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L'Organisation Judiciaire
de la Martinique
Sous le régime des Compagnies
de Colonisation
PAR
P. GEORGE
PARIS
ROUSSEAU & CIE. Editeurs
14, RUE SOUFFLOT, ET RUE TOULLIER, 13
1919




L'Organisation Judiciaire
de la Martinique
Sous le régime des Compagnies de Colonisation


L'Organisation Judiciaire
de la Martinique
Sous le régime des Compagnies
de Colonisation
PAR
P. GEORGE
PARIS
ROUSSEAU & CIE, Editeurs
14, RUE SOUFFLOT, ET RUE TOULLIER, 13
1919


A mon Père et à ma
Mère


INTRODUCTION
Les premiers établissements français d'outre-mer
furent l'œuvre des particuliers. Avant Colbert, l'Etat se
contenta de donner un appui platonique aux Compa-
gnies de colonisation et laissa le champ libre à leur
action. Celle-ci lut toujours faible, ses résultats misé-
rables.
La Compagnie des Iles de l'Amérique essaya d'ex-
ploiter les terres qui lui avaient été concédées et l'his-
toire de ses efforts et de ses tribulations a fait l'objet
de remarquables études (1).
Nous avons essayé de retracer ici l'évolution de l'or-
ganisation judiciaire de notre vieille colonie de la Mar-
tinique pendant les premières années de son établisse-
ment et nous avons cru utile de commencer notre étude
en donnant un court aperçu des événements qui mar-
quèrent cette période. Les troubles qui agitèrent la Mar-
tinique et les changements de régime qu'elle subit,
l'influence que ces faits eurent sur la vie et les mœurs
(1)
LA RONCIERE, Histoire de la Marine française, P. MARGRY, Belain
d'Esnambuc, et surtout les Eludes du regretté P. CULTRU dans la Revue de
l'Histoire des Colonies françaises.
1

— 2 —
des colons, feront mieux comprendre l'évolution de
son organisation judiciaire. « Comme la plupart des
« institutions anciennes celle-ci ne fut pas le résultat
« d'un plan d'ensemble et d'un système préconçu mais...
« elle eut pour point de départ des faits particuliers et
« accidentels... » (1) et arriva peu à peu à sa forme
définitive.
Belain d'Esnambuc qui aborda au mois de décembre
1628 (2) à l'île de Saint-Christophe la trouva habitée
par quelques colons français et anglais qui y cultivaient
le tabac. Il forma le projet d'établir une Compagnie
pour exploiter activement cotte île, et, de retour en
France, il sut intéresser à son dessein le cardinal de
Richelieu. Le 31 octobre 1626, celui-ci passait un acte
d'association avec plusieurs notables de son entourage
et bientôt d'Esnambuc retournait à Saint-Christophe
gouverner la colonie « pour les Associés ».
Mais l'entreprise eut dos débuts pénibles : en 1628, il
fallut repousser une attaque des Anglais. La Compagnie
dut envoyer à plusieurs reprises des navires qui n'ap-
portèrent aucun secours,, tant la traversée était pénible
et leur cargaison mal composée. Liénard do l'Olive qui
vint à Saint-Christophe en 1631, commandant l'un de
(1) ESMEIN, Cours Elém. d'Hist. du Droit, p. 353.
(2) Sur les Etablissements dos Français dans les lies do l'Amérique
voir la remarquable étude do G. SAUVANT : Les Compagnies de Saint-
Christophe et des Iles de l'Amérique (1620-1653). Revue de l'histoire des
Colonies françaises, 1013, IVe trimestre, p. 385 à 482.

— 3 —
ces envois, explora les îles voisines et demanda aux
seigneurs de la Compagnie la permission de fonder une
colonie dans l'île de la Guadeloupe. Les associés obtin-
rent du Cardinal, par un nouveau contrat du 12 fé-
vrier 1635, l'extension des privilèges et des concessions
de la Compagnie, notamment le droit d'établir d'autres
colonies. Ils décidèrent de créer des établissements
dans quelques îles des Antilles ; l'Olive et un autre
gentilhomme, du Plessis, ayant reçu commissions de
gouverneurs de la Guadeloupe, quittèrent Dieppe le 25
mai 1635. Ils prirent possession de la Martinique le
25 juin et de leur île quelques jours après.
Ce n'est qu'à la lin d'août 1635 que d'Esnambuc alla
à la Martinique pour l'occuper définitivement. Sur la
rive ouest de la rivière il lit bâtir un fort auquel il donna
le nom de Saint-Pierre. Le 15 septembre il en prit
solennellement possession et l'on se mit à défricher et
à cultiver. D'Esnambuc laissa dans l'île Jean du Pont,
son lieutenant, avec 150 hommes (1), puis il alla occu-
per la Dominique le 17 novembre, y laissant le sieur
de la Vallée qui dut se retirer à la Martinique et céder
la place aux Caraïbes.
Cependant les dissentiments des gouverneurs, la fa-
mine et la guerre avec les indigènes compromirent
gravement le développement de la Guadeloupe.
(1) D'Esnambuc avait été maintenu dans sa charge de gouverneur de
Saint-Christophe, et celle-ci étendue à la Martinique et à la Dominique.

— 4 —
La Martinique, au contraire, eut une fortune heu-
reuse. Du Pont, le premier capitaine de l'île, fut pris
par les Espagnols comme il allait visiter d'Esnambuc ;
Jacques du Parquet, neveu de celui-ci, fut nommé à sa
place (2 septembre 1637). D'Esnambuc mourut. Il fut
remplacé par son lieutenant du Halde, puis deux mois
après par Philippe de Lonvilliers de Poincy (1) que le
roi nomma lieutenant-général aux Iles, le 5 février 1688.
M. de Poincy arriva à la Martinique (le 11 février 1639)
où il se lit reconnaître par du Parquet, puis passant par
la Guadeloupe, il arriva à Saint-Christophe. Après quel-
ques années de calme ces deux colonies entrèrent dans
une période de troubles et de dissensions qui atteigni-
rent une extrême violence eu 1644 : querelles de M. de
Poincy avec M. de l'Olive ; querelles de M. Houel, l'un
des associés qui avait obtenu la charge de gouverneur
de la Guadeloupe, avec Aubert, l'un des fidèles parti-
sans de M. de Poincy, et M. de Poincy lui-même, jus-
qu'au moment où l'arrivée de M. de Thoisy, nommé
par le roi lieutenant-général des Iles (2), étendit les
désordres à la Martinique. M. de Thoisy arriva dans
cette île le 17 novembre 1645 ; il fut reçu par J. du
Parquet, fidèle au Roi et à la Compagnie, mais le 25 no-
(1) V. la remarquable étude de F. CULTRU : Le Commandeur de Poincy
à Saint-Christophe. Revue de l'histoire des Colonies Françaises, 3" trim.,
1915, Champion.
(2) Commission du 26 février 1645. Il devait prendre la place de M. de
Poincy.

— 5 —
vembre, quand il se présenta devant Saint-Christophe,
Aubert refusa de le laisser débarquer. Il prépara alors
une descente avec J. du Parquet. Celui-ci s'empara des
neveux de M. de Poincy, mais, ayant dû chercher re-
fuge auprès des Anglais, il fut livré par eux à son
ennemi. M. de Poincy essaya alors de soulever la Mar-
tinique (juillet 1646) ; la femme de du Parquet et un
de ses lidèles, Le Fort, réprimèrent un commencement
d'insurrection en mettant à mort les chefs du mouve-
ment.
M. de Tlioisy, retiré à la Guadeloupe, ne s'entendit
pas avec Houel, qui gouvernait alors cette île, et dut
enfin se réfugier à la Martinique, le 3 janvier 1647
Poincy à la tête d'une Hotte de douze vaisseaux arriva
en vue de l'île le 13 du même mois, se lit livrer M. de
Thoisy et rendit M. du Parquet en échange de ses deux
neveux. M. de Tlioisy, embarqué pour la France, y
arriva le. 17 mai '1647. Cependant les désordres conti-
nuèrent.
Les Associés, endettés et désespérant de jamais rien
retirer des lies (1), les cédèrent finalement: Saint-
Christophe à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ; la
Guadeloupe à Houel et à son beau-frère Jean de Bois-
seret (1649), et la Martinique à Jacques du Parquet
(1650). Celui-ci avait été maintenu en 1645 et 1647
(1) Les Colons recevant peu de secours de la Compagnie, avaient pris
l'habitude de ne traiter qu'avec les Hollandais qui leur fournissaient les
objets de première nécessité.

— 6 —
« sénéchal gouverneur pour Sa Majesté ès Iles de l'Amé-
rique ». Berruyer et de Loynes (1) traitèrent le 27 sep-
tembre 1650 avec Charles de la Forge, son mandataire ;
ils lui cédaient le fonds et propriété des îles de la Mar-
tinique, Grenade et Grenadins, et Sainte-Alouzie pour
en jouir comme.les seigneurs, en vertu de ledit de
1642 (2). Du Parquet prit possession le 3 octobre 1650,
en séance du conseil de l'île. Une déclaration établissait
l'acquisition et le reconnaissait seigneur de la Marti-
nique ; il donna aussitôt commission de lieutenant-gé-
néral à son fils le sieur d'Esnambuc, alors mineur, et
l'exercice de cette charge au sieur Aubin.
En août 1651 le roi ratifia la vente, le 22 octobre, il
nomma du Parquet gouverneur de toutes les îles que
celui-ci avait acquises le 27 septembre 1650 (ratifica-
tion enregistrée au Grand Conseil le 26 septembre
1651).
En 1656, du Parquet céda par acte du 3 mai-la Gre-
nade et les Grenadins à Jean de Faudoas, comte de
Cérillac (vente ratifiée le 26 avril 1657).
A la mort de du Parquet, survenue le 3 janvier 1658,
M. de Poincy essaya de faire entrer l'ordre de Malte en
possession de ses îles, mais le Roi, par Lettres Patentes
du 15 septembre 1658, donna le gouvernement de la
Martinique et Sainte-Alouzie à M. d'Esnambuc, fils de
(1) Deux des Associés.
(2) Pour les conditions do la cession, voir SERVANT, ouvr. cité, p. 478.

— 7 —
du Parquet, et une commission à M. (le Vaudroques,
son oncle, pour occuper cette charge pendant sa mino-
rité.
Cependant les acquéreurs ne devaient pas garder long-
temps leurs îles. Colbert ayant fondé une Compagnie
nouvelle, déclarait dans l'acte de fondation : « Appartien-
« dront à la dite Compagnie en toute seigneurie, pro-
« priété et justice toutes les terres qu'elle pourra con-
« quérir... comme aussi les îles de l'Amérique habitées
« par les Français qui ont été vendues à plusieurs par-
« ticuliers par la Compagnie des dites îles formée en
« 1642, en remboursant les seigneurs propriétaires...
« etc... » (1).
Les îles furent rachetées peu de temps après : l'ordre
de Malte reçut 500.000 livres pour toutes ses possessions ;
la Guadeloupe fut achetée 125.000 livres et la Martinique
120.000 livres.
(1) Edit du 28 mai 1664 portant établissement d'une Compagnie des
Indes occidentales. MOREAU DE SAINT-MÉRY, Loix et Constitutions des
Colonies françaises de l'Amérique sous le vent, I, p. 102 et suiv.


