries considérables; enfin
son port en fait un des principaux comptoirs du royaume, et ses 9,880 habi-
tants l'une des villes les plus peuplées. Mais environnée de rochers d'où
s'échappent des sources sulfureuses que l'on emploie avec succès dans les
affections chroniques, elle n'a, pour ses besoins habituels, que de l'eau de
citerne. En suivant la côte, nous voyons Almissa, à l'embouchure de la
Cettina, au pied d'une montagne escarpée que domine un petit château
ruiné : les bords marécageux de la rivière en rendent l'air malsain; son
territoire produit des vins qui valent ceux d'Espagne, et beaucoup de bois
de construction. Macarsca, siège d'un évêché, possède un port d'où l'on
exporte une grande quantité de figues et d'autres fruits. Telles sont les
principales villes du continent dalmatien. Dans les montagnes de l'intérieur
on cite un bourg appelé Imoschi, habité par une peuplade robuste et d'une
haute stature, qui s'occupe avec soin de l'agriculture, et qui connaît par-
faitement l'art de dresser les chevaux. L'ancienne place forte de Sign a
été tellement ravagée par les tremblements de terre, qu'à l'exception d'une
caserne de cavalerie, les bâtiments militaires ne sont, plus que des ruines.
Une fontaine d'eau salée jaillit au nord de Sign, et est appelée par les habi-
tants zlanesline ou pierre salée.
L'ancienne république de Raguse, dont le territoire est aujourd'hui
incorporé à la Dalmatie sous le titre de cercle, conservera quelques pages
honorables dans l'histoire. Héritière de l'ancienne Epidaure, dont l'empla-
cement était près de Molonta, la vieille Raguse devint l'asile des anciens
colons romains; mais des tremblements de terre les obligèrent à se trans-
porter dans le site actuel. Là se développa, pendant les siècles orageux du
moyen âge une civilisation, une industrie, une politique dignes d'un plus
grand théâtre. Raguse, sous une constitution aristocratique, a quelque-
fois rivalisé avec Venise en navigation, en commerce et en manufactures-,
elle aexploité les mines de la Dalmalie et de la Bosnie; elle a produit des
poètes, des géomètres, des artistes, des historiens, et mérite d'être consi-
dérée comme l'Athènes de la littérature slavo-illyrienne. Vaincue par les
armes vénitiennes, ayant sacrifié sa marine par suite do son attachement à
l'Espagne, elle éprouva encore, en 1667, les ravages d'un grand tremble-
ment de terre : dès lors elle n'a pu se relever, et après avoir végété sous la
protection assez bienveillante de la Porte-Ottomane, elle a péri, en même
temps que Venise et Gênes, dans la grande invasion de l'Europe par les

460
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Français, des mains desquels elle a passé au pouvoir de l'Autriche.
Le territoire de Raguse, resserré entre la mer et une haute chaîne de
montagnes, occupe une surface de 79 lieues carrées ordinaires, et se
compose d'un étroit littoral montagneux, rocailleux, aride, où cependant,
sur quelques coteaux et dans quelques vallons privilégiés, la vigne, l'oli-
vier et toutes sortes de fruits prospèrent sous la main d'un cultivateur
industrieux. Ce littoral, de 34 lieues de longueur, et de trois dans sa plus
grande largeur, se termine au nord en une presqu'île appelée Sabioncello,
et est bordé de quelques îles d'une nature semblable. Il nourrit, dit-on,
environ 15,000 porcs, 10,000 moulons, 2,000 bœufs, 800 mulets, 600
ânes et 200 chevaux. Le blé qu'on y récolte ne suffit que pendant trois
mois à la nourriture des habitants·, mais la vigne y est si bien soignée,
que le vin y est bon et en surabondance, et la culture des oliviers y est
tellement importante, que l'huile y est excellente et compose la principale
branche d'exportation des Ragusains; du reste, le pays ne produit pas
assez de bois pour le chauffage, et l'industrie manufacturière s'y borne à la
préparation des cuirs et à la fabrication d'une chaussure à la mode
turque particulière au peuple, et à celle des housses et des couvertures de
chevaux.
Raguse, en slavon Dobronick, ville bâtie à l'italienne, et où dominent
aujourd'hui la langue et les mœurs de l'Italie, conserve encore le palais de
la république et quelques manufactures en soie, ainsi que des fabriques
de rosoglio ; on lui donne, probablement avec les faubourgs, 7,000 habi-
tants, parmi lesquels on compte beaucoup de Grecs. Cette ville, entourée
d'une double enceinte de murailles épaisses, de bastions et de tours, défen-
due aussi par les forts Mollo et San-Lorenzo, par un troisième que les
Français construisirent sur la petite île de Lacroma, et par un quatrième
qu'ils élevèrent au sommet escarpé du mont Sergio, et auquel on donna le
nom de fort Napoléon, est composée de rues généralement étroites, à l'ex-
ception de celle qui la traverse du nord au sud. Elle est le siége d'un arche-
vêché-, le palais du gouverneur et la cathédrale sont ses plus beaux édi-
fices. C'est dans ses murs que naquit le célèbre mathématicien Boscovich,
dont on remarque le mausolée dans la cathédrale. Le port de Raguse est
petit, et c'est à Gravosa que sont les chantiers et les magasins des Ragu-
sains ; ils possèdent encore 8C0 bâtiments de commerce. De la capitale à
Gravosa s'étend une suite de maisons de campagne.
Les vergers du district de Canali, dominés par le mont Sniecznicza,
où l'on voit quelquefois des neiges; la vallée d'Ombla, couverte de mai-

EUROPE. —ROYAUME DE DALMATIE.
461
sons de campagne jusqu'au bord de la mer; la petite ville de Stagno,
située sur deux golfes, mais qui reçoit par celui du nord les exhalaisons
pestilentielles des marais de la Narenta, et dont le port excellent, qui peut
recevoir 300 navires, fait un commerce important du produit de la pèche
des sardines; la péninsule de Sabioncello, nommée Peliezatz par les indi-
gènes, et peuplée de bons marins; voilà les traits de la topographie
ragusaine qui peuvent trouver place dans cet ouvrage. Nous ne pou-
vons nous arrêter à décrire les fêtes de saint Blaise, protecteur de
république, ni les usages intéressants de la Druczina, ou fraternité des
jeunes nobles, ni le caractère patriarcal des mariages de jeunes paysannes,
protégées de dames nobles, ni tant d'autres détails des mœurs anciennes,
soit slaves, soit romaines, conservées longtemps au sein de cette petite
nation évaluée au plus haut à 60,000 individus.
Les Bouches de Callaro sont une véritable curiosité géographique. Un
golfe profond pénètre en zigzag parmi des montagnes très-escarpées, et
se termine sans recevoir d'autre cours d'eau que des torrents. Il a environ
20 à 30 lieues de circonférence. Les écueils de Zagniza et della Madona
forment les trois entrées nommées Bouches de Cattaro; la principale do
ces trois bouches, formée par la pointe d'Ostro et l'écueil de Zagniza, a
près d'une demi-lieue de largeur et assez de profondeur pour que les vais-
seaux de ligne puissent y passer sans danger; la deuxième bouche, entre
l'écueil de Zagniza et celui della Madona, est large d'un tiers de lieue cl
profonde de 30 brasses; la troisième, entre l'écueil della Madona et la
pointe de Zagniza, a 60 mètres de largeur, et la mer y est si basse qu'on
peut la traverser à gué. Derrière ces embouchures, la partie étroite du
golfe porte le nom de canal de Cattaro. Sur les dernières pentes des
rochers, se groupent des oliviers, des figuiers, des vignes, des arbres frui-
tiers de toute espèce. Au milieu de ces masses de rochers et de verdure,
une bourgade suit l'autre, et les vaisseaux sont mouillés près des maisons.
Ce singulier paysage est couronné par les sombres forêts du Montenegro.
Dans cette espèce de vallée aquatique, la température des étés égale celle
de Naples; l'oranger et le limonier prospèrent en pleine terre; la neige
est inconnue, et pendant l'hiver, qui n'est qu'une saison pluvieuse, la
verveine triphylla, la fleur de passion et d'autres végétaux délicats ornent
la campagne.
Le territoire qui forme aujourd'hui le cercle de Callaro a environ 15
lieues de longueur sur 5 de largeup, et présente une superficie de 69 lieues
carrées. Il est séparé en deux par les bouches de Cattaro. Les habitants sont

462
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
plus éclairés et plus policés que les autres Dalmates, bien qu'ils soient
d'un caractère ombrageux et jaloux. Jadis ce territoire formait une répu-
blique ; mais l'énormité de ses dettes relativement à ses ressources, enga-
gea cet État à proposer de se réunir à la république de Raguse, sous la
condition que ses patriciens seraient admis dans le conseil. L'État de
Raguse rejeta ces propositions. La république de Cattaro s'offrit alors, sans
autre condition que le paiement de ses dettes, aux Vénitiens, qui accep-
tèrent, ce qui les aida à conquérir l'Albanie turque. Λ l'époque où les
Français dominaient en Dalmatie, ils possédaient aussi le territoire de
Cattaro, qui, depuis 1814, est rentré sous la domination de l'Autriche,
à laquelle il avait été cédé par le traité de Campo-Formio, en 1797.
Nous citerons les endroits remarquables: Callaro, au fond du golfe,
petite ville fortifiée, avec des habitants plus hospitaliers et plus italianisés
que les autres. Elle est située en partie sur Je golfe et en partie sur un
rocher du mont Pella ; quelques fortifications et le château fort de San-
Giovanni, élevé de 133 mètres au-dessus du niveau de la mer, la mettent
dans un bon état de défense. Cattaro est le siége d'un évêché suffragant
de l'archevêché de Bari, dans le royaume de Naples. Ses casernes , assez
bien entretenues, peuvent loger 2,000 hommes; son port est très-beau et
fort animé. Dobrola, bourg surnommé le très-catholique, et dont les habi-
tants ne se marient qu'entre eux; Persagno, village avec des maisons élé-
gantes et des mœurs sociables; Peraslo, petite ville dominée par un châ-
teau fort, se présente avec éclat sur un amphitéàtre ; Itisano est le siége
d'un évêché, ancien chef-lieu du golfe de Cattaro, et dont les habitants,
longtemps pirates et encore un peu sauvages, conservent un reste du
costume romain. Vientensuite le détroit de la Chaîne, qui peut être défendu
par de la mousqueterie. La crainte des invasions de pirates paraît jadis
avoir fait resserrer les habitations en dedans de cette barrière naturelle;
aujourd'hui même on ne voit sur les rivages du golfe extérieur que la
bourgade de Théodo, composée de maisons de campagne, et la ville de
Castel-Nuovo, fortifiée, mais petite et triste; au sud des Bouches propre-
ment dites, le canton de Zuppa, avec le grand port de Traste, et celui de
Pastrcvich, sont peuplés d'une race belliqueuse, toujours aux coups de
fusil avec les Monténégrins.
C'est l'extrémité méridionale de ces provinces maritimes que la Hongrie
réclame, mais qui ont une administration autrichienne particulière. Les
Boccheses, ou habitants des Bouches, joignent à la constitution robuste
des Slaves, la vivacité italienne ; dévots, jaloux, avides du gain, livrés en

EUROPE. — ROYAUME DE DALMATIE.
463
grande partie à la navigation, ne quittant le fusil que pour la rame ou le
gouvernail, ils conservent quelque chose de rude et de féroce. Le sang
pour le sang a longtemps été la seule justice sociale à leurs yeux. Encore
en 1802 on lapidait les filles devenues enceintes hors du mariage. Chaque
canton a ses immunités, ses magistrat s; et un si petit pays, peuplé de
35,000 individus, est encore partagé en faction catholique et faction
grecque. On l'appelle quelquefois Albanie autrichienne.
Visitons maintenant les principales îles de la Dalmalie, en commen-
çant par les plus méridionales, c'est-à-dire par celles du cercle de Raguse.
Meleda s'offre d'abord à nos regards séparée de la presqu'île de Sabioncello
par un canal dont la moindre largeur est d'une lieue. Elle en a 8 de lon-
gueur et une et demie dans sa plus grande largeur. Hérissée de mon-
tagnes calcaires, elle est entrecoupée d'environ 85 vallées, dont 15 sont
plus grandes que les autres, entre lesquelles se trouvent une innombrable-
quantité de précipices en forme d'entonnoirs. La plus grande de ses
vallées est celle de Babinopoglie-, elle a une lieue de longueur et porte le
nom du chef-lieu de l'île; dans sa partie septentrionale on remarque les
deux grottes d'Ostaferizza et de Movrizza, remplies de belles stalactites.
Le fond de la vallée de Blata se transforme l'hiver en un lac d'eau saumatre
d'un kilomètre de longueur; en été l'eau disparaît, et le terrain qu'occu-
pait le lac est mis en culture. En général toutes les vallées de Meleda sont
fertiles, mais cultivées avec peu de soin par unepopulation d'un millier d'ha-
bitants, quinetirentde la culture que la nourriture nécessaire pour le quart
de l'année, mais qui obtiennent de la pèche autour de leur île une grande
quantité de thons, de congres, de raies, de sardines et de coraux, dont ils
font un grand commerce ou dont ils se nourrissent; ajoutons à ces pro-
duits du vin assez bon, de l'huile, des fruits, du miel, de la cire, de la soie,
et la laine de leurs moulons. Les vagues battent avec violence la côte
méridionale, et, dans quelques endroits, la mer, en se précipitant entre
les gouffres formés par les rochers, y produit un bruit épouvantable.
La commune de Babinopoglie, la plus importante de l'île, se compose de
105 maisons disséminées dans la vallée et groupées en partie au pied
de la montagne escarpée de Veliki-Grad. L'île renferme 5 autres vil-
lages et hameaux, savoir: dans la partie orientale, Corilta, Maranovich
et Progiura, et dans la partie occidentale, Blatta et Govegiari. Elle est
gouvernée par un préteur de 3e classe, auquel est adjoint un chancelier :
sous la préture il y a la posdestaria, composée d'un podestat et d'un
secrétaire communal ; une garde territoriale, composée de 24 pandours.

464
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
est aux ordres du préteur. Les précipices en forme d'entonnoirs, qui
donnent un si singulier aspect au sol de Meleda, sont semblables à
ceux qu'on observe fréquemment dans les roches calcaires de la Dal-
matie et du sud de la Croatie.
A l'ouest de Meleda, nous voyons l'île de Lagosta ou d'Augusta, avec
ses remparts naturels, sa grotte et ses inscriptions dites phéniciennes. Au
sud de l'extrémité septentrionale de la presqu'île de Sabioncello, Corzola
ou Curzola, l'anciecnne Corcyra-Nigra, importante par ses bois de con-
struction, par ses 7,000 habitants répartis en 16 villages, un bourg et
une ville du même nom entièrement bâtie en marbre, et siége d'un évêché
suffragant de l'archevêché de Raguse, produit 80,000 barils de vin, mais
est mal pourvue d'eau. Nous pouvons citer encore Giüpina ou Scipan,
couverte de vignes, de vergers et de jardins. Cette île, ainsi que Mezzo et
Calamata, étaient nommées anciennement Elaphites, parce qu'elles nour-
rissaient un grand nombre de cerfs.
Au nord de la presqu'île de Sabioncello s'élèvent les îles qui appar-
tiennent au cercle de Spalalro. D'abord c'est Lesina, l'antique Phasos,
dont les côtes sont poissonneuses, dont le centre est occupé par des
rochers stériles dans lesquels on a ouvert des carrières de marbre rouge et
de marbre couleur de chair, dont les fertiles vallées sont couvertes d'oli-
viers, de vignes et d'arbres fruitiers, et dont le chef-lieu, Lesina, siége
d'un évêché, renferme un palais pour le gouverneur, un autre pour l'évê-
que, une cathédrale et plusieurs autres églises dignes d'être remarquées,
tandis que la ville joint à ces avantages celui de posséder un port spacieux
et d'être défendue par un château qui la domine. Lissa, à 7 lieues au sud-
est de la précédente, avec laquelle ses produits rivalisent, possède un
port fortifié sous Napoléon. Brazza produit 180,000 pièces du meilleur
vin de la Dalmalie, et fabrique d'excellents fromages; Santi-Petri ou
Saint-Ρierre, son chef-lieu, a un port abrité par un môle, et le bourg de
Milna a un grand chantier de construction pour les navires marchands.
L'île de Solta ou de Solita, est renommée pour l'excellent miel qu'on y
recueille; Bua renferme une carriere d'où l'on relire de l'asphalte.
Parmi les îles qui dépendent du cercle de Zara, nous citerons Coronata
ou Incorouata, longue de 6 lieues et large d'une demi lieue, qui nourrit
beaucoup de menu bétail, et exporte le meilleur fromage de la Dalmalie;
Mortero, ancien refuge des pirates, dont les habitants fabriquent un gros
canevas avec les fibres d'une espèce de genèt ; Isola-Grossa, l'ancienne
Scardona, longue de 10 lieues sur une demie de largeur, riche en vins, en

EUROPE. — ROYAUME
DE DALMATIE.
465
olives, en salines, mais dépourvue d'eau; Melada, trois fois plus large et
moitié moins longue, habitée seulement par des pécheurs; Pago, singuliè-
rement découpée en petites presqu'îles, et dont les salines produisirent,
sous la domination française, jusqu'à 140,000 quintaux de sel ; enfin Arbe
ou Barbuda, avec de beaux bois de construction, un sol fertile, et de nom-
breux troupeaux de moutons que le vent bora fait quelquefois mourir
de froid.
La Dalmalie exerce peu d'industrie, si ce n'est dans la construction des
navires. Le pays possédait, en 1816, près de 3,000 petits bâtiments qui
allaient jusque dans l'archipel. On a ouvert deux grandes routes, l'une de
Zara à Kirin, et de là vers Sign; l'autre le long de la côte. Les fabriques
s'occupent surtout à produire des liqueurs, telles que le rosoglio, le maras-
quin, qu'on tire des cerises acides cultivées dans l'île, et l'eau-de-vie,
extraite du fruit de l'arbousier, dont les îles incultes sont couvertes. On
estime l'exportation du vin à 650,000 eimer autrichiens (367,900 hecto-
litres). La pèche, principalement celle des sardines, du thon, du maque-
reau, produit annuellement 17,910,000 lire de Venise.
Le Dalmate indigène est d'origine slavonne comme le Bosniaque ; mais les
habitants des villes, placés depuis le huitième siècle sous la protection de
Venise, ont adopté la langue, les mœurs, la dévotion, la jalousie et le céré-
monial des Italiens d'autrefois. Une tribu particulière s'est établie dans
l'intérieur de la Dalmatic sous le nom de Morlaques. Ils se nomment eux-
mêmes Vlach, c'est-à-dire Valaques, mais ils portent l'empreinte d'une
origine particulière : ceux qui demeurent au nord, sur les bords de la
Kerka, ont le teint blanc, les yeux bleus, la chevelure blonde; en même
temps, ils ont le nez un peu aplati, la bouche large et un air de douceur;
on dirait un mélange de Goths et de Tartares ; ceux qui demeurent plus au
sud, le long de la Coltina et de la Narenta, ont le teint olivâtre, le visage
long, les cheveux noirs et l'air menaçant; tous parlent un dialecte slavon
mêlé de mots latins ou plutôt valaques. Leurs romances tragiques ont attiré
l'admiration des littérateurs. Deux opinions sur leur origine méritent
notre attention. Selon les uns, ils seraient des Bulgares devenus Slavons
parla langue, et mêlés de Valaques; ils se seraient établis ici vers l'an 1019,
et auraient pris le nom de More-Vlaques, Valaques maritimes. Selon les
autres, leur origine remonterait jusqu'aux Avares ou Awares, qui, domp-
tés dans le septième siècle par les Slavons-Croates ou Chrobales, seraient
restés parmi eux en conservant quelque chose de leur physionomie origi-
naire. Ni l'une ni l'autre hypothèse, prise isolément, n'expliquent la subdi-
VII.
59

466
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
vision des Morlaques en deux tribus physiquement distinctes Nous recom-
mandons cet objet aux voyageurs futurs. Un canton de la Dalmatie conserve,
sous la monarchie autrichienne, des formes républicaines ·, c'est la Poglitza,
au nord-est de Spalatro : trois castes, formant en tout 16,000 individus,
occupent ce pays; c'est de la noblesse hongroise, de la noblesse bosnia-
que, et une masse de Morlaques; la peuplade se réunit annuellement dans
un zbor ou assemblée, pour choisir ses magistrats, parmi lesquels le grand-
comte doit toujours être un Hongrois. Tous soldats, les Poglitzans ne
paient au souverain qu'un tribut fixe.
Il ne nous reste qu'une seule province à parcourir, c'est la Transyl-
vanie, qui politiquement forme un État particulier avec le titre de princi-
pauté, mais qui, aux yeux de la géographie naturelle, n'est qu'une conti-
nuation de la Haute-Hongrie. On dispute toujours pour expliquer le nom
allemand de Siebenburgen qu'on donne à ce pays-, ce nom veut-il dire
sept montagnes ou sept bourgs? Vient-il-de sept chefs hunniques qui s'y
établirent, ou d'une dénomination semblable d'un groupe de montagnes
sur les bords du Rhin (Siebengebirge) ? Serait-ce un ancien peuple nommé
Sibyni, qui aurait laissé ici des traces obscures, entre autres le nom de
Szeben ou Cibinium, donné à une ville importante? Nous n'avons pu nous
former aucune opinion sur ce point; nous dirons seulement que les Hon-
grois, d'après la situation ou relation de ce pays, l'ont nommé dans leur
Langue Erdely, ce qui a été traduit en latin par Ullrasylvania, et ensuite
par Transylvania. Déjà nous avons tracé la géographie physique de cette
contrée; ses Alpes, ses fleuves, ses productions, son climat, ont été décrits
autant que les rapports des voyageurs et des géographes ont pu les faire
connaître. Parcourons les districts et les villes principales.
Trois nations sont reconnues politiquement comme ayant droit de repré-
sentation à la diète de Transylvanie; ces trois nations habitent trois parties
distinctes de cette principauté. Le pays des Hongrois forme principalement
la partie nord et ouest; le pays des Szeklers borde les frontières orientales,
et le pays des Saxons occupe la partie méridionale. Les Valaques, presque
égaux en nombre à toutes ces nations constituées , n'ont pas de district
particulier; ils sont pour la plupart établis dans les parties centrales et
orientales. Il est encore une autre division administrative : c'est celle des
districts militaires ou du généralat.
Les Saxons possèdent Hermanstadt, ville de 21,000 âmes, ceinte de
murs, bien bâtie, chef-lieu de la nation saxonne, résidence du comman-
dant militaire et de plusieurs autorités supérieures de la Transylvanie. Elle

EUROPE. — PRINCIPAUTÉ DE TRANSYLVANIE.
467
possède plusieurs établissements d'instruction et de bienfaisance. Cette
ville, située dans une plaine fertile, élevée de 3 à 400 mètres au-dessus
du niveau de l'Océan, et traversée par le Ziblin, qui s'y divise en deux
bras, est le siége d'un évêché grec ; elle est divisée en ville haute et ville
basse. Les casernes, la maison des orphelins et lepalaisBrukenlhalsontses
principaux édifices. Le nom d'Hermanstadt provient d'un certain Hermann,
de Nuremberg en Franconie, l'un des chefs de la colonie saxonne ou alle-
mande qui s'y établit du temps de premiers rois saxons. Il est regardé
comme le fondateur de cette ville; mais les Hongrois la nomment Szeben
ou en latin Cibinium, sans que les documents à notre connaissance indi-
quent l'origine de celte dénomination.
La porte de la Tour-Rouge (Rothen-Thurmer-Pass), au-dessous du vil-
lage de Boitza, est un célèbre passage à quelque distance d'Hermanstadt.
L'Aluta y pénètre à travers une vallée étroite, et se précipite dans les plaines
de la Valachie. Reps, qui possède un haras, une source saline et une mine
de soufre, et qui tient une grande foire de chevaux; Heltau, où l'on
fabrique beaucoup de draps ; Rosinar ou Résinar, siège d'un évêché gréco-
valaque; Gross-Schenck, et autres bourgs très-considérables, sont, ainsi
qu'Hermanstadt, situés dans l'Altland, c'est-à dire vieux pays, vieille
cdlonie.
Schassbourg, en hongrois Segesvar, divisée en ville haute et ville basse,
dont la première est fortifiée et située sur une montagne de 75 mètres
d'élévation, tandis que la seconde est ouverte et occupe une plaine, est
importante par ses manufactures de draps et ses filatures de coton;
Medwisch ou Mediasch, ville libre royale, est renommée pour les vins de
ses environs, et regardée comme la Colonia Media des Romains; enfin
Berthelm ou Berethalom, en allemand Birihelm, est un grand bourg où
réside l'intendant des églises luthériennes. Ces lieux se trouvent dans la
contrée nommée Wein-Land, c'est à-dire pays des vignobles.
Mülhenbach, où l'on fabrique beaucoup de bière ; Reismarkt ou Reuss-
markt, qui récolte de bon vin; et Szaszvaros, en allemand Broos, bien
peuplée, bien bâtie, avec un vaste château, sont les principales villes de la
contrée dite avant les forêls.
Fogaras ou Fagaras, bourg garni de jolies maisons, siège d'un évêché
grec-uni, sur la rive gauche de l'Aluta, que l'on traverse sur un beau pont,
avec une grande place et des édifices élégants, est situé dans un district
qui n'appartient aux Saxons que par un contrat de bail, ce qui paraîtra
singulier aux publicistes français; mais nous sommes ici dans un coin de

468
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
la vieille Europe, où l'on respecte les droits acquis. Cronstadt ou Burzen-
land, en hongrois Brasso, première ville de Transylvanie, tant en richesse
qu'en population, puisqu'elle fait un grand commerce, qu'elle possède des
forges, plusieurs manufactures, et plus de 30,000 habitants, a quelques
fortifications, des collèges luthérien et catholique, une douane et un théâtre.
On évalue à 7 millions de florins la valeur des marchandises achetées et
vendues, dont 5 millions pour le compte de la compagnie grecque. Ses
nombreuses manufactures ne sont que des établissements particuliers. Le
Burzenland, c'est-à-dire le pays des tempêtes, dont Cronstadt est le chef-
lieu, occupe l'extrémité orientale de la Transylvanie qui louche les limites
militaires, et compte parmi ses habitants 60,000 Valaques. Bisztritz ou
Beszlerze, ville libre royale et fortifiée, avec un collège de calvinistes,
2 hôpitaux et 3 églises, est le chef-lieu d'un district isolé qui comprend le
pays de Nosn, vers les frontières de la Bukowine.
La fondation et l'existence d'une petite nation allemande au milieu des
pays slavons, valaques et hongrois, sont des phénomènes historiques et
géographiques. C'est le roi Geysa II qui, en 1143, appela un grand nombre
de familles allemandes, principalement de Franconie, de Westphalie et de
Thuringe, pour occuper les déserts à l'orient de la Hongrie, et pour garder
le royaume de ce côté contre les invasions des barbares. Cependant Her-
mann, fondateur de la ville qui porte son nom, est censé avoir assisté aux
noces du roi Etienne Ier, en l'an 1002 ou 1003. Le roi André II, par un
diplôme de 1224, accorda à ses hôtes teutoniques des immunités qui en ont
fait un corps de nation jouissant de son propre droit politique et munici-
pal; ces privilèges ont été conservés à travers diverses luîtes élevées par le
despotisme, depuis 1586 jusqu'en 1790, c'est-à-dire depuis Bathory jus-
qu'à Joseph H, qui déclara, mais en vain. « la nation saxonne éteinte. »
On ignore si les colons allemands trouvèrent ici quelques restes des Goths ;
probablement il y rencontrèrent quelques villages slavons; mais on sait
avec certitude qu'ils reçurent en don « les forêts des Blaches (Valaques),
« et des Bissènes (Petchenègues), avec lesdits Blaches et Bissènes. » Ils
employèrent ces peuples à la garde des troupeaux, et ne tolérant parmi
eux-mêmes aucune aristocratie héréditaire, ils n'imposèrent à leurs vas-
saux aucun joug féodal. Sous leurs magistrats et leurs sénats électifs, ils
jouissent d'une grande liberté civile, et leurs députés participent dans les
diètes de Transylvanie à la liberté politique des Hongrois. Leurs règlements
municipaux contiennent des dispositions très-curieuses pour lemaintien
des mœurs; ils divisent la population en fraternités, en voisinages et en

EUROPE. — PRINCIPAUTÉ DE TRANSYLVANIE.
469
dizaineries, en assignant à ces corporations et à leurs membres des devoirs
réciproques, et en établissant partout une sorte de police de famille. Les
habillements, les cérémonies, les fêtes, tout y est réglé, et souvent avec
beaucoup de sagesse. L'esprit novateur a l'ait fléchir sur beaucoup de
points ces institutions fortes et élevées-, la religion évangélique conserve
encore son ancienne pureté, et partout la jeunesse apprend dans les saintes
Ecritures les éléments de sa langue. Ces Allemands s'appellent toujours
Deutsche, et le nom latin officiel de Saxons leur a été donné par
les Magyars, qui probablement l'avaient adopté de leurs ancêtres
finnois.
Les Saxons transylvains sont, en général, d'une haute stature, vigou-
reux et bien conformés. Une mâle sévérité se peint sur leur visage. Leur
démarche, leur langage, et jusqu'au moindre de leurs mouvements, toute
leur personne, portent l'empreinte d'un calme et d'un phlegme qui contras-
tent singulièrement avec la pétulance des Hongrois. On trouve, en général,
parmi eux beaucoup d'éducation, des connaissances étendues dans les
sciences, et même une vraie érudition. Leur langue nationale est une sorte
d'allemand fort grossier et aujourd'hui tellement corrompu, qu'il est pres-
que inintelligible. Ce langage diffère de l'allemand proprement dit par la
prononciation, et surtout parce qu'il offre une foule de mots propres, à
peu près comme les dialectes vénitien et toscan.
Les Saxons ont en général, de l'activité et un grand amour pour le tra-
vail; l'élégance de leurs demeures l'annonce déjà. En effet, autant leurs
habitations se font remarquer par la propreté et la solidité de leur construc-
tion, autant celles des Hongrois et des Valaques sont faciles à distinguer
par leur aspect triste et dégoûtant ; ce ne sont, presque toutes, que des
huttes de terre couvertes en chaume ou en roseaux, qui n'offrent dans
l'intérieur aucune sorte de commodité. Les maisons des Saxons, générale-
ment élevées, ont, du moins pour la plupart, des tuiles pour couvert, ce
qui est un objet de luxe dans ce pays. Ces dernières, construites avec régu-
larité et bien alignées, forment de larges rues, au milieu desquelles domi-
nent les fours communs. La plus grande propreté règne dans l'intérieur
de ces maisons. Le besoin et la gène dans laquelle vivent quelques-uns de
ces Saxons leur ont fait perdre en grande partie la probité qui caractérisait
les anciens Allemands. Leurs discours ainsi que leurs actions annoncent
de la méfiance ou le désir de tromper. Ils ont, en général, un caractère
morose et mélancolique-, aussi se réunissent-ils fort peu. Peut-cire en doit-
on chercher la cause dans l'économie, qui leur est si nécessaire. Les étran-

470
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
gers ne peuvent les trouver aimables ; ils leur paraissent même dédaigneux
tant ils mettent de réflexion dans les moindres actions de la vie.
Les Saxons qui habitent la Transylvanie s'adonnent beaucoup à la cul-
ture de la vigne. Ils mènent tous une vie très-frugale : un peu de lard et quel-
ques légumes composent leur nourriture habituelle. Quant au vêtement
des hommes, on le voit formé, en général, d'une longue redingote fourrée,
qui tient le milieu entre l'habit hongrois et l'ancien costume allemand. Les
femmes portent une robe blanche et un tablier noir en soie, à la manière
de nos soubrettes. Elles relèvent leurs cheveux sur le haut de la tête avec
autant de grâce que d'élégance; quelquefois aussi un long voile, qui des-
cend jusque sur les épaules, couvre leur tête et enveloppe entièrement leur
coiffure. Ce costume, qui ne laisse pas que d'avoir une certaine dignité,
sied très-bien à celles qui ont de la physionomie et une taille élancée. Les
jeunes filles se font distinguer par la manière dont elles arrangent leurs
cheveux : elles les laissent aller sur le devant de leur tête tout à fait à
l'abandon, tandis qu'elles les tressent avec beaucoup de soin sur le der-
rière de leur coiffure. Elles ont le soin de relever la beauté de leur teint
par des rubans dont les couleurs sont généralement vives ou du moins bien
nuancées.
Dans la contrée des Sicules, ou Sicliens, en allemand Szeklers, on ne
rencontre généralement que de grands bourgs, tels que Szent-Miklos, avec
une belle église arménienne; Szehely-Udvarhely, avec 6,000 habitants;
Sepsi-Szent-Gyorgy, quartier-général de l'état-major du régiment des
hussards Szeklers ; Kezdi-Vasarhely, résidence des chefs du 2e régiment
d'infanterie des Szeklers ; Czik-Szereda, où se tiennent chaque année de
grandes foires ; Miklos-Var, Illyefalva et autres, ainsi que celui de Fel-
vincz, chef-lieu du siège d'Aranyos, enclavé dans le pays des Hongrois.
Cependant il y a une ville royale, Maros-Vasarhely, ou Szekely-Vasarhely,
en allemand Neumarkt, peuplée de 10,000 âmes et formée de deux quar-
tiers distincts : l'un sur une hauteur et entouré de murailles ; l'autre ouvert
et bâti dans une plaine. On y remarque quelques beaux édifices, entre
autres le palais de Tékély. Les contrées habitées par les Szeklers sont
hérissées de montagnes, mais fertiles en grains et en fruits ; cependant les
habitants du district de Czik émigrent pour gagner leur vie.
Les Szeklers nous paraissent un reste de Patzinakites qui ont adopté la
langue hongroise. Voués au service militaire, ils vivent de leurs champs,
de leurs bestiaux, de la coupe de leurs bois, et quoique leur nom ait retenti
relativement aux crimes de Rastadt, ils sont moins barbares que grossiers.

EUROPE.—PRINCIPAUTÉ DE TRANSYLVANIE.
471
Les Szeklers, que quelques-uns ont fait descendre des Huns, qui possé-
daient une partie de la Transylvanie en 376, paraîtraient avoir la même
origine que les Hongrois; du moins la langue dont ils font usage, ainsi
que leur extérieur et toutes leurs habitudes, tendent à confirmer celte opi-
nion. Ce qui les distingue des autres Magyars dépend peut-être de l'in-
fluence du pays qu'ils habitent. Ils ont pu du moins y conserver leur carac-
tère et leurs mœurs primitives ; aussi, habitant de hautes montagnes qui
les protègent contre les invasions des nations étrangères, ont-ils plus de
constance et d'amour de la liberté que les Hongrois proprement dits. D"une
taille moyenne, mais généralement forts et vigoureux, ils ont su de tous
temps se distinguer par leur bravoure; et, moins ennemis du travail que
les Magyars, ils jouissent aussi d'une plus grande aisance. Cependant leur
activité se borne jusqu'à présent à se procurer les choses les plus néces-
saires à notre existence.
Les Hongrois habitent seuls ou conjointement avec les Valaques et les
Saxons les lieux que nous allons passer en revue: Klansenburg, en hon-
grois Kolosvar, en valaque Κlus, importante comme capitale de la Tran-
sylvanie et par sa population de 25,000 âmes, siége ordinaire des diètes
de la principauté, siège également d'une surintendance unitaire dont la
juridiction s'étend sur toute la principauté, d'un consistoire réformé, d'une
université catholique, et de deux gymnases académiques, l'un appartenant
aux calvinistes, l'autre aux sociniens ou unitaires. La ville proprement
dite est petite ; mais elle est environnée de cinq faubourgs, et défendue par
une muraille et un fossé, et par un fort placé sur une colline isolée. Elle
est divisée en ville vieille et en ville nouvelle, dont aucune des deux n'est
pavée. On y remarque quelques belles rues, plusieurs palais élégants, des
maisons bien bâties, un théâtre hongrois et de jolies promenades. L'hiver
elle devient le séjour de la noblesse et prend un aspect assez animé ; mais
l'été, abandonnée par les personnes opulentes qui se retirent à la cam-
pagne, elle n'est plus qu'un séjour fort triste. Depuis 1825, il s'y tient
chaque année, au mois d'août, une importante foire pour les chevaux de
luxe, à laquelle se rendent un grand nombre de seigneurs et plusieurs
milliers d'étrangers. On a lieu de croire que la vieille ville a été fortifiée
par les Romains, qui y entretenaient la sixième colonie appelée Claudio-
polis ; une inscription en l'honneur de Trajan se voit encore sur une des
portes de la ville. C'est la patrie du roi Mathias Corvin. C'est du bourg
d'Apafi-Falva que furent originaires les princes Apafiens, derniers souve-
rains de la Transylvanie; Gyalar, village avec un château considérable,

472
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
renferme les plus belles usines de fer de toute la Transylvanie ; Thoren-
bourg ou Τhorda, bourg de 8,000 habitants, est divisé en deux : le vieux
et le nouveau Thorenbourg ; outre un gymnase, il possède une école mili-
taire pour une cinquantaine d'élèves; cet endroit était la garnison de la
7e légion romaine : on y a trouvé de nombreuses inscriptions funéraires.
Près de là s'élèvent sur une colline les ruines de l'antique forteresse de
Salinœ, et s'étend le champ de bataille sur lequel Trajan défit les Daces.
Aux environs on trouve des mines de sel, une belle caverne, et une exploi-
tation d'albâtre très-estimé. Zalalna ou Zlalna, qui a donné son nom à
un bon poëme allemand, jouit d'une situation charmante; Nagy-Enyed, eu
allemand Strasbourg, avec un gymnase de calvinistes, et une population
de 6,000 âmes, est du nombre des bourgs affranchis de la juridiction de
leur comitat qu'on nomme Oppida nobilia. Torosko, et Koros-Banya, ou
Altenbourg, sont des bourgs de mines dans une contrée riche en or ; Deva,
en allemand Dimrich ou Schlossberg, est un bourg grand et florissant,
qui passe pour être l'ancienne cité dace appelée Decidava, dans laquelle
Decebalus, dernier roi des Daces, a été enterré. On exploite dans ses envi-
rons une mine de cuivre et une houillère. Non loin de là se trouve la
Porte-de-fer, en hongrois Vas-Kapa, défilé fameux qui mène dans la
plaine de Temesvar.
La ville royale de Karlsbourg mérite quelque attention : les Hongrois
l'appelaient autrefois Gyula-Fejervar ; ils la nomment aujourd'hui Karoly-
Fejervar, et les Yalaques Belgrad. Les anciens paraissent l'avoir appelée
d'abord Apulum, puis Alba Julia en l'honneur de Julia Augusta, mère de
l'empereur Marc-Aurèle. Elle est située sur la rive droite du Maros qui y
reçoit l'Ompoly. Divisée en deux parties, on y distingue la ville proprement
dite et le quartier de la forteresse, qui, bâtie sur une colline, domine les
deux quartiers. Elle est le siége de l'évêché catholique de la Transylvanie.
Sa cathédrale renferme les tombeaux de Jean Corvin, de son fils Ladislas,
de la reine Isabelle et du duc Sigismond ; l'église de Bathory est décorée du
superbe mausolée élevé par Etienne Balhory, roi de Pologne, à son frère
le prince de Transylvanie. Cette ville, assez bien bâtie, et peuplée de
11,000 âmes, possède une école de théologie, une bibliothèque publique
et un observatoire. Comme elle est dans le district le plus riche en mines
d'or de tout l'empire d'Autriche, elle renferme un hôtel des monnaies et un
établissement pour la préparation du mercure.
Abrud-Banya, en allemand Gross-Schlatten, bourg où siéga longtemps
la chambre des mines de la Transylvanie, possède aussi une direction des

EUROPE. — PRINCIPAUTÉ DE TRANSYLVANIE.
473
mines : on prétend que ce bourg existait au temps des Romains sous le
nom d'Auraria, Veröspatak est encore célèbre par ses mines d'or, qui ont
commencé à être exploitées par les anciens; aux environs de Kapnik-
Banya on extrait des minerais d'or, d'argent et de plomb. Szamos-Ujvar,
en allemand Armenienstadt, jolie colonie d'Arméniens, qui y nomment le
magistrat, est une petite ville royale, défendue par un château fort, et en-
vironnée de sources salées et de mines de sel. Élisabelhstadt ou Ebesfalva,
est une autre jolie ville où les Arméniens font un bon commerce de laines
et de vins. Nous remarquerons encore dans le comitat d'Hunyad, les
ruines de l'ancienne capitale de la Dacie, la Sarmiza gethusa des Daces,
et l'Ulpia-Trajana des Romains; elles se réduisent à quelques tas de
pierres près du village de Varhely ou de Gradisten, où l'on trouve beau-
coup d'antiquités romaines.
Les frontières qui bordent la Turquie au sud et à l'est sont divisées en
cinq districts régimentaires. Le 1er régiment Valaque, sur la limite méri-
dionale, s'étend de l'ouest à l'est depuis l'extrémité occidentale de la Tran-
sylvanie jusqu'au district de Fagaras; les hussards Szeklers se prolongent
jusqu'aux terres occupées par le 11e régiment Szekler, situées au sud du
district de Cronstad, et qui bordent la frontière orientale jusqu'au terri-
toire du 1er régiment Szekler, qui continue à la circonscrire dans la même
direction jusqu'aux terres occupées par le 11e régiment Valaque.
Terminons la topographie par une remarque sur le nom des monts Kar-
palhes. Ce nom, qui se trouve pour la première fois dans Ptolémée, n'est
pas étranger à la géographie grecque la plus ancienne : l'île de Karpathos,
et la partie de la mer à laquelle cette île montagneuse a donné son nom,
figurent déjà dans les poëmes d'Homère. Il y a plus, ce nom subit en grec
précisément la même méthathèse que dans les idiomes slavons; on écrit
krapalhos, au lieu de karpathos. C'est ainsi que les Polonais et les Bohêmes
disent hrapac (prononcez Krapats), tandis que les Russes et les Servions,
s'ils étaient habitants de ces régions, écriraient certainement karpat, selon
le génie de leur langue. Que ce nom ait des rapports avec chrebel, mon-
tagnes (en russe); avec chrapien, gravir, chropawy, inégal (en polonais);
avec les noms de peuple Chrobates, Chorwates et autres; que même le
nom grec des monts Riphéens en soit un homonyme défiguré, c'est ce que
nous ne discuterons pas ici. Mais quelques-uns de ces rapprochements ont
beaucoup de probabilité, et il n'est pas douteux qu'une partie des tradi-
tions grecques relatives aux monts Riphéens ne se rapporte aux montagnes
de Hongrie et de Transylvanie.
VII.
60

474
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Dans le cours de la description spéciale des provinces et des villes, nous
avons tracé le portrait des nations diverses assujetties, incorporées ou
associées à la Hongrie; mais nous avons réservé pour ce coup d'oeil
général les notions que nos lecteurs attendent sur la nation hongroise
elle-même. Ces notions embrassent nécessairement l'origine des Hongrois,
l'un des problèmes les plus compliqués que l'ethnographie présente.
Étudions d'abord les Hongrois dans leur manière d'être au physique et
au moral. Entrés dans le bassin de la Theiss et du Danube par la plaine
où s'élancent les châteaux d'Unghvar et de Munkacs, ils ont envahi tout
le pays plat, en laissant les contrées montagneuses du nord-ouest et du nord
aux Slovaques, reste de l'empire de Moravie, ou Maravania, et en s'arrê-
tant, au sud-ouest, aux pieds des montagnes de la Styrie et de la Croatie,
où ils rencontraient également des tribus slavonnes, les Wendes et les
Croates. C'étaient ieur vie pastorale et le grand nombre de leurs troupeaux
qui ies fixaient dans ces grandes plaines; c'était aussi ce pays ouvert que
les Pannoniens, les Sarmates, les Huns et les Awares, s'étaient succes-
sivement arraché. Mais une ou même plusieurs tribus hongroises parais-
sent, selon nous, s'être établies de bonne heure dans les montagnes qui
remplissent le nord-ouest de la Transylvanie, ou le bassin des deux
Szamos. La Hongrie Noire nous paraît avoir compris ces contrées lors de
sa réunion à la Hongrie proprement dite, en l'an 1002. Enfin, nous avons
déjà vu que les Szeklers, dans la partie orientale de la Transylvanie, sont
une tribu hongroise ou semi-hongroise, établie dans son pays actuel dès
le neuvième siècle. La totalité de la nation hongroise, en y comprenant
les Koumaniens et les Iasz, ou Jazyges, s'élève aujourd'hui à plus de
4,300,000 individus, dont un demi-million en Transylvanie. Elle est tou-
jours inférieure en nombre aux nations slaves réunies, mais supérieure à
toute autre race.
Les Hongrois sont en général d'une taille moyenne, mais d'une consti-
tution vigoureuse. Les membres très-musculeux, les épaules larges, la
figure carrée, les traits prononcés, sont les caractères physiques qui frap-
pent immédiatement l'observateur: bientôt, cependant, il distingue dans
la noblesse quelques races d'une taille plus svelte et quelquefois plus élan -
cée ; mais peuple et noblesse, tout Magyar a reçu en partage cet air de
fierté qui annonce le sentiment de la force, celle valeur martiale qui se
plaît aux fatigues de la guerre, cette vivacité un peu rude qui tient à
des mœurs militaires, et cet enjouement qui caractérise les enfants de la
nature. Les cheveux brun-clair paraissent communs, mais, selon quelques

EUROPE.— NATION HONGROISE.
475
rapports, les cheveux noirs seraient prédominants. Le tempérament san-
guin et le tempérament bilieux se partagent la nation.
Mais à ces traits généraux il faudrait pouvoir ajouter quelques modifica-
tions selon les classes. Or, qu'est-ce que les voyageurs nous ont appris?
Peu de chose, ou rien. Élevée dans le système général de la civilisation
européenne, maîtresse d'immenses revenus, attachée par des mariages et
par des dignités à la cour de Vienne, la haute noblesse de Hongrie a pris
dans les mœurs allemandes, anglaises et même françaises, ce qu'elles
offrent de plus saillant; elle cherche à briller tour à tour par des fêtes
magnifiques et par des établissements patriotiques ; elle éclipse les courti-
san:; allemands par sa tournure élégante, par ses folles dépenses, comme
elle déroule ou cherche à dérouter les ministres allemands par son opposi-
tion énergique ou du moins bruyante dans les diètes; mais, n'ayant au
fond rien à gagner à des changements politiques, elle s'assimile de plus en
plus à l'aristocratie autrichienne et à l'aristocratie galicienne. La noblesse,
peu fortunée, forme une classe très-différente par ses intérêts, ses senti-
ments et sa manière de vivre; elle aime la vie des champs, autant par
nécessité que par goût; elle montre une grande ardeur pour sa langue
nationale; elle voudrait étendre et fortifier ses priviléges ; le christianisme
selon l'Évangile, soit dans la forme luthérienne, soit dans la forme calvi-
niste, est très-répandu dans cette classe.
Tous les nobles hongrois, riches ou pauvres, se distinguent par des
manières franches et hospitalières, par une affabilité cordiale, par une
conversation aimable et enjouée. Le grand seigneur, maître d'un revenu de
plusieurs millions, et le gentilhomme cultivateur sous son toit de chaume,
accueillent avec la môme bonté l'étranger qui se présente sous des dehors
honnêtes; un voyageur qui saurait parler hongrois pourrait presque par-
courir le pays sans avoir besoin d'auberges.
Le paysan forme la masse du peuple hongrois; il est loin d'éprouver les
malheurs d'une servitude rigoureuse. C'est dans cette race robuste qu'un
observateur physiologiste et philologue pourrait étudier à fond les traits
caractéristiques de la nation magyare. Ce qu'on en sait ne touche qu'aux
surfaces. Le costume du paysan hongrois est celui d'un climat froid et
d'une vie de pasteurs. Un large pantalon couvre le bas du corps, tandis que
le haut est défendu, outre la veste, par une gouba ou tissu imitant parfai-
tement une peau de mouton. Le bonnet de feutre, ou le kalpak, devenu
une partie élégante du costume des cavaliers et même des rois, conserve
chez le paysan sa forme tatare ou finnoise. Les bergers du comitat de

476
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Schimegh, ou Sumegh, paraissent avoir conservé le type le plus rustique
de l'habillement national. Une chemise et des pantalons de toile bien
enduits de graisse, afin d'en prolonger la durée et d'éloigner la vermine,
pendent sur le corps de ces demi-sauvages jusqu'à ce qu'ils en tombent par
lambeaux ; les pieds sont enveloppés dans des chiffons de toile, et un mor-
ceau de cuir, assujetti avec des courroies, tient lieu de semelles. Quelques-
uns portent le gouba, ou le manteau de laine, d'autres une simple peau de
mouton ; tous ornent de rubans leur grossier chapeau, tandis que les che-
veux, graissés au lard, sont attachés derrière les oreilles avec des nœuds.
Une besace est suspendue sur l'épaule par une courroie ornée de boutons de
métal ; mais ce qui complète le costume de ces sauvages, c'est la valaska, ou
la petite hache fixée à un long manche, arme qu'ils savent manier avec une
grande adresse, et qui sert quelquefois à commettre des meurtres. Tels sont
encore les Iouhasz, et tels ils figuraient peut-être dans les armées d'Attila.
Les paysans hongrois, fidèles à leurs coutumes tatares, n'entrent pres-
que jamais dans les auberges; ils passent les nuits au milieu de leurs trou-
peaux ou dans leurs charrettes, exposés aux injures de l'air; même lors-
qu'ils sont chez eux, on les voit souvent coucher dans un tas de foin ou sur
un banc, couverts de quelques peaux; les pores, qui leur fournissent leur
nourriture ordinaire, habitent sous le même toit qu'eux, et en sont tout au
plus séparés par un grillage. La goutte et la fièvre, maladies épidémiques,
surtout dans la Basse-Hongrie, proviennent sans doute autant de la
manière de vivre du peuple que de l'insalubrité de l'air; mais, en général,
le paysan hongrois résiste aux maladies qui enlèvent les étrangers, et sa
constitution physiologique mériterait une étude particulière.
Le caractère enjoué de la nation se manifeste dans des réunions fré-
quentes et bruyantes. Les danses du peuple sont de plusieurs sortes :
quelques-unes très-fatigantes, d'autres mêlées d'une espèce d'action
dramatique.
La langue hongroise est très-positivement alliée à l'idiome lapon, fin-
nois, permiaque, vogoule, tchérémisse, tchouvache et autres, qu'on
désigne sous le nom général de famille tchoude, ou finnoise, ou ouralienne
dénominations peu commodes et peu précises, mais qu'on ne peut pas
encore remplacer par une meilleure.
La ressemblance ne se borne pas seulement aux mots, elle se manifeste
encore dans- les formes grammaticales. Signalons encore un rapport
jusqu'ici à peu près inconnu entre le hongrois et le Scandinave, qui,
regardés comme tout à fait étrangers l'un à l'autre, nous ont cependant

EUROPE. — NATION HONGROISE.
477
offert un certain nombre de mots eu commun, et des mots qui n'ont
pas pu être transmis par la civilisation moderne, mais qui tiennent à
la haute antiquité de l'une et de l'autre de ces langues, à ces siècles
primitifs où les Huns, les Goths, les Iotes, les Ases, les Magyars, et
bien d'autres peuples étaient réunis autour des anciens autels d'Odin.
La langue hongroise, qui, en perdant son bizarre caractère d'un iso-
lement absolu, n'en devient que plus intéressante comme monument,
mérite encore notre attention sous d'autres points de vue. Harmo-
nieuse, riche, flexible, elle se prête à l'éloquence naturelle de la nation
qui est flère de la parler ·, elle possède aujourd'hui des historiens,
des poëtes, desjournaux littéraires et savants-, c'est le langage usuel de
la diète, quoique la politique autrichienne ait cherché à y maintenir l'em-
pire de la langue latine, qu'une sorte d'équité envers les habitants slavons
et allemands avait fait adopter.
Les Hongrois nobles, divisés en magnats ou grands dignitaires ; en
nobles possessionnés, et en annalistes ou gentilshommes sans biens-, le
clergé, dans lequel sont compris les archevêques, évêques, quelques abbés
commandataires, et quelques doyens de chapitres ; les villes libres royales,
les bourgs privilégiés, les tribus des Koumans et des Iazyges, avec quel-
ques autres petites corporations, voilà ce qui forme constitutionnellemenl
la nation hongroise, populus hungaricus, dans le style officiel de la diète.
A la nation appartient le droit d'élire un roi en cas d'extinction de la
dynastie régnante, le droit de faire des lois d'accord avec le monarque, et
celui de s'imposer elle-même dans des diètes qui doivent légalement être
réunies tous les trois ans. Le reste des habitants est appelé le peuple des
contribuables, « misera contribuensplebs, » et ne participe à aucun droit
politique. Le roi exerce le droit de faire la paix et la guerre, quoique sous
la condition d'entendre le vœu de la nation; il peut ordonner la levée en
masse de la noblesse (insurrection) ; mais toutes les contributions extraor-
dinaires et les levées de troupes doivent être légalisées par la diète. Le roi
fait serment à la constitution et signe le diplôme du roi André, en protes-
tant toutefois contre l'article qui « autorise les Hongrois à prendre les
« armes contre lui dans le cas où il violerait leurs privilèges. » Les rois
sont obligés de faire exécuter les décisions des cours judiciaires, de ne
destituer personne sans jugement, de maintenir les limites du royaume, et
de lui faire restituer celles de ses anciennes provinces que le sort des
armes leur aurait fait recouvrer. Enfin, la Hongrie est un royaume indé-
pendant et une monarchie tempérée par une assemblée aristocratique.

478
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Les diètes se composent de deux chambres ou, comme on dit, tables,
chacune subdivisée en deux ordres; la première, ou la chambre haute,
se compose des magnats, savoir: les archevêques et évêques, les princes,
comtes et barons du royaume, et les gouverneurs des comitats ; la seconde
est formée de la réunion des prélats, des abbés, des députés des comitats,
de ceux des chapitres et de ceux des villes libres et royales. Les députés
sont liés par les instructions de leurs commettants.
Les diverses classes de la nation jouissent de divers privilèges; ainsi le
noble, comme citoyen de l'Etat, peut posséder des terres dans toute l'éten-
due du royaume; le bourgeois, comme citoyen de sa seule ville, ne peut
acquérir de biens-fonds que dans la banlieue. Mais les biens de la noblesse
retournent à l'État lors de l'extinction de la ligne masculine. Tant que
celle-ci existe, elle peut exercer, comme les propriétaires fonciers en
Norwége, le droit de revendiquer les biens de famille vendus, en rembour-
sant le prix de la vente : institution des peuples du Nord qui présente un
côté intéressant, mais qui jointe à d'autres privilèges, arrête les progrès
de l'agriculture et la circulation des capitaux. Parmi les autres privilèges
dont jouissent les nobles, nous citerons ceux de ne pouvoir être arrêtés
qu'en vertu d'une condamnation, de ne payer aucune contribution ordi-
naire, et d'être seuls aptes à toutes les places.
L'administration des comitats est en grande partie indépendante de la
couronne; chaque comitat a un gouverneur qui correspond directement
avec l'administration centrale : treize palatins ou ispans, possèdent leurs
dignités par droit héréditaire, et les autres officiers du comitat sont élus
par la congrégation, ou assemblée de la province, qui les salarie de sa
propre caisse. Les villes ont également leurs administrations municipales,
et ressortissent de leurs propres tribunaux suprêmes. L'indigénat hongrois
est requis pour remplir une place quelconque, et c'est la diète qui seule
naturalise les étrangers.
Quant aux limites militaires, leur administration dépend directement
du conseil aulique de guerre qui siége à Vienne. Elle est confiée, dans
chaque régiment, à un commandant qui a sous lui plusieurs officiers.
Toutes les affaires sont traitées militairement, ainsi que semble l'exiger
une organisation par laquelle le peuple est à la fois soldat et culti-
vateur.
La liberté des cultes honore encore la nation hongroise. La religion
catholique est celle de la moitié des habitants; elle jouit de grands privi-
lèges politiques; son clergé occupe dans la diète des places déterminées,

EUROPE. — NATION HONGROISE.
479
et s'y est constamment montré attaché à la cour. Les prélats possèdent des
revenus exorbitants. L'archevêché de Gran rapporte 7 à 800,000 francs ;
celui de Kalocsa n'est estimé qu'à un septième de cette somme ; mais parmi
les évêques, celui d'Erlau a un revenu annuel de 4 à 500,000 francs ;
celui de Grosswardein tire 200,000 francs, et l'ordinaire est de 60 à
400,000 francs. Aussi les premières familles briguent-elles ces sièges.
Un grand nombre d'évêques sont gouverneurs nés des comtés où ils rési-
dent ; d'autres possèdent des monopoles sur le vin et sur le sel. Mais, à
côté de tous ces avantages, le clergé catholique voit avec chagrin la liberté
légale des autres cultes. Le calvinisme est très-répandu parmi la noblesse
hongroise; il est publiquement prêché partout où un nombre suffisant
de paroissiens veut entretenir ce culte modeste. La croyance luthérienne
ne s'est guère répandue que parmi les mineurs et les artisans allemands;
elle s'est maintenue dans toute la rigueur des idées du seizième siècle, et
son clergé a longtemps gardé des préventions contre ceux qu'il appelle
calvinistes. L'Église grecque orientale, qui a répandu les premiers germes
du christianisme dans la Hongrie, a constamment perdu du terrain, et a
même vu plus d'un tiers de ses membres s'unir à l'Église catholique;
cependant elle est encore celle de la majorité dans les provinces les plus
méridionales. Le rit grec-uni a surtout été adopté parmi les Rousniaques
et ceux des Valaques qui habitent près d'eux. Ces luttes de croyance ou de
culte ne sont pas sans importance.
La Transylvanie, qui est représentée par une diète à part, où figurent à
côté des magnats les députés de la noblesse hongroise, ceux des Szeklers,
sans distinction de naissance et ceux de la nation libre saxonne, compte
encore plus de religions légalement reçues ; car, outre les catholiques, les
réformés, les luthériens, les lois reconnaissent une Église d'unitaires, la
seule au monde qui se soit conservée depuis le temps de Socin. La grande
majorité de la population, composée de Valaques, suit le rit grec oriental,
et n'a jusqu'ici que les droits d'une Église tolérée.
Les institutions de la Hongrie ont conservé toute la vigueur du moyen
âge, mais elles en conservent aussi la gênante immobilité. Les universités,
les gymnases, les collèges, dans toutes les communions religieuses, ne se
sont point, pendant longtemps, écartés des formes et des méthodes suran-
nées; mais depuis quelques années de grandes améliorations se sont intro-
duites, et le mouvement produit par la révolution hongroise en 1848 aura
du moins contribué, nous l'espérons, à favoriser le développement d'insti-
tutions nouvelles, plus en rapport avec l'état de notre civilisation avancée.

480
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Le peuple est longtemps resté plongé dans une ignorance et une super-
stition que le gouvernement tend à diminuer par les efforts qu'il fait pour
propager l'instruction élémentaire, les classes élevées ne manquent pas de
lumières ; les arts commencent à faire sentir leur influence : déjà la
musique compte des amateurs d'un talent distingué; la culture et la gra-
vure ont fourni quelques artistes recommandables, et le goût de l'art dra-
matique se répand dans les grandes villes. La littérature magyare y est la
plus répandue : les littératures allemande et slovaque viennent en seconde
et en troisième ligne. Quant aux autres peuples de la Hongrie, on sait qu'ils
n'écrivent pas.
L'industrie se ressent de la longue éclipse des lumières, ainsi que de la
contrainte que les corporations imposent aux talents individuels. A l'ex-
ception des objets de première nécessité, parmi lesquels il faut compter
les goubas ou manteaux de laine, les zischma's ou bottes hongroises, les
têtes de pipe et les chapelets, la fabrication des huiles de lin, de chènevis
et de navette, et celle de la toiie, il n'existe en Hongrie qu'un petit nombre
de fabriques, et leurs produits ne sont ni abondants, ni de qualité supé-
rieure. Les draps, les verreries, les faïences se consomment dans l'inté-
rieur, et ne peuvent lutter avec les mêmes objets fabriqués en Autriche.
Les principales manufactures de draps se trouvent dans les villes de Guns,
OEdenbourg, Tyrnau, Skaiilz, Modern et quelques autres; le produit des
verreries ne suffit pas à la consommation; on fabrique de la poterie dans
toutes les parties du royaume, mais elle est de mauvaise qualité : ce n'est
qu'à Sziclnicz, dans le comitat de Sohl, qu'on fait d'excellents creusets.
Les toiles communes, fabriquées par les bourgeoises dans la Haute-Hon-
grie, sont très-estimées. Le comitat de Zips fabrique des toiles fines pour
plusieurs millions de florins ; mais les soieries, si favorisées par le climat,
languissent. Le savon de Hongrie est excellent; les tanneries de ce pays
fournissent à une exploitation considérable. Le tabac, que l'on doit consi-
dérer comme l'une des principales productions hongroises, occupe plu-
sieurs fabriques, principalement à Bude, Pesth, Agram et Presbourg.
Quarante papeteries établies dans le royaume ne fournissent qu'un très-
mauvais papier. Malgré la grande quantité de fer que l'on exploite en
Hongrie, la fabrication des ouvrages en fonte est peu considérable, de
même que celle de l'acier. Il existe à Bartfeld, dans le comité de Saros,
et à Hadrek, dans celui de Gomor, deux usines qui se distinguent pour la
confection des instruments aratoires. Ce n'est que dans les comitats
d'Abaujvar et à Raab que l'on fabrique des faux, mais d'une mauvaise

EUROPE. — NATION HONGROISE.
481
qualité, et dans celui de Pesth seul que l'on taille des limes; de même
aussi ce n'est qu"à Bude et à Pesth que l'on fabrique des rasoirs et des
instruments de chirurgie ; les couteaux de Legrad, dans le comitat de
Szalad, jouissent de quelque réputation. La Hongrie a peu de fabriques
d'armes blanches ; quant aux armes à feu, le petit nombre d'armuriers
disséminés dans le royaume ne s'occupent que de leur réparation et de la
confection des platines. On trouve aussi des fabriques de clous à Pesth,
OEdenbourg, Eisenstadt et Warasdin ; mais ce sont en général les Zigeu-
nes ou Bohémiens qui s'occupent de ce genre d'industrie en employant le
fer qu'ils ont volé dans leurs courses vagabondes. Neusolli, Pesth et Raab
renferment des fabriques de fil de fer de différentes espèces. Les fabriques
de fer-blanc et d'aiguilles n'offrent que des produits ordinaires.
L'emploi du cuivre est plus répandu dans le royaume que celui du fer :
à Deutsch-Orawitz dans le comitat de Krassova, à Neusolh, à Wallendorf
et à Schmolnitz dans le comitat de Zips, ainsi que dans celui de Pres-
bourg, on fait différents vases en cuivre; Presbourg, Neusolli cl Zeben
offrent des fabriques de fil de laiton. Raab est particulièrement connue
par ses bijoux en or faux (Rauschgold). L'horlogerie est encore dans son
enfance en Hongrie. L'exploitation des mines occupe ρ us de 30,000
ouvriers. On estimait, il y a peu d'années, à 40,000 le nombre d'individus
vivant des aris et métiers-, mais ce nombre augmente tous les jours. Nous
avons remarqué en Esclavonie, et surtout eu Dalmatie, une industrie très-
active pour la fabrication des liqueurs spiritueuses, depuis l'eau de-vie de
prune jusqu'au marasquin. Une autre tendance particulière, c'est l'habi-
leté des Slovaques à extraire des baumes et des résines odorantes. Ce
peuple travaille avec beaucoup de succès le rajeczer rouge et jaune
(faux maroquin), dont les jeunes filles se font des bottines.
En un mot, chaque peuple en Hongrie a son genre d'industrie spécial :
les Magyars, qui habitent ordinairement de vastes villages, s'occupent
presque exclusivement de l'agriculture et de l'éducation des bestiaux;
les Allemands, du commerce, de la culture et de l'exploitation des mines;
les Valaques sont aubergistes, et quelques-uns mineurs ; les Esclavons et
les Croates se livrent à l'agriculture et au commerce; les juifs et les Armé-
niens trafiquent et prennent des terres à ferme; les Bohémiens travaillent
le fer, jouent du violon, et exercent le métier de maquignons; les Slovaques
font toutes sortes d'étals, et sont d'excellents mariniers, chasseurs et
voituriers.
Mais si l'industrie n*est encore que dans l'enfance, les produits naturels
VII.
61

482
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
de la Hongrie, ses bœufs, ses farines, ses vins, ses laines, ses métaux,
lui fournissent la matière d'un commerce lucratif, bien que gêné dans
diverses localités. Les Hongrois n'ont d'autres débouchés sûrs pour leurs
denrées que l'Autriche, les autres pays de la monarchie autrichienne et
quelques États limitrophes, tels que la Pologne pour les vins et l'Italie pour les
blés. Les voisins de la Hongrie, en général, recherchent peu de ses denrées.
La Galicie ne prend ni bétail ni blé-, elle ne consomme que peu de vin.
La Turquie n'a besoin ni de bétail ni de vin ; quant aux blés, l'Autriche
n'en permet l'exportation qu'en petite quantité. Le chemin de Trieste est
trop difficile et d'ailleurs trop long pour la plus grande partie de la Hon-
grie-, les charrois, les droits et autres dépenses montent presque à une
somme égale à la valeur des marchandises. On dira bien que ce pays pos-
sède de superbes rivières, mais malheureusement leur cours est contraire
à celui de son commerce-, il eût fallu, pour que le pays en tirât un profit
considérable, ou que le Danube coulât vers l'ouest, ou qu'il fût tout entier
sous la domination autrichienne. La conquête de la Bosnie pourrait encore
suffire pour vivifier le commerce de la Hongrie, car elle ouvrirait une com-
munication avec la Dalmatie vénitienne. Mais de tous ces obstacles, le
plus grave c'est la politique de l'Autriche, qui, ne pouvant vaincre la
généreuse obstination des Hongrois à maintenir leurs libertés constitu-
tionnelles ainsi que leurs priviléges, s'obstine de son côté à les traiter
dans ses douanes en nation étrangère.
L'Autriche ne considère ce royaume que comme son dépôt des matières
brutes, et comme un débouché pour ses manufactures. Non-seulement les
Hongrois sont forcés de prendre en Autriche plusieurs objets qu'ils pour-
raient avoir ailleurs en meilleure qualité et à meilleur marché, mais ils se
voient, même en apportant leurs denrées à Vienne, grevés par des droits
plus onéreux que ceux que paient les Polonais. La réflexion la plus légère
suffit pour comprendre quels doivent être les funestes effets d'une ogani-
sation aussi vicieuse et d'une injustice aussi ouverte. Les Hongrois, qui
voient leurs riches pâturages couverts de troupeaux, leurs caves remplies
d'excellent vin, leurs greniers surchargés de blé sans pouvoir les vendre
qu'au prix fixé par les Viennois, perdent toute envied'améliorer l'économie
rurale de leur pays. Le noble se conlente de pouvoir tirer assez de revenus
de ses domaines pour pouvoir subsister; le paysan ne travaille que ce qu'il
faut pour ne pas mourir de faim. Malgré toutes ces entraves, la Hongrie
exporte pour 25 à 30 millions de florins, et n'achète que pour les trois
quarts de cette valeur. La taxation intérieure, dépendant légalement des

EUROPE. — NATION HONGROISE.
483
états-généraux, reste fort au-dessous de ce que le génie financier de
l' Autriche désirerait en faire ; l'impôt financier, qui pèse uniquement sur
les paysans, dépasse de très-peu 6 millions de florins-, le droit régalien,
sur le sel, s'élève à 8, et le produit net des douanes à 6; le total des
revenus est d'environ 40 millions de florins, selon ceux qui ont essayé
d'en deviner le secret.
Depuis 1836, la Hongrie a fait un grand pas vers les améliorations
utiles, en s'associant au mouvement politique et social de l'Europe occi-
dentale : une ligne de bateaux à vapeur, qui partent de Vienne (compa-
gnie du Llyod autrichien) et descendent le Danube jusqu'à Galatz, en
Moldavie, met en communication la Hongrie avec l'Allemagne d'un côté,
et avec la mer Noire de l'autre. La ligne de chemin de fer de Vienne à Pesth
par Presbourg, est destinée à être prolongée jusqu'à Debreczin, et, sans
doute, jusqu'au bas Danube; alors, elle pourrait servir d'artère principale
à un réseau de chemins de fer qui unirait entre elles les grandes villes de
la Hongrie, et les ferait participer au mouvement commercial et industriel
de l'Europe occidentale.
A la même époque, l'amour des Hongrois pour leur langue nationale
a remporté un triomphe signalé, en obtenant que désormais les lois se-
raient rédigées dans cette langue. Bientôt le latin ne sera plus, en Hon-
grie, que ce qu'il est dans le reste de l'Europe : la langue des hommes
instruits.
Enfin, depuis 1836, la condition du paysan hongrois s'est considéra-
blement améliorée: il peut quitter son seigneur quand cela lui convient;
celui-ci ne peut plus, comme autrefois, le renvoyer selon son caprice-
et le paysan peut vendre la jouissance de la terre qu'il tient de son sei -
gneur.
La Hongrie, qui entretient 46,000 hommes d'infanterie et 17,000 hus-
sards, pourrait au besoin lever 100,000 hommes de bonnes troupes,
auxquelles la Transylvanie enjoindrait 20,000. De plus, une longue lisière
de territoire, depuis la Dalmatie jusqu'à la Bukowine, est, nous le rappe-
lons, organisée comme une espèce de camp perpétuel.
On appelle ces districts confins militaires. Tous les habitants, nous
l'avons déjà dit, y sont soldats et laboureurs, à la fois; ils possèdent héré-
ditairement les champs qu'ils cultivent, et qui sont divisés en terres de
famille qui ne peuvent être partagées, et en terres libres. Chaque maison,
ou réunion de familles alliées, forme une communauté dont le plus ancien
membre, sous le titre de gospodar, exerce un pouvoir patriarcal. Les

484
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME
biens d'une maison, même les troupeaux, sont en commun ; les membres
individuels ne possèdent que des meubles et de l'argent ; si une fille entre
par mariage dans une maison, elle ne reçoit qu'un trousseau. Tout le
monde travaille; le nombre de personnes qui se vouent à l'état ecclésias-
tique et au commerce, ou plutôt au trafic en détail, est limité par les lois.
Qui s'absente sans la permission des gospodars est puni comme déser-
teur. C'est une nation guerrière, pleine de talents, de vivacité, d'enjoue-
ment, peu instruite, peu civilisée et subordonnée à une administration
militaire, mais faisant cependant partie de la Hongrie et de la principauté
de Transylvanie. Aussi avons-nous décrit les villes des districts militaires
avec colles des provinces dont ils sont les démembrements.
Tels sont les principaux traits de la nation hongroise. Mais de quel
point de l'Europe ou de l'Asie est-elle venue occuper les bords du Danube?
Quelle est son origine? Nous avouons que ce problème, après bien des
recherches, nous paraît toujours environné de quelque obscurité. La
langue hongroise ou magyare semblerait en offrir la décision authentique ;
et si elle avait été un objet de nos éludes, nous prendrions peut-être un
parti, au lieu do faire l'office de rapporteur. La langue hongroise prouve
incontestablement que la masse de la nation a dû consister en tribus fin-
noises-ouraliennes ; mais la partie étrangère aux idiomes finnois qu'elle
renferme provient elle d'une différence entre la souche primitive du
magyar, ou d'un mélange de quelques peuples inconnus, soit turcs, soit
mongols, soit, enfin, hunniques ? Toutes ces opinions ont été habilement
soutenues; des esprits systématiques ont même voulu pousser plus en
avant dans le mystérieux Orient, et un Hongrois a prétendu que sa nation
était d'origine égyptienne. Pourquoi n'en chercherait-on pas la souche
dans le Maghada, sur les bords du Gange, ou parmi les Magi de la
Perse? Sans entrer dans des conjectures aussi hasardées, nous allons
essayer une combinaison, à beaucoup d'égards nouvelle, des faits les plus
probables que l'histoire et la géographie peuvent entrevoir dans les migra-
tions primitives des Hongrois ou Magyars.
Dès le premier siècle de l'ère chrétienne, les Ouni demeuraient au nord
de la mer Caspienne, et, cent ans plus tard, nous voyons les Chouni sur
les bords du Borysthène. Ces peuples étaient probablement les mêmes
que les Huns, devenus si fameux dans le quatrième et le cinquième
siècle-, les noms et les positions sont les mêmes. Ils n'étaient pas de la race
gothique, puisque nous les voyons en guerre générale avec les blonds
Alains et avec les Ostrogoths. Jornandès, l'Hérodote des Goths, fait des-

EUROPE. — NATION HONGROISE.
485
cendre les Huns de l'union dos démons des forêts avec les sorcières,
chassées du milieu des peuples gothiques. Cette tradition, rendue en
langue historique, veut dire que les Huns habitaient un pays de forêts et
se livraient à la magie. C'est le double caractère sous lequel les Finnois se
montrent chez Tacite et dans les saga's. Un peuple de géants et de sor-
cière, habitants des forcis et des cavernes, au nord-est des pays gothiques'
et même enclavé parmi ces pays, tel est un des faits les plus clairs de l'his-
toire semi-mythique des Scandinaves. Les Huns n'étaient pas non plus
Slaves, puisque ceux-ci sont signalés comme s'étant soulevés contre eux.
A moins d'en faire une race à part, il faut donc les considérer comme
parents des peuples finnois ou tchoudes, et peut-être comme la branche
principale de celle race. Le signalement que les historiens donnent de
leurs difformités physiques, signalement qui convient plus aux Mongoles
qu'aux Tchoudes, peut-être écrit sous la dictée de la peur, n'est bien
applicable qu'à une tribu mongole dominant sur toute celte masse de
tribus vassales. Avec cette hypothèse, tout ce qu'on sait sur les migrations
des Huns et des Hongrois se lie ensemble-, la subite puissance des pre-
miers, au lieu d'être reflet inconcevable d'une invasion, devient le résultat
d'une agglomération des peuples anciens de la Russie, se levant contre la
race blonde d'Odin, qui les qualifiait de chiens (hund), en abusant de leur
nom général indigène khun, peuple. On conçoit comment il est resté après
la mort d'Attila, dans les provinces de son empire, de très-nombreux
essaims de Huns. Un de ces débris était le Hunni-Var, indiqué déjà par
Jornandès, dans la partie nord-est de la Hongrie. C'était un commence-
ment de la nation hongroise ; les Magyars, appelés dans le huitième siècle
pour combattre les Moraviens, trouvèrent ici un renfort de frères. Sans
cela, comment expliquer leur grande population? Un autre reste de Huns
demeurait au nord du Caucase; ils avaient le surnom de Sabiri; mais un
auteur byzantin, qui décrit leurs terribles invasions en Asie, les nomme
Samen, ce qui répond à Suomen, nom général que les peuples finnois
donnent aux contrées qu'ils habitent. Peut être faut-il aussi remettre eu
autorité l'assertion d'un auteur byzantin, d'après lequel les Avares étaient
proprement des Ougres, ou Hongrois, vassaux des Avares ou Awares.
Enfin, les Hunugari ne sont que les Ougres, ou Hongrois, vassaux des
Huns, et dont les restes, habitants de la Iougorie, entre les monts Oura-
liens et le fleuve Obi, furent sujugués par les Russes de Novgorod, vers
1150, et où les Vogulitzes et les Ostiaks conservent encore plus de mots
hongrois qu'aucune autre peuplade finnoise.

486
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
Mais les Huns, quoique de race finnoise, doivent avoir eu des relations
avec les Turcs du mont Altaï, soit comme conquérants, soit comme con-
quis-, s'ils faisaient partie de l'empire des Turcs, ou Tu-Kiou, ils ont dû
avoir reçu le surnom de Turcs. De là le mélange des langues ·, de là l'usage
des Byzantins de les appeler Turcs ; de là les traditions Scandinaves sur les
Turcs, faisant partie du cortége d'Odin, et qui paraissent identiques avec
les Huns ou Hunes, dont un essaim est désigné comme ayant pénétré dans
la Scandinavie. La Turquie, ou Tyrkland des historiens islandais, était
située au sud et au sud-est du JJiarmaland, ou de la Permie, et des hautes
montagnes qui limitent le grand Svithiod. La Grande-Hongrie des voya-
geurs du moyen âge, spécialement de Rubruquis, répond aux contrées des
monts Ouraliens méridionaux ; mais à une époque inconnue, antérieure à
la puissance des Turcs d'Altaï, la Hongrie primitive a pu s'étendre fort
loin au nord et au sud-est. La Iougorie de l'histoire russe en a dû faire
partie-, les Fervir de Jornandès étaient probablement des Hongrois, tirant
leur nom de ferifi, homme; dans la direction opposée, la ville d'Égrégia,
ou Égrygaya, qui tourmente les commentateurs de Marco-Polo ou Marc-
Pol, porte un nom hongrois encore commun à des bourgades de la Hongrie
actuelle.
Les Ougres, Ungres, ou Hongrois, étaient donc à la fois une branche
puissante de la race ouralienne, que nous appelons finnoise, faute de
mieux, et de la confédération hunnique, comme, par exemple, les Saxons
sont Teutons par le sang, et Germains ou Allemands par leurs liaisons
historiques.
Voyons maintenant si les traditions indigènes des Hongrois s'accordent
avec les combinaisons que nous venons d'essayer d'après les témoignages
des historiens et des géographes.
Au fond de Scythie, disaient les anciens chants nationaux des Magyars,
sont trois contrées : Dent ou Dentu, Moger ou Magar, et Boslard. Là,
tout le monde se revêt d'hermine; les rivières roulent des pierres fines;
l'or et l'argent y abondent. Magog est le voisin oriental de Gog. Magog
était un petit-fils de Japhet, et le premier roi de la Sythie. Selon d'autres,
les deux premiers monarques, Magor et Hunor, avaient cent huit des-
cendants qui fondèrent autant de tribus. Attila, ou Éthele, descendait de
Japhet, et Ugek d'Attila. Le fils d'Ugek était Almus, c'est-à-dire celui qui
a été prévu en songe ; c'est sous lui que les Hongrois firent leur seconde
émigration de la Scythie, la première ayant eu lieu sous Attila. La sura-
bondance de population était le motif de l'émigration ; il partit de chacune

EUROPE. — NATION HONGROISE.
487
des cent huit tribus 2,000 hommes, ce qui fait 21 G,000 hommes divisés
en sept armées (ou hordes), chacune de 30,857 hommes, sous la conduite
de sept princes ou ducs, qu'on nomme les Hetou Moger, ou les sept
magyars, et dont la tradition conserve les noms individuels, savoir:
Almus, Éleud, Kundu, Ound, Tosu, Tuba et Tuhutum. Les Hongrois
passèrent le Volga près d'un endroit nommé Tulbora, et marchèrent sur
Souzdal, qui est peut-être l'ancienne capitale du royaume d'Attila, nom-
mée Susal. De là, ils vinrent s'établir au pays de Lebedias, probable-
ment autour de Lebedian, ville du gouvernement de Voroneje (Voronesch)
et c'est là qu'ils reçurent l'invitation du roi Arnulphe d'Allemagne de
venir combattre Sviatopolk, roi de la Grande-Moravie. Le duc Almus se
mit en marche à travers les États des Slaves de Kiovie, battit l'armée que
les Russes lui opposèrent, et arriva sur les confins de la Hongrie par la
principauté russe de Lodomirie ou Vladimir. Son fils Arpad passa les
Karpathes, et envahit les contrées sur la Haute-Theiss, où la forteresse
Vngh-Var fut construite en 884. Selon d'autres versions, des Hongrois
étaient déjà entrés en Transylvanie en 862, eten avaient été chassés en 889
par les Petchenègues ou Patzinakiles ; mais nous regardons ces Hongrois
comme des tribus indépendantes d'Arpad.
Telle est l'histoire des migrations des Hongrois selon leurs propres
traditions, malheureusement dédaignées et mutilées par les moines, qui
seuls auraient pu nous les conserver intactes. Nous devons avouer qu'elles
ne présentent rien de contraire à la saine critique. Les trois contrées de
Dentu, de Mager et de Boslard, nous paraissent répondre au pays de
Tenduch, où régnait un prince nommé Ungh-Khan, ou roi des Unghs, et
qui est peut-être le même que Turl'an ; au pays des Magyars, ou Grande-
Hongrie, premier domicile connu des Magyars, et connu aussi sous ce
nom des Orientaux ; enfin, au pays des Bachkirs, ou Baschkurt, dont
parle Rubruquis sous le nom de Pascalir, diversement estropié dans les
auteurs. L'extension que ces explications donneraient aux possessions
primitives des Hongrois n'a rien d'exagéré ; les noms de sept princes ou
de sept tribus, et d'autres indices, semblent même la corroborer. Rappro-
chée des témoignages de l'histoire écrite, et combinée avec notre hypothèse
sur la parenté des peuples hunniques et finniques, la migration des Hon-
grois à travers la Russie, déjà remplie d'essaims hunno-finniques, ainsi
que leur établissement dans le Hunni- Var parmi les restes des Huns et
peut-être des Avares, se conçoivent sans difficulté. Seulement, l'époque et
la durée de la migration avant l'an 800 nous paraissent susceptibles de

488
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
divers doutes. Sans examiner si dans le commencement les exploits des
Huns sous Attila ne sont pas confondus avec ceux des Magyars, nousdirons
que rétablissement de ceux-ci dans Lebedias nous paraît avoir été plus
durable qu'on ne l'a pensé jusqu'ici. Les passages où Constantin Porphy-
rogénète parle de la position respective des Mazares, des Chozares, des
Petchenègues, des Russes, dans les premières années du dixième siècle,
sont très-embrouillés ; mais (en conservant le texte sans aucune correc-
tion arbitraire) ils prouvent pourtant, selon nous,qu'il existait un Etat des
Magyares sur le Haut-Don quelque temps après que les Ougres, nommés
Turcs par les Byzantins, avaient été s'établir dans le Hunni-Var, dont
bientôt le nom se confondit avec le leur. Mais nous ne devons pas entrer
ici dans les discussions étendues où cet objet nous entraînerait ; nous
devons terminer ce tableau de la Hongrie par l'aperçu des événements qui
ont tour à tour agrandi ou resserré les frontières de ce pays.
Les irruptions des Hongrois en Allemagne et en Italie cessèrent à la
suite des victoires remportées sur eux par Henri Ier à Mersebourg, en
933, et par Otton Ier, près d'Augsbourg, en 955. Ils se montrèrent alors
comme un peuple semi barbare, livré à des croyances superstitieuses, à
des opérations magiques, à l'instar des Finnois, mangeant de la chair de
cheval dans leurs festins religieux comme les Scandinaves; mais on ignore
les noms de leurs divinités.
Ce fut en 973 qu'ils commencèrent à professer la religion chrétienne,
à l'exemple de leur prince Geysa ou Gheysa. Son fils et successeur, bap-
tisé en 983 sous le nom d'Etienne, prit le titre de roien 1,000, et fut, après
sa mort, mis au nombre des saints. Vingt princes descendants de saint
Etienne occupèrent successivement le trône de Hongrie. Parmi ceux-ci
Ladislas le Saint, qui conquit Sa Croatie, l'Esclavonie et la Dalmatie,
obtint le plus de considération. Sous Geysa II, de nombreuses colonies
allemandes civilisèrent la Transylvanie. Bela III conquit la Galicie, la Ser-
vie et le duché de Chulm en Dalmatie. En 1222, André II reconnut formel-
lement le droit d'insurrection, droit auquel la nation hongroise fut forcée
de renoncer en 1683. Ce fut encore sous celle dynastie que la Bulgarie
devint tributaire; mais les irruptions des Mongols en rendirent les der-
niers règnes très-malheureux. La dynastie hongroise s'éteignit en 1301.
Douze princes de différentes maisons se succédèrent sur le trône. Nous
remarquons parmi ceux-ci Louis Ier. qui réunit entièrement au royaume
la Dalmatie, souvent reprise par les Vénitiens sur les Hongrois; qui con-
quit la Lodomérie ou la Russie-Rouge, la Servie, la Bulgarie, la Valachie,

EUROPE.— NATION HONGROISE.
489
la Moldavie, et sous lequel la monarchie hongroise embrasse une étendue
aussi grande que l'empire d'Autriche actuel. Il fut de plus élu roi de
Pologne. Ses successeurs ne purent maintenir tant de grandeur. Sigismon d
battu par les Turcs à Nicopolis en 1396, fut obligé de céder à la Pologne
les provinces à l'est des Karpathes. L'histoire distingue encore Mathias Cor-
vin, à qui les Bohêmes cédèrent la Silésie et la Moravie ; Vladislas II, qui
fixa le droit coutumier, partie importante de la législation hongroise : et
Louis II, qui perdit la bataille de Mohacz contre les Turcs, et y périt lui-
même.
Le royaume, envahi presque tout entier parles Turcs, devint une arène
sanglante où les armées chrétiennes et musulmanes s'égorgèrent pendant
un siècle. La Transylvanie, séparée de la Hongrie en 1526 à la mort de
Louis II, fut le principal objet de ces guerres; mais bientôt la réforme
ecclésiastique de Luther, adoptée par les uns, proscrite par les autres,
envenima encore les discordes civiles. Un parti nombreux voulut porter le
woïvode de la Transylvanie, Jean Zapolya, sur le trône de Hongrie; la
guerre entre lui et son rival, Ferdinand d'Autriche, finit par un arrange-
ment qui garantit à Zapolya la possession de la Transylvanie et d'une
grande partie de la Hongrie. Les Turcs eurent toujours la politique de
soutenir les princes de Transylvanie contre les rois austro-hongrois. Les
deux Bathory, Bethlem Gabor, Etienne Botschkaï ou Bostkaï qui conquit
toute la Haute Hongrie; Gabriel Bethlem, qui fut. pendant quelque temps
en possession de toute la Hongrie : les deux Rakotzy, parmi lesquels le
second du nom fut longtemps la terreur des Autrichiens et des Polonais ;
enfin, Tékély, qui, après des efforts héroïques, mourut fugitif à Brousse,
dans l'Anatolie : tels furent les hommes célèbres qui, dans cette longue
série de guerres civiles, déployèrent toutes les grandes qualités, mais
souvent aussi tous les défauts de leur nation. La politique lente et métho-
dique de l'Autriche triompha en 1713 ; les droits héréditaires de la maison
autrichienne furent désormais reconnus sans contestation. Les tentatives
faites pour reconquérir la Servie et la Valachie n'eurent qu'un succès éphé-
mère et demeurèrent infructueuses, et les provinces polonaises, quoique
revendiquées et reprises au nom de la Hongrie, sont restées formant un
royaume séparé.
VII.
62

490
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME.
TABLEAUX statistiques de la Hongrie et de ses annexes.
Anciennes divisions avant 1849.
ROYAUME DE HONGRIE.
(En hongrois : Magyar-Orszag; en allemand : Ungarn ; en slave: Uherska-Kragin.)
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION
FINANCES.
FORCES MILITAIRES.
en lieues géog. c.
en 1842.
par lieue carr.
Ri-venus :
33 000 hommes en temps de paix.
11,508
10,500,000
012
7,000,000 florins.
15 régim. d'inf, 12 régim.de huss
1 regim. d'artill.
POPULATION
VILLES
NOMS DES CERCLES.
COMITATS ET DISTRICTS.
CD 1842.
royales et autres.
Il comitats. — Wieselbourg. —
8 villes royales.
Gedeubourg. — Raab. — Co-
CERCLE AU DU.A DU
2 villes episcop.
morn.— Stüth-Weissenbourg.
DANUBE.ou TRANS-
2,180 2 109,510
966
190 bourgs.
— Veszprim. — Eisenbourg. —
DANUBIEN,
j
2,571 vill. et ham
Szalad. — Schümegh —Tolna.
—Baranya.
20 villes royales. 13 comitats.— Bacs. — Pesth —
CERCLE EN DE ÇA DU
6 villes episcop.
Neograd — Sohl. — Honth.—
DANUBE, ou CIS-
2,768 2,764,247
(irait. — Bars. — Neutra. —
999 176 bourgs.
DANUBIEN.
{ 2,507 vill. et ham.
Presbonrg. — Trentschin. —
Turotz. —Arva — Liptau.
11 comitats. — Zips. — Zips,vill.
7 villes royales.
CERCLE FN DEÇA DE
— Goor.— Heves. — Borsod.—
929 - villes épiscop.
LA THRISS, ou CIS-
1,925 1,789,700
Torn.— Abaujvar.— Sarosch
929 120 bourgs.
TlBISCIN.
2 235 vill. et ham.
Zemplin. — Ungivar. — Be-
regh.
12 comitats. — Marmarosch. —
6 villes libres roy. 1
Ugotsch — Sathmar. — Sza-
CERCLE AU DELA DP. LA
3 villes episcop.
bollsch.— Bihar. — Bekesch —
THΕISS, ou TRANS-
3,375 2,631,600
774 113 bourgs.
Tshongrad. — Arad — Kras-
TIBISCIN.
1,782 vill. el ham. f
chow. — Temesch. — Τοron-
thal.
. 4 villes royales.
3 comitats.— Syrmie. Wero-
ESCLAVONIE (ROYme).
475
336.100
707 22 bourgs.
vilz — Poschega.
571 villages.
5 villes rotates.
3 comitats — Kreutz. — Agram.
CROATIE (Royaume).
478
506,500 1,058 '8 bourgs. '
1,136 villages.
Varasdin.
JAZYGIE.
3 bourgs, 8 villag.
1 district — Jazygie.
GRAND
bourg. 5 villag
1
district.
— Grande-Kumanie.

