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BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE COLONIALE
LETTRES
DU
GÉNÉRAL LECLERC
COMMANDANT EN CHEF
DE L'ARMÉE DE SAINT-DOMINGUE
EN 1802
PUBLIÉES AVEC UNE INTRODUCTION
PAR
PAUL ROUSSIER
PARIS
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES
ET
LIBRAIRIE ERNEST LEROUX
49, BOULEVARD SAINT-MICHEL
1937
B.U. NANTES-LETTRES-DROIT
D
008 205038 6




LETTRES
DU
GÉNÉRAL LECLERC
COMMANDANT EN CHEF
DE L'ARMÉE DE SAINT-DOMINGUE
EN 1802

Tous droits de traduction, reproduction et adaptation réservés pour
tous pays, y compris la Russie.
Copyright by Société de l'Histoire des Colonies Françaises, Paris 1937.


LE GÉNÉRAL LECLERC
d'après une miniature d'Isabey
appartenant au Prince d'Essling

BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE
COLONIALE
LETTRES
DU
GÉNÉRAL LECLERC
COMMANDANT EN CHEF
DE L'ARMÉE DE SAINT-DOMINGUE
EN
1802
PUBLIÉES AVEC UNE INTRODUCTION
PAR
PAUL ROUSSIER
PARIS
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES
ET
LIBRAIRIE ERNEST LEROUX
49, BOULEVARD SAINT-MICHEL
1937


INTRODUCTION
En 1789, la France occupait la première place dans le
commerce colonial parce qu'elle possédait la plus belle colonie
d'alors, Saint-Domingue. Quinze ans plus tard elle avait tout
perdu, Saint-Domingue lui avait échappé ! C'est là vraiment la
fin du premier empire colonial de la France, celui qu'avaient
commencé Richelieu et Colbert.
La vieille colonie conquise par les flibustiers et le système
colonial qu'elle représentait ont péri dans la même tourmente
que la vieille France et son organisation monarchique séculaire.
Les troubles révolutionnaires ont commencé à Saint-Domingue
aussitôt qu'en France et la colonie, tout comme la métropole,
a connu les aspirations généreuses, les agitations des assemblées,
la liberté, l'égalité, la fraternité et les massacres sanglants, la
lutte contre l'étranger, les promesses de bonheur d'une consti-
tution nouvelle. Et puis tout d'un coup, la rupture avec la
France, la séparation complète, définitive, l'abolition totale
du passé, la colonie de Saint-Domingue avait cessé d'exister,
son nom même était perdu.
Le drame a duré une quinzaine d'années. Il atteignit son
point culminant lors de l'expédition militaire envoyée par le
Premier Consul en 1802 sous les ordres du général Leclerc.
Cette expédition a laissé un triste renom, la fièvre jaune
l'ayant transformée en désastre. Sur 35.000 hommes arrivés à

— 8 —
Saint-Domingue pendant le commandement du général Leclerc,
plus de 21.000 moururent de maladie et 7.000 environ périrent
dans les combats 1. Mais on connaît fort mal les événements
eux-memes, quoique « les révolutions de Saint-Domingue »
aient agité les esprits entre 1790 et 1825 à un point que nous
n imaginons plus, et qu'elles aient suscité des intrigues, des
discours, des mémoires, des rapports, des volumes, innom-
brables autant que passionnés.
« Par une singulière exception, écrivait quarante ans après l'expé-
dition, un homme qui avait eu la chance d'en revenir, l'une des entre-
prises les plus mémorables et les plus funestes de la France, celle
qui sous les feux des tropiques signala aussi cruellement l'avènement
de Napoléon que les glaces de la Russie signalèrent sa décadence,
cette grande catastrophe n'a pas eu et n'aura pas d'historien. Les
1. Le général Pamphile de Lacroix, qui prit part à l'expédition et publia
en 1819 ses « Mémoires pour servir à l'histoire de la Révolution de Saint-
Domingue » donne les chiffres suivants :
Officiers-généraux, d'état-major, de corps ou isolés morts dans les
combats ou de maladie
1,500
Officiers de santé morts de maladie
750
Soldats tués à la guerre
5 000
Soldats morts de maladie
20.651
Marins militaires morts dans les combats ou de maladie
8.000
A ces chiffres avec lesquels les indications fournies par les lettres
de Leclerc concordent avec moins de précision, il convient d'ajouter
les pertes subies en dehors de l'armée et qui, toujours d'après P. de Lacroix,
se sont élevées à :
Habitants de tout sexe égorgés par les ordres de Toussaint-Lou-
verture
3.000
Marins du commerce morts dans les combats ou de maladie.. .
3.000
Employés civils et militaires morts dans les combats ou de
maladie
2.000
Hommes isolés accourus dans la colonie pour y faire fortune morts
dans les combats ou de maladie
3.000
Habitants morts dans les combats
800
Habitants morts de maladie ou de fatigue dans le service mili-
taire
1.800
Noirs et hommes de couleur tués par la guerre
7.000
Noirs et hommes morts de maladie ou de fatigue
2.000
Noirs et hommes noyés ou tués dans les assassinats juridiques. .
4.000
Ainsi le total des hommes perdus par mort violente pendant
le commandemen t du général Leclerc aurait atteint le chiffre
considérable d'environ
62.000

— 9 —
tombes qui recouvrent les cendres de plus de cinquante mille Fran-
çais de tout sexe et de tout âge, dont quarante-cinq mille furent
dévorés par un climat de feu, ces tombes devraient cependant trouver
leur place dans les douleurs de la Patrie à côté des cercueils de glace
qui dix ans plus tard, fermés sur les vainqueurs de l'Europe depuis
Moscou jusqu'à Posen, attestèrent ainsi qu'à Saint-Domingue, non
la victoire de nos ennemis mais le crime des éléments. »
C'est Norvins qui caractérise ainsi dans ces lignes l'expédi-
tion à laquelle il s'était adjoint dans un élan subit d'enthou-
siasme, n'y voyant qu'une fortune de plus à courir. Et jusqu'ici
il a eu raison : cent trente ans après la mort du général Leclerc,
l'expédition dont il fut le chef attend encore son historien et
probablement l'attendra longtemps encore, parce qu'avant
d'écrire un récit impartial et sérieux de cet événement, obscurci
par l'oubli où les uns l'ont volontairement laissé tomber et
déformé par les passions des autres, il sera nécessaire de consulter
beaucoup de documents sur les faits eux-mêmes et sur leurs
causes, de recueillir de nombreux témoignages contemporains
et de soumettre documents et témoignages à une critique
serrée et impartiale.
Parmi les hommes qui ont pris part à l'expédition, très peu
en sont revenus et quelques-uns seulement ont écrit et publié
le récit de ce qu'ils avaient vu.-
Plusieurs d'entre eux prirent la plume dès leur retour à
Paris. L'an XIII (1805) vit paraître plusieurs relations sous
des formes diverses. Ce furent d'abord, comme il est ordinaire
en cas d'échec, des reproches à l'égard du commandement.
Idlinger, qui avait occupé à Saint-Domingue d'importantes
fonctions administratives, presque sans interruption de 1789
à 1803, publia un précis sur la situation de Saint-Domingue
pour éclairer son pays sur les causes de l'évacuation de cette
colonie. Pour lui les causes immédiates de la catastrophe étaient
avant tout l'inexpérience des chefs et la méconnaissance des
localités et des habitants. Les reproches qu'il adressait parti-
culièrement au capitaine général Rochambeau, successeur du
général Leclerc, suscitèrent une réfutation, que Ph. Albert de

— 10 —
Lattre, propriétaire et ex-liquidateur des dépenses de la guerre
à Saint-Domingue, fit imprimer sous le titre Campagne des
Français à Saint-Domingue
Presque en même temps parut le Précis historique de la
dernière expédition de Saint-Domingue que son auteur, Laujon,
ancien conseiller à Saint-Domingue et greffier en chef de la
juridiction du Port-au-Prince dédia à « Son Altesse Impériale
le Prince Louis » 2.
« J'ai échappé au massacre de Saint-Domingue, dit Laujon,
mon imagination est encore remplie du souvenir déchirant de toutes
les calamités que n'ont cessé d'éprouver les malheureux Français
qui ont abordé dans cette île. J'entends journellement un grand
nombre de personnes tirer des conséquences sur la destinée fatale
de cette colonie qu ils n ont jamais habitée et parler sans le moindre
ménagement de ceux dont ils n'ont pu y suivre ni la conduite ni
les actions ; témoin de tout j'espère mériter plus de foi ; ... je trouve
encore une véritable satisfaction à prouver par les faits comment
les actions les moins connues sont souvent les plus calomniées et
les meilleures intentions regardées comme les plus criminelles,
quand par des circonstances incalculables l'événement contredit
toutes les probabilités. »
Quatre ans plus tard, le médecin Descourtilz publiait ses
Voyages d'un naturaliste et y racontait les dangers qu'il avait
courus à Saint-Domingue, prisonnier de l'armée noire, au
moment de l'entrée en campagne des troupes du général
Leclerc3.
1. Ph.-Albert DE LATTRE. Campagne des Français à Saint-Domingue
et réfutation des reproches faits au capitaine général Rochambeau. Paris
an XIII-1805, 285 p.
2. A.-P.-M. LAUJON, Précis historique de la dernière expédition de Saint-
Domingue depuis le départ de l'armée des côtes de France jusqu'à l'évacuation
de la, colonie, suivi des moyens de rétablissement de cette colonie en deux
parties.
Paris, sans date, in-12, 257 p. — Louis Bonaparte devint roi de
Hollande en 1806. L'ouvrage parut donc avant cet événement.
3. M.-E. DECOURTILZ, Voyages d'un naturaliste et ses observations faites
sur les trois règnes de la nature dans plusieurs ports de mer français, en
Espagne... et à Saint-Domingue où l'auteur devenu le prisonnier de
40.000 noirs révoltés et par suite mis en liberté par une colonne de l'armée
française donne les détails circonstanciés sur l'expédition du général Leclerc.
Paris, 1809, 3 vol. in-8°.

— 11 —
Des détails précieux que nous fournit son récit, il faut rap-
procher le chapitre trop court où, longtemps après, un autre
savant, Moreau de Jonnès, évoqua les souvenirs de l'incendie
du Cap Français auquel il avait assisté et quelques incidents
de sa carrière de jeune officier d'artillerie à Saint-Domingue 1.
Un autre survivant de l'armée de Leclerc, Wante, qui avait
été secrétaire général de la préfecture de la partie de l'Ouest
de Saint-Domingue en l'an X et sous-préfet du département
du Sud en l'an XI, écrivait au contraire en 1805 2 :
« Assez d'écrivains ont déjà parlé sur les causes du mal, sur les
remèdes et sur les moyens de restauration pour que je me dispense
de le faire. J'ai pensé dès longtemps que toute publication des fautes
commises dans la dernière expédition faite à Saint-Domingue, soit
qu on les ait dissimulées, soit qu'on les ait exagérées était au moins
mutile : j'ai pensé qu'il importait peu que le public sût ce qui justifie
ou condamne l'évacuation de nos meilleurs postes, qu'il connut à
quel chef cette évacuation peut être attribuée ou reprochée : j'ai
pensé qu'il suffisait que le gouvernement eut obtenu à cet égard des
informations sûres et importantes, et qu'il les trouverait rarement
dans des écrits publiés par des considérations particulières. J'ai
aussi pensé que toute discussion publique sur les moyens de con-
quête et de restauration de Saint-Domingue était en ce moment
prématurée et nuisible, parce que le gouvernement ne pouvait pas
s en occuper et parce que l'on ne peut rien publier sur les moyens
d attaque et de conquête sans indiquer en quelque sorte aux
ennemis les moyens de défense et de résistance. »
Sans doute était-ce un avertissement discret, mais autorisé
et inspiré, que Wante donnait ainsi à ceux qui auraient été
tentés d'écrire leurs souvenirs sur l'expédition. En tout cas
c est après la chute de l'Empire que parurent de nouveaux plans
de conquête et de restauration de Saint-Domingue, qui faisaient
1. A. MOREAU DE JONNÈS, Aventures de guerre du temps de la République
et du Consulat. Paris, 1858, 2 vol. in-8°.
2. M. WANTE. Importance de nos colonies Occidentales particulièrement
de celle de Saint-Domingue démontrée par la réfutation d'un écrit ayant
pour dire « Examen politique des colonies modernes dans le but plus parti-
culier de savoir si celles de la France lui ont été avantageuses ou non
». Paris,
an 1805,114 pages. (L'écrit réfuté, publié à Bordeaux, comportait 138 pages
et avait pour auteur un petit propriétaire de Saint-Domingue, nommé
Carteau).

— 12 —
allusion forcément aux événements de 1802, parce que leurs
auteurs connaissaient bien la colonie, y ayant longtemps
séjourné : le colonel Malenfant, sous-inspecteur aux revues,
propriétaire à Saint-Domingue, ex-délégué du gouvernement
français a Surinam 1 et l' ordonnateur des guerres, Leborgne
de Boigne, qui avait été délégué du gouvernement à Saint-
Domingue et député de cette colonie 2.
L'expédition de Saint-Domingue ne pouvait pas être un sujet
d'étude agréable au gouvernement impérial, car elle n'était
guère à l'honneur du gouvernement consulaire. Et depuis lors
tous les historiens de Napoléon, même les plus récents, n'y ont
fait dans leurs ouvrages que les allusions les plus brèves et les
plus imprécises, quand ils ne l'ont pas dédaigneusement passée
sous silence, comme une guerre sans importance, puisque colo-
niale.
Elle offrit en effet de grandes différences avec les guerres
européennes et c'est pour cela qu'il ne suffit point de la mettre,
en constatant ses résultats, au nombre des échecs, comme la
guerre d'Espagne et la campagne de Russie. Il faut comprendre
son caractère particulier, mais pour se mettre dans l'ambiance
spéciale où elle se déroula les récits de ceux qui y prirent part
sont nécessaires.
En dehors des auteurs que nous avons cités, dont les uns ne
pouvaient avoir une impartialité et un désintéressement com-
plets, parce qu'ils étaient encore trop près des événements,
et dont les autres n'ont relaté que des épisodes, ces récits sont
très rares.
1. MALENFANT.
Des colonies et particulièrement de celle de Saint-
Domingue ; mémoire historique et politique où l'on trouvera : un exposé
impartial des causes et un précis historique des guerres civiles qui ont rendu
celle dernière colonie indépendante : des considérations sur les moyens de
la rattacher à la métropole, d'y ramener une paix durable, d'en rétablir et

accroître la postérité. Paris, août 1814, in-8°, 336 p.
2. LEBORGNE DE BOIGNE. Nouveau système de colonisation pour Saint-
Domingue, combiné avec la création d'une compagnie de commerce pour
rétablir les relations de la France avec celte île, précédé de considérations
générales sur le régime colonial de la France dans les deux Indes. Paris,
1817, in-8°, 304 p.

— 13 —
L'un de ces témoignages sous forme, non plus de défense ou de
polémique mais de récits ou de mémoires, c'est celui de Norvins.
Il l'a donné dans son Mémorial
Parti avec le général Leclerc, sans grade, sans fonction, sans
traitement, Jacques Marquet de Montbreton de Norvins, s'était
attaché, en ami, au général en chef qui avait trois ans de moins
que lui. Il a vécu constamment avec lui durant toute la
campagne, il lui a servi de secrétaire : incontestablement il a
tout vu. Mais quand vers 1840, âgé de soixante-deux ans, il
écrit son Mémorial, il n'a pas la prétention d'écrire une histoire
sérieuse, il égrène ses souvenirs et il retient de préférence les
épisodes où il peut se montrer en posture avantageuse. Néan-
moins son récit de l'expédition de Saint-Domingue concorde,
dans les grandes lignes, avec les documents officiels.
Surtout, ce point de vue de touriste, peut-on dire, auquel il
se place, a de l'agrément et de l'intérêt, il est plein de pittoresque,
de jeunesse, de gaieté, d'entrain, et cela change des idées noires
que donnent les récits de massacres, d'incendies, de complots,
de maladies et de morts que le nom de Saint-Domingue fait
surgir sous d'autres plumes. Norvins prouve, ce que l'on oublie
trop souvent, quoique chacun en ait fait soi-même l'expérience,
que la vie s'accommode très bien du voisinage de la mort. Il
ne parle pas uniquement des faits de guerre : avec lui nous
assistons à l'installation matérielle de l'armée, au moins de ses
chefs, dans la ville du Cap et ses environs et nous avons
quelques-unes des impressions de tous ces jeunes guerriers
devant les beautés de la nature tropicale.
Il nous montre aussi la fièvre jaune, car il en fut atteint, mais
les soins dévoués de la mulâtresse Zabo Larivière le sauvèrent
et il put, quarante ans après, donner de la terrible maladie
« dont tous ne mouraient pas, mais bien plutôt de la terreur
qu'elle inspirait », une description qu'un spécialiste expérimenté,
le médecin général Cazanove, a reconnue exacte 2.
1. Souvenirs d'un historien de Napoléon. Mémorial de J. de Norvins,
publié avec un avertissement et des notes par L. de Lanzac de Laborie.
Paris, Pion, 1896, 3 vol. in-8°.
2. Médecin-général
CAZANOVE.
Une page d'histoire épidémiologique

— 14 —
Naturellement écrivain et artiste, peu soucieux du détail des
opérations militaires, et ne perdant pas son temps à dénigrer
ses compagnons, Norvins est précieux parce qu'il nous montre
l'aspect vivant de cette expédition de mort ; il en était revenu
et il la voyait avec un recul de prés d'un demi-siècle.
Les Mémoires du général Pamphile de Lacroix sont aussi le
témoignage d'un survivant du drame, mais tout différent1.
Il le publia en 1819. Officier à la carrière régulièrement ascen-
dante, nommé général de brigade à 28 ans au cours de la cam-
pagne, devenu plus tard lieutenant général et vicomte, Pam-
phile de Lacroix a l'air beaucoup plus sérieux que Norvins qui
ne sut jamais se fixer. Il écrit posément, suivant un plan bien
établi à l'avance, il cite des documents officiels, il juge les faits
et les hommes avec un recul d'une quinzaine d'années et après
un changement de gouvernement. On le sent honnête homme,
sans parti-pris d'accuser ou d'excuser quelqu'un. Il raconte
les opérations militaires auxquelles il a pris d'ailleurs une part
brillante ; mais il ne fait pas mystère des sentiments d'huma-
nité que lui inspiraient les difficultés de la question sociale ;
il avait du courage, du bon sens et du cœur. Ses Mémoires
toujours consultés depuis un siècle ont une légitime autorité.
Sans aucun doute son témoignage sur les faits a beaucoup plus
de valeur que celui de Norvins.
Pour le montrer il suffit de confronter un passage du Mémo-
rial, et un passage des Mémoires. Chacun des deux auteurs
raconte le même fait, qui est précisément un des faits les plus
typiques de l'expédition.
Nous lisons dans le Mémorial de Norvins :
« Nous habitions le Palais de la résidence de Toussaint. Ce fut là
dans une grande armoire de son cabinet, qu'en faisant l'examen des
papiers qu'elle renfermait, je mis la main sur une grosse liasse de
coloniale. Pauline Bonaparte à Saint-Domingue pendant l'épidémie de
fièvre jaune, conférence faite à la Faculté de médecine, publiée dans
l'Hygiène sociale, 25 novembre 1934.
1. PAMPHILE DE LACROIX. Mémoires pour servir à l'histoire de la révolu-
lion de Saint-Domingue. Paris, 1819, 2 vol. in-8°.

— 15 —
lettres qui, à la honte de l'humanité et de la civilisation, nous révéla
les nombreuses galanteries du vieux nègre avec des dames créoles
distinguées par leur naissance et leur beauté. Ces lettres étaient
toutes signées, et rien, pas même la jalousie, n'y était oublié. Sauf
le général en chef et moi, personne n'en eut connaissance ; elles furent
brûlées à l' instant même. Mais dans la dépêche où je rendis compte
au Premier Consul de l'occupation de Port-au-Prince, le général
Leclerc voulut avec raison qu'un fait de cette nature ne fût pas ignoré
de son beau-frère, à qui il en resta une telle impression qu'un an
après, dans l'audience qu'il m'accorda à mon retour, le général Bona-
parte me remercia d'avoir anéanti « ces témoignages honteux de la
prostitution des blanches 1. »
De son côté Pamphile de Lacroix raconte :
« Nous parcourions avec le général Boudet les documents secrets
de Toussaint-Louverture. Notre curiosité venait de s'accroître en
découvrant un double fond dans la caisse qui les contenait : qu'on
juge de notre étonnement lorsqu'en forçant ce double fond, nous
n y trouvâmes que des tresses de cheveux de toutes couleurs, des
bagues, des cœurs en or traversés de flèches, des petites clefs, des
nécessaires, des souvenirs, et une infinité de billets doux qui ne lais-
saient aucun doute sur les succès obtenus en amour par le vieux
Toussaint-Louverture. Cependant il était noir, et il avait un phy-
sique repoussant... mais il s'était fait le dispensateur de toutes les
fortunes, et sa puissance pouvait à volonté changer toutes les
conditions...
En acquérant la preuve irréfragable des écarts de la faiblesse
humaine, le général Boudet se sentit inspiré d'un mouvement géné-
reux. « Avant d'avoir fait ici aucune connaissance, s'écria-t-il,
perdons toute trace de ces honteux souvenirs, afin de ne pas méses-
timer les personnes au milieu desquelles nous sommes destinés à
vivre », et en faisant de tristes réflexions, nous allâmes ensemble
jeter au feu et à la mer tout ce qui pouvait rappeler notre pénible
découverte. Il y avait de la grandeur d'âme dans la conduite du
général Boudet. Le capitaine-général Leclerc lui avait commu-
niqué une partie des instructions secrètes qui lui avaient été données.
Ces instructions, dont j'ai déjà parlé, classaient les noirs et les blancs
en catégories. Le temps même n'avait pas échappé au classement.
De telle époque à telle époque on devait se conduire ainsi, de telle
epoque à telle époque on devait se conduire autrement. Comme si
les prostitutions pouvaient avoir des témoins, un dernier para-
graphe du troisième chapitre de ces instructions déplorables portait
1. Mémorial de Norvins, tome II, p. 376.

— 16 —
textuellement : Les femmes blanches qui se sont prostituées aux
nègres, quel que soit leur rang, seront envoyées en France.
Le hasard nous avait fait trouver ce qui paraissait si impossible
à préciser, mais le général Boudet avait trop de loyauté et de fran-
chise dans le caractère pour ne pas répugner à l'idée de fournir des
aliments à la délation et pour porter la honte et la mort dans l'âme
de quelques familles. Il préféra s'exposer aux reproches des rigo-
ristes et se permit le premier d'apporter des modifications de conve-
nance à l'exécution littérale des instructions secrètes. Le général
en chef ne lui en fit, par la suite, aucun reproche ; il se rappelait
trop qu'il aurait sauvé le Cap s'il eut osé suivre sa première idée, et
se désentraver, comme le général Boudet, de la rigoureuse obser-
vation des ordres de détail qui lui avaient été donnés 1. »
Le témoignage de Norvins est très suspect ici ; car, s'il
suivait Leclere qui n'a commencé la campagne que le 28 plu-
viôse, il n'a pu entrer à Port-au-Prince avec lui que le 10 ou
le 11 ventôse 2, tandis que le général Boudet était dans cette
ville avec Pamphile de Lacroix depuis le 17 pluviôse 3.
A moins qu'il n'y ait eu deux paquets de lettres, l'un dans
une caisse à double fond, l'autre dans l'armoire du cabinet.
Boudet et Pamphile de Lacroix auraient trouvé le premier
en pluviôse ; Leclerc et Norvins auraient découvert le second
un mois plus tard. Assurément ce n'est pas impossible, mais
comme Norvins écrivait en 1846 et comme il ne pouvait pas ne
pas connaître les Mémoires que son ancien compagnon de Saint-
Domingue, Pamphile de Lacroix, avait publié en 1819, il aurait
dû alors spécifier qu'il y avait eu deux trouvailles différentes.
C'est un exemple de la réserve qui s'impose à l'historien à
l'égard des récits des témoins oculaires.
Un autre témoin aussi bien placé pour voir, mais pas du même
côté, c'est Isaac Louverture, le fds de Toussaint, l'adversaire
de Leclerc. Ses Mémoires furent imprimés en 1825 à la suite de
Y Histoire de l'expédition des Français à Saint-Domingue, publiée
1. PAMPHILE DE LACROIX. Mémoires..., tome II, p. 304.
2. Leclere fit chanter un Te Deum à Port-au-Prince, le 13 ventôse et
en rendit compte dans sa lettre du 14 ventôse. Il ne parle pas de cet
incident.
3. Lettres de Leclere du 26 pluviôse et du 8 ventôse.

— 17 —
par Antoine Métrai1 au moment où Charles X reconnut l'indé-
pendance d'Haïti.
Venu faire son éducation en France, avec Placide, son frère
utérin, Isaac Louverture fut renvoyé à Saint-Domingue avec
l' expédition. Le général Leclerc le chargea de porter à Toussaint
Louverture la lettre du Premier Consul, et Isaac servit à
l' échange de correspondance qui suivit. Au moment où Toussaint
se décida définitivement pour la résistance, Isaac lui déclara
qu il ne pourrait jamais se résoudre à porter les armes contre
la France, mais sa mère le retint auprès d'elle. Il a donc assisté
à la guerre, sans y prendre part, dans le camp de Toussaint
Louverture. Il fut arrêté en même temps que sa mère et conduit
avec elle à bord du Héros. Séparé de son père à leur arrivée à
Brest, il fut conduit avec sa mère et son jeune frère Saint-Jean
Louverture à Bayonne, puis transféré avec eux à Agen, où il
épousa sa cousine. Il mourut sans postérité en 1854. Le gou-
vernement français lui avait accordé une pension, qui fut en
partie continuée à sa veuve.
Dans ses Mémoires, Isaac Louverture a raconté ce qu'il a vu
et su des actes et des intentions de Toussaint Louverture. Son
affection pour son père et son amour de la France se combat-
taient en lui et c'est ce qui donne à son récit un caractère parti-
culièrement attachant. Sa sincérité semble certaine, mais son
jeune âge ne lui permettait guère de se faire une idée exacte
du drame auquel il assistait ni de juger les hommes et de
pénétrer leurs passions.
Ces différents ouvrages ne constituent pas une bibliographie
complète des survivants de l'expédition de Saint-Domingue,
mais ce sont les souvenirs imprimés les plus connus et c'est à
leur témoignage qu'en reviennent toujours les historiens fran-
çais. Les historiens haïtiens y ajoutent des ouvrages publiés
1. ANT. METRAL. Histoire de l'expédition des Français à Saint-Domingue
sous le consulat de Napoélon Bonaparte, suivie des Mémoires et notes
d Isaac Louverture sur la même expédition et sur la vie de son père. Paris,
1825, in-8°, 348 p. — L'ouvrage orné du portrait de Toussaint était dédié
à MM. Rouanez, Frémont et Daumec, envoyés extraordinaires de la
République d'Haïti.
LECLERC
2

— 18 —
dans leur pays et malheureusement à peine connus de nom en
France.
Les comptes rendus officiels, conservés dans les archives,
comme par exemple celui du préfet colonial D'Aure, ont été
à peine entrevus 1. Encore moins connues, les lettres des géné-
raux, des fonctionnaires, des colons, des nombreux particuliers
qui se trouvèrent à Saint-Domingue en 1802 et qui écrivaient
à leurs parents ou amis restés en France, donneraient des ren-
seignements précieux : tous ont vu le drame sous des angles
différents et peuvent préciser des détails qui auraient un grand
prix pour l'histoire complète de l'expédition 2.
Il faudrait aussi, pour bien comprendre la situation, connaître
et étudier les lettres et les rapports reçus au ministère de la
Marine au cours de l'an VIII et de l'an IX : des découvertes
précieuses y seront faites, mais une critique sévère sera indis-
pensable, car tous ceux qui ont été mêlés à la préparation de
l'expédition et qui par les renseignements qu'ils fournissaient
au gouvernement consulaire sont les vrais responsables des idées
fausses que Bonaparte se faisait de la situation de Saint-Do-
mingue, tous, correspondants officiels ou informateurs béné-
voles, défendaient un point de vue, soutenaient une cause ; ils
avaient des intérêts, directs ou non, à l'affaire de Saint-Domin-
gue, ou bien des ressentiments personnels les animaient.
Les archives offrent donc un champ d'investigation immense
et ardu qu'il faudra longtemps pour parcourir.
Avant d'aller y puiser les témoignages de multiples témoins
qui ne seront jamais que secondaires, même s'ils sont des témoins
de choix, il nous a paru utile d'en tirer le témoignage de celui
qui a eu la connaissance la plus complète de l'expédition de
1. Mémoires du général Fressinet, manuscrit conservé aux archives du
Ministère de la Guerre. — Mémoires du général Ramel. — Lettres et rapports
du général Kerversau. — Notes du colonel Vincent. — Papiers de Norvins,
cités par Lanzac de Laborie.
2. La correspondance intime du général Jean Hardy de 1799 à 1802,
publiée par le général Hardy de Perini (Paris, Pion, 1901) contient plu-
sieurs lettres de Saint-Domingue.

— 19 —
Saint-Domingue, de celui qui la commandait, le général Leclerc.
Devant la postérité il porte la responsabilité de l'échec ; il a été
accusé de toutes les fautes, parce qu'il était mort et ne pouvait
se défendre. Il serait peut-être temps, après plus de 130 ans, de
permettre à cet acteur principal du drame d'exposer lui-même
ce qu'il a fait et la situation dans laquelle il s'est trouvé.
Leclerc n'a pas rédigé de compte-rendu officiel de sa mission,
il n a pas écrit de Mémoires, puisqu'il est mort au cours de l'ex-
pédition, à la tête de son armée, en pleine lutte, le 11 bru-
maire an XI, (2 novembre 1802) ; mais depuis son débarque-
ment, jusqu'à sa dernière maladie, du 20 pluviôse an X (9 fé-
vrier 1802) au 15 vendémiaire an XI (7 octobre 1802), il a
écrit au Premier Consul et au ministre de la Marine pour les
tenir au courant des événements. Ses lettres forment un compte-
rendu de l'expédition et elles en évoquent mieux que tout autre
récit les tragiques difficultés1.
La correspondance du général Leclerc n'est pas inconnue.
Les historiens tant trançais qu'haïtiens et étrangers y ont
puisé : Métrai, Poyen, Adams, M. le colonel Nemours, M. Pau-
leus Sannon, etc. 2. Mais chacun n'y a pris que ce qui servait
sa thèse, des fragments d'une lettre, puis des fragments d'une
autre. Alors que, comme le dit Pamphile de Lacroix : « Pour
bien juger l'horreur des circonstances dans lesquelles s'est
trouvé le général Leclerc, il faudrait à chaque instant faire
connaître la situation déchirante de son armée 3. »
1- Ces lettres du général Leclerc au Premier Consul et au ministre ne
montrent qu'une partie du travail de bureau que le général en chef de
l' armée de Saint-Domingue a dû fournir. Il faut y ajouter par la pensée
toutes les lettres qu'il adressait journellement aux officiers et fonction-
naires civils placés sous ses ordres, lettres aujourd'hui dispersées et dont
le nombre exact ne pourra jamais être connu, et, en outre, les ordres du
jour à l'armée, et tous les règlements et arrêtés qu'il a pris et signés sur
tous les objets de l'administration de la colonie.
2. Certains passages des lettres de Leclerc ont d'ailleurs été insérés au
Moniteur en l'an X.
3. P. DE LACROIX, op. cité, tome II, p. 239.

— 20 —
Quand un homme, dans des circonstances aussi difficiles, a
été seul investi du pouvoir civil et militaire, quand il a senti
peser sur lui d'aussi terribles responsabilités, il a droit à ne pas
être jugé sur de simples citations, il a le droit de faire constater
la variété et la multiplicité de ses charges, la dispersion forcée
de ses efforts, l'insufffisance des moyens mis à sa disposition et
la discipline avec laquelle il a obéi.
C'est pour cela que nous avons pensé à réunir les lettres
écrites par le général Leclerc pendant l'expédition de Saint-
Domingue au Premier Consul et aux ministres et qui peuvent
être considérées comme des rapports au gouvernement dont
il était le représentant.
Ces lettres sont dispersées.
Aux archives du ministère de la Guerre, existe un registre
connu sous le nom de : Copie de lettres du général Leclerc 1.
Ce n'est pas un véritable copie de lettres où les minutes auraient
été transcrites au fur et à mesure de leur envoi : ce sont des
copies faites après coup d'un certain nombre de lettres envoyées
par Leclerc ; un ordre quelconque y est si peu suivi et le mélange
est tel qu'il a fallu dresser en tête de ce registre une « table
des lettres remises dans leur ordre de dates ». Et cette table
indique seulement 55 lettres.
Les lettres du Premier Consul se trouvent aux Archives
Nationales dans la série AFIV.
Les archives coloniales ont conservé la plus grande partie
des originaux des lettres adressées au ministre de la Marine ;
documents particulièrement intéressants parce qu'on y trouve
fréquemment des phrases ajoutées par Leclerc au moment de
la signature.
Nous avons pu retrouver ainsi 32 lettres au Premier Consul,
91 lettres au ministre de la Marine, 2 lettres au ministre de la
Guerre, 1 au ministre du Trésor Public et 1 au ministre de
l'Intérieur ; au total 127 lettres qui font connaître la situation
de 1' armée expéditionnaire pendant les neuf mois que le général
Leclerc l'a commandée à Saint-Domingue.
1. Archives historiques du Ministère de la Guerre, B7* 26.

— 21 —
Les raisons qui motivèrent l'envoi de cette armée sont con-
nues ; il suffit de les rappeler en peu de mots.
Toutes les colonies avaient subi le contre-coup des événe-
ments de la Révolution, aucune n'y avait pris part comme Saint-
Domingue. Les troubles n'y avaient pas cessé depuis 1789,
entraînant le pillage des habitations, le massacre ou la ruine
des propriétaires, l'abandon des cultures et par conséquent le
fléchissement du commerce colonial.
Les colons de Saint-Domingue réfugiés en France et les
commerçants des ports ne pouvaient se résigner à cette situa-
tion ; Saint-Domingue était jugé indispensable à la France
du point de vue commercial, et les anciens propriétaires ne
rêvaient que de reconquérir leurs fortunes perdues. Les faits
les plus brutaux de 1789 à 1800 n'avaient point modifié l'opi-
nion que la métropole avait de ses colonies.
Par contre, à Saint-Domingue un changement considérable
s était opéré. Les hommes des trois couleurs qui y vivaient,
formant trois races depuis longtemps ennemies mais subor-
données l'une à l'autre par des préjugés très forts autant que
par les lois, s'étaient vus tout à coup placés sur le même pied
d'égalité officielle par la loi du 16 pluviôse an II, qui avait
aboli l'esclavage. Mais leurs luttes n'en étaient devenues ni
moins vives ni moins féroces. La constitution de l'an III
avait fait de tous les habitants de Saint-Domingue des citoyens
français au même titre et avec les mêmes droits théoriques que
ceux de la métropole, mais en fait cette assimilation à la France
conduisait la colonie à l'indépendance. Les Agents envoyés
par le Directoire exécutif de la République française avaient
vite perdu toute considération. Sonthonax d'abord, l'homme
qui avait de lui-même donné la liberté aux noirs, avait dû
quitter la colonie ; le général Hedouville envoyé pour le rem-
placer avait été contraint de se réembarquer et Roume, son
successeur, privé de tout pouvoir, avait même été emprisonné
par ceux qu'il devait administrer. Une autorité nouvelle avait

— 22 —
surgi du sol même de Saint-Domingue, celle de Toussaint
Louverture, un ancien esclave qui successivement avait été
revêtu de tous les grades et enfin promu général en chef et
capitaine général de la colonie, par le Premier Consul Bonaparte
lui-même, le 17 pluviôse an IX.
Toussaint Louverture a déjà eu beaucoup d'historiens, et
dans ces dernières années deux de ses compatriotes, M. le
colonel Nemours et M. Pauleus Sannon ont apporté, avec de
nombreux documents, de nouveaux détails sur sa vie, qui
connut au plus haut degré les vicissitudes de la fortune, et
suscite inmanquablement des comparaisons avec celle de
Napoléon. Nous n'avons pas à juger ni même à essayer de juger
ici cet homme extraordinaire que les Haïtiens considèrent
comme un martyr et un héros national et que les Français ne
traitent plus en ennemi.
L'opinion qu'on pouvait s'en faire à Paris en 1801, au con-
traire, a de l'importance. C'est à ce titre que nous allons repro-
duire les lignes suivantes :
«J'ai montré Toussaint s'élevant du sein de l'esclavage à la suprême
domination, avançant pas à pas par des sentiers tortueux, prenant
toutes les couleurs et toutes les formes, selon qu'il convenait à son
ambition ; caressant et menaçant tour à tour ; enfin enhardi par
l' impunité, chassant a force ouverte les dépositaires de l'autorité
nationale, opprimant les blancs qu'il flattait par le rappel des émi-
grés ; exterminant les hommes de couleur au chant des cantiques
sacrés et au bruit de ses proclamations de clémence ; régnant sur les
noirs, après avoir fait périr ceux de leurs ex-chefs, dont il redoutait
l'influence ou l'attachement à la République ; faisant des traités
d'alliance et de commerce avec les ennemis de l'Etat, recevant leurs
agents et leurs vaisseaux dans ses ports, et à chaque nouvel attentat
faisant porter à la France par une députation particulière, les pro-
testations de son dévouement et de sa fidélité. Je l'ai montré arra-
chant par les moyens les plus odieux, et sous les prétextes les plus
absurdes à l'agent des Consuls l'ordre d'usurper la seule portion
de Saint-Domingue que la protection d'une puissance alliée conser-
vait à la République, puis furieux de voir cette proie enlevée à son
ambitieuse cupidité, dissimulant sa colère, abusant le gouvernement
espagnol par des promesses solennelles et le peuple par des caresses
perfides, dépouillant, de l'ombre même de l'autorité le dépositaire
de la puissance nationale parce qu'il avait osé annuler l'arrêté qu'il

— 23 —
lui avait extorqué au milieu des torches et des poignards, s'arrogeant
tous les pouvoirs, faisant des lois, s'emparant du droit terrible du
glaive et mettant dans ses mains la liberté, les biens et la vie de tous
les citoyens. Je l'ai montré prétextant des révoltes pour exercer
des vengeances ou détourner l'attention de dessus ses mouvements,
arrêtant la personne de l'agent pour étouffer sa voix, et l'ensevelis-
sant dans les mornes du Dondon ; fondant ensuite tout à coup sur
la partie espagnole qu'il avait endormie dans une fatale sécurité,
s'en emparant par la ruse et par la force, enfin maître paisible de
l'île entière, battant monnaie et créant un fantôme d'assemblée
coloniale, pour faire légitimer par elle tous ses crimes et consacrer
par le nom du peuple le code de sa tyrannie.
« Que lui reste-t-il pour consommer le grand œuvre de son indé-
pendance que d'oser la proclamer ? Qui est-ce qui établit les impôts ?
qui est-ce qui donne des lois à Saint-Domingue ? qui est-ce qui
dispose des caisses publiques ? qui est-ce qui règle le nombre des
troupes et crée à son gré de nouveaux régiments ? qui est-ce qui
organise, institue ou abolit des tribunaux ? qui est-ce qui nomme à
tous les emplois civils et militaires et fait jusqu'à des administra-
teurs, des généraux et des juges ? qui est-ce qui négocie de puissance
à puissance avec les nations étrangères et fait des traités de neutralité
et même d'alliance avec les ennemis de la Métropole ? qui est-ce
qui chasse de la colonie les propriétaires venant avec des passeports
de la Métropole, les fonctionnaires nommés par la Métropole, les
commissaires envoyés par la Métropole ? qui est-ce qui incarcère
l'agent de la Métropole ?...
« Que l'on cesse de se faire illusion, tant qu'il restera dans la
colonie, lui seul en sera le souverain ; il y régnera au nom de la France
peut-être, tant qu'elle voudra fléchir sous sa domination ; il y existera
une espèce d'ordre, mais ce sera celui qu'il aura établi ; il y aura des
lois, mais ce seront ses volontés ; une autorité, mais ce sera la sienne.
Que s'il veut bien recevoir des représentants de la Métropole, ils
y seront comme des pachas de la Porte en Egypte, d'honorables
captifs, sans aucuns pouvoirs, tant qu'il les y souffrira et ignomi-
nieusement chassés au premier soupçon qu'ils éveilleront dans cet
esprit défiant et ombrageux. C'est à la République à examiner si
après avoir donné des lois à tous les monarques de l'Europe, il con-
vient à sa dignité d'en recevoir dans une de ses colonies d'un nègre
révolté. Encore si cet attentat humiliant et précaire devait cesser
d'exister avec lui, mais qu'on y prenne garde, il y aura des successeurs
et des successeurs non moins redoutables. Car ils n'auront pas ces
ménagements qui accompagnent toujours une domination naissante
et que lui inspirent son âge avancé et son caractère naturellement
timide et temporiseur. L'anarchie militaire que Bonaparte a détruite

— 24 —
en Egypte existe dans toute sa force à Saint-Domingue, une milice
inquiète qui ne désire que le désordre et qui ne connaît que ses
chefs, des beys avides et ambitieux et un scheick Elbalad, maître
absolu, que tous envient et qui se défie de tous ; une multitude
abrutie et opprimée, toujours aveuglement entraînée par l'impulsion
qu'elle reçoit du plus fort ; une foule de négociants et de voyageurs,
presque tous passagers dans l'Ile, et ne prenant d'autre intérêt aux
révolutions du Gouvernement que celui d'éviter d'en devenir les
victimes ; enfin quelques magistrats civils placés dans l'entière dépen-
dance du dernier commandant de quartier et instruments passifs
entre les mains des chefs. Tel est le spectacle que présente cette
colonie et les éléments qui la composent. »
Ce tableau de l'ascension de Toussaint Louverture est dû
au général Kerversau qui servait à Saint-Domingue depuis
1796. Pendant ces cinq années, il avait tour à tour rempli des
fonctions dans la partie française et dans la partie espagnole ;
rentré en France au milieu de 1801, il rédigea pour le ministre
de la Marine un rapport sur les événements dont il avait été le
témoin jusqu'au 1er germinal an IX.
Ce rapport a certainement eu une influence sur les décisions
prises par le Premier Consul à l'égard de Saint-Domingue.
Kerversau émettait l'avis qu'il était indispensable d'éloigner
de la colonie tous les chefs noirs et il confirmait les renseigne-
ments déjà reçus de divers informateurs, sur l'orgueil, l'ambition
et l'autorité de Toussaint Louverture. Le ministre de la Marine
reçut le rapport de Kerversau, dont on vient de lire une partie
du résumé final, le 15 fructidor an IX (12 septembre 1801).
Les instructions données au général Leclerc sont du 9 brumaire
an X, (31 octobre 1801). Entre ces deux dates, l'expédition qui
était projetée pour Saint-Domingue depuis plusieurs mois avait
changé de caractère ; il y a un abîme entre les instructions
remises à Leclerc, investi de tous les pouvoirs, et celles qui au
mois de mars précédent, rédigées pour Lequoi Mongiraud,
préfet colonial, Desperoux, commissaire de justice et Toussaint
Louverture lui-même, capitaine général de Saint-Domingue,
prévoyaient la collaboration entre les représentants de la
France et le général noir, maître effectif de la colonie.
L'arrivée du colonel Vincent porteur du texte de la consti-

— 25 —
tution promulguée par Toussaint Louverture de sa propre
autorité ne put que confirmer les préventions inspirées
par le rapport de Kerversau. L'expédition envoyée à Saint-
Domingue eut dès lors pour premier but de soumettre Tous-
saint Louverture.
Le Premier Consul en confia le commandement à son beau-
frère Victor-Emmanuel Leclerc. Celui-ci était né à Pontoise,
le 17 mars 1772. Entré au service comme volontaire en 1791,
il avait combattu sur le Rhin, en Italie, à Toulon, à l'armée des
Ardennes, à l'armée des Alpes et fait les campagnes d'Italie.
Le 26 août 1799 il était nommé général de division. Il avait
coopéré au coup d'Etat du 18 brumaire, puis, après avoir com-
mandé diverses divisions à l'armée du Rhin Sous Lecourbe et
sous Moreau, il avait été placé la tête du corps d'armée réuni
pour opérer en Portugal.
En juin 1797 à Milan, Leclerc avait épousé Pauline, la plus
jeune sœur de Bonaparte, et un fils, Dermide, leur était né
l' année suivante.
Rappelé à Paris au début d'octobre 1801, Leclerc fut nommé
le 24 octobre (2 brumaire an X) commandant en chef de
l' armee expéditionnaire et capitaine général de la colonie de
Saint-Domingue. Le 19 novembre il arrivait à Brest où
Mme Leclerc et son fils, alors âgé de 3 ans, le rejoignirent.
L escadre mit à la voile le 11 décembre 1801 (20 frimaire an X),
sous les ordres de l'amiral Villaret Joyeuse. D'autres vaisseaux
partant de Rochefort, de Nantes, de Lorient, du Hâvre, de
Flessingue, de Cadix et de Toulon devaient la rejoindre en
mer.
Après une traversée contrariée par le mauvais temps qui força
les vaisseaux de se séparer, la flotte se trouva réunie en
partie dans la baie de Samana, sur la côte de la partie espa-
gnole de Saint-Domingue, le 9 pluviôse an X (29 jan-
vier 1802). Le 14 Pluviôse, le général Leclerc à bord du
vaisseau-amiral l'Océan, arrivait devant le Cap Français et le
fort Picolet.
Le général Christophe, se retranchant derrière des ordres
formels de Toussaint Louverture, refusa de recevoir l'armée

— 26 —
venant de France et Leclerc dut aller débarquer de vive force
le 16 pluviôse au Port Margot à l'ouest du Cap. Pendant ce
temps Christophe faisait mettre le feu dans tous les quartiers
du Cap et quand Leclerc entrait enfin le 18 pluviôse (7 fé-
vrier 1802) dans la capitale de sa colonie, la ville était en partie
consumée. Le 19, le général en chef lançait deux proclamations
aux citoyens de Saint-Domingue et, dès le 20, il adressait ses
premiers rapports au ministre de la Marine et au Premier
Consul, commençant ainsi une double correspondance qui allait
durer jusqu'au jour où la maladie le terrassa.
Leclerc a passé neuf mois à Saint-Domingue, du 16 pluviôse
an X au 11 brumaire an XI (5 février-2 novembre 1802). Le
succès d'abord parut couronner ses efforts ; ses troupes battirent
les généraux noirs qui l'un après l'autre (Maurepas, Christophe,
Dessalines), se rendirent, et furent accueillis avec leurs grades
dans l'armée française. Toussaint Louverture lui-même, obligé
de céder, vint au Cap faire sa soumission. Peu après, il était
arrêté et envoyé en France (prairial an X, juin 1802). Ainsi
après quatre mois la reconquête de Saint-Domingue paraissait
effectuée. Le capitaine général s'occupa de réorganiser l'admi-
nistration de la colonie. C'est alors que parut l'ennemi le plus
redoutable, la fièvre jaune. Leclerc vit fondre son armée et en
même temps les noirs se révolter, reprendre les armes et chaque
jour l'investir plus étroitement dans les villes de la côte ; il
dut se défendre, même dans le Cap Français ; il fut atteint par
la maladie et mourut.
Tous ces événements ont été racontés déjà un certain nombre
de fois, nous n'irons pas jusqu'à dire qu'ils ont été étudiés
complètement, car la personnalité du chef de l'expédition a
toujours été méconnue, et c'est pourtant un élément de première
importance à considérer.
Des légendes se sont formées sur la vie de Leclerc et de Pau-
line Bonaparte, qui cadrent bien mal avec la situation de
l'armée et les spectacles de mort qu'ils avaient sous les yeux.

— 27 —
Il est impossible d'admettre qu'ils aient passé leur vie en
fêtes alors que tout le monde mourait autour d'eux. N'étaient-
ds pas trop jeunes pour être insensibles ? Et par quel phéno-
mène inexplicable, seraient-ils demeurés inaccessibles à cette
peur dévorante qu'inspirait la maladie et qui faisait des victimes
aussi nombreuses que la maladie elle-même ? Auraient-ils été
seuls à ne pas subir l'influence du climat, de l'éloignement,
de la guerre et des dangers qu'ils couraient eux-mêmes avec
leur enfant ?
L étude que vient de faire de leur cas un médecin, qui a eu
personnellement l'occasion de soigner et d'observer la popula-
tion d'une ville coloniale pendant une épidémie de fièvre jaune,
fait justice des calomnies répétées depuis un siècle, on ne sait
pourquoi, sur Pauline Leclerc. Elle donna des fêtes, elle reçut,
elle tint, si l'on tient au mot, une sorte de cour à Saint-Domingue
mais ce faisant, elle ne fit que son devoir de femme de général
en chef. Si elle cherchait à s'étourdir elle-même, elle remplis-
sait en même temps son rôle qui était d'essayer de maintenir le
moral de F armée et de la population. Elle n'avait pas le droit
d avoir l'air d'avoir peur. Elle fut malade, et il semble bien que
la fièvre jaune l'atteignit, mais que sa constitution féminine la
sauva 1.
Leclerc en mourut ; dès avant le mois de vendémiaire, il
avait eu plusieurs attaques de fièvre ; il en parle dans ses
lettres.
Et c'est là le grand intérêt de ses lettres. Elles le font vivre
devant nous, avec ses alternatives de bonne et de mauvaise
santé, d'entrain, de découragement, ses changements d'humeur,
ses préoccupations constantes, ses soucis journellement renou-
velés. On trouvera que ses jugements sur les hommes qui l'en-
touraient variaient souvent: tel au bout de peu de temps fut
juge incapable ; à tel autre, au contraire, le général reconnut
en le voyant à l'œuvre les qualités qu'il lui avait d'abord déniées.
Cela prouve que Leclerc n'avait pas de parti-pris et qu'il savait
modifier son opinion suivant son expérience personnelle. Qu'il
CAZANOVE, op. cit.

— 28 —
dut être nerveux, on n'en peut douter à la lecture de ses lettres,
mais pourrait-on s'en étonner ? Et le 30 fructidor quand il
écrivait au ministre : « Je n'ai pas eu un jour de satisfaction
depuis que je suis dans ce pays. 1 », on peut être sûr qu'il était
sincère. Jamais il n'a pu être satisfait, même quand Toussaint
Louverture a fait sa soumission, même quand Toussaint arrêté
a été embarqué et que le Héros a fait voile vers la France.
C'était un succès, mais qui ne permettait pas de repos. La
lettre qui l'annonce fait part en même temps de la mort du
commissaire de justice Desperoux, du préfet colonial Benezech,
de plusieurs officiers généraux, d'officiers d'artillerie, de méde-
cins ; elle réclame des renforts, de l'argent, et un successeur,
car Leclerc se sent malade et la conviction que « la possession
de la colonie ne tient dans ce moment qu'à la conservation de
sa tête », augmente ses légitimes inquiétudes.
Les quatre mois écoulés depuis son entrée au Cap avaient
été occupés par la guerre ; celle-ci pouvait sembler terminée
en prairial, les généraux noirs ayant fait leur soumission.
D'autres travaux devaient commencer.
Le général en chef était en même temps capitaine général de
la colonie. Après l'avoir reconquise il devait réorganiser toutes
les branches de l'administration, les finances, les domaines,
l'agriculture, le commerce, le culte, la justice. La seule chose
dont il ne dût point avoir à s'occuper était l'instruction publique ;
le Premier Consul avait interdit qu'il y en eut d'aucune sorte à
Saint-Domingue, tous les créoles étant tenus d'envoyer leurs
enfants en France pour y être élevés.
Par la mort du préfet colonial et du commissaire de justice,
le capitaine général se trouva donc privé, juste au moment où
il allait pouvoir les mettre en fonctions, des deux collaborateurs
qui lui avaient été adjoints pour la partie civile de sa mission.
Il n'attendit pas que leurs remplaçants lui fussent envoyés ou
1. Le 5 messidor, il avait déjà écrit : « Les fatigues et les dégoûts qu'a
éprouvés cette armée sont au-dessus de toutes expressions ; on ne peut les
comparer qu'au courage avec lequel elle les supporte. »

— 29 —
désignés de France et il mit sans tarder « la machine en mouve-
ment ».
Désormais dans ses lettres, aux nouvelles qu'il donne, tou-
jours désolantes, de la santé de son armée, à ses demandes de
renfort de plus en plus pressantes pour combler les vides, aux
secours qu'il sollicite pour les veuves et les enfants de ses géné-
raux, se mêlent les mesures qu'il a décidées pour la restauration
du commerce, l'organisation des finances et de la justice.
Il lui faut attirer et favoriser les commerçants français sans
éloigner les Américains dont il a besoin pour son ravitaillement
surtout en bestiaux. Les marchandises de France doivent lui
éviter les paiements en numéraire ; il propose de limiter la
quantité des rhums autorisés à entrer en France « pour ne pas
nuire à nos eaux-de-vie » et aussi pour ne pas se démunir de la
denrée locale qui lui permet de solder les marchandises que
Saint-Domingue tire du continent américain. Il organise la
gendarmerie et entreprend le désarmement des troupes noires
qu'il a dû conserver jusque-là. En même temps qu'il envoie son
arrêté sur l'organisation provisoire de l'ordre judiciaire 1, il
demande qu'on rédige « un code civil des colonies qui ne peut
être le même que celui de France ». Les douanes et les domaines
nationaux l'occupent d'autant plus que ce sont les deux seules
sources de ses recettes (500.000 francs par mois, alors que ses
dépenses dépassent deux millions). Ses arrêtés relatifs aux
propriétés séquestrées ont pour but de faire revenir en grand
nombre les propriétaires blancs pour « franciser l'Ile ». Pendant
qu' il réclame sans cesse à Paris un jurisconsulte probe et instruit
pour faire le code civil, un homme très fort en administration
pour être préfet colonial et un receveur général du trésor capable,
il fait rédiger un code de police correctionnelle, il établit des
commissions militaires, il organise l'impression d'un journal
officiel et les envois de bois de gayac pour la marine ; il fait un
règlement provisoire de culture « qui, écrit-il au ministre,
1. Le 5 messidor il écrit que toutes les archives de la colonie ont été
brûlées pendant les troubles et il demande qu'elles soient reconstituées au
moyen de copies prises sur les expéditions conservées au dépôt des Colo-
nies à Versailles.

— 30 —
paraîtra ridicule et peut-être inepte à tout homme qui ne sera
pas sur les lieux et ne connaît pas ma position » et il prépare le
règlement définitif qu'il espère laisser à la colonie lors de son
départ.
Une longue lettre du 22 thermidor est consacrée toute
entière à l'exposé d' « une question très importante et dont la
décision devait influer sur les progrès de la colonie, celle des
dettes ». Dettes privées bien entendu. Avant la Révolution la
plupart des colons étaient endettés, c'était même un moyen
pour le commerce de France de tenir les colons en sa dépendance
et les troubles, depuis 1790, n'avaient pu améliorer la situation
des débiteurs ni celle de leurs créanciers. Bien plus l'Etat par
ses lois l'avait aggravée : son intervention était donc nécessaire
maintenant que la colonie, au moins théoriquement, était
rentrée dans l'ordre.
Leclerc distingue trois classes de dettes :
1° Celles contractées avant la loi qui accorde la liberté aux
noirs. Elles sont composées pour les trois quarts du prix des
noirs importés comme esclaves, des bestiaux et des construc-
tions, et pour un quart des objets de consommation personnelle.
Or la loi a rendu les noirs libres, la guerre a détruit les bestiaux
et les constructions, le colon a perdu par un cas de force majeure
tout ce qui avait causé sa dette. Quant à son créancier il n'avait,
au moment de l'établissement de sa créance, aucune hypothèque
sur le fond, les lois en vigueur ne lui donnaient que le droit de
saisir les meubles et ces meubles ont péri. Le colon ne peut
reconstituer ses cultures qu'à force d'industrie et à l'aide de
nouvelles avances. S'il peut être saisi par son créancier à
mesure qu'il répare ses pertes, il ne pourra rétablir ses cultures
et la restauration de la colonie sera retardée alors qu'elle doit
être rapide dans l'intérêt de tous. Leclerc ne propose pourtant
pas d'annuler ces dettes, mais il pense que le moins qu'on puisse
faire en faveur des débiteurs c'est de déclarer que les dettes de
cette sorte ne seront exigibles qu'après un délai de cinq ans et
payables après ce délai par cinquième chaque année sur les
fruits seulement.
2° Les dettes contractées depuis l'affranchissement des noirs

— 31 —
jusqu' à l'arrivée de l'armée. Elles ont été presque toutes con-
tractées par des fermiers pour achat de bestiaux et de matériel
agricole. Certains fermiers ont tout perdu dans la guerre, mais
en général ils ont sauvé une partie de leurs bestiaux et de leurs
fruits, beaucoup n'ont rien perdu. Le sort des débiteurs de cette
deuxième catégorie ne doit pas être réglé par une mesure
générale. Les droits des créanciers ne doivent être ni restreints
ni suspendus. Il faut laisser aux tribunaux le soin d'accorder du
temps aux débiteurs qui ont éprouvé des pertes, et de faire
payer ceux qui sont en état de le faire.
3° Les dettes contractées depuis l'arrivée de l'armée expédi-
tionnaire et celles qui pourront l'être dans l'avenir. Toutes ont
et auront pour cause la reconstitution des ateliers, les achats
d animaux et de matériel, le rétablissement de la prospérité
de la colonie, des avances que pourra faire le commerce. Il
faut encourager ces avances en donnant toute sûreté à ces
nouveaux créanciers. Et dans ce but Leclerc propose d'éviter
toute concurrence entre les nouvelles créances et les anciennes,
par l'établissement à Saint-Domingue du régime hypothécaire ;
les créances postérieures à l'arrivée de l'armée pourront seules
faire l'objet d'inscriptions et les prêteurs auraient un privilège
sur les fruits pendant les cinq premières années.
Leclerc concède que les mesures proposées par lui pourront
•choquer quelques intérêts particuliers, mais elles lui semblent,
dit-il, « concilier les intérêts de la métropole, ceux de la colonie
et ceux du commerce ». En attendant que le Gouvernement ait
statué sur ses propositions, il prend un arrêté suspendant
toutes poursuites pour le paiement des anciennes dettes et
autorisant seulement le créancier à faire régler la créance
devant les tribunaux.
Cette lettre montre que le général Leclerc, bien qu'il n'eut
que trente ans et que depuis douze années il n'ait fait que la
guerre, était parfaitement capable de comprendre les problèmes
économiques et sociaux les plus délicats et d'en voir en même
temps les côtés politiques. On aurait pu attendre de ce soldat
ignorant du droit, investi dans la colonie de toute l'autorité,
une solution brutale et simpliste, par exemple l'annulation

— 32 —
des créances antérieures à son arrivée, puisque la menace de ces
créances entravait la restauration, qu'il voulait rapide, de la
prospérité de la colonie. Au contraire, malgré son souci de ne
pas écraser le producteur qui est nécessaire à l'Etat, il se pré-
occupe de ne pas choquer l'esprit de justice inné chez tout
Français et de ne pas altérer la confiance nécessaire à la reprise
des affaires par une nouvelle spoliation légale venant après
celles de la Révolution : il étudie et il propose, parce qu'elles
lui paraissent équitables pour tous, parce qu'elles tiennent
compte des faits matériels, tout en maintenant le respect du
contrat, des mesures imprégnées à la fois de justice, d'humanité
et de bon sens.
Cette lettre du 22 thermidor (10 août 1802) est une des plus
sereines qu'ait écrites le général Leclerc. La veille il avait écrit
au Premier Consul une lettre que l'on peut qualifier d'optimiste,
par comparaison avec les autres ; l'arrivée de 2.000 hommes dont
la présence a arrêté momentanément les progrès de l'insurrection
lui a redonné de l'espoir ; il fait des projets pour les mois qui
vont suivre. En vendémiaire il détruira « tout ce qui n'obéira
pas ». En brumaire il espère renvoyer en France ou ailleurs
« ce qui le gêne ici ». Puis il fera la tournée de la colonie, il
passera son armée en revue. De retour au Cap en nivôse, il
consolidera et organisera définitivement l'administration de la
colonie ; notamment il rendra au préfet colonial les fonctions
de son poste. En pluviôse il aura organisé la partie espa-
gnole. En ventôse enfin il espère pouvoir partir.
« Vous m'aurez sans doute envoyé un successeur à cette
époque. Je puis vous assurer que j'aurai bien mérité du repos,
car je suis vraiment écrasé ici, étant presque seul. »
En effet, la nullité administrative du préfet colonial intéri-
maire, Lequoi Mongiraud, contraint le général en chef à faire
lui même « jusqu'aux arrêtés réglementaires ». L'ordonnateur
Daure « n'est bon qu'en temps de guerre » et tous ceux qui l'en-
touraient étant morts, l'administration fonctionne mal. Dans
les hôpitaux les malades périssent faute de fonds ; les officiers
ne pourront plus recevoir de rations au 1er fructidor. La

— 33 —
conduite de Richepanse à la Guadeloupe est « bien impolitique
et bien maladroite pour Saint-Domingue », l'annonce du réta-
blissement de l'esclavage dans la colonie voisine n'a-t-elle pas
surexcité l'insurrection des noirs au moment où ils semblaient
vaincus ?
Cette maladresse qui annule tous les succès militaires que
Leclerc a remportés depuis son arrivée à Saint-Domingue et
qui le précipite vers de nouveaux combats, le touche encore à
un point beaucoup plus sensible. Et un passage de la lettre
du 21 thermidor laisser deviner un drame dans la conscience
du général en chef : « A l'époque où je partirai, la colonie sera
disposée à recevoir le régime que vous voudrez bien lui donner,
mais ce sera à mon successeur à faire le dernier pas, si vous le
jugez à propos. Je ne ferai rien de contraire à ce que j'ai imprimé
ici ». Cette phrase révèle une obsesssion secrète qui paraît
aussi dans les lettres des 5 et 18 thermidor.
Leclerc à son arrivée au Cap avait lancé une proclamation
affirmant qu'il ne venait pas rétablir l'esclavage. Il avait affirmé,
et les lettres et proclamations du Premier Consul affirmaient,
que la liberté accordée aux noirs par la République française
serait maintenue. Pamphile de Lacroix dit que la question
était sans cesse posée aux officiers. Les généraux noirs, Dessa-
lines surtout, répétaient partout que les proclamations étaient
mensongères ; c'était leur rôle pour exciter leurs troupes. Trop
de colons blancs revenus avec l'armée contribuaient aussi à
entretenir l'alarme par leurs menaces et l'étalage de leurs
espoirs personnels de rétablir l'ancien état de choses. L'état
d angoisse bien compréhensible d'ailleurs dans lequel vivait à
ce sujet la population noire, et dont Pamphile de Lacroix cite
des exemples, dut imposer au général en chef de confirmer à
maintes reprises ses premières déclarations. Leclerc était
honnête et loyal ; il avait promis solennellement le maintien de
la liberté ; il comprenait la nécessité et la justice de ce main-
tien, il s'y sentait engagé personnellement.
Or, il sait que depuis son départ de France les intentions du
Premier Consul se sont modifiées ; la nouvelle que Richepanse a
brutalement rétabli l'esclavage à la Guadeloupe lui fait prévoir
LECLERC
3

— 34 —
qu'il va bientôt recevoir l'ordre de proclamer à Saint-Domingue
le retour à l'état social d'avant 1789. Obéir à cet ordre serait
pour lui renier sa parole d'honnête homme et de soldat en
même temps que commettre une faute politique qui, il le sent,
fera perdre définitivement à la France la colonie de Saint-
Domingue. D'où un drame que l'histoire doit noter dans la
conscience de ce soldat de trente ans auquel le commandement
en chef avait déjà apporté tant d'autres tristesses et tant
d'inquiétudes journalières.
Tant qu'il avait eu Toussaint Louverture à combattre
Leclerc avait réussi. L'embarquement du général noir pour la
France n'était pas la fin de la mission de Leclerc ; il devait
ensuite réorganiser la colonie. A partir de ce moment la male-
chance s'appesantit sur lui, la fièvre jaune se développe et ses
ravages dépassent ceux de toutes les épidémies antérieures.
Le ravitaillement de l'armée expéditionnaire en hommes et en
matériel n'avait pas été prévu, son équipement même au
moment du départ de Brest, avait été mal assuré. Dès son entrée
en campagne Leclerc avait dû demander des vêtements et des
fournitures de toutes sortes, et de l'argent. Jusqu'à la fin il se
plaindra de ne pas recevoir ce dont il a besoin ou des envois de
mauvaise qualité.
À ce général qui voit l'épidémie décimer son armée et qui
peut se demander si la Patrie ne l'oublie pas, les nouvelles
venues de la Guadeloupe portent un dernier coup en faisant
renaître des ennemis qu'il croyait vaincus. Leclerc voyait
juste en stigmatisant la maladresse de Richepanse. En réalité
elle a déterminé l'échec de l'expédition, plus que la fièvre jaune
elle-même.
Personne ne pouvait empêcher l'épidémie ni prévoir qu'elle
serait si dévastatrice. Par contre la nécessité du ravitaillement
pouvait et devait être prévue. Que son insuffisance ait eu pour
cause une gabegie invétérée dans les services de la Marine, ou
comme on l'a prétendu, une hostilité personnelle du ministre
Decrès contre Leclerc, il reste que le Premier Consul ne tint
pas compte des plaintes légitimes de son beau-frère et n'usa
pas de son autorité pour faire cesser gabegie ou hostilité et

— 35 —
assurer des secours à l'armée qu'il avait envoyée sous le climat
meurtrier de Saint-Domingue.
Il n'y avait pas besoin non plus d'être un génie pour penser
que la nouvelle du rétablissement de l'esclavage à la Guade-
loupe serait immédiatement connue dans l'île voisine et détrui-
rait aussitôt chez les noirs, anciens sujets de Toussaint Louver-
ture, toute confiance dans les promesses du Gouvernement
consulaire. La proclamation de Richepanse à la Guadeloupe
devait fatalement rallumer l'incendie couvant sous les cendres
encore fumantes de Saint-Domingue.
Le fait que cette conséquence inévitable n'ait pas été prévue
à Paris, dénote, comme les insuffisances du ravitaillement, un
défaut d'organisation qui contraste singulièrement avec la
précision des instructions dictées par le Premier Consul pour le
général en chef. Oubli, erreur, ou négligence voulue ?
« Une armée a tant de besoins auxquels il faut satisfaire à l'instant,
ou risquer de tout perdre, disait Frédéric II, que ce n'est qu'avec
difficulté qu'on y pourvoit lorsqu'on est près de ses ressources, mais
quand une armée est à l'autre bout du monde, prévoir tout ce qui
lui est nécessaire est le comble de la prudence et de la sagacité
humaine. »
Le Premier Consul avait prescrit la conduite à tenir dans les
différentes phases de la campagne, mais à la condition que tout
se passât comme il le supposait et se passât vite, comme dans
une des guerres qu'il avait faites en Europe. Aucune des condi-
tions spéciales à une expédition au-delà des mers et sous les
tropiques n'avait été prévue. La réunion sur la tête du général
en chef et capitaine général, de tous les pouvoirs militaires et
civils était excellente ; mais ce général, malgré toutes les qualités
personnelles qu'il pouvait posséder, était complètement igno-
rant du pays où il allait exercer son autorité, des hommes qu'il
devait combattre, des préjugés de couleurs, des conflits de races
et d'intérêts qui divisaient si profondément les noirs et les
mulâtres, les colons et les commerçants qu'il allait avoir à faire
vivre ensemble sous une administration entièrement à reconsti-
tuer, et pourtant tout reposait sur lui.
Entre des hommes de toutes classes et de tous métiers mus

— 36 —
par l' appât du gain, et d'autres incapables, la mort fauchant
chaque jour ses plus utiles compagnons d'armes, le général se
trouva bientôt seul. Seul à porter toute la responsabilité du
commandement, tout le poids de l'administration, toutes les
inquiétudes d'une pénurie tragique de forces et de ressources
qui rendait précaire même sa sûreté personnelle et celle de sa
femme et de son enfant.
Le 17 messidor (6 juillet 1802), il écrit au ministre :
« Depuis le 21 germinal (11 avril 1802), je n'ai reçu aucune lettre
de vous. J'ai correspondu avec vous très exactement et vous ne
répondez à aucune de mes lettres. L'abandon où vous me laissez est
cruel. Je vous ai demandé de l'argent, des habits, des effets d'hôpi-
taux, des effets d artillerie, des ouvriers, vous ne m'avez rien envoyé,
vous ne m'envoyez rien, vous ne m'annoncez rien ; pas une de vos
lettres ne m'a exprimé si le gouvernement était satisfait de ma
conduite. On a besoin d'encouragement dans la position où je me
trouve. »
Laissé dans un tel dénument matériel et moral, Leclerc était
encore fondé à écrire le 29 fructidor (16 septembre 1802) :
« Depuis l' embarquement de Toussaint, la conservation de
Saint-Domingue est une chose plus étonnante que mon début
dans cette île et l'enlèvement de ce général ».
Leclerc n était pas d une santé très forte ; à plusieurs reprises
il avait été malade, notamment en floréal. A la fin de l'été il
était épuisé. Le 30 vendémiaire an XI (22 octobre 1802), à
6 h. 1 /2 du matin, au moment de monter en voiture, il se sentit
si faible qu il ne pouvait plus se mouvoir. Le médecin en chef
de l' armée, Peyre, reconnut une fièvre lente, nerveuse, qu'il
avait, dit-il, présagée depuis quelque temps « à cause des peines
d esprit et de corps que le général éprouve et auxquelles il se
livre sans ménagement ». Cinq jours plus tard les forces lui
étant un peu revenues, Leclerc veut se faire voir aux habitants
pour les rassurer. Le médecin l'empêche encore de monter en
voiture, mais il note que malgré les instances de Mme Leclerc
et de tout l'état-major, le général s'occupe trop d'affaires et se
désespère de ce que le général Brunet n'arrive pas.

— 37 —
Le 7 brumaire, Leclerc se lève pour la dernière fois. « Il est
irascible, il revient pourtant à son caractère naturel, mais la
moindre chose le contrarie. Ses discours sont d'un homme vio-
lemment affecté de la position dans laquelle il se trouve. Il a
reçu beaucoup de monde pour se distraire, il s'est promené très
longtemps, il s'est beaucoup trop occupé. Le soir il est entré chez
son épouse avec le général Watrin, il s'est mis aux fenêtres
pour voir sa petite ménagerie ; il s'est évanoui, cependant il est
bientôt revenu à lui. Il s'est retiré dans son appartement où il
s est encore occupé. »
Le lendemain la fièvre reprit. « C'est la maladie de Siam
dans toute son intensité chez un homme déjà épuisé ». L'état
comateux, fiévreux et délirant continua le 9 brumaire.
A 10 heures du soir, Leclerc se rendit compte de son état et
« dès lors il a songé à mourir avec courage et résignation ». Il
fit appeler le général Boyer et lui donna ses ordres pour le
retour en France de Mme Leclerc et de son fils et pour l'adminis-
tration de la colonie. Pendant la journée du 10, les médecins
essaient de tous les traitements, sans succès. « Quoique délirant
le général recouvre sa raison de temps à autre, il a montré
constamment de la fermeté et de la gaieté !... Enfin à la nuit
le vomissement a cessé mais non les efforts, ils ont continué
Jusqu'à onze heures et demie qu'il est entré en agonie et il a
rendu son âme juste et vertueuse à minuit et demie »1.
Le 11 brumaire, une proclamation dans le style pompeux de
l' époque, annonçait à l'armée de Saint-Domingue la mort du
général qui la commandait depuis un an et huit jours. Des
oraisons funèbres, à Saint-Domingue même et quelques mois
plus tard dans les cathédrales de France, exaltèrent les vertus
du beau-frère de Bonaparte. D'autres jugements vinrent de
Saint-Domingue, tel que celui-ci, inséré dans une lettre adressée
au ministre Barbé Marbois par un nommé Arnoud, de Port-
au-Prince le 22 avril 1803.
1. Journal sur la maladie du général en chef, capitaine général de l'île
Saint-Domingue, par E. Peyre, docteur en médecine, inspecteur général
du service de santé de la colonie de Saint-Domingue, médecin en chef de
armée. (Arch. Col. Cce Générale de Saint-Domingue).

— 38 —
« Je ne vous parlerai point de M. Leclerc. C'était un grand enfant
présomptueux, parleur, gâté par la fortune et les honneurs préma-
turés. Il a été le jouet de tout ce qui l'environnait et la victime de la
honte d'avoir été abusé. Il avait placé le siège de l'honneur dans le
cœur des nègres et des mulâtres dont il a toujours été la dupe. Il
était journellement vendu, ses troupes sacrifiées partout où elles
combattaient : les finances, les recettes étaient au pillage et les
troupes mouraient de misère et d'inanition dans les hôpitaux. Il a
reconnu ses torts et fait réparation aux gens qu'il maltraitait. Qu'il
soit en paix ! »
De cette opinion exposée en secret, rapprochons le jugement
rendu publiquement par Dargaignon, préposé d'administration;
chargé du détail de la guerre, dans le discours qu'il prononça
au service funèbre célébré pour le général Leclerc à Samana :
«... En vain des critiques peu réfléchis ont voulu faire croire que
la faiblesse et la prévention l'avaient éloigné du terme de ses tra-
vaux dont une conduite plus sévère à l'égard des révoltés l'eut
rapproché. Je ne vois dans ses procédés qu'un excès excusable de
bonté et le résultat de la fausse idée que tous les Européens qui
viennent pour la première fois dans ces climats se sont fait des
ennemis que nous avons à combattre, auxquels ils supposent des
principes de morale. Désabusé par l'expérience de cette manière do
voir éloignée de la vérité, il eut imposé silence à son cœur, qui lui
parlait en faveur de ces vils assassins, pour suivre le seul parti capable
de nous délivrer de leur rage. Ce défaut, pardonnable sans doute
puisqu'il est le type d'une belle âme, par combien de talents et de
vertus n'était-il pas racheté ? Prudence dans les conseils, activité
dans l'exécution, fermeté dans les principes, courage dans les
dangers. Il n'est pas besoin d'avoir suivi exactement ce général pour
reconnaître en lui le caractère de toutes ces vertus. Pas une de ses
proclamations qui ne soit appuyée sur ces bases ; dans toutes on
trouve une soif inextinguible du bien public et la ferme résolution
de l'opérer. »
Ainsi Leclerc était accusé par les uns de trop favoriser les
noirs, par les autres de vouloir les exterminer. Exemple entre
mille autres de l'impossibilité pour un chef de plaire à tous ou
même d'être compris, et de la difficulté pour l'historien de
trouver la note juste dans les témoignages contemporains.
Leclerc est donc mort à la peine. Jusqu'à son dernier souffle
il s'est adonné tout entier à la tâche qu'il avait acceptée, et

— 39 —
qu'il a remplie avec courage, sinon avec bonheur et habileté.
Parce qu'elles sont écrites au courant de la pensée, suivant
l' impression du moment, souvent ab irato, parce qu'elles par-
tent du cœur et des nerfs, ses lettres au Premier Consul et au
ministre de la Marine constituent le témoignage le plus sincère,
le moins apprêté, le moins réfléchi, le plus vivant qu'ait fourni
un des membres de l'expédition. Mieux que tout récit chrono-
logique ou que toute synthèse savamment construite, elles
restituent l'atmosphère tragique dans laquelle vécut l'armée de
Saint-Domingue, attaquée par les hommes et le climat, obsédée
par la maladie et l'éloignement, la mort sournoise suivant
chacun comme son ombre au milieu des plus beaux paysages : il
fallait que leur jeunesse fut bien forte pour que ces hommes
gardassent l'espérance.
Malgré la position centrale d'où il voyait et d'où ses lettres
nous font voir l'expédition de Saint-Domingue, le général
Leclerc ne fournit qu'un point de vue, celui de l'envoyé du Gou-
vernement français. Qui veut juger un conflit doit écouter le
témoignage des deux adversaires. Toussaint Louverture lui
aussi a laissé un récit de cette lutte qui l'a également conduit
à la mort. Ce n'est plus une suite de témoignages décousus au
jour le jour, hâtivement écrits dans le feu de l'action, c'est un
mémoire habilement rédigé.
Le général noir envoyé en France par Leclerc, avait été incar-
céré le 5 fructidor (23 août 1802) au fort de Joux dans le Jura
et du fond de cette dure prison il demandait des juges 1 :
« Il est de mon devoir, dit-il en débutant, de rendre au Gouverne-
ment français un compte exact de ma conduite. Je raconterai les
1. Le Mémoire a été écrit dans les premiers temps de la captivité de
Toussaint, puisqu'il le remit au général Caffarelli, venu pour l'interroger.
Un exemplaire de la main de Toussaint, une copie signée de lui se trouvent
aux Archives nationales (AF14 1213) ; c'est là que M. Pauleus Sannon a
Pris le texte qu'il a inséré en annexe du tome III de son Histoire de Tous-
saint Louverture, Port-au-Prince, 1933. Un troisième exemplaire se
trouve aux Archives coloniales, c'est celui que nous reproduisons.

— 40 —
faits avec toute la naïveté, la franchise d'un ancien militaire en y
ajoutant les réflexions qui se présenteront naturellement : enfin je
dirai la vérité, fut-elle contre moi-même. »
Et le mémoire se termine ainsi :
« Je demande que le général Leclerc et moi paraissions ensemble
au tribunal et que le Gouvernement ordonne que l'on m'apporte
toutes mes pièces de correspondances : par ce moyen l'on verra mon
innocence et tout ce que j'ai fait pour la République, quoique je
sais que plusieurs pièces seront interceptées. »
Toussaint-Louverture mourut dans sa prison le 17 germinal
an XI (6 avril 1803), six mois après Leclerc, sans avoir obtenu
d être admis à se justifier. Quelqu'opinion qu'on puisse avoir
sur la conduite à Saint-Domingue de cet homme extraordinaire,
qu on le considère comme un héros ou comme un criminel, la
dureté du traitement qui lui fut infligé au fort de Joux inspire
la pitié. Il avait été nommé général français, gouverneur fran-
çais de Saint-Domingue : il était accusé de rébellion, il aurait
dû être entendu et régulièrement jugé.
Le Mémoire qu'il fit remettre au Premier Consul, quoique écrit
dans sa prison, n'est point d'un homme abattu. A mesure qu'il
relate les événements, les décisions qu'il a prises, les ordres
qu'il a donnés, on sent que «le vieux Toussaint » s'évade de son
cachot par l'imagination, qu'il se retrouve à Saint-Domingue.
Le prisonnier se redresse, il plaide une cause, la sienne, c'est
entendu, il affirme hautement et il n'est pas sûr qu'on doive
toujours le croire, mais c'était bien son droit et son devoir de
présenter sa défense, et il s'y montre tel qu'il était, un homme
vraiment remarquable que des facultés étonnantes rendaient
égal sinon supérieur à Leclerc par l'intelligence et la volonté.
Il attaque, il prend violemment à partie Leclerc et l'affaire
de Saint-Domingue devient une question de personnes, tous
les désastres seraient venus d'un manque d'égards d'un
général venant prendre son commandement envers le général
qu'il devait remplacer. Accusé d'animosité personnelle, de
déloyauté, Leclerc est mis en mauvaise posture par les raisonne-
ments et l'indignation sincère de son ennemi : sa conduite en
certains cas paraît peu raisonnable... et le lecteur entraîné par la

— 41 —
conviction de Toussaint se demande pourquoi, en effet, Leclerc
a cru devoir agir ainsi.
La confrontation des deux versions de la campagne de
Saint-Domingue en 1802 par Leclerc et par Toussaint-Louver-
ture serait décevante, les opinions qu'on en pourrait concevoir
sur les deux adversaires resteraient forcément incertaines,
s ils étaient laissés seuls en présence. Et ce ne serait pas juste.
Tous deux étaient soldats, se combattaient sous l'uniforme
français ; tous deux ont adressé leurs récits au même homme,
qu ils reconnaissaient pour leur supérieur, le chef du gouver-
nement d'alors, le Premier Consul Bonaparte.
Aux lettres de Leclerc et au mémoire de Toussaint-Louver-
ture, on doit joindre un texte dont la connaissance s'impose,
car il expliquera la conduite de Leclerc. Ce sont les instructions
qu' d avait reçues à son départ de Paris. Nous avons vu Norvins
et Pamphile de Lacroix y faire allusion pour un cas par-
ticulier. Elles doivent justifier ou condamner sa conduite
que Toussaint-Louverture attaque si violemment et que per-
sonne n'a défendue.
Ces instructions, le Premier Consul les avait dictées et
Decrès en les envoyant à Leclerc déclarait ne pouvoir mieux
faire que de lui transmettre une copie exacte des notes qu'il
avait reçues sans y rien changer. C'est donc bien la pensée de
Bonaparte sur Saint-Domingue que l'on y trouve.
Nous les faisons suivre de la lettre que le Premier Consu
chargea les enfants de Toussaint-Louverture de remettre à
leur père et qu'ils lui remirent effectivement dès le 20 pluviôse
(9 février 1802). Adressée au citoyen Toussaint-Louver-
ture, général en chef de l'armée de Saint-Domingue, elle précise
aussi les ordres donnés par le chef du Gouvernement français
à celui à qui il avait délégué son autorité dans la colonie un an
auparavant, le 17 pluviôse an IX.
A la lecture des instructions, le général Leclerc paraît dans
e rôle exact qui lui était dévolu et le plus récent historien
aïtien de Toussaint-Louverture, M. Pauleus Sannon lui a
rendu justice en disant : « De complexion faible, petit de taille,
mais doué d'une grande énergie et d'une intelligence remar-

— 42 —
quable, Leclerc s'était révélé pendant sa courte administra-
tion, avisé et capable ; soldat il ne pouvait pas s'écarter des
instructions qu'il avait reçues du Premier Consul et pour s'y
conformer il commit des actes déloyaux envers les chefs indi-
gènes ».
Mais si la personnalité de Leclerc est remise à son rang
subalterne, l'antagonisme se découvre beaucoup plus grave,
entre « le Premier des Noirs » et « le Premier des Blancs ».
Bonaparte ne peut être rendu responsable de l'état dans
lequel au 18 brumaire il a trouve la colonie de Saint-Domingue,
et Toussaint-Louverture lui-même ne porte pas toute la respon-
sabilité de l'indépendance que les erreurs des gouvernements
révolutionnaires lui avaient permis de prendre peu à peu.
Cette indépendance, le Premier Consul ne pouvait pas l'ad-
mettre. Il était humain, d'autre part, que Toussaint Louver-
ture eût peine à l'abandonner, sa position n'était pas nette
et ses véritables sentiments envers la France restent diffi-
ciles à démêler. Le choc de ces deux hommes exceptionnels,
chacun dans sa race, fit atteindre au drame de Saint-Domingue
son sommet en l'année 1802.
La plus belle colonie française disparut dans les massacres ;
son sol même qui avait fourni à l'Europe tant de richesses
devint pour un temps improductif. Cependant l'esprit et la
langue française y ont survécu, et aujourd'hui que les années
ont permis aux sanglants événements de 1802 de s'estomper
dans l'oubli, on peut, en France comme à Haïti, étudier avec
impartialité et profit les témoignages donnés dans le feu même
du combat par les deux généraux à qui l'histoire en fait porter
la responsabilité, parce que leur destin les mit face à face au
moment décisif d'un conflit très antérieur à eux et dont ils
ne comprenaient pas eux-mêmes toute la complexité.
A l'instant où il donnait sa vie pour Saint-Domingue, Leclerc
l'entrevit sans doute car : « il exprima des regrets sur les faux
errements qui avaient dirigé les conseils du gouvernement
dans le but de son expédition ; il gémit d'une entreprise faite
sur des hommes et par des hommes dignes d'un meilleur sort
à raison des services qu'ils avaient déjà rendus et qu'ils auraient

— 43 —
pu rendre eacore à la France. Ces regrets furent touchants,
dit P. de Lacroix, et les dernières paroles de ce général qu'on
a tant calomnié furent des vœux pour la Colonie, pour l'Armée
et pour la France. » 1
La réconciliation souhaitée par Leclerc et qui se manifeste
aujourd'hui dans les deux pays par une même volonté d'oubli
du passé, quelles qu'aient été de part et d'autre les fautes ou
les erreurs, et même les crimes, est un fait des plus rares dans
l'histoire de l'humanité. Cette rareté augmente l'intérêt que
présente à tant de points de vue l'étude des « révolutions de
Saint-Domingue » : les textes réunis dans ce volume permettront
de mieux connaître les événements de la funeste année 1802 2,
et pourront servir à des rcherches nouvelles.
Paul ROUSSIER.
T. PAMPHILE DE LACROIX. Op. cit., tome II, p. 231.
2. On trouvera dans un « Appendice » les lettres adressées par le ministre
de la Marine au général Leclerc pendant l'expédition.