CHAPITRE PREMIER
Débuts de la Colonie. Le Gouverneur rend la justice
Le Conseil de guerre
Les premiers colons des Antilles étaient des aventu-
riers qui suivaient la fortune d'un hardi capitaine.
Donnant la chasse aux navires qu'ils rencontraient ou
fuyant devant un ennemi mieux armé, ils couraient le
« bon bord » avant d'arriver aux Iles ; aussitôt débar-
qués ils y retrouvaient une vie rude et pleine de
dangers.
Sans cesse harcelés par les Caraïbes, il leur dispu-
taient le sol ; à Saint-Christophe il leur fallait parfois
lutter contre les Anglais ; enfin la flotte espagnole,
passant dans ces parages, était toujours prête à l'aire
une descente sur les côtes. « En gens désespérez ils ne
« sortaient jamais de leur habitation qu'ils n'eussent
« sur eux quatre ou cinq pistolets pendus à une cein-
« ture de cuir et un fusil sur l'épaule » (1), si bien que
(1) DU TERTRE, histoire des Antilles habitées par les Français, I, p. 37.
J. du Tertre, d'abord soldat, puis frère prêcheur, vécut plusieurs années
aux. Iles ; il observa et décrivit les désordres et la brutalité des mœurs
dans les premières colonies. Il se servit pour la rédaction de son his-
toire des « originaux et pièces authentiques qui m'ont esté commuai-

— 10 —
les plus hardis des Anglais préféraient « avoir affaire
« à deux diables qu'à un Français ». Les renforts qu'en-
voyait la Compagnie ne pouvaient faire passer aux
îles des colons de mœurs moins rudes. Pour quelques
passagers recrutés loyalement par des offres laites dans
les paroisses, combien de vagabonds étaient engagés
de force et expédiés sur les navires (1).
Aussi d'Esnambuc à Saint-Christophe, et les autres
gouverneurs dans leurs îles, gardèrent-ils l'organisa-
tion militaire. Les habitants, divisés en compagnies,
chacune dans un quartier différent, vivaient sous l'auto-
rité des capitaines et travaillaient au tabac et à l'entre-
tien des fortifications.
« Chaque quartier forme une ou deux compagnies
« selon que le quartier est peuplé, de sorte que tous les
« habitants sont soldats et obéissent aussi exactement
« à leur capitaine qu'à M. le Gouverneur; il a le pou-
« voir de les faire mettre aux fers quand ils font
« quelque faute, et en son absence le lieutenant de la
« compagnie commande dans le quartier. Les officiers
« y sont fort respectés et au moindre ordre que l'en-
qués qui se cautionnent d'elles mesme ». Nous lui devons une foule
de documents très importants dont les originaux sont perdus et que
beaucoup d'auteurs ont reproduit d'après son texte.
(1) « ... Ainsi nait une habitude, qui durera en France autant que
l'ancien régime : coloniser avec les pires éléments de la population.
Il semble que d'avoir volé ou vagabondé pendant quelques années dans
la mère patrie, cela donne une expérience suffisante! pour faire un
laboureur à Madagascar ou un soldat dans les Indes. »
C
P.
ULTRU.
Leçon d'ouverture du Cours d'Histoire Coloniale, p. 24.

— 11 —
« seigne ou le sergent donnent, on leur obéit sans
« aucune résistance (1) ».
Les difficultés de leur vie aventureuse ne semblent
pas avoir laissé aux premiers colons le temps de se l'aire
des procès : « Il n'y avait point de juge dans l'île,
« M. d'Esnambuc terminait lui seul les dilférends qui
« pouvaient naître, avec tant de prudence, que tous se
« soumettaient à ses ordonnances avec autant de joie
« que de respect (2) ». A la Martinique M. du Parquet,
lieutenant en cette île, rendait la même justice, patriar-
cale mais sommaire (3) ; et si en réalité les contesta-
tions étaient plus fréquentes que ne le dit du Tertre,
elles recevaient du moins une solution rapide. Le chef
faisait « bonne et brève justice » ; il réglait les diffé-
rents ou punissait les coupables, comme au temps où il
conduisait son navire sur l'océan (4).
(1) Du TERTRE, II, p. 442, et le procès du nommé Morin. — Du TERTRE,
I, p. 112.
(2) Du TERTHE, I, p. 3S. Différend entre, les maîtres et les serviteurs.
(3) Ces deux gouverneurs, dit Du Tertre, ne firent pas un mauvais
usage de leur autorité, mais M. te Vasseur, huguenot qui s'était établi
dans l'île de la Tortue, gouverna en despote, « il devint sévère jusques
à punir les moindres fautes de ses habitants avec une grande grue de
fer, dans laquelle il leur faisait passer la tête, les pieds et les mains,
et cette fâcheuse machine se baissait toujours jusques à ce qu'un
homme vint tout courbe, ce qui lui faisait une peine incroyable. Il
avait nommé cette grue Lenfer et son Fort, où il le tenait en prison, le
• Purgatoire ». Du TERTRE, I, p. 163.
(4) Se préoccupait-il d'appliquer une coutume du Royaume ? Personne
ne connaissait les lois ; celle de Lynch dut ici devancer toutes les autres.
Plus tard les flibustiers prirent l'habitude de rappeler dans leurs
« chasses-parties » (chartes-partie) certaines dispositions de leur loi
sommaire et les peines qu'elle édictait.

— 12 —
En cela d'ailleurs, il ne dépassait pas ses pouvoirs ;
la Compagnie qui s'était réservé, dans le contrat de
1635, le droit « de nommer les capitaines des lsles, des
« navire.s, et les officiers de justice qu'il conviendra
« établir ès dites Isles », ne se préoccupa que plus lard
de pourvoir ses possessions d'une organisation judi-
ciaire. Elle donnait au gouverneur et à ses lieutenants
des pouvoirs très larges : Par sa commission du
2 décembre 1637, M. du Parquet était établi «... Lieute-
« nant-général, pour, en l'absence du Capitaine-général
« de la dite île qui sera nommé par la Compagnie et
« lorsqu'il y sera, par ses ordres, faire tout ce que vous
« jugerez nécessaire pour le service du Roi, établisse-
« ment de la colonie... etc. » (1). Il ne pouvait donc
faire mieux, faute d'officiers de justice, que de mainte-
nir le bon ordre en rendant la justice à chacun et en
punissant les turbulents (2).
M. du Parquet devait le plus souvent, comme
M. d'Esnambuc, et quoiqu'en dise le P. du Tertre (3),
(1) Du TERTRE, I, p. 106.
(2) D'après les instructions données le 7 mars 1635 à l'Olive et du
Plessis, gouverneurs de la Guadeloupe, ces deux gentilshommes
devaient faire passer avec eux aux lies un commis et deux secrétaires
de la Compagnie qui seraient obligés do tenir registre de leurs déci-
sions. Ils devaient enregistrer les décès, les inventaires des marchan-
dises des défunts, et pouvaient même recevoir les testaments en
présence de trois témoins de plus de vingt ans. Du Parquet eut auprès
de lui de tels fonctionnaires : furent-ils chargés de tenir registre de ses

arrêts ? Il est permis d'en douter.
(3) V. plus haut p. 11.

— 13 —
prendre l'avis de quelques ofliciers réunis en conseil
de guerre. Lorsqu'un danger menaçait la colonie (1),
on qu'il fallait prendre une décision intéressant son
avenir (2), M. d'Esnambuc assemblait son conseil et y
appelait les principaux officiers (3). Quand la faute
d'un habitant méritait la peine capitale, c'est ce conseil
qui le jugeait.
Nous verrons plus loin que les Iles furent pourvues
de juges quelques années plus tard : l'un de ceux-ci
condamna un colon de Saint-Christophe à être pendu
pour avoir tué son « matelot » (4) et le lit exécuter.
Grande agitation dans l'île ; car tous les habitants sou-
tenaient qu'ils étaient soldats, montant la garde et
faisant l'exercice une fois par mois ; ils prétendaient
qu'ils -devaient être «jugés par le conseil de guerre »
et ne pouvaient être punis de ce supplice honteux.
M. de Poincy les apaisa en décidant que si l'un des
habitants se rendait « digne de mort », le conseil
assemblé ordonnerait qu'il serait dégradé à la tête de
(1) Du TERTRE, I, p. 32-136.
(2) Du TERTRE, I, p. 60-130.
(3) Du TERTRE, I, p. 60.
Dans le Conseil tenu lors du différend -du
Figuier, M. d'Esnambuc fait entrer le sieur Boitier qui venait d'être
envoyé' comme juge à Saint-Christophe, le sieur de Bonnefoy procureur
fiscal, le sieur le Merle commis des seigneurs « et quelques autres des
« plus considérables de l'Ile ». Les commis de la Compagnie devaient
assister au Conseil avec un écrivain chargé de faire fonction de greffier
et d'écri e les noms de ceux qui l'avaient formé. Du TERTRE, I, p. 62,
Contrat des sieurs de l'Olive et du Plessis avec les seigneurs de la
Compagnie pour fonder un établissement à la Guadeloupe.
(4) Son associé.

— 14 —
sa compagnie, puis livré à la justice ordinaire qui le
condamnerait à un supplice proportionné au crime
commis (1).
Ces habitants, jaloux de garder le droit d'être jugés
par des gens d epée, avaient donc vu dans une période
précédente, les crimes les plus graves jugés par ce
conseil.
Plus tard quand la nécessité s'imposa d'avoir aux
lies une cour souveraine, le Roi lui donna à juger les
procès en dernier ressort, il y fit entrer des gens de robe
et érigea en règles certaines les usages qui guidaient
sa formation.
(1) Du TERTRE, I, p. 157.

CHAPITRE II
Développement de la Martinique. La Compagnie
y envoie un juge
Hostilité du Gouverneur et des Habitants
Les premiers juges
Malgré toutes les difficultés, la population des lies
augmenta : en 1642, on pourra compter aux Antilles
7000 colons, les uns groupés dans des bourgs autour des
ports, les autres répartis dans la campagne. L'espoir
de faire fortune pour les nobles (1), d'acquérir la
noblesse pour les bourgeois et d'arriver à la maîtrise
pour les artisans (2), mais surtout la misère très grande
en Normandie à cette époque, tirent sans cosse grossir
leur nombre (3).
En peu de temps, les gouverneurs ne suffirent plus
à rendre la justice et la Compagnie se préoccupa
d'envoyer des juges dans ses colonies, lin 1636, elle
donna, le 3 septembre, au sieur Gentil une commission
de Commis général pour inspecter Saint-Christophe et
(1) Clauses de non dérogeance pour les nobles et les prélats. Contrat
du 12 février 1635. Du TERTRE, I, p. i8 et suiv.
(2) La maîtrise était acquise au bout de 6 ans et de 10 ans pour exer-
cer à Paris. DU TERTRE, I, ibid.
(3) DE LA RONCIÈRE. Histoire de la Marine Française, IV, p. 660-661.

— 16 —
le chargea d'établir un jugé dans cette ile (1). Puis
voyant prospérer ses affaires à la Martinique sous
M. du Parquet, elle crut nécessaire de pourvoir cette
colonie d'un tribunal. Elle écrivit donc à son Lieute-
nant-général « qu'il portât ses habitants à recevoir un
« Juge... et lui recommanda d'appliquer les amendes
« aux nécessités des pauvres et des malades » (2).
M. du Parquet prit ombrage de celte détermination ;
les habitants, soldats avant tout, virent encore une
fois d'un mauvais œil un homme de robe venir tran-
cher leurs différends ou porter des condamnations
contre eux (3), et celte affaire faillit amener un mou-
vement dans l'île. M. du Parquet écrivit au président
Fouquet : « J'ai reçu.... une troisième [lettre] datée du
« 3 avril 1G3!) par laquelle vous me mandez que vous
« envoyez le sieur Chirard pour Juge à la Martinique,
« ce qui m'a étonné, vu les lettres que je vous ai
« écrites. Nous sommes allés exprès le dit Chirard et
« moi à Saint-Christophe trouver M. le Général, ne
« pouvant recevoir de Juge à la Martinique que pre-
« mier, il n'y ait fortifications et garnison, ma condi-
« tion n'étant pas de commander à des bourgeois. Ce
(1) Ce fut celui dont parle Du Tertre, 1. p. 59. « L'on y envoya un
juge, appelé le sieur Boitier, duquel on disait communément aux Iles
qu'il jugeait les procès à cheval ». Sa Commission. Archives Col.
F2 19.
(2) Du TERTRE, I. p. 108.
(3) Voir p. 13.