-KUMANIE.
1 district.— l'elile-K-tuiianie.
PETITE. -KUMANIE.
S05
206,000
970 '3 bourgs, 5 v.llag.
PAYS DES HE DUQUES.
6 bourgs.
1
district.—
Pays des Herduques
LITTORAL HONGROIS.
f 2 villes, 4 bourgs.
1
district.—
Littoral hongrois.
Militaires.
66,243
TRANSYLVANIE OU GRANDE-PRINCIPAUTÉ DES SEPT-BOURGS.
(En allemand : Sieben-Burgen ; en hongrois: Erdely-Orszag.)
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION
FORCES MILITAIRES.
en lieues géog. c.
en 1842.
par lieue carrée.
3,063
2,108,405
688
3 régiments d'infanterie, 1 régiment de hussards.

EUROPE.— TABLEAUX STATISTIQUES DE LA HONGRIE,
491
POPULATION
VILLES
PAYS.
COMITATS, DISTRICTS, CANTONS.
eu 1842.
royales et autres.
11 comitats — Klasenbourg . —
Weissembourg inférieur- —
4 villes
Weissembourg supérieur. —
PAYS DES HONGROIS,
4 villes ROYALes
Kokelbourg. - Thorenbourg,
eu hongrois: Ma-
1,631 1,279,700 784
11 villes municip
— Deboka.—-Szolnok moyen
gyaRok-Resze.
1, 901 villages.
— Szolnok intérieur. - Hu-
1, 901 villages.
I
nvad. — Kraschna.—Zarand.
2 districts. — Kœvar. — Foga-
rasch.
1 ville royale. 5 cantons — Udvarhely. — Ma-
PAYS DES SZEKLERS.
7 villes municip. rosch. — Haromszeck. — Csick.
en latrn officiel :
593
373,000 624 9 bourgs. — Aranyosch.
Pars Siculorum. .
437 villlages.
9 canton*. — Hermanstadt. —
Schässbourg — Mediasch —
6 villes royales.
Gross-Schenk- — Reps.— Muh-
PAYS DES SAXONS, en '
hongrois : Szajuk-
554
446,700 80Γ» !
6 villes royales Ienbach — Reissmarket.
lieske.
248 villages.
Leschkirch. — Broos ou S.
248 villages.
Varos
2 districts. — Kronstadt. — Bis-
tritz.
Militaires.
9,005
1 Il faut déduire de cette super ficie 280 lieu ts géogr . carrées formant la superficie du généralat de Transylvanie.
PAYS DES FRONTIERES MILITAIRES.
ΡΟΡULAΤΙΟN
GÉNÉRALATS.
RÉGIMENTS ET COMMUNAUTES.
en 1842.
4 régiments — Rég.de Licka.— Rég.de Karlo-
bage.— Rég d'Ottochan.—Rég de Zengh.
Généralat de KARLSTADT. . .
476
260,214 547
2 communautés. — Comm. de Szluin. — Com.
d'Ogutin.
2 régiments. — 1er régiment. — 2e régiment.
Id
du BAN 140 117,649 840 2 communautés. — Comm. de Pétrina. —
Comm. de Costeiniza.
2 régimenis. — Rég. de Saint-Georges. —
Rég. de Kreutz.
Id. de VARASDIN 184 134,629 731 2 communautés. — Comm de Bellowar. —
Comm. d'ivanisch.
2 regiments — Reg de Gradiska et Brody.—
Reg. de Petervardin.
Id.
d'ESCLAVONIE.. . .
388
266,175 685
1 bataillon de Tochéikistes.
5 communautés. — 4 comm. de Brooder. —
Comm. de Karlowitz et de Semlin.
2 régiments.— Rég. allemand.—Rég.valaque.
Id du BAN 50G 259,653 513 2 communauté». — Comm. de Panksovar —
Comm. de Weiskirch.
1 bataillon d'Illyriens.
5 regiments.— 1er reg de Secklers.— 2e rég.
de Szecklers. — 1er reg. de Valaque». —
Id.
de TRANSYLVANIE.
290
181,973 627 -
2e rég. de Valaques. — Rég. de hussards
szreklers.
En tout 18 régiments : n°s 1 2, 3. 4, 5, 6.7. 8, 9
1,984 1,220,503
10, 11.13,14 lu. 17,18, 19, 20, tt 2 batail-
lons : n°s 12 et 15.

492
LIVRE CENT SOIXANTE-HUITIÈME,
ROYAUME DE DALMATIE.
(17 villes. — 32 bourgs. — 932 villages.)
SUPERFICIE
CERCLES.
POPULATION.
VILLES ET BOURGS.
en lieues g. c.
ΖΑΒΛ
285
146,510
ZARA, 9 000. — Sebenico, 7.200. — Scardona, 7,000.
Spalatro, 6,500. — Sign, 4.200. — Trau, 3.000. — Al-

SPALATRO. .
254
167,827
missa, 1.500. — Clissa, 1.500.
RAGUSE.
. .
72
50,459
Raguse, 8.000. — Stagno, 1,5: 0. — Slano, 1,200.
Cattaro, 3 200. — Perasto, 2,600. — Risano, 3,400.—
CATTARO.
.
34
34,795
Pastrowich, 2,600. — Budna, 600.
645
146,510
II. Nouvelles divisions depuis 1849.
HONGRIE.
SUPERF.
POPULAT.
POPULAT.
POPULAT.
NOUVELLES DIVISIONS.
DISTRICTS.
SUPERF.
CD 1. g. C.
en 1851.
par lieue c.
en 1851.
Presbourg
1,741
1,612,203
5 districts, 45 comitats, 1 Kaschau
1 989
1.410,463
9,070
7,864,262
867
265 capitaineries de Grosswardein.. .
1,782
1,459 119
cercle.
Bude-Pesth.. . .
1.770
1,599,819
OEdenbourg.. . .
1,788
1,782 658
VOIVODIE Ε DE SERBIE ET BANNAT DE TEMÈS.
SUPERF.
POPULAT.
POPULAT.
POPUI.AT.
NOUVELLES DIVISIONS.
DISTRICTS.
SUPERF.
en 1. g. c.
en 1851.
par lieue c.
en 1851.
Gross-Becskerek.
348
343
152
Lugos
265
224,462
5 districts, 25 capitaine-
1,513
1,426,221
942
Neusatz
234
218,.588
ries de cercle.
300
309,047
Zombor
366
330,972
TRANSYLVANIE.
SUPERF.
POPULAT.
POPULAT.
NOUVELLES DIVISIONS.
CERCLES.
en l. g. c.
en 1851.
par lieue c.
Hermanstadt. . .
La répartition par
Karlsbourg. . . .
5 cercles, 36 capitaine-
cercle n'avait pas
3,063
2,073,737
677
Klausenbourg.. .
ries.
encore eu lieu en
Dees
juillet 1853.
Maros-Vasarhely.
CROATIE ET ESCLAVONIE
SUPERF.
POPULAT.
POPULAT.
POPULAT.
NOUVELLES DIVISIONS.
PALATINATS.
SUPERF.
en 1. g. c.
en 1851.
par lieue c.
en 1851.
Agram 255
234,540
Fiume
62
86,816
6 palatinats, 20 capitai- Kreutz
86
82,446
924
868,456
939
neries de cercle.
Varasdin
Esseck 128
204.624
Posega 26S
192,456
125
67.574

493
EUROPE. — TABLEAUX STATISTIQUES DE LA HONGRIE.
FRONTIÈRES MILITAIRES.
SUPERF.
POPULAT.
POPULAT.
COMMANDEMENTS
POPULAT.
NOUVELLES DIVISIONS.
SUPERF-
en l. g. c.
en 1851.
par lieue c.
MILITAIRES.
en 1851.
8S5
670,605
1,593
Esclavonie croale.
1,009,109
1,492
2 commandem. milit,
12 capit. de cercle.
Bannat serbe. . .
708
338,454
DALMATIE.
SUPERF.
POPULAT.
POPULAT.
POPULAT.
NOUVELLES DIVISIONS.
SUPERF.
en l.
c.
en 1851.
par lieue c.
en 1851.
645
393,715
610
7 capitaineries de cercle.
»
»
TABLEAU de la population de la Hongrie et de la Transylvanie d'après les langues
Magyares
4,812,759 âmes.
Ruthieniens. . . .
442,903 âmes
Slovaques
l,(iS7,256 —
Bulgares. . . . . ,
12 000 —
Allemands
1,273,0/7 —
Français
6,150 —
Valaques
2,202,5!2
Grecs" et Zingares.
5.680 —
Croates.. . ,
886,079
Arméniens. . . . ,
3.798 —
Railzes
828,365
Monténégrins. . .
2,830 —
Schocktzes
429,868
Clémentins. . . . ,
1.600 —
Wendes
4ϋ,8ϋ4
Juifs
244,035 —
TOTAL : 12,880,400 âmes.
TAUBLEAU de la position géographique des principales villes de la Galicie, do la
Hongrie et de ses dépendances.
VILLES.
VILLES
LATITUDES
LATITUDES.
LONGITUDES,
LONGITUDES.
ROYAUME DE GALICIE.
ROYAUME DE CROATIE.
deg.min.sec.
(leg.min.sec.
deg min.sec.
deg.min.sec.
50
Zolkiew 4 0 N. 21 40 0 Ε
Tarnow
18 40 0 Ε
Warasdin
46 18 20 N 14 5 51 Ε
Lemberg
49 51 42 N. 21 42 30 Ε
Agram
j 45 49 2 IN. 13 44 26 Ε
Przemysl 49 47 20 N. 20 29 20 Ε
Czernowitz 48 35 40 M 23 39 O Ε
GÉNÉRALATS.
Jasio
49 44 15 N. 19 5 15 Ε
Cracovie 50 3 38 Ν 18 36 54 Ε Warasdin.
46 18 18 N. 14 5 51 E.
Peterwardein
45 15 10 Ν 17 34 15 Ε.
ROYAUME DE HONGRIE.
Temesvar
145 42 27 N. 18 54 2 Ε.
Raab. . .
4745 0 N, 15 40 0 Ε
Comorn..
4745 34 Ν 15 47 35 Ε
TRANSYLVANIE.
Tolna.. .
4625 30 Ν, » » « Ε
Pesth.. .
4731 40 Ν. 16 44 0 Ε. Bistritz. . . .
47 5 46 N. 22 12 3 E.
Gran. . .
4840 0 Ν, 16 3D 0 Ε. Klau-enbourg
46 44 0 N. 41 14 28 E.
Presbourg.
488 50 IN, 14 46 0 Ε. Fogaraseh.. .
45 48 57 N. 22 39 14 E.
Niograd..
4754 0 Ν. 16 42 55 Ε. Hermanstadt.
45 47 4 N. 21 48 58 E.
Gomor. .
27 η Ν, 18 0 28 Ε.
Torna.. .
4835 28 Μ. 18 33 3 Ε.
ROYAUME DE DALMATIE.
Zemplin .
26 0 Ν. 19 18 50 Ε.
Unghvar..
4836 50 Ν. 19 59 0 Ε. Zara. .
44 7 14 IN. 12 48 9 E.
Szathmar.
47 48 N
·> » » Ε
Spalatro.
43 39 54 M. 15 1 54 E.
Bekesch..
4646 16 Ν. 18 47 27 Ε. Raguse.
12 39 O N. 15 46 0 E
Sathmar..
4747 47 Ν. 20 33 2 Ε. Cailaro.
42 23 35 IN. 16 12 50 E.
Temesch.
4542 27 Ν. 18 54 2 Ε. Spalatro.
43 39 54 IN. 14
1 54 E.
1 D'après l'ouvrage de M Alexius Fenyes (1846).

494
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Description l'Italie. — Première section, —
Description physique générale de l'Italie.
Les contrées pittoresques de l'Allemagne, les grands événements dont
elle fut le théâtre, les souvenirs historiques qui s'y rattachent, les mœurs
de ses habitants, leur caractère particulier, leur amour pour les sciences
et la philosophie, ont répandu de l'intérêt dans nos descriptions. L'Italie
va nous offrir son ciel azuré, ses sites enchanteurs, ses souvenirs clas-
siques et ses chefs-d'œuvre des arts. Malgré les nombreuses invasions qui
l'ont désolée, malgré l'asservissement et la misère dans lesquels ses
peuples sont encore en partie plongés, l'Italie est encore, sous le rapport
intellectuel, l'un des plus beaux pays de l'Europe.
Considérée dans ses limites naturelles, la partie septentrionale de cette
contrée comprend tout le versant des Alpes, depuis la branche appelée
Alpes cottiennes jusqu'à celle que l'on appelle Alpes juliennes; mais les
lignes de démarcations politiques ont modifié ces limites. Ainsi, dans sa
plus grande largeur, elle est comprise entre le golfe de Trieste et le Rhône,
non loin du lac de Genève ; d'où il suit que ce fleuve, les Alpes pennines
et l'extrémité du golfe Adriatique, séparent l'Italie de la France, de la
Suisse et de l'Allemagne. Le golfe Adriatique et la Méditerranée baignent
les côtes de cette contrée jusqu'aux pentes des Alpes maritimes, près des
frontières de la France. Sa longueur, du nord-est au sud-ouest, est d'en-
viron 300 lieues, sa largeur, au nord, est de plus de 160 lieues-, dans sa
partie moyenne, de 50 ; au midi, de 40 ; et à l'entrée de la Calabre, de
10 à 12 seulement. Sa superficie, en y comprenant la Sicile, la Sardaigne,
et toutes les petites îles, est de 16,200 lieues; et celle de îles seules,
de 2,800.
Les principales montagnes de l'Italie sont les Alpes pennines, qui com-
prennent la chaîne qui s'étend du mont Rose au mont Blanc; les Alpes
grecques, comprises entre le mont Blanc et le mont Cents; les Alpes cot-
tiennes, enire le mont Cenis et le mont Viso; enfin, les Alpes maritimes,
qui, du mont Viso, se prolongent au delà du Col de Tende. Ces différentes
parties d'une même chaîne serpentent de l'est à l'ouest et de l'ouest à l'est

EUROPE. — DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
495
dans la direclion générale du nord au sud. A partir du Tanaro jusqu'à
l'extrémité de l'Italie, s'étend la longue chaîne des Apennins. Toutes ces
montagnes dépendent d'un môme système: celui des Alpes, la chaîne
Rhétienne et la chaîne Apennine, partent d'une masse principale, le mont
Blanc. La chaîne des Apennins, qui doit principalement nous occuper,
s'étend sur une longueur de 270 lieues. Elle se divise en trois parties :
l'Apennin septentrional se prolonge, en passant près d'Urbin, jusqu'à la
mer Adriatique; Γ Apennin central se termine près des bords du Sangro;
l' Apennin méridional s'étend, en serpentant, jusqu'au bassin de l'Ofanto,
où il se bifurque : la branche la moins considérable sépare la terre de Bari
de celle d'Otrante ; l'autre, composée de montagnes élevées, traverse les
deux Calabres, et se termine par l'Aspromonte.
Du côté de l'Italie, la chaîne des Alpes est beaucoup plus escarpée que
du côté de la France, de la Suisse et de l'Allemagne ; celle des Apennins,
moins élevée, prolonge plusieurs rameaux, dont les plus importants vont
former des caps dans la mer Adriatique, celle de Sicile et la Méditerranée.
Pivmbino est bâti sur l'un de ces caps, mais le plus important est celui qui
forme la pointe de la Campanella, à rentrée du golfe de Naples. Sur les
bords de l'Adriatique, ces pointes ou ces extrémités de chaînes sont moins
importantes; cependant, à l'entrée du golfe de Tarenle, le cap de Leuca
est formé par les dernières pentesd'un de ces rameaux. La branche prin-
cipale, qui continue jusqu'à l'extrémité la plus méridionale du continent,
ne fait que s'enfoncer dans la mer pour reparaître en Sicile, dont elle forme
pour ainsi dire la charpente. Dans l'étendue que parcourt la chaîne Apen-
nines elle se range plus près de la côte occidentale de l'Italie que de la côte
opp osée
Cette contrée, si remarquable par ses montagnes, ne l'est pas moins
par ses plaines. L'une des plus belles et des plus riches de l'Europe, et
peut être du monde, est celle de la Lornbardie. Celle qui s'étend entre le
golfe de Naples, le Vésuve et les Apennins, moins étendue, est admirable
par sa richesse et sa fertilité. Sur le versant opposé de celle chaîne, d'aulres
plaines moins étendues encore, mais non moins fertiles, se prolongent sur
les bords de l'Adriatique, aux environs du golfe de Manfredonia et sur la
terre de Bari.
Les cours d'eau qui sillonnent l'Italie diffèrent d'importance, suivant
qu'ils descendent des Alpes ou des Apennins. Le Pô, le plus grand de ses
fleuves, prend sa source au mont Viso. Grossi des eaux du Tanaro, de la
Trebia, du Taro et du Panaro, qui s'y réunissent sur sa rive droite ; augmente

496
LIVRE CENT SOIXANTE NEUVIÈME.
sur sa gauche par la Dora, l'Orca, la Sezia, le Tessin, l' Adda et YOglio,
il se jette, après un trajet de 120 lieues, dans la mer Adriatique. La même
mer reçoit des Alpes le Tagliamento, la Piave, la Brenla et YAdige. La
chaîne des Apennins fournit à la Méditerranée l'Arno, qui se jette dans le
golfe de Gênes, et le plus petit fleuve de l'Europe, le Tibre, qui se plonge
dans la mer près d'Ostie.
Les plus grands lacs s'étendent sur le versant des Alpes rhétiennes; à
l'ouest, c'est le lac Majeur, et dans la direction de l'est, on voit successi-
vement ceux de Lugano, de Corne, d'Iseo, et celui de Garda, le plus impor-
tant de tous. Que sont, auprès de ces grandes nappes d'eau, les lacs de
Pérouse, de Bolzena et de Fucino, qui se succèdent du nord-ouest au
sud-est, sur les pentes occidentales des Apennins?
La lac Majeur (lago Maggiore) est le Verbanus lacus des anciens ; il a
une lieue et demie dans sa moyenne largeur, et 14 dans sa plus grande
longueur; mais sa profondeur est extraordinaire: elle est, dit-on, de
800 mètres. Le lac de Lugano, l'ancien Ceresius lacus, n'a que 5 lieues de
longueur sur une largeur moyenne d'une demi-lieue. Il est élevé de
285 mètres au-dessus du niveau de la mer, et de 58 au-dessus du lac
Majeur, dans lequel il écoule ses eaux. Celui de Côme , appelé Larius lacus
par les anciens, a 6 lieues de longueur, en le mesurant depuis son extré-
mité septentrionale jusqu'à l'extrémité méridionale de la plus longue de
ses deux branches. Sa largeur est d'environ une lieue. Il reçoit plus de
60 cours d'eau, dont la plupart forment de belles cascades : ce qui est dù
à la hauteur des montagnes qui l'entourent, dont plusieurs ont de 2,500 à
2,900 mètres d'élévation, et qui, s'abaissant en gradins, viennent former
autour de ses rives une rangée de collines de 4 à 500 mètres de hauteur.
Les points de vue agréables qu'elles offrent, les maisons de plaisance qui
se groupent çà et là sur leurs pentes, rendent les bords de ce lac on ne
peut plus pittoresques. Ses eaux sont animées par un grand nombre de
mauves qui voltigent à sa surface, et dont le nom latin, larus, paraît être
l'origine de celui du lac. Le lac d'Iseo ou de Sabino (Sevinus lacus), large
d'à peu près 1 lieue et long de 5, a 300 mètres de profondeur. Il est envi-
ronné de rochers à pic et de coteaux couverts de vignes et d'oliviers. Le
lac de Garda (Benacus lacus) a 11 lieues de longueur, 1 lieue de largeur au
nord, et 4 au sud. Sa profondeur, qui varie beaucoup, est, dans son maxi-
mum, d'environ 300 mètres. Ce lac, chanté par Catulle et par Virgile, est
célèbre par la variété et la quantité de poissons qu'il nourrit.
La beauté du climat de l'Italie a contribué à rendre plusieurs de ses

EUROPE. — DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
497
sources minérales aussi célèbres que celles de l'Allemagne. Aux environs
de Pise, les sources gazeuses de Saint-Julien, les bains de Montecatini,
les sources de Saint-Cassian, et les célèbres bains de Lucques, attirent une
foule d'étrangers en Toscane. Les environs de Lucques possèdent des lacs
uniques en Europe : ce sont ceux dont les eaux renferment de l'acide bori-
que. Ils s'étendent sur une superficie d'environ 30 milles (104 kilomètres),
d'où s'élèvent des colonnes de vapeur d'un volume plus ou moins considé-
rable, qui imprègent l'air d'une odeur forte et légèrement sulfureuse. Dans
leur voisinage, on ressent une chaleur insupportable, et l'on est mouillé par
les vapeurs. Le sol brûlant qui s'ébranle sous vos pas est couvert çà et là de
magnifiques cristallisations de soufre et d'autres minéraux. Dès la plus
haute antiquité, la contrée où s'étendent ces lacs était regardée comme
l'entrée de l'enfer ·, le volcan voisin des principaux de ces lacs porte encore
le nom de mont de Cerbère (monte Cerboli).
Dans le royaume de Naples, on trouve à chaque pas des sources
gazeuses, comme si elles étaient la conséquence des phénomènes volca-
niques : les eaux de Santa-Lucia, celles de Pisciarelli, de Pouzzoles, et
les quatre sources d'Ischia ; dans le royaume Lombard-Vénitien, les bains
d'Albano, près de Padoue ; ceux de Rocouro, dans les environs de Vicence ;
les sources thermales d'Acqui, celles de Vinadio et d'Oleggio, dans le
royaume de Sardaigne ; enfin les sources minérales des environs de
Parme, prouvent que l'Italie est, sous le rapport des moyens curatifs,
favorisée d'Hygie, la déesse de la santé.
Du nord au sud de l'Italie on compte quatre zones et quatre climats
différents. La zône septentrionale, qui règne depuis les Alpes jusqu'aux
Apennins, est souvent exposée à des froids rigoureux : quelquefois le ther-
momètre y descend jusqu'à 10 degrés. Elle ne produit généralement ni
l'olivier, ni le citronnier, ni les différentes espèces de ce genre, si ce n'est
dans quelques localités abritées contre les vents. Dans la seconde, qui
s'étend jusqu'au cours du Sangro, l'hiver est sans âpreté : l'olivier et
l'oranger sauvages lui résistent, mais l'arbre qui porte l'orange douce n'y
prospère point en pleine terre. C'est dans la région suivante, qui se ter-
mine vers les bords du Crati, qu'il réussit presque sans culture, à côté du
cédratier et du bigarradier. Il y gèle pourtant quelquefois, mais rarement
dans les lieux peu élevés. La dernière zone enfin jouit d'un climat brûlant,
le thermomètre n'y descend point au-dessous de zéro ; le palmier, l'aloès
et le figuier d'Inde y croissent, surtout dans les plaines et sur le bord de
la mer, car les cimes les plus élevées se couvrent de neige en hiver,
VII.
63

498
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
Rien n'égale la fertilité de la première région, qui occupe toute la vallée
du Pô ; elle produit une grande quantité de riz, diverses espèces de grains,
et surtout celle qui sert à faire les pâtes et les macaronis dont les Italiens
sont si friands. C'est aussi dans cette vallée et dans celles qui y aboutissent
que l'on voit les plus belles prairies de l'Italie, et les bestiaux les plus gras.
Ses fromages sont un objet considérab!e de commerce ; ses vins sont
estimés, principalement ceux du Frioul, du Vicentin, du Bolonais et du
Montferat.
La seconde région a peu de prairies et peu de champs de blé; ses terres
cultivées s'élèvent, sur les pentes des montagnes, en terrasses, soutenues
par des murs de gazon, dont la verdure, sur laquelle se détachent des
arbres couverts de fruits, et le pâle olivier donne aux coteaux l'aspect le
plus riant et le plus riche.
La troisième région, que plusieurs parties malsaines ont fait appeler
pays de mauvais air, est couverte de vastes pâturages, de coteaux et de
vergers.
Dans la dernière, on cultive le figuier, l'amandier, le cotonnier, la canne
à sucre, cl la vigne qui donne les vins brûlants de la Calabre. La végéta-
tion y rappelle celle des plus belles contrées de l'Afrique. Le bombix,
qu'on y élève, produit une soie moins line et moins brillante que dans les
autres parties de l'Italie; on en attribue la cause à sa nourriture, qui con-
siste principalement en feuilles de mûrier noir. C'est dans cette région que
l'œil se promène avec plaisir sur ces pampres, dont les rameaux flexibles
s'enlacent aux peupliers. On a remarqué que les vins que l'on obtient
des vignes basses sont d'une qualité supérieure à ceux que produisent
celles qui forment d'élégantes guirlandes à la cime des arbres. Souvent le
raisin des premières est mûr avant que celui des secondes se soit coloré.
Le mélange de ces deux raisins ne donne qu'un vin aigre-doux, en dépit
du climat.
L'Italie produit tous les arbres fruitiers des contrées tempérées de l'Eu-
rope, et de plus quelques végétaux qui ne peuvent croître qu'à la faveur
d'une haute température. Tels sont : le plaqueminier, dont les fruits
jaunes, acides et de la grosseur d'une cerise, ne sont mangés que par les
enfants et par les pauvres; Vazédarac bipenne, arbre dont les fleurs, d'un
bleu tendre et d'une odeur suave, tombent engrappcsélégantes;le grenadier,,
apporté de Carthage en Italie par les Romains ; l'azerolier, espèce de néflier
dont le fruit plaît par sa belle couleur rouge, et dont le suc rafraîchissant le
fait rechercher dans l'Italie méridionale ; le caroubier, dont la gousse est

EUROPE. — DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
499
aimée des Napolitains ; le pistachier lentisque, qui fournit une huile bonne à
brûler et à manger ; enfin le frêne à feuilles rondes, arbre précieux de la
Calabre, dont l'écorce entaillée suinte la manne.
Plusieurs animaux de l'Italie sont communs à différentes parties de
l'Europe ; d'autres sont particuliers à son climat et à ses montagnes:
celles-ci servent de retraite au lynx, au chamois, à la chèvre sauvage, au
furet, au loir et au lemming, petit rat de Norvége célèbre par ses migrations.
Dans les Apennins on trouve communément le porc-épic. Un bœuf auquel
on donne le nom de buffle vit apprivoisé dans le midi de la contrée. Les
chevaux napolitains sont estimés pour leurs formes et leur vigueur; l'âne
et le mulet y sont d'une très-bonne race, et les moutons rivalisent avec ceux
d'Espagne. Les oiseaux y sont très-nombreux : dans les seules Alpes mari-
times on en compte 300 espèces ; quelques reptiles du midi appartiennent
à la partie septentrionale de l'Afrique ; deux grandes couleuvres, l'aspic et
la vipère, y distillent leurs poisons.
Les poissons et les mollusques sont extrêmement nombreux dans la
Méditerranée. Les profondeurs de cette mer sont habitées par les alépocé-
phales, les pomatomes, les chimères et les lépidolèpres. Dans la région
supérieure se trouvent les molves, les merlans, les caslagnolles, etc.;
à 300 mètres au-dessous de la surface des eaux, les raies, les lophies, les
pleuronectes et tous les poissons à chair molle. A 150 mètres plus haut
s'étend la région des coraux et des madrépores; au milieu d'eux vivent les
balistes, les labres, les trigles et autres poissons. Au-dessus végètent des
algues et des caulinies; celle région est fréquentée par les murènes, les
vives, les stromatées, etc. Au-dessus s'élèvent les rochers, couverts de
varecs et de fucus, qui servent de retraite aux blennies, aux clines, aux
centrisques, et à tous les poissons de rivage. Enfin les plages couvertes de
galets et de sables sont la résidence ordinaire des sparest* des anchois, des
muges, et de divers mollusques. C'est au sein de la Méditerranée qu'habite
la sèche commune, qui rejette, lorsqu'on la poursuit, une liqueur noirâtre
dont on fait une couleur appelée sépia ; c'est là que demeure également ce
mollusque de la famille des poulpes, décrit par Aristote et par Pline, et
connu sous le nom d'argonautepapiracé, singulier animal dont la coquille
transparente et fragile, en forme de nacelle élégante, semble avoir donné
à l'homme l'idée des premiers navires, comme il paraît lui avoir donné les
premières leçons de navigation. Doué de la prudence nécessaire à sa con-
servation, qualité indispensable au navigateur, dès que la tempête com-
mence à agiter les flots, il se renferme dans sa coquille et se laisse des-

500
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
cendre au fond des eaux-, mais lorsque le calme a reparu, il étend ses
bras hors de sa barque légère, et reparaît à la surface de l'onde. Il intro-
duit ou rejette à volonté l'eau qui lui est nécessaire pour son lest-, le mou-
vement donné à ses bras, qui lui servent de rames, le fait voguer, et si la
brise qui agile les flots n'est point trop forte, il élève deux de ses bras, pré-
sente au vent la membrane qui les unit, et s'en sert comme d'une voile
propre à accélérer sa course, tandis qu'un autre bras, plongeant dans
l'eau derrière la coquille, agit comme gouvernail.
Les vents du midi sont très-incommodes dans le royaume de Naples et
dans la Sicile ; mais celui du sud-est, ou le sirocco, est celui dont le souffle
est le plus accablant. Lorsqu'il règne, la lueur du jour est obscurcie, les
feuilles des végétaux se roulent comme si elles étaient piquées par un insecte
destructeur, et l'homme est accablé d'un malaise et d'une nonchalance
qui lui font perdre ses forces. Heureusement ce vent règne plus fréquem-
ment l'hiver que l'été.
L'Italie offre, au point de vue géologique, une foule de localités inté-
ressantes pour qui saitles explorer. Sans nous arrêter à donner de grands
détails sur cette matière, nous nous contenterons de faire remarquer que
le nord de la Péninsule offre un terrain jurassique et calcaire ; qu'en quel-
ques endroits on rencontre des soulèvements volcaniques, et que les
plaines du Piémont et de la Lombardie abondent en coquilles et ossements
fossiles.
Le Pô traverse une grande étendue de terrains supercrétacés supérieurs;
il charrie, comme tous les grands fleuves, les débris des montagnes qui l'en-
tourent et du sol qu'il sillonne. L'action journalière de ses eaux accumule à
son embouchure des dépôts qui chaque jour reculent les limites de la mer.
Des recherches savantes ont servi à constater que depuis 1604, époque à
laquelle on a cherché à le contenir par des digues, ce fleuve a tellement
amoncelé les débris qu'il entraîne, que dans sa partie la plus basse la sur-
face de ses eaux est maintenant plus élevée que les toits des maisons de
Ferrare. A partir de la même époque ses atterrissements ont reculé la
mer de plus de trois lieues. L'antique Hatria, aujourd'hui Adria, était dans
les temps anciens un port célèbre, puisqu'elle donna son nom à la mer
Adriatique : elle est aujourd'hui à plus de 8 lieues du rivage. On a sans
doute exagéré en évaluant à 120 mètres les envahissements annuels de ces
atterrissements ; mais ce qu'il y a de certain, c'est que les travaux des
hommes n'ont pas peu contribué à les augmenter. On peut mesurer leur
marche avec assez de précision. Au douzième siècle, la mer était éloignée

EUROPE. — DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
501
d'Adria de 9 à 10,000 mètres-, à la fin du seizième, lorsqu'on eut ouvert
une nouvelle rouie au fleuve, les promontoires de ces atterrissements les plus
avancés dans la mer se trouvaient à 18,500 mètres d'Adria, ce qui donne
à leur marche moyenne25 mètres par an. En considérant que l'extrémité
de ces atterrissements est aujourd'hui à 32,500 mètres du méridien
d'Adria, leurs envahissements peuvent être évalués à 70 mètres par an.
Jadis le était sujet à des crues qui se renouvelaient tous les 40 ou
50 ans-, elles sont devenues plus fréquentes. La marche des atterrissements
de la Brenta menace Venise du même sort qu'Adria.
La chaîne de l'Apennin est principalement composée de granit et de cal-
caire qui se mêlent au terrain tertiaire des deux versants: çà et là on
retrouve la trace de soulèvements volcaniques au milieu des terrains d'al-
luvion : ce sont des traînées de lave et quelquefois des anciens cratères à
demi comblés.
Les lacs dans lesquels se sont déposés les travertins antiques des envi-
rons de Rome ont formé le Quirinal, l'Aventin et les monts Marius et
Cœlius ; mais le Janicule et la roche du Vatican attestent par leurs mollus-
ques la présence des eaux marines. D'autres roches, et des déjections vol-
caniques agglomérées par un ciment calcaire, constituent le sol de la ville
antique. Quelques-uns des sédiments de ses environs renferment des osse-
ments d'animaux terrestres dont les espèces sont perdues.
Des bords du Pô jusqu'aux extrémités de l'Italie, on a reconnu deux
traînées de matières volcaniques : l'une s'étend sur le versant oriental des
Apennins, depuis le territoire de Ferrure jusque dans les Abruzzes, non
loin des rives du Sangro; l'autre, sur le versant opposé, se prolonge
jusque dans la Sicile. Aux deux extrémités de ces produits des feux sou-
terrains, se développe le phénomène des salses ou pseudo-volcans, dans
lequel le gaz hydrogène est le principal agent. Dans celle de Sassuolo,
aux environsde Modène, un bâton plongé détermine l'eau à s'élever en
forme de jet. Près de Pietra-Mala, en Toscane, une source d'eau froide,
VAcqua buja, s'enflamme à l'approche d'une lumière, et le Fuocco del
legno, toujours allumé, a la flamme bleue le jour et rouge la nuit.
Au bas du versant des Apennins qui se dirige vers le golfe de Naples,
des cralères de diverses dates se sont accumulés sur le sol même que l'homme
foule aujourd'hui, et la décomposition des laves a contribué à fertiliser ses
champs. Toute la plaine de la Campanie est couverte de déjections volcani-
ques; Naples est bâtie sur des courants de laves. Spallanzani a reconnu le
premier que les lacs Averno, Agnano et Lucrino étaient d'anciens cratères.

502
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
Cette plaine, qui s'étend depuis les bords du Sebato et du Sarno jusqu'à
la Méditerranée, est connue depuis les temps anciens sous la dénomination
de champs Phlégréens : tout y retrace en effet les ravages des feux sou-
terrains. L'Averne, que les Grecs nommaient Aornos, parce que les oiseaux
fuyaient ses rives d'où s'exhalaient des vapeurs pestilentielles, les attire
aujourd'hui par l'abondante nourriture qu'il leur offre. Il a, dans certains
endroits, 60 mètres de profondeur, niais il n'offre plus l'aspect sombre et
lugubre sous lequel nous le peignent les historiens et les poëtes de l'anti-
quité. Les vieilles forêts qui couvraient ses bords escarpés sont remplacées
par des taillis cl des buissons qui conservent leur verdure toute l'année;
les marais insalubres qui l'environnaient ont été convertis en vignobles.
On remarque encore sur ses bords, d'un côté les restes d'un temple d'Apol-
lon, de l'autre la célèbre grotte de la Sybille de Cumes ; enfin rien n'est
plus romantique que l'aspect de ce lac que les anciens regardaient comme
l'entrée des enfers.
Le lac Lucrino ou Licola (Lucrinus-lacus), voisin du précédent, avec
lequel il communiquait par un canal que fit construire Agrippa, gendre
d'Auguste, pendant que d'un autre côté il communiquait aussi à la mer,
ne nourrit plus les huîtres qui le rendaient célèbre chez les anciens. L'érup-
tion du 29 septembre 1558 forma dans son sein un petit volcan qui, pen-
dant sept jours, rejeta des matières enflammées, et dont la lave forme
aujourd'hui une colline de 2,650 mètres de circonférence à sa base, et de
132 de hauteur : il est connu sous le nom de Monte. Nuovo. Depuis l'érup-
tion subite de celle colline, le lac Lucrino, considérablement diminué,
n'est plus qu'un étang dans lequel on ne pêche que des anguilles.
Le lac d'Agnano a une demi lieue de circonférenece ; ses eaux sont pois-
sonneuses, ses bords sont garnis de châtaigniers. Les rives et le fond de ce
lac sont formés de pépérine ponceuse renfermant des fragments de lave ;
on n'y découvre aucun filon : ce qui fait présumer avec raison, ainsi que
l'a remarqué Spallanzani, que ce cratère n'a produit que des éruptions
boueuses. Malgré la beauté du site, l'œil ne découvre aux environs que
des habitations éparses. Les habitants riverains sont faibles et languissants.
Sur les bords de ce lac les curieux ne manquent point d'aller visiter la
grotte du Chien; mais elle a beaucoup perdu de sa réputation depuis que
l'on connaît, dans plusieurs contrées volcaniques, d'autres cavernes d'où
s'exhale l'acide carbonique. Sur le côté opposé à celui où l'on voit cette
grotte, on remarque les étuves de San-Germano, et la célèbre source des
Pisciarelles, dont on vante les effets salutaires.

EUROPE. — DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
503
Sur le côté du sud-ouest du lac on voit la célèbre Solfatare, connue jadis
sous le nom de vallée de Phlegra et de Forum Vulcani, reste d'un cratère
de forme elliptique, dont le grand axe est de 400 mètres, et qui
est environné de collines formées de laves qui furent jadis les parois
de cet entonnoir volcanique. Le fond du cratère est à 100 mètres au-dessus
du niveau de la mer. Aux environs, le sol caverneux retentit sous les pas
du voyageur. Le soufre cl l'alun que l'on en retire semblent être une iné-
puisable richesse pour l'industrie. Il est à remarquer que les exhalaisons
sulfureuses de la Solfatare ne cessent que lorsque le Vésuve est en
éruption.
Non loin du lac Agnano est Astroni, autre cratère forme en même temps
que celui d'Averne. Sa profondeur est de 32 mètres-, il est rempli d'arbres
grands et majestueux, formant le seul bois des environs de Naples qui rap-
pelle les belles forets du Nord.
Suivant le docteur Forbes, l'Achéron ou le lac Fusaro, qui communique
avec la mer, est au milieu d'un sol alluvial. Au sud s'élève le monte di
Procida, composé d'un conglomérat porphyrique. Il contient des frag-
ments de granit et de syénite, et se termine dans la mer par le Scoglio delle
pietre arse, qui est formé d'une roche de rétinite couverte de lave ter-
reuse.
Toute la partie des champs Phlégréens, depuis le château de l'OEuf,
près de Naples, jusqu'au cap Misène, à l'extrémité occidentale de la baie
de Pouzzole, est composée de roches volcaniques. Le mont Pausilippe est
formé de pépérine ponceuse qu'il a été facile de percer pour la roule sou-
terraine appelée Grotte de Pouzzole, parce qu'elle conduit de Naples à celle
ville. Dans la caverne de Misène, creusée par l'art, un peu au-dessus du
niveau de la mer, dans une roche analogue à celle de Pouzzole, on voit
des efflorescences d'hydrochlorale d'alumine en tapisser continuellement
les parois.
Le Vésuve est le chef de tous les petits volcans modernes du territoire
de Naples. Aussi actif qu'il y a dix-huit siècles, il passe pour être le seul
en Europe qui rejette des roches de différentes natures sans les altérer.
Dans l'éruption qu'il éprouva en 1822, su hauteur diminua d'environ 32
mètres ; le point le plus septentrional de sa cime a 1,300 mètres d'éléva-
tion absolue; les parois de son cratère offrent la succession d'un grand
nombre de couches de lave qui pourraient presque servir à calculer celui
de ses éruptions. Dans cette cavité conique, on a plusieurs fois observé des
laves prismatiques presque aussi régulières que les plus belles colonnes de

504
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
basalte. Le mont Somma, qui était le sommet du Vésuve au temps de
Strabon, l'entoure aujourd'hui, et n'en est séparé que par la colline vol-
canique de Cantaroni. Cette longue ceinture, appelée Somma, paraît être
formée de roches d'origine ignée, qui, au lieu d'avoir été vomies par un
cratère, sont sorties par l'effet d'un soulèvement ancien. Près du cratère,
la lave retentit sous les pas : il semble qu'elle soit prête à s'engloutir dans
le gouffre qu'elle recouvre; des vapeurs brûlantes sortent d'un grand
nombre de petites crevasses tapissées de soufre en efflorescence, et dans
lesquelles la flamme se manifeste lorsqu'on y présente une matière com-
bustible. Ce qui complète avec la Somma la ceinture de la cime du Vésuve,
c'est la Padimentina qui, à l'est, se rattache à la Somma, et à l'ouest se
termine à peu de distance du Cantaroni. Entre la Somma et le cône du
Vésuve se trouve une sorte de vallée appelée atrio del Cavallo (Vestibule
du Cheval) , parce que les voyageurs y laissent leurs montures. La base
entière du Vésuve présente des cralères et des vallons plus ou moins con-
sidérables : tels sont la cosla della Tofa et la costa del Gando, le vallone
della Paliata. le vallone dell' Angelo et le vallone di Constantinopoli. Il
serait inutile de décrire le cône du Vésuve, car sa forme change à chaque
éruption; nous nous bornerons à rappeler que depuis l'an 79 que date la
première dont les hommes aient conservé le souvenir, on en compte 81
jusqu'à celle qui eut lieu au mois d'août 1834.
Cette montagne volcanique est isolée au milieu d'une plaine ; elle n'est
formée que de matières vomies du sein de la terre, en sorte que sa masse
donne la mesure exacte de la cavité d'où elles sont sorties. Sa base est
divisée en propriétés de peu d'étendue, mais très-fertiles: on peut juger
de la richesse du sol que forme la lave en se décomposant, par la quantité
d'habitants comparée à sa superficie: chaque lieue carrée nourrit 5,000
individus. On est d'abord étonné de la sécurité de cette population, qui
semble être menacée d'une destruction subite et complète; mais on est
bientôt tranquillisé par l'idée que chaque éruption est annoncée à l'avance
par des indices certains: la terre est ébranlée, un bruit sourd fait retentir
ses entrailles, les puits tarissent, et les animaux errent épouvantés. Averti
du danger, l'homme a le temps de s'échapper, et de mettre à l'abri ce qu'il
a de plus précieux. Dans les intervalles de ses éruptions, ce volcan rejette
sans cesse des tourbillons de fumée.
La richesse minérale de l'Italie consiste plutôt en substances pierreuses
qu'en substances métalliques; toutefois elle n'est pas sans importance.
N'a-t-elle point la serpentine du revers méridional des Alpes, le porphyre

EUROPE. —DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
505
des Apennins, le marbre de Carrare, l'albâtre de Volterra, le marbre
brèche de Slazzema, composé d'une réunion de fragments de diverses cou-
leurs ; le marbre noir de Pistoja, le vert de Pra'o, les brocatelles de Piom-
bino. la pierre calcaire de Florence, dont les plaques polies représentent
des ruines ou d'élégantes arborisations, formées de molécules de manga-
nèse ; la baryte sulfatée du mont Paderno, dont on fait, par la calcination
la pâte appelée phosphore de Bologne ; les jaspes de Barga, les calcédoines
de la Toscane, le lapis-lazuli desenvirons de Sienne, le jargon du Vicenlin,
le grenat du Piémont, l'hyacinthe du Vésuve, et les mines de la Sicile et de
la Sardaigne, qui fournissent un peu d'or, quelques centaines de kilo-
grammes d'urgent, quelques milliers de quintaux de plomb, et 5 ou
600,000 quintaux de fer?
De nombreuses îles forment une partie intéressante du territoire de
l'Italie; les plus importantes sont : la Sicile, la Sardaigne, et nous pour-
rions même dire la Corse, puisque, considérée physiquement, celle-ci
n'est qu'un démembrement de l'autre. Celles qui viennent ensuite, classées
d'après leur importance, sont, au sud de la Sicile, Malte. Gozzo et Pan-
tellaria ; puis, entre la Sicile et le continent, les îles d'Eole ou de Lipari;
à l'entrée du golfe de Naples, Ischia et Capri; enfin, l'île d'Elbe, entre la
Toscane et la Corse.
La Sicile, située entre l'Europe et l'Afrique, est la plus grande des îles
de la Méditerranée. Sa longueur, du sud est au nord-ouest, est de 06 lieues;
sa largeur moyenne, de 25, et sa superficie d'environ 1,3ΰ8 lieues carrées.
Une chaîne de montagnes, qui fait suite aux Apennins, s'y divise en trois
branches, dont les extrémités se terminent par trois caps principaux:
celui de Rasocolmo, au nord-est; celui de San-Vito, au nord-ouest, et
celui de Palo, au SUD est. Ces trois branches partagent la masse triangu-
laire de l'île en trois versants: celui du nord, celui de Test et celui du.
sud ouest. Ils donnent naissance à un grand nombre de cours d'eau; les
plus importants sont : au midi, le Belici, le Plataniet le Salso ; à l'est, la
Giarrella : le versant septentrional, étroit et rapide, n'est sillonné que par
des ruisseaux.
Les roches anciennes, qui forment les terrains de la Sicile, sont vol-
caniques; on y rencontre aussi du calcaire jurassique.
C'est sur le versant oriental de la Sicile que s'élève le mont Gibel ou
l'Elna, volcan si considérable que le Vésuve ne serait qu'une colline
auprès. Sa hauteur est d'environ-3,237 mètres au-dessus du niveau de la
mer ; sa base a 36 lieues de circonférence; mais si l'on y comprend tout
VII.
64

506
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
l'espace sur lequel la lave s'est étendue, sa circonférence est de plus du
double. Il est divisé en trois régions végétales: la première est celle de la
canne à sucre et du blé, elle porte le nom de région fertile; la seconde,
celle des vignes, de l'olivier, du hêtre, du chêne et du châtaignier, se ter-
mine par des arbres résineux, et porte dans le pays le nom de région boisée;
la troisième, celle des plantes boréales et des neiges, est appelée région
stérile. On voit qu'elles représentent les éléments et la végétation des trois
grandes zones de la terre; aussi pourrait-on les appeler zône torride, zone
tempérée et zône glaciale.
La lave et les scories de l'Etna ne sont pas moins susceptibles d'être
fécondées que celles du Vésuve : sa base, sur une circonférence de
100 lieues, nourrit 180,000 habitants. Les végétaux y acquièrent une
vigueur prodigieuse. Près du promontoire d'Aci, qui rappelle la fable
d'Acis et Galatée, d'antiques châtaigniers, témoins muets des révolutions
politiques et des convulsions de la nature, qui depuis tant de siècles agi-
tent la contrée, étendent leurs gigantesques rameaux. Plusieurs de ces
arbres ont 4 à 5 mètres de diamètre; l'un d'eux est appelé castagno dei
cento cavalli, dénomination d'autant plus exacte, que 100 chevaux peuvent
se mettre à l'abri sous son ombrage, et à la rigueur dans son intérieur. 11
est creux et a 37 mètres de circonférence.
Au milieu de la seconde région, se trouve, sur la pen!e méridionale, la
grotte des Chèvres (grotta delle Capriole), ainsi appelée parce que ces ani-
maux viennent s'y réfugier dans les mauvais temps. Près de cette caverne,
on voit les deux plus belles montagnes qu'ait enfantées l'Etna : le Monte-
Nero et le Monte Capreolo. Sur la même pente, mais près du sommet, dans
la région stérile, la tour du Philosophe ( lorre del Filosofo) attire l'atten-
tion, parce que l'opinion vulgaire est qu'elle fut érigée par Empédocle,qui
en fit son habitation pour mieux étudier les éruptions du volcan, tandis
que plusieurs personnes pensent qu'elle est un reste d'un temple de Vul-
cain, et que d'autres croient que ce fut une vedette construite par les Nor-
mands, pour observer au loin les mouvements de l'ennemi. Quelle que soit
son origine, tout porte à croire que cet édifice est d'une époque fort ancienne.
Ce terrible volcan, dont le cratère, dominé par un rocher pyramidal, a
plus d'une lieue de circonférence et 230 mètres de profondeur, est souvent
visité par les curieux; mais rarement on peut parvenir jusqu'à sa cime
glacée, tant les dangers augmentent après avoir passé la première région
des neiges. Depuis l'époque historique la plus reculée, le nombre de ses
éruptions s'élève à 96 ; la dernière eut lieu en 1851.

EUROPE.— DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
507
On connaît dans l'île plusieurs salses semblables à celles de Modène :
l'une est celle de Valanghe della Lalomba, l'autre celle de Terra Pilata,
et la troisième celle de Macaluba. La première est la moins importante-,
elle cesse d'être en mouvement pendant les grandes chaleurs. La seconde
consiste en une eminence divisée par plusieurs fentes ; un grand nombre
de petits cônes y lancent à 2 ou 3 mètres de hauteur de la fange et du gaz,
d'autres du gaz hydrogène seul-, plusieurs cônes, profonds de près de
2 mètres, rejettent constamment de l'hydrogène, qui s'enflamme dès qu'on
en approche une substance incandescente. La salse de Macaluba, située
sur un monticule de 16 mètres de hauteur, produit des phénomènes un
peu ditférents : Dolomieu lui donne le nom de volcan d'air. De ses petits
cratères s'exhalent des bulles de gaz qui, rompant l'argile qui les recouvre,
produisent un bruit semblable à celui d'une bouteille que l'on débouche.
Ce monticule renferme une source d'eau salée; sur le sol calcaire de ses
environs s'élèvent d'autres monticules d'argile grisâtre, qui contiennent
du gypse. Le terrain de Terra Pilala doit le nom qu'il porte à sa stéri-
lité ; il n'y croît aucun végétal.
Les terres de la Sicile sont douées de la plus grande fertilité; l'olivier y
est plus grand et plus robuste que dans les autres parties de l'Italie-, le
pistachier y est abondant, et le cotonnier cultivé avec beaucoup de soins;
mais les forêts y sont depuis longtemps épuisées, au point que le bois y
est extrêmement rare. La culture des fèves y remplace l'usage des jachères;
l'abeille est une des principales richesses du pays: le miel de Sicile est
justement estimé. Les animaux n'y diffèrent point de ceux de la Calabre,
et parmi les oiseaux, le plus fidèle au sol et le plus recherché pour son
chant plein d'harmonie, est le merle solitaire.
Ne quittons pas la Sicile sans examiner une question sur laquelle plu-
sieurs savants ont été divisés : la Sicile a-t-elle fait partie jadis du conti-
nent? Dans celte question, ceux qui nient la possibilité de cette séparation
ont peut-être passé trop légèrement sur les traditions rapportées par les
anciens. Pline et Pomponius Mela l'ont admis comme un fait incontes-
table. Les poëtes décrivirent cette catastrophe : Virgile et Silius Italicus
en fournissent la preuve. Une tradition populaire peut n'être point d'un
grand poids aux yeux des savants, lorsqu'elle est opposée au témoignage
de la raison et aux faits qui forment la base d'une science ; mais lorsqu'elle
s'accorde avec ces témoignages et ces faits, elle doit être considérée comme
une preuve de quelque importance. Il est vrai qu'au premier abord l'au-
torité de l'histoire a droit à plus confiance qu'une simple tradition qui se

508
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
perd dans la nuit des temps; mais en y réfléchissant, on sent que, pour
peu que l'on remonte à une certaine antiquité, l'histoire même se confond
avec les fables; et l'imagination peut facilement se transporter à une
époque où les peuples ignoraient l'art de fixer les idées par le moyen de
l'écriture, où l'histoire ne reposait que sur des traditions. Une objection
importante en apparence a été faite par Cluver contre la possibilité de la
catastrophe dont nous nous occupons; il dit que le cours des rivières sur
les dernières pentes de l'Italie, du côté de Messine, indique une inclinaison
générale et ancienne du terrain vers la mer; mais en admettant que la
chaîne apennine, minée par les feux souterrains, s'est rompue à l'endroit
même où une dépression séparait deux sommets; en admettant surtout
qu'au moment de cette rupture les eaux de la mer se seront précipitées
avec violence dans le détroit de Messine, elles auront dù contribuer à
adoucir les pentes qui terminent Γ Italie d'un côté, et les caps de Messine
et de Rasocolmo de l'autre. Voilà ce qu'on peut répondre aux objections
relatives à la configuration actuelle du terrain : mais que répondra-t on
aux observations géologiques qui prouvent que les montagnes de la Sicile
sont formées des mêmes roches que ce les de l'Apennin? Regardera-t-on
comme une rêverie l'idée qu'un violent tremblement de terre ait pu faire
écrouler une partie de cette chaîne sur une largeur de moins d'une lieue,
sous prétexte qu'il n'est point vraisemblable que l'Apennin méridional soit
miné, et pour ainsi dire placé sur d'immenses cavités, lorsqu'on sait avec
quelle intensité les feux souterrains ébranlent la Calabre, lorsque ceux-ci
ont formé une montagne aussi importante que l'Etna, lorsqu'ils ont sou-
levé au milieu des flots les sommités volcaniques auxquelles on donne le
nom d'îles de Lipari?
A une lieue et demie de la pointe du phare situé près du cap Rasocolmo,
s'élève un rocher fameux dans l'antiquité comme le plus redoutable écueil.
Coupée à pie, la base de Seylla est percée de plusieurs cavernes ; les flots
qui s'y précipitent se replient, se brisent et se confondent en produisant
un bruit effrayant qui explique pourquoi Homère et Virgile ont peint
Scylla poussant d'horribles hurlements dans sa profonde retraite, entouré
de chiens et de loups menaçants. Charubde, aujourd'hui Calofaro, à
25 mètres du rivage de Messine, ne ressemble point à la description
qu'Homère en a faite; ce n'est point un gouffre, c'est un espace ayant à
peine 35 mètres de circonférence, qui éprouve le remous que l'on remarque
en mer dans tous les passages étroits.
Entre la Sicile et l'Afrique, Malle, Gozzo et Comino forment une super-

EUROPE.—DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
509
ficie de 22 licues carrées. La première, l'antique Melila, longue de 5 lieues
et large de 3, est un rocher calcaire à peine couvert d'une légère couche
de terre végétale que la chaleur de son climat rend fertile. Plus de quatre-
vingts sources l'arrosent. Ses oranges célèbres et d'autres fruits exquis, la
beauté de ses roses, les douces exhalaisons de mille fleurs diverses, son
miel délicieux, la fécondité de ses brebis et de ses bestiaux, s'accordent
peu avec l'idée qu'on doit se faire d'un sol sur lequel on est obligé d'ap-
porter de la Sicile la terre végétale lorsqu'on veut y créer des jardins.
La petite île de Comino est une pointe de rocher d'environ 500 pas de
circonférence, qui doit son nom à la grande quantité de cumin qu'on y
cultive. Gozzo, jadis Gaulos. hérissée de montagnes, a 4 lieues de long sur
2 de large ; elle est fertile en coton, en grains et en plantes potagères. Plus
près de l'Afrique que de la Sicile, l'île volcanique de Pantellaria, l'antique
Cossyra, n'offre de tous côtés que des pentes abruptes et des cavernes. Au
centre, un lac de 800 pas de circuit et d'une immense profondeur occupe
la cavité d'un ancien cratère; ses eaux sont tièdes et ne nourrissent point
de poissons. Du pied de la plupart des montagnes arides et brûlées, sor
tent des sources boud antes. Les parties du sol les moins rebelles à la cul-
ture produisent du raisin, des ligues et dos olives. Lampedouse, jadis
Lopadusa, plus près de l'Afrique que de Malle, a un peu plus de 2 lieues
carrées; elle est inhabitée.
C'est entre Paniellaria et la Sicile, «à 8 lieues au nord de la première et à
13 de la seconde, que s'é'eva en 1831, vers le 10 juillet, une petite île vol-
canique, qui reçut des Anglais le nom d'île Graham, des Siciliens celui de
Fernanda, et des Français celui de Julia. C'était un volcan qui brûlait au
sein des flots, et que les flots engloutirent au commencement de 1832.
Près des côtes occidentales de la Sicile, les trois îles Egades : Favi-
gnana, Mareiimo et Lcvanzo, sont peu dignes de fixer l'attention. On y
élève des abeilles. Au nord, toutes les îles ne sont que d'anciens cralères.
A 11 lieues du cap de Gallo, Ustica est dominée par trois petits sommets
volcaniques qui, sous la domination phénicienne, étaient depuis longtemps
éteints. Son sol noirâtre et fertile produit du raisin, des olives et du coton.
A l'est de cette île, s'étendent celles d'Eole ou de Lipari, les Æliœ et
Vulcaniœ des anciens; elles sont au nombre de 16. Basiluzzo, Panaria,
Dalloto et les trois Pinarelli ne sont que des écueils composés de laves tra-
chyliques et de laves poreuses recouvertes de sulfate d'alumine. M. Hoff-
mann regarde ces iles comme pouvant être les débris d'un volcan qui fut
le centre de tout le groupe des Lipari. Basiluzzo, renferme trois maisons

510
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
habitées. On prétend qu'autour de ces îlots le gaz hydrogène s'élève à la
surface des eaux. Le sol d'Alicudi ou Alicuda est couvert de laves globuli-
formes. Spallanzani y a remarqué une masse de porphyre qui ne paraît
point avoir subi l'action du feu. Filicuri ou Felicudi, l'ancienne Phtœni-
cusa, est intéressante par les couches de laves et de tufa ou pépérine qui
alternent, et par une vaste cavité que Ton appelle la grotte du bœuf marin,
longue de 65 mètres, large de 40 et haute de 33. Le même savant y observa
un bloc de roche granitique analogue à celle que l'on remarque près de
Melazo en Sicile. Ce bloc, qui paraît avoir été transporté par les eaux, ne
prouverait-il point qu'une éruption marine a contribué avec l'action des
feux souterrains à séparer la Sicile de l'Italie? Satina, que Spallanzani
croit être l'ancienne Didyma, a 4 lieues de circonférence; on y voit un
cratère. Fertile en vins très-recherchés, elle doit son nom à l'abondance
du sel que l'on retire d'un lac séparé de la mer par une petite digue de
laves amoncelées par les flots. La chaleur du soleil fait les principaux frais
de celte exploitation : l'eau, en s'évaporant des fosses que l'on y pratique
après avoir mis le lac à sec, laisse une épaisse couche de sel.
Lipari, la plus grande de ces îles, a près de 6 lieues de tour : elle est
couverte de laves feldspathiques, de verre volcanique ou d'obsidienne, et
de pierres-ponces dont elle approvisionne toute l'Europe. La montagne do
Campo-Bianco, d'où on les retire, est composée de conglomérats ponceux,
renfermant des restes de végétaux, et formant des couches parallèles qui
alternent avec les ponces. On a remarqué que des alternances fort régu-
lières de roches d'origine ignée constituent le mont Santo-Angelo, volcan
éteint dont le cratère est encore bien conservé.
Vulcano, l'antique Vulcania, qui n'a pas 6 lieues de circonférence, offre
deux cratères dont l'un paraît être épuisé, et dont l'autre, d'une vaste
dimension, envoie dans les airs des tourbillons de fumée. On évalue sa pro-
fondeur à 1,400 mètres, et son diamètre à 770 : sa dernière éruption
date de 1775. On peut descendre dans le cratère éteint; on y voit une
grotte revêtue de stalactites de soufre. L'île renferme une autre grotte dont
les murs sont recouverts de soufre, de sulfate d'alumine et de chlorhydrate
d'ammoniaque, ainsi qu'un petit lac dont les eaux chaudes dégagent de
l'acide carbonique.
Les produits volcaniques de Panaria, jadis Hycesia, n'ont rien de par-
ticulier : il y croit, comme à Lipari, du blé, des olives, des figues et d'ex-
cellents raisins.
Stromboli, l'antique Stronrgyle, la plus septentrionale de ces îles, n'est

EUROPE. —DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
511
qu'un volcan escarpé dont le cratère, ouvert sur l'un de ses flancs, est
toujours en feu. Ses éruptions se renouvellent deux fois dans un quart
d'heure. Elle a 800 mètres de hauteur, et est composée d'agglomérats vol-
caniques et de bancs de lave. Cette lave contient de beaux cristaux de fer
oligiste.
L'entrée du golfe de Naples est défendue par trois îles : à droite, celle de
Capri ou de Capt ée; à gauche, celles d'Ischia et de Procida. La première,
large d'une lieue cl longue d'une lieue et demie, n'offre aucune trace de
volcanisation : un rocher calcaire qui s'élève à pic sépare l'île en deux
parties ; on y monte par un escalier de 500 marches, qui sert à faire com-
muniquer ses habitants de l'une à l'autre. On dit que dans certaines saisons
les cailles se rassemblent en si grand nombre sur les terres les plus fertiles
de l'île, qu'on en prend pour plus de 100 ducats par jour. La dîme perçue
par 1'évêque sur cette chasse forme son principal revenu.
Ischia, l'antique Ænaria, compte 8 lieues de circonférence. Son sol est
entièrement volcanique ; la lave y a recouvert les derniers dépôts marins.
Strabon dit que ses anciens habitants liraient de grands avantages de sa
fertilité et de ses mines d'or; mais il est probable que le géographe grec a
commis une erreur, car on ne trouve dans ses laves aucune trace de ce
métal. Ses anciens volcans, le Monte di Vico et YEpomeo, rivalisent de
hauteur avec le Vésuve. L'éruption qui se manifesta en 1302 dura deux
mois et fit déserter l'île, mais aujourd'hui elle est très peuplée. On y récolte
d'excellents vins, comme du temps des anciens; ses sources minérales et
ses étuves attirent un grand nombre d'étrangers. Procida, jadis Prochyta,
placée entre le continent et la précédente, n'a que 3 lieues de circonfé-
rence; c'est un des points du globe les plus peuplés : elle nourrit 14,000
habitants. Son sol volcanique, formé de plusieurs dépôts successifs de
laves, abonde en orangers, en figuiers et en vignes.
A l'ouest d'Ischia s'étendent les îles Ponces ; elles sont au nombre de
cinq : San-Stefano, Vendolana (Pandatataria), Zannone, Ponza, et Pal-
marola. Plusieurs îlots s'élèvent entre ces îles, dont la plus considérable
est Ponza, la Pontia des anciens, longue de 2 lieues et demie et large d'une
demi-lieue. Elle est formée, comme celles qui l'entourent, de roches tra-
chytiques, restes d'antiques embrasements qui ont coulé au milieu de
dépôts volcaniques pulvérulents. L'un des points les plus élevés de l'île est
la montagne della Guardia ; sa base est formée d'un trachyte demi-vitreux
sur lequel repose un trachyte commun gris, de un mètre d'épaisseur. Dans
l'ile de Zanuone, la même roche repose sur des calcaires anciens.

512
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
Vers le nord, entre la Corse et la Toscane, on voit plusieurs autres îles ;
les plus méridionales Sont : Gianuti, autrefois Artemisia, et selon d'autres
Dianium ; Monle Crislo, l'ancienne Oglosa, habitées par quelques
pêcheurs, cl Giglio, connue des Romains sous le nom d'Ægilium. Celle ci
est hérissée de collines couvertes de bois; on y exploite des granits et des
marbres estimés; son.territoire produit beaucoup de vins. Pianosa, l'an-
tique Planasia, île boisée mais peu habitée, est peu éloignée de l'île d'Elbe.
Au nord de celle-ci, à la hauteur du cap Corse, Caproja. petite île cal-
caire, est bien peuplée, et vis-à-vis de Livourne, Gorgone, plus petite
encore, est couverte de bois et sert de rendez-vous aux pécheurs de sar-
dines.
L'île d'Elbe, si renommée pour ses mines de fer, dont l'exploitation
remonte à la plus haute antiquité, était appelée Æthalia par les Grecs et
Ilva par les Humains; elle a 25 à 30 lieues de tour et 19 de superficie. Le
granit, le schiste micacé et le calcaire marbre, sont les principales roches
qui composent les montagnes qui la traversent de l'est à l'ouest. La plus
haute de leurs cimes est la Caponna. Malgré quelques marais infects, le
climat y est salubre. On n'y voit point de rivières; le ruisseau du Rio est
son seul cours d'eau, mais les sources y sont abondantes et ce tari sent
jamais. On y connaît quelques eaux minérales; on y fait de très-bon vins.
Ses pâturages occupent peu d'étendue, mais ils sont excellents.
L'ile de Sardaigne, dont la longueur du nord au sud est de 61 lieues,
et la plus grande largeur de 35, ferme une superficie de 1,560 lieues Car-
rées. Elle est traversée du sud au nord par une chaîne de montagnes qui
projette à l'ouest deux rameaux, dont l'un se dirige vers le nord-est et
l'autre vers le sud-ouest. Ou plutôt la Sardaigne ne présente point de véri-
tables chaînes de montagnes; l'arête centrale qui | résente les points les
plus élevés est interrompue à plusieurs reprises par de profondes coupures
transversales, par des plateaux assez étendus et de larges plaines basses.
Sa charpente, est granitique cl d'origine volcanique. Elle paraît avoir été
démantelée, dégradée et sillonnée par des courants aqueux agissant dans
la direction du nord au sud. Dans les montagnes de la Sardaigne l'exis-
tence de l'or est fort incertaine, mais on y connaît plusieurs mines
plomb et de fer. L'argent, le cuivre et le mercure y sont fort rares.
La Sardaigne présente un caractère particulier, c'est le grand nombre
et l'étendue de ses étangs et de ses marais. Il y en a qui communiquent
avec la mer par des coupures artificielles, comme le grand étang de la
Scaffa près de Cagliari. Les eaux de ces étangs sont basses, et lorsque les

EUROPE. — DESCRIPTION PHYSIQUE DE L'ITALIE.
513
vents du nord viennent à souffler, ces eaux refoulées ne permettent même
pas aux bateaux plats d'y naviguer ; d'autres étangs, dont le niveau est
plus bas que celui de la mer, ont probablement avec elle une communica-
tion souterraine; d'autres enfin, placés au pied de grandes masses de
trachite, doivent leur origine à des circonstances purement géologiques
et locales.
Les principales rivières sont, sur le versant occidental de la grande
chaîne: l'Ozieri au nord; l'Oristano au centre, et le Mannu au sud; sur
le versant opposé, nous ne citerons que le Flumendosa. L'Oristano a
22 lieues de cours; les plus considérables après celui-ci n'en ont pas plus
de 15. La Sardaigne a de nombreux étangs dont les eaux sont plus ou
moins salées, qualité qu'elles doivent au voisinage de la mer ou aux ter-
rains de formation salifère qu'elles traversent.
Le climat de cette île est tempéré ; elle est souvent exposée aux funestes
effets d'un vent du sud-est, le levante, qui est le sirocco des Napolitains.
Strabon, Tacite, Cicéron et Cornelius Nepos parlent de l'insalubrité de la
Sardaigne (Sardinia). Les mêmes effets sont encore aujourd'hui produits
par les mêmes causes; les miasmes qui s'exhalent des marais, surtout après
les premières pluies, font naître des fièvres intermittentes fort dange-
reuses.
La cinquième partie du sol de la Sardaigne est couverte d'antiques
forêts de chênes dont les principales espèces sont le chêne commun,
l'yeuse et le chêne-liége. L'île offre trois zones végétales différentes : celle
des montagnes, ou la plus élevée, est tout à fait analogue au climat de la
Corse ; celle des plaines et des côtes septentrionales ressemble à celui de
la Provence et d'une partie de l'Italie ; enfin celle des plaines et des côtes
méridionales rappelle la nudité de l'Afrique. C'est plutôt au caractère du
Sarde qu'à la qualité de son sol qu'il faut attribuer le peu d'avancement
de l'agriculture en Sardaigne.
L'île ne renferme aucune bête féroce. Parmi les animaux sauvages, les
plus importants par leur taille sont le cerf, le daim, la chèvre et le san-
glier; ils sont cependant plus petits que sur le continent. Le mouflon se
distingue de celui de la Corse par la forme de ses cornes, qui se rap-
prochent de celles du bélier. La Sardaigne nourrit aussi la plupart de nos
petits quadrupèdes, comme le renard, le lapin, le lièvre, la belette, etc. Les
animaux domestiques s'y distinguent par des caractères particuliers : le
cheval est petit, sobre, vigoureux, et peut se rendre utile jusqu'à vingt ou
trente ans ; l'âne est petit et couvert de longs poils ; le bœuf, comme celui
VII.
63

514
LIVRE CENT SOIXANTE-NEUVIÈME.
de Hongrie, est vif, agile, fougueux et muni de cornes d'une grandeur
extraordinaire. La chèvre est le seul animal qui n'offre point cette dégra-
dation de taille que l'on remarque chez les mammifères de la Sardaigne.
Le roi des oiseaux plane au-dessus des montagnes ; le lâche et féroce
vautour dévore dans la plaine les cadavres putréfiés . la fauvette, le merle
et la grive habitent les champs et les guérets ; la perdrix de roche se tient
dans les broussailles et sur les sommets arides. Les flamants arrivent
d'Afrique vers le milieu d'août ; deux mois plus tard, les cygnes, les
canards et les oies, sortis des régions septentrionales, les joignent, et sont
suivis des hérons, des foulques et des cormorans. La marche tardive de la
végétation, le desséchement subit de la plupart des plantes, rendent les
insectes plus rares en Sardaigne que dans les autres contrées méridionales
de l'Europe. On y trouve cependant la tarentule, une espèce de scorpion
peu dangereuse, les sauterelles et une grande quantité de cousins.
L'abeille fournit un miel excellent qui, dans quelques contrées, prend une
amertume qui n'est point désagréable et que l'on attribue aux fleurs de
l'arbousier. L'île ne nourrit d'autres reptiles que plusieurs espèces do
lézards et une très-petite couleuvre. La plupart de nos poissons peuplent
ses eaux douces et marines ; les seuls amphibies remarquables que l'on
trouve sur ses rivages sont deux espèces de phoques.
La Sardaigne est environnée de petites îles, dont les plus importantes
sont : au sud-ouest, San Antioco et San Pietro ; au nord-ouest, Asmara;
au nord, la Maddalena, Caprara et Tavolara. San Antioco, VEnosis des
Romains, a 9 lieues de tour, des terres fertiles et des salines. San Pietro,
divisée du nord au sud par une colline, est l'ancienne Hieracum ; sa cir-
conférence est de 8 à 9 lieues. Ses habitants pêchent le corail, exploitent des
salines et cultivent un sol fertile. Asinara, ['Insula Herculis des anciens,
longue de 4 lieues et demie, large de 2, est montagneuse, couverte de
pâturages, et cependant ne renferme que quelques cabanes de bergers et
de pêcheurs. Tavolara, l'ancienne Hermœa, rocher calcaire habité par des
chèvres sauvages, était fréquenté par les anciens, qui allaient pêcher sur
ses côtes le mollusque dont ils tiraient la pourpre.
L'Italie n'a dans la mer ou le golfe Adriatique que de petites îles ou des
îlots ; les plus considérables forment, près des côtes du royaume de Naples,
au nord-ouest de Monte-Gargano, le groupe des îles Tremiti, les Diomedœ
insulœ des anciens, et dans lesquelles Tibère envoya en exil Julie, nièce
d'Auguste, qui y mourut après un-séjour de vingt ans. Elles sont au
nombre de cinq : San Dominico, la plus grande et la plus méridionale, a

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME LOMRARD-VÉNITIEN.
515
à peine 2 lieues de circonférence-, elle renferme des collines, des bois ci
quelques champs en culture, mais elle manque de sources ; il n'y a que
de l'eau de citerne. Elle possède une saline qui fournit de beau sel blanc.
San Nicola, la plus orientale, est un peu moins grande et aussi dépourvue
d'eau ; il s'y forma, le 45 mai 1816, un petit cratère qui vomit pendant
sept heures des pierres et une lave sulfureuse, et qui depuis eut de nou-
velles éruptions. Caprara, la plus septentrionale, doit son nom à la grande
quantité de câpriers qu'elle renferme Crettacio et la Vecchia ne sont que
des écueils qui servent de retraite à un grand nombre d'oiseaux de mer.
Ces îles produisent de l'huile excellente et des fruits exquis.
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
Suite de Description de l'Europe. — Description de l'Italie.
Description du
royaume Lombard-Vénitien.
Les plus anciens peuples connus qui habitèrent le versant des Alpes
et la rive gauche du Pô, depuis le cours du Tessin jusque près des bords
de l'Isonzo, ou la Gaule cispadane, étaient les Orobii au nord, les Insubres
et les Cenomani au-dessus des lacs de Côme et d'Iseo ; le Lœvi à l'ouest,
près du confluent du Tessin et du Pô, et les Euganei à l'est.
Les Orobii étaient probablement originaires des Alpes ; leur nom signifie
vivant dans les montagnes. Cependant Pline, d'après Cornélius Alexandre,
les fait descendre de quelques montagnards grecs; mais le nom de leur
capitale, Bergomum, prouve une origine germanique ou plutôt germano-
celtique. Les Insubres paraissent être venus également du nord ; ils faisaient
partie de la nation des Ombri, dont le nom, dans leur langue, avait la
signification de vaillant. Mediolanum, leur capitale, est aujourd'hui Milan.
Les Cenomani étaient une colonie d'un peuple celte qui habitait le terri-
toire du Mans. Ils vinrent s'établir sur les pentes méridionales des Alpes,
six siècles avant notre ère. Les Lœvi passaient aussi pour être Gaulois.
Les Euganei, longtemps possesseurs du territoire actuel du gouvernement
de Venise, furent envahis par les Veneti, que l'on croit être une colonie
des Veneli qui habitaient les environs de Vannes, dans l'Armorique, et
qui étaient puissants par leur marine et leur commerce. Tels sont les
peuples que l'on distingua dans cette partie de l'Italie jusqu'à la chute de
l'empire d'Occident, vers la fin du cinquième siècle, que les Heruli, sous la

516
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
conduite d'Odoacre, en 476, quittèrent les bords du Danube, vinrent
s'établir sur les deux rives du Pô, et choisirent Ravenne pour la capi-
tale de leurs possessions. Six ans après leur conquête, ces peuples
furent soumis par les Ostrogoths, dont la puissance s'ébranla sous les
glorieux efforts de Bélisaire, et s'écroula, en 553, sous ceux de l'eunuque
Narsès.
L'Italie, rentrée sous la puissance des empereurs d'Orient, ne fut pas
longtemps à l'abri des attaques étrangères. Les Longobardi ou Lombards,
quittèrent les forêts de la Germanie, et vinrent fonder, en 567, un puissant
royaume dans la grande vallée du Pô, qui prit le nom de Lombardie. Mais
alors les évêques de Rome préludaient à leur puissance, et voyaient avec
crainte et jalousie l'agrandissement que prenaient ces peuples barbares,
qui menaçaient de s'emparer de l'ancienne métropole du monde. Etienne II
appela la France à son secours : Pepin enleva aux Longobardi l'exar-
chat de Ravenne, et en donna la souveraineté au pape. Charlemagne, favo-
risé par la victoire, détruisit leur royaume, et relégua dans une abbaye
Didier, leur dernier roi.
La Lombardie, sans souverain, conserva ses lois : après la mort de
Charlemagne, elle se divisa en plusieurs principautés soumises à l'empire
d'occident. Mais l'esprit d'indépendance gagna celte partie de l'Italie ; les
empereurs d'Allemagne accordèrent à quelques villes le droit de choisir
leurs magistrats. La coutume qu'avaient conservée les citoyens, selon
l'esprit du christianisme, d'élire leurs évêques, prépara le peuple à l'idée
que tout pouvoir émane de la nation ; les formes républicaines se perpé-
tuèrent, et déterminèrent plus tard les villes les plus importantes à deman-
der de plus précieux privilèges et des chartes. Au douzième siècle, toutes
les cités lombardes, non-seulement choisissaient leurs magistrats, mais
délibéraient sur la paix et la guerre, et sur leurs intérêts locaux. Frédéric
Barberousse fut le premier empereur qui, au mépris des chartes et des
traités de ses prédécesseurs, essaya de rétablir en Italie le pouvoir absolu.
Milan était la plus importante ville de la Lombardie. Assiégée par ce
prince, et pressée par la famine, elle capitula, mais à des conditions que
le vainqueur méprisa : quelques jours après sa reddition, Milan n'était plus
qu'un monceau de ruines. Si l'empereur protégea les rivales de celte vaste
cité, il détruisit jusqu'à l'ombre de toute liberté, et remplaça par des
podestats de son choix les magistrats élus par les citoyens. Cependant la
paix, qui succéda au fracas des armes, n'était que le silence de la crainte.
La liberté avait été vaincue, mais elle n'avait pas perdu ses droits ; une

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
517
ligue secrète s'organisait dans l'ombre. Les villes formèrent une confédé-
ration dans le but de recouvrer leurs privilèges. Les succès de Barberousse
Pavaient enhardi : soit qu'il voulût réduire les papes aux seuls droits spi-
rituels, soit qu'il eût le dessein de réunir leurs possessions à l'empire, il
marcha contre Rome. Cette fois les foudres du Vatican furent favorables
à l'indépendance des peuples. Les Romains, animés par le juste ressenti-
ment de leur évêque, résistent avec courage, et le ciel semble seconder
leurs efforts : la peste détruit l'armée impériale. L'empereur fait de nou-
velles tentatives contre la Lombardie-, mais frappé d'excomunication, il est
devenu un objet de haine et de mépris ; les villes confédérées lui livrent
bataille; ses troupes sont taillées en pièces, et lui-même ne sauve ses jours
qu'à l'aide d'un déguisement; enfin, abandonné de la fortune, il reconnaît
l'indépendance des républiques lombardes.
L'un des plus grands fléaux des révolutions politiques est la division des
opinions, qui transforme en ennemis irréconciliables les citoyens d'une
même nation. Les premiers succès de Barberousse lui avaient attiré cette
foule d'ambitieux toujours amis du pouvoir. Après la mort de ce prince,
son successeur conserva les mêmes partisans, et comme dans la lutte qui
venait de se terminer, les excommunications de Rome avaient puissam-
ment soutenu la cause du peuple contre l'empire, deux factions dominantes
partagèrent la Lombardie : les partisans du pape prirent la dénomination
de Guelfes, et ceux de l'empereur se firent appeler Gibelins 1. Les deux
partis obtinrent des avantages réciproques, mais celui du pape l'emporta
le plus souvent.
L'amour de l'indépendance, dont les villes lombardes donnèrent tant
de preuves, développa la civilisation, les arts, le commerce et les richesses.
On peut juger de leur puissance par le tableau que nous a laissé de Milan,
au treizième siècle, Galvaneus Flamma, écrivain contemporain. Elle
comptait parmi ses 200,000 habitants 600 notaires, 200 médecins, 80 ins-
tituteurs et 50 copistes de manuscrits.Des rues pavées en dalles, des ponts
de pierre, des maisons bien bâties, des palais, des monuments publics,
lui donnaient un aspect tout différent de celui des villes du nord et de
l'occident de l'Europe. Son territoire, qui comprenait Lodi, Pavie, Ber-
game et Côme, 150 villages et autant de châteaux, entretenait un corps
1 Les Guelfes tiraient leur nom d'une famille illustre de la Bavière qui s'allia à la
maison d'Este. Les Gibelins prenaient leur dénomination d'un village de Franconie
où naquit Conrad-le-Salique, d'où descendait la maison de Souabe. Ces noms rappe-
laient les discordes des deux familles qui s'étaient disputé l'empire.

518
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
de 8,000 cavaliers ou gentilshommes, et pouvait mettre 240,000 hommes
sous les armes. Mais les dissensions intestines firent naître l'ambition et la
corruption, ennemies de l'amour de la patrie et de l'indépendance. Ces
villes, si jalouses de défendre leurs prérogatives contre les empereurs,
choisirent des magistrats dont le pouvoir devint héréditaire, et dégénéra
bientôt en tyrannie.
Vers le quatorzième siècle, la Lombardie centrale était l'héritage de la
famille des Visconti : celle de la Scala gouvernait Vérone; celle de Carrare»
Padoue; et celle de Gonzague, Mantoue. En 1395, l'empereur Venceslas
érigea Milan et son territoire en duché, en faveur d'un Visconti ; cette
principauté échut par alliance à un fils naturel du célèbre Jacques Sforce
qui, de laboureur, parvint par son courage et ses talents, à la dignité de
connétable. A l'extinction de cette famille, Charles-Quint s'empara du Mila-
nais, qui appartint à l'Espagne jusqu'en 1700, que, le dernier duc étant
mort, le duché échut en partage à la maison d'Autriche, sauf quelques por-
tions qui furent cédées à la Savoie.
Les descendants des Veneti, pour échapper aux hordes d'Alaric, qui
pénétra en Italie au commencement du cinquième siècle, cherchèrent un
refuge dans les petites îles de l'embouchure de la Brenta. Ils y fondèrent
deux petites villes : Rivoalto (Rialto) et Malamocco ; mais en 697, les
magistrats de ces îles populeuses, convaincus de la nécessité de former un
corps de nation, obtinrent de l'empereur Léonce l'autorisation d'élire un
chef auquel ils donnèrent le nom de duc ou doge. Pepin, roi d'Italie,
accorda à cet État naissant des terres sur le littoral de chaque côté de
l'Adige; Bivoalto ou Rialto, réunie aux îles voisines, devint une ville nou-
velle qui prit le nom de Venetiœ, de celui que portait le pays dont ces îles
faisaient partie. Au neuvième siècle cette république commerçante se faisait
respecter par ses forces maritimes; au douzième elle équipait les flottes des-
tinées aux croisades ; en 1202, elle contribua puissamment à la prise de
Constantinople; une partie de cette ville et de son territoire lui échut en
partage, et son doge, qui prenait, par suite des conquêtes de la république,
le titre de duc de Dalmatie, y ajouta celui de duc du quart et demi de
l'empire romain. Candie, les îles Ioniennes, la plupart de celles de l'Ar-
chipel et d'autres stations importantes, des comptoirs à Acre et à Alexan-
drie, contribuaient à assurer sa puissance et la prospérité de son com-
merce.
Dans l'origine, le gouvernement vénitien se composait de conseillers
nommés par le peuple, qui partageaient avec le doge le pouvoir législatif.

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIΕΝ.
519
Ce magistrat jouit d'abord d'une puissance imposante ; les bornes en furent
rétrécies dans la crainte qu'elle ne dégénérât en une dignité héréditaire.
Un conseil représentatif et nombreux, élu tous les ans par douze électeurs
choisis par le peuple, fut institué ; mais, par la suite, les membres qui en
faisaient partie s'arrogèrent le droit de nommer les douze électeurs et
d'approuver ou de rejeter leurs successeurs. Le résultat de cette confusion
de pouvoirs amena nécessairement la fréquente élection des mêmes mem-
bres-, enfin une dignité qui devait être la récompense des vertus civiques
devint le partage exclusif de certaines familles. Lorsque ces changements,
contraires à la forme primitive du gouvernement, furent consommés, on
institua un sénat, auquel on accorda le droit de paix et de guerre; mais il
était renouvelé tous les ans, ainsi que les conseillers du doge, par le grand
conseil. Le mécontentement, les révoltes même que fit naître, au qua-
torzième siècle, un système qui anéantissait les bases fondamentales du
gouvernement républicain, nécessitèrent la nomination du célèbre Conseil
des Dix, qui organisa l'espionnage, l'assassinat et tout l'attirail du règne
de la terreur.
Telle était la situation du duché de Milan et de la république vénitienne,
lorsqu'on 1797 la défaite du prince Charles changea leur position poli-
tique. Par le traité de Campo-Formio, qui fut la suite de cette victoire de
Bonaparte, leurs territoires, réunis à celui de Modène et à quelques por-
tions des Etats de l'Eglise, formèrent la république cisalpine, qui prit en
1802 le nom de république italienne, qu'elle conserva jusqu'en 1805,
époque où elle devint le royaume d'Italie.
L'ancienne dénomination de Lombardie était depuis longtemps inusitée;
mais, par les négociations du congrès de Vienne, en 1815, l'Autriche,
devenue maîtresse de Milan, de Mantoue, de Venise et de la Valteline,
réunit leurs dépendances et en forma le royaume lombard-vénitien. Il est
borné au nord par la Suisse et le Tyrol ; à l'ouest et au sud par les pos-
sessions sardes, le duché de Parme, celui de Modène et les Etats de l'Eglise ;
et à l'est par le golfe Adriatique et le royaume d'Illyrie. Sa superficie est
d'environ 2,360 lieues carrées. Le lac Majeur et le Tessin à l'ouest, la plus
grande partie du cours du Pô au sud, et la mer Adriatique à l'est, lui ser-
vent de limites naturelles.
Dans ce royaume, l'hiver ne dure ordinairement que deux mois, mais il
est quelquefois assez rigoureux pour que le thermomètre centigrade des-
cende à 12 degrés et pour que les lagunes de Venise soient prises par les
glaces. En février, la terre se couvre d'une nouvelle verdure ; le mois de

520
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME,
mai voit revenir la chaleur; la récolte des céréales et de la plupart des fruit:}
se fait en juin et juillet, et les vendanges en octobre. Les pluies sont abon-
dantes en automne, et en hiver lorsque le froid n'est pas rigoureux. Elles
sont plus abondantes dans la partie occidentale que dans l'orientale ; dans
la première il tombe annuellement 43 pouces d'eau et 33 dans la seconde.
L'air est sain dans la plus grande partie du pays ; cependant les rizières
établies sur plusieurs points produisent des miasmes putrides. Les envi-
rons de Mantoue et de Rovigo sont exposés à des exhalaisons malfaisantes,
et les lagunes sont dangereuses pour tous les étrangers.
Cette vallée du Pô, qui du temps de Polybe était une contrée maréca-
geuse ombragée par d'antiques forêts peuplées de sangliers, peut à peine
aujourd'hui fournir assez de bois pour ses habitants-, mais les trésors de
Cérès et de Pomone ont remplacé les paisibles retraites des hamadryades.
De magnifiques prairies, arrosées par des ruisseaux qui descendent des
Alpes, fournissent jusqu'à six récoltes dans la même année. La race des
bêtes à cornes y est belle ; elle est l'objet des soins des paysans, qui depuis
longtemps se livrent à la fabrication d'excellents fromages.
Quelques traces de l'antiquité se sont conservées dans les campagnes
du Milanais : ces chars pesants, à roues basses et massives, traînés par
plusieurs paires de bœufs dont les longues cornes sont ornées de boules
de fer poli, et dont la queue est assujettie de côté par des rubans ou des
guirlandes-, ces paysannes, dont les cheveux relevés en tresses sont atla-
chés avec une flèche d'argent-, ces bergers portant, au lieu de houlette, un
bâton en forme de crosse, et dont l'épaule gauche est élégamment drapée
d'un manteau; ces moutons, dont le nez arqué, les oreilles pendantes et
les pattes minces et élancées rappellent certains bas-reliefs antiques,
annoncent l'Italie et ses riches souvenirs. Mais ces caractères, qui frap-
pent au premier abord, forment un contraste pénible avec la misère du
paysan. Il faut nous habituer à des contrastes plus pénibles encore ; l'Italie
est le pays du luxe et de la pauvreté.
L'abeille et le ver à soie reçoivent des soins assidus en Lombardie. Les
églises consomment une énorme quantité de cire, et, de toutes les branches
d'industrie, la fabrication des étoffes de soie est du petit nombre de celles
qui n'y sont pas restées arriérées. Cependant les filatures de coton, les
fabriques de draps et de toiles ont encore une assez grande activité ; le
produit moyen de ses exportations est d'environ 90,000,000 de francs.
Les communications commerciales sont favorisées par de superbes routes,
des rivières et des canaux.