LETTRES
DU
GÉNÉRAL LEGLERC
AU PREMIER CONSUL
ET AU MINISTRE DE LA MARINE


I
La Malmaison, le 7 Brumaire, An X
(29 octobre 1801).
Le Général en Chef de l'Armée Expéditionnaire
au Premier Consul1.
Citoyen Consul,
J'ai l'honneur de vous adresser les notes qui m'ont été
fournies par les citoyens Vincent, Kerversau et Desfour-
neaux sur les personnes qui pourraient être employées utile-
ment à Saint-Domingue.
D'après les renseignements que je me suis procuré de ces
généraux nous avons besoin d'une grande quantité d'outils
de toutes espèces. Il nous faudra également des chariots ou
tombereaux pour le transport des vivres.
J'ai reçu la note des officiers généraux qui doivent être
employés sous mes ordres. Le citoyen Vincent pense que la
présence du général Desfourneaux à, Saint-Domingue est propre
à inquiéter les habitants par le souvenir de ce qu'il y a fait,
il dit que ce général perd facilement la tête.
Vous n'avez point encore désigné les commandants de
l'artillerie et du génie qui doivent être employés sous mes
ordres. Je désire le général Macors pour commander mon
artillerie. Je vous demanderai un général pour commandant
du génie.
Je n'ai encore reçu aucune instruction du ministre de la
Marine.
1. Lettre de la main de Leclerc (Arch. Nat. AFiv 1213).

— 48 —
Le général de division Hardy désire venir avec moi, mais
étant inspecteur en chef aux revues je crains que cela ne
vous convienne pas. Je désirerais l'avoir pour chef de l'état-
major.
Je crains de ne pas trouver à Brest un seul cheval ou mulet,
les ordres pour l'achat ne font que d'être expédiés ; ne pour-
rait-on pas en prendre dans le train d'artillerie du général
Bernadotte ?
Je vous prie d'agréer, l'assurance de mon dévouement res-
pectueux.
Citoyen Consul.
LECLERC.
II
Paris, le 14 Brumaire, An X de la République
(5 novembre 1801).
Le Général en Chef de l'Armée Expéditionnaire
au Premier Consul de la République Française,
Citoyen Consul,
Le ministre de la Marine a reçu cette nuit des dépèches du
contre-amiral Latouche et du général Boudet, qui annoncent
qu'il n'y a dans ce moment, de troupes disponibles pour
embarquer, que 1.800 hommes ; ils demandent à être autorisés
à porter ce nombre à 3.000 hommes au moyen de la 15e demi-
brigade légère, qui se trouve à l'ile d'Oléron.
Il n'y a point eu de compagnie de sapeurs désignée pour
être embarquée. Je désirerais en avoir trois.
Il n'y a point d'artillerie à cheval. Je désirerais en avoir
une compagnie qui embarquerait à Brest.
Je désirerais également avoir une compagnie de pontonniers
qu'on pourrait faire embarquer à, Flessingue.
Les commandants de l'artillerie et du génie ne sont point

— 49 —
encore désignés, ou, du moins, je n'ai encore aucun avis de
leur désignation.
J'ai besoin de 20.000 pantalons et de 20.000 sarraus de
toile. Les ministres de la Guerre et de la Marine, en convenant
de la nécessité de cette fourniture, se renvoient l'un à l'autre
pour le payement ; je vous prie de prononcer par qui il sera fait.
Je suis avec respect, Citoyen Consul,
LECLERC.
Ci-joint l'état de situation des troupes qui sont à Rochefort
en ce moment.
III
Au Quartier Général de Paris,
le ... Brumaire, l'An X de la République Française.
Le Général en Chef
au Premier Consul de la République Française.
Le départ du général Hardy, dans l'expédition que je com-
mande, laisse vacante une place d'inspecteur en chef aux
revues : je vous la demanderai pour le général de brigade
Monnard, inspecteur aux revues. Cet estimable officier qui
a fait toute la guerre à l'armée du Nord, avec distinction,
réunit toutes les qualités qui constituent un bon inspecteur.
J'ose assurer qu'il y en a peu d'aussi probe, d'aussi instruit
et d'aussi travailleur.
On m'a assuré que le corps des inspecteurs aux revues
devait être augmenté ; si telle était votre intention, je vous
demanderai le grade d'inspecteur pour le citoyen La Roche
Blin, actuellement sous-inspecteur. J'en ai été très content
au corps d'observation de la Gironde.
Je suis avec respect, Citoyen Consul,
LECLERC.
LECLERC
4

— 50 —
IV
Au Quartier Général de
Le
, l'An X de la République Française 1.
Le Général en Chef, au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je vous prie de faire désigner un directeur des postes pour
Saint-Domingue. Je désire que ce soit le citoyen Isidore
Breuilly.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
V
19 Brumaire, An X (10 novembre 1801).
Le Général en chef de l'expédition de Saint-Domingue
a reçu du ministre de la Marine son brevet de Capitaine Général
de Saint-Domingue, ainsi que les instructions secrètes et par-
ticulières qui lui ont été remises, ce 19 Brumaire, an X.
LECLERC.
VI
Au Quartier-Général de Brest,
le 2 Frimaire, An X (23 novembre 1801).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
J'ai l'honneur de vous soumettre l'état sommaire de l'expé-
dition de Brest. Vous recevrez par le citoyen Clément les
états que vous désirez.
1. Le quantième du mois n'est pas indiqué, mais la lettre est au plus
tard du 16 brumaire, car dès le 18 Breuiily était nommé.

— 51 —
Armée Navale.
Je suis très content de la manière d'être
de l' amiral Villaret ; je suis persuadé que nous n'aurons jamais
la moindre difficulté ensemble.
Armée de Terre. — Elle est assez bien composée, à l'excep-
tion du 2e bataillon de la légion de la Loire, du dépôt de la
légion expéditionnaire et de l'escadron de la légion de la
Loire qui sont de mauvaises troupes ; sa force est de
7.600 hommes tout compris. Les troupes partent volontiers,
à l'exception des mauvais corps que je viens de vous désigner,
et elles ont peu de malades.
Administration financière du corps. — Elle est arriérée.
Nous partirons de l' an X. et la comptabilité arriérée sera régu-
larisée en arrivant dans la colonie.
Armement. — Il est mauvais. Nous avons 4.000 fusils à
bord de la flotte. 2.000 devront être distribués en mettant
pied à terre pour remplacer les mauvaises armes qui sont dans
les mains des soldats. Nous n'avons pas de sabres ; il nous
en faudrait 2.000 pour achever d'armer l'infanterie.
Habillement.
La 5e légère, le 31e de ligne, le bataillon
de la 71e, l'artillerie et les sapeurs sont bien habillés.
Moitié de la 11e légère, moitié de la 38e et moitié de la 79e
sont habillés à neuf, le reste est nu. L'habillement de ce corps
fera partie des demandes que j'adresserai au ministre avant
mon départ.
La chaussure est en mauvais état. Au lieu de 15.000 paires
de souliers que le ministre de la Guerre avait ordonné de faire
trouver à Brest, je n'en trouve que 4.000, encore mauvaises.
Les corps en ont quelques paires avec eux, mais cela suffira
tout au plus à chausser à neuf la moitié.
Je n'embarque pas une seule chemise de réserve avec moi.
La buffleterie est en mauvais état et il n'y a pas de moyens
de remplacement à Brest.
Solde. — Elle sera payée jusqu'au 30 pluviôse avant le
départ. Je me loue beaucoup du zèle et de l'activité du citoyen
Villaume, payeur du général Bernadotte, qui a emprunté sur
son propre crédit pour nous satisfaire plus tôt.

— 52 —
Hôpitaux. — La Marine nous fournit tout ce qu'elle peut ;
cela sera éloigné de suffire. J'adresserai au ministre un état
de demandes avant mon départ.
Artillerie. — Le personnel est en bon état. Les affûts sont
généralement mauvais.
Vivres. — Il n'y a d'embarqué, en ce moment, en vivres,
que ceux de la Marine pour six mois et ceux des passagers
pour trois. Le vin, la farine et le biscuit sont mauvais. L'amiral
m'a dit qu'il avait été obligé d'embarquer ces mauvaises den-
rées faute d'autres. Un bâtiment, qui porte des ordres au
citoyen Pichon, ne partira que 24 heures après nous. Si c'est
celui qui lui porte ordre de nous approvisionner de 10.000 quin-
taux de farine, il arrivera bien tard. J'ai pris ici des rensei-
gnements sur le citoyen Pichon, il ne trouvera rien aux États-
Unis sur son crédit.
Fonds. — Les fonds n'arriveront à Brest que le 4 frimaire ;
aussitôt leur arrivée nous montons à bord et n'attendons plus
que vos ordres et le vent pour mettre à la voile.
J'ai eu singulièrement à me louer des procédés délicats du
général Bernadotte à mon égard. J'y ai été d'autant plus
sensible qu'il s'était attendu à avoir le commandement de
cette expédition. Il ne désire qu'un peu d'aisance : si vous
la lui donniez vous acquéreriez des droits à sa reconnaissance.
C'est un homme franc et loyal. Il voit avec peine le commande-
ment passer en d'autres mains que les siennes, mais il est
votre admirateur, il est reconnaissant de ce que vous avez
fait pour lui après le 18 brumaire. Je désirerais qu'il sut que
je vous ai parlé de lui.
Je n'ai point reçu votre proclamation ni votre lettre pour
Toussaint Louverture. Coisnon et les fils de Toussaint sont
arrivés hier. Le citoyen Benezech n'est pas arrivé.
J'ai trouvé beaucoup de bonne volonté dans l'Administra-
tion de la Marine, pour ce qui a rapport à l'armée, mais je me
plains de ce que j'ai été logé d'une manière indécente, quoique
j'eusse envoyé un aide de camp 15 jours à l'avance pour prier
le citoyen Caffarelli de me faire préparer un logement. Quoique

— 53 —
je lui aye dit- moi-meme que j'étais mal logé, il ne m'a pas
offert un logement chez lui ou à l'hôtel de la Marine qui n'est
occupé que par des commissaires de marine.
Votre sœur a souffert en route, mais elle va assez bien pré-
sentement. Elle est arrivée ici hier. Je suis arrivé le 27. Les
mauvais chemins et une indisposition ne m'ont pas permis
d'arriver plus tôt. Le 29 j'ai passé en revue, à bord, toute
l'armée.
• J ai reçu ce matin la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire et qui m'a été apportée par votre courrier. Le quatre,
je serai à bord. Je vous renverrai, selon votre désir, votre
courrier pour vous annoncer le moment de l'appareillage et
le citoyen Clément vous portera tous les états que vous désirez.
On nous donne ici de mauvaises nouvelles de la Guadeloupe.
On dit que le capitaine général Lacrosse y a été empoisonné.
Si vous avez quelques ordres à me faire passer avant le départ
de la flotte, je serai peut-être encore à même de les recevoir
par le télégraphe.
Vous trouverez ci-joint, Citoyen Consul, une adresse qui
m'a été envoyée par le conseil de commerce de Bordeaux.
Je crois que sa mise dans un journal ne peut pas faire mauvais
effet.
Je sens toute l'importance de la mission que vous m'avez
confiée et je ne négligerai aucun des moyens qui sont en mon
pouvoir pour qu'elle réussisse.
Agréez, Citoyen Consul, l'assurance de mon respectueux
dévouement.
LECLERC.
J'ai reçu également ce matin, par le courrier du ministre
de la Marine, votre proclamation et vos lettres pour Toussaint.

— 54 —
VII
Au Quartier Général de Brest,
le 5 Frimaire, An X (26 novembre 1801).
Le Général en Chef
au Premier Consul de la République Française.
Citoyen Consul,
J'ai l'honneur de vous adresser les états de situation :
1er des troupes embarquées à Brest.
2e de l'artillerie embarquée à bord des bâtiments.
3e des outils embarqués par le Génie.
4e des effets d'habillement et d'équipement qui sont à. bord.
5e des effets d'hôpitaux et médicaments. J'y joins égale-
ment l'état des demandes que j'adresse aux ministres de la
Guerre et de la Marine.
6e en objets d'artillerie. Il vous sera facile de vous con-
vaincre, à la seule inspection de ce que nous emportons dans
cette arme, que nos demandes ne sont point exagérées et
qu'il est indispensable qu'elles nous soient fournies. J'ajou-
terai, ce que je vous ai déjà observé, que les constructions
de l'artillerie embarquée sont toutes très mauvaises.
7e en effets d habillement et d équipement. Il est instant
que les demandes que je fais me soient fournies, attendu
que je n'aurai pas en arrivant à Saint-Domingue, une paire
de souliers de rechange, et que les autres expéditions, même
celle de Rochefort, ne me fournissent rien ou presque rien
en effets de ce genre ; d'ailleurs un quart de la troupe est nue.
8e en effets d'hôpitaux. Je me suis assuré que je ne trouverai
aucune ressource, en ce genre, à Saint-Domingue, et la base
de mes demandes est très faible, puisqu'elle est de 6.000 malades
pour dix mois.
Nota. — L'état des besoins en effets d'hôpitaux se trouve
compris dans celui n° 5.
Mon payeur a reçu 500.000 francs. La solde est payée pour
trois mois d'avance. Les 6.000 fusils que j'ai à bord sont de

— 55 —
vieux fusils réparés. Il me manque 1.800 sabres pour armer
les troupes qui sont à Brest.
Les vents sont contraires, néanmoins je monte à bord et
je n'en quitterai plus.
Je suis content de l' esprit des troupes. La légion expédi-
tionnaire et celle de la Loire me fourniront 800 hommes que
j'aurai bien de la peine à rendre bons.
Il y a déjà plusieurs jours que Rochefort est prêt et nous
attend.
Je sens, Citoyen Consul, toute l'importance de la mission
que vous m avez confiée ; toutes mes forces physiques et
morales seront employées à la faire réussir. Je suis trop heureux
que vous ayez fait choix de moi pour une expédition dont la
réussite peut assurer le bonheur d'un quart de la France.
Je vous prie de donner des ordres pour que les objets que
je réclame me soient envoyés.
Agréez, Citoyen Consul, l'assurance de mon respectueux
dévouement.
LECLERC.
VIII
Au Quartier Général de Brest,
le 17 Frimaire, An X (8 décembre 1801).
Le Général en Chef
au Premier Consul de la République Française.
Citoyen Consul,
Vous m'avez promis qu'une somme de 500.000 francs serait
mise à bord de l'escadre, pour être à ma disposition, et je
n'apprends qu'aujourd'hui seulement, qu'on n'y en a mis
que 250.000, puisque sur 500.000, qui s'y trouvent, et qu'on
m'avait assuré d'abord être à. ma disposition, 250.000 sont
réclamés par l'amiral pour la solde de notre armée. Cette
somme de 250.000 francs a été entamée pour pourvoir aux
besoins indispensables, dans toutes les guerres, d'une armée
qui va dans un pays où elle ne peut compter sur aucune res-

— 56 —
source ; en conséquence, il ne reste pas plus de 200.000 francs
en caisse. J'ai été trouver le préfet maritime ; je lui ai dit
que votre intention était que j'emportasse avec moi la somme
de 500.000 francs sur laquelle je n'avais reçu que 250.000 francs
du ministre de la Guerre ; que 250.000 francs devaient m'être
fournis par le ministre de la Marine, et que je le priais de me
les faire payer. Il m'a dit n'avoir reçu aucun ordre à cet égard.
Je vais cependant convenir avec lui que j'enverrai un courrier
au ministre de la Marine, pour qu'il lui fit passer et cette
somme et l'ordre de la mettre à ma disposition, mais que dans
le cas où les vents permettraient à la flotte de partir avant
l'arrivée de la réponse, il me ferait remettre ces 250.000 francs
sur les fonds qu'il avait en caisse. Je vous prie de donner ordre
que ces fonds me soient remis de suite.
Les vents sont constamment contraires depuis 37 jours, et
depuis le 5 que je suis en rade, nous n'avons pas eu une heure
de vent qui nous ait permis de sortir.
Nous manquons de vivres à Brest, et aujourd'hui on débarque
des farines prises sur l'approvisionnement des vaisseaux pour
faire du pain.
Les marins n'espèrent pas de beau temps avant un change-
ment de lune, ce qui pourrait bien nous mener jusqu'au com-
mencement du mois prochain, et comme votre intention est
que nous ayons trois mois de solde d'avance, au moment du
départ, et que l'armée est restée tout le mois de frimaire en
rade, je vous prie d'ordonner qu'il soit versé dans la caisse
de l'armée avant mon départ, une somme de 400.000 francs
que je suppose nécessaire pour un mois de solde de toute
l'armée pendant ce mois.
J'attendrai avec d'autant plus d'impatience les traites sur
la Havane, que, d'après les données qui m'ont été fournies par
un négociant du Cap, arrivé récemment de la colonie, et qui
se trouve à bord de la flotte, la nouvelle de la paix avec l'An-
gleterre et de l'expédition qui se préparait à Brest, a du partir
des ports d'Angleterre pour être portée à Saint-Domingue,
peu de jours après la notification des préliminaires ; il ne doute
pas qu'aussitôt que la connaissance en sera parvenue dans les

— 57 —
ports, toutes les marchandises qui s'y trouvent n'aient été
expédiées sur les États-Unis. Si cela était, je me trouverai,
en débarquant dans une position extrêmement fâcheuse ; ainsi
je ne dois pas m'attendre à trouver beaucoup de ressources
en arrivant à Saint-Domingue ; il est donc nécessaire que vous
veniez à notre secours, et que vous y veniez d'une manière
prompte et efficace.
Quand je suis arrivé à Brest, il n'existait de cette expédition
que le personnel, à l'artillerie près qui a été embarquée très
incomplète et en mauvais état. J'ai pourvu autant que j'ai pu
aux premiers besoins que nous aurons en arrivant à Saint-
Domingue, et je vous prie instamment de donner des ordres
pour que l'envoi des objets dont je vous ai adressé les demandes
me soit fait le plus tôt possible.
L'amiral Gravina m'a dit, qu'il craignait de recevoir ordre
de sa cour de ne pas sortir. Quant à lui, il en serait personnelle-
ment contrarié ; il n'est pas fâché de s'éloigner d'Europe dans
le moment présent ; mais si l'ordre lui arrivait, il ne sortirait
pas. Il paraît cependant par les derniers courriers reçus de
sa cour qu'on le croit parti.
L'amiral Villaret est très contrarié de ce mauvais temps ;
il montre autant d'impatience que moi de ne pouvoir exécuter
vos ordres. Je crois pouvoir vous assurer que la plus parfaite
harmonie régnera toujours entre lui et moi.
L'administration du port de Brest est en très bonnes mains
dans celles du citoyen Caffarelli. C'est un administrateur
probe, actif et instruit.
Voilà trois nuits de suite que nous essuyons des tempêtes.
Au moment où je vous écris, la tempête est tellement forte
que l'on m'annonce qu'il me sera impossible d'aller coucher
aujourd'hui à bord. Je suis descendu à terre ce matin. L'amiral
a fait le signal d'amener tout les mâts de hune. Il serait pos-
sible que le temps horrible causât une révolution dans l'air
et fit passer les vents au nord-
Je vous prie, Citoyen Consul, d'agréer l'assurance de mon
entier dévouement et de croire au désir que j'ai de faire réussir
l'expédition importante que vous m'avez confiée.

— 58 —
Je vous demande de nouveau, d'ordonner qu'il me soit
fait remise des 250.000 francs que me doit la Marine et des
400.000 francs qui me sont nécessaires pour le mois de solde
qui va nous être dû.
Je vous prie également de me faire passer le plus tôt pos-
sible les deux millions de lettres de change sur la Havane.
Donnez, je vous prie, ordre que les demandes que je vous
ai adressées pour les hôpitaux, l'artillerie et l'habillement,
me soient exactement fournies. Vous les trouverez peut-être
un peu fortes, mais voyez que nous allons dans une colonie
qui manque de tout.
Salut et respect.
LECLERC.
P. S. — Madame Leclerc est débarquée depuis quatre jours.
Elle est restée huit jours en rade, mais comme elle souffrait de
la mer elle restera à terre jusqu'au moment du départ. Elle
me charge de vous présenter l'assurance de son tendre atta-
chement.
LECLERC.
Nous n'avons encore à bord que trois mois de vivres, sur
lesquels nous avons peu de biscuit. Il serait à. désirer que les
envois de vivres qui nous seront faits, soient composés au moins
de moitié biscuit. Si nous faisons la guerre, il nous sera très
utile, à cause de la facilité de son transport.
LECLERC.
IX
A bord du vaisseau amiral L'Océan,
le 20 Frimaire, An X (11 décembre 1801).
Le Général en Chef LECLERC, au Premier Consul.
Citoyen Consul,
Le temps paraît superbe. Nous serons sans doute dédom-
magés des contrariétés que nous avons éprouvées jusqu'à

— 59 —
présent. Moitié de la flotte est partie hier. Ce jour nous espé-
rons rejoindre l'escadre de Rochefort ; nous partons à l'ins-
tant. Le citoyen Clément nous accompagne hors du Goulet ;
il partira de Brest 24 heures après notre départ et vous donnera
des nouvelles de la flotte.
Nous avons consommé 10 jours de farines. Nous n'avons
à bord en vivres que 6 mois pour la flotte et 2 mois et vingt
jours pour nous.
Le vin est mauvais, le biscuit n'est pas bon.
Mme Leclerc a souffert un peu ; elle vous embrasse, ainsi
que votre neveu.
Comptez sur mon dévouement entier.
Le Général en chef : LECLERC. 1
X
Par le travers des Saintes, à une heure après-midi,
le 23 Frimaire, An X (14 décembre 1801).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
J'ai eu l'honneur de vous expédier le citoyen Clément, dès
la sortie du Goulet de Brest. Nous avons un temps excellent
et notre appareillage s'est fait sans le moindre accident.
Nous comptons nous réunir demain matin avec les divisions
sorties de Rochefort et de Lorient ; Nantes est déjà, réuni à
Rochefort.
L'armement du Havre est loin d'être prêt, deux frégates
seulement sont prêtes à mettre à la voile. Les autres, faute
de vivres, ne sont pas prêtes.
Flessingue n'a pas donné de ses nouvelles.
J'apprends que les bataillons français et allemands qui
doivent s'embarquer à Cadix font beaucoup de difficultés.
Je n'ai que 2.000 sabres d'infanterie. J'en aurai besoin
1. Lettre de la main de Leclerc.

— 60 —
de 4.000 encore, voulant armer toute mon infanterie légère.
Je vous prie de donner ordre qu'ils me soient envoyés. Je les
ai laissés dans les magasins de Bordeaux et de Bayonne.
Le préfet maritime m'a remis 250.000 francs qui, avec
250.000 que m'a remis la Guerre, forment 500.000 fr. ; sur
lesquels 70.000 fr. ont déjà, été employés pour achats indis-
pensables.
Je réclame toujours de vous le mois de ventôse que j'évalue
à 400.000 francs ; mais je désire que la trésorerie ne nous
envoie point des pièces d'or rognées ou des pièces étrangères
évaluées 2 pour 100 au-dessus du cours de Paris : par exemple
des quadruples d'Espagne à 84 francs, pendant qu'elles ne
valent que 81 fr. 35.
Je vous supplie de me faire parvenir les 2.000.000 francs
en traites sur la Havane que vous m'avez promis. Il serait
bien cruel que Toussaint prévenu eût fait évacuer les marchan-
dises et brûler ce qu'il n'aurait pu faire emporter. Ma situation
deviendrait pénible si je me trouvais sans fonds.
Je vous prie de donner ordre qu'on m'envoie l'artillerie, les
effets d'hôpitaux et d'habillement que j'ai demandés au ministre
de la Marine et dont j'ai l'honneur de vous adresser la note.
Il sera nécessaire que la Marine nous fournisse à Saint-
Domingue tout ce qui pourra être nécessaire pour la réparation
des vaisseaux de l'État qui mouilleront dans les ports de la
colonie.
J'ai étudié à Brest l'île de Saint-Domingue, et je vous ferai
connaître mon plan d'opération par le cutter que l'amiral
vous expédiera aussitôt que nous aurons dépassé le golfe
de Gascogne. Il se rapporte à celui que vous m'avez traçé.
Comptez sur le dévouement le plus entier de ma part et
sur le zèle que je mettrai pour faire réussir l'importante mis-
sion que vous m'avez confiée.
J'ai l'honneur de vous saluer, Citoyen Consul.
Le général LECLERC. 1
1. Cette lettre, écrite par Leclerc lui-même, peu après son départ de
Brest, ne put être envoyée en France que lors que l'escadre se trouvait
déjà dans la mer des Antilles.

— 61 —
XI
14 Pluviôse, An X (3 février 1802).
Le Général en Chef de l'Armée de Saint-Domingue,
Capitaine Général de la Colonie,
au Général CHRISTOPHE, commandant au Cap 1.
J'apprends avec indignation, Citoyen Général, que vous
refusez de recevoir l'escadre française et l'armée que je com-
mande, sous le prétexte que vous n'en avez pas reçu l'ordre
du gouverneur général.
La France a fait la paix avec l'Angleterre, et son gouver-
nement envoie à Saint-Domingue des forces capables de sou-
mettre les rebelles, si toutefois il s'en trouve dans l'île. Cepen-
dant, Général, j'avoue qu'il m'en coûterait de vous compter
parmi eux.
Je vous préviens que si, dans le courant de la journée, vous
ne rendez les forts Picolet et Belair, avec toutes les batteries
de la côte, quinze mille hommes débarqueront demain au
point du jour.
Quatre mille hommes débarquent en ce moment au Fort-
Liberté, et huit mille au Port-Républicain.
Vous trouverez ci-jointe ma proclamation, qui vous fera
connaître les intentions du Gouvernement français ; mais sou-
venez-vous que quelque intérêt que votre conduite antérieure
ait pu m'inspirer, je vous rends responsable de tous les événe-
ments.
Je vous salue.
LECLERC.
1. Lettre écrite à bord de l'Océan, en rade du Cap, publiée par Charles
Malo. Histoire d'Haïti depuis sa découverte jusqu'en 1824. Paris, in-8°,
nouvelle édition, 1825, p. 209.

— 62 —
XII
AU NOM DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS
LIBERTÉ
EGALITÉ
PROCLAMATION
A bord, de Y Océan, en rade du Cap, le [14] Pluviôse,
an X de la République Française, une et indivisible.
LECLERC, Général en Chef de l'Armée de Saint-Domingue,
Capitaine-général de la Colonie.
Aux habitants de Saint-Domingue.
Habitants de Saint-Domingue,
Lisez la Proclamation du Premier Consul de la République,
«lie assure aux noirs la liberté pour laquelle ils ont tant com-
battu, au commerce et à l'agriculture la prospérité, sans
laquelle il n'est pas de Colonies ; ses promesses seront fidèle-
ment remplies : en douter serait un crime.
Le Général en chef, Capitaine-général,
LECLERC.
Par ordre du Général en chef, Capitaine-général,
Le Secrétaire-Général, LENOIR.
XIII
Extraits des Registres des délibérations des Consuls de la République,
Paris, le 17 Brumaire, An X de la République française, une et indivisible.
PROCLAMATION
Les Consuls de la République aux habitants
de Saint-Domingue.
Habitants de Saint-Domingue,
Quelle que soit votre origine et votre couleur, vous êtes tous
Français, vous êtes tous libres et tous égaux devant Dieu
et devant la République.

— 63 —
La France a été, comme Saint-Domingue, en proie aux
factions, et déchirée par la guerre civile et par la guerre étran-
gère ; mais tout a changé. Tous les peuples ont embrassé les
Français et leur ont juré la paix et l'amitié. Tous les Français
se sont embrassés aussi, et ont juré d'être tous des amis et
des frères. Venez aussi embrasser les Français, et vous réjouir
de revoir vos amis et vos frères d'Europe.
Le Gouvernement vous envoie le Capitaine général Leclerc ;
il amène avec lui de grandes forces pour vous protéger contre
vos ennemis et contre les ennemis de la République. Si on
vous dit : ces forces sont destinées à vous ravir votre liberté,
répondez : la République nous a donné la liberté, la République
ne souffrira pas qu'elle nous soit enlevée.
Ralliez-vous autour du Capitaine général ; il vous rapporte
l'abondance et la paix. Ralliez-vous tous autour de lui : qui
osera se séparer du Capitaine général sera un traître à la Patrie,
et la colère de la République le dévorera comme le feu dévore
vos cannes desséchées.
Donné à Paris, au Palais du Gouvernement, le 17 brumaire,
an X de la République Française.
Signé : BONAPARTE.
Par le Premier Consul :
Le Secrétaire d'État,
Pour copie conforme :
Signé : Hugues-B. MARET.
Le Capitaine-général,
LECLERC.
XIV
AU
NOM
DU
GOUVERNEMENT
FRANÇAIS
LIBERTÉ
ÉGALITÉ
PROCLAMATION
A bord de l'Océan, rade du Cap, le [14] Pluviôse,
an X Répiblique françé, yon et indivisible.
LECLERC, Général en chef l'Armée Saint-Domingue, qui
vini gouverné tout la Colonie,

— 64 —
A tout le monde qui habité Saint-Domingue.
Zabitans de Saint-Domingue,
Lire Proclamation primié Consul Bonaparte. Voyez pour
zote, Zote à voir que li vélé négues resté libre. Li pas vélé
ôté liberté à yo que yo gagné en combattant, et que li va
mainteni li de tout pouvoir à li. Li va mainteni commerce
et culture, parceque zote doit conné que sans ça, colonie-ci
pas cable prospéré. Ca li promé zote li va rempli li fidelle-
ment ; c'est yon crime si zote te douté de ça li promé zote
dans Proclamation à li.
Général en chef, qui vini pou gouverné
tout la Colonie,
LECLERC.
Par ordre Général en chef, Capitaine-général.
Le Secrétaire-général, LENOIR.
XV
PROCLAMATION là, li tiré dans Registe Consuls la Répiblique.
Paris, 17 Brimer, An X Répiblique francê, yon et indivisible.
PROCLAMATION
CONSULS LA RÉPIBLIQUE FRANCE A TOUT ZABITANS
SAINT-DOMINGUE.
Zabitans, et vous tous qui dans Saint-Domingue,
Qui ça vous tout yé, qui couleur vous yé, qui côté papa zote
vini, nous pas gardé ça : nous savé tan seleman que zote tout
libre, que zote tout égal, douvant bon Dieu et dans zyé la
Répiblique.
Dans tan révolution, la France voir tout plein misère, dans la
même que tout monde te fere la guerre contre français. Français
levé les ens contre les otes. Mes jordi là tout fini, tout fere
la paix, tout embrassé Français ; Français, tout Français zami ;
tout hémé gouverneman, tout obéi li. Nation même qui té

— 65 —
en guerre, yo touché la main avec français. Yini don zote
de Saint Domingue : es que vous pas Français itou ? Vini
touche la main avec nation zote, qui arrivé ; vous va contan
embrasse freres a zote ; yo va contan embrassé vous.
Capitaine général Leclerc, que nous voyé pour commandé
Saint-Domingue, li mené avec li tout plen navire, tout plen
soldat, tout plen canon : mais pas crere ci la yo qui va dit
zote, que blanc velé fere vous esclave encore : ya manti plitot
que crere yo, repond, et songé bien que cé la Répiblique qui
baye liberté, et. qui va ben savé empêché personne de pren
li encore : soldat là, navire la, tout, cé pour gardé liberté là,
et gardé pays qui pour la Répiblique.
Vini donc zote tout, rangé côté Capitaine général. Cé la
Pé li porté ; cé tout zaferé li vini rangé, cé bonher tout monde
li vélé. Blancs, négues, tout cé zenfant la Répiblique. Mes
ci la la yo qui pas allé rangé côté li, qui pas vélé obéi li, tout
ça li va commandé yo, va pini, parceque yo va traité à pays
à yo et à la Répiblique.
Signé : BONAPARTE.
Par Primié Consul :
Sécréteré d'État,
Signé : Hugues-B. MARET.
Cé yon vrai copi di zote,
Capitaine général,
LECLERC *.
1. Cette proclamation, où les textes français et créoles étaient juxta-
posés, fut distribuée dans la ville du Cap, par les soins du maire, le noir
Télémaque, avant l'incendie, malgré la défense de Christophe. Un exem-
plaire, peut-être unique, en est conservé aux Archives du Ministère des
Colonies. — La proclamation fut imprimée à bord de l'Océan au cours
de la traversée, ou bien à Brest avant le départ de l'escadre. Leclerc
en reçut le texte à Brest avec cette lettre du ministre Decrès : « 28 Bru-
maire, an X. Au général Leclerc : Le courrier porteur de cette dépêche,
Général, vous remettra une boete scellée de trois cachets contenant une
lettre du Premier Consul au Général Toussaint Louverture, dont je
LECLERC
5

— 66 —
XVI
Au Quartier Général du Cap, le 20 Pluviôse, An X
(9 Février 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Ce rapport sera le premier que vous recevrez depuis mon
départ de Brest. Les contrariétés que nous avons éprouvées
sur les deux points de rendez-vous de Belle-Isle et du cap
Finistère n'ont pas laissé avec nous un seul bâtiment léger ;
et à. notre départ du cap Finistère il ne nous restait qu'une
seule frégate, la Sirène, dont l'amiral Villaret s'est servi pour
envoyer vos ordres à la Guadeloupe : ainsi il nous a été impos-
sible de vous donner de nos nouvelles.
L'amiral Villaret vous a rendu un compte détaillé de la
marche de l'armée navale, je ne vous parlerai donc de nos
opérations que depuis notre arrivée au cap Samana.
Nous sommes arrivés au cap Samana le 9 pluviôse. Nous
y avons trouvé réunis, depuis onze jours, l'escadre du contre-
amiral La Touche, et une partie des bâtiments partis avec
nous de Brest, et ce qui nous manquait de l'escadre espagnole.
Il me manquait environ quinze cents hommes de troupes de
débarquement, embarqués sur des bâtiments restés en arrière.
Arrivés à Samana, la frégate la Sirène nous rallia, elle nous
a instruits du désastre arrivé à la Guadeloupe, j'ai regretté
que cette frégate ne nous eût pas ralliés plus tôt : nous eussions
fait voile avec toute la flotte pour soumettre la Guadeloupe,
ce qui ne nous eût pas retardés plus de dix à douze jours.
Je pris le parti d'expédier de suite à Sto Domingo deux
frégates ayant 450 hommes à bord, commandés par le général
joins ici copie souscrite du secrétaire d'État Maret. Ci-joint aussi une
proclamation que vous voudrez bien faire imprimer avant votre départ
ou à bord du vaisseau amiral s'il y a lieu, et la destiner à être publiée
affichée, placardée avec profusion dans la colonie. Il sera bon même de
la faire traduire en patois créole pour être publiée et .affichée de la même
manière. » (Arch. Nat. Marine, BB2 82, folio 14).

— 67 —
Kerversau ; j'ai donné à ce général une instruction conforme
à. celle que vous m'aviez donnée vous-même.
Le 10, ces frégates se sont acheminées vers leur destination,
et l'armée a continué sa route.
Le 11, l'armée se trouvait par la hauteur de la Grange,
l'amiral envoya prendre des pilotes à Montechrist.
Le 12 fut employé à faire les versements de troupes pour
réunir ensemble les corps qui devaient faire partie de la même
expédition. L'embarquement avait été fait de telle manière
qu'il y avait sur les bâtiments de l'armée des hommes appar-
tenant à cinq corps différents, la mer était très forte, et ce
versement fût extrêmement pénible.
Le soir la division Boudet eut ordre de faire route pour le
Port Républicain, elle est forte de 3.000 hommes portés sur six
vaisseaux de ligne et deux frégates commandés par le contre-
amiral La Touche.
Les pilotes arrivés de Montechrist nous avaient tous assurés
que le gouverneur Toussaint avait donné des ordres pour bien
recevoir l'armée française.
Le 13 fut employé à faire les mouvements nécessaires à
l'expédition du Fort Liberté ; elle était composée de 1.800
hommes commandés par le général de division Rochambeau
et portée sur cinq vaisseaux, dont le commandement a été
remis au capitaine Magon ; une mer très forte nous incom-
moda encore toute la journée.
Le 14, la division Rochambeau se dirigea sur le Fort Liberté,
et le reste de l'armée commandée par l'amiral Villaret, avec
4.000 hommes de troupes environ qui me restaient se dirigea
sur le Cap.
La division du général Rochambeau arriva à la nuit à
deux lieues de la passe. Le lendemain, à la pointe du jour,
il fit ses dispositions pour entrer de suite, le calme s'opposa
à son entrée jusqu'à onze heures du matin ; à sept heures,
le général Rochambeau avait ordonné un débarquement de
600 hommes aux Melonnières. Ces hommes, à leur débarque-
ment, furent assaillis par les troupes noires qui leur tirèrent
dessus, en leur disant qu'ils ne voulaient point de blancs.

— 68 —
Les soldats continuèrent le débarquement sans tirer, en criant
aux noirs qu'ils étaient leurs frères, leurs amis, et qu'ils
leur apportaient la liberté. Les troupes noires continuèrent
à tirer, nos troupes les culbutèrent et se dirigèrent, sous le
commandement du général Brunet, sur les forts de l' Anse
et de la Bouque. Elles y arrivèrent en même temps que les
fuyards, et les enlevèrent de force, après avoir éprouvé une
résistance assez vive.
L'escadre entra aussitôt dans la passe, et à peine fut-elle
dans la rade que le fort commença à tirer.
Le capitaine Magon se dirigea de suite sur le fort, à, demi-
portée de fusil, lâcha sa bordée, vira de bord, et lâcha une
seconde bordée qui mit en fuite les troupes de Toussaint.
Nos soldats se jetèrent dans les chaloupes et escaladèrent le
fort par les embrasures.
On a trouvé dans les papiers du commandant de la place
des ordres de Toussaint de couler bas tous les vaisseaux qui
se présenteraient, de tenir jusqu'à la dernière extrémité, et
d'incendier tout ce qu'on ne pourrait pas défendre.
Nous avons trouvé, tant au Fort Liberté que sous les batte-
ries voisines, 150 pièces de canon. Cette expédition fait infi-
niment d'honneur au général Rochambeau et au capitaine
Magon.
Le général se loue particulièrement du brave général Brunet
et de l'excellente cinquième légère, des citoyens Rapatel,
aide de camp du général Brunet, Allard, capitaine des cara-
biniers, Sarlat, lieutenant, et Picard, caporal de carabiniers,
tous de la cinquième légère. Il se loue beaucoup du citoyen
Acier, son aide de camp. Sur sa demande je l'ai nommé chef
d'escadron.
Nous avons à regretter, dans cette affaire, un capitaine de
carabiniers de la cinquième légère, dont le nom ne m'est
point encore parvenu, le citoyen La Châtre, aide de camp du
général Rochambeau, 12 soldats tués et 40 blessés.
J'ai cru devoir récompenser la conduite distinguée du capi-
taine Magon ; j'ai prié l'amiral Villaret de le nommer contre-
amiral. Un pareil officier saura toujours faire respecter le

— 69 —
pavillon français. Je vous prie, Citoyen Ministre, de demander
au Premier Consul la confirmation de son grade, ainsi que de
celui que j'ai conféré au citoyen Acier.
Le 14, le reste de l'armée navale arriva à deux heures après-
midi à deux lieues du fort Picolet.
Suivant vos ordres, l'amiral envoya deux frégates pour
porter la proclamation du Premier Consul. Ces deux frégates
étaient précédées d'un cutter. La batterie Picolet tira sur le
cutter, qui néanmoins entra dans la rade. Toutes les balises
des deux passes avaient été enlevées ; à trois heures il arriva
à bord d'une chaloupe qui apporta le capitaine du port, San-
gros. Il nous déclara que le général Christophe avait envoyé
un courrier au gouverneur pour recevoir ses instructions ;
mais qu'en attendant, il avait ordre de ne recevoir aucun vais-
seau de ligne, et que si l'escadre entrait, malgré cet ordre, il
serait obligé d'incendier la ville et de massacrer les blancs.
J'écrivis au général Christophe la lettre, dont vous trouverez
ci-joint copie, elle lui fut portée par le citoyen Lebrun, aide
de camp de l'amiral Villaret.
La réponse ne vint pas de suite, et un gros temps, qui s'éleva,
nous força de courir des bordées et de nous éloigner. L'amiral
avait fait sonder les environs de Picolet, et n'avait pu trouver
aucun endroit pour mouiller.
Le temps fut tellement contraire que, quoique l'amiral se
tînt lui-même sur le pont pour diriger la manœuvre, nous nous
trouvâmes le lendemain à huit lieues de Picolet. Nous eûmes
beaucoup de peine à nous rapprocher de ce point, et nous en
étions à une lieue et demie, à trois heures du soir, quand le
calme nous surprit.
Je reçus là une députation de la municipalité de la ville
qui venait me conjurer, au nom des habitants d'attendre la
réponse du général en chef qui, suivant eux, devait être favo-
rable ; je m'aperçus que le général Christophe comptait gagner
du temps par tous les délais, et je résolus d'effectuer mon
débarquement pendant la nuit.
J'avais ordonné au général Rochambeau de se porter immé-
diatement après son débarquement au Fort Liberté, sur Ouana-

— 70 —
minthe, en répandant le bruit qu'il marchait sur la partie
espagnole. Je voulais opérer une diversion de ce côté. Mon but
était qu'il se portât de suite sur le derrière des mornes de
Sainte-Suzanne, du Dondon et de la Grande Rivière. Je vou-
lais par cette marche intimider ceux qui auraient pensé à
faire résistance dans les mornes et forcer à se disperser ceux
qui se seraient retirés du Cap avec l'intention de se défendre.
Je comptais pouvoir entrer en campagne de suite ; mais je
ne prévoyais pas les malheurs dont je vais vous rendre compte.
J'ordonnai au général Rochambeau de partir de suite du
Fort Liberté avec ses troupes, et d'y laisser pour garnison
les troupes de marine, sous le commandement du contre-
amiral Magon. Je me proposais de débarquer au Port Français
ou à la baie de l'Accul. J'espérais, en mettant sur les deux
flancs du Cap, deux forces ainsi imposantes, obliger les rebelles
à évacuer le Cap, sans avoir le temps de l'incendier et de massa-
crer les blancs ; je voulais, en même temps, sauver la Plaine
du Nord, les quartiers du Limbé, de Margot et de l'Accul.
Je pris des dispositions, de concert avec l'amiral, pour pou-
voir effectuer le débarquement dans la nuit ; aucun des pra-
tiques, que nous avions à bord, ne voulut servir de guide
pour le débarquement au Port Français ou à la baie de l'Accul,
quelques menaces que j'aie pu faire, et quoique j'aie offert
cinquante mille francs à celui que je croyais le plus instruit
de tous, il fallut consentir à débarquer au Port Margot.
J'emmenai avec moi toutes les frégates, corvettes et cha-
loupes armées, et le 15, à sept heures du soir, j'étais monté
à bord de la frégate l'Uranie. Pendant toute la nuit, le calme
le plus parfait régna et nous ne pûmes pas faire route.
A trois heures après-midi, nous arrivâmes, avec beaucoup
de peine, à l'embarcadère du Port Margot. Nous y avons
débarqué, auprès de celui du Limbé. Il y avait cinq pièces de
canon au point de débarquement. Nos soldats, arrivés à une
demi-portée de fusil de la côte, se jetèrent à la mer, se préci-
pitèrent avec tant d'audace sur ceux qui défendaient l'embar-
cadère, que ceux-ci n'eurent le temps de tirer que deux coups
de canon.

— 71 —
Voyant que les troupes qui défendaient l'embarcadère du
Limbé se portaient sur le flanc du débarquement opéré au
Port Margot, et qu'ils y avaient amené quelques pièces de
canon, je fis signal au lieutenant de vaisseau Aubet, comman-
dant le cutter l'Aiguille, de se porter, avec son bâtiment,
aussi près de la côte qu'il lui serait possible et d'assurer le
flanc des troupes débarquées. Cet officier remplit sa mission
avec infiniment d'audace et de succès. Ce n'est pas la première
fois que j'ai eu à me louer de la capacité de cet officier. J'ai
demandé pour lui à l'amiral Villaret le grade de capitaine de
frégate. Je vous prie de le faire confirmer dans ce grade ;
il le mérite.
Le débarquement fut plus long que je n'aurais dû m'y
attendre. L'amiral Villaret vous en déduit les motifs dans sa
correspondance. Je ne pus me mettre en marche que le seize
à quatre heures du matin. J'avais encore le tiers de mes troupes
à débarquer.
Je fis marcher mes troupes par échelons, de manière à ce
qu'elles pussent se protéger mutuellement. Sur ma route tous
les cultivateurs avaient abandonné les habitations : quelques-
uns qui me furent amenés ayant été bien traités par moi
ranimèrent la confiance. Je les envoyai en avant pour ramener
les cultivateurs, et j'eus la satisfaction de les voir venir au devant
de moi, au son des fifres et des tambourins. On leur avait fait
les contes les plus absurdes ; on leur avait dit que c'étaient les
Espagnols et les Anglais qui venaient conquérir l'île, et qu'ils
seraient tous passés au fil de l'épée. J'arrivai à deux heures
à la Rivière Salée, au fond de la baie de l'Accul, avec mon avant-
garde. Je reçus la nouvelle que le Cap avait été incendié pen-
dant la nuit, et que le général Christophe nous attendait avec
ses troupes, au Morne aux Anglais, à une demie-lieue de là.
Je résolus d'attendre que toute la division du général Hardy,
qui marchait la première en ligne fût toute remise. Je n'osais
pas presser le mouvement de la division Desfourneaux, qui
marchait en arrière, sachant que mon débarquement n'était
pas encore fini à neuf heures du matin, et étant instruit qu'il
se formait des rassemblements sur ma droite.

— 72 —
A trois heures j'ordonnai à la division Hardy, forte d'environ
1.900 hommes, de se porter sur le Morne aux Anglais, de s'en
emparer, et de faire marcher son avant-garde jusqu'à ce qu'elle
rencontrât l'ennemi. Il n'y avait rien sur le Morne aux Anglais ;
mais à une demi-lieue plus loin, sur la route du Haut du Cap,
la division du général Hardy rencontra les incendiaires qui
venaient brûler les habitations. Étant instruit, à cette époque,
que la division Desfourneaux était arrivée à la Rivière Salée,
que l'arrière-garde, composée des troupes débarquées les der-
nières, n'était qu'à deux lieues en arrière de lui, j'ordonnai
au général Desfourneaux d'occuper le Morne aux Anglais,
et au général Hardy de se porter jusqu'au village du Haut
du Cap.
Je voulais, malgré la marche pénible que l'armée avait
faite pendant le jour, arriver au Cap le plus tôt possible, afin
de sauver cette ville, qui renfermait des ressources immenses.
J'arrivai moi-même, avec l'avant-garde, au Haut du Cap.
A peine avais-je reconnu les postes qui nous couvraient, tant
du côté de la plaine que du côté du Cap, qu'une fusillade s'en-
gagea à la tête du bourg. Je m'y portai assez à temps pour
l'arrêter ; c'étaient les troupes de l'artillerie de marine et
quelques hommes de terre restés à bord que l'amiral avait
fait débarquer pour venir à notre rencontre.
Je me rendis de suite au Cap ; le feu avait été mis à la fois
à tous les quartiers, et la ville était consumée.
Depuis que je suis en cette ville, je m'occupe d'y rétablir
l'ordre. Le général Rochambeau est arrivé le 17 à la Petite
Anse. Sa marche a sauvé toute la plaine du Nord ; la mienne
a sauvé les quartiers du Limbé et de l'Accul.
Les rebelles en se retirant ont incendié une partie du quartier
de la Petite Anse.
J'ai nommé une municipalité au Cap. J'ai nommé maire
le brave noir Télémaque. C'était l'ancien maire de cette ville.
Il a fait tout ce qui était humainement possible pour empêcher
l'incendie ; il ne doit son existence qu'à des canonniers de
marine qui l'ont arraché des mains des brigands, qui l'emme-
naient pour le fusiller.

— 73 —
Les habitants avaient été presque tous emmenés par Chris-
tophe, qui est le monstre qui a ordonné l'incendie. Ils rentrent
tous les jours. Ils ont la plus grande confiance dans le Gouver-
nement français. Chaque fois que je parcoure la ville, je les
vois riant malgré leurs pertes, tant ils sont contents d'être
débarrassés du joug affreux qui pesait sur leurs têtes.
J'ai fait partir ce matin une expédition pour s'emparer du
Port de Paix, quartier très intéressant pour moi, pour la suite
de mes opérations. La même expédition se dirigera de suite
sur le Môle, où on m'assure qu'il existe des magasins considé-
rables, et où je suppose qu'on trouvera le commandant bien
disposé.
J'ai ordonné la formation de compagnies noires. J'espère
en tirer bon parti. Ces gens sont extrêmement braves, quand
ils sont bien commandés.
Je n'ai point de nouvelles de l'expédition du Port Républi-
cain. Je crois qu'elle aura réussi. Je n'ai point de nouvelles
de celle de Santo-Domingo.
L'accord le plus parfait a régné constamment entre l'amiral
Villaret et moi. Sa longue expérience nous a évité les avaries
dont les gros temps que nous avons essuyés nous menaçaient.
Il a constamment employé le zèle et le dévouement le plus
soutenus, pour la réussite de cette expédition.
J'ai à me louer infiniment de la conduite de l'amiral Gravina
et de l'escadre espagnole sous ses ordres. Il nous a servi comme
un fidèle allié. Lors de mon débarquement, ses chaloupes
nous ont été du plus grand secours ; et en partant pour la
Havane, il n'emporte avec lui que pour un mois de vivres ;
il nous laisse le surplus. Il nous laisse également cent milliers
de poudre et des médicaments. L'ordonnateur en chef aura
l'honneur de vous adresser l'état de ce que l'escadre espagnole
nous aura remis, afin que vous veuillez bien en faire faire le
remplacement au gouvernement espagnol.
J'ai à me plaindre amèrement des officiers du génie. Le
ministre de la Guerre avait ordonné au général de brigade
Carnot de venir : il a refusé. Le même ordre a été donné aux
chefs de brigade Quentin Beauvert, Catoire, et au chef de

— 74 —
bataillon Polinier : aucun d'eux n'est venu. Cette manière
de servir est indécente. Je vous prie de m'envoyer de suite
un général de cette arme, avec deux chefs de brigade, et deux
chefs de bataillon.
Quelque difficile que soit la position dans laquelle nous
sommes, je sens toute l'importance de la mission que le Gou-
vernement m'a confiée. Je serai toujours à sa hauteur.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XVII
Au Quartier Général du Cap, le 20 Pluviôse
(9 février 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine,
Citoyen Ministre,
Vous trouverez, ci-joint, copie de la Proclamation que
j'ai adressée aux habitants de la partie ci-devant espagnole,
ainsi que de celle que j'ai faite après mon entrée au Cap.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XVIII
PROCLAMATION AU NOM DES CONSULS
DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au Quartier Général du Cap,
le 19 Pluviôse, l'An X de la République Française
(8 février 1802).
LECLERC, général en chef de l'armée de Saint-Domingue,
capitaine général de la colonie.
Aux citoyens de Saint-Domingue.
Citoyens,
Par la Constitution française, Saint-Domingue fait partie
de la République. Vous n'avez point dû être privés des avan-

— 75 —
tages que recueille une colonie appartenant à une nation puis-
sante, et le gouvernement m'a envoyé pour vous en faire
jouir.
Oubliez toutes vos haines et vos divisions. Le capitaine
général sait bien que les crimes de révolution doivent être
attribués plutôt aux circonstances qu'aux hommes, et sa
conduite sera réglée sur celle qu'a tenue le gouvernement en
France après le 18 brumaire. La générosité sera la base de
ses actions, elle est toujours la compagne de la force.
Attachez-vous sincèrement au gouvernement français. Il est
assez fort pour vous protéger et ne fera pas incendier vos villes
et vos habitations. Soyez inviolablement attachés à votre
religion, respectez les ministres du culte ; ce sont vos pères,
ils vous consoleront dans vos malheurs. Mais ne vous écartez
jamais des principes sacrés d'humanité, de justice qui sont
les caractères distinctifs de votre religion.
Cette religion défendait à vos chefs les horreurs qu'ils ont
exécutées, elle m'ordonne à moi de ne pas imiter leurs exemples.
Le gouvernement français croyait avoir des récompenses
à décerner au général Toussaint ; il m'avait chargé de lui
ramener ses enfants. Ces jeunes gens ne doivent pas être
victimes des fureurs de leur père. Je les lui ai renvoyés hier.
Ministres du culte, vous avez ici un devoir bien auguste
à remplir. Éclairez ceux que vous dirigez, et vous trouverez
toujours en moi la protection que vous avez le droit d'attendre.
Généraux, officiers et soldats, employés sous les drapeaux
du général Toussaint, qui ne sont plus ceux de la République,
je suis venu ici pour vous décerner les récompenses que votre
bonne conduite dans la guerre que vous avez soutenue contre
nos ennemis vous a mérité. Venez vous rallier à l'armée fran-
çaise que je commande et soyez fiers de marcher à côté des
braves qui ont porté la République française au degré de
splendeur où elle se trouve aujourd'hui.
Commandants de quartier, maires, profitez de l'influence
que vous donnent vos places, pour faire connaître aux culti-
vateurs les vues du gouvernement à leur égard ; elles sont
consignées dans la proclamation du Premier Consul, imprimée

— 76 —
à, la suite de la présente. Imitez la conduite des braves Laber-
tinaye et Mathieu ; ils ont sauvé des quartiers de Limonade,
de Jacquesi et de Caracole, où ils commandaient. Je leur ai
conservé leurs commandements et leurs grades.
Propriétaires et cultivateurs, votre liberté, vos personnes
et vos propriétés seront respectées. Aussitôt que les circons-
tances me permettront de m'occuper des règlements intérieurs
de la colonie, j'examinerai les règlements de culture qui assurent
les droits des uns et des autres et je n'oublierai jamais que
pour que l'agriculture prospère il faut que les cultivateurs
soient heureux.
Commerçants, vous avez éprouvé des pertes considérables.
Mais que sont ces pertes, en comparaison de la protection
que vous avez acquise, et de la certitude de conserver ce que
vous acquérerez. Livrez-vous avec confiance à de nouvelles
spéculations. Vous savez par vos correspondances, à quel
degré de hauteur la République se trouve dans le monde.
La République française ne souffrira pas que vos magasins
soient de nouveau incendiés, et que le produit de tant d'années
de travaux puisse vous être enlevé en un jour.
Mais, citoyens de Saint-Domingue, n'oubliez pas que si
le gouvernement français est bon et généreux pour ses véri-
tables enfants, il est terrible dans sa justice.
D'après ces principes, j'ordonne l'exécution des dispositions
ci-après :
ARTICLE 1. — Les généraux de l'armée française donneront
à la religion et aux ministres du culte catholique la protection
et la considération qui leur sont dues.
ARTICLE 2. Il sera formé des corps destinés à recevoir les
militaires qui abandonnent journellement l'armée du général
Toussaint, et viennent demander du service. Ces corps feront
partie de l'armée française et seront en tout traités comme elle.
Je donnerai incessamment un règlement pour leur compo-
sition. Mais provisoirement, pour utiliser le zèle et le dévoue-
ment des braves qui viennent demander du service, chaque
général de division est autorisé à en former 3 compagnies
de 100 hommes chacune, officiers non compris.

— 77 —
ARTICLE 3. — Tout individu faisant partie de l'armée du
général Toussaint, qui sera pris les armes à la main, sera pri-
sonnier de guerre, et, comme tel, employé à la reconstruction
du Cap et des établissements incendiés.
ARTICLE 4. — Sous peine d'être traité comme chef de rébel-
lion, les commandants de quartier et les maires ne doivent
plus obéir aux ordres ou réquisitions de quelque autorité
que ce soit, s'ils n'émanent des généraux de l'armée que je
commande, et qui seule est ici l'armée de la République, et
qui seule défend véritablement la liberté.
ARTICLE 5. — Le règlement actuellement existant, pour
fixer la part à laquelle les cultivateurs ont droit dans le produit
de la récolte, est maintenu.
ARTICLE 6. — Tout ce que les circonstances forceront de
prendre dans les campagnes pour le service de l'armée, sera
payé. Le commissaire ordonnateur en chef me proposera un
règlement qui déterminera le mode dont les payements seront
effectués, et qui empêchera qu'il ne soit pris pour l'armée
d'autres objets que ceux indispensablement nécessaires.
ARTICLE 7. — Tout ce qui appartient au commerce sera
scrupuleusement respecté. Il ne pourra être disposé, même
pour le service de l'armée, des propriétés appartenant au
commerce que du plein gré des commerçants. Le général
attend de la loyauté des commerçants qu'ils ne profiteront
pas des circonstances pour exiger de leurs denrées un prix
trop fort.
ARTICLE 8. — Tout incendiaire pris sera jugé sur le champ,
par une commission militaire dont la formation sera mise
à l'ordre de l'armée.
Le général en chef, capitaine général de la colonie de Saint-
Domingue.
LECLERC.

— 78 —
XIX
AU NOM DES CONSULS DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
PROCLAMATION
Au Quartier Général du Cap,
le ... Pluviôse, An X de la République Française,
une et indivisible.
LECLERC, général en chef de l'armée de Saint-Domingue,
capitaine général de la colonie,
Aux habitants de la partie ci-devant espagnole
de Saint-Domingue.
Le traité de Bâle, du 4 thermidor an III, a fixé votre sort.
Depuis cette époque, vous êtes destiné à faire partie de la
grande nation.
En ajoutant à, l'empire français la partie espagnole de Saint-
Domingue, le gouvernement français s'est chargé de la faire
prospérer. Si jusqu'à, présent, vous avez souffert du change-
ment de gouvernement, n'en accusez que les chances de la
guerre qui n'ont pas permis à la France de vous protéger
efficacement.
Aujourd'hui les circonstances sont changées. Après une
guerre longue et pénible, mais d'où elle est sortie glorieusement,
la République française s'occupe de rendre à ses colonies leur
antique splendeur, et vous êtes destinés à la partager.
A la suite des crises que vous avez éprouvées, cette splen-
deur ne peut être que l'effet du temps et le résultat de bonnes
institutions. Les meilleures sont celles qui sont accommodées
à la religion, aux usages, aux mœurs, et au langage du peuple
pour lesquelles elles sont faites ; elles seront la base des lois
qui vous régiront. Vous ne vous apercevrez du changement de
gouvernement que par la suppression des entraves qui gênaient
votre industrie.
Telle est la volonté suprême du gouvernement français.
En acceptant la place de capitaine général, dont il lui a
plu de nous honorer, nous avons pris l'honorable tâche de la

— 79 —
remplir. Nous vous envoyons pour commandant militaire le
général Kerverseau.
Si des malintentionnés opposaient de la résistance à l'exé-
cution des ordres que nous lui avons transmis, ralliez-vous
à ce chef estimable. Que le moment de leur révolte soit celui
de leur châtiment. Vous aurez ainsi contribué à assurer,
vous-même, votre tranquillité et votre prospérité pour les-
quelles nous ne cesserons de faire des vœux constants.
Le Général en chef, capitaine général.
LECLERC.
XX
Au Quartier Général au Cap,
le 20 Pluviôse, An X (9 février 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je vous ai fait connaître ma position militaire ; je vais vous
faire connaître ma véritable position politique.
Voici l'état de mes forces :
A Santo Domingo
400 hommes
Au Cap, Division Rochambeau
1.800
»
Division Hardy
1.800
»
Division Desfourneaux
1.400
»
Au Port de Paix
500
»
Au Port au Prince
2.800
»
A cela il faut ajouter les troupes de
marine
700
»
TOTAL
9.400 hommes
Voilà toutes les forces avec lesquelles je vais entrer en cam-
pagne sous quatre jours, s'il ne m'arrive rien de Flessingue,
de Cadix, de Toulon et du Havre.
J'ai bien les matelots qui sont à bord de l'escadre, mais
je crois qu'il serait dangereux de les employer par l'exemple

— 80 —
de l'insubordination et du pillage qu'ils donnent tous les jours.
Nous sommes dans un pays où il faut autant agir par la per-
suasion que par la force. On a persuadé à ces gens que nous
venons ici pour les assassiner et les incendier, et ce n'est que
par notre bonne conduite que nous pourrons détruire ces
impressions.
Vous trouverez, ci-joint, une lettre que m'écrit un des
secrétaires de Toussaint, qui est arrêté dans ce moment.
Les forces du général Toussaint consistent, en 19 demi-
brigades que j'évalue à 15.000 hommes et environ 2.000 hommes
de cavalerie. Je n'ai encore aucune nouvelle positive sur la
position de ces troupes, mais je sais qu'elles sont encore dis-
persées. C'est pour cela que j'agirai promptement. Il a, de
plus, avec lui, une masse de cultivateurs, dont il est impossible
de fixer le nombre. Il est vrai que chaque jour ces cultivateurs
l'abandonnent, et c'est encore un des motifs qui m'obligent
à presser ma marche.
Je n'ai aucune nouvelle du Port Républicain, ni de Santo
Domingo.
Sous quatre jours, quand il ne me serait arrivé aucun des
renforts sur lesquels je dois compter, j'entrerai en campagne.
Je me porterai sur les quartiers du Dondon et de la Grande
Rivière ; arrivé là, je me ferai joindre par les cinq cents hommes
que j'ai au Port de Paix, et je dirigerai ma marche d'après
celle des rebelles.
La division du Port-au-Prince a ordre de marcher sur l'Arti-
bonite.
La chose la plus heureuse pour moi serait que les rebelles
se jetassent dans les Gonaïves, où Toussaint a beaucoup de
moyens, et où sont rassemblées ses richesses.
Je viens d'ordonner la formation de 9 compagnies de noirs
par division, et de deux compagnies en dragons noirs.
J'aurai bien de la peine à monter ma cavalerie, qui consiste
en 400 chevaux. Quant à mon artillerie, je ne pense pas aujour-
d'hui aux moyens de l'atteler, mais seulement à ceux de faire
porter des cartouches pour mes troupes.
Quant aux vivres je prendrai le parti de faire porter à

— 81 —
chaque homme pour huit jours de biscuit, et après cette époque
nous vivrons de bananes. Je ferai arriver au fond de la baie
de l'Accul quelques ressources en oartouches et en biscuit,
et je les en tirerai si mes opérations ne m'éloignent pas trop
de ce point.
Je vais faire retrancher le Cap afin que cet endroit important
soit à l'abri d'un coup de main quand j'entrerai en campagne.
A l' instant on m'annonce l'entrée en rade de la frégate
la Vertu. La frégate la Cornélie arrive aussi : elle porte
250 hommes.
La culture dans la colonie était à un très haut degré. Quand
nous sommes arrivés sur les habitations exploitées pour le
compte des généraux noirs, on faisait travailler les noirs, plus
que les blancs ne l'ont jamais fait. Toussaint et tous ses géné-
raux me paraissent décidés à brûler la colonie et à s'ensevelir
sous ses ruines plutôt que de céder leur empire. Je ferai en
sorte qu'eux seuls soient détruits et que la colonie soit sauvée.
La douceur avec laquelle j'ai reçu tous les fugitifs et
accueilli tous les habitants, inspire beaucoup de confiance.
J'ai dans mes mains un nommé Bunel, qui était trésorier
du général Toussaint ; je compte en tirer 2 ou 400.000 francs,
ayant fait saisir un bâtiment, richement chargé, qu'il envoyait
aux États-Unis.
J'ai beaucoup d'inquiétudes pour les vivres. Partie de ceux
qui sont à bord de l'escadre sont avariés. Heureusement que
les Espagnols viennent à notre secours, en nous laissant
2.000 quintaux de biscuit ; ils nous laisseront également
100.000 kilogs de poudre.
Il existe dans la ville quelques vivres, sauvés de l'incendie.
Les négociants du Cap ne veulent les donner qu'à des prix
excessifs, et veulent de l'argent comptant. Je m'arrangerai
pourtant de manière à les avoir.
Il existe une vingtaine de bâtiments américains en rade,
qui ont aussi quelques vivres. Ce sont des juifs avec lesquels
il est impossible de traiter. Il faudra pourtant bien que nous
traitions.
En ajoutant toutes mes ressources les unes aux autres,
LE CLERC
6

— 82 —
je calcule que nous serons très heureux si nous avons de quoi
vivre deux mois et demi.
Je ne puis compter ici sur aucune maison de commerce,
ces hommes ne sont pas français, ils ne connaissent de patrie
que les États-Unis. Ce sont les États-Unis qui ont apporté
ici les fusils, les canons, la poudre et toutes les munitions de
guerre. Ce sont eux qui ont excité Toussaint à la défense.
Je suis intimement convaincu que les Américains ont formé
le plan d'engager à l'indépendance toutes les Antilles parce
qu'ils espéraient en avoir le commerce exclusif, comme ils
ont eu celui de Saint-Domingue. Il ne serait pas malheureux
pour moi que l'Angleterre et la France se réunissent pour les
intimider.
Vous savez combien je suis pauvre en argent. Il sera possible
que je tire sur la trésorerie de France, si toutefois on veut
accepter le papier. Je ne donnerai jamais de lettres de change,
que payables à un mois et demi, après la présentation. Mais
il faut qu'elles soient payées exactement, sans quoi je perdrais
toute confiance et ma position deviendrait très difficile.
Vous avez vu par l'état de nos troupes combien mes moyens
sont faibles. Nous sommes arrivés ici, en répandant le bruit
que nous avions 40.000 hommes, mais chaque jour on s'habi-
tuera à nous compter et on n'aura de confiance en nous qu'au-
tant qu'on nous croira très forts. Ainsi, indépendamment des
troupes que j'attends de Flessingue, du Havre, de Cadix et
de Toulon, il est indispensable qu'il parte de suite des renforts
et des vivres.
Envoyez-moi de suite au moins un million en numéraire,
indépendamment des lettres de change que vous pourrez
m'envoyer sur la Havane. Il serait avantageux aussi de m'en-
voyer un crédit sur la Jamaïque ; que le gouvernement compte
sur ma discrétion à m'en servir, mais qu'il ne me laisse pas
manquer de moyens.
Engagez quelques maisons de commerce puissantes à venir
s'établir au Cap avec des moyens. Elles peuvent compter
sur ma protection la plus entière.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.

— 83 —
XXI
Au Quartier Général au Cap, le 20 Pluviôse.
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je vous serai très obligé de vouloir bien renvoyer le capi-
taine Lamaillerie, dont j'ai eu occasion d'apprécier le zèle
et l'activité, pour faire partie de la station de Saint-Domingue,
mais je vous prie de lui donner une meilleure frégate que la
Sirène qu'il monte à présent.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XXII
Au Quartier Général au Cap,
le 20 Pluviôse, An X (9 février 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul
de la République Française.
Citoyen Consul,
Nous sommes au Cap que nous n'avons pas sauvé, comme
vous le verrez par la relation que j'adresse au ministre de la
Marine.
Je dis du bien de l'amiral Villaret dans ma relation. Je le
traite bien ici, mais il n'est pas propre à rétablir la marine
française, qui est bien malade ; il est trop incertain et trop
irrésolu.
Je vous prie de confirmer le capitaine Magon dans le grade
de contre-amiral et le lieutenant Aubet dans celui de capitaine ;
cela échauffera un peu la marine française qui en a bien besoin.
Je me loue infiniment de l'amiral Gravina, il s'est parfaite-
ment conduit.
J'ai envoyé à Toussaint ses enfants, avec votre lettre, en
lui faisant dire que s'il voulait déclarer que l'incendie du Cap

— 84 —
n'a pas été fait par ses ordres, et qu'il ramenât ses troupes,
je le recevrais à soumission.
Je désire bien que parmi les troupes que vous m'enverrez,
il y ait, s'il est possible, de celles de mon armée d'Espagne.
Je suis très gêné pour les vivres, et encore plus pour l'argent ;
venez à. mon secours.
Je suis content de l'esprit qui anime les généraux et les
troupes. Je crois avoir déjà leur confiance.
Nous avons trouvé ici beaucoup d'artillerie.
L'amiral Villaret a rendu compte au ministre de l'insurrec-
tion de la Guadeloupe.
Je n'ai aucune nouvelle des escadres de Toulon, Cadix,
Flessingue et le Havre. J'ai pourtant grand besoin des ren-
forts qu'elles portent. Vous devez voir combien ma position
est difficile. J'aurai toujours tout le dévouement et le courage
dont je suis susceptible, mais pressez les renforts de toute
espèce dont j'ai besoin.
J'ai déjà 600 malades ; la plupart de mes troupes étaient
embarquées depuis cinq mois.
La culture est en bon état.
Qu'il m'arrive des renforts ou non, j'entrerai en campagne-
sous 4 à 5 jours. Je ne veux point laisser le temps aux rebelles
de se rassembler, mais je n'aurai pas avec moi plus de 4.500
hommes réunis. J'aurai 2.400 hommes de la division du Port
Républicain qui tâcheront d'arriver à mettre les rebelles entre
elles et moi, et le reste gardera le Cap, le Port Républicain
et Santo-Domingo, dont je n'ai encore aucune nouvelle.
Je m'occupe d'organiser les troupes noires. Je compte en
avoir 1.200 pour entrer en campagne avec moi.
Ma femme a beaucoup souffert, et le spectacle qu'elle trouve
ici n'est pas propre à la délasser. Mon fils se porte bien.
Comptez sur tout mon dévouement. Beaucoup de ceux qui
enviaient mon commandement à Paris, en seraient écrasés
ici. Je prouverai à la France que vous avez fait un bon choix 1.
J'ai besoin de recevoir incessamment trois millions dont un
1. Les lignes suivantes sont de la main de Leclerc.

— 85 —
en numéraire et les deux autres en traites sur la Jamaïque
ou la Havane. Je n'ai pas de nouvelles des 2.000.000 francs
que vous m'avez annoncé sur la Havane. On m'annonce qu'il
n'y a plus de fonds. Je viens d'y envoyer pour y demander
des vivres, de l'argent et 1.000 hommes de troupes. J'enverrai
à la Jamaïque pour demander des vivres et connaître la situa-
tion de l'armée navale et de la colonie.
Agréez l'assurance de rattachement respectueux avec lequel
je suis, Citoyen Consul.
LECLERC.
XXIII
23 Pluviôse, An X (12 février 1802).
Le Général en chef Leclerc au Général Toussaint.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez écrite et qui m'a été
remise par vos enfants, il paraît que vous n'êtes pas instruit
de la manière dont les événements se sont passés.
L'armée navale s'est d'abord présentée en amie et ce n'est
que d'après le refus formel du général Christophe de la rece-
voir, qu'elle a été forcée de prendre une attitude hostile.
Ce qui prouve surtout le désir bien prononcé du général
Christophe de ne point reconnaître l'autorité du Gouvernement
français, ce sont les ordres qu'il a donnés pour l'incendie de
cette malheureuse colonie.
J'aime à, voir dans votre lettre, Citoyen Général, que vous
n'avez point ordonné cet excès, j'aime à voir que vous avez
le désir de sauver la colonie, il en est temps encore ; rendez-vous
auprès de moi, j'aimerai à profiter de vos lumières.
Vous avez une grande réputation, vous pouvez la conserver
intacte, soyez sans aucune inquiétude sur votre fortune, elle
vous sera conservée, elle est trop légitimement acquise par
vos travaux ; quant à votre rang, rapportez-vous en à la
promesse du général Bonaparte dont vous avez les lettres
dans les mains.

— 86 —
Vous avez à choisir, Citoyen Général, entre le titre de Paci-
ficateur et celui de Dévastateur de la colonie de Saint-
Domingue ; la générosité de vos sentiments énoncée dans toutes
vos proclamations est un sûr garant que vous n'hésiterez pas
un instant.
Réfléchissez que le Gouvernement français, dont les armées
ont forcé l'Europe à la paix, emploiera tous ses moyens pour
reconquérir cette colonie et que, quelques soient vos forces,
vous devez finir par succomber et, ce qui fera encore plus
d'effet sur votre esprit généreux, pensez aux maux que la
guerre entraînerait ici.
D'après la déclaration solennelle du Premier Consul consi.
gnée dans sa proclamation ci-jointe et dans la lettre qu'il vous
a adressée, vous ne devez plus avoir aucune inquiétude sur
la liberté de vos concitoyens, elle vous est acquise à trop de
titres pour que le Premier Consul puisse avoir l'idée de la
leur enlever.
Je vous attends, Citoyen Général, venez conférer avec
franchise, avec un de vos camarades. Pour vous prouver la
loyauté de mes sentiments, je vous préviens que pendant
4 jours les divisions qui couvrent le Cap ne commettront aucun
acte d'hostilité : si elles sont attaquées elles répondront.
Quant au Port de Paix, le général qui y commande a reçu
l'ordre d'attaquer le général Morepas demain, il l'a reçu anté-
rieurement à ma lettre, je ne suis pas à temps de la révoquer,
mais je lui envoie l'ordre de s'arrêter au Gros Morne.
Quant à la division du général Boudet qui se trouve au Port
Républicain, je lui fais passer l'ordre de s'arrêter à l'Artibonite,
la division que j'y envoie a ordre de se jeter dans la partie du
Sud.
Quant à Santo Domingo, j'ai fait arrêter à l'Axavon un
de vos courriers par lequel le général Paul Louverture vous
rendait compte que deux frégates chargées de troupes se dis-
posaient à y entrer.
J'ai fait partir de Samana un vaisseau de ceux de l'escadre
de Toulon entrée aujourd'hui en rade, qui est chargé de troupes
pour lui porter l'ordre d'entrer de vive force à Santo Domingo

— 87 —
si on ne l'y reçoit point, je ne suis pas à temps de révoquer
cet ordre.
Quant à Saint-Marc, il y a longtemps que j'ai donné ordre
de l'enlever de vive force, il doit l'être dans ce moment.
J'ai fait partir un vaisseau et une frégate pour attaquer
le Môle. Je viens de lui envoyer l'ordre de se contenter de blo-
quer la rade.
Vous voyez, Citoyen Général, que tous les ordres qui sont
en mon pouvoir pour arrêter l'effusion du sang, je les ai donnés,
mais si le délai de 4 jours expiré, vous n'êtes pas venu conférer
avec moi sur les moyens de rendre la paix et la tranquillité
à la colonie, je regarderai cela comme un refus de votre part
de contribuer à sauver la colonie, et je suivrai le cours de mes
opérations. 1
XXIV
Au Quartier Général au Cap,
le 26 Pluviôse (15 fécrier 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Voici ma position actuelle.
Toussaint m'a envoyé faire des propositions de suspendre
les hostilités, promettant qu'il ne négligerait rien pour ramener
la paix dans la colonie. Il m'a fait dire, par un de ses affidés,
qu'il était même disposé à se rendre auprès de moi. Je n'en
crois rien, c'est l'homme du monde le plus faux et le plus dis-
simulé. Néanmoins, pour prouver à toute la colonie que je ne
désirerais rien tant que d'éviter la guerre civile, je lui ai accordé
un délai de 4 jours, pour se rendre auprès de moi. Ce délai
expire le 27 ; le 28, j'entre en campagne.
J'avais ordonné au général Humbert de s'emparer du Port
de Paix, et de s'y maintenir ; ce général a outrepassé mes ordres,
1. Arch. du Minist. de la Guerre, B 7 * 26, copie de lettres du général
Leclerc, p. 51.

— 88 —
et maître de la place, il a voulu pousser en avant dans le pays.
Je lui avais donné un vaisseau et une frégate, avec lesquels
il devait enlever la place, s'y maintenir et rien de plus. Ce
général a plus calculé sur sa bravoure que sur les règles de
l'art militaire, et il a attaqué l'ennemi dans une position retran-
chée qu'il occupait à 3 lieues du Port de Paix et il s'est fait
battre. Néanmoins, je lui ai ordonné de conserver la position
du Port de Paix. Les forces qu'il a devant lui ne sont pas en
état de le forcer à l'évacuer, étant protégé comme il l'est par
les deux vaisseaux qui sont en rade. J'attache beaucoup de
prix à cette position, parce que je calcule que les ennemis ont
envie de tenir au Gros Morne, à Plaisance, au Dondon, à la
Marmelade et aux Gonaïves.
Si l'escadre de Cadix qui m'est annoncée par la frégate
l'Indienne, entrée hier en rade, arrive sous deux jours, j'en-
verrai au Port de Paix de quoi compléter une division de
2.000 hommes, qui seront nécessaires pour réparer ce qui se
trouve de ce côté, sinon je me bornerai à occuper les forts
de cette place et je concentrerai tous mes moyens sur Plai-
sance, le Dondon, la Grande Rivière et Saint-Raphaël.
Toussaint n'a pu rassembler plus de 10.000 hommes. Dans
ce moment, son armée ne va pas à plus de 18.000 ; il occupe
le Dondon, la Grande Rivière, la Marmelade, les Gonaïves,
les environs du Port de Paix, le Gros Morne, le quartier du
Mirebalais. C'est sur ces points que je vais opérer.
J'ai ordonné au général Boudet de le pousser vivement de
son côté.
La division de Toulon est entrée en rade, il y a trois jours. 1
Voici mon plan d'opération.
J'entrerai en campagne avec les trois divisions Hardy,
Rochambeau et Desfourneaux, elles me fourniront 6.500
hommes en ligne.
Je n'ai aucun moyen de transport. Je donne à mes soldats
pour 6 jours en biscuit ; après cela nous vivrons de bananes
et de bœufs, qui ne manquent pas dans le pays.
1. P. de Lacroix indique le débarquement de 4.200 hommes de l'escadre
de Toulon le 25 pluviôse.

— 89 —
J'emmène avec moi 30 obusiers, une pièce de 4 et 6 pièces
de 2. C'est tout ce que j'ai pu faire traîner. Je donne à chaque
division 60 coups par homme, plus une réserve de 50.000 car-
touches. Je n'ai ici aucun moyen de transport, et je n'ai pas
pu faire davantage.
Le 28, j'occuperai Plaisance et le Dondon. Le 29, je serai
maître de Saint-Raphaël. La suite de mes opérations, de ce
côté, dépendra de la situation de l'ennemi. J'occuperai le
Port de Paix.
Je ferai de la garnison du Fort Liberté une colonne mobile
de 5 à 600 hommes, pour éclairer ma gauche. Je fais retrancher
le Cap, pour le mettre à l'abri d'un coup de main. J'y laisserai
en garnison 4 ou 500 hommes de troupes, plus 600 hommes du
dépôt de l'armée. J'en laisserai le commandement au général
de brigade Boyer.
J'ai fait désarmer toutes les batteries tournées vers la mer. Mes
hôpitaux ne sont pas encore bien établis. Je manque de moyens.
Nous avons occupé le 17 le Port Républicain, n'ayant pas
le temps de vous faire une relation particulière sur cette affaire,
je vous envoie la relation du général Boudet en original avec
le plan de l'attaque. Je vous prie de désigner au Gouvernement
les officiers dont parle le général Boudet avec éloge. Je lui
avais ordonné d'enlever la Croix des Bouquets, le jour même
de son arrivée au Port Républicain, ce qui eût préservé la
plaine du Cul de Sac, mais la disposition qu'il a été obligé
de prendre ne lui ayant pas permis d'exécuter cet ordre, une
partie de cette plaine a été incendiée.
Le 20, ce général aura attaqué cette position et chassé l'en-
nemi dans le Mirebalais, et vers le 2 ou le 3 du mois prochain,
je compte faire une jonction avec lui.
Je poursuivrai l'ennemi avec vigueur et je ne m'arrêterai
pas tant qu'il restera un corps d'armée rassemblé. Dans un
mois les grandes chaleurs arriveront ici. Assurez le Premier
Consul que je ne négligerai rien pour avoir terminé la guerre
à cette époque, et que je mettrai toute l'activité dont je suis
capable, pour ne point permettre aux ennemis battus sur un
point de se rassembler sur un autre.

— 90 —
Mais il faut que les escadres de Cadix, du Havre et de Fies-
singue m'arrivent bientôt.
J'ai déjà plus de 1.200 hommes à l'hôpital. Calculez sur
une consommation d'hommes considérable dans ce pays.
Si, en renforts, vous m'envoyez des corps venus d'Égypte,.
ils perdraient certainement moins que tous les autres par l'effet
du climat. Ils sont d'ailleurs habitués à un genre de guerre
semblable à celui que nous avons à faire contre les noirs.
J'ai reçu hier la nouvelle de l'occupation de Santo Domingo-
par le général de brigade Kerversau.
Le général Clervaux qui commande dans le département
du Cibao s'est rendu et a fait acte de soumission au Gouverne-
ment. français. Cette soumission est due au bon esprit du
général Clervaux, homme de couleur et aux bons conseils qui
lui ont été donnés par le citoyen Mauvielle qui avait été envoyé
par le Directoire à Saint-Domingue, comme évêque dans la
partie française. Il faut que cet estimable pasteur soit l'un
des évêques qui seront nommés pour Saint-Domingue. Sa
conduite a toujours été française et courageuse.
On m'annonce que le général Laplume qui commande dans
la partie du Sud se rendra.
Je suis ici sans vivres et sans argent. L'incendie du Cap
et des quartiers par lesquels les rebelles se sont retirés m'ôte
toute ressource en ce genre.
Il faut que le Gouvernement m'envoie des vivres, de l'argent
et des troupes. C'est le seul moyen d'assurer la conservation
de Saint-Domingue.
Je n'ai ici aucune ressource dans le commerce. Les négocia-
teurs du Cap ne sont que les facteurs des Américains, et les
Américains sont de tous les juifs les plus juifs. Je suis pourtant
parvenu à leur faire accepter 300.000 francs de traites sur la
trésorerie, payables deux mois après la présentation. Si elles
n'étaient pas payées, je serais exposé à manquer de tout ici.
L'escadre espagnole est partie le 24, sur la Havane. J'ai
à me louer infiniment de la conduite de l'amiral Gravina envers
l'armée, il a fait pour nous au delà de ce que nous devions
attendre. Il m'a donné 15 jours de vivres pour mon armée,.

— 91 —
60.000 de poudre, et s'est chargé de faire réussir à la Havane
toutes les demandes que j'y ai faites.
J'ai envoyé à la Havane le citoyen Mongiraud, préfet
colonial de la partie espagnole de Saint-Domingue, pour deman-
der au gouvernement 2 millions de francs, des vivres pour
un mois et 1.000 hommes de troupes. L'amiral Gravina s'est
chargé d'appuyer toutes ses demandes et il les fera sans doute
réussir, car il est entièrement à nous servir.
Aussitôt que j'ai appris la nouvelle de la soumission du
général Clervaux, je l'ai maintenu dans son commandement
et lui ai envoyé l'ordre de prêter, ainsi que ses troupes, le
serment d'attachement à la République et à la constitution
de l'An Huit.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XXV
Au Quartier Général au Cap,
le 26 Pluviôse, (15 février 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Toussaint ne veut pas venir. Je suis décidé à entrer en cam-
pagne le 28. Il cherche dans ses lettres à m'amuser. Vous trou-
verez ci-joint l'arrêté que j'ai pris contre lui.
Je veux conduire la guerre avec vigueur.
La frégate l'Indienne est entrée hier en rade ; elle est partie
de Cadix après l'escadre qui, par conséquent, ne doit pas
tarder à arriver.
L'amiral va vous renvoyer trois vaisseaux-flûtes, avec Y Océan.
Vous devez en avoir besoin pour nous faire passer des renforts.
Aussitôt que l'escadre de Cadix sera arrivée, il pourra vous
envoyer encore trois ou quatre vaisseaux.
Mes troupes noires ne se forment pas vite. J'ai besoin d'entrer
en campagne et d'avoir de grands succès, pour faire prononcer
les noirs.