— 17 —
« qui m'a l'ail: venir ici exprès pour voir mon dit sei-
« gneur le Général et savoir sa résolution et s'il désire
« qu'il y ait un Juge à la Martinique, qu'il me donne
« mon congé de me retirer en France
Pour les
« amendes que vous me mandez que l'on employé pour
« le dit Hôpital, il sera impossible encore pour cette
« année de payer aucune amende à cause que la plu-
ie part des habitants doivent plus qu'ils n'ont vaillant,
« et quand il y a quelqu'un qui fait faute, on l'envoyé
« aux fers pour punition » (1).
« M. de Poincy, général, lit tout ce qu'il put pour le
« contenter de paroles et pour l'obliger à recevoir ce
« Juge : il lit commandement au sieur Chirard de la
« part du Roi d'exercer cette charge et d'achever le
« procès de Morin, convaincu de rapt, d'adultère et de
« crime de lèse-majesté divine et humaine. Cet ordre
« de M. le Gouverneur général fut lu le 4 septembre
« 1639 à la tète des compagnies. M. du Parquet qui
« voyait que le peuple était résolu de périr plutôt que
« de recevoir ce Juge, ne fit aucune insistance pour
« les-y obliger; au contraire, il souffrit que le sieur
« de la Vallée s'y opposât au nom de tous les habi-
« tants ».
M. du Parquet put enfin calmer les esprits, et l'on
souffrit que le juge Chirard terminât le procès du sieur
(1) Du TERTRE, I, p. 109 et suiv.
(2) Du TERTRE, I, p. 113.
2

— 18 —
Morin : celui-ci fut condamne à mort le 29 octobre 1639.
« Après quoi, voyant qu'il n'avait plus que faire dans
« l'île, ayant achevé sa commission, il lui firent tant
« de pièces qu'il fut contraint d'en sortir » (1).
D'après Dessales, l'ordre qui avait été lu le 4 sep-
tembre 1639 à la tète des compagnies, c'était la com-
mission de Juge à la Martinique que les Associés
avaient donnée au sieur Chirard en date du 5 janvier
de la même année. Dessales rapporte cette pièce à la
suite de son volume des Annale* du Conseil Souverain :
elle nous apprend que Pierre Ghirard ou Chirat était un
avocat au Parlement de Paris, fort digne d'être investi
des fonctions de Juge aux Iles ; car il montrait, outre
les conditions à ce requises, « grande affection au ser-
vice du Roi, au bien de la Compagnie et établissement
de la Colonie » (2).
Aussi devait-il exercer la charge de. Juge en l'île de la
Martinique « au nom de la Compagnie tant en matière
« civile que criminelle ». M. du Parquet devait recevoir
son serinent et le faire reconnaître aux habitants.
Mais les incidents qui marquèrent son arrivée l'obli-
gèrent à quitter l'île (3).
(1) Du TERTRE,
I,
P.
113.
Ghirard était de retour en France en
décembre 1640. Il se plaignit à la Compagnie do son aventure et
demanda des dommages-intéréts. Les. associés menacèrent M. du Pur-
quel de poursuites.
(2) DESSAI.ES, Annales du Cons. Souv., p. 443. T. II de l'Hist. des
Antilles.
(3) Le sieur Ghirard fut-il le premier juge de la Martinique ? D'après
le préambule de sa commission nous pourrions croire qu'il avait eu

— 19 —
Pourtant, dans la suite, M. (lu Parquet revint à
d'autres sentiments, et il accepta d'avoir un juge dans
son île puisque Chirard eut pour successeur un cer-
tain Millet, cité par Dessales (1), qui semble n'avoir
su de lui que son nom. Vers 1650, nous trouvons dans
sa charge M. du Coudray que M. du Parquet envoie à
la Grenade faire le procès des chefs d'une sédition (2).
En 1658, à son lit de mort, M. du Parquet fait appeler
son juge civil et criminel qui est alors un certain Four-
nier et l'oblige à brûler en sa présence les informa-
tions qu'il avait faites contre un séditieux auquel ce
bon gouverneur voulait pardonner (3).
un prédécesseur. « Ayant ci-devant établi un juge en l'île do la Marti-
« nique pour retenir les esprits mal conditionnés... et terminer les
« différends... jusqu'au dernier décembre de la présente année, nous
« avons estimé qu'il était nécessaire de nommer un successeur en la
H dite charge... même de le pourvoir pour un [dus long temps que son
« prédécesseur ». On ne saurait être plus affirmatif ni plus précis,
mais, quelques lignes plus loin, au moment d'indiquer qui recevra le
serment du sieur Ghirard, l'auteur de la commission semble douter
mémo de l'existence de ce "prédécesseur. « ...Mandons au juge par
« nous établi de présent en la dite île de la Martinique, ou s'il était
décédé, ou hors de l'Ile, ou qu'il n'y en eût aucun d'établi, au sieur
« du Parquet, lieutenant-général de la Compagnie, ...que du dit Chirard
« ayant pris le serment... il le mette... en possession d'icelle [charge]
« et le fasse reconnaître... par tous les habitants... » (p. 444).
Voici en réalité ce qui s'était passé : Le 1er juillet 1637, la Compagnie
avait donné commission de Juge à la Martinique à un certain Morin,
de Dieppe, puis, quelques jours après elle l'avait nommé Commis
général de cette lie ; il n'avait donc jamais été installé. Le 6 octobre
1638, la Compagnie lui envoya des lettres de provision en blanc pour
un juge, un greffier, deux notaires et quatre sergents, enfin trois mois
après, le 5 janvier 1659, elle confia cette charge au sieur Chirard.
(1) Annales du Cons. Souverain, p. 68. V. plus loin p. 37, noie 2.
(2) DU TERTRE, I, p. 432.
(3) Du TERTRE, I, p. 524.

— 20 —
Après la mort do son mari, Mme du Parquet garda le
pouvoir, elle prit « le nom de Générale » (1), mais ne
jouit pas longtemps en paix de son autorité. M. Four-
nier resta juge. Le 22 juillet 1658 un mouvement d'in-
surrection agita l'île. Les sept compagnies des habitants
se présentèrent au conseil que présidait Mme du Par-
quet et se plaignirent, entre autres griefs, de ce que le
sieur Fournier était incapable d'exercer ses fonctions.
Elles lui demandèrent de désigner un autre juge.
Mme du Parquet leur donna sur le champ satisfaction,
en nommant Louis Duvivier, sieur de la Giraudière,
« licencié-ès-lois ». En outre ou arrêta que la création
des officiers, tant de judicature que de milice, faite
par Mme du Parquet, serait à l'avenir approuvée par
les habitants. Cette dame eut d'ailleurs bientôt maille à
partir avec le nouveau lieutenant civil qui trouva dans
ses livres un exemplaire de Machiavel et décida le
conseil à le faire ...brûler publiquement par l'exécu-
teur de la haute justice.
Dessales cite, encore un sieur Gabriel Turpin nommé
à la charge de juge en 1660 et qui la conserva « nombre
d'années» (2). On le trouve en fonction en 1675 (3) lors
(1) DESSALES, Annales du Cons. Souverain, p. 40. Après la mort de
M. du Parquet et sous lu gouvernement de M. de Vaudroques, la Mar-
tinique traversa une période de troubles sur lesquels les détails font
défaut. V. Du TERTRE.
(2) DESSALES, A. du C. souv., p. 68.
(3) DESSALES, A. du C. souvp. 190. MOREAU DE SAINT-MÉRY, Loix et
Constitutions, I, p. 294.

— 21 —
(l'un remaniement du Conseil Souverain de l'Ile, en
1679 au moment de la confirmation de cette cour par
les Lettres Patentes du Roi (1).
Ces personnages nous sont peu connus : furent-ils
(le bons juristes, des magistrats intègres, il nous est
permis d'en douter. Dans ce peuple de colons avides,
il était difficile de trouver de bons officiers pour remplir
des charges à peine rétribuées et plus d'une fois les
professions les plus inattendues fournirent des juges
ou des conseillers,'d'ailleurs souvent illettrés (2).
(1) DESSALES, A. du C. souv., p. 453.
(2) V. Du TERTRE, I, p. 132.
*


CHAPITRE III
Le Tribunal du juge. Le Procureur fiscal. Le Greffier
L'Audience
La Procédure. La Compétence du juge
Le Juge de la Martinique s'intitulait également « lieu-
tenant du Sénéchal (je la Martinique et de Sainte Lucie ».
Le premier titre de Sénéchal avait été donné par la
Compagnie, qui voulait l' honorer, à M. de Thoisy, aux
termes d'une commission du 25 février 1645. Il avait
« pouvoir d'entrer et présider aux sièges de la justice
« de ladite Isle (1). Lesquels seront dorénavant qualifiés
« dans les provisions et commissions... lieutenants du
« Sénéchal » (2). Il pouvait assister à tous les jugements
sans toutefois y avoir voix délibérative. M. du Parquet
avait les mêmes titres et les mêmes pouvoirs (3).
lies juges recevaient une commission semblable à celle
du sieur Chirard, et c'est leur tribunal que le Père du
Tertre vit fonctionner lors de son séjour à la Martini-
que vers 1646. Il nous en a laissé dans son Chapitre
(1) Saint Christophe.
(2) Du TERTRE, I, p. 235.
(3) Du TERTBE, I, p. 385, p. 371 ; II, 439. DESSALES, Annales du C. S.,
p. 33.

24
sur la Justice une description précise et remplie de
détails amusants.
« Le corps de la Justice n'est composé dans chaque
« Ile que d'un Juge qui porte tout ensemble la qualité
« déjugé civil et criminel parce qu'il juge également
« de l'un et de l'autre ; d'un Procureur fiscal et d'un
« Greffier, sans avocats ni procureurs » (1).
La Compagnie qui avait reçu du roi la propriété des
Iles en toute « justice et seigneurie » installa dans ses
possessions des justices seigneuriales avec les organes
qu'elles avaient dans le royaume.
Les seigneurs propriétaires des Iles leur conservèrent
la même forme (2).
Le juge était nommé pour trois ans ; il devait prêter
serment entre les mains du gouverneur en entrant
en charge. Les gages étaient fixés à vingt livres de petun
par an et par homme (3). Cependant cette taxe ne lui
faisait que de maigres revenus, les colons n'étaient pas
nombreux (4); la capitation n'était payée que par les
habitants mâles, et son recouvrement était à peu près
impossible au juge, si ce n'est dans le bourg même de
(1) Du TERTRE, II, p. 444.
(2) Sur les droits des seigneurs propriétaires. V. Concession du l\\oi
des Iles de Saint-Christophe et Sainte-Croix, Du TERTRE, I. p. 459.
(3) DESSAI.ES, Annales du C. Souv., p. 443.
(4) H y avait en 1039, à la Martinique, 700 hommes capables de porter
les armes ; le P. Bouton en compte 1000 en 1640. En 1660,1a population
se composai! de 1938 adultes français (dont peu de femmes) et de 2.056
esclaves. V. Sur la capitation et la baisse du tabac, P. CULTRU, Le Com-
mandeur de Poincy à Saint-Christophe, ouv. cité, p. 36.

— 25 —
Saint-Pierre. Il avait droit d'avoir douze hommes tra-
vaillant sur son habitation, exempts de la taxe que les
colons payaient à la Compagnie ; mais il ne devait
prendre aucun salaire, cl n'accepter aucun présent des
parties, avant ou après les jugements-qu'il rendait.
Le procureur fiscal remplissait le rôle du procureur
du roi dès juridictions royales, lorsqu'il s'agissait de
requérir dans l'intérêt public ; il devait également plai-
der eu son nom, pour les seigneurs, quand l'intérêt
particulier de ceux-ci était en jeu (1).
Le greffier (2) devait délivrer les sentences et en
tenir un registre; nous pouvons croire que ses fonctions
se bornaient a cela; car il ne semble pas qu'il ait eu à
cette epoque le soin de dresser un rôle d'audience.
Celle obligation ne lui fut imposée qu'en 1688 (3).
Nous verrons plus loin qu'il devait accompagner le juge
dans l'exercice de certaines fonctions de contrôle confiées
à cet officier.
Le procureur fiscal et le greffier tenaient leurs pou-
voirs, comme le juge, d'une commission de la Compa-
gnie ou du seigneur de l'île.
« Le gouverneur donne des gages au juge et au pro-
« cureur fiscal, dit le P. du Tertre (4) ; et il leur est
(1) ESMEIN, Cours élém. Whist, du Droit, p. 391) et lit).
(2) C était le plus souvent un commis de la Compagnie. Voir p. 12,
note 2 et p. 13, note i.
(3) Le règlement de M. de Tracy touchant la police des lies du 19 juin
1664, obligea les greffiers à se servir de registres paraphés par le Gou-
verneur. MÔREAU DE SAINT-MERY, Loix et Constitutions, I, p. tac.
(4) Du TERTRE, II, p. 444.