EUROPE.
ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
521
Le royaume lombard-vénitien a clé déclaré partie intégrante do la
monarchie autrichienne. Ce pays, qui fut longtemps gouverné par les lois
françaises, méritait quelques faveurs ; le pouvoir absolu y est mitigé par
les dispositions de la constitution de 1815. On y a établi un simulacre de
représentation nationale; mais les membres qui la composent n'ont que
la faculté de délibérer sur certaines questions que le gouvernement leur
soumet. L'empereur est représenté par un vice-roi, et le royaume est par-
tagé en deux grands gouvernements : celui de Milan et celui de Venise
le premier divisé en neuf délégations, et le second en huit.
Milan, capitale dû. royaume et résidence du vice-roi, est située dans
une vaste plaine sur les bords de l'Olona. Elle a 9,745 mètres de circon-
férence-, mais la partie habitée n'en a que 5,847. Elle a onze portes, et sa
plus grande longueur, qui est de 2,924 mètres, occupe l'espace compris
entre la porte de l'ouest et celle du Tessin. On y compte plus de 200,000
habitants. Si cette ville avait plus de rues alignées et larges, elle mérite-
rait le titre de magnifique; on a dit avec raison que les maisons de mau-
vaise apparence y sont aussi rares que le sont ailleurs les palais. Les rues
les plus spacieuses sont appelées corsi, parce qu'elles sont le rendez-vous
des promeneurs et qu'on les choisit pour y faire des courses de chevaux.
Ses places publiques sont presque toutes irrégulières et sans ornements;
celle de la cathédrale est longue et étroite. Cet édifice, appelé le Dôme,
est l'un des plus remarquables que l'on connaisse; il fut commencé en
1386 par le duc Jean-Galéas Visconti. Il n'est point achevé, et probable-
ment il ne le sera de longtemps. Sa longueur est de 148 mètres, sa lar-
geur de 88, et la voûte de 75 d'élévation ; la plus haute de ses tours a
109 mètres. Il est peu d'édifices gothiques dont les ornements soient plus
multipliés; dans toutes les profondeurs, sur toutes les saillies, au-dessus
de chaque tour, sur toutes les flèches, s'élèvent des statues en marbre
blanc, dont le nombre est évalué à plus de 3,000, mais dont la plupart sont
tellement hors de la portée de la vue, que l'on regrette de ne pouvoir,
comme les oiseaux qui y font leurs nids, se placer de manière à les voir
en détail. L'intérieur de cette basilique est digne de ses imposantes dimen-
sions; on y remarque plusieurs sépultures monumentales, et une chapelle
souterraine où est déposé le corps de saint Charles Borromée. Il repose
dans un sarcophage en cristal, chargé de bas-reliefs et d'ornements en
vermeil. Il est revêtu de ses habits pontificaux enrichis de diamants; sa
tête mitrée repose sur un coussin d'or.
La vieille église de Saint-Ambroise présente un assemblage curieux et
VII.
66

522
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
même bizarre de tous les styles d'architecture chrétienne depuis le qua
trième siècle jusqu'au quinzième. Sa façade offre un vaste parvis sur le
modèle des pronaos des temples grecs.
Dans le grand nombre d'autres églises que renferme Milan, nous distin-
guerons celle de Sainte-Marie de la Passion, l'une des plus belles et
peut-être la plus riche en tableaux. Celle de Saint-Antoine abbé est remar-
quable par ses belles fresques ; celle de Saint-Sébastien, fondée par saint
Charles Borromée sur les dessins de Pellegrini, est un des monument:;
d'architecture les plus splendides de Milan ; celle de Saint-Alexandre in
Zebedia est riche de peintures et magnifique d'ornements ; celle de Saint-
Eustorge est une des plus anciennes : à l'entrée en dehors, on remarque
une chaire en pierre d'où, selon l'inscription, saint Pierre martyr réfutait
les manichéens-, celle de Saint-Victor al Corpo est belle et majestueuse;
celle de Santa-Maria del Carmine est gothique et présente un portail
d'une riche composition ; celle de Saint-Barthélemy n'est pas sans magni-
ficence, celle de Saint-Marc est superbe; enfin celle de Saint-Fidèle,
quoique inachevée, est un splendide monument de Pellegrini. C'est dans
cet édifice que les empereurs d'Allemagne allaient jadis recevoir la cou-
ronne de fer. L'ancien couvent des dominicains, appelé Sainte-Marie des
Grâces, est célèbre par le beau tableau de Léonard de Vinci représentant
la Cène, et peint à l'huile sur les murs du réfectoire. Il a 10 mètres de long
sur 5 de hauteur.
Plusieurs auteurs ont épuisé les fécondes ressources de l'étymologie
pour découvrir celle de l'antique nom de Mediolanum, que portait cette
ville. Ce n'est ni à deux guerriers toscans, ni à sa position entre deux
fleuves, ni à une truie à moitié couverte de laine (mediolana) que Bello-
vèse, son fondateur, aurait vue à la place qu'elle occupe, qu'elle doit son
nom, puisque plusieurs villes gauloises étaient appelées de même. Elle
était magnifique à l'époque de la splendeur de l'empire romain : plusieurs
antiquités l'attestent. Les seize colonnes antiques de l'église de San-
Lorenso sont les restes des bains de Maximien-Hercule, associé de Dioclé-
tien à l'empire. Les ruines du palais de ce prince ont été découvertes près
du cirque ou de l'Arena.
Les principaux palais de cette ville sont : le palais archiépiscopal, orné
de tableaux précieux et dont l'architecture est digne d'une destination plus
noble encore ; le palais royal, remarquable par la richesse des apparte-
ments et par le beau théâtre de la Canobiana qui en dépend ; le vaste palais
Marini, occupé par le ministère des finances et l'administration des

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
523
douanes; le palais della Contabilita, le plus parfait sous le rapport de
l'art de tous ceux de Milan ; le palais de justice et l'hôtel de la monnaie,
peu digne de cette ville sous le rapport de l'architecture, mais curieux par
sa belle collection de médailles et de monnaies d'Italie. Ces édifices ne
sont cependant point à comparer à la magnifique caserne que fit bâtir le
vice-roi Eugène, et que l'on regarde comme la plus belle du monde. Une
douzaine de palais appartenant à des particuliers attestent, par la beauté
de leur architecture et la richesse de leurs ornements, l'opulence de quel-
ques familles milanaises.
Des quatre ou cinq théâtres de Milan, les deux plus fréquentés sont
l'Opéra et le spectacle de Girolamo ou Fiando. Le premier, appelé Scala
parce qu'il occupe l'emplacement d'une ancienne église de ce nom, est
vaste, sonore, et décoré avec élégance. Il peut contenir 4,000 specta-
teurs. Le second passe en Italie pour l'un des plus célèbres théâtres de
marionnettes ; la précision et la vivacité des mouvements des acteurs, dont
notre petit théâtre de Séraphin n'offre qu'une imparfaite copie, produisent
une illusion complète.
Un autre lieu de réunion très-fréquent, est le théâtre Filodrammatico,
dont la salle élégante est aussi grande que celle de nos principaux théâtres,
et sur lequel on n'admet que des amateurs.
L'immense esplanade qui entoure les restes de l'ancien château de Milan
était un terrain humide et malsain, qui, sous l'administration française, fut
transformé en une agréable promenade ombragée de plus de 10,000 pieds
d'arbres, et qui reçut le nom de Foro Bonaparte. L'extrémité de la route
du Simplon est occupée par la porte du Simplon, appelée aujourd'hui
l' Arc de la Paix, bel arc de triomphe orné de magnifiques bas-reliefs en
marbre blanc tiré de celte montagne. Il est moins grand que celui de
l'Etoile à Paris, et comme sur celui du Carrousel, la statue de la Paix y
remplace celle de Napoléon. On peut citer ce monument comme un des
plus beaux de Milan et de l'Italie. Plus loin est une vaste place d'armes,
près de laquelle on voit le Cirque, ou l' Arena, monument du règne de
Napoléon, et qui par sa grandeur rappelle ceux des Romains : les gradins
peuvent contenir 30,000 spectateurs, et l'arène est destinée à des courses
et à des jeux publics. Il est à regretter que cet édifice ne soit point terminé,
Près de la porte Orientale, le Cours, bordé de riches palais, et la rangée
d'arbres qui s'étend entre cette porte et la porteRomaine, sont fréquentés
par les promeneurs à équipages ; c'est là que les élégants Milanais vont
étaler le luxe de leurschevaux et montrer leur adresse à conduire de légers
rhaétons.

524
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME,
Nous ne nous arrêterons pointà décrire les établissements scientifiques
de Milan, mais nous dirons quelques mots de la bibliotlièque ambroisienne,
fondée par le cardinal Frédéric Borromée. Elle compte 60,000 volumes
imprimés et 40,000 manuscrits. Ce qu'il y a de remarquable relativement
à son illustre fondateur, qui a donné tant de preuves de son amour pour
les lettres, ce qu'il y a d'incommode pour les recherches que l'on veut y
faire, c'est qu'il a interdit la formation d'un catalogue de ce riche trésor :
il faudrait, dit-on, une dispense de Rome pour l'établir. La seule trans-
gression que l'on a osé faire à cette défense est le simulacre d'un cata-
logue où les auteurs ne sont désignés que par leurs prénoms. Une autre
singularité, c'est que les livres ne portent sur leur couverture aucun titre.
Parmi les richesses de l'Ambroisienne, on distingue le fameux Virgile de
Pétrarque, offrant la note passionnée sur Laure: dix lettres de Lucrèce
Borgia au cardinal Bembo, accompagnées d'une boucle des cheveux blonds
de cette femme dépravée, digne fille du pape Alexandre VI; un manuscrit
de Josèphe, traduit par Ruffin et écrit des deux côtés sur papyrus : il a
douze siècles d'antiquité; les célèbres manuscrits palimpsestes des plai-
doyers de Cicéron pour Scaurus. Tullius et Flaccus, que l'on a remis au
jour en enlevant l'écriture des poëmes de Sedulien, prêtre du sixième
siècle; enfin les lettres de Marc-Aurèle et de Fronton, retrouvées sous une
histoire du concile de Chalcédoine. La bibliothèque possède un musée peu
considérable, mais précieux : c'est là, dit M. Valéry, que l'on voit le car-
ton de l'École d'Athènes, première inspiration naïve et grande de celte
immortelle composition : un portrait de Léonard de Vinci, au crayon rouge.
dessiné par lui-même; plusieurs tableaux charmants de Bernardin Luini ;
enfin on y remarque aussi une belle fresque représentant le Couronnement
d'épines.
Le palais royal des sciences et des arts, autrefois dit de Brera, bâti-
ment magnifique, renferme un superbe observatoire, un jardin botanique
riche en plantes exotiques; une bibliothèque publique, un cabinet de
médailles et un musée. La bibliothèque ne possède qu'un millierde manu-
scrits, mais elle compte 70,000 volumes, et elle est riche en ouvrages
modernes; le cabinet de médailles occupe un très-beau local, et le musée,
bien qu'il ne contienne pas de chefs-d'œuvre des grands maîtres, est fort
riche en modernes tableaux, et très-intéressant pour l'histoire de l'art.
C'est dans ce musée que se fait annuellement l'exposition des peintures
modernes. Les principaux établissements d'instruction sont deux lycées
et deux gymnases, l'académie ou l'école des beaux arts, l'école de mosaïque,

EUROPE. ITALIE, ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
525
celle des sourds-muets, le conservatoire de musique, l'école vétérinaire,
l'institut militaire géographique, le cabinet d'histoire naturelle, et enfin
parmi les sociétés savantes, l'institut royal et impérial.
Près de Garignano, à une demi-lieue de Milan, on remarque la petite
maison de Pétrarque, dont il ne reste de l'époque de ce célèbre personnage
que deux colonnes sur lesquelles on lit son chiffre, les fenêtres, le plancher
et les voûtes de deux chambres donnant sur la campagne.
On admire au village de Garignano les fresques de l'ancienne Char-
treuse, et au bourg de Saronno, l'église de Notre-Dame, dont les fresques
sont des chefs-d'œuvre de Bernardin Luini. Au château de Castellazzo on
remarque les restes du mausolée de Gaston de Foix, ouvrage du Bambaja ;
à la maison Simonetta, les voyageurs vont écouter un écho qui répète
trente-six fois le bruit d'un coup de pistolet.
Nous ne décrirons point les nombreux hôpitaux de Milan, dont le plus
remarquable est le grand hôpital, qui renferme plus de 2,000 lits, ni les
établissements fondés par la bienfaisance.
Milan a toujours tenu un rang distingué dans les lettres et dans les
arts : Virgile y fit ses éludes, et Valère-Maxime y prit naissance. Dans les
temps modernes elle vit naître l'antiquaire Octavio Ferrari, le savant
François-Bernardin Ferrari, oncle du précédent, le jurisconsulte André
Alciat, le protestant Jean-Paul Alciati, le géomètre Bonaventure Cuvalieri,
la célèbre Marie-Gaetane Agnesi, qui occupa la chaire de mathématiques
àBologne, lespapes Pie IV et Urbain III et le célèbre jurisconsulte Beccaria.
Le commerce de cette ville est considérable, et ses fabriques sont en
grand nombre: on y compte plusieurs manufactures de soieries, de velours,
de tulles, de cotonnades, de porcelaine, de chocolat, etc. Elle est destinée
à être le point central de jonction des chemins de fer de l'Italie septen-
trionale avec ceux de l'Italie méridionale, et elle sera la principale station
de la grande et importante ligne aujourd'hui en construction ( février 1851 )
Turin-Milan-Venise, qui doit à Trieste, se souder à la ligne de Vienne.
Monza, station du chemin de fer de Milan au lac de Côme, à quelques
lieues au nord de Milan, possède un beau palais ainsi qu'une cathédrale,
vieille basilique fondée par Théodelinde, et dont le trésor est l'un des plus
riches du royaume ; on y montre la célèbre couronne de fer dont on ignore
l'origine et la date, et que Napoléon plaça sur sa tête en disant ·. Dieu me la
donne, gare à qui la louche, d'après l'inscription qu'elle porte : guai a chi
la tocca. Les peintures à fresque et les tableaux qui décorent la basilique
de Monza sont remarquables-, la voûte est ornée de médaillons représen-

526
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
tant les princes qui ceignirent la couronne de fer depuis Agiluîphe jusqu'à
Charles-Quint. On voit dans le cimetière le cadavre momifié d'Hector ou
d'Astor Visconti, exhumé depuis environ trois siècles, et trouvé intact: il
est debout dans une niche et recouvert de son armure. Le palais de Monza
est d'une architecture noble et régulière ; la chapelle passe pour un chef-
d'œuvre-, le parc, traversé par le Lambro, a près de 3 lieues de circuit. On
y voit un beau jardin botanique. Cette ville dont la population est de 17,000
âmes, existait sous les noms de Moditia, Modoœtia et Moguntia, du temps
des Romains. Sa position agréable sur les bords du Lambro la fit choisir
par Théodoric, roi des Goths, pour l'une de ses résidences. Elle est deve-
nue dans ces derniers temps le siége d'une grande industrie et d'un com-
merce important.
Sur la frontière méridionale du royaume, Pavie s'élève au bord du
Tessin. Celte rivière lui fit donner le nom de Ticinum ; son origine, sui-
vant Pline, est antérieure à celle de Milan. Sous les empereurs elle était
considérable : Tacite en fait mention. Sa situation est délicieuse. Les
Lombards la choisirent pour capitale ; mais on ignore d'où lui vient le nom
de Pavie. Elle fut ravagée par le maréchal de Lautrec qui, par une con-
duite barbare, chercha à venger la célèbre défaite de François Ier. C'était
jadis la ville aux cent tours: il n'en reste que deux ; encore, celle dite de
Boëce est-elle moderne. Elle est peuplée de 24,000 habitants. Ses rues
sont larges, et sa grande place est entourée de portiques. Sa cathédrale
a été restaurée de manière que l'ancien gothique se perd dans des con-
structions nouvelles. De ses autres églises, la plus digne d'attirer l'atten-
tion par son architecture lombarde, est celle de Saint-Pierre in ciel d'oro,
transformée depuis longtemps en un magasin à fourrages, et qui recèle,
dit-on, sous des bottes de foin, le tombeau de Liutprand.
Un pont couvert soutenu par cent colonnes de granit, un théâtre et plu-
sieurs autres édifices décorent cette ville. Son université célèbre remonte
à l'époque de Charlemagne, et a reçu de Marie-Thérèse une organisation
qui subsiste encore : on y compte environ 1,400 étudiants. La bibliothèque
de Pavie n'a que 50,000 volumes et un petit nombre de manuscrits; elle
possède aussi un musée d'histoire naturelle, un jardin botanique, ainsi
que des cabinets de physique et d'anatomie. Le plus beau de ses trois col-
léges a été fondé par saint Charles Borromée : c'est un véritable palais.
Nous ne devons point passer sous silence l'ancienne chartreuse de
Pavie, située entre cette ville et Milan : c'est une des merveilles de l'Italie;
la façade de l'église est ornée de sculptures exquises des premiers maîtres

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
527
du quinzième siècle ; le pavé de la nef, qui imite un tapis de Perse, et tous
les autels sont en mosaïque de pierres fines de la plus grande beauté; on y
remarque le magnifique mausolée de Jean-Galéas Visconti, fondateur de
ce couvent, et qui est resté vide, parce que, terminé cent ans après sa mort,
on ne put jamais découvrir le lieu où son corps avait été déposé provisoi-
rement. Les murs intérieurs et extérieurs de cette chartreuse sont couverts
de fresques remarquables.
Une belle place entourée d'arcades; 8 faubourgs; 47,000 habitants;
un vieux château transformé en une vaste caserne ; une enceinte de mu-
railles élevées; plusieurs églises; un grand hôpital renfermant quelques
vieux tombeaux; un théâtre et plusieurs beaux palais appartenant à des
particuliers ; des fabriques considérables de faïence et de soieries ; un
grand commerce de fromages que l'on vend sous le nom de parmesan : tel
est en peu de mots ce qu'offre la ville épiscopale de Lodi, sur les bords de
l'Adda, célèbre par la bataille du 10 mai 1796.
Crema, l'antique Forum Diuguntorum, sur la rive droite du Serio, est le
siége d'un évêché. L'industrie de cette ville de 8,000 âmes consiste dans
ses toiles et son fil, dont elle fait un grand commerce.
A 8 lieues au nord de Milan, sur l'une des extrémités méridionales du
lac auquel elle donne son nom, Côme, la patrie de Pline le Jeune, est déco-
rée du titre de ville royale, que ne justifient point ses rues étroites et tor-
tueuses ; elle est le siège d'un évêché et compte 17,000 âmes. Sa cathédrale,
bâtie en marbre, est digne d'attention : c'est un vaste et beau monument
de la renaissance-, on y voit près des fonts baptismaux un reste d'inscrip-
tion relative à Pline. L'Ædes Joviœ, l'ancienne demeure de Jean-Baptiste
Giovio, offre sous le vestibule une riche collection d'inscriptions antiques;
le lycée, fondé en 1824, a de la magnificence; le casino est d'une tenue
remarquable ; le théâtre est construit avec élégance.
Le lac de Côme, dont les bords enchanteurs donnent tant d'agrément
au séjour de cette ville, offre un reflet de la Suisse et de l'Italie; la Grèce
même semble y apparaître dans quelques-uns des lieux environnants :
Lenno, Nesso, Lecco, Colonia, Corenno, y rappellent Lemnos, Naxos,
Leucade, Colonne et Corinthe. La Pliniana, le lieu le plus remarquable du
lac, ne fut point, comme on l'a dit, la demeure du naturaliste romain, mais
tire son nom de la célèbre fontaine intermittente dont Pline le Jeune a
donné la description. La pointe de Bellagio paraît être le lieu où Pline
l'Ancien possédait la villa qu'il appelait Comœdia ; celle qu'il nommait
Tragœdia a dû être à Lenno, sur la rive opposée. Les bords de ce lac et

528
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
les environs de Côme sont couverts de villas seigneuriales, dans lesquelles
la noblesse lombarde vient passer la belle saison ; un chemin de fer, qui
passe à Monza et à Camerlata, y conduit de Milan en quelques heures.
Il faut suivre les bords du lac ou le traverser dans sa longueur pour
arriver au bas des pentes des Alpes, dans la pittoresque vallée de l' Adda,
que l'on nomme aussi Valteline. Cette vallée, qui fit partie de la Suisse,
puis de la France avant d'être réunie sous la monarchie autrichienne au
royaume lombard-vénitien, a pour chef-lieu le superbe bourg de Sondrio,
dont la population active etindustrieuse est de 3,500 habitants. En redes-
cendant vers le sud, après avoir traversé la chaîne méridionale de cette
vallée, on voit, entre le Brembo et le Serio, petites rivières qui prennent
naissance dans ces montagnes, la ville royale de Bergame ou Bergamo.
Les Romains l'appelaient Bergammn. Elle fut dévastée par Attila, rétablie
par les Lombards, et ville libre sous les successeurs de Charlemagne. A
l'époque de la splendeur de Venise, elle dépendait de son territoire. On y
voit de belles églises, entre autres celle de Santa-Maria Maggiore, dont la
façade, ornée de colonnes, est soutenue par des lions en marbre rouge-, le
Dôme, où l'on remarque plusieurs beaux tableaux-, Saint-Alexandre in
colonna, église du quinzième siècle, avec une riche et nouvelle coupole.
Bergame possède aussi deux théâtres, des établissements d'instruction et
de bienfaisance, une bibliothèque de 45,000 volumes, dons volontaires
faits par des particuliers. Sa foire annuelle, l'une des plus importantes de
l'Europe entière, occupe 600 boutiques sur une vaste place; elle rappelle par
son importance les foires que les papes, au moyen âge, encourageaient
par des indulgences. Son commerce en soie et en fer est considérable, et
ses habitants jouissent d'une réputation d'activité, d'industrie et de gaieté
que ne leur contestent point les autres peuples de l'Italie.
Entourée de fossés, de murailles et de bastions, dominée par la citadelle
de Santa-Croce, arrosée par le Pô et par un canal qui communique de ce
fieuve à l'Oglio, la ville antique de Crémone est située dans une plaine
agréable. Fondée par les Cenomani, nation gauloise, elle doit à cette ori-
gine le nom gallique de Crémon. Fidèle au parti de Brutus, son territoire
fut distribué aux soldais d'Auguste ; Vespasien la fit saccager par les siens,
et l'an 630 elle fut pillée par les Goths. L'empereur Barberousse lui fit
éprouver un sort semblable; le maréchal de Villeroy y fut fait prisonnier
par les Autrichiens en 4702, et en 1799 ces derniers remportèrent sous
ses murs un avantage sur les Français. Cette ville jouit en Italie d'une
grande réputation pour ses instruments de musique et surtout ses violons.

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
529
Elle occupe une superficie considérable : sa population est de 28,000 habi-
tants. Ses rues sont larges, droites et bien bâties ; elle a de grands palais,
mais tous construits dans le style gothique, et 45 églises, dont la plus
importante, le Dôme ou la cathédrale, est surmontée d'une tour, l'une des
plus élevées de 1 Italie : elle a 120 mètres de hauteur. La forme allongée
de Crémone l'a fait comparer à un navire dont cette tour serait le grand
mât. La façade de cet édifice gothique offre des sculptures très-curieuses,
représentant les signes du zodiaque et les travaux des champs. Au-dessus
de la porte principale, les figures des prophètes, ouvrage de Jacques Por-
rata, portent la date de 1274. L'intérieur est décoré d'excellentes peintures
des maîtres crémonais. Le nouveau marché, les portes Saint-Luc et Sainte-
Marguerite sont d'une belle construction.
L'ancienne abbaye de Saint-Sigismond, à peu de distance de Crémone,
mérite d'être visitée. Pizzighettone, à 4 ou 5 lieues au nord-ouest, est
une vieille place forte peuplée de 4,000 âmes; ce fut la première prison
de François Ier après sa défaite à Pavie.
A. dix lieues au nord de Crémone, Brescia, station du chemin de fer de
Milan à Venise, également entourée de remparts et de fossés, a des rues
pour la plupart larges et belles, et 33,000 habitants. Son palais de justice
se distingue à l'extérieur par un mélange d'architecture gothique et
moderne, et à l'intérieur par des peintures à fresque et des tableaux pré-
cieux. Le palais municipal ou la Loggia est magnifique-, son grand théâtre
se fait remarquer par son beau péristyle, et sa cathédrale par la hardiesse
de sa voûte, ses tableaux, ses statues et ses riches autels. La bibliothèque
publique, fondée par le cardinal Quirini, renferme 28,000 volumes ; on y
montre un célèbre manuscrit des quatre évangélistes du sixième ou du
septième siècle et de la plus belle conservation; mais un des monuments
les plus précieux est une grande croix enrichie de camées antiques, qui fut
donnée par Didier, dernier roi des Lombards, à sa fille Ansberg. Cette
ville, dont le commerce est étendu, et qui vend à l'Angleterre la soie qu'elle
récolte dans ses environs, est célèbre par ses armes à feu.
L'aspect de Mantoue réveille des idées diverses ; l'imagination se rap-
pelle que ce lieu a vu naître Virgile : on aime à se souvenir de la gloire et
des libéralités des Gonzagues, et sa situation au milieu d'un vaste marais
formé par les débordements du Mincio, donne tout d'abord l'idée d'une
ville imprenable. Celle ville est la plus forte place de l'Italie : on prétend
qu'elle fut fondée par les Etrusques trois siècles avant Rome. Elle compte
27,000 habitants. Ses rues sont larges et presque toutes tirées au cordeau;
VII.
67

530
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
scs places sont grandes et régulières; ses fortifications sont bien entre-
tenues, et ont été depuis peu mises sur un pied formidable, qui fait do
Mantoue une des plus fortes places du monde. Elle s'enorgueillit avec rai-
son d'être la patrie de Virgile, et l'on aime à voir le soin qu'elle prend de
le rappeler : l'une de ses portes est surmontée de son buste, et l'une de ses
places fut ornée d'un monument à la gloire de ce poëte immortel, par le
général français Miollis, qui eut l'heureuse idée d'assainir un marécage pour
créer celte place. Sa cathédrale, refaite intérieurement, d'après les dessins
de Jules Romain, peut être mise au rang des plus beaux temples de l'Italie.
L'église de Saint-André est un des plus purs ouvrages de la renaissance:
les plus habiles peintres de Mantoue semblent avoir mis leur orgueil à la
décorer de leurs plus beaux ouvrages. C'est dans l'église de San Egidio
que reposent les cendres du Tas.se,' le Virgile de la moderne Italie. Celle
ville, qui possède des fabriques de soieries, de draps et des tanneries, ne
fait de commerce que par l'entremise des juifs. Elle est liée à la grande ligne
de chemin de fer de Milan à Venise par un embranchement qui s'y soude
à Vérone.
Hors de son enceinte, on voit le palais royal du Te, ancienne résidence
des ducs, et le plus mémorable ouvrage d'architecture de Jules Romain.
Toutes les villes que nous venons de décrire dépendent du gouverne-
ment de Milan. Avant d'entrer dans celui de Venise, examinons les cam-
pagnes de la Haute-Italie sous le point de vue sanitaire. Nous avons déjà
fait remarquer la misère qui règne dans quelques villages du Milanais; au
pied de ces montagnes qui forment ses limites septentrionales, le villageois
est souvent atteint d'une maladie de peau appelée la pellagre. Cette mala-
die, qui est quelquefois mortelle et qui porte au suicide ses malheureuses
victimes, paraît au printemps, augmente pendant les chaleurs de l'été, et
disparaît aux approches de l'hiver : on ignore encore à quelle cause elle est
due; mais il y a tout lieu de croire qu'une nourriture malsaine la fait naître;
elle est peu répandue dans le département de Venise, dont quelques parties
sont funestes à l'homme par l'insalubrité de l'air.
Lorsqu'on s'approche des bords de l'Adige, on commence à reconnaître
les effets de celte insalubrité; et s'il faut en croire des renseignements, peut-
être exagérés, les environs de Peschiera, près du lac de Garda, sont telle-
ment redoutables, surtout pour les étrangers, que les regiments français
tiraient au sort pour aller former la garnison de cette ville. On prétend que
le territoire de Vérone et celui de Rovigo participent de cette insalubrité.
A l'extrémité méridionale du lac de Garda, s'élève la forteresse de Pes-

EUROPE.—ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
531
chiera, la Pescaria des anciens, petite ville qui doit son nom aux impor-
tantes pêcheries du lac. Ses fortifications étaient presque tombées en ruines,
lorsqu'elles furent mises sur un pied respectable par le général français
Haxo ; les Autrichiens les ont considérablement augmentées depuis. Cette
citadelle est sur le chemin de fer de Milan-Vérone-Venise. On voit encore
sur les bords du lac les grottes de Catulle, et sur le roc de Sermione de
vastes ruines que Ton regarde à tort, peut-être, comme les débris de l'habi-
tation du poëte latin.
Les vieilles murailles flanquées do tours, qui forment l'enceinte de
Vérone, sont dominées au nord par des collines couvertes de vignes et de
maisons de campagne. L'Adige la divise en deux parties égales-, sa circon-
férence est d'environ 4 lieues, et sa population d'environ CO,000 âmes.
Les opinions sont divisées sur l'époque de son origine : on prétend qu'elle
remonte au quatrième ou au cinquième siècle avant notre ère; qu'elle
fut occupée par les Etrusques, ensuite par les Vénètes, jusqu'à la fin du
deuxième siècle avant Jésus-Christ ; ce qu'il y a de certain, c'est que du
temps de Strabon elle était importante. Les cinq portes qui la décorent,
ses longues et larges rues, dont quelques-unes sont garnies de trottoirs,
annoncent une grande ville. Ses fortifications, récemment augmentées ou
réparées, la rendent une des plus fortes places de l'Italie. Les principales
églises de Vérone sont celle de Saint-Zénon, bâtie au neuvième siècle,
remarquable par ses portes en bronze et par son portail ; et la cathédrale,
où l'on remarque le lombeau du pape Léon III, qui fut chassé de Rome; et
l'Assomption du Titien. Les églises de Sainte-Anastasie, de Sainte-Hélène,
de Sainte-Euphémie, de Saint Rernardin, de Saint-George, de Saint-
Etienne et de Saint-Sébastien, offrent aux amateurs des arts chacune son
genre de beauté ; mais la plus ancienne est celle de Saint-Nazaire et Saint-
Celse : on croit qu'elle remonte au sixième siècle. Les grottes qui l'avoi-
sinent servirent de retraite aux premiers chrétiens.
Vérone est remplie de palais, dont les plus remarquables sont ceux de
Canossa, de Gran-Guardia, de Guasta-Verza et de Pompei. La douane
est un édifice tout à fait monumental. La place aux Herbes est décorée
d'une statue représentant la ville de Vérone, et d'une colonne qu'il suffi-
sait autrefois de toucher pour être à l'abri des poursuites de ses créanciers.
Le théâtre mérite d'être visité : sous son péristyle, on voit la belle collec-
tion des inscriptions étrusques et des bas-reliefs grecs et romains, formés
par le marquis de Maffei. La bibliothèque de la ville ne renferme que
1 0,000 volumes, et n'a point de manuscrits; mais celle du Chapitre en

532
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME
possède plusieurs, entre autres les commentaires des Institutes de Gaïus.
Vérone est encore une ville industrieuse et commerçante-, principale sta-
tion de la grande ligne de Milan à Venise, c'est un des premiers centres
des chemins de fer de l'Italie septentrionale.
Nous ne citerons pas tous les établissements scientifiques de Vérone : on
conçoit qu'il est naturel que cette ville ne soit pas, sous le rapport des
institutions utiles, en arrière des autres cités italiennes. A. côté des richesses
modernes qu'elle possède, subsistent encore de vénérables témoins do son
antique splendeur, dont le plus remarquable est un amphithéâtre d'une
belle conservation. A la vue de ces monuments, on se rappelle que l'on est
dans la patrie de Catulle, de Pline l'Ancien et de Cornelius Nepos ; en
admirant les tableaux qui décorent la plupart de ses églises, on ne peut
oublier que la moderne Vérone a donné le jour à un peintre célèbre, à
Paul Véronèse, dont cependant elle possède très-peu d'ouvrages.
A environ 5 lieues à l'est de Vérone, on voit le village d'Arcole, qui est
célèbre par la victoire que remporta Bonaparte, en 4796, sur les Autri-
chiens.
Plus on est frappé de la fertilité du sol des environs do Padoue, de
Vicence, de Trévise et de Bellune, plus on est étonné de la misère de ses
habitants. La paresse et l'ignorance en sont les principales causes.
Padoue, station du chemin de fer de Milan à Venise, ville de forme trian-
gulaire, occupe une enceinte de plus de 3 lieues, et présente une popula-
tion de 53,000 âmes. L'antiquité de son origine n'est pas douteuse; ce
qu'en dit Tile-Live, qui naquit dans ses murs, et les beaux vers de Virgile,
qui attribue sa fondation à Antenor, prouvent qu'elle existait douze siècles
avant l'ère chrétienne; elle portait le nom de Palavium, dont les Italiens
modernes ont fait Padova, et, s'il faut en croire Slrabon, qui vante son
commerce et ses richesses, elle pouvait, longtemps avant lui, armer jus-
qu'à 120,00 ) hommes. On soupçonnera peut être le géographe grec de
quelque exagération, et son texte de quelque erreur; mais les témoignages
de plusieurs poëtes romains attestent du moins la prospérité de l'industrie
de cette ville : ses étoffes étaient recherchées. Elle a plusieurs grandes
places et de beaux édifices; mais ses rues sont étroites, sales, mal pavées,
et garnies d'arcades basses et sombres; cependant, depuis quelques
années, elle s'embellit de jour en jour. Ici, comme dans toutes les villes
de l'Italie, il y a profusion de tableaux dans les églises, et les tableaux,
comme les églises, sont toujours l'œuvre de quelque grand talent; on
compte un grand nombre de temples à Padoue ; celui de Saint-Antoine

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
533
surnommé il Sanio, prétend posséder le corps de son patron. C'est la plus
ancienne et la plus belle église de cette ville. La chapelle du saint est une
des plus riches du monde ; le chœur et le maître-autel réunissent les chefs-
d'œuvre des plus grands maîtres; la voûte de la sacristie est décorée d'une
admirable fresque de Liberi, qui représente l'apothéose de saint Antoine;
l'intérieur renferme de beaux mausolées; le trésor, immense amas de reli-
ques, a perdu une grande partie de ses richesses à l'époque de l'invasion
française, en 1797 : cependant on y montre encore la langue de saint
Antoine, et le recueil manuscrit de ses sermons corrigés par lui-même. Le
Dôme, ou la cathédrale, édifice achevé dans le siècle dernier, est d'une
architecture médiocre; mais le palais épiscopal, voisin de celte église, est
intéressant, sous le rapport de l'art. L'église de Sainte-Justine, avec ses
huit coupoles à jour, dont la plus élevée est surmontée de la statue de la
sainte, est, au rapport des connaisseurs, un superbe monument. Padoue
est une ville lettrée; son université jouit d'une réputation méritée : elle
remonte au commencement du treizième siècle; elle est fréquentée par un
millier d'étudiants. La bibliothèque renferme 70,000 volumes ; le jardin
botanique est le plus ancien de l'Europe : on y cultive 7 à 8,000 espèces
de plantes. Le séminaire, ou le collège, est célèbre par sa bibliothèque de
55,000 volumes et par son imprimerie. L'académie des sciences, lettres
et arts de Padoue, est une société savante qui jouit d'une grande estime.
Sur la place de l'église Saint-Antoine, on remarque la statue en bronze du
condottiere Guatamelata, par Donalello, la première qui ait été fondue
par les modernes. Padoue renferme plusieurs palais remarquables; l'an-
cien Palazzo della Ragione, autrefois salle d'audience du palais de justice,
aujourd'hui le temple de la loterie, sous plusieurs rapports ne le cède point
à la bourse de Paris ; le palais del Capitanio est d'une architecture majes-
tueuse. Le Prato della Valle, la plus vaste des places et des promenades de
la ville, est orné des statues de la plupart de ses grands hommes, depuis
Antenor jusqu'à Canova, qui cependant n'était pas Padouan.
Dans ses environs sont Abano et la Battaglia, petit domaine florissant,
avec des bains très-fréquentés. A quelques lieues au sud-ouest, le village
d'Arqua est célèbre par sa position pittoresque, par la maison de Pétrarque,
dont on conserve avec soin les meubles et la distribution, et par le tombeau
de cet illustre poëte.
Nous laissons, au sud-est de Padoue, Legnago, petite place forte qui
appartient à la province de Vérone; Montagnana, ville de 8,000 âmes, qui
dépend de celle de Padoue et qui possède des filatures de soie, des fabri-

534
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
ques de tissus de laine, et des tanneries ; enfin, Este, qui renferme la même
population, qui rivalise avec la précédente dans les mêmes objets d'indus-
trie, et qui a été le berceau de la célèbre maison d'Este.
L'ancienne Vicenlia aujourd'hui Vicence, peuplée de 30,000 âmes, est
entourée d'une double muraille. Ses rues sont irrégulières; mais sous le
rapport de la construction et de l'architecture de ses édifices, c'est une des
villes les plus remarquables de la Haute-Italie. Sa cathédrale est d'un très-
beau style gothique. Ses murs renferment peu d'antiquités: quelques
ruines d'un théâtre qu'on croit être du temps d'Auguste, les restes d'un
palais impérial, une statue d'Iphigenie conservée chez les Dominicains,
sont tout ce qui a échappe aux ravages du temps et aux dévastations des
barbares. Elle est la patrie du célèbre architecte Palladio qui s'est plu à
l'embellir. C'est à cet artiste que Vicence doit la restauration du palais
appelé la basilique, vieille construction gothique qui, par ses soins, est
devenue dons le même style un chef-d'œuvre de goût. Le théâtre olympique
du même architecte est un monument élégant et noble, construit sur le
modèle des théâtres antiques. La bibliothèque de Vicence, appelée la Ber-
toliana, du nom de son fondateur, le célèbre jurisconsulte Jean Bertolo,
renferme 36,000 volumes et 200 manuscrits.
Les environs de Vicence présentent plusieurs curiosités : hors de ses
murs le casino Capra est encore un chef-d'œuvre de Palladio : Cricoli est
une ville bâtie sur le plan du poëte de Vicence Trissino ; près du village
de Costozza, on voit une caverne, espèce de labyrinthe d'une demi-lieue
d'étendue.
Au nord de la province de Vicence, le bourg d'Asiago, bien bâti et orné
de nombreuses fontaines, est le chef-lieu du district des Sept-Communes
(Sette Communi), dont les habitants, véritables montagnards des Alpes,
sont célèbres par les dissertations dont ils ont été le sujet, et dans les-
quelles les uns ont voulu les faire descendre des Cimbres échappés au fer
de Marius, les autres des restes d'une colonie allemande amenée par les
Othons, et d'autres enfin comme des ouvriers en bois sortis du Tyrol. Quoi
qu'il en soit, les habitants des Sept-Communes se distinguent des Italiens
par un langage et des mœurs qui attestent qu'ils sont originaires du Nord.
Processifs comme les Normands, ils se rassemblent encore pour pleurer
sur la tombe d'un parent ou d'un ami, et élisent leurs prêtres comme aux
premiers temps du christianisme.
Entrons dans la province de Trévise, nous y verrons d'abord Possagno
ou Passagno, village qui a vu naître Canova et dont il s'est plu à assurer

EUROPE. —ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
535
la renommée future en y élevant un temple en marbre dans le goût antique,
dont le portique est celui du Parthénon, et qui, par ses dimensions colos-
sales et la richesse de ses ornements, peut être cité au nombre des plus
beaux édifices de l'Italie. C'est dans cette magnifique église que ses cendres
ont été déposées.
Non loin de ce village, Bassano, ville de 12,000, florissante par son
industrie et dans une situation délicieuse, au bnrd de la Brenta, a vu naître
le Bassan, l'émule du Titien et du Corrège, et l'ingénieur Ferracino qui a
orné sa ville d'un des plus beaux ponts de l'Italie.
Les rues de Trévise ne sont pas plus régulières que celles de Vicence ;
la plupart de ses places sont vastes et entourée d'arcades ; l'hôtel-de-ville
est un bel édifice; la cathédrale est richement ornée et remplie de bons
tableaux: le mont de-piété offre plusieurs peintures remarquables; enfin
l'hôpital civil mérite d'être visité pour deux excellents tableaux qui déco-
rent l'une de ses salles. Celte ville, de 19,000 âmes, s'est fait un nom
littéraire moins par sa bibliothèque que par son athénée qui publie de
savants mémoires. Trévise fait un commerce assez important ; elle possède
plusieurs fabriques et se trouve sur un tronçon de chemin de fer qui est
destiné à être continué jusqu'au chemin de fer de Triesec-Laybach et
Vienne.
Malgré son titre de ville royale, ou de chef-lieu, Bellune, qui ne renferme
que 8 000 habitants, mérite peu d'attention. Udine, autre ville royale et
chef-lieu du Frioul, est située le long du canal de la Roya ; des murailles
crénelées et des fortifications modernes forment son enceinte. Le plus beau
de ses édifices est un grand corps-dc-garde orné de sculptures et de sta-
tues. Près du château l'on entretient avec soin le Giardino, belle prome-
nade plantée d'arbreset établie par les Français. Udine, peuplée de 23,000
âmes, a une académie d'agriculture et plusieurs établissements littéraires.
Pordenone est une petite ville intéressante par son commerce et son indus-
trie; on y fabrique des toiles, des papiers et de la chaudronnerie. Çividale
mérite d'être citée depuis qu'elle a attiré l'attention des antiquaires par les
nombreuses inscriptions, les médailles, les armes que l'on y trouve, et par
les importantes constructions qu'elle possède et qui attestent le rang qu'oc-
• cupait l'antique Forum Julii qu'elle remplace.
En approchant des côtes du golfe Adriatique, les lagunes s'étendent, et
leurs eaux verdàtres et stagnantes répandent leur malfaisante influence
sur les habitations dispersées qui les entourent. Bientôt les lagunes et
l'Adriatique paraissent se confondre, et l'on aperçoit Venise sortant du

536
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME,
sein de la mer, principal élément de sa richesse et de son antique puis-
sance. Au milieu d'un vaste marais, plus de 80 îles qui, réunies par 270
ponts en pierre et 36 en bois, semblent n'en faire qu'une, forment le sol
de Venise, de cette ville, l'une des plus anciennes et l'une des plus sin-
gulières de l'Europe. Sa circonférence est de près de trois lieues ; un grand
canal la divise en deux parties égales, et 146 autres canaux bordés de
maisons forment ses rues, dans lesquelles le bruit monotone des rames
remplace le fracas des voitures. Entre ces canaux les groupes des maisons
qui s'élèvent sont divisés aussi par des rues, mais tellement étroites que
ce ne sont que des ruelles ou plutôt des passages découverts à l'usage des
piétons. On porte le nombre des rues à plus de 2,108. Malgré sa position
Venise ne se ressent point de la maligne influence des lagunes ; ici le mou-
vement continuel des flots divise l'air et l'assainit. Le sol sablonneux de
cette cité ne renferme point de sources ; quelques citernes particulières et
160 citernes publiques fournissent de l'eau à 126,000 habitants. Les
lagunes et les canaux de Venise font sa principale sûreté ; les vaisseaux
de guerre ne peuvent l'attaquer: aussi, avant l'expédition française qui
eut lieu en 1797, nulle armée ennemie n'y était entrée.
L'église de Saint-Marc, l'un de ses principaux édifices, n'est cependant
ni la plus belle, ni la plus grande de Venise ; mais elle est la plus riche en
ornements, et l'on dit avec raison qu'elle ne ressemble à aucune autre
construction. Sa façade longue et écrasée présenle cinq grandes arcades
fermées par des portes de bronze; au-dessus et tout autour règne une
tribune qui, sur la face principale, supporte les quatre fameux chevaux
d'airain qu'on prétend avoir été fondus à Corinthe , d'où ils furent trans-
portés à Athènes ; qui servirent d'ornements aux arcs de triomphe élevés
à Néron et à Trajan à Rome; qui accompagnèrent Constantin à Byzance ;
qui furent transportés de Constantinople à Venise au treizième siècle, et
qui, sous le règne impérial, ornèrent la place du Carrousel à Paris, d'où,
en 1815, ils retournèrent à celle qu'ils occupent. Leur enlèvement fut un
jour de deuil pour le peuple parisien, qui sentait l'humiliation de la con-
quête; leur réinstallation fut une fête pour le peuple de Venise : on aurait
dit qu'il recouvrait, avec ces monuments de son ancienne gloire , sa pri
mitive indépendance.
L'église de Saint-Marc, monument où brillent l'èlégance grecque et le
luxe byzantin, remonte au commencement du dixième siècle. Un portique
soutenu par 2S8 colonnes l'environne. Le faîte de l'édifice est hérissé de
pyramides et de statues dont l'ensemble est bizarre et de mauvais goût;

EUROPE.-ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
537
l'intérieur est sombre et surchargé de colonnes, de statues et de dorures;
le grand-autel est, dit-on, celui de Sainte-Sophie, rapporté de Constanti-
nople avec les chevaux de Corinthe.
La place de Saint-Marc, la plus belle de Venise, peut être mise en paral-
lèle avec les principales places publiques des capitales de l'Europe; sa lon-
gueur est de 65 mètres, et sa largeur de 35 ; mais ce n'est point par ses
dimensions qu'il faut la juger : vue de la mer, elle offre un coup d'œil
magnifique. Près du quai, deux colonnes de granit, provenant, dit-on, du
temple de Saint-Saba à Saint-Jean-d'Acre, mais qui sont égyptiennes, et
dont l'une supporte la statue de saint Théodore, et l'autre le lion ailé de
saint Mare, qui pendant plusieurs années fut à Paris l'ornement de l'espla-
nade des Invalides; à droite, le palais ducal, dont la lourde architecture a
quelque chose du style mauresque; à gauche, le palais royal, édifice
moderne orné d'arcades et de colonnes; l'église de Saint-Marc, la mon-
naie, la bibliothèque et plusieurs beaux bâtiments, ouvrages de l'archi-
tecte Lansorino, forment l'enceinte de cette belle place , qui est à la fois
le point de réunion des oisifs et des étrangers et le théâtre des fêles publi-
ques de Venise. Sous quelques-unes de ces arcades se succèdent les bou-
tiques les plus brillantes et les cafés les plus fréquentés de la ville. La partie
la plus rapprochée du quai porte le nom de Piazella, ou petite place.
L'ancienne résidence du doge, le palais ducal ou de Saint-Marc, où
siégeaient jadis les redoutables inquisiteurs d'État, édifice qui fut plus
d'une fois, comme le sérail de Constantinople, ensanglanté par lès têtes
que l'on y exposait à la balustrade extérieure, atteste que l'aristocratie,
armée des lois républicaines, peut être aussi sanguinaire que la monarchie
la plus tyrannique et la plus absolue. Il faut plus d'un jour pour voir cet
édifice : nous n'essaierons pas d'en décrire l'intérieur; les statues colos-
sales qui ornent l'escalier; les galeries que décorent les chefs-d œuvre du
Tintoret, du Titien, de Paul Véronèse, du Corrège et d'Alberti ; la biblio-
thèque , composée de plus de 650,000 volumes et de 5,000 manuscrits.
C'est dans la bibliothèque placée dans l'immense salle du palais de Saint-
Marc, où s'assemblait le grand conseil, que l'on conserve la célèbre map-
pemonde de Fra Mauro, dessinée en 1460,et le précieux manuscrit des lois
lombardes dit de Trévise. Dans une autre salle de ce palais, on voit les
grandes cartes de Marco Polo. On admire le beau portail de Sainte-Marie
de Nazareth; la façade de l'église de Saint Jérémie, qui ressemble plutôt
à un palais qu'à un temple; le péristyle de celle de Saint-Simon, et lu
noble architecture de l'église de la confrérie de Saint-Roch. L'église de
VII.
68

538
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
Saint-George majeur est une des merveilles de Palladio, et celle du Ré-
dempteur en est le chef-d'œuvre. Dans celle de Frari, reposent, dit-on.
les restes du Titien, et sous une belle pyramide le cœur de Canova.
Les archives générales de Venise (archivio générale), établies dans
l'ancien couvent des Frari, forment l'une des curiosités les plus remar-
quables de cette ville, et certainement l'une des plus énormes masses de
papier écrit qui aient été jusqu'ici rassemblées. Cette collection, distribuée
dans un ordre parfait, se compose de 298 salles, salons et corridors, dont,
les murs sont couverts de haut en bas de rayons, et contiennent 8,664,709
volumes ou cahiers. Le plus ancien des documents qu'ils renferment
remonte à l'année 887.
Les théâtres portent presque tous ici le nom de quelque saint : l'un des
plus grands est celui de Saint-Luc; celui de Saint-Benoît est consacré aux
opéras; celui de Saint-Ange, à divers genres de productions dramatiques;
celui de Fenice, terminé en 1793, est le plus beau; il a coûté des sommes
considérables ; il peut contenir environ 3,000 personnes. Parmi les nom-
breux palais dont Venise s'enorgueillit, il en est peu qui ne puissent pas-
ser ailleurs pour de belles maisons de particuliers. Les principaux sont le
palais Trévisan, d'une élégante architecture, qui indique l'époque de la
renaissance; les palais Pisani et Gustiniani-Lolin,, qui renferment tous
deux de bons tableaux et le premier une bibliothèque choisie; le palais
Grimani, un des plus élégants de Venise; le palais Manfrini, célèbre par
sa riche galerie de tableaux des diverses écoles et ses curiosités; enfin le
palais Vendramini-Calergi, qui ne le cède à aucun des précédents pour
le goût, la richesse et la magnificence.
Nous avons décrit la place Saint-Marc, mais Venise en renferme encore
d'autres : ce sont celles de San Giovanni-Paolo, Santa Margarita, Santa
Maria-Forrnosa, San Paolo et San Stefano. Le pont du Rialto, qui
traverse le canale Grande et réunit les deux parties de la ville, est le plus
commerçant, le plus solidement construit, en un mot l'un des principaux
ponts de l'Europe.
L'arsenal de la marine, avec ses chantiers, occupe une enceinte de plus
d'une lieue de tour; mais ce n'est plus cet établissement qui, à l'époque
du Dante, occupait 16,000 ouvriers, et dans lequel, au dix-septième siècle,
3,000 personnes étaient constamment employées : le silence et le repos
ont remplacé son ancienne activité. Les deux grands lions de marbre blanc
placés à son entrée, du côté de la ville, sont encore une conquête de
Venise : ils ont été apportés d'Athènes. L'intérieur de cet édifice renferme

EUROPE. — ITALIE, ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
539
plusieurs curiosités; c'est là que se trouvent un casque en cuir que l'on
prétend être celui d'Attila et le massif harnais de son cheval ; des étendards
turcs, trophées de la bataille de Lépante, et l'armure donnée par Henri IV
à la république, mais dont l'épée a disparu en 1797, au moment de la
chute de la république. Le port de Venise est aujourd'hui l'un des trois
ports militaires de l'empire d'Autriche ; mais dans quelques siècles ses
arrivages seront sans doute encombrés par les sables qui s'y amoncellent.
Son importance commerciale lui a été enlevée par Trieste; cependant il a
repris un peu d'activité depuis 1828, époque à laquelle le gouvernement
l'a déclaré port franc.
Les artisans forment à Venise plusieurs corporations, et chacune d'elles
entretient une école; elles sont au nombre de 16 à 18, la plupart réunies
dans des bâtiments somptueux ornés de tableaux et de statues. Ces insti-
tutions pourraient faire croire que le peuple vénitien est plus instruit et plus
éclairé qu'un autre : il n'en est rien; il aurait tout au plus l'honneur de
n'être point aussi ignorant que d'autres peuples de l'Italie. On ne peut refu-
ser aux gondoliers de Venise cet esprit naturel et cet esprit de corps qui en
ont fait longtemps une population distincte et compacte au sein de la cité;
mais ce ne sont plus ces agiles bateliers toujours gais et chantant, enton-
nant en chœur les versets du Tasse; dans leur grossière simplicité ils ont
senti qu'il n'y avait plus de patrie, et leurs chants ont cessé! Ces hommes
savent tous lire et écrire, on peut en dire autant de presque tous les
ouvriers de la ville; il est vrai que c'est à peu près à ces seules connais-
sances que se borne aussi l'instruction des classes plus élevées.
Les bibliothèques publiques sont peu fréquentées, les cabinets de lec-
ture ne se composent que de mauvais romans. A l'exception de quelques
esprits favorisés des dons de la nature, on ne voit plus que des hommes
ordinaires dans cette ville qui donna naissance aux Algarotti, aux Gaspar
Gazzi, aux Goldoni, aux Paoli, aux Bembo, et à tant d'autres hommes
célèbres. Si les Vénitiens ont peu de littérature, la musique est, en revanche,
leur délassement favori.
Malgré la décadence dans laquelle le commerce de Venise est tombé,
elle est encore l'un des plus importants entrepôts de l'Italie. Elle a des
fabriques et des manufactures, une chambre et un tribunal de commerce,
une bourse et une société d'assurances. Ses derniers doges célébraient
»
encore dans l'île de Malamocco leur mariage avec la mer, qu'elle n'était
déjà plus qu'une puissance maritime du dernier ordre.
Réduite à l'état de chef-lieu de province autrichienne, quelle main sera

540
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
assez puissante pour arrêter la ruine de Venise? Ceux qui l'ont vue il y a
quarante ans ne la reconnaissent plus, tant est différent le spectacle que
présente cette capitale, qui, dès le sixième siècle, avait une marine-, qui,
lorsque l'Europe était plongée dans la barbarie, fêtait Pétrarque et encou-
rageait les arts; qui, enfin, pendant 900 ans, fut la métropole du com-
merce, et traita d'égale à égale avec les plus grandes puissances.
Très de cette ancienne reine de l'Adriatique, l'île de Torcello renferme
une ville épiscopale qui fut jadis opulente. Sa cathédrale, monument du
onzième siècle, est enrichie de mosaïques et de peintures. Les restes d'un
palais qui fut la résidence d'un terrible conquérant, une place publique où
l'on voit encore le trône en pierre sur lequel Attila, roi des Huns, rendait
la justice, attirent les pas de l'étranger. Cette ville, qui pendant l'hiver a
environ 9,000 habitants, est presque déserte en été : c'est l'époque où l'air
y devient très-malsain.
Les îles Lidi, au nombre de sept, ne sont que des bancs de sable formés
par les alluvions des cours d'eau et de la mer; elles produisent de belles
fleurs et des fruits savoureux. L'une d'elles, appelée Lido, est remarquable
par le château de Saint-André, chef-d'œuvre d'architecture militaire de
San Micheli, qui sur un sol marécageux est parvenu à construire un solide
édifice que l'on pourrait prendre de loin pour un rocher taillé.
La petite île de Saint-Lazare est habitée, depuis 1717, par les moines
méchitaristes (ils suivent la règle des Bénédictins) arméniens, religieux
affables, laborieux, qui publient dans leur langue do bonnes éditions des
livres les plus utiles et les plus estimés, et se livrent à l'éducation de leurs
jeunes compatriotes. Couvent, lycée, imprimerie, cette maison ramènerait
l'ennemi le plus emporté des institutions monastiques. L'abbé est un prélat
poli, dont les manières ont une sorte de dignité orientale qui n'est ni sans
grâce ni sans douceur. La bibliothèque du couvent, d'environ 15,000
volumes et de 400 manuscrits orientaux, principalement arméniens, est,
comme tout le reste, dans un ordre parfait.
Murano, ville de 4,000 âmes, dans l'île du même nom, renferme plu*
sieurs belles églises, dont l'une des plus remarquables est celle de Saint-
Donat ou le Dôme, monument d'architecture grecque-arabe du douzième
siècle, orné d'élégantes mosaïques de la même époque et de plusieurs
beaux tableaux. Dans celle de Saint-Michel, on voit le tombeau de Pierre
Sarpi, célèbre sous le nom de Fra Paolo. L'île de Murano a conserve les
manufactures de glaces qui firent jadis la réputation de l'industrie véni-
tienne, mais qui ont été bien surpassées en France et en Angleterre;

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME LOMBARD-VÉNITIEN.
541
cependant elle a toujours la même supériorité dans la fabrication des perles
fausses que l'on vend sous le nom de perles de Venise. '
L'île Saint-Clément renferme encore les restes d'un couvent de Camal-
dules ; celle de Pelestrina, peuplée de 8,000 âmes, possède une petite
ville-, c'est là qu'il faut admirer ces marazzi, magnifique digue formée
d'énormes blocs de marbre, et qui, destinée à protéger Venise contre la
fureur des flots, s'élève à 3 mètres au-dessus de la mer sur une longueur
de 215 mètres.
Au sud de Venise, Chioggia, près de l'embouchure de la Brenta, est
une ville de 24,000 âmes, qui est bien bâtie, et qui possède une belle
cathédrale et un bon port que défendent des batteries.
En terminant la description du royaume Lombard-Vénitien, nous
croyons utile de faire remarquer que cette partie de l'Italie, malgré le joug
étranger qui pèse depuis si longtemps sur elle, n'a pas perdu cette dispo-
sition qui porte en général la nation italienne à profiler des progrès de la
civilisation. Nous n'examinerons pas jusqu'à quel point le gouvernement
autrichien, dans le but de conserver son autorité en Italie, a dû étendre
sur ses possessions les rigueurs d'une politique ombrageuse ; mais on doit
lui rendre la justice de reconnaître qu'il a mis peu d'entraves à la tendance
générale au bien être matériel, et que même il a favorisé d'une manière
remarquable l'extension de l'instruction primaire. L'industrie et le com-
merce de ce pays connaissent les avantages qu'ils peuvent tirer de l'emploi
de la vapeur : sur le lac Majeur, et sur ceux de Côme et de Guarda, on
navigue rapidement aujourd'hui au moyen de bateaux à vapeur-, de nou-
veaux canaux, de nouvelles routes et un réseau complet de chemins de
fer, dont une partie seulement est aujourd'hui (1854) livrée à la circula-
tion, ont encore facilité les moyens de communication. Il ne manque à ce
beau pays qu'un régime d'administration politique moins oppressif; espé-
rons que la sagesse et que la libéralité du gouvernement autrichien, et
surtout qu'une meilleure entente du peuple Lombard-Vénitien pour ses
véritables intérêts, permettront à l'Autriche, dans un avenir prochain,
de faire à l'opinion publique toutes les concessions compatibles avec sa
domination en Italie.

542
LIVRE CENT SOIXANTE-DIXIÈME.
TABLEAUX statistiques du royaume Lombard-Vénitien en 1851
STATISTIQUE GÉNÉRALE.
POPULAT.
SUPERFICIE.
POPULATION.
DIVISION POLITIQUE.
par lieue carr.
En milles carr. géog allem.
En 1851,
2 gouvernements
Milan, 9 délégations.
826,02.
5, 07,172.
2,181
2 gouvernements
Venise, 8 délégations,
En lieues géogr. carrées,
En 1833,
Comprenant 41 villes. 176bourgs,
2294,46.
4,457,7001
5,481 villages ou hameaux.
1 Cette population se compose de e 4,378,000 Italien , 71,500 Allcm nds, 6,200 Juifs, S00 Grecs et 1,200 Arméniens.
STATISTIQUE DU GOUVERNEMENT DE MILAN.
Superficie : 1,089 lieues géogr. carr. — Population : 2,725,740. Population par lieue carr. : 2,503.
SUPERFIC.
POPULAT.
DELEGATIONS.
VILLES ET LEUR POPULATION.
en lieue c.
MILAN. . .
97,89
604.512
MILAN, 200.000.— Monza. 17,000.— Gallarate, 10.000.
SONDRIO. .
164, 47
98,550
Sondrio, 4.20.). — Chiavenna, 3,400. — Bormio, 1,700.
COME.
. .
143,11
423,206
Corne, 17.000. — Lecco, 3,000. — Varese, 4 000.
Pavie, 24.000. — Abbiategrasso, 7,000. — San-Colombano,
PAVIE. . .
52 68
171,622
6.000.
LODI-CREMA
60,30
218,844
Lodi 17,000. — Crpma. 9 000. — Codogno. 8 500.
Bertgame, 32,000. — Clusone, 4,200. — Treviglio, 7,200.
BERGAME.
212,17
378,123
-' Pisagne, 3,200.
Brescia. 34 .000. — Chiari, 9,000. — Lonato, 6,400. — Gar-
BRESCIA. .
171,47
356.225
done, 1,800. — Desenzano, 4.200. — Salo, 4,400.
CREMONE..
68,66
204,558
Cremone, 28 0 0.— Pizzighettone, 5,000.
Mantoue, 27 000 — Reveze, 8,500. — Sabbionetta, 7,000
MANTOUE.
118,55
270,100
— Rozzolo, 5,200. — Pescbiera, 1,800· — Viadana,6,500.
STATISTIQUE DU GOUVERNEMENT DE VENISE.
Superficie : 1,205 lieues géogr. carr. — Population : 2,281,732. Population par lieue carr. : 1,893.
SUPEUFIC.
POPULAT.
DÉLÉGATIONS.
VILLES ET LEUR POPULATION.
en lieue c.
VENISE , 126.000. — Burano, 9,000. — Chioggia. 27.000. —
VENISE.
139,17
208,425
Mestre, 7,' 00. — Murano, 4,500. — Palestrina, 8,000. —
Portogruaro, 4,500.
VERONE.
142,50
302,902
Vérone, 52 000. — Villa-Franca, 6,000. — Legnano. 2,200
ROVIGO.
57,50
153,783
Rovigo, 8 000. — Adria, 12.000 — Lendinara. 6,000.
Pavoue. 53,000. — Abano, 4.000. — Este, 8.000. — Monfa-
l'ADOUE.
109,08
312,765
lice, 6.000 — Montagnana, 9.000.— Pieve di Sacco, 3.200.
Vicente, 32.000. — Bassano, 11,700. — Cittadella, 7,500.—
VICENCE.
141,25
340,694
Lonigo. 6,200. — Schio. 6,200.
BELLUNE.
163,«
157,120
Bellune 8.400. — Feltre, 5,200.
Trévise, 19,000. — Castel-Franco, 4,200. — Conegliano.
TREVISE.
121,75
286,199
4,700 — Serravalle. 6,000
Udine. 23,000.—Cividale, 5,000 — Gemona. 6,ooo.— Palma
UDINE. .
331,15
429,844
Nova, 2,400. — Ρordenone, 6,000. — Tolmezzo, 2.400.

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
543
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME
Suite de la Description de l'Europe. — Description de l'Italie. — Royaume de
Sardaigne. — Principauté de Monaco.
Longtemps avant notre ère, les bords méridionaux du lac Léman étaient
habités par les Nantuates ; ceux de la Dora étaient habités par les Salassi,
peuple celte sur lequel Stabon donne quelques renseignements : il dit quo
la plus grande partie de leur territoire est dans une profonde vallée : c'est
celle d'Aoste. Il ajoute qu'ils possèdent des mines d'or ; mais nous sommes
porté à croire qu'ils exploitaient ce métal par le lavage dans des terrains
d'alluvions; car, selon lui, la Duria, aujourd'hui la Dora, leur fournissait
l'eau nécessaire pour cette opération ; souvent ils la tarissaient, ce qui
faisait naître des querelles sanglantes entre eux et leurs voisins, qu'ils
privaient de celte rivière utile à leurs travaux agricoles. Ils eurent fré-
quemment avec les Romains des combats et des trêves : leurs défilés et
leurs montagnes doublaient leurs forces. Ils eurent aussi la hardiesse de
taxer à une drachme par tête les soldats de l'armée de Decius Brutus, qui
fuyaient de Modène, et de faire payer à Messala le bois de chauffage et les
arbres nécessaires à ses soldats campés dans leur voisinage. Ils pillèrent
même une fois le trésor impérial, et sous prétexte de travailler aux ponts
et chaussées, ils firent rouler sur des légions d'énormes masses de pierres.
La conduite de ce peuple irrita les Romains, Auguste le détruisit ; 40,000
prisonniers furent vendus comme esclaves, 4,000 furent incorporés dans
la garde prétorienne, et 3,000 Romains envoyés par Auguste fondèrent la
ville d''Augusta dans le lieu même où Varron, leur vainqueur, avait fait
camper son armée. C'est celte ville qui a donné son nom à la vallée
d'Aouste ou d'Aoste.
Les Taurini habitaient entre les Alpes, le Pô et la Dora. Ils étaient d'ori-
gine celtique, comme les précédents. Les Statielli, sur lesquels on a très -
peu de détails, occupaient la rive droite du Tanaro; mais à l'ouest de ces
peuples, et au pied des Alpes, était placé celui auquel les anciens donnent
indistinctement les noms de Vagienni, de Vageni ou de Bageni. Au sud
de ceux-ci, sur le versant méridional des Alpes, la petite nation des Inte-
melii s'étendait jusqu'à la mer. Enfin sur le versant méridional des Apen-
nins, dans l'espace compris entre Gênes et la Spezzia, le petit peuple des

544
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
Apuani portait le nom de la ville d'Apua, aujourd'hui Pontremoli. Le ter-
ritoire de ces quatre derniers peuples constituait la province romaine de
Ligurie. Les autres étaient compris dans la Gaule viennoise et dans la
Gaule cisalpine.
C'est vers la-fin du quatrième siècle que lo pays voisin du lac Léman
prit le nom de Savoie (Sabaudia). Ce pays, beaucoup plus considérable
alors qu'aujourd'hui, comprenait celui de Vaud, dont une partie apparte-
nait à la contrée appelée Maxima Sequanorum dans la Gaule belgique. Il
fut successivement envahi par les Ostrogoths et les Bourguignons; ceux-
ci l'incorporèrent au royaume qu'ils fondèrent vers l'an 408 ; mais en 532,
ce royaume ayant été conquis par Childebert, roi des Francs, la Savoie
appartint à la France jusqu'à l'époque du partage des États de Charle-
magne, qu'elle échut à Lothaire et fit partie du corps germanique. Un
nouveau royaume de Bourgogne s'éiant constitué vers 888, la Savoie y
fut incorporée vers l'an 930. Rodolphe III, dit le Fainéant, qui mourut
vers l'an 1031, donna son royaume à l'empereur Conrad le Salique, après
avoir toutefois érigé la Savoie et la Maurienne en comté, en faveur d'un
seigneur Berthold ou Berold, qui avait rendu de grands services à l'État.
Conrad confirma Humbert aux blanches mains, fils de Berthold, dans la
possession de ce comté qui, en 1416, fut élevé au rang de duché, par
l'empereur Sigismond, en faveur d'un Victor-Amédée qui en était sou-
verain.
La maison de Savoie est considérée à juste titre comme l'une des plus
anciennes de l'Europe ; mais plus son origine est obscure, moins on doit
être étonné de voir le soin que les généalogistes ont pris de la faire descendre
de Wittikind. Ce chef saxon est en quelque sorte le Japhel des princes de
l'Europe moderne : tous prétendent l'avoir pour aïeul. La maison de
Savoie descendant seulement de Berlhold, peut prouver une antiquité de
plus de 800 ans : c'est une durée assez respectable. Le fondateur de la
monarchie sarde est Victor Amédée II. Dégoûté des affaires, il abdiqua eu
1730 en faveur de Charles-Emmanuel son tils, qui, par son ingratitude, le
conduisit au tombeau. Le règne de Charles-Emmanuel fut glorieux, mais ses
successeurs perdirent, par suite de l'influence qu'eurent sur la politique
européenne les conquêtes de la république française, toutes leurs pro-
vinces continentales, et le royaume de Sardaigne, réduit au territoire de
cette île, ne reprit son ancien rang que par les traités de 1815, qui le
remirent en possession de ses États.
Ce royaume comprend l'ancien duché de Savoie, moins une petite por-

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
545
tion cédée au canton de Genève-, la principauté du Piémont, les duchés
d'Aoste et de Mon ferrat, la seigneurie de Verceil, les marquisats de Saluces
et d'Yvrée, les comtés de Nice et d'Asti, et l'île de Sardaigne. A ces
anciennes possessions le congrès de Vienne a ajouté une petite partie
du Milanais, le territoire de l'ancienne république de Gênes et l'île de
Capraja.
Sa superficie totale est de 3,856 lieues géographiques carrées, dont
2,597,18 pour le continent et 1,258,85 pour l'île de Sardaigne. La popu-
lation du royaume, qui était en 1826, d'après les recensements officiels,
d'environ 3,800,000 individus, était, au commencement de l'année 1852,
de 4,990,249 habitants, dont 4,437,584 pour les États de terre ferme,
et 552,665 pour l'île de Sardaigne.
Une partie des Alpes qui appartiennent au groupe du mont Blanc, se
trouve, ainsi que cette célèbre montagne, sur le territoire sarde. Les prin-
cipales rivières qui arrosent les provinces continentales sont le Phone qui
borde à l'ouest la Savoie, l'Isère qui en traverse une partie, le Var qui
arrose l'intendance de Nice, la Magra celle de Gênes ; enfin le Pô, qui avec
le Tanaro, la S titra, la Dora et quelques autres de ses affluents, arrosent
les intendances de Turin, d'Alexandrie, de Novare, etc.
Nous avons eu, dans le livre précédent, l'occasion de parler de l'état
physique et des productions naturelles du pays ; nous ne reviendrons pas
sur ce sujet.
Les diverses parties des États sardes diffèrent par leurs idiomes. Le
savoisien et le vaudois sont des dialectes de la langue romane, qui est une
des branches de la langue italique. Dans le comté de Nice on parle le pro-
vençal, qui est un autre dialecte de la même langue. L'italien en usage
dans les autres provinces du continent est loin d'être pur : le piémontais
et le génois sont des dialectes remplis de mots français. Dans la Sardaigne
on parle un italien mêlé de mots latins, castillans, grecs, français et même
allemands. Ce sont autant de traces qui restent des différents peuples
qui se sont établis dans l'île.
Depuis l'année 1847 les États de terre ferme sont partagés en 11 divi-
sions administratives subdivisées en 39 provinces comprenant 2,710 com-
munes, et l'ile de Sardaigne en 3 divisions administratives subdivisées
en 11 provinces.
Nous commencerons notre excursion chorographique par le nord de la
Savoie. La première ville que l'on traverse en venant de Genève est Bon-
neville, où l'on remarque, à l'extrémité du pont qui traverse l'Arve, une
VII.
69

546
LIVRE CENT SOIXANTE- ONZIÈME.
statue érigée, en 1824, au roi Charles Félix, en mémoire des digues qu'il
fit élever pour arrêter les ravages de celle petite rivière torrentueuse. A
une lieue au delà du village de Cluse, on fait voir aux étrangers la caverne
de Balme qui a 500 à 600 mètres de longueur, et dont rentrée est à
225 mètres au-dessus des eaux de l'Arve. Plus loin on remarque le Nant-
d'Apcnas, cascade qui, tombant de la hauteur d'environ 250 mètres, se
détache comme une longue écharpe blanche sur un fond de roches noires
dont les couches sont d'un côté disposées en zigzag, et de l'autre en un
grand nombre de bandes arrondies et parallèles. De la petite ville de Sal-
lenches, que traverse un torrent fougueux, et qui a clé détruite par un
incendie au mois de mars 1840, on ne peut se lasser d'admirer la vue
majestueuse du mont Blanc. Sallenches s'élève aujourd'hui à quelque dis-
tance de l'emplacement qu'elle occupait. De l'autre côté de l'Arve, le vil-
lage de Saint-Martin est situé au pied de l'aiguille calcaire de Warens,
qui s'élève à 2,338 mètres. Sur la rive gauche de l'Arve, les bains de
Saint-Gervais, au pied du mont Blanc, attirent chaque année une foule
d'étrangers par l'efficacité de leurs eaux thermales, par la magnifique cas-
cade qu'on y remarque et par les sites pittoresques qui les environnent.
Sur le chemin qui, par la rive gauche de l'Arve, conduit à la vallée de
Chamouni, où cette rivière prend sa source, on passe près du lieu qu'oc-
cupait le petit lac de Chède, qui fut détruit par un éboulement en 1839,
Entouré de vertes pelouses, ce lac présentait une singulière particu-
larité : c'est qu'au fond de ses eaux limpides et tranquilles on apercevait
ça et là des places du plus beau bleu, que les montagnards attribuaient,
les uns à des sources qui ne gèlent jamais, les autres à ses cavités pro-
fondes.
Le village de Servoz, qui, sous l'administration française, s'enrichissait
par l'exploitation des mines de plomb argentifère, offre aujourd'hui le
tableau de la misère ; les travaux y sont depuis longtemps abandonnés ; les
usines n'offrent plus que de tristes ruines. C'est un peu au delà de ce vil-
lage que commence la vallée de Chamounix, devenue le rendez-vous des
touristes de toutes les nations, depuis qu'en 1741 deux Anglais, dont l'un
était le célèbre voyageur Pococke, la signalèrent à la curiosité de leurs
compatriotes. Mais on sait que plus d'un siècle avant cette époque le ver-
tueux François de Sales y avait porté à de malheureux habitants que les
éboulements de deux montagnes avaient réduits à la plus affreuse misère»
les consolations de la religion et les secours que réclamait leur indigence.
Celui qui n'a point encore parcouru les Alpes ne peut voir sans une

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
547
sorte d'admiration cette longue vallée profondément encaissée entre deux
rangées de hautes montagnes : à gaucho le mont Brevent, à droite les
rameaux du mont Blanc, qui forment une suite d'obélisques élancés dans
les airs comme les flèches d'un gigantesque édifice gothique ·, ici l'Arve qui
serpente en roulant avec fracas ses eaux écumeuses sur son lit rempli des
débris des montagnes ; là ces trois amas énormes de glaces, appelés le
glacier des Buissons ou des Bossons, le glacier des Bois et le glacier de
l'Argentière, qui, commençant dans la région des neiges perpétuelles, des-
cendent jusqu'au fond de la vallée, au milieu des prairies ou des champs
en culture. C'est le glacier des Bois qui forme près du sommet du Montan-
vert, à 800 mètres au-dessus de la vallée, ce que l'on nomme la nier de
glace, longue de 2 lieues sur une largeur d'environ une demi-lieue. Mais
ce que ce glacier offre de plus remarquable, c'est vers son extrémité, au
mi'ieu de la vallée, une caverne de 32 mètres de diamètre et de 20 mètres
de hauteur, creusée naturellement dans la glace et du fond de laquelle se
précipite l'Aveyron. On croit voir le palais de cristal qui sert d'asile à la
nymphe des torrents.
A 14 lieues à l'ouest du village de Chamouni ou Chamonix, la petite ville
d' Annecy, agréablement située au bord d'un lac, est le siége d'un évêché. Le
vieux château qui appartenait aux anciens comtes de Genève, le palais où
réside l'évoque, la cathédrale où l'on conserve les reliques de saint Fran-
çois de Sales, l'église du couvent de la Visitation, bâtie par lé roi Charles-
Félix, et la salle de spectacle, sont ses principaux édifices. Cette ville de
8,300 âmes possède des filatures de coton, une importante verrerie et des
usines. Le lac qui la baigne a trois lieues de longueur sur une de largeur,
à quelque distance de sa rive orientale on voit le château de Menthon, qui,
à en juger par une inscription placée sur la porte, a la prétention d'être
antérieur à la naissance de Jésus-Christ; et plus loin le bourg de Talloire
où naquit le chimiste Berthollet. Au nord du lac, le village d'Annecy le
Vieux paraît être l'antique Dinia : on y a trouvé des inscriptions romaines.
Chambéry est encore plus agréable par sa position au milieu d'un bassin
entouré de hautes montagnes, qu'intéressante par ses édifices; cependant
elle n'est pas dépourvue de belles constructions. La cathédrale est un édi-
fice du commencement du quinzième siècle, où i'on voit des fresques de
cette époque; le portail de l'église dite de la Sainte-Chapelle est orné des
statues de plusieurs princes de la maison de Savoie ; la chapelle royale est
remarquable par ses vitraux ; le théâtre est d'une construction élégante et
simple; la caserne peut loger, dit-on, plus d'un régiment; la place de

548
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
Lans, la plus belle de la ville, est décorée d'une fontaine d'assez mauvais
goût; mais la promenade de Verney, plantée en quinconce, est jolie et
agréable. Chambéry a une population de 16,000 âmes ; siége d'un arche-
vêché, elle possède une société royale académique, une bibliothèque où
l'on remarque quelques beaux manuscrits, enfin un musée riche en
médailles antiques et en bons tableaux. Les environs de cette, ville sont
aussi pittoresques que riches et bien cultivés; la campagne est parsemée
de mûriers qui indiquent que l'industrie des habitants lire un grand pro-
duit des vers à soie.
Aix, peuplée de 3,600 habitants, à 3 lieues au nord de Chambéry, au
fond d'un entonnoir formé par de hautes montagnes, est célèbre par ses
bains. On y remarque les restes des thermes romains, et ceux d'un
temple que l'on croit avoir été érigé en l'honneur de Diane. Au sud-ouest,
la route des Echelles, qui communique de la France dans la Savoie, est
une des constructions les plus remarquables en ce genre : elle porte le
nom de la vallée et du bourg des Echelles, qu'elle traverse. Le bourg des
Echelles, aujourd'hui très-fréquenté, a pris le titre de ville.
En remontant le cours de l'Isère on arrive à Conflans, petite ville qui,
malgré sa fonderie royale et son écolo des mines, a perdu de son impor-
tance depuis que la route de la Tarentaise, au lieu de la traverser, tourne
le rocher sur lequel elle est bâtie. L'Hôpital, au contraire, qui n'en est
séparé que par un pont, a changé en vingt ans son rang de simple village
contre celui de bourg considérable. Moutiers possède, depuis 1822, une
école des mines où l'on voit une riche bibliothèque cl une belle collection
minéralogique. Celte ville, aux environs de laquelle il existe des antiquités,
est fort ancienne : elle a porté successivement les noms de Darentasia, de
Civilas Centronum, et enfin celui de Monasterium.
La province de Maurienne comprend le bassin de la rivière d'Arc,
affluent de l'Isère. La petite ville de Saint-Jean-de-Maurienne, qui en est
la capitale, est triste et mal bâtie. Elle est le siége d'un évêché ; sa cathé-
drale renferme les tombeaux de plusieurs comtes de Maurienne. C'est
dans celle ville que Charles le Chauve mourut empoisonné, dit-on, par son
médecin le juif Sédécias. En suivant le cours de la rivière jusqu'au grand
village de Lans-le-Bourg, on remarque le fort de Bramans, qui de ce côté
défend l'entrée de l'Italie. Les deux côtés de la vallée sont bordés de
montagnes, les unes arides et les autres couvertes de forêts, dont les som-
mités sont creusées de cavernes qui servent de retraite aux ours.
A peine a-t-on traversé l' Arc, qui descend des Alpes grecques, que



EUROPE.—ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
549
l'on voit s'élever la superbe route tracée en zigzag sur le revers septen-
trional du mont Cenis, par laquelle on peut arriver à cheval ou en voilure
au point le plus élevé du coi, c'est-à-dire à plus de 2,075 mètres. C'est de
là qu'avant la construction de cette nouvelle route, se faisait le voyage en
traîneau appelé la ramasse, et que l'on franchissait en quelques minutes,
au milieu des neiges et des précipices, tout l'espace qui s'étend jusqu'à la
Novalèse, village aujourd'hui ruiné.
Suse, malgré la beauté de son nom oriental, comme le dit M. Valery,
n'a de curieux que son arc de triomphe de marbre, dédié à Auguste, remar-
quable par le bas relief de la frise, offrant un triple sacrifice, monument
qui rappelle les arcs antiques de Rome, et qui semble une noble entrée ou
une sortie convenable de l'Italie. Cette ville de 3,270 âmes est le siége
d'un évêché. Rivoli, qui renferme 6,000 habitants, est bien bâti et dominé
par un château royal qui n'a jamais été achevé, où naquit en 1562 Charles-
Emmanuel Ier, et où fut enfermé Victor-Amédée II, qui, après avoir abdi-
qué en faveur de Charles-Emmanuel son ills, avait tenté de reprendre le
pouvoir.
Tarît ou Torino occupe l'extrémité des belles plaines qu'arrose lo Pô.
Cette ville est au confluent du fleuve et de la Dora ou Doire. Il ne faut pas
confondre cette petite rivière avec celle qui descend de la vallée d'Aoste.
L'origine de cette capitale est fort ancienne; elle était la principale cité
de Taurini, comme l'indique son nom d' Augusta Taurinorum. Elle est
formée de deux villes : le vieux Turin, qui ressemble à toutes les cités
anciennes et gothiques, et le nouveau Turin, qui a toute l'élégance des
villes modernes. Ses rues bien larges, bien droites, et l'on peut dire aussi
bien tristes, ne sont animées que les jours de fêtes ; les principales sont
celle de la Dora grossa, celle du Pô, et la rue Neuve. Deux grandes places
séparent l'ancienne et la nouvelle ville : l'une est celle de San-Carlo, cl
l'autre celle du Cas'ello, ou du château. Turin peut passer pour la plus
propre des cités italiennes; elle doit cet avantage à l'abondance des eaux-
qui, pendant l'été, coulent dans toutes les rues, les nettoient, les rafraî-
chissent, et, pendant l'hiver, les débarrassent de la.neige. La demeure
royale occupe le centre d'une vaste place, à laquelle aboutit une rue de
plus de 2 kilomètres de longueur. Cet édifice présente d'un côté une façade
gothique, et de l'autre l'élégance de l'architecture grecque. Les différents
palais qui décorent cette ville sont en général des édifices d'assez mauvais
goût, sans en excepter le vaste palais Carignan, bati en briques. Celui des
ducs de Savoie, réuni au palais du roi par-une galerie, rappelle par sa

550
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
façade certaines parties du Louvre. Celui qui est construit avec le plus de
goût est l'ancien palais du comte Birago de Borgaro, aujourd'hui l'hôtel de
l'ambassade de France.
La belle place Saint-Charles est décorée do la statue équestre en bronze
d'Emmanuel-Philibert, duc de Savoie ; due au ciseau d'un artiste distingué,
M. Marochetti ; elle est ornée de quatre grandes figures allégoriques repré-
sentant le comté de la vallée d'Aoste, la principauté de Piémont, le comté
de Nice, et le duché de Savoie.
On compte à Turin 110 églises ou chapelles; la plus vantée est celle
de Saint-Laurent : elle est entièrement revêtue de marbre et surmontée
d'une belle coupole ; la plus remarquable sous tous les rapports est celle
de Saint-Philippe de Néri. La cathédrale, dédiée a saint Jean, est d'une
belle architecture ; une inscription y indique la sépulture du savant écri-
vain Seyssel, qui fut évoque de Marseille et archevêque de Turin.
Le grand théâtre de Turin est l'un des plus beaux de l'Italie; il suffit
de dire qu'il a servi de modèle pour celui de Naples, et qu'il est le chef-
d'œuvre du comte Alfieri. La salle Carignan, restaurée avec goût, est
due au même artiste.
L'un des édifices qui doivent être mis en première ligne est le bâtiment
de l'université : on y entre par une grande cour carrée entourée d'un
rang d'arcades à double étage, dont les murs sont incrustés de bas-reliefs
et d'inscriptions antiques. La fondation de cet établissement remonte à
l'an 1405; on y compte environ 2,000 étudiants. Sa bibliothèque, formée
principalement de l'ancienne collection des livres et manuscrits des ducs
de Savoie, contient plus de 112,000 volumes et 2,000 manuscrits. Le
musée des antiques renferme plusieurs objets remarquables; le médailler,
l'un des plus riches de l'Europe, prend son rang après ceux de Paris,
de Londres et de Vienne.
Le musée égyptien est sans contredit, dans son genre, la plus belle col-
lection qui existe. Il est triste de penser qu'après avoir été formé en
Égypte par le consul de France Drovetti, pour orner le Louvre, le gouver-
nement français n'a pu, par un singulier motif d'économie, en faire l'ac-
quisition, et que la cour de Turin s'est trouvée assez riche pour pouvoir
en doter sa capitale.
Sans toutes ces richesses, Turin serait encore au premier rang parmi
les villes savantes et littéraires de l'Italie. Outre son université, dont l'en-
seignement est confié à des hommes du premier mérite, elle possède, sous
le titre d'académie militaire, une école où l'on instruit les jeunes officiers,

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
551
trois colléges et un institut des sourds muets. Outre la bibliothèque et le
musée dont nous venons de parler, elle renferme des collections d'histoire
naturelle et de physique, un édifice hydraulique, établissement unique dans
son genre, où l'on fait des cours d'hydraulique accompagnés d'expériences
faites surde grandes masses d'eau, des laboratoires de chimie, un jardin
botanique regardé comme un des plus beaux de l'Italie, et un jardin expé-
rimental destiné à des expériences d'agronomie, et accompagné d'une
collection d'instruments aratoires et d'une biliothèque relative à la bota-
nique et à l'agriculture. Parmi les sociétés scientifiques se trouvent l'aca-
démie royale des sciences, celle des beaux-arts, la société royale d'agri-
culture et l'académie philharmonique.
Les établissements de bienfaisance se font remarquer par leur belle
tenue ;l'hôpital Saint-Louis est un modèle dans son genre. Mentionnons
encore l'arsenal et la citadelle, pentagone bastionné, seuls restes des
anciennes fortifications de cette ville.
Tels sont les monuments de la munificence du gouvernement sarde qui
recommandent Turin à la curiosité de l'artiste, du savant et du philan-
thrope. Cette capitale a pris un tel accroissement depuis 1815, que sa
population, qui ne s'élevait qu'à 73,000 âmes, dépasse aujourd'hui
143,157 habitants.
Turin est la tête du réseau de chemins de fer qui doivent couvrir la
Sardaigne; il n'y a encore aujourd'hui (lévrier 1854), que les lignes de
Turin à Gênes et d'Alexandrie au lac Majeur qui soient livrées à la circu-
lation. Mais d'autres lignes en construction ou en projet doivent se diriger
de Turin sur Nice par Savigliano et Cuneo ; de Turin à Novare; de Turin
à Suze et à Chambéry avec embranchement sur Pignerol.
Dans les environs de Turin, on voit au bord du Pô Je grand château
royal, appelé le Valentin, précédé de plusieurs allées plantées de grands
arbres, et qui forment l'une des plus belles promenades de la ville. Au pied
d'une vaste colline couverte de maisons de campagne, s'élève la magni-
fique église de la Mère de Dieu, qui semble être une copie du Panthéon de
Paris. A l'extrémité de Turin, le pont sur la Doire est un de ceux qui méri-
tent d'être cités en Europe pour leur hardiesse et leur légèreté. Le palais
de Stupinis, rendez-vous de chasse du roi, peut être regardé comme l'un
des plus splendides qu'il y ail en Europe. Sur le sommet de la montagne
de la Superga, on aperçoit cette magnifique église que Victor-Amédée Ier
fit élever en 1706, en commémoration de la levée du siége de Turin par
les Français. Les caveaux de ce temple servent de sépulture aux rois.