— 92 —
Trois mois avant notre arrivée à Saint-Domingue, Moïse
avait cherché à supplanter Toussaint, et pour ce, il avait
commencé à faire massacrer 6 à 700 blancs. Toussaint l'a fait
fusiller et nous en a débarrassé.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
P. S. — J'ai fait arrêter, les nommés Bunel, payeur général,
Granier, homme d'affaires de Christophe, Allier et Pascal,
secrétaires de Toussaint.
XXVI
Au Quartier Général au Cap,
le 26 Pluviôse, An X (15 février 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
Il semble que le général Gassendi ait pris à tâche de dégoûter
les officiers d'artillerie qui sont venus avec moi.
Il a écrit au général Debelle qu'il ne devait se regarder
comme employé dans l'arme de l'artillerie, que pour l'an X.
Le chef de brigade Pambour avait un régiment avant de
partir, il le lui a ôté.
Les officiers qui sont destinés à faire cette guerre pénible
ont besoin d'encouragements, et je les réclame de votre justice.
Je n'ai pas un seul officier du génie, que je puisse mettre
à la tête de cette arme. Je désirerais avoir l'un des généraux
Bertrand ou Sanson ; ceux-là sont accoutumés à faire la
guerre.
J'ai été obligé de réunir le génie sous les ordres du général
d'artillerie. Je me suis bien attendu que ceux qui ont obtenu
leurs grades dans les antichambres du ministre crieraient contre
moi. Je l'ai fait pour le bien de la chose.
Je vous prie d'agréer l'assurance du respectueux dévoue-
ment, avec lequel je suis, Citoyen Consul.
LECLERC.

— 93 —
XXVII
Au Quartier Général au Cap,
le 26 Pluviôse (15 février 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
J'ai l'honneur de vous prévenir que j'ai été extrêmement
content de l'amiral Gravina. C'est un homme ambitieux,
auquel j'ai fait entrevoir qu'il serait possible que, par l'influence
du Gouvernement français, il devint chef de la marine espa-
gnole. Je lui ai donné, de votre part, un sabre et une carabine.
Je me suis conduit ainsi avec lui :
1° pour avoir 20 jours de vivres et 60.000 livres de poudre
qu'il m'a remis avant son départ à la Havane.
2° pour le forcer à, me servir à la Havane.
J'ai demandé au gouverneur de cette colonie deux millions
de vivres pour un mois et mille hommes.
Il est parti tellement content de moi qu'il m'a assuré que
j'aurais ce que j'ai demandé. Cet homme est marin et militaire.
J'ai envoyé avec lui le citoyen Mongiraud, préfet colonial
de la partie espagnole, pour suivre cette fourniture.
Mes hôpitaux se remplissent toujours. Si vous m'envoyiez
des troupes d'Egypte, il y en aurait une consommation bien
moindre.
J'entre en campagne le 28, et je pousserai la guerre, comme
j'ai appris à la faire sous vos ordres, en Italie, c'est-à-dire
avec vigueur.
Gantheaume va repartir avec trois flûtes et l'Océan.
Aussitôt que Linois sera arrivé, nous renverrons un nombre
de vaisseaux égal à celui qu'il aura amené.
Les moyens de transport manquent en France, et nous ne
garderons ici que ce qui nous est nécessaire.
Envoyez-nous promptement du secours en hommes, en
vivres et en argent, car si cette guerre n'est pas menée avec
vigueur, elle sera longue et coûtera beaucoup.

— 94 —
Je vous prie d'agréer, l'assurance du respectueux attache-
ment avec lequel je suis, Citoyen Consul 1.
XXVIII
28 Pluviôse (17 février 1802).
Je suis entré aujourd'hui en campagne, demain je serai
maître de Saint-Raphaël, du Dondon et de la Grande Rivière
et de Plaisance, de là je déciderai mon plan d'opération suivant
celles des rebelles. Je vous envoie ma dernière proclamation,
vous y verrez que je suis décidé à agir avec vigueur. Le général
Clervaux qui commandait à Saint-Yago s'est soumis. J'envoie
700 hommes dans cette partie pour faire lever le pays qui est
bien disposé ; je n'ai point de nouvelles certaines de notre
entrée à, Santo Domingo, mais je crois que nous en sommes
maîtres. Je cherche à soulever les milices du pays et à les
porter sur Hinche et Banique.
J'aurais désiré envoyer une colonne sur le Port de Paix
pour se réunir à nous à Plaisance et chasser les troupes qui
se trouvent dans cette partie, mais le général Humbert qui
se trouve dans cette partie m'a fait des sottises, et la division
de Cadix que je voulais y faire passer est arrivée pendant que
j'étais en reconnaissance et, en entrant, deux vaisseaux ont
touché. L'un est perdu, l'autre a beaucoup souffert et la divi-
sion n'a pu remettre à la voile. Votre marine est bien faible.
Je prendrai des mesures pour que cette colonne me tombe
dans la main.
Je n'ai pas de vivres pour 2 mois, j'ai plus de 2.000 malades.
Voici les dispositions de mes troupes :
Division Boudet marche sur le Mirebalais....
2.400 hommes
Division Rochambeau sur Saint-Raphaël
2.300
»
Division Hardy sur le Dondon
2.400
»
1. Leclerc, qui avait dicté cette lettre à un secrétaire le 26 pluviôse,
prend la plume à son tour au moment de signer, et écrit lui-même le
28 pluviôse, à la suite de la lettre commencée.

— 95 —
Division Desfourneaux sur Plaisance
1.800
»
Ce général est bien médiocre, je manque de
généraux.
Réserve avec moi
1.500
»
Je m'en servirai pour marcher avec les divi-
sions qui pourraient avoir besoin d'être
renforcées.
Garnison du Cap, soldats de marine, dépôts
des corps, artillerie
1.400
»
Fort Dauphin, garnison, des vaisseaux
600
»
Ils sont destinés à couvrir la gauche du
général Rochambeau.
A bord de deux vaisseaux que j'envoie aux
Gonaïves avec des vivres et destinés à seconder
mes opérations, détachement de
600
»
Au Port de Paix, garnison de vaisseaux
300
»
Partie espagnole
1.000
»
Ces troupes perdent journellement par les maladies, je n'ai
aucun moyen de transport. J'emporte 6 jours de biscuit
et puis nous vivrons de bananes et de patates et de bestiaux,
mais je ne quitterai pas que je n'aie mis les troupes de
Toussaint en déroute. Il ne peut pas m'opposer plus de
10.000 hommes de troupe, le reste étant disséminé.
Je ne tirerai presque aucune ressource de la colonie avant
trois mois, j'ai besoin de votre secours, et d'un secours prompt.
Agréez, je vous prie, l'assurance de mon entier dévouement
et de mon attachement respectueux, Citoyen Consul.
LECLERC.
P. S. — Je n'ai pas le temps de faire copier cette lettre.
XXIX
Au Quartier Général au Cap,
le 28 Pluviôse (17 février 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
A chaque instant j'apprends que notre position en vivres
est plus malheureuse. Le vaisseau qui a échoué portait les

— 96 —
vivres des deux autres bâtiments. Il y avait fort peu de navires
en rade, et les ressources qu'ils contenaient étaient très faibles.
Chaque jour, en constatant l'état de l'approvisionnement des
vaisseaux, on découvre des avaries.
Nos effets d'hôpitaux ont été débarqués aujourd'hui. Ils
étaient sur la Danaé ; ils sont tous avariés. Je ne sais comment
nous ferons.
Venez vite à notre secours. Nous sommes nu-pieds, envoyez-
moi trente mille paires de souliers.
Demain matin, je vais rejoindre l'armée qui est en marche.
L'armée navale et l'armée de terre sont dans une telle
pénurie de farine que j'ai cru n'avoir d'autre moyen à prendre,
vu la nullité du commerce ici, que d'envoyer aux États-Unis
le citoyen Vatrin, commissaire de marine, dont l'amiral m'a
dit le plus grand bien, pour acheter des farines et nous les
faire arriver le plus promptement possible. Je lui ai ouvert
un crédit sur la trésorerie d'un million, payable moitié
deux mois et moitié trois mois après la présentation. Je vous
prie de faire faire honneur à ces lettres de change, sans quoi
nous serions exposés à mourir de faim ici.
Vous m'appelez impayable, mon cher Decrés, dans une de
vos lettres. Songez qu'on ne saurait payer trop cher Saint-
Domingue.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XXX
Au Quartier Général au Cap,
le 28 Pluviôse, An X (17 février 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'ai l'honneur de vous transmettre une copie des instructions
que j'ai données au citoyen Vatrin, que j'envoie aux États-
Unis pour acheter, pour le service de l'armée, des farines et



— 97 —
du biscuit jusqu'à^ concurrence d'un million, pour laquelle
somme il tirerasur la trésorerie de France des lettres de change
payables deux et trois mois après la présentation.
Je vous prie de donner des ordres pour que ces lettres de
change soient ponctuellement acquittées.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XXXI
Au Quartier Général au Cap,
le 28 Pluviôse, (17 février 1802).
Le Général en Chef au Citoyen VATRIN,
Commissaire de Marine.
Vous vous rendrez à Philadelphie, Citoyen, pour y acheter
des farines et du biscuit pour l'armée et vous les expédierez
de suite vers Saint-Domingue. Je vous autorise à cet effet à
tirer sur la trésorerie de France, un million de francs, payables
cinq cent mille francs deux mois après la présentation, et
cinq cent mille francs trois mois après la présentation à la
trésorerie de France.
Vous vous adresserez à Philadelphie aux maisons Dupont
de Nemours et Sadeu de Marseille, ou tout autre que vous
trouverez convenable, mais expédiez-nous de suite des farines
et du biscuit.
Vous pouvez compter sur l'exactitude du paiement des
traites que vous tirerez ; j'en ai prévenu le ministre de la
Marine.
D'après les renseignements avantageux que l'amiral Villa-
ret m'a donnés sur votre compte, je ne doute pas que votre
mission ne soit parfaitement remplie.
Pour copie conforme.
LECLERC.
LECLERC
7

— 98 —
XXXII
AU NOM DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS
ARMÉE DE SAINT-DOMINGUE
PROCLAMATION
Au Quartier Général du Cap,
le 28 Pluviôse, An X de la République
une et indivisible.
LECLERC, général en chef de l'Armée de Saint-Domingue,
Capitaine Général de la Colonie,
aux Habitants de Saint-Domingue.
Citoyens,
Je suis venu ici, au nom du Gouvernement français, vous
apporter la paix et le bonheur ; je craignais de rencontrer
des obstacles dans les vues politiques des chefs de la Colonie,
je ne me suis point trompé.
Ces chefs, qui annonçaient leur dévouement à la France,,
dans leurs proclamations, ne pensaient à rien moins qu'à être
Français ; ils voulaient Saint-Domingue pour eux, et s'ils par-
laient quelquefois de la France, c'est qu'ils ne se croyaient
pas encore en mesure de la méconnaître ouvertement.
Aujourd'hui leurs intentions perfides sont démasquées. Le
général Toussaint m'avait envoyé ses enfants, avec une lettre
dans laquelle il assurait qu'il ne désirait rien tant que le bonheur
de la colonie, et qu'il était prêt à obéir à tous les ordres que je
lui donnerais.
Je lui ai ordonné de se rendre auprès de moi ; je lui ai donné
ma parole de l'employer comme mon lieutenant-général ; il
n'a répondu, à cet ordre, que par des phrases ; il ne cherche
qu'à gagner du temps.
J'ai ordre du Gouvernement français de faire régner promp-
tement la prospérité et l'abondance ici. Si je me laissais amuser
par ses détours astucieux et perfides, la colonie serait le théâtre
d'une longue guerre civile.

— 99 —
J'entre en campagne, et je vais apprendre à ce rebelle qu'elle
est la force du Gouvernement français.
Dès ce moment, il ne doit plus être aux yeux de tous les
bons Français qui habitent Saint-Domingue qu'un monstre,
qui a préféré la destruction de son pays au sacrifice des pou-
voirs.
Il doit être bien prouvé à tous les habitants de la colonie,
par la conduite oppressive qu'il a tenue à l'égard de tous, qu'il
ne regardait le mot de Liberté, qu'il avait si souvent à la
bouche, que comme un moyen d'arriver, à Saint-Domingue,
au despotisme le plus absolu.
J'ai promis aux habitants de Saint-Domingue la liberté ;
je saurai les en faire jouir. Je ferai respecter les personnes et
les propriétés.
J'ordonne ce qui suit :
ARTICLE PREMIER. — Le général Toussaint et le général
Christophe sont mis hors la loi ; il est ordonné à tous les
citoyens de leur courir sus, et de les traiter comme des rebelles
à la République française.
ARTICLE II. —
A dater du jour où l'armée française aura
occupé un quartier, tout officier, soit civil soit militaire, qui
obéira à d'autres ordres qu'à ceux des généraux de l'armée
de la République française que je commande, sera traité
comme rebelle.
ARTICLE III. — Les cultivateurs qui ont été induits en
erreur et qui, trompés par les perfides insinuations des géné-
raux rebelles, auraient pris les armes, seront traités comme
des enfants égarés et renvoyés à la culture, si toutefois ils
n'ont cherché à exciter de soulèvement.
ARTICLE IV. — Les soldats des demi-brigades qui abandon-
neront l'armée de Toussaint, feront partie de l'armée fran-
çaise.
ARTICLE V. — Le général Augustin Clervaux, qui commande
le département du Cibao, ayant reconnu le gouvernement
français et l'autorité du capitaine général, est maintenu dans
son grade et dans son commandement.

— 100 —
ARTICLE
VI. — Le général, chef de l'état-major, fera
imprimer et publier la présente proclamation.
Signé : LECLERC.
Pour copie conforme,
Le général de Division, chef de l'État-Major Général :
DUGUA.
XXXIII
Au Quartier Général du Cap,
le 28 Pluviôse (17 février 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
Je dois vous dire la vérité et la vérité toute entière. Je ne
suis pas content de l'amiral Villaret ; il a rendu notre arrivée
à Saint-Domingue trop tardive, par les points où il nous a
fait arrêter comme rendez-vous. Il nous a fait rester dix jours
au Cap Finistère, par une mer terrible, de là sont venues nos
avaries.
Cet homme est dur dans le service et ne se fait aimer de
personne. Il est avare en récompenses ; il a une pépinière de
bons aspirants qu'il dégoûte au point qu'un grand nombre
m'a demandé du service ; ses propres aides de camp l'ont aban-
donné.
A mon débarquement, j'ai eu à me plaindre de lui. Il n'a
point exécuté les dispositions que j'ai jugé nécessaires, et
peut-être eussions-nous sauvé le Cap. L'amiral Gravina était
présent lors des discussions que j'eus avec lui lors du débar-
quement. Je n'accepterai certainement plus de mission pareille,
sans que le commandement de la marine ne soit sous mes ordres
pour le débarquement.
Toutes les ressources dont j'ai besoin pour mon armée, je
ne les reçois que par négociations, quelques soient les procédés
que je mets dans mes relations avec lui.

— 101 —
Voulez-vous sauver votre marine, retirez-la de ses mains.
Bruix est considéré.
Je le force toujours, par mes procédés, à bien se conduire
avec moi, mais je n'en suis nullement content. C'est un homme
haineux qui n aime personne, et qui n'a pas le talent de se
faire aimer.
Je vous prie, Citoyen Consul, d'agréer l'assurance de mon
respectueux dévouement.
LECLERC.
XXXIV
Au Quartier Général du Dondon,
le 30 Pluviôse (19 février 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul,
Citoyen Consul,
Je suis entré en campagne le 28 comme j'ai eu l'honneur de
vous l'annoncer. Je suis maître du Dondon et de Saint-Raphaël,
demain je marche sur La Marmelade et Saint-Michel, j'attends
l'ennemi sur le canton d'Ennery où je compte qu'il se deffendra.
Les postes que nous avons enlevés étaient formidables mais
ils ont été mal défendus.
Je n'ai pas de nouvelle de la division Desfourneaux, je
sais qu'elle s'est battue, elle doit être à Plaisance.
Les troupes que j'avais au Port de Paix, mal dirigées, avaient
subi un échec ; j'y ai envoyé le général Debelle avec 1.200
hommes de renfort, ce qui lui donnera 2.200 combattants.
Je lui ai ordonné de pousser vigoureusement ce qu'il avait
devant lui. Demain il doit être rendu au Gros-Morne et mar-
chera ensuite sur les Gonaïves.
J'ai deux vaisseaux dans la baie des Gonaïves qui nous
portent du biscuit et des cartouches et qui nous aideront si
l'ennemi voulait deffendre ce point auquel Toussaint attache
beaucoup d'importance.
Je suis très mécontent de la légion expéditionnaire et de
la 79e. Ce sont de mauvaises troupes.

— 102 —
Envoyez-moi des troupes, des vivres et de l' argent, j ai
déjà plus de 2.000 hommes à l'hôpital, dont 500 blessés.
Le général Boudet doit avoir passé le Mirebalais et marche
sur l'Artibonite ou sur Hinche, suivant la direction des enne-
mis, je n'ai point eu de ses nouvelles depuis son entrée au
Port Républicain.
C'est ici une guerre d'arabes : à peine sommes-nous passé
que les noirs occupent les bois voisins de la route et qu'ils
coupent les communications. Si je parviens à bien battre
Toussaint, il y aura, je pense, une grande désertion dans son
armée.
Je suis entré en campagne comme un tartare, sans trans-
port, avec 60 cartouches par homme et 250.000 cartouches
pour tout approvisionnement. L'artillerie me serait bien néces-
saire ici. je ne puis la faire transporter par deffaut de transport
et n'ayant pas eu le temps de faire construire des affûts traî-
neaux. Si j'avais tardé à entrer en campagne j'aurais rassem-
blé peu de moyens de plus et j'aurais donné à l'ennemi le
temps de se retrancher.
Pardon de mon griffonnage, mais je suis bien fatigué et
je vais me reposer. J'aurai l'honneur de rendre un compte
détaillé de mes opérations au ministre de la Marine quand
j'aurai le temps de le faire.
Agréez, je vous prie, Citoyen Consul, l'assurance de mon
entier dévouement.
LECLERC 1.
XXXV
Au Quartier Général du Gros Morne,
le 8 Ventôse (27 février 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Comme j'ai eu l'honneur de vous l'annoncer, je suis entré
1. Cette lettre est tout entière de la main de Leclere.

— 103 —
en campagne le 28 du mois passé. Ce jour la division du général
Desfourneaux s est portée au Limbé ; la division du général
Hardy s est portée au Grand Boucan et aux Mornets, celle du
général Rochambeau a marché sur la Tannerie, et le Bois
de l' Ance. Un petit corps formé par les garnisons du Cap et
du Fort Dauphin s'est porté sur Sainte-Suzanne, le Trou et
Valière. Ces divisions ont eu à soutenir des combats très
desagréables par les localités, en ce que les rebelles se cachaient
dans les haziers, et dans les bois impénétrables qui bordent
les vallées, et avaient, lorsqu'ils étaient repoussés, une retraite
assurée dans les mornes ; néanmoins les colonnes ont occupé
les positions que je leur avais ordonné de prendre.
Le 29, la division Desfourneaux a pris position près de
Plaisance, la division Hardy au Dondon, et la division Rocham-
beau à Saint-Raphaël ; ces trois divisions ont forcé l'ennemi
partout avec la plus grande impétuosité ; il faut avoir vu le
pays pour se former une idée des difficultés qu'on y rencontre
à chaque pas ; je n'ai rien vu dans les Alpes qui leur soit
comparable.
Le 30, la division Desfourneaux a pris position à Plaisance,
sans obstacle. Ce canton était commandé par un brave homme
nommé Jean-Pierre Dumesnil, qui est venu au devant du
général Desfourneaux, avec deux cents hommes de cavalerie,
et trois cents d'infanterie et qui a eu le courage de conserver
son pays, malgré les ordres de Toussaint de tout incendier.
La division Hardy prit position à la Marmelade, elle s'empara
avant d'y arriver du Morne à Boispin, qui est la position la
plus formidable que j'ai rencontrée depuis que je fais la guerre,
elle entra au pas de charge et la bayonnette en avant dans
la Marmelade, quoique ce poste fut défendu par le général
Christophe en personne, qui avait sous ses ordres douze cents
hommes de troupes de ligne, et autant de cultivateurs ; tout
céda à l'impétuosité française. Le général Rochambeau prit
position le même jour à Saint-Michel où il trouva très peu
de résistance, sa colonne de droite qui devait passer par la
Mare à la
Roche, qui était retranchée, défendue par
1.100 hommes et par de l'artillerie, emporta cette position

— 104 —
à la bayonnette sans tirer un coup de fusil, et rejoignit le
général le soir à. Saint-Raphaël.
Je savais que l'ennemi avait l'intention de défendre le
canton d'Ennery, et les Gonaïves, et c'est pour cela que je
l'amusais sur cette position le plus qu'il m'était possible ;
dans cette vue j'avais envoyé le général Debelle au Port de
Paix avec une division, il avait ordre d'acculer le général
Maurepas sur les Gonaïves. Ce général était avec deux mille
hommes de troupes de ligne et deux mille cultivateurs, retran-
chés à deux lieues du Port de Paix, dans la gorge des Trois-
Rivières. Je tenais beaucoup à écraser ce corps, qui avait
eu quelque succès sur le général Humbert ; j'avais ordonné
au général Boudet de se porter par le Mirebalais sur la Petite
Rivière, pour couper la retraite à l'ennemi, que j'espérais
battre aux Gonaïves : ces deux divisions n'ont pu m'être d'aucun
secours pour cette opération.
Le général Debelle qui d'après mes calculs devait s'embar-
quer le 29 au Port de Paix n'a pu y arriver que le 30, très
tard, les vents de l'est, qui régnent assez constamment sur
la côte, ayant manqué pendant la traversée du Cap au Port
de Paix.
Le premier ventôse le général Debelle se mit en marche
pour attaquer le général Maurepas, mais une pluie affreuse
qui survint empêcha la colonne qui était destinée à, tourner
la position de l'ennemi d'arriver à temps ; les colonnes, qui
attaquèrent de front la position, arrivèrent harassées de fatigue
et ne purent l'enlever. Quant à celle qui devait tourner la
position des rebelles, elle mit vingt-quatre heures à exécuter
son mouvement, ayant été contrariée dans sa marche par les
torrents et les mauvais chemins, et elle fut attaquée par toutes
les forces des rebelles réunis contre elle. Elle exécuta cepen-
dant sa retraite en très bon ordre. Le général Debelle avait
marché pour protéger son mouvement.
La division Boudet en partant du Port au Prince marcha
sur la Croix des Bouquets, les rebelles y mirent le feu à son
approche. Le général Dessaline qui commandait sur ce point
eut l'air de faire sa retraite sur la Montagne du Grand Bois,

— 105 —
mais par une marche rapide il se porta sur Léogane en passant
par la Montagne Noire. J'avais ordonné au général Boudet
d'envoyer une frégate prendre possession de Léogane, mais
ces forces ne purent préserver la ville à, laquelle Dessaline
fit mettre le feu. De là, Dessaline se porta sur Jacquemel d'où
il m'envoya une adresse signée de tous les habitants de la
commune, dans laquelle ces misérables regrettaient le gou-
vernement féroce et barbare de Toussaint ; jamais à Constan-
tinople les têtes n'ont sauté avec tant de facilité, et les coups
de bâtons distribués avec plus de générosité qu'à Saint-
Domingue sous le gouvernement de Toussaint et de ses adhé-
rents.
Le général Boudet qui connaissait les intentions du général
Laplume, commandant la partie du Sud, de se soumettre au
Gouvernement français, ne crut pas devoir abandonner cette
partie intéressante, il y envoya l'adjudant-commandant Dar-
bois avec quinze cents hommes, pour forcer Dessaline à la
retraite, et décider la soumission du général Laplume. Cette
marche a sauvé la partie du Sud, Dessaline s'est retiré avec
les siens dans les Grands Bois et le général Laplume m'a
envoyé son acte de soumission. Depuis ce temps je n'ai pas
reçu de nouvelles du général Boudet, je sais seulement qu'il
est entré avant-hier à Saint-Marc qu'il a trouvé en grande
partie incendié.
Le 1er ventôse, les divisions séjournèrent dans leurs posi-
tions, le 30, le temps avait été affreux, et fut le même tout
le 1er.
Le 2, la division Desfourneaux se porta à deux lieues en
avant de Plaisance. La division Hardy s'empara d'Ennery
à la bayonnette suivant son usage. Ce poste était encore défendu
par Christophe qui avait mille hommes de troupes de ligne,
et douze cents cultivateurs. J'appris que le général Christophe
avait fait sa retraite sur l'habitation Bayonnaie, j'ordonnai
sur-le-champ au général Hardy d'y envoyer la brigade du
général Salm ; cette brigade qui avait fait une marche très
fatigante le 2, marcha encore toute la nuit, et à la pointe
du jour, le 3, enleva au pas de charge la position de Chris-

— 106 —
tophe. Cette brigade trouva un butin considérable, c'était un
dépôt des rebelles.
Le 3, la division Rochambeau prit position à la tête de la
Ravine à Couleuvre, qui laisse la Coupe à l'Inde à sa gauche,
et les mornes où Christophe s'était retranché, à sa droite.
Le même jour la division Desfourneaux vint prendre posi-
tion en avant d'Ennery, et le général Hardy y rassembla
aussi sa division.
Le 4, la division Desfourneaux se porta à la Coupe à Pin-
tade, elle y rencontra l'ennemi. J'avais fait soutenir cette
division par la brigade Desplanque de celle du général Hardy.
Le général Desfourneaux attaqua l'ennemi, et le poussa jus-
qu'aux Gonaïves incendiées depuis deux jours. L'ennemi
poussé vigoureusement ne put y tenir, il se retira sur la rivière
d'Ester, après avoir laissé deux cents hommes tués sur le
champ de bataille. La brigade Salm de la division Hardy
vint prendre le même jour position au poteau en avant de la
Coupe à Pintade.
Le même jour, 4, la division Rochambeau entra dans la
Ravine à Couleuvre. C'était là que le général Toussaint avec
ses gardes, formant un corps de quinze cents grenadiers tirés
des différentes demi-brigades, et environ douze cents hommes
choisis sur les meilleurs bataillons de son armée et 400 dragons,
comptait se défendre. La Ravine à Couleuvre est extrêmement
resserrée ; elle est flanquée de montagnes à pic, couvertes
de bois dans lesquels étaient répandus plus de deux mille
cultivateurs armés qu'il faut ajouter aux troupes dont je
viens de faire l'énumération. Les rebelles avaient fait des
abatis considérables qui obstruaient le passage. Ils occu-
paient des positions retranchées qui dominaient la Ravine.
Une position aussi forte eût arrêté nécessairement tout autre
que le général Rochambeau, mais il fit ses dispositions avec
la rapidité de l'éclair, et attaqua les retranchements de l'ennemi.
Il y eut là un combat d'homme à homme. Les troupes de
Toussaint se battirent bien, mais tout céda à l'intrépidité
française, Toussaint évacua ses positions et se retira en désordre
sur la Petite Rivière, en laissant huit cents des siens sur le

— 107 —
•champ de bataille. Le 5, je me rendis aux Gonaïves, j'étais
-extrêmement inquiet des généraux Debelle et Boudet, dont
je n'avais aucune nouvelle.
Le 6, j'appris par mes émissaires que le général Debelle
n'avait pu forcer le général Maurepas. J'ordonnai à la division
Desfourneaux de marcher sur le Gros Morne, chemin du Port
de Paix et au général Rochambeau de se porter au pont de
l'Ester, et de pousser des reconnaissances sur sa droite, et sur
sa gauche, pour avoir des nouvelles du général Boudet, et
de la retraite de l'ennemi.
Le /, j appris que le général Boudet était maître de Saint-
Marc, je ne vis plus d autre ennemi à terrasser que Maurepas.
J'ordonnai au général Hardy de marcher sur le Gros Morne,
avec cinq compagnies de grenadiers et 800 hommes tirés
de sa division ; j'ajoutai à ce corps une compagnie de mes
gardes de cent hommes. Je marchai moi-même avec ce corps
et pris, le 7, dans la nuit, position à deux lieues du Gros Morne.
Mon intention était d'aller avec la division Desfourneaux,
et les 1.500 hommes du général Hardy prendre position le 8
à, deux lieues sur les derrières du général Maurepas pour l'atta-
quer le 9 au point du jour de concert avec le général Debelle,
que j'avais prévenu de ce mouvement. Mais le général Maure-
pas à qui il ne restait aucune retraite, envoya des députés
au général Debelle à qui mes lettres n'étaient pas encore
parvenues, et lui demanda de se soumettre aux conditions
portées dans ma proclamation, où je promets de conserver
leur grade aux officiers qui se soumettront. Le général Debelle
y consentit, et quelque bonne que fût ma position, je crus
devoir approuver ce qu'a fait le général Debelle. J'ai ordonné
au général Maurepas de venir me joindre au Gros Morne, où
je l'attends 1.
J'ai renvoyé, aujourd'hui 8, le corps tiré de la division Hardy
aux Gonaïves, où je serai rendu moi-même ce jour, pour me
remettre dès demain à la poursuite du général Toussaint.
1. C'est cette scène que représente la lithographie de Grenier qui se
trouve dans l'Album de Victoires et Conquêtes.

— 108 —
Depuis la journée du 4, les habitants du pays regardent
Toussaint comme perdu, les cultivateurs rentrent sur leurs
habitations, ses soldats désertent ses drapeaux et tous pensent
que nous sommes maîtres de la colonie et moi aussi, je le crois 1.
Je vais laisser la division Desfourneaux à Plaisance ; elle
dissipera les rassemblements armés qui existent encore dans
plusieurs communes, et me fera justice des brigands qui obs-
truent encore mes communications.
Voici la situation actuelle de la colonie. Je suis maître de
la partie du Nord, mais presque tout y a été incendié, et je
n'ai pas de ressources à en attendre. Il y a des cultivateurs
rassemblés en armes sur vingt points différents. Le général
Desfourneaux par la persuasion rassurera les hommes trom-
pés, et avec les bayonnettes exterminera les coupables. Mais
d'ici à ce que cette partie soit tranquille, il se commettra
bien des excès.
Les rebelles sont maîtres encore d'une partie de l'Ouest
et ont incendié les points qu'ils n'occupent plus. Je n'ai pas
de ressources à en attendre pour le moment.
Le Sud est en partie conservé. Je vais au Port au Prince,
et je verrai ce que je pourrai en tirer.
Quant à la partie espagnole elle a été tellement pressurée
par Toussaint, qu'il faut plutôt lui donner que lui demander,
j'en suis à peu près maître.
Il faut, Citoyen Ministre, si le gouvernement veut conserver
Saint-Domingue, qu'il me fasse passer pendant les six premiers
mois quinze cent mille francs en piastres, et non autrement.
Je vous ferai connaître les besoins que je pourrai avoir par
la suite.
Pour apprécier les travaux de la brave armée que j'ai l'hon-
neur de commander, il faut que vous sachiez que je suis entré
en campagne sans chevaux, sans cavalerie, sans aucuns moyens
de transport.
Mes soldats ont rempli leurs sacs de cartouches, et de bis-
1. Les derniers mots « et moi aussi je le crois » ont été raturés sur la
lettre.

— 109 —
cuit. En partant de Brest, on me donna un état, qui m'assu-
rait que j avais quinze mille paires de souliers à bord. Arrivé
à Saint-Domingue, je n en ai trouve que quatre mille mauvaises
paires. On m avait assuré que j'avais des effets de campe-
ment, et je n'ai pas trouvé une marmite à délivrer au soldat,
ni un seul bidon. D après les états que j'ai, ces effets devaient
être apportés par la Fidèle et ils ne s'y sont pas trouvés.
Les effets d hôpitaux ont été si mal embarqués sur la Danaé
qu ils sont arrivés tous avariés. J'ai pourtant 3.500 hommes
aux hôpitaux que je ne sais comment faire soigner, les incen-
dies des villes m'ayant ôté toute ressource.
Envoyez le plus tôt possible, je vous en supplie, trente
mille paires de bons souliers, des draps légers de Lodève ou
Carcassonne pour vingt mille capotes. Les nuits sont trop
froides dans ce pays pour que le soldat puisse s'en passer.
Envoyez-moi de la toile de coton pour vingt mille habits vestes
et pour vingt mille pantalons. Envoyez-moi trente mille che-
mises, vingt mille guêtres de toile, vingt mille chapeaux ronds
à hautes formes ; c'est le seul qui puisse préserver le soldat
des coups de soleil qui les mènent à l'hôpital.
Il me faudrait dix mille fusils neufs. Le Duquesne m'en a
emporté deux mille, une partie de ce qui me reste a été abîmée
sur les vaisseaux. Envoyez-moi surtout des effets d'hôpitaux,
du linge à pansement, des caisses d'instruments et des médi-
caments, pour six mille malades, et trois mille blessés pendant
un an, j'en manque absolument.
Envoyez-moi du vin, des farines, des salaisons, de l'eau-
de-vie, la marine n'a presque rien pu me fournir, ses vivres
étant presque tous avariés. Avec ce qu'elle m'a donné, et ce
que j'ai trouvé sur les [vaisseaux] américains qui étaient en
rade, je pourrai vivre deux mois, mais après ce temps, je ne
sais comment je ferai pour exister, n' ayant aucun crédit.
J ai perdu dans les différents combats que j'ai eu à soutenir
600 hommes tués, et quinze cents blessés ; j'ai deux mille
malades.
Vous voyez d'après ce tableau qu'il faut penser à m'envoyer,
de suite, un renfort de 6.000 hommes indépendamment de

— 110 —
tout ce que vous m'annoncez par vos intructions, et qu'ensuite
vous me fassiez passer chaque mois, pendant trois mois, un
renfort de deux mille hommes.
Voilà bien des demandes que je vous fais, Citoyen Ministre,
mais le Gouvernement ne doit pas regarder à l'argent qu'il
emploie pour s'assurer la première colonie du monde et con-
server celles qu'il a dans les Antilles, car c'est ici et dans ce
moment que se juge la question de savoir si l'Europe conser-
vera des colonies dans les Antilles.
La plupart des généraux que vous m'avez annoncés ne
sont point encore arrivés. Ils se proposent sans doute de venir
quand il n'y aura plus que des roses à cueillir.
Le général Desfourneaux se loue particulièrement du chef
de brigade Grandet ; le général Hardy se loue de l'adjudant
commandant Desplanque, je l'ai nommé général de brigade.
Il se loue aussi du général Salm. J'avais nommé le chef de
bataillon Gougeot, chef de brigade de la IIe légère, sur le
champ de bataille ; ce brave officier est mort de la suite des
blessures qui lui avaient mérité ce nouveau grade.
Le général Rochambeau se loue particulièrement du géné-
ral de brigade Brunet, des adjudants-commandants Lava-
lette et Andrieux, et du citoyen Rey, chef de brigade de la
5e légère. Un aide de camp de ce général, le citoyen Lachatre,
a été tué en escaladant le Fort Dauphin. Je suis très con-
tent du chef d'escadron Bruyère, mon aide de camp, et du
chef d'escadron Michel Bellecour, adjoint à l'état-major
général.
Je suis très content de tous les corps de l'armée, mais par-
ticulièrement des 5e, 11e, 19e légères, et des 31e et 68e de
ligne.
Le général Boudet se loue beaucoup des adjudants com-
mandants Pamphile Lacroix, et Darbois.
Aussitôt que les rapports des différents corps seront par-
venus au général chef de l'état-major général de l' armée, il
vous fera passer un rapport détaillé, il vous fera connaître
les braves à qui j'ai cru devoir décerner des récompenses. Je
vous prierai d'en demander la confirmation au Premier Consul.

— 111 —
Ma position militaire n'est pas mauvaise, comme vous le
voyez, Citoyen Ministre, mais elle le deviendrait si vous ne
veniez promptement à mon secours.
Je vous prie de communiquer sur-le-champ cette lettre
intéressante au Premier Consul.
Venezvite à mon secours, mon cher Decrés, je vous embrasse
LECLERC.
« A ajouter à la fin de la lettre du général en chef au Mi-
« nistre de la Marine ». 1
Ainsi l'armée de Saint-Domingue a en 5 jours de campagne,,
dispersé les principaux rassemblements des ennemis. Elle
s'est emparée d'une grande partie de leurs bagages, et d'une
partie de leur artillerie.
La défection est dans le camp des rebelles. Clervaux,
Laplume, Maurepas, plusieurs autres chefs noirs ou hommes
de couleur sont soumis. Les plantations de la partie du Sud
sont entièrement conservées. Toute la partie espagnole est
entièrement soumise.
Salut et respect,
LECLERC.
XXXVI
Au Quartier Général au Port Républicain,
le 13 Ventôse, (4 mars 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies 2.
Citoyen Ministre,
Depuis la dernière lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire
du Gros Morne, j'ai vu le général Maurepas. Il s'est soumis de
1. Ces deux lignes et celles qui suivent se trouvent sur deux petites
feuilles de papier épinglées à la lettre. Elles sont de la main de Leclerc
comme la dernière phrase : « Venez vite à mon secours, mon cher Decrès,
je vous embrasse ». La lettre fut apportée par le Cisalpin arrivé à Brest
le 20 germinal.
2. Une mention inscrite sur la lettre à sa réception au ministère, indique
que cette lettre fut apportée par la frégate la Fidèle, arrivée à Brest
le 27 Floréal, (16 mai 1802).

— 112 —
bonne foi. Je l'ai renvoyé commander au Port-de-Paix ; sa
présence contribuera beaucoup à faire fleurir l'agriculture
dans cette partie. Je suis revenu le neuf aux Gonaïves ; et
j'ai fait de suite mes dispositions pour poursuivre le général
Toussaint, sur les points où il s'est retiré. Il occupait le quar-
tier des Cahos en arrière du bourg de la Petite Rivière. Il a
débouché de la Coupe à l'Inde dans la partie espagnole. J'ai
fait marcher sur son flanc la division Hardy, qui a ordre de
lui couper toute retraite dans la partie espagnole. La divi-
sion Rochambeau marche sur le quartier des Cahos et delà sur
le Mirebalais. Dans le même moment quinze cents hommes de
la division Boudet sont partis du Port-au-Prince pour se
porter sur le Mirebalais et y arriver en même temps que la
division Rochambeau, pendant que la division Hardy arri-
verait à Los Cahosbas. Par cette marche, je ne laisse aucun
point de retraite à l'ennemi. C'est aujourd'hui qu'il a dû
être attaqué au Mirebalais. Je n'ai encore aucune nouvelle ;
demain ou après, je m'y porterai de ma personne, aussitôt
que j'aurai assuré au Port-au-Prince le service des subsis-
tances, des hôpitaux, et de l'artillerie, ce qui n'est pas chose
facile. Arrivé là, j'enverrai un corps de troupes à la poursuite
de ce qui aurait pu nous échapper, et je ne me regarderai
comme maître de la colonie, que lorsqu'il ne restera plus sur
un seul point un rassemblement de deux cents hommes en
armes.
De retour du Mirebalais, je me porterai dans la partie du
Sud, où tout va bien, mais où ma présence sera très utile pour
attacher définitivement ce pays à la République, et pour
tirer parti de toutes les ressources que l'armée pourra y trouver.
La présence de l'amiral Villaret n'étant plus utile ici, je
lui ai dit qu'il pouvait se rendre à sa destination. Il partira
du 15 au 20 pour les États-Unis. Je garde ici le contre-
amiral Latouche avec sept vaisseaux, douze frégates et trois
corvettes. Je compte sur les frégates du Havre et de Fles-
singue, car je ne saurai trop en avoir ici, Quant aux vaisseaux
ce nombre me suffira.
Faites passer des fonds ici pour l'entretien de la station,



— 113 —
car vous savez la pénurie où je suis pour l'entretien de l'armée
de terre. J'ai déjà fait l'avance de plus de cent mille francs à
l'armée navale, et c'est beaucoup pour moi.
Je ne vous ai point encore entretenu dans mes lettres de la
mauvaise conduite du capitaine Kéringale, commandant le
Duquesne. Cet officier portait à son bord 700 hommes,
2.000 fusils et beaucoup de provisions de tout genre. Il a eu
l'impudeur de demander à relâcher, quoique son vaisseau
ne fut point malade. Il a même demandé à être accompagné.
Sa plus grande avarie est d'avoir touché trois fois sur le Dia-
mant, faute d'avoir pris un pilote en entrant à Cadix. Je n'ai
vu dans sa demande de relâche que la cupidité d'un homme,
qui a calculé qu'il avait à son bord onze officiers supérieurs,
et qu'il gagnerait leur passage, en relâchant le plus près pos-
sible de France. Il a emmené avec lui à Toulon quatre cents
hommes de la IIe légère, deux mille fusils et beaucoup de
provisions. Je demande qu'il soit fait un exemple sévère de
cet officier, et que vous me renvoyiez de suite les soldats et
les fusils.
Ne perdez pas de temps à m'envoyer des renforts en hommes,
des secours en vivres et en argent, surtout des souliers, et à
me faire fournir toutes les demandes, que j'ai eu l'honneur de
vous adresser par mon dernier courrier.
Je vous ferai connaître le résultat de mon expédition du
Mirebalais, aussitôt que j'y aurai été. Vous pouvez assurer
le Premier Consul que ma position militaire ici est aussi belle
qu'elle peut l'être.
J'ai l'honneur de vous saluer
LECLERC.
XXXVII
Au Quartier Général de
,
le 13 Ventôse, (4 mars 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Il faut, Citoyen Ministre, pour conserver Saint-Domingue,
que le Gouvernement m'envoie des vivres, quinze cent mille
LECLERC
8

— 114 —
francs par mois, comme je les lui ai demandés, des effets d'ha-
billement et d'hôpitaux. Si tout cela ne m'arrive pas le plu»
promptement possible, quelques soient les efforts surnaturels
que je fasse, je ne pourrai conserver Saint-Domingue à la
République. Une fois que je l'aurai perdue, calculez quels-
moyens il faudrait pour la reconquérir.
Envoyez-moi dix mille fusils ; envoyez-moi le détache-
ment de la IIe légère, qui est rentré à Toulon sur le Duquesne.
Dites au Gouvernement que ma position est encore bonne
dans ce moment-ci, grâce à la prise de la Crête à Pierrot et
qu'il m'est impossible de me soutenir plus de deux mais avec,
les moyens, que j'ai.
Le chef de l'état-major vous fera passer le détail de toutes
les affaires que nous avons eues dans cette campagne. Il
vous fera connaître les braves que j'ai cru devoir récompenser.
Vous trouverez ci-joint le plan de la Crête à Pierrot.
J'ai F honneur de vous saluer.
LECLERC.
XXXVIII
Au Quartier Général au Port-Républicain,
le 14 Ventôse, (5 mars 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
Vous verrez par le rapport que j'adresse au ministre de la
Marine, que notre position militaire est bonne. Vous verrez
qu'il n'en est pas de même du côté des finances et des vivres.
La confiance renaît. J'ai fait chanter hier un Te Deum, auquel
j'ai assisté avec tout mon état-major. Tous les habitants de
la ville, qui n'ont pu entrer dans l'église, étaient sur mon
passage, et partout j'ai recueilli les témoignages de leur satis-
faction. Mes instructions portent que je recevrai trois évêques
pour l'île de Saint-Domingue. Je désirerai que vous ne m'en
envoyiez qu'un, ayant deux sujets à vous proposer ici.
L'un est le citoyen Mainviel1, qui avait été envoyé précé-
1 Il s'agit de l'abbé Mauviel.

— 115 —
demment par le Directoire en cette qualité, et qui n'a pas
peu contribué à engager le général Clervaux à se soumettre.
L' autre est le citoyen Le Cun, qui avait été envoyé ici comme
préfet des missions par le Saint-Siège. Je ne suis pas content
du citoyen Bénézech. C est un homme à prétentions et un
faiseur d'affaires, Il a déjà eu la sottise et l'impudeur d'an-
noncer plusieurs fois qu'il n'était venu à Saint-Domingue que
pour faire fortune. Je vous prie de m'en débarrasser, car
je prévois que je serai forcé de le renvoyer. J'en ai ici un qui
vaudra beaucoup mieux que lui,, qui est le citoyen Mont-
girault, nommé préfet de la partie espagnole. J'ai dans les
mains presque tous les conseillers de Toussaint ; je les ai
maintenus presque tous dans les places qu'ils occupaient. Je
m en servirai tant que j'en aurai besoin. Toutes vos instruc-
tions seront fidèlement remplies, car elles sont les seules
propres à assurer à la France la possession de Saint-Domingue.
Je suis très content du contre-amiral La Touche,, il est marin
et militaire. Soyez sûr que la station, qui restera ici sous ses
ordres retournera en France bonne. J'ai besoin ici d'un bon
receveur général, envoyez-moi le citoyen Meny. Il a été
mon payeur à 1 armee de Portugal, et j'en ai été extrêmement
content. Envoyez-moi le citoyen Suin, qui était directeur
des domaines nationaux à Rennes. Je le ferai directeur des
Domaines Nationaux à, Saint-Domingue. C'est un honnête
homme, qui me rendra de grands services ici. J'ai bien besoin
d'honnêtes gens. Car je vois que beaucoup de personnes sont
venues à Saint-Domingue pour y ramasser des lingots
Entre mille lettres qui me sont tombées sous les mains du
général Toussaint et qui annoncent son intention bien pro-
noncée d'être indépendant, je vous envoie celle-ci.1 J'en ai
beaucoup datées du 14 pluviôse, adressées aux généraux
Dessaline, Christophe et Maurepas, par le même et qui toutes
1. Cette lettre datée de Saint-Marc, le 20 pluviôse, adressée au général
de brigade Domage, commandant à Jérémie, lui prescrivait de- se défendre
à Jérémie, de lever en masse les cultivateurs et de se méfier des blancs.
Toussaint Louverture y disait avoir donné l'ordre au général Laplume
de brûler la ville des Cayes.

— 116 —
annoncent les mêmes dispositions. Elles sont de trois jours
antérieures à notre entree au Cap, et prouvent très claire-
ment que si je me fusse laissé abuser par les folles protesta-
tions de Toussaint, je n'aurais été qu'un imbécile.
Le général Desfourneaux, que vous m'avez envoyé, est un
ignorant, un bavard, et un homme méprisé dans ce pays-ci.
Si vous ne le rappelez pas sous quelque prétexte honnête, ce
qui me ferait plaisir, je le renverrai.
Le général Humbert s'est déshonoré au Port-de-Paix par
sa conduite lâche. Celui-là je vous le renverrai en France, avec
un rapport sur sa conduite adressé au ministre de la Marine.
Madame Leclerc est dans ce moment-ci au Cap. Elle se
porte assez bien. Les événements désastreux au milieu des-
quels elle s'est trouvée, l'avaient abattue au point de la
rendre malade. Aujourd'hui que tout cela est passé, elle a
pris courage. Votre neveu se porte bien. Il est celui de tous
qui a le mieux supporté la traversée.
Je suis très content de Jérôme 1. Je le ferai naviguer ; je
l'enverrai en croisière, et je lui donnerai des commissions. Il a
tout ce qu'il faut pour faire un excellent officier.
Agréez l'assurance de mon respectueux dévouement, Citoyen
Consul.
LECLERC.
XXXIX
Au Quartier Général de la Crête à Pierrot,
le 4 Germinal (25 mars 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
J'ai l'honneur de vous envoyer mon frère qui vous rendra
un compte exact de ma situation à Saint-Domingue. J'ai
fait une des campagnes les plus pénibles qu'il soit possible de
faire et c'est à la rapidité de mon mouvement que je dois la
position dans laquelle je me trouve.
1. Jérôme Bonaparte.

— 117 —
Je suis un peu indisposé de fatigue. Quand j'aurai rétabli
l' ordre ici, je vous demanderai à, rentrer en France, car ma
santé est bien altérée.
Agréez l'assurance de mon respectueux attachement, Citoyen
Consul.
LECLERC 1.
XL
Au Quartier Général au Port-au-Prince,
le 11 Germinal, (1err avril 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
Immédiatement après la prise de la Crète à Pierrot, j'ai
fait un détachement sur le Mirebalais, que j'occupais faible-
ment. J'ai coupé la retraite à l'ennemi sur les Grands Bois.
Le détachement de cent cinquante hommes que j'y avais
a été culbuté par Dessalines. Ce poste s'était reployé sur
Trianon, qu'il avait conservé. L'arrivée des quatre cents
hommes de la 56e légère, que j'ai envoyés, en a débusqué
Dessaline, qui nous a cédé le Mirebalais et s'est rejeté sur
les Cahos. Je vais faire établir un fortin sur ce point, qui est
un des plus importants de la colonie.
J'ai fait remettre en état la Crête à Pierrot. Je la fais appro-
visionner pour cent cinquante hommes. Ce point me gardera
la plaine de l'Artibonite et le débouché des Cahos.
Le général Hardy en s'en allant dans le nord aura néces-
sairement rencontré et battu le général Toussaint. Ce qui
vous fera juger la position difficile dans laquelle se trouve
ce général, c'est que lors du débarquement du général Boudet
au Port Républicain, ce général avait envoyé un de ses aides
de camp et un officier de marine porter une lettre au com-
mandant de cette place pour l'engager à lui rendre la place.
1. Lettre de la main de Leclerc.

— 118 —
Ces deux officiers oint été arrêtés comme prisonniers et depuis
emmenés par Les rebelles. Vingt lois ils ont été menacés de
la mort. Ils ont été témoins de tous les massacres qui ont été
faits et, le huit, le général Toussaint les a fait venir. Après
avoir beaucoup parlé avec le citoyen Sabès, aide de camp du
général Boudet, en se plaignant de l'ingratitude du Gouver-
nement français à son égard et des mesures que j'avais prises,
qui avaient dévasté la colonie, le général Toussaint lui a dit
que, si je voulais, on pouvait avant deux ans rétablir toute la
colonie. Ensuite il l'a chargé de remettre une lettre au général
Boudet et une autre adressée au général Bonaparte.
Dans la lettre au général Boudet, il se plaint amèrement
de la conduite que j'ai tenue à son égard- Dans celle au Pre-
mier Consul, il m'accuse d'être l'auteur de tous les maux de
de la colonie et proteste de son obéissance à la République, si
on. veut lui envoyer un autre homme que moi. Cette démarche
de sa part me donne le secret de sa faiblesse. J'ai ordonné au
général Boudet de lui renvoyer un de ses neveux, qui est son
aide de camp, qui avait été pris portant des dépêches. Je
lui ai ordonné de lui écrire une lettre assez vague, qui le mît
à même de faire des ouvertures, s'il avait envie de se rendre ;
quoiqu'il n'aie pas sous ses ordres en tout plus de deux mille
deux cents soldats, lion compris deux milliers de cultivateurs,
il peut encore nous faire beaucoup de mal. En conséquence
je suis disposé à faire des sacrifices pour m'en débarrasser,
Toussaint n'est point un homme ordinaire. Il a de la force
de caractère et la tête large. Et s'il eût été comme nous
témoin des événements qui se sont passés en Europe depuis
dix ans, s'il n'eût pas été gâté par les succès qu'il a obtenus
sur les Anglais et qu'il eût eu une idée de la puissance de la
France, ce pays était perdu pour nous sans retour.
Envoyez-moi promptement les forces que je vous ai deman-
dées.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.

— 119 —
XLI
Au Quartier Général de Port-Républicain,
le 11 Germinal, (1er avril 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
Je suis extrêmement mécontent de la manière dont les
expéditions de la Marine se font pour Saint-Domingue. Le
vaisseau le Zélé vient d arriver, il portait 351 hommes appar-
tenant a divers corps de l' armee ; ils sont arrivés ici sans
fusils, sans souliers et sans habits. Il portait en outre 60 mau-
vais garnements et 50 coquines. Il était possible que l'ancien
gouvernement voulut se débarrasser de la crasse de la nation
en l'envoyant dans ses colonies, où il existait un régime assez
fort pour les comprimer ; mais envoyer aujourd'hui cette
espèce de gens à, Saint-Domingue, qui n'a pour habitants
que la lie de la nation française, c'est assurément compro-
mettre l'existence de cette colonie.
Tous les effets d'hôpitaux et d'habillement sont Tentrés au
port de Brest et le préfet maritime écrit qu'ils ne pourront
pas encore partir par le Tourville. Je vous adresse à vous-
même mes plaintes, Citoyen Consul, parce que je suis sûr
qu'il n'entre pas dans vos intentions de sacrifier cette colonie
importante.
Vous m'avez ordonné de favoriser le commerce français.
Vous trouverez ci-joint copie d'un arrêté que j'ai pris pour
remplir vos intentions. Les droits de douane sont aujour-
d'hui la seule ressource qui me reste, à l'exception de quelques
denrées que je peux tirer de la partie du Sud.
Les ministres de la Guerre et de la Marine m'envoient ici
tous les hommes dont ils ne savent que faire et leur donnent
des grades ou des places. C'est certainement faire payer inu-
tilement à l'Etat des frais de passage, parce que je ne suis
pas assez riche ici pour payer des inutiles, ni assez solidement
établi pour ne pas craindre des méchants, et que je serai obligé
de les renvoyer en France.

— 120 —
Voici l'état approximatif des dépenses que je suis obligé
de faire en ce moment :
mon armée d'Européens se compose de :
7.000 sous les drapeaux,
5.000 aux hôpitaux,
et 7.000 de troupes coloniales environ.
19.000
Le moment n'est point encore arrivé de disposer de ces
troupes coloniales à pouvoir compter dessus. Je serai peut-
être encore obligé de les garder deux mois sur le pied où elles
sont. Cela me fait 19.000 hommes à nourrir par jour pour
l'armée de terre.
La station qui restera ici ne peut pas être composée, pen-
dant trois mois encore, de moins de 5 vaisseaux de ligne et
18 frégates ou corvettes ; ce qui me donne encore 5.000 hommes
à, nourrir. Cela me fait 24.000 hommes à nourrir par jour
à 40 sols : 48.000 francs, ce qui donne par mois 1.440.000 francs,
pour cette seule partie.
La marine est entièrement à ma charge actuellement, grâce
aux mauvaises denrées qu'elle a reçues et au peu d'économie
qu'on a mis dans l'emploi des subsistances, mais il régnera
autant d'ordre dans la station qui reste sous mes ordres que
dans l'armée de terre.
J'ai aux hôpitaux, tant de mer que de terre, y compris les
malades des troupes coloniales, 8.000 hommes, à 4 francs par
jour, ce qui me donne, en déduisant les 2 francs déjà comptés
pour leur subsistance 16.000 francs par jour et par conséquent
par mois 480.000 francs.
J'ai à payer, pour la solde et par mois, à cause de la nuée
d'officiers qu'on m'a envoyés de France, et dont je ne puis
encore me débarrasser ; à cause de l'immense quantité d'offi-
ciers noirs que je suis encore obligé de solder ; à cause du
traitement de table que je suis obligé d'accorder aux géné-
raux et aux chefs de corps, sans lequel ils ne pourraient exis-
ter : 800.000 francs, par mois.
Le service des fourrages, calculé pour 1.200 hommes de

— 121 —
cavalerie que je vais avoir dans un mois, moitié européens,
moitié coloniaux, pour 400 mulets d'artillerie, pour 400 che-
vaux d'officiers d'état-major, à 2 francs 50 la ration, me coû-
tera : 5.000 francs par jour, ce qui fait par mois 150.000 francs.
Le service de l'artillerie et du génie me coûtera les six pre-
miers mois : 200.000 francs par mois.
Je ne puis encore vous dire au juste ce que me coûtera le
service de l'administration de la colonie ; mais j'ai de la peine
à croire, qu'avec toute l'économie possible, il puisse me coûter
moins de 300.000 francs par mois.
Les masses des corps de l'armée me coûteront au moins
100.000 francs par mois.
Je n'ai pas encore de donnée exacte sur la dépense de l'ha-
billement, mais je calcule que cette dépense ne peut pas être
moins de 250 francs, par homme et par an, ce qui fait par
mois 416.666 fr. 66 centimes.
Les dépenses extraordinaires doivent se calculer à 100.000
francs, par mois ; le mois dernier, elles m'ont coûté le double.
Les dépenses de la marine peuvent s'évaluer à 100.000 francs,
par mois.
Le traitement de table des officiers de la marine est de
46.000 francs par mois.
J'aurai à dépenser la première année, 4.000.000 de francs,
pour constructions et réparations d'hôpitaux, de casernes,
de magasins à poudre et d'arsenaux. Tous les établissements
de ce genre qui existaient dans la colonie ont été détruits
par le feu ou par la vétusté. Il est impossible de ne pas les
rétablir de suite.
Récapitulation de la dépense par mois :
Nourriture de 24.000 hommes
1.440.000 francs
Entretien de 8.000 malades aux hôpitaux... .
480.000
»
Solde des troupes, traitement de table
800.000
»
Service des fourrages
150.000
»
Service de l'artillerie et du génie
200.000
»
Dépenses administratives de la colonie
300.000
»
Masse des corps de l'armée
100.000
»
Dépenses extraordinaires
100.000
»

— 122 —
Dépenses de la marine
100.000
»
Traitement de table des officiers de marine...
46.000
»
Habillement des troupes
416.666 fr. 66
TOTAL par mois
4.132.666 fr. 66
et par an
49.591.992 francs
Plus pour dépenses de construction et répa-
rations d'hôpitaux, de casernes, d'arsenaux
et magasins à poudre
4.000.000
»
TOTAL annuel
53.591.992
»
Pour pourvoir à ces dépenses, j'ai reçu :
en partant de France
500.000 francs
J'espère tirer de la Havane
2.000.000
»
J'ai trouvé dans les caisses du Sud
1.300.000
»
dans les caisses de la partie espagnole
1.000.000
»
Je peux tirer des ressources de la colonie et
des fermages dans le courant de cette année .
10.000.000
»
TOTAL
14.800.000 francs
J'ai un déficit de
38.791.992 francs
Il faut que vous me les fournissiez, si vous tenez à la con-
servation de Saint-Domingue.
J'avais calculé, avant d'arriver à Saint-Domingue, comme une
grande ressource, de tenir le plus longtemps possible sous le
séquestre les propriétés. Cette ressource est presque nulle
aujourd'hui que la plupart des habitations sont ruinées, et que
le Gouvernement est intéressé à remettre en jouissance tous
les propriétaires, dont les propriétés sont dans un état de
délabrement épouvantable. Il faut que sur ces 38.000.000 de
francs, il me soit fourni :
Savoir 24.000.000 de francs en lettres de change sur Paris
et les places de France les mieux accréditées, et 14.000.000 de
francs en espèces envoyés de France, ou à, prendre sur la
Havane, ce qui vaudrait mieux.
Le tableau de mes besoins n'est point exagéré, Citoyen
Consul ; il m'est impossible de conserver la colonie si vous
ne me fournissez les moyens que je vous demande ; mais avec

— 123 —
ces moyens et 10.000 hommes que j'espère que vous m'en-
verrez d ici à 4 mois, je vous réponds de la propriété de Saint-
Domingue, et j espère que dans un an je pourrai vous deman-
der de me donner un successeur.
Je sais que les ministres de la Guerre et de la Marine vont
crier contre moi à cause des sommes que je demande ; mais
je vous réponds personnellement du bon emploi de cette
somme ; et je vous prie en grâce de ne plus ordonner à aucun
des deux ministres de me faire de fournitures, car elles sont
généralement si mauvaises, que nous avons perdu ici un quart
du biscuit et un tiers du vin des vaisseaux, et que, sur 10.000
paires de souliers fournis en France et embarquées à bord de
l' escadre, 3.000 étaient tellement mauvaises que les soldats
n'en ont même pas voulu comme gratification.
Je vous prie d'agréer, Citoyen Consul, l'assurance de mon
respectueux attachement.
LECLERC.
XLII
Au Quartier Général du Cap Français,
le 19 Germinal (9 avril 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
Leclerc répète exactement sa lettre au Premier Consul (voir
n° XLI ci-dessus), depuis les mots : Voici l'état approximatif...
jusqu'à : Le tableau de mes besoins, et termine ainsi :
Je vous écrirais plus souvent, mais avec le métier que nous
faisons ici, j'ai été indisposé plusieurs fois.
LECLERC.

— 124 —
XLIII
Au Quartier Général du Cap Français,
le 19 Germinal (9 avril 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
J'apprends qu'il se prépare à Brest une expédition pour la
Guadeloupe. Jusqu'à ce que Saint-Domingue soit soumise,
ce qui ne sera véritablement que lorsque j'aurai reçu une
nouvelle expédition de dix mille hommes, je pense que toutes
les forces que la France veut envoyer aux Antilles doivent
être envoyées à Saint-Domingue. Une fois Saint-Domingue
entièrement soumise, il suffira de se présenter à la Guade-
loupe avec des troupes et on y sera reçu de suite.
La saison des pluies est arrivée. Mes troupes sont excédées
de fatigues et de maladies, et je me borne pour ce moment à
garder les plaines du Nord, Plaisance, la presqu'île de l'Ouest,
les Gonaïves, la vallée de l'Artibonite, l'Ouest et le Sud. Les
quartiers de la Grande Rivière, du Dondon, et de la Mar-
melade sont impraticables dans cette saison des pluies. Je
ne pourrais les tenir qu'avec un corps de quatre à cinq mille
hommes. Leur approvisionnement ne pourrait avoir lieu. Ces
corps seraient disséminés sur tant de points différents qu'ils
ne pourraient avoir de communication entre eux, à cause
des ravines, et qu'ils seraient exposés à chaque instant à être
écrasés par des nuées de cultivateurs.
J'apprends aujourd'hui que les bâtiments partis pour la
France ont vendu au Cap une quantité considérable de den-
rées de toute espèce. Je ne suis pas étonné d'après cela qu'ils
m'aient fourni si peu de ressources. Ils se sont remplacés
par du sucre et du café. Vous pourrez vous en convaincre
par les rapports que les préfets maritimes devront vous faire.
Je suis dépourvu de plomb. Il ne m'en reste que cent mil-
liers dans toute la colonie.

— 125 —
J ai fait la demande au Premier Consul, du citoyen Suin,
administrateur des domaines nationaux à Rennes ; j'ai besoin
d'un citoyen probe et instruit pour être à la tête de cette
administration. Je le demande de nouveau.
Je recevrai avec plaisir un bon administrateur des douanes.
Il y avait ici un évêque envoyé par le clergé constitutionnel
de France nommé le citoyen Mainviel. Il me mande qu'il a
été instruit du Concordat. Il m'a envoyé sa démission. Vous
la trouverez ci-jointe. Cet homme m'a rendu les plus grands
services dans la partie espagnole. Je demande qu'il soit nommé
évêque de Santo-Domingo.
Il y a ici un consul américain, qui a été accrédité dans le
temps auprès de Toussaint. Comme je ne connais aucune loi
qui autorise l'existence d'un consul dans la colonie, je vais
lui ordonner de cesser ses fonctions et de quitter le pays sous
quatre jours. Cet homme s'est permis d'écrire aux États-
Unis des lettres propres à nous ôter tout crédit dans ce
pays.
Vous avez chargé, Citoyen Ministre, l'agent de la Répu-
blique aux Etats-Unis de faire des achats de farine pour
nous, et vous avez assigné le paiement de ces farines sur les
produits de la colonie. Qu'est-il arrivé ? C'est que ces farines,
que je paie à Saint-Domingue douze gourdes le tonneau,
seront payées treize gourdes par le citoyen Pichon. Si je ne
les paie pas, je perds mon crédit, et si je les paie je ne sais
comment faire face à la solde de floréal.
Vous jugerez, par l'état ci-joint des dépenses que je suis
obligé de faire pour cette année et par l'état de mes ressources,
combien il est instant que vous veniez à mon secours.
Les vaisseaux le Zélé et le Tour ville ne m'ont pas apporté
huit cents hommes à eux deux. Ces hommes étaient tous nus,
et surtout ceux venus sur le Zélé. Il n'y avait pas un seul
fusil. Il semble que celui qui a été chargé du choix de ces
hommes ait voulu peupler mes hôpitaux ; un tiers y est déjà
entré ; ces hommes étaient généralement malingres. Ces vais-
seaux m'ont apporté en outre quatre cents passagers, dont
les trois quarts, hommes ou femmes, sont au moins inutiles,

— 126 —
et auraient dû passer sur des vaisseaux marchands, s'ils ont
des intérêts dans la colonie.
Je vous renvoie tous les vaisseaux, comme vous le désirez.
J'en garde le moins possible, car je sais ce qu'il en coûte.
La station de la Jamaïque est dans ce moment de vingt-
sept vaisseaux de ligne. Il n'y a que six mille hommes de gar-
nison dans ce moment, mais ils en attendent huit mille d'Eu-
rope.
La station de la Havane est de neuf vaisseaux de ligne.
L'amiral Gravina s'attend à recevoir l'ordre de retourner en
Europe avec cinq.
Le Premier Consul a pris un arrêté portant qu'il partirait
régulièrement de France trois paquebots pour Saint-Domingue.
Malheureusement cet arrêté ne nous est encore connu que
par les journaux. Cette correspondance devient extrêmement
nécessaire, surtout ayant pour voisins les Anglais qui reçoivent
exactement à la Jamaïque un paquebot tous les quinze jours,
1
et dans la situation où se trouve actuellement la colonie.
Quant à moi, Citoyen Ministre, je vous tiendrai exacte-
ment instruit de tout ee qui se passera ici. Je vais m'occuper
de remettre un peu d'ordre ici ; car jusqu'à présent nous avons
marché dans le cahos et au milieu des décombres. J'assurerai
ici tous les services de l'armée et de la marine. Je me rendrai
ensuite dans le Sud et à Santo-Domingo, et après avoir vu
toute l'île de mes propres yeux, je m'occuperai d'organiser
l'administration civile de la colonie sous tous ses rapports.
Je serai un mois dans ce voyage. Je reviendrai passer deux
mois au Cap. Pendant ce temps j'organiserai l'administra-
tion. J'espère qu'à cette époque tous les renforts que je vous
ai demandés en hommes, vivres et argent seront arrivés, et
si la saison des pluies est passée, je rentrerai en campagne, et
j'espère que ce sera la dernière. Mais il n'y a pas un instant à
perdre pour que tout ce que je vous ai demandé me soit
envoyé : et plutôt je le recevrai, plutôt la France recevra les
produits de la colonie.
LECLERC.

— 127 —
XL IV
Au Quartier Général du Cap,
le 29 Germinal (19 avril 1802).
Le Général en Chef au Général de Division BOUDET.
La Guadeloupe vous réclame, Citoyen Général. Dans la
situation actuelle des choses, il est important de profiter des
bonnes dispositions du soi-disant gouvernement et des habi-
tants.
En conséquence vous partirez sur une frégate avec deux
cents hommes de la 56e légère pris également sur chaque
compagnie. Vous pourrez emmener avec vous votre adju-
dant commandant et deux officiers d'état-major.
Avant de toucher à la Guadeloupe, vous toucherez à Marie
Galante où vous prendrez des renseignements du général
Sériziat et de là à la Martinique, où vous en prendrez du général
Lacrosse, auquel vous remettrez la lettre ci-jointe.
J'ai l'avis qu'une expédition commandée par le général
Richepanse va se rendre à la Guadeloupe ; mais, outre que
je suis instruit que les vaisseaux, qui devaient le porter,
n'étaient pas encore tous sortis du port, dans la situation
actuelle de nos négociations avec l'Angleterre qui ne se ter-
minent pas vite, il n'y a pas un jour à perdre pour reprendre
la Guadeloupe, si nous le pouvons ; dans la supposition que
les hostilités recommençassent, combien il serait désavanta-
geux pour nous d'avoir perdu cette île.
Je suis persuadé que vous serez bien reçu dans cette île.
Je ne vous donne que 200 hommes parce que je ne puis vous
en donner 2.000. Votre mission a pour appui l'estime que
vous» avez inspirée dans ce pays.
En arrivant, assurez-vous le plus tôt possible des forts et
de la troupe. Mais ménagez les meneurs. Ne donnez à qui
que ce soit lieu de croire que vous pensez à venger l'injure
de Lacrosse ; enfin tenez-vous en mesure de pouvoir recevoir
dans l'île les renforts que je vous enverrais, ou ceux que j'en-

— 128 —
verrai de Saint-Domingue sur ceux que j'attends moi-même.
Ce sera alors seulement que vous pourrez frapper. Si un géné-
ral venait de France avec ordre de commander, vous lui céde-
riez le commandement. Mais d'après mes dernières dépêches,
j'ai lieu de croire que toutes les troupes destinées pour les
Antilles arriveront à Saint-Domingue d'abord, et ce sera
de là que je vous les ferai passer, d'après votre rapport, que
vous devez m'adresser immédiatement après votre arrivée.
Dans le cas où le Gouvernement aurait envoyé un autre
officier général que vous, pour commander à la Guadeloupe,
faites-le moi savoir et je vous transmettrai des ordres.
Je donne ordre au contre-amiral la Touche de vous fournir
de suite une frégate. Partez et ne perdez pas un instant.
Ne parlez du général Lacrosse ni en bien ni en mal, jusqu'à
nouvel ordre du gouvernement. Il ne doit pas reparaître dans
l'île.
Pour copie conforme 1
Le général en chef,
LECLERC.
XLV
Au Quartier Général du Cap,
le 29 Germinal (19 avril 1802).
Le Général en Chef au Général LACROSSE.
Les circonstances pour l'occupation de la Guadeloupe
m'ont paru, Citoyen Général, tellement importantes, que j'ai
donné l'ordre au général Boudet d'aller y commander. Il est
appelé par le vœu des habitants, et je suis persuadé qu'il y
sera bien reçu. Je ne me permets pas de prononcer sur les
événements qui ont eu lieu dans la colonie. Ce droit appar-
tient au Gouvernement seul : mais, tant que les négociations
de paix ne seront pas terminées, j'ai regardé la Guadeloupe
1. Copie jointe à la lettre au ministre du 18 Floréal, an X.

— 129 —
comme un point trop important pour ne pas m'en assurer la
possession, toutes les fois que j'en trouverai la possibilité.
Je vous salue.
Pour copie conforme 1 :
Le général en chef,
LECLERC.
XLVI
Au Quartier Général du Cap,
le 29 Germinal, An X (19 avril 1802).
Le Général en Chef,
aux Citoyens Pelage, Hypolite Frasau, Enoix et Charles
Cornelet, à la Guadeloupe.
Je ne puis, Citoyens, reconnaître le gouvernement provi-
soire établi à la Guadeloupe puisqu'il n'a été constitué qu'a-
près le renvoi de l'agent envoyé par la France, et pour s'op-
poser à ce qu'il remplisse la mission qui lui avait été délé-
guée par le Gouvernement français. Je sais que vous arti-
culez des griefs contre le général Lacrosse, mais vous n'avez
pas pu vous établir ses juges, sans vous mettre en rébellion
contre la France.
D'un autre côté, j'ai les rapports les plus satisfaisants sur
l'état de la culture de la colonie, sur l'observation exacte des
lois, enfin on m'annonce que la colonie est dans un état satis-
faisant de prospérité, que tous les discours des citoyens et
de ceux qui ont été choisis pour régir la colonie, annoncent
des dispositions de soumission et d'attachement à la Répu-
blique Française.
J'ai reçu vos lettres où vous témoignez le désir d'avoir le
général Boudet pour vous commander.
Dans cet état de choses, étant instruit, d'un côté, de l'arme-
ment qui à l'époque où je vous écris est parti des ports de
France pour se transporter à la Guadeloupe ; de l'autre côté,
étant persuadé de la sincérité des dispositions de soumission
1. Copie jointe à la lettre de Leclerc au ministre du 18 Floréal, an X.
LECLERC
y

— 130 —
à la métropole que vous manifestez, j'ai envoyé à la Guade-
loupe le général Boudet pour en prendre le commandement.
J'aime à croire que vous l'accueillerez comme votre chef,
et que par une soumission prompte, vous lui prouverez votre
dévouement à la République Française.
J'attends son rapport pour fixer mon opinion sur la véri-
table situation de la Guadeloupe. S'il n'y trouve pas soumis-
sion et obéissance, je lui ferai passer de suite des forces.
Je l'envoie avec un seul détachement, parce que j'aime à
croire qu'il ne trouvera que des hommes qui auront été égarés
un moment, mais qu'il n'y trouvera pas de rebelles. S'il en
était autrement, ce que je ne crois pas, la situation actuelle de
Saint-Domingue me fournit les moyens d'ajouter des troupes
à l'expédition partie de Brest et songez alors à. la responsa-
bilité, qui pèserait sur vos têtes.
Pour copie conforme 1 :
Le général en chef,
LECLERC.
XLVII
Au Quartier Général du Cap,
le 1err Floréal (21 avril 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
Je reçois par le Curieux vos dépêches, par lesquelles vous
m'annoncez qu'il serait possible que les hostilités reprissent
avec l'Angleterre. Dans le cas où cette circonstance arrive-
rait, la marine que j'ai ici est trop inférieure à celle des
Anglais, pour que je puisse lutter en ligne contre eux. Elle est
d'ailleurs en trop mauvais état, par rapport au matériel,
pour que je puisse m'en servir beaucoup. Les bâtiments qui
1. Copie jointe à la lettre de Leclerc au ministre du 18 Floréal, an X.
2. Lettre « venue par le Curieux à Brest le 19 Prairial. »

— 131 —
sont partis de France, et qui auraient dû d'après vos ordres
déposer beaucoup d'objets au Cap, n'ont rien laissé. L'amiral
Villaret m a assuré avoir fait sauver les grééments et la mâture
du Desaix. Ils n existent pas. Envoyez-moi, Citoyen Ministre,
le plus tôt possible, un bâtiment chargé de mâtures, cor-
dages, agrès et apparaux.
Toussaint tient encore les montagnes. Il a sous ses ordres
environ quatre mille hommes de troupes coloniales, et une
quantité de cultivateurs armés très considérable. Je vais
d abord m occuper de lui couper toute communication avec
la mer, en balayant le Limbé et l'Accul, points occupés en
force par les rebelles. Quand je l'aurai chassé, je tâcherai de
le resserrer tout à fait au Dondon, à la Marmelade, à la Grande
Rivière, du côté du nord, et du côté de l'ouest, aux Cahos.
Mais il me sera impossible d'entrer de nouveau en campagne,
avant d'avoir reçu les douze mille hommes que je vous ai
demandés.
Je ne pourrai terminer cette guerre, sans occuper en force
après les avoir conquis, les montagnes du Nord, celles de
l'Ouest, et il me faudra toujours en attaquant ces points-là,
continuer à occuper tous ceux que je tiens dans ce moment,
où les cultivateurs commencent à revenir.
Il me faut vingt-cinq mille combattants pour achever la
conquête de Saint-Domingue et la rendre entièrement à la
France.
J'ai dans ce moment douze mille hommes de troupes euro-
péennes, et sept mille de troupes coloniales, sur lesquelles je
suis bien éloigné de compter entièrement. Tant que j'aurai
des succès, elles resteront avec moi, et si j'avais des revers,
elles pourraient bien servir à doubler les moyens de l'ennemi.
J'ai déjà tenté plusieurs fois de faire rendre Toussaint et
tous les généraux ; mais cela a été sans fruit. Je vais m'occu-
per sérieusement de cette affaire. Je crois qu'il existe entre
les chefs des dissensions dont je pourrai tirer parti. Mais quand
bien même, Citoyen Ministre, je réussirais à faire soumettre
ces hommes, je ne pourrai prendre les mesures de rigueur, qui
doivent assurer à la France la propriété de Saint-Domingue

— 132 —
d'une manière fixe, que lorsque j'aurai vingt-cinq mille Euro-
péens présents sous les armes.
Ma subsistance est assurée dans ce moment pour deux
mois. J'ai reçu les treize cent mille francs en traites sur la
Vera Cruz. Je m'en suis servi pour acheter des vivres. Il me
reste en caisse un million environ en espèces. Mais je dois la
solde de germinal à la terre, et je n'ai pas encore payé de
solde à la marine. Jusqu'à présent, je n'ai payé que le traite-
ment de table aux officiers de marine.
Envoyez-moi des fonds, Citoyen Ministre. Quant à la farine,
ne m'en envoyez pas de France; je l'ai ici au même prix que
vous l'achetez à Bordeaux et j'en trouverai avec de l'argent
autant que j'en voudrai, même dans le cas de guerre.
Je vous ai fait connaître, Citoyen Ministre, le difficile de
ma position actuelle. Vous jugez facilement ce qu'elle devien-
drait, si la guerre avait lieu avec les Anglais. Ils infesteraient
nos côtes. Ils ne négligeraient rien pour couper nos commu-
nications par mer, en attaquant, ou en bloquant le Môle. Ils
fourniraient des moyens aux insurgés, qui de leur côté acquère-
raient une nouvelle prépondérance, et qui de la défensive, où
ils sont, chercheraient à prendre l'offensive.
Assurez le Gouvernement français, que quelque difficile
que puisse être ma position, jamais je ne me laisserai abattre
par les événements, que j'ai toujours présent à l'esprit la
conduite de l'armée française à Aboukir, et qu'elle me servira
de guide.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XLVIII
Au Cap, le 13 Floréal (3 mai 1802).
Au nom du Gouvernement français.
Le Général en Chef au Général TOUSSAINT.
Je vois avec plaisir, Citoyen Général, le parti que vous pre-
nez de vous soumettre aux armes de la République ; ceux qui
ont cherché à vous tromper sur les véritables intentions du
Gouvernement Français sont bien coupables. Aujourd'hui, il

— 133 —
ne faut plus nous occuper à rechercher les auteurs des maux
passés ; je ne dois plus m'occuper que des moyens de rendre
le plus promptement possible la colonie à son ancienne splen-
deur. Vous, les généraux et les troupes sous vos ordres, ainsi
que les habitants de cette colonie qui sont avec vous, ne crai-
gnez point que je recherche personne pour sa conduite pas-
sée ; je jette le voile de l'oubli sur tout ce qui a eu lieu à Saint-
Domingue avant mon arrivée. J'imite en cela l'exemple que
le Premier Consul a donné à la France après le 18 brumaire.
Tous ceux qui sont ici ont une nouvelle carrière à parcourir,
et à l'avenir je ne connaîtrai plus ici que de bons et de mau-
vais citoyens. Vos généraux et vos troupes seront employés
et traités comme le reste de mon armée. Quant à vous, vous
désirez du repos ; le repos vous est dû ; quand on a supporté
pendant plusieurs années le fardeau du gouvernement de
Saint-Domingue, je conçois qu'on en ait besoin. Je vous laisse
le maître de vous retirer sur celles de vos habitations qui vous
conviendra le mieux. Je compte assez sur l'attachement que
vous portez à la colonie de Saint-Domingue, pour croire que
vous emploierez les moments de loisir que vous aurez dans
votre retraite, à me communiquer vos vues sur les moyens
propres à faire refleurir dans ce pays l'agriculture et le com-
merce.
Aussitôt que l'état de situation des troupes aux ordres du
général Dessalines me sera parvenu, je ferai connaître mes
intentions sur la position qu'elles doivent occuper.
Vous trouverez à la suite de cette lettre l'arrêté que j'ai
pris pour détruire les dispositions de celui du 28 pluviôse,
qui vous était personnel.
Au Quartier Général du Cap, le 13 floréal an Dix de la Répu-
blique française.
Je vous salue.
Le général en chef,
Signé : LECLERC. 1
1. Le texte de cette lettre a été publié par Pamphile de Lacroix ;
Mémoires..., tome II, p. 184, 2e édit., 1820. Il fut affiché à Saint-Domingue
et plusieurs exemplaires se trouvent dans le dossier de Toussaint Lou-
verture, aux Archives Coloniales.

— 134 —
XLIX
Au Quartier Général du Cap,
le 16 Floréal (6 mai 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
Je vais m'occuper de l'organisation de la partie française
de Saint-Domingue. Voici à peu près les bases d'après les-
quelles j'établirai, eu égard aux localités, l'ordre judiciaire et
l'administration de Saint-Domingue.
Ordre judiciaire. — Il sera établi des tribunaux de lre ins-
tance dans la partie française, avec un tribunal d'appel. Les
tribunaux de lre instance ne seront pas en moindre nombre
que six, ni plus de neuf. Il n'y aura qu'un tribunal d'appel.
Il est impossible de penser à établir des juges de paix dans ce
pays ; j'y suppléerai du mieux que je pourrai.
Je réduirai les tribunaux au moindre nombre possible :
1° pour économiser les frais de justice ;
2° parce qu'il manque ici de sujets.
Je n'établirai pas de tribunal de cassation. J'attendrai à
cet égard de connaître les intentions du Gouvernement.
Administration civile. — Dans toutes les communes de la
colonie la police sera confiée au commandant de la place et
au commandant de gendarmerie. Dans un pays où les hommes
ne peuvent gagner de l'argent que par l'agriculture ou par le
commerce, les fonctions municipales ne seront jamais bien
remplies. Dans un pays en proie aux révolutions depuis dix
ans, l'exécution de la police doit être prompte et ne doit pas
être confiée aux habitants du pays. J'espère atteindre ce
double but par les dispositions que je me propose. Un notaire
dans chaque commune sera chargé de tenir les registres de
l'état-civil.
Culte. — Le culte ne coûtera rien à Saint-Domingue. Si

— 135 —
vous y mettez des évêques, on pourra les établir dans les
communes du Cap et du Port-Républicain. Comme les cures
de ces deux villes rapportent trente à quarante mille francs,
ce revenu suffira aux évêques, qui seront curés de ces com-
munes.
Les curés placés dans les autres paroisses auront de quoi
vivre très honorablement par leur casuel. Les prêtres de ce
pays-ci en général ne valent Tien.
Envoyez-moi vingt prêtres de France pour la partie fran-
çaise, qui soient de braves gens, et bien dévoués au gouver-
nement.
Envoyez-moi pour la partie espagnole douze prêtres fran-
çais pris parmi ceux qui ont été déportés en Espagne. Ils
seront des Espagnols pour les habitants, et nous serviront
comme des Français.
Impôts. — Mon opinion est que tous les impôts à Saint-
Domingue doivent être payés en argent. Mon opinion est
encore qu'aucune perception d'impôts ne doit avoir lieu que
dans les ports principaux de la colonie, ou dans les embar-
cadères. Mais j'ai encore besoin de discuter cette question,
pour avoir une idée fixe sur ces deux points.
Les impôts que je pense pouvoir être établis avec avantage,
sont ceux-ci.
Douanes. — 1° Le droit de douane. Tant que le commerce
français ne fera pas des expéditions plus considérables à Saint-
Domingue, les étrangers continueront à être admis dans les ports.
Ils y paieront des droits de douane considérables. Mais aussitôt
que l'on fermera les ports aux bâtiments étrangers, alors les
douanes fourniront peu de chose parce que le commerce fran-
çais ayant besoin d'être favorisé, il serait à désirer qu'on ne
lui demandât pas de droit d'importation et que le droit d'ex-
portation actuel, qui est de dix pour cent, fût diminué.
Capitation. — Le règlement de culture que j'adopterai
sera à peu de chose près celui de Toussaint, qui est bon. Comme
ce règlement accorde aux cultivateurs le quart du revenu, je

— 136 —
puis exiger de chaque cultivateur une contribution person-
nelle de deux piastres prises sur ce quart.
Imposition sur le revenu des maisons dans les villes. — Les
impôts seront établis en proportion de la location des mai-
sons, et selon les villes où il sera perçu.
Patentes. — Cet impôt rendra quelque chose.
Timbre. — Cet impôt rendra à Saint-Domingue, en y assu-
jettissant tous les engagements du commerce.
Enregistrement. — Je ne crois pas qu'il soit possible d'éta-
blir actuellement cet impôt.
Hypothèques. — Je suis encore indécis si j'établirai cet
impôt. D'un côté, il facilitera les moyens aux propriétaires
dont les affaires sont claires, d'obtenir du commerce des fonds
pour remettre les propriétés en valeur. D'un autre côté, comme
ce nombre est le moindre parmi les propriétaires de la colonie,
il est à craindre que, si le commerce voit la majeure partie
des propriétés grevées d'hypothèques, les propriétaires restent
sans aucun moyen. C'est un impôt qui, je pense, pourra être
avantageusement établi dans un an.
Voilà à peu près en quoi consistent les impôts indirects
que l'on peut établir à, Saint-Domingue.
Impôts directs. — Quant aux impôts directs, on ne pour-
rait en établir que sur les produits de la culture. Sa percep-
tion serait difficile et chère. Il ne me paraît ni politique ni
avantageux de l'établir.
Revenus publics. — Les revenus se composent de biens
séquestrés, qui sont loués en partie, mais mal loués. Je vais
m'occuper d'en tirer quelque parti. Il faut que les propriétés
séquestrées fournissent six mois de leurs revenus au Gouver-
nement. Il faut également que les propriétaires dont les pro-
priétés sont restées intactes viennent au secours du Gou-
vernement.
Je ferai en sorte, Citoyen Ministre, de tirer cette année au
moins six millions de contributions sur les propriétaires, ou
sur le revenu des habitations séquestrées.