— 26 —
«absolument défendu de rien recevoir des parties,
« mais ces gages sont si modiques qu'il n'y a pas de
« quoi faire subsister un honnête homme; aussi la plu-
« part refusent ces sortes de charges ou reçoivent des
« deux mains tout ce qu'on leur présente, ... d'où pro-
« cède ordinairement la corruption de la justice » (1).
Les greffiers devaient percevoir une taxe sur toutes
les sentences qu'ils délivraient; mais ils ne s'en conten-
taient pas et faisaient « attendre les parlies si longtemps
« qu'elles étaient souvent obligées de leur faire des pré-
« seuls pour retirer leurs sentences». M. du Parquet,
ayant appris que le greffier Vigeon « en usait de la sorte,
« le cassa de sa charge et l'eût chassé de l'île sans la
« prière que Madame lit pour lui » (2).
Le juge de la Martinique siégeait au Fort Saint-
Pierre (3). « Il y a une salle destinée pour tenir l'au-
« dience deux fois la semaine, où chacun plaide sa
« cause soi-même et comme l'ardeur de défendre notre
« droit rend les intéressés fort éloquents, on ne saurait
« croire le plaisir qu'il y a d'assister à ces audiences où
(1) Los taxes donnèrent aux Iles un rendement nul, quels que fussent
les soins des gouverneurs, et les officiers de justice en pâtirent comme
les autres. Peu à peu ils prirent l'habitude d'exiger des plaideurs le
paiement d'un salaire dont l'importance variait avec leurs appétits. Ce
n'est qu'en 1671 qu'un règlement de M. de Baas fixa le montant des
taxes qu'ils seraient autorisés à percevoir. Le procureur fiscal recevait
les 2/3 de ce qui était attribué au juge : c'était sans doute l'usage suivi
dans la période qui nous occupe.
(2) Du TERTRE, II, p. 444,
(3) DESSALES, Annales du Cons. Souv., p. 68.

— 27 —
« l'on voit une éloquence sans fard et une vivacité d'es-
« prit à trouver des raisons que des avocats qui ont
« consumé toute leur vie sur les livres auraient de la
« peine à inventer » (1).
Les avocats furent longtemps proscrits à la Martini-
que. Ils essayèrent plus d'une fois d'imposer leur minis-
tère auprès du juge ou du conseil, car les procès devin-
rent nombreux ; il n'y réussirent qu'au début du XVIIIe
siècle.
La justice gardait le caractère simple et patriarcal
qu'elle avait eu aux premiers jours de la colonie, et la
procédure n'était pas encombrée de formalités. « La
« partie intéressée fait elle-même la fonction de sergent ;
« car, quand une personne a reçu quelque tort d'une
« autre, elle va en faire sa plainte au juge qui lui
« donne un billet pour lui porter par lequel il lui est
« enjoint de se trouver à l'audience ; ce billet vaut au-
« tant que les exploits des huissiers et des sergents de
« France. S'il manque, à y venir, le juge prie l'officier
« qui est de garde de l'envoyer quérir par deux de ses
« soldats qui ne manquent point de l'amener ; et outre
« l'amende à laquelle il est irrémissiblement condamné,
« on le met pour l'ordinaire après que sa cause est
« jugée, aux fers jusqu'au lendemain et quelquefois
« devautage ; c'est ce qui se pratiquait à la Martinique,
« mais j'ai vu des sergents à la Guadeloupe » (2).
(1) Du TERTRE, II, p. 444.
(2) Du TERTRE, II, p. 444. DESSALES (Annales du Cons. Souv., p. 422)

— 28 —
La compétence du juge n'avait reçu aucune limita-
tion : il prononçait, siégeant seul, la peine de mort ;
il jugeait de toute matière civile et criminelle, et les
contrevenants aux mesures de police devaient déjà sans
doute être déférés à son tribunal.
A Saint-Christophe, d'après du Tertre, le juge semble,
tout au moins dans certains procès, s'être adjoint des
assesseurs. Le sieur des Marets, de caractère violent,
accusé d'avoir rédigé une fausse commission « retran-
chant des pouvoirs de M. dePoincy » fut arrêté, chargé
de fers et conduit chez M. le Général. Celui-ci ordonna
au juge Renou (ancien brasseur de Dieppe) de travail-
ler à son procès. Ayant trouvé neuf assesseurs qui
suivaient absolument ses inclinations, cet officier le lit
condamnera mort, malgré les prières des P. P. Capu-
cins. Des Marets put s'évader; on le condamna par con-
tumace à avoir la tête tranchée. Deux de ses gardiens
comparurent devant un conseil de guerre composé de
cinq ou six officiers et du juge, et furenl mis à mort
une heure après la sentence. Lui-même, livré par les
Anglais chez qui il s'était réfugié, fut exécuté le 16
Septembre 1641 (1). L'auteur cite encore un autre
« assesseur civil et criminel » un certain Le Normand.
Il lit partie d'une assemblée des officiers et des princi-
paux habitants de la Guadeloupe qui empêcha M. de
croit cependant que la création îles huissiers remonte à l'établissement
de la justice dans In colonie.
(1) Du TERTRE, I, p. 162.

— 29 —
Clerselier, intendant général, de venir s'installer dans
cette île comme gouverneur, bien que M. de Poincy lui
en eût donné la commission le 17 octobre 1644, pendant
une absence de M. Houel (1).
Cet assesseur était un suppléant du juge qui siégeait
à sa place en cas d'empêchement (il existait à Saint-
Christophe depuis 1638, c'était le lieutenant du juge) ;
quant aux assesseurs du procès des Marets, le juge
Renou voulut s'en entourer pour donner à son tribunal
l'apparence d'un conseil de guerre (2). Il avait incon-
testablement Je droit de prononcer la peine de mort,
siégeant seul ; mais, dans cette affaire, il voulut que sa
sentence semblât être l'expression de la volonté com-
mune et enlevât aux amis de des Marets l'envie de lui
casser la tête d'un coup de mousquet, comme ils
n'eussent pas manqué de le l'aire à l'auteur unique de
sa mort (3).
Avant 1645, il n'existait dans la colonie aucune juri-
diction d'appel. Une seule voie de recours était ouverte
aux plaideurs contre les sentences du juge ; ils pou-
vaient porter le procès devant le Conseil du Roi (4), ce
qui n'allait pas sans de graves inconvénients, étant
donné l'éloignement de la métropole, les frais et les
(1) Du TERTRE, I, p. 242.
(2) Voir p. haut, p. 13.
(3) Cf., ESMEIN, op. cit., p. 255 et 256.
(4) V. Du TERTRE, I, p. 142. Cependant la Compagnie Recommandait
de ne rien envoyer à juger en France. Arch. F2, 19.

— 30 —
difficultés des voyages. Le juge ne pouvait pas plus ter-
miner les petites contestations, si minime que fût
l'objet du litige, et les plaideurs par esprit de chicane
pouvaient faire durer indéfiniment les procès en inter-
jetant appel (1).
Le roi par sa déclaration du 16 août 1645 établit une
justice souveraine aux Iles; il décida que les procès
jugés par le premier juge seraient terminés dans chaque
colonie par celui qui y commanderait, assislé du nom-
bre de gradés prescrit ou, à leur défaut, de quelques
uns des principaux officiers et notables de l'île. Nous
étudierons dans un autre chapitre comment fut orga-
nisée cette justice souveraine à la Martinique et com-
ment elle fonctionna. Nous verrons également que le
juge en lit partie.
La juridiction du juge de Saint-Pierre s'étendait non
seulement sur l'île de la Martinique tout entière, mais
aussi sur la Grenade, les Grenadins et Sainte-Alouzie,
petites possessions delà Compagnie, qui lurent acquises
également plus lard par M. du Parquet. Nous avons
déjà vu (2) que ce gouverneur envoya son juge, M. du
Coudray, faire le procès des séditieux de la Grenade.
Lorsque quelque désordre nécessitait, dans l'une des
îles, le ministère du juge, celui-ci s'y transportait,
(1) C'est on 1688 qu'un arrêt du Conseil du Roi du 24 septembre donna
pouvoir au juge de terminer en dernier ressort les contestations dont
le montant ne dépassait pas 40 livres.
(2) V. plus haut, p. 19.

— 31 —
nanti d'une commission, qui lui était remise par le
Gouverneur et qui lixait ses pouvoirs (1).
A côté des foliotions de sa charge, le juge avait quel-
ques autres attributions. « Depuis le commencement de
la colonie, écrit Dessales (2), les juges et les procureurs
« du Roi s'étaient arrogés le droit de faire des inven-
« taires ; il était indécent qu'au lieu de rendre la jus-
ci lice comme ils y étaient astreints, ils fussent toujours
« en campagne, occupés à des partages. Ces fonctions
« ...étaient de plus contraires à l'usage constant et à
« la disposition des Ordonnances du royaume ». La
Compagnie avait confié à ses commis (3) le soin défaire
les inventaires ; mais les juges s'étaient emparés de
cette source de profits, et ils luttèrent longtemps pour
la conserver. Il fallut un arrêt du Conseil d'Etat du roi
du 17 janvier 1688 pour rendre ce droit aux notaires
qui avaient remplacéles commis de la Compagnie.
(1) « M. du Parquet y envoya son juge, pour faire le procès aux cou-
pables ». Du TERTRE, 1, p. 432. Voici les termes de la commission qui
fut donnée à Saint-Christophe par M. île Poincy à un juge commissaire
pour connaître de l'affaire Aubert- du Rivage. « A. ces tins nous avons
« nommé la personne de Nicolas Tostain, notaire et ci-devant ayant
« exercé par provision la charge de lieutenant (de juge) civil et crimi-
« nel on cette lie,.lequel nous établissons pour commissaire en celle
« partie, pour se transporter en vertu des présentes en ladite île (la
« Guadeloupe) recevoir la déposition du dit du Rivage, faire information,
« quant à ce chef seulement, entendre les témoins... après ce rapporter
« par devers nous la dite information close et scellée, amener les té-
« moins et ledit du Rivage pour être confrontés et recolés... pourra le
« sieur Tostain s'assister de Aignan Carreau... pour greffier en celte
« partie », mars 1664. Du TERTRE, 1, p. 233.
(2) Annales du Conseil Souverain, p. 333.
(3) V. p. 12, note 2.

— 32 —
Le juge devait installer le « peseur de petùn » fonc-
tionnaire chargé de vérilier le poids du tabac expédié
en France. Le sieur Pierre Galle, qui obtint cette charge
aux termes d'une commission du 5 janvier 1G39, devait
prêter serment entre les mains du Juge et recevoir de
lui la marque et le poids de la Compagnie (1).
Quand un navire arrivait aux Iles pour y vendre sa
cargaison, le Gouverneur envoyait à bord le Juge,
l'Officier de garde et le Greffier pour taxer toutes les
marchandises. Le Greffier en faisait un état qu'il si-
gnait et qu'on affichait à la porte du magasin où l'on
devait procéder à la vente (2). Le marchand inscrivait
sur un livre les .objets qu'il livrait et qui devaient lui
être payés en produits de la colonie, tabac ou sucre,
apportés par les acheteurs. Le Juge, consultant le livre
du marchand, lui faisait délivrer ce qui lui était dù, au
moment où l'on apportait au poids le tabac ou le sucre
expédiés en France ; il pouvait procéder alors à la saisie
des marchandises sur les débiteurs du marchand (3) ;
mais, là encore, d'après le P. du Tertre, le Juge ne fai-
sait pas preuve de toute l'intégrité désirable. « Quand
(1) En l'espèce le sieur Chirard dont la commission porte la môme
date. DESSALES, Annales du Cons. Souv., p. 444. En cas de fraude lors
du pesage des tabacs le juge était seul responsable.
(2; Du TERTRE, 11, p. 461.
(3) « Jamais on ne met personne on prison pour dettes, on peut
« bien saisir le petun quand on l'apporte-au poids public, mais on ne
« saurait contraindre personne par corps à satisfaire à ses créan-
« ciers »... « Les Iles ont clé longtemps sans prison... » Du TERTRE, II,
p. 446.