552
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
Nous avons laissé nu nord de la province de Turin quatre autres pro-
vinces qui ne doivent pas être passées sous silence : ce sont celles d'Ivrée,
d'Aoste, de Bielle et de Novare. Leurs chefs-lieux seuls méritent d'être
nommés. Ivrée est une ville épiscopale de 8,500 âmes-, son aspect est de
loin assez agréable, mais son intérieur est fort laid. La Doire Baltée (Dora
Ballea) y est traversée par un pont romain. Cette ville fut fondée sous le
consulat de Marius; c'est l'antique Eporedia. On y fait un assez grand
commerce de fromages. Aoste, l'ancienne Augusta Salassiorum, est aussi
le siége d'un évêehé ; elle possède plusieurs restes de constructions
romaines et un arc de triomphe érigé à Auguste.
Au delà du mont Rose, l'admiration qui se portait un instant avant sur
les beautés de la nature, se concentre sur un des plus beaux monuments
de l'industrie et de la patience humaine : la route du Simplon, pratiquée
à travers la chaîne des Alpes, surpasse tout ce que les Romains ont exécuté
de plus beau dans ce genre.
Le lac Majeur forme la limite des possessions sardes; la route qui des-
cend du Simplon la côtoie et va traverser l'ancienne et jolie ville de Novare,
peuplée d'environ 19,000 âmes et défendue par un vieux château et quel-
ques fortifications. On y remarque une belle place d'armes, un théâtre
nouvellement construit, une cathédrale ornée de quelques beaux tableaux,
une belle église dédiée à Saint-Gaudence, et quelques restes d'antiquités
romaines. Au nord de cette ville Oleggio est recommandable par ses bains.
Verceil, en italien Vercelli, et en latin Vercellœ, ville de 18,000 âmes,
située, ainsi que les deux précédentes, sur la ligne du chemin de fer
d'Alexandrie au lac Majeur, passe pour avoir été fondée par Bellovèse, six
siècles avant notre ère. Elle est intéressante par la beauté de ses églises,
et possède une école secondaire de médecine et de chirurgie. C'est dans les
plaines qui entourent cette ville que les Cimbres furent taillés en pièces
par Marius.
Au sud de Turin, et sur le bord de la Stura, Cent ou Cuneo, qui fut
démantelée par les Français après la bataille de Marengo, est une ville
épiscopale et commerçante, qui possède une école universitaire de droit et
une population d'environ 19,000 âmes. Elle est destinée à être la princi-
pale station du chemin de fer de Turin à Nice, aujourd'hui en construc-
tion. Casale, sur le Pô, à l'est de Turin, ancienne capitale des puissants
marquis de Montferrat, a une population à peu près égale à celle de la précé-
dente, mais les beaux édifices y sont en plus grand nombre : ce sont princi-
palement ses églises, son théâtre et son collège ; elle est sur le parcours du

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
553
chemin de fer d'Alexandrie au lac Majeur. Dirigeons plutôt nos pas sur Gênes.
Le chemin de fer qui conduit à celte ville traverse d'abord Asti, jadis
Hasta Pompcia, célèbre pendant le moyen Age par ses cent tours, comme
Thèbes l'était chez les anciens par ses cent portes. Ses vieilles murailles
tombent en ruines, ses tours ne sont plus qu'au nombre de trente, et sa
population éprouve une diminution sensible : sur une superficie à peu près
égale à celle de Turin, on y compte à peine 24,000 âmes. On remarque
dans cette ville l'hôtel où naquit Alfieri, et la cathédrale, bel édifice
gothique. Son commerce et son industrie ont quelque importance; elle
exporte des vins rouges et blancs, estimés les meilleurs du Piémont. Les
lieux environnants sont remplis d'antiques souvenirs. A quelques lieues
au sud-ouest, on voit Alba, jadis Alba Pompeîa, ville épiscopale qui rap-
pelle le père du grand Pompée qui la restaura; et Chierasco, l'empereur
Pertinax, qui y reçut le jour. D'Asti, le chemin de fer, ainsi que l'ancienne
route, longe la vallée du Tanaro à Alexandrie.
De loin celle-ci ressemble à un village au milieu d'une plaine, et de
près ce n'est qu'une ville triste, bâtie en briques, mais l'une des plus
importantes places fortes de l'Italie par sa citadelle, autre ville d'un aspect
superbe, qui fut construite par les Français, et dont l'entrée est interdite
aux étrangers. On sait qu'Alexandrie doit son origine aux querelles des
papes et des empereurs pendant le douzième siècle. Elle fut fondée en
l'honneur d'Alexandre III, et longtemps elle eut le nom d'Alexandrie de
la Paille, parce que ses maisons étaient couvertes de chaume. Alexandrie
est importante aussi par sa population, que l'on évalue à près de 40,000
âmes. Le palais royal, l'hôtel de-ville, quelques-unes de ses églises, le
mont-de-piété, le bâtiment où se tient la foire, et son nouveau théâtre,
méritent d'être vus. C'est le siége d'un évêché. Elle possède une bonne
bibliothèque publique, et une société littéraire qui prend le singulier titre
d'académie des immobiles. A la sortie de cette ville, une roule traverse le
village de Marengo, célèbre par la victoire que Bonaparte y remporta en
1800 sur les Autrichiens. La colonne érigée au lieu même où Desaix fut
tué ne se voit plus. La route conduit ensuite à Tortone et à Voghera. La
première, grande et jadis bien peuplée, n'a que 11,000 habitants; la
seconde, qui en renferme 12,000, possède une belle cathédrale dans le
style grec. Un embranchement de chemin de fer soudé à Trugarolo à la
grande ligne de Turin à Gènes par Alexandrie, doit côtoyer la route qui
traverse ces dernières villes, pour aller aboutir aux confins du duché de
Parme et Plaisance.
VII.
70

554
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
A l'embranchement de la roule de Tortone et de celle de Gènes, le pays
prend un aspect particulier : on entre dans les Apennins ; le chemin se
change en une gorge étroite, tantôt ombragée par des forêts, tantôt bordée
par des prairies solitaires. Entre Alexandrie et Novi, on remarque la belle
abbaye de dominicains del Bosco, qui renferme quelques bons tableaux et
le tombeau que le pape Pie V, fondateur de ce couvent, s'y était réservé et
qui est resté vide. Novi, sur le chemin de fer d'Alexandrie à Gênes, est
une ville de 10,300 âmes, dont les plus belles maisons sont habitées
pendant l'automne par de riches Génois-, il ne reste de son vieux château
qu'une tour bien conservée et d'une grande élévation.
Nous laissons à l'ouest la route et le chemin de fer en construction
d'Alexandrie à Savone, où se trouve Acqui, petite ville épiscopale de
6,400 âmes, dont le nom indique qu'il y existait du temps des Romains
un établissement d'eaux thermales : celui que l'on y voit aujour-
d'hui est très fréquenté. On remarque à Acqui les restes d'un aqueduc
antique.
A partir de Novi, deux routes conduisent à Gênes : l'une nouvelle par
Aquata, Ronco, Busalla et Ponte-Decimo, c'est celle que suit le chemin
de fer ; l'autre par la Bocchetta. Celte dernière offre des difficultés, mais
est admirable par ses points de vue : c'est une suite continuelle de
montées et de descentes, de gorges et de ravins; on est dans le cœur des
Apennins. Les habitations, d'abord rapprochées, deviennent plus rares,
et bientôt disparaissent; enfin on est arrivé au col de la Bocchetta. Gênes
se présente au bas de ces montagnes, et la Méditerranée se perd à l'hori-
zon. Ordinairement celle-ci se confond avec le brouillard qui obscurcit ce
passage ; mais par un temps clair, sa surface, brillante comme le cristal,
prend la teinte azurée du ciel. Il faut voir Gênes du côté de la mer pour
en avoir une idée favorable : bâtie en demi-cercle sur une étendue de plus
de 3,500 mètres, elle s'élève en amphithéâtre au pied d'une montagne
aride et brûlée ; deux môles imposants défendent l'entrée du port, dominé
par un fanal gigantesque. Dans un circuit de 4 lieues, la ville est entourée
d'une double enceinte de fortifications, devenues célèbres par le siége
qu'y soutint Masséna en 1800, et par la courageuse résistance des habi-
tants, qui souffrirent pendant 59 jours toutes les horreurs de la famine.
Elles sont entretenues avec soin. Les rues, pavées de dalles, sont étroites
et tortueuses, à l'exception de trois : la rue Balbi, la rue Nuova et la rue
Novissima, les seules dans lesquelles les voitures puissent circuler. Celte
dernière est formée d'une réunion de palais magnifiques. Rien ne produit



EUROPE. —ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
555
un plus singulier effet, surtout vues de loin, que les terrasses couvertes
de jardins remplaçant la toiture des palais et des maisons. On ne se borne
point à y cultiver des arbustes et des plantes grimpantes : elles sont
construites de manière à pouvoir supporter une épaisse couche de terre,
d'où s'élancent dans les airs des orangers de 8 mètres de hauteur. A l'ex-
ception de plusieurs riches habitations, telles que les palais Philippe
Durazzo, Carrega, Maximilien Spinofa, André Doria, Balbi, Brirgnole,
Lercari imperiale et plusieurs autres, on ne peut citer que l'ancien palais
ducal et quelques éd fices religieux.
L'église de Saint-Laurent est la plus vaste de Gênes et l'une des plus
belles cathédrales de l'Italie. L'église de l'Annonziada fait regretter que
sa façade ne soit pas terminée : dans son intérieur l'œil est fatigué par la
profusion des dorures; celle de San Cyro, l'ancienne cathédrale, est
ornée de fresques, et l'une des plus riches en marbres de différentes cou-
leurs. L'Assomption de Carignan est, en petit, Saint-Pierre de Rome:
on y remarque un saint Sébastien et un Alexandre Sauli, chefs d'œuvre du
Puget ; enfin l'église de Sainte-Marie de la Consolation renferme quel-
ques peintures et sculptures estimées.
Les trois hôpitaux, le théâtre Carlo Felice, le palais de l'université qui
renferme une riche bibliothèque et de riches collections, sont dignes de
l'attention des visiteurs.
La ville possède trois autres bibliothèques, au nombre desquelles celle
dite Berio, présent d'un particulier, compte 15,000 volumes et 1,500
manuscrits. Les autres établissements d'instruction sont l'école de marine,
celle de navigation et l'académie des beaux-arts.
La Loggia de Banchi, ou la bourse, est un édifice remarquable surtout
par la hardiesse de la voûte, formée de simples mâts de navires. Dans le
bâtiment de la douane, on admire les belles proportions de la grande salle
de Saint-George, ornée des statues du fondateur de cette célèbre banque.
Au-dessus de la porte principale de l'édifice, on voit suspendus quelques
morceaux de la chaîne de fer qui fermait le port de Pise et que les Génois
conquirent en 1290. A la porte du tribunal de commerce, on a placé un
monument antique assez curieux : c'est une table en bronze portant une
sentence rendue l'an 637 de la fondation de Rome par deux jurisconsultes
romains, relativement à la suprématie qu'exerçaient alors les Génois sur
les pays limitrophes.
L'enceinte desséchée qui sert de bagne à 700 galériens, est l'ancien
arsenal, où furent construites les fameuses galères de la république; le

556
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
nouvel arsenal est situé dans l'ancien couvent du Saint-Esprit : on y con-
serve une proue antique, un canon de cuir et de bois pris sur les Vénitiens
au siége de Chiozza en 1379, et l'une des 32 cuirasses portées en 1301
par de nobles croisées génoises.
Les seules promenades de Gênes sont les murailles du fort, les allées de
Yacqua verde, celles de l'acqua sola, les môles, la promenade du quai, et le
beau pont de Carignano, de 32 mètres de hauteur, qui, jeté par-dessus
des maisons de six étages, réunit deux quartiers élevés de la ville.
La bourse, si fréquentée lorsque la noblesse génoise faisait le commerce
de l'univers, est aujourd'hui bien déchue de son ancienne activité, malgré la
franchise dont jouit le port de Gènes. Cette ville n'est cependant point tombée
dans la même décadence que Venise ; mais lorsqu'on pense que du temps
des Carthaginois elle était assez puissante par son commerce pour faire
ombrage à ce peuple qui la brûla ; que, rebâtie par les Romains, elle rede-
vint florissante-, que plus lard elle répara les pertes causées par les inva-
sions des Huns, des Goths et des Hérules, par les conquêtes des Lombards
etde Charlemagne; qu'au douzième siècle elle fut la première ville com-
merçante qui fonda une banque, célèbre encore dans ces derniers temps
sous le nom de banque de Saint George, et qui fut rétablie en 1814 ; que,
rivale de Venise au douzième siècle, elle était maêtresse du faubourg de
Péra à Constantinople; que devenue la capitale d'une république puis-
sante, elle conserva plus longtemps que Venise la forme primitive de son
gouvernement; que, bien qu'elle ail été plus d'une fois obligée de cher-
cher contre ses divisions intestines un refuge dans la protection étrangère,
l'amour de l'indépendance fut toujours la principale cause de ses succès ;
que ce fut par accomodement et non par force qu'elle céda la Corse aux
ministres de Louis XV; qu'enfin elle était encore indépendante lorsqu'elle
reçut du gouvernement républicain de France une constitution et le titre
de république ligurienne, jusqu'à ce que, un instant réunie à l'empire
français, elle donnàt son nom à un département-, on est presque disposé à
regretter qu'à l'époque de la restauration de tant de trônes européens,
Gènes n'ait pas été réintégrée dans son antique indépendance.
On est frappé à Gènes de l'extérieur d'aisance et de propreté du peuple,
de l'obligeance cl de la politesse de la classe supérieure, cl des manières
simples de la noblesse. C'est sans doute aux occupations commerciales
qu'il faut en attribuer la cause. Les femmes mettent beaucoup de recherche
et d'élégance dans leur toilette ; elles portent avec une grâce particulière,
quand elles vont à pied, un ample voile blanc appelé mezzaro, dont elles

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
557
couvrent plutôt qu'elles ne cachent une partie de leur visage, les épaules
et les bras. Cet ajustement, qui descend jusqu'aux pieds, ajoute à l'élé-
gance d'un bas de soie bien tiré et d'une chaussure légère. L'amour des
arts, la culture de l'esprit, une certaine liberie dans les idées, distinguent
les Génois de la plupart des Italiens méridionaux. La nation, portée vers
le commerce, excelle encore dans plusieurs genres d'industrie: Gènes a des
manufactures de soieries, de velours et d'étoffes d'or; l'orfèvrerie y est portée
à un haut degré de perfection ; ses fleurs artificielles sont recherchées. Parmi
les productions de son son sol, ses huiles sont plus estimées que ses vins.
Celle ville a conservé assez de causes de prospérité pour augmenter de
population : il y a peu d'années on lui donnait 80,000 habitants, aujour-
d'hui elle en a plus de 115,000.
Ce qu'on nomme à Gènes le Port franc est une réunion de huit beaux
édifices uniformes, enfermés dans une enceinte de murailles où l'on
emmagasine, sans les imposer à aucun droit, toutes les marchandises qui
arrivent de l'étranger. C'est un véritable entrepôt, il fait la richesse du
commerce génois. Les seuls portefaix qu'on y emploie sont connus sous
le nom de caravani ; ils sont tous Bergamasques et se recrutent dans les
communes de Piazza et de Zugno, aux environs de Bergame. L'organisa-
tion de celle corporation remonte à l'an 1340 ; à celle époque, ils n'étaient
que 12; depuis le nombre en a été fixé à 200. Le port de Gènes sert de
station ordinaire à la flotte sarde ; il est défendu par de puissantes forti-
fications.
La partie orientale de la côte qui borde le golfe de Gênes est désignée
depuis longtemps sous le nom de rivière du Levant; c'était une des divi-
sions du territoire do l'ancienne république. La Spezzia, jolie ville de
10,000 âmes, en est le principal port. Il est capable de contenir une im-
portante armée navale-, aussi en temps de paix sert-il de port de relâche et
de mouillage aux escadres et aux bâtiments de guerre des puissances
alliées de la Sardaigne. A 5 lieues de la Spezzia l'on voit Sarzana, ville à
peu près de la même population, et le siége d'un évêché ; elle est la patrie
du sage et savant pape Nicolas V ; sa cathédrale est un bel édifice, cons-
truit en marbre de Carrare. On voit dans ses environs les ruines de l'an-
tique et célèbre Luni, capitale de la Lunigiane, qui passe pour avoir été
détruite par Alaric, ainsi que les restes de deux tours, d'un amphi-
théâtre et d'une église. Chiavari, plus peuplée, bien bâtie et industrieuse,
fabrique des toiles et des chaises qu'elle expédie jusqu'en Amérique. Cette
ville possède une bibliothèque de 7,000 volumes, des écoles publiques,

558
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
une maison de Iravail pour les pauvres et une société d'encouragement.
A l'ouest de Gènes, l'ancien territoire de la république portait le nom
de rivière du Panent. La petite ville de Voltri a de la réputation pour ses
papiers et son vermicelle. Elle doit être unie à Gènes par un chemin de fer
\\rejeté. Le village de Cogoleto prétend à tort disputer à Gênes l'honneur
d'avoir vu naître Colomb. Savone, ville épiscopale de 16,000 âmes, tire
un grand secours de ses fabriques de faïence, de porcelaine et de potasse ;
mais elle redeviendrait commerçante si son port, comblé depuis long-
temps, était creusé de nouveau. On voit encore dans cette ville les restes
du palais de Jules II. Sa cathédrale est un bel édifice. Albenga, vieille ville
de 5,000 âmes, noire cl insalubre, renferme quelques restes d'antiquités :
le baptistère est un petit temple antique qui remonte, dit-on, à un empe-
reur Proculus du dernier temps de l'Empire-, le Ponte-longo est attribué
à Adrien ou à Conslance. La jolie Oneille ou Oneglia, petite ville de
5,500 âmes, est la patrie d'André Doria. San Remo est l'antique Fanum
Romuli ; et Vintimille, siége d'un évêché, est l'Albium Intemelium dont par-
lent Tacite et Cicéron. Plus loin,en suivant la côte, Nice est une ville
de 35,000 âmes, chef-lieu de province cl siége d'un évêché ; son petit port
reçoit des bâtiments de 300 tonneaux ·, à son entrée s'élève une statue en
marbre du roi Charles-Albert. Cette ville jouit du plus beau climat de l'Eu-
rope: l'hiver y est sans frimas ; aussi le pays est-il le rendez-vous, pendant
la froide saison, d'un grand nombre d'étrangers et surtout d'Anglais, attirés
par la douceur de sa température. On voit à Cimier, dans ses environs, les
restes de l'antique Cenemanium : ce sont des bains, des temples et un
amphithéâtre.
N'oublions point de mentionner, à 2 lieues à l'est de Nice, la petite ville
de Monaco, peuplée de 1,200 habitants. Bâtie sur un rocher qui brave la
fureur des flots, et sur l'emplacement du temple d'Hercule Monœcus, dont
parle Virgile, son territoire a le titre de principauté depuis le sixième
siècle, et appartient à la maison de Grimaldi, sous la protection du roi de
Sardaigne.
En 1848, cette petite principauté fut un instant réunie, du consente-
ment de ses habitants, a la monarchie sarde; mais le prince régnant, Flo-
restan Ier, ayant protesté et invoqué auprès des grandes puissances l'exé-
cution pure et simple des traités de 1815 et de 1817, relativement à ce qui
concernait l'indépendance de sa principauté, le roi de Sardaigne a dû se
contenter d'un simple protectorat et maintenir la souveraineté du prince
Florestan.

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
559
La principauté est une enclave du comté de Nice ; elle occupe, à l'est de
Nice et sur la côte de la Méditerranée, une superficie d'une lieue et demie
carrée. Sa population est de 7,500 âmes, répartie dans les villes de Monaco,
Roquebrune et Mentone ; cette dernière est la plus importante, elle est
dans une situation délicieuse sur la route de La Corniche et possède un
petit port qui fait un assez grand commerce de cabotage : sa population
est d'environ 5,000 habitants. Plus avant dans l'intérieur des terres, le
hameau de Monti, situé sur la rive gauche de la Careï, compte à peine
300 ou 400 âmes. Le territoire de la principauté de Monaco est monta-
gneux, son climat est aussi délicieux que celui de Nice; la végétation y est
fort riche et les fruits du Midi y réussissent à merveille. Le pays est admi -
nistré par un gouverneur assisté d'un conseil d'État qu'il préside, et qui
est composé du gouverneur, du président du tribunal supérieur, de l'avocat
général, du vice-gouverneur et du commandant du port. La législation
française est en vigueur dans ce petit pays, et il y a une cour supérieure
d'appel, civile et criminelle à Monaco.
L'île de Sardaigne a été appelée par les Grecs Sardon et Ichnusa, et
par les Romains Sardinia. Le nom de Sardo lui vient, dit-on, de Sardus,
prétendu fils d'Hercule, qui, parti de la Libye, s'y établit avec une nom-
breuse colonie. Le nom iVIchnusa paraît lui avoir été donné du mot grec
Ichnos, par la ressemblance grossière que les anciens trouvaient entre sa
forme et celle de l'empreinte d'un pied d'homme. Il paraît que les premières
sardoinesy furent trouvées; car le nom de sardonyx, que les Grecs don-
naient à cette variété d'agate, vient en effet de Sardon. Suivant Dioscoride,
il croissait dans cette île une plante de la famille des renonculacées, que les
anciens nommaient pour cette raison sardonia, et qui donnait la mort à
ceux qui en mangeaient la racine, en produisant aux nerfs de la face une
contraction semblable au rire et que l'on appelle rire sardonique. Enfin
le petit poisson du genre cluppé, appelé sardine, doit son nom à l'île de
Sardaigne, parce que les anciens en pêchaient une grande quantité sur ses
côtes, comme font encore les modernes.
La Sardaigne fut conquise d'abord par les Pélasges, puis par les Phé-
niciens, les Étrusques et les Carthaginois qui en restèrent possesseurs jus-
qu'à l'époque de leur première guerre avec les Romains, qui les en chas-
sèrent, et dont elle devint un des greniers. Peu de temps après, elle ne fit
avec la Corse qu'une seule province. Sous ces maîtres du monde, sa popu-
lation était plus considérable qu'aujourd'hui : elle renfermait 42 villes, elle
n'en compte plus que 10 qui méritent ce titre. Les Vandales, devenus pos-

560
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME
sesseurs de l'Espagne et des côtes do l'Afrique, les Goths, les empereurs
d'Orient et les Arabes furent successivement maîtres de la Sardaigne. Au
onzième siècle, les Pisans et les Génois leur succédèrent ; £00 ans plus
tard, les papes, qui n'ont jamais négligé d'étendre leur domination tem-
porelle, cherchèrent à la réunir aux domaines de l'Église ; deux fois les
Pisans se virent contraints de la leur céder, et Rome en investit la couronne
d'Aragon; mais ce fut au quatorzième siècle seulement que Jacques II,
roi d'Aragon, parvint à s'en rendre maître. Elle resta soumise à l'Espagne
jusqu'en 1708, que les Anglais s'en emparèrent au nom de l'empereur
d'Allemagne, qui la céda au duc de Savoie en échange de la Sicile.
Depuis le moyen âgé les Sardes étaient regardés comme des espèces de
sauvages peu susceptibles de civilisation ; mais, à force de soins, la maison
de Savoie améliora leur sort. Elle fit fleurir chez eux les arts et les sciences,
et put dès lors reconnaître l'avantage que les gouvernements retirent d'une
marche légale et de la propagation des lumières. Peut-être même les mal-
heurs de celle maison n'ont-ils pas peu contribué à ces améliorations : lors-
que les conquêtes de la France eurent réduit la monarchie sarde à la seule
possession de cette île, la présence du souverain dut y faire plus que les
gouverneurs les mieux intentionnés. Il y a quarante ans, les revenus de la
Sardaigne atteignaient à peine le quart de leur terme moyen actuel.
L'habitant doit à son long isolement les traits qui le distinguent des
autres peuples de l'Italie, et pour le peindre en deux mots, le Sarde est
d'une constitution robuste, d'un caractère gai, d'un courage qui va jus-
qu'à la témérité. Exalté dans ses passions, il aime avec constance, il liait
avec fureur-, doué d'une imagination vive, enthousiaste dans ses goûts,
ami du merveilleux, il se livre avec ardeur à la poésie et aux beaux-arts.
On est même étonné de l'imagination poétique et de la facilité à versifier
qui distinguent les gens de la campagne: ils charment leurs travaux ou
leurs voyages par des chants improvisés, dans lesquels ils célèbrent les
événements du pays, ou la bien-venue d'un étranger, ou les plaisirs de la
campagne.
La Sardaigne est divisée en 3 circonscriptions administratives subdi-
visées en 11 provinces ou diocèses.
Au fond d'un golfe, à l'extrémité méridionale de l'île, Cagliari, la capi-
tale, occupe la pente d'une colline rapide que domine un château-fort, bâti
par les Pisans. Sa population est de 30,000 habitants; c'est la résidence
des principales autorités. Ses maisons sont mal construites, et ses rues
sont étroites et tortueuses. Elle possède un grand nombre d'églises, des

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
561
couvents, des établissements littéraires et de charité, et une université. Le
palais du vice-roi est le seul édifice remarquable. Elle est le siége d'un
archevêché. Cette ville, qui fut fondée par les Carthaginois sous le nom
de Calaris, fait un grand commerce. Les produits de son sol consistent
en blé, en huile, en vin, en coton et en indigo.
La plus importante après celle-ci est Sassari, dans une belle vallée au
nord-ouest de l'île, peuplée de 30,000 âmes ; elle est le siége d'un arche-
vêché, d'une université, et la résidence d'un intendant. Bâtie sur la pente
d'une colline, les coteaux qui l'environnent sont couverts de citronniers,
d'orangers, d'oliviers et de vignes-, la vue délicieuse dont on jouit, et la
salubrité du climat, en font un séjour agréable. Elle est entourée de
murailles gothiques percées de cinq portes principales, et dominée par un
vieux château flanqué de tours et défendu par des fossés. Ses maisons sont
en général bien bâties ; ses plus beaux édifices sont le palais du gouver-
nement, celui de l'archevêché, et la cathédrale dont on admire le portail.
La population de cette ville est industrieuse ; on y fait un grand com-
merce, principalement en huile d'olive et en tabac. Parmi les belles pro-
menades qui entourent la ville, on cite celle de Rosello, ornée d'une fon-
taine de ce nom que, pour son architecture et l'abondance des eaux, on
compare aux plus belles de l'Italie.
Orislano ou Oristagni, près du golfe de ce nom, sur la côte occiden-
tale, est le siége d'un archevêché. On y fait le commerce du thon, poisson
qui abonde dans ces parages; elle est peuplée de 12,000 habitants. On
récolte dans ses environs l'excellent vin de Vernaccia. Bosa, petit port à
l'embouchure du Terno, sur le même côté de l'île, a une belle rue, une
ancienne cathédrale et plusieurs couvents ; la ville, entourée de murailles
qui tombent en ruines, est peuplée de 7,000 habitants : on y pêche le
corail, ainsi qu'à Alghero, autre siège d'évêché sur la même côte. Cette
dernière ville est la plus commerçante en blé. Sa population est de 8,000
âmes ; son port ne peut recevoir que de petits bâtiments ; mais à 3 lieues à
l'est, celui de Porto-Conte, vaste et bien défendu, peut donner asile à des
flottes considérables. Celui de Castel Sardo, au nord de l'île, est défendu
par des fortifications importantes. Ozieri est un village où réside l'évêque
de Bisarcio, mais ce village est plus peuplé que certaines villes de la Sar-
daigne: il a environ 10,000 habitants. Tempio est un bourg à peu près
aussi peuplé, où réside l'évêque d'Ampiuras.
Dans l'intendance de Cagliari il existe un petit pays appelé Barbagia,
qui tire son nom d'une émigration de Berbères ou habitants de la Barbarie
VII.
71

562
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
qui s'y réfugièrent à l'époque de l'invasion de leur patrie par les Vandales.
Ce pays, couvert de montagnes et de forêts, se divise en quatre parties :
la Barbagia proprement dite, le Scalo qui a pour chef-lieu un village de
1,200 habitants, le Belvi et l'Ollolaï.
La Sardaigne est environnée de petites îles: les principales sont, au
nord-ouest, l'île d'Asinara, et au sud-ouest celles de Piana, de San-Pietro
et de San-Antioco ; à l'est, celles de Serpentaria, de Chirra, d'Ogliastra
et dé Pedrami ; au nord-est, celles de Spargi, de la Madeleine, de Saint-
Elienne, de Caprera et de Tavolara.
Cette dernière est un bloc énorme de roche calcaire qui a 18 milles de
tour et qu'on peut rapporter à la formation secondaire ; ses flancs sont
coupés à pic et quelquefois même en talon renversé, ce qui la rend inac-
cessible de tous les côtés. Elle n'est habitée que par des chèvres sauvages.
Les anciens allaient y pêcher le mollusque dont ils tiraient la pourpre.
Asinara, l' Insula Herculis des anciens, longue de 4 lieues et demie,
large de 2, est montagneuse, fertile, couverte de pâturages, et cependant
ne renferme que quelques cabanes de bergers et de pêcheurs.
San-Pietro, divisée du nord au sud par une chaîne de collines, est l'an-
cien Hieracum ; sa circonférence est de 8 à 9 lieues. Ses habitants pèchent
le corail et cultivent un sol fertile. Elle renferme des salines.
San-Antioco, qui comprend 9 lieues de tour, est l'Enosis des Romains.
Elle a des salines et des terres fertiles.
Le royaume de Sardaigne est une monarchie constitutionnelle, la royauté
gouverne d'accord avec un sénat nommé par elle à vie et une chambre des
députés élective. Il existe à Turin huit ministères; le gouvernement est
assisté d'un conseil d'Etat et d'une cour des comptes. Le royaume est
divisé en Etats de terre-ferme, comprenant la partie continentale, et l'île
de Sardaigne, avec les petites îles qui en dépendent. Les Etats de terre-
ferme sont partagés en 9 divisions administratives, et l'île de Sardaigne
en 3 trois divisions-, à la tête de chacune d'elles est un intendant général ;
chacune de ces divisions comprend plusieurs provinces.
L'organisation financière a été le but de sages réformes en Sardaigne.
Cependant le budget de ce pays se ressent encore des guerres désastreuses
de 1848 et de 1849 ; le passif était encore en 1853 de 22 millions de francs,
le budget des dépenses était calculé à cette époque sur le pied de 145 mil-
lions de francs, tandis que les recettes devaient atteindre 158 millions, ce
qui devait, au commencement de 1854, porter le passif à 9 millions seu-
lement.

EUROPE.— ITALIE. ROYAUME DE SARDAIGNE.
563
L'organisation judiciaire, dont le peuple sarde est redevable au roi
Charles Albert, se rapproche beaucoup de celle de la France ; elle com-
prend 1 cour de cassation, qui prend rang immédiatement après le conseil
d'Etat; 7 cours royales ou d'appel, établies à Chambéry, Turin, Casale,
Nice, Gênes, Cagliari et Sassari ; 50 tribunaux de première instance, éta-
blis dans les chefs-lieux de province; et 501 tribunaux inférieurs dits de
mandement, ayant à peu près les mêmes attributions que nos justices de
paix. Il y a une prison dans chaque chef-lieu de province, 3 prisons cen-
trales à Palanza, Alexandrie et Oneglia, 1 maison d'éducation correction-
nelle pour les jeunes gens près de Turin, 3 châteaux ou prisons à Ivrée,
à Saluces et à Fossano.
La religion catholique est la religion de l'Etat. Il y a dans toute la
monarchie : pour les Etats de terre-ferme, 4 archevêchés, dont le siége
est établi à Turin, Chambéry, Verceil et Gênes, et 26 évêchés ; pour l'île
de Sardaigne, 3 archevêchés, à Cagliari, Oristano et Sassari, et 8 évêchés.
Les 25,000 Vaudois vivant dans les montagnes voisines de Pignerol for-
ment 16 paroisses; ils ont un collége supérieur à Torre; ils forment une
population active et industrieuse qui fournit principalement des agricul-
teurs et des bergers ; elle possède des fabriques de draps, des usines, des
fonderies. Le culte Israëlite, reconnu par la législation, forme deux uni-
versités, celles de Piémont et de Montferrat, administrées chacune par un
grand-rabbin ;'la première renferme 14 subdivisions, et la seconde 4.
Le ministère de l'instruction publique n'a été créé qu'en 1847. A la tête
de l'enseignement se trouve un conseil supérieur. II y a 4 universités, à
Turin, Gênes, Cagliari et Sassari, avec près de 3,000 étudiants; 21 col-
léges royaux, 14 collèges communaux, 18 écoles latines élémentaires,
9 pensionnats ou petits séminaires, et chaque commune possède des écoles
élémentaires dirigées par des frères de la doctrine chrétienne. L'enseigne-
ment spécial comprend, pour la médecine, 4 écoles, à Chambéry, Mon-
dovi, Verceil et Nice; pour l'art vétérinaire, 1 école à Turin; pour les
mines, 1 école à Moutiers ; 1 école de la marine royale à Gènes, et 1 aca-
démie militaire à Turin. Les principales sociétés académiques sont : l'aca-
démie royale des sciences, la société d'agriculture, et l'académie des beaux-
arts de Turin et de Gênes. La presse est libre, et l'on compte un grand
nombre de journaux ou revues périodiques ; Turin en possède 16, Gênes 7
et la Savoie 4.
Le commerce a pris, depuis vingt ans, une grande extension dans ce
pays, il tend à se débarrasser des mille entraves qui autrefois retenaient

564
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
son essor, et bornaient aux limites mêmes du royaume les transactions
commerciales. Le gouvernement sarde a d'ailleurs signé avec la France,
le Chili, le Zollverein germanique, le Portugal, la Belgique, l'Angleterre,
la Suisse, les Pays-Bas et l'Autriche, des conventions commerciales qui
favoriseront les transactions et les marchés, et donneront une nouvelle
activité à son commerce et à son industrie. Malgré sa pénurie financière,
le gouvernement sarde a fait exécuter deux grandes voies de chemin de
1er: une de Turin à Gênes par Alexandrie, qui a 165 kilomètres; l'autre
d'Alexandrie au lac Majeur, qui, lorsqu'elle sera terminée, en aura 100 ;
ce dernier doit aller gagner la Suisse par le Simplon. L'industrie privée
a suivi l'impulsion donnée par le gouvernement, et la longueur totale des
lignes en cours d'exécution, projetées ou concédées dépassait déjà 800
kilomètres en 1853.
Le royaume comprend 7 divisions militaires et 1 commandement général
de l'île de Sardaigne à Cagliari. Le service est obligatoire pour tous les
citoyens ; le recrutement se fait par levées annuelles. L'armée active est de
47,718 hommes sur le pied de paix, et sur le pied de guerre de 147,472
hommes. Cette armée peut d'ailleurs être secondée par la milice natio-
nale, composée de tous les citoyens qui payent un impôt quelconque, de
vingt et un à cinquante-cinq ans. Il y a un hôpital militaire par chaque
division. La Sardaigne possède 23 places de guerre, sans compter les chefs-
lieux de province qui en ont le rang, et 3 arsenaux de construction, à Mon-
dovi, Forsano et Coni. Plusieurs provinces jouissent, en vertu des traités
de 1815, des bénéfices de la neutralité helvétique ; ce sont : le Chablais, le
Faucigny, et tout le territoire de la Savoie au nord d'Ugine. La marine du
royaume est sous la direction de l'amirauté, qui a son siége à Gênes, et
dépend du ministère de la guerre; il y a, depuis 1849, un conseil d'ami-
rauté. Les ports militaires de première classe sont : Gênes, Cagliari et
Nice ; ceux de seconde classe sont: Spezzia, Villafranca et Savone. L'ar-
mée navale se compose de 93 officiers, 265 officiers mariniers et de 1,100
matelots, avec 4 frégates à voiles, 4 à vapeur, 4 corvettes, 3 brigantines,
1 brick, 6 bâtiments à vapeur.
Le royaume de Sardaigne n'a négligé aucun effort, depuis dix années,
pour se mettre sur le pied des États les mieux administrés de l'Europe,
pour fonder un gouvernement constitutionnel durable et établir la société
civile sur les bases libérales. La sagesse du peuple piémontais, sa supé-
riorité politique sur le reste de l'Italie, sont remarquables, et il n'y a que
des vœux à faire pour que le mouvement, à la fois politique et économique,

EUROPE.—TABLEAUX STATISTIQUES DU ROYAUME DE SARDAIGNE.
565
dans lequel le royaume de Sardaigne est entraîné ait le plein succès que
mérite un pays destiné, par son exemple, à puissamment agir sur le pro-
grès des idées en Italie.
TABLEAUX statistiques du royaume de Sardaigne.
STATISTIQUE GÉNÉRALE.
SUPERF.
POPULAT.
POPULAT
FINANCES
FORCES MILITAIRES.
en l. g. c.
en 1S52.
par lieue c.
en 1852.
Recettes.
Armée de terre en 1853.
109,223,935 francs.
47,718 hommes, plus la milice.
3,856
4,990,249
1,295
Dépenses.
Flotte.
150,927,376 francs. 4 frégates à voile, 4 à vapeur, 4 corvettes, 6 va-
peurs et 22 bâtiments inférieurs ; en tout :
Dette publique.
40 bâtiments portant 900 canons, montés par
527,852,826 francs.
2,800 hommes, officiers et soldats.
ÉTATS DE TERRE-FERME.
Superficie : 2,597 lieues géographiques carrées. — Population . 4,437,584.
SUPERFICIE POPULATION
PROVINCES.
INTENDANCES.
CHEFS-LIEUX.
en lieues g.c.
en 1852.
143,157
Turin. Ville. ·
144
TURIN ++1, 143,157.
TURIN
Province.
276,486
TURIN.
. . . pignerol
134,0i6
Suse
77
Pignerol f, 14,000.
70
82,078
Suse f.
125,339
Gênes
VILLE.
·
46
184.848
Gênes ++, 125,339.
GÈNES. . . .
Chiavari
Novi
45
116 664
Chiavari, 11,000. — Lavagna.
39
65,250
Levante
Novi, 10,300. - Rupallo, 10,000.
Chambéry
33
79,080
Spezzia. 10,000.— Sarzane t, 9.000.
82
156,051
Chambéry, ++, 1,600. — Aix, 3,600.
CHAMBÉRY
Haute-Savoie. . .
48
51,058
L'Hôpital.
CHAMBÉRY.
MAURIENNE
104
6i,50()
Saint-Jean-de-Maurienne t.
Tarentaise
92
45,841
Moutiers.
Alexandrie
Asti 45
124,344
Alexandrie +, 43,500.
ALEXANDRIE. Voghèra
46
137.635
Asti +, 24,000.
Tortone
19
202,053
Voqhèra, 11,000.
33
59,420
Bobbio
Tortone +, 11,000.
35
37,947
Itobbio f.
Coni 150
180,767
Coni +, 19,000.
CONI
Mondovi
87
148,303
Albe
Mondovi t, 16,000.
Saluces
53
119,·263
Atba f, 8,280.
80
Novare
156,439
Saluces, 14,000.
64
Lomellina
181,411
Novare f, 19,000.
62
139,854
Vigevano f.
NOVARE
Pallanza
42
64 335
Pallanza.
Ossola
70
36,470
Domo-d'Ossola, 2,500.
Valsesia
39
3fi,021
Nice
Mortara, 5,316.
153
NICE
Oneglie
116,616
Nice f. 35.000.
23
60,595
San-Kemo
OneiUe. 5,500.
34
64,8 3
Vintimitle f, 10,000.
Annecy.
80
109 527
Annecy t, 8,300.
ANNECY
Faucigny
102
105,929
Bonneville.
Chablais
Ivrée
46
58,229
Thonon.
Ivrée Aoste 73
168 893
Ivrée f, 3,500.
Savone
16
81,469
Aoste f, 6,000.
40
79,748
Savone f. 16,000.
SAVONE.
Acqui
Algenga
507
101,548
Acqui f, 6,400.
Verceil
34
60.415
Albenga +, 5,000.— Varazze, 8,000.
71
125,234
Verceil ++, 18,000.
VERCEIL. .
Bielle
Casal 48
131,679
liiella t, 8,700.
43
121,860
Casal t, 19,000.
1 Le signe ++ signifie archevêché, elle signe +, cvécl é.

566
LIVRE CENT SOIXANTE-ONZIÈME.
ILE DE SARDAIGNE.
Superficie : 1,259 lieues géographiques carrées. — Population : 552,665.
SUPERFICIE POPULATION
PROVINCES.
INTENDANCES.
CHEFS-LIEUX.
en lieues g c.
en 1852.
Cagliari.
1109,117
Cagliari ++. 30,000.
Iglesias.
42,766
Iglesias +, 5,500.
CAGLIARI.
Isili.. .
48,958
Isili, 2,200.
Oristano.
78,444
Oristano ff, 15,000.
Nuoro .
59,286
Nuoro +, 3.671.
NUORO.
Cuglieri.
37,586
Cuglieri. 4,000.
— Rosa t, 8,000.
Lanusei.
27,530
Lanusei f, 1,500.
Saari.
Alghero
67,317
Sassari ff, 30,000·
34,308
Alghero +, 7,800.
SASSARI.
Ozieri..
24,615
Ozieri f. 9,000.
— Villacidro +, 6,000.
Tempio.
22,738
Tempio f, 9,500.
1 Les intendances de Sicile n'étaient pas encore cadastrées au 1er janvier 1854.
COMMERCE EXTERIEUR DE LA SARDAIGNE.
EN 1830.
EΝ 1851.
Importation
111, 870, 000 fr.
Exportation
93, 866, 000 Importation
129,790,000 fr.
Exportation
73, 133, 000
Mouvement commercial. 205,736,000 fr.
Mouvement commercial. 202,923,000 fr.
MOUVEMENT DE LA NAVIGATION DU PORT DE GÊNES.
EN 1851.
EN 1852.
NAVIRES.
TONNEAUX.
NAVIRES.
TONNEAUX.
Entrées 6.795
Entrées
Sorties
465,589
7,498
557,068
6,723
455,506
Sorties 7,531
542,095
PRINCIPAUTÉ DE MONACO.
REVENUS.
SUPERFICIE.
POPULATION.
VILLES ET VILLAGES.
FORCE ARMEE.
MONACO, 1,200.
* Mentone, 5,000.
50 carabiniers.
1 lieue 1/2
7,000
350,000 francs.
* Roquebrune, 1,500.
330 hommes de garnison sarde.
Monti, 400.
Ces deux villes et leur territoire doivent être cédés moyennant pension à la Sardaigne.

EUROPE. —
567
ITALIE.
GRAND-DUCHÉ DE TOSCANE.
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Description l'Italie. — Description du grand-
duché de Toscane et des duchés de Parme et de Modène.
La partie de l'Italie que nous allons parcourir comprenait, sous la domi-
nation romaine, une partie de la Gaule cisalpine et de VÉlrurie. Les Ana-
mini, peuples, dont l'origine est incertaine, et qui probablement étaient
Celtes, habitaient presque tout le territoire du duché de Parme ; ils avaient
pour limites le au nord, la Trebia à l'ouest, et la Parma à l'est. Au sud
du Pô, les Lingones, et sur le versant septentrional des Apennins les Boii,
peuplade qui faisait partie du peuple dont nous avons parlé à l'article de
la Bohême, étaient établis sur les terres de Modène, de Bologne et de Fer,
rare.
La Toscane ou l'antique Étrurie a été, dès l'époque la plus reculée,
envahie successivement par un grand nombre de nations différentes. Les
plus anciens envahisseurs de cette belle contrée sont les Ombri ou Om-
briens, peuple d'origine celtique, qui en fut chassé par les Pelasgi ou
Pelasges ; ceux-ci le furent à leur tour par des Mœones ou Méoniens qui,
partis de la Lydie, y portèrent leurs arts et surtout leurs croyances religieu-
ses, ce qui leur fit donner le nom de Tusci ou Thusci, Rhasênes, Tyrrhenes
ou Étrusques, peuples d'origine grecque qui imposèrent leur nom à la partie
de la Méditerranée qui baignait les côtes de leur pays, mer Tyrrhénienne,
ou de Toscane; sans doute ces peuples se mêlèrent de bonne heure
aux Ombriens, aux Sicules et à diverses autres populations pelasgiques
de l'Italie ; ils eurent une civilisation assez avancée pour l'époque, se
livrèrent au commerce et cultivèrent les arts. Ils formaient une confé-
dération de douze cités, ayant à leur tète un chef héréditaire ou roi appelé
Lucumon ; leurs assemblées publiques se tenaient à Volsinies dans le
temple de Voltumna. Leurs principales villes étaient Clusium, Perusia,
Arretium, Volaterrœ, Volsinies, Tarquinies, Populonia, Veïes, Fœsules,
Fidenœ, Telamon et Cerœ. L'Etrurie fleurit pendant plusieurs siècles, et
fut une des premières provinces de l'Italie qui furent conquises par les
Romains.

568
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
Au sixième siècle, la Toscane tomba au pouvoir des Goths, qui en furent
les maîtres pendant 60 ans. Alboin, roi des Lombards, la leur enleva et
l'érigea en duché et fief relevant de sa couronne. Charlemagne, après la
conquête de la Lombardie, soumit ce duché à des comtes qui prirent ensuite
le titre de marquis : ils étaient vassaux de l'Empire. Les villes de la Tos-
cane étaient florissantes ; elles étaient régies par des magistrats de leur
choix. Rome, dans la vue d'affaiblir la puissance impériale, engagea ces
cités à former une ligue semblable à celle des villes de la Lombardie : Inno
cent III parvint à ce but. Leur mot de ralliement était l'honneur et l'agran-
dissement du siége apostolique; elles restèrent longtemps fidèles à leurs
engagements. Pise, Sienne et Florence furent les plus importantes de ces
républiques ; leurs chefs portaient le titre de gonfalonier. Au quatorzième
siècle, elles avaient acquis, par le commerce, des richesses considérables;
mais comme si les États usurpateurs devaient toujours finir par être asser-
vis, la république de Florence s'empara de celle de Pise, et bientôt elle
perdit elle-même sa liberté, en devenant le domaine de la maison de Médi-
cis, que d'heureuses spéculations avaient rendue l'une des plus riches de
la ville. Alexandre de Médicis, avec l'appui de Charles-Quint, fut fait duc
de Florence en 4531 ·, son fils obtint du pape et de l'empereur le titre de
grand-duc. Après l'extinction de cette famille en 1737, le grand-duché
passa au duc de Lorraine, qui céda cette province à la France. Ce duc,
parvenu au trône impérial, eut son fis pour successeur; mais la maison de
Lorraine fut dépossédée de ce duché par Napoléon, qui, en vertu du traité
de Lunéville, l'érigea en royaume d'Étrurie, en faveur du prince de Parme,
auquel il passa. Par un sénatus-consulte du 24 mai 1808, les États de
Toscane furent réunis à l'empire français, et divisés en trois départements :
ceux de l'Arno, de la Méditerranée et de l'Ombrone. Un décret du 2 mars
1809 érigea en grand-duché ces trois nouveaux départements-, quelques
jours plus tard, le 6 mars, un autre décret conféra le titre de grande-
duchesse de Toscane à la princesse Élisa, sœur de Napoléon. En 1814,
l'ancien archiduc y rentra, et l'année suivante l'île d'Elbe fut réunie au
grand-duché. Enfin en 1847, par suite de l'abdication du duc de Lucques
et en vertu des traités de 1815, le petit duché de Lucques y était aussi
réuni.
Le grand-duché de Toscane est la plus importante principauté de l'Italie,
Il est borné par le duché de Modène, les États de l'Église et la Méditer-
ranée. Sa superficie est de 1,116 lieues géographiques carrées, et sa popu-
lation était évaluée, en 1852, à 1,778,021 habitants. Ce pays est renommé

EUROPE. — ITALIE. GRAND-DUCHÉ DE TOSCANE.
569
par la fécondité de son sol et par la beauté de ses sites; ses vins sont
recherchés : le rouge rappelle celui de Bordeaux, le blanc est plus fin et
plus délicat que celui de Sauterne ; mais les vents et les inondations détrui-
sent quelquefois les espérances du cultivateur, et le brûlant sirocco y
exerce trop souvent sa funeste influence.
La région que l'on appelle Maremme ou Marernma, parce qu'elle est
près de la mer, est digne d'attention par son humidité pestilentielle, autant
que d'autres portions du duché le sont par leur richesse et leur beauté.
La Maremma s'étend aux environs de Sienne, de Pise et de Livourne, sur
une longueur de 43 lieues; sa superficie est de 1,900 milles carrés d'Ita-
lie, et sa population est à peine de 40 habitants par mille ; cependant c'était
avant la domination romaine la partie la plus peuplée de l'Italie : c'est là
que florissaient les villes étrusques de Rosella, Saturnia, Populonia. Cossa
et Ancedonia dont il reste encore des murailles, des bains, des amphi-
théâtres et d'autres antiques vestiges. Les déprédations des Romains, les
envahissements successifs des barbares l'ont dépeuplée. Dépourvue d'ha-
bitants, elle s'est couverte de bois; les eaux qu'une population industrieuse
retenait dans des canaux formèrent de nombreux marais, dont les exhalai-
sons produisaient les maladies épidémiques qui ont longtemps désolé cette
contrée. Avant que les Tusci ou Rhasenœ s'y fussent établis, elle était pro-
bablement dans le même état qu'aujourd'hui. Ces peuples ont vaincu les
obstacles qu'offrait l'insalubrité du sol, et le pays est devenu florissant. Les
Grecs, peut-être même les Égyptiens, y établirent des colonies ; l'empereur
Claude y avait des maisons de plaisance et des jardins délicieux; la vigne
et les arbres fruitiers s'y propageaient sous l'influence d'un climat.brûlant.
Ses richesses agricoles ont disparu, et maintenant l'œil n'aperçoit plus que
de misérables cabanes de pâtres dans ces lieux mêmes où une population
nombreuse s'agitait et se livrait au travail. Les anciens ducs de Toscane
firent de vains efforts pour repeupler ces terrains marécageux : Côme III
avait fait venir du Péloponèse une colonie de Maniotes : en peu de temps
elle fut détruite par les maladies; une colonie de Lorrains y fut appelée :
elle eut bientôt le même sort. Ce n'était point seulement des bras qu'il
fallait pour rendre ces terres à la culture; il fallait aussi le concours de
quelques hommes instruits dans l'art d'arrêter les funestes effets des exha-
laisons pestilentielles sur la santé des habitants; il fallait enfin que le gou-
vernement dépensât des sommes considérables pour dessécher le sol, et
employât les conseils d'habiles agriculteurs sur le choix des plantes qui
peuvent y prospérer, et qui, avec de la persévérance, doivent dédommager
VII.
72

570
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
le cultivateur de ses peines et de ses travaux. Tous ces moyens ont été
habilement employés ; aujourd'hui la Maremme n'offre plus le spectacle
affligeant d'une contrée pestilentielle, et ces vastes plaines sont devenues
une conquête pour l'agriculture.
Les deux principaux cours d'eau de la Toscane sont VOmbrone et
VArno, qui se jettent dans la mer. L'Arno, alimenté par plusieurs petites
rivières, peut être considéré comme un fleuve ; il faisait autrefois un long
circuit,*mais son cours a été raccourci, retenu par des digues, et les ter-
rains qu'il inondait ont été livrés à la culture. Le val d'Arno, dans les
Apennins, où le fleuve prend sa source, était, au temps des républiques de
Florence et de Pise, embelli par les maisons de campagne des riches négo-
ciants; aujourd'hui cette jolie vallée est peuplée par un grand nombre de
manufacturiers : c'est là que l'on fabrique les toiles qui forment une partie
du commerce de la Toscane, et surtout ces chapeaux de paille, si recher-
chés et si fins, qu'on a peine à croire qu'ils soient faits avec de la paille
ordinaire.
Nous commencerons notre excursion topographique par Livourne, chef-
lieu de gouvernement civil et militaire, et siége d'un évêché. C'est la ville
la plus florissante du grand-duché, par son commerce et son industrie;
c'est une des principales escales de la navigation à vapeur dans la Médi-
terranée, et l'un des entrepôts les plus importants de toute l'Italie, elle doit
ces avantages à la franchise de son port et au chemin de fer qui, de cette
ville, va gagner Florence, Pise, Lucques et les principales villes du grand-
duché.
Livourne n'était qu'une bourgade en 1120; aujourd'hui sa population
dépasse 82,000 âmes, en y comprenant ses 3 faubourgs. Ses rues sont
droites et bien bâties ; ses principaux édifices sont des magasins, l'arse-
nal, 3 lazarets, dont l'un est surtout important par son étendue et sa bonne
tenue, et la synagogue qui est grande et magnifique. Le seul monument
d'art qui soit digne d'attention est la statue en marbre du duc Ferdinand Ier
représenté en vainqueur avec quatre esclaves en bronze à ses pieds. Indé-
pendamment du Dôme et de 14 églises, Livourne possède des temples et des
cimetières de presque tous les cultes. Un grand nombre de négociants juifs
et grecs sont établis dans cette ville ; ses savons sont estimés ; on y travaille
avec art l'albâtre et le corail. Une maladie particulière à son sol est l'oph-
thalmie : on l'attribue à la poussière sablonneuse enlevée par les vents et à
l'humidité du quartier appelé nouvelle Venise ( Venezia), à cause de ses
nombreux canaux ; elle paraît être due, au contraire, à la fraîcheur des

EUROPE. — ITALIE. GRAND-DUCHÉ DE TOSCANE.
571
nuits pendant la saison d'été. Livourne est une des tétes principales du
réseau de chemins de fer de la Toscane, Prenons cette rapide voie de com-
munication qui nous conduira en moins d'une heure à Pise.
Pise capitale d'une préfecture et siége d'un archevêché, est située
sur l'Arno, à un peu plus d'une lieue de son embouchure. Grande
et bien bâtie, elle est une des plus anciennes villes de l'Italie; ses rues
sont larges et garnies de trottoirs, mais presque toujours désertes, excepté
pendant les quelques mois que le grand-duc vient y résider. Au treizième
siècle, époque de sa splendeur, lorsque rivale de Gènes elle formait une
république puissante, sa population était de 120,000 âmes: aujourd'hui,
bien qu'aussi étendue, elle n'en a pas la sixième partie. Son dôme ou sa
cathédrale en marbre est dans le style gothique. C'est un beau monument
du onzième siècle dont on admire les trois portes en bronze. Le Baptistère
est une église destinée aux baptêmes; sa construction remonte à l'an 1152.
La chaire est un chef-d'œuvre de sculpture. Sa voûte gothique est sonore,
et il s'y produit plusieurs effets d'acoustique curieux.
Le plus singulier édifice de Pise est !e Campanile Torto ou la Tour
penchée : sa base, ornée de colonnes, supporte six rangs d'arcades sur-
montés d'une tour d'un diamètre moins considérable que la base ; sa hau-
teur est de 60 mètres ; son inclinaison, depuis le pavé de la place sur
laquelle elle s'élève, est de trois mètres jusqu'au sommet. A la vue de ce
monument, qui date de 1274, il est difficile de décider si l'intention des
architectes, comme on le croit communément dans le pays, a été de le
construire avec cette étonnante inclinaison, ou si, comme le pensent quel-
ques personnes de l'art, cet effet n'est que le résultat de l'affaissement du
sol. Cependant l'opinion la plus probable est que le sol s'est affaissé lors-
qu'elle était à moitié de sa hauteur, et qu'ensuite elle fut continuée sur le
môme plan et dans la même inclinaison. Non loin de cet édifice, les cice-
rone vous montrent avec vénération le Campo-Santo, vaste cour rectan-
gulaire environnée d'un portique et de 24 galeries dont les murs sont
ornés de 41 fresques des quatorzième et quinzième siècles, et très-curieuses
pour l'histoire de l'art : des maîtres fameux y ont travaillé. Plus de 600
tombeaux, la plupart en marbre de Paros, ornent cette religieuse enceinte,
ce cimetière unique dans l'univers, et qui date de l'an 1278. Il renferme,
dit-on, sur une superficie de 1,055 mètres carrés, une épaisseur de 3 mètres
de terre apportée de Jérusalem à l'époque de la troisième croisade : on a
calculé que ce transport a dû employer 50 navires de 300 tonneaux cha-
cun. On prétend que cette terre a la propriété de consumer les corps très-

572
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
promptement. Autrefois cet effet se produisait en 24 heures ; aujourd'hui
on avoue qu'il en faut plus du double, et peut-être qu'en y regardant de
près, on reconnaîtrait qu'il y a erreur dans cette évaluation : de pareils
miracles ont besoin d'être confirmés par des expériences positives.
En remontant l'Arno, le chemin de fer côtoie la route de Pise à Florence,
et passe aux stations de Navacchio, de Cascina, de Pontedera, de Ralta,
de Romano, de Pierino et d'Empoli ; cette dernière est une agréable petite
ville, l'ancienne Emporium, située sur la rive gauche de l'Arno, et peu-
plée d'environ 6,000 âmes. De là, un embranchement se dirige sur Sienne
par Caltel-Fiorentino et Loggibonsi, tandis qu'en continuant d'avancer
vers Florence on passe aux stations de Montelupo, Signa où l'on traverse
l'Arno, et San-Donnino. Bientôt Florence se présente avec ses quatre
ponts et ses quatre quartiers de 2 lieues de tour et de 3 kilomètres de
longueur. Que d'objets d'arts dans celte ville, qui fut pour ainsi dire leur
berceau à l'époque de leur renaissance! L'architecture de la cathédrale,
sous l'invocation de Santa-Maria-del-Fiore, faisait dire à Michel-Ange
qu'il ne croyait pas qu'il fût possible d'en construire une plus belle ; le
Campanile, tour isolée qui s'élève auprès et qui lui sert de clocher, est si
riche d'ornements, qu'elle rappelle le mot de Charles-Quint qu'on devrait
la mettre dans un étui; les trois portes en bronze de l'église du Baptistère,
monument lombard élevé par la reine Théodelinde, sont travaillées avec
tant de goût que Michel-Ange prétendait qu'elles étaient dignes de fermer
l'entrée du paradis.
L'église de Santa-Croce renferme les tombeaux de Galilée, de Michel-
Ange, d'Alfieri, sculpté par Canova, de Machiavel, représenté balançant
le poids d'une épée avec celui d'un rouleau de papier, et de l'illustre Bruni
l'Arélin, que l'on ne doit pas confondre avec son cynique homonyme!
L'ancienne église de Saint-Laurent, qui fut reconstruite en 1425, ren-
ferme les tombeaux des Médicis, dus au ciseau de Michel-Ange, et de beaux
tableaux de l'école florentine.
Parmi les autres édifices religieux de Florence nous citerons la belle
église et le couvent de San-Giovannino ; le couvent et l'église de Saint-Marc;
l'église de l'Annonciade, surmontée d'une belle coupole ornée de pein-
tures; celle de Saint-Ambroise, l'une des plus anciennes de Florence, et
celle de Sainte-Marie-Nouvelle, si intéressante par ses peintures et ses
sculptures. Elle est desservie par des dominicains, dont les préparations
pharmaceutiques ont de la réputation en Italie.
Parmi les palais appartenant à de riches particuliers, il en est plusieurs



EUROPE. — ITALIE. GRAND-DUCHÉ DE TOSCANE.
573
qui mériteraient d'être décrits, si ces détails ne devaient pas nous entraî-
ner trop loin : tels sont le grand et massif palais Riccardi, dont la galerie
sert aux séances annuelles de l'académie de la Crusca; l'élégant palais
Pandolfini, le magnifique palais Borghèse, le simple et majestueux palais
Peruzsi, plus connu aujourd'hui sous le nom de Cellesi; le vaste palais
Corsini, et le palais Strozzi, regardé comme un chef-d'œuvre d'architec-
ture florentine.
Le palais ducal, appelé Palazzo Pitti du nom du gentilhomme floren-
tin qui le fit construire en 1640, porte un caractère de solidité qui lui
promet encpre des siècles de durée. Il renferme de nombreux appartements
et de riches collections de toute sorte. Au nord de cet édifice se trouve la
fameuse galerie de Florence, a laquelle on communique par un corridor
de 600 pas de longueur; c'est là que l'on peut juger de la magnificence
des Médicis! c'est là qu'on peut contempler la célèbre Vénus qui porte
leur nom, l'admirable groupe de Niobé, et d'autres statues antiques qui
furent pendant longtemps les principales richesses du Louvre ; c'est là que
sont réunis quelques-uns des chefs-d'œuvre des plus grands peintres de
l'Italie, et de bons tableaux des écoles française et flamande; environ
15,000 médailles antiques et 4,000 camées tant anciens que modernes;
enfin une magnifique suite d'antiquités étrusques, grecques et romaines.
La bibliothèque Laurenlienne est un établissement unique dans son
genre : elle renferme environ 9,000 manuscrits qui, suivant un usage du
seizième siècle, époque à laquelle elle fut complètement organisée, sont
posés sur des pupitres auxquels ils tiennent par une chaîne de fer. On y
remarque un Virgile du quatrième ou du cinquième siècle : c'est le plus
ancien que l'on connaisse. Une précieuse collection des premières éditions
des classiques grecs et latins complète les richesses de cette bibliothèque,
qui ne possède pas d'autres livres. La bibliothèque Riccardi, devenue
propriété de la ville, est publique depuis 1811 : elle se compose de 23,000
volumes et de 3,500 manuscrits. La bibliothèque Marucelli, voisine de la
Laurentienne, est regardée comme une dépendance de celle-ci; elle a
45,000 volumes. Enfin la Maglia Becchiana, fondée par Maglia Becchi,
que l'on vit, après avoir été 40 ans orfèvre, devenir bibliothécaire du grand-
duc Côme III, est la plus grande bibliothèque de Florence : elle renferme
150,000 volumes et 12,000 manuscrits.
A ces anciens dépôts littéraires, Florence joint plusieurs autres collec-
tions d'études, telles qu'un musée de physique et d'histoire naturelle enri-
chi de la belle suite d'objets anatomiques exécutés en cire sous la direction

574
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
du célèbre Fontana ; un jardin d'horticulture, qui appartient à l' académie
des Géorgophiles ; un observatoire, que possède la société des Scuole-Pie,
et l'établissement de lu taille des pierres dures, annexé à l'académie impé-
riale et royale des beaux-arts. Outre la société que nous venons de nom-
mer, il existe l'académie de la Crusca, l'athénée italien et la société Colom-
baria.
A Florence les places publiques sont belles et, pour la plupart, ornées de
statues; mais la plus remarquable de ces places est celle du Grand-Duc,
sur laquelle s'élèvent le Palazzo vecchio, monument aussi curieux que
gigantesque, jadis habité par les Médicis, et la Loggia dei Lanzi, superbe
portique où l'on voit de très belles statues.
Les trois théâtres de Florence n'offrent rien de remarquable, du moins
sous le rapport de la construction : cependant nous dirons que celui de la
Pergola est un des plus vastes de l'Italie.
Il faudrait entrer dans de plus longs détails pour donner une idée conve-
nable des établissements de bienfaisance que possède Florence; nous
nous bornerons à citer les trois plus importants : l'hôpital de Santa Maria
Nuova, celui de Bonifazio, et celui de San GiovannidiDio. Mais il existe,
depuis le treizième siècle, une confrérie de la Miséricorde, dans laquelle
se font recevoir les philanthropes zélés et même les plus grands seigneurs.
Florence est une ville archiépiscopale, chef-lieu de préfecture; son indus-
trie est très-variée, son commerce très-étendu ; sa population atteint
110,000 âmes.
Dans ses environs on remarque un grand nombre de maisons de cam-
pagne, parmi lesquelles on doit citer le Paggio-impériale et le Pratolino,
où s'élève le fameux colosse dû au ciseau de Jean Bologna, et qui repré-
sente l'Apennin.
Si de Florence on se dirige vers le nord, en prenant le chemin de fer de
Lucques et en laissant sur sa droite la petite ville de Fiesole, on voit, sur
les bords du Bisenzio, Prato, station du chemin de fer, petite ville indus-
trieuse de 12,000 âmes, dont le marché est l'un des plus fréquentés de la
Toscane. Célèbre par sa procession du vendredi-saint, elle est remar-
quable par sa cathédrale gothique, son élégante église de la Madone delle
Carceri, et le palais du tribunal, ancienne forteresse. A la station suivante
nous arrivons à Pistoja, chef-lieu de préfecture et siége épiscopal, peuplée
de 13,000 âmes, qui se présente ensuite au pied de l'Apennin ; il est peu de
villes en Italie dont les rues soient aussi larges et aussi droites. Elle formait
autrefois une république; aujourd'hui elle est connue par ses canons de

EUROPE. — ITALIE. GRAND-DUCHÉ DE TOSCANE.
575
fusil, son commerce de soie et dé chapeaux de paille. Son antique cathé-
drale est riche en objets d'art de la plus grande beauté. Dans ses environs,
nous ne devons pas oublier San Marcello, petit bourg de 1,200 âmes, fort
important par sa grande industrie et ses nombreuses fabriques de papier et
de chapeaux de paille. Pescia, autre station du chemin de fer, est une
petite ville commerçante qui renferme 5,000 âmes ; elle est très-indus-
trieuse et renferme des usines importantes. La voie ferrée pénètre ici dans
l'ancien duché de Lucques ; le territoire devient très-montagneux ·, l'agri-
culture et l'industrie y sont plus développées que dans le sud de l'Italie, et
les habitants, plus nombreux, puisque l'on en compte 2,800 par lieue car-
rée, sont très-laborieux et fort intelligents.
Lucques, naguère capitale du duché de ce nom, est aujourd'hui chef-lieu
de préfecture ; c'est une ville archiépiscopale fameuse dans les annales de
l'Italie ; elle compte plus de 30,000 âmes. Celte ville est située sur les bords
du Serchio; elle est généralement assez mal bâtie. Les seuls édifices dignes
de fixer l'attention sont le nouveau palais ducal, la cathédrale et l'aqueduc
construit il y a quelques années. Lucques possède une université impor-
tante, une bibliothèque et une académie des sciences : dans ses environs,
près de Borgo a Mezzano, petite ville de 800 habitants, on visite l'éta-
blissement thermal des bains de Lucques; ils sont tres-fréquentés dans la
belle saison. Le chemin de fer de Lucques doit, dans un avenir prochain,
se souder à celui du Piémont, par Sarzane et Gènes. Sur les bords de la
mer, Via-Reggio est une petite ville de 6 à 8,000 âmes, florissante par son
commerce de cabotage; ses bains de mer y attirent un grand nombre de
baigneurs.
Visitons maintenant les villes qui sont au sud de la capitale. Nous ren-
contrerons d'abord, à une lieue à l'est du canal qui unit l'Arno et la Chiana,
Arezzo, chef-lieu de préfecture et siége épiscopal, ville antique dont le
nom latin Aretium dérive, selon quelques auteurs, de celui d'Aretia, sur-
nom de Vesta,et selon d'autres, du nom oriental Aretz, qui peint parfaite-
ment sa situation et qui signifie lieu agréable sur les eaux. Elle était célèbre
chez les Etrusques par ses poteries, son vin et sa fontaine qui rendait des
oracles. Le plus bel édifice de cette ville de 1,200 âmes, est la Loggia, qui
comprend la douane, le théâtre et le portique de 125 mètres de longueur.
On cite encore sa majestueuse cathédrale, monument du treizième siècle,
qui possède de belles archives, et la maison où naquit Pétrarque. Que
d'hommes célèbres sont nés dans cette ville! C'est la patrie de Mécène, du
martyr saint Laurent, de Pétrarque, de Guy ou Guido qui inventa ou

576
.
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
retrouva les notes de musique, du pape Jules II et de Concini, maréchal
d'Ancre. A 8 lieues au nord, dans les Apennins, on voit le fameux couvent
de l'ordre des Camaldules, fondé au commencement du onzième siècle.
Au sud-est d'Arezzo, Corlona est bâtie sur le penchant d'une montagne
qui domine une belle plaine, bordée par les agréables rivages du lac de
Pérouse ou de Trasimène. Elle est, dit-on, bâtie sur les ruines de Cory-
thum, dont parle Virgile, et qui n'existait plus de son temps. On y voit
encore des murailles cyclopéennes, et qui furent élevées par les plus
anciens peuples de l'Étrurie. L'enceinte paraît être la même que celle de
la ville antique ; on croit aussi que les portes modernes sont à la même
place que les portes anciennes. Sa cathédrale date du dixième ou onzième
siècle. Quoique très-petite, Cortone possède, depuis l'année 4726, une
académie étrusque qui s'est rendue utile par ses travaux et par ses riches
collections.
Sienne, jadis la rivale de Florence et de Pise, est aujourd'hui bien
déchue de son antique splendeur, et au lieu de 150,000 habitants qu'elle
comptait autrefois, elle en a seulement 22,000. C'est cependant encore
une des plus belles villes de l'Italie ·, elle est située au milieu d'une contrée
montagneuse et presque au centre de la Toscane; c'est un chef-lieu de
préfecture, un siége archiépiscopal, et elle possède une université et une
académie des sciences. Le plus remarquable de tous ses monuments est sa
belle cathédrale ; le palais public, le palais du grand-duc et l'ancien palais
Piccolomini viennent ensuite.
Sienne possède encore quelques grandes manufactures de soie, restes
de son ancienne industrie. Son importance s'accroîtra encore lorsque le
chemin de fer qui la joint à Florence aura été continué jusqu'à Rome.
Sienne, cité étrusque, reçut d'Auguste, avec une colonie romaine, le
nom de colonia Senensis. C'est la ville de Toscane où l'on parle l'italien
le plus pur; elle avait autrefois une académie des imbéciles (intronati)
qui fut un instant célèbre. Ses habitants sont gais, instruits et spirituels.
C'est la patrie de Socin, le chef de la secte des Unitaires, qui rejettent le
mystère de la Trinité, en considérant Jésus-Christ comme participant de
la divinité, mais inférieur à Dieu.
La ville a pour patronne une sainte Catherine, aussi célèbre dans le
pays que sainte Geneviève à Paris. Née au quatorzième siècle et fille d'un
simple teinturier, elle a joué un rôle important dans les affaires ecclé-
siastiques de l'Italie ; elle fut choisie pour engager Grégoire XI à quitter
Avignon, et à rétablir le trône pontifical à Rome.

EUROPE. — ITALIE. GRAND-DUCHÉ DE TOSCANE.
577
Monlepulciano, chef-lieu de sous-préfecture et siége episcopal, est remar-
quable par sa situation sur le sommet d'une haute colline ; elle est ornée
de quelques grands édifices, et a une population d'environ 3,000 âmes.
Le vin que l'on récolte dans ses environs est réputé un des meilleurs de
toute l'Italie.
En allant de Sienne à Livourne, on traverse d'abord la petite et indus-
trieuse ville de Colle, siége d'un évêché, dont la cathédrale est un beau
monument du treizième siècle; puis l'antique cité étrusque de Volterra,
qui n'a pas changé de nom, mais dont la population, jadis de 100,000 âmes,
est aujourd'hui réduite à 5,500. C'était une des 12 principales cités de
l'Étrurie. Les énormes murailles cyclopéennes qui l'entourent encore;
ses portes antiques, dont une appelée VArco rappelle le temple d'Hercule
qui en était voisin; le grandiose de sa*cathédrale du seizième siècle; le
palais del Publico qui date du treizième, et dans lequel on a élabli la biblio-
thèque et le musée d'antiquités, riche en monuments précieux qui attestent
l'éclat de la civilisation étrusque; enfin les thermes, qui paraissent avoir
précédé ceux des Romains, donnent un grand intérêt à Volterra.
Volterra est importante par ses riches sources salées, par ses précieuses
carrières d'albâtre, et par ses fameuses lagunes, qui fournissent à l'Europe
presque tout le borax dont ses immenses fabriques ont besoin.
De Volterra, rapprochons-nous de la mer et gagnons les bourgs de
Rosignano et de Bibbona, situés sur la route de Rome, et qui, si l'on pour-
suit un projet adopté, doivent sous peu être des stations du chemin de fer
de Libourne à la capitale du monde chrétien. Nous rencontrerons un peu
au sud et sur les bords de la Méditerranée le petit port de Piombino, situé à
peu de distance de l'ancienne ville étrusque de Populonia, qui fut détruite
au neuvième siècle par le patrice Nicée et dont on voit encore plusieurs
de ses murailles sans ciment. A quelque distance de ces murailles, on
aperçoit des ruines considérables que l'on croit être celles d'un vaste
temple, ou les ruines de l'antique Velulonia. Piombino est bâtie sur un
rocher, elle donne son nom à un golfe voisin. L'air y est malsain, et sa
population, que le paix et le commerce n'ont point augmentée, est d'en-
viron 2,400 habitants.
Grosetto, chef-lieu de préfecture et siége épiscopal est située au centre
d'une vaste plaine qui s'étend entre l'Ombrone et les marais de Casliglione
della Pescaja ; on y admire une belle cathédrale, un seminaire et un beau
puits foré; elle a une population de plus de 3,000 âmes.
Au sud de la précédente, Orbetello ou Orbilello, sur le bord d'un lac de
VII.
73

578
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
2 licues de longueur, et non loin de la mer, est une petite ville où l'on a
découvert un grand nombre de tombeaux étrusques dans lesquels on a
trouvé de précieuses antiquités.
De Piombino on découvre distinctement l'île d'Elbe, qui n'est qu'à 3 lieues
du continent. Au treizième siècle, elle était soumise aux Pisans ; les Génois
la leur enlevèrent. Elle fut tour à tour un objet d'envie pour les ducs de
Milan et la couronne des Deux-Siciles, qui la céda à la France en 1801.
Sa population est de 16,000 âmes. Elle est devenue à jamais célèbre dans
l'histoire par le séjour qu'y fit Napoléon, à qui elle fut donnée en souve-
raineté par le traité de 1814, et qui, en la quittant le 25 février 1815, pour
revenir en France, attira sur ce royaume une seconde invasion des armées
étrangères, plus désastreuse encore que la première. La capitale de l'île est
Porto-Ferrajo, dont le nom rappelle les mines de fer doses environs ; c'est
une petite ville qui possède un bon port sur la côte septentrionale et qui est
peuplée de 5,000 habitants. Les fortifications qu'on y a élevées la rendent
une des places les plus fortes de l'Europe. Sur la côte orientale, Porto-
Longone, petite ville de 2,000 âmes, est défendue par une forteresse bâtie
sur un rocher : son port est appelé La Marina, du nom d'un faubourg.
Le grand-duché de Toscane est un des pays les plus intéressants de la
péninsule italique. Il doit aux lumières du grand-duc Léopold 1er qui de
bonne heure y introduisit de nombreuses réformes libérales, la longue
prospérité dont il jouit depuis plusieurs années, prospérité qui, un instant
troublée en 1848 et 1849, semble renaître de nouveau depuis 1850. Le
grand-duc appartient à la maison d'Autriche, et dans ces derniers temps,
s'est placé sous la protection de cet empire.
La superficie du grand-duché est de 116 lieues géographiques carrées-
et sa population était évaluée à 1,778,021 habitants. Le grand-duc est un
prince absolu qui nomme son ministre avec lequel il partage les fatigues
du gouvernement. Le territoire est partagé en 6 départements et 2 gou-
vernements. Les revenus étaient évalués pour 1853 à 36,376,400 lires
(la lire vaut 0 fr. 84 c. ), et les dépenses à 36,308,800 lires, mais sans
comprendre dans ce dernier nombre les frais d'occupation de 8 ou 10,000
hommes de troupes autrichiennes qui tiennent garnison, momentanément
il faut l'espérer, dans le pays , et dont l'entretien est à la charge de la
Toscane.
Les lumières de l'enseignement se répandent rapidement dans un pays
de peu d'étendue qui possède un grand nombre d'établissements litté-
raires. Le» principaux sont : l'académie des beaux-arts et l'institut poly-

EUROPE. — ITALIE. DUCHÉ DE PARME.
579
technique de Florence, l'institut des beaux-arts et l'académie de Lucques,
l'institut de Sienne, les académies de la Crusca del Cimento et des Gcor-
gofili, etc. Les deux universités de Pise et de Sienne ont été réunies
depuis 1851 en une seule, mais les deux villes se sont partagé les facultés:
Sienne a conservé la théologie et le droit-, la philologie, la philosophie, la
médecine, la chirurgie, les mathématiques, les sciences naturelles appar-
tiennent à la ville de Pise. L'instruction primaire est plus répandue que
dans les autres Etats italiens ; cependant elle laisse encore à désirer sous
ce rapport. La population agricole en Toscane est d'environ 79 sur 100
de la population totale; mais l'agriculture est peu avancée et ne produit
pas assez de céréales pour les besoins du pays. Le système d'exploitation
qui prédomine est le métayage. L'armée est de 12 à 15,000 hommes;
elle se compose d'un régiment de ligne, d'un régiment de cavalerie, d'un
régiment de vélites, d'un régiment d'artillerie et d'un régiment de gendar-
merie; ce dernier est le seul dont les cadres soient bien au complet. Le
commerce maritime qui consiste surtout dans le cabotage a quelque impor-
tance; il se fait à l'aide de 911 bâtiments jaugeant 37,506 tonneaux. Nul
doute que si ce pays était livré à lui-même et débarrassé de l'occupation
étrangère, il trouverait dans la richesse de son sol et l'activité industrieuse
de ses habitants les éléments d'une prospérité durable.
Lorsque Charlemagne porta ses armes victorieuses en Italie, il s'empara
de Parme et de Plaisance ; mais il n'est pas plus prouvé qu'il en ait fait la
donation au saint-siége, qu'il n'est prouvé que le nom de Parme lire son
étymologie du bouclier rond appelé Parma, dont se servaient les Anamani,
Toutefois, soit par adresse, soit par l'influence que les lumières et la reli-
gion donnaient aux papes sur des princes ignorants et superstitieux, Rome
fut longtemps en possession de ces deux villes. Plus lard elles se gouver-
nèrent en républiques; mais les divisions intestines et les querelles des
Guelfes et des Gibelins les firent passer tour à tour au pouvoir des Cor-
réges, des Scaligers, des Viscontis, des Sforces et des papes. Lorsque l'un
des plus intrigants de ces princes de l'Eglise, Jules II, eut organisé en
1512 la grande ligue des rois contre la France, il se fit donner par l'empe-
reur Maximilien les duchés de Parme et de Plaisance. En 1547, Paul III
en disposa en faveur de son fils Louis Farncse, qui fut assassiné deux ans
plus tard, et dont les descendants en jouirent jusqu'à l'époque où Elisabeth
Farnèse, héritière de cette famille, porta en dot ces deux duchés dans la

580
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
maison de Bourbon, en épousant Philippe V, roi d'Espagne. Les infants
don Carlos, don Philippe, et le fils de ce dernier, en furent successivement
possesseurs ; mais en 1805, les deux duchés furent réunis à l'empire fran-
çais, et formèrent le département du Taro, dans le royaume d'Italie. Napo-
léon en détacha seulement l'ancien duché de Guastalla, qu'il donna à sa
sœur Pauline, et réserva le titre de duc de Parme à l'archichancelier Cam-
bacérès, et celui de duc de Plaisance à l'architrésorier Lebrun. En 1814,
les anciens duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla furent donnés,
en toute souveraineté, par le congrès de Vienne, à l'archiduchesse Marie-
Louise, et depuis la retraite de celle princesse, ils appartiennent à un
prince de la maison de Bourbon-Anjou, qui y règne en prince absolu mais
sous le protectorat autrichien.
Les Etats de Parme se composent du duché de ce nom, de celui de Plai-
sance et du territoire de Pontremoli. Leur superficie est de 288 lieues
géographiques carrées, et leur population en 1852 était de 502,841 habi-
tants. Ils sont bornés au nord par le Pô, à l'est par le duché de Modène, au
sud par le même duché et par celui de Toscane, et à l'ouest par les posses-
sions sardes.
Parme, la capitale et la plus importante ville du duché, est située sur le
bord de la Ρarma, torrent qui reste à sec tout l'été. C'est une ville épisco-
pale qui compte 40,000 âmes ; ses vieux murs et ses bastions forment un
circuit de 4 milles: ses rues sont larges cl bel'es, et ses places spacieuses;
mais l'aspect général de cette ville est triste ; ni les habitations ni les édi-
fices ne se font remarquer par leur architecture. A l'exception de la cathé-
drale, bâtiment dans le style gothique, cl d'un aspect imposant, les églises
et les palais sont aussi simples dans leur construction, aussi modestes dans
leurs ornements qu'ils sont riches en tableaux précieux. On admire à la
cathédrale la coupole peinte par le Corrége ; dans la chapelle de Sainte-
Agathe, un riche cénotaphe a été élevé à Pétrarque, qui était archidiacre
et chanoine de cette église. Une simple pierre indique la sépulture d'Au-
gustin Carrache. Le vieux palais ducal ou Farnèse, construit en briques,
ressemble plus à un couvent qu'à la demeure d'un prince; il renferme
l'académie des beaux-arts, la bibliothèque et le plus vaste théâtre de l'Ita-
lie, chef-d'œuvre de Vignole, qui frappe d'étonnement par sa majestueuse
construction et par les belles proportions de toutes ses parlies : il peut
contenir 4,500 spectateurs, et sa coupe est si bien calculée, que de tous les
points de la salle l'œil embrasse la scène, et que l'on peut entendre celui
qui parle à voix basse sur le théâtre. On regrette qu'un si bel édifice ne

EUROPE. — ITALIE. DUCHÉ DE PARME.
581
soit point utilisé, et qu'il soit même devenu une espèce de ruine : on n'y
joue plus depuis près d'un siècle, et dans une autre partie de la ville on a
construit, depuis peu d'années, une salle moins grande, mais d'une belle
dimension.
L'ancien palais ducal a été surnommé palazzo di Giardino; il attire les
curieux par ses belles fresques d'Augustin Carrache, plutôt que par son
jardin dessiné à la française. Le pont, construit dans ces derniers temps
«sur le Taro, est un des plus beaux que renferme l'Italie. Parmi les nom-
breux établissements d'instruction de celte ville, nous citerons ses écoles
supérieures de chirurgie, de médecine et de philosophie, qui tiennent lieu
de l'université qui a été supprimée. Celte ville doit être unie par un che-
min de fer à la grande ligue du royaume Lombard-Venitien. Borgo San-
Donino est une petite ville épiscopale d'environ 5,000 âmes, chef lieu de la
province du même nom, elle est située à 5 lieues au nord-ouest de Parme.
Plaisance est digne de quelque attention. Entourée comme Parme de
remparts et de fossés, elle est mieux bâtie, les palais y sont plus nombreux ;
mais sa population est trop faible pour son étendue : on y compte 28,000
habitants. Depuis le pillage de cette cité par François Sforze, en 1448,
elle n'a pu se relever. Le palais ducal ou Farnèse, construit en briques, de
même que celui de Parme, annonce la puissance des Farnèse et le talent
de Vignole qui en fit les dessins. Cet édifice, qu'on nomme aussi la Cilla-
della, est resté inachevé. On le laisse même se dégrader. Plusieurs autres
constructions attirent les regards; mais, comme un autre Versailles, Plai-
sance n'a que des rues larges, droites et désertes dont la principale res-
semble plutôt à une grande route qu'à une rue. La place du palais est
décorée de deux statues équestres en bronze, représentant deux princes
de la maison Farnèse : Alexandre et son fils Ranuccio. Le palais public,
bâti vers la fin du treizième siècle, est un majestueux édifice gothique. La
cathédrale, reconstruite au commencement du douzième, est un beau
monument dans le même style. La bibliothèque publique renferme
30,000 volumes. Cette ville est défendue par une citadelle, dans laquelle
les Autrichiens tiennent garnison. Elle possède aussi une école supérieure
de jurisprudence. Celte ville a donné naissance à Ferrante Pallavicini,
ecclésiastique célèbre au dix-septième siècle, autant par ses écrits que par
sa fin tragique; à Laurent Valla, qui contribua, au seizième siècle, à faire
renaître dans toute sa pureté la langue latine en Italie; et à Grégoire X,
qui ordonna qu'à la mort d'un pape les cardinaux seraient renfermés dans
un conclave jusqu'à l'élection d'un nouveau pontife.