— 137 —
Si, sans trop vexer, je peux porter cette somme à neuf mil-
lions, je le ferai. Mais ce sera le plus clair de mes revenus, parce
que je ne pourrai la première année exiger d'impôts dans les
villes brulees, ni sur les cultivateurs des habitations ruinées
par l' incendie, ni sur les habitations elles-mêmes.
2° Les revenus publics se composent de forêts nationales
existantes dans la partie espagnole, et un peu dans la partie
française. Saint-Domingue avec ses forêts peut fournir tout
l'acajou qui se consomme en France et en mettre sur les mar-
ches de l' Europe. L acajou moucheté de Saint-Domingue est
le plus beau connu. Cette île peut fournir tout le gayac néces-
saire pour la marine et beaucoup encore pour l'exportation.
Quant au campêche, il est aussi commun que le chêne de nos
forêts.
3° Le produit des bacs, des postes. Ces revenus seront nuls
cette année. Il faudra même faire des dépenses, pour pouvoir
en jouir les années suivantes.
4° Les amendes, confiscations et bonifications sur les cura-
telles ou successions vacantes.
Règlements sur la culture. — Le règlement fait par le géné-
ral Toussaint est très bon. Il est tellement fort que je n'au-
rais pas osé en proposer un pareil dans les circonstances
actuelles, mais je m'en servirai.
Règlements sur le commerce. — Les meilleurs règlements à
faire pour le commerce sont de lui laisser la plus grande
liberté ; j'ai été assez heureux malgré les circonstances diffi-
ciles où je me suis trouvé, pour ne rien mettre en réquisition
et satisfaire à tous mes engagements ; et cela au moyen de
traites sur le trésor public. Mais il faut, qu'on leur fasse hon-
neur, et jusqu'à ce qu'on sache comment vous les aurez accueil-
lies, il est très difficile d'en placer.
Lorsque je suis arrivé ici, je n'avais pas d'argent, comme
vous le savez bien, je n'avais pas de vivres, comme vous le
savez encore bien. Il existait encore ici des farines en rade. Les
négociants, qui en étaient propriétaires ne voulaient les vendre
que pour de l'argent et en en demandant des prix exorbitants.

— 138 —
On me demandait seize gourdes en argent de ce qui en avait
valu la veille sept ou huit. J'ordonnai que ces denrées seraient
payées un tiers au-dessus de leur valeur de la veille de notre
entrée, et que le paiement s'en ferait un quart comptant et
trois quarts en lettres de change sur France. Cette mesure a
duré environ un mois, mais aussitôt que les deux millions que
j'avais demandés à la Havane me sont arrivés, j'ai ordonné
que nulle transaction n'aurait lieu avec le Gouvernement
que de gré à gré. C'est ce qui se pratique au moins depuis
quarante jours.
Quant au Port-Républicain, tout y a été acheté de gré à
gré. Je n'ai pas voulu donner la moindre inquiétude dans
cette ville qui a été préservée. Si j'en ai agi de la sorte au
Cap, c'est que je n'ai pas pu faire autrement. Mais soyez sans
aucune inquiétude, la meilleure preuve que j'ai traité loyale-
ment le commerce, c'est que tous les jours il m'arrive dans la
colonie sept à huit bâtiments américains.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
L
Au Quartier Général du Cap,
le 16 Floréal, (6 mai 1802).
Au Ministre de la Guerre,
Ce que vous m'écrivez, Citoyen Ministre, relativement au
génie, ne détruit nullement mon assertion que les officiers
supérieurs du génie qui avaient ordre de venir à Saint-
Domingue n'ont point exécuté cet ordre. Je conçois bien qu'ils
auront réclamé contre ma lettre, mais ce n'est pas avec des
mots qu'on détruit des faits. Vous me parlez de trois chefs
de bataillon que j'avais ; c'est parce que je les avais employés
que je savais qu'aucun d'eux n'était propre à commander
l'arme, que je me suis plaint de n'avoir reçu ceux sur les-
quels je pouvais compter. Le citoyen Catoire est arrivé, c'est
un officier que j'aime et que j'estime 1.
1. Arch. Minist. de la Guerre, Copie de lettres du général Leclerc, p. 109.

— 139 —
LI
Au Quartier Général du Cap,
le 16 Floréal, (6 mai 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
On jette feu et flamme contre nous aux États-Unis. On nous
accuse d'être des brigands. Ma réponse pour la France à
ces injures se trouvera dans la correspondance du commerce.
Quant aux États-Unis, ma réponse sera consignée dans une
note, qui sera accompagnée de l'état de toutes les fournitures
faites par les Américains à l'armée, avec la déclaration du
mode de paiement. Cet état sera signé par tous les Américains
qui se trouvent encore ici.
Je ne suis pas content du citoyen Pichon. Sa correspondance
avec moi est inconvenante. Il accueille tous les faux rapports
que la haine répand aux États-Unis sur notre compte. Il me
fait des reproches et se permet de me donner des instructions.
L'amiral Villaret lui avait envoyé la flûte la Nécessité avec
ordre de revenir à Saint-Domingue. Il s'est permis de changer
cette destination et de la renvoyer en France. Le cutter la
Terreur avait été expédié de Brest aux États-Unis. Ce cutter
avait des besoins. Le citoyen Pichon lui a fait faire des répa-
rations par des hommes qu'il a choisis et m'a envoyé pour
cet objet un état de 28.000 francs. Cet état a paru si exagéré
au capitaine du cutter qu'il a refusé de le signer. Le citoyen
Pichon m'a renvoyé le cutter avec son mât cassé. Ces bâti-
ments ne sont pas d'un bon service dans ce pays, attendu
la difficulté de réparer leur mâture quand elle vient à se casser.
Le citoyen Pichon dans toutes ses lettres me parle de mes
torts envers les Américains, et du manquement de parole
du Gouvernement à leur égard. Ce n'est point là l'homme qu'il
faut aux États-Unis pour représenter la Nation française

— 140 —
dans cette circonstance. Le rôle du ministre de la République
aux États-Unis ne peut pas dans le moment actuel être rempli
par un homme médiocre.
L'occupation de la Louisiane sera difficile à leur faire goûter.
Il faut envoyer aux États-Unis un ministre plénipotentiaire,
qui ait une bonne réputation personnelle, qui soit bon fran-
çais, et qui reçoive un traitement suffisant, pour qu'il ne soit
pas dans la misère, comme nos agents dans ce pays l'ont été
jusqu'à présent.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LU
Au Quartier Général du Cap,
le 16 Floréal, (6 mai 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
La nouvelle de la paix est arrivée ici le quatorze. D'après
les dispositions que je vous annonçais dans ma lettre du pre-
mier, j'avais fait occuper le Limbé et j'allais occuper le quar-
tier de l'Accul, afin d'ôter aux rebelles toute communication
dans la partie du Nord, lorsque le général Christophe auprès
duquel je faisais agir depuis quelque temps m'annonça qu'il
était dans l'intention de se soumettre, mais qu'avant il dési-
rait avoir une entrevue avec moi. Ce général avait sous ses
ordres quinze cents hommes de troupes coloniales et quatre
à cinq mille cultivateurs portant les armes. Il occupait les
positions de l'Accul, du Boucan, du Mornet, du Dondon, de
la Grande Rivière, des Cardinaux, de Sainte-Suzanne et du
Camp le Sec. Je lui ai ordonné de se rendre au bourg du Haut
du Cap. Il s'y est rendu ; et après l'assurance que je lui donnai
que nous n'étions pas venus ici pour détruire la liberté, il
me déclara qu'il était prêt à exécuter tous mes ordres. A l'ins-
tant je lui ordonnai de remettre toutes ses positions à nos

— 141 —
troupes, de réunir les siennes pour les porter là où je l'ordon-
nerais, et de renvoyer tous les cultivateurs et habitants qui
s'etaient enfuis avec lui. Il a remis les positions. Je lui ai assigné
la gorge de la Grande Rivière pour l'occuper avec ses troupes.
Les cultivateurs sont en partie rentrés sur les habitations, et
plus de deux mille habitants sont rentrés au Cap.
Deux jours après, le général Toussaint m'envoya son adju-
dant général avec une lettre, qui ne signifiait pas grand'chose,
mais dans laquelle je voyais un désir bien prononcé de se
rendre. Je répondis au général Toussaint que je le recevrais
à soumission, mais que s'il ne se rendait pas promptement
je marcherais sur lui ; qu'au demeurant il eût à m'envoyer
quelqu'un de confiance pour me dire ce qu'il désirait obtenir.
Il me renvoya son secrétaire particulier, avec un de ses aides
de camp, en me faisant dire qu'il désirait avoir le grade de
lieutenant général et un commandement particulier, que cha-
cun de ses généraux reprît le commandement qu'il avait
lors de mon entrée, et qu'il n'eût sous ses ordres que ses troupes.
Je lui répondis qu'il ne serait pas employé, qu'il se retirerait
sur une de ses habitations et qu'il ne pourrait pas en sortir
sans ma permission, que ses généraux seraient employés
ainsi que ses troupes, mais là où je le jugerais convenable,
et de la manière qui me paraîtrait utile : que, quant à lui,
il eut à se rendre auprès de moi au Cap, que je lui donnais ma
parole d'honneur qu'après la conférence il aurait la liberté
de s'en aller où il voudrait : au demeurant, que ses troupes
devaient être toutes réunies et prêtes à exécuter mes ordres
d'ici à quatre jours. Il n'y a que deux jours que je lui ai écrit
cette dernière lettre et la corvette ne partira pas sans en avoir
le résultat. En apprenant hier la nouvelle de la paix, je lui ai
donné l'ordre de faire faire une salve d'artillerie sur toute sa
ligne. L'ordre a été exécuté ce matin.
Si les circonstances me portent quelquefois, Citoyen Ministre,
à paraître m'écarter du but de mes instructions, croyez que
je ne les perds pas de vue, et que je ne cède quelque chose
aux circonstances que pour les maîtriser ensuite et les faire
servir à l'exécution de mon plan.

— 142 —
Comme mes rapports que vous faites imprimer paraissent
ici dans les journaux, il est impolitique d'y rien insérer qui
puisse détruire les idées de liberté et d'égalité, que tout le
monde a ici à, la bouche.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LUI
Au Quartier Général du Cap,
le 16 Floréal, (6 mai 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
Je vous prie de m'envoyer six beaux fusils de chasse, six
belles paires de pistolets et six beaux sabres. Ils me serviront
à faire des cadeaux, soit dans la colonie, soit à l'extérieur.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LIV
Au Quartier Général (lu Cap,
le 16 Floréal, (6 mai 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
La paix ne pouvait pas arriver plus à propos. La marine,
qui est ici, est dans un état de délabrement affligeant. Beau-
coup de bâtiments ont leur coque endommagée, leur mâture
et leur gréement en mauvais état, et je n'ai aucun objet de
rechange en magasin. Je vois dans les rapports de l'amiral
Villaret qu'il a fait sauver la mâture et le gréement du Desaix-
J'ignore ce que ces objets sont devenus ; car ils ne se trouvent
pas dans les magasins. En général la marine ne nous a rien

— 143 —
ou presque rien laissé, et cela n'est point étonnant, car les
vaisseaux étaient très mal armés.
J'ai vu avec peine que l'amiral Villaret a payé deux mois
de solde à la flotte qu'il a ramenée en France. Cela a fait
un mauvais effet sur les bâtiments restant ici, que je n'étais
pas en mesure de payer. Sous quinze jours je ferai partir une
division forte do six ou sept bâtiments de guerre. Elle ira
montrer le pavillon français aux États-Unis. Je la ferai com-
mander par le contre-amiral Magon, auquel je donnerai des
instructions. Cette mesure sera très à propos dans ce moment,
où les Américains témoignent hautement leur mécontente-
ment de ce que Saint-Domingue nous rentre, et plus encore
de ce que la Louisiane nous est cédée. Cette escadre ne fera
que paraître aux États-Unis, et retournera de suite en France.
Cela ne retardera pas son voyage de plus de vingt jours.
Je ne garderai ici que quatre vaisseaux et huit frégates,
ainsi que les corvettes et bricks que je peux avoir. Je désire-
rais que vous m'envoyiez encore quatre corvettes et huit
petits bâtiments portant depuis six jusqu'à quatorze canons.
Ces bâtiments surveilleront le cabotage et tiendront les stations
qui sont en général difficiles pour les gros bâtiments.
Lorsque j'aurai reçu ces petits bâtiments, je pourrai réduire
la station, eu égard au besoin que vous avez de bâtiments
pour le transport des troupes, à trois vaisseaux et six frégates.
Je vous prie de m'envoyer de suite un approvisionnement
en mâture, cordages, voiles et en tous les objets nécessaires
à la marine. Je n'ai pas besoin de bray ni de goudron, j en
tirerai des États-Unis.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.

— 144 —
LV
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Floréal (7 mai 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
Les officiers du génie militaire employés à l'armée de Saint-
Domingue ont cru voir dans ma relation du 20 pluviôse,
où je me plaignais amèrement de ce que des officiers supérieurs
nommés pour servir à cette armée ne s'y étaient pas rendus,
une marque de mécontentement de ma part de leurs services
personnels ; cette idée n'est jamais venue à mon esprit, et à
cette époque je n'aurais pu me prononcer sur leur compte,
parce que n'étant pas encore entré en campagne, je n'avais
pu les juger ni en bien ni en mal. Pendant la campagne, je
n'ai eu qu'à me louer de la manière dont ils ont servi. Un
d'entre eux, le citoyen Robert, a été tué à la Crête à Pierrot
sur les bords du fossé. Un autre, le citoyen Sardin, s'est con-
duit avec la plus grande distinction. J'ai cru devoir l'élever
au grade de chef de bataillon. Quant au citoyen Catoire,
duquel je me suis plaint nominativement, j'ai su apprécier
cet estimable officier à l'armée de Portugal, où il commandait
le génie sous mes ordres. S'il ne s'est pas rendu plutôt à Saint-
Domingue, où il est arrivé le 1er germinal, ce sont les occasions
qui lui ont manqué, et en mon particulier je suis très flatté
qu'il se soit rendu à son poste.
Le ministre de la Guerre m'annonce qu'il a donné ordre au
général de brigade Tholozé de se rendre à Saint-Domingue.
Cet officier d'ailleurs très estimable est peu propre à cause
de son grand âge d'exercer à Saint-Domingue les fonctions
de commandant du génie, qui exigent beaucoup d'activité.
En conséquence, s'il n'était pas parti, je vous prie de contre-
mander son départ. Le citoyen Catoire conserverait le comman-
dement de l'arme du génie.

— 145 —
Je vous prie de croire, Citoyen Ministre, que quand je me
suis plaint de l'arme du génie dans mon rapport, je n'ai point
entendu parler de l'arme elle-même, qui a rendu les services
les plus importants dans toute la guerre que nous avons eu
à soutenir. Le mécontentement ne portait que sur les personnes
citées.
Je vous prie, Citoyen Ministre, de rendre cette lettre publique
par la voie de l'impression.1
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LVI
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Floréal, (7 mai 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul
de la République Française 2.
Citoyen Consul,
Dans mes lettres au ministre de la Marine, je rends compte
au ministre de ma position actuelle. Elle est belle et brillante.
Elle ne sera solide que lorsque vous m'aurez envoyé
12.000 hommes. Je n'ai que 13.000 hommes tout compris
en ce moment. Les troupes arrivées de France ne m'ont pas
donné plus de 19.000 combattants, j'ai 3.500 hommes aux
hôpitaux ; le reste est mort dans les combats ou dans les
hôpitaux. La mortalité est effrayante. Je perds par jour
30 à 50 hommes, j'ai pourtant bien soin de mes troupes. Mes
hôpitaux vont aussi bien qu'ils peuvent aller dans un pays où
je manque d'établissements et d'effets.
Tous les chefs des rebelles se sont soumis. Si je n'exécute
pas encore vos instructions, c'est que le moment n'est pas
arrivé. Je vais incorporer les troupes coloniales dans les miennes.
1. Une note manuscrite mise sur l'un des deux exemplaires de cette
lettre qui se trouvent dans le dossier, indique que le Premier Consul a
décidé que cette lettre ne serait pas publiée.
2. Lettre de la main de Leclerc.
LECLERC
10

— 146 —
Je renverrai à l'agriculture une grande partie des officiers
et des soldats. J'organiserai une bonne gendarmerie, et lorsque
le moment sera arrivé j'agirai, mais il faut que les 12.000
hommes de renfort que je vous demande soient arrivés.
Vous me recommandez de réprimer le brigandage, je le
fais par ma conduite probe. J'ai acquis ici l'estime générale
et sous un mois j'aurai plus de crédit sur les cultivateurs que
Toussaint lui-même.
Je ne suis pas heureux en généraux. Mon aide de camp vous
dira mon opinion sur chacun d'eux.
Je vous prie de défendre qu'on imprime dans les journaux
de France aucunes plaisanteries sur les noirs. Cela nuit ici
à mes opérations.
Je suis mécontent du citoyen Pichon. Il décrédite lui-même
les traites qu'il tire sur la trésorerie, il est à la dévotion du
gouvernement américain. Il croit à toutes les calomnies qu'on
imprime contre nous dans les journaux américains, ne fait
rien pour les démentir. Il m'écrit d'une manière inconvenante.
Il a eu la lâcheté de laisser condamner à 100 piastres d'amende
le capitaine du cutter la Terreur, parce qu'il avait lui-même
arrêté à terre un de ses matelots déserteur. Il n'a point craint
d'approuver un état de dépenses de 28.000 francs pour le
même bâtiment auquel 800 francs auraient suffi. Cet état a
paru si exorbitant au capitaine qu'il a refusé de le signer.
Il faut que vous me fassiez passer ici des fonds ou des traites
sur la Havane. Quelque économie que j'emploie, ma dépense
est très lourde.
Vous avez besoin de vous occuper de la marine, elle est bien
malade. La manière dont on arme les bâtiments en Europe
est abominable. Les vivres donnés aux équipages sont géné-
ralement mauvais, vos capitaines sont en général des marchands.
J'ignore si vous enverrez l'amiral Villaret à, la Martinique
je vous déclare qu'il ne convient nullement à ce commande-
ment. Soyez sûr qu'aussitôt que vous en aurez pris possession,
vous aurez des insurrections à, y apaiser et il est le dernier
homme en état de le faire. Le général Richepanse y conviendra
bien.

— 147 —
Dans mes lettres au ministre de la Marine, j'ai détaillé
les motifs qui m ont décidé à y envoyer le général Boudet.
Je désire que vous les approuviez et je ne doute pas que vous
le fassiez en vous reportant au temps où j'ai donné cet ordre.
Le général Boudet convient pour reprendre l'île. Ce sont ses
amis et ses parents qui ont fait le mouvement. Mais le général
Richepanse ne doit point s'y rendre. C'est un homme qui aime
beaucoup l' argent et d ailleurs il est sans caractère et sans
connaissances.
Je ne m occupe point ici de ma fortune, je ne le pourrais
faire qu au détriment de ma réputation et de ma mission.
Vous avez un moyen de me mettre à mon aise pour toujours.
Concédez-moi à titre de récompense l'île de la Gonave, elle
me donnera 200.000 francs de rente pendant 8 ans par le
produit que je tirerai des bois et après elle ne me donnera plus
grand'chose.
Si ce don n'entre pas dans vos calculs, regardez ma demande
comme non avenue, je n'en servirai pas avec moins de zèle
et de probité. Je suis toujours trop heureux quand j'essaie
de mériter votre considération et quand je vous aurai prouvé
que je pouvais être utile à mon pays.
Croyez, Citoyen Consul, que vous avez en moi le plus grand
admirateur de vos nobles travaux, et que maintenant que je
suis chargé de diriger une machine pénible pour moi, j'apprécie
plus que jamais le dévouement avec lequel vous vous occupez
constamment d'assurer le bonheur de mon pays sans faire
attention aux intrigants qui, jaloux de votre gloire, seraient
écrasés s'ils avaient à supporter un seul jour le fardeau que
vous soutenez glorieusement depuis tant d'années.
Ma santé n'est pas bonne, le climat ne permet pas de tra-
vailler beaucoup, et si je ne travaille pas constamment, je
n arriverai pas au but que je me suis proposé.
Sous six mois, la colonie sera en état, si sous deux ou trois
j'ai reçu les renforts que je vous demande ; alors je profiterai
de la permission que vous m'avez donnée de retourner en
France, lorsque j'aurai fini. Soyez sûr que je ne quitterai que
lorsque tout sera en état. Je ne vois personne plus propre à

— 148 —
me remplacer que le général Rochambeau. C'est un homme
honnête, un bon militaire ; il n'aime pas le noir.
Madame Leclerc se porte bien, elle est au Port Républicain,
elle reviendra sous peu de jours, je l'y ai envoyée parce qu'elle
n'était pas logée ici. Votre neveu se porte bien.
L'activité avec laquelle on répare le Cap est inimaginable.
Vous connaissez ma pensée sur l'amiral Villaret. Le général
Ganthaume vous aura remis ma lettre, il est impossible de
m'avoir plus mal servi qu'il ne l'a fait. C'est un pauvre homme ;
il était bien digne de figurer parmi les fructidoriens.
Recevez l'assurance de mon attachement respectueux,
Citoyen Consul.
LECLERC.
LVII
18 Floréal, (8 mai 1082).
Au Ministre de l'Intérieur.
J'ai l'honneur de vous envoyer un lamentin qui a été pris
dans les parages de Caracole. J'ai cru que ce monstre ne dépare-
rait pas le cabinet d'Histoire naturelle. Il a dix pieds de long-
sur sept à huit de diamètre. C'est le même animal qui dans
Buffon est appelé le petit lamentin des Antilles.
J'ai mangé de sa chair accommodée de toutes les manières.
Il a absolument le même goût que le bœuf.
Mon aide de camp, le citoyen Brugère, a ordre de le déposer
chez le préfet maritime où il abordera.
Je vous prie, Citoyen Ministre, de m'envoyer deux bota-
nistes instruits. Les richesses que possède la colonie de Saint-
Domingue en plantes médicinales sont incalculables. Je vous
prie de m'envoyer un ou deux minéralogistes.
Je vous prie de m'envoyer deux ou trois mécaniciens instruits.
Ils pourront être d'un grand secours dans la colonie pour la
construction des mines 1.
1. Archives du Ministère de la Guerre, Copie de lettres du général
Leclerc, p. 115.

— 149 —
LVIII
Au Quartier Général du Cap,
le 18 Floréal (8 mai 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
Aussitôt la réception de vos dépêches, qui m'annonçaient
la possibilité d'une rupture avec l'Angleterre, j'ai cru devoir
me mettre en mesure sur tous les points. En conséquence,
d'après les dépêches que j'avais reçues des chefs des rebelles
de la Guadeloupe, qui me priaient instamment d'envoyer le
général Boudet pour les commander, j'ai donné au général
Boudet l'ordre d'aller prendre possession de la Guadeloupe.
Vous trouverez ci-joint copie des ordres que j'ai donnés
au général Boudet, de la lettre que j'ai écrite au contre-amiral
Lacrosse, et de ma réponse à la lettre des rebelles.
Voici quels ont été les motifs de ma conduite ; je désire
qu'ils aient l'approbation du gouvernement.
Ou le Gouvernement français, d'après les rapports que je lui
avais envoyés sur ma position, enverrait directement à Saint-
Domingue les secours qu'il destinait pour la Guadeloupe, ou
il les enverrait à la Guadeloupe. Dans le premier cas, je rendais
la Guadeloupe à la France, sans coup férir, d'après les pré-
somptions que j'avais que le général Boudet y serait bien reçu ;
et dans le cas de la guerre avec l'Angleterre, j'étais maître
de ce point important. Dans le second cas j'évitais l'incendie
de la colonie de la Guadeloupe, qui aurait pu avoir lieu, si
on s'y était présenté hostilement ; sans promettre rien aux
chefs des rebelles, je leur fournissais une occasion de réclamer
l'indulgence du Gouvernement français, et je faisais recevoir
les troupes aux ordres du général Richepanse vingt-quatre
heures après leur arrivée à la Guadeloupe. Il lui restait la
faculté d'exécuter à la lettre les instructions du Gouverne-
ment.

— 150 —
Je désire connaître l'opinion du Gouvernement français sur
ma conduite, dans cette circonstance.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LIX
Au Quartier Général du Cap,
le 18 Floréal, (8 mai 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies;.
Citoyen Ministre,
Le général Toussaint s'est rendu ici. Il en est reparti par-
faitement content de moi et prêt à exécuter tous mes ordres.
Je crois qu'il les exécutera,, parce qu'il est persuadé que s'il
ne les exécutait pas, je l' en ferais repentir. Il faut que je lui
aie inspire une grande confiance, puisqu il a couché au quar-
tier général d'un de mes généraux et qu'il n'avait avec lui
que quelques hommes. Je ne perds pas un instant pour rétablir
la tranquillité et n'avoir rien à craindre dans 1a colonie de
qui que ce soit.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LX
Au Quartier Général du Cap,
le 18 Floréal (8 mai 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
Les maladies font des ravages effrayants dans l'armée que
je commande. Vous en serez convaincu, quand vous jetterez
les yeux sur l'état de situation ci-joint de l'armée. Vous verrez,
que l'armée, que vous avez calculé être de vingt mille hommes,

— 151 —
est réduite en ce moment à douze mille, puisque les treize
cents canonniers de marine portés sur mon état ont été débar-
qués, et ne faisaient nullement partie des vingt mille hommes
que vous comptiez que j'avais. J'ai dans ce moment-ci trois
mille six cents hommes aux hôpitaux. Depuis environ quinze
jours, je perds depuis trente' jusqu'à cinquante hommes par
jour dans la eolonie et il n'y a pas de jour où il ne m'entre
de deux cents à deux cent cinquante hommes à l'hôpital,
tandis qu'il n'en sort pas plus de cinquante. Mes hôpitaux
sont encombrés. J'y donne tous mes soins. Mais faites attention,
que je suis arrivé dans une colonie dont les principaux éta-
blissements ont été brûlés, que mes effets d'hôpitaux sont
tous restés en arrière, que les garnisons que j'ai dans les villes
souffrent beaucoup, parce qu'il n'y a pas de casernes, que les
soldats manquent de hamacs, la marine les ayant remportés
presque tous. Si mes hommes tombent malades, ce n'est pas
faute d'être bien nourris, car la composition de la ration est
excellente. Je leur donne du pain qui est très bon. Sur trois
distributions de viande, je leur en donne une de viande fraîche,
une de lard, et une de viande salée. Je leur donne deux onces
de riz et la demi-bouteille de vin par jour. Il est impossible
de mieux nourrir des troupes à Saint-Domingue. Aux hôpitaux
les soldats reçoivent de bons aliments. Les officiers de santé
servent avec beaucoup de zèle. Mais faute d'emplacement et
faute d'effets les malades sont encombrés.
Donnez ordre, Citoyen Ministre, qu'on nous envoie des effets
d'hôpitaux. Car à l'heure où je vous écris, nous n'en avons
pas encore reçu. Cette consommation d'hommes est vraiment
effrayante et on m'assure qu'elle ne fera qu'augmenter.
Pour être maître de Saint-Domingue, j'ai besoin de vingt-
cinq mille Européens sous les armes. Vous voyez que je n'en
ai que la moitié. Il n'y a pas un instant à perdre pour m'en-
voyer des renforts, quelle que soit ma position actuelle.
On m'annonce l'arrivée de troupes dans laquelle se trouve
la 77e. C'est un bien mauvais calcul, que de m'envoyer des
troupes de nouvelle formation. J'ai reçu déjà ici la 71e. Elle
perd deux hommes sur un que perdent les autres demi-brigades.

— 152 —
Vous m'envoyez la 77e. Il en sera de même. Ne m'envoyez
jamais de recrues qui n'aient pas connu les fatigues de la
guerre. Ce serait autant d'hommes perdus. Envoyez-nous
encore cinquante officiers de santé, car il nous en meurt beau-
coup.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXI
ÉTAT DE SITUATION
DE L'ARMÉE DE SAINT-DOMINGUE
Division Hardy :
11e demi-brigade
1.100 hommes
76e
450 »
28e
350


1.200
»
98e
500
»
Division Desfourneaux: 31e demi-brigade
800
s
30e
417
,,
38°.
503
»
Bataillon allemand
617
»
Division Rochambeau : Légion expéditionnaire...
1.100
»
5e légère
685
»
71e de ligne
401
»
79e
398
»
Division Boudet :
68e
500
»
56e
250
»
15e légère
315
»
90e
457
»
Légion de la Loire
750
»
Artillerie de marine
1.300
»
Artillerie
734
»
Sapeurs
131
»
Garde à pied du général en chef
400
»
Garde à cheval du général en chef
450
»
TOTAL
13.808

— 153 —
OBSERVATION. — La partie espagnole est occupée par 300 hommes
de la 11e et 500 de la légion expéditionnaire, compris dans cet
état.
LECLERC.
LXII
Le 19 Floréal, (9 mai 1802).
Au Ministre de la Guerre.
Je renvoie le chef de brigade Langlet, non pas que je sois
mécontent de lui, mais parce que ce brave, eu égard à son
grand âge, est véritablement incapable de supporter les fatigues
du climat. Je vous prie de bien traiter ce militaire respectable
qui compte de longs services.1
LXIII
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Prairial (6 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine
et des Colonies.
Citoyen Ministre,
L'armée de Saint-Domingue vient de perdre le général
Hardy. Ce général avait fait avec beaucoup de distinction
la campagne contre les rebelles. Je vous prie de demander au
Premier Consul l'admission d'un de ses fils au prytanée.
J'ai perdu aussi le général Ledoyen, inspecteur aux revues,
mort par suite du travail excessif auquel il n'a cessé de se
livrer pour mettre en règle la comptabilité de l'armée. Le
général Ledoyen laisse un neveu (Charles-François Mon-
grolle), dont je vous prie de solliciter du Premier Consul
l'admission au prytanée.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
1. Archives du Ministère de la Guerre, B 7 * 26. Copie de lettres du général
Leclerc, p. 119.

— 154 —
LXIV
Au Quartier Général du Cap-Français,
le 17 Prairial (6 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Voici l'état des personnes marquantes que la mort a enlevé
depuis mon dernier courrier.
Le général de division Hardy.
Le général Ledoyen, inspecteur aux revues.
Le général de brigade Clément.
L'adjudant-commandant Perrin.
L'adjudant-commandant Isard.
J'ai perdu le citoyen Desperroux, commissaire de justice ;
je suis embarrassé pour le remplacer ici ; je désirerais que vous
lui envoyiez un successeur de France.
J'ai perdu le citoyen Catoire, chef de brigade du génie,
le citoyen Sardins, chef de bataillon, et cinq autres officiers
de cette arme.
Au moment où je vous écris, beaucoup d'officiers généraux
ou supérieurs sont malades. Sur 16 personnes qui existaient
dans la maison du général Hardy, 13 sont mortes.
Tous les secrétaires du général Ledoyen sont morts avec
lui.
Une association de négociants de Bordeaux était venue s'éta-
blir au Cap. Sept personnes composaient cette maison, toutes
les sept sont mortes en huit jours.
J'ai ordonné au conseil de santé de me faire un rapport
sur cette maladie ; d'après leur rapport, il paraît que cette
maladie est celle qu'on appelle fièvre jaune ou maladie de
Siam ; que cette maladie règne tous les ans dans les Antilles
à l'époque du passage du soleil dans cet hémisphère, mais
qu'elle a au Cap plus d'intensité qu'à l'ordinaire, à cause des
miasmes qui s'exhalent des maisons incendiées.
Cette maladie s'annonce sur quelques personnes par des
signes indicateurs, qui sont ou de légers maux de tête, ou des

— 155 —
douleurs d'entrailles ou le frisson. Chez d'autres, elle les altère
tout d'un coup ; mais on ne cite pas un cinquième de malades
qui aient échappé à la mort.
Cette maladie attaque tout autant celui qui est dans l'ai-
sance et qui se traite bien que ceux auxquels les facultés ne
permettent pas de prendre les soins nécessaires à leur santé.
Je ne vous envoie pas le rapport que le conseil de santé
m'a fait à cet égard, parce que je n'en suis pas content.
Je dois vous dire que la mortalité des autres villes de la
colonie n'est point en proportion de celle du Cap, et que cette
maladie n'est point contagieuse.
Je vous prie de donner des ordres pour qu'il me soit envoyé
cinquante officiers de santé ; la mort en enlève beaucoup.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXV
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Prairial (6 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'ai l'honneur de vous adresser l'état des morts de la 3e décade
de floréal et de la première décade de prairial aux seuls
hôpitaux de la ville du Cap, ce qui fait à peu près le quart
des établissements de la colonie en ce genre. Beaucoup d'offi-
ciers et d'employés, qui sont morts chez eux, ne sont point
compris dans ces états.
Le mois de germinal m'a coûté 1.200 hommes dans les
hôpitaux ; le mois de floréal m'en a coûté 1.800, et je crains
bien que celui-ci ne m'en coûte 2.000 ; cette mortalité durera
encore pendant trois mois.
Je n'ai, au plus, que 10.000 Européens présents sous les
armes, dans ce moment.
Ma position devient tous les jours plus mauvaise, Citoyen
Ministre, par l' abandon où me laisse le Gouvernement.

— 156 —
Quand je suis parti de France, mes instructions portaient
que je recevrais, chaque mois, des renforts de 2 et 3.000 hommes.
Il y a six mois que je suis parti de Brest, et je n'ai encore reçu
que 700 hommes de renfort, encore me manque-t-il 500 hommes
de la 11e, et autant de la 28e légère, et j'ai envoyé 200 hommes
à la Guadeloupe, ce qui fait un déficit de 1.200 hommes rem-
placés par 700.
J'ai calculé mes opérations, Citoyen Ministre, sur les secours
que vous deviez m'envoyer. Je me suis trompé. Chaque jour
les noirs reprennent de l'audace. Je ne suis pas assez fort pour
ordonner le désarmement ni les mesures nécessaires. Si la
guerre recommence ici, ce qui est possible, ce ne sera pas ma
faute, à moi qui ai fait plus que mes forces physiques ne me
permettaient ; ce sera la faute du Gouvernement qui ne sera
pas venu à mon secours. Quant à moi, je continuerai à servir
toujours avec le même zèle, mais je ne puis pas répondre de
réussir toujours.
Vous m'annoncez des troupes de Brest et de Toulon. J'in-
terroge les bâtiments arrivant de ces ports, et rien n'est prêt.
Les effets d'hôpitaux de l'armée sont encore à Brest, et je
n'ai pas même la nouvelle de leur départ.
Je vous ai fait connaître mes besoins en argent, et vous ne
m'annoncez rien.
Ne croyez point, Citoyen Ministre, si j'écris de cette manière,
que je voie ma position en noir ; mais, comme je sais l'impor-
tance de Saint-Domingue pour la France, je vois avec chagrin
que depuis deux mois je suis dans l'impossibilité de rien faire
faute de troupes, et sachez que ne pas faire ici c'est mal faire.
Si depuis deux mois j'avais reçu les renforts que je devais
recevoir, à présent Saint-Domingue serait à nous.
Chaque jour que vous retardez l'arrivée des renforts à
Saint-Domingue, vous retardez la restauration de la colonie,
et vous compromettez sa possession pour la République.
Ce n'est pas 3.000 hommes qu'il faut m'envoyer ici, c'est
10.000 hommes qu'il me faut à la fois, pour atterrer tous les
rebelles.
Vous pouvez d'ailleurs faire passer par Saint-Domingue

— 157 —
toutes les troupes destinées à occuper les Antilles, je les enverrai
à leur destination, aussitôt que je n'en aurai plus besoin.
Il faut m'envoyer de l'argent. Je vous ai fait connaître
l'état de mes besoins.
Vous m'avez annoncé des effets d'habillement, je n'ai
rien reçu.
Je n'ai point pu vous écrire par la Vertu. J'étais malade.
Aujourd'hui je me porte un peu mieux, mais ma santé est
extrêmement affaiblie, et en supposant que la mort me res-
pecte, il n'en est pas moins vrai que je traînerai ici une exis-
tence languissante. Il faut que le Gouvernement pense à
m'envoyer ici un successeur. Différentes raisons s'opposent à
ce que les généraux qui sont sous mes ordres puissent me rem-
placer avantageusement ici pour la République.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXVI
Au Quartier Général du Cap-Français,
le 17 Prairial (6 juin 1802).,
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je vois par votre correspondance que votre intention est
de proposer au Premier Consul un règlement sur la solde et le
traitement de l'armée à Saint-Domingue. Mon opinion est
que l'armée ne saurait être trop bien nourrie dans un climat
où le pays est aussi malsain ; en conséquence j'ai composé
les rations de la manière suivante : 24 onces de pain ou 18 onces
de biscuit.
Sur trois distributions de viande, une de 8 onces de viande
fraîche, une de bœuf salé de 6 onces, et une de lard salé de
6 onces, 2 onces de riz, une demi-bouteille de vin. Cette
ration ainsi composée me coûtera 1 f- 10s environ.
Les employés de mon administration sont des fripons ;

— 158 —
pour me débarrasser de leur brigandage, je ne vois pas d'autre
moyen que de donner à l'entreprise le service des vivres ;
à dater du premier vendémiaire, je ne manquerai pas ici
d'hommes qui entreprendront.
Il est impossible que l'officier puisse exister avec sa solde
et ses rations ; je m'en suis tellement convaincu, que j'ai
arrêté, pour le favoriser, que ses rations lui seraient remboursées
à raison de 2 f. 10 s. chacune.
Le service des hôpitaux va très mal, et, à cet égard, j'ai
à me plaindre de la Marine de Brest, qui a les effets d'hôpitaux
destinés à mon armée et qui ne me les a pas encore envoyés.
Je vais aussi donner ce service à l'entreprise, à dater du premier
vendémiaire. Je pense que je trouverai des entrepreneurs à
raison de 3 francs pour le soldat, et 6 francs pour l'officier.
Vous me parlez, Citoyen Ministre, de ne point accorder de
rations multiples ; je sens comme vous combien cela serait
avantageux pour l'Etat, mais pour ne point accorder ces
rations, il faudrait avoir assez de troupes pour ne garder de
troupes coloniales que ce qui est convenable, et je vous ai
marqué que je n'étais pas dans cette position. Il y a ici 15 épau-
letiers par paroisse que je suis obligé de garder encore. L'aban-
don dans lequel vous me laissez est cause que je suis dans une
situation aussi onéreuse que l'état de guerre, et qui est bien
loin de ressembler à celui de paix.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXVII
Au Quartier Général du Cap.
le 17 Prairial (6 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'ai l'honneur de vous adresser une copie de la lettre que
j'écris au citoyen Pichon. J'ai demandé au ministre des Rela-

— 159 —
tions extérieures son remplacement ; j'en ai déduit les motifs
dans la lettre que je lui «Gris.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXVIII
Au Quartier Général du Cap-Français,
le 17 Prairial, (6 juin 1802).
Le Général en Chef au Citoyen Pichon,
Commissaire général des relations
extérieures aux États-Unis.
Je vous préviens, Citoyen, que j'ai écrit au Gouvernement
français que je ne voulais plus correspondre avec vous. Si
vous vous donnez la peine de relire vos lettres, dans lesquelles
vous ne cessez d'accréditer les bruits calomnieux répandus
par les Américains sur l'armée de Saint-Domingue, et si vous
réfléchissez au ton peu décent de votre correspondance avec
moi, vous ne serez point étonné de cette disposition.
J'envoie au ministre de la Marine copie de la lettre que je
vous écris.
LECLERC.
LXIX
Au Quartier Général du Cap-Français,
le 17 Prairial (6 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je vous renvoie la nomination de l'amiral Villaret à la place
de capitaine général de la Martinique.
J'ai été bien étonné de voir dans les journaux les relations
1. Jointe à la lettre du 17 Prairial au ministre de la Marine.

— 160 —
que l'amiral Villaret vous a adressées sur l'expédition de Saint-
Domingue, et je n'ai point été le seul. La vérité est que du
moment où l'armée a mis pied à terre, l'amiral n'avait rien
à ordonner et qu'il est resté à son bord.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXX
Le 17 Prairial, (6 juin 1802).
Au Préfet Maritime de Brest.
Vous m'annoncez à plusieurs reprises, Citoyen Préfet, les
effets d'hôpitaux de l'armée, rien ne m'est encore arrivé.
Je vous prie de donner des ordres pour qu'il soit frété un
bâtiment pour me les envoyer de suite. La mortalité est
effrayante, les moyens sont nuls.
Je vous ferai passer incessamment un reçu du payeur-général
à. Saint-Domingue pour une somme égale à celle dont je suis
débiteur à Brest et je vous prierai de terminer ce compte.
J'ai reçu deux sabres et un fusil d'honneur pour la 5e demi-
brigade légère.
Je me plains amèrement au Gouvernement de ce qu'il
n'envoye pas les troupes qu'il m'avait promises. Pour peu
que le Gouvernement continue à envisager ma position avec
indifférence, comme il le paraît par le peu de renforts que j'ai
reçus, ma position très bonne deviendra mauvaise.1
LXXI
Le 17 Prairial, (6 juin 1802).
Au Ministre du Trésor public.
J'ai reçu la lettre où vous témoignez le désir de séparer
la place de payeur de la colonie d'avec celui de l'armée. Je ne
1. Arch. du Ministère de la Guerre, B 7 * 26, Copie de lettres du général
Leclerc, p. 99.

— 161 —
vois pas la nécessité d'avoir deux payeurs. Un seul suffit dans
ce moment et j ai pensé que cet unique payeur devait être
le citoyen Lonchamp parce qu'il a ma confiance. Je ne connais
pas le citoyen Bizouard, mais il jouit d'une assez bonne répu-
tation dans la colonie.
J ai demandé au Premier Consul qu'il m'envoyât le citoyen
Mesny comme receveur général. Je vous prie de me l'envoyer
de suite, car le citoyen Bizouard ayant donné sa démission
je ne puis pas le charger de ce service. Jusqu'à présent il
ne m'a pas été possible d'établir dans les recettes et dépenses
tout l'ordre désirable, mais à compter du 1er messidor aucun
payement ne sera plus fait qu'en vertu de crédit ouvert. On
travaille dans ce moment à régulariser la comptabilité depuis
l'arrivée de l'armée à Saint-Domingue.
Vous me parlez, Citoyen Ministre, d'ordre dans votre lettre,
mais vous ne me parlez point de fonds, j'en ai pourtant bien
besoin 1.
LXXII
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Prairial, (6 juin 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul de
la République Française.
Citoyen Consul,
Ma position devient plus mauvaise de jour en jour. Les mala-
dies m'enlèvent des hommes. Je vous prie de vous faire repré-
senter la lettre que j'écris à cet égard au ministre de la Marine.
Toussaint est de mauvaise foi, comme je m'y étais bien
attendu ; mais j'ai retiré de sa soumission le but que j'en atten-
dais, qui était de détacher de lui Dessalines et Christophe
avec leurs troupes.
Je vais ordonner son arrestation et je crois pouvoir compter
assez sur Dessalines, de l'esprit duquel je me suis rendu maître
1. Arch. du Ministère de la Guerre, B 7 * 26. Copie de lettres du général
Leclerc, p. 99.
LECLERC
1 1

— 162 —
pour le charger d'aller arrêter Toussaint. Je crois ne pas le
manquer, mais si je venais à le manquer, je le ferais poursuivre
par Christophe et Dessalines. La saison ne nous permet pas
de faire la guerre avec les Européens, et je pourrai me servir
encore des noirs avec avantage. Ce qui me fait prendre cette
résolution, Citoyen Consul, c'est que j'ai besoin de relever
dans la colonie l'idée de mes forces par quelqu'acte de vigueur.
Je le soutiendrai bien dans le premier moment, mais si je
n'ai pas reçu des renforts ma position deviendrait mauvaise.
Je compte, aussitôt que j'aurai reçu 4.000 hommes que je
ferai passer pour 6.000, faire opérer le désarmement des culti-
vateurs par les généraux noirs. Ces mesures sont toujours
subordonnées à celles que je serai obligé de prendre, soit après
l'arrestation de Toussaint, soit après l'avoir manqué.
Ne soyez pas étonné si je dis qu'il soit possible qu'il soit
manqué. Depuis 15 jours cet homme est extrêmement méfiant.
Ce n'est point que j'aie donné de prise à, sa méfiance, mais il
regrette le pouvoir et ses regrets s'exhalent fréquemment et
lui font naître l'idée de renouveler son parti.
Par la conduite que j'ai tenue à l'égard des siens, il lui
restera fort peu de partisans. Aussitôt que je me serai assuré
de sa personne, je le ferai partir pour la Corse et je donnerai
ordre qu'il soit enfermé dans un des châteaux de cette île.
C'est là que j'enverrai une grande partie de ceux dont je vou-
drai me défaire. J'en fais partir aujourd'hui une cinquantaine
sur la Muiron. J'écris au citoyen Miot qu'il peut les employer
aux travaux publics. Je n'envoie que les hommes qui peuvent
être dangereux à la colonie.
Je suis très mécontent des relations de l'amiral Villaret.
Comment se peut-il qu'un homme qui s'est si mal conduit
ici, puisse faire des relations aussi pompeuses dans lesquelles
il a l'air d'avoir tout fait ?
L'amiral Villaret n'est certainement pas propre, par la
faiblesse de son caractère, à aller commander à la Martinique,
où il y aura des révoltes. Vous aurez occasion de vous en con-
vaincre, Citoyen Consul.
J'ai perdu le général Hardy. C'était un officier très médiocre



— 163 —
et qui ne pensait qu'à l'argent, mais comme il n'a pas eu
beaucoup le temps d'en faire, je demande une place au pry-
tanée pour l'un de ses enfants.
J'ai perdu le général Ledoyen, inspecteur aux revues.
C'était un brave homme. Il laisse un neveu pour lequel je
demande au ministre de la Marine une place au prytanée.
J'ai perdu le général de brigade Clément. Je n'ai pas eu
le temps de le connaître.
J'ai perdu le citoyen Catoire, commandant du génie ; c'était
un brave homme, mais peu actif.
On m'annonce le général de brigade Tholozé. C'est un
vieillard de 64 ans, qui est peu propre au service de Saint-
Domingue. Que ne m'envoie-t-on le général Bertrand et des
officiers de génie qui aient fait la campagne d'Égypte ? Presque
tous ceux que j'ai ici n'ont pas fait la guerre. Comme tout se
fait par cabale dans cette arme, je sais que le comité du génie
n'a pas voulu que le général Bertrand vint ici, moi je vous
le demande.
J'ai perdu les adjudants commandants Perrin et Izard.
J'ai perdu le citoyen Tourné que vous m'aviez donné et
deux autres de mes aides de camp.
C'est au milieu de ces ravages de la mort que le ministre
de la Guerre refuse de confirmer quelques nominations que
j'ai faites de commissaires des guerres ou d'inspecteur aux
revues. Je suis bien forcé de nommer aux emplois quand
ceux qui les remplissent meurent.
Le ministre m'envoie, en officiers, le rebut de l'armée fran-
çaise, il m'en a envoyé plus de 150. Je m'en suis déjà plaint
à lui, mais il continue toujours. C'est une très bonne manière,
pour lui, de se débarrasser des traitements de réforme, mais
c'en est une très mauvaise pour la colonie. Comment peut-on
penser à envoyer des hommes qui ont été renvoyés de leur
corps par défaut de moralité ou de capacité, pour être employés
comme commandants de place ou officiers de gendarmerie,
dans un pays où on ne connaît pas d'autre dieu que l'argent.
Je vous prie de donner des ordres, Citoyen Consul, pour
que dix mille hommes me soient envoyés de suite.

— 164 —
Ma santé a été très chancelante ; elle est un peu meilleure,
mais le climat m'est extrêmement contraire. Tout ce que je
désire, c'est de pouvoir y rester jusque vers le mois de ventôse
prochain. J'espère, à cette époque, avoir assez avancé mon
ouvrage pour le laisser à mon successeur sans aucune inquié-
tude. Je vous prierai, Citoyen Consul, si cela ne contrarie
pas vos vues de m'envoyer les généraux Béliard et Reignier ;
ils serviraient à remplacer les généraux Desfourneaux et
Rochambeau qui, tous les deux, ayant servi dans la colonie
avant moi, ne sont pas propres à y faire le bien. Je suis très
content, sous le point de vue militaire, du général Rocham-
beau. Il est impossible de voir un homme plus nul et ayant
moins de capacité que le général Desfourneaux qui, d'ailleurs,
est animé des meilleures intentions.
J'ai écrit au ministre des Relations extérieures pour le
prévenir qu'il m'était impossible de correspondre avec le
citoyen Pichon. C'est un fripon qui se fait donner de l'argent
par chaque marché qu'il passe pour le service de l'armée et
j'ai été obligé de déclarer que je n'en reconnaîtrais plus aucun.
C'est un misérable qui accrédite tous les bruits calomnieux
qui ont été répandus contre l'armée de Saint-Domingue. Sa
correspondance avec moi est on ne peut plus indécente. Vous
pouvez vous faire représenter la lettre que j'écris à son sujet
au ministre des Relations extérieures, où je demande son
changement, parce que jamais un pareil homme ne fera consi-
dérer la nation française.
Le commissaire de justice Desperroux vient de mourir.
Le citoyen Bénézech est malade, mais il s'en tirera.
Croyez, Citoyen Consul, que si je vous demande des
récompenses pour l'armée de Saint-Domingue, elle les a
méritées de toutes les manières. Malgré les ravages que
la mort a fait ici, il n'y a pas de découragement dans
l'armée.
Le général Richepanse est maître de la Guadeloupe. Le
général Magon est chargé, de ma part, de vous remettre cette
lettre. Il connaît un peu la colonie, et pourra répondre aux
questions que vous lui ferez.

— 165 —
Je vous prie d'agréer l'assurance du respectueux attache-
ment avec lequel je suis, Citoyen Consul,
LECLERC.
P• S.1
Citoyen Consul, votre sœur et votre neveu se portent
bien. Ils sont à, la Tortue. Demain je commence l'organisation
de la colonie, mais je serai obligé de le faire un peu à la hus-
sarde. Je ne ferai qu'un provisoire dont je serai le premier
à vous indiquer les vices que j'aurai reconnus, mais je n'ai
pas assez de temps pour travailler et je ne puis laisser plus
longtemps la colonie dans l'anarchie.
LECLERC.
LXXIII
Au Quartier Général du Cap,
le 18 Prairial (7 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je suis dans ce moment sans argent. J'avais compté sur
dix-huit cent mille francs que j'avais demandés à, la Havane.
J'apprends à l'instant qu'on me les refuse. Je n'ai pas
500.000 francs à ma disposition, et je ne sais comment faire
pour mon service courant. Je vous prie de ne pas perdre de
vue ma position critique.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXIV
Au Quartier Général du Cap,
le 18 Prairial (7 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'ai reçu les brevets d'honneur accordés par le Premier
Consul aux citoyens Allard, capitaine, Sarlat, lieutenant, et
1. Post-scriptum de la main de Leclerc.

— 166 —
Ricard, caporal à la 5e légère ; mais je n'ai pas reçu celui que
vous m'annonciez par votre lettre du 27 ventôse pour le citoyen
Rapatel, aide de camp du général Brunet. Je vous prie de me
l'adresser.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXV
Au Quartier Général du Cap,
le 19 Prairial (8 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine,
Citoyen Ministre,
La colonie vient de perdre le citoyen Desperroux, commissaire
de justice. Le général Magon désire que cette place soit donnée
à son frère qui a rempli anciennement des places de magistra-
ture. Je saisirai avec plaisir cette occasion de faire ce qui sera
agréable au général Magon si son frère réunit d'ailleurs les
qualités nécessaires pour occuper cette place importante.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXVI
Au Quartier Général du Cap,
le 22 Prairial (11 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Si le Premier Consul veut avoir une armée à Saint-Domingue,
au mois d'octobre, il faut qu'il la fasse partir des ports de
France, car les ravages de la maladie sont ici au delà de toute
expression. Les pertes que nous faisons en officiers et employés
d'administration, sont hors de toute proportion avec celles
que la troupe éprouve. Il ne se passe pas un jour sans qu'on
ne m'annonce la mort de quelqu'un dont je doive regretter
amèrement la perte.

— 167 —
Je suis dans ce moment occupé à donner une organisation
à la colonie. Avant que ce travail fut commencé, j'ai perdu
le commissaire de justice, le citoyen Desperroux, qui n'a laissé
que des notes très imparfaites sur les bases dont j'étais convenu
avec lui. Je n ai ici personne qui puisse le remplacer. Envoyez-
moi un commissaire de justice. Le général Magon m'a parlé
en faveur de son frère, qui était conseiller au parlement de
Rennes. Si les renseignements qui vous seront fournis par
le ministre de la Justice lui sont favorables, je vous prie de
me l'envoyer.
Je suis à la veille de faire encore une perte plus sensible.
On m'annonce que le citoyen Bénézech ne passera pas la jour-
née. Ce magistrat estimable, qui gagne beaucoup à être connu,
me manque au moment où j'organisais l'administration de
la colonie.
Sa perte est fâcheuse pour moi : dans ce moment, elle va
me donner un sucroît de travail dont je n'ai pas besoin. L'homme
ne peut pas beaucoup travailler ici sans exposer ses jours.
Depuis que je suis dans ce pays, j'ai été plusieurs fois très bas,
pour avoir trop travaillé. Il faut que le Gouvernement pense
sérieusement à m'envoyer un successeur. Il est de toute impos-
sibilité que je puisse rester ici plus de six mois. Je compte
à cette époque remettre la colonie débarrassée de l'état de
guerre à celui qui sera désigné pour me remplacer. Ma santé
est si pitoyable que je m'estimerai très heureux si je puis
gagner ce temps.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXVII
Au Quartier Général du Cap,
le 22 Prairial (11 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Il faut que vous m'envoyiez quatre-vingts officiers de santé.
La maladie emporte tous les miens ; mais envoyez-moi des

— 168 —
officiers de santé courageux, qui aient fait le service dans
les colonies, ou qui, au moins, aient servi constamment aux
armées.
Voilà plus de 25 officiers d'artillerie que je perds. Le général
commandant l'artillerie m'a prévenu ce matin qu'à défaut
d'officiers d'artillerie présentement au Cap, il a été obligé
de prendre un officier du train pour porter des ordres. Il faut
m'envoyer 40 officiers de cette arme.
Quant aux officiers du génie, il y en a beaucoup de morts,
et le reste est au lit.
Vous voyez que les demandes que je vous faisais n'étaient
pas exagérées. Envoyez-moi le général Bertrand pour com-
mander le génie ; ce général s'est acclimaté en Égypte.
Indépendamment des officiers dont je vous ai annoncé la
mort dans ma dernière lettre du 19, je viens de perdre l'adju-
dant-commandant Dampierre, que j'avais nommé général de
brigade, l'adjudant-commandant Gravet, et, au moment où
je vous parle, il est probable que le citoyen Bénézech n'existe
plus.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXVIII
Au Quartier Général du Cap,
le 22 Prairial (11 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je vous ai instruit par une de mes dernières dépêches du
pardon que j'avais bien voulu accorder au général Toussaint.
Cet homme ambitieux, depuis le moment que je lui ai par-
donné, n'a cessé de conspirer sourdement. S'il s'était rendu,
c'est que les généraux Christophe et Dessalines lui avaient
signifié qu'ils voyaient bien qu'il les avait trompés et qu'ils
étaient décidés à ne plus faire la guerre ; mais se voyant
abandonné d'eux, il cherchait à organiser parmi les cultiva-

— 169 —
teurs une insurrection pour les faire lever en masse. Les rap-
ports, qui me sont parvenus, par tous les généraux, même de
la part du général Dessalines, sur la conduite qu'il a tenue
depuis sa soumission, ne me laissent aucun doute à cet égard.
J'ai intercepté des lettres qu'il écrivait à un nommé Fontaine
qui était son agent au Cap. Ces lettres prouvent sans réplique
qu'il conspirait et voulait reprendre son ancienne influence
dans la colonie. Il attendait l'effet des maladies sur l'armée.
Dans ces circonstances, je n'ai point dû lui laisser le temps
de consommer des projets criminels. J'ai ordonné de le faire
arrêter ; la chose n'était pas facile, cependant elle a réussi,
par les bonnes dispositions du général de division Brunet que
j'en avais chargé, et par le zèle et le dévouement du citoyen
Ferrari, mon aide de camp, chef d'escadron.
J'envoie en France, avec toute sa famille, cet homme si1
profondément perfide, qui avec tant d'hypocrisie nous a fait
tant de mal. Le Gouvernement verra ce qu'il doit en faire.
L'arrestation du général Toussaint a produit des rassem-
blements. Deux chefs d'insurgés sont déjà arrêtés. J'ai ordonné
de les faire fusiller.
J'ai ôté aux noirs leur point de rassemblement, mais je
suis bien faible et ce n'est que par une force morale extraordi-
naire que je supplée à mes forces physiques. De grâce, envoyez-
moi des forces. Sans cela je ne puis entreprendre le désarme-
ment, je ne suis pas maître de la colonie.
Envoyez-moi de l'argent. Je suis dans une pénurie extrême.
Faites quelque chose pour nous, et ne nous laissez pas
dans l'abandon comme vous l'avez fait jusqu'à présent. C'est,
je vous l'avoue, le seul motif de dégoût que je rencontre dans
l'entreprise difficile dont je suis chargé.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
1. Les mots suivants ont été raturés : « dangereux à Saint-Domingue.
Il faut, Citoyen Ministre, que le gouvernement le fasse mettre dans une
place forte située au milieu de la France, afin que jamais il ne puisse
avoir aucun moyen de s'échapper et de revenir à Saint-Domingue où
il a toute l'influence d'un chef de secte. Si dans trois ans cet homme
reparaissait à Saint-Domingue, peut-être détruirait-il tout ce que la
France y aurait fait. »

— 170 —
p S.1 — Une centaine de ses principaux affidés ont été
arrêtés, j'en envoie une partie sur la frelate la
on. qui
a ordrede se rendre dans la Méditerranée. Le reste a été
réparti sur les différents vaisseaux de l'escadre.
Je m'occupe tous les jours à réorganiser le moins mal pos-
sible la colonie, mais l'excessive chaleur et les maladies qui
nous affligent rendent le travail extrêmement pénible. J'at-
tends avec impatience le mois de septembre où la saison nous
Tendra toute notre activité.
Le départ de Toussaint a causé une joie générale au Cap.
Le commissaire de justice Despcroux est mort ; le préfet
colonial Bénézech est à, l'agonie ; l'adjudant-commandant
Dampierre est mort ; ce jeune officier promettait beaucoup.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
Nous perdons beaucoup d'officiers de santé.
LXXIX
22 Prairial, An X (11 juin 1802).
Au Ministre de la Marine.
La division du général Magon est partie le 19. Elle a ordre
de se rendre à Brest. Elle est composée du Montblanc, de
l'Argonaute, de la Muiron et de la Précieuse.
La Muiron est chargée d'une cinquantaine de brigands
chefs noirs. Je lui ai ordonné de les déposer en Corse et j'écris
au citoyen Miot de les employer aux travaux publics.
Je vais faire partir incessamment pour Cayenne une vingtaine
de coquins affidés de Toussaint. Si j'avais des troupes, ma
besogne serait bien plus facile. La Muiron après avoir remis
ces brigands à leur destination se rendra à Toulon. 2
1. Post-scriptum ajouté par Leclerc à sa lettre du 22 prairial au
ministre.
2. Arch. Hist. Guerre, B 7 * 26. Copie de lettres du général Leclerc,
p. 82.

— 171 —
LXXX
Au Quartier Général du Cap,
le 22 Prairial, (11 juin 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
Je viens de prendre un parti qui fera un grand bien à la
colonie. J'ai comme je vous le marquais fait arrêter le général
Toussaint et je vous l'envoye en France avec toute sa famille.
Cette opération n'était pas aisée, elle a réussi on ne peut plus
heureusement. Depuis quelques jours, il avait rassemblé
auprès de lui 6 à 700 cultivateurs et nombre de déserteurs ;
il avait refusé de se rendre à deux rendez-vous que le général
Brunet lui avait donnés quelques jours avant. Il m'avait écrit
pour se plaindre de ce que j'avais établi des troupes à Dennery
qu'il avait choisi pour sa résidence. Je lui répondis que pour
lui ôter tout sujet de plainte je l'autorisais à conférer avec le
général Brunet sur le placement des troupes dans le canton.
Il s'est rendu chez le général Brunet. Là il a été arrêté et
embarqué. Une vingtaine de ses affïdés ont été arrêtés dans
les environs, je les enverrai à Cayenne. J'ai fait une proclama-
tion pour faire connaître sa conduite. Néanmoins des rassem-
blements ont eu lieu. Je fais marcher contre eux les généraux
noirs et j'espère rétablir l'ordre. Les noirs sont sans boussole,
ils sont tous divisés entre eux. On a arrêté aujourd'hui une
des maîtresses de Toussaint venue ici pour m'assassiner.
Je m'occupe d'organiser la partie française. Dans cette
première organisation, je ne ferai pas tout ce qui serait conve-
nable mais je ferai ce qui mènera au convenable. Toussaint
est enlevé. C'est un grand point, mais les noirs sont armés et
il me faut des forces pour les désarmer. La maladie fait ici
des progrès effrayants et il est impossible de calculer où elle
s'arrêtera, il est possible qu'il ne reste pas 4.000 hommes de
troupes françaises à Saint-Domingue en octobre ; jugez alors
quelle sera ma situation.

— 172 —
J'ai perdu le citoyen Desperoux, commissaire de justice,
depuis le 19 j'ai encore perdu l'adjudant-commandant Cravey,
le général de brigade Dampierre, je perds aujourd'hui le
citoyen Bénézech, il est à l'article de la mort et a tous les
symptômes de la mort. C'est une perte pour moi, j'étais revenu
sur son compte, il n'était pas fort, mais avec moi il eût bien
administré. Je le remplacerai par le citoyen Daure dont je
suis content, je n'ai personne pour remplacer le commissaire
de justice.
Ma santé est toujours mauvaise et si ma position était
assez assurée pour qu'il ne me restât plus d'inquiétudes, je
puis vous assurer que je vous demanderais de suite un suc-
cesseur. Mais je ferai mon possible en me ménageant pour
durer encore six mois ici. A cette époque j'aurai tout fini si
le ministre de la Marine ne me néglige pas comme il l'a fait
jusqu'à présent. Il est impossible de laisser une armée dans
un dénuement plus absolu que la mienne l'a été, car depuis
le 17 frimaire que je suis parti de France je n'ai reçu aucun
renfort, puisque je n'ai reçu que 19.000 hommes environ
au lieu de 21.000 dont devait se composer mon armée, et que
je n'ai reçu que 2.000.000 francs, en sus de 3.000.000 que j'ai
tirés de la Havanne et d'une somme à peu près égale trouvée
à Saint-Domingue. Calculez si ces sommes pouvaient me suffire
quand vous saurez que j'ai eu 3.000 épaulettiers noirs à solder
depuis ce temps et 12.000 ou soldats ou cultivateurs. Tout
cela va cesser un peu mais l'ordre ne sera rétabli qu'avec
la force. Envoyez-moi de suite 4.000.000 francs et au moins
10.000 hommes. La maladie a commencé cette année au
commencement de mai, ordinairement elle ne commence qu'en
juin, je pense donc qu'elle finira en septembre au lieu de finir
en octobre, mais vos Égyptiens n'ont rien vu de semblable
en Égypte et sont atteints comme les autres.
Comptez toujours, Citoyen Consul, sur ma fermeté inal-
térable, quelques soient les événements que je rencontrerai.
Mais comme la possession de la colonie ne tient dans ce moment
qu'à la conservation de ma tête, par l'estime générale que j'ai
inspirée dans ce pays, mettez-moi en mesure de la tirer de

— 173 —
cette fâcheuse position, eu m'envoyant promptement force
argent et un homme qui puisse me remplacer.
Le général Salm faisait des affaires, je l'ai renvoyé mais
avec ménagement parce qu'il a bien servi dans la campagne.
Recevez l' assurance de mon attachement respectueux et
de mon entier dévouement, Citoyen Consul.
LECLERC.
Il ne faut pas que Toussaint soit libre, faites-le emprisonner
dans l' intérieur do la République ; que jamais il ne revoye
Saint-Domingue.
Je n ai plus d'officiers d'artillerie ni de génie, ils sont tous
morts ou malades.
Mes officiers de santé meurent, un Desgenettes serait bien
précieux pour moi.
LECLERC.
P. S. — Madame Leclerc et mon enfant vont assez bien.1
LXXXI
Au Quartier Général du Cap,
le 26 Prairial (15 juin 1802). 2
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Le général Toussaint possède des biens très considérables
dans ce pays. Je crois que le Gouvernement a le droit de les
confisquer. Quant à ses fermes, je vais les faire louer à d'autres.
Vous trouverez dans la lettre ci-jointe que m'écrit le général
Debelle, une preuve de la conduite que tenait ce misérable.
Les troubles que j'avais craint ont été apaisés. Reste le grand
objet du désarmement.
Je n'ai point d'argent, Citoyen Ministre ; au moment où
1. Lettre de la main de Leclerc.
2. Une note indique « Par le Héros, capitaine Savary, arrivé en même
temps que l' escadre du contre-amiral Magon, à Brest, le 20 messidor,
après 24 jours de traversée. »

— 174 —
je vous écris, il n'y a pas 500.000 francs dans toutes les caisses
de la colonie.
J'ai des vivres pour atteindre l'époque à laquelle je donnerai
le service de la colonie à l'entreprise.
Le service des hôpitaux va très mal. Je n'ai encore rien
reçu des effets d'hôpitaux que j'attendais de France, et il
paraît que le préfet maritime à Brest n'est pas aussi persuadé
que moi de la nécessité de m'envoyer ces effets. Ce qu'il y a
de certain, c'est que l'armée de Saint-Domingue doit avoir
à Brest pour 4 à 500.000 francs d'effets d'hôpitaux.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXXII
Au Quartier Général du Cap,
le 26 Prairial (15 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'ai la douleur de vous apprendre que le citoyen Benezech
est mort, il y a trois jours. La colonie perd en lui un adminis-
trateur estimable. Depuis que la situation des affaires m'avait
permis de m'occuper de l'organisation de la colonie, j'avais
appris à l'apprécier et je le regrette bien sincèrement.
Je compte, d'ici au 10 du mois prochain, avoir établi une
administration dans la colonie. Je ne pense pas que l'admi-
nistration que j'établirai soit faite pour durer longtemps, mais
elle sera bonne pour le moment présent, et elle servira de pas-
sage à une meilleure.
En l'établissant à présent, j'ai voulu la voir marcher quel-
ques mois et je serai le premier, à mon retour en France, à
faire connaître au Gouvernement français les lacunes qui
existeraient, soit par oubli de ma part, soit parce que je
1. Arch. Col., Dossier Benezech.

— 175 —
n aurai pas cru les circonstances favorables pour exprimer ma
pensée tout entière.
J ai l' honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXXIII
Au Quartier Général du Cap,
le 5 Messidor (28 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je vous prie de demander au Premier Consul, que dans les
renforts qui sont destinés pour l'armée de Saint-Domingue,
soit compris le régiment des Dromadaires. Ce corps suppor-
tera avec moins de pertes que tout autre la température de
ce climat. Vous verrez par la lettre ci-jointe 1 qu'il ne demande
pas mieux que de passer ici.
LECLERC.
LXXXIV
Au Quartier Général du Cap,
le 5 Messidor (24 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Toutes les archives de la colonie ont été brûlées pendant les
troubles qui l'ont agitée depuis dix ans ; mais une partie de
cette perte peut être réparée, puisque le Dépôt des Colonies
établi à Versailles renferme des expéditions de tous les actes
passés à Saint-Domingue, au moins depuis 1776. Je vous prie
d'ordonner qu'il soit fait des copies de ces actes pour être
envoyées ici et déposées dans les archives de la colonie.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
1. Lettre du chef de brigade Cavalier, commandant le régiment des
Dromadaires, datée de Toulon le 2 Frimaire, an X, déclarant à Leclerc
qu'il a déjà un escadron complet prêt à le suivre.

— 176 —
LXXXV
Au Quartier Général du Cap-Français,
le 5 Messidor (24 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
La compagnie des grenadiers du 3e bataillon de la 98e de
ligne, qui fait partie de l'armée de Saint-Domingue, est restée
en France. Je vous prie de demander au ministre de la Guerre
qu'il donne ordre à cette compagnie de rejoindre son bataillon.
Ce corps a servi avec distinction pendant la campagne, je
désire qu'il soit complété.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXXVI
Au Quartier Général du Cap,
le 5 Messidor (24 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Mes dernières lettres ne peuvent vous donner qu'une idée
très imparfaite des ravages que la maladie continue d'exercer.
Vous en jugerez facilement en jetant les yeux sur l'état des
pertes que l'artillerie avait déjà faites à l'époque du 1er mes-
sidor.
La moitié des officiers de cette arme sont morts. Il en est
de même dans l'arme du génie. Les corps de l'armée font aussi
des pertes énormes en officiers et en soldats. Mes hôpitaux
sont dans un très mauvais état ; les employés et les infirmiers
meurent tous. Mes effets d'hôpitaux de Brest n'arrivent pas ;
vous jugerez du peu d'activité qu'on a mis à leur départ,
par la lettre ci-jointe du commissaire Rénaux.
Malgré tant de calamités, l'armée n'est point découragée ;

— 177 —
elle compte sur la reconnaissance du Gouvernement français.
Je l'invoque aujourd'hui.
Beaucoup de militaires, pères de famille, sont morts, soit
à la suite de leurs blessures, soit à la suite d'une maladie plus
cruelle que les combats les plus meurtriers. Le Gouvernement
doit s'occuper de l'éducation de leurs enfants. Je demande
que les Consuls prennent un arrêté, par lequel il sera réservé
cinquante-cinq places au Prytanée français, aux enfants des
militaires morts à Saint-Domingue et pour la conquête de
cette colonie. Cet arrêté juste adoucira les inquiétudes de
ceux que la maladie n'a point atteints et fera voir à l'armée
de Saint-Domingue que le Gouvernement français est disposé
à lui accorder les récompenses qu'elle a méritées.
Indépendamment de la maladie connue sous le nom de
Siam, nous avons eu ici la fièvre jaune des États-Unis, et
cette maladie a commencé deux mois avant son époque ordi-
naire ; et nous éprouverons encore ses ravages pendant trois
mois.
Les fatigues et les dégoûts qu'a éprouvés cette armée sont
au-dessus de toutes expressions ; on ne peut les comparer
qu'au courage avec lequel elle les supporte.
Depuis ma dernière lettre j'ai perdu le général de division
Debelle, comme vous le verrez dans l'état des officiers d'ar-
tillerie morts. Il laisse une femme et trois enfants, et il n'était
pas riche. J'ai été très content de cet officier pendant toute
la campagne et je pleure sa perte avec tous ses camarades.
J'ai eu l'honneur de vous écrire successivement pour vous
faire connaître les officiers généraux ou chefs d'administration
que j'avais perdus. Je vous prie d'en instruire leurs familles.
Le général Hardy a aussi une femme et trois enfants. Il laisse
une fortune très médiocre.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LECLERC
12

— 178 —
LXXXVII
Au Quartier Général du Cap-Français,
le 5 Messidor (24 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je me suis occupé de donner une organisation provisoire
à la colonie de Saint-Domingue. Cette organisation avance ;
je vous l'enverrai en totalité par l'Aigle qui part le 15 de ce
mois.
Je vous envoie mon règlement sur le commerce parce qu'il
est intéressant qu'il soit connu en France.
Je n'ai ouvert que quatre ports, parce que dans ce moment
le commerce n'a aucun intérêt d'aller dans les autres. J'ai
ouvert le port de Jacmel, parce que c'est par ce port que je
dois recevoir les bestiaux, dont j'ai le plus grand besoin, et
comme je ne me soucie pas que le payement de ces bestiaux
se fasse en numéraire, j'y ai laissé arriver le commerce fran-
çais, afin que les étrangers qui les auront exportés puissent
prendre en payement des marchandises de France.
Vous verrez par l'article 3 que j'ai regardé le rhum comme
marchandise devant être exportée à l'étranger et par les
étrangers ; mais eu égard à la consommation que nous faisons
de cette denrée en France aujourd'hui, je crois qu'il pourrait
être avantageux d'en permettre l'exportation en France sans
que cela nuisit à nos eaux-de-vie. Cette importation devant
être limitée de manière à ce que le rhum ne puisse pas sortir
de France pour être versé sur les marchés d'Europe.
Un objet à considérer relativement au rhum, c'est que si
nous l'exportons en France, nous ne pourrons plus solder
autrement qu'en numéraire les marchandises que nous tirons
du continent, telles que salaisons, farines et bois de construc-
tion.
Je vous envoyé le tarif que j'ai adopté, je ne crois pas que
le commerce puisse s'en plaindre. Le commerce français est

— 179 —
beaucoup favorisé par la différence que j'établis entre lui et
le commerce étranger.
J' avais pensé d'abord à exiger la qualité de citoyen fran-
çais pour pouvoir être consignataire de bâtiments étran-
gers, mais cette mesure eût été impolitique dans les circons-
tances présentes. Le commerce de Saint-Domingue se trouve
plus entre les mains des étrangers que dans celles des natio-
naux. J aurais par cette mesure enlevé à la colonie beaucoup
des capitaux dont elle a le plus grand besoin.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXXVIII
Au Quartier Général du Cap-Français,
le 5 Messidor (24 juin 1802).
Le Générai en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'ai nommé provisoirement le citoyen Mongiraud, préfet
de la partie espagnole pour remplacer le citoyen Bénézech.
Je ne connais pas assez le citoyen Mongiraud pour proposer
au Gouvernement sa confirmation ; quand j'aurai travaillé
quelque temps avec lui je vous ferai connaître mon opinion
sur son compte.
Je n'ai personne pour remplacer le citoyen Desperroux,
faites-moi envoyer un homme intègre et instruit.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
LXXXIX
Au Quartier Général du Cap,
le 5 Messidor (24 juin 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je suis extrêmement satisfait du dévouement et des talents
des officiers de santé de l'armée de Saint-Domingue, mais je

— 180 —
dois surtout les plus grands éloges au citoyen Peyre, médecin
en chef de l'armée. J'ai appris que la place d'inspecteur de
santé de la marine auprès de vous était vacante, je vous la
demande pour lui. Je vous assure que vous ne pouvez faire
un meilleur choix. En mon particulier je vous serai très recon-
naissant de m'avoir mis à même de prouver au citoyen Peyre
l'estime que j'ai pour lui.
Vous trouverez ci-joint ses états de service. Donnez je
vous prie, les ordres les plus positifs pour qu'il nous soit envoyé
de suite au moins soixante officiers de santé, il est nécessaire
de faire partir de suite le bâtiment qui les portera. Que tous
ceux que vous nous enverrez soient pris parmi ceux qui ont
suivi constamment les armées et qui sont d'un moral fort ;
cela est très nécessaire pour résister aux sensations doulou-
reuses qu'on éprouve quand, on est tous les jours au milieu
des morts et des mourants.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XC
Au Quartier Général du Cap,
le 5 Messidor (24 juin 1802) 1.
Le Général en Chef au Premier Consul
de la République.
Citoyen Consul,
Ma position actuelle est assez bonne. Je perds beaucoup de
mes troupes mais j'ai tous les généraux noirs en ma disposi-
tion. Le Sud est désarmé. Dessalines désarme l'Ouest. Sous
15 jours Maurepas, Christophe et Clairvaux désarmeront le
Nord. Le Nord désarmé, si mes troupes sont arrivées, je finis
ici et Saint-Domingue est irrévocablement à la France. En
ce moment j'organise l'administration. J'avais chargé le
citoyen Bénézech de me présenter un plan, il n'a rien fait.
1. Lettre de la main de Leclerc.

— 181 —
Mais cela ne m'a pas empêché de faire mon travail, vous le
recevrez sous dix jours. Je suis un peu plus embarrassé pour
l'ordre judiciaire. Le citoyen Desperroux ne m'a rien laissé,
quoiqu il ait reçu un ordre à cet égard. Vous verrez dans le
journal de Saint-Domingue mon arrêté qui annihile l'armée
coloniale, je forme ma gendarmerie.
Donnez ordre qu on m'envoye de suite trois millions en
espèces, je n ai pas 600.000 francs en caisse. Qu'on m'envoye
des officiers d artillerie et de génie, des officiers de santé ; plus
de la moitié des uns et des autres est périe.
J'ai nommé le citoyen Mongiraud préfet colonial par
intérim, j'ignore ce qu'il vaut, mais je le crois passable.
Il faut m'envoyer un commissaire de justice, car je n'ai
personne ici pour remplacer le citoyen Desperroux.
Ma santé s'est un peu rétablie. Madame Leclerc est indis-
posée, mon enfant va bien.
J'écris au ministre de la Marine pour demander que vous
preniez un arrêté pour affecter 50 places du prytanée aux
enfants des militaires morts à l'armée de Saint-Domingue.
C'est une justice et un encouragement que vous ne pouvez
refuser à cette brave armée.
Elle est entrée en campagne sans vivres, sans artillerie,
sans argent, sans hôpitaux ; elle a fait une campagne qui eût
étonné en Europe par son activité, exposée aux privations
de tous genres ; elle éprouve aujourd'hui les ravages d'une
maladie affreuse et elle n'est pas découragée jusqu'à présent.
Citoyen Consul, j'ai justifié votre confiance, tant que j'exis-
terai ici soyez tranquille sur Saint-Domingue.
Je ne vis que de régime et par artifice, le climat détruit la
poitrine, il m'est impossible de penser à rester ici une seconde
année ; dans six mois ou huit je serai obligé de retourner en
Europe, mais mon successeur n'aura plus qu'à administrer.
Je vous demande en grâce de l'argent, 30 officiers de génie
parmi lesquels le général Bertrand, 30 officiers d'artillerie,
60 officiers de santé, 800 sapeurs, 3 à 400 ouvriers d'art ; qu'ils
arrivent, ces derniers, en octobre, à cette époque la mortalité
cessera.

— 182 —
Agréez l'assurance du dévouement entier de votre admi-
rateur le plus prononcé, Citoyen Consul.
LECLERC.
Si je ne vous demande pas de troupes, c'est que je compte
recevoir incessamment celles que mes lettres postérieures ont
réclamées.
XCI
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Après l'embarquement de Toussaint quelques hommes ont
voulu remuer, je les ai fait fusiller ou déporter. Depuis cette
époque quelques troupes coloniales ont eu l'air de s'insurger,
j'ai ordonné de faire fusiller les chefs et dans ce moment ces
troupes cachent leur mécontentement, mais le licenciement
s'opère.
Les généraux noirs voient bien dans ce moment que je
vais détruire tout à fait leur influence dans ce pays, mais ils
n'osent pas lever l'étendard de la rébellion ; 1° parce qu'ils
se détestent tous et qu'ils savent très bien que je les détruirai
les uns par les autres ; 2° parce que les noirs ne sont pas braves
et que cette guerre les a effrayés ; 3° parce qu'ils craignent de
se mesurer avec celui qui a détruit leur chef.
Dans la circonstance je marche toujours à grands pas vers
mon but. Le Sud et l'Ouest sont à peu près désarmés ; le Nord
va commencer à l'être sous huit jours. La gendarmerie s'or-
ganise et, aussitôt le désarmement terminé et la gendarmerie
placée, je porterai les derniers coups. Si je réussis comme il
est probable, alors Saint-Domingue sera véritablement rendu
à la République.
Vous trouverez ci-joint l'organisation de la gendarmerie.
En me conformant à mes instructions qui me prescrivent de

— 183 —
ne point garder à Saint-Domingue les généraux qui y ont
marqué pendant la Révolution, je renvoie en France le général
Desfourneaux ; je n'ai aucune plainte à faire contre lui, au
contraire je n'ai qu'à me louer de son zèle, mais par les cir-
constances dans lesquelles il s'est trouvé ici, je crois que sa
présence ne peut produire un bon effet.
Je charge le chef d'état-major de vous rendre compte de
tous les chefs de brigands noirs que j'envoie en France afin
que vous sachiez ce que vous devez en faire.
Vous ne sauriez tenir Toussaint à une trop grande dis-
tance de la mer et le mettre dans une prison trop sûre ; cet
homme avait fanatisé ce pays à un tel point que sa présence
le mettrait encore en combustion. J'ai demandé au Gouver-
nement français ce qu'il fallait faire de ses biens, je pense
qu'il faut les confisquer, je les ai fait séquestrer provisoirement.
J'ai l'honneur de vous saluer.
P. S. — J'ai reçu une frégate et deux corvettes venant de
Toulon, qui m'ont amené 700 hommes.
J'ai reçu 1.200 hommes par les deux vaisseaux espagnols
le Pélage et le Conquérant. Je ne désire pas l'arrivée d'autres
troupes avant le mois de septembre. On croit dans la colonie
qu'il m'est arrivé 5.000 hommes et cela me suffit, mais en
septembre et octobre il faut que je reçoive au moins 8.000
hommes. Que le Gouvernement prenne garde à la prise de
possession de la Martinique ; les Anglais sont trop jaloux
de nos succès à Saint-Domingue pour ne pas chercher à nous
donner de l'ouvrage de ce côté-là.
Les Anglais sont mieux traités que nous à la Havane ;
aidez-nous un peu, mon cher Général, et envoyez-moi de
l'argent, car j'en ai bien besoin 1.
LECLERC.
1. Ce dernier paragraphe a été ajouté par Leclerc lui-même.