— 33 —
« deux ou trois magaziniers ont affaire à un même ha-
« bitant, celui qui a le plus de faveur auprès de son
« juge, ou de l'officier en son absence, est le plus tôt
« payé » (1).
(1) Les seigneurs de la Compagnie chargeaient vraisemblablement
les juges de les renseigner sur ce qui se passait aux Iles. M. du Parquet
l'avait pressenti lorsqu'il (il un si mauvais accueil au juge Chirard.
Celui-ci, dans une lettre au président Fouquet, du 8 novembre 1639, si-
gnale des attaques des Caraïbes. Du TERTRE, I, p. 114. M. Renou, juge à
Saint-Christophe, écrit également à M. Fouquet, le 28 décembre de la
même année, que M. de Poincy forme le projet d'abandonner celte île.
Du TERTRE, I, p. 146.
3


CHAPITRE IV
Le Conseil Souverain
Le Roi établit une justice souveraine
Déclaration du 1er août 1645
Nous avons vu que le Roi, dans le contrat du 12 fé-
vrier 1635, avait concédé les îles de l'Amérique à la
Compagnie, « en toute seigneurie, propriété et justice ».
Il s'était réservé cependant « la provision des membres
de la justice souveraine » (1) qui devaient lui être pré-
sentés par les associés, lorsqu'il serait besoin d'en
établir.
Dans les premiers temps de ces colonies, les procès
lurent peu nombreux, la justice rendue sans longues
formalités, et les contestations terminées par le gou-
verneur, puis par le juge. Peu à peu, avec l'accroisse-
ment de la population et peut-être parce qu'elle comp-
tait beaucoup de Normands, le nombre des procès
augmenta d'une manière incroyable, et les sentences
du juge ne contentèrent plus les plaideurs, comme au
temps de M. d'Esnambuc. Mais il n'existait aucune
juridiction d'appel aux Iles ; et seul, le colon assez
(1) Du TERTRE, 1, p. 48. L'édit de mars 1642 maintenait cette réserve.

— 36 —
riche et assez audacieux pour affronter les risques du
voyage, pouvait présenter une requête au Conseil du
Roi et faire casser la sentence qu'il prétendait rendue
en violation des ordonnances ou des coutumes (1).
Il semble que les seigneurs de la Compagnie, frappés
de ces inconvénients, se soient préoccupés d'organiser
aux Iles une Cour souveraine (2). Peut-être aussi sen-
tirent-ils le danger qu'il y avait et pour la justice et
pour le bon ordre, de laisser un juge unique prononcer
les peines les plus graves (3). Ils cherchèrent sans
doute à réunir quelques notables versés dans la science
des lois pour les présenter à l'agrément du Roi et for-
mer une Cour souveraine. Mais, si le juge pou-
vait espérer, aux termes de sa commission, recevoir
quelques gages, et si, bénéficiant de son monopole, il
trouvait son profit aux cadeaux des plaideurs, en
revanche aucune rétribution n'était promise aux mem-
bres de la nouvelle juridiction. On n'allait pas aux Iles
pour y remplir des fonctions gratuites, fussent-elles
( 1) Sur le pourvoi en cassation devant le Conseil îles Parties: voir
ESMEIN et la proposition d'erreur avant l'ordonnance de 1667 sur la
procédure. Cours Elém. d'Histoire du Droit, p. 432.
(2) « Savoir faisons que sur les remontrances qui nous ont été faites
« par les seigneurs propriétaires des Iles de l'Amérique qu'il était
« nécessaire
de pourvoir de juges qui puissent vider et terminer
« les procès
tant civils que criminels
sur les appellations inter-
« jetées des sentences et jugements des premiers juges et obvier par
« ce moyen à plusieurs grands abus
Déclaration du Roi du
1er août 1648. Du TERTRE, I, p. 312.
(3) Voir paye 29.

37
honorifiques. Los seigneurs ne trouvèrent personne
pour les remplir (1).
Mais nous avons vu que toutes les affaires importantes
étaient mises en délibération dans une assemblée tenue
parle gouverneur et les principaux capitaines de l'île,
et que ce conseil do. guerre avait eu plusieurs fois à
juger les habitants (2). Les seigneurs delà Compagnie
connaissaient son fonctionnement, cl donnaient à leurs
commis, leurs agents de contrôle, le droit d'entrer dans
ces assemblées (3).
(1) « ... Lesquels nous ont déclaré que jusques à présent aucune
« personne de la suffisance et qualité requise ne s'est présentée à eux
« pour les dites charges, soit à cause de la dislance des lieux ou que
a nous n'avons point destiné de fonds pour leurs gages... « Déclara-
« tion du Roi du 1er août 1645. Du TERTRE, I, p. 312.
(2) C'était d'ailleurs la forme de tribunal qu'ils préféraient. Pendant
la captivité de M. du Parquet en juillet 1646, au moment des troubles
qui marquèrent l'arrivée île M. de Thoisy, les séditieux pillèrent les
magasins et établirent « des juges et des conseillers pour gouverner
l'Ile comme s'ils en eussent été les- maîtres ». Du TERTRE, I, p. 330. Ils
déclarèrent dans des articles présentés à M. de la Pierrière qui gou-
vernail, l'île : « ...IV... Les habitants sont aussi d'avis que la justice
« soit administrée par quatre habitants de celle île, un de chaque
« quartier... lesquels habitants seront tenus de se trouver au Fort
« Saint-Pierre tous les lundis à huit heures du matin pour rendre la
« justice aux parties requérantes où sera présent en qualité de juge, le
« sieur Millet qui aura sa voix délibérative. V. Sont aussi d'avis... que
« les dits députés juges avec le dit sieur Millet, connaissant de loules
« les affaires concernantes l'administration de la justice, et en cas qu'il
« se trouvât matière de crime il passera par le conseil de guerre auquel
« les dits habitants seront appelés... les dits habitants prêteront le
« serment de se porter fidèlement au fait de leur charge' qui durera le
« temps d'un an, et le dit temps expiré, en seront par les habitants
des quartiers nommés d'autres, etc.
Du TERTRE, I, p. 330 à 334.
Nous avons vu que la sédilion lui rapidement étouffée par l'énergie
de Mme du Parquet.
(3) .Commission du sieur Gentil du 3 septembre 1636. Arch. Col.. F* 19.

— 38 —
il est très probable que des plaideurs, mécontents
d'une sentence du juge, avaient plus d'une fois porté
leurs différends devant ce conseil (1). Les formes de la
procédure n'élevaient pas alors une barrière infranchis-
sable, et le gouverneur et ses conseillers ne se faisaient
pas de scrupules d'accueillir les plaignants. Aussi, sur
le rapport des associés, le Roi n'eut qu'à consacrer une
situation de fait : il conlia au Conseil de chaque île,
par sa déclaration du ler août 1645, le soin de juger les
procès en dernier ressort, prescrivant toutefois qu'on y
fit entrer des juristes : «
Ordonnons
que tous
« les procès et différons tant civils que criminels
« sur les plaintes et appellations interjettées des sen-
« tences et jugements rendus par les juges
seront
« jugés et terminés respectivement en chacune des
« dites îles par celui qui commandera pour lors en
« icelle., appelés avec lui le nombre de gradués requis
« par nos Ordonnances, si tant y en a dans son île, et
« au défaut de gradués jusqu'au nombre de huit des
« principaux officiers et habitants d'icelle, chacun à
« leur égard et ce sans aucun frais
» (2).
Le Roi donna cette déclaration à, M. de Thoisy lors de
son départ pour les Iles. Quand celui-ci se retira h la
Guadeloupe, après que M. de Poincy l'eût empêché de
(1) Le Procès de M. et M"" de lu, Grange à Saint-Christophe et son
renvoi devant le Conseil du Roi. V. Du TERTRE, I, p. 142. P. CULTRU, Le
Commandeur de Poincy à Saint-Christophe, ouv. cité, p. 28.
(2) Du TERTRE, I, p. 312.

— 39 —
s'installera Saint-Christophe, M. Houel sut se la faire
remettre, la publia, et forma aussitôt, le 23 août 1646,
le Conseil souverain de son île (1).
La Déclaration du Roi prescrivait que dans la hui-
taine de sa publication et de son enregistrement au
greffe des justices ordinaires, les gouverneurs de
chaque île nommeraient ceux qui devaient les assister
dans l'administration de la justice. De ce fait, à partir
de cette année 1646, le Conseil de la Martinique, que
tenait M. du Parquet avec les capitaines, le juge, et les
principaux officiers, eut le pouvoir de juger tous les
appels en dernier ressort. L'île se trouvait dotée d'une
nouvelle juridiction dont nous essaierons de décrire les
organes et le fonctionnement (2).
(1) M. Houel recommença alors ses menées contre M. (le Thoisy. Il
fil rendre un arrêt contre le sieur de Boisfaye, lieutenant du Grand-
Prévôt, qui était venu avec le nouveau Lieutenant-Général pour con-
naitre des crimes de lèse-majesté commis par M. de Poincy. M. de
Thoisy réunit alors un conseil de guerre pour contrecarrer l'influence
du Conseil souverain de M. Houel.
(2) Dessales ne semble pas avoir vu cette évolution lorsqu'il décrit
le Conseil de la Martinique aux premiers temps de la colonie. « Cette
« justice souveraine était en même temps une assemblée générale de
« l'île, dans laquelle se portaient toutes les affaires publiques, de
« police, de justice, ou pour la défense du pays. Il y avait seulement
« cette distinction que les officiers de milice ou habitants venus à
« défaut de gradués, pour assister le gouverneur, connaissaient seuls
du contentieux. On appelait aux délibérations sur les affaires publi-
« ques ou de police générale, le corps des habitants représenté par tous
« les officiers de milice et par plusieurs notables de chaque compagnie
« dans les cas majeurs et par les syndics des paroisses dans les cas
« pressés ou de moindre importance
». Annales du Conseil Souve-
rain, p. 72 et suiv.


CHAPITRE V
Formation du Conseil. Les Séances. Son Organisation
La Procédure. Le Recours au Conseil du Roi
Aux termes de la Déclaration du Roi, M. du Parquet,
chef de la colonie, présidait le Conseil, et réunissait
chaque mois ceux qui devaient juger avec lui. Il n'y
avait pas de gradués dans l'île et ses conseillers furent
les capitaines et les lieutenants des compagnies (1).
Souvent, il avait pris leur avis, depuis les premiers
jours de l'île, il sut se contenter de leurs lumières (2).
« Quoique Sa Majesté fixât à huit le nombre des
(1) Le nombre des compagnies et leur effectif était très variable, les
colons changaient de quartier suivant les cultures qu'ils pratiquaient.
Il y en avait sept, en 1688, neuf en 1665.
(2) « On sent assez l'insuffisance de cette justice composée d'officiers
« de milice dont la plupart ne savaient pas écrire, présidée par un
« commandant militaire dont les connaissances étaient toutes différen-
« tes do celle (le l'étude des lois. La science n'y régnait pas, mais
« aussi ceux qui la composaient n'avaient-ils pas à juger des questions
« do droit fort importantes ; ou bien s'il s'en trouvait quelques unes,
« ils les décidaient selon la faiblesse de leurs lumières. » DESSALES,
Annules du C. Souverain, p. 70 et suiv. Beaucoup de délibérations des
Conseils, rapportées par le P. du Tertre, son! revêtues des marques
de capitaines qui ne savaient pas signer. V. I, p. 372 : le Conseil tenu
quand M. de-la Vernade envoyé par M. de Poincy vint poursuivre
M. de Thoisy à la Martinique el proposa de rendre M. du Parquet si on
lui livrai! M. de Thoisy.

— 42 —
« officiers ou des habitants qui devaient assister le
« Gouverneur dans l'administration de la justice sou-
« veraine, ce nombre n'a cependant jamais été bien
« déterminé, il se trouvait quelquefois autant déjugés
« que d'officiers venus à cet effet ; il paraît qu'ils n'a-
« vaient même aucune commission ad lux: du gouver-
« neur et que leurs charges seules les en rendaient
« capables. Tous les officiers de «l'île y étaient indis-
« tinctement appelés, en observant néanmoins que les
« capitaines siégeaient avant les lieutenants, ceux-ci
« avant les enseignes (3) ».
»
Le juge de l'île, qui dès les premières années de la
colonie avait été appélé aux délibérations du Conseil
de guerre (4), assistait aux réunions du Conseil
souverain et donnait son opinion, même lorsque l'on
jugeait les appels de ses sentences. En 1675, l'édit du
Roi lui interdit l'accès de ces causes ; mais ce n'est
qu'en 1690 qu'il fût complètement exclu du Conseil.
La Déclaration du Roi conduit le ministère public au
procureur fiscal de la justice ordinaire, et le greffier de
ce tribunal devait tenir les. registres du Conseil. Le
Roi, bien renseigné sans doute sur l'état de la procé-
dure aux Iles, prenait soin de prescrire à ces deux offi-
ciers «de faire registres distincts et séparés de ce qui
« se traitera devant les premiers juges ou devant ledit
(3) DESSALES, Annales du C. Souverain, P. 70 cl, suiv.
(4) V. p. 13, note 3.

