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HISTOIRE COLONIALE
LES CARAÏBES
LA GUADELOUPE
1635-1656
Histoire des vingt premières années
de la Colonisation de la Guadeloupe
d'après les Relations du R. P. BRETON
publiées par
l'Abbé JOSEPH RENNARD
CURÉ au FRANÇOIS
(Martinique)
PARIS
LIBRAIRIE GENERALE ET INTERNATIONAL
G. FICKER
ET 6, RUE DE SAVOIE
1929
(Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays)
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NOTICE
SUR
LE
P. RAYMOND BRETON
Le P. Raymond Breton naquit à Vitteaux, chef-lieu
de canton du département de la Côte d'Or ; il fut baptisé
le 3 septembre 1609 (1) sous le nom de Guillaume (2).
Ses parents étaient bouchers et jouissaient d'une cer-
taine considération.
Entré en 1625, à l'âge de seize ans, au couvent des
Dominicains de Beaune, il est ordonné prêtre six ans
plus tard à Avignon. Nous le retrouvons ensuite à Paris,
au couvent de la rue Sainte-Jacques où il suit des cours
de théologie. Ses études terminées, il passe en 1634 au
noviciat général du Faubourg Saint-Germain (3) et s'y
(1) « Le troisième jour du mois de septembre mil six cent et
neuf sur les fonts de baptême de la parrochiale de Viteaux à
deux heures après-midi a été baptisé Guillaume, fils de Barnabé
Breton, boucher.
Ses fidéjusseurs Guillaume Benoît Chevrier
laboureur à Vesvres et honnête femme dame Jeanne Leprince
femme de maître Claude Chantirainne, marchand au dit Viteaulx
laquelle s'est soussignée avec moi administrateur.
Signé : « Morot, notaire apostolique
Jeanne Leprince. »
Bulletin d'Histoire et d'Archéologie du diocèse de Dijon, 1895,
!>• 133-
(2)
« F. Raimundus Breton... lustralique nomine Guillelnuis
dictus. » Script. Ord. Prœd. par Jacob Quétif. t. IT, p. 688,
(3) « In hune... ex conventu Sti Jacobi, absoluto cursu theolo-
gico transierunt aliqui, e quorum numero fuimus ». Manuscrit
dit A\\ P. Breton, Cfr. infra. Relatio B., année 1635.
En
1656, il écrit qu'il est « in novitiatu a viginti duobus
annis. » Op cit.
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6
LES RELATIONS DU R. F. RRETON
prépare au ministère des âmes par la pratique de la
discipline sévère qui régnait en cet établissement.
Peu de temps après, Richelieu demanda au P. Carré,
prieur du noviciat,* quatre de ses religieux pour les
envoyer en qualité de missionnaires à la Guadeloupe
où L'Olive et Duplessis allaient fonder une colonie.
Cette demande jeta le P. Carré dans un cruel embar-
ras. Son œuvre ne faisait que de naître, il risquait de
la désorganiser. Quels que fussent les sujets sur lesquels
il portât son choix, c'était pour lui un dur sacrifice
devant lequel il reculait. Néanmoins il fallait obéir ; le
désir du Cardinal, bienfaiteur de l'établissement, était
pour lui un ordre auquel il ne pouvait se soustraire.
Sur ces entrefaites, arriva la fête de Saint Mathias.
L'élection de cet apôtre lui suggéra l'idée, pendant le
Saint Sacrifice de la messe, d'imiter le geste de Saint
Pierre, et il résolut de tirer au sort les noms des futurs
apôtres de la Guadeloupe (4). C'est ainsi que le P. Bre-
tron fut désigné pour la nouvelle mission. Le 25 mai
1635, avec trois autres religieux, il s'embarquait pour
les Antilles où il devait rester près de vingt ans.
Il a raconté lui-même ses travaux, ses épreuves et
ses souffrances ; on en trouvera le récit plus loin ; nous
y renvoyons le lecteur.
Le P. Breton rentra en France dans les premiers
mois de l'année 1654. Il venait y chercher un peu de
repos et y rétablir sa santé (5) ; il venait surtout tra-
vailler à la solution do certaines difficultés qui paraly-
saient son ministère aux Antilles; il venait implorer
l'assistance du roi contre les procédés injustes dont il
était l'objet de la part du gouverneur Houel et solliciter
de Rome des décisions telles que les religieux de son
ordre aient seuls juridiction à la Guadeloupe.
Houel ne pouvait s'entendre avec les Dominicains ;
il était constamment en contestation avec eux principa-
lement au sujet du domaine que leur avait concédé
(4) Relatio B., année 1635. Le P. Carré toutefois changea
deux noms à la liste que le sort lui avait donnée.
(5) « Toto anno prœcedenti, dit-il en 1656, pulmone langui. »
« Adhuc non nisi œgre respiro quia exsicati sunt pulmones. »
Relatio B.

NOTICE
L'Olive ; il avait exigé le retour à la métropole de plu-
sieurs des fils de Saint Dominique et appelé près de lui
des religieux de différents ordres. Ces religieux préten-
daient avoir juridiction sans recourir à l'autorisation des
Dominicains ce qui jetait la discorde dans l'île (6).
Le P. Breton, l'ouvrier de la première heure, voyait
avec peine des moissonneurs étrangers se glisser dans
le champ qu'il avait ensemencé lui-même et chercher à
l'en expulser. Il ne manquait pas d'île à évangéliser dans
les environs, disait-il, pourquoi lui disputait-on la Gua-
deloupe ? (7).
D'autre part, il semble y avoir eu désaccord chez les
Dominicains entre le noviciat et les autres maisons de
l'Ordre, ce qui rendait difficile le recrutement des mis-
sionnaires. Enfin le P. Versoris, nouveau commissaire de
la mission des Antilles, voulait s'attribuer le pouvoir de
nommer le préfet de cette mission ; le P. Breton protes-
tait contre une telle prétention et n'entendait tenir que
du Souverain Pontife son titre de Préfet Apostolique.
Toutes ces difficultés amenèrent notre vaillant reli-
gieux à renoncer à la mission qui lui était si chère.
Il avait écrit plus d'une fois aux cardinaux de la
Propagande pour les mettre au courant de ses luttes et
de ses peines, mais il n'en reçut jamais aucune réponse.
En 1656, il aurait voulut se rendre en personne auprès
d'eux pour leur exposer ses plaintes de vive voix et
plaider sa cause. N'en ayant pas les moyens, il leur écrit
une dernière fois, leur fait l'historique de la mission
des Dominicains, les met au courant de tous les tiraille-
ments, de toutes les divisions qui paralysent les efforts
des missionnaires, il remet entre leurs mains son titre
de préfet apostolique et' il se dispose à aller finir ses
jours dans la retraite.
Il n'était cependant point au terme de ses épreuves.
Le P. Turc, supérieur général, avait promis autrefois
qu'à leur retour des missions, les, religieux seraient rat-
tachés au couvent qu'ils choisiraient. Le P. Breton dési-
rait aller dans une maison conventuelle au milieu des
(6) « Aliorum ordinum religiosi... divisionis semen in eccle-
siis nostris superseminent. » Relatio B, année 1656.
(7) « Falcem mittunt in messem alienam. » Relatio B, ibid.

8
LES RELATIONS Ï)U R. P. BRETON
bois et y passer le reste de sa vie dans la pénitence à
la manière d'un chartreux. Mais le P. Turc n'est plus
Supérieur Général et son successeur lui répond tout
simplement de retourner au couvent d'où il est sorti.
Cette solution ne lui plaisait nullement, car le cou-
vent en question n'était pas réformé. Toutefois, il fallait
vivre. Il avait quitté les Antilles depuis deux ans, il
avait dépensé tout ce qu'il possédait et maintenant per-
sonne ne s'occupait de lui, pas même pour lui procurer
une paire de souliers (8) ; aussi, au lieu de jouir de la
retraite à laquelle il aspirait, il se vit obligé de se remet-
tre au travail.
Il passa plusieurs années à remplir le rôle d'aumô-
nier chez les religieuses de son ordre à Poitiers, à Poissy
et à Vic ; en 1664. nous le trouvons à Blainville, en Lor-
raine, en qualité de sous-prieur du couvent, puis à
Auxerre où il resta environ cinq ans.
En 1669, il obtint enfin ce qu'il désirait de tout son
cœur, sa transfiliation au couvent de Caen qui faisait
partie de la congrégation réformée de Saint Louis. C'est
là qu'il mourut dix ans plus tard, le 8 janvier 1769. après
avoir donné toute sa vie l'exemple du dévouement le
plus absolu et pratiqué les vertus monastiques et les
règles de la stricte observance avec la même exactitude
que s'il ne fut jamais sorti du noviciat.
Pendant son séjour aux Antilles, le P. Breton avait
écrit différents ouvrages sur la langue caraïbe, mais
sans doute faute de ressources, il n'en avait publié
aucun.
A Auxerre, il eut la bonne fortune de faire la con-
naissance de Claude André Leclerc, écuyer, seigneur de
Château du Bois. Ce gentilhomme était très riche et
s'intéressait beaucoup à l'œuvre des missions, particu-
lièrement à l'évangélisation des Caraïbes. Son zèle pour
leur salut l'avait poussé jusqu'à aller s'établir au milieu
d'eux à la Dominique où il séjourna quelques temps en
compagnie du P. Philippe de Beaumont. Il fut obligé de
(8) « A reditu ne quidem de caligis est provisum. » Relatio B.

NOTICE
v.
les quitter pour raison de santé (9), niais il ne cessa
point pour cela de s'intéresser à leur conversion.
Dès qu'il eut rencontré le P. Breton, il le pressa de
publier ce qu'il avait écrit sur les Caraïbes et se chargea
de tous les frais d'impression. C'est à sa générosité qu'on
doit la publication des ouvrages suivants, parus chez
Gilles Bouquet à Auxerre :
Petit catéchisme ou sommaire des trois premières
parties de la doctrine chrétienne. 1664. 64 pages.
Dictionnaire caraïbe-français mêlé de quantité de
remarques historiques pour l'éclaircissement de ]a lan-
gue.
1665-1666. 2 vol. 480 et 414 pages.
Grammaire caraïbe, 1667, 135 pages.
« Ces trois volumes sont d'autant plus précieux qu'il
n'existe pas d'autres ouvrages nous donnant la langue
caraïbe telle que les indigènes la parlaient avant l'arri-
vée des Européens. » (10).
Le P. Breton nous a laissé également plusieurs tra-
vaux historiques de toute première valeur. Nous avons
vu plus haut qu'en 1656, en déposant entre les mains
des cardinaux son titre de préfet apostolique, il leur
communiquait une relation de la mission des Domini-
cains à la Guadeloupe. Cette relation est conserviée dans
les archives de la Propagande (11). Nous avons eu la
bonne fortune de la rencontrer au cours de nos recher-
ches et nous la publions ci-après. C'est la Relatio B.
Il existe à la Propagande (12) une autre chronique
historique — anonyme celle-là
de la mission domini-
caine. Elle a pour titre : Brevis relatio missionis Fra-
trum Prœdicatorum in insulam Guadalupam. Quel en
est l'auteur ?
C'est encore, croyons-nous, le P. Breton.
(9) « Ayant rendu le charitable office de parrain à plusieurs
lorsque le zèle qu'il a plu à Dieu de vous inspirer pour le salut
de ces pauvres gens, vous porta à venir en ces îles, et à passer
quelques temps avec moi à la Dominique, que la seule maladie
vous obligea de quitter. » Lettre du P. Philippe de Beaumont.
Poitiers. 1668, p. 25.
(10) Bulletin d'Histoire et d'Archéologie du diocèse de Dijon,
année 1895, P- 146.
(11) Arch, de Prop. Fide, Lettere antiche, vol. 260, p. 223-232.
(12) Arch, de Prop. Fide, Lettere antiche, vol. 260, p. 213-219.

10
LES RELATIONS DU R. P. BRETON
Dès son retour en France, en 1654, il avait envoyé
à Rome le P. Dujan porteur d'une supplique où il de-
mandait entre autres chases, la faculté d'étendre son
champ d'action dans les îles voisines de la Guadeloupe.
Avant de rien décider sur ce point, les Eminentissi-
mes Pères de la Propagande, le 5 mai 1654, voulurent
qu'on leur transmît au préalable une relation de la mis-
sion et de ses missionnaires (13).
C'est pour leur donner satisfaction que fut rédigée
la Brevis relatio.
En effet, cette relation fut rédigée à cette époque :
alors que le P. Breton était à Paris (14) et le P. Dujan
à Rome où il travaillait à la paix intérieure de la mission
de la Guadeloupe et à son développement extérieur (15).
Elle renseigne sur tout l'essentiel de la mission et
répond parfaitement à ce que les cardinaux demandaient.
Dans ses dernières pages elle sollicite l'appui du Saint
(13) Les Pères Dominicains demandent au congrès de la Pro-
pagande du 5 mai 1654... 3° « ut prorogetur eorum missio ad
insulas Granatas, Sti Martini, Stœ Lucianœ, Sti Christofori, et
ad alias adjacentes cum commendatione per litteras Sacrœ
Congregationis ad Gubernatores eorum. »
« Ad 3um fuit dictum esse relationem Missionis et Missiona-
riorum predictorum ad manus Eminentissimorum Patrum trans-
mittendam. ut in alia congregatione possit resmelius examinari
et opportunum responsum dari. » Arch. de Prop. Fide, acta dal
1654. fol. 43.
Il importe de remarquer que la Relatio B. dont nous avons
parlé plus haut ne fut rédigée qu'en 1656.
Le Ier septembre suivant, les Dominicains demandent à nou-
veau au congrès « 1° confirmationem dictœ missionis (Guada-
lupœ) prout alias fuit factum cum extensione illius ad omnes et
singulas
alias
insulas adjacentes
Régi
Christianissimo
sub-
jectas.... ».
« Sacra Congregatio ad primuni respondit affirmative, dic-
tamque missionem ad aliud septennium prorogavit. » Arch. de
Prop. Fide, op. cit.,
fol. 94.
La relation demandée avait donc été présentée avant cette
date.
(14) « Hodie pro negotiis Parisiis agentem. » Relatio A.
(15) « Joannes Dujanus... hodieque ad pedes Smi D. N. et
sacrœ Congregationis pro incremento prœfatœ Missionis ejusque
pace et solatio supplex. » O. cit.