582
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
Près de Plaisance, les franciscains ont un couvent dont l'église,.appe-
lée Santa-Maria-di-Campagna, est remarquable par sa belle coupole
ornée de fresques.
Au-dessus de Plaisance, le bourg de Campre-Moldo est le Campo-Morto
près duquel Annibal défit les Romains à la balaille de la Trébia ; à 6 lieues
de la ville, on a découvert, en 1760, les restes de la cité de Vellia, qui
paraît avoir été détruite par un tremblement de terre, et qui est recouverte
de plus de 7 mètres de roches et de terre. Le grand nombre d'ossements,
de médailles et d'objets précieux déterrés jusqu'à ce jour, prouvent que les
habitants, comme ceux d'Hereulanum, n'eurent pas le temps de fuir et
furent engloutis avec leurs richesses. On sait que cette cité était le chef-
lieu de plus de 30 villes ou bourgs, dont les noms, inscrits sur une table
de bronze conservée à Parme, sont encore la plupart semblables à ceux
d'un grand nombre de villages des environs. Pontremoli, sur la Macra,
au pied de l'Apennin et à rentrée du col du même nom, franchi plu-
sieurs fois par les Français, depuis Charles VIII, est une petite ville épis-
copale, capitale de la Lunigiane parmesane. Elle est défendue par une
citadelle, possède un séminaire et une belle cathédrale, et fait un petit
commerce de toiles.
Le commerce du duché est peu considérable : Parme ne possède que
quelques fabriques de taffetas, de bonneteries et de liqueurs ; le riz et la
soie sont les principaux produits du duché. On recueille annuellement,
près de Salzo-Maggiore, à 10 lieues au sud de la capilale, 30,000 quin-
taux de sel, qui ne forment à peu près que les deux tiers de sa consomma-
tion. On retire des sources salées qui servent à ces exploitations une
grande quantité d'huile de pétrole, qui est utilisée dans le pays.
Le duché de Modène, situé entre le royaume lombard-vénitien,le duché
de Parme, celui de Lucques et les États de l'Église, occupe une longueur
de 32 lieues et une largeur moyenne de 10 à 14. Il se compose des anciens
duchés de Modène, de Reggio, de Guastalla, de Mirandola, et de Massa-
Carrara, des petites principautés de Carpi, de Correggio, et de Novellara,
ainsi que de la seigneurie de Garfagnana. Sa superficie est d'environ
317 lieues carrées, et sa population était évaluée, en 1850, à 586,458
habitants.
Le sol y est en général fertile et bien cultivé; le climat y est doux et
sain ; on y élève un grand nombre de vers à soie et d'abeilles: on y trouve
du fer, du soufre, du pétrole, du plâtre, plusieurs sources minérales, dont

EUROPE.—ITALIE. DUCHÉ DE MODÈNE.
583
la plus fréquentée est celle d'Aquaria. On y exploite des marbres dont le
pluslèbre est celui de Carrare. Cet État, après avoir appartenu aux
papes, aux Vénitiens, aux ducs de Milan, de Mantoue, de Ferrare, et à
quelques petits princes particuliers, appartint, dès le treizième siècle, à la
maison d'Este qui régnait à Ferrare. Il fut érigé en duché en 4453. En
1796, il fut réuni à la république cisalpine, et fit ensuite partie du royaume
d'Italie ; mais l'archiduc François d'Este, héritier par sa mère de cet
ancien duché, en prit possession en 1814. Le gouvernement est encore,
dans le duché de Parme, un gouvernement absolu, sous le protectorat de
l'Autriche.
Modène, capitale du duché, ville agréable et bien bâtie, située sur un
canal et sur un chemin de fer qui l'unit à la grande ligne, lombardo-véni-
tienne, entre la Secchia et le Panaro, compte environ 28,000 âmes. Ses rues
sont ornées d'arcades; elle n'a de remarquable que le vaste palais ducal,
isolé au milieu de la grande place. Cet édifice est d'une grande magnifi-
cence, et d'une étendue hors de proportion avec la petitesse de l'État du
souverain qui l'habite. Il renferme une galerie de tableaux des principaux
maîtres de l'école italienne, ainsi qu'une bibliothèque où l'on compte
90,000 volumes et 3,000 manuscrits. La cathédrale de Modène est un
monument gothique, dans le genre lombard, de la fin du onzième siècle :
elle esL remarquable sous plusieurs rapports et entre autres par sa tour,
l'une des plus hautes de l'Italie, et où l'on conserve encore, suspendu à sa
chaîne, le célèbre seau de sapin conquis sur les Bolonais, et chanté par
Tassoni, dans un poëme intitulé la Secchia rapila. La grande église de
Saint-Augustin conserve les restes de deux célèbres érudits, l'honneur de
Modène : Sigonio et Muratori. Cette ville possède quelques établissements
littéraires, entre autres une école de droit et une école de médecine, qui
remplacent son ancienne université. Elle est défendue par une citadelle
occupée par les Autrichiens.
Finale, ville de plus de 6,000 âmes, est remarquable par sa position,
presqu'au confluent du Panaro et du Pô, et parce qu'elle est le centre
d'un commerce assez étendu. Carpi, cité épiscopalc d'environ 5,000 habi-
tants, possède plusieurs belles églises; elle est sur le chemin de fer de
Modène à Mantoue. Guastalla, capitale de l'ancien duché du même nom,
est à une petite distance de la rive droite du Pô; c'est une ville épiscopale,
chef-lieu de district, qui compte environ 7,000 âmes.
La ville de Reggio, jadis Rhegium Lepidi, qui fut ruinée par les Goths
et rétablie par Charlemagne, passa sous la domination de la maison d'Este,

584
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
après avoir été longtemps gouvernée par ses propres magistrats ; elle était
jadis la capitale d'un duché dont le titre fut rajeuni par Napoléon faveur
d'un de ses plus braves capitaines. Cette ville, la seconde des États de la mai-
son d'Este, est le siége d'un évêché, et a vu naître l'Arioste. Elle est bien
bâtie, d'un aspect agréable et gai, et renferme un grand nombre de cou-
vents; on y fabrique des étoffes de soie. Sa population est estimée à 18 ou
20,000 âmes. Ses principaux édifices sont un palais ducal, la cathédrale,
dédiée à la Vierge, et qui offre en petit le modèle de la basilique de Saint-
Pierre de Rome. La ville possède aussi un théâtre, une bibliothèque
publique et un musée d'histoire naturelle, formé en grande partie de celui
que possédait Spallanzani. Dans ses environs on remarque l'hospice de
Saint-Lazare, maison d'aliénés fort bien tenue.
A 4 ou 5 lieues au sud-ouest de Reggio, le petit bourg de Canossa
mérite d'être mentionné: on y voit un château royal devant la porte duquel
l'empereur Henri IV vint pieds nus pendant trois jours au milieu de l'hiver
de l'année 1077, demander son pardon à Grégoire VII qui l'avait excom-
munié.
Entre Modène et Reggio, la campagne est belle, fertile, et les coteaux
voisins sont couverts de maisons de plaisance et de vignes qui se marient
agréablement avec des arbres qui produisent des fruits délicieux. Au nord
du duché, la petite ville de Mirandola ou de la Mirandole est célèbre par
son dernier prince, qui fut, même avant l'âge de l'adolescence, un prodige
d'érudition, et qui renonça à sa principauté pour se livrer aux sciences.
Celte ville, qui n'a que 8,000 âmes, est importante par ses fortifications,
cependant assez mal entretenues, et par son industrie : on y file la soie, la
laine et le lin.
Le duché de Massa, qui dans ces dernières années a passé par héritage
au duché de Modène, n'a que 10 à 11 lieues de superficie. Ce petit coin de
l'Italie est l'un des plus beaux pays que l'on puisse voir ; il est difficile de
trouver une vallée plus romantique que celle de Fiume-Frigido, torrent
qui descend des montagnes et qu'alimente la fonte des neiges. Dans sa
partie la plus élevée, celte vallée est étroite et ombragée par de beaux
arbres qui concourent à y entretenir la fraîcheur-, à son extrémité, elle
s'élargit et devient magnifique. Alors que les chaleurs de l'été commencent
à dessécher les plaines, on voit la neige et la verdure des pâturages former,
par l'effet de la perspective, de longues bandes sur le flanc des montagnes.
Ce duché a fait partie de la principauté de Lucques et de Piombino, que
gouverna sous l'Empire la princesse Élisa Bacciochi, sœur de Napoléon;

EUROPE.ITALIE. DUCHÉ DE MODÈNE.
585
et le titre de duc de Massa-Carrara fut donné au grand-juge Regnier.
Eu 1814, la principauté fut restituée à l'archiduchesse Marie-Béatrix, pour
retourner après elle à son fils, le duc de Modène. Massa, ville épiscopale,
est petite, mais belle, dans une plaine agréable, entourée de montagnes, et
à peu de distance de la Méditerranée. La petite ville de Carrare, peuplée
d environ 5,000 âmes, ne doit son importance qu'à ses inépuisables car-
rières de marbre, exploitées depuis plus de 2,000 ans; la plus grande
partie des montagnes de ses environs ne sont composées que de marbre,
sur une longueur de deux lieues et sur une hauteur d'environ 400 à 800
mètres. C'est surtout au Monte-Sacro qu'on l'exploite. Le plus beau et le
plus blanc est uni à celui qui n'est destiné que pour la construction des
édifices. On en exporte annuellement environ 16,000 mètres cubes, qui
forment le chargement de plus de 100 navires. Les droits de sortie de
celte matière recherchée pour le ciseau du statuaire forment une partie
importante des revenus du duché. La richesse presque inépuisable des
carrières de Carrare fait la prospérité de 5,000 âmes ; la difficulté que pré-
sente le choix du marbre, et principalement celle du transport, engagent
plusieurs sculpteurs à y séjourner, et font de cette petite ville un rendez-
vous d'artistes. Elle possède d'ailleurs une académie et une école popu-
laire de sculpture, où les enfants sont admis dès l'âge le plus tendre; aussi
a-t-elle produit un grand nombre de sculpteurs, parmi lesquels on cite
Danese Cattaneo, Ghirlanda et les deux Tacca.
Nous devons constater avec peine que les petits États de Parme et de
Modène ne jouissent que d'une indépendance nominale; ils ne sont à pro-
prement parler que des États vassaux de l'Autriche, qui leur impose leurs
souverains, lient garnison dans leurs capitales et leur dicte ses lois. Que
doit-on attendre, que peut-on exiger d'un peuple soumis à de pareilles
entraves!
TABLEAUX statistiques du grand-duché de Toscane et des duchés
de Parme et de Modène.
GRAND-DUCHÉ DE TOSCANE.
SUPERFICIE
POPULATION
POPULATION
FINANCES
ÉTAT MILITAIRE
en lieues g.c.
en 1852.
par lieue carr.
en 1852.
en I853.
Dépenses.
Artillerie 1, 320 hom.
320,474 familles
36,308,800 lires 1.
intanterie, 16 bat. 10,748 —
1,118
ou
1,500
Caval et gendarm.
2,500 —
1,778,021 habitants,
Revenus.
36,376,400 lires.
Total. . . 14, 568 hom.
1 I.a lire va ut 84 centimes.
VII.
74

586
LIVRE CENT SOIXANTE-DOUZIÈME.
SUPERFICIE
POPULATION
DÉΡARTEMENTS.
VILLES PRINCIPALES ET LEUR POPULATION.
en lieues g. c.
en 1852.
82 communes. — FLORENCE , 110,714. — Pis-
Départem. de FLORENCE.
295
700,015
tou, 12.000. — Prato, 1,200. —Volterra,
5,500.—Empoli, 4,000.—San-Minialo, 3.000.
21 communes — Lucques, 25,000 — Βorgo-

de LUCQUES. .
68
260,745
Mezzano, 8;:0.— Via-Reggio, 7,000.
38 communes. — Pise, 23.000. — Fivizzano,

de PISE. · . .
153
227,710
2 500. — Piombino, 2,500.
38 communes. — Sienne, 21,000. — Montal-

de SIENNE.. .
192
186,263
cino, 6,500
42 communes. — Arezzo, 12 000. — Chiusi,

d'AREZZO. . .
166
218,283
3,000. — Cortona, 3,500. — Monte-Pul-
ciano, 3,000.
20 communes. — Grosetto, 3.000. — Piti-

de GROSETTO.
225
77,801
gliano, 2.000. — Orbitello, 3,000. — Ile de
Giglio, 1,500
Gouvern. de LIVOURNE.. .
5
85,834
1 commune- — Livourne, 85, 000.
4 communes. Porto-Ferrajo, 50,000. —

de L' ILE D'ELBE.
14
21,271
Porto-Longone, 2,000.
Marine de commerce en 1853 1.
TOTAL
DÉPARTEMENTS
BATIMENTS
BATIMENTS
TONNES.
TONNES.
maritimes.
à voiles carrées.
à voiles latines.
des bâtiments.
des tonneaux.
Livourne et les Présides.
77
13540,50
427
7220,54
504
20761,04
Ile d'Elbe.
44
5890,54
207
3448,85
251
9339,39
Via-Reggio
5
480,57
151
6019.00
156
7406,56
126
19917,61
785
17589,33
911
37506,99
1 Extrait de l'Almanack < le Gotha pour 1 1854, 91E anr ée.
DUCHÉ DE PΑRΜΕ.
SUPERFICIE
POPULATION.
FINANCES.
ÉTAT MILITAIRE,
en lieues géogr. carr.
Revenus : 9,571,685 lires.
Pied de paix :
6,113 nom.
314
502,841
Dépenses : 9,536,900 lires.
Pied de guerre : 8,597 —
POPULATION EN 1852.
SUPERFIC
PROVINCES.
LEUR SITUATION.
TOTAL.
CHEFS-LIEUX.
en l. g. c.
Villes
Autres
et territoires. communes.
PARME.
. . .
Entre l'Enza et le Taro. .
77
40,536
103,362 143,898 PARME.
BORCO- SAN-
Borgo-San-
Entre le Taro et le Riglio.
78
29,060
112,580 142,540
DONINO . .
Donino.
Entre le Riglio et la Bardo-
PLAISANCE. .
neggia 81
10,694
123,279 133,973 Plaisance.
Sur les Apennins
VAL DI TARO.
56
7,013
Rorgo-Taro.
sur les Apennins
43,939
50,952
LUNIGIANE.
.
22
12,142
19,336
31,478 Pontremoli.
100,345
402,496 502,841

EUROPE. — ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
587
DUCHÉ DE MODÈNE.
SUPERFICIE
POPULATION.
FINANCES.
ÉTAT MILITAIRE.
en lieues géogr. carr.
Revenus.
Armée.. . . 3.500 hommes.
3,418.622 francs.
Milice. . . . 11,156

317
586,458
Dépenses
8,728,183 francs
Total. . . 14,656 hommes.
SUPERFICIE.
HABITANTS
PROVINCES.
TOTAL.
CHEFS-LIEUX.
en 1850.
Pays plat. montagnes.
MODÈNE
72
13
85
204,491
MODÈNE.
RIGGIO
45
57
102
161,646
Reggio.
GUASTALLA. .....
15
»
15
50,850
Guastalla.
FRIGNANA
»
55
55
5,785
Frignano.
GARFAGNANA
»
»
28
37.897
Camporgiano, Castelnuovo.
MASSA-CARRARA. . .
56.867
Massa, Carrara.
29
32
LUNIGIANE
3
17,248
Villairanca.
317
109, 946
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Description de l'Italie. — Description des
États de l'Église.
Nous allons visiter maintenant les États de l'Église : ils occupent la
partie centrale de la péninsule italique, et se composent principalement
des anciennes provinces du Latium, du Picenum et de VOmbrie.
Le Latium s'étendait entre l'embouchure du Tibre et celle du Tolero,
l'ancien Liris, et pénétrait, à l'est, jusqu'au lac Lucrino. Ses habitants, les
Latins, paraissent avoir été formés de la réunion des Pelasges, venus de
la Thessalie, et d'un peuple dont l'origine est tellement incertaine, qu'il se
donnait le titre d'aborigène. Les Latins avaient pour voisins les Sabins,
qui devaient peut-être leur nom au mot celtique sab, qui signifie élevé ; ils
habitaient en effet les pentes et les cimes des Apennins. Les anciens les
peignent sous les couleurs les plus favorables ; ils étaient francs, géné-
reux et vaillants-, leurs femmes étaient modestes et sages, et les mariages
assortis par la vertu étaient chez eux un lien civil contracté au nom de
l'État. L'histoire de l'origine de Rome témoigne que les Sabins savaient
allier le courage à la vertu.
Les Picenles habitaient les pentes des Apennins qui comprennent

588
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
aujourd'hui les territoires d'Ancône, de Macérata et d'Ascoli : ces peuples
étaient Sabins d'origine. Le pays qu'ils occupèrent dut le nom de Picenum
à la grande quantité de poix minérale qu'on y recueillait. L'Ombrie, située
sur le versant oriental des Apennins, entre la mer Adriatique et l'Étrurie,
était habitée par des peuples d'origine gauloise ; les Senones, entre autres,
occupaient la contrée voisine de l'embouchure du Pô. On ne doit néces-
sairement pas attendre de nous le récit môme abrégé de la naissance, de la
grandeur et de la décadence de l'empire romain. Le cadre de ce Précis nous
oblige à renvoyer nos lecteurs aux traites spéciaux d'histoire ; ils y appren-
dront comment la petite colonie des bannis des bords du Tibre devint
d'abord un faible royaume (753 a 509 avant J. C.) s'érigea en lépublique
avec des consuls (509 à 31 avant J. C). et dans j'espace de cinq siècles
étendit sa domination sur le monde entier; comment un ambiteux pro-
clama l'empire dans la patrie de Brutus et des Grecques, cl comment,
enfin, ce vaste empire, témoin de tant de luttes, s'écroula au choc de l'in-
vasion des Barbares (395 après J.-C), après quatre siècles de durée, pour
ne laisser à la place de la capitale des Césars et des empereurs que celle du
inonde chrétien, que la ville episcopate de Saint-Pierre.
La suprématie du siége apostolique de Rome sur les autres Églises
remonte à une époque très-reculée : saint Irénée, évêque de Lyon au
deuxième siècle, et saint Cyprien, évêque de Carthage au siècle suivant,
l'admirent comme un point incontestable, sans cependant en déduire
toutes les conséquences qui en furent la suite. Cependant, jusqu'à l'inva-
sion de l'Italie par Pepin, les papes n'eurent aucune puissance politique,
aucune possession temporelle : la prétendue donation faite par Constantin
à Silvestre 1er est reconnue fabuleuse. Pepin, maire du palais de Childé-
ric III, voulant récompenser la papauté de l'appui moral qu'elle lui avait
prêté lors de son usurpation , fit don, par reconnaissance, au pape
Etienne II, de l'exarchat de Ravenne, dont il venait de chasser les Lom-
bards. Cette donation fut confirmée et même augmentée du Pérugin et du
duché de Spolète, par Charlemagne. Les évèques de Rome, devenus princes
temporels, en eurent bientôt l'ambition. Cependant, ce ne fut que lorsque
leur puissance spirituelle fut parvenue à son comble qu'ils accrurent leurs
Étals: au onzième siècle, l'empereur Henri III leur donna le duché de
Bénévont ; au douzième, Mathilde, comtesse de Toscane, fit don au Saint-
Siège de ses biens, composés du territoire de Bolsène, de Bagnarea, de
Monte-Fiascone, de Viterbe, de Civita-Castellana, de Corneto, de Civita-
Vecchia et de Bracciano, possessions connues sous le nom de patrimoine

EUROPE. — ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
589
de Saint-Pierre. Rome n'était encore que la résidence des pontifes, elle
appartenait à l'Empire ; des factions républicaines la déchirèrent : quel-
ques hommes au-dessus de leur siècle essayèrent vainement d'y établir
un gouvernement libre-, enfin, ce ne fut que vers la fin du quatorzième
siècle qu'elle put être considérée, avec la Sabine, province contiguë à son
territoire, comme faisant partie des domaines du Saint-Siége. En 1532,
Louis de Gonzague, général do Clément VII, réunit la marche d'Ancône
aux États de l'Église-, en 1626, le duché d'Urbin, qui avait appartenu à la
famille de Jules II, devint la possession des papes-, les dernières conquêtes
qu'ils firent furent celles de l'Orviétan, du duché de Castro et du comté
de Romiglione. Ces deux dernières principautés appartenaient au pape
Paul III ; il les donna à son fils Farnèse, qui devint duc de Parme et de
Plaisance-, mais l'un de ses descendants les ayant engagées, au mont-de-
piété de Rome, contre une somme d'argent qu'il ne put rembourser, Inno-
cent XI s'en empara.
La part que le pape, comme prince temporel de l'Église, prit aux coali-
tions de l'Europe contre la république française, lui fut funeste-, l'assas-
sinat du général français Duphot fournit au Directoire l'occasion de ren-
verser le gouvernement papal. Le général Berthier reçut l'ordre de marcher
sur Rome, et le Saint-Siège fut érigé en république-, mais cette république
éphémère tomba d'elle-même, lorsque les Français évacuèrent l'Italie.
En 1808, de nouvelles combinaisons politiques firent réunir les États
romains du nord à la couronne d'Italie. Un sénatus-consulte du 17 février
1810 comprit ceux du sud dans les limites de l'empire français, et déclara
que le pape aurait pour résidence Rome et Paris. Enfin, les événements de
1814 renversèrent celte organisation, et le pape Pie VII recouvra toutes
les anciennes possessions de l'Église. En 1846, Pie IX, son quatrième
successeur, voulut inaugurer son pontificat en accordant quelques-unes
des réformes politiques depuis longtemps réclamées-, mais il ne fut com-
pris, ni par le parti rétrograde qui l'accusait de bouleverser le pouvoir, ni
par le parti libéral qui lui reprochait de ne pas encore en faire assez. La
révolution de Février 1848 arriva en France, elle eut son contre-coup en
Italie, et le pape dut quitter Rome, le 24 novembre, pour se réfugier à
Gaëte, dans le royaume de Naples. Le pouvoir demeura ainsi entre les
mains des révolutionnaires, qui proclamèrent la république et installèrent
à sa tête un triumvirat composé de Mazzini, Saffi et Armellini. L'Autriche
intervint alors dans les affaires de Rome : elle s'empara de Bologne-, elle
allait marcher sur Rome ; la France la prévint, et le 3 juillet 1849, l'armée

590
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
française entrait dans la ville éternelle, après un siége en règle. La répu-
blique romaine était renversée, et l'autorité pontificale rétablie sous la pro-
tection de la France, à laquelle elle devait l'origine de son pouvoir tem-
porel ; mais ce ne fut néanmoins que le 12 avril 1850 que le pape Pie IX
consentit à rentrer dans la capitale du monde chrétien. Ne devons-nous
pas espérer de la sagesse du gouvernement pontifical, d'une part, et de
l'intelligence du peuple romain de ses véritables intérêts, de l'autre, un
accord qui, en satisfaisant les justes réclamations adressées depuis long-
temps an gouvernement pontifical, ouvrira pour ce beau pays de l'Italie
centrale une nouvelle ère de prospérité et de progrès?
L'exemple de l'administration française a provoqué d'heureuses ré-
formes dans les lois, la justice et les finances ; mais il y a encore tant à faire
sous ce rapport, qu'il est à craindre que les papes ne parviennent jamais à
établir dans leurs États la pureté des mœurs, l'industrie et l'aisance dont
les peuples soumis au Saint Siége seraient peut-être susceptibles sous un
autre régime.
Les États romains, bordés à l'est par la mer Adriatique, au nord par le
royaume lombard-vénitien, à l'ouest par les duchés de Modène et de Tos-
cane, au sud-ouest par la Méditerranée, et au sud par le royaume de
Naples, s'étendent de 95 lieues dans un sens et de 25 dans l'autre; leur
superficie est d'environ 2,080 lieues carrées. La population, qui en 1843
était évaluée à 2,908,115 habitants, doit en 1852 approcher de 2,950,000
âmes. Les anciennes dénominations de comtés, de duchés et autres, que
nous avons rappelées plus haut, par lesquelles on distinguait les diffé-
rentes provinces, ont été abolies : le pays est partagé maintenant en
20 divisions administratives, qui portent le nom de légations et de déléga-
tions, à l'exception du territoire de Rome qui a celui de comarca.
A Rome, la vie habituelle est une espèce de long carême, tant on s'ac-
quitte avec ponctualité des devoirs extérieurs de la religion. Cette grande
cité, qui pourrait contenir facilement trois fois plus d'habitants qu'elle
n'en renferme, est d'un aspect triste que rendent encore plus frappant ses
places spacieuses, ses rues larges et sans mouvement, les ecclésiastiques
et les religieux de tous les ordres qu'on y rencontre, et les ruines majes-
tueuses que l'on y aperçoit à chaque pas. Il n'est point jusqu'aux marchés
qui ne présentent le même calme. Mais ce silence se change tout à coup
en une joie bruyante à l'époque du carnaval; Rome n'est plus la même
ville, tant elle acquiert d'activité : tous les rangs sont alors confondus, tous
les temples deviennent déserts, et les rues peuvent à peine contenir une

EUROPE.— ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
591
population qui s'empresse de quitter ses habitations pour courir après la
la joie et le plaisir. On voit pendant ces jours de folie de graves magistrats
se couvrir d'un costume et d'un masque, et courir les aventures qui ne
manquent point de se présenter ; car chez les deux sexes chacun les
cherche, persuadé que quelques moments d'erreur seront facilement expiés
par les pénitences et les saintes privations du carême. Le Cours devient
le rendez-vous d'une foule tumultueuse, les équipages s'y succèdent sur
deux filles, les balcons sont couverts de tentures, une pluie de dragées
couvre les piétons et les équipages, aux acclamations d'un peuple de mas-
ques de toutes couleurs. A un signal donné, le milieu du Cours devient
libre; une foule de chevaux en liberté, mais aiguillonnés par des plaques
garnies de pointes, et par une mèche allumée que l'on a la barbarie de
leur introduire entre cuir et chair, s'élancent sur la place du Peuple et par-
courent l'espace, moins pour remporter le prix de la course que pour fuir
les instruments de douleur qui les pressent. Aux folies du carnaval, qui
rappellent les lupercales de l'antique Rome, succèdent le soir du mardi-
gras les moccoletti, petites bougies allumées dont chacun porte un faisceau,
et avec lesquelles on se poursuit pour les faire éteindre ou les rallumer.
Les équipages qui n'en seraient point pourvus seraient arrêtés et forcés par
la foule à s'en munir. Cette coutume est un reste de la fête que l'on célé-
brait en l'honneur de Cérès cherchant sa tille Proserpine.
Dans un pays infesté de brigands, avec lesquels le gouvernement tran-
sige au lieu de les soumettre, on doit croire que la police est aveugle ou
sans vigilance-, cependant il en est peu où elle soit mieux faite qu'à Rome :
pointde rixes, pointde vols, pointde ces petits brigandages si communs dans
les villes populeuses, et qui, au sein de la foule, font disparaître les mou-
choirs et les montres. Il y est bien quelquefois question de quelques coups de
stylet, mais ils sont presque toujours provoqués par la jalousie et non par
la cupidité. Les rues de Rome ne sont point souillées par ces êtres dégra-
dés, tolérés partout comme une lèpre nécessaire, et dont la vue est un sujet
de tentation pour le vice et de scandale pour la vertu : les filles publiques
en sont impitoyablement proscrites, ou du moins elles ne peuvent point y
étaler leur honteuse effronterip ; et l'on doit dire, à la louange du gouver-
nement papal, que pour extirper autant qu'il est en son pouvoir la licence
et la débauche, il a tout fait pour favoriser les unions légitimes.
Les Romains, et en général tous les sujets du pape, offrent le type de
la superstition. Ils remplissent scrupuleusement les devoirs extérieurs de
la religion; mais sur ce point tout est affaire de règle plutôt que de véri-

592
LIVRE CENT SOIXANTE-TREZIÈME.
table dévotion. La confession est une pratique dont chacun s'acquitte plu-
tôt par habitude que par humilité chrétienne, plutôt pour mettre sa con-
science à l'abri que pour se corriger de ses défauts et de ses vices. Le
peuple reçoit à genoux les bénédictions du pape; mais ce n'est point à
Rome que le chef de l'Eglise est regardé comme participant du pouvoir
divin : ce qu'il gagne en autorité temporelle, il le perd en puissance spiri-
tuelle. Dès que l'octave de Pâques est révolue, les curés exigent de leurs
paroissiens des certificats de communion, sous peine de faire figurer les
noms de ceux qui n'en présentent point sur le tableau des excommuniés.
Mais autant le gouvernement papal se montre rigoureux à l'égard de ses
sujets sur les pratiques du culte, autant il professe la tolérance la plus illi-
mitée à l'égard des étrangers.
Un gouvernement tout à fait pacifique comme celui de Rome pourrait
se consoler de sa nullité politique par la protection et l'encouragement
accordés aux lettres, aux sciences et aux arts ; mais tout sommeille à
Rome. Les sciences y sont moins cultivées que dans tout le reste de l'Ita-
lie : cependant cette ville, qui renferme tant de trésors pour l'archéologie,
a produit des antiquaires dignes d'être comparés à ceux de l'Allemagne et
de la France. Si ses académies littéraires jouissent d'une faible réputation
et s'élèvent à peine à la hauteur de nos plus obscures académies de pro-
vince, c'est à la censure qu'est dû ce résultat. La littérature théâtrale, par
exemple, ne peut être encouragée dans une ville où il n'est pas permis de
représenter les tragédies d'Alfîeri ; où, à l'exception du théâtre Valle, le
moins grand des quatre théâtres de Rome, et sur lequel on joue presque
toute l'année, les théâtres ne sont ouverts que pendant quelques jours qui
précèdent et qui suivent le carnaval. L'école romaine de peinture ne
compte plus un seul nom digne des beaux jours d'Italie ; et sans les
anciens chefs-d'œuvre dont la ville est remplie, l'Académie française des
beaux-arts serait tout aussi bien établie ailleurs. Le seul art dans lequel
Rome excelle est celui des mosaïques.
Dans les hautes classes de la société, l'ignorance et le désœuvrement
sont aussi répandus ici qu'à Venise ; les jeunes gens qui lisent ne con-
naissent d'autre lecture que celle des œuvres badines de Voltaire; les
jeunes personnes et les femmes, pour se dédommager du temps qu'elles
ont passé dans les couvents, ne s'occupent que de lectures aussi frivoles
que dangereuses. Le peuple de la ville sait lire et écrire, mais ces connais-
sances sont très-rares dans les campagnes.
Nous terminerons ici cet aperçu des mœurs des Etats de l'Eglise. Nous


LA TRINITÉ DU MONT.

EUROPE.—ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
593
allons maintenant visiter successivement les villes les plus importantes;
la capitale doit d'abord fixer notre attention.
Rome est située au milieu d'une vaste plaine, jadis fertile, aujourd'hui pres
que stérile, qui s'étend depuis la mer jusqu'aux Apennins. En entrant dans
cette ville, on a d'abord de la peine à se croire dans l'orgueilleuse capitale de
l'empire romain ; la Rome des papes recouvre en quelque sorte la ville des
empereurs, dont quelques monuments restés debout malgré les ravages du
temps, des barbares et des chrétiens, attestent çà et là son antique existence.
Le sol moderne est tellement élevé au-dessus de l'ancien, que la roche tar-
péienne n'a plus que 10 à 12 mètres de hauteur, et que le pavé d'une petite
église bâtie au pied du mont Palatin est juste au niveau du faîte du temple
antique élevé à la place où l'on prétendait que Rémus et Romulus avaient
été allaités par une louve. Il a fallu creuser plus de six mètres pour
mettre à découvert la base de la colonne Trajane, il a fallu déterrer le pied
de l'arc de Constantin, de celui de Septime-Sévère, et de tant d'autres
monuments antiques trop nombreux pour les décrire tous. La ville
moderne est encore contenue dans l'enceinte de la ville antique ou plutôt
des trois villes dont l'agrégation successive a formé Rome; la première
est la ville des rois détruite par les Gaulois; la seconde, la ville des con-
suls brûlée par Néron ; la troisième est la ville impériale. Elle s'étend prin-
cipalement sur le Champ-de-Mars, sur la rive gauche du Tibre, et forme
une courbe autour de la base du Capitole. C'est en tournant le dos au
Campidoglio, qui a remplacé l'antique citadelle romaine, que l'on voit se
développer devant soi les ruines de l'ancienne Rome. Elles s'étagent en
niasses immenses et informes sur les monts Palatin, Avenlin, Esquilin,
Célius et Viminal, tandis que derrière le spectateur le mont Capitolin et,
plus loin, de l'autre côté du Tibre, le mont Janicule complètent l'ensemble
des sept collines. Les temples, les palais, les grands édifices, les portiques
qui s'y élevaient jadis, ne forment plus que des monceaux de ruines telle-
ment méconnaissables que les archéologues se sont épuisés en vains efforts
pour déterminer leur plan et leur situation. Quelques-uns de ces monu-
ments que le temps et les révolutions des hommes ont cependant en par-
tic épargnés, existent encore; d'autres ont été extraits du milieu des
décombres où ils étaient enfoncés, et ils suffisent pour faire de Rome un
musée d'une grandeur et d'une richesse incomparables. Le cadre étroit-
que nous impose notre rapide description, ne nous permet pas d'entrer
dans de longs détails sur chacun des nombreux monuments de la grande
cité, nous devons nous contenter d'indiquer les principaux et les mieux
VII
75

594
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
conservés, renvoyant, à regret, le lecteur aux ouvrages spéciaux écrits sur
Rome. Remarquons seulement que les édifices de Rome suivent dans leur
construction les mêmes phases que la ville elle-même. Les monuments
élevés sous les rois sont remarquables par leur solidité, et formés, pour la
plupart, de blocs énormes juxtaposés sans ciment. Ils sont en très-petit
nombre : ce sont des conduits souterrains, des remparts, des routes, etc.
Les ouvrages de l'époque républicaine sont presque tous consacrés à des
objets d'utilité publique; ce sont des aqueducs, des ponts, des temples
d'une architecture simple et sévère. C'est surtout à l'empire que l'on doit
les grands monuments que nous admirons : bains, temples, cirques,
palais, tombeaux, etc. L'ordre corinthien et le composite y dominent
comme la dernière perfection de l'architecture ionique et dorique des
Grecs.
L'un des plus beaux monuments de la grandeur romaine, le mieux con-
servé surtout, c'est le Panthéon (Sainte-Marie de la Rotonde), élevé par
Agrippa en l'honneur de tous les dieux. Sa voûte, parfaitement ronde, est
égale en hauteur à son diamètre. Précédé d'un beau portique de 1 6 colonnes
de granit, et couronné d'un fronton porté sur 8 colonnes, on a pu facile-
ment le transformer en une église. Aujourd'hui, à la place des dieux de
l'antiquité, on y voit les tombeaux de Raphaël et d'Annibal Carrache. La
place sur laquelle s'élève ce monument majestueux, encore si bien con-
servé malgré une antiquité de 18 siècles, est un marché arrosé par une
fontaine abondante, surmontée d'un petit obélisque de granit égyptien.
Derrière le Panthéon on remarque les ruines splendides des thermes
d'Agrippa.
L'amphithéâtre de Flavien, que ses proportions gigantesques ont fait
appeler colosseum, le Colysée, est moins bien conservé que le Panthéon,
parce qu'il n'a point été possible de le transformer en église, et que plu-
sieurs papes en ont démoli des parties pour en employer les pierres à la
construction de leurs palais : on pourrait citer de beaux édifices, entre
autres le palais Farnèse, qui ont été bâtis avec ces matériaux. Le cardinal
Consalvi, plus éclairé, a fait construire un superbe arc-boutant pour sou-
tenir un côté du grand mur extérieur qui menaçait ruine, et le pape
Léon XII a fait réparer et même restaurer plusieurs arcades. Le peuple a
quelque respect pour ce monument depuis que Pie VI a fait élever au
milieu de l'arène une croix et 15 autels à la mémoire des martyrs que l'on
croit avoir péri dans son enceinte. L'arène fut quelquefois transformée en
une petite mer d'une vingtaine de pieds de profondeur, dont l'eau arrivait

EUROPE. —ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
595
par 80 ouvertures, et sur laquelle on donnait au peuple romain le spec-
tacle d'un combat naval. C'est par un beau clair de lune que l'on doit visi-
ter le Colysée. Rien ne produit un effet plus magique que la clarté de l'astre
des nuits sur ce bel amphithéâtre : il semble que l'on va voir sortir de ses
sombres vomitoires les ombres des malheureux gladiateurs qui venaient
combattre à la vue d'un peuple habitué à de sanglants spectacles.
Le Vatican, qui tient à l'église de Saint-Pierre, est, dit-on bâti sur
l'emplacement du palais de Néron. C'est une réunion de plusieurs édifices
qui occupent une superficie beaucoup plus considérable que les Tuileries
et le Louvre réunis. La chapelle du Vatican est cette fameuse chapelle
Sixtine, si richement décorée, et dont l'un des plus beaux ornements est
le célèbre tableau du Jugement dernier, peint à fresque par Michel-Ange.
La bibliothèque est une des plus riches du monde, surtout en manuscrits.
C'est au Vatican que l'on admire l'école d'Athènes et les autres fresques
de Raphaël ; c'est aussi ce palais qui renferme le plus beau, le plus riche
des musées. Un petit bâtiment qui communique au Vatican par deux
longues galeries domine Rome et ses environs jusqu'aux Apennins-, la belle
vue dont on y jouit lui a fait donner le nom de belvéder : c'est là que l'on
a replacé, sous un jour beaucoup plus favorable qu'au Louvre, cette sta-
tue d'Apollon, chef-d'œuvre du ciseau antique, et dans d'autres salles le
Laocoon, le Torse et l'Antinous. La galerie du Vatican n'a pas cinquante
tableaux, mais trois ou quatre chefs-d'œuvre la rendent la première du
monde : parmi ceux-ci il suffit de citer la Transfiguration de Raphaël et la
Communion de saint Jérôme par le Dominiquin. Les jardins du Vatican
méritent aussi d'être visités.
Le palais Quirinal était autrefois la résidence d'été du pape-, il est main-
tenant réservé aux conclaves. La forme en est irrégulière, mais la beauté
de son intérieur, ses magnifiques points de vue et ses jardins, en font une
demeure qui joint l'agrément à la magnificence. Sous le gouvernement
impérial il avait été destiné au jeune prince qui reçut le titre de roi de
Rome. Ce palais porte le nom du mont Quirinal, sur le sommet duquel il
est bâti. On lui donne aussi celui de Monte-Cavallo, parce que devant sa
façade on voit deux beaux groupes en marbre représentant chacun un
cheval de proportion colossale, conduit par un jeune homme qui semble le
dompter. Ces deux groupes sont antiques, mais ils ne sont probablement
point de Phidias et de Praxitèle, comme les noms que portent leurs pié-
destaux sembleraient l'indiquer. Entre ces deux groupes s'élève un obé-
lisque égyptien de porphyre rouge. Une belle fontaine, dont les eaux

596
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
retombent dans un bassin de granit oriental taillé dans un seul bloc,
occupe le centre de la place. Le jardin du Quirinal est un des plus beaux
de l'Italie.
On monte aujourd'hui au Capitole par un escalier construit par Michel-
Ange et bordé de deux balustrades au bas desquelles deux lions, en basalte,
jettent de l'eau par la gueule. L'escalier conduit à une place. En y arrivant,
on voit le palais du sénateur en face ; à droite celui des conservateurs, et à
gauche le musée de peinture. Ces bâtiments sont aussi l'ouvrage de Michel-
Ange, qui fit mettre au milieu de la place la statue de Marc-Aurèle, la plus
belle statue équestre antique, et la seule grande statue de bronze qui ait
été trouvée à Rome. Sous le portique du palais des conservateurs on
remarque une statue antique de César, la seule qui passe pour authen-
tique. Le musée du Capitole offre un grand nombre de tableaux d'auteurs
célèbres, tels que le Titien, le Guerehin, le Guide, l'Albane, le Tintoret, le
Dominiquin, le Poussin, Rubens, les deux Carrache et Paul Véronèse;
mais la plupart de ces tableaux sont de second et même de troisième
ordre.
Du haut de la tour du palais sénatorial, on voit, à l'opposé de l'escalier
qui conduit au Capitole, le Campo Vaccino. Cette vaste place, couverte de
ruines, a été jusqu'au pape Pie VII le marché aux bœufs; c'était jadis
le Forum Romanum.
Non loin du Monte-Citorio, se voit sur la place Colonna la colonne
Antonine, surmontée d'une statue de saint Paul. Sur la place du Monte-
Citorio s'élève un obélisque en syénite rouge, érigé à Héliopolis en l'hon-
neur de Psammitichus Ier, et qui fut transporté à Rome par Auguste, pour
servir de gnomon sur le Champ-de Mars, où il fut déterré sous le ponti-
ficat de Benoît XIV. La douane est un ancien temple orné de 11 majes-
tueuses colonnes cannelées en marbre que l'on regarde comme celui que
le sénat et le peuple décernèrent à Antonin-le-Pieux. Plus loin sur le bord
du Tibre, le tombeau d'Adrien est devenu le château Saint-Ange; le pont
qui y conduit et qui porte le même nom, est l'antique pont Ælius, bâti
par Adrien ·, les deux statues qui se trouvent à l'entrée sont celles de saint
Pierre et de saint Paul ; les autres représentent des anges.
Mais laissons ces monuments travestis, ou par le mauvais goût ou par
le zèle religieux, et dirigeons nos pas vers le chef-d'œuvre de Rome
moderne, vers le plus magnifique temple de la chrétienté. Le principal
défaut que l'on trouve à l'église de Saint-Pierre est d'avoir plutôt la façade
d'un palais que celle d'une église, et de manquer d'unité. Les dimensions

EUROPE.
— ITALIE, ÉTATS DE L'ÉGLISE. 597
gigantesques de ce bâtiment sont telles, que, vue de l'extérieur, sa magni-
fique coupole ne paraît point en faire partie ; il semble que ce soit le dôme
d'un autre édifice. La place de Saint-Pierre est tout-à-fait digne de cette
basilique ; elle est environnée de deux portiques demi-circulaires qui se
terminent par une place carrée, prolongée jusqu'à la façade de l'église, de
manière à former deux places dont la longueur totale est de plus de 300
mètres. Le portique est surmonté de 92 statues de saints, hautes de
3 mètres-, le portail est si bien en proportion avec ce qui l'entoure, que
l'œil n'est d'abord point étonné du développement qu'il présente. En
entrant dans ce temple, dont la forme est celle d'une croix latine, on est
d'abord plus frappé de la profusion des marbres et des mosaïques que de
sa grandeur : il a cependant 215 mètres de longueur à l'extérieur, 140 de
largeur et 45 de hauteur sous clef. Les ornements en sont riches, éblouis
sants même et distribués avec plus d'ostentation que de goût. Ce qui peut
donner une idée des dimensions de l'édifice, c'est le baldaquin en bronze
qui surmonte le maître-autel : il paraît être dans des proportions ordi-
naires, et cependant il a 40 mètres de hauteur, c'est-à -dire 13 mètres de
plus que la colonnade du Louvre; il est placé au-dessous de la coupole,
qui est sans contredit ce que cette église offre de plus étonnant : elle a 140
mètres d'élévation et 42 de diamètre à l'intérieur; les 12 apôtres y sont
représentés en mosaïques dans des médaillons séparés par des groupes
d'anges qui portent les instruments de la passion. Dans les deux parties
les plus apparentes de cette église, on a eu soin de rappeler le souvenir du
saint auquel elle est consacrée : ainsi l'on assure que la balustrade dorée
qui s'étend devant le maître-autel recouvre le tombeau et le corps de saint
Pierre, placés au-dessous, dans une église souterraine plus ancienne que
la basilique. L'extrémité de l'église est occupée par un superbe monu-
ment composé d'une tribune soutenue par quatre figures colossales de
saint Ambroise et de saint Augustin, de saint Athanase et de saint Chry-
sostome. Au milieu de cette tribune, faite avec le bronze antique du Pan -
théon, on voit un fauteuil en bois orné d'or et d'ivoire, que l'on appelle la
chaire de saint Pierre, parce qu'on prétend que c'est celle dont il se ser-
vait. Parmi les magnifiques mausolées que renferme cette église, on place
en première ligne celui de Paul III, par Guillaume della Porta. Celui d'Ur-
bain VIII fait honneur au ciseau du Bernin, si souvent malheureux dans
ses compositions ; celui de Christine de Suède est splendide, mais maniéré ;
le monument Rezzonico est un chef-d'œuvre de Canova; enfin la chapelle
Clémentine renferme le tombeau de Pie VII, par Thorwaldsen.

598
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
L'église souterraine de Saint-Pierre, à l'exception de quelques mosaïques
et d'autres monuments anciens, ne répond pas à l'idée que l'on se fait des
antiques catacombes chrétiennes..On y remarque les tombeaux de Char-
lotte, reine de Jérusalem et de Chypre, de l'empereur Othon II, et des
papes Adrien IV, Boniface VIII, Nicolas V, Urbain VI et Paul II.
Pour juger complétement de l'étendue de Saint-Pierre, il faut monter
sur son immense coupole, que termina Michel-Ange à l'âge de 87 ans.
La boule de bronze que surmonte la croix peut contenir jusqu'à 16 per-
sonnes assises. De ce point on jouit du plus complet et du plus magnifique
aspect de la ville et de la campagne de Rome. Cette église fut commencée
en 1503 et terminée en 1606 ; on estime qu'elle a coûté plus de 247 mil-
lions de notre monnaie.
Après cette magnifique basilique, comment s'arrêter à décrire les autres
églises de Rome? La plupart cependant offrent un intérêt particulier par
leur richesse et leur antiquité. On s'accorde à regarder celle de San Gio-
vanni in Fonte comme la plus ancienne, non seulement de Rome, mais de
toute la chrétienté ; on la désigne aussi sous le nom de Baptistère de Cons-
tantin, quoiqu'il soit faux que cet empereur y ait été baptisé : il est plus
probale qu'il se plut à l'enrichir. Nous pourrions citer plusieurs autres
églises qui, bien qu'inférieures à celle de Saint-Pierre, surpassent encore
la plupart de celles de l'Europe : telle est celle de Saint-Jean-de-Latran,
dont les cloîtres ont servi de demeure à plusieurs papes, et où des conciles
se sont tenus. On doit encore citer Sainte-Marie-Majeure, dont l'intérieur
est surtout remarquable par ses riches ornements ; l'église des Jésuites
ou du Gesù, dont l'élégante façade est de Vignole et de son élève Jacques
della Porta; celle de Saint-Charles, à Catinari ornée de tableaux du
Guide et du Dominiquin ; celle de Sainte-Marie-des-Anges, bâtie, ainsi
que le vaste cloître des Chartreux, par Michel-Ange, sur les ruines des
thermes de Dioclétien ; celle de Saint-Paul hors des murs, la plus révérée
des églises de Rome pour son antiquité, que le feu détruisit en 1823, et
que l'on rebâtit depuis : parmi les objets échappés à l'incendie, se trouvent
quelques bas-reliefs antiques et une superbe mosaïque faite en 440 par
Saint-Léon, représentant le Christ et les 24 vieillards de l'Apocalypse ; la
basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalemt fondée par sainte Hélène sur les
restes des jardins d'Héliogabale, l'église de Saint-Théodore, qui s'élève
sur l'emplacement de l'ancien temple de Romulus, bâti à l'endroit où la
tradition porte qu'il fut allaité par une louve; Saint-Élienne-le-Rond, que
l'on regarde comme un temple consacré à Claude, et converti en église


FORUM DE
TRAJAN.

EUROPE. — ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
599
vers le cinquième ou le sixième siècle ; enfin la basilique de Saint-Sébas-
tien, célèbre par ses catacombes.
Le nombre des églises de Rome est de 364. Celui des palais est encore
plus considérable. Leur architecture a plutôt le caractère de la solidité
que de l'élégance ; on en compte au delà de 60 qui méritent d'être vus ;
il en est peu qui n'offrent à côté des livrées de l'orgueil les dehors de la
gène, et même de la misère. Le délabrement de la plupart des palais de
Rome est une conséquence naturelle de la décadence du pouvoir des
papes.
Cependant, quelques-uns mieux conservés et bien entretenus par leurs
propriétaires, méritent de fixer notre attention : on peut citer le palais
Buspoli, dont l'escalier de 115 marches en marbre blanc passe pour le pius
beau de Rome ; le palais Ghigi, dont la cour et le vestibule sont magni-
fiques, et dont l'intérieur renferme des tableaux précieux et une riche
bibliothèque; le palais Sciarra, dont la porte en marbre est digne de
Vignole, et qui possède aussi une très-belle galerie; l'immense palais
Doria; le palais Colonna, dont la galerie est une des premières de Rome ;
le palais Barberini, remarquable par son architecture qui fait honneur au
Bernin, et par ses sculptures et ses peintures; le palais Corsini, dans
lequel on conserve la chambre où mourut la reine Christine; le beau palais
Massimi, dont les maîtres prétendent descendre des Fabius de l'antique
Rome ; le palais Farnèse, que Vignole et Michel-Ange ont contribué à
embellir, et dans lequel on admire une galerie peinte par Annibal et
Augustin Carrache ; enfin l'immense palais Borghèse, célèbre par ses por-
tiques et sa riche galerie.
La plus belle des 15 portes de Rome est la plus septentrionale, appelée
porta del Popolo, espèce d'arc de triomphe dont l'extérieur, d'un bon
goût d'architecture, a mérité d'être attribué à Yignole et à Michel-Ange,
mais dont l'intérieur présente des traces du mauvais goût de Bernin, qui
la termina pour l'entrée de la reine Christine. Ses principales rues sont la
strada di Bipelta, qui conduit au Tibre ; celle du Babuino, qui mène à la
place d'Espagne; la strada Lungara, la strada Condotti, et surtout la
slrada del Corso, qui. traversant presque toute la ville, sert aux courses
de chevaux, et est la promenade la plus fréquentée de Rome.
Parmi les 46 places que renferme cette belle cité, il en est 5 ou 6 qui
méritent d'être mentionnées. Celle du Peuple est située près de la porte de
ce nom ; elle est ornée d'un superbe obélisque égyptien qui fut élevé à Hélio-
polis par le roi Rhamsès Ier pour décorer le temple du Soleil, et qui fut

600
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
transporté à Rome par Auguste. La place de Saint-Jean-de-Latran n'est
remarquable que par la belle façade de cette église, et par un des plus
beaux obélisques connus, qui fut érigé à Thèbes par Thoutmosis II. La
place du Panthéon est aussi décorée d'un obélisque, mais de petite dimen-
sion. La place Navone, où se tient le principal marché, est embellie par
une magnifique fontaine. La place d'Espagne est décorée par le palais de
la cour d'Espagne, par le magnifique escalier qui conduit à l'église de la
Trinité du Mont, et par la fontaine Barcaccia.
Nous avons cité quelques-unes des principales antiquités de Rome,
mais il en est encore plusieurs que nous ne pouvons passer sous silence.
La cloaca maxima, magnifique aqueduc souterrain si solidement construit
par Tarquin, qu'il en reste plus de la moitié, est le plus beau monument
qui ait jamais été fait pour servir d'égout à une grande ville; sa voûte
étonne par sa hauteur et par sa longueur; il remplit encore sa destination
première. Le Forum Trajanum, le plus régulier et le plus splendide des
Forum antiques, fut déblayé par l'administration française; il présente
l'aspect d'un cirque entouré d'une balustrade en fer. Au milieu s'élève
la colonne Trajane, dont les bas-reliefs en spirale comprennent plus
de 2,500 figures parfaitement sculptées dans le marbre. Ce monument est
terminé par une statue de saint Pierre, en bronze, qu'y fit placer Sixte-
Quint. Il reste du théâtre de Marcellus le quart des arcades qui formaient
son enceinte. Le cirque de Caracalla, seul monument de ce genre qui
existe encore à Rome, s'élève majestueusement au milieu des champs et
des vignes. Les thermes du même empereur, dans lesquels 3,000 per-
sonnes pouvaient se baigner à la fois, occupent une superficie qui surpasse
d'un tiers celle de l'hôtel des Invalides, à Paris; celui de Titus, d'où l'on
jouit d'une superbe vue sur le Colysée; plusieurs arcs de triomphe, parmi
lesquels nous citerons celui de Gallien, celui de Titus, celui de Constantin,
celui de Janus et celui de Septime Sévère; les mausolées d'Auguste et de
Cecilia Meiella, sont aussi des monuments très-remarquables sous le rap-
port de l'histoire de l'art chez les anciens.
Les catacombes, dites de Saint-Sébastien, portent tous les caractères
d'une antique carrière de tuf volcanique ou de pouzzolane, dans laquelle
sont disposées des niches latérales, les unes au-dessus des autres. Les
galeries ont 5 à 6 mètres de largeur et de hauteur, sur environ 2 lieues de
longueur. Elle forment des rues qui communiquent entre elles. Le luxe
de la métropole pénétra même au fond de ces souterrains : on voit que plu-
sieurs parties sont ornées de fresques remarquables.

EUROPE. — ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
601
Rome, en 1832, comptait 175,838 habitants, mais son étendue peut
comporter une population plus considérable. On y compte vingt-deux
hôpitaux pour les malades, les aliénés et les convalescents; vingt-cinq
instituts pour les enfants-trouvés, les orphelins, les vieillards, les filles
repentantes et les veuves; vingt-six établissements et confréries de cha-
rité, et 372 écoles primaires qui comptaient environ 14,100 élèves. Parmi
les établissements de bienfaisance nous citerons principalement l'hospice
Saint-Michel et le vaste hôpital du Saint-Esprit.
En tète des établissements d'instruction se trouvent l'université connue
sous le nom de Sapienza, le collége romain, celui de la Propagande ; on
compte en outre à Rome 16 collèges, 2 séminaires, un grand nombre
d'écoles élémentaires, un institut de sourds-muets, 5 écoles des beaux-arts
pour les étrangers et les indigènes, un bel observatoire, de nombreuses
bibliothèques et collections d'arts et de sciences, enfin 8 sociétés savantes
et littéraires, dont la plus connue est l'académie des Arcades.
L'industrie manufacturière de Rome est assez active; elle embrasse la
fabrication des draps et des lainages, celle des soieries, des gants de peau,
des perles fausses, des ouvrages en corail et en mosaïque. Elle possède des
savonneries, des papeteries, des cireries, des fabriques de produits chi-
miques, des typographies, etc. Son commerce est encore peu étendu, mais
nul doute qu'il ne prenne une grande extension et que l'importance de
cette ville remarquable n'augmente encore lorsqu'elle sera devenue, par
les chemins de fer, le nœud des principales communications entre la Haute
et la Basse Italie d'une part, et d'autre part entre les deux versants de
l'Apennin central.
On ne peut sortir de Rome sans qu'une foule d'objets ne vous retrace
les souvenirs de l'antiquité. Près de la porte de Saint-Paul, la pyramide
ou le tombeau de Caïus Cestius, annonce par sa masse, par les peintures
et le stuc qui ornent son intérieur, l'opulence de ce Romain. On voit à
peu de distance la grotte et la fontaine où Numa s'entretenait avec la
nymphe Egérie. C'est a Tusculum que Cicéron, César et Crassus, fuyaient
le bruit et les intrigues de Rome : Frascati s'élève auprès de ses ruines.
Un grand nombre de villas, ou maisons de campagne des environs de
Rome, mériteraient d'être citées si le plan de ce Précis le permettait ; nous
nous bornerons à indiquer les plus remarquables. La villa Borghèse doit
être mise au premier rang : on y admire ses jardins, son lac, son temple,
son hippodrome et son musée riche en chefs-d'œuvre antiques. La villa
Albani surpasse encore la précédente par les trésors de son musée. La villa
VII.
76

602
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
Aldobrandini, superbe demeure, mais presque abandonnée, ne le cède
point aux plus belles maisons de plaisance des environs de Rome : ses jar-
dins en amphithéâtre, ses cascades, dont l'agréable murmure parait être
une imitation des orgues d'eau célèbres chez les anciens, ses vases, ses
statues antiques, ses fresques du Dominiquin, en feraient un séjour déli-
cieux s'il était moins négligé.
Les rues sales de Tivoli inspireraient à Horace plutôt une juste satire
que des chants à sa louange : il n'y reconnaîtrait point ce Tibur qui lit
ses délices-, le temple d'Hercule a été remplacé par la cathédrale de Saint-
Laurent ; la villa de Mécène est devenue une usine; mais il retrouverait
les restes des deux petits temples de la Sibylle et de Vesta; il admirerait
encore la situation de la ville et ses belles cascades toujours dignes des
chants du poëte. Dans ces lieux qui furent habités par tant de personnages
antiques célèbres, il ne remarquerait que la villa d'Este, le seul monument
moderne qui puisse rivaliser avec les riches habitations qu'on y remarquait
de son temps-, il chercherait à Velleiri l'ancienne Velitrœ, bâtie par les
Volsques, la maison de plaisance que possédait Auguste; il reconnaîtrait
ces marais Pontins (Pomptina palus), aujourd'hui plus dangereux par
leurs exhalaisons que de son temps; il reverrait les restes de cette voie
Appienne qui les traversait et dont la construction, due à Appius Clau-
dius, fut le premier bienfait qu'éprouva cette contrée. Auguste fit dessé-
cher une partie de ces marais, Trajan y fit construire des ponts et des
habitations, et l'on y vit s'élever des maisons de plaisance appartenant à
de riches familles que la beauté du site attirait. Les causes qui contri-
buèrent à l'insalubrité de la Maremme eurent la même influence sur les
marais Pontins : l'invasion des barbares les dépeupla; les eaux, sans écou-
lement, répandirent dans l'air leurs miasmes dangereux. Malheur à celui
que la nuit surprendrait endormi sur leurs bords pendant les chaleurs de
l'été! il ne se réveillerait plus. Plusieurs papes ont tenté de les dessé-
cher; les derniers essais dus à l'administration française n'ont point été
tout-à-fait infructueux ; il faudrait plus de persévérance que le gouverne-
ment papal n'en peut mettre dans ses entreprises, pour arriver à des résul-
tats satisfaisants. Les chétifs habitants de ce pays ont le teint verdàtre et
les jambes enflées; on peut dire sans exagération qu'ils sentent la fièvre:
ils en sont atteints pendant plusieurs mois de l'année. Les animaux seuls
ne paraissent point souffrir de l'insalubrité de l'air : les cerfs, les sangliers
et les buffles y sont vigoureux et en très-grand nombre.
A l'exemple des voyageurs qui les traversent, hâtons-nous de quitter

EUROPE.
— ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
603
ces marais pernicieux. Le bourg ou la petite ville de Cori, l'antique Cora,
possède encore ses murailles antiques et les restes de deux beaux temples,
l'un élevé à Hercule, et l'autre à Castor et Pollux. Suivons les bords de la
Méditerranée, traversons Ostie, ville fondée par Ancus-Martius, quatrième
roi de Rome, célèbre sous l'Empire par son port à l'embouchure du Tibre,
et qui ne possède plus aujourd'hui que des salines peu importantes-, on s'y
ressent encore du voisinage des marais Pontins; aussi le cardinal qui en
est évêque a-t-il soin de résider à Rome. Pendant l'été Ostie est presque
déserte, et pendant l'hiver, lorsque le mauvais air a cessé, sa population
est d'une centaine d'individus. Le palais episcopal offre une inscription
antique d'un beau caractère-, sur la place un sarcophage sert de fontaine ;
la cathédrale, dédiée à Santa-Aurea, est un joli monument du quinzième
siècle, le petit fort qui défend la ville est une bonne construction de la
môme époque. A un quart de mille de la moderne Ostie s'étendent les
ruines de l'antique cité, jadis si florissante. On y voit les restes d'un théâtre
et ceux d'un magnifique temple de Jupiter. Nous devons encore citer à
l'embouchure du Tibre, et sur le bras septentrional, le petit port de Fiu-
micino, que l'on peut considérer comme le port d'approvisionnement de
Rome, situé à 25 kilomètres au nord-ouest.
Le seul port commerçant que possède le pape dans la Méditerranée est
celui de Civita-Vecchia; c'est une ville épiscopale, capitale de délégation,
peuplée de 7 à 8,000 âmes; elle est bien bâtie; d'importantes fortifications
la défendent. Elle possède un arsenal militaire, des chantiers de construc-
tion, et son port, qui jouit de la franchise, fait un commerce assez impor-
tant. C'est une des principales stations de la navigation à vapeur dans
lu Méditerranée; elle doit être unie à Rome par un chemin de fer.Dans
ses environs on visite les belles et riches mines d'alun de Tolfa.
Canino, Cornello, Montalto, Piano de Voce, et quelques autres villages
ou bourgs des environs de Viterbe, sont intéressants pour l'archéologie par
les importantes découvertes d'antiquités étrusques qu'on y a faites dans
ees dernières années, grâce au zèie éclairé du prince Lucien Bonaparte.
En se dirigeant vers l'est, on voit la jolie ville de Viterbe, surnommée
la ville aux belles fontaines et aux jolies filles. Le palais communal, com-
mencé en 1264, renferme une collection d'antiquités étrusques et romaines;
de beaux tableaux ornent la cathédrale ; l'ancien palais épiscopal, monu-
ment du treizième siècle, rappelle le fameux conclave, qui dura 33 mois,
pour l'élection du pape Martin IV; le couvent de Sainte-Rose conserve le
corps intact et momifié de cette jeune fille dont il porte le nom, et qui au

604
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
treizième siècle souleva le peuple contre la domination de l'empereur Fré-
déric II. Viterbe est une ville épiscopale, chef-lieu de délégation, elle
compte 15,000 âmes. Orvietto, au bord de la Paglia, est sur un rocher
escarpé ; on y voit un puits dans lequel les mulets descendent par un esca-
lier éclairé par 100 petites fenêtres, et remontent par un autre. Cette jolie
petite ville, célèbre par son excellent vin blanc, possède une cathédrale
fondée en 1290, et qui est remarquable pour l'histoire de l'architecture :
elle indique le passage en Italie du style gothique à celui de la renaissance.
Les environs sont volcaniques et couverts de belles masses de prismes
basaltiques.
En dirigeant sa course vers Foligno, on traverse Spolète, chef-lieu de
délégation, petite ville bâtie sur une hauteur, qui conserve quelques restes
de murs cyclopéens : on y trouve les ruines d'un théâtre et de plusieurs
temples antiques ; ses vieilles tours et ses murailles sont peut-être l'ouvrage
de Narsès, qui en chassa les Goths. Près de la ville, un bel aqueduc de
165 mètres de hauteur et d'architecture gothique est probablement celui de
Théodoric. Foligno, qui fut à moitié détruite en 1832 par un tremblement
de terre, possède encore une belle cathédrale. Spello, à une lieue de là,
qui n'a pas été épargnée par les secousses volcaniques, est remplie d'anti-
quités, parmi lesquelles on remarque la porte de Vénus, beau monument
romain. Cette petite ville possède un excellent collège.
Près du Tibre, Pérouse ou Perugia, évêché et chef-lieu de délégation,
est une ancienne ville étrusque qu'on nommait Perusia; elle était célèbre
longtemps avant Rome; Annibal en fit vainement le siége. Placée au
sommet d'une montagne, l'eau y est amenée du mont Pacciano par des
tuyaux qui descendent dans la vallée et remontent à la hauteur de 130
mètres; c'est dans ses murs que naquit le Pérugin, peintre estimé, qui eut
la gloire de former Raphaël. Elle a plusieurs académies, entre autres celle
des beaux-arts et la société des amis des arts; son université, fondée en
1320, est l'une des plus distinguées de l'Italie. Elle renferme de nom-
breuses richesses artistiques et archéologiques. Cette ville, qui est indus-
trieuse et commerçante, renferme une population de 25,000 âmes. Du
haut de la citadelle la vue est magnifique. On aperçoit à trois lieues de là,
sur le revers d'une montagne, des aqueducs, des temples et des murailles
crénelées : c'est Assist ou Assise, patrie de saint François, dont les reli-
ques attirent une foule de pèlerins. On remarque dans cette ville un ancien
temple de Minerve devenu l'église de Sainte-Marie-de-la-Minerve, des
aqueducs, des tombeaux et les restes d'un théâtre antique.

EUROPE. — ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
605
En suivant les contours de la chaîne Apennine, on arrive à Bologne,
située sur le canal qui porte son nom, chef-lieu de délégation et le siége
d'un archevêché. On doit la regarder comme la seconde ville des Etats de
l'Église; c'est, après Rome, la plus riche en tableaux. Dans ses murs fut
convenu, en 1515, le Concordat en vertu duquel François Ier se réserva
la nomination des grands bénéfices, en accordant au pape la première
année de leur revenu. Cette ville renferme un nombre considérable
d'églises, et deux vieilles tours fort remarquables : l'une, celle des Asi-
nelli, juste au milieu de Bologne, est la plus haute de l'Italie ; l'autre, la
Garisenda, encore plus penchée que celle de Pise, semble menacer de
destruction les maisons voisines. Son université, la plus ancienne de l'Ita-
lie; son jardin botanique, l'un de plus beaux de l'Europe méridionale, et
qui fut fondé vers l'an 1568 ; son musée d'histoire naturelle, celui d'anti-
quités, où l'on remarque plusieurs objets précieux; la galerie de peinture
et de sculpture, où l'on admire les chefs-d'œuvre de l'école bolonaise et
ceux de plusieurs grands peintres; sa bibliothèque, qui renferme 80,000
volumes et 4,000 manuscrits; son observatoire, où l'on a tracé une belle
méridienne ; ses deux académies, celle des beaux-arts et celle des juris-
consultes (filodicologi), mettent cette ville au rang des plus célèbres et des
plus lettrées de l'Italie. Parmi les belles églises de Bologne, on peut citer
celle de Saint-Pétrone, bâtie à la fin du quatorzième siècle ; la cathédrale;
l'église de Saint-Jacques-Majeur, celle de San-Salvatore, celle du Corpus
Domini ou della Santa, celle de Saint-Dominique, celle de Saint-Etienne,
formée par la réunion de sept chapelles, et celle de Santa-Maria-della-
Vita, où l'on remarque les reliques d'un saint Buonaparte et un riche
médaillon de Petitot, représentant Louis XIV. A ces somptueux édifices,
il faut ajouter parmi les plus remarquables l'ancien palais du podestat, le
palais del Pubblico, et quelques palais de riches particuliers, tels que le
palais Magnani, le palais Bentivoglio, et le palais Ranuzzi, maintenant
Bacciocchi ; les bâtiments des écoles et la salle de l'opéra. La population
de cette ville est d'environ 80,000 âmes.
Ferrare, moins considerable que Bologne, est la ville la plus septentrio-
nale des États de l'Église ; ses rues sont larges, droites, mais presque
désertes; celle de Saint-Benoît a deux kilomètres de longueur. L'édifice le
plus curieux est le palais gothique des anciens ducs; l'extérieur seul y
rappelle l'illustre maison d'Este, et les beaux vers de l'Arioste et du Tasse,
car l'intérieur est entièrement moderne. Les cendres du premier de ces
poëtes reposent au Lycée, et dans l'hôpital Sainte-Anne on montre encore

606
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
la place où le second, sous prétexte de folie, fut enfermé pendant sept ans
par Alphonse, duc de Ferrare. Le palais del Magistrate, résidence du
gonfalonier, offre d'admirables peintures : c'est là que s'assemble l'aca-
démie degli Intrepidi, qui prit en 1803 le nom d'académie Ariostea, et en
1814 celui d'académie scientifique littéraire degli Ariostei. La cathédrale
est d'un beau style gothique; l'église de Saint-François possède un écho
qui repète seize fois les sons; on distingue le monastère et l'église de Saint-
Benoît qui est au nombre des plus belles de Ferrare. La bibliothèque
publique contient environ 80,000 volumes et 1,000 manuscrits, parmi les-
quels se trouvent quelques chants de l' Orlando furioso de l'Arioste, la
Jérusalem du Tasse, et le Pastor fido de Guarini. La maison de l'Arioste
est aussi un des monuments de Ferrare. Le Campo-Santo, ancienne char-
treuse, renferme plusieurs beaux mausolées. La grande place, qui fut
décorée d'abord de la statue du pape Alexandre VU, puis de celle de Napo-
léon, dont elle porta le nom, qu'elle changea en 1814 contre celui de place
de l'Arioste, est depuis 1833 ornée de la statue de ce poëte. Cette ville,
aujourd'hui chef-lieu de légation et siége archiépiscopal, compte 25,000
habitants. Elle est défendue par une grande citadelle, dans laquelle les
Autrichiens tiennent garnison. Elle communique par un canal avec Ponte
di laco Scuro, bourg de plus de 2,000 âmes, avec un port franc sur la
branche du Pô, dite de Mestre. Comacchio est pour ainsi dire située au
milieu de la partie inférieure du delta que forme le Pô à son embouchure.
C'est une ville épiscopale d'environ 6,000 âmes, qui possède des salines
et d'importantes fortifications occupées par les Autrichiens.
Les atterrissements ont comblé le port que l'empereur Auguste avait fait
construire à Ravenne; celte ville, chef-lieu de légation et siége archiépis-
copal, est aujourd'hui à deux lieues de la mer. Selon Strabon, elle fut
fondée par les Thessaliens. Jadis florissante, elle n'a plus que 25,000 habi-
tants. La cathédrale, refaite en 1749, renferme quelques parties qui datent
du sixième siècle; dans la basilique de Saint-Vital, beau monument de
l'architecture des Goths, qui servit de modèle à Charlemagne pour la cathé-
drale d'Aix-la Chapelle, on admire une vaste mosaïque représentant Justi-
nien et l'impératrice Théodora avec leurs courtisans; elle renferme le
mausolée de Galla Placidia, fille de Théodose et mère de Valentinien III, et
le tombeau d'Honorius II L'église de Saint-Frauçois a été bâtie vers le
milieu du cinquième siècle; celle de Saint-Onuphre renferme le tombeau
du Dante, auquel un beau mausolée fut jadis érigé près du cloître des
frères mineurs de Saint-François, où on le voit encore. Ravenne possède

EUROPE. — ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
607
un musée d'antiquités et une bibliothèque de 40,000 volumes et de700
manuscrits. Hors de ses murs antiques s'élève un beau monument sur-
monté d'une coupole : c'est le tombeau que se fit élever Théodoric, et qui
est devenu l'église de Sainte Marie-de-la-Rotonde.
Faenza, ville épiscopale de 20,000 âmes, passe pour avoir donné son
nom aux poteries que l'on appelle faïences, et dont elle possède des fabri-
ques; elle est la patrie adoptive du célèbre physicien Torricelli. Forli,
chef-lieu de légation et ville épiscopale de 17,000 âmes, n'a de remar-
quable que sa cathédrale et ses rues larges tirées au cordeau. Césène a de
Jolis environs, mais point de monuments-, cependant le Campo-Santo y est
remarquable. La ville épiscopale de Rimini, peuplée de 17,000 âmes, bâtie
avec élégance sur le bord de la mer, était le lieu où se terminaient la voie
Flaminienne et la voie Emilienne. On y voit plusieurs antiquités, entre
autres un arc de triomphe d'une belle construction, érigé à Auguste, et le
pont commencé par cet empereur et terminé par Tibère. L'église de San-
Francesco, bâtie en 1450, est l'un des premiers édifices dans lequel l'ar-
chitecture romaine remplaça le style gothique. La bibliothèque publique
renferme 30,000 volumes. Aux environs de Rimini est le château de Saint-
Léo, où fut enfermé et où mourut Cagliostro. La petite ville d'Urbin, siége
d'un archevêché et chef-lieu de légation, n'est célèbre que pour avoir donné
naissance à Raphaël. Son université n'existe plus, mais elle a conservé un
collége et une institution qui s'est donné le nom ridicule de Academia
assurditarum ou absurdescentium. Ancône, capitale de délégation et ville
épiscopale de 25,000 âmes, vue du côté de la mer, offre un beau coup
d'œil ; elle est bâtie sur le penchant d'une montagne. Sur deux mamelons
aux deux extrémités de la ville, s'élèvent, d'un côté, la citadelle, et de
l'autre, la cathédrale, ancien temple de Vénus; le port a la forme d'un demi-
cercle; le môle, qui s'avance dans la mer, a 22 mètres de hauteur et 650
de longueur ; les rues de la ville sont étroites et tortueuses. On y remarque
un bel arc de triomphe élevé à Trajan, et un autre érigé en l'honneur de
Benoît XIV, qui lit construire le môle et le lazaret. Ancône, qui a été plu-
sieurs fois occupée par les Français, est une ville fortifiée; elle possède un
port franc qui est le plus commerçant des États de l'Église sur l'Adriatique.
On ne peut voir Ancône sans être tenté d'aller visiter Lorette, ville épis-
copale de 6,000 âmes, bâtie sur une montagne qui domine la mer, et qui
est célèbre par le magnifique sanctuaire consacré à Notre Dame.
De Lorette aux frontières du royaume de Naples, on ne compte que
quatre villes peu importantes : Macerata, chef-lieu de délégation, sur une

608
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
colline qui domine une plaine fertile en céréales, est le siége d'un évêché
important par son université et ses établissements littéraires ; sa population
est de 20,000 âmes. Fermo, dont le petit port est très-fréquenté, conserve les
restes du palais de son tyran Oliverttoo, « digne victime de son émule plus
adroit, César Borgia ; » c'est une cité archiépiscopale, chef-lieu de délé-
gation, et peuplée de 15,000 âmes. Sinigaglia, l'antique Sena gallica,
qui indique par son nom son origine gauloise, fut bâtie par les Senones.
Elle est aussi le siége d'un évêché ; mais malgré sa cathédrale dans le style
corinthien, son hôtel des monnaies et son théâtre, elle n'est remarquable
que par la foire qui s'y tient depuis le 20 juillet jusqu'au 17 août, et qui
est la plus importante de l'Italie. Carnerino a un beau palais archiépiscopal,
une université et des fabriques de soieries; et Ascoli, l'ancien Asculum,
est le siége d'un évêché.
Les papes possèdent encore deux petits territoires dans le royaume de
Naples : celui de Ponte-Corvo, et celui de Bénévent. Ponte-Corvo est une
ville de 5,000 habitants, sur le Garigliano, avec un évêché et un château.
Bénévent, chef-lieu de délégation et siége d'un archevêché, et dont on
évalue la population à 17,000 âmes, renferme quelques édifices remar-
quables, dont le plus important est sa superbe cathédrale; on y voit aussi
une belle porte appelée Porta aurea, arc de triomphe en marbre élevé en
l'honneur de Trajan. La première de ces villes est enclavée dans la Terre
de Labour, et la seconde dans la principauté Ultérieure. Bénévent fut au
moyen âge la capitale d'un duché qui jouissait d'une certaine prépondé-
rance dans la Basse-Italie.
Nous ne devons point oublier près de la frontière du royaume des Deux-
Siciles, Terracine, petite ville épiscopale qui offre un séjour malsain qu'elle
doit à son voisinage des marais Pontins, mais qui présente sur une vaste
place quelques beaux édifices. On y voit aussi les restes d'un temple à
Jupiter, et ceux d'un château de Théodoric.
Nous allons terminer par l'exposé des réformes administratives intro-
duites par le pape Pie IX dans les États de l'Église depuis 1850.
Le gouvernement des États de l'Église est une monarchie théocratique
et élective. L'élection appartient aux cardinaux de toute l'Église catho-
lique réunis en conclave. La nationalité italienne est une des conditions de
l'éligibilité ; le candidat doit en outre être âgé de cinquante ans au moins,
et n'être attaché par aucun lien de famille à un souverain étranger. La
réunion des cardinaux forme le Sacré-Collége, il s'occupe des affaires
générales de l'Église et de l'État.

EUROPE. — L'ITALIE. ÉTATS DE L'ÉGLISE.
609
Le gouvernement des États romains se compose de cardinaux ayant
chacun un département, et de laïcs auxquels on confie différents emplois
dans la magistrature et le commandement militaire : tous sont soumis à
l'autorité absolue du pape. Les principales fonctions remplies par des car-
dinaux sont celles de camerlingue, ou de ministre des finances, chargé de
l'administration des revenus de l'État et de présider la chambre apostolique ;
celles de secrétaire d'Élat, dont les attributions, analogues à celles du
ministre des affaires étrangères, consistent à correspondre avec les nonces
et les légats ; celles de dataire, chargé de la nomination aux bénéfices,
des dispenses et des annates ; celles de vicaire, qui, outre les fonctons
épiscopales qu'il exerce dans Rome, remplit celles de ministre de la police,
et est chargé de tout ce qui regarde les mœurs, la conduite des filles
publiques et les affaires relatives aux juifs; celles de chancelier, dont le
litre indique suffisamment les fonctions ; celles d'auditeur, qui a dans son
département la justice, les affaires contentieuses et l'examen de ceux que
3'on propose pour l'épiscopat ; enfin celles de secrétaire des brefs, chargé
de l'expédition de toutes les dispenses.
Différentes assemblées de cardinaux portent le nom de consistoires et de
congrégations : dans les premiers on traite de la nomination des nonces,
des légats et des évêques ; dans les secondes on examine les procès des
assassins sans préméditation, qui réclament le droit d'asile ou d'impunité,
après s'être réfugiés dans une église ; les plaintes du peuple contre les gou-
verneurs; les qualités de ceux qui sollicitent la noblesse, et autres ques
lions analogues. La congrégation des rites fixe les cérémonies de l'Église,
et confère, après un examen d'usage, l'honneur de la canonisation. La
principale de ces congrégations est celle de l'Inquisition ou du Saint -
Office, qu'assiste celle de l'Index, établie pour examiner les livres réputés
dangereux.
Le pape est secondé dans l'administration politique par un ministère
composé de cinq membres, présidé par un cardinal secrétaire d'État. Un
conseil d'Étal de quinze membres est appelé à concourir au gouvernement ;
il est présidé par le cardinal secrétaire d'État. Le pape nomme les con
seillers d'État parmi ses sujets âgés d'au moins 30 ans et jouissant de leurs
droits civils.
Pour l'administration de la justice, les principales cours sont : le tri-
bunal de la Signature, cour de cassation chargée de faire respecter les lois
et de les interpréter; la Sacrée Consulte, qui possède la juridiction en
appel et en dernier ressort pour les matières criminelles; le tribunal de
VII.
77

610
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
la Role, chargé de donner des avis motivés et de juger en appel plusieurs
cas. Pour la justice ordinaire il existe aussi des tribunaux de première ins-
tance au chef-lieu de chaque province, et dans chaque district des juges-
de-paix ; mais tous ces tribunaux sont eux-mêmes dominés par un tribunal
ecclésiastique, juge des délits moraux et religieux, sous LE nom de Tribunal
criminel du Vicariat. Ses sentences sont sans appel si elles réunissent
l'unanimité des juges.
Pour l'administration intérieure, le territoire est partagé en quatre léga-
tions, outre la capitale et son arrondissement. Les légations sont partagées
en provinces ou délégations, les provinces en gouvernements, et les gou-
vernements en communes. Mais ces nouvelles divisions, décrétées en
novembre 4850, n'étaient pas encore délimitées et adoptées en 1853 ; nous
en donnons plus loin le tableau.
Les communes sont divisées en 5 classes, suivant la population : la pre-
mière comprend les communes au-dessus de 20,000 habitants ; la seconde,
celles de 10,000 à 20,000; la troisième, celles de 5,000 à 10,000; la qua-
trième, celles de 1,001 à 5,000; la cinquième, celles de 1,000 et au-dessous.
Chaque commune possède un conseil municipal, dont font partie, avec voix
deliberative, deux députés ecclésiastiques. Au-dessus du conseil s'élève ce
que l'on appelle la magistrature communale, formée de conseillers, à
l'exception du président, qui peut être pris en dehors du conseil. Les magis-
trats administrent les affaires de la commune sous le nom d'anciens ; le
président prend le titre de gonfalonier, excepté à Rome et à Rologne, où
les présidents portent le nom de sénateurs, et les magistrats celui de
conservateurs. Le gouvernement nomme les présidents et les magistrats:
les conseillers municipaux sont nommés par l'élection, ils se renouvellent
tous les trois ans. La consulte des finances, nommée par le pape sur une
liste de membres élus par les conseils provinciaux, règle le budget et
s'occupe de ce qui traite l'agriculture, l'industrie et le commerce. Les
finances sont toujours la partie la plus en souffrance dans les États romains
et il ne faut guère espérer une grande amélioration dans ce régime inté-
rieur du pays, tant que l'on n'aura pas équilibré les recettes et les dépenses.
Le budget de 1853 donnait pour les revenus 11,346,311 écus romains
(l'écu romain vaut 5 francs 45 cent.), tandis que les dépenses étaient
de 12,487,412, ce qui constituait un déficit de 1,141,101 écus romains,
qui venait s'ajouter à la dette publique, déjà bien considérable, puisqu'en
1851 les intérêts payés de cette dette s'élevaient à la somme de 4,300,000
écus romains.

EUROPE. — ITALIE. RÉPUBLIQUE DE SAINT-MARIN.
611
Le commerce a repris quelque extension depuis la révolution de 1848 ;
en 1851 la valeur des marchandises exportées s'élevait à 9,733,465 écus
romains, et celle des marchandises importées était de 10,598,261 écus
romains. La navigation commerciale des deux ports principaux d'Ancône
et de Civita-Vecchia présentait un mouvement de 2,884 navires, jau-
geant 263,387 tonneaux, et montés par 31,069 hommes d'équipage. Sur
ce nombre 1,288 navires jaugeant 81,387 tonneaux, et montés par 9,221
marins, naviguaient sous le pavillon romain. Les États de l'Église forment
trois divisions militaires : Rome, Ancône et Bologne. L'armée, d'après la
nouvelle réorganisation, devrait compter 21,059 hommes, mais, par suite
de l'embarras des finances, elle n'a d'effectif réel que 12,828 hommes ; un
régiment de dragons, 2 régiments suisses, 2 régiments de ligne et un corps
de gendarmerie en forment la partie la plus active. La garde particulière
du pape est confiée aux gardes-nobles et aux Suisses. La papauté est aujour-
d'hui, comme puissance temporelle, bien menacée dans son existence; si,
par une administration tolérante, libérale, elle ne se réconcilie pas avec
la société romaine, si elle s'obstine à lui refuser le bien-être et toute espèce
de liberté, elle n'a d'autre chance de salut que de se jeter dans les bras, ou
plutôt dans la dépendance absolue de l'Autriche ou de la France.
Pendant le cinquième siècle, un tailleur de pierres, Dalmate, que sa
piété portait à prêcher le christianisme, bâtit un ermitage sur les bords
de l'Adriatique, au sommet du mont Titan : on l'appelait Marino. Son zèle
religieux lui fit donner le titre de saint, et après sa mort il eut les honneurs
de la canonisation. Une ville s'éleva l'an 600 sur l'emplacement qu'occu-
pait la retraite de san Marino, dont elle prit le nom. Elle se forma en répu-
blique, se fortifia et acquit deux ou trois petites forteresses dans ses envi-
rons. En 1739, les papes la subjuguèrent : c'était une bien faible conquête,
mais l'empereur d'Allemagne lui rendit la liberté. Enclavée dans les États
du Saint-Siége, elle est aujourd'hui sous sa protection. Cette petite répu-
blique, qui avait adopté le protocole suivant, en écrivant à celle de Venise :
Alla nostra carissima sorella, la Serenissima republica di Venesia, occupe
un territoire de 3 lieues carrées; elle se compose de 8 paroisses, qui sont :
San-Marino, comprenant la ville et ses environs, Serravalle, Faetano,
Montegiardino, Chiesa Nuova, Fiorentino, Acquaviva et Domagnano. Cha-
cune d'elles comprend une colline dominée par un château ou un hameau.
,
La ville de San-Marino ou de Saint-Marin est située sur le mont Titan

612
LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIÈME.
qui la domine de ses trois cimes, sur chacune desquelles s'élève une tour.
Elle compte environ 600 habitants ; elle était autrefois entourée de murs. On
y remarqueune belle église et un théâtre; elle est le siége du gouverne-
ment, et d'un certain commerce qui consiste principalement en bons vins
que produit son territoire. La seule grande route carrossable qui traverse la
république, conduit de San-Marino à Rimini.
La souveraineté réside dans un grand-conseil souverain, composé de
60 membres, pris à nombre égal parmi les patriciens, les bourgeois et les
paysans. Dans ce nombre on choisit le conseil des douze, et les deux capi-
taines-régents qui sont les représentants de l'État: ils restent chacun six
mois en fonctions. La force armée, à l'exception d'un petit corps de gen
darmerie recruté à l'étranger; est sédentaire et reçoit de l'État, les armes,
l'uniforme et la solde, pendant toute la durée de son service. L'administra-
tion de la justice est entre les mains d'un jurisconsulte étranger choisi
pour 3 ans, et qui après cet espace de temps peut être encore une fois
confirmé dans sa charge. Deux secrétaires d'État ont, l'un la conduite des
affaires étrangères, et l'autre celle de l'intérieur; un secrétaire a la direc-
tion des finances; les revenus sont évalués à environ 35,000 francs, et les
dépenses à 24,000. La force armée se compose de deux corps : la garde
forte de 34 hommes, officiers compris, servant de garde aux capitaines-
régents, et la milice de 800 à 900 hommes. La république possède 4 canons,
qui ont été donnés par Bonaparte, en 1797, pour récompense de la modé-
ration qu'elle montra en refusant l'offre d'une extension de territoire.
TABLEAUX statistiques des États de l'Église et de la république
de Saint-Marin.
ÉTATS DE L'ÉGLISE.
SUPERF.
POPULAT.
POPULAT.
FINANCES
COMMERCE
FORCES MILITAIRES
en l. g. c.
en 1843 1.
par lieue carr.
en 1853.
en 1851.
en 1853.
Revenus.
Importations.
Cadres complets :
61,8 37,394 francs.
57,760,530 francs.
21,050 hommes.
2,080
2,008,115
1,397
Dépenses.
68,050,395 lianes.
Exportations.
Intérêt de la dette.
Sous les drapeaux :
25,435,000 lianes.
53,047,380 francs.
12,828 hommes.
1 Il n'y a pas eu de recen sement officiel ι depuis celte époque.

EUROPE.
— TABLEAUX STATISTIQUES DES ÉTATS DE L'ÉGLISE.
613
LÉGATIONS
SUPERF.
POPULAT.
VILLES PRINCIPALES.
ET DÉLÉGATIONS.
en l. g. c.
eu 1843.
ROME , 180,000.
— Albano, 3,000.
— Frascati, 4,000. —
ROME et COMARCA
225
310,233
Tivoli, 6,000.
BOLOGNE
170
348,052
Bologne, 80,000.
— Cento, 4.000. - Medicina, 5,500.
FERRARE
Ferrare, 26.000. — Comacchio, 3,000. — Fonte di
40
218,786
LAGO, 2.500.
FORLI
Forli. 17,000. - Rimini, 18,000.
— Folimpopoli, 6,500.
90
202,315
— Cesenatico, 4, 000 >·
RAVENNE
Ravenne, 25,000.
— Faenza , 20,000. — Imola, 9,000.
89
168,413
— Cervia, 4.000.
Urbin, 13,000. - Pesaro, 15,000 — Fano, 16,000. -
URBIN et PESARO.
162
237,966
Sinigaglia, 8,000.
VELLETRI
85
57,517
Velletri, 10,000.—Subiaco. 2,000
— Palestrina, 4,000.
ANCONE
58
166,114
Ancone. 35,000.- Osimo, 7,000.— lesi, 5,000.
MACEKATA. . . .
115
225,615
Macerata, 20,000.
— Loreto, 8,000.— Fabriano, 8,000.
CAMERINO
40
38,415
Camerino, 8,000.
— Recanati. 4,000.
FEGMO
41
104.116
Ferma, 14,000. — Porto di Fermo, 7,000.
ASCOLI
60
84,217
Ascoli, 15,000. - Montallo, 2.000.
PÉROUSSE
Perugia, 25,000.
— Assise, 5,000.
— Foligno, 9,000.-
196
210,316
SPOLÈTE
Cita di Castella, 6,000.
150
121,453
Spolète, 8.000.
— Terni, 5,000.
RIETI
67
67,018
Rieti, 8,000.
— Narni, 3,000.
VITERBE
144
120,676
Viterbe, 15,000. - Civita Castellana. 3,000.
ORVIETO
39
26,141
Orvieto, 8,000.
— Roncigliano. 3,400.
Frosinone, 7,000. - Alatri, 9,000. — Ponte Corvo,
FROSINONE. . . .
94
141,930
6,000.— Terracine, 5.000.
CIVITA-VECCHIA.
48
24.312
Civita-Vecchia. 7,000.
— Fiumichino. — Tolfa.
BÉNÉVENT.
. . .
6
23,910
Bénévent, 17,000.
— San-Leuci, 3,000.
Eaux et voies de com- ι
2,898,115
90 villes, 206 bourgs, 3,387 villages.
60
10,000 I raëlites.
Superficie du cadas-
3
tre urbain
2,908,115
2,080
Tableau des nouvelles divisions décrétées en novembre 1850.
LÉGATIONS.
DÉLÉGATIONS.
LÉGATIONS.
DÉLÉGATIONS.
Rome.
Ancone.
Viterbe.
Urbin et Pesaro.
ROME

Civila—Vecchia.
Macérata.
,
Orviéto.
ANCONE. Loréto.
Bologne.
Fermo.
BOLOGNE
Ferrare.
Ascoli.
Forli.
Camerino.
.
Ravenne.
Velletri.
VELLETRI
Pérouse.
Frosinone.
PÉROUSE Spolète.
Bénévent.
Riéti.
Commerce maritime des ports de Civita-Vecchia et d'Ancone en 1851.
ENTRÉES.
SORTIES.
BATIMENTS.
TONNAGE.
ÉQUIPAGE.
BATIMENTS.
TONNAGE.
ÉQUIPAGE.
Romains.. . . 1,213
8,139
9,303
Romains.
. . 1,288
81,387
9.221
Etrangers. . . 1,004
179,448
22,618
Etrangers. . . l,596
182,000
21,848
2,817
260,842
31,981
2,834
263,387
31,069

614
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
RÉPUBLIQUE DE SAINT-ΜARIΝ.
SUPERF.
POPULAT.
POPULAT.
FINANCES.
FORCE MILITAIRE.
VILLE ET BOURGS.
en l. g. c.
par lieue carr.
Revenus.
SAN-MARINO, 600.
3
7,600
2,533
32,700 francs.
60 gendarmes.
Serravalle.
Dépenses.
Faetano.
21,800 francs.
Montegiardino.
LIVRE CENT SOIXANTE QUATORZIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Description de l'Italie. — Description du
royaume des Deux-Siciles.
Seize siècles avant notre ère, des peuples sortis des montagnes de l'Illy-
rie établirent des colonies entre les Alpes et l'Adige. Bientôt abandonnant
un sol marécageux, funeste à l'homme et rebelle à la culture, ils suivi-
rent le littoral du golfe Adriatique, et se retirèrent depuis l'embouchure
du Chienti jusqu'à l'extrémité de la Calabre. Ces peuples étaient des
Liburnii, nation dont les Pœdiculi, les Apuli et les Calabri formaient les
trois principales souches. Quelques-unes de leurs peuplades portaient des
noms qui ont excité les recherches des étymologistes. Court de Gébelin
prétend que celui des Marrucini, établis sur la rive droite de la Pescara,
dérive des mots mar, haut, et ru, ruisseau. Les Peligni habitaient dans les
Apennins : le mot pal signifie en effet lieu élevé. La dénomination de Fren-
tani dériverait du mot ren, couler, parce que leurs pays était traversé par
plusieurs rivières qui descendent à l'Adriatique; mais ce nom ne viendrait-
il pas aussi de l'une de ces rivières que l'on appelait le Fronto, aujour-
d'hui le Fortore, de môme que, dans l'Amérique septentrionale, on a
donné à quelques peuplades des noms de rivières et de montagnes? On a
prétendu aussi que celui de Calabri venait du mot oriental calab, résine,
parce que les pins sont communs dans cette contrée. A l'ouest de ces
peuples, le versant qui se dirige vers le golfe de Tarente s'appelait Messa-
pia ou Japygia. Mazocchi a fait une remarque assez singulière : c'est que
que le mot oriental massap signifie vent, et que le mol hébreu japah veut
dire il a soufflé; ainsi la racine de ces deux noms d'un même pays annonce
une terre ravagée par les vents : ce que l'on remarque encore de nos
jours. Dans les Apennins, aux environs du lac Fucino, qui occupe une

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
615
partie d'un bassin élevé, habitait un peuple appelé Marsi, dont le nom
vient, suivant Court de Gébelin, de mar, élévation, et ci, eau; il était
limitrophe avec les Peligni. Les Marsi, les Peligni, les Marrucini et les
Frentani étaient, dit Strabon, peu nombreux, mais pleins de courage : ils
opposèrent une longue résistance au joug des Romains.
Au sud des Marsi, dans les montagnes et sur les flancs de l'Apennin,
s'étendait le Samnium, pays des Samnites; le géographe grec donne pour
ancêtres à ce peuple les Sabini. Court de Gébelin et Lamartinière voient
dans le nom de Sabini l'origine du mot Samnites : on les aura appelés
Sabinites, puis Sannites, et enfin Samnites. La cause de leur séparation
des Sabini n'est point sans quelque vraisemblance : Strabon nous en a
conservé la tradition. Selon l'usage de l'antiquité la plus reculée, les
Sabini, engagés dans une guerre sanglante contre les Ombri leurs voi-
sins, consacrèrent aux dieux tout ce qui naîtrait chez eux dans l'année
courante. La victoire ayant couronné leur entreprise, les animaux et ies
produits de l'agriculture furent offerts en sacrifice : la disette en fut le
résultat. Quelqu'un fit alors remarquer que, pour accomplir rigoureuse-
ment le vœu, il aurait fallu l'étendre sur les enfants : ceux-ci furent donc
voués au dieu Mars. Devenus adultes, ils durent s'expatrier : ils suivirent
la chaîne des Apennins, et ce fut à une vingtaine de lieues de leur patrie
qu'ils s'établirent. Ce peuple guerrier devint puissant et nombreux, puis-
qu'il pouvait mettre sous les armes 80,000 fantassins et 8,000 cavaliers.
Longtemps rival des Romains, il ne leur fut tout-à-fait soumis que lors-
que le dictateur Sylla, après l'avoir vaincu, eut la barbarie de faire égor-
ger au milieu du Champ-de-Mars les prisonniers qui s'étaient rendus à
lui en se confiant à sa bonne foi.
A l'est du Samnium, la Campante (Campania) était célèbre par ses
beaux sites et sa fertilité. Là se trouvait Capoue, délicieuse cité, dont les
plaisirs furent aussi funestes aux troupes d'Annibal que les plaines de
Cannes l'avaient été aux Romains. Plus loin, les coteaux de Falerne
étaient chéris du dieu des vendanges. Les environs des Baies et de Pouz-
zole, renommés par leurs bains, étaient couverts de maisons de plaisance,
où les Romains venaient étaler leur luxe et leur mollesse. « Au-dessus de
« ces lieux, dit Strabon, domine le Vésuve, offrant sur toute sa surface,
« excepté vers sa cime, un sol très-agréable. Cette cime, plane dans sa
« plus grande partie, mais totalement stérile, semble, à la vue, n'être
« qu'un monceau de cendres-, et l'on y rencontre de longues cavi-
« tés formées de pierres, toutes de couleur ferrugineuse, comme si elles

616
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
« avaient été calcinées par le feu. De là nous pouvons inférer que ce mont
« fut jadis un volcan, et renferma des fournaises de feux qui se seront
« éteints lorsque l'aliment leur aura manqué. » Il est assez singulier de
voir cet auleur parler du Vésuve comme on parle des volcans éteints de
l'Auvergne.
La fertilité de la Campante y attira tour à tour différents peuples, qui s'en
rendirent maîtres : après avoir été habitée par les Opici et les Ausones,
elle fut conquise par les Osci, qui furent chassés par les Cymœi, peuplade
grecque venue de l'Eolie douze siècles avant notre ère ; ceux-ci, après y
avoir fondé douze villes, dont la capitale était Capoue, se soumirent aux
Samnites, qu'asservirent les Romains.
Au sud-ouest de la Campanie, la Lucanie (Lucania) se prolongeait
depuis le golfe de Salerne jusqu'à celui de Tarente ; les Lucam, qui l'ha-
bitaient, étaient une colonie de Samnites. A l'époque de leur établisse-
ment, les côtes de l'Italie occidentale étaient, comme la Sicile, peuplées
de colonies grecques qui leur valurent la dénomination de Grande-Grèce.
Les plus voisines de la Lucanie luttèrent contre ces nouveaux habitants :
leur politique eut toujours pour but de s'opposer à leurs envahissements
sur les cantons maritimes. C'est probablement dans cette politique qu'il
faut chercher la cause de la destruction de Sybaris, ville située à l'embou-
chure du Sybaris, aujourd'hui la Cosale. Son origine paraît être orientale,
si l'on admet avec Mentelle que son nom vient d'un mot analogue à she-
ber, qui en hébreu signifie abondance. Il est assez remarquable que lors-
que les Sybarites eurent rebâti leur ville à peu de distance de la première,
son nom grec, qui fut d'abord Thourion, dont les Latins firent Thurium,
et qui reçut ensuite des Romains celui de Copia, conserva toujours la
même signification. Thor en chaldéen signifie bœuf, emblème de l'agricul-
ture, et Copia présente aussi la même idée d'abondance. Le pays des
Sybarites était tellement riche et peuplé, qu'on y comptait 25 villes et
qu'il pouvait mettre 30,000 hommes sous les armes. Mais leurs richesses,
leur luxe et leur mollesse furent les principales causes de leur perte: leur
nom était devenu synonyme d'efféminés.
Le territoire de la Calabre était appelé Bretium ou Brutium par les
anciens : selon Strabon, les Bretii ou Brutii, qui l'habitaient, étaient
venus de la Lucanie-, mais Court de Gébelin a prétendu que cette tradition
riait difficile à admettre, parce que le nom de Bretium paraît venir du mot
celtique bret, qui signifie forêt. Les Syriens désignent par bruta un arbre
résineux : le nom de Brutium indique donc un pays couvert de pins. Nous

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
617
avons vu que la racine du mot Calabre signifie résine. Nous ne rappe-
lons ces etymologies que parce qu'elles s'accordent assez exactement
avec la nature des productions ou du sol des diverses parties de l'Italie
méridionale.
La Sicile fut d'abord habitée par les Sicani, peuple d'origine ibérienne
ou basque, qui l'appela Sicania. Asservie par les Siculi ou Sicili, nation
dalmate, établie dans le Latium, l'île reçut ensuite le nom de Sicilia. Ses
princes, connus sous la dénomination de tyrans, se rendirent célèbres
par leur despotisme et par leurs excursions sur les côtes de l'Italie. Après
la mort de Denys, l'un d'eux, la Sicile fut tour à tour soumise par les
Grecs, les Carthaginois, les Mamertini, qui faisaient partie des Brulii, et
les Romains.
Après la chute de l'empire, les quatre provinces qui composaient ce qu'on
appelle aujourd'hui le royaume des Deux-Siciles furent dévastées par les
Ostrogoths. Narsès les fit rentrer sous l'obéissance de Constantinople, en
553. Trente ans plus lard, Autharis, roi des Lombards, s'en empara, et
fonda le duché de Bénévent, dont les princes possédèrent Naples, Salerne,
Capoue et Tarenle.
La Fouille et la Calabre étaient restées soumises aux empereurs grecs.
Au onzième siècle, quelques gentilshommes normands, revenant d'un
pèlerinage à la Terre-Sainte, s'arrêtèrent à Salerne. Pendant le séjour
qu'ils firent à la cour du prince lombard Gaimar, les Sarrasins, maîtres de
la Sicile, firent une descente dans le port et mirent à contribution le
prince et les habitants. Les Normands, peu disposés à voir tranquillement
ces infidèles se livrer au pillage, coururent aux armes ; et malgré leur
petit nombre, leur courage doublant leurs forces, il n'y eut que quelques
Sarrasins qui purent échapper à leur fureur. Les habitants, pénétrés de
reconnaissance, comblèrent de présents leurs libérateurs. De retour en
Normandie, les succès de cette poignée de braves engagèrent leurs com-
patriotes à aller chercher fortune en Italie : une expédition s'organisa sous
les ordres de Ranulphe. Ce chef, après avoir rendu plusieurs services aux
princes grecs et lombards, et obtint la permission de fortifier Aversa, entre
Naples et Capoue, et de s'y établir. Les exploits des successeurs de Ranulphe
furent encore surpassés par ceux des fils de Tancrède de Hauteville. Leur
alliance était recherchée par les petits princes de la Grande-Grèce, mais la
cupidité de ceux-ci amena bientôt une rupture. Manassès, général des
troupes grecques, dirigea une expédition contre la Sicile : on ne pouvait
vaincre sans les Normands ; les Normands y signalèrent leur courage. Mais
VII.
78