— 184 —
XCII
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Vous m'avez annoncé dans une de vos lettres un envoi
d'effets d'habillement considérable, je vous déclare qu'à
l'exception de 3,000 paires de souliers je n'ai rien reçu, mon
armée est nue.
Mes effets d'hôpitaux sont toujours à Brest, il est indécent
qu'on retienne aussi longtemps des effets si nécessaires à une
armée de Saint-Domingue.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XCIII
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Renvoyez-moi les propriétaires, je les remettrai en jouis-
sance, en leur demandant la moitié de leurs revenus. Ceux
qui n'enverront que des procurations éprouveront bien des
lenteurs de ma part. Il faut pour franciser cette île y faire
affluer les propriétaires. Tous mes arrêtés à l'égard des pro-
priétés séquestrées tendront à ce but.
Les citoyens Bénézech et Desperroux me manquent pour
mettre la machine en mouvement. J'ai appelé le citoyen
Mongiraud dont j'espère que je serai content. Envoyez-moi
un administrateur fort. Si le citoyen Mongiraud va bien,
j'enverrai à Santo-Domingo celui que vous m'enverrez ; sinon,
je renverrai le citoyen Mongiraud à sa première destination.
Envoyez-moi un commissaire de justice assez fort pour

— 185 —
préparer l'organisation de l'ordre judiciaire des colonies.
L'organisation à laquelle je travaille dans ce moment, sera
relative à la circonstance de guerre et ne pourra durer. Il faut
d'ailleurs rédiger un code civil des colonies qui ne peut être
le même que celui de France.
J'ai accordé à mesdames Bénézech et Desperroux et à leurs
familles, trois mois de traitement à titre de secours. Madame
Bénézech est sur l'Aigle et madame Desperroux partira sur
l'U nion.
Je recommande ces deux familles à la reconnaissance du
Gouvernement. Les citoyens Bénézech et Desperroux étaient
des citoyens estimables.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XCIV
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Ma situation est des plus pénibles relativement aux finances.
Je ne fais pas plus de 500.000 francs de recettes par mois et
mes dépenses sont de plus de deux millions, non compris
l'achat des farines dont je ne manque pas. Je n'ai dans ce
moment que les douanes qui me donnent quelques recettes
et les domaines nationaux dans la partie du Sud. Je suis
absolument sans fonds. J'avais envoyé demander à la Havane
un nouveau prêt de trois millions pour lequel je donnais les
1.600.000 francs de lettres de change que j'ai sur la Vera
Cruz. J'ai été refusé et on a mis beaucoup de mauvaise grâce
à ce refus ; tous nos voisins voyent avec beaucoup de jalousie
le prompt rétablissement de Saint-Domingue. Envoyez-moi
promptement trois millions en espèce et non autrement ; je
ne trouverais pas à placer ici des traites sur la trésorerie à

— 186 —
50 pour cent de perte. De grâce envoyez-moi les fonds le
plus tôt possible.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XCV
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
La mortalité continue et fait présentement des ravages-
dans toute la colonie. Le mois de prairial peut m'avoir coûté
3.000 hommes, le mois de messidor m'en coûtera davantage ;
il me coûte jusqu'à présent 160 hommes par jour. J'ai ordonné
que dans ce moment, on fit une revue de l'armée par corps.
Je n'ai guère dans ce moment que 8.500 hommes présents
sous les armes, non compris les 2.000 hommes que je viens
de recevoir.
Mes troupes sont pourtant aussi bien nourries qu'il est
possible qu'elles le soient, et elles ne font point de fatigues.
Je viens de perdre, ces jours-ci, le général d'artillerie Pam-
bour. C'était un très bon officier. Il m'avait rendu de vrais
services pendant cette campagne. Il laisse une veuve et des
enfants : je les recommande à la justice du Gouvernement.
Je désire bien sincèrement que le Gouvernement prenne l'arrêté
que je lui ai demandé pour réserver 50 places au prytanée
pour les enfants des militaires morts à Saint-Domingue. Cette
mesure est de justice rigoureuse. Depuis notre débarquement
ici, nous sommes constamment sur la brèche. Depuis le jour
où nous n'avons plus à craindre le feu des rebelles, les maladies
ont exercé sur nous des ravages affreux. Jamais armée ne
s'est trouvée dans une position plus pénible. Chaque jour j'ai
à regretter la perte de bons officiers : il y a tel bataillon de
l'armée qui a perdu les deux tiers des siens.
Le généra] de brigade Tholosé est arrivé fort à propos avec

— 187 —
deux ou trois officiers de génie. Envoyez-moi de suite 30 offi-
ciers de cette arme, 40 de l'arme de l'artillerie. C'est à peu
près ce que j'ai perdu depuis mon arrivée ici, et 100 officiers
de santé. Je suis bien embarrassé pour faire soigner mes
malades.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
XCVI
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Le capitaine Lallemand commandant le vaisseau l'Aigle
m'a fait une réclamation qui me paraît juste, mais à laquelle
la pénurie de la caisse de l'armée ne m'a pas permis de faire
droit, voici en quoi elle consiste : Le capitaine a gardé à son
bord pendant huit mois le bataillon de la 68e et a nourri à sa
table plusieurs officiers de ce corps. Le capitaine Lallemand
n'a touché le traitement de table pour les officiers que comme
pour un simple passage en Amérique, il réclame une indem-
nité pour le temps excédant les 45 jours auxquels le passage
en Amérique est évalué.
J'ai l'honneur de vous saluer,
LECLERC.
XCVII
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Depuis le 21 germinal je n'ai reçu aucune lettre de vous.
J'ai correspondu avec vous très exactement et vous ne répon-

— 188 —
dez à aucune de mes lettres ; l'abandon où vous me laissez
est cruel. Je vous ai demandé de l'argent, des habits, des effets
d'hôpitaux, des effets d'artillerie, des ouvriers, vous ne m'avez
rien envoyé, vous ne m'annoncez rien, pas une de vos lettres
ne m'a exprimé si le Gouvernement était satisfait de ma con-
duite. On a besoin d'encouragement dans la position où je
me trouve.
J'ai l'honneur de vous saluer,
LECLERC.
XCVIII
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Vous trouverez ci-joint différents numéros du Journal de
Saint-Domingue qui vous feront connaître les arrêtés que
j'ai pris jusqu'à ce jour pour l'organisation de la colonie.
Ne regardez point ces arrêtés comme définitifs, ce sont ceux
que j'ai dû prendre dans la circonstance actuelle. Je sais ce
qui convient à la colonie, mais je sais aussi le moment où
on pourra l'exécuter. Je vais m'occuper de suite de l'orga-
nisation de l'ordre judiciaire. Ce sera aussi une organisation
de circonstance. Il est bien nécessaire que le Gouvernement
envoyé ici un jurisconsulte probe et instruit pour faire le
code civil de Saint-Domingue.
Mes sous-préfets sont bien faibles en moyens. J'espère que
le citoyen Mongiraud pourra donner une impulsion à la
machine administrative et la mettre en mouvement. Il faut
à Saint-Domingue pour préfet colonial, un homme très fort
en administration.
Les modifications que j'ai apportées dans les attributions
du préfet colonial et du commissaire de justice, ont été néces-
sitées par les circonstances.
Mon intention est, dans deux mois et demi, de faire la tour-

— 189 —
née de toute la colonie. Je jugerai dans cette tournée les qua-
lités des administrateurs et de leurs employés, et les institu-
tions que j'aurai créées. Je verrai la partie espagnole, je la
parcourrai en détail et je l'organiserai. Après ce, je revien-
drai au Cap et j espere à mon retour, qui sera dans cinq ou
six mois, y trouver mon successeur. Je serai très heureux si
ma santé me permet d'exécuter tout ce que je vous dis, mais
je ne suis pas d'avis de passer à Saint-Domingue une seconde
année. Il est trop cruel d'exister comme je le fais ne soutenant
mon existence que par artifice. D'ailleurs, à. cette époque,
j aurai fait à Saint-Domingue tout ce que le Gouvernement
peut exiger de moi.
Si, lorsque mes opérations seront terminées, le Gouverne-
ment ne m'avait pas envoyé un successeur, alors j'userai de
la faculté que le Premier Consul m'a donnée de vive voix,
de quitter Saint-Domingue, lorsque mes opérations y seraient
terminées.
Je me suis logé depuis quelque temps dans les mornes du
Cap, et ma santé y est passable dans ce moment.
J'ai l'honneur de vous saluer,
LECLERC.
XCIX
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul de
la République Française.
Citoyen Consul,
Le ministre de la Marine ne m'envoye pas d'argent, et il
me met dans une position mauvaise. Ici on ne peut rien avoir
qu'au comptant et mon crédit tombe depuis que je ne paye
pas régulièrement. Donnez ordre, je vous prie, qu'on m'en-
voye de suite 3 millions de francs en piastres. Je les avais
demandés à la Havane, on me les a refusés de très mauvaise
grâce, on n'a pas même consenti à me faire l'avance de lettres

— 190 —
de change sur la Vera Cruz. Je reconnais là les ordres du
prince de la Paix.
J'ai cessé toute correspondance avec le citoyen Pichon. Je
vous prie de le faire remplacer pour les raisons que je vous
ai détaillées.
Il y a bien, parmi les chefs noirs, l'intention de se révolter,
mais je les empêcherai d'arriver à leur but. Le Sud et l'Ouest
sont désarmés, le Nord va l'être. Malgré la rigueur du climat,
je n'ai, point ralenti mes opérations et je marche toujours à
grands pas vers le but que je me suis proposé. Dans deux
mois je déclarerai Saint-Domingue rendu à la France. Je
compte pouvoir faire cette déclaration au 1er vendémiaire.
Alors je célébrerai la fête de la paix générale. A cette époque
personne ne me gênera plus à Saint-Domingue et vous serez
satisfait.
Je ferai ensuite la tournée tant de la partie française que
de la partie espagnole. Je jugerai les institutions que j'aurai
établies ; je prendrai des idées justes sur la colonie. J'orga-
niserai la partie espagnole et je reviendrai au Cap, où je
compte trouver mon successeur, dans six mois. Ma santé est
si mauvaise ici, qu'il me faut, pour résister aux fatigues,
tout le désir que j'ai de mériter votre estime. Il me sera impos-
sible d'y passer plus d'une année. En ce moment je marche
rapidement à mon but afin que si je venais à périr la colonie
ne soit point ébranlée. J'aurai atteint ce but, je l'espère, au
30 thermidor.
Je pense que le général Béliard conviendrait bien pour capi-
taine général de la partie française. Pour capitaine général
de la partie espagnole, il faudrait un officier général probe
et qui parlât bien l'espagnol.
La Marine m'a donné des sous-préfets bien médiocres.
J'aurai bien de la peine à mettre la machine administrative
en train.
Madame Leclerc et mon enfant se portent bien. Considé-
rant combien il était cruel, pour elle, de rester dans un pays
où elle n'a sous les yeux que le spectacle des morts et des
mourants, je l'ai pressée de se rendre en France. Jamais elle

— 191 —
n' a voulu y consentir, en me disant qu'elle devait suivre mes
chances malheureuses comme les bonnes. Son séjour ici est
bien agréable pour moi.
Recevez, je vous prie, l'assurance du respectueux attache-
ment que je vous ai voué, Citoyen Consul.
LECLERC.
C
Au Quartier Général du Cap,
le 17 Messidor, (6 juillet 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul
de la République.
Citoyen Consul,
L'armée de Saint-Domingue est pénétrée de reconnaissance
de tout ce que vous avez fait pour assurer le bonheur du
peuple français.
Vous avez trouvé la France engagée dans une lutte terrible,
vous avez pris les rênes du gouvernement et elle en est sor-
tie avec gloire.
La guerre civile dévorait une grande partie de la France,
vous avez tout pacifié.
L'administration civile était nulle, vous avez rétabli les
véritables notions de comptabilité et appris aux adminis-
trateurs, comme aux administrés, qu'il n'était pas permis à
un seul de s'approprier ce qui devait servir au bonheur de
tous.
Le trésor public était épuisé, vous y avez fait entrer le
produit des recettes et vous avez mis la dépense au niveau
des recettes.
Le militaire, pour prix d'honorables blessures reçues pour
assurer l'indépendance de son pays, n'avait à attendre, sous
un gouvernement lâchement envieux, que des mauvais trai-
tements et le mépris, vous lui avez rendu l'honneur et des
moyens d'existence.
La majorité des Français réclamaient la religion de leurs

— 192 —
pères, vous leur en avez rendu l'exercice libre, en évitant
tout ce qui pouvait établir rivalité parmi les sectes.
L'armée de Saint-Domingue vous offre, pour tant de ser-
vices que vous avez rendus à la nation, le tribut de son admi-
ration et de sa reconnaissance.
Un vœu a été émis par le Sénat Conservateur. Comme
colonie ou comme armée, nous n'avons pas le droit de déli-
bérer, mais comme Français enthousiastes de la gloire de
leur pays, nous avons la faculté de désirer que le général
Bonaparte veuille consacrer son existence à assurer le bon-
heur de la France.
Si vous acceptez cette tâche, si belle pour vous, et si forte
pour un autre, Citoyen Consul, ce sera une nouvelle obliga-
tion que la France vous aura, mais vous n'aurez pas encore
tout fait pour son bonheur.
Donnez à la France une constitution telle que lorsqu'elle
viendra à vous perdre, elle ne soit pas déchirée par la guerre
civile. Sans cela votre ouvrage est imparfait.
Ne voyez dans le vœu que je forme, Citoyen Consul, que
celui d'un Français qui ne travaille que pour le bonheur de
son pays et qui manifeste toujours son opinion avec cou-
rage, toutes les fois qu'il croit qu'elle peut lui être utile.
Agréez l'assurance du dévouement respectueux avec lequel
je suis, Citoyen Consul.
Le Général LECLERC.
CI
Au Quartier Général du Cap,
le 23 Messidor (12 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je n'ai encore pu commander le désarmement du Nord.
Cette opération est très délicate. Il m'est impossible de pen-
ser à faire marcher les troupes européennes en ce moment.

— 193 —
Un bataillon de la légion du Cap a perdu 300 hommes sur
600, après trois jours de marche. Mes troupes noires sont
très faibles et les officiers réformés les agitent. Ma garnison
du Cap est très faible et je ne puis l'augmenter, sans m'exposer
à perdre la moitié des troupes que j'y placerai. Je suis obligé
d'user de beaucoup de circonspection pour réussir. Sous trois
jours je commencerai le désarmement au Dondon, à la Grande
Rivière et à la Marmelade.
Depuis huit jours, des rassemblements nocturnes ont eu
lieu en plaine et même en ville. Je ne connais pas encore les
chefs, mais je surveille. Le but des conspirations est le mas-
sacre des Européens. On doit commencer par les généraux.
Je ne leur laisserai pas les moyens d'exécuter leurs desseins.
Je presse l'organisation de la gendarmerie et le désarmement.
Je ne serai tranquille que lorsque ces deux opérations seront
terminées.
La mortalité continue. Vous trouverez ci-joint le tableau
de la perte d'une décade dans les hôpitaux du Cap.
Depuis mes dernières dépêches j'ai perdu l'adjudant-com-
mandant Andrieux, le chef de brigade Jaunies commandant
la gendarmerie de l'Ouest, le chef de brigade Mangin de la
74me de ligne, le chef de brigade Lefevre de la 19me légère.
Le général Tholosé et le chef de brigade du génie Maubert
sont arrivés depuis 5 ou 6 jours. Ils sont sérieusement malades.
La 7me de ligne est anéantie. Il ne faut jamais envoyer
aux Antilles des corps qui sont restés dans le nord de la France.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
P. S. du 24 Messidor. — Le général Tholosé et le chef de
brigade Maubert sont morts hier. Il ne reste de tous les offi-
ciers de génie qui sont arrivés par le Pelage que le chef de
bataillon Fournier. Envoyez-moi un autre commandant du
génie et d'autres officiers.
LECLERC
13

— 194 —
CII
Au Quartier Général du Cap,
le 28 Messidor (17 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Vous verrez par l'extrait ci-joint d'une lettre que m'écrit
le général Humbert que les détachements de divers corps
de l'armée de Saint-Domingue qui m'arrivent ne peuvent
être d'aucune utilité ici. Je vous prie de donner des ordres
pour qu'on ne m'envoie que des hommes en état de servir.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CIII
Au Quartier du Cap,
le 29 Messidor (18 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Vous trouverez ci-joint la lettre originale que Toussaint
écrivait au président de la commission de Constitution lors-
qu'il apprit que nous nous disposions à reconquérir Saint-
Domingue. Si le Gouvernement français n'était pas parfaite-
ment éclairé sur les vues de cet ambitieux, cette lettre
servirait à, fixer son opinion.
Je vous envoie par le Conquérant, Borgella et Collet, deux
de ses constituants. Je vous ai envoyé par Y Union, Viard
autre constituant, ils resteront en prison à Brest à la dispo-
sition du Gouvernement français ; je me purge peu à peu.
La situation de la colonie est bonne ; le désarmement des
noirs s'opère sans bruit ; quelques brigands sont réfugiés
dans les montagnes, mais ils sont isolés et n'osent approcher
des établissements.
Les Anglais de la Jamaïque ne voulant pas croire à la situa-

— 195 —
tion actuelle de Saint-Domingue viennent de m'envoyer un
de leurs faiseurs pour connaître au juste notre position ; comme
elle est très bonne malgré les maladies qui continuent leurs
ravages affreux, je leur laisse tout voir. Ce qui les étonne le
plus c est que je défende la colonie et que je châtie les per-
turbateurs avec les noirs. Je n'en serais pas là si j'eusse fait
arrêter Toussaint le jour où il vint me trouver au Cap.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CIV
Au Quartier Général du Cap,
le 3 Thermidor (22 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
La mortalité ne cesse pas, vous pourrez vous en convaincre
en jetant les yeux sur l'état ci-joint des hommes morts dans
les hôpitaux du Cap pendant la troisième décade de messidor.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
L'adjudant-commandant Valette, le chef de brigade d'ar-
tillerie Lemaitre, le chef de brigade Lefèvre viennent de mourir.
CV
Au Quartier Général du Cap,
le 3 Thermidor (22 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Les pertes considérables de matelots qu'ont éprouvés ici
plusieurs bâtiments de l'État m'obligent de leur faire donner,
quand ils retournent en France, des noirs pour soulager leurs
équipages dans les manœuvres. Ces noirs sont toujours choi-

— 196 —
sis parmi ceux dont l'existence peut etre dangereuse dans la
colonie. Il est nécessaire que vous preniez des mesures pour
qu'ils ne puissent trouver l'occasion de revenir ici ; la meil-
leure est, je crois, de les employer aux travaux publics dans
l'intérieur. Si on les conservait dans les ports quelques-uns
trouveraient toujours le moyen de s'échapper à l'aide des
bâtiments de commerce et leur retour ici ne pourrait qu'en-
traîner des suites fâcheuses.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CVI
Au Quartier Général du Cap,
le 4 Thermidor (23 juillet 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
A l'instant j'apprends un incident fâcheux : le désarmement
de la Tortue a été mal ordonné, les noirs se sont insurgés et
ont brûlé quelques habitations. Je vais y envoyer des troupes.
Au Port de Paix, pareille insurrection a eu lieu. Je n'ai point
de détails, il m'est impossible de faire marcher des troupes
européennes, elles crèvent en route. J'ai fort peu de troupes
coloniales, j'ai donné force congés, il ne me convenait pas
d'en garder un grand nombre. Je vous instruirai de la suite
de ces insurrections sous peu de jours ; celle du Port de Paix
pourrait être sérieuse, mais j'espère en venir à bout.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CVII
Le 14 Thermidor (2 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Vous trouverez ci-joint l'arrêté que j'ai pris pour l'orga-
nisation du service de la trésorerie de Saint-Domingue. Je

— 197 —
n'ai ici personne capable d'être receveur général. Envoyez-en
un de France. Un seul aurait pu l'être, le citoyen Bizouard,
nommé par la Trésorerie, mais il refuse.
Les quartiers de Plaisance, du Gros Morne, du Port de
Paix, de Saint-Louis, du Borgne sont insurgés. La Tortue
aussi a été insurgée, mais dans cette dernière île tout est ren-
tré dans l'ordre. Le général Martial Besse que j'y avais envoyé
avec ordre d'agir d'une manière terrible a parlementé avec les
rebelles. Je le renvoie en France comme incapable d'être
employé à l'armée de Saint-Domingue.
Je suis sans force pour comprimer de suite ces révoltes
partielles, mais comme il n'y a pas d'ensemble et que chacun
paraît se révolter pour son compte, je les ferai attaquer les
uns après les autres. Cela retarde l'établissement de mon
administration et recule la prospérité de la colonie, mais j'es-
père que ce sera la dernière crise.
La gendarmerie dont j'aurais pu attendre du secours dans
cette circonstance est détruite par la maladie.
La maladie fait des progrès tellement effrayants que je ne
puis calculer où elle s'arrêtera. Les seuls hôpitaux du Cap
ont perdu dans le mois 100 hommes par jour. Je vous ai écrit,
il y a deux mois pour vous inviter à faire faire quarantaine
aux bâtiments partant de Saint-Domingue pour la France,
jusqu'à ce que la maladie ait cessé ses progrès, quoique les
officiers de santé ne la regardent pas comme contagieuse, je
pense que cette mesure sera très bonne.
Votre correspondance avec moi est si mal établie, que je
suis le dernier à recevoir les nouvelles de France, et que
j'apprends ce qui s'y passe par les négociants. Il y a près de
trois mois que je n'ai reçu une seule lettre de vous.
Il faut ajouter aux maladies et aux insurrections le manque
d'argent dans lequel vous nous laissez ; pour peu que cela con-
tinue, avec les renforts que j'attends et des hôpitaux aussi
coûteux, je verrai mes troupes en insurrection, parce que je
ne pourrai fournir à, leurs besoins. Envoyez-moi de l'argent
et non des lettres de change.
Le citoyen Fréron est mort. Envoyez-lui un successeur

— 198 —
mais ne le prenez pas aussi âgé que ses deux collègues, les
citoyens Desume et Gaudin. La qualité qu'on a eu l'air d'exi-
ger pour tous ceux qu'on envoyait à Saint-Domingue d'y
avoir déjà administré, est tout au moins inutile.
Je recommande sa veuve et ses enfants à la reconnaissance
du Gouvernement Français. Il est mort pauvre, et quoi-
qu'on ait beaucoup crié contre lui, j'ose assurer que dans sa
conduite comme représentant du peuple à l'armée d'Italie,
il s'est toujours montré bon et affable. Il a cherché à m'être
utile dans tous les temps de sa puissance et je regarderai
comme s'ils m'étaient personnels les bienfaits que le Gou-
vernement accordera à sa famille.
Au premier vendémiaire je fermerai la porte de Saint-
Domingue aux marchandises provenant des fabriques étran-
gères. Je ne l'ai pas fait jusqu'à présent parce que j'ai voulu,
avant de les prohiber, connaître la conduite que tiendrait le
commerce de France à notre égard. Il envoyé, et il ne doit pas
trouver les marchandises étrangères en concurrence avec celles
qu'il apporte et qui sont le produit des manufactures françaises.
Je continuerai à laisser apporter par les étrangers le bois,
farine et comestibles, à l'exception du vin qui ne nous arrive
que falsifié par les étrangers.
Je vous prie de faire publier cet avis pour les étrangers
dans les gazettes de France. Mon arrêté à cet égard ne paraî-
tra que dans un mois, afin que dans l'intervalle qui s'écou-
lera de sa publication à sa mise en exécution, on ne soit pas
tenté de nous encombrer de ces marchandises.
Vous m'avez annoncé beaucoup d'effets d'habillement ;
voici un procès-verbal qui vous fera connaître ce que j'en ai
reçu. Vous verrez si ce sont là des secours pour une armée.
Tout le biscuit que portait ce bâtiment est entièrement
avarié. Il a été mal fabriqué et avec des farines de mauvaise
qualité. Il sera jeté à la mer, ne pouvant pas même être vendu.
Je vous ai déjà prié de ne pas m'envoyer de farines. J'en
regorge ici. Elle ne coûte que 7 gourdes la barrique. J'en ai
tant dans mes magasins que si je trouve à en exporter, je le
ferai pour qu'elles ne se perdent pas.

— 199 —
Vous trouverez ci-joint, l'arrêté que j'ai pris pour rem-
placer à mes troupes le pain, le vin et les légumes, j'y gagne-
rai beaucoup, mais pourrai-je payer ?
Tout les effets d'hôpitaux apportés par le transport Lenoir
sont avariés. Il y en avait beaucoup, c'est le second envoi
que nous recevons, et le second que nous perdons par avarie. 1
CVIII
Au Quartier Général d'Estaing,
le 18 Thermidor (6 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Ma position n'est pas améliorée, l'insurrection grossit, la
maladie continue, elle durera encore jusqu'au premier ven-
démiaire, d'après tous les rapports des habitants ; vous me
parlez d'économie, et ma position militaire qui ne me per-
met d'employer que des noirs veut que je les paye et que je
retarde encore les suppressions que j'avais ordonnées ; mes
hôpitaux sont encombrés et je ne sais comment pourvoir
aux dépenses qu'ils exigeront. Je vous avais prié de ne plus
m'envoyer de farines et j'avais raison, j'en ai trop, et une
grande partie de celles que j'ai reçues étaient avariées avant
d'être débarquées. Il en est de même du biscuit.
Les effets d'hôpitaux que vous m'avez envoyés sont ava-
riés par le peu de soin apporté à leur embarquement à, Brest ;
quant aux effets d'habillement, vous et le ministre de la
Guerre m'en avez annoncé beaucoup ; à l'exception de quel-
ques paires de souliers, rien n'est arrivé.
Je n'ai reçu de renfort que ceux apportés par les vaisseaux
le Conquérant, le Pelage, le Formidable et l'Annibal, et le
transport la Nourrice, tous les autres bâtiments annoncés
n'ont pas paru. J'en ai pourtant bien besoin. Si quelques
1. Arch. Hist. Minist. de la Guerre, B7*26.

— 200 —
avaries avaient forcé les bâtiments qui portent ces troupes
h relâcher, donnez-leur ordre de reprendre la mer le plus tôt
possible.
Tous les noirs sont persuadés par les lettres venues de
France, par la loi qui rétablit la traite, par les arrêtés du
général Richepanse qui rétablit l'esclavage à la Guadeloupe,
qu'on veut les rendre esclaves, et je ne puis obtenir le désar-
mement que par des combats longs et opiniâtres. Ces hommes
ne veulent pas se rendre. Il faut avouer qu'à la veille d'avoir
tout terminé ici, les circonstances politiques dont je vous ai
parlé plus haut ont presque détruit mon ouvrage. Il ne faut
plus compter sur la force morale que j'ai eue ici, elle est
détruite. Les mauvaises mesures prises à l'extérieur ont tout
détruit, ont soulevé les esprits. On ne pourra plus réduire les
noirs que par la force des armes. Alors il faut une armée et
des fonds ; sans cela, la propriété de Saint-Domingue est bien
exposée.
Je vous ai demandé un successeur, Citoyen Ministre, cette
lettre n'a pas obtenu de réponse comme bien d'autres que je
vous ai adressées. Il faut que le Gouvernement pense à m'en-
voyer un homme qui puisse me remplacer au besoin. Ce n'est
pas que je pense à quitter dans le moment difficile, mais ma
santé s'altère toujours, et celui qui pourrait me remplacer
avantageusement pour la République n'est point ici.
Je vais faire mon possible pour empêcher l'insurrection
de gagner d'ici au premier vendémiaire. Alors les 9.000 hommes
que vous m'avez annoncés seront sans doute arrivés. Je par-
courerai les quartiers des rebelles avec la même rigidité que
j'ai mise dans ma première campagne. La terreur me devan-
cera et malheur à ceux qui ne m'obéiront pas aveuglément,
mais pour ce, il me faut de l'argent et des troupes.
Je vais renvoyer en France sous peu de jours les bâtiments
ci-après : le Zélé, le Tourville, le Pelage, la Fraternité, l'Infa-
tigable, l'Indienne. La Revanche
part pour Terre-Neuve. Les
maladies qui ont ravagé l'armée de terre ont aussi ravagé la
station, je fais partir par deux ou trois tous les bâtiments qui
n'ont pas moitié de leur équipage.

— 201 —
Le Formidable et YAnnibal partiront sous un mois. Alors
il me restera 2 vaisseaux, 6 frégates, 8 corvettes.
Si dans les circonstances actuelles où j'ai besoin de faire
des mouvements de troupes, je ne garde que ce nombre de
bâtiments, c'est parce que je me remplacerai avec ceux que
j'attends et que, dans l'état où ils sont, ils ne peuvent que
m'être à charge sans m'être d'aucun secours.
La solde est due à l'armée depuis et compris prairial.
La marine n'a pas reçu de solde. Les traitements de table
sont payés en partie pour messidor.
Les quartiers des insurgés sont :
Dans le Nord : Le Gros Morne, le Moustique, le Port de Paix,
Saint-Louis, Le Borgne, Plaisance, partie du Limbé et du
Port Margot, Vallière en partie.
Dans le Sud : Jérémie. 1
CIX
Au Quartier Général,
le 18 Thermidor (6 août 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Ma position devient embarrassante et peut devenir mau-
vaise, la voici :
La mortalité a fait des ravages si effroyables sur mes troupes
que lorsque j'ai voulu désarmer le Nord une insurrection
générale a éclaté. Obligé d'économiser, puisque vous me lais-
sez sans fonds, j'avais détruit l'armée coloniale et renvoyé les
3 /4 des officiers de cette armée. Du moment où les troupes
noires ont vu mon embarras, alors les officiers m'ont tous
réclamé leur arriéré. J'ai été obligé de payer, et n'ayant pas
d'argent en caisse, d'abandonner à vil prix les denrées que
j'avais en magasin, et d'engager mes revenus des douanes.
Les noirs ont marché, mais ils ne sont pas en assez grand
nombre et d'ailleurs tous mes généraux étant malades, j'ai
1. Arch. Hist. du Ministère de la Guerre, B 7 * 26. Copie de lettres du
général Leclerc.

— 202 —
dû me servir des généraux noirs. Christophe est employé
dans les montagnes du Nord et Dessalines du côté de Plai-
sance : je ne crains rien de Christophe, mais je ne suis pas aussi
rassuré sur Dessalines. Les premières attaques ont chassé les
insurgés des points qu'ils occupaient, mais ils se sont reployés
sur d'autres cantons et dans cette insurrection il y a un véri-
table fanatisme : ces hommes se font tuer, mais ils ne veulent
pas se rendre.
Je vous avais prié, Citoyen Consul, de ne rien faire qui pût
les faire craindre pour leur liberté, jusqu'au moment où je
serais en mesure, et je marchais à grand pas vers le moment.
Soudain est arrivée ici la loi qui autorise la traite dans les
colonies avec des lettres du commerce de Nantes et du Hâvre
qui demandent si on peut placer ici des noirs ; plus que tout
cela le général Richepanse vient de prendre un arrêté pour
rétablir l'esclavage à la Guadeloupe.
Dans cet état de choses, Citoyen Consul, la force morale
que je m'étais acquise ici est détruite, je ne puis rien faire
par la persuasion, je n'ai plus que la force, et je n'en ai aucune,
je n'ai reçu en renfort que trois mille hommes sur les vais-
seaux, le Pélage, le Conquérant, le Zélé et le Tourville, j'ai été
obligé de m'en servir de suite, je suis persuadé que moitié
de ce renfort est péri ou aux hôpitaux.
A présent, Citoyen Consul, que vos plans sur les colonies
sont parfaitement connus, si vous voulez conserver Saint-
Domingue, envoyez-y une nouvelle armée, envoyez-y sur-
tout de l'argent, et je vous déclare que si vous nous aban-
donnez à nous-mêmes, comme vous l'avez fait jusqu'à présent,
cette colonie est perdue, et une fois perdue, jamais vous ne la
rattraperez.
Ma lettre vous surprendra, Citoyen Consul, après celles
que je vous ai écrites : mais y a-t-il un général qui ait pu
calculer une mortalité des 4/5 de son armée, et l'inutilité
des autres, qui ait été laissé sans fonds comme moi, dans un
pays où rien ne s'achète qu'au poids de l'or, et où j'aurais,
avec de l'argent, détruit bien des mécontentements.
Pouvais-je m'attendre dans ces circonstances à la loi sur

— 203 —
les traites et surtout aux arrêtés du général Richepanse qui
rétablissent l'esclavage et défendent aux hommes de cou-
leur de prendre la qualité de citoyen.
Je vous ai exposé ma position véritable, avec la franchise
d'un militaire. J'ai la douleur de voir tout ce que j'ai fait
ici sur le point d'être anéanti. Si vous aviez pu être témoin
des difficultés de tous les genres que j'ai vaincues et des résul-
tats que j'avais obtenus, vous gémiriez avec moi de voir ma
position : mais quelque désagréable qu'elle soit j'espère encore
on venir à, bout, je fais des exemples terribles et puisqu'il ne
me reste plus que la terreur, je l'emploie sur les révoltés, j'en
ai fait pendre 60 ; aujourd'hui tout est dans un ordre par-
fait. Tous les propriétaires ou négociants qui m'arrivent de
France parlent tous d'esclaves. Il semble qu'il y ait une cons-
piration générale pour empêcher la restitution de Saint-
Domingue à la République.
Si, ce que je ne présume pas, l'arrestation de Toussaint
avait changé la destination des 12.000 hommes de troupe
que vous m'avez annoncée, ce que je ne puis croire, puisque
je n'ai cessé de faire connaître au ministre de la Marine le
dénuement des troupes dans lequel la mortalité me mettait,
envoyez-moi de suite ces renforts, envoyez-moi de l'argent,
car je suis dans une position vraiment misérable.
On vous dira que nous avons reçu beaucoup de biscuil,
de farine, d'effets d'hôpitaux ou d'habillement, et que l'armée
de Saint-Domingue coûte beaucoup.
On nous a envoyé des farines avariées en grande partie,
et tellement avariées que partie a été jetée à la mer et j'en
dis autant du biscuit.
Nos effets d'hôpitaux arrivés par la Junon, se sont trouvés
avariés par le peu de soin qu'on a mis à les charger à Brest.
Je n'ai rien ou presque rien reçu en effets d'habillement,
ainsi il est très possible que vous ayiez fourni beaucoup d'ar-
gent pour Saint-Domingue, sans que nous en ayions profité.
Envoyez-nous de l'argent ; avec de l'argent j'aurai tout à
aussi bon marché qu'en France.
Le pain coûte ici aujourd'hui cinq sous la livre, et le vin

— 204 —
10 sous la bouteille. Il est vrai que nous sommes dans l'abon-
dance ; mais toujours est-il vrai que nous aurons ici toutes
les denrées meilleures et à meilleur marché que le ministre
de la Marine ne les aura par des fournisseurs. Sacrifiez en ce
moment 6.000.000 francs pour ne pas être obligé d'en dépen-
ser 60 au printemps.
Je vous ai dépeint ma position, en noir, ne me croyez pas
abattu par les événements, je serai toujours à la hauteur des
circonstances quelles qu'elles soient et je vous servirai avec
le même zèle tant que ma santé me le permettra. Elle est
altérée en ce moment, ce qui n'empêche de monter à cheval ;
pensez toujours à m'envoyer mon successeur, je n'ai per-
sonne ici qui puisse me remplacer dans le moment difficile où
la colonie sera encore pendant quelque temps.
Envoyez-moi les généraux Belliard et Regnier, vous ne
sauriez m'envoyer de généraux trop déliés. Leur conduite
doit être extrêmement adroite et si tous avaient pu entendre
mes instructions, je ne serais pas aussi embarrassé aujourd'hui.
Percin est en insurrection. Je n'ai pas d'autres nouvelles
de ce quartier. Recevez l'assurance de mon respectueux
dévouement 1.
CX
Au Quartier Général du Cap,
le 21 Thermidor (9 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'ai l'honneur de vous adresser le vœu du conseil de pré-
fecture et des notables de la colonie de Saint-Domingue pour
que le général Bonaparte soit Consul à vie.
Je vous salue.
LECLERC 2.
1. Arch. du Ministère de la Guerre, B 7 * 26. Copie de lettres du général
Leclerc.
2. Lettre de la main de Leclerc.
Une note mise sur la lettre à son arrivée au ministère signale qu'aucune
pièce n'y était jointe.

— 205 —
CXI
Au Quartier Général du Cap,
le 21 Thermidor (9 août 1802).
Le General en Chef au Ministre de la Manne.
Citoyen Ministre,
Vous trouverez ci-joint le règlement que j'ai arrêté pour
l' établissement de l' ordre judiciaire. Pour le compléter, je
fais rédiger en ce moment un code de police correctionnelle.
Les tribunaux de première instance jugeront en police cor-
rectionnelle tous les délits emportant amende. Quant à la
police ordinaire, elle restera dans les mains du commandant
de place.
Je vais établir des commissions militaires qui auront dans
leurs attributions, outre les délits militaires, ceux qui seraient
commis par des citoyens et qui intéresseraient la sûreté de
la colonie.
Aussitôt que le désarmement sera terminé et que je serai
en mesure, je formerai par division un tribunal prévotal qui
sera dans les mains de la gendarmerie et fera exécuter à la
minute ses jugements. Ce tribunal servira à comprimer les
noirs.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CXII
Au Quartier Général du Cap,
le 21 Thermidor (9 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
L arrivée de YAnnibal et du Formidable avec 1.500 hommes,
du lougre le Vautour avec trois transports, porteurs de
500 hommes, a amélioré ma situation, j'ai fait agir de suite
ces troupes. Les rebelles ont été écrasés dans différentes ren-
contres ; des exemples ont été faits et la révolte diminue au

— 206 —
lieu de gagner. C'est beaucoup dans la circonstance actuelle-
La maladie ne diminue pas ses progrès quant au nombre
des malades, mais elle a moins d'intensité et je ne perds plus
tout à fait autant de monde. J'espère être soulagé dans les
premiers jours de vendémiaire..
J'ai réuni tout ce que j'ai de disponible en troupes colo-
niales et en troupes européennes, demain j'attaquerai les
rebelles sur tous les points.
Les généraux noirs conduisent les colonnes, ils sont bien
entourés. Je leur ai ordonné de faire des exemples terribles,
et je me sers toujours d'eux lorsque j'ai beaucoup de mal à
faire.
Cette battue durera au moins dix jours. Je vous en ferai
connaître les résultats. Je crois pouvoir vous présager qu'ils
seront bons, mais il existera toujours quelque foyer de mécon-
tentement, d'ici au mois de vendémiaire. A cette époque,
toute l'armée sera mise en mouvement et j'atteindrai tous les
rebelles. Mais, de grâce, envoyez-moi de l'argent. Je ne sais
comment faire aller le service des hôpitaux et je ne puis solder
les officiers qui ne recevront plus de ration au premier fruc-
tidor.
Les arrêtés du général Richepanse circulent ici et font bien
du mal. Celui qui rétablit l'esclavage, pour avoir été émis
trois mois trop tôt, coûtera bien du monde à l'armée et à la
colonie de Saint-Domingue.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
J'apprends la nouvelle d'un combat sanglant que le géné-
ral Boyer a soutenu au Gros Morne. Les rebelles ont été exter-
minés, 50 prisonniers ont été pendus. Les hommes meurent
avec un fanatisme incroyable, ils se rient de la mort. Il en
est de même des femmes. Les rebelles du Moustique ont atta-
qué et enlevé Jean Rabel, il doit être repris en ce moment.
Cette fureur est l'ouvrage de la proclamation du général
Richepanse et des propos inconsidérés des colons. 1
1. Post-scriptum de la main de Leclerc.

— 207 —
CXIII
Au Quartier Général du Cap,
le 21 Thermidor (9 août 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
Ma position s'est améliorée depuis ma dernière dépêche,
par l'arrivée de 2.000 hommes environ venus de Gênes et de
Toulon. J'ai fait donner de suite ces troupes et leur présence
a arrêté les progrès de l' insurrection, ce qui est beaucoup dans
la circonstance présente. Demain, je fais donner, simulta-
nément et sur différents points, tout ce que j'ai pu rassembler
de troupes européennes et coloniales. J'attends d'heureux
résultats de cette opération. J'aurai l'honneur de vous les
faire connaître aussitôt que l'opération sera terminée ; mais
d'ici au premier vendémiaire, je m'attends à être inquiété
par des poignées de brigands. A cette époque je détruirai tout
ce qui n'obéira pas.
Je suis content de Dessalines, Christophe et Morpas, ces
trois sont les seuls qui ayent de l'influence, les autres sont
nuls. Christophe et Morpas surtout m'ont beaucoup servi
dans les dernières circonstances.
Christophe et Dessalines m'ont prié de ne pas les laisser
ici après mon départ. Cela vous fait juger la confiance qu'ils
ont en moi.
J'espère, dans les premiers jours de brumaire, pouvoir
renvoyer en France ou ailleurs ce qui me gêne ici. Je ferai la
tournée de la colonie et je passerai de suite mon armée en
revue. Je serai de retour au Cap en nivôse, je consoliderai
alors mon ouvrage et j'organiserai la colonie sur le pied dans
lequel elle devra rester après mon départ et à cet égard, je
rendrai au préfet colonial tout ce qui ne tiendra pas essen-
tiellement à la sûreté de la colonie.
Je vous ai prévenu que j'ai appelé ici le citoyen Mon-
giraud. C'est un homme d'esprit, mais peu instruit en admi-
nistration. Il n'a point des idées nettes des choses et pourra

— 208 —
être propre à faire marcher une machine déjà, en mouvement,
mais nullement à imprimer le mouvement à, une machine
neuve. En général tous ceux qu'on m'a envoyés ici sont des
hommes faibles ou usés. Envoyez-moi un préfet et je ren-
verrai à Santo-Domingo le citoyen Mongiraud. Je suis obligé
de faire ici jusqu'aux arrêtés réglementaires : j'ai chargé le
préfet de les faire, ceux qu'il me présente sont ridicules. Je
les fais moi-même.
En pluviôse, j'aurai organisé la partie espagnole. J'espère
partir en ventôse. Vous m'aurez sans doute envoyé un suc-
cesseur à cette époque. Je puis vous assurer que j'aurai bien
mérité du repos, car je suis vraiment écrasé ici, étant presque
seul.
Le général Dugua est un brave homme qui m'est dévoué
tout entier, mais il ne peut faire beaucoup, il n'est pas encore
guéri.
L'ordonnateur Daure est un bon ordonnateur en temps de
guerre, mais il n'est plus bon quand il faut avoir l'économie
et la surveillance de l'administration. Au demeurant, sa posi-
tion est très difficile. Tous ceux qui l'entouraient sont morts.
Je suis content de lui et mécontent de l'administration.
De grâce envoyez-moi de l'argent, car mes malades périssent
faute de fonds et je ne sais comment payer mes officiers qui
ne recevront plus de ration au premier fructidor.
A l'époque où je partirai, la colonie sera disposée à rece-
voir le régime que vous voudrez bien lui donner, mais ce sera
à mon successeur à faire le dernier pas, si vous le jugez à pro-
pos. Je ne ferai rien de contraire à ce que j'ai imprimé ici.
Le général Richepanse se conduit d'une manière bien impo-
litique et bien maladroite pour Saint-Domingue. Si je n'avais
que sabré ici, il y a longtemps que je serais chassé de l'isle, et
je n'aurais pas rempli vos vues.
Je vous prie d'agréer, Citoyen Consul, l'assurance de mon
dévouement respectueux.
LECLERC.
Plus les noirs me rendent service dans le moment présent,
moins je dois les garder aussitôt que la maladie sera passée.

— 209 —
Un bataillon de la 7me légère que je viens de recevoir s'est
mal conduit, il en est de même des canonniers et de cette
légion expéditionnaire. Cependant j'en tirerai parti.
LECLERC 1.
CXIV
Au Quartier Général du Cap,
le 22 Thermidor (10 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Une question très importante et dont la décision doit influer
sur les progrès de la colonie, c'est celle des dettes.
On peut les diviser en trois classes :
1° celles contractées avant la promulgation de la loi qui
accorde la liberté aux noirs.
2° celles contractées depuis cette époque jusqu'à l'arrivée
de l'armée.
3° celles contractées depuis l'arrivée de l'armée ou qui
seront contractées à l'avenir.
Les dettes de la première classe sont composées pour les
trois quarts du prix : 1° des noirs importés dans la colonie ;
2° des bestiaux ; 3° des constructions. Un quart en plus de
ces dettes a pour origine des objets de consommation per-
sonnelle.
La loi a rendu les noirs libres, la guerre a détruit les bes-
tiaux et les établissements ; ainsi le propriétaire a vu périr
pour lui presque tous les objets qui avaient causé sa dette
et cette perte a été le résultat d'une force majeure.
Les dettes de la seconde classe ont presque toutes été con-
tractées par des fermiers pour achat de bestiaux et d'instru-
ments d'exploitation. Quelques-uns des fermiers ont perdu
tout leur mobilier dans la guerre qui vient d'avoir lieu, mais
1. Le post-scriptum est de la main de Leclerc.
LECLERC
14

— 210 —
en général ils ont sauvé une partie de leurs bestiaux et même
de leurs fruits, et beaucoup n'ont rien perdu.
Enfin la troisième classe des dettes se compose et se com-
posera des avances nécessaires aux propriétaires pour réta-
blir leurs cultures.
Comment seront traitées ces diverses classes de créan-
ciers ? Voilà la question, et il n'est pas facile de la résoudre
sans choquer bien des intérêts.
Je me bornerai à vous présenter des conditions générales.
Les créanciers de la première classe n'avaient, par les lois
qui régissaient la colonie quand leurs créances ont été éta-
blies, aucune hypothèque sur le fond. Ils n'avaient que le
droit de saisir le mobilier et le mobilier a péri.
Leur laisser dans ce moment le droit de se faire payer sur
le produit que les propriétaires ne peuvent créer qu'à force
d'industrie et surtout à l'aide de nouvelles avances, n'est-ce
pas mettre ceux-ci dans l'impossibilité de réparer leurs pertes
et empêcher la restauration de la colonie ?
La colonie aura longtemps besoin d'employer en entier son
produit annuel au rétablissement de sa culture et la métro-
pole est intéressée à ce que ce rétablissement ait lieu le plus
promptement possible. Or ce but ne serait pas rempli si à
mesure qu'un propriétaire rétablirait son habitation, des
créanciers pouvaient enlever ses produits.
Le sort du débiteur de la deuxième classe ne peut pas être
réglé par une mesure générale. Les uns n'ont rien perdu et
les droits des créanciers sur eux ne doivent être ni restreints
ni suspendus, mais il en est qui ont vu périr dans la guerre
tout ou partie de leurs ressources et il semble juste d'avoir
égard à leur position.
Quant aux dettes contractées depuis l'arrivée de l'armée!
et à celles qui le seront à l'avenir, elles ont et auront toutes
pour cause le rétablissement de la culture, la reconstruction
des ateliers et l'achat des animaux et des instruments ara-
toires. C'est des avances que pourra faire le commerce que
dépend principalement la prospérité de la colonie. Il faut
donc encourager à faire ces avances pour la sûreté des créances,

— 211 —
et les nouvelles créances ne seront sûres qu'autant qu'elles
ne se trouveront pas en concurrence avec les anciennes.
Voilà, je crois, le but qu'on doit se proposer, mais quels
sont les moyens d' y parvenir, c'est une question extrêmement
délicate.
Quel que soit le parti qu'on prenne à l'égard des anciennes
dettes, je pense que le moins qu'on puisse faire en faveur des
débiteurs, pour ne pas compromettre la prospérité de la colo-
nie, c est de déclarer qu elles ne seront exigibles qu'après un
délai de 5 ans, payables après le délai, par cinquième chaque
année, sur les fruits seulement, et qu'elles ne porteront inté-
rêt qu'à compter de l'expiration du délai accordé.
Quant aux dettes qu'on peut appeler intermédiaires, elles
paraissent devoir être exigibles dès à présent, en laissant aux
tribunaux la faculté d'accorder du temps en raison des pertes
éprouvées par les débiteurs. Ces dettes sont très peu consi-
dérables.
Enfin on n'obtiendra du commerce les avances nécessaires
pour l'avenir, qu'en établissant à Saint-Domingue le régime
hypothécaire, en statuant que les créances d'une date posté-
rieure à l'arrivée de l'armée pourront seules être inscrites,
et en accordant aux prêteurs un privilège sur les fruits pen-
dant les 5 premières années.
Ces mesures pourront choquer quelques intérêts particu-
liers, mais elles me semblent concilier les intérêts de la métro-
pole, ceux de la colonie et ceux du commerce :
du commerce, qui a besoin de trouver à Saint-Domingue
un débouché du superflu du produit de notre sol et de notre
industrie, et qui ne le trouverait plus si une grande partie du
produit colonial était employé à acquitter des dettes et pas-
sait sans échange, entre les mains de créanciers dont beau-
coup sont étrangers, car vous n'ignorez pas, Citoyen Ministre,
que le commerce de la traite était fait, en France, par beau-
coup de maisons anglaises ;
de la colonie, qui a besoin de réparer ses pertes et qui ne
peut en trouver les moyens que dans des avances qu'on ne

— 212 —
lui fera pas si des créances anciennes obtiennent un privilège
sur les nouvelles ;
de la métropole, qui ne peut trouver le dédommagement
de ses dépenses en hommes et en argent que dans la pros-
périté de la colonie, prospérité qui ne peut s'établir et croître
qu'autant que, dans les premières années, le propriétaire pourra
employer tous ses moyens à rétablir, à recréer tout ce que
douze années de la plus effroyable anarchie ont dévoré.
Il est instant que cette question soit décidée, mais elle doit
l'être après le plus mûr examen, et en écartant également les
prétentions des colons qui oublient toujours la métropole et
celles de quelques commerçants qui cherchent toujours à
persuader que leur intérêt est celui du commerce.
En un mot, je crois qu'autant que l'on pourra sans trop
vexer le commerce français, sacrifier l'ancienne dette à la
nouvelle, il faut le faire.
En attendant une décision, il m'a paru indispensable de
prendre un arrêté qui suspende toutes poursuites pour le paye-
ment des anciennes dettes et qui autorise seulement le créan-
cier à faire régler sa créance devant les tribunaux.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CXV
Au Quartier Général du Cap,
le 26 Thermidor (14 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Vous trouverez ci-joint la note des nègres mauvais sujets
et dangereux pour la colonie mis à bord de divers bâtiments
renvoyés en France et qui manquaient d'équipages. Veuillez
donner vos ordres pour vous assurer que tous ont été remis
à la disposition du préfet maritime du port où ont abordé ces
bâtiments et prendre des mesures pour que jamais ils ne
reviennent ici. Je me suis aperçu que quelques nègres remis

— 213 —
à la marine avaient été vendus dans le commencement de
notre arrivée à Saint-Domingue et ma lettre a pour but de
prévenir ce commerce qui ne peut produire qu'un mauvais
effet ici.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC 1.
CXVI
Au Quartier Général du Cap,
le 29 Thermidor (17 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'ai à me plaindre du citoyen Meyne, capitaine de vaisseau
commandant la frégate l'Infatigable ; cet officier, dont j'ai
d'ailleurs été content sous les rapports du service, avait
reçu à son bord quelques jours avant son départ 150 barils
de farine en dépôt, les magasins du Cap étant encombrés. Il
a emporté avec lui cette farine aimant mieux en priver la
colonie que de s'exposer à rester un jour de plus en rade.
Il est certain que si j'écoutais les réclamations du com-
mandant de chaque bâtiment, je les renverrais en France et
resterais ici presque seul.
La maladie continue toujours ses ravages. J'ai perdu depuis
peu de jours les généraux Wonderweil et Desplanques, l'adju-
dant-commandant Crouzat et plusieurs chefs de corps. Le
commissaire des guerres Agobert vient de mourir : les deux
corps de canonniers de la Méditerrannée sont à moitié détruits
pour 15 jours de campagne qu'ils ont faits.
Envoyez-moi un commandant d'artillerie et un commandant
de génie.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
1. Cette lettre entièrement de la main de Leclerc fut apportée par la
Comète le 14 Vendémiaire, an XI.

— 214 —
CXVII
Au Quartier Général du Cap,
le 1er Fructidor (19 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Aussitôt que les circonstances me le permettent, je rends
au commerce français les avantages qu'il doit trouver dans
les colonies nationales. Vous verrez par l'arrêté ci-joint, que
je vous ai annoncé dans une de mes précédentes dépêches,
que je ne laisse plus fournir ici au commerce étranger que ce
que la France ne pourrait pas fournir.
J'ai admis jusqu'à présent le commerce étranger concur-
remment avec le commerce français, parce que dans l'état
de détresse où était la colonie et avec le peu de moyens du
commerce français, je ne pouvais pas espérer de la ramener
promptement à un état de prospérité. Aujourd'hui, je suis
abondamment pourvu de tout et la colonie est arrachée au
besoin, Le commerce français ne nous laissera pas manquer,
parce qu'il trouvera des retours.
Vous trouverez ci-joint le rapport de ce jour de la situation
du port du Cap. Faites-le imprimer, je vous prie 1, dans le
Moniteur ; c'est la meilleure réponse à faire aux sottises des
Américains qui prétendent que je vexe le commerce.
J'espère, avant de quitter la colonie, faire encore un pas
de plus en faveur du commerce français et après ce, je pense
qu'il n'aura plus rien à désirer.
Je compte assigner au commerce étranger un seul port, le
Môle par exemple, où ses expéditions seraient reçues et de
là versées par le cabotage national sur les points de consom-
mation. Alors nul ne pourrait être consignataire de bâtiments
que les Français ; mais je ne puis encore prendre ces mesures,
sans tarir de suite la source de la prospérité future de la colo-
nie. Je laisse semer les Américains et je ferai faire la récolte
par les Français.
1. « Je vous prie, » a été rajouté par Leclerc, en marge.

— 215 —
Observez que dans le cas où, ce que je ne crois pas, le com-
merce français pourrait fournir avec avantage quelques-unes
des denrées dont l'importation est permise aux étrangers,
il aura toujours en sa faveur l'exemption d'un droit de dix
pour cent.
Je voudrais pouvoir m'occuper encore plus de l'adminis-
tration et organisation de la colonie, pour la porter le plus
promptement au plus haut point de splendeur ; mais j'ai
encore des insurrections violentes à comprimer, et la maladie
fait toujours des ravages.
Je vois avec peine qu'il en est en France des commerçants
comme il en est ici des colons, ils veulent cueillir des fruits,
sans faire attention qu'ils ne sont pas mûrs. Je serai toujours
ferme dans mon plan et je les forcerai à me rendre justice
lorsque je serai arrivé à mon but.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
Je vous prie de faire imprimer mon arrêté sur le commerce
étranger dans le Journal français. Il ne paraîtra ici que le
15 fructidor afin de ne pas donner le temps aux négociants
de la Jamaïque et de Saint-Thomas de nous infester de mar-
chandises anglaises 1.
LECLERC.
CXVIII
Au Quartier Général du Cap,
le 2 Fructidor (20 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'avais ôté le général Desfourneaux de la partie française,
où par son peu de connaissance des hommes et des choses et
son désir immodéré de faire parler de lui il ne pouvait que faire
du mal. Je l'avais envoyé dans la partie espagnole, où il
n'y avait rien à faire. Arrivé là, il a cherché à se faire un parti,
il a vexé les hommes que j'y avais placés. Il a été jusqu'au
1. Le post-scriptum est de la main de Leclerc.

— 216 —
point d'intercepter ma correspondance avec le général Ker-
versau ; je l'ai rappelé. Alors il a fait la proclamation que vous
trouverez ci-jointe. Vous sentirez l'inconvenance d'une pareille
conduite. Je lui ai ordonné de s'embarquer et de retourner
en France.
Je sais que le général Desfourneaux désire un gouverne-
ment à l'extérieur. Je pense que vous feriez mal de le lui confier.
Du reste, pendant la campagne, il a montré du zèle et je ver-
rais avec peine qu'un homme dont le nom a figuré lors de la
conquête de Saint-Domingue cessât d'être employé à son arrivée
en France. Je pense qu'il pourrait commander une division
militaire.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CXIX
Au Quartier Général du Cap,
le 7 Fructidor (25 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Vous verrez par la lettre ci-jointe la destination donnée
par le général Richepanse aux noirs de la Guadeloupe. Ne
voulant pas garder ici longtemps ces révoltés, je les envoie
en Corse par le vaisseau le Formidable qui les déposera à
son passage. Je présume que vous aurez donné des ordres
pour qu'ils y soient reçus ; donnez-en pour 1.500 ou 2.000 que
j'y enverrai sous trois mois.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CXX
Au Quartier Général du Cap,
le 7 Fructidor (25 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Il me paraît que vous ne vous êtes pas fait une idée exacte
de ma position par les ordres que vous m'adressez.

— 217 —
Vous m'ordonnez d'envoyer en Europe les généraux noirs.
Il est bien simple de les arrêter tous le même jour, mais ces
généraux me servent à arrêter les révoltes qui continuent tou-
jours et qui ont un caractère alarmant dans certains cantons.
Morpas est un homme de mauvaise foi. Il me sert dans ce
moment, mais sous peu il sera arrêté. Charles Belair s'est
insurgé : je fais marcher contre lui. Dessalines et Christophe
vont bien et je leur ai de véritables obligations.
Je viens de découvrir un grand complot qui tendait à insur-
ger la colonie en entier à la fin de thermidor, mais qui n'a été
exécuté que partiellement par la défaut de chef unique.
Ce n'est pas le tout d'avoir enlevé Toussaint, il y a ici
2.000 chefs à faire enlever. Il n'y a pas de gérant qui n'ait
assez d'influence pour soulever à volonté son atelier. Cepen-
dant à mesure que j'enlève les armes, le goût des insurrections
diminue. J'ai déjà ramassé 20.000 fusils environ, il en reste
encore autant dans les mains des cultivateurs. Il faudra bien
que je les aye.
Mais, Citoyen Ministre, ne perdez pas un instant pour faire
partir les convois de troupes que vous m'avez annoncés.
De vos dernières expéditions j'ai reçu :
Par le Pelage et le Conquérant
1.200 hommes
Par la Nourrice
.. ..
300
»
Par Y Argus et le Vigilant
150
»
Par l'Annibal et le Formidable
1.200
»
Par l'Intrépide
500
»
Expédition de Gênes
500
»
TOTAL
3.850 hommes
Malgré ces renforts, je serais content si le 10 vendémiaire
je puis réunir 5.000 hommes en état de marcher et il me res-
tera environ 4.000 hommes aux hôpitaux. Jugez des ravages
que mon armée a essuyés et essuye journellement.
Je ne vous fais plus l'énumération des officiers supérieurs
que je perds chaque jour. Ce tableau est trop long. Au 15 ven-
démiaire, époque à laquelle je suppose que la maladie s'arrê-
tera, je passerai toute l'armée en revue et je vous ferai con-
naître nos pertes.

— 218 —
J'aspire au moment où je pourrai faire enlever ceux qui
me gênent ici et cela ira à 2.000. Mais je ne puis le faire sans
avoir assez de troupes pour entrer de suite en campagne et
marcher sur tous les points où je trouverais des rebelles. Des
12.300 hommes que vous m'annoncez, je n'en ai encore reçu
que 3.850. Je ne désire pas le reste avant un mois, mais il
serait fâcheux que la moitié ne fut pas arrivée à cette époque.
Par mes lettres vous aurez jugé combien ma position était
difficile et combien il m'a fallu d'adresse pour me soutenir
ici. Cette conduite doit être pour le Gouvernement un garant
de celle que je tiendrai dans des temps moins difficiles. Mais
envoyez-moi les hommes que vous m'avez promis. Envoyez-
moi 3 millions et je vous réponds et proclame, en nivôse et
pluviôse, que Saint-Domingue est rendu à la France.
Je poursuis les rebelles avec une activité dont les habitants
de ce pays ne se font pas une idée et la révolte n'augmente pas,
ce qui est beaucoup.
On m'annonce une insurrection au Dondon et à la Mar-
melade qui jusqu'à présent n'avaient pas bronché. Je ne crains
pas une insurrection violente de ce côté qui est désarmé.
Pensez à me donner un successeur, car dans six mois, j'aurai
besoin de repos et je l'aurai bien mérité.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
L'insurrection du Dondon est plus forte que je ne le croyais,
mais par les mesures que j'ai prises, j'espère qu'elle n'aura pas
de suite.
Cette nuit j'ai reçu des renseignements qui m'annoncent
que par le défaut de troupes l'insurrection du Dondon et de
la Grande Rivière a fait de grands progrès. Je vais faire mar-
cher la chétive garnison du Cap. J'ai bien besoin de troupes,
Citoyen Ministre. Le Port de Paix est encore en insurrection
mais le Moustique est battu. Encore un procès-verbal de den-
rées arrivées avariées.
LECLERC. 1
1. Post-scriptum de la main de Leclerc, annexé à la lettre du 9 Fruc-
tidor.

— 219 —
CXXI
Au Quartier Général du Cap,
le. 7 Fructidor (25 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
J'ai reçu vos dépêches, en date du 27 prairial et jours sui-
vants. Je vais y répondre.
Je ne puis penser à l'affaire que vous me proposez, quel-
qu'avantageux que doivent être les résultats. Les circonstances
commerciales ont changé ici vingt fois depuis l'embarquement
du général Toussaint.
Ne pensez pas à 1274, 1319, 1065, 998, 1318, 535, 487, 255
ici avant quelque temps. Je crois pouvoir tout faire pour que
mon successeur n'ait plus que 1834. 1274. 2003. 1319. 1065.
1420. 647. du 1369. 1915. 142. à 1275. 1411. 1363. 484. 1397.
1014. niais après les 4.524. 1318. 535. 1309. 721. 573. 1301.
860. sans nombre que j'ai faites ici pour 1.055 1887. 1651.
491
aux 184. 1719. 1692.
1277. 65. 495. Je ne veux pas être
en contradiction avec moi-même mais assurez 1169. 1724.
1405. 1422. que mon 1183. se 872 trouvera tout disposé. L.1
1. Leclerc a signé d'un simple paraphe. La traduction de la partie
chiffrée nous est fournie par le copie de lettres, conservé aux Archives
du Ministère de la Guerre, où cette lettre figure à la page 1. Le dernier
paragraphe en est ainsi conçu : « Ne pensez pas à rétablir l'esclavage ici
avant quelque temps ; je crois pouvoir tout faire pour que mon succes-
seur n'ait plus que l'arrêté du Gouvernement à faire exécuter, mais après
les proclamations sans nombre que j'ai faites ici pour assurer aux noirs
leur liberté, je ne veux pas être en contradiction avec moi-même. Mais
assurez le Premier Consul que mon successeur trouvera tout disposé. »
La lettre du Ministre du 26 Prairial, à laquelle Leclerc répondait, se
trouve aux archives du Ministère des Colonies, BB 36, f° 87, où elle est
indiquée à la table comme « envoi d'une recette chiffrée pour la culture. »

— 220 —
CXXII
Au Quartier Général du Cap,
le 7 Fructidor (25 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Vous ne pouvez nous rendre un plus mauvais service que de
nous envoyer de France des fournitures quelconques, elles sont
généralement mauvaises et souvent hors de service, vous en
jugerez par les procès-verbaux ci-joints. Fournissez-nous en
argent ce que vous voulez nous donner.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CXXIII
Au Quartier Général du Cap,
le 8 Fructidor (26 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Vous verrez par l'état ci-joint qui est bien loin d'être satis-
faisant, que la maladie commence à devenir moins violente
au Cap.
Les hôpitaux du Môle ont perdu pendant messidor
677 hommes.
Les hôpitaux du Môle ont perdu pendant thermidor
69-3 hommes.
Ceux de Plaisance, Port de Paix, Port Margot, Le Borgne,
pendant ces deux mois : 874.
Celui du Fort Liberté et les ambulances de la plaine pendant
les mêmes mois : 392.
Je viens de perdre le chef de la 31e de ligne, celui de la 71e,
celui de la 11e légère.

— 221 —
Je n ai pas en ce moment 5 chefs de corps venus de France
avec moi.
J ai perdu 2 généraux de division, 10 généraux de brigade,
9 adjudants commandants.
Je suis sans officiers d'artillerie et de génie.
J'ai besoin d'officiers de santé.
J ai L' Honneur de vous saluer.
LECLERC.
CXXIV
Au Quartier Général du Cap,
le 8 Fructidor (26 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Il est bien facile au commerce français de crier parce que
j'ai assujetti les bâtiments français à payer un droit d'impor-
tation pendant un mois. Les commerçants me doivent de la
reconnaissance pour m'être occupé d'eux au milieu des opé-
rations militaires, car l'arrêté même dont ils se plaignent,
et par lequel ils n'étaient assujettis qu'à la moitié du droit
payé par le commerce étranger est une preuve de ma solli-
citude à leur égard.
Au demeurant, je crois avoir fait tout ce que je pouvais et
si je fais payer aujourd'hui 15 pour cent à l'exportation,
c'est parce qu'il faut que je vive et que le Gouvernement ne
m'envoye pas un sol. Vous trouverez, dans mon arrêté relatif
au commerce étranger, des mesures qui sont propres à satis-
faire le commerce de la métropole.
Avant d'avoir reçu vos ordres à cet égard, j'avais pensé
à ôter au commerce étranger la fourniture des denrées que la
France peut fournir, vous vous en convaincrez par mes der-
nières dépêches.
Les négociants français sont bien impatients de jouir, moi
je suis impatient d'assujettir véritablement la colonie.
J'ai répondu, par mes différentes lettres, à votre dépêche
du 25 prairial qui ne m'est arrivée qu'hier. Cette lettre est

— 222 —
relative au système à établir dans-la colonie relativement au
commerce et aux noirs.
Vous me demandez le règlement de culture adopté par
Toussaint, déjà vous devez l'avoir reçu dans le temps. Quant
à celui que j'ai fait et qui a été imprimé dans les journaux,
je vous ai déjà prévenu qu'il paraîtrait ridicule et peut-être
inepte à tout homme qui ne sera pas sur les lieux et qui ne
connaît pas ma position, mais vous me jugerez par celui que
je laisserai à la colonie avant de la quitter.
Vous m'annoncez des médicaments et des effets d'hôpital
qui doivent m'arriver de Brest. De grâce ne m'expédiez que
des piastres. J'espère qu'elles ne m'arriveront pas avariées.
Vous connaissez à présent, par les journaux qui vous sont
envoyés exactement, mon organisation de Saint-Domingue.
Sur ce que vous ne vous expliquerez pas à vous-même, retar-
dez votre jugement jusqu'à ce que j'ai fini, car mes institutions
sont presque toutes, à l'exception de celles relatives à l'ordre
judiciaire, des institutions de circonstance.
Vous trouverez ci-joint une collection de journaux officiels
qui ont paru jusqu'à présent, de crainte que vous ne soyez
en retard d'en recevoir quelques-uns.
Vous me demandez du bois de gayac. Les constructions
occupent tous les bras et il ne faut pas penser à en exploiter
présentement, cela serait trop cher, mais je fais payer en nature
le dixième de celui qui s'exporte et je vous le réserve. J'en
envoie 25.000 st. par la Comète.
Le citoyen Bénézech m'a proposé d'établir en nature la
perception du droit sur le gayac. je l'ai ordonné et je viens
d'en prohiber la sortie par les navires étrangers.
Je suis de votre avis quant aux évêques. Je ne vous en ai
parlé que parce que le Premier Consul m'en avait parlé avant
mon départ de Paris.
Je ne garderai que deux vaisseaux, 6 frégates et huit cor-
vettes ici. C'est le moins dont puisse être composé la station,
dans l'état de guerre civile où se trouve la colonie.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.

— 223 —
CXXV
Au Quartier Général du Cap,
le 9 Fructidor (27 août 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je me suis plaint de la conduite du citoyen Pichon et de
ses relations avec moi. Il paraît d'après des renseignements
que je me suis procuré que ce citoyen a moins de torts réels
que je ne l'avais supposé d'après ses actes et sa correspondance.
Il paraît avoir été induit en erreur par des personnes employées
à Saint-Domingue que leurs fonctions semblaient rendre dignes
de toute confiance. Ces personnes ne sont plus et je ne vous en
entretiendrai pas, mais je verrai avec plaisir, Citoyen Ministre,
que mes plaintes ne soient pas un motif pour faire perdre au
citoyen Pichon la place qu'il occupe.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CXXVI
Au Quartier Général d'Estaing,
le 24 Fructidor (11 septembre 1802).
Le Général en Chef au Général Boudet.
Vous vous conformerez, citoyen général, aux dispositions
ci-après pour votre attaque du 27. Cette attaque doit avoir
lieu le dit jour sans aucun retard attendu que les généraux
Brunet et Dessalines ont ordre d'agir dans leur division le
même jour.
Vous avez de disponible les corps ci-après :
1er bataillon de la légion polonaise .. .
745 hommes
3e légère
400
»
83e légère
230
»
49e légère
450
»
13e coloniale
450
»

— 224 —
1er et 2e coloniale
350
6e coloniale
300
10e coloniale
400
»
Cela vous donne un total de....
3.325 hommes
non compris votre ancienne division que vous pouvez tenir
en position. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup à diminuer
(Je cette force qui n'est pas certainement égale aux rations
prises par chacun des corps, mais réduisons le tout à
3.000 hommes, vous pouvez en disposer de la manière
suivante :
1.500 hommes pour l'attaque des Bormetes.
300
»
au Dondon, réserve à Labbé.
300
»
à Héritout, réserve.
300
»
partant du Trou pour aller prendre la direction
de la Grande Rivière par la montagne et redes-
cendre sur la paroisse.
300
»
à la Grande Rivière marchant au devant du déta-
chement du Trou aussitôt après la prise dés
Bormetes.
250
»
à Nugent pour empêcher les brigands de se jeter
sur la Marmelade.
2.950 hommes.
Aussitôt la soumission des Bormetes, mettez vos troupes
blanches en position dans le quartier et faites poursuivre les
rebelles à outrance partout où ils se jetteront, par les troupes
coloniales. Formez le nombre de colonnes que vous jugerez
convenable.
Ménagez vos troupes européennes le plus que vous pourrez.
Ne les faites marcher que le soir ou le matin hors le cas d'at-
taque.
Vous avez aujourd'hui le premier bataillon de la légion
polonaise fort de 750 hommes au Haut du Cap, empechez
ces hommes de se livrer à la boisson.
Comme les généraux Brunet et Dessalines doivent agir le 27,
prenez vos mesures pour que votre attaque ait lieu le
même jour et de bonne heure.
Je viens de voir l'aide de camp du général Christophe qui



— 225 —
est malade. Si sa maladie augmente vous le ferez remplacer
avantageusement dans son commandement par le citoyen
Petion.
Je vous salue.
LECLERC 1.
CXXVII
Au Quartier Général du Cap,
le 26 Fructidor (13 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Voici ma position :
J'ai reçu des 12.302 hommes que vous m'annoncez devoir
arriver de différents points :
1° de Toulon, sur l'Intrépide et l'Annibal.. ..
1.100 hommes
dont 300 faisant partie du dépôt de la légion
expéditionnaire sont un composé de brigands de
la Provence, moitié a déserté avec les brigands et
l'autre moitié est incapable de rendre aucun
service.
2° de Toulon, par la Cerès, la Rondinelle et le
Mohawk
597
»
3° de Brest, par le Conquérant, le Pélage
et l'Union
1.200
»
4° de Rochefort, par l'Intrépide
500
»
5° du Havre, par Y Argus et le Vigilant
120
»
6° par 1 'Alexandrine et le Républicain
464
»
7° de Gènes, 3 bâtiments escortés par le
Vautour
481
»
8° de Livourne, 13 bâtiments escortés par le
Lody, portant la légion polonaise
2.270
»
TOTAL
6.732 hommes
1. Cette lettre est tout entière de la main de Leclerc, qui a lui-même
écrit au dos l'adresse :
« Au général Boudet,
Le général Dugua enverra cette lettre par un officier qui viendra
m'annoncer sa réponse, »
LECLERC
15

— 226 —
Je n'ai rien reçu en outre.
A mesure de l'arrivée de ces troupes, j'ai été obligé de les
mettre en campagne pour réprimer les insurrections générales
dont je vous ai rendu compte dans mes dernières dépêches.
Pendant les premiers jours les troupes ont agi et ont obtenu
des succès, mais la maladie les a atteints et à l'exception de la
légion polonaise, tous les renforts arrivés sont anéantis. Cette
légion est arrivée depuis deux jours et l'insurrection est si
violente dans le Nord que j'ai été obligé de la faire marcher
de suite. La maladie fait des ravages aussi grands que dans la
canicule. On m'annonce un changement de saison pour le
15 vendémiaire, mais je crains bien de n'avoir plus de soldats
à cette époque.
Je ne puis vous donner une idée exacte de ma position,
chaque jour elle empire et ce qui retardera de beaucoup la
prospérité de la colonie, c'est qu'à l'époque où les maladies
cesseront, je n'aurai plus d'hommes pour agir.
Si je puis avoir au 15 vendémiaire 4.000 européens en état
de marcher, je me trouverai très heureux, en comprenant tout
ce que vous m'avez envoyé et ce que j'ai encore avec moi.
Tous mes chefs de corps sont morts, à l'exception de deux.
Je n'ai pas de sujets pour les remplacer.
Pour vous faire une idée de ma perte, sachez que la 7e de
ligne est arrivée ici à 1.395 hommes, elle a en ce moment
83 malingres, et 107 aux hôpitaux, le reste a péri.
La 11e légère est arrivée à 1.900 hommes, elle a 163 hommes
au corps et 201 aux hôpitaux. La 71e, qui a reçu environ
1.000 hommes, a 19 hommes aux drapeaux et 133 aux
hôpitaux.
Il en est de même du reste de l'armée ; ainsi faites-vous une
idée de ma position dans un pays où la guerre civile a existé
pendant dix ans et où les révoltés sont persuadés qu'on veut
les réduire à l'esclavage.
La légion polonaise est nue, mal armée et il lui est dû plu-
sieurs mois de solde. Il y a aujourd'hui 37.000 francs dans
la caisse générale de l'armée. Le défaut de fonds ne contribue
pas peu à rendre ma position plus mauvaise. A défaut de troupes

— 227 —
européennes je suis obligé de solder des noirs qui me coûtent
très cher et le désarmement est suspendu.
Si le Gouvernement français veut conserver Saint-Domingue,
il faut, Citoyen Ministre, au reçu de ma lettre donner des
ordres pour faire partir de suite 10.000 hommes. Ils arriveront
en nivôse et l'ordre sera ultérieurement rétabli avant les
chaleurs. Mais si cette maladie devait régner trois ans de
suite à Saint-Domingue, il faudrait que le Gouvernement
renonce à cette colonie.
Je n'ai pas 40 officiers de génie dans la colonie, je n'ai plus
d'officiers d'artillerie. Je manque d'officiers de santé.
Je viens de perdre le citoyen Larocheblin, inspecteur aux
revues, le citoyen Ney, chef de la 5e que j'avais nommé général
de brigade. Ma santé est trop délabrée pour que je puisse
résister longtemps aux fatigues que ma position exige. Le 28
je fais faire une attaque générale sur le Dondon, la Marmelade
et la Grande Rivière, où les rebelles sont en force. Je serai
obligé d'y aller moi-même, car je n'ai personne pour diriger
les troupes sur ce point.
Vous m'avez envoyé les généraux de division Desbureaux
et Quantin : le premier ne se remue point crainte de mourir ;
le second ne connaît rien à la guerre.
Je fais partir le 30 la Cocarde pour la France, avec un de mes
aides de camp. Je vous écrirai plus au long et je vous ferai
connaître le résultat de mes attaques.
Aussitôt ma lettre reçue ne perdez pas un instant pour vous
occuper de l'expédition de troupes. Il y aurait bien de l'avan-
tage à les envoyer sur des bâtiments de l'État pour les faire
arriver plus promptement.
Quoi que je vous aye fait ma position si affreuse je dois vous
dire que le courage ne me manque jamais, que les insurrections
qui ont éclaté dans le Sud et l'Ouest sont à peu près apaisées,
que Charles Belair, un des généraux soumis, qui s'était mis à la
tête des insurgés, vient d'être arrêté et qu'il sera fusillé au Cap.
Depuis quatre mois je ne me soutiens que par adresse, sans
avoir de forces réelles. Jugez si je puis remplir les intentions
du Gouvernement.

— 228 —
Que mon successeur soit un homme fort de caractère,
instruit comme militaire et comme administrateur, autre-
ment la possession de la colonie serait compromise.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC,
CXXVIII
Au Quartier Général du Cap,
le 29 Fructidor (16 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Il faut ajouter aux 10.000 hommes que je vous demande
250 officiers du génie dont un général, 2 chefs de brigade,
4 chefs de bataillon, 10 capitaines et 8 adjoints. Je n'ai plus
que 50 officiers de cette arme, dont 2 sont malades ; il faut
200 sapeurs ou ouvriers propres aux travaux du génie. Il faut
40 mineurs ; il faut 240 officiers d'artillerie, dont 3 chefs de
brigade, 6 chefs de bataillon, 15 capitaines ou lieutenants.
Il faut une compagnie d'ouvriers complète et 200 canonniers ;
il faut 60 officiers de santé de différentes classes, je n'en ai
plus et je me sers de ceux de la colonie qui ne sont pas instruits.
Encouragez le passage d'ouvriers, car quoique nous payons
jusqu'à 3 gourdes par jour les charpentiers et menuisiers,
nous en manquons. Depuis un mois je n'ai pas eu 300.000 francs
à disposer, jugez de ma situation.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CXXIX
Au Quartier Général d'Estaing,
le 29 Fructidor (16 septembre 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
J'ai l'honneur de vous envoyer mon aide de camp, le citoyen

— 229 —
Ornano, pour vous porter le rapport de ma situation actuelle.
Je suis content de ce jeune homme.
J'ai rendu compte au ministre de la Marine et à vous dans
le temps, des ravages que causait l'horrible maladie que nous
éprouvons. Ils sont tels que j'écrivais au ministre de la Marine
par la Nourrice que si je pouvais mettre en campagne au
15 vendémiaire 4.000 Européens, je me trouverais fort heureux,
et en disant cela, je n'affirmais rien qui ne fût conforme à la
vérité.
Aussitôt l'arrivée de la nouvelle du rétablissement de l'escla-
vage à la Guadeloupe, l'insurrection qui jusqu'alors n'avait
été que partielle, est devenue générale et ne pouvant faire
face de tous les côtés, j'ai été obligé d'abandonner certains
points qui ont souffert. Heureusement que des renforts, dont
vous trouverez ci-joint l'état, me sont arrivés dans les moments
les plus difficiles. Je les ai employés avec succès, mais après
12 jours de campagne, ces corps se sont trouvés anéantis
et l'insurrection reprenait par défaut de moyen de compres-
sion. Mais, dans les derniers temps, l'audace et la force des
révoltés a été telle que je me suis vu forcé de prendre des
précautions pour couvrir le Cap. L'arrivée de la légion polo-
naise a un peu changé la situation des choses. J'en ai placé
un bataillon dans la division de gauche du Nord, un dans celle
de Plaisance et le troisième pour le Sud et l'Ouest. J'espère
avec ce renfort conserver ma position jusqu'au changement
de la saison. Voici ma situation militaire du 29 :
Hier j'ai fait attaquer la Grande Rivière, Sainte-Suzanne,
le Dondon et la Marmelade ; nous avons réussi sur quelques
points mais les positions principales n'ont pu être enlevées.
J'avais réuni tous mes moyens pour cette attaque, ce qui rend
ma position d'autant plus fâcheuse. Me voilà donc encore
obligé de me tenir sur la défensive dans la plaine du Cap jus-
qu'à l'arrivée de nouveaux renforts. Mes troupes sont décou-
ragées par l'effet du climat. Les Polonais quoique braves sont
trop lents et se font tuer par les noirs. Cette journée me coûte
400 hommes. Je n'ai point encore de nouvelles d'une colonne
composée de la 10e coloniale. J'ai de fortes raisons de croire

— 230 —
que ce corps aura déserté après avoir tue son. chef. C' est pré-
sentement une guerre de couleur. Les colonnes qui avaient
des blancs ont plus souffert que celles qui avaient des noirs.
Le canton de Vallières est occupé en partie par les rebelles,
mais je ne puis agir sur ce point.
Le Gros Morne et le Limbé sont insurgés ; Le Borgne, Saint-
Louis et le Port de Paix le sont aussi. Hier le général Brunet
a dû agir sur ces différents points. Je n'ai point encore de
rapport de lui, mais j'augure que ces attaques auront mieux
réussi que celles de la division de gauche.
Dans l'Ouest, le général Charles Belair s'était insurgé avec
une partie de la 8e coloniale, forte de 200 hommes, il avait
avec lui 4 ou 500 cultivateurs. J'ai mis Dessalines à sa pour-
suite, il l'a arrêté. Je le ferai fusiller ici. Depuis cette époque
le quartier des Gonaïves paraît assez tranquille. Le quartier
de l'Arcahaye et les hauteurs qui se trouvent entre la plaine
du Cul-de-Sae et l'Artibonite sont encore infestés de brigands.
La plaine du Cul-de-Sac est inquiétée par les anciens nègres
marrons retirés dans les montagnes d'Oco.
Le Sud a eu plusieurs insurrections qui ont été réprimées
promptement, mais le pays est en fermentation.
Le bataillon polonais que j'ai envoyé au Port Républicain
produira un bon effet dans ce quartier.
Voici l'état de mes généraux noirs : Morpas est un coquin
dangereux. Sous peu de jours je le ferai arrêter et je vous
l'enverrai. Je ne suis pas assez fort en ce moment pour l'arrêter,
parce que son arrestation produirait dans son quartier une
insurrection et que j'en ai déjà assez dans le moment.
Christophe pour réparer la sottise qu'il avait faite « de s'unir
aux noirs », les a tellement maltraités qu'il en est exécré et
que je vais vous le renvoyer, sans craindre que son. départ
fasse la moindre insurrection. Je n'ai pas été content de lui
hier.
Dessalines est dans ce moment le boucher des noirs. C'est
par lui que je fais exécuter toutes les mesures odieuses. Je le
garderai tant que j'en aurai besoin. J'ai mis auprès de lui
deux aides de camp qui le surveillent et qui lui parlent cons-

— 231 —
tamment du bonheur que l'on a en France d'avoir de la for-
tune. Il m'a déjà prié de ne pas le laisser à Saint-Domingue
après moi.
Laplume, Clervaux et Paul Louverture sont trois imbéciles
dont je me déferai à volonté. Cela sera aussitôt que je le
pourrai.
Vernet est un coquin lâche ; je m'en déferai incessamment.
Ch. Belair va être jugé et sera fusillé.
Aussitôt l'arrivée de la bonne saison, j'aurai, pour agir,
8.000 hommes composés de la manière suivante :
4.000 européens.
2.000 soldats noirs.
2.000 gendarmes.
Mais ces forces seront insuffisantes pour maintenir le pays et
plus je retarde à le soumettre, plus la soumission sera difficile
à obtenir.
Je pense que vous aurez donné des ordres aussitôt que vous
aurez connu la perte que je faisais par les maladies, ce dont
je vous ai instruit exactement ainsi que le ministre de la Marine,
pour qu'on me fît passer de suite des renforts.
Le bruit du Cap m'annonce qu'il se préparait deux arme-
ments considérables, l'un à Rochefort, l'autre à Brest. Je
n'apprends pas autrement les nouvelles et la dernière lettre
que j'ai reçue du ministre de la Marine est du commencement
de prairial. J'ai eu beau l'instruire exactement de la perte
de mon armée, de ma pénurie d'argent, il n'a répondu à rien.
Il aurait pourtant dû savoir qu'à la distance où je me trouvais
de la France, privé de mes troupes et de ressources pécuniaires,
environné d'ennemis acharnés, il était important pour moi
de savoir quels moyens le Gouvernement employerait pour
venir à mon secours. Oui, Citoyen Consul, telle a été ma posi-
tion, il n'y a pas eu d'exagération. Chaque jour j'ai été occupé
de savoir comment je remédierais aux maux de la veille.
Jamais une idée consolante n'est venue effacer ou diminuer
les impressions cruelles du présent et de l'avenir et depuis
l'embarquement de Toussaint, la conservation de Saint-

— 232 —
Domingue est une chose plus étonnante que mon début dans
cette île et l'enlèvement de ce général.
Si je ne connaissais pas combien vous avez à cœur la réussite
de cette expédition et combien vous appréciez mon dévoue-
ment à votre personne, je me serais cru sacrifié. Je suis encore
à recevoir du ministre de la Marine un témoignage de satis-
faction de ma conduite ici que tous mes voisins admirent.
Vous savez pourtant que c'est la seule monnaie dont je me
paye.
Il faut, Citoyen Consul, qu'indépendamment des renforts
qui me restent encore à recevoir, faisant partie de l'expédition
qui m'était annoncée, dont je n'ai reçu encore que les corps
ci-après :
1° de Toulon, par \\'Intrépide et l'Annibal. . .
1.100 hommes
dont 300 faisant partie du dépôt de la légion
expéditionnaire, dont un composé de brigands
de la Provence. Moitié a déserté avec les bri-
gands, l'autre moitié est incapable de rendre
aucun service.
2° de Toulon, par la Cerès, la Rondinelle et
la Mohawk
597
»
3° de Brest, par le Conquérant, le Pelage et
Y Union
1.500
»
4° de Rochefort, par l'Intrépide
500
»
5° du Havre, par Y Argus et le Vigilant....
520
»
6° par YAlexandrine et le Républicain
464
»
7° de Gênes, 3 bâtiments escortés par le
Vautour
481
»
8° de Livourne, 13 bâtiments escortés par le
Lody, portant la légion polonaise
2.270
»
TOTAL
6.732 hommes
Vous m'envoyez de suite 10.000 hommes ; ne les envoyez
pas sur des bâtiments de commerce comme vous l'avez fait.
Vous voyez combien peu on peut compter sur les troupes qui
voyagent de cette manière.
Les Polonais ont été cinq mois en route, ils sont arrivés
ici le 23 et la 86e n'est pas encore arrivée.
Je n'évalue pas à plus de 2.600 hommes ce qui me reste

— 233 —
à recevoir, si je dois trouver dans les troupes devant venir,
le même déficit que j'ai eu sur celles déjà arrivées ; ainsi cet
envoi n'aurait été que de 9.000 hommes.
Envoyez ces troupes sur des bâtiments de l'État, vous
pourrez alors avoir des données exactes sur leur arrivée.
Il faut cela pour vous assurer de la possession certaine de
Saint-Domingue ; la maladie nous a bien reculé et plus vous
attendrez, plus vous aurez de monde à envoyer pour rétablir
les affaires.
La maladie qui s'était un peu ralentie dans la dernière
décade de thermidor et dans les premiers jours de fructidor
a repris une nouvelle vigueur et elle continuera de ravager,
à ce qu'on m'assure, jusqu'au 15 vendémiaire ; elle nous coûte
à présent de 100 à 120 hommes par jour.
Vous pourrez, je crois, calculer les pertes de l'armée de
Saint-Domingue, d'après les donnés ci-après :
L'armée a reçu pour la lre expédition environ..
17.000 hommes
2e expédition et dépôt
3.000
»
de l'expédition des 12.000 hommes
6.700
»
de l'artillerie de marine
1.600
»
TOTAL
28.300 hommes
Sur ce, il nous restera au 15 vendémiaire,
d'après mon calcul, en troupes européennes
pouvant agir
4.000
»
En convalescents
1.500
»
aux hôpitaux
4.500
»
artillerie de marine, hors d'état de service...
400
»
TOTAL
10.400 hommes
Il faudra ajouter à nos pertes 5.000 matelots, ce qui fait que
l'occupation de Saint-Domingue nous coûte jusqu'à présent
24.000 hommes et que nous n'en sommes pas encore défini-
tivement maîtres.
Quoique je ne porte que 10.400 hommes européens, exis-
tant à Saint-Domingue, je suis obligé de solder et nourrir
au moins 20.000 hommes, soit par l'impossibilité de passer
des revues, soit par les friponneries des officiers noirs que je
ne puis réprimer en ce moment, soit parce que je suis obligé

— 234 —
de payer des gardes nationales. Mais aussitôt la mauvaise
saison passée, je passerai moi-même en revue toute l'armée
et alors je calculerai positivement ma dépense.
Je compte au 15 vendémiaire me mettre en marche pour
passer ma revue. Je tirerai mon armée de son abattement.
Je réglerai la consommation. Je reconnaîtrai tous les points
que je n'ai pu encore voir. J'arrêterai un bon système de défense
de la colonie et j'établirai l'ordre dans les plus mauvais
cantons.
Cette tournée sera longue, mon intention étant de fixer
l'établissement des compagnies de gendarmerie, de fixer les
points de défense permanente à établir, d'arrêter les batteries
à construire pour l'extérieur et d'observer la situation de la
culture dans les différents quartiers.
Quand j'aurai fini dans la partie française, j'irai voir la
partie espagnole, si la première est tranquille et si mes forces
physiques me le permettent. Je suis tellement affaibli que pour
avoir été hier en plaine, je suis revenu avec la fièvre et aujour-
d'hui je suis très souffrant.
Depuis longtemps je vous demande un successeur. Envoyez-le
moi, car je crains bien d'être atteint d'une maladie de langueur
et la position de cette colonie est telle qu'elle ne peut rester
un instant sans chef ; personne ici ne peut me remplacer.
Le général Rochambeau, brave et d'une bonne exécution
à la guerre, ne connaît plus rien lorsqu'il s'agit de mettre de
l'adresse et du tact dans sa conduite. D'ailleurs il n'a pas de
caractère et se laisse facilement mener.
Le général Boudet est très faible de moyens et ne pense qu'à
jouir de l'argent qu'il s'est procuré de différentes manières.
Le général Desbureaux est un homme sans énergie qui craint
de mourir.
Le général Quantin est un homme qui ne peut assembler
deux idées.
J'estime le général Dugua, mais vous le connaissez, il est
trop faible de caractère pour diriger une machine aussi forte.
Le général Watrin, d'après ce qu'on m'a dit, ne peut con-
venir ici comme chef.