NOTICE
Siège pour étendre la mission à d'autres îles. « Ostium
enim Evangelio. fratribusque Praedicatoribus apertum
est magnum et evidens iis in partibus... turn ab Indis
Insularum Dominicae, Antigae, Granatae, S. Luciae, Mar-
tinicae [Fratres Praedicatores] humane habeantur et in
pluribus locis desiderantur ; qui si S. Sedis authoritate
et benedictione confirmentur. . . et animo et numero
crescent. » (16).
Enfin, pourquoi cette relation est-elle à la Propa-
gande et à la Propagande seulement ? N'est-ce point
parce qu'elle lui était destinée ?
Nous avons donc de sérieures raisons de croire que
la Brevis Relatio est le document demandé par la Pro-
pagande.
Nous ajoutons que ce document fut l'œuvre du P.
Breton. C'est à lui en effet, comme supérieur de la mis-
sion de la Guadeloupe, qu'il appartenait de le fournir ;
c'est lui qui avait vraiment qualité pour donner aux
cardinaux les renseignements désirés et c'est lui qui
était le plus apte à le faire, ayant seul fait partie de
la mission depuis son origine jusqu'en 1654.
En dehors de lui, qui donc aurait pu rédiger ce
travail ?
Le P. Armand de la Paix, auteur d'une Relation dont
nous parlerons plus loin, était mort depuis l'année 1648 ;
le P. Carré, commissaire de la mission, venait de mourir
également ; le P. du Tertre partait pour les Antilles (17).
Serait-ce le P. Mathias du Puis ? Il suffit de lire son
ouvrage (18) pour être convaincu que la chronique dont
nous parlons n'émane point de sa plume. La même
réflexion s'impose également pour le P. du Tertre.
Quant au P. Dujan, il avait quitté les Antilles depuis
cinq ans et n'aurait pu écrire à Rome l'histoire de cette
période avec autant de précision ni fournir sur l'état
(16) Op. cit.
(17) Relatio A. Effectivement il partit plus tard, mais il est
clair qu'étant en instance de départ il ne poursuivait aucune
cause en cours de Rome.
(18) Relation de l'établissement d'une colonie française dans
l'île de la Guadeloupe.

1 2
LES RELATIONS DU R. P. BRETON
de la Guadeloupe en 1654 les renseignements que nous
donne la Brevis Relatio (19).
Cette relation, il est vrai, est écrite au nom de tous
les missionnaires de la Guadeloupe, mais nous savons.par
le P. Breton lui-même qu'il avait coutume de rédiger
ainsi ses comptes rendus annuels (20) et c'est ainsi que
sept ans auparavant, une Relation plus importante avait
été rédigée par le P. Armand de la Paix, alors supérieur
de la mission (21). Par conséquent, ce détail n'infirme
point' notre conclusion.
Enfin, entre ce manuscrit et le précédent on remar-
que une concordance parfaite : même connaissance
exacte des événements, même mentalité, même style ;
choses difficilement explicables si l'on n'admet pas que
la Brevis Relatio soit l'œuvre du P. Breton. Nous aurons
plus loin l'occasion de revenir sur cette question de
concordance et nous pourrons conclure en toute certi-
tude que le P. Breton est bien l'auteur du présent ma-
nuscrit. Il figure dans ce recueil sous le titre de Rela-
tion A parce que chronologiquement il est antérieur à
la Relatio dont nous avons déjà parlé et que nous avons
appelée Relatio B.
Le P. Breton est l'auteur d'un autre travail beau-
coup plus important sur le même sujet. C'est lui-même
qui nous l'apprend. « Je suis obligé de vous dire, écrit-il
dans la préface du Dictionnaire Caraïbe Français, que
le R. P. Jacquinot dit Armand de la Paix, supérieur de
(19) Dira-t-on qu'un missionnaire a utilisé la Relation du
P. Armand de la Paix ? Non, car il y a des v ariantes entre
les deux ; la Brevis Relatio seule parle du départ du P. Breton
pour la Dominique le 16 janvier 1646. — Cette Relation d'ailleurs
se termine en 1647 : or, depuis cette époque, les missionnaires
qui sont allés à la Guadeloupe, ou bien n'y ont fait qu'un séjour
très court, ou bien s'y trouvent encore en 1654. Par conséquent
ni les uns ni les autres n'auraient pu compléter les données de
la Relation.
(20)
« Non separatim quidem, sed conjunctim cum sociis.
Relatio B.
(21) Sans doute aucun des cardinaux n'avait pris connaissance
de cette intéressante Relation qui, communiquée à la Propagande,
restera ensevelie dans la poussière des archives.

NOTICE
13
notre mission, ayant eu commandement de notre Révé-
rendissime Père Général Turco de lui envoyer une rela-
tion, m'ordonna d'écrire ce qui s'était passé jusqu'à son
arrivée en l'île qui fut en 1643 et ce que j'avais remar-
marqué parmi les sauvages ; personne des nôtres que
moi n'ayant vu ni l'un ni l'autre. J'écrivis donc les dix
chapitres des sauvages qu'on a suivi depuis.. . et l'éta-
blissement de la colonie jusqu'à 1643. »
Nous lisons pareillement dans la Relatio B. « Hoc
eodem anno (1647) Reverendissimus P. Turcus, ordinis
generalis magister, per litteras consolatus est nos et
jussit fieri relationem eorum quae apud nos gerebantur.
Ego quae audieram et videram vel potius quae tunc
audiebam apud barbaros scripsi ex mandato R. P. Ar-
mandi a Pace, praefecti missionis, qui integram compo-
suit missionis narrationem et nomme omnium missiona-
riorum transmisit ad praefatum Reverendissimum P. Ge-
neralem nostrum. »
L'ouvrage du P. Armand de la Paix dont il est ici
question se trouve aux Archives de la Propagande ; il
est intitulé : Relation de l'isle de la Guadeloupe faite
par les Missionnaires Dominicains à leur Général, en

1647. (23). Pour écrire ce mémoire, le P. Armand eut
recours aux lumières du P. Breton. La mission se com-
posait alors de cinq religieux : le P. R. Breton, arrivé
à la Guadeloupe en 1635 ; le P. Jean Dujan, arrivé en
1640 ; le P. Armand de la Paix, arrivé en 1643 ; le P.
Mathias du Puis, arrivé en 1644 et le P. Picart arrivé
en 1641, qui se mourait après une longue maladie.
Le P. Breton, et par son ancienneté et par son séjour
au milieu des Caraïbes, était donc bien le plus qualifié
pour fournir des documents au P. Préfet. Il écrivit en
latin sa Relatio gestorum a primis ordinis prœdicatorum
missionariis in insulis Americanis ditionis Gallicœ, prœ-
sertim apud Indos indigenas quos Caraïbes vulgo dicunt,
ab anno 1635 ad annum 1643.
Cette relation est restée introuvable jusqu'ici.
(23) Arch. de Prop. Fide. « Scritture referite nei congresi,
America Antilles. », f. 136 et ss. Il y en a également une copie
à la Bibl. Nat., Ms fr. 24974. M. Dampierre, malgré toutes ses

LES RELATIONS DU R. P. BRETON
Jusqu'à quel point le P. Armand l'a-t-il mis à contri-
bution ? L'a-t-il simplement traduite ou l'a-t-il complè-
tement transformée ?
L'ouvrage du P. Préfet comprend trois parties. La
première nous décrit la Guadeloupe, ses animaux et ses
plantes ; la seconde concerne les Caraïbes et la troisième
nous donne année par année l'histoire de la mission de
1635 à 1647.
Ecrivant aux cardinaux de la Propagande, le P. Bre-
ton s'exprime ainsi en parlant de la Relation du P.
Armand de la Paix : « Hanc forsitan exhibuit [P. Tur-
cus] Eminentiis vestris ideo superfluum puto aliam
texere de barbaris ; qui typis relationis mandarunt
eadem omnino (paucis demptis) retulerunt sub nomine
Caraïbarum. » (24).
Par conséquent, de l'avis même du P. Breton, la
deuxième partie de la relation de 1647 contient sur les
Caraïbes, à peu de chose près, -
paucis demptis
exactement les mêmes renseignements — omnino eadem
- que celle qu'il avait rédigé lui-même (25).
Que faut-il penser maintenant de la première et de
la troisième partie de cette relation ?
Il existe à la Bibliothèque Nationale une copie de
l'ouvrage du P. Armand de la Paix (26). Nous disons
une copie car plus d'une fois le scribe a omis des mots,
voire même une ligne entière du texte primitif (27).
Pour plus de clarté, appelons version romaine le
texte des archives de la Propagande, et l'autre version
parisienne. La version parisienne présente cette parti-
cularité que, de l'année 1636 à l'année 1641, le copiste
recherches n'avait pu en découvrir l'auteur. Dampierre, Essai
sur les sources de l'histoire des Antilles françaises, p. 97, 98.
(24) Relation B., année 1647.
(25) Son texte il est vrai ne contenait que dix chapitres tandis
(pie celui du P. Armand en contient douze ; mais le même texte
a pu être partagé
différemment de part et d'autre.
(26) Bibl. Nat. ms. fr. 24974, fol. 50-87.
(27) Ainsi, IIme partie, chap. 4, nous lisons
: Les Caraïbes
« coupent (les cheveux) de devant la tête jusqu'à la moitié du
front et les laissent pendre — ligne omise — [en forme de
garcette ; ils séparent ceux de devant d'avec ceux de] derrière
par une raie... » Id. chap. 7.

NOTICE
a laissé la plume à une autre main qui, tout en racon-
tant les mêmes faits, nous donne un texte différend de
la version romaine.
Cette variante ne laisserait pas de nous rendre fort
perplexe si son auteur, par distraction — ô felix culpa
— ne se trahissait sans le vouloir et ne nous apprenait
qu'il n'est autre que le P. Raymond lui-même. En effet,
dans un passage où il est précisément question de lui,
il entre subitement en scène par ces paroles : « Quoique
je remontrasse aux susdits Pères que l'on continuait à
me rappeler » (28) ; preuve évidente que le P. Raymond
tenait la plume ; la variante est son œuvre.
Il y a tout lieu de croire qu'en lisant le travail du
P. Armand de la Paix, le P. Breton remarqua que son
texte latin n'avait pas été bien compris ou bien rendu ;
et, avant que la Relation ne soit envoyée à Rome, il en
fit faire une copie dans laquelle, de 1636 à 1641, il sub-
stitua son propre texte à celui du Père Supérieur.
D'ailleurs si l'on compare les deux versions, on
remarque que la romaine contient certains détails sur
le P. Armand dont il n'est pas question dans la pari-
sienne ; et la version parisienne s'étend plus largement
que la romaine sur les motifs qui ont retenu le P. Bre-
ton à la Guadeloupe en 1638, malgré l'ordre qu'il avait
reçu du P. Carré de rentrer à Paris ; ce qui nous con-
firme dans notre conclusion que la variante est l'œuvre
du P. Breton ; et si, pour le reste, la Relation n'a pas
été modifiée, c'est qu'elle traduisait parfaitement sa
pensée ; par conséquent, en dernière analyse, la Relation
de l'île de la Guadeloupe
doit être considérée comme son
ouvrage autant que celui du P. Armand (29).
Si nos conclusions sont exactes, la Brevis Relatio ou
Relatio A doit être le résumé de la relation française
que nous venons d'étudier, au moins jusqu'en 1647.
Effectivement il en est bien ainsi.
Prenons par exemple les pages concernant les Caraï-
(28) Bibl. Nat. ms. fr. 24974, fol. 66 recto.
(29) A noter cependant que la Relatio du P. Breton n'allait
que jusqu'en 1643.

16
LES RELATIONS DU H. P. BRETON
bes. On remarquera bien vite que les titres de la Relatio
A
sont indentiques aux titres des chapitres de la Rela-
tion de l'ile de la Guadeloupe.