— 43 —
« Conseil... (1) ». Aucune rétribution supplémentaire
n'était prévue pour leurs nouvelles fonctions ; mais
nous avons vu comment le procureur et le greffier
savaient l'aire payer leur ministère.
Les capitaines venaient au Conseil et y siégeaient
l'épée au côté (2). « Toutes les causes se jugent en
« robes courtes, et ou ne sait ce que c'est de soutane
ni de bonnet carré (3) ».
On se réunissait près du Fort Saint-Pierre, dans une
case assez vaste ou dans quelque magasin (4). Mais le
plus souvent le Conseil siégeait en plein air. « M. le gé-
« néral de Poincy et M. du Parquet, lorsque leur santé
« le permettait, se trouvaient toutes les semaines à l'au-
« dience, le premier sous le grand figuier à la Basse-
« Terre de Saint-Christophe et le second à la Martinique
« sous son calebacier au Port Saint-Pierre, où ils
« accommodaient tous les différends et ne renvoyaient
« jamais les parties qu'elles ne fussent d'accord et ne
(1) Du TERTRE, I, p. 312 et suiv.
(2) MOREAU DE ST-MERY, Lois et constitutions des Colonies, I, p. 351
note et Du TERTRE, 11, p. 445.
(3) Du TERTRE, II, p. 446.
(4) « Dans lu place du Fort, il y a un fort bel auditoire où on plaide
« et où Monsieur le Général du Parquet tenait son Conseil une fois le
« mois ». Du TERTRE, I, p. 2(i. — Plus tard sous le gouvernement de
Mme Duparquet lors de la sédition qui met son autorité en péril
(v. p. 20) les mécontents réclament dans une délibération : « Qu'il sera
« mis ordre que l'audience et salle du Conseil sera parachevée et que
« les planchers, fenêtres, portes et autres choses nécessaires seront
« achevées en sorte qu'elle puisse servir d'Hôtel de Ville et lieu
« d'assemblée ». Du TERTRE, I, p. 538 et suiv.

— 44 —
« se fussent embrassées » (1). On croirait lire Joinville,
lorsqu'il montre saint Louis rendant la justice au
pied d'un chêne, et ce tribunal fait songer aux « plaids
delà porte» où les rois capétiens accueillaient les re-
quêtes, faisaient comparaître les parties devant eux, et
expédiaient eux-mêmes leurs causes. Les conseillers
ordinaires du palais, quelques familiers, les assistaient
dans ces jugements rendus hors de la « curia régis » (2).
La procédure était forcément très simple, et les plai-
deurs pouvaient sans formalités approcher ce Conseil
et lui soumettre les sentences dont ils étaient mécon-
tents. « C'est dans ces Isles où l'on fait bonne et brève
<< justice ; car comme l'on n'y emploie point toutes les
« formalités d'écritures qui se pratiquent dans la
« France et qui font voir assez souvent la fin de la vie,
« avant celle des procès, les causes y sont terminées du
« soir au lendemain, et l'on y voit rarement un procès
« durer plus d'une semaine » (3).
(1) Du TERTRE, II, p. 446.
(2) V. ESMEIN, Cours élém. d'Hist. du Droit, p. 381. — V. également:
L'Apologie pour la défense des habitants de l'Ile dit Saint-Christophe...
sur le refus et opposition qu ils font au départ de M. le Commandeur de
Poincy... filée par P. CUILTRU, Le Commandeur de Poincy à Suint-Chris-
tophe,
ouvr. cit. p. 44 : "... Vous diriez que le siècle d'or serait revenu
« voyant cet illustre général, accompagné de ses principaux officiers,
« rendre la justice sous un figuier à tous les habitants, écouter leurs
« plaintes et vider leurs différends avec tant de dextérité et de patience
« que ces pauvres gens s'en retournentI plus contents que s'ils avaient
« passé par les mains des plus savants légistes ». — P. 66, Les au-
diences décrites par le F. Maurille de Saint-Michel dans son Voyaye
des il.es Camercanes.
(3) Du TERTRE, II, P. 446.

— 45 —
Le gouverneur prenait l'avis des officiers et du juge
et prononçait son arrêt. Le greffier l'inscrivait sur son
registre en mentionnant les noms des capitaines qui
avaient été appelés au Conseil. Le gouverneur signait
l'arrêt. Après la mort de M. du Parquet, ce fut sa
veuve qui présida le Conseil et signa en compagnie de
Médérie Rools, sieur de Gourcelas. Celui-ci exerçait la
charge de lieutenant général pendant l'absence de
M. d'Esnambuc (1). Mme du Parquet mourut en 1659.
M. de Vaudroques eut alors le gouvernement et pré-
sida le Conseil (2).
La Déclaration du Roi, de 1645, avait donné au Con-
seil souverain la compétence la plus étendue. Il recevait
les appels des sentences du jugé de la Martinique, sen-
tences rendues dans l'île môme ou dans les petites îles
dépendantes (3). Il terminait tous les procès, au civil
comme au criminel (4) et si nous ne possédons pas un
grand nombre de ses arrêts, c'est que ses archives su-
birent de regrettables détériorations. Nous en citerons
plus loin quelques-uns lorsque nous étudierons sa
jurisprudence et l'application qu'il lit des ordonnances
et des coutumes du royaume.
(1) DESSALES, Annales du Cons. souv., p. 40.
(2) DESSALES, Annales du Cons. souv., p. 51, arrêt du 8 août 1661.
(3) Du DERTRE, I, p. 433. Un séditieux de la Grenade, nommé Le Mar-
quis, fut condamné à être pendu par le juge du Coudray qui s'était
transporté dans cette île « mais ayant appelé de la sentence au Conseil
de la Martinique, elle fut modérée à un bannissement
(4) DU TERTRE, II, p. 445.

— 46 —
Ses solutions ne contentaient pas toujours les plai-
deurs ; ses arrêts rendus en dernier ressort étaient
inattaquables comme émanant d'une Cour souveraine,
le Roi, dans son Conseil, pouvait cependant les casser.
Nous dirons quelques mots de cette voie de recours en
étudiant l'action du pouvoir royal sur l'administration
de la justice à la Martinique.

CHAPITRE VI
Les empiétements du Gouverneur
Les Conflits entre les juridictions
Nous avons dû, pour la clarté de l'exposition, définir
les caractères et les attributions de chacun des tribu-
naux que nous venons d'étudier. Lorsqu'ils lurent tous
définitivement constitués, il semble que le juge devait
être seul à connaître en premier ressort de tous les
procès civils et criminels, et que le Conseil souverain
jugeait et terminait les appels de ces causes. Le gou-
verneur, qui dans les premiers temps avait seul rendu
la justice, était débarrassé de ce soin. Bien plus, dans
la commission qu'il avait donnée à M. de Poincy le
15 février 1638, le Moi lui imposait le devoir de « faire
« vivre nos sujets... en paix, union et concorde selon
« nos ordonnances, les faire observer..., faire punir
« tous ceux à qui il pourrait arriver de commettre un
« crime..., et pour cet effet, soutenir l'autorité de la
« justice, et la faire rendre à chacun... » (1). L'édit de
(1) Du TERTRE, I, p. 125. — V. également la commission de M. de
Thoisy, ibid., p. 253, et p. 385 un extrait du registre du Conseil d'Etat
où le roi défend à M. de Thoisy de « s'ingérer en l'administration de la
justice ordinaire et établissement de la police... ». — V. aussi DESSALES,
Annales du Cons. souv., p. 23 et nu TERTRE, I, p. 387.

— 48 —
mars 1642, qui confirmait le contrat de la môme année,
réservait au Roi le choix d'un gouverneur général, qui
ne devait « en façon quelconque s'entremettre... de
l'exercice de la justice » (1). Tout cela devait donc
assurer aux juges le libre exercice de leurs fonctions.
En fait, les désordres qui troublèrent celle première
période de l'histoire des Antilles, eurent leur répercus-
sion sur le fonctionnement de la justice. Saint-Chris-
tophe et la Guadeloupe furent le théâtre des rivalités
de leurs gouverneurs ; leurs juges et leurs conseils ne
furent que les instruments des persécutions qu'ils infli-
gèrent aux partisans de leurs rivaux. Nous avons déjà
rapporté (2) des traits de la violence de M. dè Poincy et
de son dédain des formes judiciaires. La Compagnie,
pourtant indulgente a son égard, lui reprocha « d'avoir
juge lui-même les procès en appel et d avoir interdit
les juges » (3). Quand il gouverna l'île au nom de
l'ordre de Malte qui l'avait achetée de la Compagnie, il
renvoya les juges en France, et fut alors seul à rendre
justice avec sou conseil de guerre (4).
La Martinique eut la chance d'être gouvernée par un
homme plus honnête, et surtout moins violent; aussi
(1) Du TERTRE, I, p. 212.
(2) V. p. 28, Le procès Desmarets.
(3) V- DU TERTRE, I, p. 188. - P. CULTRU, Le Commandeur de Poincy
à Saint-Christophe, p. .13-34. « Il aurait même reçu des appels tant du
« juge de Saint-Christophe que des juges des autres îles ...
(4) P. CULTRU, Le Commandeur de Poincy à Saint-Christophe. Citant
Fr. Maurille de Saint-Michel : Voyage aux iles Camercanes.

— 49 —
connut-elle une administration où l'arbitraire ne fut
pas la seule loi. Pourtant M. du Parquet, que nous
avons déjà vu aux premiers jours de la colonie, très
jaloux de rendre la justice lui-même, laissa aux juges
les seuls procès qu'il ne voulut pas juger. Quand il
devint propriétaire de l'île, les officiers de justice
nommés par lui ne furent que ses porte-paroles (1), et
leur cupidité enleva aux plaideurs toute confiance dans
leur équité. D'ailleurs M. du Parquet accueillait les
plaignants au Conseil ou apportait lui-même leurs pro-
cès devant cette assemblée (2). Aussi le plus souvent,
les habitants préféraient-ils ignorer le juge et saisir le
Conseil de leurs différends.
C'étaient, nous l'avons dit, des hommes durs et de
mœurs violentes. La justice rendue sous des formes
militaires plaisait à des aventuriers, « habitués aux
« procédures brutales que la force impose dans un
« pays sans tribunaux réglés » (3). Ils restaient atta-
chés à leur conseil de guerre, et ne trouvaient pas
mauvais que leur chef fît bon marché des prérogatives
du juge. Quand le pouvoir passa aux mains de Mme du
Parquet, le danger leur en apparut bientôt. Nous avons
(1) Du TERTRE, II, p. 441.
(2) V. DU TERTRE, I, p. 467. — Au cours d'une guerre contre les sau-
vages, en 1654, huit ou dix de ceux-ci « ayant été pris... et. amenés à
« M. du Parquet, il leur fit faire leur procès par son Conseil où ils
furent condamnés à être assommés à coups de hache ».
(3) P. CULTRU, Le Commandeur de Poincy à Saint-Christophe, ouvr.
cité, p. 66.
4

— 50 —
parlé des troubles qui éclatèrent pendant le gouverne-
ment de cette dame (1); les habitants se plaignirent
du juge Fournier et obtinrent son remplacement par
le sieur de la Giraudière (2). Dans la délibération*
qu'ils lirent le 22 juillet 1658, les sept compagnies
assemblées, ils arrêtèrent « qu'à l'avenir les habitants
« ne pourraient être exilés ni punis que leur procès
« ne fût fait et parfait par les voies de la justice » ; et
ils établirent « pour leur procureur et syndic le sieur
« de Plainville auquel ils donnaient pouvoir de les re-
présenter et de les défendre envers et contre tous un
chacun que besoin serait, et d'assister au Conseil avec
séance et voix délibérative... » (3). Les « estrapades
« cordes et exils », pratiqués autrefois par M. de
Poincy, avaient sans doute remplacé la justice patriar-
cale de M. du Parquet et les solutions conciliantes qu'il
donnait à l'ombre du calebassier (4).
(1) V. [). 15. On lui reprochait de prétendues intelligences avec les
Anglais. V. DU TERTRE, p. 538.
(2) V. p. 20.
(3) DESSALES, Annales du Conseil, souverain, p. 41. «. .
Le sieur de
Plainville fut une sorte de tribun violent ; ce fut lui qui arrêta M'"' du
Parquet, la conduisit prisonnière au quartier du Prêcheur
Le 22 août
1658, le Conseil des habitants fil. la paix avec M"" du Parquet et le
21 octobre elle lui « remise en possession de son gouvernement, droits
et honneurs à elle attribués... » avec « voix délibérative dans le Con-
seil comme avant les mouvements... ». Il y eut à Saint-Christophe une
communauté des habitants avec un syndic vers 1648.
(4) M. de Cérillac ayant acheté la Grenade en 1656 par l'intermédiaire
du P. du Tertre « il y envoya son lieutenant... je no sais... les crimes
« dont il fut accusé, mais les habitants lui firent son procès et il fut
tiré par les armes ». Du TERTRE, I, p. 520.