618
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
pendant qu'ils poursuivaient les Sarrasins dans leurs montagnes, les Grecs
se partagèrent le butin enlevé sur l'ennemi. Les Normands leur députèrent
Arduin, l'un de leurs chefs, pour leur reprocher leur injustice : celui-ci
fut frappé de verges, promené dans le camp et renvoyé tout couvert de
sang au milieu des siens. Les soldats, furieux, brûlaient d'assouvir leur
vengeance sur les Grecs, lorsque Arduin, voulant qu'elle fût éclatante,
conçut le projet hardi d'aller s'emparer de la Touille. Ses compagnons le
secondèrent si bien, que ce fut une conquête facile. Guillaume, sur-
nommé Bras-de-Fer, fils aîné de Tancrède, et, après lui, Dreux et On-
froy ses frères, fondèrent plusieurs principautés-, enfin Robert, que sa
grande finesse fit surnommer Guiscard, quatrième des douze fils de Tan-
crède, étendit ses conquêtes. Maître de la Touille, de la Calabre, des prin-
cipautés de Salerne et de Bénévent, il se lit donner par le pape le titre de
duc. Roger, son frère, conquit la Sicile avec une poignée de Normands,
et prit celui de comte. Son fils Roger, héritier du fils de Robert Guiscard,
força l'empereur Lothaire et le pape Innocent II à le reconnaître pour
roi : ses possessions comprenaient à peu près tout ce qui forme aujour-
d'hui le royaume des Deux-Siciles.
C'est ainsi que s'établit la dynastie normande de Sicile ; le dernier de
ces princes fut Guillaume III, fils de Tancrède, surnommé le Bâlard. Trop
jeune pour régner, la régence fut confiée à Sibylle, sa mère. L'empereur
Henri VI, allié à celle famille qui l'avait choisi pour protecteur, fit enfer-
mer Sibylle, et condamna le fils à une captivité perpétuelle, après l'avoir
privé de la vue et de la virilité. Possesseur de la couronne de Naples, son
ambition pouvait être satisfaite, mais sa cruauté soupçonneuse avait
besoin de sang et de forfaits. Il fit périr tous les partisans des princes
normands, et fit exhumer le corps de Tancrède pour le laisser exposé aux
oiseaux de proie. Sa cupidité le porta à d'autres attentats. Richard Cceur-
de-Lion traversait ses Etats : il le fit jeter dans une prison afin de lui faire
payer sa rançon. Il avait des sicaires à récompenser : il s'empara des
biens de l'Église et les distribua à ses favoris. Cette usurpation attira
sur lui les foudres du Vatican. Il composa avec le pape, et recommença
ses cruautés en Italie avec tant de violence, que sa femme se mit à la
tête des mécontents et le fit enfermer dans un château. Le repentir
parut alors s'emparer de son cœur ; il se réconcilia avec son épouse, et se
préparait même à racheter ses forfaits par un pèlerinage à la Terre-Sainte,
lorsqu'il mourut empoisonné, en 1197, emportant le surnom de Cruel
qu'il n'avait que trop mérité. Ses descendants occupèrent le trône de

EUROPE. —ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
619
Naples jusque vers l'an 1265, que le pape en donna l'investiture à celui
qui chasserait Mainfroy, qui venait de l'usurper.
Charles d'Anjou, frère de saint Louis, s'offrit pour accomplir les inten-
tions de Rome, quoique l'héritier direct, qu'on avait fait passer pour mort,
existât. C'était une nouvelle usurpation: Charles ne crut pouvoir se sou-
tenir qu'en gouvernant avec un sceptre de fer. Conradin, petit-fils de
Henri VI, fit enfin valoir ses droits ; mais il fut battu par Charles et déca-
pité. Cet événement contribua à augmenter la haine des Siciliens pour leur
nouveau maître : la sévérité du gouvernement, des garnisons françaises
dans toutes les places, leur rappelaient trop le droit de conquête. Ils ne
voyaient dans les Français que des rivaux dangereux auprès de leurs
femmes. Un proscrit appelé Procida conçut le projet de déliver son pays:
il était soutenu par le pape, l'empereur de Constantinople et le roi d'Ara-
gon. A l'aide d'un déguisement, il parcourait l'île et entretenait des intel-
ligences avec les mécontents. La cour d'Aragon, attendant le moment
d'agir, faisait croiser une flotte sur les côtes d'Afrique, sous prétexte de
surveiller les Maures, lorsque la veille de Pâques de l'année 1282, pendant
une procession, une dame de Paierme fut insultée par un Français; ce
fut le signal de la révolte, à laquelle on a donné le nom de Vêpres sici-
liennes. Elle n'aurait peut-être pas eu des résultats aussi importants sans
la conspiration de Procida : le peuple, enhardi, massacra les Français. Les
conjurés appelèrent le roi d'Aragon et sa flotte à leur secours, et le pro-
clamèrent souverain. La conséquence de cet événement fut la séparation
de Naples et de la Sicile. Naples continua à être gouvernée par des princes
de la maison d'Anjou jusqu'en 1382. Au siècle suivant ces deux couronnes
furent réunies. La possession de Naples et de la Sicile fut un long sujet de
guerres pour la France, l'Espagne et l'Empire. La branche espagnole des
Bourbons possédait ces deux couronnes, lorsqu'en 1805 le dernier roi fut
obligé de se retirer en Sicile. Naples alors fut donnée à Joseph Bonaparte
par Napoléon son frère, puis à Joachim Murat en 1808. En 1815 tout fut
rétabli sur l'ancien pied.
Le royaume de Naples ou des Deux-Siciles a pour limites au nord les
Etats de l'Eglise, à l'est la mer Adriatique, au sud la mer Ionienne et la
Méditerranée, à l'ouest la mer Méditerranée et les Etats de l'Eglise ; sa
superficie et 5,662 lieues carrées, dont 4,193 pour la partie conti-
nentale estde 1,368 pour la Sicile. La population du royaume était en 1851
de 8,704,472 habitants, savoir: 6,612,892 pour la partie continentale et
2,091,580 pour la Sicile. 11 se divise en 2 parties: les provinces conti-

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LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
nentales ou provinces en deçà du Phare ; elles sont au nombre de 15 ; et
la Sicile ou provinces au delà du Phare ; elles sont au nombre de 7 ; les
premières comprennent 1840 communes, et les autres 407 seulement.
En commençant notre excursion chorographique par les parties voisines
des Etats de l'Église, nous citerons d'abord sur les pentes des Apennins,
dans la Terre de Labour, San Germano bâtie près des ruines de deux villes
antiques, Casinum et Aquinum, dont on voit encore quelques restes, tels
qu'un théâtre et un amphithéâtre. Elle est défendue par un fort ; elle est,
pendant l'hiver, la résidence de l'abbé du Mont-Cassin.
Cette superbe et célèbre abbaye occupe la cime d'une montagne volca-
nique escarpée; sa bibliothèque est une des plus riches de l'Italie. L'église
possède le corps de saint Benoît, son fondateur, et celui de sainte Scola-
stique, sa sœur jumelle, dont on voit dans le parvis les statues colossales,
ainsi que celle de sainte Abbondanzia, leur mère.
Les environs de l'abbaye étaient autrefois infestés de brigands, mais
aujourd'hui on peut, sans redouter leur rencontre, suivre la belle route de
Rome à Naples par San Germano. Il en est de même pour celle qui suit,
sur les bords de la mer, les traces de l'ancienne voie Appienne, en venant
de Rome par les Marais-Pontins. Cette partie des Apennins a une physio-
nomie particulière : au mois de juin le sommet des montagnes est couvert
de longues bandes de neige, auxquelles les rayons du soleil prêtent des
reflets argentés, tandis que dans des vallées, des paysans, qui ne les habi-
tent point parce qu'elles sont fiévreuses, récoltent les cerises et s'occupent
des autres travaux champêtres.
En suivant celte dernière on rencontre d'abord Fondi, ville ancienne
où l'on conserve la maison qu'habita saint Thomas qui y enseignait la
théologie. A la sortie de cette triste cité, l'air est parfumé de l'odeur des
champs de fèves et des fleurs de l'oranger ; on aperçoit cet arbre à chaque
pas à côté des cyprès, des citronniers, de belles haies d'aloès.
A l'impression que produisent une si riche nature et la vue de la Médi-
terranée en arrivant à Mola, les souvenirs historiques viennent ajouter de
nouveaux charmes. C'est près de ce bourg que Cicéron avait sa maison
de plaisance; c'est sur le chemin même que l'on parcourt que l'atteigni-
rent les assassins apostés par Octave. Les restes d'un aqueduc, d'un
théâtre et d'un amphithéâtre que l'on remarque entre Mola et les rives du
Garigliano, sont ce qui reste de l'antique Minturnes. Gaëte, qui s'élève en
amphithéâtre au bord de la mer, est cette ville de Cajeta dont le port fut
réparé par Antonin-le-Pieux, dont les murailles ont été construites par

EUROPE.—ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
621
Charles-Quint, et dans laquelle on voit le tombeau du connétable de Bour-
bon, dont le corps resta depuis l'année 1528 jusqu'en 1757 privé de sépul-
ture, parce que ce prince avait été excommunié. Le port de Gaëte est
assez fréquenté, ses fortifications sont redoutables et on les regarde
comme un des premiers points stratégiques de l'Italie péninsulaire-, elle
possède un évêché ; sa population est d'environ 3,000 âmes, non compris
les faubourgs. Capoue, ville forte et archiépiscopale d'environ 8,000 âmes,
n'a de commun avec la délicieuse Capua des anciens que le nom; elle est
à une demi-lieue de celle-ci. Les Lombards la fondèrent en 856. Sur l'em-
placement de l'ancienne Capoue on trouve les restes d'un amphithéâtre.
Caserte, qui doit aussi son origine aux Lombards, conserve le château
bâti en 1752 par le roi d'Espagne Charles III. C'est une ville bien con-
struite, et peuplée de 10,000 habitants, et chef-lieu de l'intendance de la
Terre de Labour. Son palais royal est un des plus beaux et des plus grands
ae l'Europe; elle est unie à Naples par un chemin de fer qui n'est sans
doute qu'un tronçon de la grande ligne qui doit unir Florence, Rome et
Naples.
Mais nous voici à Naples, cette Neapolis des Romains, cette Parthénope
des Grecs, qui, dans leurs brillantes fictions, attribuaient sa fondation à
la sirène Parthénope, sans doute pour exprimer la sûreté et l'importance
de son port.
Naples est située au fond d'une baie qui a 73 milles de tour, depuis le
cap Minerve jusqu'à la pointe de Pausilippe. La ville avec ses faubourgs
en occupe 10 de circonférence depuis les derniers accroissements qu'elle a
éprouvés. La largeur et la beauté des quais; le château de l'Œuf (Castel
dell' Uovo), isolé sur le haut d'un rocher escarpé, celui de Saint-Elme, au
sommet d'une colline derrière la ville; l'île de Caprée, qui sort de l'onde
comme un rocher stérile; la couleur noirâtre du Vésuve qui menace la
ville de ses feux destructeurs, et dont les flancs, couverts de la plus belle
verdure, sont tachetés de points blancs qui sont autant de maisons de
campagne; les montagnes bleuâtres dont l'extrémité forme le promon-
toire de Massa; à leurs pieds, Castel-a-Mare ou Castellamare, bâtie sur
les ruines de Slabiœ, près de laquelle Pline l'Ancien trouva la mort en
contemplant l'éruption qui détruisit Pompéi ; au bord de la mer, Sorrento,
patrie du Tasse, forment un point de vue dont la magnificence surpasse les
plus belles descriptions. En voyant se dérouler ce riche panorama, on
peut se dire avec le Napolitain : Vedi Napoli e poi muori ! Voir Naples
et mourir ! Ces quais, animés par la foule qui se presse, annoncent une

622
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
ville populeuse ; mais c'est dans la rue de Tolède qu'on peut s'en faire
une idée juste. Aucune rue dans Paris ne présente autant de confusion,
ne retentit d'autant de fracas-, elle est, de toutes les rues du monde,
celle où se passent les scènes les plus bizarres et les plus variées : c'est
une foire perpétuelle. L'Aquaiolo y distribue sa boisson rafraîchissante
et glacée; le Focchino y vend ses figues; le bateleur y dresse ses tré-
teaux, et, mêlant dans ses parades le sacré et le profane, donne à ses
auditeurs une idée des béatitudes du paradis, par le plaisir qu'ils éprou-
vent à manger du macaroni. Quelquefois au milieu de la foule, un
convoi s'avance processionnellement avec tout l'appareil d'un triomphe,
car le coffre qui renferme la bière dépositaire du cadavre est éblouis-
sant d'or et de sculptures, et repose sur une estrade revêtue d'un riche
tapis de velours cramoisi.
Le mouvement et l'activité qui caractérisent Naples ne sont nullement
les indices le l'industrie et du travail. Les Napolitains se remuent et se
tourmentent sans rien faire, comme ils se querellent et se menacent avec
fureur sans jamais en venir aux mains. On comprend que nous ne par-
lons que du peuple : c'est toujours dans ses rangs qu'il faut observer le
caractère national. Dans la dernière classe de Naples il règne un senti-
ment de haine très-prononcé contre ceux qui tiennent à la police. Rouez
de coups de canne un filou qui vous met la main dans la poche, le peuple
approuvera la correction; conduisez-le au corps de garde, il murmurera.
Un crime est-il commis, on plaint la victime; l'assassin est-il arrêté, c'est
lui qui excite la pitié. Qu'on ne confonde point dans ces traits caractéristi-
ques la pitié pour l'homme qui ne peut manquer de subir son châtiment,
avec cette sorte de haine jalouse que le peuple a souvent pour les classes
aisées ou privilégiées. Π est peu de pays où l'on distribue plus fréquem-
ment des coups de canne qu'à Naples. A Paris et à Londres, un individu
qui, dans un mouvement d'impatience, frapperait un cocher de fiacre
courrait le risque de la riposte ; à Naples on a vu souvent le plus fier laz-
zarone recevoir la correction sans murmurer. Il faut cependant faire obser-
ver que ce trait caractéristique devient de jour en jour moins exact.
L'homme de la haute classe et l'homme du peuple commencent à sentir la
dignité humaine : le premier est moins disposé à frapper; le second sent
qu'il est honteux de se laisser frapper.
L'existence des lazzaroni s'est sensiblement améliorée; ceux du port
surtout semblent avoir renoncé à leur ancienne paresse : ils sont actifs et
fort occupés. Depuis longtemps ils ont abandonné la sauvage nudité qui

EUROPE. —ITALIE. ROYAUME DES DEUX SICILES.
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leur avait valu le nom de Lazzari (Lazare) ; ils portent une chemise, un
caleçon de toile ; et quand il fait froid, un gilet long à manches et à capu-
chon de grosse étoffe brune ·, ils ne campent plus perpétuellement comme
jadis; ils sont locataires, paroissiens, et ils n'ont plus enfin tout ce pitto-
resque qu'avaient observé et peint spirituellement mesdames de Genlis et
de Staël. Cette portion du peuple, désœuvrée par le goût et soumise par
paresse, ne trouble point la tranquillité publique. Ce n'est que dans quel-
ques grandes occasions qu'on l'a vue manifester contre le gouvernement
des intentions hostiles. Ces hommes, qui pour la valeur de trois sous de
notre monnaie se procurent autant de macaroni qu'ils peuvent en man-
ger, qui pour deux liards s'abreuvent d'eau glacée, ont facilement gagné
de quoi satisfaire les besoins les plus impérieux.
La glace est de première nécessité à Naples, comme le pain l'est dans
les régions tempérées : le gouvernement met tous ses soins à la tenir à bas
prix, c'est-à-dire à peu près au même taux que le pain. C'est au moyen
de la neige tirée des montagnes de Castellamare que le peuple se rafraî-
chit. On a dit qu'un jour sans glace ferait soulever le peuple napolitain ;
cette expression est moins exagérée qu'on ne le pourrait croire.
La mendicité prend dans cette ville toutes les formes pour tromper les
étrangers ou pour émouvoir les passants; mais le vol y est tellement fré-
quent, que, sans de grandes précautions, on est à chaque instant exposé
à se voir enlever sa montre ou son mouchoir.
Dans la classe du peuple, la nouvelle génération sait lire et écrire. Ce
progrès est un reste de l'ancienne administration française du roi Murat,
qui avait tout tenté pour répandre l'instruction dans ses nouveaux Etats,
et surtout parmi le peuple. Les colléges sont fréquentés par les enfants de
la bourgeoisie ; la noblesse confie les siens à des précepteurs, et les
jeunes demoiselles à une des écoles royales.
Des douze quartiers de Naples, l'un des plus beaux est celui de Chiaja,
qui s'étend à l'ouest, et que décorent de superbes hôtels. 11 est terminé par
un long quai ou plutôt une promenade plantée d'orangers et de citron-
niers, ornée de fontaines et de gazons. C'est à coup sûr le plus beau point
de réunion de la ville. Les différents quartiers sont embellis par des fon-
taines. Un aqueduc conduit en abondance les eaux du pied du Vésuve à la
ville; un autre, celui de Carmignano, alimenté par les eaux du Fizzo,
arrive à Naples par Capo-di-Chino.
Vers le centre de Naples, les rues, étroites et obscures, sont bordées de
maisons fort élevées; la plupart sont construites en pierres et couvertes de

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LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
terrasses. Partout le pavé est uni, mais noir : il est formé dedalles en laves
du Vésuve. Cette ville renferme un grand nombre de beaux édifices. Le
palais royal est un des plus vastes ; il est bâti sur le plan de Dominique
Fontana. Ce qui le rend surtout remarquable, c'est sa position réellement
merveilleuse et la richesse des appartements qui offrent divers chefs-
d'œuvre des peintres les plus célèbres. Aux extrémités de cet édifice s'en
élèvent deux autres: d'un côté c'est celui que le roi destine pour le loge-
ment des princes étrangers ·, de l'autre c'est le palais du prince de Salerne.
Ces constructions font de la place du Palais royal l'une des plus belles de
Naples. On y remarque deux belles statues équestres : celle de Charles III
par Canova, qui devait être primitivement celle de Napoléon, et qui fut
un moment celle de Joachim ; et celle de Ferdinand Ier, ouvrage du même
statuaire, qui ne put en terminer la figure.
Le Caslel Νιιονο, bâti par Charles d'Anjou, est un grand et lourd édifice
qui ressemble à la Bastille-, mais l'entrée offre le bel arc de triomphe d'Al-
phonse Ier d'Aragon, ouvrage du quinzième siècle. La Villa Reale, bordée
par la mer, avec ses vases, ses fontaines, ses allées d'acacias, ses bosquets
de myrtes et d'orangers, son temple circulaire de marbre blanc, sa vue
admirable, est peut-être la plus délicieuse des promenades publiques. Ce
jardin n'est ouvert au peuple qu'une fois par an.
Le théâtre Saint-Charles, qui communique au palais du roi, est un des
plus vastes qui existent : on ne doit vanter ni son architecture ni ses orne-
ments, mais la salle offre un aspect véritablement enchanteur les jours de
grandes représentations, lorsqu'elle est complétement illuminée. Le joli
théâtre del Fondo est un diminutif de celui de Saint-Charles. Celui des
Florentins est le plus ancien des théâtres de Naples: les deux premiers
sont consacrés au chant et à la danse, celui-ci est destiné à la comédie et
à la tragédie. Celui de San Carlino ou de Polichinelle est surtout fré-
quenté par le peuple; on y joue deux fois par jour, le matin et le soir.
Ce n'est point un théâtre de marionnettes, et les acteurs s'acquittent de
leurs rôles avec beaucoup de zèle et d'intelligence.
La cathédrale porte les noms àcVescovado et de San-Gennaro, ou de
saint Janvier, personnage en vénération parmi le peuple, et dont le sang,
conservé dans deux petites fioles, excite la joie ou le désespoir de la popu-
lace, selon qu'il se liquéfie ou qu'il reste coagulé le 19 septembre, jour
de la fête patronale. L'église, d'une architecture gothique, est bâtie sur les
ruines et avec les restes d'un temple d'Apollon. On y remarque un vase
antique servant de fonts baptismaux, le tombeau de Charles d'Anjou et celui



EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
625
du roi André, de Hongrie, l'époux de la célèbre Jeanne, qui fut assas-
siné du consentement de celle-ci. L'église de Gesù-Novo est l'une des plus
belles de Naples. Celle du couvent de Sainte-Claire en est la plus élé-
gante; elle ressemble, dit-on, à une salle de bal plutôt qu'à un temple;
elle est destinée à recevoir les dépouilles des membres de la famille royale.
Celle de Saint-François de Paule, malgré les défauts de son architecture,
surpasse toutes les autres sous plusieurs rapports. Mais il faut avouer
que des 200 églises de Naples, il n'en est aucune dont le portail soit digne
de l'Italie.
L'édifice appelé les Studj (les Eludes) est à la fois l'un des plus vastes
de Naples et l'un des plus dignes d'être visités ; c'est là que se trouvent la
bibliothèque royale et le musée. Cette bibliothèque renferme 150,000 vo-
lumes et environ 3,000 manuscrits. Le musée des Studj est au premier
rang des collections de chefs-d'œuvre antiques. On y remarque la Vénus
callipyge, l' Hercule colossal du sculpteur athénien Glycon, le Taureau
Farnèse qui ne lui est point inférieur ; mais surtout l' Aristide, regardé
comme l'une des plus belles statues connues. Le Musée des pelils bronzes
est le plus-complet qui existe en meubles, instruments et ustensiles. La
collection des verreries s'élève à 1,200 objets, et celle des vases en di-
verses matières à 2,500. Ce musée, enrichi des précieux restes trouvés à
Herculanum, possède plus de 2,000 peintures antiques, ainsi qu'un
nombre considérable de manuscrits sur papyrus, dont près de 1,400 ont
été déroulés, mais dont une soixantaine seulement sont entiers. La collec-
tion des médailles et des mosaïques antiques est aussi très-précieuse. En-
fin le palais des Studj renferme une galerie de tableaux de l'école napoli-
taine et des principaux peintres de l'Italie.
La bibliothèque royale n'est pas la seule qui soit publique à Naples. La
plus ancienne est la Brancacciana, fondée par le cardinal François Bran-
caccio : elle renferme 50,000 volumes. Les autres sont la bibliothèque
ministérielle, celle de l'Université et celle du marquis Taccone qui est
devenue la propriété du gouvernement. Le vieux palais de Tribunali ren-
ferme les précieuses archives du royaume.
Les principales places publiques de Naples sont celle du Caslello, celle
de l'Archevêché, celle du Marché et celle du mont Calvaire. La ville est
divisée en 12 quartiers, et sa population qui était en 1840 de 351,700 ha-
bitants, est aujourd'hui (1851) évaluée à 450,000 âmes.
Naples, outre une université, possédait dans ces dernières années 4 ou
5 écoles secondaires, 55 écoles primaires et près de 1,600 maîtres publics,
VII.
79

626
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
2 écoles militaires, une académie nautique, une école vétérinaire, une
école royale de musique, un observatoire, un jardin botanique et des col-
lections d'histoire naturelle; plusieurs sociétés savantes et littéraires dont
la principale est l'académie bourbonique, divisée en trois sections : celle
des antiquités, des sciences et des beaux-arts, et plus de 60 établissements
de bienfaisance.
Naples n'avait point, avant le siècle dernier, un nombre d'institutions
de bienfaisance proportionné à sa population. On y compte aujourd'hui
11 grands hôpitaux: 8 civils et 3 militaires. L'hôpital des incurables est
le plus vaste et le mieux tenu. On y soigne près de 1,000 malades, et il
peut en contenir le double. Quatre cliniques, dépendant de l'université,
y sont établies; l'une concerne la médecine, l'autre la chirurgie, une troi-
sième est pour les accouchements, et la quatrième pour les maladies des
yeux.
L'industrie de Naples consiste en fabriques d'étoffes, de rubans, de bas
de soie, et principalement en macaronis et en diverses pâtes. Ses savons
parfumés et ses cordes d'instruments jouissent d'une grande réputation ;
ses confiseurs excellent dans la fabrication de certaines friandises, et sur-
tout de ces diavolini recherchés par les tempéraments froids; on y compte
plusieurs filatures de soie, un grand nombre de fabriques de gants et de
faïence; on y travaille avec soin le corail ; ses fleurs artificielles et surtout
ses chapeaux de paille sont estimés ; on cite aussi sa passementerie et son
orfèvrerie ; enfin, Naples possède 52 imprimeries.
Nous avons parlé des catacombes de Rome; celles de Naples leur sont
bien supérieures par leur étendue : on dit qu'elles ont deux milles de lon-
gueur. Elles occupent les cavités d'une montagne nommée Capo di Monte,
située au nord de la ville, à l'entrée d'une gorge. En 1788, on construisit
dans cette gorge une église et un hôpital destiné aux malfaiteurs repen -
tants. Cette église, située sur une grande place, est le vestibule des
catacombes. D'autres églises, sous l'invocation de Santa Maria della
Santa, de Santa Maria della Vita, de Santo Severo de Cinesi, et même
celle de Poggio reale, qui est à 2 lieues de Naples, avaient autrefois
des communications souterraines avec ces catacombes, ce qui con-
firme l'opinion de leur grande étendue. Aujourd'hui on a muré toutes
ces communications, soit pour mettre fin aux rendez-vous scanda-
leux qui s'y donnaient, soit pour priver les malfaiteurs d'un refuge noc-
turne.
Le meilleur cours d'antiquité que l'on puisse faire, c'est d'aller visiter

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
627
Pompez et Herculanum, cités qui furent détruites l'an 79 de notre ère, par
les déjections du Vésuve. Ce qui distingue ces deux villes, c'est que la
première a été engloutie sous une pluie de cendres, et que la seconde l'a
été par des courants de laves. On croit généralement que les cendres qui
recouvrent Pompeï ne l'engloutirent point d'abord; que ses habitants n'y
furent point ensevelis ; qu'ils eurent le temps de sauver les objets précieux
qu'ils possédaient, ou qu'ils revinrent après la catastrophe pour enlever
leurs richesses. La plus basse des 8 ou 10 couches qui la recouvrent, et
qui paraît avoir été remuée, le petit nombre de squelettes et le peu d'ar-
gent monnayé qu'on y a retrouvés, serviraient de preuves à cette asser-
tion. On peut se promener dans les rues de Pompeï et pénétrer dans ses
maisons; on suit encore la route garnie de larges trottoirs et bordée de
tombeaux. La trace antique des chars sur la chaussée, pavée de larges
dalles en laves, conduit à la porte de la ville. Ses murailles sont debout;
quelques caractères gravés sur les pierres ont fait reconnaître qu'elles ont
été bâties par les Osques, longtemps avant la fondation de Rome. Les ca-
sernes, parfaitement conservées, portent sur leurs mursdes dessins incor-
rects, fruits du désœuvrement des soldats romains. Deux théâtres, un
amphithéâtre et la plupart des maisons de cette ville sont maintenant à
découvert. On y voit que l'usage des anciens était d'écrire au-dessus de la
porte de la maison les noms des locataires. Il serait trop long de relater
tous les monuments précieux qui existent à Pompeï ; chaque jour voit en
quelque sorte la découverte d'une antiquité nouvelle. En 1831, au coin
de la rue Mercure, on a déblayé un palais qui paraît être celui du préteur ;
en 1835, on a trouvé dans une maison d'une modeste apparence de la
même rue, quelques belles fresques, 29 médailles en or du temps des pre-
miers empereurs, et 14 vases en argent d'une grande dimension et d'un
travail admirable. Mais il est fâcheux pour l'archéologie que le gouverne-
ment napolitain ne consacre à ces importantes fouilles qu'environ 25,000 fr.
par an : avec de si faibles moyens, Pompeï ne pourra être complétement
déblayée que vers le milieu du vingtième siècle. Cette ville a été décou-
verte en 1759.
Herculanum fut enseveli sous des torrents de laves, au-dessus desquels
est bâtie Portici; l'existence de cette cité antique n'a été constatée que par
une circonstance purement accidentelle : en creusant un puits en 1713,
on arriva juste sur le théâtre, et bientôt les statues d'Hercule et de Cléo-
pâtre furent trouvées. Cette ville n'a été explorée que pour en retirer les
objets précieux qui donnent tant d'intérêt au musée du palais royal des

628
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
Studj à Naples. Le Forum, le temple de Jupiter et d'autres édifices impor-
tants ont été comblés à mesure que les ouvriers avançaient dans leurs tra-
vaux, à cause de la difficulté d'enlever les matériaux à la profondeur de
25 mètres où ils sont enfouis. Le théâtre seul est resté ouvert, encore ne
peut-on le voir qu'avec le secours de torches. 11 est à regretter qu'on n'ait
pu rendre cette ville à la lumière. Plus riche et plus importante que Pom-
peï, sa vue offrirait un plus grand intérêt.
Après avoir vu Naples du château de Portici, après l'avoir contemplée
du haut du Capo di Monte, d'où l'on peut compter ses palais et ses églises,
apprécier son imposante étendue, et voir se perdre à l'horizon la mer et les
îles qui s'élèvent à l'entrée de son golfe, il faut l'admirer encore du jardin
des Camaldoli, situé au sommet d'une colline volcanique de 400 mètres
de hauteur, où l'on voit un couvent dont les religieux savent si peu appré-
cier la magie d'un point de vue magnifique, qu'ils sont tout étonnésde la
peine qu'on prend d'arriver jusqu'à leur demeure pour en jouir. Au nord,
l'œil se perd dans les vastes plaines de la Campanie, bornées par les mon-
tagnes des Abruzzes. Ici, Naples s'étend entre Pouzzole et le Vésuve ; et
l'on voit le lac Averne, dont les eaux n'exhalent plus ces vapeurs empoi-
sonnées dont parle Virgile, celte solfatare, connue jadis sous le nom de
vallée de Phlegra ou de Forum Vulcani ; le lac d'Agnano, d'où l'eau, sans
chaleur, soulevée par le gaz hydrogène, bouillonne à sa surface; le
Fusaro, l'Achéron des poètes, que l'on peut traverser impunément depuis
que Caron n'en est plus le batelier; enfin Baïa ou Baies, dont le sol est
aujourd'hui aride et brûlé, et dont les sites enchanteurs étaient célèbres
alors que César et Néron faisaient construire des palais près des temples
de Diane, de Vénus et d'Hercule.
Descendons des Camaldoli et dirigeons-nous vers la colline que l'on
appelle le mont Pausilippe : c'est un promontoire qui sépare la ville de
Naples des champsphlégréens. La colline est percée d'outre en outre par
une route souterraine, que l'on peut regarder comme le plus ancien
ouvrage de ce genre. Elle est encore telle que nous l'a décrite Strabon ;
sa longueur est d'environ 700 mètres, et sa hauteur de 25 à 30; à deux
époques de l'année, en octobre et en février, les derniers rayons du soleil
s'y prolongent dans toute sa longueur. De cette route au cap Misène, la
côte est parsemée de temples, d'amphithéâtres et d'autres restes antiques-,
à Pouzzole, petite ville qui, après avoir éprouvé les ravages des barbares
depuis le cinquième jusqu'au huitième siècle, fut renversée en 1538 par un
tremblement de terre, la cathédrale est bâtie sur les débris d'un temple

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
629
dédié à Auguste. Il reste encore de son amphithéâtre d'antiques ruines, et
le reste du prétendu temple de Sérapis.
Sur le revers du mont Pausilippe s'élève un monument, que l'on croit
être le tombeau de Virgile. Il est composé d'une large base carrée, en
pierres et en briques, sur laquelle s'élève une espèce de tour circulaire.
Pétrarque, et après lui Casimir Delavigne, y plantèrent chacun un laurier
qui n'a pas tardé à périr sous la main indiscrète des visiteurs, désireux de
rapporter quelques feuilles de l'arbre de Virgile.
La petite province de Naples renferme tant de lieux célèbres qu'on a
de la peine à la quitter-, il faut cependant l'abandonner comme nous avons
fait de la Terre de Labour, et voir dans la Principauté Cilérieure l'antique
Salerne que les Romains fortifièrent pour retenir dans l'obéissance les
Picentes qui avaient embrassé le parti d'Annibal. Une partie de la ville
s'étend sur le bord de la mer, et l'autre s'élève en amphithéâtre jusqu'au
château qui la domine. Sa cathédrale, environnée d'un portique dont les
colonnes antiques enlevées aux temples de Pœslum sont en porphyre, ren-
ferme le tombeau du pape Grégoire VII, et les reliques de saint Matthieu
l'évangéliste ; ce monument est dû au roi Robert Guiscard. Le port, placé
au fond d'un golfe, a été construit par le fameux conspirateur Jean de
Procida, dont le nom rappelle les Vêpres siciliennes, et qui était médecin
à Salerne. Ce port était le plus fréquenté de la côte, avant que celui de
Naples eût acquis de l'importance. Salerne était surtout célèbre au onzième
siècle par son école de philosophie et de médecine, dont plusieurs pré-
ceptes ont été longtemps considérés comme des oracles. Salerne est une
ville archiépiscopale de 12,000 âmes, elle possède un lycée où l'on étudie
les sciences exactes, une maison d'orphelins, un théâtre. Son palais de
l'intendance, monument moderne, passe pour le plus beau palais de ce
genre que possède le royaume de Naples.
C'est près de Capace, ou Capaccio, petite ville episcopate de 2,000
âmes, que l'on voit les restes des trois temples de Pœslum, antérieurement
Possidonia, aujourd'hui Pesto, qui furent construits par les Sybarites et
détruits par les Sarrasins, et peut-être aussi par Robert Guiscard, lorsqu'il
construisit le dôme de Salerne. Policastro, l'antique Buxentum, qui prit
au moyen âge le nom de Palœocastrum, est située à l'extrémité d'un golfe
auquel elle donne son nom. Cette ville épiscopale, autrefois florissante,
ne renferme plus que 500 habitants : on y remarque quelques inscriptions
romaines.
La Principauté Ultérieure renferme une partie des Apennins ; sa capi-

630
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
tale est Avellino, que les Romains appelaient Abellinum Hirpinorum, Ses
rues sont larges, mais irrégulières; on vante ses promenades. C'est le
siége d'un évêché et du tribunal civil et criminel de la province. Elle est
importante par son collége royal, et surtout par son industrie et son com-
merce; sa population est de 21,000 habitants. La grosse noisette appelée
aveline doit son nom à cette ville : elle est, avec les châtaignes, un des
produits de son territoire. Dans ses environs, le Val di Gargano occupe
l'emplacement des fourches caudines où les Romains passèrent sous le
joug des Samnites. Ariano, plus considérable qu'Avellino, est situé à une
plus grande hauteur dans les Apennins.
En suivant le faîte de ces montagnes, on arrive auprès d'Aquila, chef-
lieu de la province de VAbruzze Ultérieure seconde; il s'y fait un grand
commerce de safran, et tous les ans il s'y tient quatre foires considérables.
Cette ville, que plusieurs tremblements de terre ont endommagée, n'a con-
servé de ses anciennes fortifications qu'un petit fort. Elle possède quelques
antiquités découvertes dans ses environs sur l'emplacement d'Amiternum,
patrie de l'historien Salluste.
Au nord-est, dans VAbruzze Ultérieure, Teramo, au milieu d'une plaine
élevée entre les Apennins et la mer Adriatique, a des manufactures de
tissus de laine et de chapeaux, et fait le commerce de grains. C'est une
place de guerre de quatrième classe, le siége d'un évêché et du tribunal
civil et criminel de la province. Sa cathédrale est un monument remar-
quable. Dirigeons-nous vers le sud, nous arriverons sur les bords de la
Pescara, rivière qui des Apennins descend vers l'Adriatique, où elle arrose
près de son embouchure une petite ville à laquelle elle donne son nom, et
qui est l'antique Aternum.
Sur la rive droite de la Pescara on voit Chieti, chef-lieu de VAbruzze
Citérieure; elle est agréablement située, bien bâtie et remplie de beaux
édifices, au nombre desquels il faut citer un vaste séminaire et la cathé-
drale. Elle est assez commerçante, possède un collége royal et une société
d'agriculture et des arts; sa population est de 16,000 âmes. C'était la capi-
tale des Marrucini, le Teate des Romains, et c'est de ce nom antique qu'un
célèbre ordre religieux a pris celui de Théatins, fondé en 1542 par Caraffa,
son archevêque, qui fut plus tard le pape Paul IV. Lanciano, ville épisco-
pale, fait un grand commerce de vin muscat.
• Dans la province de Molise, Campo-Basso, le chef-lieu, est une ville très
industrieuse et commerçante, renommée pour sa coutellerie; sa popula-
tion est de 10,000 âmes; elle est traversée par la route qui joint Naples aux

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
631
ports de l'Adriatique, ce qui lui donne à la fois une grande imporlance
stratégique et commerciale. Isernia, l'antique Œsernia, présente encore
des traces du tremblement de terre de 1805, qui la détruisit en partie.
Marcone, ville de 5,000 âmes, fabrique des étoffes de laine.
La province de la Capitanate, limitrophe de la précédente, est formée
de la plus,grande partie de la Pouille ; elle est divisée du sud-ouest au
nord-est par une chaîne de montagnes calcaires qui se terminent au mont
Gargano (Garganus Mons), dont les pentes et les collines environnantes
forment un vaste promontoire dans l'Adriatique. Leurs sommets sont cou-
verts de forêts où l'on recueille, comme au temp des anciens, de la manne,
de la térébenthine et de la poix. Au sud de cette chaîne, une grande
plaine sablonneuse s'étend jusqu'à la mer. Manfredonia est le port le plus
important de cette province, quoiqu'il ne puisse pas contenir de grands
bâtiments ; la ville fut bâtie en 1256 par un fils naturel de l'empereur Fré-
déric II, Mainfroy, qui lui donna son nom. Foggia, le chef-lieu de la Capi-
tanate, fut ruinée en 1732 par un tremblement de terre, mais elle a été
rebâtie avec élégance et régularité. Elle renferme environ 25,000 âmes ;
la douane est son principal édifice. Depuis longtemps cette ville a l'habi ■
tude de conserver les grains dans des magasins voûtés et souterrains qui
rappellent la construction des silos.
Près des limites de la Terre de Bari, non loin du cours de VOfanto, on
traverse une plaine qui porte le nom dé Campo di Sangue : c'est là que se
se donna la célèbre bataille de Cannes ; et sur la rive droite de la rivière,
le village de Cannes occupe l'emplacemement de l'antique Canna. Un
bourg, Canosa, l'ancien Canusium, fondé par Diomède, était une ville
que détruisit le tremblement de terre de 1694.
Nous sommes sur la Terre de Bari, province dépourvue de bois, mais
abondante en sel, et dans laquelle une partie de l'ancienne Pouille est
comprise. Au delà de la chaîne apennine qui la traverse, la principale ville
est Allamura, peuplée de 16,000 âmes, et fière de sa riche cathédrale. Sur
le côté oriental de la chaîne, à l'exception de Bitonto, ville connue par
son vin délicieux appelé zagarello, les principales cités sont des ports de
mer. L'une d'elles est Trani, jolie ville archiépiscopale, dont la cathédrale
a l'une des plus hautes tours de l'Italie; ses maisons forment une enceinte
autour du port qui contient à peine assez d'eau pour les bateaux ordi-
naires.
Barletta, sur la côte, est à 2 lieues au nord-ouest de Trani ; elle a été
fondée au onzième siècle par un des chefs normands qui conquirent la

632
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
Pouille. Son port est commode, défendu contre les flots par plusieurs
môles, et contre une attaque étrangère par une vieille citadelle, dans
laquelle les Français, sous Louis XII, tinrent un instant Gonzalve de
de Cordoue bloqué. Le chef-lieu de la province est Bari, ville archiépis-
copale, fortifiée et commerçante, trois fois détruite et trois fois rebâtie.
Elle compte aujourd'hui plus de 27,000 âmes. Bari, en général mal con-
struite, s'est accrue depuis peu d'années d'un vaste faubourg qui en fait
une ville nouvelle et très-belle. Elle a un port qui, malgré sa petitesse,
offre un asile sûr aux navires.
La Terre d'Olrante, QUI fait suite à celle de Bari, forme ce que les anciens
géographes appellent le talon de la botte de l'Italie. Près du cap Cavallo,
Brindusium, aujourd'hui Brendisi, est le port dans lequel Jules César alla
bloquer son antagoniste Pompée, qui se fraya un passage au milieu des
assiégeants et se réfugia en Grèce. La ville a beaucoup souffert par les
tremblements de terre ; mais le port, parfaitement placé au fond d'un golfe,
a été détruit, au quinzième siècle, par le système de défense qu'adopta le
prince de Tarente, qui voulait en fermer l'entrée à la flotte vénitienne. Il
lit couler bas quelques vaisseaux dans le milieu du chenal; les sables
arrêtés par cet obstacle se sont accumulés, et le port, transformé en un
marais fétide, engendre tous les étés des vapeurs fiévreuses qui ont réduit
la population au tiers de ce qu'elle était jadis : aujourd'hui elle n'est
plus que de 6,000 habitants. Entre Brendisi et Otrante, Lecce, l'antique
Aletium, à 3 lieues de la mer, ville épiscopale, industrieuse et commer-
çante, d'environ 18,000 âmes, est la plus jolie, la plus considérable ville
et le chef-lieu de la province. Ses habitants ont à Naples la réputation
qu'avaient les Béotiens à Athènes ; mais cette opinion est tout à fait injuste.
Les habitants de Lecce se font remarquer au contraire par une vive intel-
ligence et des manières distinguées ; ils ont même un peu de la finesse sici-
lienne.
Avant d'arriver à Olrante, on traverse une vallée, qui est le paradis
terrestre de la contrée. La petite ville et le port, qui donnent leur nom à la
province, occupent l'emplacement d'Hydruntum, qui reçut, avec les
lumières de la civilisation, les premières leçons de philosophie que donna
Pythagore. En doublant le cap de Leuca et en suivant la côte, le premier
port que l'on trouve dans le golfe de Tarente est celui de Gallipoli, qui
doit son activité à la pêche du thon, et dont les principales branches
d'industrie sont la fabricalion des bas de coton et celle de la mousseline;
on dit que ce qui fait aussi rechercher ses huiles pour les manufac-

EUROPE.
—ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
633
tures de draps, c'est la qualité qu'elles acquièrent en séjournant dans ses
caves.
A l'extrémité septentrionale du golfe, Tarente n'est plus cette ville dont
Strabon vante la grandeur et la beauté du port ; elle n'occupe plus que
l'espace sur lequel s'élevait la citadelle d'où les Romains résistèrent à
Annibal. C'est cependant encore aujourd'hui une ville épiscopale, forti-
fiée, industrieuse et commerçante, d'environ 18,000 âmes, avec de vastes
salines et un port assez fréquenté. C'était principalement dans le golfe de
Tarente que les anciens péchaient le mollusque dont ils liraient la pourpre.
L'animal porte dans un réservoir placé au-dessous du col la liqueur dont
on fabriquait cette couleur : chaque individu en renferme si peu, qu'il
n'est point étonnant qu'elle ait toujours été d'un prix excessif. Tarente a
donné son nom à la tarentule, espèce d'araignée dont la piqûre est dan-
gereuse, sans être mortelle, et même sans causer la folie, comme on l'a
longtemps cru.
Au pied des Apennins, Potenza, ville épiscopale, est la capitale de la
Basilicate ; cette ville et Matera, située à 12 lieues au sud-est, sont, mal-
gré la faiblesse de leur population, les deux plus importantes de cette
province, qui paraît avoir pris, au dixième siècle, son nom de Basile If,
empereur d'Orient, auquel elle dut probablement quelques priviléges. Elle
est aujourd'hui l'une des plus pauvres du royaume de Naples.
Le mont Pollino sépare la Basilicate des deux provinces de Calabre,
pays peu peuplés et sans villes importantes. Baignées à l'est, à l'ouest et
au sud par la mer, les Calabres sont traversées par une branche de l'Apen-
nin; elles forment une contrée découpée par de larges golfes, rafraîchie
par des brises maritimes, et humectée par des rosées abondantes, par des
sources et des rivières qui ajoutent à la richesse d'un terrain noir et fer-
tile. Dans la Calabre Citérieure, qui se termine au mont Calistro et au
cours de la rivière du Neto, les plus considérables cités, telles que Cassano
et Bossano, dont presque toute l'industrie est la fabrication et le commerce
d'huile d'olive ; Bisignano, où l'on élève beaucoup de vers à soie ; Castro'
villari, importante par ses plantations de cotonniers et de mûriers ; et par
son fameux fromage appelé Caccio cavallo; Cariati, dont les environs
produisent la meilleure manne de la Calabre, ne renferment aucun édifice
remarquable, et la plus peuplée compte à peine 9,000 habitants. La capi-
tale même, Cosenza, l'antique Cosentia, ville archiépiscopale, au con-
fluent du Crati et du Bussento, n'a que des rues tortueuses, à l'exception
de la plus grande, qui la traverse; cependant elle renferme plusieurs beaux
VII.
80

634
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
établissements, des hôpitaux, un collége et deux académies, une belle
cathédrale et un magnifique palais de justice, édifice que l'on est étonné
de voir dans une ville de 8 à 10,000 âmes. Le tremblement de terre qui se
fit sentir la nuit du 12 au 13 octobre 1835, a renversé la petite ville de
Castiglione, dans le district de Cosenza. Sur un millier d'habitants, plus
de 100 ont perdu la vie.
Les villes de la Calabre intérieure seconde sont plus considérables;
quelques-unes d'entre elles étaient célèbres dans l'antiquité : on voit sur la
côte orientale les murs de la fameuse Crolona, dont les ruines entourent
la moderne cité de Crotone. Crotona, riche et populeuse, pouvait, dans
ses murs et sur son territoire, recruter une armée de 100,000 combat-
tants : Crotone renferme à peine 6,000 âmes. Sans parler du robuste
Milon, on sait que les habitants de Crotona étaient renommés, les hommes
par leur taille et par leur force, et les femmes par leur beauté : leurs des-
cendants sont bien dégénérés. Ses jeux gymnastiques et ses écoles de phi-
losophie, fondées par Pythagore, la plaçaient à la tête de toutes les colonies
grecques : Crotone renferme 6 églises, 2 hôpitaux, 2 couvents et un sémi-
naire, mais rien qui puisse fixer l'attention. Catanzaro est plus considé-
rable : les femmes y sont célèbres par leur beauté.
Sur le revers occidental des Apennins, au fond du golfe de Sainte-
Euphémie, on voit Pizzo, petit port où Joachim Murat fut pris et fusillé,
dans une malheureuse tentative pour reconquérir son trône.
Dans la Calabre Ultérieure première, la misérable ville de Gerace, qui
ne renferme pas 4,000 habitants, est bâtie sur les ruines de la seconde
ville de Locres, et à quelques lieues de celle de l'antique cité des Locri.
Bova, plus petite encore, avait été détruite par le tremblement de terre de
1783 ; mais elle a été rebâtie depuis dans le meilleur goût par les soins de
Ferdinand IV.
Beggio, dont les environs sont renommés pour les figues et les ananas,
est la capitale de la province. Ses habitants font un grand commerce d'es-
sence de citron, d'orange et de bergamote. Ils lui donnent aussi le nom de
Santa Agala della Galline. Cette ville est assez bien bâtie, mais elle ne
renferme rien de remarquable; c'est le siége d'un archevêché; elle est
industrieuse et commerçante, et renferme environ 18,000 âmes. Son nom
de Reggio rappelle qu'elle occupe l'emplacement de Bhegium, dont Stra-
bon parle comme d'une cité puissante qui fut détruite de fond en comble
par Denys l'Ancien, qui avait à venger une injure personnelle. Denys le
Jeune la reconstruisit, et elle tomba plus tard au pouvoir des Romains. Un

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tremblement de terre la détruisit, et César la rebâtit, ce qui lui fit donner
le nom de Rhegium Julii. En 1543, Barberousse la réduisit en cendres ;
depuis celte époque jusqu'en 1593, elle fut deux fois saccagée par les
Turcs et les tremblements de terre ; mais ce fut celui de 1783 qui y causa
le plus de désastres ; elle s'est depuis relevée encore de ses ruines.
Les Deux Calabres sont de toutes les provinces du royaume de Naples,
celles qui sont le plus souvent exposées aux commotions volcaniques. Ce
pays a été plus d'une fois entièrement bouleversé par celles-ci, et l'on y
trouve à chaque pas des traces des feux intérieurs qui minent le sol.
Les tremblements de terre ne sont pas les seuls maux auxquels les
Calabres soient exposées: il en est de périodiques, comme le souffle du
sirocco, qui, pendant les quatre mois qu'il règne, produit des maladies et
flétrit la végétation ; et les miasmes des eaux stagnantes, qui, durant l'été,
font déserter les plaines basses pour le séjour des montagnes.
La végétation des deux provinces de Calabre varie selon 1'exposition
des terrains. La vigne donnerait un vin excellent si les habitants la culti-
vaient avec plus de soin; la réglisse hérissée, qui sert aux mêmes usages
que la réglisse officinale, y croît naturellement ; le mûrier y nourrit un
nombre immense de vers à soie; l'olivier, cultivé partout, est si fécond, et
l'huile si abondante, qu'on la conserve dans de vastes citernes: le frêne à
manne; indigène de ces provinces, se multiplie sans culture dans tous les
bois et sur le penchant des collines : c'est pendant les plus fortes chaleurs
de l'été qu'il donne le sucre concret si utile en médecine; le palmier, le
cotonnier, la canne à sucre, y réussissent parfaitement; les fruits do
l'oranger et du citronnier rendent plus considérables les exportations, tan-
dis que des céréales de toute espèce suffisent à la nourriture des habitants.
Des mélèses et d'autres arbres résineux qui produisent une poix célèbre
dès la plus haute antiquité sous le nom de bretiane, occupent encore sur
la crête des Apennins l'emplacement de cette forêt de Sila à laquelle Slrabon
donne 700 stades ou environ 23 lieues de longueur. L'aloès, aux feuilles
épaisses et dentelées, aux racines grêles et rares, couronne les rochers
arides ; le laurier rose ombrage les rivières et mêle ses fleurs d'une nuance
tendre, son feuillage d'un vert mat, aux longues feuilles de l'arundinaria,
utile graminée dont on tresse des cordages, des naltes, des filets et des
paniers. Des chevaux pleins d'ardeur, des mulets d'une belle race, d'im-
menses troupeaux de gros et de menu bétail, une grande quantité de porcs,
des bois remplis de gibier et de buffles sauvages : voilà les avantages qu'of-
frent les Deux Calabres. Les anciens disaient que la rosée de la nuit y

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faisait renaître l'herbe que les troupeaux avaient broutée pendant le jour.
La métaphore n'est point aussi outrée qu'on serait disposé à le croire, lors-
qu'on ignore que la nature y fait plus que la main de l'homme. Ce qui
ajoute encore aux richesses naturelles de la Calabre, ce sont ses côtes
poissonneuses peuplées de thons qui rendent la pèche si lucrative, et d'es-
padons ou épées de mer, qui servent de nourriture aux Calabrois. Ceux-
ci ne négligent point les coraux qui tapissent les baies et que leur belle
couleur fait rechercher pour la parure des dames; ni la pinne marine, le
plus grand de tous les mollusques bivalves, qui porte cette longue soie
rougeàtre, si douce, si fine, avec laquelle on tisse à Reggio desétoffes d'une
légèreté admirable.
Le Calabrois se plaît dans une oisiveté complète ·, son œil vif, son teint
brun, le large manteau dont il s'enveloppe, lui donnent beaucoup de res-
semblance avec l'Espagnol. Soupçonneux et vindicatif, il ne marche jamais
sans être armé. On voit rarement chez ce peuple des hommes d'une belle
taille et des femmes d'un physique agréable. Celles-ci, mariées de bonne
heure, ont bientôt perdu leur fraîcheur: elles sont d'ailleurs très-fécondes.
Cependant la Calabre est peu peuplée, ce qu'il faut probablement attribuer
à l'usage répandu chez les Calabrois de ne se marier que dans un petit
rayon autour d'un village ou d'une ville : tous les paysans d'un village sont
proches parents. Mais cette consanguinité perpétue dans les familles les
maladies et affaiblit les générations, tandis que le croisement des races
leur donnerait de la vigueur. La dot d'une paysanne consiste en une pièce
de terre, en un quartier de vigne, et quelquefois même en un seul mûrier.
L'existence des paysans, autrefois malheureuse, lorsque toutes les terres
appartenaient à la noblesse et au clergé, s'est fort améliorée depuis l'en-
tière abolition dela féodalité. Les mœurs s'adoucissent chaque jour davan-
tage, et l'industrie agricole est aujourd'hui très-florissante en Calabre.
C'est à l'impulsion donnée par l'administration française que ce pays doit
ces heureux changements.
Le peuple d'origine incertaine dont nous avons parlé en traitant de la
Hongrie, où on lui donne le nom de Zigueune ou Tzigane, se retrouve en
Calabre, où il est connu sous celui de Zingari. Au milieu d'une population
pauvre on le reconnaît encore à ses haillons, à sa misère, à sa malpropreté.
Les hommes coupent leur barbe, mais ils laissent croître leurs cheveux sans
jamais les peigner; les femmes sont d'une saleté non moins dégoûtante.
Les hommes vivent de leur industrie, qui consiste à trafiquer sur les ânes
et les chevaux qu'ils achètent ou qu'on les charge de vendre; à façonner

EUROPE.—ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
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la féraille à divers usages ; à jouer des gobelets et à faire des tours d'adresse
sur les places publiques ; mais le plus souvent à s'adonner au vol, dont ils
s'acquittent avec beaucoup de dextérité. Les femmes parcourent la pays en
disant la bonne aventure. Sans demeures fixes, habitant sous des tentes
où ils s'entassent pèle mêle, hommes, femmes, enfants, et animaux, ils ne
contractent jamais d'alliance avec les Calabrois et se marient toujours entre
eux. On dit qu'il est difficile de se faire une idée de leur ignorance et de la
dissolution de leurs mœurs. Leur idiome particulier indique par certains
mots une origine orientale, mais ils parlent aussi l'italien ; leur religion est
un mélange de pratiques superstitieuses et de croyances chrétiennes ; ils
admettent la divinité de Jésus-Christ, mais n'ont aucune vénération pour
la Vierge. Ils se conforment volontiers aux cérémonies catholiques pour
les mariages, les enterrements, les baptêmes ; mais lorsqu'ils ont quelques
difficultés avec les ministres du culte, ils ne font point scrupule de se passer
de leur ministère, et alors ils y suppléent par des cérémonies qui rappel-
lent celles du paganisme.
Les provinces continentales du royaume de Naples occupent dans leur
plus grande longueur 110 lieues, dans leur largeur moyenne 20 à 30, et
dans leur plus grande largeur 70.
Les deux côtes du détroit qui sépare Reggio de Messine sont le théâtre
d'un phénomène analogue à celui du mirage dans les plaines de l'Afrique
et qui ne peut être attribué qu'à l'effet de la réfraction. Au cœur de l'été,
quelques instants avant que le soleil sorte du sein des flots, si des rivages
de Messine on jette un coup d'œil du côté de Reggio, on aperçoit dans les
airs des forêts, des tours et des palais, dont l'ensemble représente Mes-
sine, ses montagnes et ses habitations. Sur la côte opposée, l'observateur
qui regarde du côté de Messine voit aussi dans les nues l'image d'une cité
semblable à Reggio. Cette illusion encore mal expliquée, serait moins sur-
prenante si le spectateur apercevait en l'air la ville qui borde l'horizon, au
lieu de voir celle près de laquelle il est placé. Les peuples de la Calabre et
de la Sicile, qui ont conservé des Grecs l'amour du merveilleux et des
brillantes fictions, ont bâti sur cet effet physique la fable suivante : Une
puissante fée, la fata Morgana, étend son empire sur le détroit de Messine;
elle fait apercevoir aux jeunes navigateurs ses palais aériens, afin que,
trompés par l'illusion, ils aillent, en croyant s'approcher de Messine et de
Reggio, échouer sur la côte où, nouvelle Circé, la fée s'apprête à les
enlever.
Nous allons parcourir l'une des plus grandes îles de la Méditerranée, île

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qui forme une portion considérable des États napolitains, puisqu'elle
constitue à peu près le tiers de la superficie et de la population duroyaume
des Deux-Siciles.
La Sicile a plus de 230 lieues de côtes et plusieurs ports importants,
tels que ceux de Messine, Païenne, Syracuse et Catane. Sa superficie est
de 1,368 lieues, et sa population était évaluée en 1851 à 2,091 ,580 âmes.
Elle est divisée en 7 intendances et en 23 districts. Chère aux arts dans
les temps anciens, et si puissante que la population de la seule république
de Syracuse était presque égale à celle que renferme aujourd'hui file tout
entière, elle fut, à l'époque de la plus grande puissance de Napoléon, le
seul coin de l'Europe qui restât sous le gouvernement d'un prince de la
maison de Bourbon. Elle avait autrefois une ancienne organisation féodale
et un parlement dit des trois bras, tre bracci. Le roi Ferdinand, rentré
dans ses Etats en 1816, déclara la Sicile province du royaume, et prit le
titre de roi des Deux-Siciles. En 1848, elle se souleva contre le gouverne-
ment de ce prince, proclama la république, mais elle dut se soumettre,
et elle obtint une nouvelle constitution favorable à l'idée d'indépendance
de ses habitants.
Il n'existe pas en Europe une terre plus fertile que la Sicile, et cepen-
dant le quart de sa superficie est à peine défriché. Elle renferme dans son
sein des trésors : ses mines d'or, d'argent, de fer, de cuivre et de plomb
sont complétement négligées. Parmi les roches qui composent ses mon-
tagnes, nous citerons des porphyres dont elle pourrait décorer ses édifices ;
de l'albâtre, des jaspes, des agates et même des émeraudes que l'industrie
et les arts pourraient utiliser. A l'embouchure de la Giarretta, on trouve
du succin plus transparent que celui de la Baltique, et souvent d'un beau
rouge violet ; près de Messine, il existe une importante mine de houille, et
cet élément de richesse demeure stérile entre les mains des Siciliens. Enfin
le gypse dont elle abonde, et qui, converti en plâtre, pourrait être si faci-
lement employé dans les constructions, utilisé comme engrais, ou-devenir
une branche d'exportation, y reste inapprécié. Elle livre au commerce du
mercure, du soufre, de l'alun, du sel gemme ; elle produit des vins estimés,
de l'huile, des céréales, des citrons, des oranges, des fruits, de la soie, et
livre au commerce une grande quantité de thon mariné.
La culture, l'industrie et le travail, encouragés en Sicile, pourraient y
nourrir, comme au temps des Romains, une population triple de sa popu-
lation actuelle ; mais que d'obstacles à vaincre pour la porter au degré de
prospérité dont elle est susceptible !

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La situation de la Sicile entre l'Europe et l'Afrique en ferait facilement
l'île la plus commerçante de la Méditerranée-, mais avant d'en venir là,
il serait indispensable de remplacer, par de bonnes routes, des sentiers
incommodes. Il n'existe que trois routes pour les voitures dans l'île : celle
de Montréal à Alcamo ; celle de Palerme à Calane, et celle de Catane à
Messine.
Tandis qu'un hiver éternel règne au sommet de l'Etna, le reste de la
Sicile jouit d'un printemps perpétuel. En avril le thermomètre centigrade
marque à l'ombre, au milieu du jour, 22 degrés; mais lorsque le sirocco
souffle, le même thermomètre indique 40 à 45 degrés. Les autres vents
méridionaux, le libecchio qui vient du sud-ouest, et l'austral qui vient du
midi, participent plus ou moins des qualités malfaisantes du sirocco. Les
mois de novembre et de décembre sont doux; en janvier on cherche l'ombre
avec plaisir; mais en mars les vents froids obligent souvent le Sicilien à se
réchauffer près d'un brasier.
Les blés de la Sicile acquièrent une hauteur extraordinaire; leurs épis
ne renferment pas moins de 60 grains; leur couleur dorée en dedans et en
dehors est un des caractères qui les distinguent des nôtres. L'aloès s'y
élève jusqu'à 10 mètres; le cactier-raquette, dont le fruit en forme de
figue et d'une couleur purpurine est l'aliment de la classe indigente, borde
tous les sentiers; le melon d'eau ou la pastèque, au jus rafraîchissant, y
acquiert une saveur exquise; le dattier y voit arriver à maturité ses fruits,
dont le suc mielleux est employé dans l'assaisonnement de certains mets,
ou qui, séchés au soleil, se servent sur toutes les tables; le grenadier,
apporté de Carthage en Italie par les Romains, qui lui donnèrent le nom
de punica, distille dans ses baies rougeâtres le suc acide et vineux dont
la saveur plaît aux peuples méridionaux. La canne à sucre prospère sur la
côte en regard de l'Afrique ; on prétend avoir reconnu le cafier à l'état sau-
vage dans les bois de cette partie de l'île. Près des ruines de Syracuse, sur
les bords de la fontaine de Cyane, depuis l'endroit où elle prend sa source
jusqu'à celui où elle se jette dans l'Anape, croît le papyrus, qui rivalise
de taille et de beauté avec celui du Nil : il y atteint 5 mètres de hauteur.
C'est la seule localité de l'Europe où fut trouvé ce végétal jadis si précieux
et si utile. Une si grande variété de végétaux, qui n'exclut point ceux de
nos climats, prouve tout le parti que pourrait tirer de son sol l'indolent
Sicilien.
La ville la plus près des côtes de la Calabre est Messine, fondée, à ce que
• l'on croit, dix siècles avant notre ère. Elle porta d'abord le nom de Ζ ancle,

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que, suivant Thucydide, la forme cintrée de son port lui fit donner par les
Siculi, d'un mot de leur langue qui signifie une faux. Trois ou quatre
siècles après sa fondation, Anaxilas, chef de la colonie messénienne établie
à Reggio, chassa les Zanclœi de leur ville, et s'y établit; elle reçut alors
le nom de Messana ou de Messène. Plus tard elle fut conquise par les
Mamertini, peuple de la Campanie. Cette ville, qui fut entièrement détruite
par le trop fameux tremblement de terre de 1783, a été rebâtie sur un
plan régulier; elle est la capitale d'une province, le siége d'un archevêché,
et la seconde de toute l'île. La franchise de son port et sa beauté en font
la seconde ville commerçante du royaume ; elle est en communication
régulière, à l'aide de paquebots à vapeur, avec Palerme et Naples. Sa
population dépasse 95,000 âmes. Elle s'élève en amphithéâtre au pied de
ces montagnes qui étendent leurs rameaux sur toute la Sicile, et que nous
regardons comme la suite des Apennins. Un promontoire de rochers et de
sables, qui s'avance en demi-cercle sur sa droite, forme une rude spacieuse
et sûre ; une vaste citadelle, plusieurs forts et des batteries à fleur d'eau
défendent l'entrée de son port; les rues sont belles, régulières et pavées de
larges dalles en lave, mais les maisons sont peu élevées, dans la crainte des
tremblements de terre. Quatre à cinq places assez grandes, mais irrégu-
lières, se font remarquer par la profusion plutôt que par le bon goût et le
choix des ornements; toutes sont décorées de fontaines en marbre et de
statues en bronze d'une belle exécution. Le Neptune de la marine et la fon-
taine de la place du Dôme sont de très bons ouvrages du frère Ange Mon-
torsoli, habile sculpteur toscan, collaborateur de Michel-Ange. Le palais
Senatorio, occupé par l'intendance et les tribunaux, est d'une architecture
simple et imposante. Les églises sont riches comme toutes celles de l'Italie;
les ornements y sont prodigués sans choix. La cathédrale, bâtie par le
comte Roger, est décorée de 26 colonnes antiques en granit égyptien, qui,
à côté des ornements gothiques du douzième siècle, forment le plus bizarre
assemblage. L'éducation paraît encore négligée à Messine, et cette ville
renferme un grand nombre de couvents de moines et de religieuses dans
lesquels on a ouvert quelques écoles publiques.
A 12 lieues au sud-ouest de Messine, Taormina est placée sur une des
cimes du mont Taurus, au bord de la mer Ionienne. C'est une petite ville
d'environ 3,000 âmes, remplie d'églises, de monastères et de confréries.
La voie romaine que l'on gravit pour y arriver, et les vastes débris d'un
théâtre antique, annoncent les ruines de Tauromenium, ville jadis consi-
dérable, que les Arabes et les tremblements de terre ont détruite. Le siége

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
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après lequel elle fut prise et détruite en 968 par les Arabes, est le plus long
dont l'histoire fasse mention : il dura 80 ans.
La rivière de Cantara, qui conserve le nom d'Alcantara que lui donnè-
rent les Arabes, sépare la plaine qui domine Taormina des dernières
pentes de l'Etna.
Au pied de l'Etna, sur le bord de la mer, Catane ou Catania, l'an-
cienne Catana, fondée sept siècles avant notre ère, si souvent détruite
par la lave et les tremblements de terre, n'occupe point le quart de la
superficie qu'elle couvrait avant que Hiéron, tyran de Syracuse, lui eût
donné d'autres habitants avec le nom d'Elna. Aujourd'hui chef-lieu de
province, ville archiépiscopale, industrieuse et commerçante, peuplée de
56,000 âmes, elle est grande et bien bâtie. La beauté de ses construc-
tions, qui lui donne de la ressemblance avec Turin, n'est point une con-
séquence de sa prospérité, mais de ses malheurs : dans cette ville antique
les bâtiments ne vieillissent point, ils cèdent aux efforts de la lave ou des
secousses volcaniques. C'est aux tremblements de terre qu'elle doit sa
magnificence. Elle a été au siècle dernier reconstruite sur un plan plus
régulier. La cathédrale, le couvent des bénédictins et l'hôtel-de-ville
(palazzo del Senato) sont les plus beaux édifices de Catane. Le musée
Biscari, fondé par un riche seigneur qui employa sa fortune à faire des
fouilles sur le sol de la ville, est précieux par le nombre et le choix des
objets antiques qu'il renferme : c'est au zèle de cet ami des arts que l'on
doit de pouvoir jouir de la vue du théâtre, des murailles, des bains, des
temples et de l'amphithéâtre, que l'on trouva sous plusieurs couches de
lave et de dépôts d'alluvions ·, c'est à ses soins que la ville doit plusieurs
statues et un éléphant en basalte, portant sur son dos un obélisque égyptien.
La classe aisée est en général assez instruite. La ville possède une
bonne université fréquentée par 600 étudiants, un lycée, une bibliothèque
publique, ainsi qu'un musée. L'académie Giojena s'occupe principale-
ment d'histoire naturelle. C'est dans un couvent de Catane que sont modes-
tement confinés les successeurs de ces chevaliers de Malte, si longtemps
la terreur du Croissant. On fabrique à Catane de la toile, de belles étoffes
de soie, des croix et des chapelets en ambre que l'on recueille près de
l'embouchure de la Giarretta, jadis le Simèthe, célèbre par les poètes de
l'antiquité.

Le territoire de Catane produit beaucoup de blé, de vin, de lin, d'olives
et de soie0 Ses environs offrent plusieurs petites villes, dont quelques-
unes méritent d'être mentionnées. Nous avons déjà cité Taormina ; mais
VII.
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LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
il y a aussi Agosta, importante par ses fortifications et par sa population
que l'on porte à 4 0,000 âmes ; et Aci-Real, petite ville bâtie sur un massif
de laves basaltiques.
La route de Catane à Syracuse est loin d'être aussi agréable que celle
de Messine à Catane; il faut se frayer un cheminau milieu des sables qui
bordent la mer. Cependant le bonnet phrygien dont se coiffent encore les
paysans, réveille une foule de souvenirs; on marche sur un sol embelli
par les brillantes fictions des Grecs; les bords du Simèlhe sont encore
couverts de ces fleurs odorantes que Proserpine cueillait avec un aimable
abandon, lorsque Pluton, le dieu de l'enfer et de l'Etna, vint l'enlever
pour lui faire partager son trône. Au milieu des ruines de l'ancienne Syra-
cuse, de cette ville aux cinq quartiers que les Grecs appelaient Penlapo-
lis, on voit jaillir du creux d'un rocher la fontaine Aréthuse, qui rappelle
cette nymphe fuyant les amoureuses poursuites de l'Alphée, et dont la
métamorphose ne put la soustraire aux recherches de son amant. Cette
fontaine, que Cicéron représente comme si poissonneuse et d'une
incroyable grandeur, n'est plus reconnaissable: c'est un des lavoirs de la
moderne Syracuse. Celle-ci, peuplée de 18,000 âmes, occupe à peine un
faubourg de l'antique cité qui survécut peu de temps à la décadence
d'Athènes. Elle est bâtie sur l'île qu'on appelait Nasos; sa circonférence,
y compris le grand et le petit port, est à peine d'une lieue. L'enceinte de
l'ancienne ville en avait près de huit; on peut juger de son immense popu-
tion par l'étendue de ses catacombes. Elles sont situées sous la plaine où
se trouve la vieille église de Saint-Jean, et taillées dans une pierre cal-
caire sablonneuse. Leurs longues galeries régulières, mais dirigées dans
tous les sens, sont de distance en distance interrompues par de grandes
salles circulaires revêtues de stuc et percées au sommet pour laisser entrer
l'air et la clarté. Sur les côtes on a creusé des niches et des tombeaux pour
y recevoir les corps. Dans quelques-unes des niches on a trouvé jusqu'à
vingt cercueils l'un devant l'autre, et plusieurs squelettes avaient encore
dans la bouche la pièce de monnaie pour le salaire du nautonier de l'Aché-
ron. On peut encore suivre l'enceinte du mur extérieur que Denys fit con-
struire autour de la ville, et reconnaître les restes d'un vaste théâtre et
d'un amphithéâtre taillés dans le roc. Le premier de ces édifices est im-
mense : il pouvait contenir 40,000 spectateurs. La fameuse prison appe-
lée l'Oreille de Denys est une immense carrière de 18 mètres de hauteur,
de forme irrégulière et contournée, qui, par sa disposition, est naturelle-
ment si sonore, qu'il n'est point étonnant que Denys y ait fait pratiquer

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au-dessus l'ouverture que l'on y voit, et par laquelle il entendait tout ce
que les prisonniers se disaient en secret. Le déchirement d'un morceau de
papier y produit autant de bruit que si l'on frappait avec un bâton sur une
planche: qu'on juge de l'effet qui résulte de la détonation d'une arme à
feu, expérience dont les guides ne manquent point de satisfaire les
curieux.
La moderne Syracuse fut dévastée aussi par les tremblements de terre.
Celui de 1693 dura quatre minutes, il détruisit presque toutes les habita-
tions et le quart des habitants. Malgré son peu d'importance, elle possède
un théâtre, une bibliothèque, un collége royal, un évêché, 2 séminaires,
15 églises et un musée fort riche. La cathédrale est l'ancien temple de
Minerve, transformé en église vers la fin du deuxième siècle. L'édifice a
été défiguré par différentes constructions de mauvais goût. Ce qu'elle ren-
ferme de plus curieux, c'est une madone de grandeur naturelle, en argent
massif, que l'on revêt d'une robe resplendissante de diamants et d'autres
pierreries à certaines époques solennelles, telles que le jour do la visite
annuelle qu'on lui fait faire, en procession et en grande cérémonie, à une
autre madone du voisinage.
Le mont Daura, qui s'élève à l'ouest de Syracuse, est l'un des points
les plus élevés des trois chaînes qui traversent la Sicile. Sur le versant
méridional de celles-ci, à une assez grande hauteur, Caltagirone est une
cité industrieuse; les habitants s'y livrent au commerce, à l'agriculture et
aux arts utiles. Il y a un grand nombre d'églises et de prêtres, de cou-
vents et de religieux; un collége royal et des hôpitaux; il s'y tient plu-
sieurs foires par an. On la dit peuplée de 19,600 habitants, mais nous
croyons cette évaluation exagérée. Elle occupe l'emplacement d'Hybla
Minima, que l'on appelait aussi Herœa, mentionnée dans l'Itinéraire d'An-
tonin; elle est traversée par une mauvaise route venant de Catane et con-
duisant à Castro-Giovanni, ville de 11,000 âmes, qui, par sa position sur
une colline et par quelques restes d'antiquités, paraît être Enna, dont
parle Strabon, dans laquelle, \\ 50 ans avant notre ère, des esclaves révol-
tés soutinrent un long siége contre les Romains ; ses environs étaient et
sont encore très-fertiles en blé; elle passait pour avoir été la capitale des
Etats de Cérès ; le temple de cette déesse était magnifique, et près de ses
murs on montrait la grotte par laquelle Pluton rentra dans les enfers en
enlevant Proserpine.
En retournant dans la direction de Syracuse, nous verrons au sud-est
de cette ville celle de Noto, l'antique Nectum, aujourd'hui chef-lieu de pro-

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LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
vince, peuplée de 11,000 âmes et assez bien bâtie, et plus loin Modica,
jadis Motyca, avec 27,000 habitants sur la rive droite du Scieli dans une
vallée étroite. On y remarque un couvent de Franciscains dont l'intérieur
est orné de beaux ouvrages en mosaïque. Aux environs de cette ville, la
vallée d'Ipsica est intéressante par ses innombrables grottes creusées dans
le roc, et qui paraissent avoir servi d'habitations à l'un des plus anciens
peuples de l'île ; aussi donne-t-on à cette vallée le nom de vallée des
Troglodytes.
De Castro-Giovanni, un chemin conduit d'abord à Caltanisetta, chef-
lieu d'intendance, assez grand et assez bien bâti, dans les environs de
laquelle se trouvent les plus riches mines de soufre de l'Europe, puis à
Naro, dont les environs abondent aussi en soufre, et enfin à Girgenti.
Mais en suivant le cours du Salso, on arrive à Alicata, ville de 12,000
âmes bâtie sur le bord de la mer, protégée par deux petits forts et renom-
mée en Sicile par ses pâtes et ses macaronis ; son port est peu étendu,
mais très-fréquenté. Les ruines que l'on aperçoit sur le mont Serrato,
dans ses environs, sont, suivant l'opinion de quelques antiquaires, celles
de Gela, patrie du poëte Apollodore, du philosophe Timagoras, et du tyran
Gélon, et près de laquelle se trouvait le tombeau d'Eschyle. A l'est de
cette ville, on voit sur le bord de la mer Terranova, Callipolis chez les
anciens, ville de 9,000 âmes, qui renferme 8 couvents et plusieurs belles
églises, et dont le petit port est défendu par un château fort.
Girgenti, chef-lieu de province et siége d'un évêché, est une ville de
1 8,000 âmes, dont les hautes maisons s'élèvent en gradins, sur une des
plus hautes montagnes de la côte. Sale, mal bâtie, et peu industrieuse,
elle occupe la place même de la citadelle que Dédale bâtit à la demande du
roi Cocalus pour défendre Agrigente. Les ruines de cette antique cité se
voient à une demi-lieue au sud-est, à Girgenti-Vecchio ; plusieurs cou-
vents occupent son enceinte, composée de rochers naturels, taillés en forme
de murailles. On admire encore parmi ses ruines le temple de la Concorde
dontil ne manque que la toiture et quelques portions de murailles ; celui de
Junon Lucine, et les restes de ceux de Jupiter Olympien, de Cérès et de
Proserpine, d'Hercule, d'Apollon, de Diane, de Castor et Pollux et d'Es-
culape. A 2 ou 3 lieues au nord de Girgenti, la petite ville d'Aragona ren-
ferme un vieux château où l'on voit une belle collection de tableaux et
d'antiquités. C'est dans son voisinage que se trouvent les salses ou volcan
d'air de Macaluba.
Nous nous abstiendrons de décrire quelques villes de l'intérieur de la

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Sicile, telles que Corleone dont la population est agricole, Salemi, qui
possède d'anciennes fortifications, et Nicolia, près de laquelle se trouve
une riche mine de sel. C'est sur ses côtes que l'on voit un peu de mouve-
ment et d'industrie; c'est aussi là que l'esprit trouve dans ses souvenirs
historiques des sujets de méditations. Au delà de la rivière du Platani et
de la Calalabellola, rivière de 12 lieues de cours, que les anciens hono-
raient du titre pompeux de fleuve du Crimisus, et près duquel Timoléon
à la tête de 6,000 Syracusains, défit une armée de 70,000 Carthaginois,
on traverse une plaine aride qui s'étend jusqu'au bord de la mer, où l'on
voit s'élever dans une position agréable la ville de Sciacca, qui étonne
d'autant pluspar son aspect misérable, qu'elle est peuplée de 12,000 âmes
et que son petit port exporte beaucoup de grains à l'étranger. Elle n'offre
plus de vestiges de la ville appelée les Bains de Sélinonte ( Thermœ Seli-
nuntiœ ) célèbre par ses eaux minérales chaudes, par la beauté de ses pote-
ries improprement appelées étrusques, et pour avoir donné naissance au
fameux Agatocle, qui, de simple potier, devint par ses talents roi de Syra-
cuse.
Sur le territoire de Castel- Vetrano, sur la rive droite du Belici, ville de
14,000 âmes, où l'on travaille l'albâtre et le corail, d'énormes monceaux
de ruines dont quelques-unes ont appartenu à des temples et à des édifices
si considérables que les gens du pays les appelaient piliers des géants
(pilieri de giganti), sont tout ce qui reste de l'antique Sélinonte. Souvent
la tempête déblaie les sables qui ont envahi les ports de Sélinonte, et laisse
voir encore pour quelques instants des quais, des colonnes, des anneaux,
tristes vestiges que la fureurdes vagues cacheensuite de nouveau sous un
gravier mobile.
Au delà de ces ruines majestueuses, ornées de touffes d'aloès et peu-
plées de lézards et de serpents, la plaine déserte, mais fertile, s'étend jus-
qu'à Mazzara ville de 8,000 habitants, dont la cathédrale est remarquable
par sa coupole et ses tombeaux. Ou franchit une colline, et l'on arrive
sur le bord de la mer à Marsala, dont les environs, plantés de vignes
apportées de Madère, produisent un vin recherché. La beauté de son port
lui fit donner par les Sarrazins le nom qu'elle porte et qui signifie port
de Dieu; mais ce port a été comblé en 1532. Elle est bâtie sur les débris
de Lilybœum, ville carthaginoise, qui soutint un siége de plus de 5 ans
contre les Romains, et dans laquelle, après la ruine de Carthage, ceux-
ci entretenaient, au rapport de Tite-Live, une garnison de 10,000 hommes.
Au nord de Marsala, Trapani, jolie ville au bord de la mer, occupe une

646
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
presqu'île sur laquelle s'étendait jadis Drepanum ; on y voit les restes
d'un temple dédié à Vénus. Les femmes y sont d'une beauté rare. De ses
remparts on aperçoit à peu de distance de la côte les îles de Favignano,
de Levanzo et de Maretimo, autrefois les îles Arginuses, près desquelles
le consul Claudius Pulcher, avant de livrer la bataille navale qu'il perdit
contre les Carthaginois, fit jeter à la mer les poulets sacrés, en disant:
« Qu'ils boivent, puisqu'ils ne veulent pas manger » ; mais ce fut ensuite
dans les mêmes parages que Caïus Lutatius remporta sur Carthage la vic-
toire qui mit la Sicile au pouvoir des Romains.
Entre Trapani et Alcamo le pays devient encore stérile, comme pour
préparer l'œil à la contemplation des restes du temple de Vénus Erycine
un des plus beaux monuments de l'antiquité. seul reste de la ville de
Segesle ou d'Egeste.
Les environs d'Alcamo sont fertiles et variés, le nom de cette ville
indique son origine arabe : elle fut fondée en 828 par un prince sarrasin
nommé Alkamah. Du bas de la montagne qu'elle couronne, l'architecture
de ses tours et de ses murailles lui donne l'aspect d'une ville mauresque.
Les femmes ont conservé une tournure orientale : elles ne sortent qu'en-
veloppées d'un large manteau noir, dont elles cachent une partie de leur
visage. Alcamo renferme 13,000 habitants ; ils ne connaissent rien de
plus célèbre que leur madone, à laquelle ils attribuent une foule de
miracles.
Montréal ou Morreale, ville de 8,000 âmes, est située aussi sur une
montagne. Les habitants sont cultivateurs et fabricants de macaroni.
L'église et le couvent de bénédictins, qui ont, pour ainsi dire, servi de
noyau à cette ville, par les habitations qui se sont successivement grou-
pées autour, ont été fondés au douzième siècle par le prince normand Guil-
laume II, surnommé le Bon. L'abbé de ce monastère a le titre et le rang
d'archevêque ; les moines du mont Cassin en forment le chapitre. La
cathédrale, dont on admire la porte en bronze ornée de bas-reliefs, est
l'un des plus beaux monuments de la Sicile. En 1811, elle fut endomma-
gée par un incendie. Elle est ornée de colonnes de granit ; ses murailles
sont incrustées de mosaïques, et le pavé est formé de porphyre et de
marbre de toutes couleurs. On y voit les mausolées de Guillaume le Bon,
et de son père Guillaume Ier ou le Méchant. On y conserve les entrailles
du roi saint Louis. Le couvent renferme le chef-d'œuvre de Pietro Novelli,
le Raphaël de la Sicile, surnommé Montréalese, parce qu'il naquit à
Montréal.



EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
647
De Montréal à Palerme, on descend par un beau chemin en zigzag,
bordé de maisons de campagne, dans une vallée magnifique présentant
avec des rochers arides entassés les uns sur les autres, et qui semblent
sortir du sein de la mer, des bouquets d'aloès et de cactus. Des palmiers,
des bambous, balancent dans les airs leurs cimes verdoyantes, pendant
que la brise qui se promène sur les champs de blé agite doucement leur
surface ondulée; le brillant feuillage des orangers et des citronniers, les
les rameaux polis et mats de l'olivier, la large feuille de la vigne et le feuil-
lage gracieux du laurier-rose forment un rideau de verdure de la plus
agréable variété. La capitale de la Sicile, l'antique Panormus, que fondè-
rent les Phéniciens, est entourée de murs et disposée circulairement au
fond d'un golfe ·, son port est petit, mais animé par un commerce considé-
rable. La ville ne paraît point aussi grande qu'elle l'est réellement. Deux
rues qui se coupent transversalement la divisent en 4 parties à peu près
égales. Elles sont larges d'environ 12 à 15 mètres, longues de 1,200 à
4,400 pas, et garnies de belles maisons et de boutiques. La plus belle
s'appelle la rue del Cassaro, du mot arabe cassar, qui signifie palais;
l'autre porte le nom de Macqueda ou de Strada-Nuova. L'endroit où ces
deux rues se croisent forme une petite place octogone; un peu plus loin,
on en voit une plus considérable appelée la place Prétorienne, au milieu
de laquelle s'élève une fontaine d'une somptuosité qui fatigue l'œil, et
d'une dimension qui ne permet point d'en saisir l'ensemble de l'extrémité
de la place, qu'elle obstrue : elle est formée de plusieurs bassins placés
au-dessus les uns des autres, séparés par des galeries, et surchargés de
statues et d'animaux qui jettent de l'eau dans différents sens. La place de
Bologni est ornée d'une statue en bronze de l'empereur Charles- Quint, roi
de Sicile, chef-d'œuvre du sicilien Volsi. La ville a plusieurs portes que
l'on ferme la nuit : les deux plus belles sont la porta Felice, qui forme un
arc de triomphe, et sous laquelle on passe en venant du port, et la porta
Nuova, placée à l'extrémité de la rue del Cassaro, et contiguë au palais
royal. Celui-ci, malgré son importance, ne donne point une haute idée du
bon goût des Palermitains en fait d'architecture : c'est une énorme masse
dont les parties, construites à différentes époques, ne sont nullement en
harmonie. Les deux bastions qui s'élèvent aux deux côtés, et qui sont
garnis de pièces de canon destinées à contenir un peuple familiarisé avec
la révolte, sont les deux arguments les plus forts contre la répugnance
qu'éprouve le gouvernement à répandre les bienfaits de l'éducation. Ce
qu'il y a de plus remarquable dans cet édifice, c'est la chapelle bâtie par

648
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
le roi Roger en 1129 ; toutefois elle n'est curieuse que par la profusion de
ses arabesques et de ses mosaïques grossières, et par son architecture, où
le style gothique est mêlé au style grec du moyen âge. La partie la plus
élevée du palais est l'observatoire qui fut construit en 1791, et d'où le
célèbre abbé Piazzi découvrit, en 1801, la planète qu'il nomma Cérès. La
Vicaria, ou le palais de justice, renferme à la fois le tribunal et les prisons.
On voit dans les faubourgs de Palerme deux édifices d'architecture
mauresque, qui rappellent la domination arabe : l'un est le palais Ziza,
propriété particulière, et l'autre le palais Cuba, changé en caserne de cava-
lerie; ils ont été construits par un émir qui leur donna les noms de ses
deux filles. Outre les édifices que nous venons de citer, la ville renferme
27 églises principales, 67 couvents des deux sexes, 4 grand hôpitaux, un
hospice pour les enfants-trouvés, 8 maisons d'éducation, un séminaire,
3 bibliothèques publiques, 4 casernes, 2 théâtres et 2 monts-do-piété. Le
dôme ou la cathédrale est l'un des plus beaux monuments gothiques de la
Sicile. Sa fondation date de l'an 11666 on le compare aux plus beaux édi-
fices de Cordoue et de Grenade; l'intérieur, malgré sa richesse, ne répond
pas à l'extérieur : le marbre, le granit, le porphyre, le jaspe, l'albâtre et
le lapis y sont prodigués comme dans la plupart des églises de l'Italie.
Après la cathédrale, l'église de Jésus est aussi remarquable par son archi-
tecture et les substances précieuses qui la décorent que par les bas-reliefs
et les tableaux.
Des catacombes taillées dans le roc au-dessous de l'église des Capucins
ont la singulière propriété de convertir en momies les corps que l'on y
dépose. Ils sont placés dans des espèces de niches, debout, tout habillés,
les bras pendants le long du corps ou croisés sur la poitrine; les seuls
cadavres de femmes sont dans des coffres couverts. Les personnes de la
noblesse tiennent beaucoup à ce genre de sépulture, et paient très-cher le
droit d'y être admises : ce qui est une source de richesses pour les capu-
cins.
Palerme, glorieuse d'être la patrie de Sainte-Agathe qui cueillit la palme
du martyre au troisième siècle, a pour patronne Sainte-Rosalie, dont la
canonisation est bien plus récente, puis qu'elle ne remonte pas à plus de
deux siècles et demi. Tous les ans, au 15 juillet, la châsse, promenée en
grande pompe dans les rues de Palerme, est le sujet d'une fête qui dure
plusieurs jours, et qui, d'après l'opinion de ceux qui en ont été témoins,
surpasse la magnificence de celles de la semaine sainte à Rome.
La plus belle promenade de Palerme est celle de la Marina, sur le bord

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
649
de la mer; elle se termine à la Flora, vaste jardin public planté avec goût
et bien entretenu, qui s'étend jusqu'au jardin botanique.
Le golfe de Palerme n'offre point un aussi beau coup d'œil que le golfe
de Naples : les montagnes brûlées par un soleil ardent annoncent le voi-
sinage de l'Afrique. Le mont Pelegrino, l'Eveta des Romains, sur lequel
on voit l'église et la grotte de Sainte-Rosalie, est la plus haute de toutes
celles qui se groupent en amphithéâtre autour de la ville. Sur leurs flancs
les plus rapprochés se succèdent des jardins et des maisons de plaisance,
au milieu desquels on remarque le beau parc royal de la Favorita, peuplé
d'une innombrable quantité de lièvres et de faisans. La position que l'Iti-
néraire d'Antonin assigne à la petite ville d'Hyccara, dont parlent Thu-
cydide et Plutarque, la fait reconnaître dans le village de Carini. C'est
sur ce sol que naquit la célèbre courtisane Laïs.
A 7 lieues à l'est de Palerme, la misérable ville de Termini, célèbre en
Sicile par son riche et beau couvent de bénédictins bâti par le pape saint
Grégoire, ainsi que par son port, ses fortifications, son collége royal et
son école de navigation, occupe, sur le bord de la mer, une partie de
l'emplacement d'Himera, fondée 650 ans avant notre ère, par une colonie
envoyée de Messine ou de Zancle. Amilcar avait été défait sous ses murs
par Gélon ; Annibal vengea la défaite de son aïeul en faisant raser la ville
après avoir fait égorger les habitants. En continuant à suivre le rivage,
nous ne trouverions que des villes ou des villages sans importance;
Milazzo ou Melazzo seul, bâti sur un cap à 8 lieues de Messine, a le rang
de place forte, et a 6 à 7,000 âmes ; c'est l'antique Mylœ, d'où l'on vit
les Romains remporter la première victoire navale sur la flotte cartha-
ginoise.
Notre tournée sur les côtes de la Sicile est terminée; il nous reste à
compléter le tableau politique des possessions napolitaines par un coup
d'œil sur les petites îles qui en dépendent. Panlellaria, au sud-est de la
Sicile, renferme une ville de 3,500 âmes, que l'on appelle Oppidolo ou
Panlellaria. Ustica, au nord du golfe de Palerme, a la plus grande partie
de sa population réunie dans le bourg ou la ville de Sainte-Marie, que
domine une forteresse. Felicuri a 800 habitants, Alicudi ou Altcuri, un
peu plus petite, n'en a que 250; Salina, dont nous avons déjà parlé, ren-
ferme une population de 4,000 âmes; celle de Lipari est évaluée à 18,000 :
la ville du même nom est fortifiée; l'île produit un excellent vin de Mal-
voisie; Panaria, nourrit 200 habitants. Strombolirenfermait, il y a vingt-
cinq ans, 200 habitants, aujourd'hui elle en compte environ 2,000 réunis
VII.
82

650
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
dans une seule ville. Les autres îles qui environnent la Sicile ne sont
point habitées.
Le soleil de la Sicile répand son active influence jusque sur le moral
des habitants ; les tôles siciliennes sont volcanisées comme Le sol, brû-
lantes comme le climat. Le Sicilien est vif, gai, spirituel, doué d'un génie
actif, d'une imagination exaltée, de passions fougueuses et d'un ardent
amour pour son pays; il est hospitalier, généreux, fidèle observateur de
ses promesses. S'il commet un assassinat, ce n'est point par cupidité,
mais par vengeance : il la considère comme un droit, et presque comme
un devoir. Plus fier que sur le territoire napolitain, le bas peuple sicilien
n'endurerait pas l'outrage d'un coup de canne: il s'en vengerait par un
coup de couteau. Malgré son inertie physique, son activité morale offre
tant de ressources, que l'éducation en ferait un peuple peut-être supérieur
aux autres peuples européens. Les hommes influents n'ont point laissé
établir en Sicile la méthode d'enseignement mutuel, ils regardent l'instruc-
tion comme un bien funeste et dangereux. Ils n'ont point encore compris
qu'instruire le peuple, ce n'est point l'initier aux sciences, mais aux véri-
tés religieuses. L'instruction élémentaire, en répandant l'usage de l'écri-
ture, inspire plus facilement l'amour de l'ordre et de l'économie, met le
peuple à même de profiter de quelques lectures à sa portée, entretient en
lui le sentiment de ses devoirs, et dispose l'agriculteur et l'artisan à s'in-
struire des meilleurs procédés employés dans leur état. Un changement si
grand dans les mœurs populaires est-il donc si dangereux? Les bastions
qui défendent le palais contre les émeutes sont-ils donc des moyens de
répression infaillibles et sans danger? Un peuple instruit dans le respect
des lois n'est-il pas plus facile à diriger et à maintenir dans une sage
obéissance, que celui qui ne connaît que l'empire de la force et la soumis-
sion de la crainte?
Nous avons vu le Sicilien ardent spectateur des fêtes religieuses : ce
peuple a besoin d'un culte qui parle à ses sens ; il lui faut des fleurs, des
parfums, une musique bruyante et des images. En embrassant le christia-
nisme, il n'a fait que transporter dans la religion du Christ le polythéisme
de ses ancêtres. Il a conservé de ceux-ci cet amour-propre national qui le
porte à se regarder comme supérieur aux autres peuples, et qui entretient
entre les principales villes de la Sicile cette jalousie de prééminence qui fait
naître mille rivalités : Messine dispute à Palerme le rang de capitale, comme
jadis Athènes et Lacédémone revendiquaient la suprématie politique.
Le peuple sicilien a presque la sobriété du Spartiate : chez lui, l'ivro-

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX SICILES.
651
gneric est un vice honteux. Dans les mœurs champêtres on trouve encore
quelques traces des usages grecs : les pâtres aiment à disputer le prix du
chant, consistant en quelques objets à leur usage, que distribue celui qu'ils
choisissent pour juge; les paysannes ont conservé, de l'habillement grec,
le long voile et la large ceinture.
Le principal but de réunion dans les villes est ce qu'on appelle en
Italie les conversazioni : ce sont des assemblées chez des particuliers, ou
dans des lieux ouverts à ceux qui, moyennant une souscription, ont
acquis le droit de s'y présenter; on y trouve des salons de jeux et d'autres
réservés au seul plaisir de causer. Un usage qui paraîtrait fort singulier en
France, c'est qu'une dame en couches ne manque point de tenir chez elle
la conversazione : le lendemain même de sa délivrance, sa chambre devient
le salon de réunion de tous ses amis. En Sicile, on ne connaît point les
douleurs par lesquelles les femmes achètent le bonheur d'être mères : cet
avantage et la fécondité dont elles jouissent sont de ces bienfaits que la
nature répand dans les climats brûlants.
La Sicile a des savants et des écrivains distingués : la littérature est le
sujet principal de toutes les conversations; la poésie est le langage adopté
par l'amour et la galanterie : il n'est pas un soupirant qui n'exprime en
vers son douloureux martyre. Les intrigues amoureuses sont le passe-
temps de toutes les dames : celles-ci ne sortent jamais à pied, on ne les
voit qu'aux spectacles, à la messe ou chez elles. Elles ont un goût pro-
noncé pour la parure, et suivent les modes françaises avec beaucoup de
recherche et d'élégance; elles savent avec art relever la beauté de leurs
traits et la vivacité de leurs yeux. Elles sont généralement mieux que les
hommes, ce qui est le contraire de ce ce qui se voit sur le territoire napo-
litain. Quelques villes sont en réputation pour la beauté du sexe: A Messine,
les femmes sont plutôt agréables que belles; à Palerme elles sont plutôt
belles que jolies; à Syracuse, on admire la fraîcheur de leur teint; à
Trapani, on retrouve la régularité des profils grecs.
Le gouvernement du royaume des Deux-Siciles est une monarchie abso-
lue; le roi gouverne, secondé par les ministres et un conseil d'État dont
les membres sont désignés par lui. Le royaume est formé en deux par-
ties, l'une en deçà, l'autre au delà du Phare; la première est continentale
et renferme 15 provinces; la seconde est insulaire, c'est la Sicile, qui est
subdivisée en 7 provinces, qui portent le nom de vallées, et se subdivisent
en districts, cantons et communes. A la tête des provinces et vallées est
placé un gouverneur, et à la tête des districts un sous-gouverneur; les

652
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
cantons sont dirigés par un regente, et les communes par des podestats
ou syndics. Les tribunaux sont organisés sur Je modèle des tribunaux
français. La Cour de cassation de Naples est la Cour suprême pour les États
d'en deçà du Phare ; mais par suite de la position spéciale que la Sicile a
conservée jusqu'à ce jour dans ses rapports avec le royaume de Naples,
Palerme possède aussi une Cour de cassation. Il existe des Cours civiles
d'appel à Naples, Aquila, Trapani, Catanzaro, Palerme, Messine et Calane.
Chaque chef-lieu de province possède un Tribunal de première instance
et un Tribunal criminel. Les districts ont un juge d'instruction crimi-
nelle, des Tribunaux de justice correctionnelle et de police; enfin, au
dernier degré de l'échelle, vient le juge de paix et le conciliateur.
Le clergé napolitain est, ainsi que le clergé fi ançais, placé dans la dépen-
dance de l'État pour tout ce qui regarde l'administration et la discipline;
il est nombreux et influent, et il offre au pouvoir de grands moyens d'ac-
tion sur tous les points du pays. Le royaume de Naples n'a pas moins de
23 archevêchés et de 77 évêchés ; le nombre des ecclésiastiques est de plus
de 90,000.
L'enseignement n'est pas le côté brillant de l'administration napolitaine,
quoique le droit et les lettres soient professés avec distinction dans quel-
ques universités. L'enseignement supérieur ne jouit pas d'une liberté
assez grande pour que les encouragements qu'il a reçus profitent beau-
coup au pays? L'enseignement primaire est dans l'enfance, il est laissé à
la surveillance des évêques ; de plus, toutes les communes chefs-lieux et
celles qui disposent de moyens nécessaires, doivent établir des écoles pri-
maires d'après le système de l'enseignement mutuel.
L'agriculture est la principale source de prospérité pour le royaume de
Naples et la Sicile, mais le principal obstacle qu'elle rencontre ici vient du
laisser aller et de la négligence de la nation; le métayage, la sous-loca-
tion et le morcellement des terres sont encore au nombre des causes qui
retardent les progrès de l'agriculture. Cependant le gouvernement essaie
d'introduire de grandes améliorations; il a créé des Monti fumentari et
des Monli pecuniari, qui avancent aux petits cultivateurs des sommes ou
de l'argent à un intérêt très-minime.
L'industrie manufacturière est très-bornée, mais le commerce, surtout
le commerce maritime, est un des éléments de la prospérité relative du
pays. Le port de Naples a été fréquenté en 1850 par 517 navires étran-
gers, et 603 en sont sortis. Le cabotage est réservé à la marine nationale;
les constructions maritimes et la navigation à vapeur sont largement en-

EUROPE. — ITALIE. ROYAUME DES DEUX-SICILES.
653
courages-, le port de Blindes a été restauré, et le privilége de port franc
qui lui a été concédé en 1844 en fait le principal port du royaume sur
l'Adriatique. Mais le commerce et l'industrie resteront néanmoins dans un
état précaire tant que l'Italie tout entière n'aura pas été dotée d'un vaste
système de chemins de fer entrevu, préparé en 1851, mais non encore
exécuté.
L'administration financière est celle qui est le plus prospère dans le
royaume de Naples; le gouvernement s'est toujours étudié à maintenir
l'équilibre du budget. Au moment de la révolution de 1848, les finances
napolitaines passaient pour être dans un état satisfaisant, bien que la dette
fût encore de 109,568,000 ducats napolitains-, les revenus annuels étaient
estimés à environ 26 millions de ducats (117 millons de francs), et les
dépenses à peu près au même chiffre. A l'exception de la loterie, tous les
impôts que lève le gouvernement napolitain sont légitimes dans leur
assiette ; les sources du revenu sont les contributions directes et indirectes,
les douanes, les sels, les tabacs, la neige qui est un objet de commerce
dans les pays chauds, la poudre et les cartes. La Sicile, privilégiée en
beaucoup de points, est exempte de l'impôt du sel, du timbre et du
tabac.
L'armée du royaume de Naples a été, de la part du gouvernement,
l'objet de sages réformes depuis 1830 ; elle est aujourd'hui évaluée, sur le
pied de paix, à 45,000 hommes, dont 10,000 Suisses, parmi lesquels ne
sont pas compris l'artillerie du littoral, les escadrons de la légion d'hon-
neur, les bataillons des gardes pour le maintien de la sûreté, les soldats
de la police et ceux de la douane, le tout formant près de 15,000 hommes.
La réserve est composée de tous les soldats congédiés depuis moins de
cinq ans, la durée du service actif est elle-même de cinq ans. Sur le pied
de guerre l'armée approche de 100,000 hommes.
La marine militaire a aussi reçu une organisation régulière conforme
aux progrès de la science navale et de l'art militaire dans ces dernières
années. Elle est de 15 bâtiments à voiles dont 1 vaisseau et 5 frégates, et
de 12 bâtiments à vapeur dont 6 frégates. Il y a, pour former les officiers,
deux colléges et une école de marine.
Si le gouvernement absolu parait seul possible à Naples jusqu'à présent,
espérons que le gouvernement saura, dans son propre intérêt, accorder
aux Siciliens et aux Napolitains les bienfaits d'une administration plus
libérale.
Il nous reste encore à décrire en Italie quelques îles qui appartiennent

654
LIVRE CENT SOIXANTE-QUATORZIÈME.
aux Anglais, et dont nous n'avons parlé que sous le point de vue phy-
sique : ce sont : Malle, Gozzo et Comino.
Elles sont séparées de la Sicile par un bras de mer que l'on nomme
Canal de Malte, D'après les recensements les plus récents, Malte ren-
ferme 100,000 âmes, Gozzo 28,361 1, et la petite ile de Comino n'a qu'une
forteresse, une garnison et quelques habitants. Les deux premières seules
méritent donc quelques détails.
La Valette est la capitale de Malte-, ses principaux monuments ont été
construits sous l'influence des anciens chevaliers, et donnent une juste
idée de leur puissance passée. Le palais du Grand-Maître offre de vastes
salles ornées de colonnes en marbre et des portraits des chevaliers les plus
célèbres et de tous les grands maîtres. L'église de Saint-Jean renferme les
tombeaux de ces nobles défenseursde la croix, et est décoréé des dépouilles
des mahométans. Dans cette ville, qui fut fondée en 1566 par le célèbre
grand-maître dont elle porte le nom, on remarque encore 19 autres églises,
4 hôpitaux, de belles casernes, une riche bibliothèque publique et un jar-
din botanique. Le port est partagé en deux, le grand et le petit, par une
presqu'île sur laquelle est bâtie la principale partie de la ville. Citta-Vec-
chia, ville épiscopale plus ancienne que la précédente, est importante par
ses fortifications; au-dessous de sa belle cathédrale, se trouve une grotte
qui passe pour avoir été habitée par l'apôtre saint Paul. Dans les envi-
rons de cette ville on remarque un grand nombre de catacombes taillées
dans le roc.
Malte est par ses travaux de défense l'une des possessions les plus
importantes des Anglais; mais sa population est dans un tel état de misère
et de décadence, qu'elle est obligée à de fréquentes émigrations. Les vil-
lages de l'intérieur sont bâtis en pierre de taille et décorés de jolies mai-
sons bourgeoises.
Gozzo, environnée d'écueils, ne renferme que le bourg de Rabalto et
plusieurs villages.
Les habitants de ces îles ont conservé leurs anciens usages et le droit
d'élire leurs magistrats.
1 Voir au tome VIII les tableaux statistiques des îles Britanniques.

EUROPE.—TABLEAUX STATISTIQUES DU ROYAUME DES DEUX-SICILES.
655
TABLEAUX statistiques du royaume des Deux-Siciles en 1851.
STATISTIQUE GÉNÉRALE.
POPULAT.
POPULAT.
SUPERFICIE.
FINANCES.
ARMÉE.
FLOTTE.
en 1851.
par lieue c.
Revenus :
Pied de paix, 45,000 h.:
5,532 lieues
Infanterie, 20,000.
géogr. carr.
117,000,000.
1 vaisseau
Cavalerie,
4,500.
Dépenses :
5 frégates
à voiles.
Carabiniers, 8.000.
ou
8,704,472
1,571
9 bat, infér.
116,000,000.
Artillerie,
2,500.
0 frégates
.
Suisses,
10,000.
vapeur
31.967 milles
Dette publ.:
G bal. infér. à vapeur.
Pied de guerre, 96,000 h.;
géogr. carr.
120,000,000 ?
plus, les milices.
ROYAUME DE NAPLES OU PROVINCES EN DEÇA DU PHARE.
Superficie: 4,172 lieues géogr. carr. Population: 6,612,892. — Population par lieue carr.: 1,585.
NOM
CHEFS-LIEUX
POPU-
de
et
LATION.
LA PROVINCES
VILLES PRINCIPALES.
NAPLES, 450.000. —Castellamare, 20,000.— Pouz-
NAPLES.
46
1,272,000
465
zole, 10,000.— Torre-del-Greco, 15,000 — Sor-
rente, 8,000.— Porrici, 5 000,— Ottazano, 16,000.
Caserte, 25.780.— Capoue. 8.000.—Gaëte, 3,000.-
TERRE DE LACoua.
320
752,012
5230
Nota, 1,(100.—Aversa, 20,000.— Fondi, 10,000.—
Arpino, 8,000.
PRINCIPAUTÉ CITÉ-
265
Saterne, lo,892.—Amalfi, 4,000.— Cava, 20,000.—
558,809
4158
RIEURE
j
Nocera, 10
265
.000.
PRINCIPAUTÉ ULTÉ-
170
Avellino, 22,873. — Ariano, 11,000. — Atripalda,
170
383,414
3132
RIEURE
4,000.
Potenza, 12,362. — Lagonegro, 6,000. — Matera,
BASILICATE
542
501,222 4121
12,000.— Melfi, 9,000.
Fogg ta, 24,058.— Bovino, 4,000.— Lucera. 9,000.—
CAPITANATE. . . .
350
318,415
362
Manfredonia, 6.000.— San-Severo, 18000.
Bari, 27,297. — Altamura. 16,000.— Barletta,
TERRE DE BARI. . .
328
497,432
353
24.000. - Monopoli, 18,000. — Molfetta, 12,000
— Trani, 15,000
Lecce, 19,397.— Brindisi, 10, 000. — Tarente, 18,000.
TERRE D'OTRANTE.
392
409,000
4180
— Gallipoli, 8,000 —Otrante, 3,000.
Cosenza, 13,847. — Cassano, 8,000. — Castro-Vil-
CALABRE CITER. . .
342
435,811
4146
laro, 6,000 — Rossano, 8,000.
Catanzaro, 14,765. — Monteleone, 8,000 — Pizzo,
CALABRE ULTÉR.IIE.
4
374
381,147
151
5,000. - Siquillace. 3,000.— Nicastro, 6,000.
CALABRE ULTÉR.IRE.
286
319,662
3104 Reggio, 18,483.— Gerace, 3,000.— Sciglio, 5,000.
Campo-Basso, 10,/.04. — Agnone, 8,000.— Mor-
MOLISE
232
360,549
3135
cone, 6,000. — Trivenio, 4,000.
ABRUZZE CITER. . .
145
312,399
3121 Chieti, 17,734.— I.anciano, 16,000.— Vasto, 10,000
Aquila, 11,189.—Avezzano,7,000.—Civila-Ducale,
ABRUZZE ULTÉR. IIE.
320
329,131
3110
2,000.— Solmona, 8,000.
ABRUZZE ULTÉR. Ire.
160
231,747
272 Teramo, 15,609. — Civita-di-Penne, 9,000.

656
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
VICE-ROYAUTÉ DE SICILE OU PROVINCES AU DELA DU PHARE.
Superficie: 1,360 lieues géogr. carr. — Population : 2,091,5S0. — Population par lieue carr. : 1 537.
NOMBRE
NOM
des
CHEFS-LIEUX
de
POPU-
LA PROVINCE
et
ou de
LATION
VILLES PRINCIPALES.
LA VALLÉE.
PALERME 250 514,517
4
72
PALERME, 167.222.—Monréale, 12,903 - Corleone,
13 788.—Termini, 16,000.— Cétales, 9,000.
MESSINE 200 340,484
4
Messine. 97.074.
116
Castroréale, 3,462. — Patti,
5.000 Mistretta, 800.
CATANE 245
Catane, 56,100. Caltagirone, 19,227. — Nicosia,
379,991
2
81
13 151
GIRGENTI
180
245,974
3
45
Girgenti, 18,569.—Bivona. 2 389.—Sciacca, 12 668.
Nolo. I0.949. Syracuse, 18,000. — Agosta, 8,667.
ΝOTO
162
237,814
3
41
— Modica. 27.000.
TRAPANI
Trapani, 24,928. — Alcamo, 15,834. — Mazzara,
168
182,809
3
21
8, 65.
Cuttanisella, 17,292.— Piazza, 11,904. — Terra-
CALTANISETTA. . .
155
180,791
3
31
Nova, 9,500.
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
Suite de la Description de l'Europe. — Description de la Confédération suisse.
Nous n'essaierons point de dépeindre les sensations que l'on éprouve
à la vue des sites pittoresques qui font de la Suisse l'une des plus belles
contrées de l'Europe. Ce contraste de la verdure et des frimas, de ces
forêts silencieuses et du fracas des cascades; ces grands tableaux d'une
nature gigantesque, au milieu desquels l'homme paraît un être si chétif,
offrent dans leur description autant de difficultés pour le peintre que pour
l'écrivain. Dans la rapide esquisse chorographique que nous allons en
faire, nous ne considérerons que les points les plus importants, que les
généralités les mieux constatées : assez d'itinéraires sont destinés à guider
Je voyageur qui veut s'arrêter à chaque pas dans cet admirable pays. 1.
La Suisse est bornée, à l'ouest, par la France; au nord, par le grand-
duché de Bade et le royaume de Wurtemberg ; à l'est, par la province
autrichienne du Tyrol, et, au sud, par le royaume lombard-vénitien et
celui de Sardaigne. Son étendue, de l'ouest à l'est, est d'environ 80 lieues,
et du nord au sud, de 50 ; sa superficie est de 1,985 lieues carrées.
1 Nous devons placer au premier rang parmi ceux qui ont été publiés en France
l'excellent Itinéraire descriptif et historique de la Suisse; par Ad. Joanne. 1 fort vol.
in-8° avec cartes et plans. Deuxième édition, 1853.

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
657.
Cette contrée offre deux chaînes de montagnes distinctes : celle du Jura,
qui s'étend du sud-ouest au nord-est, et celle des Alpes, qui suit à peu
près la même direction, mais qui, beaucoup plus considérable, projette
dans tous les sens de nombreuses et importantes ramifications. La pre-
mière, longue de 90 à 100 lieues, large de 15 à 18, présente du côté des
Alpes des pentes abruptes, et s'abaisse graduellement du côté de la France ;
elle est formée principalement de calcaire, dont quelques bancs sont de
véritables marbres, mais peu recherchés. Ces bancs alternent avec des lits
de sable fin jusqu'à la hauteur de600 mètres; ils sont quelquefois séparés
par des couches de cailloux roulés ou anguleux, qui ne peuvent avoir été
réunis par le ciment calcaire qui les enveloppe qu'au sein même de l'Océan.
Ces cailloux sont des fragments de diverses roches granitiques qui forment
le noyau de ces montagnes et les sommets des Alpes.
Les Alpes présentent un sujet d'études continuelles pour le géologue.
Les diverses parties de ce vaste système ont été désignées sous les noms
particuliers de Maritimes, Cottiennes, Grecques, Pennines, Léponliennes
ou Helvétiques, Rhétiques, Noriques, Comiques, Juliennes et Dinariques.
Les Alpes Pennines, Léponliennes ou Helvétiques et Rhétiques, cou-
vrent la Suisse de leurs ramifications ; on les appelle quelquefois Alpes
centrales, parce que ces ramifications sont supposées partir d'un centre
commun, le Saint-Gothard. On y reconnaît six massifs principaux, qui
sont: le massif du Mont-Blanc, s'étendant du col du Bonhomme jusqu'à
Salion en Valais, et limité par les vallées de Chamonix et d'Entrèves ; le
massif des Aiguilles-Rouges, situé plus au nord, surgissant près de Servoz,
et allant mourir près de Lavey, au-dessous de la dent de Mordes ; le
massif du Simplon, qui s'élève du fond du val d'Anniviers, atteint ses
points culminants dans la Dent-Blanche, le Weisshorn, les Dents de Mis-
chabel, traverse la roule du Simplon entre Bérisal et Algaby, et se prolonge
par la chaîne qui sépare la vallée de Binnen, des cirques de Veglia et de
Dever, et par les montagnes peu connues qui renferment les sources de la
Maggia, jusqu'au val Levantina ; le massif du Saint-Gothard, s'élendant
d'Aernen dans le Haut-Valais jusqu'aux environs de Trons, dans la vallée
du Rhin-Antérieur, et limité au sud par le val Bedretto ; le massif du Fin-
sieraahrorn, le plus puissant de tous, et celui qui exerce l'influence la plus
prépondérante sur le relief du sol helvétique. Le passage de la Gemmi
et celui du Kisten, à l'est de Tœdi, peuvent être envisagés comme ses
limites extrêmes. Le col du Grimsel, d'Im-Grund à Obergesteln, et la
route du Saint-Gothard, d'Amstœg, jusqu'à Urseren, le traversent dans
VII.
83

658
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
toute sa largeur ; enfin le massif du Selvretta, qui s'étend à l'est de
Bergun, dans le canton des Grisons, jusqu'aux environs de Landeck en
Tyrol.
Ces massifs sont dus à des soulèvements volcaniques-, les roches prin-
cipales qui les composent sont les granits, les gneiss, les micaschites,
les calcaires. Nous ne pourrions, sans perdre de vue l'objet purement des-
criptif et topographique de notre livre, entrer dans de plus grands détails
au sujet de la composition de ces montagnes. Au premier aspect, les masses
immenses qui constituent les montagnes de la Suisse présentent l'image du
désordre : on dirait que ce sont les vénérables témoins des convulsions de
la nature, lorsque la terre prit la forme que le Créateur avait jugée conve-
nable à l'accomplissement de ses desseins. Des pics inaccessibles couverts
de neige; des pentes rapides qui donnent à quelques sommités la forme
d'obélisques; des vallées entourées d'immenses escarpements; des rochers
rongés par le temps et prêts à tomber de vétusté ; tel est le tableau que pré-
sentent les chaînes alpines. Mais si l'observateur qui les parcourt est fami-
liarisé avec l'élude de la nature, il y verra les traces de sa marche lente et
graduée à côté des traces de la destruction.
Les neiges qui s'accumulent sur les cimes appartenant aux deux grandes
chaînes des Alpes qui circonscrivent le Valais, y forment, comme on sait,
des glaciers par suite des éboulements ou avalanches de neige qui accu-
mulent celle-ci dans des enfoncements abrités des rayons du soleil, où, se
fondant en partie, elle se transforme en glace. On compte environ 400 gla-
ciers depuis le groupe du Mont-Blanc jusque dans le Tyrol. La plupart
ont au moins une lieue de longueur, et un grand nombre en ont six ou
sept. Ces glaciers sont souvent inclinés, et toujours divisés par de larges
et profondes crevasses et hérissés d'aspérités qui leur donnent de près les
formes les plus variées et les plus bizarres, et de loin l'aspect d'une eau
agitée qui se serait tout-à-coup consolidée. A l'approche du printemps ils
glissent tout entiers sur les pentes qui les portent, mais ils s'arrêtent bien-
tôt : le mouvement qu'ils ont éprouvé y détermine des ruptures dont le
bruit, semblable à celui du tonnerre, retentit au loin dans les montagnes;
la commotion que l'air éprouve se communique aux masses neigeuses :
elles s'ébranlent, et quelques portions que l'on voit rouler au loin comme
des pelotes de neige, sont quelquefois assez considérables pour renverser
dans leur chute les forêts, les habitations, les villages même que trop
souvent elles atteignent. Ebel croit que la glace descend dans les couloirs
des glaciers de 4 à 8 mètres par an; mais si l'on considère qu'elle a

EUROPE.—DESCRIPTION DE LA SUISSE.
659
entraîné graduellement des portions de rochers sur des plans inclinés de
10 à 12 lieues de longueur, et qu'à 6 mètres par année ces glaces seraient
neuf siècles à s'avancer d'une lieue, on peut juger du temps qu'il a fallu à
certains glaciers pour s'étendre jusque sur les places qu'ils occupent,
puisque plusieurs sont descendus au fond des vallées, ce qui donne à
celles-ci le plus singulier aspect par le contraste de la glace et de la ver-
dure.
Le Rhin, qui depuis le Saint-Gothard poursuit son cours sinueux jus-
qu'au lac de Constance ; l'Inn, qui descend du mont Bernina; l'Adda, qui
prend naissance au pied du mont Gallo et se jette dans le lac de Côme,
hors de la Suisse; le Tessin, qui sort du mont Gries, d'où il va traverser
le lac Majeur en Italie ; le Rhône, qui, formé de divers ruisseaux descen-
dus des monts Grimsel et Furca, porte ses eaux dans le lac de Genève ;
VAar, qui passe au milieu des lacs de Brienz et de Thun pour aller se
réunir au Rhin après avoir formé plusieurs magnifiques chutes d'eau;
enfin la Limmat, qui descend du mont Limmeren-Alp et traverse le lac de
Zurich avant de se réunir à l'Aar, coulent au milieu des plus grandes et
des plus magnifiques vallées de la Suisse.
C'est ici que nous devons faire connaître l'étendue des principaux lacs.
Celui de Genève, dont le nom antique est Léman (lacus Lemanus), rappelle
par sa forme celle d'un croissant dont les pointes sont tournées vers le sud.
Sa longueur est de 16 lieues, et sa plus grande largeur entre ses deux
extrémités est de trois à quatre lieues géographiques. Sa superficie est
d'environ 40 lieues. II est élevé de 370 mètres au-dessus du niveau de la
mer. Sa profondeur est de 60 à 90 mètres vers ses extrémités, et de plus
de 300 vis-à-vis Évian en Savoie. Ses eaux sont sujettes à un phénomène
particulier appelé seiches, qui consiste en une crue et une baisse subites
qui changent son niveau de un à deux mètres. On y éprouve aussi des
tempêtes quelquefois terribles. Ses eaux paraissent constamment d'un
bleu très-prononcé. Ses bords variés d'aspects lui ont acquis depuis long-
temps une grande célébrité. Au nord il baigne plusieurs villes générale-
ment adossées à des montagnes dont les flancs arrondis sont couverts de
vignobles; au sud, au contraire, ce sont des prairies qui se terminent à
une rangée de montagnes la plupart escarpées, derrière lesquelles s'élè-
vent les cimes neigeuses du groupe du Mont-Blanc.
Le lac de Neuchâlel est long de 8 lieues et large de 2; le niveau de ses
eaux est d'environ 60 mètres au-dessus de celles du lac de Genève, et de
400 au-dessus de la mer, sa profondeur est de 105 mètres, mais dans

660
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME,
certains endroits elle est de 120. Ce lac occupait jadis une étendue plus
considérable qu'aujourd'hui.
Le lac de Bienne, à 3 mètres au-dessous de celui de Neufchâtel, dont il
n'est éloigné que d'une lieue au nord, a 3 lieues de longueur sur une dans
sa plus grande largeur. Sa profondeur est de 60 à 70 mètres.
Le lac de Thun, long de 4 lieues, n'en a qu'une demie de large; mais
sa profondeur est de 230 mètres, et sa surface est à 592 mètres au-des-
sus du niveau de la Méditerranée.
Le lac de Brienz, à une lieue au nord-est du précédent, est traversé
comme lui dans toute sa longueur par l'Aar. Il est situé à 10 mètres au-
dessus. Sa profondeur est dans quelques endroits de 160 mètres.
Le lac de Lucerne ou des Quatre-Cantons, très-irrégulier dans sa forme,
est composé de quatre bras, dont le plus long a plus de 9 lieues, sur une
largeur de plus d'une demi-lieue. Sa profondeur la plus grande est de
200 mètres, et son niveau est à 446 mètres au-dessus de la Méditerranée.
Les points de vue variés qu'il présente le placent parmi les plus pitto-
resques de tous ceux que renferme la Suisse.
Le lac de Zug a 4 lieues de longueur et une dans sa plus grande lar-
geur. Son niveau est à 432 mètres au-dessus de celui de la mer, et sa
profondeur est d'environ 200 mètres.
Le lac de Zurich, qui s'étend sur une ligne courbe de 9 lieues de lon-
gueur, a une demi-lieue dans sa plus grande largeur. Sa profondeur est
de 200 mètres, et son niveau est à 400 mètres.
Enfin, le lac de Wallenstadt a 3 lieues et demie de longueur, une demie
dans sa plus grande largeur, et son niveau est à 445 mètres au-dessus du
niveau de la mer. Il est entouré de montagnes hautes de 2,000 mètres,
dont la plupart sont dépourvues de végétation, ce qui lui donne l'aspect le
plus sauvage.
Tous ces lacs forment une superficie de 52 lieues carrées. Les princi-
paux poissons qu'ils nourrissent sont le brochet, la truite, la carpe, le
saumon, plusieurs espèces d'ables, le lavaret, la lotte, estimée des gastro-
nomes, le salmone ou l'ombre chevalier, dont la chair grasse et délicate le
fait rechercher sur les tables de Paris môme. Dans le lac de Zug, on pêche
des carpes qui pèsent jusqu'à 45 kilogrammes.
Les montagnes de la Suisse, abondantes en substances utiles, telles que
le porphyre, le marbre et l'albâtre, le sont encore en minéraux de toutes
espèces, mais disséminés en petites quantités. Le fer, !e plomb, le cuivre,
le zinc, le cobalt, le bismuth, l'arsenic et l'antimoine y forment des filons et

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
661
des amas ; le cristal de roche y est commun ; le soufre s'y trouve souvent,
et quelques rivières, comme le Rhin, l'Aar, l' Adda et le Reuss, charrient
de l'or. Plusieurs vallées sont riches en bancs de lignites ou de bois bitu-
meux, et en tou be que l'habitant utilise comme combustible. On exploite
aussi pour le môme usage l'anthracite dans plusieurs cantons, et notam-
ment dans celui de Βerne. Une exploitation assez importante est aussi celle
de sel gemme à Bex, dans le canton de Vaud.
Il est peu de pays plus abondants en sources minérales que la Suisse. Qui
n'a entendu parler des eaux acidules de Saint-Maurice, dans le canton des
Grisons? des bains de Gurmgel, dans celui de Berne? Ceux de Bade, dont
la température est très-élevée, ne sont pas moins renommés, comme moyen
curatif, contre la stérilité; mais les plus fréquentés sont ceux de Pfeffers
et de Leuh ou Louëche : l'hydrogène sulfuré que contiennent leurs eaux les
rend d'un usage salutaire contre les maladies de la peau. Est-ce au carbo-
nate de chaux tenu en dissolution dans certaines sources, ou. comme l'on
prétend, à l'eau trop crue formée par la fonte des neiges qu'il faut attri-
buer les goitres dont sont affectés les habitants de quelques cantons, sur-
tout ceux de Berne, de Lucerne, de Fribourg et du Valais ?
On divise les Alpes de la Suisse en sept régions, sous le rapport de la végé-
tation. La plus inférieure, ou celle des vignes, commence dans les vallées,
au bord des rivières et des lacs, et finit à 560 mètres au-dessus du niveau de la
mer; plus haut, la région des chênes s'élève jusqu'à 935mètres; au-dessus
de ces arbres commence celle des hêtres, qui règne encore à 1,350 mètres ;
celle des sapins lui succède et s'étend jusqu'à 1,835 mètres; là commence
la région alpine inférieure : les arbres y font place aux plus riches pâtu-
rages ; elle s'élève à 350 mètres ; elle est dominée par la région alpine supé-
rieure, qui s'élève à 560 mètres plus haut, et qui conserve pendant toute
l'année des amas de neige dans les places abritées du soleil ; enfin, au-
dessus de celle-ci, la région des glaciers et des neiges éternelles commence
à 2,600 mètres. Ces deux dernières ne sont pas tout à fait dépourvues de
végétation : on y voit des saxifrages, des gentianes, des chrysanthèmes et
d'autres plantes des climats hyperboréens.
L'agriculture ne règne que dans les vallées basses, principalement vers
leur extrémité voisine de la plaine.
Les influences atmosphériques ont un caractère particulier dans les
montagnes de la Suisse-, on peut y annoncer les changements de temps,
à l'aide d'indices qui trompent rarement : ainsi, lorsque le soir on voit les
nuages se traîner le long des hautes montagnes; lorsque le matin ils voilent

662
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
les sommets de ces dernières-, ou bien, enfin, quand ces sommités sont
entourées de vapeurs transparentes qui semblent aplanir leur surface et
diminuer leur distance respective, on peut s'attendre à de la pluie. En été,
lorsqu'il pleut pendant plusieurs jours, ou des semaines entières, le beau
temps ne revient que lorsqu'il a neigé sur les Alpes moyennes ; mais dès
que le matin on aperçoit les flancs des montagnes couverts de neige depuis
leur sommité jusqu'à la limite des forêts, le voyageur peut se remettre en
marche : c'est un sûr indice que le ciel va redevenir serein.
La faune de la Suisse est très-variée : on y trouve la musareigne alpes-
tre, la belette, la fouine, le putois, le furet, le renard, l'écureuil, le lynx
ou loup-cervier, nos diverses espèces de gibier, le lièvre blanc, semblable
à celui de Sibérie ; le hamster, connu des dames par sa fourrure plus jolie
qu'estimée; différentes martres, plus recherchées ; le chamois et la mar-
motte, dont la chair est regardée comme un mets délicat; enfin des san-
gliers et des ours. Ces derniers sont bien moins nombreux que jadis. Les
montagnes du Valais sont particulièrement celles qui leur servent de
refuge.
Le chamois, qui devient chaque jour plus rare, est l'objet des recherches
du chasseur intrépide, et des attaques du grand aigle ou griffon des Alpes.
Cet oiseau guette l'agile quadrupède, et, planant autour de lui, le force par
de feintes attaques à prendre la fuite sur les cimes les plus escarpées ; le
timide chamois, réfugié sur une étroite saillie, n'a plus d'autre ressource
que la résistance. L'aigle l'observe, le harcelle jusqu'à ce que, profitant de
la posture gênée que prend l'animal en lui présentant ses cornes, il le
frappe de ses ailes et le précipite au fond des abîmes où il devient sa
pâture. Mais ce roi des oiseaux est souvent en guerre avec les corbeaux,
si nombreux dans les Alpes. Les combats qu'ils livrent à leur redoutable
ennemi sont intéressants par les manœuvres aériennes employées de part
et d'autre : les corbeaux s'alignent, se divisent en plusieurs bataillons,
attaquent l'aigle de tous côtés, et sont successivement remplacés par des
corps de réserve-, très-souvent ils le forcent à prendre la fuite. Ce grand
oiseau, qui a 5 mètres d'envergure, qui enlève des agneaux, des che-
vreaux, de gros chiens, qui est redouté pour sa force, n'est point épargné
par l'homme, mais il est difficile à atteindre.
Les autres oiseaux de proie communs en Suisse sont le vautour arrian,
le vautour griffon, l'aigle royal, l'autour vulgaire et le milan noir.
Parmi les animaux domestiques de la Suisse, les chevaux se distinguent
par leur taille assez élevée, les porcs par leurs soies ordinairement noires,

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
663
les vaches de la vallée de Sarnen et du pays de Gruyère par l'abondance
de leur lait, et les bœufs des prairies du Jura par leur force et leur stature ;
il n'est pas rare d'en rencontrer qui pèsent Ί ,200 kilogrammes.
Les premiers habitants de la Suisse orientale furent, selon les tra-
ditions, des Italiens qui, 600 ans avant notre ère, fuyant les Gaulois
qui avaient pénétré dans leur patrie, c'est-à-dire la contrée où fleu-
rirent depuis Gênes et Florence, vinrent se réfugier et s'établir dans les
hautes montagnes qui environnent les sources du Rhin et de l'Inn. On
les appela Rhœti, du nom de Rhœtus, leur dieu ou leur héros-, telle fut
l'origine du peuple qui habite le canton des Grisons, peuple si fier de sa
liberté.
Les Helvetii proprement dits ou Helvètes occupaient les vallées situées
entre le Jura et les Alpes, depuis le lac Léman jusqu'au lac de Constance.
Ils paraissent être d'origine celtique. Ils se divisaient en plusieurs nations,
dont le gouvernement était démocratique; chaque vallée formait une
communauté indépendante.
Les Helvètes se firent connaître par leurs excursions jusque chez les
Phocéens de Marseille, et ils se rendirent redoutables aux Romains, jus-
qu'à ce qu'ils eussent été battus par Marius et défaits par César, qui les
rangea parmi les alliés de Rome. Sous l'empire la Suisse forma la pro-
vince de la Grande-Séquanaise. Les Helvètes eurent, au moment de la
grande invasion des Rarbares, à repousser les Alemani, les Langobardi, les
Vandali, et d'autres nations qui envahirent leur territoire; les Burgun-
diones ou Bourguignons furent plus heureux, ils parvinrent à s'établir
dans le pays, et les Helvètes se confondirent avec eux. La Suisse fit
partie du royaume de Rourgogne, et Genève fut la résidence de plusieurs
de ses rois. Aux huitième et neuvième siècles, ses habitants résistèrent
courageusement aux Huns, aux Hongrois et aux Arabes. Lors de la dis-
solution du royaume de Rourgogne elle devint fief de l'Empire. Rodolphe
de Hapsbourg et son fils Albert tentèrent de l'asservir; mais elle fut déli-
vrée en 1308, par l'héroïque défense des habitants d'un des plus pauvres
cantons. Les noms de Guillaume Tell, de Werner, de Walter-Furst et
d'Arnold, sont encore aujourd'hui honorés dans toute la république, qui
date l'ère de sa liberté, des batailles de Morgarten et de Sempaeh. La
république naissante ne se composa d'abord que des trois cantons fores-
tiers d'Uri, d'Unterwald et de Schwitz; ce dernier lui donna son nom.
Mais plus tard les autres cantons y furent successivement admis, et en
1789 elle se composait des 13 cantons de Zurich, Berne, Lucerne, Uri,

664
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
Schwitz, Unterwald, Zug, Glaris, Bâle, Fribourg, Soleure et Appenzell.
En 1789, elle se soumit à la France qui, en échange d'une partie de
son territoire, lui donna une nouvelle constitution. Mais elle recouvra ses
anciennes limites en 1815, et par l'adjonction du Valais, du territoire
de Neufchàtel et de celui de Genève, le nombre des cantons se trouva
porté à 22.'
Plusieurs langues sont en usage dans ces différentes divisions : la plus
répandue est l'allemand, mais l'allemand le plus dur; on le parle dans les
trois quarts des cantons. Le français est en usage dans ceux de Vaud, de
Neuchàtel, de Genève, et dans une partie de ceux de Berne, de Soleure,
de Fribourg et du Valais. L'italien est usité dans le canton du Tessin et
dans une partie de celui des Grisons.;Le peuple des cantons où l'on parle
français s'exprime dans un patois welche ou roman, que plusieurs savants
regardent comme un mélange de celtique, de grec et de latin; il se divise
en plusieurs dialectes, et paraît être l'une, des plus anciennes langues du
pays : ce qui confirme ce que nous avons dit précédemment.
La réformation du seizième siècle n'a point pénétré dans tous .les can-
tons : ceux de Bâle, de Berne, de Vaud, de Schaffouse, de Zurich, et de
Neuchàtel se sont.presque entièrement séparés de Rome; Soleure, Fri-
bourg, Lucerne,. Zug, Schwitz, Unterwald.. Uri, le Tessin et le Valais
sont restés totalement catholiques. Mais les cantons de Genève, d'Argovie,
de Glaris, de Thurgovie, de Saint-Gall, d'Appenzell et des Grisons se sont
partagés entre le culte réformé et le culte romain.
On a beaucoup exagéré la pureté des moeurs de la Suisse; les.riches
qui la parcourent se font quelquefois illusion sur les impressions qu'ils
éprouvent à la vue d'un pays si riche par ses sites, si différent de ceux du
reste de l'Europe, le seul qui nourrisse dans certaines parties un peuple
de bergers et d'agriculteurs.unis sous un gouvernement populaire.
Dans les montagnes, la vie, isolée des habitants semblerait devoir déve-
lopper chez eux ces vertus, cette pureté de mœurs que l'on attribue aux
premiers âges des sociétés humaines. Un air pur, les travaux agricoles,
l'éducation des bestiaux, l'absence de besoins, et l'ignorance du luxe,
devraient y prolonger les jours de l'homme comme au temps des patriar-
ches. Cependant la morale n'y est point sans tache, et la vie ne s'y pro-
longe guère au delà de 60 à 70 ans.
Les Suisses des villes recherchent peu la société, mais ils goûtent avec
plus de charmes les jouissances de la vie intérieure : dans la bourgeoisie
on pourrait citer bien des exemples de morale, de vertus et de félicité.

SUISSESSE
ITALIENS


EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
665
souvent trop rares dans les pays où les sensations sont moins concentrées
où les plaisirs sont extérieurs. Les hommes se réunissent, mais c'est pour
causer, fumer, et se promener de long en large dans une chambre où
trois chaises sont plus que suffisantes pour une réunion de douze per-
sonnes. En Suisse, chaque individu se présente sans fard, avec des
manières et des allures à soi.
Dans tous les rangs, l'attachement au pays et le respect pour les
anciennes coutumes forment les principaux traits du caractère national.
La masse du peuple, dans les pays de plaine, est plus éclairée que par-
tout ailleurs : dans quelques cantons, non seulement les gens aisés, mais
les paysans aiment la littérature et les arts. Cependant l'esprit humain est
un composé bizarre de tant de contrastes, qu'il ne faut peut-être pas
s'étonner que dans cette contrée, où certaines libertés se sont établies
depuis des siècles, plusieurs questions d'un haut intérêt ne soient point
comprises : c'est ainsi que la justice s'y rend à huis clos, et que le droit
de bourgeoisie est dans toute sa vigueur : on achète ce droit un prix plus
ou moins élevé selon l'importance des lieux; et les avantages que l'ache-
teur en relire sont proportionnés au prix qu'y met la commune. Dans une
ville d'environ 2,000 âmes on acquiert la qualité de bourgeois moyennant
2,000 francs une fois payés, et l'on jouit en retour de sa part dans les
revenus communaux : ainsi l'on peut avoir pendant toute l'année sa pro-
vision de bois, de vin, de fromage, etc. Si l'on meurt en laissant des
enfants, ceux ci reçoivent aux frais de la commune l'éducation qui con-
vient à leur naissance.
Des costumes particuliers, dont l'origine remonte à plusieurs siècles,
distinguent la plupart des cantons ·, mais ces costumes ne se conservent
que chez le peuple, et même les femmes seules y sont restées fidèles. Quel-
ques cantons sont soumis à des lois somptuaires. C'est une mesure sage
dans un pays où la simplicité des mœurs entretient l'esprit d'indépen-
dance et de liberté. Les jeux de hasard y sont défendus, mais les exer-
cices d'adresse et de gymnastique, comme la lutte, la course et le tir, sont
les amusements journaliers de la jeunesse. Bien que les Suisses ne soient
point une nation poétique, de tous les arts qu'ils cultivent, celui dont le
goût paraît le plus répandu, c'est la musique.
L'art d'utiliser les terres, de ménager les irrigations, de multiplier les
engrais, est parfaitement entendu en Suisse. Sans la variation des saisons,
elle pourrait se dispenser d'importer des grains et d'autres aliments de
première nécessité. Le nombre et la beauté des pâturages favorisent la
VII.
84

666
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
propagation des bestiaux ·, ils sont quelquefois remarquables par leur
grosseur : on sait combien les vaches suisses sont renommées, surtout
celles à petites cornes de la vallée de Gruyères. Les chevaux ne sont pas
d'une race fine, mais ils sont endurcis à la fatigue. Le mulet, recherché
pour sa marche assurée, est dans les montagnes la principale bêle de
somme.
Dans les divers cantons, le commerce a beaucoup perdu de son impor-
tance depuis que le système prohibitif des États voisins rétrécit les débou-
chés que la confédération helvétique trouvait autrefois pour ses bestiaux,
ses cuirs et ses fromages, son chanvre et son lin, son horlogerie et ses
mousselines. Ses plantes officinales sont encore un objet d'exportation
considérable.
A partir de l'extrémité septentrionale de la Suisse, le canton de Schaff-
house, l'un des moins étendus, est celui qui doit d'abord attirer nos
regards. Schaffhouse, son chef-lieu, est une petite ville de 7 à 8,000 âmes,
dont les maisons sont bâties dans le goût antique, les unes avec des pein-
tures sur les façades, les autres avec des espèces de tours. On y remarque
le Munster ou la cathédrale dédiée à saint Jean, l'église de tous les Saints,
qui est fort ancienne, ci la vieille forteresse appelée Unnolh ou Munnolh.
Au huitième siècle, son port était déjà fréquenté: sa position au-dessus
des écueils du Rhin iui fit donner le nom de Schiffhausen (abri des
bateaux), et par corruption celui de Schaffhausen. Elle a un bon collège
académique, un gymnase ou école préparatoire ; un institut d'orphelins,
un pensionnat de jeunes demoiselles, et trois bibliothèques publiques,
riches en anciennes éditions et en manuscrits précieux. Son commerce est
actif: on y fabrique des cotonnades, des étoffes de soie, et l'on y prépare
le cuir. Si l'intérieur de Schaffhouse offre peu d'objets qui intéressent
l'étranger, la célèbre chute du Rhin, connue en Suisse sous le nom de
Laufen, suffit pour y attirer les curieux : c'est la plus importante cataracte
de l'Europe.
C'est du vieux château de Laufen, dans le canton de Zurich, que l'on
peut contempler cette chute de 20 à 25 mètres de hauteur, qui vous
assourdit, vous inonde d'un nuage de vapeurs, et forme l'un des plus
beaux spectacles que l'on puisse voir, soit qu'on l'examine au lever ou
au coucher du soleil, ou pendant une belle nuit d'été, à la lueur blafarde
de la lune. On pêche une grande quantité de saumons au pied de cette
cataracte, qu'ils cherchent vainement à franchir.
Stein est une petite ville située à l'endroit même où le Rhin sort du

667
EUROPE.
— DESCRIPTION DE LA SUISSE.
Zellersêe, pnrtie inférieure du lac de Constance. On y remarque le vieux
château de Steiner-Klinge, d'où l'on jouit d'une vue magnifique. A une
demi-lieue de là se trouve le village d'OEningen, dont les carrières sont
célèbres par les beaux poissons fossiles qu'on y trouve.
Le canton de Schaffhouse est situé en entier sur la rive droite du Rhin ;
il est couvert de collines et de montagnes, dont la plus haute, le Randen-
berg, a 400 mètres de hauteur au-dessus du niveau du fleuve. La culture
de la vigne est la principale occupation des habitants des campagnes. Sa
population est de 35,278 âmes, qui, à quelques centaines près, appar-
tiennent au culte réformé. Son territoire est divisé en 24 tribus, et gou-
verné par un grand conseil qui exerce le pouvoir souverain, et par un
petit conseil, auquel est confié le pouvoir exécutif.
Au sud-est s'étend jusqu'au lac de Constance le canton de Thurgovie,
en allemand Thurgau, qui a pris ce nom de celui de la Thur, petite rivière
de 24 lieues de cours qui le traverse avant de se jeter dans le Rhin, et qui
n'est navigable que pendant une partie de l'année. Son territoire est cou-
vert de petites montagnes, dont les plus hautes ne s'élèvent pas au-dessus
de 825 mètres au-dessus du lac de Constance. La Basse-Thurgovie est
riche en prairies, en vergers et en vignobles, et la Haute-Thurgovie est
tellement fertile, qu'on y fait jusqu'à deux récoltes par an, l'une en lin et
l'autre en céréales. On y trouve les plus beaux poiriers et les plus beaux
pommiers de toute la Suisse. Le lin et le chanvre qu'on y cultive alimentent
de nombreux métiers à tisser qui livrent au commerce des toiles d'une
grande finesse.
A Frauenfeld, petite ville peuplée de 3,544 habitants, et capitale de ce
canton, on ne remarque que trois rues assez belles et des fabriques de
soieries. La petite ville de Bischofzell n'est peuplée que d'agriculteurs.
Elle conserve un pont en pierres qui date de 1484.
Le canton de Saint-Gall est un de ceux où la démocratie est le plus
développée: il n'y existe aucun privilége ni de naissance ni de fortune.
Son territoire, assez étendu, comprend un grand nombre de belles vallées
formées par des montagnes, dont quelques-unes atteignent la limite des
neiges. Le lac de Wallenstadt, doit son aspect pittoresque à ses rives ver-
doyantes au centre et garnies à ses deux extrémités de rochers à pic et nus.
130,000 Allemands, dont une moitié est protestante et l'autre catholique,
forment la population de ce canton , qui est un des plus ignorants de la
Suisse. La classe populeuse est en proie à la misère, surtout dans la par-
tie catholique.

668
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
Saint-Gall est commerçante et industrieuse. Les restes de son abbaye
et les manuscrits de la bibliothèque abbatiale sont ses seules curiosités.
Le couvent même a été transformé en un gymnase catholique, et la partie
deses bâtiments que l'on nomme le palais, est la résidence du gouvernement
cantonal. Le nouvel hôpital des orphelins est l'édifice qui présente la plus
belle apparence.
Les petites villes de Werderberg et de Sargans, de Wallenstadt, près
du lac de ce nom, et celle de Rapperschwyl, au bord de celui des Quatre-
Cantons, ne méritent d'être nommées que pour les sites pittoresques qui
les environnent. Nous ne devons point passer sous silence le canal de la
Lint, qui communique du lac de Wallenstadt à celui des Quatre Cantons.
La Lint, par les sables et les roches qui entravaient son cours, causait de
fréquentes inondations sur les terrains qui bordaient ses rives et y entre-
tenait des marais pestilentiels, lorsqu'un homme éclairé, Conrad Escher,
proposa de transformer en un canal le cours de cette rivière dangereuse:
ses plans furent exécutés, depuis 1816 la contrée a été assainie, et de vastes
marais ont été rendus à l'agriculture.
Le canton d'Appenzell, enclavé au milieu de celui de Saint-Gall, pré-
sente un spectacle tout opposé ; il y règne la plus active industrie. Ce
pays forme deux petites républiques appelées Inner-Rhoden (Rhodes inté-
rieure) et Ausser-Rhoden, (Rhodes-extérieure); la première catholique,
et la seconde protestante, composant une population de 43,599 âmes.
Les habitants de Rhodes-intérieure sont de laborieux montagnards qui
se livrent avec ardeur aux travaux agricoles si pénibles dans leurs hautes
vallées. Dans leurs montagnes calcaires, aux cimes neigeuses, leur prin-
cipale occupation est de soigner leurs bestiaux: pendant l'été plus de
20,000 bêtes à cornes couvrent les pâturages. Rhodes-extérieure, trois
fois plus peuplée, ressemble à un immense jardin anglais parsemé de
manufactures où l'on tisse le coton en toiles et en mousseline. Appenzell
n'est qu'un bourg de l'Inner-Rhoden. Herizau, plus considérable, le sur-
passe par son commerce et ses fabriques.
Dirigeons-nous maintenant vers le canton de Zurich, situé à l'ouest de
celui de Saint-Gall. Il tient un des premiers rangs dans la confédération hel-
vétique, par son étendue, par sa population que l'on porte à plus de 250,134
âmes, et par son industrie, son commerce et sa richesse. L'agriculture y
est florissante, et les principales manufactures sont celles de cotonnades
et celles de soieries. Le gouvernement y réside dans un grand conseil
composé de 212 membres, et dans un conseil exécutif formé de 19 mem-

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
669
bres. Son territoire ne renferme pas de hautes montagnes : la plus consi-
dérable n'a que 1,100 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. Parmi les
7 lacs qu'on y compte, les plus importants sont le Pfeffikon et le Grei-
fensée et celui qui porte le nom de la capitale.
Zurich s'élève à l'endroit où la Limath ou Limmat sort du lac pour aller
grossir l'Aar ; le cours de la rapide rivière la divise, en haute et basse ville ;
la première sur la rive droite, la seconde sur la rive gauche. Cette cité se
rappelle encore la campagne de 1799, pendant laquelle, occupée tour à
tour par les Français, les Autrichiens et les Russes, Masséna remporta
dans ses environs une victoire éclatante sur l'armée de Souvaroff. Sans
être bien bâtie, Zurich renferme d'assez belles maisons, surtout dans la
partie haute où résident de riches fabricants. On traverse la Limath sur
trois ponts en bois, dont celui du milieu est le seul sur lequel les voitures
puissent passer: il est assez large pour qu'il s'y tienne un marché. A l'ex-
trémité de ce pont, sur la rive droite de la rivière, on remarque un édifice
bâti vers la fin du dix-septième siècle : c'est la maison du grand conseil ;
à l'extérieur, la frise est ornée de bustes des personnages les plus remar-
quables de la Suisse et de l'antiquité. A l'extrémité de la ville, au bord du
lac, se trouve l'hôtel-de-ville, maison de modeste apparence, et dans le
style du moyen âge. L'ancienne cathédrale, édifice surmonté de deux tours
est bâtie dans le style roman : on croit qu'elle existait du temps de Charle-
magne. Dans l'un des deux bâtiments servant d'arsenaux on conserve une
belle collection d'armures suisses, françaises et autrichiennes du moyen
âge. Le théâtre n'offre rien de remarquable, non plus que l'hôpital. La
maison de correction est vaste, et le casino situé sur un des boulevards de
la ville haute est d'une assez belle apparence.
Vis-à-vis de l'hôtel-de-ville on voit la bibliothèque publique, composée
de 60,000 volumes et de plus de 700 manuscrits ; la ville en possède plu-
sieurs autres.
Zurich est remarquable par les beaux points de vue qu'offrent ses pro-
menades et ses remparts. Les montagnes neigeuses qui, vers le sud-est,
bornent son horizon, ajoutent à la beauté de son bassin, circonscrit par
le mont Albis à l'ouest, et le Zurichberg à l'est. De belles maisons de
campagne ornent ses environs. Entre la petite rivière de la Sihl et la Limath
dans laquelle elle se jette, s'étend une magnifique promenade sur laquelle
s'élève un monument à la mémoire de Gessner. Zurich, par sa position à
l'extrémité d'un grand lac, est devenue un des importants entrepôts de la
la Suisse. Son commerce est alimenté par des fabriques de toiles de coton,

670
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
de chapeaux de paille et de savon. Dès le moyen âge cette ville devint
célèbre par les talents du réformateur Zwingle, et depuis par des hommes
distingués auxquels elle a donné naissance, il suffit de nommer S. Ces
sner, Lavaler et Pestallozzi pour justifier ses titres à la célébrité. Ses
écoles sont nombreuses; son université jouit d'une bonne réputation ; ses
sociétés savantes feraient honneur à des cités plus importantes. Elle ne
renferme cependant que 17,040 habitants,
La jolie petite ville de Winterthur, qui rivalise avec Zurich dans la car-
rière des arts, des sciences et de l'industrie, a dans sa bibliothèque une
belle collection de médailles et de pierres gravées trouvées dans le village
d'Ober-Winterthur, sur l'emplacement de l'ancienne ville de Vitodurum.
Bilach est entourée de vignobles et de champs en culture. Eglisau n'offre
rien de particulier; mais sur le chemin de Zurich à cette petite ville de
1,800 âmes, on traverse le village de Kloten, où l'on a trouvé des anti-
quités romaines qui prouvent que la XIe légion a stationné dans ce lieu.
A l'ouest du canton de Zurich, celui d'Argovie, en allemand Aargau,
est arrosé par la Limath, la Reuss et l'Aar, dans laquelle elles se jettent,
et qui donne évidemment son nom au pays. Il est composé de vallées for-
mées par des collines et de petites montagnes. L'agriculture y est dans
un étal prospère, et l'industrie y est alimentée par l'exploitation des mines
de fer, par de bonnes routes, par plusieurs foires et par des fabriques de
colonnades et de soieries.
Aran, ou Aarau, capitale du canton, est une petite ville vieille et sale,
mais commerçante et industrieuse. Elle possède plusieurs établissements
de bienfaisance et des écoles où les parents sont obligés d'envoyer leurs
enfants. Sa bibliothèque renferme une riche collection de manuscrits rela-
tifs à l'histoire de la Suisse. Bade, ou Baden, est connue par ses bains,
que les Romains appelaient Aquœ verbigenœ. Tacite en vante la beauté et
l'utilité. On y a découvert un grand nombre d'antiquités, entre autres une
statue d'Isis, vénérée sous le nom de sainte Vcrène. Les bains de Rade
sont distribués dans chaque auberge près de la ville, et fréquentés par un
grand nombre de malades; mais les plus chauds, ceux de Sainte-Verène,
sont publics et peuvent contenir une centaine de baigneurs. Le seul édi-
fice à remarquer à Rade est l'hôtel-de-ville, qui date de 1416, où fut signé,
le 7 septembre 1714, le traité de paix entre le prince Eugène et le maré-
chal de Villars. Bruck, ou Brugg, sur l'Aar, près du confluent de la Reuss
et de la Limath, est une petite ville entourée de vieilles murailles ; la porte
par laquelle on y entre en venant de Bade est dans le style du moyen âge.



EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
671
C'est à Bruck que naquit le docteur Zimmermann. Zoffingen, qui jouit
d'une grande réputation sous le rapport de l'industrie, est bien bâtie, ren-
ferme de jolis édifices, tels que l'église de Saint-Maurice, l'hôtel-de-ville,
une bibliothèque, un cabinet de médailles digne d'être vu et la maison des
tireurs. Près de la jolie petite ville de Lenzbourg, on voit les ruines du
château du fameux bailli Gessler.
Sur la rive gauche du Rhin, Kaiserstuhl, petite ville de 600 âmes,
paraît occuper l'emplacement de l'ancien Forum Tiberii ; plus loin Kling-
nau, sur la droite de l'Aar, récolte d'excellents vins.
Dans la belle et riche vallée appelée Frickthal, qui comprend un petit
pays peuplé de 20,000 âmes, cl borné au.nord par le Rhin, vit un peuple
docile et laborieux qui professe le catholicisme. Ce pays, qui appartenait
à l'Autriche, ne fait partie de la Suisse et du canton d'Argovie que depuis
1803. On y trouve la petite ville de Laufenbourg, sur le Rhin, qui la divise
en deux parties inégales. Elle doit son nom à une chute que forme le
fleuve, et qui n'est pas à comparer à celle qui tombe au pied du château
de Laufen, près de Schaffhouse, mais qui rend la navigation dangereuse.
Plus loin on traverse Rtheinfelden, ou Rhinfelden, la plus importante des
villes forestières du canton d'Argovie. Après avoir quitté cette ville, on
passe à Augst, village embelli par des maisons de campagne ornées de
beaux jardins. Augst, ainsi que l'indique son nom, occupe remplacement
de l'antique Rauraca, appelée aussi Augusta Rauracorum, parce que cette
ville romaine était située dans le pays des Rauraci. On y découvre fré-
quemment des restes d'antiquités.
Ce village est sur la limite du canton d'Argovie-, au-delà, on se trouve
dans le canton de Bâle, qui, sous le rapport administratif, en forme deux :
celui de Bâte-ville et celui de Bâle-campagne.
Arbour g, ou Aarbourg. est dominé par la seule forteresse que possède
la confédération helvétique.
Bâle, ou Basel, qu'Ammien Marcellin désigne sous le nom de Basilia,
était, au onzième siècle, la plus importante ville de l'Helvétie ; elle a été
pendant longtemps la seule de l'Europe où l'art de l'imprimerie fut porté
à un haut point de perfection. Elle se glorifie d'être la patrie des Ber
nouilli, des Euler et des deux Holbein. Plusieurs tableaux de ces deux
artistes sont précieusement conservés dans la bibliothèque de la ville, enri-
chie de celle que possédait Érasme, qui termina ses jours à Râle. Cet éta-
blissement, situé aujourd'hui près de la place de l'ancienne cathédrale,
renferme 40,000 volumes. Râle, dont la population est aujourd'hui de

672
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
27,313 âmes, était plus considérable au seizième siècle. Elle renferme
quelques belles rues et des places spacieuses, des hôpitaux, des écoles
dans lesquelles on pratique la méthode d'enseignement de Pestallozzi, des
sociétés savantes et de nombreuses manufactures. Sa situation est magni-
fique. La communication du grand au petit Bâle, sur la rive opposée, a
lieu par le moyen d'un pont de 14 arches, bâti en pierre aux deux extré-
mités et en bois au milieu, à cause de la profondeur et de la rapidité du
Rhin. Le petit Bâle est un quartier mal bâti, renfermant un grand nombre
de maisons et quelques églises. On remarque vers le milieu de la longueur
du pont, c'est-à-dire à environ 100 metres du grand Bâle, une construc-
tion dans le style gothique qui paraît avoir été destinée à recevoir dans
une niche une figure de vierge ou de saint. De chaque côté de celle-ci, un
ange est représenté, l'un tenant une croix et l'autre une lance. Cette espèce
de tour paraît être du commencement du treizième siècle. Les mon-
tagnes de la Forêt-Noire terminent l'horizon du côté du nord-est. On
les a constamment à sa droite, comme un large rideau d'un vert sombre,
depuis Laufenbourg jusqu'à Bâle. L'ancienne cathédrale présente son
portail surmonté de deux tours carrées et terminées en flèches élégantes;
le tombeau de Bernard de Massevaux, chevalier du XIVe siècle, celui de
l'impératrice Anne, femme da Rodolphe de Habsbourg, celui du docte
Érasme, et plusieurs autres se font remarquer dans l'intérieur de ce
temple, dont une des curiosités est une chapelle souterraine qui date du
IXe siècle. Le cloître qui entoure le côté droit de l'église est rempli d'an-
ciennes tombes fort remarquables pour l'antiquaire.
Un escalier conduit de l'église dans la salle où, depuis 1431 jusqu'en
1444, se tint le mémorable concile de Bâle. Celte salle n'offre rien de
curieux-, mais dans celle où non loin de là Érasme faisait ses cours, on
remarque sur une des tables un portrait fort ressemblant de ce savant
docteur, tracé dans le bois avec la pointe d'un canif par un de ses audi-
teurs.
A l'entrée de la place du marché, l'hôtel-de-ville, édifice du moyen âge,
déploie sa façade ornée de sculptures et de peintures à fresque, représen-
tant différents personnages relatifs à l'histoire de la Suisse. Le vestibule est
décoré de grands tableaux peints dans le même genre, et dont les sujets
sont tirés de l'Écriture sainte. Au pied de l'escalier, on remarque la statue
en bronze de Munatius Plançus, fondateur d' Augusta Rauracorum. Celte
statue est moderne comme les peintures. Le marché aux poissons est orné
d'une fontaine dans le style gothique, remarquable par son élégance. Dans

EUROPE, —DESCRIPTION DE LA SUISSE.
673
l'arsenal, où les armes du canton de Bâle-ville sont aussi bien rangées que
dans les autres cantons, on conserve la cotte de mailles de Charles-le-
Téméraire, et l'armure de tête et de poitrail du cheval qu'il montait à la
bataille de Morat. On sait que plusieurs villes de la Suisse se partagèrent
ses dépouilles.
Bâle est une ville fermée. Son origine paraît remonter au quatrième
siècle; au onzième, elle était la cité la plus grande de la Suisse; elle l'est
bien encore, mais ce n'est plus la plus peuplée. Les croisés s'y rassem-
blèrent en 1202. Elle occupa de bonne heure un rang parmi les cités let-
trées ; son université fut longtemps célèbre, et peut rivaliser encore avec
les autres établissements de ce genre que possède la Suisse. Elle est l'entre-
pôt du commerce de la France et de l'Allemagne du nord avec la Suisse, et
le chemin de fer de Strasbourg, qui vient y aboutir, y a depuis quelques
années presque doublé le mouvement des affaires.
Dans le canton de Bâle-campagne, nous n'avons aucune ville intéres-
sante à citer. Lieslali, ou Liechslall, qui en est le chef-lieu, n'est peuplée
que de3,032âmes ; elle est située sur la rive gauche de l'Ergolz,qui, à peu
de distance de là, forme une jolie cascade. Waldenbourg, que sa population
de 5 à 600 âmes devrait exclure du rang des villes, est située au pied du
mont Ober-Nauenstein, à l'entrée d'une étroite vallée arrosée par la Frenke.
Le canton de Soleure, au sud de celui de Bâle, est un pays de pâturages
et de culture, où l'on élève une belle race de bœufs, remarquables par
l'épaisseur de leur queue, et où l'on trouve un grand nombre de châteaux
du moyen âge. Il n'existe que deux villes dans ce canton.
Soleure, avec ses bains sur l'Aar, ses rues larges et bien bâties, ses
belles fontaines, son église dédiée à saint Ours, et qui passe pour être l'une
des plus belles de la Suisse, est plus intéressante sous le rapport du com-
merce que sous celui de l'instruction. Les écoles de cette ville ont fait
moins de progrès que celles des campagnes; mais les prisons publiques et
les hôpitaux méritent des éloges pour leur excellente tenue. L'arsenal ren-
ferme une collection de 2,000 cuirasses, qui passe pour être une des suites
les plus complètes qui existent. La bibliothèque publique se compose d'en-
viron 10,000 volumes. Cette petite ville, de 5,370 âmes, appelée en alle-
mand Solothurn, et au moyen âge Salodurum, paraît occuper l'emplace-
ment d'une station romaine; on y a trouvé beaucoup d'antiquités. Il en est
de même de la petite ville d'Olten, sur l'Aar, où l'on voit quelques jolies
maisons et une belle église; mais on sait que celle-ci s'appelait Ultianum
du temps des Romains.
VII.
85

674
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
Dans le canton de Berne, le plus vaste de toute la Suisse, puisqu'il
s'étend depuis la frontière de la France jusqu'à celle du Valais, on trouve
les sites les plus célèbres, les cascades les plus pittoresques, et quelques-
unes des plus hautes cimes des Alpes. Parmi ses villes, il en est aussi plu-
sieurs qui sont dignes d'être mentionnées; commençons par celles-ci. Nous
citerons d'abord celles de la partie septentrionale, c'est-à-dire dans les
montagnes du Jura. Délémont, en allemand Delsberg, où l'on fabrique de
l'horlogerie et des toiles peintes, et dont les environs offrent, au confluent
de la Sorne et de la Birse de belles ruines de bains romains. Wiedlisbach,
près de laquelle on voit, sur une cime du Jura, le château de Bipp, ainsi
appelé du nom de Pepin, qui le fit bâtir comme rendez-vous de chasse;
Porentruy, ou Pruntium, enrichie par ses tanneries; Burckdorf, en fran-
çais Berthoud, jolie petite ville, célèbre par l'institution qu'y fonda Pestal-
lozzi ; Bienne, ou Biel, qui élève beaucoup de vers à soie et qui est connue
par son lac. Ses maisons, bizarrement peintes, sont bâties en arcades; ses
places publiques sont ornées de vieilles fontaines de mauvais goût qui
remontent au quinzième et seizième siècles. Les femmes y portent de longues
tresses de cheveux tombant plus bas que leurs jupons, qui descendent à
peine aux genoux.
Berne mérite par son importance d'être la capitale de ce riche canton
Ses rues, bordées de galeries massives et sombres qui avancent sur le rez-
de-chaussée des maisons, sont belles, mais tristes ; on y voit peu de monde,
excepté les jours de marché. Des fontaines, des eaux courantes et lim-
pides y entretiennent la propreté. Les magistrats n'y ont point sacrifié
l'utile à l'agréable : des greniers d'abondance et des hôpitaux frappent
d'abord les regards. Le commerce y est peu actif, mais l'aisance y est géné-
rale : on n'y voit point de mendiants. Ce que l'on doit remarquer dans cette
ville, c'est le Munster, ou l'ancienne cathédrale, bel édifice gothique com-
mencé en 1421 et terminé en 1502 ; le portail est de la plus riche architec-
ture. L'intérieur est orné de beaux vitraux ; les orgues sont d'une grande
dimension et richement ornées ; le chœur, séparé de la nef par une cloison
vitrée, est décoré d'un rang de stalles en bois parfaitement sculptées. La
terrasse sur laquelle l'église est bâtie forme une jolie promenade; elle
s'élève à 35 mètres de hauteur au-dessus du cours de l'Aar; on jouit d'une
vue magnifique qui se prolonge au sud-est sur les montagnes neigeuses de
l'Oberland bernois.
On remarque dans la grande rue de Berne une fontaine du moyen âge,
qui représente un ours revêtu d'une armure de chevalier portant une ban-

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA SUISSE.
675
nîère, accompagné d'un ourson vêtu en page, et près de celle-ci la Grosse
horloge, c'est ainsi que les Bernois nomment une porte intérieure de leur
ville; elle est, en effet, surmontée d'une horloge, représentant, près de la
principale cloche, une grande figure de guerrier du moyen âge, dont le
bras droit, armé d'une masse d'armes, frappe la cloche lorsque l'heure
sonne. Plus bas, on voit alors se mettre en marche une procession de petits
personnages dont la plupart sont des ours, les uns jouant de divers instru-
ments, les autres armés de mousquets. Au-dessus du cintre de la porte,
un zodiaque paraît avoir été destiné à être mis aussi en mouvement. Au
delà de cette horloge on trouve la porte de Morat, bâtie en 1583.
La halle aux grains est un vaste bâtiment carré, orné d'un fronton dont
le centre est occupé par deux ours soutenant l'écusson de Berne. L'un
d'eux verse une corne d'abondance du côté de Cérès, tandis que l'autre
tend sa patte au dieu Mars. Cette sculpture est simple et d'une assez
médiocre exécution. Sur la place que décore cet édifice on remarque une
fontaine assez singulière, et dans le style du moyen âge : c'est une colonne
dont la base est entourée d'une suite d'ours armés, et dont le chapiteau est
surmonté d'un personnage qui mange un enfant, et qui en tient plusieurs
autres qu'il va dévorer.
L'hôtel-de-ville, qui n'offre rien de remarquable, est un édifice noirâtre
dont la façade est décorée des armoiries des cantons de la Suisse, et dans
lequel on entre par un double escalier.
Dans la partie de Berne qui comprend le Munster, nous avons encore à
citer l'hôtel des monnaies, monument d'une architecture simple et régu-
lière, et l'hôpital de l'île, vaste bâtiment dont l'intérieur se fait remarquer
par la bonne tenue. Le bas-relief qui en orne le fronton n'est pas d'une
meilleure exécution que ceux qui décorent les autres édifices modernes de
cette ville. Dans le même quartier se trouve la bibliothèque publique qui
renferme 32,000 volumes, un grand nombre de manuscrits relatifs à l'his-
toire de la Suisse, plusieurs manuscrits classiques, une collection de vases
grecs et romains, et une belle suite de médailles antiques. Cet établisse-
ment communique au muséum d'histoire naturelle, dans lequel on
remarque de belles collections disposées avec goût.
Berne renferme une population de 27,754 habitants; elle possède un
arsenal bien approvisionné, une université fréquentée par environ deux
cents étudiants, et un gymnase qui compte deux cent cinquante élèves.
On y trouve aussi une école vétérinaire, une école de commerce, une d'arts
et métiers, un institut pour les sourds-muets, un grand nombre d'établis-

676
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
sements d'éducation primaire et secondaire, une caisse de dépôt et douze
caisses d'épargne.
La situation de celte ville sur une hauteur contribue à la salubrité de
l'air et aux fréquents exemples de longévité. Son nom, qui vient du mot
allemand Bœr (ours), a donné lieu à diverses opinions sur son origine. On
croit cependant que son fondateur Berthold V, duc de Zeringen l'appela
Bœrn parce qu'il avait tué un ours dans ses environs. La figure de cet
animal compose ses armes parlantes ; mais est-ce en mémoire de cet ours
que depuis longtemps on en élève dans ses fossés?
La route de Berne à Thun, que l'on prononce Thoune, longe agréable-
ment le cours de l'Aar, caché par des prairies, des vergers, des maisons
de campagne, des fabriques de toiles peintes et de jolis villages aux mai-
sons en bois ou chalets. Thun est dans la position la plus pittoresque,
sur l'une des rives de l'Aar, qui s'y partage en deux branches à peu de
distance du lac qui prend le nom de la ville. La principale industrie de
cette pelile cité, peuplée de 3,379 habitants, consiste dans la fabrication
de tabatières et de jolis ouvrages en bois peint, ornés des principales vues
et des costumes de la Suisse, et dans la vente des toiles de ses fabriques
et de celles de ses environs. Elle est aussi, en quelque sorte, l'entrepôt de
tous les petits meubles en bois sculpté que l'on travaille dans l'Oberland
ou hautpays, c'est-à-dire au milieu de ces belles montagnes qui s'étendent
au sud des lacs de Thun et de Brienz jusqu'au Valais. Elle possède de
bonnes écoles, un hôpital, une maison d'orphelins, une bibliothèque
publique et une école fédérale d'artillerie. Ses deux seuls édifices sont le
château flanqué de tourelles où se rassemblent les autorités, le temple
situé sur un plateau qui domine la ville, et qui n'est remarquable ni par
son architecture ni par son ancienneté : il est au contraire moderne, à
l'exception du clocher. Autour de ses murs s'étend le cimetière, où l'on
voit quelques tombes assez belles, mais les plus beaux mausolées sont
scellés dans le mur extérieur de l'église. De la plate-forme sur laquelle
celle-ci est bâtie, on domine la ville et les environs ; et l'on jouit d'une vue
magnifique sur le cours rapide de l'Aar, sur le lac, et sur les hautes mon-
tagnes qui bornent l'horizon, et parmi lesquelles on reconnaît la Jung-
frau. Les jolies habitations qui bordent la rive droite de l'Aar sont louées
chaque année par de riches étrangers et surtout par des Anglais. Sur la
rive gauche on trouve de jolies promenades et au milieu d'un jardin un
bâtiment dans lequel on montre le panorama du Rigi peint avec beaucoup
d'exactitude par Huber de Kulm.



EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
677
La navigation du lac de Thun se fait dans un bateau à vapeur, qui par-
court la longueur du lac depuis Thun jusqu'à Neuhauss en une heure et
demie. C'est dans cette traversée que l'on peut juger de la beauté des sites
qui entourent ce lac. A l'extrémité du lac on retrouve l'Aar, et sur ses
bords la petite ville d'Unterséen, nom qui signifie au dessous du lac, parce
que la rivière descend de celui de Brienz, et de l'autre côté de l'Aar on est
à Interlaken, qui a perdu l'aspect qui charme dans les villages suisses,
pour prendre la physionomie élégante, mais étrangère, d'une réunion
d'habitations anglaises. Les indigènes se sont relégués à Unterséen pour
faire place à une colonie d'Anglais. Le nom de ce village paraît dériver
du latin inter lacus, parce qu'il est situé entre le lac de Thun et celui de
Brienz.
A deux lieues au-dessus du lac de Brienz, Meyringen, sur la rive droite
de l'Aar, vis-à-vis de la magnifique chute du Reichenbach, est un des
plus jolis villages de la belle vallée de Hasli qui, sur une longueur de dix
lieues, présente les sites les plus romantiques et une longue suite de
hautes montagnes boisées qui s'élèvent comme un double rempart d'où
tombent avec fracas de distance en distance de brillantes cascades.Les
habitants de celte vallée forment par leur taille, la beauté de leurs trails,
la noblesse de leur maintien, leur courage, leur franchise, leur probité et
leur patriotisme, la plus remarquable peuplade de la Suisse. Le village de
Grindenwald, dont les glaciers sont célèbres, est environné d'alpes aux
gras pâturages et de chalets où l'on fabrique du fromage qui se vend sous
le nom de Gruyères. Lauterbrunn est dans une vallée qui retentit du bruit
de nombreuses cascades dont la plus belle est le Staubach, magnifique
masse d'eau qui tombe de 250 mètres de hauteur. Dans la vallée qu'arrose
la Kander, Fruiingen passe pour le plus beau, le plus riche et le plus
grand village du canton de Berne. Il a été brûlé plusieurs fois ; ses mai-
sons, pour la plupart neuves, sont grandes et bâties en pierres. Ce qui,
par un beau temps, donne à la partie qu'occupe ce village un aspect
imposant, c'est la vue d'une haute montagne appelée la Frau. Enfin, en
remontant encore la Kander, on arrive à Kandersteg, charmant village,
le dernier que l'on trouve en continuant à monter jusqu'au passage do la
Ghemmi.
Le canton de Berne est l'un des plus éclairés de la Suisse ; on y compte
un grand nombre d'écoles primaires, non-seulement dans les villes mais
encore dans les campagnes, aussi l'on peut dire que toute la jeunesse y
reçoit l'instruction.

678
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME,
Quittons les hautes montagnes du canton de Borne, et descendons
dans celui de Lucerne. Ce cantor:, presque au centre de la Suisse, en est
l'un des plus fertiles : il produit plus de céréales qu'il n'en consomme;
l'agriculture occupe la plupart de ses habitants, et l'industrie manufactu-
rière y est peu développée.
Sursée et Sempach sont deux jolies petites villes agréablement situées
aux deux extrémités d'un lac qui porte le nom de celte dernière-, près de
Sursée se trouvent les bains de Knutwyl qui, depuis le quinzième siècle,
jouissent en Suisse d'une grande réputation d'efficacité contre les douleurs
rhumatismales. A une lieue de la ville le village de Büttisholz est dominé
par la colline des Anglais, ainsi appelée parce qu'on y enterra les osse-
ments d'une division de 3,000 hommes de l'armée anglaise, commandée
par Enguerrand de Coucy, qui, en 1376, fut battu par les habitants de la
vallée d'Entlibuch. Sempach est célèbre par la fameuse bataille gagnée par
les Suisses sur Léopold d'Autriche, grâce au dévouement d'Arnold de
Winkelried qui, s'élançant au milieu des ennemis en saisissant une grande
quantité de leurs lances, ouvrit un passage à ses compagnons d'armes
qui entourèrent les troupes autrichiennes, mirent le désordre dans leurs
rangs et en firent un terrible carnage.
Lucerne est encore plus remarquable par la beauté des sites qu'offre
son lac, dont la plus grande partie, qui n'appartient point à son territoire,
porte le nom de lac des Qualre-Cantons · les monts Rigi et Pilate qui se
réfléchissent à sa surface, les beaux points de vue dont on jouit près de la
chapelle de Maria-Zell et sur d'autres lieux élevés, présentent un aspect
admirable. Au milieu de murailles flanquées de tours qui datent du qua-
torzième siècle, Lucerne prolonge ses rues dont plusieurs sont larges et
garnies de maisons modernes. Elle est située au pied d'une colline appe-
lée Musegg, à l'extrémité occidentale de la partie du lac des Quatre-Can-
tons qui porte le nom de la ville. Elle est traversée par la Reuss, qui sort
du lac, et par un canal; aussi ses ponts sont-ils ce que l'on remarque
d'abord, non point qu'ils attirent l'attention par leur élégance; ils sont au
contraire tout à fait rustiques : construits en bois et couverts d'un toit que
supportent des solives grossières, leurs côtés garnis de planches n'y lais-
sent pénétrer la lumière que par quelques ouvertures placées de distance
en distance; ils ne sont point de niveau avec le sol, on y monte par plu-
iseurs degrés. En un mot, ce qui les distingue, c'est leur construction
ancienne et les peintures qui les décorent. Le pont de Reuss est le seul
qui ne soit pas couvert et sur lequel les voitures puissent passer: mais le

EUROPE.— DESCRIPTION DE LA SUISSE.
679
plus long de tous est celui du Hof ou de la cour, qui a 450 mètres de lon-
gueur, et sert à traverser l'extrémité du lac; c'est la seule route directe
qui conduise à la cathédrale. De l'extrémité occidentale de ce pont on jouit
d'une vue magnifique sur le lac et ses environs.
L'église du Hof, ou de Saint-Léger, qui s'élève à la base d'une colline ;
l'ancien collége des jésuites et l'hôtel de-ville méritent d'être cités. L'ar-
senal, dont la construction est de l'an 1567, renferme, outre un grand
nombre d'armes, plusieurs curiosités du moyen âge : d*abord une magni-
fique suite de vitraux peints relatifs à l'histoire de la Suisse, et presque
tous du seizième siècle; l'armure de Léopold d'Autriche, trophée de la
bataille de Sempach; le collier en 1er, garni intérieurement de pointes,
et que les Autrichiens destinaient à l'avoyer Gundoldingen ; enfin, l'épée
et la hache d'armes de Zwingle, tué à la bataille de Cappel, en 1531 ·, cette
arme est remarquable en ce que le manche en fer est creux et servait de
pistolet.
On pourrait encore citer à Lucerne les vieilles tours qui la dominent,
et dont une surtout se fait remarquer par une peinture extérieure repré-
sentant la figure d'un géant; la porte de Bâle, qui est dans le style du
moyen âge, et plusieurs fontaines, entre autres celle de la place du mar-
ché au vin, surmontée d'une colonne autour de laquelle se groupent plu-
sieurs chevaliers revêtus de leurs armures. N'oublions pas la chapelle éri-
gée au pied de la terrasse du Hof, aux mânes des Suisses qui succombè-
rent aux Tuileries, dans la triste journée du 10 août 1792
Le canton de Zug, un des moins considérables de toute la Suisse, se
divise naturellement en deux parties: celle du sud-est, couverte de mon-
tagnes, s'étend depuis le Rosseberg jusqu'à la capitale: celle du nord-
ouest est composée de plaines fertiles. Les habitants, au nombre de 17,456,
sont tous catholiques et d'origine allemande. Le petite ville de Zug, au
bord d'un lac auquel elle donne son nom, est dans l'une des situations les
plus agréables de la Suisse. De toutes parts on découvre des prés fleuris,
des vergers, de petites villes et de belles maisons de campagne. Le char-
mant bassin du lac est encadré, du côté du sud, par les vertes rampes du
Rigi, au-dessus duquel dominent les sombres rochers du Pilate. Dans le
lointain s'élèvent les sommités neigeuses des Alpes de l'Oberland bernois;
et l'on aperçoit à l'ouest la chaîne bleuâtre du Jura. Cette ville, qui paraît
être une de celles que les Helvetii brûlèrent lorsque du temps de César ils
firent une incursion dans la Gaule, est assez bien bâtie, mais sans com-
merce et sans industrie. L'église paroissiale, dédiéeà saint Michel,et située

680
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
loin do la ville, est remarquable par son cimetière, dont les tombes sont
entretenues avec soin, et dans lequel un ossuaire renferme des crânes qui
portent le nom des individus auxquels ils appartenaient jadis. L'église de
Saint-Oswald renferme des tableaux du Carrache. L'hôtel-de-ville est orné
d'assez beaux vitraux.
A l'est du précédent s'étend le canton de Schwitz, pays de prairies et
de pâturages alpins, dont les montagnes cependant ne s'élèvent pas a plus
de 235 mètres.
Schwilz, gros bourg plutôt que ville, situé au pied des monts Mythen,
renferme seulement quelques maisons bien bâties. Dans ce canton le vil-
lage d'Einsielden est le rendez-vous de touslesbons pèlerins de la Suisse
et de quelques parties de la France et de l'Allemagne, qui se réunissent à
l'abbaye de ce village, qui eut pour curé le réformateur Zwingle.
Le mont Rigi, dont la longueur est de 4 lieues, et qui est élevé de
1,828 mètres au dessus du niveau de la mer, appartient en partie au can-
ton de Lucerne et en partie à celui de Schwitz. Il est célèbre par le coup
d'œil magnifique dont on y jouit, et qui y attire, dans la belle saison, une
foule de promeneurs étrangers ou suisses ; l'un des chemins les plus pit-
toresques pour arriver à son sommet est celui du village de Wœggis sur le
lac des Quatre-Cantons. L'ascension du Rigi dure quatre heures; mais
arrivé au Rigi-Kulm, c'est-à-dire au point cuminant de la montagne, on
y oublie tout à coup la fatigue du voyage à la vue de l'horizon immense
qui s'y déroule autour de vous, et qui offre le plus beau panorama de la
Suisse qu'il soit possible de voir; il présente un diamètre de 70 lieues; on
compte 17 lacs, 10 grands et 7 petits. De l'extrémité du petit plateau qui
constitue le Kulm, on aperçoit très-bien le Rossberg et le terrible éboule-
ment qui, du haut de cette montagne, alla détruire, en 1806, le village de
Goldau. L'auberge du Rigi-Kulm n'est habitable que pendant la belle sai-
son, encore est-on obligé d'y faire du feu le soir et le matin même à
l'époque des chaleurs. A l'approche de l'hiver, cette maison, élégamment
meublée, est totalement abandonnée.
Le canton de Glaris, pays montagneux, ne consiste pour ainsi dire
qu'en deux grandes vallées : celle de la Sernft et celle de Linth, aux-
quelles se réunissent un grand nombre de vallées transversales.
Le bourg de Glaris ne ressemble à aucun autre, il a un caractère suisse
tout particulier. En y entrant, on se croit transporté tout à coup au quin-
zième siècle : les mœurs antiques des habitants, et leurs habitations plus
antiques encore, produisent cette illusion. La plupart des maisons portent

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
681
la date de leur construction ; plusieurs ont cinq siècles d'existence ; toutes
sont peintes de diverses couleurs ; quelques façades offrent même de véri-
tables tableaux d'histoire. Mais les rues sont si étroites, et le bourg, placé
comme au fond d'un entonnoir, est dominé par de si hautes montagnes,
que le soleil n'y paraît que quatre heures par jour. Ce chef-lieu possède
plusieurs fabriques de draps, d'indiennes et de mousselines.
Dans le canton montagneux d'Uri, que la Reuss traverse dans toute sa
longueur, nous n'avons à citer qu'un seul bourg, c'est Altorf, son chef-
lieu, situé près du lieu où la Reuss entre dans le lac des Quatre-Cantons;
ce bourg est encore plein du souvenir des libérateurs de l'Helvétie : une
tour, sur laquelle on a représenté l'histoire de Guillaume-Tell, s'élève sur
la place même qu'occupa, jusqu'en 1567, le tilleul contre lequel on plaça
son fils au moment où le malheureux père devait essayer d'abattre la
pomme. On voit encore la maison de Walter Furst, beau-père de Guillaume
et l'un des héros de cette époque.
Le nom du canton d'Unterwald signifie au-dessous des forêts; il en est
en effet couvert, et elles forment, avec le produit des bestiaux, les deux
principales branches de revenu que possède le pays; l'une de ces forêts
partage le canton en deux parties, VOberwald et le Niederwald, qui
forment deux petites républiques séparées, dont les habitants ont conservé
les mœurs hospitalières de leurs ancêtres.
L'Oberwald, ou le pays au-dessus des forêts, renferme deux lacs, celui
de Lungern et celui de Sarnen, que traverse la rivière de l'Aa, qui va se
jeter ensuite dans celui des Quatre-Cantons. Sachslen, sur la rive orien-
tale du lac de Sarnen, est un village qui mérite qu'on s'y arrête pour visi-
ter sa belle église, ornée d'un grand nombre de colonnes en marbre noir
tiré de ses environs, et dans laquelle on conserve le portrait, les vête-
ments et plusieurs reliques de Nicolas de Flue, vénéré comme saint dans
le pays.
A Sarnen, le chef-lieu de l'Oberwald, on remarque l'hôlel-de-ville, où
l'on a rassemblé les portraits de tous les chefs qui ont marqué dans cette
petite république; sur la place publique on voit une fontaine dont le bas-
sin, qui a 4 mètres de diamètre, est d'un seul morceau de granit. Au vil-
lage d'Alpnach, au pied du mont Pilate et sur le bord du lac des Quatre-
Cantons, l'église mérite d'être visitée; elle est moderne et bien bâtie.
Dans le Niederwald, ou le pays au-dessous des forêts, nous ne citerons
que Stanz ou Stantz, son chef-lieu ; c'est une petite ville dont l'église,
l'hôtel-de-ville et l'arsenal méritent d'être visités. La place publique est
VII.
86

682
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
décorée de la statue du sauveur de la Suisse, Arnold de Winkelried, dont,
en parlant de Sempach, nous avons rappelé la mort héroïque; on montre
encore la maison qu'il habitait.
Les habitants de l'Unterwald sont au nombre de 25,135 ; ils unissent
à une grande dévotion l'esprit démocratique; sobres et laborieux, ils se
livrent à l'agriculture et à l'éducation des bestiaux; on compte, dit-on,
dans ce pays environ 12,000 bêtes à cornes. Les fromages forment une
importante branche de commerce : on les expédie en Italie.
Le canton de Neuchâtel, qui occupe le vingt-deuxième rang dans la
confédération, et dont le roi de Prusse revendique la principauté, est borné
au nord par le canton de Berne, à l'est par le même canton et celui de
Fribourg, au sud par celui de Vaud, et à l'ouest par la France; il a 8 ou
9 lieues de longueur du nord-est au sud-ouest, 4 à 5 de l'ouest à l'est,
39 de superficie et 70,639 habitants.
La partie de la chaîne du Jura qui occupe son territoire est fort riche en
sources minérales, sulfureuses ou ferrugineuses, et en diverses roches
calcaires ou siliceuses, abondantes en débris organiques du règne animal
et du règne végétal. Ces montagnes n'atteignent point une hauteur aussi
considérable dans le canton de Neuchàtel que près du lac de Genève. Six
ou sept vallées, dont quelques-unes riches en pâturages, telles que le val
de Ruz et le val de Travers, constituent la plus grande partie du sol. Plus
favorisé des dons de Bacchus que de ceux de Cérès, ce pays est obligé de
tirer annuellement des contrées voisines pour environ 300,000 florins de
blé; mais la vente de ses vins rouges, généralement estimés, produit un
revenu de 180,000 florins, qui, ajouté à celui de ses fruits, de ses chan-
vres et de ses bestiaux, lui fournit un bénéfice net que l'on peut évaluer à
60,000 florins. Il retire aussi un grand avantage de la pêche de son lac,
des mines de fer et de cuivre de ses montagnes, et des plantes qu'on y
recueille pour en faire le thé et le vulnéraire suisses.
Le canton de Neuchàtel peut se diviser en trois régions différentes :
l'inférieure, qui s'étend sur les bords du lac, est la plus chaude; c'est celle
aussi qui renferme des plantations de lin, de chanvre, et les meilleurs »
vignobles. Une rangée de montagnes la sépare de deux vallées élevées qui
s'étendent du nord-est au sud-ouest, dans lesquelles on ressent déjà un
air plus vif, et qui renferment quelques champs cultivés en céréales, mais
surtout de vastes herbages. Enfin, la troisième, qui domine les deux autres,
couverte de bois, de bruyères et de pâturages, et dans laquelle l'habitant
ne peut cultiver que de l'avoine, est exposée à un climat très-froid.