Relation
Brevis Relatio
de l'île de la Guadeloupe
De Indorum origine.
Chap. I. — De l'origine et
humeurs des sauvages.
Eorum lingua.
Chap. II. — De leur lan-
gue.
De
natura
et
morïbus ( Chap. V. — De leurs vian-
eorum.
des dont ils se nourris-
Vitam ut agunt.
(
sent.
Matrimonia eorum.
( Chap. VI. — De leurs ma-
De eorum liberis.
riages et éducation de
(
leurs enfants.
Religio.
Chap. III. — De leur reli-
gion.
Circa mortuos eorum ritus.
Chap. XII. -— De leurs ma-
ladies, mort, deuil, sé-
pulture, etc.
Si la Brevis Relatio ne fait pas mention des chapitres
concernant leurs ornements, leurs cases, leurs vins, leur
commerce et leurs guerres, c'est pour la raison bien
simple que ces questions ne pouvaient guère intéresser
les Cardinaux de la Propagande.
Allons plus loin. Comparons les textes entre eux.
Prenons par exemple, ce qui a trait à la religion.
Relation
Brevis Relatio
de l'île de la Guadeloupe
Religio nulla, nullae pre-
C'est mieux fait de dire
ces, nullae arae, nulla tem-
que les sauvages
n'ont
pla inter ipsos,
point de religion, car ils
n'en savent pas seulement
le mot, non plus que de
prière, de temple ou d'ado-
ration ....
etsi quandam divinatis um-
Ils reconnaissent pour-
bram agnoscunt,
tant quelque chose par ma-
nière de divinité.. .

LA GUADELOUPE, d'après le P. du Tertre
Au Nord, Fort Saint-Pierre et Petit Fort, emplacement où s'établirent tout d'abord
L'Olive et Duplessis.
Au Sud, Fort Royal, quartier occupé par les Caraïbes
d'où ils furent expulsés par L'Olive.


NOTICE
deosque mares et feminas
Ils croient qu'il y a hom-
(bonos et malos, quos Ma-
me et femme parmi les
boias vocant) hosque, redi-
dieux
mendœ vexationis causa,
A laquelle (divinité) ils
ritibus quibusdam superti-
rendent quelque devoir non
tiosis colunt,
par amour mais par la
seule crainte
qu'ils ont
qu'elle ne leur fasse du
mal.. .
oblatis vini et panis primi-
Car à tous leurs vins ou
tiis,
festins, dès le commence-
ment, ils lui offrent com-
me les prémices de leur
banquet...
eosque consulant infirmi
Ils les consultent sou-
aut
ituri ad bellum de
vent soit du succès de leur
eventu, per Magos et Sa-
guerre, soit de la fin de
gas quos Boiakos vel Boias
leur maladie...
vocant.. . etc.
Ils les nomment Boïé ou
Boiako... Etc.
Il paraît inutile de pousser plus loin la comparaison ;
il est évident que ces deux écrits proviennent de la mê-
me source et sont l'ouvrage du même auteur, le R. P.
Raymond Breton (30).
Nous les publions dans l'ordre où ils ont été écrits :
en premier lieu la relation française rédigée en 1647 ;
ensuite la Brevis Relatio, Relatio A, écrite en 1654 ;
enfin la Relatio B, écrite en 1656.
Ces trois relations constituent une source historique
de première valeur et nous donnent une foule de ren-
seignements précieux.
La plupart des auteurs qui ont écrit sur les Antilles,
à l'origine de la colonisation, ne pouvaient avoir qu'une
connaissance superficielle du sujet qu'ils traitaient. Le
P. Bouton a écrit sa Relation de l'Etablissement des
Français en l'île de la Martinique après un séjour de
(30) A noter que le P. Armand est mort en 1648 et que la
Brevis Relatio, composée en 1654, n'a par conséquent pas pu être
son œuvre.

1 8
LES RELATIONS DU R. P. BRETON
trois mois sous les tropiques ; le P. Mathias du Puis (31)
n'est resté que cinq ans à la Guadeloupe et le P. du
Tertre (32) cinq ou six ans. Tandis que les Relations que
nous publions sont l'œuvre d'un missionnaire qui a sé-
journé vingt ans aux Antilles, qui nous rapporte ce qu'il
a vu et entendu, ce dont il a été témoin ; et là parfaite
concordance de ces trois chroniques (33) nous est un
témoignage de leur véracité et de leur haute valeur
historique.
J. RENNARD.
(31) Mathias du Puis est l'auteur d'une Relation de l'Etablis-
sement d'une colonie française dans la Guadeloupe.
(32) Le P. du Tertre a écrit l'Histoire générale des Antilles
en quatre gros volumes.
Peut-être quelques-uns seront-ils tentés de voir un désaccord
entre la Relatio B., où nous lisons « Ego quidem (P. Raymond)...
mansi circiter quinque annis cum eis in insulam Dominicam »,
et ce passage de la Relatio A, « Subinde soepius ad eos (Caraïbes
de la Dominique) profectus est (P. Raymond) et per duos et
tres annos cum eis mansit ».
Mais le désaccord n'est qu'apparent. Le « circiter quinque
annis » est donné en chiffres ronds ; en réalité, le P. Breton n'a
passé que quatre ans ou quatre ans et demi à la Dominique. Or,
quand la Relatio A dit de lui : « Subinde... per duos et tres
annos cum eis remansit », il a déjà passé un an et demi chez les
Caraïbes, ce qui lui fait bien, au total un séjour de quatre ans
ou quatre ans et demi au milieu d'eux.
Je dois ici exprimer toute ma r econnaissance à M. Victor
Sévère, député, et à Messieurs les membres du Conseil Général
de la Martinique. C'est grâce à leur générosité qu'il m'a été pos-
sible de me procurer le texte des manuscrits du P. Breton et de
le publier.
N. B. La première partie de la relation française fut
préparée en dernier lieu. IL ne me fut pas possible alors d'avoir
communication du manuscrit 24.974 et plusieurs mots illisibles,
dans la version romaine, n'ont pu être transcrits.
Les ? indiquent des transcriptions douteuses.
Les relations latines ne sont pas exemptes d'incorrections dues
à leur auteur, v. g. page 136, dernier alinéa, et page
148.
lignes 11 et 12.
Page 144, ligne 14, au lieu de duce, lire duœ.
Page 148, ligne 17, au lieu de Eminentissimus, lire Eminentis-
simi.
Page 153, ligne 29, au lieu de affulgere, lire affulgeret.

RELATION
DE
L'ILE DE LA GUADELOUPE
PAR LES
RR. PP. BRETON ET ARMAND DE LA PAIX

Reverendissimo Patri Thomœ Turco, totius ordinis
fratrum prœdicatorum Generali Magistro.
Reverendissime Pater,
Debitum tandem obedientiœ nostrœ ad pedes Reve-
rendissimœ vestrœ paternitatis deponimus quod toties et
tam enixe injunxeras. Nullus sane nobis ingratior aut
magis tardiosus labor juberi poterat, sed hinc nobis

jucundus evasit, quod eum benignissimo et optimo patri
gratum fore existimavimus, quem tam sœpe et tam
amanter exegit. Videbit hic Reverendissima vestra pater-

nitas hujus insulœ Guadaluppoe quam olim sex ex ordine
nostro suo sanguine decorarunt, situm naturam, tem-
periem, nostrorum Karibum seu infidelium mores et
vivendi barbarum genus, et filiorum suorum labores,

tœdia et progressus qualescunque in ea insula et de ins-
tituenda in insulam dominicam ant vicinas ad barbaros

nostra mysteria edocendos missione propositum. Jam
unus ax nobis linguam eorum attigit multo labore quam
faciliori negotio fratribus communicare poterit, sed ne-
cessario mittendi seduli operarii in vineam istam quod
omnino a Reverendissima vestra paternitate expectamus.
Quam ordini sua sapientia regendo et huic novellœ plan-

tationi sua bonitate fovendœ ad multos annos incolu-
men servet Deus Optimus Maximus. Datum in insula

Guadaluppa in conventu Sanctissimi Rosarii 29 nov. 1647.
Reverendissimoe vestroe paternitatis homillimi et
obedientissimi filii ac servi fratres prœdicatores mis-
sionis insulœ Guadalupœ
(1).
(1) Il y avait alors à la Guadeloupe les RR. PP. Raymond
Breton, Armand de la Paix, Jean Dujan, Mathias du Puis et
Picart, le
fr. Charles de St-Ramyond et peut-être aussi les
fr. Nicolas Saintal et Jacques Le Gendre.

RELATION
DE
L'ILE DE LAGUADELOUPE
contenant l'histoire des choses naturelles
les plus rares de cette île.
Des façons de faire et mœurs
(des) anciens habitants
appelés communément sauvages,
et de ce qui s'est passé de plus remarquable
en cette mission
depuis que l'île est habitée
des Français.


PREMIERE PARTIE
contenant
l'histoire des choses naturelles
plantes, arbres, oiseaux, poissons, etc.,
de l'Ile de la Guadeloupe
CHAPITRE PREMIER
DE LA HAUTEUR, GRANDEUR, BEAUTÉ,
MONTAGNES ET RIVIÈRES DE LA GUADELOUPE
L'île de Guadeloupe a été ainsi nommée, comme il est
croyable, par les Espagnols à cause qu'ils la découvrirent
le jour de la fête de Notre Dame de Guadeloupe assez
célèbre en Espagne. Les sauvages la nommaient Kalou-
kéra. Elle est à l'élévation du pôle 15 ou 15 degrés et
demi au nord de l'Equateur, sous la zone appelée torride;
sur la mer au 332 degré de longitude. Le soleil passe
deux fois en six mois dans le point vertical de notre
zénith à savoir quand il est au 12 ou 13 degré du Tau-
reau et au 21 ou 22 du Lion.
Il n'y a presque aucune variété de saison, y règnant
une perpétuelle tempérie d'air qui est extrêmement
agréable. Les chaleurs y sont grandes, mais non intolé-
rables, et c'est chose certaine qu'elles nous sont moins
fâcheuses qu'en France dedans l'été. Deux choses en
sont causes. L'une est l'accoutumance ; car comme toute
l'année n'est que d'une saison, les corps se forment à
cette température au lieu que dans la France, passant
d'une extrémité de froid à une extrémité de chaud, les
corps se trouvent plus étonnés de l' un ou de l'autre.
L'autre est un vent presque ordinaire qui par une....

24
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
singulière nous rafraîchit extrêmement ; nous l'appe-
lons la brise, qui se lève pour le plus souvent sur les
huit ou neuf heures du matin et cesse sur les trois ou
quatre heures du soir et est presque nord-est. Ce n'est
pas qu'il n'y aie d'autres vents et qu'il ne fasse aussi
calme quelques fois, mais pour l'ordinaire, ce vent règne
en la saison que nous avons dit. Aussi est-ce la coutume
des habitants du pays lorsqu'ils veulent naviguer quel-
que part où le vent leur pourrait être contraire pendant
le jour, d'attendre la nuit pour faire leur voyage. Il ne
faut pas pourtant dire qu'il n'y ait quelque diversité
dans cette chaleur continuelle, et qu'elle ne soit un peu
plus grande depuis que le soleil est en la partie du nord
que dans l'autre moitié de l'année. Mais cette différence
est de petite importance (?) ; seulement remarque-t-on
que les nuits sont plus fraîches pendant le temps que
nous appelons hiver en Europe qu'ès autres temps, com-
me aussi lorsqu'il fait un vent qui vient du côté de
terre ; car lors il fait bien froid la nuit. Jamais pourtant
il n'y gèle ou neige ni grêle ; mais en certains temps il
pleut beaucoup et c'est de là quasi que nous prenons la
division de nos saisons qu'on appelle temps de pluie. Ce
n'est pas qu'il n'y ait des intervalles de beau temps et
qu'il ne pleuve ès autres saisons, mais c'est qu'elles sont
plus ordinaires en ces temps là.
Les jours n'y sont pas fort inégaux, les plus longs
n'excèdent guère les plus courts que d'une heure et
demie plus ou moins. Le soleil ne se lève pas au plus
grand jour avant cinq heures. Les crépuscules aussi n'y
sont pas si longs qu'en Europe et le soleil paraît plus
à coup.
Cette île est séparée en deux terres par un bras de
mer que nous appelons rivière salée, et les caraïbes
abougouto, qui est large presque également de soixante
à quatre vingts pas, quelque fois de cent plus ou moins.
Elle fait quantité d'autres petits bras qui se jettent
de çà de là dans la terre dans lesquels on peut aller avec
de petits canots.
La partie qui est la plus habitée s'appelle simplement
Guadeloupe et des sauvages Kaloukéra ; l'autre, la grande
terre pour être dé plus grande étendue que l'autre, et
des caraïbes Kousaaloua. En tout, l'île peut avoir quatre