— 235 —
Si celui que vous enverrez ici n'est pas un homme instruit
comme militaire et comme administrateur, s'il n'a pas un
grand caractère et s'il ne préfère pas la gloire à l'argent, la
possession de la colonie sera compromise. Un seul ne suffit
pas. Envoyez un commandant en second qui puisse le rem-
placer dans le cas de sa mort.
Je vous ai indiqué les généraux Béliard et Régnier, comme
pouvant être employés, 1 un dans la partie française et l'autre
dans la partie espagnole. J'ajouterai à ceux-là le général
Soult dont je vous ai entendu faire l'éloge, mais que je ne
connais pas. J'ajouterai un homme peu connu en France,
mais qui l'est des Anglais par sa honne conduite à la Guade-
loupe : c'est Victor Hugues. Il a connaissance militaire, force
de caractère, même opinion que vous sur la colonie. Il a cepen-
dant un défaut à mes yeux, c'est d'avoir vécu à Saint-Domingue
comme marchand. Quoi qu'il en soit, VOUS ne pouvez envoyer
ici un homme trop fort. Il n'y aurait pas de mal qu'il partît
de suite de France, avec ordre de servir sous moi jusqu'à ce
que je croie devoir lui remettre le commandement. Quand il
passerait deux mois avec moi, cela lui serait très avantageux.
Je ferai mon possible, Citoyen Consul, pour rester ici jus-
qu'à la fin de germinal. J'espère beaucoup du changement
de la saison pour mon rétablissement ; mais passée cette
époque, je retournerai en France. Si vous m'avez envoyé les
renforts qui me sont nécessaires j'aurai tout rétabli, si vous
ne me les avez pas envoyés à cette époque, la saison des mala-
dies arrivant, il me sera impossible d'assujettir la colonie dans
ce temps, et alors je ne puis consentir à passer à Saint-Domingue
un second été comme celui-ci, dans une position aussi malheu-
reuse, sans aucune perspective consolante.
Le général Rochambeau a bien servi ici, il ne faudrait pas
le mécontenter et je serais bien aise qu'avant mon départ,
vous lui donniez une marque de satisfaction en le plaçant en
France ou dans les colonies. Je Grois qu'il a mérité de faire
partie de la Légion d'Honneur.
Le général Dugua est un homme estimable par sa probité
et son dévouement. Je le ramènerai en France avec moi, il

— 236 —
sera très bien placé, soit au Sénat Conservateur, soit au Conseil
d'État.
Quant à moi, je ne vous demanderai que le repos que vous
ne pourrez pas me refuser, puisque j'ai mené, depuis douze ans,
une vie constamment active.
Comptez, Citoyen Consul, que ma conduite à Saint-Domingue
sera toujours digne de celle que j'ai tenue jusqu'à présent ;
mais ne me laissez pas dans l'abandon, envoyez-moi les
10.000 hommes que je vous demande, envoyez-moi deux
millions en espèces. Ne m'envoyez pas de troupes nues et
avec un arriéré considérable comme les Polonais, ils étaient
mal armés. Heureusement que je suis riche en armes. J'ai
18.000 fusils neufs. Le désarmement de la colonie a déjà pro-
duit 30.000 fusils en général mauvais, il y en a encore autant
à prendre. Je vous enverrai ces mauvaises armes en France.
Depuis que je suis chargé du gouvernement de Saint-
Domingue, j'apprécie les obligations que la France vous a
de ce que vous voulez bien vous charger du fardeau de son
gouvernement, et cette idée, si cela était possible, ajouterait
à mon admiration et à mon dévouement pour votre personne.
Le citoyen Mongiraud, que j'ai nommé préfet colonial,
est un homme sans connaissances administratives, il faut le
remplacer mais ne m'envoyez pas un homme à prétention
qui voudra m'entraver. Le citoyen Mongiraud aurait, dès
le lendemain de son entrée en fonctions, élevé une lutte contre
moi si je ne l'avais pas remis à sa place, en lui disant que s'il
me gênait, je le renverrais.
Je ne crains pas que quelqu'un m'entrave parce que je ne
le souffrirai pas, mais mon successeur pourra-t-il aller du même
pas que moi.
J'aurai, avant mon départ, établi les dépenses de Saint-
Domingue d'une manière fixe ; j'aurai aussi établi les recettes.
Si dans les instructions que le ministre de la Marine donnera
à mon successeur et au préfet colonial, quelques-unes devaient
compromettre la sûreté de la colonie, je me permettrais de
les changer avant mon départ, à moins que le ministre ne me
prescrive impérativement le contraire.

— 237 —
Vous aurez probablement l'intention de diviser les deux
commandements ; cela peut se faire, mais il faut laisser,
quant au militaire, sous l'autorité du capitaine général de
la partie française les points avoisinants de la partie espa-
gnole.
Agréez, je vous prie, Citoyen Consul, l'assurance de mon
respectueux attachement.
LECLERC.
CXXX
Au Quartier Général du Cap,
le 30 Fructidor (17 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Mon intention était de vous faire un rapport très détaillé
sur ma position actuelle, mais une fièvre cruelle me force à
me mettre au lit. J'ai fait tenir une assez longue lettre au
Premier Consul, où je lui donne des détails sur ma position
sous les différents rapports.
La non réussite de mon attaque du 28 rend ma position
mauvaise dans le Nord. Je vais garder la défensive dans la
plaine du Cap et j'attendrai pour agir offensivement sur ce
point qu'il me soit arrivé des renforts ou que la tranquillité
soit rétablie sur d'autres points et que je puisse en tirer des
troupes.
La chaîne depuis Vallière jusques et compris la Marmelade
est en insurrection. Heureusement que chaque canton a son
chef et que rarement deux chefs d'insurgés se réunissent.
Je pourrai protéger la plaine, en supposant toujours que la
maladie s'arrête dans les dix premiers jours de vendémiaire.
Depuis le 12 fructidor elle a repris une nouvelle force et je
perds de 100 à 120 hommes par jour.
Pour contenir les montagnes, lorsque j'en serai venu à
bout, je serai obligé d'y détruire tous les vivres et une grande
partie des cultivateurs qui, accoutumés au brigandage depuis

— 238 —
dix ans, ne s'assujettiront jamais à travailler. J'aurai à faire
une guerre d'extermination et elle me coûtera bien du monde.
Une grande partie de mes troupes coloniales est désertée et
a passé à l'ennemi.
J'ai ordonné l'arrestation du général Morpas, homme très
dangereux. Je vous l'enverrai incessamment, mais vous ne
vous faites pas d'idée des précautions que je suis obligé de
prendre pour prouver aux autres chefs noirs, que j'ai encore
intérêt de ménager, la justice de cette mesure.
Que le Gouvernement m'envoie 10.000 hommes indépen-
damment des renforts qui me sont déjà annoncés. Qu'il me
les fasse arriver de suite par des bâtiments de l'État et non
par des bâtiments de commerce dont l'arrivée est toujours
longue et incertaine. Que ces troupes soient arrivées à Saint-
Domingue en nivôse au plus tard, pour que j'aie le temps de
les faire agir et de rétablir l'ordre dans la colonie avant l'époque
de la maladie. Qu'il m'envoye 2.000.000 de francs en espèces
et non en traites sur la Vera Cruz qui sont négociées depuis
longtemps et dont le payement n'est pas encore effectué,
ou qu'il s'attende à une guerre civile interminable à Saint-
Domingue et peut-être à la perte de cette colonie. Je dois vous
dire la vérité tout entière ; je vous la dis.
Pendant cette cruelle maladie je ne suis soutenu que par
ma force morale, que par les bruits que j'ai répandus de l'arri-
vée de troupes, niais la nouvelle de l'esclavage rétabli à la
Guadeloupe m'a fait perdre une grande partie de mon influence
sur les noirs et les troupes qui sont déjà arrivées sont détruites
comme les autres.
Depuis les premiers jours de prairial, je n'ai pas reçu une
seule lettre de vous, Citoyen Ministre. Je vous ai pourtant
tenu au courant de ma position par toutes les occasions. Je
vous ai fait connaître la destruction de mon armée. Il eut
été essentiel que vous m'eussiez fait connaître les moyens
que le Gouvernement devait employer pour réparer mes
pertes.
Je vous ai demandé de l'argent. Vous ne m'avez pas répondu.
Mettez-vous à ma place et réfléchissez si, dans la position

— 239 —
où je me trouve, un pareil abandon n'a pas de quoi abattre
une âme moins forte que la mienne.
Mon armée et moi nous avons été privés de recevoir des
nouvelles de nos parents. Nos lettres sont arrêtées, mes jour-
naux ne me parviennent plus.
Je vous ai prié, il y a longtemps, de ne plus nous envoyer
ni farines ni biscuits. Vous en avez moins que nous en France
et ce que vous nous envoyez est d'une mauvaise qualité, quand
il n'est pas totalement avarié. Envoyez-nous des piastres,
avec de l'argent nous ne manquerons de rien ici.
Cayenne manque de vivres, j'y envoyé un bâtiment chargé,
nous en avons trop et nous serions exposés à perdre des farines
et des biscuits par la grande quantité que nous en avons.
Le produit de cette vente sera versé dans la caisse de l'armée.
Pensez toujours à mon successeur, car je pense sérieusement
à quitter ce pays. Il serait à souhaiter qu'il arrivât ici en nivôse
au plus tard. Je resterai volontiers deux mois avec lui.
Je vous quitte pour aller reprendre mon lit que j'espère
ne pas garder longtemps et je vous souhaite une meilleure
santé et des idées plus riantes qu'à moi. Depuis que j'occupe
ce malheureux pays je n'ai pas encore eu une journée de satis-
faction.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
CXXXI
Au Quartier Général du Cap,
le 4 Vendémiaire An XI (26 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
J'ai été instruit qu'il circulait dans la station de Saint-
Domingue une lettre de vous relative aux différents survenus
à la Guadeloupe entre le général Richepanse et le général
Bouvet, et une lettre du préfet maritime de Brest qui prescri-

— 240 —
vait la mise à l'ordre de la station de Saint-Domingue de
cette lettre.
J'ai défendu au général La Touche qu'il fût donné connais-
sance de ces deux lettres à la station qui est et sera sous mes
ordres tant que je commanderai ici.
Je rends compte directement au Premier Consul des motifs
qui m'ont dirigé dans cette circonstance.
Je vous salue.
LECLERC.
CXXXII
Au Quartier Général du Cap,
le 4 Vendémiaire An XI (26 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je vous adresse des modèles des fournitures qu'on nous
envoie à Saint-Domingue pour l'armée. Ce que je vous envoie
a été choisi pour ma garde, jugez de ce qui reste en magasin.
Les chemises sont les plus grandes ; les souliers ne durent
pas deux jours dans ce pays où on a des rivières à traverser
a chaque instant. Les chapeaux ne reçoivent pas deux fois
la pluie et dans ce pays il ne faut que des chapeaux à haute
forme, pour qu'il y ait un intervalle entre la tête de l'homme
et la partie supérieure du chapeau. Quant aux pantalons et
gilets vous le jugerez.
Je vous salue.
LECLERC.
CXXXIII
Le 4 Vendémiaire An XI (26 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
J'ai envoyé par le vaisseau le Formidable 43 milliers de
gayac qui seront déposés à Toulon.

— 241 —
J'ai envoyé par la flûte le Nourrice qui part le 26 pour
Rochefort quinze milliers de gayac 1.
CXXXIV
Au Quartier Général du Cap,
le 4 Vendémiaire An XI (26 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Voici l'état des renforts qui me sont arrivés à l'époque du
4 vendémiaire et de ceux qui me manquent.
Les ports d'Italie, qui devaient fournir
5.330 hommes, n'ont donné que :
Gênes
481 hommes
Livourne
2.270
»
TOTAL
2.751
»
Voici les autres bâtiments arrivés :
de Toulon, sur
la Cérès
»
la Rondinella
597 hommes
»
le Mohawk
»
YAnnibal
1.100
»
»
le Formidable

»
de Rochefort, sur la Nourrice
300
»
»
l'Intrépide
500
»
»
l'Egyptienne
500
»
de Brest,
sur
le Pélage
1.200
»
»
le Conquérant

»
du Havre, sur
le Prudent
230
»
» l' Alexandrine
464
»
»
le Républicain

»
TOTAL
7.642 hommes
Je n'ai reçu que ces troupes et pas d'autres. Je désire que
celles qui les suivent n'arrivent pas avant la fin de la mauvaise
saison, qui devrait déjà être finie au dire de tous les habitants,
1. Arch. de la Guerre. B 7 * 26. Copie de lettres du général Leclerc,
fol. 2.
LECLERC
16

— 242 —
et qui cependant continue ses ravages comme dans les plus
mauvais temps.
Je vous salue.
LECLERC.
J'ai reçu par le Jeune Edouard le 11 vendémiaire encore
281 hommes.
CXXXV
Au Quartier Général du Cap,
le 4 Vendémiaire An XI (26 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Je réponds en détail à votre lettre du 9 Thermidor.
Général Toussaint. — Je ne manque pas de pièces pour lui
faire son procès, si on veut avoir recours à ce qui s'est fait
avant l'amnistie que je lui ai accordée ; depuis je n'en ai
aucune. Dans la situation actuelle des choses, sa mise en juge-
ment et son exécution ne feraient qu'aigrir les esprits des
noirs.
Déportés. — Je continuerai à envoyer en Corse ceux que je
déporterai.
Biens des déportés. — Ils seront séquestrés.
Pertes de l'Armée. — Elles sont incontestables et telles que
je ne puis vous en donner une idée exacte. Vous verrez par
le tableau ci-joint de la perte que les hôpitaux du Cap ont
faite pendant la dernière décade de fructidor et les jours
complémentaires, que 400 hommes pendant 15 jours au Cap
donnent 800 pour le mois ; que le Cap ayant le quart des
malades de la colonie, et la maladie ayant autant d'activité
sur les autres points, nous avons perdu plus de 3.000 hommes
par la maladie, dans ce dernier mois.
Ajoutez à cela 350 hommes environ que nous avons perdus
pendant le même mois dans les combats.

— 243 —
Je ne puis vous envoyer l'état de situation de l'armée ;
il m'est impossible de me le procurer.
Prytannée.
J ai fait connaître par la voie de l'ordre à
1 armée et à la station, les dispositions généreuses du Premier
Consul qui accorde 50 places au prytannée, aux enfants des
militaires ou marins décédés à Saint-Domingue. Je ferai con-
naître les enfants qui me paraîtront y avoir le plus de droit.
Officiers de Santé.
Je vous adresse ci-joint l'état des
officiers de santé qui nous sont nécessaires pour faire aller
le service des hôpitaux.
Hôpitaux. — Je viens de donner les hôpitaux à l'entreprise
pour un an. Je vous adresserai le marché incessamment.
Transports. — Quelle que soit la difficulté des transports
dont vous me parlez, regardez Saint-Domingue comme perdu
si vous ne m'avez envoyé 10 ou 12.000 hommes d'un seul
transport et s'ils ne sont arrivés ici avant la fin de nivôse.
Je sais que cela sera difficile, mais il me sera aussi bien difficile
de gagner cette époque.
Situation politique. — Toute mon armée est détruite, même
les renforts que vous m'avez adressés. Le général Boudet
fera connaître au Premier Consul et à vous ma véritable
position.
Chaque jour les noirs me quittent. Le malheureux arrêté
du général Richepanse qui rétablit l'esclavage à la Guadeloupe
est la cause de nos maux.
Escadre. — Il y a longtemps que je vous ai renvoyé tout
ce dont je n'avais pas besoin.
J'ai aujourd'hui 4 vaisseaux, 6 frégates et 6 corvettes ou
bricks.
J'ai besoin de 3 vaisseaux, un dans chaque chef-lieu de
département. Leur présence fait un bon effet. J'ai gardé le
quatrième pour vous faire passer un convoi de déportés.
Aujourd'hui je le garde encore. Sa présence ne peut qu'être
utile ici. Je vous renvoie la corvette la Rondinelle.

— 244 —
Je renverrai la fregate la Creole qui est infestee (le ravets 1
et qui m'a empoisoné 600 hommes.
D'autres bâtiments légers vous seront également renvoyés.
Je ne garde pas ici des vaisseaux pour mon plaisir. Je sais
ce qu'ils coûtent.
Artillerie. — Les officiers de cette arme sont presque tous
morts. Il faut pour l'artillerie prendre le même parti que pour
l'infanterie, faire des régiments coloniaux. Autrement jamais
vous ne pourrez suffire à la consommation d'hommes.
Je vous ai adressé des demandes d'officiers d'artillerie ;
il ne m'en est point encore arrivé. Je vous ai demandé des
canonniers et des ouvriers. Je trouverai quelques canonniers
dans le 3e bataillon des canonniers de marine mais les deux
premiers arrivés ne donnent pas 200 hommes en état de servir
et le 3e après huit jours de colonie est réduit de 500 hommes
à 400, et pourtant il n'a pas fatigué.
Génie. — Je n'ai plus qu'un chef de brigade, un chef de
bataillon et 4 capitaines de cette arme. Sur les 4 capitaines,
3 sont malades. Il me faudrait 24 officiers de cette arme.
Organisation de la colonie. — La situation de la colonie
était telle que je n'ai pu attendre l'approbation du Gouverne-
ment pour mettre en vigueur celle que j'ai cru devoir établir.
Le Gouvernement sera toujours à même d'y faire les change-
ments qu'il jugera convenables.
Généraux de couleur. — Cet article est bien délicat. Si les
10.000 hommes étaient arrivés, je ne vous en parlerais plus.
A l'avenir tous les vaisseaux et frégates de retour en France
seront dirigés sur Toulon.
Préfecture. — Le citoyen Mongiraud ne convient pas à
la préfecture de Saint-Domingue, il n'est pas assez habile
à administrer dans la circonstance difficile où nous sommes et
1. Ravets : insectes de l'ordre des Orthoptères, désignés vulgairement
sous le nom de blattes, répandus dans toutes les régions du monde, sur-
tout dans les pays intertropicaux, infestent les navires et les ports de
mer.

— 245 —
sans moyens. Tout l'étonné. Je n'ai personne dans la colonie
à proposer pour cette place.
Je ne saurais trop vous recommander le citoyen Peyre,
c'est un homme dont les connaissances égalent le dévouement.
Commissaire de Justice. —Aussitôt que le citoyen Ducis sera
arrivé, je le ferai installer.
J'ai l'honneur de vous saluer.
LECLERC.
J'ai nommé le citoyen Daure préfet colonial, ayant appris
que sa commission était en route.
L. 1.
CXXXVI
Au Quartier Général du Cap,
le 4 Vendémiaire An XI (26 septembre 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
Ma position devient de jour en jour plus mauvaise. Elle
est d'autant plus fâcheuse que je ne puis vous dire quand et
comment j'en sortirai. J'envoie le général Boudet auprès de
vous, il vous la fera connaître.
J'avais cru, jusqu'à présent, que les ravages de la maladie
s'arrêteraient en vendémiaire ; je me suis trompé. La maladie
a repris une nouvelle force et le mois de fructidor me coûte
plus de 4.000 hommes morts. J'avais cru, d'après tous les
habitants, que les maladies s'arrêteraient en vendémiaire.
On m'annonce aujourd'hui qu'il est possible qu'elle dure jus-
qu'à la fin de brumaire. Si cela était, et qu'elle continuât
à avoir la même activité, la colonie serait perdue.
Chaque jour le parti des insurgés augmente et le mien dimi-
nue, par la perte des blancs et la désertion des noirs. Jugez
si mes actions sont basses. Dessalines qui jusqu'alors n'avait
1. Post-scriptum ajouté par Leclerc.

— 246 —
pas pensé à s'insurger, y pense aujourd'hui, mais j'ai son
secret, il ne m'échappera pas.
Voilà comme j'ai découvert sa pensée. N'étant pas assez
fort pour chasser Dessalines, Morpas, Christophe et autres,
je les maintiens l'un par l'autre. Tous trois sont propres à
être chefs de parti. Aucun ne se déclarera tant qu'il aura à
craindre les deux autres. En conséquence Dessalines a com-
mencé à me faire des rapports contre Christophe et contre
Morpas, m'insinuant que leur présence était nuisible à la
colonie. Il a sous ses ordres un reste de bataillon de la 4e colo-
niale qui a toujours été le corps qui lui était dévoué. Il vient
de me demander la faculté de la porter à 1.000 hommes. Il y a
un mois, dans des expéditions que je lui ai ordonnées, il détrui-
sait les armes. Aujourd'hui il n'en détruit plus et ne maltraite
plus les noirs, comme il le faisait alors. C'est un coquin, je
le connais, je ne puis le faire arrêter aujourd'hui ; j'épouvan-
terais tous les noirs qui sont avec moi.
Christophe m'inspire un peu plus de confiance. J'envoie
en France son; fils aîné qu'il veut faire instruire.
Morpas est un coquin, mais je ne peux encore le faire enlever.
Au reste, je pourrai faire enlever Morpas le premier, mais
Christophe et Dessalines le seront le même jour.
Jamais général d'armée ne s'est trouvé dans une position
plus fâcheuse. Les troupes arrivées depuis un mois n'existent
plus. Chaque jour les rebelles font des attaques dans la plaine ;
ils brûlent et la fusillade est entendue du Cap. Il m'est impos-
sible de prendre l'offensive, elle écrase mes troupes et je n'ai
pas assez de moyens pour la prendre et pouvoir suivre les
avantages que je pourrais obtenir.
Je vais prendre des arrêtés de circonstance pour m'attacher
les troupes coloniales.
Je vous envoie, par le général Boudet, le double des dépêches
qui vous sont portées par le citoyen Ornano. Je vous réitère
ce que je vous ai déjà dit. Saint-Domingue est perdu pour la
France si je n'ai pas reçu, à la fin de nivose, 10.000 hommes
qui viendront à la fois ; les renforts partiels que vous m'envoyez
peuvent suffire à alimenter l'armée dans un temps ordinaire,

— 247 —
mais ils ne peuvent servir à faire reconquérir Saint-Domingue
et à le ramener à l'ordre.
Je vous ai dit mon opinion sur les mesures prises par le
général Richepanse à la Guadeloupe. Malheureusement l'évé-
nement la justifie. Les dernières nouvelles reçues annoncent
cette colonie en feu. Un bâtiment portant 300 hommes pour
Saint-Domingue, ayant relâché à la Guadeloupe, y a été arrêté
et les troupes débarquées. Quel exemple pour la Martinique !
Rappelez-vous ce que je vous ai dit de l'amiral Villaret.
Je vous peins ma position en noir ; c'est qu'elle l'est véri-
tablement et que je vous dois la vérité tout entière. Malheu-
reusement la situation des colonies n'est pas connue en France,
où on ne se fait pas d'idées exactes des noirs et c'est pour cela
que je vous envoie un officier général qui connaît ce pays et
qui a fait la guerre. Les colons et le commerce ont cru qu'il
suffisait d'un arrêté du Gouvernement français pour rétablir
l'esclavage.
Je ne vous dis pas quelles mesures je prendrai, je n'en sais
rien ; chaque jour mes moyens diminuent et ma position
change. Je ne puis donc avoir de plan fixe ; quoiqu'il en soit,
je ne ferai rien de contraire à la conduite que j'ai tenue jus-
qu'ici, mais si je n'ai pas reçu en nivôse des troupes et si je
n'ai reçu de l'argent avant cette époque, je ne vous réponds
pas de garder Saint-Domingue.
Je vous prie d'agréer, Citoyen Consul, l'assurance de mon
respectueux dévouement.
LECLERC.
CXXXVII
Au Quartier Général du Cap,
le 4 Vendémiaire An XI (26 septembre 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
J'ai l'honneur de vous adresser des modèles des fournitures
qu'on nous envoie pour l'armée.

— 248 —
Ce que je vous envoie a été choisi pour ma garde. Jugez
ce qui me reste en magasin.
Les chemises sont les plus grandes. Les souliers ne durent
pas deux jours dans ce pays, où on a des rivières à traverser
à, chaque instant. Les chapeaux ne reçoivent pas deux fois
la pluie sans s'abîmer totalement. C'est une éponge et dans
ce pays il ne faut que des chapeaux à haute forme pour qu'il
y ait un intervalle entre la tête de l'homme et la partie supé-
rieure du chapeau.
Quant aux pantalons et gilets, vous les jugerez. Je vous
l'ai déjà dit, Citoyen Consul, la seule fourniture à faire ici,
c'est celle des piastres.
J'envoie au ministre de la Marine divers procès-verbaux
attestant la mauvaise qualité des fournitures de vivres et
d'effets d'hôpitaux que nous avons reçus ici ; donnez ordre,
je vous prie, qu'ils vous soient présentés.
Jamais fournisseurs n'ont volé avec plus d'impudeur que
ceux qui nous fournissent.
Je vous prie d'agréer, Citoyen Consul, l'assurance de mon
respectueux attachement.
LECLERC.
CXXXVIII
Au Quartier Général du Cap,
le 4 Vendémiaire An XI (26 septembre 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
J'apprends, par une lettre du général Davoust au citoyen
Daure, que vous l'avez nommé préfet colonial à Saint-
Domingue.
Avant d'avoir reçu vos ordres à cet égard, je viens de le
mettre en fonctions. Je n'étais pas content du citoyen Mon-
giraud qui, au lieu de m'aider, me fatiguait et m'entravait.
Je le renvoie à, Santo-Domingo.
Je vous prie d'agréer, Citoyen Consul, l'assurance de mon
respectueux dévouement.
LECLERC.

— 249 —
CXXXIX
Au Quartier Général du Cap,
le 4 Vendémiaire An XI (26 septembre 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
J'ai l'honneur de vous adresser deux lettres, l'une du ministre
de la Marine au préfet maritime de Brest, et l'autre du préfet
maritime au général Latouche, toutes deux relatives à la
rixe qui a eu lieu entre le général Richepanse et le contre-
amiral Bouvet. J'ai défendu au général Latouche de publier
cette inconcevable lettre. Je ne m'amuserai pas h discuter
les principes qui y sont énoncés. S'ils étaient avoués par le
Gouvernement, aucun général de terre ne doit plus se charger
d'aucune expédition maritime.
Mais je pense que vous devez improuver formellement le
contenu de cette lettre qui ne tend à rien moins qu'à armer
les troupes de terre contre la Marine.
Ce ministre est jaloux des succès de l'armée de terre. Il croit
se faire un parti dans la Marine en augmentant l'exaspération
des officiers contre l'armée de terre. Quant à moi, je ne puis
m'empêcher de croire sa tête aliénée et c'est pourquoi je
ne correspondrai à l'avenir avec lui que sur des objets de peu
d'importance. J'aurai l'honneur de vous adresser directement
les rapports intéressants.
Sa lettre m'a tellement ulcéré que je vous déclare que s'il
n'y avait pas eu de lâcheté à abandonner la colonie dans la
situation où elle se trouve, j'aurais quitté de suite pour ne
plus avoir aucun rapport avec lui.
Le ministre Decrès déteste le général Latouche. Je suis
très content de cet officier général et je vous demande pour
lui le grade de vice-amiral.
Je vous prie d'agréer, Citoyen Consul, l'assurance de mon
dévouement respectueux.
LECLERC.

— 250 —
CXL
Au Quartier Général du Cap,
le 5 Vendémiaire An XI (27 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
Le général Villaret est arrivé à la Martinique le 25 fructidor,
il a pris possession de l'île et a publié la proclamation ci-jointe ;
malheureusement toutes les proclamations qui parlent d'escla-
vage parviennent ici et n'avancent pas nos affaires 1.
La Guadeloupe est en feu, il paraît qu'il y a division entre
le général qui commande les troupes depuis la mort du général
Richepanse et le capitaine général Lacrosse. La position en
cette colonie est mauvaise et le Gouvernement ne peut y
laisser le citoyen Lacrosse.
Je vous salue.
LECLERC.
CXLI
Au Quartier Général du Cap,
le 5 Vendémiaire An XI (27 septembre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Vous trouverez ci-joint trois procès-verbaux qui constatent
le mauvais et l'avarie des denrées ou objets apportés par les
navires Y Union, l'Heureux Espoir et Y Alexandre.
On rédige dans ce moment des procès-verbaux qui cons-
tatent des avaries plus considérables.
Vous avez dû recevoir le procès-verbal qui constate le
déficit qui s'est trouvé sur Y Africain des 112.000... sur 300.000
1. La proclamation adressée par l'amiral Villaret-Joyeuse, capitaine
général de la Martinique et de Sainte-Lucie aux habitants de ces deux îles,
contenait la phrase suivante : « Le Gouvernement français maintient
ces lois antiques qui firent le bonheur de la colonie, protège la religion
de vos pères, garantit les propriétés dans toute leur intégrité et conserve
l'esclavage qui fait partie de toute propriété coloniale. »

— 251 —
dont ce navire a été chargé. Ce qui est parvenu est de si mau-
vaise qualité que la majeure partie ne pourra être distribuée.
Je vous salue.1
CXLII
Au Quartier Général du Cap,
le 5 Vendémiaire An XI (27 septembre 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
L'état dans lequel se trouve la colonie de Saint-Domingue,
par la destruction totale de son armée et par les insurrections
excitées par les arrêtés pris par le général Richepanse à la
Guadeloupe, m'a paru tellement inquiétant que j'ai décidé
de vous envoyer le général de division Boudet qui a parfai-
tement servi à Saint-Domingue, qui vous fera connaître notre
position sous les différents points de vue. Croyez à ce qu'il
vous dira. On a en Europe une fausse idée et du pays dans
lequel nous faisons la guerre et des hommes que nous avons
à combattre.
Les grands succès que j'ai obtenus ont fait considérer la
guerre de ce pays comme peu difficile. On s'est trompé.
Quelque mauvaise que soit notre position, si vous m'en-
voyez sous trois mois 10 à 12.000 hommes d'une seule expé-
dition, je rétablirai les affaires, mais ne tardez pas davantage.
Vous ne le pouvez sans compromettre la colonie.
Vous ne contiendrez pas Saint-Domingue, Citoyen Consul,
sans une armée de 12.000 hommes acclimatés, indépendamment
de la gendarmerie et vous n'aurez cette armée que quand vous
aurez envoyé 70.000 hommes à Saint-Domingue.
Aujourd'hui ma communication du Cap avec Plaisance
vient d'être coupée et je ne sais comment m'y prendre pour
la rétablir. Je n'ai pas 200 hommes disponibles.
Je vous prie d'agréer, Citoyen Consul, l'assurance de mon
respectueux dévouement.
LECLERC.
1. Arch. Minist. Guerre, B 7 * 26. Copie de Lettres du général Leclerc,
fol. 1.

— 252 —
CXLIII
Au Quartier Général du Cap,
le 15 Vendémiaire An XI (7 octobre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
La colonie de la Martinique fait comme celle de la Gua-
deloupe le commerce des noirs. Une division composée de
5 bâtiments et chargée de nègres est partie de la Martinique
et s'est rendue à Cumana, de là en logeant les côtes, à Porto-
Cabello en offrant de vendre des noirs. Le gouvernement
espagnol a refusé net de se prêter à ce commerce et comme on
en débarque par contrebande, les Espagnols croient que nous
voulons infecter leurs colonies. J'avais entamé une négociation
avec le gouverneur de cette partie pour avoir des mulets et
des bœufs pour Saint-Domingue, elle était en bon chemin,
cet incident a refroidi et je crains de ne pas les obtenir. Je vous
ai déjà rendu compte que pareille opération avait été tentée
par le gouvernement de la Guadeloupe à Carthagène sans
succès. Une pareille conduite nous fera détester de nos voisins
que nous avons le plus grand intérêt à ménager, dans la situa-
tion où nous sommes.
Je vous salue.
LECLERC.
CXLIV
Au Quartier Général du Cap,
le 15 Vendémiaire An XI (7 octobre 1802).
Le Général en Chef au Ministre de la Marine.
Citoyen Ministre,
La flûte hollandaise la Sybille Antoinette qui était chargée
de trois cent quatre-vingt dix-huit hommes de la 7e de ligne
a effectué son débarquement à la Guadeloupe. Le général
Lacrosse dont vous trouverez ci-joint la lettre a ordonné,
à ce qu'il dit, le débarquement de cette troupe pour la réparer.

— 253 —
Mais le rapport du capitaine hollandais annonce que cette
troupe a été envoyée de suite aux avant-postes ; vous le
trouverez ci-joint. Aucune de vos lettres ne m'annonce quelles
sont les mesures que le Gouvernement aura prises pour répa-
rer la perte de mon armée occasionnée par l'épidémie qui
continue toujours ses ravages. Cependant depuis le mois de
floréal mes dépêches vous ont constamment instruit des ravages
qu'elle exerçait. Aujourd'hui mon armée est détruite, les
renforts que vous m'avez envoyés n'existent plus et je suis
à défendre le Cap dans le Nord. Tous les points de la colonie
ne sont pas dans une situation aussi fâcheuse. J'écris plus
au long au Premier Consul auquel j'envoie l'adjudant-com-
mandant Bruguière qui vous fournira les renseignements que
vous pourrez désirer.
Les généraux Jablonowski et Meyer arrivés depuis peu
sont morts tous deux. Vous trouverez ci-joint un exemplaire
de l'ordre du jour contenant l'organisation de la garde
nationale.
Je vous salue.
LECLERC.
CXLV
Au Quartier Général du Cap,
le 15 Vendémiaire An XI (7 octobre 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul.
Citoyen Consul,
J'ai eu l'honneur de vous instruire de ma position en thermi-
dor par un courrier parti par la frégate l'Infatigable. La flûte
la Nourrice, partie en fructidor, vous a porté de nouveaux
renseignements.
Je vous ai envoyé mon aide de camp, le citoyen Ornano,
le premier jour complémentaire, par la frégate la Cocarde.
Je vous ai envoyé le général de division Boudct, le 6 ven-
démiaire, par la corvette la Rondinelle. Il vous portait de
nouvelles dépêches et le duplicata de celles du citoyen Ornano.

— 254 —
Je vous envoyé aujourd'hui l'adjudant commandant Bru-
guière, par la corvette la Diligente. Il vous donnera une idée
de ma position.
Par la rapidité avec laquelle se succèdent ces divers cour-
riers, vous jugerez de la difficulté de ma position ; la voici :
La maladie continue toujours, et aujourd'hui, 15 vendé-
miaire, je perds de 50 à 60 hommes par jour au Cap. Cependant
la maladie s'est un peu arrêtée sur les autres points de la
colonie et j'évalue ma perte chaque jour à 130 hommes dans
toute la colonie. Je viens de perdre les généraux Meyer et
Jablonowski, morts peu de jours après leur débarquement.
Dans la division de gauche du Nord, j'occupe la plaine du
Nord, de manière à couvrir ma communication du Cap avec
la partie espagnole d'où je tire mes bestiaux, mais chaque
jour je vois incendier des habitations devant mes postes.
Je couvre le Cap par un camp retranché au bourg du Haut
du Cap et je tiens la crête du Morne du Cap.
J'ai évacué la paroisse de l'Àcul, mais je tiens la baye et
les embarcadaires par des embarcations qui détruisent tout
ce qui communique avec les rebelles.
J'ai été forcé à me reployer ainsi : 1° par la désertion des
troupes coloniales qui s'en vont par compagnies ; 2° par la
destruction de mes troupes qui est plus étonnante qu'elle
n'a jamais été.
Voici les troupes que j'ai pour composer la division de gauche
du Nord :
Bien portants.
Convalescents.
74e : 1 bataillon
— hommes
43 hommes
83e : 1 bataillon
140
»
100
»
3e légère : 1 bataillon
17
»
103
»
7e de ligne : 3 bataillons

»
83
»
98e : 1 bataillon
98
»
67
»
11e légère : 3 bataillons
201
»
103
»
28e légère
43
»

»
77e : 1 bataillon
49
»

»
Légion polonaise : 1 bataillon..
243
»

»
49e : 1 bataillon

»
150
»
4e bataillon de la marine
130
«
110
»
TOTAUX
921 hommes
759 hommes

— 255 —
Chaque jour le nombre des uns et des autres diminue et
pour peu que la maladie continue, je ne puis savoir ce qui
me restera. Cependant si elle s'arrête, je couvrirai la ville
du Cap et les embarcadaires de la plaine du Nord avec ce
peu de troupes, ma garde qui est de 200 hommes et la garde
nationale, dont vous trouverez ci-joint la formation.
Dans la division de droite du Nord, les rebelles occupent
le Limbé, la Marmelade, une partie de Saint-Louis, du Borgne
et du Port de Paix, mais leur force est, dans cette partie,
de beaucoup inférieure à celle qu'ils ont dans le Nord.
Vers l'Artibonite, j'ai peu de forces et les rebelles peu de
moyens : la rébellion y existe dans tous les quartiers mais
elle sera apaisée facilement avec des moyens.
L'Arcahaye, le Boucassin, les Matteux, le Mirebalais ont
aussi des insurgés, mais jusqu'à présent ils ont été battus.
La plaine du Cul de Sac éprouve souvent des incendies.
Léogane, Jaemel, le grand et le petit Goave sont aujour-
d'hui le théâtre de la guerre. Plus de 5.000 insurgés sont réunis
sur ces points : le général Rochambeau les a attaqués et battus
sur chacun de ces points. Une affaire très chaude a eu lieu
sur l'habitation Beauharnais qui était le quartier général des
brigands. Ils en ont été chassés après l'avoir entièrement
détruite.
Une violente insurrection vient d'avoir lieu à Acquin, mais
elle a été comprimée par le zèle et le courage de la garde natio-
nale.
Jérémie a aussi une insurrection. Des habitations ont été
brûlées, mais pour rétablir l'ordre sur ce point, je compte sur
le bon esprit des habitants.
Pendant messidor et une partie de thermidor, j'ai tenu le
pays sans force réelle. A la fin de thermidor la guerre a com-
mencé, elle a doublé mes pertes en hommes. A la fin de fruc-
tidor mon armée et mes renforts étaient détruits. Alors les
noirs, témoins de ma faiblesse, prirent de l'audace.
Quelque sage qu'ait été mon arrêté pour la levée du séquestre,
les fermiers qui ont vu que, leurs baux expirés, ils perdaient
leurs fermes, ont cru que s'ils profitaient de nos désastres

— 256 —
ils parviendraient à nous chasser de la colonie. Les généraux
noirs que jusqu'alors la crainte avait retenus dans le devoir,
ont fomenté ces insurrections. Ils ont répandu dans les troupes
coloniales le bruit de notre prochain embarquement pour faire
déserter ceux qui nous étaient fidèles. Leur plan n'a que trop
bien réussi, il me reste très peu de troupes coloniales. Un
bataillon de la 11e coloniale qui avait été réuni à, la légion
du Cap, ayant fourni nombre de déserteurs, 176 hommes de
ce bataillon ont été embarqués de Jacmel pour le Port Répu-
blicain. Sur ce nombre, 173 se sont étranglés en route, le chef
de bataillon en tête. Voilà, les hommes que nous avons à com-
battre. Ici la brigade coloniale a déserté en partie, son chef
en tête. Il me reste 500 hommes de cette 1/2 brigade, ils
seront embarqués ce soir et je vous les enverrai par la pro-
chaine occasion.
J'ai donné ordre d'arrêter Morpas et Dessalines qui sont
pour beaucoup dans tout ceci. Je ferai arrêter également
Vernet. Je n'ai plus rien à négliger avec les noirs qui sont
tous en insurrection.
Vous me blâmerez peut-être de ne m'être pas plus tôt
défait des chefs noirs, mais rappelez-vous que je n'ai jamais
été en mesure de le faire et que je m'étais attendu à pouvoir
agir dans cette saison contre eux. Je n'ai à me reprocher ici
aucune fausse mesure, Citoyen Consul, et si, de très bonne»
ma position est devenue très mauvaise, il ne faut en accuser
que la maladie qui a détruit mon armée, le rétablissement
prématuré de l'esclavage à la Guadeloupe et les journaux et
les lettres de France qui ne parlent que d'esclavage.
Voici mon opinion sur ce pays. Il faut détruire tous les
nègres des montagnes, hommes et femmes, ne garder que
les enfants au-dessous de 12 ans, détruire moitié de ceux de
la plaine et ne pas laisser dans la colonie un seul homme de
couleur qui ait porté l'épaulette. Sans cela jamais la colonie
ne sera tranquille et au commencement de chaque année,
surtout après les saisons meurtrières comme celle-ci, vous
aurez une guerre civile qui compromettra la possession du
pays. Pour que vous soyez maître de Saint-Domingue, il faut

— 257 —
que sans perdre un seul jour, vous m'envoyiez 12.000 hommes,
que vous me les envoyiez sur des bâtiments de l'Etat armés
en flûte, pour qu'ils arrivent plus vite, et non sur des bâti-
ments marchands qui font des traversées de 80 jours au lieu
de 30 à 35 que mettent les bâtiments de l'Etat. Il faut que
ces troupes m'arrivent au commencement de nivôse, afin que
je puisse faire une campagne complète et parfaitement réta-
blir l'ordre.
Il faut que vous m'envoyiez incessamment dix millions en
argent et non autrement. Le refus constant d'argent que vous
m'avez fait n'a pas peu contribué à aggraver ma position
ici. Les Anglais, pendant les 15 mois qu'ils ont occupé Saint-
Domingue, y ont dépensé quatre cents millions tirés de
Londres.
J'ai déjà reçu 300.000 francs apportés avec l'armée,
700.000 francs venus de Lisbonne, 1.300.000 francs en lettres
de change sur la Vera Cruz, qui ne sont pas encore payées
et pour lesquelles on me poursuit, 2.000.000 de la Havane
et 6.000.000 environ de lettres de change sur France, total
dix millions trois cent mille francs et j'ai passé ici plus de
moitié du temps que les Anglais y ont passé.
Je sais que le Gouvernement français ne peut faire les mêmes
sacrifices pécuniaires que fait le Gouvernement anglais, mais
il y a un milieu entre la parcimonie et la prodigalité, sans
lequel jamais un général ne peut rien faire.
Dans la circonstance actuelle, les exportations sont sus-
pendues, les denrées n'arrivent plus. La douane était mon
seul impôt, elle ne rend plus rien ; ainsi jugez si j'ai un besoin
urgent des ressources pécuniaires que je réclame, envoyez-
moi des piastres, des portugaises ou des quadruples ; des lettres
de change sont des ressources trop éloignées, si ce n'est celles
que vous pourriez tirer sur la Jamaïque.
Indépendamment des 12.000 hommes que je vous demande
pour reconquérir Saint-Domingue, et qui doivent arriver en
nivôse, parce qu'à toute autre époque plus reculée je n'aurais
pas assez de temps pour les faire agir et qu'ils viendraient
périr ici sans aucun fruit, puisqu'ils ne pourraient pas ser-
LECLERC
17

— 258 —
vir à rétablir l'ordre d'une manière stable et fixe dans la
colonie, il faut envoyer en germinal 2.000 hommes et
600 hommes dans chacun des mois de floréal, prairial, messi-
dor, thermidor et fructidor. Ces derniers y périront proba-
blement, mais ils entretiendront l'idée de la force de la France
par l'arrivée successive des renforts.
Il faut, à la fin de vendémiaire en l'an 12, faire arriver ici
une armée de 15.000 hommes. Avec l'armée que je vous
demande pour nivôse, je ne pourrai que rétablir l'ordre et
compléter le désarmement. Avec l'armée qui arrivera en
l'an 12, mon successeur accomplira vos desseins, mais pré-
tendre le faire avant ce temps, c'est être dans l'erreur. Je
compte quitter cette colonie en germinal ou floréal prochain.
Je réclame toujours un successeur. Envoyez-moi quelques
bons généraux avec les troupes que vous m'enverrez. Les
généraux de division que vous m'avez envoyés ici sont tous,
à l'exception du général Rochambeau, très faibles.
Je viens de nommer général de division le général Clausel.
Je crois que j'en serai content, je vous prie de le confirmer.
J'ai nommé général de brigade, l'adjudant-commandant
Claparède. Je vous demande aussi sa confirmation.
Le découragement est dans l'armée, c'est une suite de la
maladie et de notre mauvaise position. J'arrêterai les mur-
mures qui commencent à se faire entendre en faisant des
exemples sévères.
Je renvoyé en France le général de brigade Humbert. C est
un ignorant, un faiseur d'affaires sales. Cet homme ne va pas
même au feu.
Ordonnez, Citoyen Consul, que la correspondance du ministre
de la Marine avec moi soit plus active. Faites-moi connaître,
en m'envoyant un bâtiment léger, quelles mesures vous pre-
nez pour venir à mon secours. Envoyez-moi vos dépêches par
la Diligente qui porte le citoyen Bruguière, elle est certaine-
ment un de vos meilleurs marcheurs.
Si vous ne pouvez envoyer les troupes que je vous demande,
et pour l'époque que j'indique, Saint-Domingue sera perdu
à jamais pour la France. Quant à moi, je ne croirai jamais

— 259 —
pouvoir vous donner trop de preuves du dévouement respec-
tueux avec lequel je suis, Citoyen Consul,
LECLERC.
CXLVI
Au Quartier Général du Cap,
le 15 Vendémiaire An XI (7 octobre 1802).
Le Général en Chef au Premier Consul,
Citoyen Consul,
Dans la circonstance présente, l'expédition que je vous
réclame d'une nouvelle armée de douze mille hommes qui
doit être rendue à Saint-Domingue le plus tôt possible, ne
peut admettre aucun délai. Je ne puis croire à la bonne
volonté du ministre actuel de la Marine à mon égard, ni au
zèle et à la bonne volonté du préfet maritime Caffarelli,
dont j'ai beaucoup à me plaindre. Je pense que l'amiral
Bruix est l'homme qui ferait le plus rapidement cet arme-
ment. Il a déjà fait ses preuves. Quant à la conduite il
faudrait la donner à un jeune contre-amiral, tel que Gan-
theaume et Dumanoir qui y mettraient du dévouement et
de la bonne volonté. Vous devez connaître par expérience
combien il y a d'hommes qui ne craignent pas de compro-
mettre la prospérité de leur pays pour avoir le plaisir de
voir écraser un homme qui leur déplaît.
Je compte [que vous] m'aiderez à me tirer de ce mauvais
pas ; les événements seuls m'ont entraîné, mais je n'ai pas
un seul reproche à me faire. J'ai eu constamment à lutter
contre les blancs qui ne parlaient que d'esclavage et contre
les noirs toujours en méfiance. Durant ces moments diffi-
ciles le moral de mes troupes était anéanti ; mes officiers
généraux même ne pensaient qu'à se guérir ou à se préserver
de la maladie ; et je suis arrivé au point où j'en suis sans avoir
pu l'empêcher.
Quant à moi, je vous ai toujours servi avec dévouement ;
je continuerai, j'exécuterai à la lettre tous vos ordres. Je
justifierai la bonne opinion que vous avez de moi, mais je

— 260 —
ne puis me résoudre à rester encore ici l'été prochain. Depuis
que je suis ici, je n'ai eu que le spectacle d'incendies, d'insur-
rections, d'assassinats, de morts et de mourants. Mon âme
est flétrie, aucune idée riante ne peut me faire oublier ces
tableaux hideux. Je lutte ici contre les noirs, contre les blancs,
contre la misère et la pénurie d'argent, contre mon armée
qui est découragée. Quand j'aurai passé encore six mois de
cette manière, je pourrai réclamer du repos. Quant à Madame
Leclerc, elle est malade et c'est un modèle de courage ; elle
est bien digne d'être votre sœur.
Faites-moi savoir, je vous prie, de suite, quelles mesures
vous aurez prises pour venir à mon secours ; mais ne m'en-
voyez pas mon armée par partie ; envoyez-moi de bons corps
et non des débris comme la majeure partie des bataillons
que j'ai reçus. Ne pensez pas à m'envoyer des troupes sur
des vaisseaux hollandais. Comme les capitaines sont chargés
de pourvoir à la subsistance des passagers et qu'ils font un
bénéfice à raison du temps de passage, ils allongent la tra-
versée et ne sont jamais moins de trois mois en route ; témoin
l'escadre hollandaise qui m'a apporté la 7me demi-brigade de
ligne et la Sibille Antoinette qui, partie du Texel le 15 prai-
rial, a touché en Angleterre, à Madère, aux Canaries, aux
îles du Cap Vert et enfin à la Guadeloupe à, la fin de fructi-
dor. Arrivé là, le capitaine général Lacrosse, qui perdra cette
colonie s'il y reste longtemps, a fait débarquer les 400 hommes
qui étaient à bord de ce bâtiment et qui m'étaient destinés.
Il veut sans doute ne pas être le seul auquel on puisse repro-
cher d'avoir perdu une colonie.
Recevez, je vous prie, l'assurance de mon entier dévoue-
ment, Citoyen Consul,
LECLERC.
Je suis content du citoyen Brugère qui aura l'honneur de
vous remettre mes dépêches. Il vous donnera quelques ren-
seignements sur notre position. 1
1. Quand Brugère, portant ces lettres, sur la Diligente, arriva à Brest
le 14 Brumaire, Leclerc était mort depuis trois jours.

LECLERC
GÉNÉRAL EN CHEF DE L'ARMÉE
DE SAINT-DOMINGUE,
d'après une estampe populaire
publiée à Paris en l'An X.


APPENDICES


APPENDICE I
NOTES POUR SERVIR AUX INSTRUCTIONS A DONNER
AU CAPITAINE GÉNÉRAL LECLERC1
Les instructions à donner au général en chef capitaine général
Leclerc se divisent :
1° En instructions militaires.
2° Instructions politiques extérieures, relatives aux Améri-
cains, et aux puissances voisines.
3° Instructions politiques intérieures, relatives aux noirs et
à leur chef.
4° Politique intérieure, relative à la ci-devant partie espa-
gnole de Saint-Domingue.
5° Administration relative aux anciens propriétaires.
6° Administration relative aux agents civils, militaires,
instruction publique, clergé, commerce.
CHAPITRE I
Le général en chef de Saint-Domingue est nécessairement
capitaine général. Le général Leclerc mourant, le général
Rochambeau lui succédera comme général en chef et dès lors
comme capitaine général. Celui-ci mourant, le général Dugua
lui succédera comme général en chef et capitaine général. Enfin
après celui-ci le général Boudet.
Flotte.
L'amiral Villaret-Joyeuse est nommé commandant général
de toutes les forces navales de la République en Amérique et
1. Archives nationales, AF14 863.

— 264 —
chargé de toutes les premières dispositions relatives au débar-
quement.
Il ne suivra sa mission en Amérique, avec une partie de son
escadre, que lorsque le capitaine général se trouvera tellement
établi qu'il n'aura plus besoin du secours des équipages pour
tenir garnison dans les places. Il faut donc qu'avant, nous
soyons maîtres du Cap, du Port au Prince, du Port de la Paix,
du Puorto-Plata, du Môle, du Fort Dauphin, des Cayes, de
Santo-Domingo, des Gonaïves, de Saint-Marc, de Jérémie et
que les cinq divisions qui sont le fonds de l'armée soient arri-
vées.
Alors le contre-amiral Latouche sera nommé commandant
des croisières de Saint-Domingue, et l'amiral Villaret se rendra
avec cinq ou six vaisseaux des mieux organisés dans les mers des
Etats-Unis, pour se ravitailler, et montrer son pavillon dans les
principaux ports. Après quoi il opérera son retour à Saint-
Domingue, où il recevra des ordres ou de repasser en France ou
d'aller prendre possession de la Martinique, selon la marche
de négociations en Europe.
Le Capitaine général et l'Amiral devront se concerter pour
leurs opérations. Le contre-amiral, commandant les croisières
de Saint-Domingue, sera sous les ordres du Capitaine général.
Armée de terre.
L'armée de terre est composée de :
7.000 hommes qui s'embarquent à Brest ;
3.000 qui s'embarquent à Rochefort ;
1.200 à Nantes et à Lorient ;
1.200 au Havre ;
1.500 à Cadix ;
3.000 à Toulon ;
1.500 à Flessingue ;
800 de la Guadeloupe.
19.000
Les trois divisions de Brest, de Lorient et de Nantes et de
Rochefort se réuniront et partiront ensemble. Si celles du Havre

— 265 —
et de Flessingue ne sont pas prêtes pour partir avec ces trois
divisions, elles appareilleront dans les dix jours.
Avant d'être à la vue de la terre de Saint-Domingue, elles
enverront deux frégates avec 400 hommes sous les ordres du
général Kerversau, ayant à bord le Commissaire du gouverne-
ment dans la partie espagnole.
Ces deux frégates se rendront à Santo-Domingo, s'empareront
de la ville, donneront un mouvement aux habitants du pays
contre les nègres de la partie française, publieront les proclama-
tions imprimées jointes à la présente instruction.
Dans le cas où, vu le grand nombre de troupes de Toussaint,
et ne se trouvant pas assez fort pour aider les habitants, on ne
jugerait pas à propos de débarquer, les frégates croiseront
devant le port, intercepteront toute communication, ne laisse-
ront entrer ni sortir aucun bâtiment, et pratiqueront des
intelligences dans le pays, attendant l'effet que fera, sur la
garnison que Toussaint a laissée à Santo-Domingo, la nouvelle
de la prise du Cap.
Une frégate du même point de départ sera envoyée au Môle
avec un officier supérieur, qui ait des intelligences avec les
nègres qui, dans ce pays, sont ennemis de Toussaint. Il prendra
possession du Môle.
L'escadre du contre-amiral Latouche, avec les forces embar-
quées sur son escadre et toutes celles réunies à l'armée et supé-
rieure à 8.000 hommes que l'on juge nécessaire à la Division
du Cap, se portera droit au Port au Prince.
Arrivé au Cap, on prendra sur-le-champ possession de l'Isle
de la Tortue, en y envoyant un bâtiment ; on y établira une
ambulance.
L'escadre arrivera au Cap, par un vent sûr, de manière à
débarquer dans la même journée où l'on aurait été aperçu.
Deux frégates se présenteront au Cap et l'Amiral et le Capitaine
général, instruiront le général commandant cette place, de leur
arrivée dans la colonie. Une frégate se présentera tout près du
fort Piccolet, afin de s'assurer de la disposition de la garnison
de ce fort ; et si, comme tout porte à le présumer, on y est reçu
en amis, ou si, dans ce moment inattendu, les rebelles, si tant

— 266 —
il est vrai que la République doive en trouver à Saint-Domingue,
n'ont pas eu le temps de préparer leur défense, l'escadre entrera
dans le port, débarquera des troupes, et on s'emparera de la
ville. L'art consisterait à arriver à trois lieues du Cap avant
le lever du soleil, et à avoir 6.000 hommes à terre avant son
coucher.
S'il arrivait que par accident quelconque, Toussaint fût pré-
venu de l'arrivée de la flotte et en mesure de recevoir l'armée
au Cap, et que dès lors l'amiral jugeât qu'il y eût du danger
pour l'escadre à affronter le feu des batteries et des forts,
l'armée pourrait débarquer sur la plage en avant du fort
Piccolet ou dans la baie de l'Acul, dans le cas, où on soupçon-
nerait de la résistance.
Maîtres du Cap, on affichera et publiera les proclamations
imprimées. On fera partir le précepteur des enfants de Toussaint
avec ses deux enfants, et la lettre jointe aux présentes instruc-
tions. Des vaisseaux de l'escadre se porteront devant le Port
de la Paix, le Fort Dauphin et tous les autres points de l'Isle
pour en prendre possession, ou les bloquer, communiquer
partout et répandre des proclamations.
On armera et organisera tous les blancs du Cap, les hommes
de couleur et les hommes fidèles parmi les noirs.
Toutes les batteries de côte seront désarmées, de manière
cependant à être promptement réarmées, si des circonstances
imprévues nous faisaient perdre la supériorité de la mer.
L'armée occupera des positions pour couvrir toute la plaine
du Cap, et si on le juge convenable celle de Plaisance.
C'est alors seulement qu'il sera possible au Capitaine général
de voir s'il doit se décider à envoyer par mer les 1.200 hommes,
pour occuper le poste des Gonaïves, afin de se trouver par là
en communication avec la division de Port-au-Prince ; ou si,
se contentant de faire bloquer les Gonaïves par des frégates,
il préférera tenir ses forces réunies et occuper les Gonaïves par
un détachement soutenu par son avant-garde.
Le contre-amiral Latouche, destiné à prendre possession du
Port-au-Prince, détachera un vaisseau et deux frégates portant
au moins 500 hommes de troupes françaises, en ayant soin de

— 267 —
mettre quelques officiers qui connaissent le pays. Ces troupes se
rendront aux Cayes. Cette séparation se fera hors la vue de
terre, et à un point d'où ils puissent arriver aux Cayes un ou
deux jours après l'arrivée au Port-au-Prince.
Le contre-amiral Latouche fera prendre possession de l'Isle
La Gonave avant d'arriver au Port-au-Prince, afin d'y établir
une ambulance. Le débarquement au Port-au-Prince, se fera
dans le même esprit qu'au Cap. Maîtres de la ville et du fort,
on s'assurera de Léogane, des Gonaïves. On établira des croi-
sières devant Saint-Marc ; et, si l'on a des forces suffisantes, on
s'emparera de ce poste en même temps que du Port-au-Prince.
Partout on répandra la proclamation, on organisera les gardes
nationales, on armera les blancs et les hommes de couleur, et
l'on se servira des nègres sur lesquels on pourra compter.
Le général commandant l'expédition de Port-au-Prince une
fois débarqué, il écrira au général Toussaint pour lui faire
connaître que le Capitaine général débarqué au Cap a dû lui
écrire pour l'inviter à s'y rendre.
La division qui arrivera aux Cayes occupera l'isle des Vaches,
les Cayes, le Fort Saint-Louis, armera les blancs, les hommes
de couleur, les nègres fidèles, et se mettra à même de pouvoir
communiquer par terre avec le Port-au-Prince. Si les habitants
se comportent bien, une partie des équipages des vaisseaux
peut tenir garnison au poste des Cayes et les 500 hommes de
troupes rejoindront par terre le général qui aurait occupé le
Port-au-Prince.
On aura soin de prendre possession de Jérémie et de tenir les
bricks et petits bâtiments armés en croisière devant les postes
occupés par les rebelles.
A mesure que les différents renforts arriveront, il paraît que
l'on doit finir par organiser l'armée en cinq divisions chacune
de 3.000 hommes, deux dans la partie du Nord, une à Saint-
Marc, une au Port-au-Prince et la cinquième dans la partie
espagnole.
L'escadre fournira 6.000 hommes de détachement de ses
vaisseaux, pris parmi les équipages si cela était nécessaire. Ces
6.000 hommes tiendraient garnison au Cap, Fort Dauphin,

— 268 —
Port de Paix, le Môle, les Gonaïves, Saint-Marc, Port-au-
Prince, Jérémie, les Cayes, Saint-Domingue, Porto de la Plata,
etc. Les dépôts des divisions tiendront également garnison
dans les différents ports.
La division dans la partie espagnole de Saint-Domingue se
réunira à Sant-Yago, partie débarquant à Santo-Domingo,
partie à Porto-Plata.
Pour bien entendre les instructions, il faut diviser le temps de
l'expédition en trois époques.
La première se compose des 15 ou 20 premiers jours néces-
saires pour occuper les places, organiser les gardes nationales,
tranquilliser les bien intentionnés, réunir les convois, organiser
les charrois d'artillerie, accoutumer la masse de l'armée aux
mœurs et à la physionomie du pays et prendre possession des
plaines.
La seconde époque est celle où les deux armées préparées,
on poursuivrait les rebelles à toute outrance ; on les déniche-
rait d'abord de la partie française et successivement de la partie
espagnole.
Si la partie française était une île, les rebelles seraient bientôt
soumis ; mais on présume que ce sera dans la partie espagnole,
où l'on sera éloigné des ports, qu'ils chercheront à tenir le plus
longtemps. Les principales ressources doivent être alors dans
les hommes de couleur de la partie espagnole. Il paraît que l'on
fait la guerre aux noirs à peu près comme dans les Alpes, huit
ou dix colonnes à la fois combinant leurs mouvements sur une
seule position. La force de ces colonnes paraît ne pas devoir
dépasser 3 ou 400 hommes.
Les postes de Sant-Yago, de Plaisance, de la Croix des
Bouquets, sont indiqués comme points principaux, où il serait
bon d'avoir des postes retranchés à l'abri des incursions des
noirs. Ne connaissant pas l'art de l'attaque et des fortifications,
il faut envers les noirs se servir des anciennes fortifications, des
tours et des murailles qui se font promptement et qui leur
imposent davantage que les fortifications rasantes.
La troisième époque est celle où Toussaint, Moyse et Dessa-
lines n'existeront plus et où 3 ou 4.000 noirs retirés dans les

— 269 —
mornes de la partie espagnole formeraient ce qu'on appelle dans
les îles, des Marrons, et que l'on parviendra à détruire avec le
temps, la constance et un système d'attaque bien combiné.
CHAPITRE II
Les Espagnols, les Anglais et les Américains voyent égale-
ment avec peine la République Noire. L'Amiral et le Capitaine
général écriront des circulaires aux établissements voisins pour
leur faire connaître le but du gouvernement, l'avantage commun
pour les européens de détruire cette rébellion des Noirs et l'espé-
rance d'être secondé.
Si l'on en a besoin, on doit demander en Amérique, dans les
îles espagnoles et- même à la Jamaïque des vivres. On doit
demander à la Havane, si l'on en avait besoin, un millier
d'hommes pour aider à occuper la partie espagnole de Saint-
Domingue.
On doit mettre le séquestre au profit de l'armée sur toutes les
marchandises que l'on trouverait dans les ports qui appartien-
nent aux Noirs, jusqu'à ce que l'on sache la conduite qu'ils
tiendront.
Déclarer en état de blocus tous les ports où se trouveraient
des rebelles et confisquer tout bâtiment qui en sortirait ou qui
y entrerait.
Jefferson a promis que dès l'instant que l'armée française
serait arrivée, toutes les mesures seraient prises pour affamer
Toussaint et pour aider l'armée.
CHAPITRE III
Jamais la nation française ne donnera des fers à des hommes
qu'elle a reconnus libres. Ainsi donc tous les noirs vivront à
Saint-Domingue comme ils sont aujourd'hui à la Guadeloupe.
La conduite à tenir est relative aux trois époques dont il a
été parlé ci-dessus.
A la première époque on ne désarmera que les noirs qui sont
rebelles.
A la troisième on les désarmera tous.

— 270 —
A la première époque on ne sera pas exigeant : on traitera
avec Toussaint, on lui promettra tout ce qu'il pourra demander
afin de prendre possession des places et s'introduire dans le
pays.
Lorsque ce premier but sera rempli, on deviendra plus
exigeant. On lui intimera l'ordre de répondre catégoriquement
à la proclamation et à ma lettre. On lui enjoindra de venir au
Cap.
Dans les entrevues que l'on pourra avoir avec Moyse, Dessa-
lines et les autres généraux de Toussaint, on les traitera bien.
Gagner Christophe, Clairveaux, Maurepas, Félix, Romain,
Jasmain, etc., et tous les autres noirs portés pour les blancs.
A la première époque, les confirmer dans leurs grades et leurs
emplois. A la troisième époque les envoyer tous en France avec
leurs grades s'ils ont bien servi pendant la seconde.
Tous les principaux agents de Toussaint, blancs et hommes
de couleur, doivent, à la première époque, être indistinctement
comblés de prévenances, confirmés dans leurs grades, et à la
dernière époque renvoyés tous en France dans leurs grades,
s'ds se sont bien comportés dans la seconde époque, et comme
déportés s'ils se sont mal conduits pendant cette même époque.
Tous les noirs qui sont en place doivent pendant la première
époque être flattés, bien traités, mais en général on doit tâcher
de leur ôter leur popularité et leur pouvoir. Toussaint, Moyse et
Dessalines, doivent être bien traités pendant la première époque
et renvoyés en France à la dernière époque en arrestation ou
dans leurs grades, selon la conduite qu'ils tiendront à la seconde.
Raymond a perdu la confiance du Gouvernement, on le
saisira et on l'enverra en France au commencement de la
seconde époque comme un criminel.
Si la première époque dure quinze jours, il n'y a point d'in-
convénient. Si elle durait davantage on serait dupe.
Toussaint ne sera soumis que lorsqu'il viendra au Cap ou à
Port-au-Prince, au milieu de l'armée française, faire serment de
fidélité à la République. Ce jour-là il faut sans scandale, sans
injure, mais avec honneur et considération, le mettre à bord
d'une frégate et l'envoyer en France. Arrêter si on le peut en

— 271 —
même temps Moyse et Dessalines, ou les poursuivre à toute
outrance et alors envoyer en France tous les blancs partisans
de Toussaint, tous les noirs ayant des places et suspectés de
malveillance. Déclarer Moyse et Dessalines traîtres à la patrie
et ennemis du peuple français. Mettre des troupes en campagne
et ne pas se donner de repos qu'on ait leurs têtes et dissipé et
désarmé tous leurs partisans.
Si passé les 15 ou 20 premiers jours il est impossible de
ramener Toussaint, il faut par une proclamation déclarer que
si, sous tant de jours, il ne vient pas prêter son serment à la
République, il est déclaré traître à la patrie et à l'expiration
du délai on commencra la guerre à toute outrance.
Quelques milliers de noirs errants dans les mornes et cher-
chant un refuge dans ces pays agrestes, ne doivent pas empêcher
le Capitaine général de regarder la seconde époque comme finie
et d'arriver promptement à la troisième. Alors le moment
d'assurer pour jamais la colonie à la France est arrivé. Et le
même jour on doit, sur tous les points de la colonie, faire arrêter
tous les hommes en place suspects, de quelque couleur qu'ils
soient, et faire embarquer au même instant tous les généraux
noirs quelque soient leurs mœurs, leur patriotisme, et les
services qu'ils ont rendus, en observant cependant de les faire
passer dans leurs grades, et avec l'assurance qu'ils seront bien
traités en France.
Tous les blancs qui ont servi sous Toussaint et qui dans les
scènes de Saint-Domingue se sont couverts de crimes, seront
envoyés directement à la Guyane.
Tous les noirs qui se sont bien comportés, mais que leurs
grades ne permettent plus de laisser dans l'île seront envoyés
à Brest.
Tous les noirs ou hommes de couleur qui se sont mal compor-
tés, de quelque grade qu'ils soient, seront envoyés dans la
Méditerranée et déposés dans un port de l'île de Corse.
Si Toussaint, Dessalines ou Moyse étaient pris les armes à la
main ils seraient dans les 24 heures jugés par une commission
militaire et fusillés comme rebelles.
Quelque chose qu'il arrive, on croit que dans le cours de la

— 272 —
troisième époque on doit désarmer tous les nègres, de quelque
parti qu'ils soyent, et les remettre à la culture.
Tous les individus qui ont signé la Constitution doivent, à la
troisième époque, être envoyés en France, les uns comme
prisonniers, les autres libres comme ayant été contraints.
Les femmes blanches qui se sont prostituées aux nègres,
quelque soit leur rang, seront envoyées en Europe. On ôtera
les drapeaux aux régiments de la garde nationale ; on leur en
donnera de nouveaux et on les réorganisera. On réorganisera
la gendarmerie. Ne pas souffrir qu'aucun noir ayant eu le
grade au-dessus de capitaine reste dans l'île.
L'île de la Tortue pourra servir de dépôt pour les prisonniers
noirs. Quelques vaisseaux de guerre ou frégates pourront
également servir pour le même objet.
CHAPITRE IV
Il y aura dans la partie espagnole un commissaire général
qui ne dépendra point du préfet colonial.
Le général en chef sera le capitaine général des deux parties
de Saint-Domingue. Il pourra se faire remplacer dans la partie
espagnole par un officier général qui sera capitaine général de la
partie espagnole et sous ses ordres.
Il y aura dans cette partie un commissaire de justice qui ne
dépendra point de celui de la partie française. Si le but politique
de la partie française de Saint-Domingue doit être de désarmer
les noirs et de les rendre cultivateurs, mais libres, on doit dans
la partie espagnole les désarmer également, mais les remettre
en esclavage. On doit reprendre possession de cette partie, la
prise de possession de Toussaint étant nulle et non avenue.
La partie française est divisée en départements et municipali-
tés. Celle espagnole doit rester divisée en diocèses ou juridictions.
Administration, commerce, justice, tout doit être diffé-
rent dans la partie espagnole, que dans la partie française.
On ne saurait trop s'attacher au principe qu'établir une diffé-
rence de mœurs et même une antipathie locale, c'est conserver
l'influence de la métropole dans cette colonie.

— 273 —
CHAPITRE V
La politique relative aux anciens propriétaires doit avoir
rapport aux époques et dépendra des événements qui auront
lieu pendant la première, deuxième et troisième époque. La
colonie n'est point censée française. Aucun propriétaire n'est
donc censé jouir de son bien, et tout reste comme sous l'admi-
nistration de Toussaint. Le produit des plantations est employé
à solder, nourrir et équiper l'armée.
Après la troisième époque et la proclamation qui déclare enfin
l'île Saint-Domingue restituée à la République, on rendra à tous
les propriétaires qui sont en France, qui n'ont jamais émigré,
leurs propriétés.
Tout propriétaire qui ne serait point resté pendant la guerre
à Saint-Domingue ou en France, et qui aurait habité l'Amérique,
l'Angleterre ou tout autre pays étranger, ne pourra rentrer
dans ses biens que par arrêté du Gouvernement. Aucun ancien
propriétaire de Saint-Domingue n'aura entrée dans la colonie
s'il vient directement d'Angleterre, d'Espagne ou de tout
autre pays sans avoir passé à Paris et obtenu la permission non
seulement de rentrer dans ses biens, mais même dans la colonie.
Toutes donations faites par Toussaint sont nulles, mais
cette déclaration ne doit avoir lieu que pendant le cours de la
troisième époque.
Toute propriété particulière de Saint-Domingue doit être
soumise à une imposition. La masse de ses impositions doit
être telle qu'elle puisse suffire aux besoins de la colonie, à l'en-
tretien des troupes, etc.
CHAPITRE VI
Les individus militaires et civils qui composent l'armée se
divisent en deux classes.
En hommes qui ayant déjà fait la guerre à Saint-Domingue
connaissent le pays. Ceux-là recevront après la troisième
époque des ordres de service pour retourner en France, avec des
récompenses et des marques de satisfaction proportionnées aux
LECLERC

— 274 —
services rendus. Le Capitaine général ne doit souffrir aucune
vacillation dans les principes de ces instructions et tout individu
qui discuterait le droit des noirs, qui ont fait couler tant de.
sang des blancs, sera sous un prétexte quelconque renvoyé en
France, quelque soient d'ailleurs son rang et ses services.
Aucune instruction publique quelconque ne sera rétablie à
Saint-Domingue et tous les créoles seront tenus d'envoyer leurs
enfants en France pour y être élevés.
Il sera annoncé qu'il sera établi trois évêques français dans
la partie française de Saint-Domingue. Ils recevront l'institu-
tion canonique du Pape, et se rendront sous peu dans la colonie.
Les cures seront rétablies et il sera envoyé de France un certain
nombre de prêtres qui accompagneront les évêques pour réorga-
niser le clergé. — En général, tout prêtre qui a servi à Toussaint,
sera renvoyé en France, après toutefois que d'autres seront
arrivés pour le remplacer.
Le commerce doit pendant les première, deuxième et troi-
sième époques, être accessible aux Américains, mais après la
troisième époque les seuls Français y seront admis, et les anciens
règlements d'avant la révolution seront remis en vigueur.
Pendant même les première, deuxième et troisième époques,
tout bâtiment de Bordeaux ou d'un autre port de France qui
porterait des farines, vins, et autres objets nécessaires à la
colonie dont l'achat serait fait au nom de la République des
deniers provenant de la colonie, aurait la préférence sur les
Américains.
Le Capitaine général et le préfet colonial devront même pren-
dre des mesures pour que, quand même les marchandises pro-
venant de France constitueraient la colonie en perte de quinze
pour cent sur les mêmes objets achetés aux Américains, il leur
donne encore la préférence, en considérant ces quinze pour cent
comme une prime si nécessaire pour encourager notre commerce
renaissant.
Paris, le 9 Brumaire an X.
Le Premier Consul : BUONAPARTE.

APPENDICE II
LETTRES DU MINISTRE DE LA MARINE,
Dans plusieurs de ses lettres, le général Leclerc se plaint avec
amertume, non seulement de ne pas recevoir les renforts et les
approvisionnements dont il avait besoin, mais de voir ses lettres
rester sans réponse et de ne pas même savoir si le ministre et
le gouvernement approuvent sa conduite. Pour permettre de
juger si le reproche ainsi fait au ministre Decrès était fondé,
nous donnons ci-dessous la liste 1 des dépêches adressées par le
ministre au capitaine général de Saint-Domingue pendant
l' an 10 et les premiers mois de l'an 11, jusqu'à l'arrivée à Paris
de la nouvelle du décès de Leclerc : il y en a 55. Plusieurs de
ces lettres ne sont que des recommandations en faveur de parti-
culiers, et ne présentent par conséquent qu'un intérêt très limité.
Par contre celles qui traitent de questions d'ordre général, qui
répondent aux demandes de Leclerc, qui lui font connaître la
pensée du ministre et du gouvernement, qui l'approuvent, lui
réitèrent ses instructions ou les précisent, nous ont paru devoir
figurer à la fin de ce volume, autant pour expliquer la conduite
du général en chef de l'armée de Saint-Domingue que pour éclair-
cir le r oie du ministre de la Marine et des Colonies dans l'expé-
dition de l'an 10.
1. Cette liste a été prise sur la table des registres BB 36 et 42 des
Archives du Ministère des Colonies, où les lettres envoyées par le
ministre étaient copiées avant leur départ.

— 276 —
I
TABLE DES LETTRES
ADRESSÉES AU GÉNÉRAL LECLERC
AN X.
Brumaire :
15 — Nomination des Cit. Peyre, Trabuc et Bouvier aux
premières places du service sanitaire, et le Cit. Cava-
lier, officier de santé de 1re classe.
» — On lui envoie onze dépèches concernant Saint-Domingue
demandées, pour lui, au Cit. Mongiraud.
» — Arrêtés
et renseignements sur le service de Saint-
Domingue, son organisation, etc...
» — Instructions sur la solde, la nourriture et l'habillement
et lès hôpitaux des troupes de terre dans les colonies.
» — Renseignements sur le Cit. Albert, officier de santé des
colonies.
Frimaire :
16 — Ordre de veiller sur la conduite de Antoine-François
Megy.
Ventôse :
27 — Le Consul approuve sa conduite passée et ses mesures
pour l'avenir — confirme les grades qu'il a accordés
provisoirement. — Envoi d'argent, etc..., etc...
Germinal :
3 — Invitation de placer dans l'administration de Saint-
Domingue le Cit. Savery.
6 — On l'informe de la paix définitivement conclue avec
l'Anglais.
6 — Approbation de sa conduite -—• promesse d'envois de
troupes et munitions de toute espèce, etc..., etc...
6 —- Recommandation en faveur du Cit. Ferraud-Mont-
martin.
14 — Recommandation en faveur du Cit. Joseph Bernard,
armateur de bord.

— 277 —
21
On lui expédie de petits bâtimens — envoi d'hommes —
demandes d'états de revues générales — envoi de
l'arr. qui nomme capitaine général de la Martinique
l'amiral Villaret.
28
On lui reccommande les commandans de 2 bâtimens du
port de Gothembourg.
Prairial :
25 — Ordre de supprimer son arrêté du 10 germinal — de
tolerer, le moins possible, le commerce étranger —
n'imposer de droits locaux qu'en raison du plus ou
moins de pertes qu'ont éprouvé les différens quartiers
— arrêté concernant la traite des noirs — ordre de
préférer la peine des fers, comme la plus convenable
aux nègres indisciplinés.
25 — Intentions du gouvernement concernant la traite.
26 — On lui transmet un mémoire sur les localités de l'île.
» — Envoi d'une recette chiffrée, pour la culture.
27 — Ordre de ne recevoir d'autres agents étrangers que ceux
munis d'un exequatur délivré par la volonté du consul
— la division de vaisseaux qu'il compte garder est
trop nombreuse et d'un entretien trop coûteux pour
la situation des affaires — activer sous voiles toutes
les forces marines — les petits bâtimens étant les
plus utiles, il doit les garder de préférence.
» — On l'informe que le brick le Curieux, et onze de ses
dépêches sont arrivées à Brest — annonce d'envoi
d'objets de marine — approbation de sa conduite
avec les noirs, etc...
Messidor :
3 — Demande du règlement de Toussaint, sur la culture —
approbation des mesures prises concernant les douanes,
l'ordre judiciaire, etc... — promesse de lui envoyer
de bons prêtres.
18 — Reccommandation en faveur du Cit. Talleyrand-Périgord,
gendre de M. Pussigneux.
23 — Reccommandation en faveur du Cit. Michel Bedout,
frère du contre-amiral.
Thermidor :
4
Reccommandation en faveur du Cit. Charles Monglas.

— 278 —
9
On lui annonce l'arrivée de l'escadre du contre-amiral
Magon — lettre qu'on lui écrit concernant les dépor-
tés de Saint-Domingue — les pertes dans l'armée —
les officiers de santé — les hôpitaux — l'escadre,
etc..., etc...
19 — Voyez Préfet colonial.
21 —• Idem.
29 — Idem.
Fructidor :
5 — Accusé de réception de plusieurs de ses dépêches.
6 — Le Cit. Ludot est nommé grand-juge de Saint-Domingue
avec un traitement de 40.000 francs.
27 — Reccommandation en faveur du Cit. Dénoé.
29 — Envoi de l'arrêté du 16 fructidor sur la résiliation des
fermas.
» — Envoi de l'arrêté du 19 fructidor sur les anciennes et
nouvelles dettes.
» — Approbation de ses mesures sur la régie des domaines
nationaux.
Jours complémentaires :
4e —- Invitation de vérifier l'affaire du Cit. Antoine Laussat.
AN XI.
Vendémiaire :
6 — On lui reccommande le Cit. Etienne, propriétaire à Jérë-
mie, qui demande la permission d'aborder avec un
bâtiment partant de Nantes. On ajoute qu'il est
vivement recommandé par le sénateur Rousseau.
12 — On appelle son intérêt sur le Cit. Drouillard, beau-frère
du médecin Corvisart, qui sollicite une place d'huissier
ou toute autre place qui ait pour lui le même but.
17 — On l'invite à seconder de tout son pouvoir le fondé
de procuration de la dame de Faudoas contre les
infidélités de Pierre Bernard Boutan qu'elle inculpe
de vol et de surprise ; on lui demande, avec instance,
le résultat des poursuites qui seront faites à cet égard.
19
l° On lui adresse plusieurs arrêtés relatifs à Saint-
Domingue — l'un résilie les baux passés dans le
temps de la domination des rebelles et l'autre appelle

— 279 —
à Saint-Domingue tous les propriétaires qui sont en
état de faire le voyage.
2° On lui annonce que le Cit. Ludot va partir pour
Saint-Domingue.
3° On lui fait savoir que les nègres qu'il a embarqués
sont arrivés à Toulon et que Toussaint est renfermé
dans un fort de l'intérieur.
4° Que les signataires de la prétendue constitution de
Saint-Domingue sont détenus.
5° Entretiens particuliers sur toutes sortes de sujets
relatifs à Saint-Domingue, notamment sur le com-
merce et les colons.
21 — On lui annonce le départ du Cit. Ludot nommé grand
juge. Son éloge : ses titres à la plus haute considé-
ration. On invite le général à prendre pour modèle
et jusqu'à nouvel ordre l'organisation de la Marti-
nique pour ce qui regarde la place de grand juge.
28 — On lui adresse et reccommande le Cit. Busson ancien
sénéchal juge au Cap.
28 — On le prévient que le Premier Consul a fait choix du
Cit. Ludot pour succéder au Cit. Desperoux.
29 — On lui apprend qu'une lettre du Premier Consul charge
expressément de l'inviter à faire restituer au Cit.
Pantaléon Louis Noé la plantation des Manquets et
l'on entre dans plusieurs détails qui ne peuvent que
déterminer le général en chef à ce que l'on lui demande
en faveur de ce citoyen.
Brumaire :
8 — On lui recommande fortem nt le Cit. Prévost-Durozoir.
12 — On lui annonce l'envoi de 2.500 hommes de la Légion
polonaise et de deux bataillons, chacun de 700 hommes,
on lui recommande de renvoyer tout de suite les
frégates qui doivent les transporter. Le Premier Consul
doit lui envoyer bientôt l'argent qu'il demande.
25 — On l'instruit de ce qui vient d'être décidé en faveur
du mulâtre Étienne Michel, les motifs de cette déci-
sion, les mesures prises pour que les gens de couleur
et les noirs ne puissent plus retourner dans les colonies.
29 —• On le prévient que le Premier Consul a fait choix du
Cit. Tirol pour la place de sous-préfet aux Cayes.

— 280 —
Frimaire :
5
On lui demande l'explication des motifs qui ont déter-
miné l'embarquement du mulâtre Chansy, qu'il n'y
a aucune note contre lui, et qu'il n'a contre lui que
d'être parent de Toussaint, et en conséquence on
use de ménagemens pour lui jusqu'à plus ample
information.
14 — On lui accuse réception de ses dépêches, qui ont été
remises par le général de division Boudet et les aides
de camp Brugnière et Ornano. On charge l'aide de
camp Ornano de lui remettre la présente dans laquelle
on répond à toutes celles qui lui sont parvenues.
14 — Lettre de politesse où on lui marque pourtant l'impos-
sibilité actuelle de son retour.
28 — On le prévient du départ de 3.500 hommes et de l'admi-
nistration relative pour prendre possession de la Loui-
siane et des mesures prises pour établir une commu-
nication intime entre cette colonie et celle de Saint-
Domingue.
II
LES PRINCIPALES LETTRES DU MINISTRE
I
28 Brumaire An X (19 novembre 1801).
Le Ministre au général Leclerc, à Brest.
Le courrier porteur de cette dépêche, Général, vous remettra
une boëte scellée de trois cachets contenant une lettre du
Premier Consul au général Toussaint-Louverture dont je joins
ici copie souscrite du secrétaire d Etat Maret. Ci-joint aussi
une proclamation que vous voudrez bien faire imprimer avant
votre départ, ou à bord du vaisseau-amiral s'il y a lieu, et les
destiner à être publiées, affichées, placardées avec profusion
dans toute la colonie.