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
683
Le printemps et l'automne y sont de peu de durée; l'hiver s'y prolonge
pendant sept ou huit mois; la neige s'y amasse quelquefois à une hau-
teur qui surpasse celle des habitations; mais lorsqu'elle a disparu, des
chaleurs brûlantes succèdent presque aussitôt aux frimats les plus rigou-
reux.
Il semblerait que celte région, exposée par son élévation à la tempéra-
ture des climats septentrionaux, ne dût être habitée que par un peuple
ignorant, pauvre et superstitieux. Il n'en est point cependant de plus inté-
ressant par son industrie, ses lumières, et l'on pourrait môme dire sa
richesse. Les arts de la gravure, de la peinture, et principalement de l'hor-
logerie, sont cultivés dans ces montagnes avec un succès remarquable.
Dans la ville du Locle, située sur l'un des points les plus élevés, presque
toute la population est occupée à travailler l'or, l'argent, l'acier, pour la
coutellerie et l'horlogerie ; ce dernier genre d'industrie ne paraît même y
avoir été exercé que depuis 1680, qu'un montagnard nommé Jean Richard,
âgé alors de quinze ans, ayant examiné pour la première fois une montre,
parvint à en faire une semblable, et fonda au sein de son village, par son
exemple, et l'on pourrait dire par son génie, une source de richesses qui
s'étendit jusque dans toutes les vallées du Jura. A la Chaux-de-Fonds,
jadis simple village, aujourd'hui ville importante, située à une hauteur
plus considérable que le Locle, on fabrique aussi une grande quantité de
montres et d'autres petits objets d'art, ainsi que des dentelles. C'est dans
cette ville que sont nés les Droz, habiles mécaniciens, célèbres par leurs
automates. A Couvet, à Travers, et dans plusieurs lieux, on retrouve la
même industrie et la même activité. On a de la peine à concevoir jusqu'où
peut aller le génie inventif de l'homme quand il est libre de se livrer à son
essor : c'est au milieu de ces montagnes qu'on peut s'en faire une idée.
De simples paysans, mus par le seul désir d'améliorer leur sort et d'ac-
croître leurs jouissances, ont trouvé le moyen d'ajouter à la force produc-
tive de leurs bras celle d'un puissant véhicule dont il fallait aller chercher
le secours dans les entrailles de la terre. Ils avaient remarqué depuis long-
temps que dans la chaîne du Jura les eaux produites par les pluies et par
la fonte des neiges trouvent, sur les sommités même les plus élevées, des
interstices par lesquelles elles descendent, dans leur course souterraine,
jusqu'au pied des montagnes, d'où elles sortent en formant des sources ou
des ruisseaux peu considérables. Ils ont été chercher ces eaux quelquefois à
plus de 30 mètres de profondeur dans les canaux naturels qu'elles suivent.
Là, après avoir pratiqué des échafaudages ingénieux pour retenir les terres,

684
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
ils ont construit, dans des galeries élargies à grand frais, des rouages que
ces eaux font mouvoir, et qu'ils utilisent dans différents travaux : résultat
qu'ils n'auraient jamais pu obtenir des sources qui s'échappent quelquefois
des montagnes dans leurs vallées élevées. On ne s'étonnera donc point
que dans une contrée aussi industrieuse que le canton de Neuchàtel, on
compte 5,600 personnes occupées à faire de la dentelle, 3,300 ouvriers
pour l'horlogerie, un grand nombre de graveurs, et plus de 700 peintres
qui ne travaillent que pour les nombreuses fabriques de toiles peintes et
de cotonnades du pays. On évalue le produit annuel de celles ci à 60,000
pièces, et à 1 30,000 le nombre de montres que l'on exporte en Allemagne,
en Italie, en Espagne, en Turquie et même en Amérique.
La ville commerçante de Neuchâtel, qui, dans les actes les plus anciens,
porte le nom de Novum castrum, paraît devoir son origine à une forte-
resse que les Romains élevèrent pour contenir la nation helvétique. Elle
est placée en amphithéâtre sur le bord du lac qui porte son nom, et à
l'embouchure du Seyon, ruisseau qui la traverse et se précipite avec fracas
dans le lac. Le nombre de ses habitants s'élève à 6,500. On y remarque
quatre belles rues et un vieux château, situé sur une haute terrasse ombra-
gée par des tilleuls tellement anciens, que l'un d'eux, à hauteur d'homme,,
a 6 mètres de circonférence. L'ancienne cathédrale, bâtie en 1164 par
Berthe, épouse du comte Ulrich de Vilnez, renferme un beau monument
érigé en mémoire des comtes de Neuchâtel par le dernier de ces seigneurs.
Au milieu de la place de l'église, on voit la pierre sépulcrale du réforma-
teur Guillaume Farci. Le gymnase et plusieurs écoles publiques, l'hôtel-
de-ville, la maison des orphelins, deux hôpitaux, et la société d'agricul-
ture et d'économie, ont été fondés au moyen de legs considérables faits
dans ce but par deux respectables et riches négociants de cette ville,
MM. de Lissabon et de Pourtalès. Neuchàtel éprouva plusieurs fois des
désastres qui, sans l'industrie et le patriotisme de ses habitants, auraient
pu consommer sa ruine.
Le lac qui baigne les murs de Neuchàtel ajoute à la beauté des sites de
ses environs ; ses bords présentent les points de vue les plus variés. Du
haut de la colline du château, on aperçoit, lorsque le ciel est pur, la chaîne
des Alpes depuis le canton d'Uri jusqu'au Mont-Blanc.
Nous avons déjà cité pour leur industrie te Locle et la Chaux-de-Fonds !
la première de ces villes est peuplée de 8,514 habitants, et la seconde de
12,638. La seule ville ou plutôt le seul bourg qu'il y ait encore à nommer,
parce qu'il était autrefois la capitale d'un comté, c'est Vallengin, situé

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
685
sur le Seyon, au milieu d'une belle vallée. Dans un pays montagneux
aussi resserré, ce n'est point le nombre des cités qui indique la richesse:
3 villes, 3 bourgs, 67 villages et 45 hameaux, formant une population
d'environ 1,350 individus par lieue carrée, sont la preuve la plus pal-
pable de sa prospérité.
Entrons dans le canton de Fribourg; Morat est célèbre par la défaite de
Charles-le-Téméraire, et Gruyères par les fromages qui font sa principale
richesse. Chef-lieu d'un des cantons les plus importants par leur agricul-
ture, les plus dignes d'être connus dans l'empire dé Flore, d'un de ceux,
enfin, où les femmes se distinguent par leur beauté et la singularité de leur
costume, Fribourg est entouré de vieilles murailles, et. possède, au milieu
de ses rues tortueuses et rapidement inclinées, plusieurs monuments
remarquables. La porte par laquelle on y entre, en venant de Morat, est
une des constructions les plus hardies que l'on puisse voir ; elle est comme
suspendue au-dessus d'un précipice de 65 mètres de profondeur. A peine
a-t-on dépassé cette porte, que l'on descend, par un escalier de 120 marches,
dans une rue dont les toits sont au niveau du pavé des rues voisines. Avant
de monter à la cathédrale, on remarque le vieux tilleul planté en 1476, en
mémoire de la bataille de Morat. Le clocher de cette église est un des plus
élevés de l'Europe, il a 128 mètres de hauteur ; la cathédrale est un bel
édifice gothique qui a été plusieurs fois restauré-, le portail est un des plus
riches en sculptures de tous ceux qu'on remarque en Suisse; il représente
le jugement dernier. Les jésuites qui, depuis 1815, ont repris à Fribourg
leur ancienne influence, y possèdent un magnifique collége ; leur église
est bâtie comme une citadelle dans une position magnifique. La porte
Bourguillon (Bürglenthur), qui, bâtie au bord d'un précipice, semble
planer à moitié dans les airs, est une construction romaine, lourde, mas-
sive et carrée; près d'elle, à la gauche du chemin rapide qui y conduit,
est une assez jolie petite chapelle, bâtie en 1700, dans les niches de laquelle
on a placé 14 statues de saints , dont quelques-unes sont assez re-
marquables; mais ce qui surtout attire l'attention dans cette ville, c'est
le pont suspendu, en fil de fer, qui y conduit d'une montagne voisine.
Il a 280 mètres de longueur, 50 à 60 d'élévation, et passe à plus de
35 mètres au-dessus des plus hautes maisons bâties au fond de la vallée.
Fribourg est une ville catholique, imbue des mêmes préjugés et sous l'in-
fluence des mêmes moeurs qu'au moyen âge; cependant l'industrie et le
commerce y font des progrès sensibles : on y fabrique des chapeaux de
paille, des faïences et des toiles de coton.

686
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
Le canton de Fribourg, dont nous venons de décrire les deux principales
villes, occupe le neuvième rang dans la confédération. Il est riche en prai-
ries, en forêts et en terres cultivées : on y compte environ 70,000 arpents
de pâturages, 21,000 de forêts, 60,000 de terres arables, 600 de vignes,
et 1,200 de produits divers.
L'un des cantons les plus importants, par sa richesse territoriale, est
celui de Vaud. C'est un de ceux où la civilisation est la plus avancée, et
l'éducation la plus répandue, il est situé entre la France, le canton de
Neuchàtel, celui de Fribourg, le lac de Genève et le Valais.
Bulaigue est le premier village suisse du canton, lorsqu'on y entre en
venant de la France par Pontarlier. Près du lac de Morat, l'ancienne capi-
tale de l'Helvétie romaine, Aveniicum, occupait une étendue de 2 lieues
de tour. Malgré les ravages du temps et des Barbares anciens et modernes,
on y distingue encore la trace des rues et des édifices. Des ruines que l'on
croit avoir appartenu à des bains publics, des mosaïques, des pilastres, des
colonnes en marbre, les débris d'un vaste amphithéâtre, des bas-reliefs
et des inscriptions, attestent son antique splendeur. On y voit les murs de
son ancien port, et les anneaux de fer qui servaient à amarrer les bateaux.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que le lac en est éloigné aujourd'hui de
plus d'une demi-lieue. Aveniicum, pour avoir refusé de reconnaître l'auto-
rité de Vitellius, parce qu'elle ignorait la mort de son prédécesseur Galba,
fut ruinée par la légion terrible. A son avénement au trône, Vespasien,
qui y avait été élevé, se plut à l'embellir-, mais ravagée au quatrième
siècle par les Barbares, elle.est depuis restée sans importance, et ce n'est
plus qu'un bourg dont le nom latin revit dans celui d'Avenche. Yverdun,
jolie ville commerçante et industrieuse, dont les habitants se distinguent
par leur goût pour les sciences et leur urbanité, est l'ancien Ebrodunum,
résidence du commandant des barques (prœfectus barcariorum) : on y a
découvert plusieurs restes d'antiquités. Orbe, ville également romaine, est
encore dominée par l'ancien château dans lequel Brunehaut fut trahie et
livrée à Clotaire II, qui la fit mourir. Il reste de ce château une tour ronde
et une tour carrée, situées sur une plate-forme qui sert de promenade et
qui domine la vallée qu'arrose l'Orbe jusqu'au lac de Neuchàtel : on y jouit
d'une belle vue sur les montagnes du canton de Berne et sur celles de la
Savoie.
La jolie ville de Nyon, au bord du lac de Genève, possède une belle
manufacture de faïence et de porcelaine. Cette ville, bâtie en amphithéâtre,
est dominée par un ancien château à tourelles où s'assemblent les auto-

EUROPE.- DESCRIPTION DE LA SUISSE.
687
rités. Elle portait, sous la domination romaine, le nom de Novidunum. On
y voit encore, dans les murs qui bordent la promenade du côté du lac,
plusieurs restes d'antiquités, et sur les bords mêmes du lac une tour carrée
qui porte le nom de Tour de César : un bas-relief y passe pour le portrait
du général romain; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'il est antique.
Copel est la première ville qui se présente de ce côté, en allant à Genève.
Rolle est renommée pour ses vins; Morges, pour ses papiers, ses fleurets
et ses canons. Sa jolie église, ses belles promenades aux deux extrémités
de la ville, son petit port, dont l'entrée est formée par deux longues jetées,
et son ancien château flanqué de tours, qui renferme l'arsenal et la fon-
derie de canons du canton de Vaud, lui donnent une agréable apparence.
C'est entre Morges et Rolle que se trouve l'ancien et pittoresque château
d'Eaubonne, joli édifice du moyen âge flanqué d'élégantes tourelles ; Vevey
est remarquable par son site et par le rochers de Meillerie qui dominent
le lac et qui s'élèvent vis-à-vis de son petit port. On y voit une belle fon-
taine publique, ainsi qu'un des plus beaux marchés de la Suisse. Une petite
promenade, celle appelée Derrière-l'Aile, qui borde le lac et qui est con-
tiguë au pont, ainsi qu'une autre qui domine la ville, offrent les plus beaux
points de vue et sur le lac et sur les montagnes de la Savoie. Celte petite
ville, de 5,201 âmes, présente l'aspect le plus riant, et même est très-
animée les jours de marché; son port est garni de petits bâtiments à voiles
qui annoncent un certain mouvement commercial. On a trouvé à Vevey
des antiquités ; on sait que cette ville était une ville celtique, connue sous
le nom de Vibiscum ou Vibiscus, comme le porte l'Itinéraire d'Antonin.
Lausanne est située, dit-on, à peu de distance de l'emplacement de
l'ancien Lausonium. Quelques savants vaudois prétendent que le nom de
leur capitale vient des mots Laus Annœ, parce que dès les premiers temps
de l'établissement du christianisme dans ce pays, on érigea près du lieu
qu'occupe la ville une chapelle en l'honneur de sainte Anne. Voilà pour-
quoi les habitants écrivent Lausanne, tandis qu'il serait mieux d'écrire
Lausane, si l'on faisait dériver ce nom de Lausonium. Cette ville possède
plusieurs sociétés savantes et une académie qui compta au nombre de ses
professeurs Théodore de Bèze et Conrad Gessner. Le château où siége le
gouvernement est un vieil édifice carré flanqué de tourelles, qui fut com-
mencé au treizième siècle et terminé au quinzième. L'ancienne cathédrale,
commencée en l'an 1000, et consacrée par Grégoire X en présence de
Rodolphe de Habsbourg, est dans le goût saxon et remarquable par sa har-
diesse et sa légèreté. On y admire de belles sculptures et des stalles en

688
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
bois richement sculptées. Elle est surmontée de deux grandes tours dont
une, en flèche élégante et déliée, a plus de 75 mètres de hauteur. On entre
dans ce temple par deux beaux portiques ornés d'un grand nombre de
statues et de sculptures. Du haut de la terrasse sur laquelle il est bâti, on
parcourt des yeux les bords variés du lac de Genève : c'est une des plus
belles vues de la Suisse.
Villeneuve, à l'extrémité du lac de Genève, est une ancienne ville impor-
tante qui, après avoir joui pendant le moyen âge du rang de cité impériale,
est tombée au point d'être réduite à 1,200 habitants. Ce bourg possède un
petit port d'où part et où arrive chaque jour le bateau à vapeur de Genève.
De Villeneuve on aperçoit sur un roc isolé au-dessus du lac le château de
Chilon, ancien manoir des baillis de Vevey, qui sert aujourd'hui de rési-
dence à un poste de douaniers.
C'est à une petite lieue à l'ouest de Villeneuve que le Rhône, formant un
delta fangeux et couvert de roseaux, se divise en deux bras et porte ses
eaux limoneuses au lac de Genève qu'il va traverser. Son cours depuis le
lac jusqu'au pied de la Dent-de-Morcles, sommité de 300 mètres qui ter-
mine la longue chaîne des Alpes de l'Oberland bernois, sépare le canton
de Vaud de celui du Valais. La plaine marécageuse qui précède la vallée
est celle où Divicon défit les légions romaines vers l'an 645 de Rome. La
vallée dans laquelle on entre en quittant Villeneuve, est d'un aspect très-
pittoresque, et la route qui la traverse conduit à Bex. Cette vallée est
d'abord large de deux lieues, puis elle va toujours en se rétrécissant jus-
qu'à Bex, bordée d'un côté tantôt par des champs et des vignes, tantôt
par une muraille de marbre grisâtre coupée à pic.
Bex compte 3,000 habitants, est important par ses salines, les seules
que possède la Suisse.
La vallée du Rhône, qui forme le riche canton du Valais, portait chez
les anciens le nom de Vallis Pennina, du nom du dieu Penninus ou du
mol celle pen, qui signifie pointe, cime aiguë, dénomination qui convient
à la plupart des montagnes qui circonscrivent cette vallée.
Le Valais est un pays montagneux, divisé, suivant sa longueur, par
une vallée dans laquelle coule le Rhône. Cette vallée est extrêmement
remarquable pour la géographie physique ; située entre le Mont-Rose et
le Finsteraahorn, elle sépare deux chaînes des Alpes également hérissées
de pics et de glaciers, de sorte que Ton pourrait dire que la chaîne cen-
trale des Alpes est double dans celte partie. Elle est donc une des plus pro-
fondes que l'on connaisse. Les montagnes qui la bordent présentent de

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
689
toutes parts d'effroyables précipices. Le Valais a très-peu de pente dans le
sens de sa longueur ; le Rhône, depuis Brieg jusqu'à son embouchure
dans le lac de Genève, ne descend que de 340 mètres. Cette constitution
physique donne au pays un climat très-chaud, et empêche l'air de s'y
renouveler assez souvent. Les exhalaisons des eaux des marais, devenues
stagnantes dans les vallées les plus basses et les plus étroites, prennent
un caractère encore plus pestilentiel par la chaleur excessive qui, à Sion,
s'est quelquefois élevée à 29 degrés du thermomètre centigrade.
La première ville que l'on trouve en remontant le Rhône, est Saint-
Maurice, sur la rive gauche du fleuve, que l'on traverse sur un pont en
pierre, dont l'entrée est fermée par une porte qui forme la limite du
canton de Vaud et de celui du Valais. Vers l'extrémité de la ville on voit les
restes de l'abbaye qui fut fondée en 351 à Tarnadœ, nom que portait jadis
Saint-Maurice, de celui d'un château romain appelé Castrum-Tauredu-
nense. Cette petite ville se vante d'avoir embrassé le christianisme vers
l'an 58 de notre ère. On sait que l'empereur Maximien y conduisit, en
286, un corps d'armée pour réprimer la révolte des Bagaudes, paysans
gaulois qui s'étaient soulevés. L'empereur, dont le quartier général était
à Octodurum ou Martigny, ordonna un sacrifice aux dieux pour assurer le
succès de son entreprise ; mais la légion thébéenne, qui faisait partie de
son armée, était entièrement composée de chrétiens ; elle s'abstint de
prendre part au sacrifice. L'empereur, pour la punir, ordonna qu'elle
serait décimée, et que ceux sur qui le sort tomberait seraient envoyés à la
mort : de ce nombre fut Maurice, qui la commandait, et qui reçut, avec
ses compagnons, la couronne du martyre. Il paraîtrait que ee fut en
mémoire de cet événement que les chrétiens donnèrent à Tarnadœ, où les
martyrs furent inhumés, le nom d'Agaunum, qu'on écrivait peut-être Ago-
num, du mot agonia, sacrifice.
Plus tard la ville reçut celui de Saint-Maurice d'Agaune, et, par abré-
viation, on l'appela Saint-Maurice. Son abbaye fut opulente, grâce à la
munificence de Charlemagne et de saint Louis ; reconstruite à plusieurs
époques, son extérieur n'a rien de remarquable, mais sa bibliothèque pos-
sède quelques manuscrits précieux. On y voit une riche collection de reli-
ques, un vase en agate donné par Charlemagne, et un beau reliquaire,
présent fait par saint Louis.
En sortant de Saint-Maurice, on aperçoit, à environ 200 à 300 mètres
de hauteur, comme suspendu à la muraille verticale de rochers que l'on
a sur sa droite, le petit ermitage de Notre-Dame-de-Sex, lieu de pèlerinage
VU,
87

690
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
très-fréquenté, bien que le chemin qui y conduit, taillé en saillie le long
de la roche, n'ait pas 75 centimètres de largeur dans certains endroits.
A deux lieues de Saint-Maurice on passe devant la belle cascade qui
mériterait un autre nom que celui de Pissevache ; elle tombe d'environ
100 mètres ; mais sa chute n'est verticale que sur une hauteur de 35 mètres
au-dessus du sol ; elle est formée par un ruisseau connu sous le nom de
Salanche. Plus loin on voit couler, sous un pont couvert et construit en
bois, le Trient, ruisseau qui s'échappe d'une ouverture étroite et verticale
de 400 mètres de hauteur, formée par deux masses de montagnes. Ce ruis-
seau tortueux, qui se jette dans le Rhône, doit son origine au glacier du
même nom, et coule avec force dans la vallée appelée Valorsine.
On arrive enfin à Marligny, en traversant un pont couvert, construit
en bois, sur la Dranse. Un vieux château, formé de plusieurs tours dont
une domine les autres, occupe le sommet d'une colline qui s'élève sur
la rive gauche de ce petit affluent du Rhône. Cette ville, où l'on remarque
quelques belles maisons avec des galeries couvertes formées par des
eolonnes en pierres, est à plus de 550 mètres au-dessus du niveau de
l'Océan ; les Allemands l'appellent Martinach : chez les Romains elle
porta successivement les noms d'Octodurum, de Forum Claudii et de
Vicus Venagrorum.
Tout le Bas-Valais présente un aspect grandiose et pittoresque ; cette
vallée du Rhône, qui ne paraît étroite que par la hauteur des mon-
tagnes qui la bordent et qui s'élèvent, en certains endroits, à 1,400 mètres
au-dessus de leur base, offr.e à l'œil ie moins exercé les traces les plus évi-
dentes des dislocations et des bouleversements qui ont accompagné le sou-
lèvement des Alpes. Au-dessus de ces rochers qui se montrent décharnés
des deux côtés de la vallée, s'étendent ici de vertes pelouses parsemées
de villages que dominent de pittoresques chalets-, là des forêts de sapins
dont les arbres, malgré une taille de 40 mètres, ressemblent, en haut des
montagnes, à des bruyères éparses sur leurs cimes. Le Rhône qui coule
en bouillonnant n'est pas encore un fleuve, c'est un large torrent.
La profondeur de la vallée du Rhône y entretient un climat doux et
favorable à divers genres de culture : les vergers y produisent d'assez bons
fruits-, la vigne y fournit des vins spiritueux; les abeilles y distillent, au
milieu des richesses de Flore, le miel le plus agréablement parfumé de
toute la Suisse. Mais un spectacle pénible et qui fait ombre à ce tableau si
magnifique d'une nature agreste et vigoureuse, c'est l'état de dégradation
intellectuelle et physique dans lequel l'homme peut descendre pour former

EUROPE. - DESCRIPTION DE LA SUISSE.
691
cette race de crétins que l'on rencontre dans tout le Valais, et principale-
ment dans les villages de Branson, Fouly, Sierre et Xasimbre, sur la rive
droite du Rhône.
On ne connaît point encore la véritable cause du crétinisme : les uns
l'attribuent aux obstacles que l'air éprouve pour se renouveler dans les
vallées profondes; les autres à la nature des eaux qui tiennent en dissolu-
tion du sulfate ou du carbonate de chaux; d'autres enfin aux eaux trop
froides qui proviennent de la fonte des neiges; mais aucune de ces causes
ne nous paraît suffisante pour expliquer un phénomène qui est commun
aux Alpes aussi bien qu'aux Pyrénées.
Entre Martigny et Sion, le village de Saint-Pierre est remarquable par
son église du dixième siècle, dont le clocher, construit dans le style roman,
avec des arcades cintrées, est d'une architecture élégante.
Depuis ce village on laisse le Rhône sur la droite en se dirigeant sur
Sion. La situation de cette petite capitale du Valais est une des plus pitto-
resques que l'on puisse voir. Elle s'appuie, à l'est, sur une montagne
tapissée de vignobles et de prairies, qui se termine par deux sommets cal-
caires que couronnent d'imposantes constructions : sur l'un s'élève le
château de Tourbillon, bâti en 1492, et qui servit de résidence d'été à
l'évêque jusqu'en 1788, qu'il fut ruiné par un incendie; sur l'autre appelé
Valeria, probablement par suite de quelque souvenir antique, on voit, au
milieu de vieilles murailles, de tours et de maisons, une ancienne église
où l'on conserve les reliques de saint Will, qui attirent tous les ans un
grand nombre de pèlerins, parce qu'elles ont la réputation d'opérer des
guérisons miraculeuses. Entre ces deux sommets on remarque les ruines
du château de Majorie, maison.de plaisance des anciens évêques. La ville
est environnée de fossés, de murailles et de tours. Ses rues sont en géné-
ral étroites et fort inclinées; cependant la grande rue est assez large et
très-animée les jours de marché. La cathédrale et l'hôtel-de-ville sont les
seuls monuments que l'on y remarque. Les antiquités nombreuses que
renferme Sion, prouvent que cette ville était importante sous la domina-
tion romaine; elle était la principale cité des Seduni, et elle paraît n'avoir
pas eu d'autre nom que celui de Sedunum.
On trouve aussi des inscriptions antiques à Sierre, en allemand Sieders,
beau village situé sur la route de Louèche, et dans les environs duquel on
récolte de très-bon vin. La route passe ici de la rive droite à l'autre rive
du Rhône. On traverse de nouveau le fleuve sur un beau pont couvert, vis-
à vis de Louèche, où l'on monte par un chemin très-rapide. Ce bourg est

692
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
un des principaux entrepôts de commerce du Valais. Il possède deux églises
et deux chapelles qui, se groupant avec d'autres monuments du moyen
âge, présentent l'aspect le plus pittoresque. Le clocher de la principale
église est dans le style roman. L'intérieur, surchargé de dorure comme
celui de la cathédrale de Sion, renferme une chaire d'un goût et d'un tra-
vail exquis. A Louèche, tout respire encore le moyen âge : plusieurs mai-
sons ont trois ou quatre siècles de date-, un édifice isolé, flanqué de tou-
relles et surchargé d'inscriptions en caractères tudesques, s'élève sur la
pente qui domine la vallée du Rhône : c'est l'hôtel-de-ville-, plus haut se
trouve l'hôpital, autre édifice ancien. Sur la place de l'église, l'un des
piliers d'une maison gothique porte une chaîne et un collier en fer qui ser-
vent à attacher les individus condamnés pour vol, usage qui s'est con-
servé jusqu'à ce jour.
Il faut trois heures pour monter du bourg de Louèche, par la vallée de
la Dala, aux bains de Louèche, appelés simplement dans le pays les Bains
(Raden). Cette vallée fait oublier un instant tout ce qu'on a vu de plus
beau dans la Suisse : le cours tortueux de la Dala, dont les eaux écu-
meuses forment à chaque pas, au fond d'un abîme, des chutes variées-, les
cascades qui tombent du haut des parois verticales de la vallée; les forêts
de sapins qui tantôt couronnent ces parois et tantôt garnissent des pelouses
arrondies; des villages dispersés çà et là sur des prairies en pente, situées
à près de 1,000 mètres au-dessus du niveau du Rhône où aboutit la vallée;
l'un de ces villages entre autres, appelé Albinen, qui n'est accessible qu'au
moyen de huit ou neuf longues échelles dressées verticalement les unes au-
dessus des autres; la route enfin que l'on suit, et qui n'est qu'un sentier
où, lorsqu'on n'est point sur une pente rapide, on se trouve sur un esca-
lier naturel formé par les couches des roches : telle est, en peu de mots»
cette vallée singulièrement pittoresque, jusqu'au moment où l'on aperçoit
le village des Rains. Il s'étend sur une prairie en pente arrosée par la Dala,
qui descend du glacier du Bulmhorn, montagne peu éloignée, élevée d'en-
viron 3,500 mètres, et vis-à-vis de laquelle on voit la Gemmi ou Ghemmi,
col de 2,320 mètres de hauteur, qui paraît tirer son nom du mot latin
geminus, parce qu'il est formé par une double cime. Du côté du village
des Rains, la Ghemmi est coupée presque verticalement; un chemin taillé
en zigzag dans le roc et accessible aux mulets y a cependant été pratiqué
il y a environ un siècle; il est l'ouvrage d'ouvriers tyroliens ; c'est le pas-
sage le plus curieux que l'on connaisse en Suisse. Au haut du col de la
Ghemmi on trouve un vaste entonnoir de rochers noirâtres, au milieu

EUROPE. — DESCRIPTION DE LA SUISSE.
693
duquel s'étend un petit lac; et plus loin un petit chalet offre un asile au
voyageur fatigué. Rien n'est plus sauvage que l'aspect de ce sommet du
col de la Ghemmi, surtout après quelques heures de pluie qui, à cette hau-
teur, et quelle que soit la saison, forme une couche de neige de 20 centi-
mètres d'épaisseur qui contraste avec la teinte noire des roches dépourvues
de végétation; c'est à l'extrémité de ce col que se termine, de ce côté, le
canton du Valais.
Le village des bains de Louèche est composé d'habitations en bois, faites
comme des chalets : les hôtels mêmes et les maisons de bains ont cette
forme pittoresque. l\\ y a quatre sources; leurs eaux sont à la température
-je 50 à 52 degrés du thermomètre centigrade.
En remontant la vallée du Rhône, Brieg, l'un des plus beaux bourgs du
Valais, se fait remarquer au loin par ses maisons couvertes en schiste
micacé d'un brillant argenté; ses bains rivalisaient jadis avec ceux de
Louèche.
Le canton du Tessin, le plus misérable et le plus reculé sous le rapport
des lumières et de la civilisation, doit son nom à l'une des rivières qui le
traversent. Le Tessin ou Ticino prend sa source sur le revers méridional
du mont Saint-Gothard, et traverse le lac Majeur pour aller se jeter dans
le Pô. Ce canton, borné au nord par des glaciers, est exposé vers le sud à
des chaleurs si fortes que pendant une grande partie de l'été les végétaux
y sont brûlés par le soleil. Les trois petites villes qu'il renferme en sont
chacune tour à tour et pendant six années le chef-lieu.
Au bord d'un lac auquel elle donne son nom, Lugano offre déjà l'aspect
des villes de l'Italie : elle est, il est vrai, la plus belie du canton. Ses rues
sont larges, ses places publiques spacieuses, et ses édifices bâtis avec élé-
gance : les plus remarquables sont le théâtre, l'église des Franciscains, et
l'église collégiale de Saint-Laurent. C'est surtout des bords de son lac que
cette ville se présente sous son plus bel aspect, au milieu de jardins, de
vignobles, et d'élégantes maisons de campagne ; sa population est de 5,142
habitants. Elle fait un commerce considérable de transit. Elle possède plu-
sieurs manufactures de tabac, de chapeaux et de soieries. La soie qu'on
récolte dans ses environs passe pour la plus belle de tout le canton.
A l'extrémité septentrionale du lac Majeur, Locarno, la moins peuplée
des trois villes chefs-lieux, n'a que 2,676 habitants, mais au seizième
siècle elle était plus considérable. Ses maisons sont assez bien bâties : on
y remarque une belle place, quatre couvents et une ancienne église située
hors de son enceinte.

694
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
Bellinzone ou Bellinzona, peuplée à peu près comme la précédente, est
sur la rive gauche du Tessin, au pied d'une montagne. La ville s'étend des
deux côtés de la rivière ; à l'est, c'est à-dire sur la rive gauche, on a con-
struit deux forts l'un au-dessus de l'autre, et à l'ouest un seul; des murs
descendent de ces trois forts jusque sur les bords du Tessin ; en sorte que
les trois portes de la ville ferment la vallée, ce qui en fait la clef de la Suisse
du côté du mont Saint Gothard. Si ces trois forts étaient modernes, ils
offriraient un point de résistance important, mais ils datent du quinzième
siècle et sont l'ouvrage des ducs de Milan. On remarque près de Bellin-
zone une digue qui fut construite par les Français, sous le règne de Fran-
çois Ier, pour arrêter les dévastations du Tessin pendant ses grandes eaux.
Après le canton de Berne, le plus important en superficie, mais non en
population, est celui, des Grisons : il occupe le quatorzième rang dans la
confédération. Sous la domination romaine, nous avons vu qu'il apparte-
nait à la Rhétie ; nous avons vu aussi que ce n'est que depuis la révolution
de 1798 qu'il est devenu l'un des cantons de la Suisse. Il se divise en trois
ligues ou petites républiques fédératives, appelées la ligue Grise ou Supé-
rieure, la ligue Cadée ou de la Maison de Dieu, et celle des dix Droitures
ou Juridictions. Dans ce pays les priviléges de toute nature ont été abolis.
Cependant l'instruction y est fort arriérée-, les écoles y sont engénéral
mal tenues, bien qu'elles aient fait des progrès depuis que des sociétés de
lecture, destinées à répandre les lumières parmi les citoyens, s'y sont éta-
blies. L'antique population rhétienne se reconnaît encore dans les hautes
vallées ; elle a conservé son ancien idiome, appelé aujourd'hui langue
romanique, et qui se divise en deux dialectes, le roman ou rumonique, et
le ladin. Il y a peu de contrées en Suisse qui renferment un aussi grand
nombre de châteaux et de donjons du moyen âge : on en compte, dit-on,
plus de 180.
Le canton des Grisons comprend un grand nombre de montagnes et de
glaciers-, c'est dans sa partie méridionale que prennent leur source les
deux branches du Rhin appelées le Haut et le Bas-Rhin ; ainsi que la rivière
de l'Inn.
Au milieu de ces montagnes qui constituent le pays haut (Oberland),
on remarque, sur la rive droite de la branche du Rhin qui descend des
cimes élevées qui forment la vallée de Tavetsch, Ilanz, en langue rhélienne
Ilion ou Glion : c'est une petite ville de 5 à 600 habitants où l'on remarque
un assez beau pont. A 5 ou 6 lieues au-dessus, on trouve le bourg de
Dicentis, peuplé d'un millier d'habitants et célèbrepar son antique abbaye

EUROPE. DESCRIPTION DE LA SUISSE.
695
de bénédictins. A la même distance d'Ilanz, mais au-dessous de cette ville,
nous remarquons, à l'endroit où la petite rivière appelée Plessur se jette
dans le Rhin, Coire ou Chur, la capitale de tout le canton et le siége d'un
évêché. Sa population est de 5,943 âmes. Les antiques tours de Marsoil
ou Spinoil, ouvrages des Romains, la cathédrale bâtie au huitième siècle,
et le palais episcopal d'où l'on jouit d'une vue magnifique sur l'Oberland
ou vallée de Surselva, sont ses principaux édifices. Le nom de celte vallée
que parcourt le Rhin antérieur vient du latin super sylvas ; et Coire est
l'antique Curia Rhœtorum.
En remontant la vallée de Domleschg, nous trouvons, sur les bords de
la branche du Rhin qui descend du mont Bernardino, la petite ville ou plu-
tôt le bourg de Tusis, appelé en rhétien Tusan ou Tossana. Ce nom rap-
pelle les anciens Tusci ou Toscans, qui s'y réfugièrent lorsque Bellovèze
envahit l'Italie. Cette petite ville est l'une des mieux bâties de tout le can-
ton. Près de la limite de son territoire, et sur la rive droite du Rhin,
Mayenfeld, autre petite ville, est entourée de vignobles estimés.
Nous terminerons la description de la Suisse par le canton de Genève.
Les bords du lac de Genève n'offrent point, malgré ses beaux sites,
autant d'attraits que ceux de plusieurs autres lacs moins importants de la
Suisse. On présume avec raison que son étendue était jadis plus considé-
rable: les atterrissements qu'y forme à son entrée le Rhône si limpide à sa
sortie, suffisent d'ailleurs pour accréditer celte opinion.
A son extrémité occidentale, Genève, la capitale du plus petit canton
de la Suisse, est, de toutes celles de la confédération, la plus civilisée,
la plus industrieuse et la plus riche. Depuis la réformation, elle est
devenue l'un des principaux points de centre des lumières, de la lit-
térature et des sciences. Sa population est de 29,108 habitants. Des
constructions mesquines et des rues étroites donnent, surtout dans les
anciens quartiers, une idée peu favorable de celte ville, que les eaux
rapides du Rhône divisent en deux parties inégales; cependant elle
s'est embellie sur plusieurs points; ainsi, sur les bords du lac, à la
sortie du fleuve, les quais se sont garnis de plusieurs belles habitations
et d'hôtels où le voyageur trouve tout le comfort désirable. En face de ce
quai, on traverse le Rhône sur un beau pont suspendu qui présente un
angle saillant, du côté où vient le fleuve ; les piétons et les voitures le
traversent sans cesse. Le soir une foule de promeneurs viennent y res-
pirer la fraîcheur ; vers le milieu il repose sur un terre-plein qui forme
une place circulaire, d'où l'on passe, au moyen d'un pont de fil de fer ,

696
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
dans une île transformée en joli jardin anglais, au milieu duquel s'élève
une belle statue de Pradier, en bronze et représentant l'illustre philo-
sophe genevois dans un costume romain, et méditant les profondes pensées
de son Contrat social. La place Belair, ornée de beaux édifices et d'un
marché couvert, sert d'entrée à la rue de la Corraterie, qui pourrait riva-
liser avec ce que d'autres capitales offrent de plus remarquable en ce
genre, si les deux côtés étaient garnis d'habitations aussi belles que celles
qui occupent le côté droit en montant.
Le plus beau temple de Genève est l'ancienne cathédrale, sous l'invo-
cation de saint Pierre : c'est un édifice du treizième siècle, dont le chœur
est orné de beaux vitraux, et dont les rosaces qui ornent les portes laté-
rales sont en verres colorés et modernes fabriqués à Genève et dans
d'autres lieux de la Suisse et de la France. On y remarque plusieurs
tombes de ses anciens évêques : une belle rangée de stalles en bois
sculpté dans le goût et à l'époque de la renaissance. Près du chœur, un
grand tombeau en marbre noir, supporté par des lions, serait assez remar-
quable s'il n'était pas défiguré par une statue d'une exécution grossière,
représentant le duc de Rohan, qui mourut protestant.
Les remparts de Genève servent de promenades intérieures ; mais à
l'extérieur, on trouve d'autres promenades assez belles.
En sortant par la porte du côté de l'ouest, on trouve à peu de distance,
Carouge, petite ville que l'on pourrait regarder comme un faubourg de
Genève, depuis que des omnibus se croisent sans cesse sur la route qui y
conduit. Cette petite ville est d'ailleurs assez bien bâtie et ornée de jolies
promenades.
Le luxe des habitations s'est porté hors de l'enceinte de Genève. Com-
ment ne point chercher à jouir des beautés de la nature dans un pays où
elle se montre si variée et si imposante? Les édifices de cette ville sont
peu dignes de fixer l'attention ·, sa supériorité sur les autres capitales de
la Suisse est en quelque sorte tout intellectuelle : on n'y a rien négligé
pour rendre importants ses établissements d'instruction. Sa bibliothèque
renferme 50 à 60,000 volumes et beaucoup de manuscrits; son académie,
fondée par Calvin, se compose de différentes chaires de théologie, de droit,
de médecine et d'autres branches scientifiques et littéraires; son observa-
toire est pourvu de bons instruments; le jardin botanique est riche en
belles plantes; le bâtiment du musée renferme un collection d'antiquités
et un grand nombre de débris romains découverts dans la ville : enfin plu-
sieurs sociétés savantes et littéraires y propagent dans tous les rangs le

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA SUISSE.
697
goût des plaisirs solides, et peut-être concourent-elles, avec l'influence d'un
culte sévère, à répandre ce!le pureté de mœurs que l'on remarque ici chez
les deux sexes beaucoup plus que partout ailleurs. Un des traits caracté-
ristiques du peuple gènevois, c'est son amour de la lecture : plus de
2,000 volumes de la bibliothèque publique sont constamment en circulation
chez de simples ouvriers, et jamais aucun de ces livres ne se trouve égaré.
Quelques mots suffiront pour faire apprécier les différences que l'on
remarque dans la constitution des diverses parties de la confédération
suisse.
Les vingt-deux cantons suisses forment en réalité vingt-cinq petites
républiques ; trois d'entre eux, Bâle, Unterwald, Appenzell étant subdivisés
chacun en deux États distincts. On peut les classer de la manière suivante:
D'abord se présentent six démocraties pures, Uri, Haut-Unlerwald, Bas-
Unterwald, Claris, Appenzell-Rhodes-intérieure, Appenzell-Rhodes-exté-
rieure. Dans ces cantons le peuple est censé exercer lui-même le pouvoir
souverain. Il se rassemble une fois par année en assemblée générale dite
landsgemeinde; les magistrals élus par le landsgemeinde forment le conseil
exécutif, dont le président est appelé landmmann. Le conseil cantonal ou
landralh se compose de membres dont le nombre varie suivant les can-
tons, depuis 20 jusqu'à 124, et qui sont nommés par des assemblées de
paroisses et de communes. Ce corps, sous la présidence du landmmann,
s'occupe des mesures propres à garantir l'exécution des lois, dont il a éga-
lement l'initiative. Il exerce de plus les fonctions judiciaires. Vient ensuite
une démocratie federative avec le veto populaire : le canton des Grisons.
Le gouvernement de ce canton participe à la fois de la démocratie pure et de
la démocratie représentative II y a un grand conseil composé de 65 mem-
bres nom : és annuellement par des assemblées communales appelées aussi
hautes juridictions. Chaque commune forme pour ainsi dire une petite
république particulière. Le gouvernement cantonal se compose de trois
conseillers élus par le grand-conseil, et qui doivent être pris dans les trois
lignes dont se compose le canton.
Les dix-huit autres républiques sont des démocraties représentatives:
Sehwytz, Zug, Valais, Saint-Gall, Lucerne, Bâle-ville, Bâle-campagne,
Zurich, Berne, Fribourg, Soleure, Schaffouse, Thurgovie, Argovie, Tes-
sin, Vaud, Genève et Neufchàtel. Ces États présentent, à quelques excep-
tions près, un gouvernement composé d'un grand-conseil (assemblée
législative) élu par le suffrage universel, et un conseil d'État, (pouvoir
exécutif) nommé par le grand conseil.
VII.
88

698
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
Quant à l'organisation du pouvoir central, l'autorité est exercée par uue
assemblée fédérale partagée en deux sections ou conseils: un conseil
national et un conseil des États. Le conseil national se compose des députés
du peuple suisse élus à raison d'un membre par 20,000 âmes, nommés
directement. Il serait en 1851 de 120 membres, d'après le recensement de
1850. Le conseil des États se compose de 44 députés nommés par les can-
tons, à raison de deux par chacun d'eux. Les deux conseils élisent un
conseil fédéral, le général en chef, le chef de l'état major général. Le con-
seil fédéral est composé de sept membres nommés pour trois ans.
Dans un pays comme la Suisse, où la patrie est partout et le centre nulle
part, tout doit prendre et conserver une physionomie particulière; de là
les mœurs antiques et l'amour de la liberté : de là encore la coutume qu'ont
prise les deux principales sociétés littéraires, savantes et patriotiques, de se
réunir alternativement dans les différents chefs-lieux et d'y rassembler les
fruits de leurs recherches et de leurs travaux.
En Suisse, tout citoyen qui a atteint l'âge de vingt ans est soldat; il est
tenu de s'armer, de se vêtir selon l'uniforme de son canton, et de se faire
incorporer dans une compagnie. En cas de guerre, chaque canton fournit
un contingent proportionnel à sa population. Par la nouvelle loi de 1850,
la confédération n'entretient pas de troupes permanentes, et, sauf la gen-
darmerie, nul canton ou demi-canton ne peut avoir plus de 300 hommes
de troupes permanentes, sans l'autorisation du pouvoir central: les cadres
sont seuls en permanence. L'armée fédérale estévaluéeà 104,352 hommes ;
elle se subdivise en élite et en réserve: l'élite contient 69,568 soldats, et
la réserve 34,784. Les cantons conservent encore comme milice spéciale,
environ 50,000 hommes, dont la confédération peut disposer en cas de
besoin. Le matériel de l'artillerie s'élève à 278 pièces.
Pour subvenir aux frais de l'armée et aux autres dépenses, les cantons
s'imposent en proportion de leurs revenus ou de leur population. Ces
contingents d'argent doivent être soumis à une révision tous les deux
ans. Chaque canton a son budget particulier; la somme des budgets des
cantons est d'environ 12 ou 15 millions de francs; le budget général est bien
administré. En 1854, les revenus de la confédération s'élevaient à environ
13,500,000 francs.
Nous avons vu précédemment que la Suisse n'a point de capitale per-
manente; mais l'acte fédéral de 1815 a réglé que les villes de Zurich,
Berne et Lucerne, auraient alternativement tous les deux ans le rang de
capitale; cependant le conseil fédéral doit siéger à Berne.

EUROPE. —DESCRIPTION DE LA SUISSE.
699
La confédération suisse a décrété un réseau complet de chemins de
fer, se rendant aux lignes des nations voisines ; les principales directions
de ce réseau sont les suivantes: de Bâle à Olten, de Lucerne à Locarno,
de Rhorschack à Côme, de Morges à Salins, de Lausanne à la vallée
d'Aoste.
Par le traité de Paris, les puissances européennes ont reconnu la neu-
tralité perpétuelle de la Suisse ; cependant celle-ci a compris combien les
faibles doivent avoir peu de confiance dans les promesses des forts: elle a
formé le projet d'élever des travaux de défense à Saint-Maurice et dans
quelques-uns des défilés du Valais ; de préparer un point central pour le
rassemblement de ses forces au moment du danger; et quoique l'expé-
rience ait prouvé à deux grandes époques qu'elle pouvait être facilement
envahie, lorsqu'elle n'écoutera que l'amour de la patrie, elle saura trouver,
nous n'en doutons point, des moyens de résistance redoutables dans la
nature de son sol et dans son enthousiasme pour la liberté.
TABLEAUX statistiques de la Confédération suisse.
STATISTIQUE GÉNÉRALE.
SUPERF.
POPULATION
POPULAT.
FINANCES
ÉTAT MILITAIRE.
en l. g. c.
en 1850.
par lieue c.
CD 1853.
Recette présumée. 12,450,000 fr.
2,390,116.
Dépenses
11,850,855
Armée régulière. . 72,000 h.
Réserve

36,000
Excédant. . .
599,145fr.
Avec
1,985
les voyageurs
1,204
Actif présumé au
108,000 h.
et les
31 décembre.. . 10,099,358fr.
réfug. polit. :
Passif présume au
Infanterie : 84 bataillons.
Cavalerie : 50 compagnies.
31 décembre.. . 2,917,200
2,392,740.
Artill et gén.: 29 balt.18 comp.
Reste. .... 7,182,158 fr.
STATISTIQUE DES VINGT-DEUX CANTONS.
SUPER-
POPULAT.
CITOYENS
CATHO-
NOM OU CANTON,
du
RÉFORMÉS.
VILLES PRINCIPALES.
FICIE.
totale.
canton.
LIQUES.
BERNE, 27,758. — Ber-
BERNE 351
457,921
433,113 54,044
403,769
thoud, 3,636— Bienne,
3,462.—Thune, 3,379.

ZURICH
ZU
91
250,134
233,919
6,690
243,928
RICH. 17.040.
— Win-
terthur, 5, 341.
LUCERNE 77
132,789
128,047 131,280
1,563 LUCERN E, 10,058.— Sur-
sée, 4,200.
URI 55
14,500
13,626 14,493
12 Allorf. 2,112.
SCHWITZ
Schwitz, 2,414. — Ein-
44
44.159
42,379 44,013
155
siedlen, 2,807.
à reporter
018
899,503
831,081 250,520
619,127

LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIEME.
SUPER-
POPULAT.
CITOYENS
CATHO-
NOM DU CANTON.
du
RÉFORMÉS.
VILLES PRINCIPALES.
FICIE.
totale.
canton.
LIQUES.
report :
618
899.503
851,083 250,520
649,427
Haut. . .
13,798
12 982
13.783
16
Sarven. 1,299.
UNTERWALD. .
33
Bas. . . .
11,337
10.607
11,327
12
Stanz. 1,877.
GLARIS
39
30,197
28.969
3 932
26 281
Glaris, 4,082.
ZIG
15
17,456
14.872
17,336
125
Zug. 3,302.
FRIBOURG
66
99.803
91,125
87,753
12.133
Fribourg, 9,065.
SOLEURE
35
69,613
64,044
61,506
8,097
Soleure. 5.370.
BALLE ville
24
29,555
1 ,2U
5,508
24,083
Bâle. 27,313.
24
Campagne
47,83 ι
39,044
9,052
38.818
Liestall, 3,032.
SCHAFFHOUSSE.
16
35,278
31.645
1,411
35.880 Schaffhousse, 7,710.
42, 744 Appenzell, 2 910.
Rhodes ext.
43,599
39.929
875
APPENZELL .
20
42, 744 Herisau, 8.387.
Rhodes int.
11.270
10,72!
11,230
42 Trogen. 2,611.
SAINT-GALL. .
100
169 508
150.924 105.370
64.192
Saint Gall. 11,234.
GRISONS
340
89,840
84, 478
38,039
51,855
Coire, 5,913.
ARGOVIE
Arau. 4,627.— Zofingen,
80
199,720
189,558
91,096
107.194
3 559.—Baden 2,745.
THURGOVIE
36
88,819
81,220
21,921
66,984
Frauenfeld, 3,544.
Luyano, 5,142. — LO-
TESSIN
136
117,397
109,422 117,707
50
carno, 2,676. — Bel-
linzona. 1 926.
Lausanne , 20,000. —
VAUD
Veve.v,5 201 — Yver-
156
199,453
177,030
6,962
192,225
dun. ;!,619.— Morges,
3,241.
VALAIS
220
81,527
78,539 81,128
430
Sinn, 3,516.
Neuchâtel,
7727. —
NEUCHATEL
Chaud - de - Fonds,
39
70,679
44,335
5,570
69,952
12,638. — Le Locle ,
8,514.
GENÈVE
12
63.932
39,756
29.764
34,212
Genève, 29,108.
1,9.85
2,390,116 2,161,590 971,840 1,417,754
TABLEAU DE LA POSITION DES LIEUX PRINCIPAUX DE L'ITALIE ET DE LA SUISSE
NOMS DES LIEUX
LATITUD.
LONGITUDE
NOMS DES LIEUX
LATITUD.
LONGITUDE
ET LEUR ALTITUDE.
SEPTENT.
ORIENTALE.
ET LEUR ALTITUDE.
SEPTENT.
ORIENTALE.
deg.m; sec. deg m. sEC.
deg .m sec. deg .m. sec.
Adria (57m).
45
3
6
9 43 10
Bertinoro (la paroisse).
Albano
41 43 50 10 17 11
(269m) 44 S 3 9 47 41 E.
Alghero (cathédrale).
.
40 33 26
5 58 57
Bologne (Observatoire). . 44 29 54
a 0 36
Ancône. fanal
43 37 42 11 10 11
Id. (Sainte-Petrone). . . 44 20 39
9
0
1
Acqua-Negra, (27m).
. .
45
9 27
8
5 24
Bormio (la par.) (126.m). 66 27 47
8
2 16
Aquila(glaeier (3392m.).. 46 26 20
6 41 47
Bovolenta (3m)
45 15 54
9 36
2
Arcole 51m)
45 21
9
8
6 30
45
Bozzolo
6
6
8 9 56
Argental (cap.)
42 23 25
8 50
0
Rrescia de château). . . . 45 32 19
7 53
8
Arono S.-Charles)
. . , 45 45 57
6 12 43
Cagliari (tr S.-Pancrazio). 39 13 14
6 47 24
Asmara (I ), pte Scomu-
Cabliero 45 24 18 8 50 40
nica (395m)
41
5 49
5 87 47
Camerino 43 6 26 11 4 3
Assise
43
4 22 10 14 24
Capraja (monte Caslello). 43
3
5
7 2S 40
Avulli
46 10
8
3 39 37
Caprera île) pte Tejalone. 41
12 52 7
S 33
Bagna Cavallo (6m).
. . , 44 24 38
9 38
4
Caravaggio de dôme). .. 45 29 31
7 18 18
Bâle.
47 33 24
5 15 30
Casai Maggiore
44 59 11
8
5 34
Baradello
45 47 23
6 45 19
Castel Franco tour) (45m). 45 40
1
0 35 19
Bassano l'horlog ) (163m), 45 45 45
9 23 46
Castiglione fort).
. . .
32
4 2 45 58
8
34
Bellavista (cap), la tour.
39 55 50
7 23
7
Caverno (glacier) (3277m). 46 24 26
(i
7 40
Bellinzona (tour) (303m).
46 11 20 6 40 55
Cavoli (tour de) 39 5 8 7 12 26
Bellune(cl. princ.) (442m). 46
7 59
9 52 43
Cerea (18m) 45 11 25. S 52 il
Bergamo
45 41 55
7 20 53
Cervia (t. de la vile) (1m). 44 15 20 10
0 35
Bernard (mont S.-), l'hos-
Cesène 44 7 56 9 54 24
pice (2491m).
.
. . .. 45 50 16 ! 4 44
4
Chambérv (cathédrale). . 45 34
8
3 34 47
Berne (Observatoire).
. . 46 57
6] 5
6 17
3
Chiavenna (le dô.) (373). 46 18 59 7
58
Ce tableau est extrait de la Connaissance des temps pour 1850, il est emprunté au travail de M. P D. Daussy

EUROPE.—TABLEAU DE LA POSITION DE L'ITALIE ET DE LA SUISSE.
701
NOMS DES LIEUX
LATITUD
LONGITUDE
NOMS
DES
LIEUX
LATITUD
LONGITUDE
IT LEUR ALTITUDE.
SEPTENT.
ORIENTALE.
ET LEUR ALTITUDE.
SEPTENT.
ORIENTALE.
deg.m sec
deg m. sec.
deg m.sec. deg.m.sec.
Chioggia (le dôme) (1m). . 45 12 45 9 56 17 Ε,
Mont-Blanc(4811m). . . .
49 58 4 31 30 E.
Citadella (lour) (86m). . 45 38 40 9 26 43
Mont-Cenis (hospice). . . 45 14 8 4 35 47
Civila-Vecchia
42 5 21
9 23 41
Moutebello (château). . . 45 27 28 9 2 31
Colognola (I75m). . . .. 45 25 43 8 52 57
Monte-Braglio (2980m). . 46 31 41
8 2 53
Commachio, S.-August I
Monte-Christo
42 20 26 7 58 24
(42m)
44 41 16
9 51 7
Monte-Foscano (3088m).. 46 27 43 7 51 32
Como (dôme)
45 48 26 6 44 36
Monte-Legnone (2612m). 46 5 25 7 4 28
Conegliano (chât ) (170m). 45 53 5 9 57 21
Mont-Rossa, (4636m).
. 45 56
1
5 31 42
Crema (dôme) (78m). . . . 45 21 47
7 21
6
Mont-Viso (3840m). . . . 4 4 40 2 4 45 10
Crémone (dôme) ( 45m). . 45 8
1
7 41 22
Monza
45 34 4.5 6 50
6
Domo d'Ossola (306m)
. .46
43
5 57 0
Mortory (île). ...
41 4 42 7 16 40
Edolo (754m)
46 10 3
7 59 46
Naples (observatoire). . . 40 51 47 11 54 57
Este
45 13 30
9 18 51
Id fanal
40 50 15 11 55 8
Etna (mont) (3237m).. .. 37 45 4
2 41 10
Neufchâtel (438m)
46 59 33 4 35 32
Nice (S.-François) (54m). . 43 41 58 4 56 32
Faenza (le dôme) (86m). . 44 16 4
9 32 48
Nocera
43 6 40 10 25 13
Falcone (cap.), la tour
Novare (Saint-Gaudenz)
(1 9m)
40 57 1,
5 51 56
(159m)
45 26 56 6 17 2
Fano, fanal
43 51 166 ίΟ 40 56
Novi (56m)
44 53 7 8 33 50
Feltre le dôme) (366m). .. 46 0 5
9 34 19
Fermo (clocher)
43 9 5
11 23 12
Oristano (Torre grande). 39 54 19 6 11 16
Ferrare (S.-Benoit) (9m) . 44 50 18
9 16 29
Osimo
43 28 40 11
9 2
Finster ar. horn. (4288m). 40 32 16
5 47 33
Otrante de télégraphe). . 40 8 46 16 10 5
Morence (Ob du college). 43 46 41
8 55 0
Padoue(S -Justine) (14m). 45 23 41
9 32 24
Id. (cathédrale)
43 40 36 8 55 6
Id. (observatoire). . . . 45 24 3 9 31 44
Forli (S -Vlarziano) (96m). 44 13 4 9 42 10
Palerne, ianal
38 8 15 11 2 41
Fribourg..
40 48 24 4 49 43
Id. (observatoire). . . . 3S 6 44 11
1 0
Fuentès(fort)
46 8 36 7 3 53
Palma-Nuova (5:)"') . . . 45 5ί 5 10 58 17
Gall. (S.-), Observatoire. 47 25 39 7 2 18
Parme (S -Jean) (49m). . 44 48 15 7 59 44
Garda
45 34 6 S 22 14
Passariano (37m)
45 56 39 10 40 22
Gènes, fanal (114m). . .. 44 24 18 β 34 0
Passarο (fort)
:I6 41 30 12 49 41
Genève (ancien Observat )
Pavie (la tour) (139m). . . 45 11
6 6 49 2
(404m). . .
46 12 0 3 48 41
Périualdo
43 52 6 5 22 45
Id. (S -Pierre)
46 12 5 3 48 30
Pérouse
43 6 46 10 1 58
Gennargentu (m )1918m (. 40 0 57 6 58 24
Pésaro.. .
43 55
1 10 32 32
Girgenti, fanal
.
... 37 15 39
1 12 25
Peschiera
45 26 6 8 21 11
Gorgone (île), sommet. 43 25 46 7 33 25
Piacenza (dôme)
45 2 44 7 21 24
Gothard (Saint-), glacier,|
Pianosa (île)
42 35 24 7 45 55
(2961m)
46 32
6 11 8
Pierre (S -, île, Guardia
Guastalla
44 54 56 8 18 43
dei Mori
39 9 40 5 57 14
Piombino. ...
. . . 42 55 27
Imola (S. Cauziano) (97
8 11 17
m)
44 20 55 9 22 19
Isula-Bella
Pise (anc observatoire).. 43 43 12 8 3 34
45 53 16 6 11 32
Id. (tour penchée). . .. 43 43 28 8 3 32
Lampedouse (île)
35 31 15 10 10 16
Pordenone (le dô ) (85m). 45 57 0 10 19 30
Lausanne (cath.) (528m). . 46 31 22 4 17 43
Porto
41 46 44 9 53 21
Legnago
45 11 23 8 58 13
Porto Ferrajo, le fanal. . 42 49 6 7 59 52
Linas (mont) (1243m). . . 39 26 49 6 17 24
Livourne, fanal
Ravenne (t. de la vil (1
43 .32 41
7
m),
57 25
44 24 50 9 51 39
Lodi (tour)
Razu (mont), pr Bono
45 18 34 7 9 45
(1248»)
Loreto
43 26 40 11 16 47
40 25 16
6 40 30
Recanati (t- de la ville)
.
Lucerne
47
3 Mi 5 58 30
43 24 26 11 13 3
Lucques (tour de l'bôrl.)
Reggio (la madone) (104).
13 50 49, 8 10 26
44 41 39
8 17 10
Rimini, fanal
Lugano
46 0
1 6 36 28
44 4 39 10 14 5
Luzzara (le dôme) (19
Ripa Transone(S.-Franç.) 42 59 33 11 25 15
m).
44 57 23 8 20 48
Rivoli
.5 34 2
8 28 24
Macerata
43 18 36 11 6 0
Rome (S.-Pierre) (29m). . 41 54 6 10 6 50
Madona ( di San Luca )
Id. (Coll. romain)(59m). 41 53 bi 10 8 28
(285m)
44 28 27 8 57 31
Roveredo
45 55 36 8 40 20
Malamocco
45 22 19 9 59 57
Rovigo (M. del Soccorso, 454 5 9 27 17
Malle (observatoire). .
35 53 Ό 12 11
6
Sablonetta. .
Manloue la gabbra) ( 1
44 59 47 8 9
1
6m). 45
9 34 8 27 37
Sacile (le dôme) 69m). . .
Maritime (le château)... 38
1 10 9 44 40
45 56 55 10 9 51
Mazzara
Sassari (château) (2 0
37 39 56 10 14 44
m).. 49 43 3
6 13 56
Medicina (78
Schaffausen (cathédrale). 47
m)
44 2S 17 9 18 7
41 46 6 18 13
Messine, l'anal
38 11
3
Sienne (cathédrale ....
13 14 30
43 19 16 8 59 56
Mestre (37
Sinigaglia (cathédrale). . 43 43 2 10 52 56
m)
45 29 17 9 54 8
Milan (observatoire). . . . 45 28
1
Soleure
6 50 56
47 12 32 5 12 21
Id. (cathédrale) (120
Sondrio de dôme) (363m). 46 10 Ο 7 31 56
m).. 45 27 35 6 51
5
Miran ola (tour) (13
Spezzra la), lazaret.. . . 44 4 13
m) . . 44 52 52
8 43 33
7 31 12
Spilembergo (led.) (131
Modène tour Ghirland.)
m). 46
6 19 10 33 59
Spolète.
. .
(34
42 44 50 10 15 31
m)
44 38 50 8 35 18
Mondovi (tour) (554
Superga (coupole) (671m). 45 4 34
m)... 44 23 8
5 29 15
5 25 35
Syracuse, le fanal. . . .·
Monopoli (télégraphe),.. 40 57 19 14 58 34
37 2 58 12 57 35
Montalto
42 59 44 11 14 85
Tavolara (tour),
40 54 48. 7 23 42

702
LIVRE CENT SOIXANTE-QUINZIÈME.
NOMS DES
LIEUX
LATITUD.
LONGITUDE
NOMS
DES
LIEUX
LATITUD.
LONGITUDE
IT LEUR ALTITUDE.
SEPTENT.
ORIENTALE.
IT LEUR ALTITUDE.
SEPTENT.
ORIENTALE.
deg.m.sec.
deg.m.sec. deg m.sec.
deg.m.sec.
Varèse
... 45 48 50 6 29 11 E.
Teglio (887m)
46 10 4
7 43 39 Ε
Venise (St. Mare) (1
45 25 55
9 59 54
Terracina
41 18 14 10 52 18
m). . .
Vérone (observatoire). . . 45 20 8 8 38 50
Testa (cap della)
41 14 12 6 48 48
Id. (t de la ville)
45 26 10
8 39
0
Teulada (cap)
38 51 53 6 18 54
(59m).
Vésuve
40 49 14 12
5 20
Toro (rocher)
38 51 34
6
4 58
(1198m)
Vicenza lour de la ville). 45 32 40
Tortoue (château)
9 13
9
(206m).
44 53 20 6 31 59
Vigevano (tour de la ville)
Trémiti (île), télégraphe
sur St–Nicolas
(107m) 45 19 1
42
7 30 13 10 49
6 31 17
Ville-Franche, fan. (66m). 43 40 30 4 59 26
Trevise (t.de la vil.)
9 54 24
(69m)
45 39 41
Voghera 44 59 23 6 41 41
Turin (observ. nouveau)- 45 4 8 5 21 12
Voghiera
44 45 10
9 24 38
Udine
46
3 36 10 53 55
Urbino
47 22 33
Zurich
43 43 12 10 17 50
6 12 18
Valvasone (97m)
45 59 29 10 31 29
FIN DU TOME SEPTIEME.

TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS CE SEPTIÈME VOLUME.
Pages
LIVRE CENT CINQUANTE-TROISIÈME. — Suite de la Description
de l'Europe. — Description physique générale de l'Allemagne. —
Ordre à suivre dans la description topographique des différents
Etats de cette contrée.

1
Méthode suivie dans cette description.
Ibid
Montagnes de l'Allemagne. — Monts Hercynio-Carpathiens. — Erz-gebirge. —
Sudeten-gebirge. — Gesenker-gebirge. — Fichtel-gebirge. — Bœhmer-wald. —
Mæchrisches-gebirire. — Mittel-gebirge. — Franken-wald. — Thuringer-wald.—
Rliœn -gebirge. — Spessart. — Hœhe. — Meisner. — Wester-wald. — Brocken. —
Harz.
Steiger-wald. — Rauhe-Alp. — Schwarz-wald. — Oden-wald. — Don-
nersberg. — Hundsrück. — Hohe-Veen. — Eifel.
Ibid
Plaines et vallées.
{
Fleuves. — Le Danube et ses affluents. — Le Rhin et ses affluents. — L'Ems. — La
Verra. — La Fulda. — Le Wéser. — L'Elbe et ses affluents. — L'Oder et ses
affluents. — Lacs remarquables.
6
Climat de l'Allemagne. — Division en trois grandes zones. — Eaux minérales.
11
Productions des trois règnes minéral, végétal et animal.
13
Ordre a suivre dans la description de l'Allemagne et tableau de la situation physique
des différents États de l'Allemagne.
21
LIVRE CENT CINQUANTE-QUATRIÈME. - Suite de la Description
de l'Europe. — Allemagne septentrionale. — Monarchie prussienne.
— Coup d'œil historique et physique. — Description topographique
des provinces polonaises et des provinces à l'est du Wéser.

22
Territoire dont se compose la monarchie prussienne; ses limites.
Ibid
Coup d'œil historique. — Ancienne population. — L'ordre teutonique. — Origine du
royaume de Prusse; ses agrandissements.
23
Description physique de la Prusse. — Nature du sol. — Fleuves. — Lacs. — Côtes.
— L'ambre jaune. — Richesse agricole. — Forêts. — Animaux.
28
Description de la province de Prusse. — Prusse orientale : Kônigsberg, Pillau, Weh-
lau, Insterbourg, Gumbinnen, Tilsit, Memel, Braunsberg, Rastenbourg, etc. —
Prusse occidentale : Dantzig, Marienbourg, Elbing, Marienwerder, Culm, Thorn.
— Mœurs des habitants de la Prusse orientale et de la Prusse occidentale.
32
Description de la province de Posnanie ou du grand-duché de Posen. — Etat phy-
sique ; état moral. — Posen, Rogasen, Bomst, Lissa, Rawitsch, Görden, Kempen,
Bromberg, Gnesen, etc.
37
Description de la province de Silésie. — Anciens peuples. — Aperçu historique. —
Etat physique ; état moral. — Breslau, Namslau, Oppeln, Tarnowitz, Ratibor,
Neisse, Schweidnitz, Glatz, Liegnitz, Glogau, Bunzlau, Görlitz, etc.
40
Description du Brandebourg. — Anciens habitants. — Aperçu historique. — Elat
physique ; état moral. — Züllichau, Francfort-sur-l'Oder, Beeskow, Kottbus. Post-
dam, Berlin, Charlottenbourg, Spandau, Brandebourg, Havelberg, Perleberg,
Rheinsberg, Bernau, Landsberg, Angermunde, Neustadt-Eberswald, Pranzlau, etc.
52
Description de la province Poméranie. — Anciens habitants. — Etat physique. — Ile
de Rugen ; ses anciens habitants, leur industrie. Bergen, Sagard, Putbus. Mœurs
et coutumes. — Iles de Hiddensée, d'Ummanz, d Usedom et de Wollin. — Stral-
sund, Grefiswalde, Wolgast, Anklam, Stettin, Neu-Stargard, Neu-Treptow, Col-
berg, Coslin, Neu-Stettin, Polzin, Rügenwalde, etc.
68

704
TABLE DES MATIÈRES.
Description de la province de Saxe ; composition, divisions, limites, étendue, popu-
lation. — Anciens habitants. — Etat physique, industrie, religion. — Wittemberg,
Bitterfeld, Torgau, Naumhonrg, Weissenfels, Groos-Gorschen, Lutzen, Rossbach,
Mersebourg, Halle, Vettin, Eisleben, Hett tadt, Erfurth, Nordhausen , Hedigen-
stadt, Mublhausen, Quedhmbourg, Halberstadt, Maydebourg, Schœnebeck, Tan-
germunde.
75
LIVRE CENT CINQUANTE-CINQUIÈME. - Suite de la Description
de l'Europe. — Allemagne septentrionale — Monarchie prussienne.
— Description tonographique des provinces situées à l'ouest du

Weser. — Coup d'œil statistique et politique sur l'ensemble des pos-
sessions de la Prusse.
86
Description de la province de Westphalie. — Anciens habitants. — Etat physique.
— Münster, Bocholtz, Minden, Enger, Herlorden, Paderborn, Lügde, Soest,
Hamm, Dormund, Schwelm, Olpe, Siegen, etc.
Ibid.
Description de la province de la Prusse-Rhénane, ancien duché de Clèves et de Ju-
liers. — Anciens habitants. — Etat physique.— Clèves, Emmerich, Wesel, Ober-
wesel, Geldern, Duisbourg, Crevelt, Dusseldorf, Elberfeld, Barmen, Solingen,
Cologne, Woringen, Deutz, Zulpich, Bonn.— Ancien duché du lias-Rhin. —
Anciens habitants. — Etat physique. — Aix-la-Chapelle, Duren, Eupen, Malmedy,
Neuwied, Coblentz, Andernach, Boppart, Bacharach, Treves, Sanebourg, Sarre-
louis, Sa: rebrück, etc.
92
Principauté de Lichtenberg. — Enclaves de Wetzlar, de Wandersleben , de Rabniz,
de Suhla, de Gefell, de Benneckenstein, de Lobnitz, d'Hehlingen de de Wolfsbourg.
111
Coup d'œil statistique, gouvernement, administration, finances, état milita re, ma-
rine, industrie, commerce, voies de communication, chemins de fer, instruction
publique. — Provinces qui l'ont partie de la Confédération. — Armes royales. —
Pavillon prussien. — Simplicité des mœurs de la cour.
113
Tableau de la statistique générale de la Prusse.
119
Tableau des divisions territoriale et politique de la Prusse, avec leur superficie et leur
population.
120
Tableau de la population des provinces et des régences, par religions, en 1846.
123
Tableau statistique des finances en 1852.
Ibid.
Tableaux de la composition de l'armée et des divisions militaires en 1852.
125
Tableau de la marine marchande de la Prusse en 1852.
127
LIVRE CENT CINQUANTE-SIXIÈME. - Suite de la Description de
l'Europe. — Allemagne septentrionale. — Description des deux
grands-duches de Mecklembourg-Shwerin et de Mecklembourg-
Strelitz.— Description des trois villes libres de Lubeck, de Ham-

bourg et de Brême.
128
Position, limites. — Anciens peuples. — Aperçu historique. — Etat physique. —
Division, état politique, gouvermment et administration.
Ibid.
Description du Mecklembourg-Strelitz. — Stargard , Art-Strelitz, Neu-Strelitz, Ratze-
bonig.
132
Description du Mecklembourg-Schwerin. — Wismar, Rostock, Warnemunde, Schwe-
rin, Mecklembourg, Grabow, Güstrow.
133
Origine de la hanse. — Aperçu historique de la ligue hanséatique. — Villes hanséa-
tiques.
136
Ville libre de Lubeck ; son territoire, sa superficie, sa population, son importance. —
Travemunde.
140
Ville libre de Hambourg; son territoire, sa superficie, sa population, son importance.
— Bergedorf, Cuxuhaven.
142
Ville libre de Brême ; son territoire, sa superficie, sa population, son importance.
146
Organisation judiciaire des trois villes libres ; rang dans la Confédération.
148
Tableau statistique du grand-duché de Mecklembourg-Strelitz.
Ibid.
Tableau statistique du grand-duché de Mecklembourg-Schwerin.
149
Tableaux statistiques des trois villes libres de Lubeck, Hambourg et Brême.
150
LIVRE CENT CINQUANTE-SEPTIÈME. — Suite de la Description de

TABLE DES MATIÈRES.
705
Pages
l'Europe. — Allemagne septentrionale. — Description du royaume de
Hanôvre. — Description du grand-duché d'Oldenbourg et de la sei-
gneurie de Kniphausen.
.
151
Description du royaume de Hanovre. — Anciens peu ples. — Caractère du Hanôvrien.
— Aperçu historique sur la maison de Hanovre.
Ibid.
Position, limites du royaume.— Aspect physique, cours d'eau. — Constitution géo-
gnostique.— Harz. — Lacs. — Climat. — Richesses naturelles.— Forêts. — Pro-
duits métalliques. — Division de la propriété foncière. — Agriculture. — Fruits.
— Fabriques. — Routes et chemins de fer. — Commerce.
152
Divisions administratives.— Nombre d'habitants par cultes.— Administration du
royaume. — Armée. — Places de guerre.
159
Hanôvre, Gronau, Alfeld , Einbeck, Dassel, Uslar, Hardegsen, Göttingue, Hameln,
Münden, Duderstadt, Osterode, Herzberg, Saint-Andreasberg, Elbingerode, Claus-
thal, Goslar, Hildesheim, Berg, Peina, Burgdorf, Zell, Lunebourg, Harbourg,
Emden.
161
Iles du Hanovre.
168
Norden, Aurich, Meppen, Osnabrück.
169
Revenus et dette publique.
170
Ile d'Helgoland.
Ibid.
Grand-duché de Holslein-Oldenbourg ; ses dimensions, ses limites, sa population. —
Anciens habitants.
Ibid.
Aperçu historique sur la maison d'Oldenbourg.
171
Etat physique, climat. — Langue. — Gouvernement.
172
Oldenbourg, Delmenhorst, Wildeshausen, Vechta, Vorel, Friesoite, Jever, Eulin, Bir-
kenfeld, Oberstein.
175
Armée, revenus, dette publique du grand-duché.
177
Seigneurie de Kniphausen.
Ibid.
Tableaux statistiques du royaume de Hanôvre.
178
Tableaux statistiques du grand-duché d'Oldenbourg.
179
Tableau statistique de la seigneurie de Kniphausen.
Ibid.
LIVRE CENT CINQUANTE-HUITIÈME. — Suite de la Description
de l'Europe. — Allemagne septentrionale. — Description du duché
de Brunswick ; des principautés de Lippe-Detmold et de Lippe-
Schauenbourg ; des duchés d'Anhalt-Dessau, d'Anhalt-Bernbourg et
d'Anhalt-Kœthen.
180
Anciens habitants.
ibid.
Duché de Brunswick; pays qui le composent. — Superficie, population.— Etat phy-
sique.
Ibid.
Brunswick, Wolfenbüttel, Helmstedt, Wechel, Harzbourg, Séesen, Holzminden, Blan-
kenbourg, Hasselfelde, Kalworde, etc.
181
Statistique, administration et rang du grand-duché de Brunswick.
183
Aperçu historique sur la maison de Brunswick.
Ibid.
Principauté de Lippe-Detmold. — Superficie, population. — Etat physique. — Gou-
vernement, rang. — Villes principales.
184
Principauté de Lippe-Schauenbourg. — Superficie. — Etat physique. — Gouverne-
ment. — Villes.
185
Aperçu historique sur la maison d'Anhalt.
186
Position, superficie, population, rang, administration des duchés d'Anhalt.
187
Duché d'Anhalt-Dessau ; ses villes. — Duché d'Anhalt-Bernbourg; ses villes.
Duché d'Anhalt-Kœthen ; ses villes.
188
Tableaux statistiques du duché de Brunswick.
190
Tableaux statistiques des principautés de Lippe et des duchés d'Anhalt.
191
LIVRE CENT CINQUANTE-NEUVIÈME. - Suite de la Description
de l'Europe. — Allemagne centrale. — Description du duché de
Nassau, des grands-duchés de Hesse-Darmstadt et de Hesse-Cassel,
VII.
89

706
TABLE DES MATIÈRES.
du landgraviat et de Hesse-Hombourg, de la république de Franc-
fort et de la principauté de VValdeck.
192
Duché de Nassau. — Etat physique. — Industrie. — Aperçu historique. — Nassau et
les autres villes. — Gouvernement.
193
Anciens peuples des Etats hessois. — Aperçu historique sur les princes de la maison
de Hese.
195
Hesse-Electorale ou Hesse-Cassel. — Limites, fleuves, montagnes. — Etat physique.
196
Industrie, commerce.— Gouvernement, religion, finances.— Cassel, Cuxhagen,
Fulde, Hanau, etc.
198
Grand-duché de Hesse-Darmstadt. — Etendue, population, limites, enclaves.— Etat
physique. —Industrie, commerce. — Religion, gouvernement, administration,
division.
Darmstadt, Worms, Mayence et autres villes.
201
Landgraviat de Hesse-Hombourg. — Superficie, population.— Administration.—
Villes.
208
République de Francfort. — Aperçu historique. — Territoire, superficie, population.
— Religion.
Ibid.
Francfort; son gouvernement, son industrie, son commerce.
209
Principauté de Waldeck. — Superficie, population. — Etat physique. — Villes.
211
Tableaux statistiques du duché de Nassau.
213
Tableaux statistiques des Etats hessois.
214
Tableau statistique de la république de Francfort.
215
Tableau statistique de la principauté de Waldeck.
Ibid.
LIVRE CENT SOIXANTIÈME. — Suite de la Description de l'Eu-
rope. — Allemagne centrale. — Description des quatre duchés et du
royaume de Saxe, des deux principautés de Sehwartzbourg, et des
trois principautés de Reuss.
216
Aperçu historique sur la maison de Saxe.
Ibid.
Grand-duché de Saxe-Weimar. — Limites, superficie, population. — Etat physique.
— Weimar et autres villes.
Ibid.
Duché de Saxe-Meiningen-Hildbourghausen. — Limites, superficie, population. —
Villes, etc.
219
Duché de Saxe-Altenbourg. — Superficie. — Etat physique. — Gouvernement. —
Villes.
221
Duché de Saxe-Cobourg-Gotha. — Limites, population. — Etat physique. — Gou-
vernement. — Villes.
222
Royaume de Saxe. — Aperçu historique. — Superficie, population. — Etat physique. 224
Gouvernement, administration. — Dresde, Leipsick, Freyberg et autres villes.
226
Etats de Schwartzbourg ; leur composition, leur gouvernement. — Etat physique.
231
Principauté de Schwarzbourg-Rudolstadt. — Superficie, population. — Villes.
232
Principauté de Schwarzbourg-Sondershausen. — Superficie, population. — Villes.
233
Etats de la maison de Reuss. — Aperçu historique. — Reuss-Greitz.— Reuss Schleitz.
— Reuss-Lobenstem-Ebersdorf. — Superficie, population. — Villes.
234
Tableaux statistiques du grand-duché de Saxe-Weimar, de Saxe-Me ningen, de Saxe-
Altenbourg et de Saxe-Cobourg-Gotha.
.
236
Tableaux statistiques du royaume de Saxe.
237
Tableaux statistiques des principautés de Schwartzbourg.
238
Tableaux statistiques des principautés de Reuss.
Ibid.
LIVRE CENT SOIXANTE - UNIÈME. — Suite de la Description de
l'Europe. — Allemagne méridionale. — Description des principautés
de Liechtenstein, de Hohenzollern-Sigmaringen, de Hohenzollern-
Hechingen, et du grand-duché de Bade.
239
Principauté de Liechtenstein. — Supe; ficie, population. — Administration. — Villes. Ibid.
Principautés de Hohenzollern-Sigmaringen et de Hohenzollern-Hechingen. — Situa-
tion, limites, population. — Villes principales.
240

TABLE DES MATIÈRES.
707
Pages
Grand-duché de Bade. — Position, limites, superficie, population. — Etat physique.
242
Industrie, commerce. — Aperçu historique. — Administration. — Statistique.
244
Wertheim, Manheim, Heidelberg, Philippsbourg, Carlsrühe, Offenbourg, Fribourg,
Constance, Donaueschingen et autres villes.
246
Gouvernement. — Etat actuel.
.
251
Tableau statistique de la principauté de Liechtenstein.
252
Tableaux statistiques du grand-duché de Bade.
Ibid.
LIVRE CENT SOIXANTE-DEUXIEME. — Suite de la Description de
l'Europe. — Allemagne méridionale. — Description des royaumes de
Bavière et de Wurtemberg.

253
Royaume de Bavière. — Limites, situation. — Montagnes, fleuves, lacs. — Climat.
Ibid.
Anciens habitants. — Aperçu historique sur la maison de Bavière.
256
Productions naturelles. — Industrie, commerce. — Population, religion. — Gouver-
nement.
261
Divisions politique de la Bavière.
264
Cercle de Haute-Bavière. — Munich et ses environs, Traunitz, Freising, etc., etc.
Ibid.
Cercle de Basse-Bavière. —Passau, Straubing, Bodenmaïs, etc , etc.
269
Cercle du Palatinat supérieur. — Ratisbonne, Ingolstatd, Abensberg, etc., etc.
Ibid.
Cercle de Haute-Franconie. — Bayreuth, Bamberg, Hof, Kulmbach, etc, etc.
271
Cercle de Moyenne-Franconie. — Anspach, Erlangen, Nuremberg, Schwabach, etc.
272
Cercle de Basse-Franconie. — Würtzbourg, Aschaffenbourg, etc., etc.
274
Cercle de Souabe et de Neubourg. — Augsbourg, Neubourg, Donawerth, Kempte$n, etc.
275
Cercle du Palatinat ou Bavière Rhénane. — Position, superficie, population. —Spire
et autres villes.
277
Gouvernement et état actuel.
280
Royaume de Wurtemberg. — Superficie. — Etat physique.
281
Anciens habitants. — Aperçu historique. — Climat. — Production, industrie, com-
merce.
283
Revenus, armée, administration, gouvernement, etc., etc.
284
Divisions. — Stuttgard, Heilbronn, Ellwangen, Rutlingen, Tubingen, Ulm, Ribe-
rach. — Caractère moral du peuple.
286
Tableau statistique du royaume de Bavière.
290
Tableau statistique du royaume de Wurtemberg.
292
LIVRE CENT SOIXANTE-TROISIÈME. — Suite de la Description de
l'Europe. — Allemagne méridionale. — Empire d'Autriche. — Des-
cription du royaume de Bohême, de la Moravie et de la Silesie autri-
éhienne.

293
Etats qui composent les possessions de la maison d'Autriche.
Ibid.
Bohême. — Superficie, population. — Géographie physique. — Productions miné-
rales, climat.
294
Anciens habitants. — Aperçu historique. — Administration actuelle.
297
Habitants, races, langue, caractère moral, costume, etc., etc.
301
Productions naturelles, industrie, commerce, etc.
303
Routes et chemins de fer.
305
Prague, Reichenberg, Theresienstadt, Töplitz, Budweis, Tabor, Konigsgrätz, etc.
Ibid.
Instruction et écoles en Bohême.
307
Moravie et Silésie autrichienne. — Etendue. — Division. — Limites. — Montagnes.
303
Anciens peuples. — Langue. — Nation allemande. — Religions. — Climat. — Pro-
ductions. — Richesses minérales.
309
Industrie. — Gouvernement.
312
Brüun, Austerlitz, Buchlowitz, Luhatschowitz, Poleschowitz, Hradisch, Strany,
Nikolsbourg, Eisgrab, Iglau, Trebilsch, Kromau, Ingrowitz, Oimütz, Kremsier,
Prerau, Weisskirschen, Toplitz, lagerndorf, Toppau, Teschen, Vielitz.
313

708
TABLE DES MATIÈRES.
Pages
LIVRE CENT SOIXANTE QUATRIEME. — Suite de la Description
de l'Europe. — Allemagne méridionale. — Empire d'Autriche. —
Description de l'archiduché d'Autriche.
317
Superficie, divisions, état physique.
318
Anciens habitants. — Aperçu historique. — Langue. — Caractère.
320
Agriculture, industrie, commerce. — Routes et chemins de fer, etc., etc.
321
Vienne, ses faubourgs, ses environs.
325
Kloster-Neubourg, Baden, Neustadt, Bruck, Krems, Stein, Polten, Awischofen,
Wagram, etc., etc.
335
Lintz, Steyer, Gmünden, Halstadt, Bischofshofen, Mauterdorf, Tamsweg, Saalfalden,
Salzbourg, etc., etc.
337
Caractère moral de l'Autrichien. — Costume. — Langue.
340
LIVRE CENT SOIXANTE-CINQUIÈME. — Suite de la Description de
l'Europe. —Allemagne méridionale. —Empire d'Autriche. —Descrip-
tion du comté du Tyrol, du duché de Styrie et du royaume d'Illyrie.
341
Origine du nom du Tyrol. — Anciens habitants. — Etat physique.
342
Population, industrie. — Caractère du Tyrolien. — Gouvernement.
344
Villes, bourgs et villages —Bregenz, Feldkirch, Imst, Insbruck, Amras, Schonberg,
Hall, Prunecken, Botzen, Trente, Boveredo, etc., etc.
346
Ancien nom de la Styrie, anciens habitants. — Aperçu historique.
350
Bornes du duché de Styrie. — Superficie, population. —Etat physique.
352
Divisions politiques. — Gouvernement. — Exportation, revenus.
Ibid.
Aussée, Eisenarzt, Maria-Zell, ludenbonrg, Rohtisch, Gratz, Raokersbourg, Leibnitz,
Marbourg, Cilly, Toplitz, Ran, Voitzberg.
354
Illyrie, ses anciens habitants. — Aperçu historique. — Bornes, superficie, popula-
tion et division.
358
Etat physique, production, langue, etc., etc.
359
Ferlach, Klagenfurth, Bleiberg, Krainbourg, Laybach, Kerso, Neustadt, Kuskoken,
Gottschée, Göritz, Aquilée, Trieste, Capo-d'Istria, Rovigo, Pola.
362
Iles du littoral illyrien.
366
Coup d'œil sur l'ensemble des États autrichiens allemands.
367
Tableau de la statistique générale de l'empire d'Autriche.
371
Tableau de la statistique des différents États qui composent l'empire d'Autriche,
d'après les documents de 1850 et 1851.
Ibid.
Tableau de la population de l'empire d'Autriche par religions.
372
Tableau statistique des pays autrichiens qui font partie de la Confédération germa-
nique, avec les nouvelles divisions établies en 1849.
Ibid.
Tableau des finances de l'empire d'Autriche.
373
Tableau statistique du commerce de l'empire d'Autriche et du mouvement de la
navigation.
374
Tableau statistique de l'organisation militaire de l'empire d'Autriche en août 1852. Ibid.
Tableau des places fortes et des arsenaux.
375
Tableau de l'organisation de la marine militaire de l'empire d'Autriche en 1852.
Ibid.
LIVRE CENT SOIXANTE-SIXIÈME. — Suite de la Description de
l'Europe. — Description de l'Allemagne. — Coup d'œil général sur
cette contrée.
376
Comparaison de l'organisation ancienne de l'Allemagne avec celle de la Confédéra-
tion germanique. — Amélioration politique, sociale et industrielle.
Ibid.
Allemagne du nord, Allemagne du midi. — Lettres, sciences et arts. — Population.
— Améliorations à poursuivre.
377
Organisation et mécanisme de la Confédération germanique,
379
Tableau statistique de la Confédération germanique,
381
Tableau statistique du Zollverein.
382



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