PREMIÈRE PARTIE
25
vingt lieues de tour ou environ. La Guadeloupe seule en
a bien trente ou trente cinq.
Nous divisons encore la Guadeloupe seule en deux
parties : Cabsterre, des sauvages Balaougon qui est du
côté du vent quasi caput terrœ ; et Basse terre, Kerabon,
qui est au dessous du vent. Elles sont différentes en
plusieurs choses, car la Basse terre est plus aride et
incommodée de sécheresse ; la Cabsterre de trop de pluie.
La terre est noire et meuble à la Cabsterre ; à Basse
terre rougeâtre et forte. D'où vient que le petun n'y
est pas si bon qu'à la Basse terre, se plaisant dans la
terre légère ; et elles sont aussi différentes en bois.
Des montagnes
La Cabsterre est fort unie et plate et la Basse terre
n'est pas si égale à cause des petites collines ou mornes
qui ne sont pas néanmoins fâcheux. L'une et l'autre est
habitable bien avant dans la terre, et toutes deux sont
capables de contenir cinquante mille hommes et plus
à proportion des autres îles.
Au milieu de l'île, il y a quantité de montagnes assez
hautes, la plus remarquable est la Souffrière qui est
presque au cœur de l'île et se découvre de tous côtés.
On croit qu'elle contient du soufre dans ses entrailles.
On voit dans son sommet de la fumée de temps serein ;
plusieurs disent y avoir vu du feu pendant la nuit.
Des rivières
Pour ce qui est des rivières, la Guadeloupe est la plus
riche de toutes les îles habitées des Français. Il y en
a trente ou trente cinq sans les petits ruisseaux ou
ravines qui ne tarissent jamais. Les plus remarquables
sont la Grande Rivière à Goyave appelée des sauvages
Koïouini qui est dans le grand cul de sac dans laquelle
on navigue avec un canot environ trois lieues ; elle est
très agréable et a une lieue de la terre. La terre y est
fort bonne. Il ne faut pas omettre une admirable....
......de nos sauvages ; ils croyent que le jour qu'ils

26
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
nomment cette rivière, il pleut pour ce jour à verse ;
et s'ils la nomment lorsqu'ils sont à son embouchure
qu'elle déborde et les submerge. La rivière aux lézards
qui est au petit cul de sac. La grande rivière de la
Cabsterre à Ourakoua ; celle du grand carbet ; la rivière
des Pères de la Basse terre, Ouigatouali ; celle de la
pointe Saint Joseph et quantité d'autres ; l'eau desquelles
est fort bonne spécialement celle de la rivière aux herbes
à la Basse terre qui ne se corrompt pas si tôt.
Des eaux bouillantes
Et puisque nous sommes sur les eaux, disons un mot
des fontaines bouillantes. Il y a un endroit dans cette
île qui est habité et est nommé l'île à Goyave à cause
d'un petit ilet de ce nom qui est tout devant les places.
Il y a là des fontaines esquelles l'eau bout perpétuelle-
ment aussi chaude que celle qui bouillirait sur un grand
feu ; on y cuit des crabes, burgos et tout autre chose
qu'on veut. Il y en a une entre autres qui sourd dans
la mer, et lorsque la mer est basse on voit ecuiter (?)
l'eau avec un murmure tout semblable à celui que fait
une chaudière bouillante pleine d'eau ; et lorsque la mer
la couvre on remarque l'endroit à la fumée. Tout autour
les roches et la terre y sont si chaudes qu'on n'y peut
souffrir les pieds nus. Les sauvages disent que c'est du
souffre, d'autres disent que c'est du vitriol. On tient que
ces eaux sont utiles à quantité de maladies comme para-
lysie et hydropisie, et les chirurgiens y font baigner des
malades ès lieux où elle est moins chaude et les guéris-
sent ; d'autres se contentent de les y faire suer en cette
sorte : ils font un trou dans la terre environ trois pieds
de profond en sorte qu'un homme y puisse demeurer
assis, puis y mettent le malade tout nu et l'y tiennent
tant qu'il le peut souffrir et le faire suer là dedans,
puis le tirent et le couvrent bien dans son lit. On s'y
met deux ou trois fois le jour selon la force du malade.
Quelques-uns ont éprouvé de bons effets de ces eaux.
Les sauvages pourtant ne s'en servent point, au moins
n'en avons nous aucune connaissance.
Il y a autour de la Guadeloupe nombre de petites

PREMIERE PARTIE
27
îles fort agréables. Les Saintes sont les plus belles où
les sauvages même ont encore quelques jardins à coton.
Les habitants de la Guadeloupe y vont varer et tourner
de la tortue. Ils y vont chasser aussi avec un bâton au
tuërou qui est une espèce de mauve dont ils en tuent
à milliers, les salent et font sécher en forme de hareng
saur. Marie Galande et la Désirade n'en sont pas loin ni
la petite terre esquelles nous allons aussi dans la saison
pour varrer les tortues.
Nous avons aussi deux Culs de sac qui sont des en-
droits où la mer, s'enfonçant dans la terre, en est comme
fermée d'un côté, comme aussi est abritée d'ilets, cayes,
roches. Le petit est proche le fort de Sainte Marie,
l'autre est au-delà de la Rivière Salée, du côté du fort
Saint Pierre, et on va de l'un à l'autre par cette rivière.
C'est dans ces lieux là apparemment (?) où la tortue
et le lamentin se retirent pour paître l'herbe qui croît
au fond de la mer, car la mer n'y est pas profonde et
c'est là où nos varreurs les vont prendre ordinairement.
Ce sont des lieux très agréables, tant parce que le vent
n'y régnant pas tant qu'ailleurs à cause de l'abri de la
terre et des ilets, la mer y est presque toujours calme,
qu'à cause du divertissement de la vue par la diversité
de ces ilets qui sont tout couverts d'arbres toujours ver-
doyants, et ont presque toujours quelque chose (de)
particulier ; les uns étant la retraite d'une sorte d'oi-
seaux et les autres d'une autre d'où ils tirent leur nom
comme l'ilet à frégattes, l'ilet à grandgosiers, et ainsi
des autres. Dans ces culs de sac et ailleurs aux environs
se trouvent quantité de coquillages comme porcelaine,
vignos, lambis, burgos et autres comme de petites roches,
blancs comme neige, parfaitement beaux et très délicats
que la mer produit de son sel comme il est à croire.
C'est dommage qu'on ne les peut transporter sans les
rompre tant ils sont délicats.
Il y a des salines grandes et petites à la Guadeloupe
esquelles on a amassé du sel quelques fois. Pour les ren-
dre bonnes, il faudrait un peu y travailler, ce qui serait
un grand bien pour cette île. On croit qu'il y a une mine
d'argent, mais on n'en a pas de certitude quoique quel-
ques uns assurent l'avoir vu et reconnu.

28
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
CHAPITRE II
DES ANIMAUX QUI SE TROUVENT A LA GUADELOUPE,
OISEAUX, BÊTES A QUATRE PIEDS, REPTILES,
POISSONS, MOUCHES
Des oiseaux
Il y en a de plusieurs sortes. Les perroquets sont gros
ici. Ils sont de quantité de couleurs, vert, rouge, bleu,
violet tout mêlé. Ils sont fort différents de ceux de la
Martinique, de terre ferme, ou Saint Vincent qui sont
aussi différents les uns des autres. Ceux de terre ferme
et Martinique sont les plus beaux. Les nôtres appren-
nent bien à parler lorsqu'on les prend jeunes. Les arras
sont plus gros que les perroquets, d'un fort beau plu-
mage de couleur rouge mêlé dans la queue et les ailes
de violet. Ils parlent aussi étant appris. Les perriques
sont de même figure que les perroquets, apprennent
aussi à parler et chanter, mais sont bien plus petites
et sont toutes vertes en leur plumage.
Il ne se trouve des flamands qu' ès salines de la
grande terre ; ils sont gros à peu près comme des moyen-
nes poules d'Inde. Leur plumage est tout rouge dans
les vieux avec quelque mélange ; (chez) les jeunes il est
plus pâle. Ils ont le col fort long, la tête grosse, le bec
long, gros et noir. Les jambes hautes de deux pieds ou
(un) pied et demi tout au moins.
Là même se trouvent des poules d'eau et sarcelles et
canards qui vivent dans les étangs qui sont en grand
nombre en cette partie de l'île.
Il y a d'autres oiseaux qui ont aussi le pied marin
et vivent du poisson de la mer, comme les grands gosiers,
les fouls, les mauves et d'autres encore que l'on appelle
allouettes de mer, et ceux que les sauvages appellent
ruirou. Il y a des frégattes qui ont le plumage noir et
sont grandes ; ils vivent de poisson aussi ; la graisse est
fort bonne pour les gouttes. Ceux aussi qu'on appelle

PREMIÈRE PARTIE
29
pêcheur vivent de poisson, mais n'ont pas le pied marin,
ne sortant point du rivage de la mer.
Le vigeon est presque semblable au canard ; il va de
nuit fouiller les patates avec le bec dedans la terre et
les mange.
Le mansphenix appelé des sauvages anana est un
oiseau de proie, mange rats, poulets, couleuvres, etc. ; il
est beau et puissant et gros comme une poule.
L' émerillon pourtant quoique plus petit est plus mé-
chant. De même le surmonce (?); il est de couleur rousse
et mange les poulets et autres petits oiseaux.
Le ramier est le plus commun des oiseaux et quoi-
qu'on en tue à milliers tous les ans, il y en a toujours,
tant ils peuplent, et comme ils suivent les graines des
arbres dont ils vivent, aussi s'en reviennent-ils en divers
quartiers, en divers temps et vont d'îles en autres.
La perdrix. — Il y a des perdrix mais sont rougeâtres
et ne peuplent pas tant qu'en France.
La tourterelle est aussi rougeâtre et n'est
grosse que celle de France ; elle est assez rare.
Le crabier ainsi dit à cause qu'il mange des crabes
est gros comme une boule (1), a les jambes assez hautes
le bec long et dur pour casser les crabes, il
est de cou-
leur grise ; c'est le meilleur gibier du pays.
Le héron est plus gros et plus noir que le crabe eta
le col plus long, vit de poisson de la mer
Nous laissons à part les grives, martines chauve-
souris et autres pour dire deux mots du plus petit,
du plus beau aussi de tous les oiseaux. On
colibri du nom dont les sauvages signifient cet oiseau.
On croirait que Dieu s'est plu à peindre ces oisillons
qu'orne la plume ; il n'est pas plus gros qu'un hanneton.
Il y en a de deux façons ; les plus gros ont le plumage
tout diversifié, ils ont le col d'une couleur de pourpre
excellente, les ailes de violet tirant sur le noir, le ventre
vert et le bec bien long ; les autres plus petits sont
presque tout verts, d'un vert brun et ont sur la tête une
belle houppe d'un vert brillant. Ils vivent de fleurs. Ils
font leur petit nid avec une adresse admirable ; sur une
petite branche d'arbre, ils assemblent du coton qu'ils
(1) On a sans doute voulu dire poule.

30
RELATION DE [/ILE DE LA GUADELOUPE
ajustent fort délicatement et le remparent tout autour
de petites feuilles qu'ils font tenir avec de la gomme.
Ils font là dedans deux petits œufs comme deux pois
anglais. Les sauvages les prennent avec une gaulette si
délicate qu'ils peuvent et frottent le bout d'une gomme
et les en touchent, lorsqu'ils vont à la picore, sur les
plumes et ainsi les prennent tout vifs.
Le hibou n'est pas si gros que celui de France, est
plus noir et n'a pas le chant tout à fait si triste.
N'oublions pas ceux qu'on a appelé des diables à
cause de leur
(?). Ils ont le bec crochu et en
outre rebroussé par dedans, comme le bec d'un hameçon,
en sorte qu'ils emportent la pierre qu'ils attrapent. Ils
sont noirs et vivent dans des marécages. On les attrape
pourtant avec leur
. Tout en est bon les
diables et leurs œufs.
Des bêtes à quatre pieds
Agoutis. — Nous n'en savons point de naturel dans
cette île que l'agouti. C'est un petit animal de la gros-
seur d'un cochon de lait de six semaines ; il a tout la
forme d'un rat hormis la queue qu'il a courte ; le poil
est noir et long comme de cochon ; il a les quatre dente
de devant comme le lièvre. La viande n'en est pas trop
bonne ni grasse. On le chasse avec les chiens. Il y a des
rats en assez grand nombre, et tant quelque part qu'on
en est fort incommodé. Les animaux domestiques s'y
élèvent fort bien. Il y a quantité de cochons fort grands
et qui ont de dangereuses défenses. La multitude des
chasseurs et des chiens qui se sont rendus sauvages a été
cause qu'ils sont un peu plus rares maintenant, quoi
qu'on en trouve toujours.
Des reptiles
Le roi des reptiles en cette île est le lézard que les
sauvages appellent oïamaca ; il est fait tout de même
que les petits lézards qu'on voit en France, mais gros
comme le bras. Les mâles sont gris et les femelles (ver-
tes) elles font des œufs jusqu'à dix-huit à la fois et
descendent au bord de la mer pour pondre dans le sable ;

PREMIÈRE PARTIE
31
ils vivent d'herbe et de bois pourri. La viande en est
fort bonne et agréable. Il y a d'autres sortes de petits
lézards verts, d'autres gris de diverses sortes qu'on ap-
pelle anolis, roquets ; la graisse en est bonne pour pré-
server les armes de la rouille. Les couleuvres y sont fort
rares, petites et sans venin. Il y a des scorpions, mais
leur piqûre n'est pas mortèlle ; elle enfle un peu la partie
piquée comme fait la guêpe qui est d'autant plus à crain-
dre qu'on en rencontre plus souvent sans y penser. Les
scorpions se touvent dans le linge et le bois pourri et
autres ordures.
Des mouches
Mouches cornues. — Il y a trois sortes de mouches
qui ont quelque chose de rare. Les premières sont celles
qui sont grosses comme un petit oeuf de poule ; elles sont
noires ; leurs ailes qui sont comme de hannetons sont
verdâtres. Les mâles ont deux cornes au bout de la tête,
longues comme le petit doigt en forme de tenailles ; celle
de dessous est plus courte du quart que celle de dessus
et se meut, celle de dessus étant tout d'une réunie avec
la tête. Celle-ci a un fort petit fourchon au bout et a
une façon de poil en dedans ; celle de dessus a des petites
branches par dedans. Les curieux en font grand état.
Il y en a de terre ferme, mais elles ne sont pas si belles
que les nôtres.
Mouches ardentes. — Les autres sont les mouches
luisantes. Elles sont plus grosses que celles qu'on appelle
en France maréchaux, de la même façon
se
secouant tout de même lorsqu'on les tient ; elles sont
comme tannées sur le dos. Auprès de la jointure, elles
ont une sorte de deux petits yeux qui luisent en telle
sorte qu'on peut lire et écrire facilement à leur lumière.
Nous avons dit souvent nos Matines à cette chandelle
naturelle. Ceux qui n'ont pas encore vu cela sont assez
surpris lorsqu'ils les voient voler dans les maisons
croyant que c'est du feu. Elles luisent encore sous le
ventre, ce qui ne se voit que lorsqu'elles volent. Etant
mortes, elles ne luisent pas. Elles se conservent en vie
près d'un mois sans manger.