— 51 —
Le gouvernement de M. de Vaudroques n'apporta
aucun changement dans l'administration de la justice.
C'est seulement à partir de l'année 1664, quand le roi
concéda les Antilles à la Compagnie des Indes Orien-
tales et reprit en fait le gouvernement direct de ces
îles, que le lion ordre revint dans le fonctionnement
des tribunaux de la colonie.


CHAPITRE VII
Application des Lois et des Coutumes
Les Solutions du Conseil. La Justice et les « Nègres »
Le Père Du Tertre affirme que « l'on garde dans
« toutes les îles la coutume de Paris, et si elle y est
« transgressée eu quelques point», cela vient de l'igno-
« rance des juges qui ne la savent pas, ou de l'impos-
« sibilité de la garder et en ce cas on suit l'usage des
lieux ». Les seigneurs de la Compagnie avaient peut-
être recommandé en effet d'observer, pour les affaires
de justice, la coutume de Paris où leur société s'était
formée ; mais combien auraient-ils trouvé de per-
sonnes aux Iles quii en connussent les dispositions?
Nous avons pu citer deux juges qui étaient des hommes
de loi (2), et les capitaines qui formaient le Conseil
souverain n'étaient que des planteurs. De plus les
colons venaient de provinces différentes dont les cou-
tumes variaient sensiblement. Dans cette société aux
mœurs rudes, les « espèces » n'étaient pas compli-
quées ; il se forma peu à peu une sorte de droit natu-
(1) Du TERTRE, 11, p. 446. V. DESSALES, Annales du Cous, souv., p. 250,
(2) V. page 16 et suiv,

— 54 —
rel, une procédure sommaire semblable à celle de la
loi de Lynch, terminée par les solutions que comman-
daient les mœurs des habitants, leurs industries et les
besoins de la colonie. C'est celle jurisprudence qui ins-
pira longtemps le Juge cl le Conseil.
Dessales signale les « solutions peu juridiques » de
cette cour (1). Elle déclara valable le mariage de M. du
Parquet avec la Demoiselle Bonnard, bien qu'il n'eût
pas été précédé de la publication des bans (2). Elle se
fondait sur une attestation d'un Père jésuite qui décla-
rait leur avoir donné la bénédiction nuptiale le 30 avril
1647, bénédiction qui avait été omise pour de justes
raisons le jour de leur mariage, le 21 novembre 1645.
La nommée Baron présenta requête le 5 juin 1651
« pour qu'il lui fût permis de convoler en secondes
« noces, attendu l'absence de son mari et les appa-
« rences de sa mort. Il lui fut permis de se marier,
« l'arrêt porte : sans tirer à conséquence, et cependant
« fait défenses à toutes femmes de quelque condition
« qu'elles soient, de se promettre ni convoler en
« secondes noces qu'après cinq années d'absence de
« leurs maris ou d'attestations valables de leur mort.
« Il est bien vrai que dans les premiers siècles de
(1) « ... Louis XIV n'avait voulu composer les Conseils souverains des
« Iles que de colons. Peu lui importait le barbarisme commis par un
« juge pourvu que ce juge ne compromit pas la juslice ». Annales du
Cons. souv., p. 4. Le père Labat avait déjà signalé le barbarisme en
question. « Partus sequitur ventris ».
(2) Annales du Cons. souv., p. 39,

— 55 —
« l'Eglise une femme abandonnée par son mari pou-
« vait se remarier, elle avait le même droit lorsque
« son mari était longtemps absent sans donner de ses
« nouvelles; mais aujourd'hui il faut des nouvelles
« certaines de sa mort, des attestations valables, parce
« que millier allegata est viro lege, quanto tempore vivit.
« Celte loi était sans doute ignorée aux lies lorsque cet
« arrêt y fut rendu, ou peut-être bien pensait-on qu'on
« ne devait pas y être assujetti dans une colonie nais-
« santé où les femmes étaient fort rares et la multi-
« plication nécessaire » (1).
Les procès criminels se terminaient souvent par des
condamnations à mort; mais les sentences restaient
presque toutes sans exécution. Du Tertre assure que
« le Bourreau,
un nègre à qui l'on donne la liberté
« pour exercer cet infâme métier,
n'a pas beaucoup
« de pratique ; car comme jusqu'à présent, l'on a eu
« besoin de monde, l'on en a fait mourir le moins
« qu'on a pu,
et l'on a souvent changé la peine de
« mort à quelque banissement dans d'autres îles, d'où
« l'on revenait bientôt » (2).
Souvent aussi, la cruauté des colons infligea à de
malheureux accusés des tortures effroyables. En 1657,
on accusa une femme, d'être sorcière. « Le juge
« suivit..... le conseil d'un certain Maître Jacques,
(1) Annales du Cons. souv., p. 70 et 71, v. également p. 250.
(2) Du TERTRE, II, p. 447, V. également tome I, p. 584, p. 433,

— 56 —
« chirurgien, Italien de nation, appelé le Romain, qui
« lui dit qu'il avait vu pratiquer en Allemagne et en
« Italie l'épreuve de l'eau et qu'elle était permise. Çe
« bon homme, sans prendre avis des R. P. Jésuites, ni
« de nous, y condamna cette misérable » (1). La pauvre
femme, attachée à une grande corde que l'on tenait des
deux côtés de la rivière, « flotta comme un ballon sans
« jamais pouvoir enfoncer ». Le peuple présent voulait
la retirer ; mais le Romain lui fit attacher une aiguille
dans les cheveux par un petit garçon qui y alla à la
nage, et elle enfonça aussitôt et fut au fond, où elle
resta « l'espace d'un bon miserere » sang remuer et
sans avaler une goutte ; on dut môme lui en donner
lorsqu'elle fut retirée pour étancher sa soif. L'épreuve
était concluante, le juge la condamna à mort le lende-
main. « Mais pendant qu'il se préparait au jugement,
« ce Romain s'avisa sur lui de lui donner la question
« à sa mode et lui brûla si bien les côtés et les lianes
« qu'elle mourut la même nuit sans avoir avoué le
« crime dont on l'accusait » (2).
La justice s'occupait rarement des délits commis par
les nègres ; elle laissait à leurs maîtres, ou à leurs vic-
times, le soin de les punir ; et les commandeurs, dans
les habitations, appliquaient les coups de liane, ou
faisaient couper les oreilles et frotter les plaies de
(1) Du TERTRE, II, ibid.
(2) Du TERTRE, II, p. 447 à 449,

— 57 —
citron. La révolte seule était jugée par le Conseil et
« inexorablement punie du dernier supplice
L'on
« a écartelé et brûlé les principaux auteurs des ré-
« voltes
Si par l'arrêt on ordonne que les corps de
« ceux qui sont condamnés à mort seront brûlés après
« avoir été étranglés, l'on contraint les nègres de porter
« chacun un morceau de bois pour composer le feu » (1).
Sinon les corps étaient écartelés, les morceaux exposés
dans les places publiques, et la tète chez le maître.
« Un nègre qui aurait frappé un Français peut être mis
« entre les mains de la justice, et j'en ai vu un auquel
« on avait coupé le poing pour avoir donné un soufflet
« à son commandeur » (2). Le moindre supplice était
l'exposition « au carcan public pendant tout un jour
« avec un certain baillon à la bouche qui s'ouvre par
« une vis ; ce bâillon est frotté de piment qui fait
« baver ces pauvres misérables d'une manière,.... d'au-
« tant plus fâcheuse que les petits enfants se moquent
« d'eux et se divertissent de leur peine ». D'autres
nègres moins heureux étaient attachés au poteau « par
« l'oreille avec un clou, et on la leur coupait en-
« suite » (3).
(1) Du TERTRE, II, |>. 523. Dans les Annales du Cons. souv., Dessales
cite (p. 113) le cas du nommé Séchoux, chef île sédition, qui fui pendu,
puis écartelé, et ses membres attachés aux avenues publiques. V. éga-
lement Du TERTRE, I, p. 501-502, Châtiment d'une révolte des esclaves à
la Guadeloupe en 1656.
(2) Du TERTRE, II, p. 534.
(3) Du TERTRE, II, p. 531,

— 58 —
Tontes ces procédures barbares ne disparurent pas
avec le temps ; l'histoire do la Martinique est malheu-
reusement riche en récits atroces des tortures inventées
par des gouverneurs violents et des colons effroyable-
ment cruels.

CHAPITRE VIII
Le Pouvoir Royal et l'Administration de la Justice
Le Lieutenant du Grand Prévôt
La royauté, d'après les légistes de l'ancien régime
était « la source de toute justice » : le Roi pouvait
« donner à un seigneur, en même temps qu'il lui con-
cédait une terre, le droit de juger ceux qui habitaient
dans les limites de la tenure. C'est en vertu de cette
théorie que la Compagnie des Iles avait reçu du Roi
le droit d'organiser dans ses possessions l'administra-
tion de la justice.
Dans le premier contrat, du 31 octobre 1026, qui
établissait la Compagnie, il n'y avait pas eu de conces-
sion du Roi ; Richelieu « chef et surintendant du com-
« merce » (1) et l'un des associés, avait donné congé
à MM. d'Esnambuc et du Rossey d'aller peupler les lies
à charge de les tenir sous l'autorité et puissance du
Moi. La Compagnie n'avait acquis sur elles aucun droit
de seigneurie, et il ne fut pas question d'organiser
des tribunaux.
Dans les contrats de 1635 et do 1642, c'est le Roi qui
(1) Du TERTRE, I, p. 12,

— 60 —
conférait aux associés les îles découvertes ; ils on deve-
naient seigneurs à charge de foi et hommage, avec
« haute, moyenne et basse justice » (1). Le Roi se ré-
servait, nous l'avons dit plus haut, la provision de la
justice souveraine et la nomination d'un gouverneur
général ; dans le contrat de 1642, il donnait en outre
à la Compagnie le privilège de voir évoquer devant le
Grand Conseil tous les différends qu'elle pourrait avoir,
« en ôtant la connaissance et la juridiction à tous
« autres juges même aux Cours souveraines » (2). Il
usait du pouvoir, que lui reconnaissait aussi l'ancien
droit, d'arrêter l'action des tribunaux, de « retenir la
justice ».
Nous avons vu que le recours au Conseil du Roi fut
le seul moyen pour les colons d'en appeler des sen-
tences du juge, jusqu'au moment où la déclaration de
1645 donna au Conseil de l'Ile le pouvoir de terminer
les procès ; ce recours devin! alors un moyen pour
faire casser les arrêts du Conseil souverain. Le plai-
deur qui n'hésitait pas à faire le voyage de France,
pouvait présenter une requête au Conseil privé du Roi,
en invoquant, soit une erreur dans la sentence, soit
une violation des ordonnances ou des coutumes. Les
maîtres des requêtes examinaient ses moyens et décla-
(1) Du TERTRE, I, p. 212. — Dans le contrat de 1635 «... La Compagnie'
« se réserve de nommer... les officiers do justice qu'il conviendra d'éta-
« blir auxdites lies ». Du TERTRE, I, p. 53.
(2) Du TERTRE, I, p. 209.