— 281 —
Il sera bon même de la faire traduire en patois créole pour
être publiée et affichée de la même manière.
Dans la boëte où est la lettre du Premier Consul au général
Toussaint, vous trouverez deux tableaux de chiffres qui
devront avoir lieu entre nous pour affaires secrètes. L'instruc-
tion sur l'usage à en faire se trouve aussi compris dans la
dépêche que je vous adresse et qui se trouve dans la même
boëte.
Enfin, Général, je vous adresse en même temps un rou-
leau de plans qui m'a été remis par le cn Vincent avec la
lettre ci-jointe.
Recevez mes vœux les plus sincères pour le succès de votre
expédition, et comptez sur la sollicitude par laquelle je pour-
voirai à tout ce qui pourra y contribuer. 1
II
BUREAU PARTICULIER
DU MINISTRE
Le 27 Ventôse, An X (18 mars 1802).
J'ai reçu, Citoyen Général, vos deux dépêches du 20 plu-
viôse, qui m'ont instruit des premiers événements de votre
arrivée à Saint-Domingue.
J'ai mis sous les yeux du Premier Consul les détails de vos
opérations. Il m'a chargé de vous déclarer que vous aviez
parfaitement justifié sa confiance.
Sensible aux malheurs que la fureur des noirs a versé sur
Saint-Domingue, rien ne lui est échapé de ce que vous avez
fait pour les prévenir et ensuite pour en diminuer l'effet. Il a
reconnu avec une vive satisfaction sa cinquième légère dans
l'intrépidité avec laquelle elle a enlevé le fort Liberté.
Elle soutient sa vieille renommée, m'a dit le Premier Con-
sul en lisant votre rapport sur la cinquième. Il a reconnu la
brillante valeur du général Rochambeau dans le compte
1. Arch. Nat. Marine BB2 82, fol. 14.

— 282 —
honorable que vous rendez de sa conduite, ainsi que le talent
et le courage du général Brunet.
Il a fait droit aux demandes que vous avez faites, en faveur
de ceux qui se sont distingués dans cette affaire et en consé-
quence il a nommé contre-amiral le capitaine Magon, capi-
taine de frégate le lieutenant Obet. Il a confirmé dans le
grade de chef d'escadron le capitaine Acier, il a accordé des
brevets d'honneur au capitaine Rapatel aide de camp du
général Brunet, Alard capitaine de carabiniers, Sarlat lieu-
tenant et Ricard caporal.
Le Premier Consul compte sur le succès des dispositions
que vous avez prises, pour l'occupation de Santo-Domingo
et particulièrement du Port Républicain. Il a vu qu'au départ
de la Syrène, vous étiez prêt à entrer en campagne avec
9.400 hommes qui faisaient la totalité de votre armée. Au
moment où vous écriviez, arrivaient deux frégates qui vous
rapportaient un léger renfort. Depuis cette époque, et peu
de jours après, les escadres Gantheaume, Linois, la division
Meyme et l'escadre batave, vous auront porté plus de
6.000 hommes.
L'Indienne, le Switsure, le Zélé, le Tourville, auront encore
accru successivement vos forces d'environ 1.500 hommes.
Par l'état que j'ai sous les yeux, votre armée est d'environ
20.000 hommes, non compris les moyens de l'escadre.
Ce tableau sur la vérité duquel j'ai lieu de compter est
rassurant. Il l'est d'autant plus que c'est vous qui comman-
dés cette armée.
Ce que je crains, ce sont les maladies. Et j'attends avec
sollicitude que vous me fassiez connaître les effets de l'in-
fluence du climat qui est ce que je redoute le plus.
Dans le moment encore, je suis occupé de l'exécution des
ordres du Premier Consul, de vous envoyer environ 1.800
hommes, que j'expédierai le plus tôt possible, et que j'espère
qui vous seront arrivés vers la fin de floréal.
Le Premier Consul pense que maintenant l'Isle entière est
en votre disposition. Il prévoit cependant que quelques
troupes de rebelles, retirées dans les mornes, peuvent être

— 283 —
insoumises. Mais la seule difficulté de les réduire, consiste
dans celle de les atteindre.
Dans cet état de choses, les seules instructions que je puisse
vous donner, c'est de garder en forces de terre et de mer tout
ce que réclame votre situation, et de renvoyer en France,
pour diminuer le nombre de vos consommateurs, tout ce qui
ne vous sera pas nécessaire. J'écris en ce sens à l'amiral Vil-
laret pour qu il se concerte avec vous sur les dispositions à
prendre.
Ma lettre n° 1 vous indique celles que j'ai prises moi-même,
pour assurer vos subsistances, et ce que je recommande à
votre attention, non seulement par la nature des choses,
mais encore par notre situation politique avec l'Angleterre.
Le brick le Curieux, que j'ai expédié de Brest il y a quel-
ques jours, vous a porté pour environ 1.300.000 francs de
traites sur Mexico.
Le brick le Goëland qui est chargé de ces dépêches, devra
vous remettre pour environ 700.000 p. de piastres effectives.
Ci-joint l'arrêté par lequel le Premier Consul a nommé
maire de la ville du Cap le citoyen Télémaque, dont la con-
duite à votre arrivée a mérité cette distinction. Je ne puis
qu'approuver le parti que vous avez pris d'armer les noirs
bien intentionnés. Mais un mot vous suffira... Craignez les
perfides.
Je termine, Général, par l'expression de mes vœux les plus
sincères pour vos succès et du désir comme du besoin qu'a
le Gouvernement d'en être promptement et régulièrement
instruit.
III
Le 6 Germinal,
X (27 mars 1802).
Vos dépêches expédiées par la Diligente, Citoyen Général,
me sont parvenues en 28 jours. J'ai mis sous les yeux du
Premier Consul vos opérations, vos dispositions, et l'inten-
tion où vous êtes de pousser la guerre où vous êtes forcé avec
vigueur. Le Premier Consul ne m'a exprimé que des témoi-

— 284 —
gnages de satisfaction à vous transmettre et c'est un devoir
qui m'est agréable à remplir.
J'ai remarqué dans le tableau que je vous ai présenté des
forces réunies sous votre commandement, que j'ai dans ma der-
nière lettre commis une erreur, ç'a été d'y comprendre tous
les passagers et tous les passagers ne sont pas combattants.
Quoiqu'il en soit, vous devez maintenant avoir reçu tout le
corps d'armée qui vous fut destiné et annoncé dans vos ins-
tructions. Je vais m'occuper de l'alimenter par des envois
successifs auxquels je pourvoirai à, mesure que les moyens
de transport seront à ma disposition.
J'attends pour cela avec impatience les vaisseaux que
doit nous renvoyer l'amiral et qui sont probablement prêts
à m'arriver.
J'ai vu avec peine que vos médicaments se sont trouvés
avariés ; les envois ultérieurs qui ont eu lieu par la Danaë
et autres transports étant partis dans une saison moins dure,
seront probablement plus heureux. Je m'occupe de vous
envoyer des farines. Les bœufs dont vous me dites avoir quan-
tité suffisante seront d'une grande ressource. Outre les seize
mille quintaux de farine qui vous sont arrivés, j'en organise de
nouveaux envois. Il vous parviendra des souliers de diffé-
rents ports, si mes ordres ont pu être exécutés comme je
l'espère. Donnez-moi et très souvent des nouvelles de vos
opérations. Vos succès sont désirés de toute la France, je
pourrais dire de toute l'Europe.
IV
Paris, 25 Prairial, An X (14 juin 1802).
Le texte de la loi du 30 floréal dernier, dont j'ai ordre,
Général, de vous adresser plusieurs exemplaires imprimés,
ne pouvait et ne devait lorsqu'elle a été rendue faire aucune
mention de la colonie de Saint-Domingue ; elle n'est nomi-
nalement aplicable, quant à l'esclavage, qu'aux établisse-
ments dans lesquels nous allons rentrer par suite de la paix

— 285 —
et aux colonies orientales. Mais elle rétablit la traite et toutes
nos possessions coloniales en ont besoin. C'est sur ces deux
points intimement liés l'un à l'autre, et aussi délicats qu'im-
portans, que j'ai à vous transmettre aujourd'hui les inten-
tions du Gouvernement.
En ce qui concerne le retour à l'ancien régime des noirs,
la lutte sanglante dont vous venez de sortir glorieux et vain-
queur commande les plus grands ménagemens. Ce serait
peut-être s'y rengager de nouveau que de vouloir briser avec
précipitation cette idole de liberté, au nom de laquelle tant
de sang a coulé jusqu'ici. Il faut que pendant quelque temps
encore la vigilance, l'ordre, une discipline tout à la fois rurale
et militaire remplace l'esclavage positif et prononcé des gens
de couleur de votre colonie. Il faut surtout que les bons trai-
temens du maître les rattachent à sa domination. Lorsqu'ils
auront senti par la comparaison la différence d'un joug usur-
pateur et tyrannique à celui du propriétaire légitime, inté-
ressé à leur conservation, alors le moment sera venu de les
faire rentrer dans leur condition originelle, d'où il a été si
funeste de les avoir tirés.
Pour ce qui regarde la traite, elle est plus nécessaire que
jamais au recrutement des atteliers après le vuide immense
que dix ans de trouble et de non-remplacement y ont formé.
Ainsi vous devrez sans contredit la fovariser, en encoura-
geant l'achetteur par l'assurance formelle du droit qu'il acquerra
à une pleine propriété.
Au surplus, général, tout est subordonné à votre sagesse,
même la publication de la loi dont il s'agit. Vous la suspen-
drez si vous le jugez convenable. Les circonstances vous
détermineront. Personne ne peut mieux les apprécier que
vous. Dans l'incertitude du parti que vous croirez devoir
prendre, je m'abstiens d'en écrire au citoyen préfet colonial,
mais je ne doute pas que votre confiance en lui ne vous porte
à le consulter sur un objet de si haute importance.
J'ai l'honneur de vous saluer.

— 286
V
EXPÉDIÉ AU BUREAU PARTICULIER
DU MINISTRE
Paris, le 25 Prairial, An X (14 juin 1802).
Votre arrêté du 10 germinal, Citoyen Général, qui fixe à
10 % le droit d'importation des marchandises nationales par
des navires français, a excité les réclamations du commerce,
et j'ai été obligé d'en mettre les inconvénients sous les yeux
des Consuls. Ils m'ont ordonné de vous prescrire de suppri-
mer les droits d'importation des marchandises françoises,
conformément à ce qui avoit lieu avant, la Révolution.
Il est de notre intérêt de donner le plus grand essor à notre
commerce et à nos manufactures : des droits sur l'importa-
tion de leurs produits dans nos colonies ne pourraient que
leur nuire.
Quant au commerce étranger, ne le tolérez qu'autant qu'il
nous fournit des objets qui ne pourraient nous arriver par
une autre voie. C'est là la première base du système colonial.
Autrefois Saint-Domingue payoit des droits locaux plus
considérables qu'aucune autre isle : ceci étoit fondé sur la
plus grande prospérité de la colonie, qui lui permettoit de
plus grandes charges.
Mais ces droits locaux ne doivent être mis à présent qu'avec
une extrême modération. C'est à vous à juger quelles sont
les parties de Saint-Domingue qui doivent en être exemptes,
en raison des maux qu'elles ont souffert et du besoin qu'elles
ont des faveurs du Gouvernement pour se rétablir.
L'extraction des sucres et toutes autres denrées coloniales,
excepté le raffia et le syrop, doit être (autant que possible)
prohibée.
Voilà les bases : votre excellent esprit administratif vous
dira comment votre situation permet qu'on s'y rattache plus
ou moins fixement.
Je vous envoyé la loi du 30 floréal, relative à la traite des
noirs et au régime des colonies. Vous observerez qu'elle ne

— 287 —
peut porter ombrage à la colonie de Saint-Domingue qu'elle
ne regarde pas.
\\ ous savez ce qui est bon et ce qui convient au Gouverne-
ment. Vous seul, étant sur les lieux, pouvez calculer les pos-
sibilités de ce qu on peut atteindre pour le plus grand avan-
tage des hommes et des choses.
Des ordres donnés d'ici ne vaudroient pas les conceptions
que vous pouvez exécuter.
Dans 1 état actuel des affaires, la peine des fers sera sou-
vent encourue par les noirs indisciplinés, qui ne sauront pas
respecter l'honneur de servir sous les drapeaux ; c'est autant
d êtres à vendre à la culture. Il y aura dans cette mesure
humanité et utilité.
Observez que l'article 4 de la loi précitée donne une grande
latitude à vos règlements, et que leur sagesse garantit la
sanction qu'ils obtiendront du Gouvernement.
VI
Paris, le 26 Prairial, an X.
1411. 235. Mon cher général 2023. 189.
220. 320. 949. 1258. 1231. 1625. 817. 1491. 110. 1593.
1321. 218. 1673. 322. 170. 1448. 652. 322. 1798. 1238. 211.
1991. 455. 1727. 164.
Voilà ce qui serait bon, voilà ce qui ne peut être textuelle-
ment prescrit, parce qu'il est possible que quelque soin qui soit
porté à ce genre de culture, le sol ne s'y prête pas. Mais on
ne peut se dissimuler que nos travaux n'auront de succès qu'au-
tant que cette méthode sera plus ou moins reçue.
Au reste, comme la fortune de l'heureux planteur qui par-
viendra à conduire cette opération à terme, tient au secret
de ces dispositions et que je désire que ce soit vous qui par-
veniez à cette bonne fortune, j'ai pris le parti de chiffrer cette
recette à laquelle tout doit se rapporter dans vos projets
1117. 675. 247. 1039. 1411. »
1. Voir plus haut la lettre CXXI du général Leclerc.

— 288 —
VII
Le 27 Prairial, An X (16 juin 1802).
Au Général Leclerc, à Saint-Domingue.
Le brick le Curieux, que vous avez expédié pour annon-
cer au Gouvernement l'heureuse situation dans laquelle se
trouve l'affaire de Saint-Domingue, est arrivé à Brest, le
20 prairial, et vos dépêches au nombre de onze, du 1er floréal
au 18 du même mois, me sont arrivées 3 jours après.
Je ne m'arrêterai à celle du 1er que pour prendre en con-
sidération la demande que vous me faites de matûres, cor-
dages, agrès et apparaux.
Je ne vous en croyais pas un besoin aussi pressant, attendu
que l'amiral Villaret m'avait annoncé vous avoir laissé beau-
coup d'objets de rechange. Je vais prendre des renseigne-
ments plus positifs de lui et je vous informerai des mesures
auxquelles je me serai arrêté.
Par vos lettres du 16, vous m'informez de la soumission
des rebelles, et par celles du 18, de votre entrevue avec Tous-
saint. Le Premier Consul a entièrement approuvé l'indul-
gence dont vous avez usé, et les dispositions que vous avez
prises dans cette circonstance importante.
Mais la grâce accordée aux rebelles, la confirmation du
grade que vous leur avez accordé, ne fait que leur imposer
plus impérieusement le devoir d'une entière subordination.
La République ne connaît pas de militaires de quelques
grades qu'ils soient, qui soient destinés à servir dans une
partie du monde plutôt que dans toute autre. Aussi tous les
généraux noirs sont-ils destinés à, servir en France, au moins
momentanément. Et le Premier Consul ordonne que vous
leur en donniez l'ordre, ainsi qu'il vous a été prescrit par le
3e chapitre de vos instructions.
Chacun devra être envoyé en France, avec le degré d'égards
que lui aura mérité sa conduite, avant et depuis la soumission.
Il serait superflu de vous recommander l'exécution des

TOUSSAINT-LOUVERTURE
CHEF DES NOIRS INSURGÉS DE SAINT-DOMINGUE
d'après une estampe populaire
publiée à Paris en l'An X.


— 289 —
instructions que vous avez reçues. Le succès et la sagesse
de vos opérations jusqu'à ce jour, garantit celles des évé-
nements postérieurs.
La pensée du Gouvernement vous est trop connue pour
qu il reste au Premier Consul quelque chose à vous prescrire
à cet égard.
Continuez donc, Général, l'œuvre que vous avez si glo-
rieusement et si heureusement commencée ; et achevez la
soumission complette de l'importante colonie, dont les des-
tinées sont entre vos mains.
V otre lettre du 18 floréal, me rend compte de la mission
que vous avez donnée au général Boudet, mission importante
dont les instructions ont précisément le caractère que récla-
mait la circonstance. Il paraît que le général Boudet sera
parti vers le 1er floréal, de Saint-Domingue, et comme le
contre-amiral Bouvet et le général Richepanse sont partis
de Brest le 11 germinal, il est probable que votre expédition
sera arrivée à peu près à la même époque que celle de Brest.
Comme vos instructions ont sagement prévu le cas de
l'arrivée du général Richepanse, toute sollicitude se trouve
prévenue sur l'effet de la réunion des deux généraux.
Au reste, je m'attends à recevoir au premier moment des
nouvelles de l'arrivée de nos forces à la Guadeloupe.
J'ai été informé de l'insurrection arrivée à la Dominique
et heureusement réprimée.
Il m'est agréable de terminer, Citoyen Général, en vous
assurant de la pleine et entière satisfaction du Premier Con-
sul, et je pourrais dire de tous les Français.
VIII
Le 27 Prairial, An X (16 juin 1802).
Au Général Leclerc,
Capitaine Général à Saint-Domingue.
Par votre lettre du 16 floréal, Citoyen Général, vous me
rendez compte qu une division de 6 ou 7 bâtiments de guerre,
LECLERC
19

— 290 —
sous les ordres du contre-amiral Magon, sera expédiée pour
les Etats-Unis, où vous jugez que l'apparition de ces forces
sera utile à la situation politique où nous nous trouvons par
rapport à cette puissance.
Il est bien vrai que son envoyé M. Livingstone a présenté
au ministre des Relations Extérieures une notte qui m'a été
transmise, dans laquelle il se plaint de la manière avec laquelle
vous en avez usé envers les bâtiments américains qui se trou-
vaient au Cap lors de votre arrivée. Je lui ai répondu par la
lettre dont je vous envoie copie, ci-jointe ; c'est vous dire
qu'à moins d'intérêts pressans qui seuls pourraient vous
déterminer à modifier les intentions exprimées dans cette
lettre, vous ne devez reconnaître aucun agent commercial
des nations étrangères à Saint-Domingue, qu'autant qu'il
sera muni d'un Exequatur, délivré par ordre formel du Pre-
mier Consul.
Vous me mandez dans votre dépêche précitée, que vous
ne comptez garder que 4 vaisseaux et 8 frégates à Saint-
Domingue.
Dans l'état de paix où nous sommes, je trouve cette divi-
sion trop considérable, surtout en vaisseaux de guerre, dont
l'armement est cher et l'entretien très difficile, dans la pénu-
rie où nous sommes de munitions navales. Je crois que 2 vais-
seaux de guerre au plus suffiront aux besoins du service, avec
tel nombre de frégates et corvettes dont vous calculerez la
nécessité.
La seule puissance à laquelle vous ayez à en imposer hos-
tilement sont les Etats-Unis, dans le cas où quelque accès
de délire viendrait à les saisir. Deux vaisseaux de guerre et
des frégates suffiront pour cet objet.
Suivant l'état que j'ai sous les yeux, vous avez dans ce
moment 11 vaisseaux de ligne y compris le San-Génaro,
qui est à la Havanne. Vous avez 18 frégates, 5 corvettes,
4 goélettes, 3 bricks et 3 cutters. Total : 36 bâtiments.
Il me sera difficile d'accroître le nombre de ces petits bâti-
ments, attendu que le besoin de pourvoir au service de nos
côtes et des autres colonies, ne m'en laissent guère de dispo-

— 291 —
nibles. Cependant vous recevrez probablement avant peu de
temps le brick l'Alcyon.
Je ne puis trop vous recommander au nom de l'intérêt
de la marine de la République de seconder le désir que l'ami-
ral Latouche ne manquera pas de vous témoigner, d'être
rarement sur les rades : activer sous voiles toutes les forces
navales qui sont à Saint-Domingue, est le seul moyen de
procurer aux marins l'expérience sans laquelle le matériel
de la Marine n est qu'une chose dispendieuse et une occasion
de désastres.
En tenant toujours les bâtiments de guerre sous voiles,
les côtes sont gardées, la discipline se maintient, l'expérience
s'acquière, et la santé des marins se conserve.
Des vaisseaux dans une colonie rendent beaucoup moins
de services que des frégates ou corvettes. Ils appareillent
plus rarement et plus difficilement. Ils instruisent propor-
tion gardée un moindre nombre d'officiers ; ils surveillent
moins bien en ce qu'ils sont obligés de se tenir plus au large,
et enfin ils exigent des réparations bien plus considérables
et un entretien auquel il me serait difficile de pourvoir, attendu
qu'il m'est plus aisé d'envoyer des mâtures aux frégates et
corvettes qu'aux vaisseaux de ligne, puisque les dépenses
nécessairement occasionnées, par l'expédition de Saint-
Domingue ont empêché d'autant de pourvoir aux appro-
visionnements.
D'après ces données, je réitère ce que je vous ai déjà écrit
plusieurs fois, que je m'en rapporte entièrement à vous, sur
le nombre et la qualité des bâtiments que vous conserverez
et sur lesquels votre situation peut seule fixer votre déter-
mination.
IX
3 Messidor, An X (22 juin 1802).
Au Capitaine Général à Saint-Domingue.
Je vous prie, Citoyen Général, de vouloir bien m'envoyer
le règlement sur les cultures, établi par Toussaint et que vous
comptez adopter.

— 292 —
Le tableau que je vous ai envoyé des approvisionnements
de bouche que j'ai expédiés pour Saint-Domingue, vous fera
voir que, d'après ce que vous vous en êtes procuré vous-même
et ce que vous en avez reçu des États-Unis, vous en avez
maintenant une surabondance dont il vous sera facile de tirer
un grand parti.
Dans l'incertitude où j'étais des ressources que vous don-
neraient les Américains et dans celle des chances de la guerre,
j'avais jugé devoir porter votre approvisionnement au delà
de tous les besoins. Maintenant que votre situation y établit
une certaine fixité, je pense que ces farines, comme je vous
l'ai déjà écrit, peuvent ou être conservées, si leur qualité le
comporte, ou devenir un objet d'échange avec la Havane
où j'apprends par une lettre en date du 30 germinal, que le
baril s'y vend 30 gourdes.
Je répondrai par une lettre particulière à ce que vous
m'écrivez des besoins relatifs à vos hôpitaux, mais vous devez
avoir reçu des médicamens 'que je vous ai fait expédier de
Brest et je vais me faire rendre compte de cet objet sur lequel
je ne négligerai rien pour remplir vos demandes.
Dans l'une de vos lettres où vous m'annoncez les bases
des règlements que vous méditez, j'ai reconnu à l'article
Douanes particulièrement les vues les plus sages.
J'adopte absolument celle que vous adoptez vous-même
pour l'ordre judiciaire. La question du tribunal de cassation
est sagement ajournée, attendu qu'elle se rattache à d'autres
questions très compliquées, mais en thèse générale le moyen
de ne pas nous conduire à des théories dont les conséquences
n'auraient pas eu le tems d'être calculées, c'est de suivre
dans vos réglemens autant que possible les errements de
l'ancienne législation. C'est ce que je viens de proposer aux
Consuls pour les petites Antilles.
Je désirerais que vous pussiez me faire connaître les moyens
d'exploiter les bois de gayac de la partie espagnole et en
même tems le prix auquel des entrepreneurs à qui vous en
confieriez l'exploitation et le transport aux débarcadaires
pourraient nous les livrer. Je vous prie aussi de charger quel-

— 293 —
qu'un de vous faire un rapport sur les lieux et les facilités
de leur embarquement. Pendant la guerre le bois de gayac
nous coûtait 30 francs le quintal. Son prix raisonnable en
Europe est de 10 francs.
Je sens de quelle utilité vous seront de bons prêtres par
l'influence que leur dévouement vous donnera et par la faculté
que vous aurez de vous débarrasser de ceux qui sont dans la
mauvaise voie. Je viens d'en demander au conseiller d'état
Portalis et aussitôt qu'il en aura mis à ma disposition je vous
les enverrai.
Je ne pense pas qu'il soit d'urgence de vous envoyer des
évêques. Leur dignité est à peu près inutile puisqu'on s'en
est passé jusqu'à présent et le motif du danger de leur trop
grande influence me paraît n'avoir pas cessé d'exister.
Cependant j'ai demandé l'évêché de San Domingo pour
l'évêque Mauvielle.
J'ai l'honneur de vous saluer.
X
9 Thermidor An X (28 juillet 1802).
Arrivée de l'escadre du Contre-Amiral Magon et de Toussaint.
— Le Héros qui portait Toussaint Louverture, est arrivé à
Brest le 20 messidor, le même jour que l'escadre aux ordres
du contre-amiral Magon.
Il serait désirable qu'on pût le mettre en jugement. — Si l'arri-
vée de ce grand coupable eût été accompagnée, comme il
était désirable, de quelqu'unes des pièces indispensables pour
baser l'acte d'accusation, une commission militaire eût déjà
fait justice de sa scélératesse. Il en est de même des brigands
que porte la Muiron, de l'arrivée de laquelle je n'ai pas encore
eu d'avis.
Déportés de Saint-Domingue. ■— C'est dans l'isle de Corse que
vous continuerez à envoyer tous ceux de ces hommes dont la
scélératesse bien démontrée exige l'expulsion de Saint-

— 294 —
Domingue, sans cependant vous laisser des preuves assez
parlantes pour les faire fusiller.
Prétendues propriétés des brigands. — Les habitations de
Toussaint et ses pareils devront rester sous la main du gou-
vernement jusqu'à ce qu'il ait prononcé à leur égard.
Pertes de V armée. — La mort des hommes distingués que
nous fait perdre l'expédition de Saint-Domingue cause trop
de sensibilité au gouvernement pour qu'il puisse s'abstenir
d'irritation contre les crimes de ceux qui ont nécessité cette
expédition. Je vais faire prévenir les familles de ceux qui
ont succombé, mais je n'ai reçu d'états que ceux des pertes
de l'état-major et de l'artillerie.
Les 50 places que vous demandez au prytanée pour les
enfants des hommes généreux qui périssent dans cette colonie,
ont été accordées par le Premier Consul. Déjà le fils du général
Hardy, le neveu du général Doyen, le fds du commissaire
Vatrin, y sont placés. A quelque arme, à quelque fonction
qu'appartiennent ceux que le dévouement à leur Patrie a
rendus victimes du fer des assassins de Saint-Domingue, ou
de l'intempérie de son climat, leur sort intéresse également
le Premier Consul. Il aime à se flatter que cette intempérie
ayant devancé la saison ordinaire, son fléau touchera plus
promptement à sa fin.
Officiers de santé. — Je n'ai rien négligé pour donner à votre
situation tous les secours qui ont dépendu de moi. 90 officiers
de santé ont été désignés par le directeur de l'administration
de la Guerre depuis le 1er Thermidor, pour aller vous porter
les secours de leur art. Je vais donner des ordres pour que rien
n'arrête leur départ.
Hôpitaux. — Ma dépêche du 4 de ce mois vous a fait con-
naître les mesures prises pour les approvisionnements de vos
hôpitaux. Je présume que dans ce moment vous avez peu
de chose à désirer à ce sujet.
Les délais qu'ont éprouvé les envois ont dépendu de causes
dont personne ne peut être accusé. L'exécution des ordres
donnés tient à tant d'éléments divers que des hommes les

— 295 —
plus aptes et les plus dévoués (et parmi eux je compte essen-
tiellement le préfet maritime de Brest) ne peuvent pas tou-
jours les subjuguer.
Difficultés de transport. — Vous concevez que des expéditions
maritimes dépendent de la possibilité des transports, et avec
un matériel de marine aussi faible que le nôtre, avec un com-
merce presque éteint, qui se ravive à peine, les expéditions
sont nécessairement d'autant plus lentes et difficiles qu'elles
se multiplient impérieusement sur toutes les parties du globe.
Aussi nous avez-vous vu employer des bâtiments de toutes
les nations. Aussi nous a-t-il fallu plus d'efforts pour opérer
ce qui a eu lieu, que vous ne pouvez l'imaginer ; car je crois
superflu d'entrer ici dans les détails de toutes ces difficultés,
et si je m'attache à vous les faire apercevoir, c'est pour vous
convaincre de la nécessité de ne retenir auprès de vous que
les bâtiments de la République qui vous sont indispensables.
Escadre. — Dans une situation ordinaire je vous en fixerais
le nombre, et il n'excéderait pas 1 vaisseau, 3 frégates et
8 corvettes. Ces moyens bien disposés et mobilisés selon le
génie d'un amiral aussi expérimenté que celui qui commande
aujourd'hui à Saint-Domingue, suffiraient à tout le service
de la colonie, moyennant quelques avisos qu'on pourrait y
ajouter ; mais vous vous trouvez dans une situation telle
que je ne pourrais que déterminer des dispositions incertaines.
Je suis donc obligé de m'en reposer sur ce que vous jugerez
nécessaire ; et dans l'incertitude où cela me laisse, ce n'est
pas une médiocre satisfaction pour moi que de vous avoir
pour dépositaire de la confiance du Couvernement sur cet
objet important. Cependant le Premier Consul sous les yeux
duquel j'ai mis l'état des forces maritimes maintenant à
Saint-Domingue, m'a chargé de vous faire connaître que son
intention est que vous ne gardiez pas dans cette colonie plus
de 3 vaisseaux de ligne, 6 frégates ou grosses corvettes, et
tel nombre de plus petits bâtiments que vous jugerez bon être.
Plus vous pourrez en réduire le nombre, et surtout des
vaisseaux de ligne et frégates, plus vous rendrez service à

— 296 —
la chose publique, car jamais opérations navales plus inté-
ressantes pour l'État ne furent conçues, que celles projetées
par le Premier Consul, et l'exécution n'en est que ajournée
par le défaut de moyens maritimes.
Je reprends ma réponse au cours de votre correspondance.
Génie et artillerie. — J'ai mis sous les yeux du Premier
Consul la demande que vous faites d'officiers du génie et
d'artillerie ; il a donné ses ordres au ministre de la Guerre
pour en destiner à votre armée tel nombre qu'il a indiqué,
et je n'attends que de connaître les dispositions prises par
ce ministre, pour vous en informer et expédier les officiers
qui y sont destinés.
Dromadaires et grenadiers. — Les dromadaires ne pourront
vous être envoyés, non plus que les grenadiers de la 98e.
Archives. — Le moyen que vous me proposez pour suppléer
au brûlement des archives sera d'une exécution laborieuse.
Je vais donner des ordres pour examiner sa possibilité et
surtout la sorte d'extension qu'il exige.
Organisation de la colonie. — Vous m'annoncez le projet
d'organisation provisoire que vous donnerez à Saint-Domingue.
C'est un œuvre important sur lequel je m'empresserai de
fixer l'attention des consuls, dès qu'il me sera parvenu.
Règlement de commerce. — Finance. -— Vous m'avez envoyé
votre règlement sur le commerce. Son adoption tient à la
nécessité des circonstances ; car il est contre l'essence d'une
nation maritime de permettre, sous quelque prétexte que ce
soit, les infractions à son acte de navigation, et cet acte doit
donner pour résultat à la métropole l'exportation de toutes
les denrées coloniales et l'importation de tout ce qui se con-
somme aux colonies, mais dans votre situation, je conçois
les motifs qui ont déterminé votre règlement et son observance
sera nécessaire tant que je ne serai pas parvenu à détruire
ces motifs. Si je ne l'ai pas fait encore, ce n'est pas que j'ignore
combien l'intérêt de l'État le réclame, ni les dispositions qui
peuvent y parvenir. Ceci répond à vos demandes de fonds.
Le Premier Consul m'a fait espérer qu'il vous enverrait bientôt

— 297 —
un million, et peut-être plus. Vous pouvez compter que je
l'expédierai sans délai.
Personnel. — Vous m'avez écrit une lettre relative aux offi-
ciers du génie et à la satisfaction que vous avez de leurs ser-
vices. Je l'ai mise toute entière sous les yeux du Premier Consul,
ainsi que celle par laquelle vous me témoignez votre étonne-
ment de la publicité donnée à la correspondance de l'amiral
Villaret, je ne lui ai pas même dissimulé ce que vous me dites
de la pénurie dont vous vous plaignez.
Il paraît que vous n'aviez pas alors reçu mes différentes
lettres, timbrées Subsistances et Ports, et notamment celle
du 11 prairial sous ce dernier timbre, et celle du 29 floréal, sous
celui de Subsistances.
Le numéro de la Gazette de Saint-Domingue, dont vous
m'avez envoyé des exemplaires, me fait connaître les mesures
que vous suivez relativement à l'armée coloniale. Vous connais-
sez trop la pensée du Gouvernement pour que j'aie quelque
chose à vous indiquer à ce sujet.
La conduite distinguée de La Plume et Clervaux a déter-
miné le Premier Consul à leur envoyer leurs brevets de géné-
raux de brigade. Quant à Dessalines, Cristophe et Maurepas
et autres chefs, c'est la persévérance dans la conduite qu'ils
tiennent aujourd'hui qui fixera l'opinion du Gouvernement à
leur sujet. Ainsi c'est des comptes que vous rendrez d'eux
que dépendra leur sort militaire.
Vos dernières dépêches me sont parvenues par la Furieuse,
qui a mouillé
Rochefort, le 3 de ce mois. C'est sur Toulon
dorénavant qu'il faudra diriger tous les vaisseaux et frégates
qui feront leur retour en France.
Vos avant-dernières dépêches provoquaient ma sollicitude
sur la santé de votre armée. Vous ne m'en parlez pas dans
vos dernières lettres, j'en conclus que votre situation s'est
améliorée.
Vous m'avez fait observer que le citoyen Rapatel, aide-de-
camp du général Brunet, n'avait pas reçu le brevet d'honneur
qui lui a été annoncé par ma lettre du 27 ventôse. Je vais

— 298 —
prévenir le ministre de la Guerre de cette omission, pour qu'elle
soit réparée.
Je vois que vous avez confié provisoirement la préfecture
coloniale de Saint-Domingue, au citoyen Mongiraud. J'atten-
drai les comptes ultérieurs que vous m'annoncez de ses ser-
vices, pour mettre cet objet sous les yeux des Consuls.
Lorsque je pourvoierai au remplacement de l'inspecteur de
santé, près de moi, je prendrai en grande considération l'intérêt
que vous portez au citoyen Peyre.
Le Premier Consul a pourvu à la nomination du commissaire
de justice et a nommé le citoyen Ducis, juge au tribunal
d'appel, pour cette place importante.
Achevez, Général, la tâche glorieuse qui vous est confiée,
personne plus que moi ne s'intéresse à la plénitude de vos
succès.
J'ai l'honneur, etc...
XI
Rouen, le 12 Brumaire An XI
(3 novembre 1802).
D'après vos dernières lettres reçues, Citoyen Général, qui
me sont parvenues par la flûte la Nourrice, le Premier Consul
a ordonné l'envoi à Saint-Domingue de 2.500 hommes de la
légion polonaise, et de deux bataillons, chacun de 700 hommes
des 20e et 23e demi-brigades de ligne. Les premiers partiront
de Gênes et les autres de Toulon. J'espère qu'ils appareille-
ront avant un mois. Il est possible qu'une partie de ces troupes
passe sur les frégates la Sybille ou la Cérès, peut-être même
sur toutes les deux. Vous ne devez par aucune raison retenir
ces frégates qui appartiennent à S. M. Sicilienne. Elles doivent
immédiatement faire leur retour à Naples pour être rendues
à ce souverain.
Le Premier Consul a lu vos dernières dépêches avec le plus
grand intérêt. Il m'a ordonné de lui reproduire, aussitôt après
le voyage qu'il fait maintenant dans les départements de la

— 299 —
ci-devant Normandie, le besoin que vous avez de fonds. Il m'a
prescrit de vous prévenir qu'il vous en expédierait aussitôt
son retour à Paris. Il compte que vous êtes maintenant débar-
rassé des maladies qui ont si cruellement pesé sur l'armée ;
et que, moyennant les renforts qu'il vous destine, vous ter-
minerez promptement l'œuvre que vous avez si glorieusement
commencée.
Recevez, Général, le témoignage de son entière satisfaction
sur votre conduite, et sur celle de toute l'armée. Vous en rece-
vrez bientôt des marques plus positives.
Je vous salue avec une sincère attachement.
Signé: DECRÈS.
XII
14 Frimaire An XI (5 décembre 1802).
Le général de division Boudet, Citoyen Général, les aides-
de-camp Bruguière et Ornano m'ont apporté vos dépêches,
tant au Premier Consul qu'à moi, du 29 fructidor au 15 ven-
démiaire.
L'aide-de-camp Ornano, qui vous remettra celle-ci, est
chargé de deux paquets qui vous sont adressés par le PremieT
Consul et d'une dépêche pour Madame Leclerc.
Je vais répondre à celles de vos lettres qui me sont parvenues.
Celles du 7 et du 9 fructidor m'annonçaient les insurrections
du Dondon, du Port de Paix, de la Tortue et la répression
du Moustic. Celles postérieures me font connaître la gravité
de ces mouvements, les dangers dont ils vous environnent et
les besoins que vous exprimez.
La lettre ci-jointe renferme des détails sur les envois de
troupes que le Premier Consul a ordonné qui vous fûssent
expédiées. Vous y verrez que le total des troupes commandées
monte à : 9.525. Je prévois que ce nombre s'accroîtra encore
de : 1.500 hommes, sur l'envoi desquels je n'ai pas encore
reçu d'ordres positifs, mais qui cependant me paraissent
devoir ne pas tarder à être expédiés.

— 300 —
Cependant, attendu les lenteurs toujours attachées à des
expéditions de cette nature, j'admets que d'ici la fin de plu-
viôse, vous n'aurez reçu que 9.000 des hommes que je vous
annonce. Si cependant, mes ordres sont exécutés, le tout vous
arriverait dans le mois de nivôse.
J'aurais voulu pouvoir remplir votre vœu qui était que cette
masse de troupes arrivât tout ensemble, mais outre que les
moyens de transport seraient longs et difficiles à réunir dans
un même port, la dissémination des corps à embarquer, depuis
le nord des côtes de la Bretagne jusqu'à ses limites les plus
méridionales, auraient porté à cette expédition des lenteurs
incompatibles avec le besoin de votre situation.
Déjà une division, aux ordres du contre-amiral A. Emeriau,
est appareillée de Toulon avec 1.100 hommes, et elle devra vous
être arrivée lorsque vous recevrez cette lettre.
Les autres vont partir successivement. J'aurais voulu comme
vous le désirez tout expédier par bâtiments de guerre, mais
cela est impossible. Ce sont les plus avariés qui nous arrivent
de Saint-Domingue, et les réparations qu'ils exigent, exigent
trop de temps pour qu'on puisse les réexpédier.
Je ne parle pas dans les dispositions contenues dans ma
lettre ci-jointe de troupes de Carthagène, faisant un total
d'environ 1.800 hommes, dont le citoyen. Daure m'a annoncé
l'arrivée, au 15 vendémiaire.
Le Premier Consul vous fait connaître ses intentions les
plus intimes par les dépêches ci-jointes. J'ai mis sous ses yeux
toutes celles que vous m'avez adressées, et notamment celles
sur l'objet desquelles vous me préveniez que vous lui rendiez
un compte direct.
Il est impossible d'éprouver plus que ne l'a fait le
Premier Consul, l'intérêt que mérite votre situation, ainsi
que le sentiment des services que vous n'avez cessé de
rendre.
Le bâtiment, porteur de ces dépêches, a à bord pour
1.500.000 francs de piastres destinées au service de votre
armée. Ce bâtiment a aussi à bord le citoyen Laussat, préfet
colonial de la Louisiane, que le Premier Consul envoie dans

— 301 —
cette colonie, en avant de l'expédition qu'il y destine, et
qui partira sous peu de jours, sous le commandement du
général Victor, et l'escorte de deux frégates, aux ordres du
Cne Topsent, qui ne devra rester dans la colonie que le temps
nécessaire à la reprise de possession, et qui ensuite se repliera
sur Saint-Domingue avec les frégates la Libre et la Furieuse
pour y remplacer deux de celles de la station. Le bâtiment
qui vous remettra ces dépêches, et sur lequel, comme je vous
l'ai dit, est embarqué le citoyen Laussar, ne devra com-
muniquer avec Saint-Domingue, que le temps absolument
nécessaire pour y remettre les fonds, dont il a été chargé.
Et il devra repartir sans délai pour la Louisiane.
J'étais informé que la flotte hollandaise, partie du Texel,
qui vous portait 400 hommes, avait relâché à la Guadeloupe,
où ses troupes avaient été débarquées. Cette mesure, com-
mandée par l'état d'hostilité où se trouve cette colonie, et
par le résultat des ravages de la maladie sur les troupes euro-
péennes, se trouvera réparée en ce qui vous concerne, par les
envois qui vous sont annoncés.
Je n'ai su que par vous, quoiqu'il me soit récemment arrivé
des nouvelles de la Martinique, l'exportation des noirs de
cette colonie, sur la côte espagnole d'Amérique. Je vais prendre,
à cet égard, des informations convenables, et donner des ordres
pour qu'il ne s'exécute plus de ces mesures partielles, qui,
en débarrassant une colonie, portent beaucoup de sollicitudes
dans les opérations que vous dirigez.
Vous me mandez n'avoir reçu aucune nouvelle puis le
1er prairial. J'espère que les omissions que vous croyez aper-
cevoir dans la correspondance, seront maintenant réparées
par l'arrivée des lettres que je vous ai adressées régulièrement
chaque mois, de mon bureau particulier.
Au reste, Général, soit que vous receviez ou ne receviez
pas les lettres que je vous écris avec la même exactitude qu'elles
vous sont adressées, vous ne devez en accuser que les éléments,
et être bien persuadé de toute la sollicitude du Gouvernement
sur votre situation.
Les maladies sans exemple qu'a éprouvé votre armée, ont

— 302 —
surpassé tout ce que la prévoyance la plus exercée pouvait
présumer à cet égard.
Ces maladies ont outrepassé dans leur durée le terme que
l'expérience semblait leur assigner, parce que la saison de
l'été s'est prolongée cette année au delà de ce qui a lieu ordi-
nairement.
La France elle-même a eu en vendémiaire beaucoup d'épi-
démies, résultant de sécheresses extraordinaires, qui ont fait
que la fin de vendémiaire et le commencement de brumaire
ont donné la température des mois les plus chauds de
l'année.
Je n'entre dans aucun détail sur votre situation politique,
attendu que comme je vous l'ai dit plusieurs fois, vous con-
naissez comme moi-même la pensée du Gouvernement.
Je termine par mes vœux constants pour vos succès et
par l'assurance que je puis vous donner que le Gouvernement
regarde les services signalés rendus par l'armée de Saint-
Domingue, et les maux qu'elle a souffert, comme le témoignage
le plus éclatant de son courage, de son dévouement et comme
les garants de l'ardeur qu'elle mettra à atteindre le but de
son expédition.
Heureusement que le temps des plus grandes contrariétés
est écoulé ; la saison plus saine qui doit enfin avoir lieu, l'arri-
vée de renforts qui vous sont envoyés, vont rendre à l'armée
toute son activité et redoubler son énergie.
Il me sera bien agréable, Général, d'avoir à transmettre
au Premier Consul les résultats qu'il attend de cette armée,
des généraux qui la dirigent et particulièrement du chef à
qui est réservé l'honneur de rendre à la métropole, après une
lutte aussi périlleuse, l'une de ses plus importantes colonies.
En terminant cette lettre, je reçois l'état de situation de
l'armée au premier vendémiaire, signé par le chef d'état-
major. Il présente un effectif de 24.000 hommes, dont un quart
environ de noirs, et un quart aux hôpitaux.

— 303 —
XIII
là Frimaire An XI (5 décembre 1802).
A ma lettre officielle, Général, je joins deux mots pour vous
assurer que j'apprécie trop votre situation pour qu'il me reste
de votre correspondance d'autres sentiments, que celui de
ce que votre situation a de pénible et de critique. De là, l'assu-
rance que je ne perds pas un instant de vue vos besoins, et
que les remplir n'a d'autres limites, en ce qui me concerne,
que celui de la possibilité.
Je ne vous dirai rien de ce qu'éprouve le Premier Consul
sur l'expédition, vous ne pouvez pas douter un instant de
l'intérêt, du très-vif intérêt qu'il y prend.
Vous me parlez de votre retour, et je n'ai pas cru devoir
traiter cet objet officiellement, attendu que je crois que vous
le trouverez dans la correspondance du Premier Consul. Mais
tout persuadé que je suis que cet objet est trop important
pour qu'il lui soit échappé, je remplis un devoir et comme
ministre et comme personnellement attaché à l'homme qui
m'honore de sa confiance, de vous prévenir qu'il ne regarde
pas comme possible que vous songiez à quitter Saint-Domingue
avant son entière soumission. Je m'abstiens de tout commen-
taire sur cette idée, sur laquelle vous n'avez nul besoin de
stimulant, pour vous en pénétrer.
Recevez, Général, l'expression de tous les sentiments que
doit avoir pour vous un homme dévoué à son pays et que les
intérêts les moins équivoques lient par caractère et par affec-
tion personnelle à l'homme extraordinaire qui le gouverne.
Mes hommages à Madame Leclerc dont je ne me flatte
pas d'avoir l'honneur d'être connu, quoique cela soit possible,
mais dont j'entends trop souvent parler pour ne pas apprécier
tout le mérite et le courage qu'elle a si souvent occasion d'exer-
cer sous la zone torride. 1
1. Ces lettres II à XIII se trouvent dans les registres BB36 et BB 42
des Archives du Ministère des Colonies.


APPENDICE III
LETTRE DU PREMIER CONSUL
AU GÉNÉRAL LECLERC
Paris, 12 Messidor, An X (1er juillet 1802).
Au Capitaine Général Leclerc,
Commandant en Chef l'armée de Saint-Domingue.
Les nouvelles que Bruguière 2 nous a apportées ont produit
une sensation extrêmement vive et agréable en France. Le
commerce s'active et se dirige vers Saint-Domingue ; pro-
tégez-le de tous vos moyens.
Les troupes qui vous ont été annoncées sont pour la plu-
part parties, et je compte qu'avant la fin de septembre vous
nous aurez envoyé ici tous les généraux noirs ; sans cela,
nous n'aurions rien fait, et une immense et belle colonie serait
toujours sur un volcan, et n'inspirerait de confiance ni aux
capitalistes, ni aux colons, ni au commerce. Je comprends
parfaitement qu'il serait possible que cela occasionnât des
mouvements ; mais vous aurez devant vous toute la saison
pour les réprimer. Quelques suites que l'envoi en France des
généraux noirs puisse produire, ce ne sera qu'un petit mal
comparé à celui que ferait la continuation de leur séjour à
Saint-Domingue.
De grandes récompenses nationales vont vous être décer-
nées, ainsi qu'à vos principaux généraux et aux officiers et
soldats qui se sont distingués. Faites avec intégrité les affaires
1. Cce de Napoléon, tome VII, n° 6, 154.
2. Parti du Cap le 17 Floréal.
LECLERC
20

— 306 —
de la République : elle sera reconnaissante et prendra soin
de vos intérêts particuliers.
Mettez-vous aussi en règle sous le rapport de l'administra-
tion. Un capitaine général n'est pas seulement un général, il
est encore un officier civil ; ainsi, mettez dans leurs fonctions
le préfet colonial et le commissaire de justice.
Dès l'instant que les noirs seront désarmés et les principaux
généraux envoyés en France, vous aurez plus fait pour le
commerce et pour la civilisation de l'Europe que l'on n'a
fait dans les campagnes les plus brillantes.
Les affaires de la République sont dans le meilleur état.
L'union règne dans l'intérieur. A l'extérieur, indépendam-
ment de ce qui est public, nous venons de finir les affaires
d'Allemagne tout à notre avantage et à celui de nos alliés.
Nous avons obtenu, par notre paix avec le Turc, le com-
merce de la mer Noire.
Nous sommes en possession de Porto-Ferrajo et de l'île
d'Elbe, qui est réunie à la France.
Le Piémont est définitivement réuni à la République.
Les Anglais ont évacué Malte, Mahon et l'Egypte.
Nos colonies de l'Asie sont dans une bonne situation ; la
Guadeloupe, Tabago et la Martinique également.
Défaites-nous de ces Africains dorés, et il ne nous restera
plus rien à désirer.
Les ennemis de la République font souvent répandre des
bruits qui, quelquefois même, viennent des oisifs de la grande
ville ; vous ne devez jamais y ajouter foi. Le Gouvernement
est stable, solidement établi ; je n'ai jamais couru aucune
espèce de danger. Tous les jours l'esprit national se concentre et
fait espérer au peuple français des jours prospères et heureux.
Quant à vous, vous êtes en chemin d'acquérir une grande
gloire. La République vous mettra à même de jouir d'une for-
tune convenable, et l'amitié que j'ai pour vous est inaltérable.
Ma femme est aux eaux de Plombières.
BONAPARTE.

APPENDICE IV
LETTRE ÉCRITE PAR LE PREMIER CONSUL AU
CITOYEN TOUSSAINT LOUVERTURE, GÉNÉRAL EN
CHEF DE L'ARMÉE
DE
SAINT-DOMINGUE, EN
DATE DU 27 BRUMAIRE AN X.
CITOYEN GÉNÉRAL,
La paix avec l'Angleterre et toutes les puissances de l'Europe
qui vient d'asseoir la République au premier degré de puissance
et de grandeur, met à même le Gouvernement de s'occuper de
la colonie de Saint-Domingue. Nous y envoyons le Gal Leclerc,
notre beau-frère, en qualité de capitaine général, comme premier
magistrat de la Colonie. Il est accompagné de forces convenables
pour faire respecter la souveraineté du peuple français. C'est
dans ces circonstances que nous nous plaisons à espérer que vous
allez nous prouver, et à la France entière, la sincérité des senti-
ments que vous avez constamment exprimés dans les différentes
lettres que vous nous avez écrites. Nous avons conçu pour
vous de l'estime, et nous nous plaisons à reconnaître et à pro-
clamer les grands services que vous avez rendus au peuple
français. Si son pavillon flotte sur Saint-Domingue, c'est à
vous et aux braves noirs qu'il le doit. Appelé par vos talents et
la force des circonstances au premier commandement, vous
avez détruit la guerre civile, mis un frein à la persécution de
quelques hommes féroces, remis en honneur la religion et le
culte de Dieu de qui tout émane. La constitution que vous avez
1. Arch. Coloniales, BB* 36. Correspondance des colonies, an X, f. 21.
— Copie.
C'est cette lettre qui fut remise à Toussaint Louverture par ses enfants
et leur précepteur Coisnon.

— 308 —
faite, en renfermant beaucoup de bonnes choses, en contient
qui sont contraires à la dignité et à la souveraineté du peuple
Français, dont Saint-Domingue ne forme qu'une portion.
Les circonstances où vous vous êtes trouvé environné de
tous côtés d'ennemis, sans que la Métropole puisse ni vous
secourir, ni vous alimenter, ont rendu légitimes les articles de
cette constitution qui pourraient ne pas l'être. Mais aujourd'hui
que les circonstances sont si heureusement changées, vous
serez le premier à rendre hommage à la souveraineté de la Nation
qui vous compte au nombre de ses plus illustres citoyens, par
les services que vous lui avez rendus et par les talents et la
force de caractère dont la nature vous a doué. Une conduite
contraire serait inconciliable avec l'idée que nous avons conçue
de vous. Elle vous ferait perdre vos droits nombreux à la recon-
naissance et aux bienfaits de la République, et creuserait sous
vos pas un précipice, qui, en vous engloutissant, pourrait
contribuer au malheur de ces braves noirs, dont nous aimons le
courage et dont nous nous verrions avec peine obligés de punir
la rébellion.
Nous avons fait connaître à vos enfants et à leur précepteur
les sentiments qui nous animaient. Nous vous les renvoyons.
Assistez de vos conseils, de votre influence et de vos talents
le Capitaine général. Que pourrez-vous désirer ? La liberté des
noirs ? Vous savez que dans tous les pays où nous avons été,
nous l'avons donnée au peuple qui ne l'avaient pas. De la
considération, des honneurs, de la fortune ? Ce n'est pas après
les services que vous avez rendus, que vous pensez rendre encore
dans cette circonstance, avec les sentiments particuliers que
nous avons pour vous, que vous devez être incertain sur votre
considération, votre fortune, et les honneurs qui vous attendent.
Faites connaître aux peuples de Saint-Domingue que la
sollicitude que la France a toujours portée à leur bonheur, a été
souvent impuissante par les circonstances impérieuses de la
guerre ; que les hommes venus du continent pour l'agiter et
alimenter les factions, étaient le produit de factions qui, elles-
mêmes, déchiraient la Patrie : que désormais la Paix et la force
du Gouvernement assurent leur prospérité et leur liberté.

— 309 —
Dites-leur que si la liberté est pour eux le premier des biens, ils
ne peuvent en jouir qu'avec le titre de citoyens français, et
que tout acte contraire aux intérêts de la Patrie, à l'obéissance
qu'ils doivent au Gouvernement et au capitaine général, qui
en est le délégué, serait un crime contre la souveraineté nationale
qui éclipserait leurs services, et rendrait Saint-Domingue le
théâtre d'une guerre malheureuse, où des pères et des enfants
s'entrégorgeraient entr'eux.
Et vous, Général, songez que, si vous êtes le premier de votre
couleur qui soit arrivé à une si grande puissance et qui se soit
distingué par sa bravoure et ses talents militaires, vous êtes
aussi devant Dieu et nous, le principal responsable de leur
conduite.
S'il était des malveillants qui disent aux individus qui ont
joué le principal rôle dans les troubles de Saint-Domingue, que
nous venons pour rechercher ce qu'ils ont fait pendant le temps
d'anarchie, assurez-les que nous ne nous informerons que de
leur conduite dans cette dernière circonstance et que nous ne
rechercherons le passé que pour connaître les traits qui les
auraient distingués dans la guerre qu'ils ont soutenue contre
les Espagnols et les Anglais qui ont été nos ennemis.
Comptez sans réserve sur notre estime et conduisez-vous
comme doit le faire un des principaux citoyens de la plus
grande Nation du monde.
Le Premier Consul,
Signé : BONAPARTE. — Par le Premier Consul, le
secrétaire d'Etat, signé : Hugues B. MARET. —
Scellé du Sceau de l'Etat, signé. D.


Dernier feuillet du
Mémoire pour le Général Toussaint-Louverture
avec le post-scriptum écrit et signé
par le prisonnier au fort de Joux.


APPENDICE V
MÉMOIRE
POUR
LE GÉNÉRAL TOUSSAINT L'OUVERTURE
Il est de mon devoir de rendre au Gouvernement français
un compte exact de ma conduite, je raconterai les faits avec
toute la naïveté, la franchise d'un ancien militaire, en y ajou-
tant les réflexions qui se présenteront naturellement. Enfin
je dirai la vérité, fut-elle contre moi-même.
La colonie de Saint-Domingue dont j'étais commandant,
jouissait de la plus grande tranquilité, la culture et le com-
merce y fleurissaient, l'isle était parvenue à un degré de splen-
deur où on ne l'avait pas encore vue et tout cela, j'ose le dire,
était mon ouvrage. Cependant on y était sur le pied de guerre.
La Commission avait rendu un arrêté qui m'ordonnait de
prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher les
ennemis de la République de pénétrer dans l'isle. En consé-
quence je donnai l'ordre à tous les commandants des ports
de mer de ne laisser entrer en rade aucuns bâtiments de guerre
qu'ils ne soient reconnus et qu'ils n'en ayent obtenu de moi
la permission, et si c'était une escadre, de quelle nation fut-
elle, il lui était absolument défendu d'entrer dans le port, ni
même dans la rade, jusqu'à ce que je reconnus par moi-même
d'où elle venait, et de quel ordre elle était porteur.
Cet ordre existait lorsque le 16 pluviôse l'escadre parut
devant le Cap.

— 312 —
J'étais alors parti de cette ville pour faire une tournée
dans la partie Espagnole à Santo-Domingo pour surveiller
la culture. Chemin faisant en sortant à la Magouane j'avais
expédié un de mes aides de camp au général Dessalines, com-
mandant en chef du département de l'Ouest et du Sud, étant
alors à Saint-Marc, pour lui ordonner de venir me joindre à
Gonaïve ou à Saint Michel, pour m'accompagner dans ma
tournée. Au moment où l'escadre parut, je me trouvais à
Santo Domingo dont je partis trois jours après pour aller à
Hinche, passant par le Banique. Arrivant au Papaye, je
rencontrai mon aide de camp Coupé et un officier envoyé
par le général Christophle, qui me remit une lettre de ce géné-
ral par laquelle il m'instruisait de l'arrivée de l'escadre fran-
çaise devant le Cap, et m'assurait que le général commandant
en chef cette escadre ne lui avait pas fait l'honneur de lui
écrire, que seulement il lui avait envoyé un officier pour lui
ordonner de préparer le logement pour la troupe, que lui,
général Christophle, ayant demandé à cet officier s'il n'était
pas porteur de lettres pour lui ou de dépêches pour le général
Toussaint L'ouverture, en le priant de les lui remettre pour
les faire passer de suite, cet officier lui avait répondu qu'il
n'en était point chargé, qu'il n'était pas même question du
général Toussaint. «Rendez la ville, lui avait-il ajouté, vous
serez bien récompensé, le Gouvernement vous envoyé des
présents, etc... » ; qu'alors le général Christophle lui avait
[répondu] : « puisque vous n'avez pas de lettres pour le général
en chef ni pour moi, vous pouvez vous retirer et dire à votre
général, qu'il ne connaît pas son devoir, que ce n'est pas ainsi
qu'on se présente dans un pays qui appartient à la France. »
Le général Leclerc ayant reçu cette réponse fait sommer
le général Christophle de lui livrer la place et dans le cas de
refus il le prévient que dès le lendemain matin il y débarquera
quinze mille hommes. A quoi celui-ci lui répondit qu'il le
priait d'attendre le général Toussaint L'ouverture, qu'il l'avait
déjà fait avertir et qu'il allait le faire une seconde fois avec
la plus grande célérité.
En effet, je reçus une seconde lettre et me hâtai de me

— 313 —
rendre au Cap malgré les débordements de la rivière de
Hinche, espérant avoir le plaisir d'embrasser mes frères
d'armes d'Europe, et recevoir en même temps les ordres du
Gouvernement français, et pour mettre plus de promptitude
dans ma marche j'avais laissé toutes mes escortes.
Entre Saint Michel et Saint Raphaël je rencontrai le géné-
ral Dessalines et lui dis : « Je vous avais envoyé chercher
pour m'accompagner dans ma tournée au Port de Paix et
au Môle, mais cela est inutile, je viens de recevoir deux lettres
du général Christophle, m'annonçant l'arrivée de l'escadre
française devant le Cap », et lui communiquai les lettres. Il
me dit alors qu'il avait vu lui-même de Saint Marc six gros
vaisseaux faisant voile du côté du Port Républicain, mais
qu'il ignore de quelle nation ils sont. Je lui ordonnai de par-
tir promptement pour se rendre dans ce port, vu qu'il était
possible que le général Christophle ayant refusé l'entrée du
port au général commandant l'escadre, celui-ci se soit porté
au Port Républicain dans l'espoir de m'y trouver, et dans ce
cas-là je lui donnai l'ordre de prier le général de l'attendre,
en l'assurant que j'allais d'abord de ce pas au Cap dans l'espé-
rance de l'y rencontrer et dans le cas où je ne l'y trouverais
pas, je reviendrais de suite au Port Républicain pour y con-
férer avec lui. Je partis effectivement pour le Cap en passant
par le Yasu, chemin le plus court. En arrivant sur les hau-
teurs du Grand Boucan, au lieu dit A la porte Saint Jacques,
j'apperçus le feu dans la ville du Cap. Je poussai alors mon
cheval à toute bride pour me rendre dans cette ville y trou-
ver le général commandant l'escadre et m'informer de ce
qui pouvait avoir donné lieu à cet incendie ; mais en appro-
chant je trouvai toutes les routes couvertes des habitants
qui avaient évacué cette malheureuse ville et ne pus pénétrer
plus loin à raison de ce que tous les passages étaient canonnés
par l'artillerie des vaisseaux qui étaient dans la rade. Je pris
le parti de monter alors au fort Beley, mais je trouvai égale-
ment ce fort évacué et toutes les pièces de canon enclouées.
Je fus en conséquence obligé de revenir sur mes pas. Après
avoir dépassé l'hôpital, je rencontrai le général Christophle

— 314 —
et lui demandai qu'est-ce qui avait ordonné qu'on mit le
feu à la ville ; il me répondit que c'était lui, je le blâmai très
vigoureusement d'avoir employé ce moyen de rigueur. « Pour-
quoi, lui dis-je, n'avez-vous pas plus tôt fait des dispositions
militaires pour défendre la ville jusqu'à mon arrivée ? » Il
me répondit : « que voulez-vous, général, mon devoir, la
nécessité, les circonstances, les menaces réitérées du com-
mandant de l'escadre m'y ont forcé. J'ai fait voir à ce géné-
ral les ordres dont j'étais porteur, mais inutilement. » Il
m'ajouta que les proclamations répandues secrètement dans
la ville pour séduire le peuple et soulever la troupe ne con-
venaient pas à la franchise d'un militaire ; que si vraiment
le commandant de l'escadre avait des intentions pacifiques,
il m'aurait attendu, qu'il n'aurait pas employé les moyens
dont il s'est servi pour gagner le commandant du fort Laboue,
qui est un ivrogne, qu'il ne se serait point en conséquence
emparé de ce fort, qu'il n'aurait point fait passer au fil de
l'épée la moitié de la garnison du fort la Liberté, qu'il
n'aurait point fait faire de descente à la Cue et qu'en un mot
il n'aurait point commis toutes les hostilités dont il s'est
rendu coupable.
Le général Christophle se joignit à moi et nous continuâmes
la route ensemble. En arrivant au Haut du Cap nous traver-
sâmes les habitations de Breda jusqu'à la barrière de Boular
passant par les jardins. Là, je lui donnai ordre de rallier la
troupe, d'aller camper aux Bonnettes jusqu'à nouvel ordre et
de me donner connaissance de tous les mouvements qu'il
ferait, et lui dis que j'allais chez Déricourt et que j'y rece-
vrais peut-être des nouvelles du commandant de l'escadre
et m'y ferais passer les ordres du Gouvernement, que peut-
être même je pourrais l'y rencontrer, que je m'informerais
alors des raisons qui ont pu l'engager à venir dans la colonie
de cette manière, et dans le cas où il serait porteur d'ordres
du Gouvernement, je le prierais de me les communiquer et
prendrais en conséquence des arrangements avec lui. Le géné-
ral Christophle me quitta pour se rendre au poste que je lui
avais indiqué, mais il rencontra un gros de troupes qui fit

— 315 —
feu sur lui le forçant de se jeter au bas de son cheval et de se
précipiter dans la rivière, de la traverser à la nage. Moi-même,
après l'avoir quitté, ayant avec moi l'adjudant général Fon-
taine, deux autres officiers et mon aide camp Coupé qui mar-
chaient en avant de nous, celui-ci me prévint qu'il décou-
vrait de la troupe sur le chemin ; je lui ordonnai de se porter
en avant. On me dit que cette troupe était commandée par
un général, je demandai alors d'avoir avec lui une conférence,
mais il n'eut pas le temps d'exécuter mes ordres, on nous fit
feu dessus à vingt-cinq pas de la barrière, mon cheval fut
perçé d'une balle, une autre balle emporta le chapeau d'un
des officiers qui étaient avec moi, ce qui nous força d'aban-
donner la grande route, de traverser la savane et les forêts
pour me rendre chez Déricourt, où j'ai resté trois jours pour
y attendre les nouvelles du commandant de l'escadre mais
toujours inutilement. Seulement le lendemain je reçus une
lettre du général Rochambeau qui m'annonçait que la colonne
qu'il commandait s'était emparé du fort de la Liberté, qu'il
avait puni une grande partie de la garnison qui avait fait
résistance en la passant au fil de l'épée, qu'il n'aurait jamais
cru que cette garnison eut trempé ses bayonnettes dans le
sang des Français et qu'au contraire il aurait cru la trouver
bien disposé en sa faveur. Je répondis à cette lettre et, mani-
festant mon mécontentement à ce général, je lui demandai
pourquoi il avait ordonné le massacre de ces beaux soldats
qui n'avaient fait que suivre les ordres qu'on leur avait don-
nés, qui d'ailleurs avaient si bien concouru au bonheur de la
colonie, au triomphe de la République, si c'était là la récom-
pense que le gouvernement leur avait promise, et finis en lui
disant que je combattrais jusqu'à la mort pour venger la
mort de ces braves soldats et ma liberté et rétablir le calme
et l'ordre dans la colonie. C'était effectivement le parti que
je venais de prendre après avoir mûrement réfléchi sur les
différents rapports que m'avait faits le général Christophle,
sur les dangers que je venais de courir, sur la lettre du général
Rochambeau et sur la conduite enfin du général commandant
l'escadre. Ces résolutions prises je me transportai au Gonin,

— 316 —
je donnai connaissance au général Maurepas de mes inten-
tions, je lui ordonnai d'opposer la plus vive résistance à tous
ceux qui se présenteraient devant le Port de Paix où il com-
mandait, et dans le cas où il ne serait pas assez fort n'ayant
qu'une demi brigade, d'imiter l'exemple du général Chris-
tophle, de se retirer ensuite dans la montagne emmenant avec
lui les munitions de tous les genres et de se défendre jusqu'à
la mort. Je me transportai ensuite à Saint Marc pour y visiter
les fortifications, je trouvai que cette ville était déjà instruite
des événements fâcheux qui venaient d'avoir lieu, et que
les habitants l'avaient déjà évacuée. Je donnai ordre d'y
faire toute la résistance que les munitions et les fortifications
permettaient.
Au moment où j'allais partir de cette ville pour me rendre
au Port au Prince et dans la partie du Sud pour y donner
mes ordres, Jean Philippe Dupin et Isaac m'apportèrent les
dépêches de Paul L'ouverture qui commandait dans cette
partie à Santo Domingo. Tous deux m'annoncèrent qu'une
descente venait d'avoir lieu à Royal Sabal, que les Français
et les Espagnols qui habitaient dans cet endroit s'étaient
soulevés et avaient intercepté les chemins de Santo Domingo.
Je pris connaissance de ces dépêches en parcourant la lettre
du général Paul et copie de celle du général Keiverseau au
commandant de place de Santo Domingo qui y était incluse.
Je vis l'invitation que fait ce général au commandant, et
non point au général Paul comme il aurait dû faire, de lui
préparer le logement pour sa troupe. Je vis aussi le refus qui
lui avait été fait à son invitation par le général Paul, jusqu'à
ce qu'il eut reçu des ordres de moi. En conséquence je répon-
dis au général Paul que j'approuvais sa conduite, et je lui
donnai l'ordre de faire tout ce qui dépendrait de lui pour se
défendre en cas d'attaque et même de faire le général Kei-
verseau et toute sa troupe prisonnière s'il le pouvait. Je remis
ma réponse au capitaine dont j'ai parlé et prévoyant à raison
de l'interception des chemins qu'ils pourraient être arrêtés,
qu'on leur demanderait leurs dépêches, je les chargeai d'une
seconde lettre par laquelle j'ordonnai au général Paul de

— 317 —
prendre avec le général Kerverseau tous les moyens de con-
ciliation possibles et les prévins, que si le cas prévu arrivait,
de cacher la première lettre et de ne faire voir que la seconde.
Le général Paul ne voyant point arriver aussitôt qu'il le
désirait des réponses à ses dépêches, renvoya un autre officier
noir porteur de ces mêmes dépêches par duplicata à qui je
donnai seulement un reçu et le renvoyai. De ces trois officiers
deux étaient noirs et l'autre blanc, ils furent arrêtés comme
je 1' avais prévu et les deux noirs furent assassinés contre
toutes espèces de justice et de raison et contre les droits de
la guerre, leurs dépêches furent remises au général Kerver-
seau qui ayant caché la première lettre fit seulement voir la
seconde au général Paul, c'est-à-dire celle où je lui ordonnais
d'entrer en conciliation avec lui. C'est en conséquence de
cette lettre que Santo Domingo s'est rendu.
Ces dépêches expédiées, je repris ma route par le sud.
A peine étais-je en marche que je fus atteint par une ordon-
nance arrivant à toute bride, m'apportant un paquet du
général Vernet, et une lettre de ma femme, m'annonçant l'un
et l'autre l'arrivée de mes deux enfants venant de Paris et
de leur précepteur (ce que j'avais ignoré jusqu'alors) en
m'ajoutant qu'ils étaient porteurs d'ordres du Premier Con-
sul pour moi. Je retournai alors sur mes pas et volai à Ennery
où je trouvai effectivement mes deux enfants et le précepteur
respectable que le Premier Consul avait eu la bonté de leur
faire donner. Je les embrassai avec la plus grande satisfac-
tion et beaucoup d'empressement et leur demandai de suite
s'il était vrai qu'ils fussent porteurs d'ordres du Premier
Consul pour moi ? Le précepteur me répondit qu'oui et me
remit effectivement une lettre que j'ouvris et lu jusqu'à moi-
tié, puis la refermai en disant que je me réservais de la lire
dans un moment où je serais plus tranquille. Je le priai ensuite
de me faire part des intentions du Gouvernement et de me
dire le nom du commandant de l'escadre que je n'avais encore

— 318 —
pu savoir jusqu'alors. Il me répondit qu'il s'appelait Leclerc,
que l'intention du Gouvernement à mon égard était très favo-
rable, ce qui me fut confirmé par mes enfants et ce dont je
me suis assuré ensuite en faisant lecture de la lettre du Pre-
mier Consul. Je lui observai cependant que si les intentions
du Gouvernement étaient pacifiques et bonnes à mon égard
et à l'égard de ceux qui avaient contribué au bonheur dont
jouissait la colonie, le général ne les avait sûrement pas sui-
vies ni exécuté les ordres qu'il avait reçus, puisqu'il était débar-
qué dans l'Isle comme ennemi, et en faisant le mal unique-
ment pour avoir le plaisir de le faire sans s'être adressé au
Commandant ni lui avoir communiqué ses pouvoirs.
Je demandai ensuite au citoyen Coinon, précepteur de mes
enfants si le général Leclerc ne lui avait rien remis pour moi
et s'il ne l'avait pas chargé de me dire quelque chose ? Il me
répondit que non, en m'engageant cependant à aller au Cap
pour conférer avec ce général ; mes enfants joignirent leurs
sollicitations pour m'y déterminer. Je leur représentai que
d'après la conduite de ce général je ne pouvais avoir en lui
aucune confiance, qu'il était débarqué comme ennemi, que
malgré cela j'avais cru de mon devoir d'aller au devant de
lui pour empêcher le progrès du mal, qu'alors il m'avait fait
tirer dessus et que j'avais couru les plus grands dangers,
qu'enfin, si ses intentions étaient pures comme celles du Gou-
vernement qui l'envoyait, il aurait pris la peine de m'écrire
pour m'instruire de sa mission, que même il aurait dû avant
d'arriver à la rade m'envoyer un aviso avec vous comme cela
se pratique ordinairement pour me faire part de ses pouvoirs
et m'informer de son arrivée ; que, puisqu'il n'avait rempli
aucune de ces formalités, le mal était fait et qu'ainsi je refusais
définitivement d'aller le trouver ; que cependant pour prou-
ver mon attachement et ma soumission au Gouvernement
français j'écrirais une lettre au général Leclerc que je lui
envoyerais par M. Grandville, homme respectable accom-
pagné de mes deux enfants et de leur précepteur, que je char-
gerais de lui dire qu'il dépendait absolument de lui de perdre
entièrement la colonie ou de la conserver à la France, que

— 319 —
j'entrerais avec lui dans tous les arrangements possibles, que
j'étais prêt à me soumettre aux ordres du Gouvernement
Français, dès que le général Leclerc m'aurait fait voir les
ordres dont il était porteur et qu'il aurait cessé toutes espèces
d'hostilités. Effectivement je fis la lettre et la députation
partit.
Dans l'espoir que d'après mes soumissions tout serait ren-
tré dans l'ordre, je restai aux Gonaïves jusqu'au lendemain
où j'appris que deux vaisseaux avaient attaqué Saint Marc.
Je m'y transportai et appris qu'ils avaient déjà été repous-
sés et je retournai alors aux Gonaïves pour y attendre la
réponse du général Leclerc. Enfin deux jours après, mes deux
enfants arrivèrent avec cette réponse tant désirée, par laquelle
le général me mandait de me rendre près de lui au Cap et
m'annonçait qu'au surplus il avait donné l'ordre à ses géné-
raux de marcher sur tous les points, et que ses ordres étant
donnés il ne pouvait plus les révoquer. Il me promit cepen-
dant que le général Boudet s'arrêterait à I'Artibonite ;
je jugeai alors qu'il ne connaissait pas parfaitement le pays
ou qu'on l'avait trompé ; car pour arriver à I'Artibonite
il faut avoir le passage libre pour Saint-Marc, ce qui n'était
pas, puisque les deux vaisseaux qui avaient attaqué cette
ville avaient été repoussés ; il m'ajouta encore qu'on atta-
querait pas le Môle, que seulement on en ferait le blocus,
tandis que cet endroit s'était déjà rendu.
Je répondis alors franchement à ce général, que je ne me
rendrais pas auprès de lui au Cap, que sa conduite ne m'ins-
pirait pas assez de confiance, que cependant j'étais prêt à lui
remettre le commandement conformément aux ordres du
Premier Consul ; mais que je ne voulais point être son lieu-
tenant général ; je l'engageai ensuite à me faire passer ses
intentions en l'assurant que je contribuerais par tout ce qui
serait en mon pouvoir au rétablissement de l'ordre et de la
tranquilité ; je lui ajoutai enfin que s'il persistait toujours à
marcher en avant, il me forcerait à la défense, malgré que je
n'eus pas de troupes.
Je lui envoyai cette lettre par une ordonnance très près-

— 320 —
sée qui me rapporta de sa part : « qu'il n'avait plus de réponse
à me faire et qu'il entrait en campagne. »
Les habitants des Gonaïves me demandèrent la permission
de lui envoyer une députation, ce que je leur accordai, mais
il retint cette députation.
Le lendemain, je fus instruit qu'il s'était emparé sans coup
férir et sans tirer un coup de fusil de Dondon, Saint Michel,
Saint Raphaël et la Marmelade et qu'il se disposait à marcher
à Ennery et aux Gonaïves.
Ces nouvelles hostilités me firent faire de nouvelles réflexions ;
je pensai que la conduite du général Leclerc était bien con-
traire aux intentions du Gouvernement, puisque le Premier
Consul dans sa lettre promettait la paix tandis que lui faisait
la guerre ; je vis qu'au lieu de chercher à arrêter le mal, il
ne faisait que l'augmenter. « Ne craint-il pas, me disais-je à
moi-même, en tenant une pareille conduite, d'être blâmé du
Gouvernement, peut-il espérer d'être approuvé du Premier
Consul ? de ce grand homme dont l'équité et l'impartialité
sont si bien reconnues ? Tandis que je serai désapprouvé ».
Je pris donc le parti de me défendre en cas d'attaque, et fis,
malgré le peu de troupes que j'avais, mes dispositions en
conséquence.
Gonaïve n'étant pas défensive, j'ordonnai de la brûler,
en cas qu'on fut forcé à la retraite. Je plaçai le général Chris-
tophle, qui avait été obligé de se replier dans le chemin
d'Erbourg qui conduit à Bayonnet et me retirai à la Gonaïve
où une partie de ma garde d'honneur s'était rendue et réso-
lus de m'y défendre, mais j'appris que Gremorne1 venait
de se rendre et que l'armée devait marcher aux Gonaïves sur
trois colonnes, qu'une de ces colonnes, commandée par le
général Rochambeau, était destinée à passer par la Couleuvre
et descendre à la Croix pour me couper le chemin de la ville
et les passages du pont d'Ester. J'ordonnai en conséquence
de brûler la ville de Gonaïve et marchai au devant de la
colonne qui se dirigeait au pont d'Ester à la tête de 300 gre-
1. Gros Morne.

— 321 —
nadiers de ma garde commandés par leur chef et de soixante
gardes à cheval, ignorant la force du général Rochambeau.
Je le rencontrai dans une gorge, l'attaque commença à
6 heures du matin par un feu soutenu qui dura jusqu'à midy.
Le général Rochambeau commença l'attaque. J'ai seu par les
prisonniers que j'ai faits que la colonne était de plus de quatre
mille hommes. Pendant que j'étais aux prises avec le général
Rochambeau, la colonne commandée par le général Leclerc
arriva aux Gonaïves.
L'affaire de la Croix terminée, je me rendis au pont d'Ester
pour y prendre l'artillerie qui défendait cet endroit dans l'in-
tention de me rendre de suite à Saint Marc où je comptais
faire grande résistance. Mais, chemin faisant, j'appris que le
général Dessalines après être arrivé avant moi dans cet endroit
avait été obligé de l'évacuer et s'était retiré à la Petite
Rivière. Je fus obligé d'après cette manœuvre de retarder ma
marche, pour envoyer en avant de moi les prisonniers que
j'avais fait à la Croix, les blessés à la Petite Rivière, et me
déterminai ensuite à m'y rendre moi-même.
Arrivé chez Couriotte, dans la plaine, j'y laissai ma troupe
et me portai seul en avant, je trouvai que tout le pays était
évacué. Je reçus une lettre du général Dessalines qui m'ins-
truisait qu'ayant appris qu'on devait attaquer le Cahos, il
s'y était rendu avec sa troupe pour le défendre. Je lui donnai
ordre de suite de venir me rejoindre, je fis mettre les muni-
tions de guerre et de bouche que j'avais avec moi, dans le
fort L'ouverture à la Crète à Pierrot, j'ordonnai au général
Vernette de se procurer les vases nécessaires pour contenir
l'eau pour la garnison en cas de siège. A l'arrivée du général
Dessalines, je lui ordonnai de prendre le commandement de ce
fort et de s'y défendre jusqu'à l'extrémité, je lui laissai pour
cet objet la moitié de mes gardes, avec le chef de brigade
Magny, et mes deux escadrons, je lui enjoignis de ne pas lais-
ser le général Vernette exposé au feu, mais de le laisser dans
un endroit retiré pour veiller au travail des cartouches. Enfin,
je fis dire au général Dessalines, que pendant que le général
Leclerc viendrait attaquer cette place, j'irais dans la partie
LECLERC
21

— 322 —
du Nord pour faire diversion et reprendre les différentes places
dont on s'était déjà emparé, et que par cette manœuvre,
je forcerais le général à revenir sur ses pas, à prendre des
arrangements avec moi pour conserver au Gouvernement
cette belle colonie.
Ces ordres donnés, je pris six compagnies de grenadiers
commandées par Galbard, chef de la 4me demi-brigade et le
chef de bataillon Pourcely, je marchai sur Ennery que je
repris. J'y trouvai la proclamation du général Leclerc, qui
me met hors de la loi, Persuadé que je n'avais aucun tort à
me reprocher, que tout le désordre qui règne dans le pays a
été occasionné par le général Leclerc, me croyant d'ailleurs
toujours légitime commandant de l'Ile, je réfute sa procla-
mation et le mets lui-même hors la loi. Sans perdre de temps
je me remets en marche et reprends sans coup férir Saint-
Michel, Saint Raphaël, Dondon et la Marmelade. Dans cette
dernière place je reçus une lettre du général Dessalines, qui
m'instruisait que le général Leclerc, avait marché à la Petite
Rivière sur trois colonnes, que l'une de ces colonnes passant
par le Cahos et le Grand Font s'était emparée de tous les
trésors de la République venant de Gonaïves et de l'argent
que les habitants avaient déposé ; qu'elle s'était tellement char-
gée de butin qu'elle n'avait pu se porter à sa destination et
avait été obligée de rétrograder pour déposer leurs richesses
au Port Républicain ; que les deux autres colonnes qui avaient
attaqué le fort avaient été repoussées par le chef de brigade
Magny ; que le général Leclerc ayant réuni plus de forces,
avait ordonné une seconde attaque, qu'il avait été également
repoussé par lui général Dessalines qui y était arrivé alors.
Instruit de ces faits, je me portai sur Plaisance, et m'em-
parai d'abord du Camp de Beydurette qui domine cette place
et qui était occupé par des troupes de ligne et emportai,
également d'assaut, tous les postes avancés. Au moment où
j'allais tomber sur la place, je reçois une lettre du comman-
dant de Marmelade qui me donne avis qu'une forte colonne
venant de la partie Espagnole se dirige sur cette place. Je
me portai alors promptement sur cette colonne qui au lieu

— 323 —
de se porter sur Marmelade avait marché sur Hinche jusqu'où
je la poursuivis sans pouvoir l'atteindre.
Après quoi je retournai à Gonaïve et me rendis maître de
la plaine qui environne cette ville, prêt à marcher sur Gre-
morne pour aller ensuite délivrer le général Maurepas, qui
devait être au Port de Paix ou s'être retiré dans les mon-
tagnes, où je lui avais ordonné de camper, sans savoir s'il
avait déjà capitulé et s'il s'était soumis au général Leclerc.
Je reçus une troisième lettre du général Dessalines qui me
faisait le rapport, que le général Leclerc, ayant réuni toutes
ses forces avait ordonné l'assaut général et qu'il avait été
repoussé avec pertes très considérables, ce qui l'avait déter-
miné à faire cerner cette place et à la faire bombarder. Dès
que j'ai appris le danger dont elle était menacée, je me hâtai
d'y porter ma troupe pour la délivrer.
Arrivé devant le camp, je fis une reconnaissance, pris les
renseignements nécessaires et ordonnai les dispositions néces-
saires pour l'attaque d'après lesquelles je devais infaillible-
ment entrer dans le camp par un côté faible que j'avais
reconnu et m'emparer de la personne du général Leclerc, et
de tout son état-major. Mais au moment de l'exécution,
j'appris que la garnison manquant d'eau, avait été obligée
d'évacuer le fort. Si le projet eut réussi, mon intention était
de renvoyer le général Leclerc au Premier Consul en lui ren-
dant un compte exact de sa conduite et le priant de me ren-
voyer une autre personne digne de sa confiance à qui je puisse
remettre le commandement.
Le fort évacué, je me retirai au Grand Cahos, pour y réunir
mes forces et y attendre la garnison. Dès qu'elle y fut arrivée
je demandai au général Dessalines où étaient les prisonniers,
qu'il m'avait dit précédemment être au Cahos. Il me répondit
qu'une partie avait été prise par une colonne du général
Rochambeau, qu'une partie avait été tuée dans les différentes
attaques qu'il avait essuyées et que le reste enfin s'était
échappé dans les différentes marches qu'il avait été obligé
de faire. On voit par cette réponse que c'est injustement qu'on
a voulu m'imputer les assassinats commis, parce que, disait-on,

— 324 —
comme chef j'aurais dû les empêcher. Mais suis-je respon-
sable du mal que l'on fait en mon absence et à mon insu ?
Etant aux Gonaïves, j'envoyai mon aide de camp Coupé
au général Dessalines donner l'ordre au commandant de
Léogane de faire sortir tous les habitants hommes et femmes,
et de les envoyer au Port Républicain, de réunir dans cette
place le plus d'hommes armés qu'il pourrait afin de se pré-
parer en cas d'attaque à la plus vive résistance. Mon aide de
camp Coupé porteur de mes ordres revint, et me dit qu'il
n'avait pas trouvé le général Dessalines, mais qu'il avait
appris que Léogane avait été brûlé et que les habitants s'étaient
sauvés au Port Républicain.
Tous les désastres arrivés jusqu'à cette époque viennent du
général Leclerc ; pourquoi avant son débarquement ne m'a-
t-il pas fait part de ses pouvoirs ? pourquoi a-t-il débarqué
sans mon ordre conformément à l'arrêté de la Commission ?
n'est-ce pas lui qui a commis les premières hostilités ? N'a-t-il
pas cherché à gagner les généraux et autres officiers sous mes
ordres par tous les moyens possibles ? N'a-t-il pas cherché à
soulever les cultivateurs en leur persuadant que je les traitais
comme des esclaves et qu'il venait pour rompre leurs fers ?
Doit-on employer de tels moyens dans un pays où régnait la
paix et la tranquillité et qui était au pouvoir de la Répu-
blique ? Si j'ai fait travailler mes semblables, c'était pour
leur faire goûter le prix de la liberté sans licence ; c'était pour
empêcher la corruption des mœurs ; c'était pour le bonheur
général de l'Ile et pour l'intérêt de la République et j'y avais
effectivement réussi puisque l'on ne voyait pas dans toute
la colonie aucun homme désœuvré et que le nombre des men-
diants était diminué au point qu'à part quelques villes, on
n'en voyait pas un seul dans la campagne.
Si le général Leclerc avait eu de bonnes intentions, aurait-il
reçu dans son armée le nommé Gaulard et lui aurait-il donné
le commandement de la 9me demi-brigade qu'il avait déjà eu
précédemment et qu'il avait soulevé, ce rebelle dangereux qui
faisait assassiner les propriétaires dans leurs habitations, qui
a envahi la ville du Môle Saint Nicolas, qui a tiré sur le géné-

— 325 —
rai Clervaux qui commandait la ville, sur le général Maurepas
et sur son chef de brigade, qui a fait la guerre aux cultiva-
teurs de Jean Rebelle et de Moustique et des hauteurs du
Port de Paix, qui a poussé l'audace même jusqu'à se défendre
contre moi lorsque j ai marché contre lui pour le soumettre,
ce brigand enfin, qui après s'être souillé de tous les crimes,
s était caché dans une forêt jusqu'à l'arrivée de l'escadre
française ? Aurait-il également reçu et élevé au rang de chef
de brigade un autre rebelle appelé Lamour Durance, qui a fait
assassiner tous les habitants de la plaine du Cul de Sac, qui
a soulevé les cultivateurs, qui a saccagé toute cette partie
de l'île, contre lequel deux mois seulement avant l'arrivée de
l'escadre, j'avais été obligé de marcher et l'avais forcé de se
retirer dans les forêts ? Pourquoi a-t-on reçu amicalement ces
rebelles et d'autres, tandis que moi et mes subordonnés qui
avions constamment resté fidèles au Gouvernement fran-
çais et avions maintenu l'ordre et la tranquilité dans l'Ile,
nous a-t-on fait la guerre ? pourquoi veut-on me faire un
crime d'avoir fait exécuter les ordres du Gouvernement ?
pourquoi veut-on m'imputer tout le mal qui a été fait et le
désordre qui a régné ? Les troupes qui se sont rendues au
général Leclerc, en avaient-elles reçu l'ordre de moi, m'avaient-
elles consulté ? Non. Hé bien, ceux qui ont fait le mal ne
m'ont pas consulté non plus. Il ne faut donc pas non plus à
présent me donner plus de tort que je ne mérite.
Je fis part de ces réflexions à quelques prisonniers que
j'avais faits ; ils me répondirent qu'on craignait l'influence
que j'avais sur le peuple et qu'on employait tous ces moyens
pour la détruire. Cela me fit faire des réflexions. Considérant
tous les malheurs que la colonie avait déjà essuyés, les habi-
tations détruites, les assassinats commis, les violations mêmes
exercées sur les femmes, j'oubliais tous les torts qu'on pou-
vait avoir à mon égard, pour ne penser qu'au bonheur de
1 Ile et l' avantage du Gouvernement. Je me déterminai à
obéir à l' ordre du Premier Consul, vu surtout que le général
Leclerc venait de se retirer lui-même au Cap avec toute sa
troupe après l' affaire de Crète à Pierrot.