32
RELATION DE l.'ILE DE LA GUADELOUPE
Il y en à d'autres petites qui ont leur lumière sous
l3a queue, mais elle n'est guère forte.
Mouches à miel. — Les dernières sont les mouches
à miel. Elles sont naturellement plus petites que celles
de France et n'ont point d'aiguillon, font leur nid dans
des creux d'arbres. (Leur miel) est fort clair et liquide
et leur cire noire et molle et ne peut jamais devenir
si solide que la jaune.
Nous laissons à part les mousquittes (1) et ma-
ringoins et autres qui sont un peu importunes, mais ne
nous sont pas particulières. Nous dirons ici que les poux
ni les puces ni autres telles vermines ne règnent point
ici, si ce n'est qu'on les apporte d'ailleurs, et, si tôt qu'on
a changé d'habits où il n'y en aie point, on n'en amasse
jamais (ce) qui est un grand bien. Le chique est un
peu importun. C'est un petit insecte de la façon d'une
puce, mais bien plus petit; il se fourre dans les pieds,
aux orteils, talons, etc., et y devient gros comme un pois
et jette quantité de lentes qui deviennent chiques. Les
paresseux et les vieux en sont bien incommodés ; mais
les autres non, et sont rares lorsqu'on est un peu propre.
Des poissons
C'est ici où le plus excellent naturaliste serait bien
empêché, car il y a tant de sorte de poissons qu'il est
impossible d'en dire les noms.
Lamentin. — Le lamentin est un grand poisson et
fort gros qui a la tête faite à peu près comme une vache;
il n'a point d'écaille, a une peau lisse et dure. La femelle
a deux mamelles auprès de ses deux nageoires de devant
et allaite son petit et le porte d'une de ses nageoires
d'en haut, ce qui ne se trouve en aucun autre poisson.
Ce poisson a les yeux extrêmement petits et tout ronds
comme le perroquet. La chair de ce poisson fraîche est
excellente, et meilleure encore et plus saine salée d'un
jour ou deux, àcause que toute fraîche, mangée en quan-
tité, elle excite par trop les humeurs. Ce poisson broute
(1) On écrivait aussi Mouschite, diminutif de mouche ; actuel-
lement moustique.

PREMIÈRE PARTIE
l'herbe qui croît dans les lieux moins profonds de la mer.
Il va aussi chercher l'eau douce ; c'est dans ces endroits
où nos varreurs les harponnent.
Tortues. Caouannes. Carets. — Il y a trois sortes de
tortues de mer : les tortues franches et ce sont les meil-
leures, les caouannes qui ont la tête plus grosse que les
franches et sont peu estimées, et les carets qui sont plus
petites que les autres, mais plus recherchées à cause de
leur écaille qui est extrêmement belle et précieuse pour
faire de beaux ouvrages soit en peignes soit en
et autres choses. La tortue commune a deux pieds et
demi de plastron de large. Les belles tortues font un
demi baril de viande. Les femelles de toutes les trois
sortes pondent dans le sable au bord de la mer. Elles
le viennent reconnaître quelques jours auparavant et y
font jusqu'à 120 ou 150 œufs à la fois et pondent trois
fois l'an. Elles font elles-mêmes avec leurs pattes de
devant un grand trou dans le sable et puis en couvrent
leurs œufs qui par l'action du soleil sont éclos ordinai-
rement au bout de six semaines. Les œufs sont fort
bons ; même tout couvés (ils) sont excellents. On les
prend de deux façons ou bien à la vare qui est un clou
gros et court qu'on leur fiche avec une longue gaule sur
l'écaille du dos, ou bien on les surprend sur le sable
lorsqu'elles vont pour pondre car on les tourne sur le
dos et ne se sauraient plus retourner.
Vache de mer. — Le poisson qu'on appelle vache de
mer ne se prend que pour tirer de l'huile à brûler de
son foie qu'on fait fondre*.
Loup marin. — Le loup marin est un grand poisson
qui va de plein jour sur le sable pour dormir. D'un coup
de bâton qu'on lui assène sur le museau on le tue et
on fait fondre la graisse pour brûler.
Requiem. — Le requiem (1 ) qu'on croit être le tibu-
rum est fort dangereux ; il a deux rangs de dents larges
(1) Aujourd'hui requin. Quand un homme tombait dans la
mer et qu'il y avait dans le voisinage quelques-uns de ces pois-
sons on pouvait dire « Requiem œternam, etc. », d'où le nom de
Requiem donné à ce monstre.
3

34
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
et longues qui coupent comme rasoir ; il a la gueule
comme une trappe dessous la tête, de laquelle on tire
une certaine substance fort molle et blanche qui durcit
au soleil ; elle est bonne pour la pierre. On fait fondre
son foie et on en tire de l'huile fort claire pour brûler ;
il s'en est tiré jusqu'à quarante pots d'un seul.
Poisson volant. — Il y a un poisson appelé des sau-
vages ouatanalou qui, étant poursuivi des gros, vole hors
de l'eau bien loin à l'aide de ses deux nageoires qui sont
aussi longues que son corps.
Il se trouve des rayes de grandeur prodigieuse.
Nous nous contenterons de nommer les autres plus
principaux : dorades, bécunes (qui toutes ne sont bon-
nes ; celles qui ont les dents noires et le
amer sont
venimeuses pour avoir mangé de la mancenille, les au-
tres sont fort bonnes), marsouins, souffleurs, carangues
de plusieurs sortes, grand'écailles, capitaines, laquets (?),
nègres (?), lunes, perroquets, orphies, congres, morènes,
vieilles. Dans les rivières il y a des grondeurs qui en
effet ont voix ; il y en a de gros comme des carpes, de
petits mulets, écrevisses, des anguilles, goujons, têtards
qui s'attachent aux roches. En quelque saison de l'année
il y a un petit poisson pas plus gros qu'un fer d'aiguil-
lette qui monte contre le cours de la rivière en si grande
quantité qu'elle en paraît toute noire ; les sauvages l'ap-
pellent titiri. On ne sait si c'est la rogue du poisson de
la rivière qui les a formés. On ne les mange pas un à un,
mais à poignée.
Etoile de mer. — Nous avons quantité de coquillages
comme burgos, lambis, soldats et mille autres. On trouve
dans des endroits de la mer une écaille rougeâtre qui a
la forme d'une étoile à cinq branches, il y a un poisson
dedans.
Crabes. — Nous oublions de mettre les crabes qui
est une espèce de cancre de terre. Elles sont assez gros-
ses, ont quatre pieds de chaque côté et un gros mordant
de chaque côté aussi. Il y a mâles et femelles, des rouges
et des banches qui sont les plus grosses, mais non pas
les meilleures. Les rouges montent aux montagnes d'où
elles descendent environ Pâques au temps de pluie et

PREMIÈRE PARTIE
35
vont jeter leurs œufs à la mer où ils éclosent. Les mâles
descendent aussi pour s'accoupler avec elles. C'est alors
qu'on en fait bonne chère. Les blanches ne bougent point
des mares et savanes qui sont au bord de la mer. Il n'y
a point de crabes rouges à la Capesterre.
Les crabes quittent tous les ans leur écaille, pour
quoi faire elles s'enferment en terre et deviennent mol-
les ; on leur trouve alors quatre pierrettes dans le
ventre qu'on dit être bonnes pour la pierre.
Homard. — Le homard est une écrevisse de mer plus
grosse de beaucoup que les écrevisses de rivières.
CHAPITRE III
DES VÉGÉTAUX, ARBRES ET PLANTES DE DIVERSES SORTES
Des arbres
Nous ne connaissons aucun arbre ici des naturels qui
ait son semblable en France. Il y a des orangers, citron-
niers,grenadiers qui viennent fort bien, mais ils sont
transportés d'ailleurs.
Nous mettrons premièrement les bois propres à bâtir.
Le premier est l'acoma qui est jaune, dur, qui ne pourrit
jamais ni à la pluie ni au vent, et est presque toujours
humide dedans. Il va à fond de l'eau. Il porte une petite
graine jaune, grosse comme une noisette dont le ramier
vit trois ou quatre mois de l'année. Il est gros et haut
et le plus propre à bâtir.
Le bois de rose est gris comme le noyer, non si poli
et ne se travaille pas si bien. Il ne pourrit pas, de long-
temps au moins. Il a une bonne odeur quand on le tra-
vaille qui se dissipe petit à petit.
L'acajou rouge est un bois fort tendre, le plus propre
et le plus commode aux habitants. On en fait avec faci-
lité toutes sortes d'ouvrages, meubles, planches, solives.
Il devient fort haut et gros ; il porte une graine amère,
assez semblable à la faine et on en pourrait faire de
l'huilé comme de celle-là.
C'est de ce bois principalement qu'on fait les canots
dont on navigue à la côte. Il s'en fait de trente à qua-
rante pieds de long avec cinq pieds ou quatre pieds et

36
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
demi de large. Ce bois là a une fort bonne odeur qui ne
se perd qu'à l'eau. On en fait de l'essence dont on couvre
les cases. Il ne pourrit jamais.
Le bois rouge et le bois jaune épineux sont aussi fort
propres à bâtir, comme aussi le gommier blanc qui jette
la gomme
qui est bonne à plusieurs choses.
On emploie aussi ce bois à faire des canots, et nos sau-
vages en font communément leurs pirogues qui sont
quelquefois longues de 45 à 50 pieds et plus.
Le bois vert est fort recherché particulièrement des
Hollandais qui en viennent charger leurs navires non
seulement pour la teinture, mais même, dit-on, qu'ils le
font passer pour de l'ébène ; aussi les ouvriers le font
assez souvent passer pour tel. Il est fort beau et se tra-
vaille bien ; il a la feuille petite.
Le santal est jaune et odoriférant et la fumée même
sent bon. On ne l'emploie à rien, car il n'est pas gros
ni droit. Il ne pourrit point ; il a la feuille fort petite.
Il y a un bois à la Capesterre qu'on appelle santal, mais
il a la feuille plus grande et épaisse que l'autre ; il est
gris, mais fort onctueux, ce qui le fait brûler tout vert
et sent bon.
Il y a du gayac à la grande terre. Il y a aussi des
bois qu'on appelle canelle duquel on tire une écorce reve-
nant à celle de la canelle, mais n'est pas si rouge et est
plus forte et plus désagréable.
Le canificier sauvage est commun et porte des gous-
ses de casse qui est grosse, âpre par dehors, n'a pas
l'odeur de la franche ni aussi la gousse quoiqu'il ne soit
pas désagréable. On a élevé depuis peu de la franche qui
vient fort bien.
Le bois d'Inde appelé des curieux laurier aromatique,
aussi est-il fort odoriférant ; la feuille est presque sem-
blable au laurier si non qu'elle est plus courte et ronde
par le bout. Il porte une petite graine qui a le gout aussi
bon que la feuille de laurier.
Il y a un arbre qui porte un petit fruit semblable au
gland, mais non si gros, ce n'est pas chêne pourtant.
Le mahot est un arbre qui vient dans les marécages.
Il a la feuille grande, forte, une fleur jaune plus grande
que celle du coton. Nous nous servons de son écorce au
lieu de cordes.