— 61 —
raient si la requête était ou non recevable, et sur leur
avis le Roi rendait un arrêt. Si cet arrêt admettait l'er-
reur ou la violation de la loi, le Roi délivrait des Lettres
patentes adressées au Conseil souverain et lui mandant
de réviser la sentence (1).
Le recours au Conseil du Roi ne pouvait donc s'ou-
vrir que si l'on invoquait l'un de ces deux moyens ; il
semble de plus que l'usage s'était établi à la Marti-
nique, dans les dernières années, de consigner la
somme de 1,500 livres lorsqu'on voulait se pourvoir
contre un arrêt du Conseil souverain. L'origine de cet
usage remonte à un procès rapporté par Dessales dans
ses Annales du Conseil de la Martinique. Un certain
« Jean Ferré, ayant interjeté appel au Conseil d'Etat
« d'un arrêt interlocutoire du Conseil, rendu au profit
« de François Lestiboudois, sieur de la Vallée, il fut
« rendu arrêt au Conseil d'Etat, le 24 octobre 1663, par
» lequel Sa Majesté renvoyait les parties au Conseil sou-
ci verain de la Martinique, pour procéder entre elles à
« l'exécution des jugements qui y avaient été rendus.
« Sa Majesté lui attribuant à cet effet toute Cour, juridic-
« lion et connaissance, et icelle interdit à tous autres
« juges, sauf à se pourvoir contre lesdils jugements sou-
ci verains par les voies de droit, faisant Sa Majesté très
« expresses inhibitions et défenses audit Ferré, et à tous
(1) V. ESMEIN, Cours élém. d'hist. du Droit, p. 432 et suiv. La propo-
sition d'érrèur fut supprimée par l'Ordonnance sur la procédure de 1667.

— 62 —
« autres, de se pourvoir ailleurs que pardevant le
« Conseil souverain, à peine de 1,500 livres d'amende
« et de tous dépens, dommages et intérêts » (1).
Le Moi pouvait encore par les lettres de grâce sous-
traire une personne à l'application des lois. Après la
sédition de 1646, qui éclata pendant la captivité de
M. du Parquet et qui-fut étouffée parla mort des fac-
tieux (2), M. de T hoisy, lieutenant général pour le Roi,
envoya, le 25 août 1.646, sur la demande de M. de la
Pierrière, une abolition générale des choses passées.
« Nous, en vertu du pouvoir donné par S. M..., pro-
« mettons de ne rechercher personne après la publica-
« tion de cette présente déclaration concernant l'exé-
« cution dernière faite à la Martinique par ledit sieur de
« la Pierrière, et d'oublier tous les désordres commis
« auparavant... » (3). Dans la lettre de cachet donnée
à M. de Vaudroques, le 20 juillet 1659, lettre qui le
nommait gouverneur'général pendant la minorité du
fils de M. du Parquet, le Roi amnistiait quelques-uns
des habitants qui avaient pris part à des troubles ; mais
il prescrivait que l'on condamnât à mort quatre des
chefs du mouvement. « C'est pourquoi je fais expédier
« mes lettres de pardon et d'abolition pour tous ceux
« qui sont dans le crime ou qui l'ont favorisé, à la
« réserve des nommés Plainville, Sigallis, Antoine et
(1) DESSALES, Annales du Cous, souv., p. 380.
(2) V. page 5.
(3) Du TERME, I, p. 341.

— 63 —
« Louis Vigeon, que je veux être condamnés au dernier
« supplice.,. ; vous prendrez soin qu'il soit procédé
« extraordinairement contre eux selon la rigueur de
« mes ordonnances. A vrai dire on ne trouve'pas dans
« les registres trace de leur procès » (1). Une fois de
plus, dans l'intérêt de la colonie, on ne les poursuivit
pas : l'ordre du Roi lui-même resta lettre morte ; on
voulut éviter leur désertion et celle de leurs complices.
Enfin, le Roi, renseigné sur l'anarchie qui régnait
dans l'administration des Iles, rappelait souvent aux
gouverneurs les soins qu'ils devaient prendre de faire
rendre la justice aux habitants. Cette préoccupation se
reflète dans toutes les commissions que nous avons
déjà citées (2) ; mais les gouverneurs ne voulurent
jamais se cantonner dans les attributions île leurs
charges.
Il y eut aux Iles pendant quelques années un Lieute-
nant (lu Grand Prévôt : il fut chargé d'instruire un
procès à l'occasion des désordres qui suivirent l'arrivée
de M. de Thoisy (3), mais il ne put exercer sa juridic-
tion. Quand M. de Thoisy eut été nommé en 1645,
lieutenant général des Iles, M. de Poincy qui occupait
cette charge déclara qu'il s'y maintiendrait contre
(1) DESSALLE, Annales du Cons. sou»., P. 50. — Les lettres d'abolition
accordaient l'amnistie pour les crimes qui entrainaient la peine de
mort ; les lettres de pardon visaient les crimes moins graves. V. Es-
MEIN, Cours élém. d'hist, du Droit, p. 434 et suiv.
(2) V. page 47 et suiv.
(3) V. page 4.

— 64 —
l'ordre du Roi. Pour instrumenter contre lui, M. de
Thoisy obtint avant son départ une commission de
Lieutenant du Grand Prévôt (1) pour un certain de
Boisfaye ; mais il ne put s'établir à Saint-Christophe,
et dut demeurer quelque temps à la, Guadeloupe.
Pendant son séjour dans celte île, un capitaine de la
Rochelle, nommé Boutain, alla à Saint-Christophe et
rapporta de la part de M. de Poincy, des lettres et un
manifeste séditieux ; il fut pris et mis aux fers à la
Martinique par M. de la Pierrière. M. de Thoisy envoya,
le 4 mai 1646, une ordonnance aux officiers de cette
île, pour faire le procès au capitaine Boutain. « Le
« sieur de Thoisy... aux officiers de la Sénéchaussée de
« la Martinique... vous mandons et enjoignons toutes
« affaires cessantes, que vous reteniez en vos prisons
(1) « Nous, Jean du Bouchet... Grand Prévost do France... S. M. vou-
« lant qu'il y ait [dans les lies] des personnes ayant qualité et portant
« les marques d'officiers de sa maison... pour y administrer la justice et
« police selon que Nous et nos lieutenants et exempts la rendent et
« administrent à la Cour et suite do S. M.... avons commis... pour notre
« personne représenter aux dites Mrs et eu icelles faire la charge et
« fonction d'officiers du Roi sous notre charge : à Savoir ledit sieur de
« Boisfaye colle de lieutenant, Claude Méline exempt... les autres
« archers aux mêmes droits, honneurs et prérogatives dont jouissent
« nos lieutenants, exempts, archers, même de porter par les dits lieu-
« tenants et exempts chacun un bâton à pomme d'yvoire et par les dits
« archers un hoqueton aux armes de S. M. avec pistolet, carabine,
« hallebarde... vaquer à l'administration de la justice et police, infor-
« mer... des contraventions aux Ordonnances et jugements de police et
« autres ; ensemble de tous délits et crimes, iceux juger et punir selon
« la rigueur des Loix faites par le Roy aux dites Isles ou autrement
« selon que le dit sieur de l'atrocles sera advisé... » Commission du
29 août 1645. Du TERTRE, I, p. 281 et 282. *

— 65 —
« ledit sieur Boutain et travailliez d'office à l'instruc-
« tion de son procès ; ...quoi faisant vous saisirez tant
« son dit vaisseau que les marchandises... Enjoignons
« au dit sieur de la Pierrière de tenir la main à l'exé-
« cution des présentes » (1). Enfin, le 7 du même
mois, M. de Leumont, « Intendant général des affaires
de la Compagnie », écrivit d'envoyer « M. de Boissaye
« avec deux de ses archers à la Martinique 'pour faire
« et instruire le procès au capitaine Boulin comme
« criminel de lèze-Majesté et ainsi justiciable des offi-
« ciers de sadite Majesté dont M. le Grand Prévost est
« l'un des principaux en première instance et en crime
« d'Etat » (2). Mais le même jour, M. Houel, lieute-
nant à la Guadeloupe, donna le premier arrêt de son
Conseil souverain contre le Lieutenant du Grand Prévôt,
dont la commission fut déclarée nulle. La Martinique
ne reçut pas la visite du sieur de Boisfaye et de ses
archers.
(1) Du TERTRE, I, p. 317.
(2) Du TERTRE, I, ibid.
*


CONCLUSION
Dans les premières années de la Martinique la justice
lut administrée d'abord par le Chef qui avait conduit
les premiers colons, puis par des juges, semblables aux
juges seigneuriaux du Royaume. Les désordres et
l' anarchie qui régna dans l'administration des Iles em-
pêchèrent les premiers tribunaux de fonctionner régu-
lièrement. Sans doute les plaideurs purent porter leurs
différends devant un juge, en première instance, puis
devant un Conseil souverain, juridiction d'appel, mais
le gouverneur devenu seigneur de l'île, voulut lui aussi,
rendre la justice, et le colon, de peur de le mécontenter,
dut porter sa plainte devant lui ; les juges, planteurs
comme leurs justiciables et venus aux lies, comme eux,
pour chercher fortune, obéirent aveuglément à la pres-
sion du gouverneur. Le Conseil futsurtout un conseil de
guerre, et ses membres, souvent illettrés, siégèrent
l'épée au côté. Le pouvoir royal n'intervint que rare-
ment dans l'administration de la justice et ne put ja-
mais y ramener le bon ordre.
A partir de 1664, le Roi transmit les Iles à la Compa-
gnie des Indes Occidentales, et par sa déclaration du
11 octobre de la même année, rétablit le Conseil sou-

— 68 —
verain de la Martinique. En 1674, il reprit le Domaine
direct des Iles. Les juridictions devinrent juridictions
royales ; elles eurent dès lors des attributions bien dé-
finies et un fonctionnement régulier, malgré les conflits
fréquents qui surgirent entre elles et les agents du gou-
vernement. Peu à peu les juges et les conseillers de-
vinrent des magistrats de carrière ; ils se préoccupèrent
de copier les officiers du Royaume et d'acquérir comme
eux, en même temps que la science des lois, les honneurs
dont ils les voyaient entourés, et jusqu'au droit de
porter l'hermine.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
Archives coloniales. — Compagnies do commerce F2 19. Registre du
XVIIe siècle in-fol.
Du Tertre. — Histoire générale des Antilles habitées par les Français.
Paris, 1667. H. N. L K 12 12.
Moreau de Saint-Méry. — Loix et constitutions des Colonies françaises
de l'Amérique sous le vont. Paris, 1784. B. N. Inv. K. 20216.
Dessales. — Histoire générale des Antilles. Annales du Conseil souverain
do la Martinique, au tome III. Paris, 1847. H. N. L K12 18.
De Dampierre. — Essai sur les sources de l'histoire des Antilles. Paris,
1904. H. N. 8° L45 69.
De la Roncière. — Histoire de la marine française. Paris, 1910.
G. Servant. — Etude sur la Compagnie- de Saint-Christophe et sur la
Compagnie des Iles. Revue de l'histoire des Colonies françaises. 1913,
p. 385 et suiv.
P. Cultru. — Leçon d'ouverture du cours d'histoire coloniale. Besançon,
1906.
— Le Commandour de Poincy à Saint-Christophe. Revue de l'histoire dos
Colonies françaises. 3e trim. 1915.


TABLE DES MATIERES
Pages
INTRODUCTION
.
1
CHAPITRE PREMIER. — Débuts de la Colonie. Le Gouver-
neur rend la justice. Le Conseil de guerre
9
CHAPITRE II. — Développement de la Martinique. La Com-
pagnie y envoie un juge. Hostilité du Gouverneur et des
habitants. Les premiers juges
15
CHAPITRE III. — Le Tribunal du juge. Le Procureur fiscal.
Le Greffier. L'Audience. La Procédure. La Compétence du
juge
23
CHAPITRE IV. — Le Conseil souverain. Le Roi établit une
justice souveraine. Déclaration du 1er août 1645
35
CHAPITRE V. — Formation du Conseil. Les Séances. Son
Organisation. La Procédure. Le Recours devant le Conseil
du Roi
41
CHAPITRE VI. — Les empiétements du Gouverneur. Les
Conflits entre les juridictions
47
CHAPITRE VII. — Application des Lois et des Coutumes.
Les Solutions du Conseil. La Justice et les « Nègres ».. .
53
CHAPITRE VIII. — Le Pouvoir Royal et l'Administration de
la Justice. Le Lieutenant du Grand Prévot.
59
CONCLUSION
67
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
69

BAR-SUR-SEINE. — IMPRIMERIE Ve C. SAILLARD









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