— 326 —
Il est à remarquer que jusqu'à cet instant je n'avais pas
encore pu trouver un seul moment pour répondre au Pre-
mier Consul. Je saisis avec empressement cet instant de tran-
quilité pour le faire. Je l'assurai de ma soumission et de mon
entier dévouement à ses ordres en l'assurant que, si jusqu'à
présent je n'y avais déféré, il avait trop de discernement et
d'équité pour m'en imputer la faute ; j'ai ajouté : « si vous
n'envoyez pas un autre officier général prendre le comman-
dement, j'aiderai le général Leclerc à faire tout le mal pos-
sible, par la résistance que je lui opposerai ». Je me rappelai
que le général Dessalines m'avait rendu que deux officiers
d'escadre, dont un aide de camp du général Boudet et un
officier de marine accompagné de deux dragons, avaient été
faits prisonniers lorsqu'on reprit le Port au Prince et qu'ils
avaient été envoyés pour soulever la troupe. J'ordonnai qu'on
me les amena. Après avoir conversé avec eux, je les envoyai
au général Boudet, pour qui je leur remis une lettre, avec
celle que j'avais écrit au Premier Consul.
À l'instant où j'expédiais ces deux officiers, j'apprends que
le général Hardy a passé le Coupe Haleine 1 avec son armée,
qu'il se portait sur mes propriétés, qu'il les a ravagées, qu'il a
enlevé tous mes animaux et sur[tout] un cheval nommé Bel
Argent, dont je faisais le plus grand cas. Sans perdre de temps
je me portai sur lui avec les forces que j'avais, et l'atteignis
auprès de Dondon. L'affaire s'engagea et dura avec le plus
grand acharnement depuis onze heures du matin jusqu'à
six du soir.

*
*
Avant que de partir, j'avais donné l'ordre au général Des-
salines d'attendre la réunion de la garnison qui avait évacué
la Crète à Pierrot, et d'aller camper au Camp Marchand, en
le prévenant qu'après le combat je me rendrais à la Marme-
lade. Arrivé dans cet endroit j'y reçus la réponse du général
Boudet qu'il m'avait envoyé par mon neveu Chansy qu'il
1. La Coupe-à-l'Inde.

— 327 —
avait précédemment fait prisonnier. Ce général m'assurait
que ma lettre parviendrait fidèlement au Premier Consul ;
à cet effet il l'avait déjà adressée au général Leclerc qui lui
avait promis de la faire passer. Par le rapport de mon neveu
et après la lecture de la lettre du général Boudet, je crus
reconnaître en lui un caractère d'honnêteté et de franchise
d'un officier français, et bien fait pour commander. En consé-
quence, je m'adressai à lui avec confiance pour le prier d'enga-
ger le général Leclerc d'entrer avec moi dans des moyens de
conciliation ; je l'assurai que l'ambition n'avait jamais été
mon guide, mais bien l'honneur, qu'en conséquence j'étais
prêt à rendre le commandement, pour obéir aux ordres du
Premier Consul, et de faire tous les sacrifices nécessaires pour
arrêter les progrès du mal. Je lui envoyai ma lettre par mon
neveu Chansy qu'il retint près de lui ; mais deux jours après,
je reçus une lettre par une ordonnance pressée qui m'annon-
çait qu'il avait fait part de mes intentions au général Leclerc
et m'assurait que celui-ci était prêt d'entrer en arrangement
et que je pouvais compter sur les bonnes intentions du Gou-
vernement à mon égard.
Le même jour le général Christophle m'a communiqué une
lettre qu'il venait de recevoir du capitaine Witton, demeurant à
la Petite Anse et une autre du général Hardy1, lui demandant
tous deux une entrevue, et à moi la permission de l'accorder,
ce que je lui permis, en lui recommandant d'être très circons-
pect. Le général Christophle, au lieu de se rendre à l'entrevue
indiquée par le général Hardy, reçut une lettre du général
Leclerc, dont il me fit passer copie ainsi que de sa réponse
et me demanda la permission de se rendre dans l'endroit
qu'on lui avait indiqué. Ce que je lui permis et il y fut.
A son retour il me rapporta une lettre du général Leclerc
qui me disait que ce serait pour lui une belle journée s'il pou-
vait m'engager à me concerter avec lui et à me soumettre
aux ordres de la République.
1. Cf. Correspondance du général Jean Hardy, p. 282 à 286. Lettre du
général Hardy au général Christophe (20 germinal) et lettre du général
Christophe au général Hardy (8 floréal).

— 328 —
Je répondis sur le champ, que j'avais toujours été soumis
au Gouvernement Français, puisque j'avais constamment porté
les armes pour lui ; que si dès le principe on s'était comporté
avec moi comme on devait le faire il n'y aurait pas eu un
seul coup de fusil de tiré, que la paix n'aurait pas même été
troublée dans l'Isle et que l'intention du Gouvernement aurait
été remplie. J'ai témoigné tant au général Leclerc qu'à Chris-
tophle tout mon mécontentement de ce que celui-ci s'était
rendu sans aucun ordre de ma part.
Le lendemain je lui dépêchai mon adjudant général, Fon-
taine, porteur d'une seconde lettre de ma part par laquelle
je lui demandais une entrevue à l'habitation d'Héricourt, à
quoi il se refusa. Cependant Fontaine m'a assuré qu'il avait
été très bien reçu. Je ne me rebutai point, je lui dépêchai pour
la troisième fois mon aide de camp, Coupé, et mon secrétaire,
Natan, pour l'assurer que je ferais mes soumissions, et que
j'étais prêt à lui rendre le commandement conformément aux
intentions du Gouvernement et du Premier Consul. Il me fit
répondre qu'une heure de conversation ferait plus que dix
lettres, en m'assurant sa parole d'honneur, qu'il agirait avec
toute la franchise et la loyauté qu'on pouvait attendre d'un
général français. On m'apporta en même temps une procla-
mation de sa part qui invitait tous les citoyens à regarder
l'article de celle du 7 pluviôse qui me mettait hors de la loi
comme nulle et non avenue. « Ne craignez pas, disait-il dans
« sa proclamation, vous, les généraux qui sont sous vos ordres
« et les habitants qui sont avec vous, que je recherche personne
« sur sa conduite passée, J'ai tiré le voile de l'oubli sur les
« événements qui ont eu lieu à Saint-Domingue. J'imite en
« cela l'exemple que le Premier Consul a donné à la France,
« le 18 Brumaire. Je ne veux voir dans l'Isle à l'avenir que
« de bons citoyens. Vous demandez du repos, quand on a
« commandé comme vous, et supporté aussi longtemps le
« fardeau du gouvernement le repos vous est bien dû ; mais
« j'espère que dans votre retraite, vous me communiquerez
« vos lumières dans vos moments de loisirs pour la prospérité
« de Saint-Domingue ».

— 329 —
Après cette proclamation et la parole d'honneur du général
je me rendis au Cap auprès de lui ; je lui fis mes soumissions
conformément à l'intention du Premier Consul, je lui parlai
ensuite avec toute la franchise et la cordialité d'un militaire
qui aime et estime son camarade. Il me promit de tout oublier,
et la protection du Gouvernement Français et est convenu
avec moi que nous avions eu tous deux tort. « Vous pouvez,
« général, me dit-il, vous retirer chez vous en toute sûreté,
« mais dites-moi si le général Dessalines obéira à mes ordres
« et si je pourrai compter sur lui ? » Je lui répondis qu'oui,
que le général Dessalines peut avoir des défauts comme tout
homme, mais qu'il connaît la subordination militaire. Je lui
observai cependant que pour le bien public et pour rétablir
les cultivateurs dans leurs travaux comme à son arrivée dans
l'Isle, il était nécessaire que le général Dessalines fut rétabli
dans son commandement à Saint Marc et le général Charles
à La Caye 1, ce qu'il me promit. A onze heures du soir je pris
congé de lui et me retirai ohez d'Héricourt où je passai la
nuit avec le général Fressinet 2.
Le surlendemain je reçus une lettre du général Leclerc,
qui m'invitait à lui renvoyer mes gardes à pied et à cheval,
et m'envoyait un ordre pour le général Dessalines. Après en
avoir pris connaissance, je le lui fis passer en l'engageant à s'y
conformer, et pour remplir d'autant mieux les promesses
que j'avais faites au général Leclerc j'invitai le général Dessa-
lines à se rencontrer avec moi à la moitié du chemin de tra-
verse de son habitation à la mienne, ce qu'il fit. Je lui persua-
dai de se soumettre ainsi que moi, que l'intérêt public exigeait
que je fasse un sacrifice, que je voulais bien le faire, mais que
pour lui il conserverait son commandement. J'en dis autant
au général Charles, ainsi qu'à tous les officiers qui étaient avec
eux, et je vins à bout de les persuader. Malgré toute la répu-
gnance, les regrets et les larmes qu'ils me témoignèrent de
me quitter et de se séparer de moi, après cette entrevue cha-
1. L'Arcahaye.
2. Le texte conservé aux Archives Nationales AF IV 1213 ajoute ici
les mots : « et partis le lendemain matin pour la Marmelade. »

— 330 —
cun se rendit à sa demeure respective. L'adjudant général
Perrin, que le général Leclerc avait envoyé à Dessalines pour
lui porter ses ordres le trouva très bien disposé à les remplir
puisque je l'y avais engagé précédemment par mon entrevue.
Comme on l'avait vu, on avait promis de placer le général
Charles à la Cave ; cependant on ne l'a pas fait.
Il était inutile que j'ordonnasse aux habitants de Dondon,
de Saint Michel, de Saint Raphaël et de la Marmelade, de
rentrer dans leurs habitations, puisqu'ils l'avaient fait dès
que je m'étais emparé de ces communes ; je leur enjoignis
seulement de reprendre leurs travaux accoutumés. J'ordonnai
à ceux de Plaisance et des endroits circonvoisins de rentrer
et de reprendre également leurs travaux, ils me témoignèrent
des craintes qu'ils avaient qu'on ne les inquiéta. J'écrivis
en conséquence au général Leclerc, pour lui rappeler ses pro-
messes, et le prier de tenir la main à leur exécution, Il me fit
réponse que ses ordres étaient déjà donnés à ce sujet ; cependant
■celui qui commandait à sa place avait déjà divisé sa troupe
et envoyé des détachements dans toutes les habitations, ce
qui avait effrayé les cultivateurs et les avait forcé de fuir dans
les montagnes. Je m'étais retiré à Ennery et en avais donné
connaissance au général Leclerc comme je le lui avais promis.
En arrivant dans le bourg j'y trouvai grand nombre de culti-
vateurs de Gonaïves que j'engageai à rentrer.
Avant mon départ de Marmelade, j'avais donné l'ordre
au commandant de cette place de remettre l'artillerie et les
munitions au commandant de Plaisance conformément aux
intentions du général Leclerc.
J'ai également donné l'ordre au commandant d'Ennery
de rendre une seule pièce qui était ainsi que les munitions au
commandant de Gonaïves. Ces ordres donnés je ne me suis
plus occupé qu'à rétablir mes habitations qui avaient été incen-
diées, j'ai fait faire un logement commode dans une maison
de la montagne qui avait échappé aux flammes pour mon épouse
qui était encore dans les bois, où elle avait été obligée de se
réfugier. Pendant que j'étais occupé à ces travaux, j'ai appris
qu'il était arrivé 500 hommes de troupes pour loger à d'Ennery,

— 331 —
petit bourg qui jusqu'alors n'avait pu comprendre plus de
50 gendarmes pour la police, qu'on avait envoyé également
un très gros détachement à Saint Michel. Je me transportai
de suite au bourg, je vis que toutes mes habitations avaient
été pillées et qu'on avait enlevé jusqu'aux coffres de mes cul-
tivateurs. A l'instant même où je portais mes plaintes au
commandant, je lui fis appercevoir des soldats qui étaient char-
gés de fruits de toutes espèces qui n'étaient même pas encore
mûrs, je lui fis aussi voir des cultivateurs qui voyant ces
pillages se sauvaient dans d'autres habitations de la mon-
tagne.
J'ai rendu compte au général Leclerc de ce qui se passait,
je lui ai observé que les mesures qu'on prenait, loin d'inspirer
confiance ne faisaient que d'augmenter la méfiance, que le
nombre de troupes qu'il avait envoyé était beaucoup trop
considérable et ne pouvait que nuire à la culture et aux habi-
tants. Je remontai ensuite dans mon habitation de la mon-
tagne.
Le lendemain je reçus la visite du commandant d'Ennery
et m'aperçus fort bien que ce militaire, loin de me rendre une
visite d'honnêteté, n'était venu chez moi que pour reconnaître
mon habitation et ses avenues, afin d'avoir plus de facilité
de s'emparer de moi lorsqu'on lui en donnerait l'ordre. Pen-
dant que je causais avec lui, on vint m'avertir que plusieurs
soldats s'étaient rendus avec des chevaux et autres bêtes de
charge dans une de mes habitations près du bourg, où restait
un de mes filleuls et enlevaient le café et d'autres denrées
qu'ils y avaient trouvé. Je lui en fis mes plaintes, il me promit
de réprimer ces brigandages et de punir sévèrement ceux qui
s'en rendraient coupables. Craignant que ma demeure dans
la montagne n'inspira de la méfiance, je me déterminai à
venir dans cette même habitation qui venait d'être pillée,
et qui avait été presque totalement détruite et tout près du
bourg qui n'en est éloigné que de deux cents pas. Je laissai
ma femme dans l'appartement que j'avais fait préparer, je
ne m'occupais plus qu'à faire de nouvelles plantations pour
remplacer celles qu'on m'avait totalement détruites et à faire

— 332 —
préparer les matériaux nécessaires pour la reconstruction de
mon habitation. Mais tous les jours je n'ai éprouvé que de
nouvelles vexations et de nouveaux pillages. Les soldats qui
étaient chez moi étaient en si grand nombre que je n'osais
même pas les faire arrêter ; en vain j'en portai mes plaintes
à leur commandant, je n'en recevais aucune satisfaction. Je me
déterminai enfin, quoique le général Leclerc ne m'eut pas fait
l'honneur de me répondre aux deux premières lettres que je
lui avais écrites à ce sujet, de lui en écrire une troisième que
je lui envoyai au Cap par un de mes fils, Placide, pour plus
de sûreté, et je n'ai pas plus reçu de réponse à celle-là qu'aux
précédentes, seulement le chef d'état-major me fit dire qu'il
ferait son rapport.
Quelque temps après, le commandant étant de nouveau
venu me voir un après-midi, il me trouva à la tête de mes cul-
tivateurs occupé à conduire mes travaux de reconstruction,
il fut témoin lui-même que mon fils Isaac repoussait plusieurs
soldats qui étaient venus jusqu'à la porte de mon habitation
couper des bananes et des figues-bananes pour les emporter ;
je lui en réitérai les plaintes les plus graves, il me promit
toujours qu'il empêcherait ces désordres.
Pendant trois semaines que j'ai resté dans cette habitation,
chaque jour j'ai été témoin de nouveaux pillages et chaque jour
j'ai y reçu des visites de personnes qui venaient m'espionner,
mais qui toutes furent témoins que je m'occupais uniquement
de travaux domestiques.
Le général Brunete est venu lui-même et m'a trouvé dans
les mêmes occupations. Malgré cela je reçus une lettre du
général Leclerc, qui au lieu de me donner satisfaction sur les
plaintes que je lui avais portées, m'accusait d'avoir gardé
des hommes armés dans les environs d'Ennery, et m'ordonnait
de les renvoyer. Persuadé de mon innocence, et que sûrement
des gens mal intentionnés l'avaient trompé, je lui ai répondu
que j'avais trop d'honneur pour ne pas tenir les promesses

— 333 —
que j'avais faites et qu'en lui rendant le commandement je
ne l'avais pas fait sans avoir bien réfléchi et qu'ainsi mon
intention n'était point de chercher à le reprendre. Je l'assurai
au surplus que je ne connaissais point d'hommes armés dans
les environs d'Ennery, et que depuis trois semaines j'étais
constamment resté dans mon habitation à y faire travailler,
je lui envoyai enfin mon fds Isaac pour lui rendre compte
de toutes les vexations que j'essuyais et le prévenir que, s'il
n'y mettait pas fin, je serais obligé d'abandonner le lieu où
je demeurais pour me retirer dans ma hatte sur la partie
Espagnole.
Un jour avant que de recevoir aucune réponse du général
Leclerc, je fus instruit qu'un de ses aides de camp, passant
par Ennery, avait dit au commandant qu'il était porteur
d'ordre pour me faire arrêter, adressé au général Brunette.
Le général Leclerc m'ayant donné sa parole d'honneur et
promis la protection du Gouvernement Français, je refusai
d'ajouter foi à ce propos. Je dis même à la personne qui me
conseillait de quitter mon habitation que j'avais promis d'y
rester tranquille et d'y travailler à réparer les dégâts qui
avaient été commis, que je n'avais point cédé le commande-
ment et renvoyé mes troupes pour faire des sottises, qu'ainsi
je ne voulais pas sortir de chez moi, et que si l'on venait pour
m'arrêter on me trouverait, que je ne voulais point prêter
matière à la calomnie.
Le lendemain je reçus une seconde lettre du général Leclerc,
par mon fils que je lui avais envoyé, conçue en ces termes.
ARMÉE DE SAINT-DOMINGUE
Au Quartier Général du Cap-Français,
le 16 Prairial, An X de la République.
Le Général en Chef au Général Toussaint.
« Puisque vous persistez, citoyen général, à penser que le
grand nombre de troupes qui se trouve à Plaisance (il est à
remarquer que c'est sans doute par erreur que le secrétaire
a écrit Plaisance et qu'il doit y avoir Ennery), effraye les culti-

— 334 —
vateurs de cette paroisse, je charge le général Brunet de se
concerter avec vous pour le placement d'une partie de ces
troupes en arrière de Gonaïve et d'un détachement à Plaisance ;
prévenez bien les cultivateurs que cette mesure une fois prise,
je ferai punir ceux qui abandonneront leur habitation pour
aller dans la montagne.
« Faites-moi connaître aussitôt que cette mesure sera exé-
cutée, le résultat qu'elle aura produit, parce que si les moyens
de persuasion que vous emploierez ne réussissaient pas, j'em-
ploierais les moyens militaires. — Je vous salue. — Signé :
LECLERC.
»
Le même jour je reçus une autre lettre du général Brunet,
dont suit un extrait.
ARMÉE DE SAINT-DOMINGUE
Au Quartier Général de l'Habitation
Georges, le 18 Prairial, An X.
Brunet, Général de Division,
au Général de Division Toussaint Louverture.
« Voici le moment, Citoyen Général, de faire connaître d'une
manière incontestable au Général en Chef que ceux qui peuvent
le tromper de bonne foi, sont des malheureux calomniateurs
et que vos sentiments ne tendent qu'à ramener l'ordre et la
tranquillité dans le quartier que vous habitez.
« Il faut me seconder pour assurer la libre communication
de la route du Cap qui depuis hier ne l'est pas, puisque trois
personnes ont été égorgées par une cinquantaine de brigands
entre Ennery et la Coupe à Pintade. Envoyez auprès de ces
hommes sanguinaires des gens dignes de votre confiance,
que vous payerez bien, je vous tiendrai compte de votre
déboursé.
« Nous avons, mon cher Général, des arrangements à prendre
ensemble qu'il est impossible de traiter en lettres, mais qu'une
conférence d'une heure terminera. Si je n'étais pas excédé
de travail et tracas minutieux, j'aurais été aujourd'hui le

— 335 —
porteur de ma réponse, mais ne pouvant ces jours-ci sortir,
venez vous-même, si vous êtes rétabli de votre indisposition,
que ce soit demain, quand il s'agit de faire le bien on ne doit
jamais retarder. Vous ne trouverez pas dans mon habitation
champêtre tous les agréments que j'ai désiré réunir pour vous
y recevoir, mais vous y trouverez la franchise d'un galant
homme, qui ne fait d'autre vœu que pour la prospérité de la
colonie et votre bonheur personnel.
« Si Madame Toussaint dont je désire infiniment faire
connaissance voulait être du voyage, je serais trop content.
Si elle a besoin de chevaux je lui enverrai les miens.
« Je vous le répète, général, jamais vous ne trouverez d'ami
plus sincère que moi ; de la confiance dans le capitaine général,
de l'amitié pour tout ce qui lui est subordonné et vous jouirez
de la tranquillité.
« Je vous salue cordialement. — Signé : BRUNET. »
P- S. — « Votre domestique qui va au Port Républicain, a
passé ici ce matin, il est parti avec sa passe en règle. » (Ce même
domestique porteur de sa passe en règle, a été arrêté ; c'est
celui qui est dans les prisons avec moi).
Il est bon d'observer 1 que j'étais instruit par le nommé
Lafortune, qui a été arrêté avec les trois personnes qu'on a
assassiné, a eu le bonheur de se sauver : il m'a rapporté cet
assassinat, lui ayant demandé s'il avait parlé au commandant
des troupes à d'Ennery, il m'a répondu qu'oui. De suite j'en-
voyai chercher Lustien (?) Commandant, qui commande à
présent la Garde Nationale et trois autres personnes raison-
nables, je leur ai fait sentir combien il était dangereux de
laisser commettre dans leurs quartiers de semblables désordres ;
ils m'ont répondu l'avoir senti et en être très fâchés, tous les
quatre m'ont assuré qu'ils feraient des recherches ; je le leur ai
conseillé en les engageant à découvrir les auteurs. Ils ont tous
instruit leurs camarades et ont apperçu les malfaiteurs couchés
dans la lezierre de Plaisance et d'Ennery. Le lendemain matin
1. Ce paragraphe et le suivant jusqu'à « Après ces deux lettres », ne
figurent pas dans le texte publié par M. Pauleus Sannon (op. cit.).

— 336 —
j'en ai été instruit et l'on m'a observé qu'il fallait des mesures
sages pour les arrêter. Le commandant Néron m'a demandé
un ordre, j'ai cru devoir donner cet ordre, et une lettre pour
le commandant de d'Ennery ; d'après la lettre du général
Brunet ci-joint en copie :
« Il est ordonné au Commandant Néron de partir de suite
avec un détachement de la Garde Nationale, qui sera partagé
en trois portions. Premièrement, passera dans le carrefour de
Pibeurot, et l'autre dans les montagnes de d'Ennery et la
troisième avec le commandant pour aller vers Plaisance, pour
arrêter le citoyen Léveillé avec ses complices, qui a commis
un assassinat. Le commandant passera auprès du commandant
Pesquidoux pour lui donner un ordre, pour que les comman-
dants de ces places lui portent du secours pour s'il se trouve
quelque détachement à Plaisance. A D'Ennery, le 18 Prairial,
An X, dix heures du matin.
«
Le Général
.
Pour copie conforme. »
D'après ma lettre le commandant a refusé le passage à la
Garde Nationale et moi allant aux Gonaïves d'après la lettre
du général Leclerc, on m'a remis en chemin la lettre dont
copie suit :
D'Ennery, le 18 Prairial, An X
Le Chef de Bataillon commandant le quartier D'Ennery
au Général de Division Toussaint Louverture.
« Je ne puis, Citoyen Général, permettre dans le quartier
que je commande aucun mouvement de troupes sans les ordres
exprès du général commandant la Division.
« Je m'empresse de lui donner connaissance de celui que
vous projettez ; en attendant sa réponse je vous prie d'or-
donner aux citoyens de la Garde Nationale de rentrer chez
eux. J'ai l'honneur de vous saluer. — Signé : PESQUIDOUX. »
Après ces deux lettres, quoique indisposé, je me rendis aux
sollicitations de mes fils et de plusieurs personnes et partis
pendant la nuit même pour me rendre auprès du général
Brunet, accompagné de deux officiers seulement. Arrivé chez

— 337 —
lui à huit heures du soir, après m'avoir introduit dans sa
chambre, je lui dis que j'avais reçu sa lettre, ainsi que celle
du général en chef qui m'invitait à me concerter avec lui,
et que je venais pour cet objet, que je n'avais pu amener mon
épouse suivant ses désirs, parce que elle ne sortait jamais,
ne voyait aucune société et ne s'occupait uniquement que de
ses affaires domestiques ; que si lorsqu'il serait en tournée
il voulait lui faire l' honneur de la voir elle le recevrait avec
plaisir. Je lui observai qu'étant malade je ne pouvais rester
longtemps avec lui, que je le priais en conséquence de terminer
nos affaires le plus tôt possible afin que je puisse m'en retour-
ner et lui communiquai la lettre du général Leclerc.
Après en avoir pris lecture, il me dit qu'il n'avait encore
reçu aucun ordre de se concerter avec moi sur l'objet de cette
lettre, me fit ensuite des excuses sur ce qu'il était obligé de
sortir un instant, et sortit en effet, après avoir appelé un officier
pour me tenir compagnie.
A peine était-il sorti qu'un aide de camp du général Leclerc
entra accompagné d'un très grand nombre de grenadiers, qui
m'environnant, s'emparèrent de moi, me garrotèrent comme
un criminel et me conduisirent à bord de la frégate la Créole.
Je réclamai la parole du général Brunet et les promesses
qu'il m'avait faites, mais inutilement, je ne le revis plus,
il s'était probablement caché pour se soustraire aux reproches
bien mérités que je pouvais lui faire. J'ai même appris depuis
qu'il s'était rendu coupable des plus grandes vexations envers
ma famille, que sitôt après mon arrestation il avait ordonné
à un détachement de se porter sur l'habitation où je demeurais
avec une grande partie de ma famille pour la plus part femmes
et enfants ou cultivateurs, qu'il avait ordonné de faire feu
dessus, ce qui avait forcé ces malheureuses victimes de fuir
à demi-nues dans les bois, que tout avait été pillé et saccagé ;
que l'aide de camp du général Brunet même avait enlevé de
chez moi 110 portugaises qui m'appartenaient et 75 à une
de mes nièces, avec tout mon linge et celui de mes gens.
Ces horreurs commises dans ma demeure, le commandant
d Ennery se porta à la tête de cent hommes sur l'habitation où
LECLERC
22

— 338 —
était ma femme et mes nièces, les arrêta sans leur donner
même le temps de prendre du linge, ni aucun de leurs effets,
ni des miens qui étaient en leur pouvoir ; on les a conduits
comme des coupables à Gonaïve et de là, à bord de la frégate
la Guerrière.
Lorsque je fus arrêté, je n'avais d'autres vêtements que ceux
que je portais sur moi. J'écrivis en conséquence à mon épouse
pour la prier de m'envoyer les choses dont j'avais le plus
pressant besoin au Cap, où j'espérais qu'on allait me conduire.
Ce billet avait été remis à l'aide de camp du général Leclerc,
pour le prier de le faire passer, mais il n'est pas parvenu à
sa destination, et je n'ai rien reçu.
Dès que je fus à bord de la frégate la Créole on mit à la voile
et on me conduisit à 4 lieues du Cap, où se trouvait le vaisseau
le Héros, à bord duquel on me fit monter le lendemain. Mon
épouse et mes enfants, qui avaient été arrêtés avec elle, y
arrivèrent aussi. On mit de suite à la voile pour France. Après
une traversée de trente-deux jours dans laquelle j'ai essuyé
non seulement les plus grandes fatigues, mais même les désa-
gréments tels qu'il est impossible de se les imaginer à moins
que d'en avoir été témoins, ma femme même et mes enfants
ont éprouvé un traitement que leur sexe et leur rang auraient
dû leur rendre meilleur, et au lieu de nous faire débarquer
pour nous procurer du soulagement, on nous a encore gardés
à bord soixante-sept jours.
Après un pareil traitement, ne puis-je pas à juste titre
[demander] où sont les effets des promesses qui m'ont été
faites par le général Leclerc, sur sa parole d'honneur, ainsi
que de la protection du Gouvernement Français.
Si on n'avait plus besoin de mes services et qu'on ait voulu
me remplacer, n'aurait-on pas dû agir avec moi comme on a
agi dans tous les temps à l'égard des généraux blancs fran-
çais ? On les prévient avant que de se saisir de leur autorité,
on envoie une personne chargée par le Gouvernement de leur
intimer l'ordre de remettre le commandement à tel ou tel

— 339 —
que le Gouvernement indique, et dans le cas où ils refusent
d'obéir on prend alors de grandes mesures contre eux, et on
peut alors avec justice les traiter de rebelles et les embarquer
pour France.
J ai vu quelque fois même des officiers généraux criminels
pour avoir gravement manqué à leur devoir, mais en considé-
ration du caractère dont ils étaient revêtus, on les ménageait,
on les respectait jusqu'à ce qu'ils soient devant l'autorité
supérieure.
Le général Leclerc n'aurait-il pas dû m'envoyer chercher
et me prévenir lui-même qu'on lui avait fait des rapports
contre moi sur tel ou tel objet, vrai ou non ? N'aurait-il pas
dû me dire : « je vous avais donné ma parole, et promis la
protection du Gouvernement Français ; aujourd'hui puisque
vous vous êtes rendu coupable, je vais vous envoyer auprès
de ce gouvernement pour rendre compte de votre conduite » ;
ou bien : « le Gouvernement vous ordonne de vous rendre
auprès de lui, je vous transmets cet ordre » ? Mais point du
tout, il en a agi avec moi avec des moyens que l'on n'a jamais
même employés à l'égard des plus grands criminels. Sans doute,
je dois ce traitement à ma couleur, mais ma couleur m'a-t-elle
empêché de servir ma Patrie avec zèle et fidélité, la couleur
de mon corps nuit-elle à mon honneur et à mon courage ?
A supposer même que je fus criminel et qu'il y eut des
ordres du Gouvernement pour m'arrêter, était-il besoin d'em-
ployer cent carabiniers pour arracher ma femme et mes enfants
de leur propriété, sans respect et sans égard pour leur rang et
pour leur sexe, sans humanité et sans charité ? Fallait-il
faire feu sur mes habitations et sur ma famille et faire piller
et saccager toutes mes propriétés ? Non, mes enfants et ma
femme ne sont chargés d'aucune responsabilité, ils n'avaient
aucun compte à rendre au Gouvernement et on n'avait même
pas le droit de les faire arrêter.
Le général Leclerc doit être franc ; aurait-il craint d'avoir
un rival ? Je le compare d'après sa conduite au Sénat Romain
qui poursuit Annibal jusques dans sa retraite.
A l' arrivée de l'escadre dans la colonie, on a profité de mon

— 340 —
absence momentanée pour s'emparer d'une partie de ma cor-
respondance qui était au Port Républicain et de tout ce que
je possède dans cette partie. Une autre partie qui était égale-
ment dans une de mes habitations a également été saisie après
mon arrestation. Pourquoi ne m'a-t-on pas envoyé avec cette
correspondance auprès du Gouvernement pour rendre compte ?
On a donc saisi tous mes papiers, pour m'imputer des fautes
que je n'ai pas commis ; mais je n'ai rien à redouter, cette
correspondance seule suffit pour me justifier aux yeux du
Gouvernement équitable qui doit me juger.
M'arrêter arbitrairement et sans m'entendre ni me dire
pourquoi, s'emparer de tous mes avoirs, piller toute ma famille
en général, saisir mes papiers et les garder, m'embarquer et
m'envoyer nu comme ver de terre, répandre des calomnies
les plus atroces sur mon compte, et d'après cela, je suis envoyé
dans le fond des cachots, n'est-ce pas couper les jambes d'un
quelqu'un et lui dire : marchez ; n'est-ce pas couper sa langue
et lui dire : parlés 1 ; n'est-ce pas enterrer un homme vivant ?
Tout cela a été bien combiné à ma perte, pour m'anéantir
et me détruire. Parce que je suis noir et ignorant, je ne dois
pas compter au nombre des soldats de la République, ni avoir
du mérite, en conséquence point de justice, et si je n'ai pas
dans ce monde, j aurai dans l'autre. Je sais que mes ennemis,
cherchés et payés dans tous les dixpazons (?) de la colonie
pour trouver ou faire des mensonges sur moi ; mais l'homme
propose et Dieu dispose. Pendant que la France faisait la
guerre et combattait avec ses ennemis, ne pouvant pas venir
dans ses colonies nous porter du secours, j'ai tout fait pour
les lui conserver jusqu'à l'arrivée du général Leclerc, sans
forces, sans munitions, sans armes, sans aucun bâtiment de
guerre, sans argent et sans commerce ; mais j'ai employé
courage, sagesse et prudence. Secondé par mes camarades
d'armes, et par la permission de Dieu, j'ai réussi de mettre
1. Les mots : « N'est-ce pas couper sa langue et lui dire parles », ont
été ajoutés en marge par Toussaint Louverture lui-même. La fin du
paragraphe et le suivant jusqu'aux mots : Au sujet de la Constitution,
ne figurent pas dans le texte publié par M. Pauleus Sannon (op. cit.).

— 341 —
tout en état et bon ordre, j'ai fait fleurir ce pays confié à
mon commandement en esperant qu'à la paix le Gouverne-
ment aurait déclaré que l'armée de Saint-Domingue a bien
servi la Patrie et c était toute notre espérance.
Cette action nous aurait bien flatté, particulièrement moi
qui ai tout dirigé, mais, au contraire, le général Leclerc, en
arrivant, nous a envoyé les boulets de 36 et de 24, pour toute
récompense à un pays qui appartient à la France, qu'il a
trouvé tranquille et paisible. Il était dépend de lui, avec un
peu de sagesse, de franchise, de prendre le commandement
de cette colonie, et rendre compte au Gouvernement dans
quel état il a trouvé ce pays, et ce n'est pas la paix qui doit
faire la guerre, forcer un peuple soumis à son Gouvernement
de prendre les armes, forcer Français à se battre contre Fran-
çais et tromper ma bonne foi. Si le général Leclerc était vrai-
ment un militaire franc et loyal, il ne m'aurait pas traité de
cette manière, d'après que je lui ai remis le commandement.
S'il avait vu comment je me suis exposé plusieurs fois à la
prise des fortifications de l'Acul du Saut, mettre pied
à terre, passer à la tête des grenadiers avec les officiers de
ma suite, enlever le fort malgré la mitraille et les fusillades,
plusieurs de mes camarades ont été blessés et moi j'ai reçu
plusieurs blessures à la jambe, sans compter ceux qui ont
resté sur le carreau, et plusieurs autres affaires que je citerai
après ; si le général Leclerc était présent et essuyait comme
moi tant de misères et de peines pour chasser les ennemis de
la France, il n'aurait pas travaillé sourdement à ma perte,
il aurait peut-être connu la valeur d'un militaire qui a servi
sa patrie avec courage et fidélité, et si j'étais un officier blanc,
après avoir aussi servi comme j'ai servi, tous ces malheurs
ne m'auraient point arrivé.
Au sujet de la constitution pour laquelle on a voulu m'ac-
cuser, ma justification est bien facile.
Après avoir chassé les ennemis de la République hors de
la colonie, calmé toutes les factions et réuni tous les partis,
après avoir pris possession de Santo Domingo, voyant que
le Gouvernement n'envoyait ni lois ni arrêtés, sentant l'urgence

— 342 —
d'établir la police dans ce pays, pour la sûreté et la tranquilité
de chaque individu et pour le bien du Gouvernement, je fis
une invitation à toutes les communes de m'envoyer des députés
sages et éclairés pour former une assemblée centrale à l'effet
de leur confier le soin de ce travail. Cette assemblée formée,
je fis connaître à ses membres qu'ils avaient une tâche pénible
et honorable à remplir, qu'ils devaient faire des lois propres
au pays, avantageuses au Gouvernement et utiles aux intérêts
de tous, des lois bâties sur les mœurs et les caractères des
habitants de la colonie, et sur les localités du pays.
La constitution achevée devait être soumise à la sanction
du Gouvernement, qui seul avait le droit de l'adopter ou de la
rejeter. Aussi, dès que les bases de cette constitution furent
établies et les lois organiques rendues, je me suis empressé
d'envoyer le tout par un membre de l'assemblée au Gouver-
nement pour en obtenir la sanction. On ne peut donc pas
m'imputer à crime les erreurs ou les fautes que cette consti-
tution peut contenir.
Jusqu'à l'arrivée du général Leclerc je n'ai reçu aucune
nouvelle du Gouvernement sur cet objet ; pourquoi donc
aujourd'hui veut-on me faire un crime de ce qui ne peut en
être un ? pourquoi veut-on que la vérité soit un mensonge,
et que le mensonge devienne la vérité ? pourquoi veut-on
que les ténèbres soient la lumière, et la lumière soit les ténèbres ?
Dans une conversation que j'ai eu au Cap avec le général
Leclerc, il m'a dit qu'étant à Samana, à la tête de l'Ile, il
avait envoyé un espion pour voir si j'y étais, que cet espion
lui avait rapporté qu'effectivement j'étais dans cette ville ;
pourquoi donc n'est-il pas venu m'y trouver pour me trans-
mettre les ordres du Premier Consul, avant de commencer
les hostilités ? Il aurait vu l'empressement que j'aurais mis
à y souscrire. Au contraire, il a profité de mon séjour à Santo
Domingo pour se rendre au Cap, et envoyer des détachements
sur tous les points de la colonie, cela prouve qu'il n'avait pas
l'intention de me rien communiquer.
Si le général Leclerc est allé dans la colonie pour faire du
mal, on ne doit pas me l'imputer. Il est vrai qu'on ne doit

— 343 —
s en prendre qu' à un de nous deux ; mais pour peu qu'on
veuille me rendre justice, on verra que c'est lui qui est l'auteur
de tous les maux que l'Isle a essuyé, puisque, sans me prévenir,
il est entré dans la colonie qu'il a trouvée intacte, qu'il est
tombé sur les habitants qui travaillaient et sur tous ceux
qui ont contribué à la conservation de l'Isle, en versant leur
sang pour la mere patrie ; voilà précisément la source du
mal.
Si deux enfants se battent ensemble, leur père ou leur mère
ne doivent-ils pas les en empêcher, et s'informer lequel est
l'agresseur, et le punir ou les punir tous deux en cas qu'ils
eussent tort tous deux. De même le général Leclerc n'avait
pas le droit de me faire arrêter. Le Gouvernement seul pou-
vait nous faire arrêter tous deux, nous entendre et nous juger.
Cependant le général Leclerc jouit de la liberté et je suis dans
le fond d'un cachot.
Après avoir rendu compte de ma conduite depuis l'arrivée
de l'escadre à Saint Domingue, j'entrerai dans quelques détails
sur celle que j'ai tenu avant le débarquement.
Depuis que je suis entré au service de la République, je
n'ai jamais reçu un sol d'appointements. Le général Lavaux,
les agents du Gouvernement et toutes les personnes qui avaient
l'inspection sur la caisse publique peuvent me rendre cette
justice, personne n'a jamais été plus délicat ni plus désintéressé
que moi ; j'ai seulement reçu quelques fois le traitement de
table qui m'était accordé, encore très souvent ne l'ai-je pas
demandé. Si j'ai donné des ordres de prendre quelques sommes
à la caisse, c'était toujours pour le bien public ; l'ordonnateur
les faisait passer où le bien du service l'exigeait. J'ai connais-
sance qu'une seule fois seulement, étant soigné chez moi,
j ai emprunté six mille livres du citoyen Smith qui était
ordonnateur au département du Sud.
Voici en deux mots ma conduite et le résultat de mon admi-
nistration.
À l'évacuation des Anglais il n'y avait pas un sol au trésor
républicain, on était obligé de faire des emprunts pour payer
la troupe et les salariés de la République. A l'arrivée du général

— 344 —
Leclerc, il a trouvé 3 millions cinq cent mille livres en caisse.
Quand je rentrai au Caye après le départ du général Rigaud,
la caisse était vide. Le général Leclerc y a trouvé 3 millions,
il en a trouvé de même et à proportion dans toutes les autres
caisses particulières de l'isle.
D'après cela on peut voir que je n'ai pas servi ma Patrie
par intérêt, mais au contraire que je l'ai servi avec honneur,
fidélité, probité, dans l'espoir de recevoir un jour des témoi-
gnages flatteurs de la reconnaissance du Gouvernement.
Toutes les personnes qui m'ont connu me rendront justice.
J'ai été esclave, j'ose l'avouer, mais je n'ai jamais essuyé
même des reproches de la part de mes maîtres.
Je n'ai jamais rien négligé à Saint-Domingue pour le bonheur
de l'isle, j'ai pris sur mon repos pour y contribuer, je lui ai
tout sacrifié, je me faisais un devoir et un plaisir de contribuer
à la prospérité de cette belle colonie ; zèle, activité, courage,
j'ai tout employé.
L'isle avait été envahie par les ennemis de la République,
je n'avais alors qu'une quarantaine de mille hommes, armés
de piques ; je les ai tous renvoyés à, la culture, et ai organisé
quelques régiments d'après l'autorisation du général Lavaux.
La partie Espagnole s'était jointe aux Anglais pour faire
la guerre aux Français. Le général Dufourneau fut envoyé
pour attaquer Saint Michel avec de la troupe de ligne bien
disciplinée, il n'a pas pu le prendre. Le général Lavaux m'or-
donna d'attaquer cette place, je l'emportai. Il est à remarquer
que lors de l'attaque du général Dufourneau la place n'était
pas fortifiée et que lorsque je m'en suis emparé, elle était
fortifiée et flanquée de bastions dans tous les angles. J'ai
également pris Saint Raphaël et Hinche et en ai rendu compte
au général Lavaux ; les Anglais étaient retranchés au pont
l'Ester, je les en ai chassés. Ils étaient en possession de la
Petite Rivière, j'avais pour toutes munitions une caisse de
cartouches qui était tombée dans l'eau en allant à l'attaque.
Cela ne m'a pas rebuté, j'ai emporté cette place d'assaut
avant le jour avec mes dragons et ai fait toute la garnison
prisonnière que j'ai envoyé au général Lavaux. Avec une seule

— 345 —
pièce de canon et neuf que j'avais prises à la Petite Rivière,
j'ai attaqué et emporté d'assaut une fortification défendue
par sept pièces de canon dont je me suis emparé. Je me suis
également emparé sur les Espagnols des camps retranchés
Muiraux et de la Bonneverrette. J'ai livré et gagné aux Anglais
une fameuse bataille qui a duré depuis six heures du matin
jusqu'à la nuit. Cette bataille a été si sanglante que les chemins
étaient couverts de morts et qu'on voyait de toute part couler
des ruisseaux de sang. Je me suis emparé de tous les bagages
et munitions de l'ennemi, leur ai fait un grand nombre de
prisonniers et ai envoyé le tout au général Lavaux en lui
rendant compte de l'action. Tous les postes des Anglais sur
les hauteurs de Saint Marc ont été repoussés par moi, les for-
tifications en mur dans les montagnes de Fontbatiste et
d'Elise, le camp de Roïde dans la montagne de Mateux que
les Anglais regardaient comme imprenable, la citadelle de
Mirablois, appelé le Gibraltar de l'Ile, occupée par onze cents
hommes, le fameux camp de la Cue du Sot, la fortification
à trois étages en maçonnage du Trou d'eau, celle du camp de
Cécile et Bambin, en un mot toutes les fortifications que les
Anglais avaient dans cette partie n'ont pu me résister, non
plus que celle de Niebe, de Saint Jean, de la Magouane, de
la Matte, Banique et autres lieux occupés par les Espagnols,
tout a été remis par moi au pouvoir de la République. J'ai
couru les plus grands dangers, failli plusieurs fois d'être pri-
sonnier et versé mon sang pour la Patrie, j'ai reçu une balle
dans ma hanche droite que j'ai encore dans le corps ; j'ai
eu une contusion violente à la tête occasionnée par un boulet
qui m'a tellement ébranlé la mâchoire que la plus grande
partie de mes dents sont tombées et que le peu qui me reste
est encore très vacillant ; enfin j'ai reçu dans différentes occa-
sions dix-sept blessures dont il me reste encore des cicatrices
honorables.
Le général Lavaux a été témoin de plusieurs actions, il est
trop juste pour ne pas me rendre justice, et dire si j'ai jamais
hésité ma vie lorsqu'il s'agissait de procurer un bien-être
à mon pays et un triomphe à la République.

— 346 —
Si je voulais compter tous les services que j'ai rendus dans
tous les genres au Gouvernement, il me faudrait plusieurs
volumes et ne finirais jamais, et pour me récompenser de tous
ces services on m'arrête arbitrairement à Saint-Domingue
comme un criminel, on me garrote, on me conduit à bord
sans égard pour mon rang et pour ce que j'ai fait, sans aucun
ménagement. Est-ce là la récompense due à mes travaux ?
D'après ma conduite pouvais-je m'attendre à un pareil trai-
tement ? J'avais de la fortune depuis longtemps, la révolution
m'a trouvé avec environ six cent quarante-huit mille francs,
je les ai épuisés en servant ma Patrie. J'avais seulement acheté
une petite propriété pour y établir mon épouse et sa famille ;
aujourd'hui après une pareille conduite on cherche à me couvrir
d'opprobre et d'infamie et on me rend le plus malheureux
des hommes en me privant de la liberté et de ce que j'ai de
plus cher au monde : d'un père respectable âgé de cent cinq
ans qui a besoin de mes secours, d'une femme adorée qui ne
pourra sans doute pas supporter les maux dont elle sera acca-
blée loin de moi, et d'une famille chérie qui faisait le bonheur
de ma vie.
En arrivant en France j'ai écrit au Premier Consul et au
Ministre de la Marine pour leur rendre compte de ma position
et leur demander des secours pour moi et ma famille. Sans
doute ils ont senti la justice de ma demande, et ont ordonné
qu'on m'accordât ce que je demandais, mais au lieu d'exécuter
leurs ordres, on m'a envoyé de vieux haillons de soldats déjà
à moitié pourris et des souliers de même. Avais-je besoin que
l'on ajoute cette humiliation à mon malheur ?
En descendant de vaisseau on m'a fait monter en voiture.
J'espérais alors qu'on allait me traduire devant 'un tribunal
pour y rendre compte de ma conduite et y être jugé, mais au
lieu de cela on m'a conduit sans un instant de repos dans un
fort sur les frontières de la République, où l'on m'enferme
dans un affreux cachot. C'est du fond de ce cachot que j'ai
recours à la justice, à la magnanimité du Premier Consul ;
il est trop généreux et un trop bon général pour laisser un
ancien militaire couvert de blessures au service de la Patrie,

— 347 —
mourir dans un cachot sans lui donner même la satisfaction
de se justifier et de faire prononcer sur son sort.
Je demande donc d'être traduit devant un tribunal ou
conseil de guerre où on fera paraître aussi le général Leclerc,
et que l'on nous juge après nous avoir entendus l'un et l'autre ;
1 équité, la raison, les lois, tout m'assure qu'on ne peut me
refuser cette justice.
En traversant la France j'ai lu sur les papiers publics un
article qui me concerne.
On m'a accusé d'être un rebelle et un traître, et pour jus-
tifier cette accusation on dit avoir intercepté une lettre par
laquelle on engageait les cultivateurs de Saint-Domingue à
se soulever. Je n'ai jamais écrit de pareille lettre et mets au
défi qui que ce soit de la produire, de me citer à qui je l'ai
adressée et de me faire paraître cette personne. Au reste cette
calomnie tombe d'elle-même. Si j'avais eu l'intention de
reprendre les armes, les aurais-je déposées et aurais-je fait
mes soumissions ? Un homme raisonnable, encore moins un
militaire, ne peut pas supporter une pareille absurdité.
ADDITION AU PRÉSENT MÉMOIRE
Si le Gouvernement avait envoyé un homme plus sage,
il n'y aurait eu aucun mal, ni un seul coup de fusil tiré.
Pourquoi la peur a-t-elle occasionné tant d'injustice de la
part du général ? pourquoi a-t-il manqué à sa parole ? pour-
quoi à l'arrivée de la frégate la Guerrière qui conduisait mon
épouse ai-je vu plusieurs personnes qui avaient été arrêtées
avec elle ? Plusieurs de ces personnes n'avaient jamais tiré
un coup de fusil, c'étaient des innocents, des pères de famille
qu'on a arraché des bras de leurs femmes et de leurs enfants.
Ce sont autant de bras ôtés à la culture.
Toutes les personnes qui avaient versé leur sang pour conser-
ver la colonie à la France, les officiers de mon état-major,
mes secrétaires, n'ont jamais rien fait que par mon ordre ;
tous ont donc été arrêtés sans motif.

— 348 —
En me débarquant à Brest mes enfants ont été envoyés
à une destination à moi inconnue, et mon épouse dans une
autre que j'ignore. Que le Gouvernement me rende plus de
justice. Ma femme et mes enfants n'ont rien fait et n'ont aucun
compte à rendre, ils doivent donc être renvoyés chez eux pour
surveiller mes intérêts.
Le général Leclerc qui a occasionné tout le mal est libre
et moi je suis au fond d'un cachot sans pouvoir me justifier ;
le Gouvernement est trop juste pour me laisser ainsi les bras
liés et me laisser frapper par le général Leclerc sans m'en-
tendre.
En arrivant en France tout le monde m'a dit que le Gouver-
nement était juste. Ne dois-je pas participer à la justice et
à ses bienfaits ?
Le général Leclerc dit dans sa lettre au Ministre (que j'ai
vue sur les gazettes) que j'attends la maladie de ses troupes
pour lui faire la guerre et reprendre le commandement. C'est
un mensonge atroce et abominable, c'est une lâcheté de sa
part. Malgré que j'ai peu de connaissance et que je n'ai pas
d'éducation, j'ai assez de bon sens pour m'empêcher de lutter
contre la volonté du Gouvernement, je n'y ai jamais pensé.
Le Gouvernement Français est trop fort, trop puissant, pour
que le général Leclerc puisse se comparer avec moi qui suis
son subalterne. A la vérité, quand il a marché contre moi,
j'ai dit plusieurs fois que je n'attaquerais pas, que je me défen-
drais seulement jusqu'aux mois de juillet et d'aoust, que je
commencerais à mon tour. Mais depuis j'ai réfléchi sur les
malheurs de la colonie et sur la lettre du Premier Consul
et j'ai fait ma soumission. Je demande d'après cela les preuves
des choses dont le général Leclerc m'accuse. On verra les men-
songes et les calomnies qu'il a vomi contre moi, on verra que
le général Dessalines s'est soumis d'après mes ordres, tandis
que le général Leclerc a dit que je ne m'étais soumis que d'après
la soumission du général Dessalines.
Je le demande encore, je demande que le général Leclerc
et moi paraissions ensemble devant un tribunal et que le
Gouvernement ordonne que l'on m'apporte toutes mes pièces

— 349 —
de correspondance ; par ce moyen l'on verra mon innocence
et tout ce que j'ai fait pour la République, quoique je sais
que plusieurs pièces seront interceptées.
Premire Consul1, père de toute les militre, défenseur des
innosant, juige intègre, prononcé donc, sure un homme qui e plus
mal heure que couppable. Gairice mes plai illé tre profond, vous
seul pouvé porter les remède saluter et lanpéché de ne jamai
ouvrir, vous sète médecin, ma position et mes service mérite
toute votre atantion et je conte antierment sure votre justice
et votre balance.
Salut et respec
TOUSSAINT LOUVERTURE...
1. Cette invocation finale est de la main de Toussaint Louverture.
L'orthographe en a été respectée, ainsi que celle des noms de personnes
et de lieux cités dans le Mémoire.


INDEX DES NOMS PROPRES
Il a paru inutile de faire figurer dans cet index les noms des lieux
d'où étaient datées les lettres du général Leclerc, et les noms de Leclerc
lui-meme, de la France, ou de Saint-Domingue, qui se retrouvent
presque à chaque page. — Certains noms de personnes ou de lieux se
trouvent dans les lettres avec des orthographes différentes ; ces diverses

formes sont indiquées dans l' index à côté de la forme la plus générale-
ment adoptée.
Aboukir, 132.
Alpes, 268.
ACIER, chef d'escadron, 68, 69,
Amérique, 187, 263, 264, 273,
282.
301.
Acquin, 255.
ANDRIEUX,
adjudant-comman-
Acul du Saut (l'), 341, 345.
dant, 110, 193.
Acul (l'), 70, 71, 72, 81,131, 140,
Angleterre, 56, 82, 127, 129, 149,
254, 266, 314.
260, 273, 283, 307.
ADAMS, 19.
ANNIBAL, 339.
Africain (l'), vaisseau, 250.
Annibal (l'), vaisseau, 199, 201,
Agen, 17.
205, 217, 225, 232, 241.
AGOBERT, commissaire des guer-
Anse (fort de l'), 68.
res, 213.
Antilles, 82, 110, 124, 128, 148,
Aigle (l'), vaisseau, 178, 185,
193, 292.
187.
Arcahaye (1'), 230, 255, 329, 330.
Aiguille (l'), cutter, 71.
Argonaute (l'), vaisseau, 170.
ALBERT, 276.
Argus (l'), vaisseau, 217, 225,
Alcyon (l'), brick, 291.
232.
Alexandre (l'), vaisseau, 250.
ARNOUD, 37.
Alexandrine (l'), vaisseau, 225-
Artibonite (l'), 80, 86, 102, 117,
232, 241.
124, 230, 255, 319.
ALLARD,
capitaine,
68, 165,
Asie, 306.
282.
AUBET, lieutenant de vaisseau,
Allemagne, 306.
71, 83, 282.
ALLIER, secrétaire de Toussaint,
AURE (d'), voir DAURE.
92.
Axavon (l'), 86.

— 352 —
Bâle, 78.
BONAPARTE (Pauline), femme du
Bambin, 345.
général Leclerc, 14, 25, 26,
Banique, 94, 312, 345.
36, 37, 58, 59, 116, 148, 181,
BARBÉ-MARBOIS, 37.
190, 259, 299, 303.
Bayonne, 17, 60.
Bonnettes, 314.
Bayonnaie (l'habitation), 105,
Bonneverrette, 345.
320.
Bordeaux, 60, 132, 274.
Beauharnais (l'habitation), 255.
BORGELLA, 194.
BEDOUT (Michel), 277.
Borgne (le), 197, 201, 220, 230,
BELAIR (Charles), général, 217,
255.
227, 229, 231, 329, 330.
Bonnettes, 224.
Belair (fort), 61.
Boucan, 140.
Bel Argent, cheval de Toussaint,
Boucassin, 255.
326.
BOUDET, général,
15, 16, 48,
Beley (fort), 313.
67, 86, 88, 89, 94, 102, 104,
Belle-Ile, 66.
105, 107, 109, 112, 117, 118,
BELLECOUR (Michel), chef d'es-
128, 129, 130, 147, 149, 152,
cadron, 110.
234, 243, 245, 246, 251, 253,
BÊLIARD, général, 164, 190, 204,
263, 280, 289, 299, 319, 326,
235.
327.
BENÉZECH, préfet colonial, 28,
Bouque (fort de la), 67.
52, 115, 164, 167, 168, 170,
BOUTAN (Pierre-Bernard), 278.
172, 174, 179, 180, 184, 185,
BOUVET, général, contre-amiral,
222.
239, 249, 289.
BENEZECH (MME), 185.
BOUVIER, 276.
BERNADOTTE, général, 48, 51, 52.
BOYER, général, 37, 89, 206.
BERNARD (Joseph), 276.
Breda (habitation), 314.
BERTRAND,
général, 92, 163,
Brest, 17, 34, 48, 54, 55, 56, 57,
168, 181, 179.
60, 65, 66, 119, 124, 130, 139,
BESSE (Martial), général, 197.
156, 158, 160, 174, 176, 184,
Beydurette, 322.
194, 199, 203, 222, 225, 226,
BIZOUARD, 161, 197.
232, 239, 241, 249, 264, 271,
Bois de l'Anse (le), 103.
277, 280, 283, 288, 289, 292,
BONAPARTE (Napoléon), Premier
293, 295, 348.
Consul, 8, 15, 17, 19, 20, 22,
Bretagne, 300.
24, 25, 28, 32, 33, 34, 35, 37,
BREUILLY (Isidore), 50.
39, 41, 42, 116, 192, 204, 240,
BRUIX, amiral, 101, 259.
243, 253, 274, 281, 282, 283,
BRUNET, général, 36, 68, 110,
288, 289, 290, 294, 295, 296,
166, 169, 171, 223, 224, 230,
297, 298, 299, 300, 309, 317,
282, 297, 332, 333, 334, 335,
320, 323, 326, 327, 346, 348,
336, 337.
349.
BRUYÈRE (OU BRUGÈRE OU BRU-
BONAPARTE (Louis), 10.
GUIÈRE),
chef
d'escadron,
BONAPARTE (Jérôme), 116.
aide de camp du général Le-

— 353 —
clerc, 108, 148, 253, 254, 258,
Cérès (la), frégate, 225, 232, 241,
260, 280, 299, 305.
298.
BUFFON, 148.
CHANSY, 280, 326, 327.
Bunel, 81, 91.
CHARLES X, 17.
BUSSON, 279.
CHRISTOPHE, général, 25, 26, 65,
69, 71, 73, 85, 92, 99,103, 105,
106, 115, 140, 161, 162, 168,
Cadix, 25, 59, 79, 82, 84, 88, 90,
180, 202, 207, 217, 224, 230,
91, 113, 264.
246, 270, 297, 312, 313, 314,
CAFFARELLI, général, 39, 52, 58,
315, 316, 320, 327, 328.
259.
Cibao, 90, 99.
Cahos (les), 112, 117, 131, 321,
Cisalpin (le), vaisseau, 111.
322, 323.
CLAIRVAUX (ou CLERVAUX), gé-
Camp le Sec, 140.
néral, 90, 91, 94, 99, 111, 115.
Camp Marchand, 326.
180, 231, 270, 297, 325.
Canaries, 260.
CLAPARÈDE, adjudant, 258.
Cap Finistère (le), 66, 100.
CLAUSEL, général, 258.
Cap Français (le), 11, 16, 25,
CLÉMENT, général, 50, 53, 59,
26, 28, 32, 33, 56, 65, 67, 70,
154, 163.
71, 72, 74, 79, 81, 82, 84, 87,
Cocarde (la), frégate, 227, 253.
98, 101, 114, 121, 122, 125,
COISNON, 52, 318.
127, 128, 129, 130, 132, 133,
CoLBERT, 7.
136, 137, 139, 146, 152, 153,
COLLET, 194.
166, 168, 187, 188, 191, 193,
Comète (la), frégate, 222.
195, 205, 211, 212, 216, 225,
Conquérant (le), vaisseau, 183,
227, 229, 235, 240, 246, 251,
194, 199, 202, 217, 225, 232,
253, 254, 255, 256, 264, 265,
241.
266, 267, 269, 270, 271, 279,
CORNELET (Charles), 129.
283, 290, 311, 312, 313, 318,
Cornélie (la), frégate, 81.
319, 325, 328, 332, 334, 338,
Corse, 162, 216, 242, 271, 293.
342.
CORVISART, médecin, 278.
Cap Vert (îles du), 260.
COUPÉ, aide de camp, 312, 315,
Caracole, 76-148.
324, 328.
Cardinaux (les), 140.
Coupe à l'Inde (la), 104, 112,
CARNOT, général, 73.
326.
Carthagène, 252, 300.
Coupe à Pintade (la), 106, 334.
COURIOTTE, 321.
CATOIRE, chef de brigade, 73,
CRAVEY, adjudant-commandant,
138,144,154,163.
172.
CAVALIER, 276.
Créole (la), frégate, 244, 337,
Cayenne, 170, 171, 239.
338.
Cayes, 264, 267, 268, 279, 344.
Crète à Pierrot (la), 114, 116,
CAZANOVE, 13, 27.
117, 144, 321, 325, 326.
Cécile (camp), 345.
Croix (la), 320, 321.
23

— 354 —
Croix des Bouquets (la), 89, 104,
DESPLANQUES,
général,
110,
268.
213.
CROUZAT,
adjudant - comman-
DESSALINES,
général, 26, 33,
dant, 213.
104, 105, 115, 117, 133, 161,
Cul de Sac (le), 89, 230, 255, 325,
162, 168, 169, 180, 202, 207,
Cumana, 252.
217, 223, 224, 230, 245, 246,
Curieux (le), brick, 130, 277,
256, 268, 270, 271, 297, 312,
283, 288.
313, 321, 322, 323, 324, 326,
329, 330, 348.
DESUME, 198.
DAMPIERRE, adjudant-comman-
Diamant (le), 113.
dant, 168, 172.
Diligente (la), corvette,
254
Danaè (la), frégate, 96, 109, 284.
258, 283.
DARBOIS, adjudant-commandant
Dominique (la), 289.
105, 110.
Dondon (le), 23, 70, 80, 88, 89,
DARGAIGNON, 40.
94, 101, 103, 124, 131, 140,
DAURE, ou AURE (d'), préfet
193, 218, 224, 227, 229, 299,
colonial, 18, 172, 208, 245,
320, 322, 326, 330.
248, 300.
DOYEN, général, 294.
DAVOUST, général, 248.
Dromadaires (régiment des), 175.
DEBELLE, général, 92, 101, 103
DROUILLARD, 278.
107, 173, 177.
Ducis, 245, 298.
DECRÈS, amiral, ministre de la
DUGUA, général, 208, 234, 235,
Marine et des Colonies, 36,
263.
65, 96, 111, 249, 275, 299.
DUMANOIR, 259.
DUMESNIL (Jean-Pierre), 103.
DÉNOÉ, 278.
DUPIN (Jean-Philippe), 316.
DENNERY, voir ENNERY (d').
Dupont de Nemours (maison de
Déricourt, 314, 315.
commerce), 97.
Desaix (le), vaisseau, 131, 140,
Duquesne (le), vaisseau, 109,
142.
113, 114.
DESBUREAUX, général, 227, 234.
DESCOURTILZ,
naturaliste, 10.
Egypte, 90, 93, 168, 172, 306.
DESFOURNEAUX,
général,
47,
Egyptienne (l'), frégate, 241.
71, 72, 79, 88, 95, 101, 103,
Elbe (île d'), 306.
105, 106, 107, 108, 110, 114,
Elise (montagne d'), 345.
116, 150, 152, 162, 164, 181,
EMERIAU, contre-amiral, 300.
183, 213, 214, 215, 216, 344.
ENNERY (D') OU DENNERY, 101,
DESGENETTES, 173.
103, 105, 106, 171, 317, 320,
DESPEROUX, commissaire de jus-
322, 330, 331, 332, 333, 334,
tice, 24, 28,154,164,166,167,
335, 336, 337.
170, 172, 179, 180, 181, 183,
ENOIX, 129.
279.
Erbourg (chemin d'), 320.
DESPEROUX (M
Espagne,
ME),
185.
135, 273.

— 355 —
Ester (l'), 106, 107.
Goave (le grand et le petit), 255.
Ester (pont d'), 320, 321, 344.
Goéland (le), brick, 283.
Etats-Unis, 52, 57, 81, 82, 96,
Gonave (île de la), 147, 267.
112, 125, 139, 140, 143, 177,
Gonaïves, 80, 88, 95, 101, 104,
264, 290, 292.
106, 107, 112, 124, 230, 264,
ETIENNE, 278.
266, 267, 268, 312, 319, 320,
Europe, 126, 137, 146, 181, 217,
321, 322, 323, 324, 330, 334,
251, 264, 272, 284, 293, 306,
336, 338.
307, 313.
Gonin (le), 315.
Gothembourg, 277.
FAUDOAS, 278.
GOUGEOT, chef de bataillon, 110.
FÉLIX, 270.
Grands Bois (les), 105, 117.
FERRARI, chef d'escadron, aide de
Grand Boucan (le), 103, 313.
camp du général Leclerc, 169.
Grand Cahos, 323.
FERRAND-MONTMARTIN, 276.
GRANDET, chef de brigade, 110.
Fidèle (la), frégate, 109, 111.
Grand Font, 322.
Flessingue, 25, 48, 59, 79, 82,
GRANDVILLE, 318.
84, 90, 112, 264, 265.
Grande Rivière (la), 70, 80, 88,
FONTAINE,
adjudant
général,
94, 124, 131, 140, 141, 193,
169, 315, 328.
218, 224, 227, 229.
Fontbatiste (montagnes), 345.
Grange (la), 67.
Formidable (le), vaisseau, 199,
GRANIER, 92.
201, 205, 216, 217, 240, 241.
GRAVET, adjudant commandant,
Fort Liberté (Fort Dauphin), 61,
168.
67, 68, 69, 70, 89, 95,103, 110,
GRAVINA (amiral), 57, 73, 83,
220, 264, 266, 267, 314, 315.
90, 91, 93, 100, 126.
Fort Dauphin, 264, 266, 267.
Gros Morne, 86, 88, 101, 106,
FOURNIER, chef de batalilon, 193.
111, 197, 201, 206, 230, 320,
FRASAU (Hyppolite), 129.
323.
Fraternité (la), frégate, 200.
Guadeloupe (la), 33, 34, 35, 53,
FRÉDÉRIC II, 35.
66, 84, 124, 127, 128, 129,
FRESSINET, général, 18, 329.
130, 149, 156, 164, 200, 202,
Fréron, 197.
216, 229, 235, 238, 239, 243,
Furieuse (la), frégate, 297, 301.
247, 250, 251, 252, 256, 260,
GALBARD,
chef de demi-bri-
264, 269, 289, 301, 306.
gade, 322.
Guerrière (la), frégate, 338, 347.
GANTHEAUME, contre-amiral, 93,
Guyane, 271.
148, 259, 282.
GASSENDI, général, 92.
Haïti, 17.
GAUDIN, 198.
HARDY, général,
18,
48,
49,
GAULARD, 324.
71, 72, 79, 88, 94, 103, 105,
Gazette de Saint-Domingue, 297.
106, 107, 110, 112, 117, 152,
Gênes, 207, 217, 225, 232, 241,
153, 154, 162, 177, 326, 327.
298.
HARDY (fils du général), 294.
23.

— 356 —
Haut-du Cap (le), 72, 140, 224,
KERINGALE, capitaine, 113.
254, 314.
KERVERSAU, général, 18, 24, 25,
HÉDOUVILLE, général, 21.
47, 67, 79, 90, 216, 265, 316,
Héricourt (habitation), 328, 329.
317.
Héritout, 224.
Héros (le), vaisseau, 17, 28, 293,
Labbé, 224.
338.
LABERTINAYE, 76.
Heureux-Espoir (l'), navire, 250.
Laboue (fort), 314.
Hinche, 94, 102, 312, 313, 323,
LA CHÂTRE, aide de camp du
344.
général Rochambeau, 68, 110.
HUGUES (Victor), 235.
LACROSSE, capitaine général de la
HUMBERT (général), 87, 94, 104,
Guadeloupe, 53, 127,' 128, 129,
116, 194, 258.
149, 250, 252, 260.
LACROIX (Pamphile de), adju-
dant-commandant, 8, 14, 16,
IDLINGER, 9.
19, 33, 41, 43, 86,110.
Indienne (l'), frégate, 88, 91,
LAFORTUNE, 335.
200, 282.
La Havane, 56, 73, 82, 85, 90,
Infatigable (l' ), frégate, 200,
91, 92,122,126, 138,146,165,
213, 253.
172, 183, 185, 189, 257, 269,
Intrépide (l' ), vaisseau, 217, 225,
290, 292.
232, 241.
LALLEMAND, capitaine, 187.
Italie, 25,198, 240.
LAMAILLERIE, capitaine, 83.
IZARD, adjudant-commandant,
Lamour Durance, 325.
154,163.
LANGLET, chef de brigade, 153.
LAPLUME, général, 90, 105, 111,
JEFFERSON, 269.
231, 297.
Jérémie, 201, 255, 264, 267, 268,
LARIVIÈRE (Zabo), 13.
278.
LA ROCHE
BLIN,
sous-inspec-
Jeune-Edouard fie), vaisseau,
teur, 49, 227.
242.
LA TOUCHE, contre-amiral, 48,
Journal français (le), 215.
66, 67,112,115,128, 240, 249,
Joux (fort de), 39, 40.
264, 265, 266, 267, 291.
Junon (la), frégate, 203.
LATTRE (Ph. Albert de), 10.
Jura, 39.
Laujon, 10.
JABLONOWSKI, général, 253,
LAUSSAT (Antoine), 278,300,301.
254.
LAVAUX, général, 344, 345.
Jacmel, 105, 178, 255, 256.
LAVALETTE, adjudant-comman-
Jacquesi (quartier de), 76.
dant, 110.
Jamaïque (la), 82, 85, 126, 215,
LEBORGNE DE BOIGNE, 12.
257, 269.
LEBRUN, 69.
JASMAIN, 270.
LECLERC (Dermide), 25.
JAUMES, chef de brigade, 193.
LECLERC
(Mme), voir BONA-
Jean Rabel, 206, 325.
PARTE (Pauline).

— 357 —
LECUN, missionnaire, 115.
288, 291, 293, 294, 311, 312,
LEDOYEN,
général, 153, 154,
336.
163.
LOUVERTURE (Isaac), 16, 316,
LEFEVRE, chef de brigade, 193,
332, 333.
195.
LOUVERTURE (Paul), général, 86,
Le Havre, 25, 59, 79, 82, 84, 90,
231, 316, 317.
112, 202, 225, 232, 264.
LOUVERTURE (Placide), 17, 332.
LEMAITRE, chef de brigade d'ar-
Louverture (Saint-Jean), 17.
tillerie, 195.
LOUVERTURE (Mme Toussaint),
Lenoir, transport, 199.
335.
Léogane, 105, 255, 267, 324.
LUDOT, 278, 279.
LEQUOI-MONGIRAUD, préfet co-
Lustien, 335.
lonial, 24, 32, 91, 93, 115,179,
181, 184, 188, 208, 236, 244,
MACORS, général, 47.
248, 276, 298.
Madère, 260.
LÉVEILLÉ, 336.
MAGNY, chef de brigade, 321,
Libre (la), frégate, 301.
322.
Limbé (quartier du), 70, 71,
MAGON, contre-amiral, 65, 66,
103,131, 140, 201, 230, 255.
68, 81, 140, 162, 164, 165, 168,
Limonade (quartier de), 76.
278, 282, 290, 293.
Magouane, 312, 345.
LINOIS, contre-amiral, 93, 282.
Lisbonne, 257.
Mahon, 306.
MALENFANT, colonel, 12.
LIVINGSTONE, 290.
Livourne, 225, 232, 241.
Malte, 306.
Lody (le), vaisseau, 225, 232.
MANGIN, chef de brigade, 198.
Manquets (plantation), 279.
LONCHAMP, 161.
Londres, 257.
Mare à la Roche, 103.
Lorient, 25, 59, 264.
MARET, secrétaire d'Etat,
66,
Los Cahosbas, 112.
280, 309.
Louisiane, 140, 143, 280, 300,
Margot (quartier de), 70.
301.
Marie-Galante, 127.
LOUVERTURE (Toussaint), géné-
Marmelade (la), 88, 101, 103,
ral, 8, 14, 15, 22, 24, 25, 26,
124, 131, 193, 218, 224, 227,
28, 34, 35, 36, 39, 40, 41, 42,
229, 237, 255, 320, 322, 323,
50, 65, 66, 73, 78, 79, 80, 85,
326, 330.
86, 89, 90, 93, 96, 97, 99, 100,
Martinique, 127, 159, 162, 183,
101, 104, 105, 106, 110, 113,
247, 250, 252, 264, 277, 279,
114, 116, 123, 124, 129, 133,
301, 306.
135, 139, 147, 159, 160, 166,
MATHIEU, 76.
167, 168, 169, 170, 180, 181,
Matte (la), 345.
192, 193, 201, 215, 217, 220,
Mateux (montagne), 345.
228, 231, 240, 242, 265, 266,
Matteux, 255.
267, 268, 269, 270, 271, 272,
MAUBERT, chef de brigade du
273, 274, 277, 279, 280, 281,
génie, 193.

— 358 —
MAUREPAS,
MOREPAS
OU MOR-
Moustique (le), 201, 206, 218,
PAS, général, 26, 86, 104, 107,
299, 325.
111, 115, 180, 207, 217, 230,
Muiraux, 345.
238, 246, 256, 270, 297, 316,
Muiron (la), frégate, 162, 170,
323, 325.
293.
MAUVIELLE OU MAUVIEL, 90, 114,
123, 125, 293.
Nantes, 25, 59, 202, 264, 278.
Méditerranée, 213, 271.
Naples, 298.
NATAN (secrétaire), 328.
MEGY (Antoine-François), 276.
Melonnières, 67.
Nécessité (la), flûte, 139.
M
Neibe, 345.
ENY, 115, 161.
NEMOURS, 19, 22.
MÉTRAL (Antoine), 17, 19.
Mexico, 283.
NÉRON, commandant, 336.
NEY, général de brigade, 227.
MEYER, général, 253, 254.
NOÉ (P.-L.), 279.
MEYNE, 213.
Meyne (division), 282.
Normandie, 299.
NORVINS, 9, 13, 14, 16, 18, 41.
MICHEL (Etienne), 279.
Noire (mer),
Milan, 25.
306.
M
Nourrice (la), flûte, 199, 217,
IOT, 162, 170
Mirebalais (quartier du), 88, 89,
229, 241, 253, 298.
Nugent,
94, 102, 104, 112, 113, 117,
224.
255, 345.
Océan (l'), vaisseau,
Mohawk (le), bateau, 225, 232,
25, 91, 93.
Oco (montagnes), 230.
241.
Oléron, 46.
MOÏSE, 92, 268, 280, 271.
Ornano, 229, 246, 253, 280, 299.
Môle (Le) port, 73, 85, 132, 214,
Ouanaminthe, 69.
220, 264, 265, 268, 313, 319.
Ouest (presqu'île), 123.
Môle Saint-Nicolas, 324.
MONGIRAUD, voir LEQUOI-MON-
PAMBOUR, chef de brigade, 92,
GIRAUD.
186.
MONGLAS (Charles), 277.
Papaye, 312.
MONGROLLE (Charles-François),
Paris, 122, 222, 273, 275, 299,
153.
305, 317.
Moniteur (journal), 214.
PASCAL (secrétaire), 92.
MONNARD (général), 49.
PELAGE, 129.
Montagne Noire, 105.
Pélage (le), vaisseau, 183, 193,
Montblanc (le) vaisseau, 170.
199, 200, 202, 217, 225, 232,
Montechrist, 67.
241.
MOREAU DE JONNES (A.), 11.
PERRIN, adjudant-commandant,
Morne à Boispin, 103.
154, 330.
Morne aux Anglais, 71, 72.
PESQUIDOUX, commandant, 336.
Morne du Cap, 254.
PETION, 225.
Mornets, 103, 138.
Petite Anse, 72, 327.

— 359 —
Petite Rivière, 104, 106, 112,
Prytanée, 153, 163, 177, 181,
321, 322, 344, 345.
186.
PEYRE, 36, 37, 180, 245, 276,
Puorto-Plata, 264, 268.
298.
PUSSIGNEUX, 277.
Philadelphie, 97.
Pibeurot (carrefour de), 336.
QUENTIN-BEAUVERT, chef de bri-
PICARD, caporal, 68.
P
gade, 73, 227, 234.
ICHON, 52, 125, 139, 146, 158,
159, 164, 190, 223.
Picolet (le fort), 25, 61, 69, 265,
RAMEL, général, 18.
266.
RAPATEL, capitaine, 282.
Piémont, 306.
Ravine à Couleuvre, 106, 320.
Plaine du Nord, 70, 72, 124.
RAYMOND, 270.
Plaisance, 88, 89, 94, 95, 101,
REGNIER, général, 204, 235.
103, 108, 124, 197, 201, 202,
REIGNIER, général, 164.
220, 229, 251, 266, 268, 322,
RÉNAUX, commissaire, 176.
330, 333, 334, 335, 336.
Rennes, 115, 125, 167.
Plombières, 306.
Républicain (le) vaisseau, 225,
POLINIER, chef de bataillon, 74.
232, 241.
Pontoise, 25.
Revanche (la), vaisseau, 200.
Port-Français, 70.
Port-Margot, 26, 70, 71, 201,
REY, chef de brigade, 110.
Rhin, 25.
220.
RICARD, caporal, 166, 282.
Port de Paix, 73, 79, 80, 86, 87,
RICHELIEU, 7.
88, 94, 95, 101, 104, 106, 112,
RICHEPANSE,
33, 34, 35, 127,
116, 196, 197, 201, 218, 220,
146, 147, 149, 164, 200, 202,
230, 255, 264, 266, 268, 299,
313, 316, 323, 325, 326.
203, 206, 208, 216, 239, 243,
247, 249, 250, 251, 289.
Port au Prince (ou Port Répu-
blicain), 10, 16, 37, 61, 67,
Rivière Salée, 71, 72.
73, 79, 80, 84, 86, 89, 102,
RIGAUD, général, 344.
104, 108, 112, 117, 119, 135,
ROBERT, 144.
138, 148, 230, 256, 264, 265,
ROCHAMBEAU, général,
9, 67,
266, 267, 268, 270, 282, 313,
68, 69, 70, 72, 79, 88, 94,
316, 322, 324, 335, 340.
95, 103, 106, 107, 110, 112,
Porto-Cabello, 252.
148, 152, 164, 234, 235, 255,
Porto-Ferrajo, 306.
258, 263, 281, 315, 320, 321,
Portugal, 25, 115, 144.
323.
POURCELY, 322.
Rochefort, 25, 49, 54, 55, 59,
POYEN, 19.
225, 231, 232, 241, 264, 297.
Précieuse (la), bâtiment, 170.
Roïde (camp), 345.
PRÉVOST-DUROIZOIR, 279.
ROMAIN, 270.
Provence (brigands de la), 225,
Rondinelle (la), frégate, 225, 232,
232.
241, 243, 253.

— 360 —
ROUME, 21.
SOULT, général, 235.
ROUSSEAU, sénateur, 278.
SUIN, 115, 125.
Royal Sabal, 316.
Swistsure (le), vaisseau, 282.
Sybille (la), frégate, 298.
Saden de Marseille (maison de
Sybille-Antoinette [ta), flûte,252,
commerce), 97.
260.
SALM, général, 105, 106, 110,173.
Tabago, 306.
Sainte-Suzanne,
70, 103, 140,
TALLEYRAND-PÉRIGORD, 277.
209.
Tannerie (la), 103.
Saint-Jacques (porte), 313.
TÉLÉMAQUE, 65-72, 283.
Saint-Jean, 345.
Terre-Neuve, 200.
Saint-Louis (port de), 197, 201,
Terreur (la), cutter, 139, 146.
230, 255, 267.
Texel (le), 260, 301.
Saint-Marc, 87, 105, 107, 264,
TIROL, 279.
267, 268, 312, 313, 316, 319,
THOLOZÉ (chef de brigade), 184,
321, 329, 345.
144, 163, 186, 191, 193.
Saint-Michel, 101, 103, 312, 313,
TOPSENT, 301.
320, 322, 330, 331, 344.
Tortue (île de la), 165, 196, 197,
Saint-Raphaël, 88, 89, 94, 101,
265, 272, 299.
103, 104, 313, 320, 322, 330,
Toulon, 25, 79, 82, 84, 113, 114,
344.
156, 170, 207, 225, 232, 240,
Saint-Thomas, 215.
241, 244, 264, 279, 297, 298,
Saint-Siège (le), 115.
300.
San-Génaro, 290.
TOURNÉ, 163.
SANGROS, capitaine, 69.
Tourville (le), vaisseau, 115, 125,
SANNON (Pauléus), 19, 22, 41.
200, 202, 282.
SANSON, général, 92.
TOUSSAINT, voir LOUVERTURE.
SANTHONAX, 21.
TRABUC, 276..
SAMANA (baie de), 25, 38, 66, 86,
Trianon, 117.
342.
Trois Rivières, 104.
Santo-Domingo, 73, 79, 80, 84,
Trou (le), 103, 224.
86, 90, 94, 125, 184, 208, 248,
Trou d'Eau, 345.
264, 265, 268, 282, 293, 312,
Turc (le), 306.
316, 317, 341.
Saint-Yago, 94, 268.
Uranie (l'), frégate, 70.
SARDIN, 144, 154.
Union (l'), vaisseau, 185, 194,
SARLAT, lieutenant,
68,
165,
225, 232, 250.
282.
SAVERY, 276.
Vaches, (l'île des), 267.
Sénat romain (le), 339.
VALETTE,
adjudant comman-
SÉRIZIAT, général, 127.
dant, 195.
Siam, 154.
Valière ou Vallières, 103, 201,
Sirène (la), frégate, 66, 83, 282.
230, 237.
SMITH, 343.
VATRIN (fils), 294.

— 361 —
Vautour (le), lougre, 205, 225,
142, 143, 146, 148, 159, 160,
232.
162, 247, 250, 263, 264, 277,
Vera-Cruz, 132, 185, 190, 238,
283, 288, 297.
257.
VILLAUME, 51.
VERNET, général, 231, 256, 317,
VINCENT, colonel,
18, 24, 45,
321.
281.
Vertu (la), frégate, 81, 157.
VIARD, 194.
WANTE, 11.
VICTOR, général, 301.
WATRIN, 37, 96, 234.
Vigilant (le), vaisseau, 217, 225,
WITTON, capitaine, 327.
232.
WONDERWEIL, général, 213.
VILLARET-JOYEUSE,
Amiral,
25, 50, 57, 66, 68, 69, 71, 73,
Zélé (le), vaisseau, 119, 125, 200,
83, 84, 97, 100, 112, 131, 139,
202, 282.


TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
7
LETTRES DU GÉNÉRAL LECLERC.
An X. — Mois de Brumaire
47
»
Frimaire
50
»
Pluviôse
61
»
Ventôse
102
»
Germinal
116
»
Floréal
130
»
Prairial
153
»
Messidor
175
»
Thermidor
195
»
Fructidor
214
An XI. — Mois de Vendémiaire
239
APPENDICES.
I- — Notes pour servir aux instructions à donner au général
Leclerc
263
II. — Lettres du ministre de la Marine
275
III-
Lettre du Premier Consul au général Leclerc
305
IV.
Lettre du Premier Consul au citoyen Toussaint-
Louverture, général en chef de l'armée de Saint-
Domingue
307
V. — Mémoire pour le général Toussaint Louverture
311
INDEX DES NOMS PROPRES
351
ABBEVILLE. — IMPRIMERIE F. PAII.LART.
14-5-37.










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