PREMIÈRE PARTIE
37
L'arbre de jasmin est assez haut et gros ; la fleur
est petite et de fort bonne odeur.
Il y a une sorte d'arbre qui ne tire son nom parmi
nous que de son effet. On fouille la racine et on en tire
l'écorce. Bien battue et lavée par après dans la rivière ;
elle enivre tout le poisson qui y est, avec bon succès pour
la cuisine.
L'arbre qui porte le rocou est fort tendre et ne sert
à rien sinon à faire du rouge dont nos sauvages se pei-
gnent. Ils en prennent la graine et la battent et !a met-
tent dans l'eau ; le rouge qui est autour de la graine va
au fond et ainsi le séparent de la graine, puis le démê-
lent avec de l'huile et s'en frottent tout le corps ; c'est
là leur habillement.
Mais quelque fois ils prennent aussi plaisir à s'habil-
ler de noir, car la diversité plaît. Le jénipa est un arbre
qui leur fournit de la teinture. Le jus de la pomme de
cet arbre noircit et cette noirceur dure neuf jours pen-
dant lesquels il n'y a point de moyen de l'effacer. Cela
passe et elle s'efface toute seule tout à la fois.
Il y a plusieurs sortes de palmistes. Les uns sont
épineux, les autres non. Les uns portent de petites grai-
nes grinelées dont on fait des chapelets assez beaux ;
les autres produisent des graines noires qui sont plus
grosses. Ces arbres poussent leurs fleurs comme des plu-
mages qui au commencement sont enfermés comme dans
un étui, long de deux pieds, en pointe, qui est
comme du cuir bouilli, velouté au dehors, qui tombe lors-
que la fleur grossit. La pointe tendre des palmistes est
bonne à manger à peu près comme chou à fleurs. On a
planté des palmistes dattiers qui viennent fort bien. On
se sert de feuilles de palmistes pour couvrir les cases.
Le latanier est fort droit, dur, menu et haut, creux
par dedans. Les feuilles sont faites comme un éventail
de demoiselle et pliées tout de même, mais bien plus
grandes. On s'en sert aussi pour couvrir les cases et les
sauvages encore pour faire des parasols et parapluies.
Maintenant il faut dire quelques choses des arbres
qui portent fruit.
Le cachiman est un arbre assez gros qui a la feuille
sembable au pêcher mais plus longue et moins verte. Il
porte un fruit gros comme une pomme de pin et de la

38
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
même figure. L'écorce est marquetée comme d'écailles,
rougeâtre par endroit lorsqu'il est mûr. Pour être bon,
il faut qu'ih soit tout mol et a quasi le goût de poire
molle, d'autres disent de crême sucrée. Les pépins sont
pêle-mêle avec la chair en rond. Il y en (a de deux sortes;
les plus gros, appelés des sauvages alakalioua, sont les
meilleurs ; les petits que les sauvages appellent simple-
ment cachimans ne sont pas si bons.
Le mommain porte un fruit qui a la même forme
du cachiman, mais est plus gros ; la feuille est fort verte,
lisse, ronde par le bout et bien différente de celle du
cachiman.
Le mombain porte une prune jaune ; le noyau est
fort gros et ne contient point d'amande. La chair du
fruit est douceâtre et il y en a peu. Il se trouve à la
grande terre des prunes violettes de cette façon, mais
elles ne viennnt que sur des lianes.
Le raisinier est un arbre gros, tortu et extrêmement
rouge au cœur. Il porte de certaines grappes de petites
prunes qui ne sont pas désagréables.
Le goyavier est poli par l'écorce et lisse ; il a la
feuille à peu près comme du prunier, il est haut. La
goyave est fort bonne, de couleur de chair par dedans
tout mêlée de petites graines qui sont comme de petites
pierres ; il y en a d'aigres et de douces. Il y en a aussi
qui ont la chair blanche.
Le merisier est un petit arbre qui a la feuille pres-
que semblable au buis. La fleur est odoriférante et son
fruit est gros comme ces petites merises noires de France
et devient noir aussi et n'est pas désagréable.
Il y a aussi une sorte d'arbre qui porte une pomme
grosse comme le poing qui renferme trois grosses noix
rondes et plates qui ont le goût assez approchant des
noix communes.
Le cajou ou l'acajou est un petit arbre différent de
l'autre que nous avons mis ci-dessus. Il a la feuille gran-
de comme la paume de la main, fort mince et rougeâtre
par les bouts. Il porte un fruit fort beau, long, et lors-
qu'il est mûr il est rouge ou jaune car il y (en a de deux
façons. Il a cela de particulier que le noyau sort tout le
premier et en sa juste grosseur auparavant que le fruit
commence à grossir et est aussi hors le fruit. Ce noyau

PREMIÈRE PARTIE
39
a la forme d'un rognon de coq et jette une huile qui est
caustique.
Le bananier est un arbre parce qu'il est grand com-
me un arbre, mais en effet ce n'est que de l'herbe. Il
devient gros de deux pieds de rond. Ce n'est quasi que
feuilles s'enveloppant l'une l'autre comme l'oignon et le
cœur qui est gros comme le bras pousse au dehors un
régime de bananes qui est son fruit jusqu'à 50, 60 et
quelquefois cent ; il est long d'un empan et plus. La
feuille est large de deux empans, longue de six ou sept ;
quand elle sort de la tige, elle est fort délicate. Il y en
a de deux sortes, les unes appelées simplement bananes
qui sont plus fermes et plus agréables au goût et qui
étant séchées au soleil lorsqu'elles sont bien mûres ont
le goût de poires confites ; les autres appelées figues ne
sont pas si longues mais plus molasses et comme disent
quelques-uns moins venteux.
Le manioc est un petit arbrisseau de la racine duquel
nous faisons notre pain en ce pays. Son bois est fort
tendre, a l'écorce fort lisse et parsemée de nœuds. Sa
feuille est séparée en doigts cinq ou six ou sept. On
plante un petit bâton de ce bois en terre qui au bout
d'un an ou tout au plus dix huit mois porte de grosses
racines et longues tantôt plus, tantôt moins selon les
terres où il est planté. On racle la petite écorce de cette
racine comme des naveaux, puis on grage la racine sur
une plaque de cuivre percée. (Les sauvages se servent
de grages qu'ils font avec de petites pierres qu'ils fichent
dans une planche). La farine étant gragée de la sorte,
on la passe pour faire sortir tout son suc qui est un très
présent (sic) poison. La farine étant bien sèche, on la
passe au travers d'un hébéchet qui est une forme de gaz
fait de jours, puis on l'étend de l'épaisseur d'un doigt
ou plus ou moins sur une platine de fer ou de cuivre
(celles des sauvages sont ordinairement de terre) sous
laquelle on allume du feu. Et ainsi se fait le pain qui est
appelé cassave, qui est extrêmement blanc quand il est
bien fait, et de bon goût lorsqu'on y est accoutumé (à
quoi on a un peu de peine du commencement) mais il
n'est pas pourtant comparable ni en goût ni en substance
au pain de froment. Ces cassaves étant bien sèches se
gardent longtemps. De cette cassave on fait la boisson

40
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
qu'on appelle ouikou en mettant un bon nombre de cas-
saves dans un baril d'eau et y mêlant quelques patates
ou autres racines propres; il bout un certain temps et
est assez agréable. L'eau de manioc que nous avons dit
être un poison, comme on a que trop éprouvé, étant
bouillie ne l'est plus. Elle a un goût un peu aigre et a
la propriété d'attendrir les viandes qui cuisent avec, et
nos Caraïbes ne mangent quasi rien où ils n'y en mettent.
Ne laissons pas en arrière le plus utile de tous nos
arbres, le calebassier. C'est un arbre touffu de branches
qui sont fort feuillues. La feuille est longuette en forme
de langue de chien. Il y en a de plusieurs sortes en cela
différentes qu'ils portent de diverses sortes de cale-
basses. Les uns en portent de grosses qui contiennent
demi quart plus ou moins, les autres des petites, les
autres des longues, les autres des rondes. On s'en sert
des unes comme de cruches à porter de l'eau ou de
l'huile, etc. En les fendant, on en fait des plats, des
tasses à boire, des cuillères ; enfin c'est notre vaisselle
la plus commune qui ne coûte rien, et, si on veut, est
bien nette. Les sauvages peignent leurs couis et les font
fort gentils. Cet arbre prend de boutures.
Il y a des roseaux ici fort gros et hauts. On se sert
des têtes pour couvrir les cases et du pied pour les palis-
sades. Il jette au bout un petit tuyau sans nœud et au
bout une panache. Les sauvages se servent de ce tuyau
pour faire leurs flèches.
Des plantes
L'ananas est le plus excellent de tous les fruits du
pays, gros comme un pain de sucre et de la même forme,
portant une houppe ou couronne de feuilles sur la pointe.
La plante est assez semblable à un pied d'artichaut ; les
feuilles longues, dures et bordées de petites épines
comme de dents. Il y en a de plusieurs sortes, les uns
plus gros que les autres. Les meilleurs sont ceux qui
reviennent mieux à la forme de pain de sucre.
La pite est tout semblable à l'ananas, excepté que la
feuille est plus lisse et jaune et sans épine. Le fruit n'en
est ni si bon ni si gros. La feuille se tille et on en tire
une filasse fort blanche et délicate et aussi forte que le

PREMIÈRE PARTIE
41
chanvre. On en fait des cordes grosses et menues comme
on veut. Les sauvages l'emploient fort bien.
Le caratas est une plante revenant à l'ananas. La
feuille est deux fois plus longue et épineuse par les
bords ; elle porte plusieurs petits fruits gros et longs
comme le doigt qui sont fort aigres. Il en faut lever la
première peau d'autant qu'elle brûle et fait élever toute
la bouche.
La plus utile de toutes nos plantes est la patate qui
jette une racine aussi appelée patate, la plus excellente
de toutes les racines. Elle a le goût de châtaigne, mais
plus suave et comme sucré. Il y en a de plusieurs espèces,
toutes bonnes. La feuille est fort bonne aussi soit en
porate (?) soit en façon d'épinards. C'est la nourriture
la plus universelle de tous. Car, tous les animaux man-
gent de cette ravissante racine. On la plante en cette
sorte. On fait un trou en terre en temps de pluie, et on
y met une branche ou deux de son bois qu'on recouvre
de terre. Au bout de trois ou quatre mois les patates
sont bonnes à manger, et sont grosses communément
comme les deux poings. On en voit souvent de grosses
comme la tête d'un homme. Cette plante rampe sur terre
et en rampant jette des racines en terre.
Les cotons viennent fort bien ici. Les sauvages culti-
vent soigneusement leurs jardins à coton pour en faire
des lits, ceintures et autres ouvrages.
Le pimentier est une plante haute et belle qui porte
un fruit qui est tout rouge étant mûr. On l'appelle
poivre des Indes. La graine est plus mordicante et forte
que le poivre, aussi s'en sert-on au lieu de poivre. La
fleur est blanche et petite. Il y en a de gros, de petits,
de longs, de ronds. Les sauvages ne mangent rien sans
piment.
Le chardon est une plante qui se traîne sur les
roches, monte sur les arbres et se plaît à pendiller de
dessus. Elle est grosse comme le pouce ou peu plus a
trois angles, est fort charnue et parsemée tout de long
de fort petites épines éloignées l'une de l'autre à peu
près d'un pouce. Elle ne jette aucune feuille ; à son
extrémité, elle produit une fleur fort blanche, longue
presque de la main et puis un fruit qui étant à maturité
est plus gros qu'un œuf de poule d'Inde, d'un rouge

42
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
tirant un peu sur le violet. L'écorce est épaisse, glau-
te (?) et parsemée de petite pointes vertes. La chair
de dedans est blanche, toute mêlée de petites graines
noires. Son goût est fort bon et fort rafraîchissant.
Les torches sont de même substance que le chardon
et portent un fruit semblable, mais sont hautes, grosses,
élevées comme des torches et tout semé d'épines fort
menues, longues comme des épingles.
Les figuiers d'Inde appelés ici des raquettes à cause
qu'ils en représentent la forme sont de la grandeur d'un
pied, larges de demi pied et plus, de même substance
que les torches et chargés d'épines toutes semblables.
Mais le fruit est bien différent ; il a la figure d'une figue
et rouge quand il est mûr, parsemé de petites épines
qui sont menues comme cheveux, qui entrent aisément
dans la chair. Il est tout rouge par dedans et a un goût
un peu aigrelet.
La plante qui porte la fleur de la passion est une
herbe rampante qui a la feuille assez grande ; la fleur
est de couleur violette mêlée de blanche, d'une odeur
assez agréable. Elle représente, par ses points en forme
de couronne, la couronne d'épines, et au milieu il y a
comme une colonne au bout de laquelle sont comme trois
clous. Le fruit appelé grenadille est gros comme un œuf
de poule d'Inde ; il est aigre et parsemé de graines noires.
Celle qui porte les groseilles est aussi une herbe ram-
pante, le fruit est gros comme une petite noix, tout rond,
jaune quand il est mûr ; produisant de çà de là de
petites feuilles violettes un peu longues.
Il y en a une autre aussi rampante qui produit de
longues gousses de certaines grosses châtaignes
larges comme la paume de la main, plates et en forme
de
. L'écorce est plus forte de beaucoup et
plus dure que celle des châtaignes. On les vide et on s'en
sert à mettre des poudres ; elles ne se corrompent point
étant au sec.
Il y a encore une sorte d'herbes rampantes qui por-
tent des pennaches de petites fleurs violettes deux ou
trois fois l'année.
Il y a une plante appelée siguine qui a la feuille fort
large et grande et dont la racine a quelque ressemblance
à la siguine, mais on n'en fait point d'état.

PREMIÈRE PARTIE
43
La plante que nous appelons sauge parce que la
feuille y revient en quelque façon quoiqu'elle soit plus
grande, est haute comme un petit arbre ; à toutes les
feuilles qu'on arrache, elle jette une liqueur olivâtre,
claire et onctueuse dont les sauvages font grand état et
on en a vu des expériences sur les plaies récentes.
Ils font une très grande estime d'une plante dont
la racine pilée et appliquée sur les blessures des flèches
empoisonnées, en tire tout le venin, et même des mor-
sures des animaux venimeux.
Il y en a une autre qui a la feuille à peu près comme
des queues d'oignons dont la racine sert à soulager les
femmes en leur accouchement, en faisant boire de l'eau
où cette racine a bouilli.
Cette autre n'est pas moins remarquable qui appli-
quée sur les tumeurs ou enflures les plus enflammées,
les fait évanouir du soir au lendemain.
Mais celle-là est admirable qui a la force d'attirer
une flèche pour la faire passer tout outre. Car comme
leurs flèches sont toutes harponnées, ils ne sauraient les
retirer d'un lieu, par exemple du bras, sans faire de
grandes incisions. Ils. appliquent cette herbe de l'autre
côté de la blessure et elle attire la flèche et la fait passer
outre.
N'omettons pas celle qu'ils appellent oualoman de
laquelle ils font leur panier, ébéchets et autres ouvrages
comme nous dirons en la seconde partie.
Nous avons trouvé dans le marais qui est dans notre
place une herbe sensible ou plutôt un arbrisseau sensible
qui croît fort, a la feuille plus longue et la graine toute
autre que l'herbe sensible qui est en France ; elle ne
paraît pas si vive.
Il y a une sorte de glay qui jette une grande queue
de petites fleurs jaunes et tachées de noir.
On voit quantité de fleurs qui n'ont point leur sem-
blable en France. Nous n'en voyons aussi guère de
France ici. Les œillets, roses, tulipes, lys n'y ont point
encore paru quoi qu'on y ait vu des rosiers, mais sans
fleurs. Mais ce qui est meilleur, la vigne y vient fort
bien et porte facilement trois fois l'an, mais on n'en a
quasi pas encore cultivé. Quelques-uns disent y avoir vu
de bon froment et qu'il y viendrait bien. Les choux à

44
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
feuilles et quantité d'autres herbes viennent bien des
graines de France, mais elles n'en portent pour d'autres
graines. On les prévigne de rejetons. Les melons, con-
combres, courges, raves, giraumons et autres rapportent
fort bien et les graines du pays sont bonnes.
On n'a point encore eu soin d'expérimenter si les pom-
miers, poiriers, cerisiers et autres arbres de l'Europe
viendraient bien ici.
C'est ici le vrai pays au petun ou tabac et c'est notre
plus grand trafic. Le sucre y vient fort bien et excellent,
et les cannes sont bonnes à couper à huit ou dix mois,
grosses et succulentes. On aurait bien plus de profit à
faire de cette marchandise que du tabac, mais il faut
de grands frais pour monter un moulin et des hommes
adroits.
Voilà tout ce que nous avons remarqué pour le pré-
sent des choses de cette île. Nous avons expressément
omis beaucoup de choses et nous ne nous sommes pas
occupés à en rechercher beaucoup d'autres pour laisser
à quelques curieux naturalistes cette recherche qui ne
serait ni vaine ni inutile, mais n'est guère propre à
notre humeur, ni revenant à nos occupations. On jugera
de la pièce par cet échantillon qui est extrêmement
petit. Il faudrait avoir un peintre pour tirer les formes
et les couleurs des feuilles et des fruits du pays et avoir
un grand loisir pour apprendre des sauvages les noms et
vertus des plantes, des arbres et des autres choses de
ces terres. Ils ont sûrement de grandes connaissances et
expérimentent de rares vertus de plusieurs choses dont
on ne sait le nom en Europe. S'il ne se trouve personne
qui prenne cette tâche, peut être qu'un jour lorsque
nous serons un peu paisible parmi eux, nous emploierons
notre loisir à cette recherche.
A la plus grande gloire de Dieu.

SECONDE PARTIE
DE
CETTE RELATION
De l'origine, mœurs, religion
et autres façons de faire des Caraïbes
appelés communément sauvages
anciens habitants de la Guadeloupe
Puisque notre mission a été principalement instituée
pour l'instruction des infidèles sauvages, il faut donner
à connaître leur origine et façons de faire, car on for-
mera plus aisément le jugement du succès qu'aura un
jour la mission par la connaissance des humeurs de ceux
avec lesquels nous traitons. Nous ne disons rien que
bien certain. Le R. Père Raymond Breton, religieux de
cette mission, qui a conversé deux ans presque avec eux
et a assez avancé en leur langue pendant ce temps (1),
a pu apprendre leurs façons de faire et cérémonies.
Lesquelles il a presque toutes vues ou sues d'eux mêmes,
au moins pour ce qui regarde ceux de la Dominique car
ès autres îles ils ont d'autres rêveries, comme nous avons
su par le rapport du Révérend Père Meslan, Jésuite qui
a été parmi les sauvages de la Martinique.
(1) Version parisienne : « Le P. Raymond... a assez avancé
en leur langue que pendant ce temps il a pu... ».

46
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
CHAPITRE PREMIER
DE L'ORIGINE ET HUMEURS DES SAUVAGES
On ne saurait rien colliger de tous leurs songes et
mensonges touchant leur origine sinon qu'ils sont des-
cendus des peuples les plus voisins des îles qui sont à la
terre ferme. Ce qui est tout certain. L'amitié qu'ils
conservent avec eux et le commerce des uns avec les
autres en sont des marques aussi bien que l'uniformité
du nom dont les uns et les autres s'appellent, savoir est
kallinago selon le langage des hommes et kalliponam
selon le langage des femmes. Quoique pour quelque dis-
tinction entre eux et ceux de terre ferme, ils appellent
ceux-ci Balouöouri du mot Ballouö qui signifie terre
ferme, comme qui dirait un français parisien ou Lan-
grois. Ainsi disent un kallinago de terre ferme. Nous
appelons ceux de terre ferme qui sont amis de nos sau-
vages Gallybis et nos sauvages Caraïbes.
Si vous leur demandez comment ils se sont retirés
d'eux et se sont transportés dans les îles, ils n'en sau-
raient rendre de raison. Bien, disent-ils tous, que leur
premier père Kallinago étant sorti de terre ferme accom-
pagné de sa famille se logea à la Dominique. Il y eut
une longue postérité et y vit les neveux de ses neveux
qui par une extrême cruauté le firent mourir par poi-
son. Mais il fut changé en un poisson de monstrueuse
grandeur qu'ils appellent Akaiouman et est encore tout
plein de vie dedans leur rivière. Cette fable fait au
moins connaître qu'ils sont descendus des peuples de
terre ferme.
C'est la croyance de plusieurs français qu'il y avait
d'autres habitants dans ces îles devant les Caraïbes des-
quelles ils ont été chassés. Et sont fondés sur ce que (et
il est certain même au dire des sauvages) il y a encore
dans quelques îles de ces gens-là qui se sont retirés dans
les montagnes qui sont blancs comme les français et
portent la barbe longue. Monsieur d'Esnambuc, gouver-
neur de Saint Christophe assura le Père Raymond qu'il
y en avait à Saint Christophe. Les Caraïbes assurent

DEUXIÈME PARTIE
47
qu'il y en a à la Guadeloupe et qu'ils sont au-dessus de
la grande rivière à Goyave et à la Grandeterre. Et il
est assuré qu'il y en a à la Dominique car ils en voient
souvent. Lorsque le Père Raymond fut la première fois
à la Dominique en [mil] six cent quarante deux les
sauvages avaient surpris une homme, une femme et une
fille de ceux-là. Ils tuèrent et mangèrent l'homme et fi-
rent esclaves la femme et la fille. Et l'année passée, le
jour même qu'il y arriva, ces Montagnards là étaient
descendus, avaient brûlé une case et emporté quelques
meubles.
Nos Caraïbes pourtant disent par une tradition cer-
taine parmi eux qu'ils ont tué les Allouages (premiers)
habitants des îles (1) et que ceux qui sont dans les mon-
tagnes sont de leurs esclaves qui s'en sont fuis dans les
montagnes et y ont peuplé, ce qui fait que maintenant
ils ne pardonnent plus que rarement aux esclaves mâles,
mais les tuent et les mangent. Que s'ils sont blancs ce
peut être à cause du froid.
Pour ce qui regarde leurs personnes, ils sont de belle
stature et bien porportionnés, forts, robustes, gras pour
l'ordinaire et sains. Ils ne sont point autrement diffor-
mes sinon que plusieurs sont camus à cause que leurs
mères leur aplatissaient fort le front et le nez en leur
naissance. Leur couleur naturelle est comme olivâtre
fort basanée. Ils paraissent plus rouges à cause du rocou
dont ils se rougissent tous les jours. Ils ont tous les che-
veux noirs et ne sauraient souffrir de poils rouges ou
blonds. Il y a fort peu de chauves parmi eux et ils se
moquent de ceux qui le sont. Ils ne sont point plus vo-
leurs que les français et encore moins.
Pour ce qui touche leurs humeurs, ils sont tous mé-
lancoliques, tristes, sombres et leur visage même le
montre. Ils parlent peu si on ne leur parle. Ils ne sont
pas trop stupides pour des sauvages. Ils sont curieux et
fort adroits ès choses auxquelles ils s'appliquent comme
à faire des lits, des paniers, pêcher, chasser, tirer de la
flèche. Sont fort allègres et légers à grimper, sauter et
(1). Vers. Rom. :
« Nos Caraïbes...
disent..., qu'ils sont les
premiers habitants des îles et que ceux qui sont dans les mon-
tagnes..., etc. ».

48
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
nager, et seraient sans doute capables de plus grandes
choses.
Une jeune homme captif parmi eux leur comptait
quelque histoire de l'Ecriture Sainte, ils le questionnè-
rent là-dessus et lui formèrent des doutes qui n'étaient
pas des impertinences.
Ils sont assez libéraux entre eux et se donnent les
uns aux autres de ce qu'ils ont : aussi demandent-ils
librement. Ils ne font pas comme cela avec nous autres
français, car ils ne nous donnent rien et demandent tou-
jours et ne se rebutent pas du refus.
De leur naturel, ils ne sont pas cruels, si ce n'est
contre leurs ennemis. Ils sont dangereux lorsqu'ils sont
dans leurs vins et se battent les uns les autres, mais
hors de là, on en jouit aisément.
Ils sont paresseux extrêmement et aiment mieux
faire plus maigre chère et moins travailler. Ils ne pen-
sent guère au lendemain et ne font aucune provision
que de manioc et de patates qu'ils plantent en saison.
Encore bien souvent s'en trouvent-ils court. Ils ne se sou-
cient ni de l'or ni de l'argent ni des pierres précieuses.
Ils ont leur travail taxé entre les hommes et les fem-
mes ; ils se piquent d'honneur si on ne les estime pas
ce qu'ils pensent être. Les hommes ne touchent jamais
au travail ordinaire des femmes, croyant qu'ils dégéné-
reraient. Parmi tout cela, ils vivent contents et seraient
certes heureux, si la religion chrétienne avait un peu
tempéré leur barbarie et saleté.
On demandera peut-être comme quoi ils sont si peu,
vu principalement la multitude de leurs femmes. Ils
vous répondent que les Chrétiens en sont cause, car
comme disait un d'eux au Père Raymond, les Espagnols
ont massacré par deux fois tous les sauvages de l'île de
Saint Christophe ; une fois ceux de la Guadeloupe dont
il n'échappa qu'une femme et ses enfants qui se sauvè-
rent aux montagnes et y ont peuplé comme ils disent.
Us en voulurent faire autant à la Dominique et en mas-
sacrèrent bien la moitié. Depuis ils ont été travaillés de
la petite vérole qu'ils appellent variola de laquelle il
en mourut plusieurs qui pourrissaient, ne sachant point
encore de remède à ce mal. Enfin c'est que tout le monde
les enlève ou les tue, Flamands, Anglais, Espagnols et
leurs Allouagues qui sont leurs ennemis.

Caraïbes et Européens
d'après le P. du Tertre.


PREMIERE PARTIE
49
CHAPITRE II
DE LEUR LANGUE
Le langage de nos Caraïbes est différent de celui des
Gallibys de terre ferme. Il est difficile à apprendre pour
plusieurs raisons. La première est qu'ils ne le couchent
point par écrit ni par aucun caractère de sorte qu'il
faut une grande patience pour écouter, une grande
attention pour distinguer leurs paroles qu'ils précipi-
tent fort et une grande mémoire pour retenir ce qu'on
a pu recueillir. La seconde est qu'ils ont diverses sortes
de langages. Les hommes ont le leur et les femmes un
autre, et encore un autre pour les harangues et traités
de conséquence, que les jeunes gens même n'entendent
pas bien. La troisième est qu'ils n'ont point de mots
pour exprimer les puissances de l'âme, comme la volonté,
l'entendement, ni ce qui regarde la religion, la civilité.
Ils n'ont aucun terme d'honneur comme Notre Seigneur.
Ils expriment pourtant quelques actes de l'entendement
et de la volonté comme se souvenir, vouloir. Es autres
choses, la langue est copieuse et assez belle. Ils chantent
quelquefois des chansons sur un ton qui n'est pas
agréable et est tout simple. Ils chantent ce qui leur vient
à l'esprit sans rime et bien souvent sans raison, spécia-
lement contre leurs ennemis.
Ils s'appellent l'un l'autre par des termes qui signi-
fient les degrés de consanguinité ou affinité comme mon
père, mon frère, mon cousin ; les autres ils les appellent
mon compère.
Ils ne nomment jamais personne par son nom, parti-
culièrement s'il est parent. Que s'ils sont contraints de
le nommer, ils ne disent que la moitié du mot. Ils pren-
nent souvent le nom de celui avec qui ils contractent
amitié ou compérage particulier.
Ils ont un baragoin ou langage particulier (1) dont
ils traitent avec nous qui est espagnol, français, caraïbe
pêle-mêle par ensemble.
(1) V. Rom. : « Langage corrompu ».

RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
CHAPITRE III
DE LEUR RELIGION OU PLUTOT SUPERSTITIONS
C'est mieux fait de dire que les sauvages n'ont point
de religion, car ils n'en savent pas seulement le mot non
plus que de prière, de temple ou d'adoration. Ils recon-
naissent pourtant quelque chose par manière de Divi-
nité à laquelle ils rendent quelque devoir non par aucun
amour mais par la seule crainte qu'ils ont qu'elle ne leur
fasse du mal. Car à tous leurs vins ou festins, dès le
commencement ils lui offrent comme les prémices de
leur banquet. Car ils mettent en un coin un M atout ou
(qui est comme une forme de tabouret bas, fait de joncs
comme leurs paniers) et sur celui-ci des plus belles cas-
saves qu'ils aient, avec des calebasses pleines de ouicou
qui est leur boisson ordinaire. Ils en font autant lors-
qu'ils abattent du bois pour faire un jardin. Et ils ont
la croyance que ce Dieu mange ce qu'ils lui offrent et
quoi qu'ils le retrouvent comme ils l'ont mis, ils disent
que c'en est d'autre. Ils croient qu'il y a homme et
femme parmi les Dieux, qui sont divers. Ils les consul-
tent fort souvent soit du succès de leur guerre soit de
la fin de leur maladie. Ils leur répondent, mais voici com-
ment ils font. Il y a plusieurs d'entre les sauvages, hom-
mes et femmes, qui dès leur tendre jeunesse sont dévoués
et sacrés à ces Dieux, et qui seuls les font venir et leur
parlent. Ils les nomment Boïé ou Boïaïko, qui pour cet
effet jeûnent longtemps et s'abstiennent de beaucoup
de choses. Chaque Boïé a son Dieu et quelquefois deux.
Et ces Dieux sont tout ce que veulent ces marauds là.
affligent de maladie ou guérissent ceux qu'ils veulent.
Lors donc que les sauvages veulent savoir l'événement
d'une guerre ou d'une maladie, ils appellent un Boïé. Ce
masque vient de nuit, éteint soigneusement tout le feu
autour de la case et entre dedans avec ceux qui l'ont
appelé, qui ont déjà préparé au milieu sur un matoutou
des meilleures cassaves et des calebasses d'ouicou. Etant
entré, il s'assit et prenant du tabac et le broyant entre
ses mains, il souffle dessus, comme l'élevant avec ses

DEUXIÈME PARTI E
5 1
deux mains. Aussitôt le Diable arrive et fait autant de
bruit comme si un homme sautait au milieu de la place
et faisait claqueter ses doigts, en les secouant dès le
faîte de la case. Alors il parle et rend réponse de ce qu'on
lui demande et tout le monde l'entend. Si c'est un malade
qui doit mourir, il dit qu'il mourra et ne lui fait autre
chose. Mais s'il doit guérir, le Boïé et le Diable (qui
quelquefois paraît mais au malade seulement comme un
sauvage ou une sauvagesse) lui manient bien fort la
partie malade en soufflant toujours dessus et font croire
qu'ils en tirent des épines de palmistes ou autre chose
qu'il s'imaginait lui causer le mal. Ils sucent aussi les
plaies et font semblant d'aller dehors vomir ce venin.
Avec cela nos sauvages s'imaginent guéris. Ce beau Dieu
ayant fait ses réponses, fait semblant de boire et de
manger ce qu'on lui a offert, et puis comme s'il avait
tout avalé, remue les calebasses et les couïs comme s'ils
étaient vides, et se retire donnant du pied contre terre
et secouant ses doigts. Avec cela nos gens trouvent leurs
cassaves sur le matoutou et leurs calebasses toutes plei-
nes comme elles étaient et disent que c'en est d'autre
et estiment cela un grand miracle, et le mangent et boi-
vent devant toute autre chose. Ils disent qe ce Dieu ou
Riose a tué une fois un homme présent à ces consulta-
tions de Boïé parce qu'il lâcha un vent de ponant qui
déplût à ce maître Gonin.
Il arrive quelquefois qu'ils appellent plusieurs Boiés
qui ont chacun leur Dieu. Alors l'un rejette la cause du
mal sur l'autre et on entend manifestement les beaux
Dieux se disputer là dessus, s'injurier et même comme
il semble aux assistants, se battre.
Au reste les diables entrent même dans les corps des
hommes pour parler par leur bouche, comme il arriva
une fois qu'un ayant été appelé par la moitié d'une nuit
par la bouche d'une femme couchée dans son lit, dont
la femme ne se souvenait point le lendemain.
Quelques français ont assisté à toutes ces momeries
et croient certainement que le Diable arrive et parle et
que ce ne sont pas seulement des charlataneries de ces
Boïés. Notre Père Raimond étant dans la case du Baron
qui est un des principaux de la Dominique comme ils
eurent appelé un Boïé pour une de leurs filles malade

52
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
et fait venir son Diable, il l'entendit parler d'une voix
fort claire et voulut entrer dedans avec un tison ardent,
mais jamais les femmes ne le voulurent laisser entrer
et lui ne voulut pas s'y trop opiniâtrer n'étant pas en-
core assez savant en la langue.
La femme de ce capitaine voulut faire une de ses
filles Boïée par le moyen d'une autre. Mais jamais elle
ne put quoique la fille même en eût envie et jeunât
comme on lui disait. La vieille sorcière prenait pour
excuse qu'elle mangeait quelque chose de ce qu'on lui
défendait.
Quand les malades sont guéris, ils font un festin au
Boïé qui y appelle aussi quelquefois son diable à la fête.
Et le Boïé et maître Gonin s'il y est, noircissent le ma-
lade de jénipas pour conclusion de la farce.
Plusieurs pour parler au diable n'appellent pas des
Boïés ; fouillant dans la terre où ils savent qu'il y a
quelqu'un d'enterré, ils en tirent des os ou du poil du
trépassé, le mettent dans une calebasse qu'ils bouchent
de coton, et les diables leur parlent par ces os ou che-
veux et se disent être l'âme du trépassé.
Voire avec ces os, ils font diverses sortes de charme
pour se venger de leurs ennemis. Les uns prennent le
reste du repas de leur ennemi et le mettent auprès de
ces os de morts que nous avons dit, les ensorcellent, les
autres y mettent du sang de leur plaie comme il arriva
à un qui vint trouver le Père Raymond à la Guadeloupe
pour être baptisé ; mais n'étant pour lors possible de
l'instruire, il le renvoya. Celui voulant venger la mort
de son frère, entrant dans une case, donna un grand
coup de couteau à un qu'il croyait être le meurtrier de
son frère, mais ne l'était pas. Les parents du blessé ne
pouvant en tirer de raison, l'autre s'étant esquivé, trem-
pèrent du coton dans le sang de leur fils et le mirent
auprès de ces os susdits et il tomba dans une langueur
qui au bout de deux ans le fit mourir.
Le Père Raimond et son interprète demandant à un
Boïé nommé Sali comme il était fait son Dieu, il dit qu'il
était si vieux que son bâton à force de le porter en était
tout luisant. Il dit que c'est lui qui cause les ouragans
ou tempêtes violentes.
Lorsque le soleil ou la lune éclipsent, ils disent que

PREMIÈRE PARTIE
53
c'est Mapoya qui les mange (nous dirons au dernier
chapitre ce qu'ils entendent par Mapoya). C'est pour-
quoi ils appellent Laïkoua noquam la comestion de la
lune ; Laïkoua vicou la comestion du soleil. Lorsque l'une
ou l'autre arrive, les femmes et jeunes gens dansent
toute la nuit et quand ils commencé une fois à danser,
ils n'oseraient finir jusqu'au jour. Ils ne chantent point
pendant cette danse, mais de fois à autres jettent des
cris lugubres. Pendant ce silence morne, il y a une fille
ou femme qui fait sonner de petites pierres dans une
calebasse et chante toute seule. Ils n'ont d'autres raisons
de cette triste danse sinon que leurs vivres qui sont
dans terre mourraient sans cela.
Or dans leurs danses, tant celle-ci qu' es autres de
réjouissances, ils ne se tiennent pas par les mains, mais
seul à seul. Ils joignent les deux pieds et sautillent, un
peu courbés, mettant une main sur leur tête et l'autre
sur la fesse et les changent perpétuellement. Cette danse
les lasse si fort, qu'ils n'en peuvent plus à la fin.
Parmi leurs superstitions, ils n'en ont point de plus
rigoureuse que leurs jeûnes, et comme ils jeûnent pour
plusieurs raisons et en divers temps, nous en parlerons
de chacune en son lieu.
Disons ici ce qu'on ne saurait dire plus à propos ail-
leurs. Ils comptent leur année par le cours de la pous-
sinière qu'ils appellent siric. Ils ont connaissance de
quelques étoiles et savent à peu près quand ils auront
de la pluie ou du vent. Us ne comptent point plus haut
que cinq.; s'ils ont à dire dix, ils disent tous mes doigts.
Si vingt, ils montrent leurs pieds et leurs mains et n'en
sauraient dire davantage.
CHAPITRE IV
DE LEURS ORNEM ENTS
Nos Caraïbes ne portent jamais d'habits ni hommes
ni femmes, si ce n'est quelques capitaines, lorsqu'ils vien-
nent parmi nous et ne couvrent pas même leurs parties
honteuses. Contre la coutume néanmoins de ceux de

54
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
terre ferme, tant hommes que femmes qui ont une sorte
de brayer de coton couvrant ce que la nature a honte
de montrer.
Hommes et femmes portent les cheveux longs ; ils
coupent ceux de devant la tête jusqu'à la moitié du
front et les laissent pendre en forme de garcette ; ils
séparent ceux de devant d'avec ceux de derrière par
une raie qui va d'une tempe à l'autre, laissant deux
petites moustaches sur les deux tempes. Ils tirent tout
le reste derrière la tête qu'ils laissent pendre derrière
le dos. Quand ils vont quelque part, il les troussent fort
proprement derrière la tête et les lient avec des aiguil-
lettes de coton rocouées au bout desquelles est une petite
houppe ou bien un dé de femme avec de la rassade blan-
che. Quelques uns ajoutent à cela un peu de coton blanc
et fin qu'ils étendent sur la trousse de leurs cheveux,
avec des plumages de différentes couleurs qu'ils y pi-
quent. Quelques-uns aussi font une forme de couronne
de même ouvrage que leurs paniers qui sont colorés et
ornés de penaches tout autour, par en haut, et en bas
en mettent d'autres en forme de bandeau. D'autres aussi
font de ce même ouvrage en forme de bonnets qu'ils
portent par peur du froid ou d'autres incommodités.
Mais communément ils sont tête nue.
Les femmes peignent les hommes et leur graissent
les cheveux d'huile pour les faire reluire et devenir plus
noirs ; et c'est la première chose qu'ils font quand ils
sortent.
Ils ne permettent pas à leurs esclaves de porter les
cheveux longs. Ils se brûlent le poil des jambes et des
bras. Ils ne portent point de barbe. Et c'est un de leurs
amusements perpétuels lorsqu'ils sont de loisir de s'ar-
racher les poils de la barbe avec un couteau un à un.
Ils se percent les oreilles, le cartilage du nez, qui sépare
les narines et la lèvre de dessous, pour y attacher des
pendants de diverses façons.
Ils se rougissent tout le corps avec du rocou. Quel-
quefois ils se noircissent tout avec du junipas. Dans
leurs grands vins ils se font peindre de noir d'une façon
particulière en forme de Morasques fort proprement.
Le rocou leur est plus ordinaire parce qu'il leur sert
aussi pour empêcher que le soleil ne leur brûle la peau

DEUXIÈME PARTIE
55
et l'incommodité de l'eau de la mer qui est acrimonieuse.
Ils portent quelquefois de gros colliers de rassade
blanche ; quelquefois ils portent à leur col des ailes de
divers oiseaux qu'ils font pendiller sur leurs épaules et
estomac. D'autres portent des colliers de dents de chat
ou d'agouti ou de caïcousi qui est comme on croit
l'once (?). La plupart portent un sifflet là leur col, fait
assez souvent des os de leurs ennemis.
Ils portent aussi des écharpes de cordes de coton
rocoué en forme de croix devant et derrière. D'autres
en font de rassade blanche. Ils se font des bracelets de
cette rassade, au bras tout auprès de l'épaule et aux
jambes sous le genou, environ de quatre doigts de large.
Ils font très grand état de certaines lames en forme
de croissant ou demi lune qu'ils appellent karakoulis.
Ce métal ne semble pas beaucoup différent de la rosette
ou airain. Mais il est plus clair et plus pur, ne se rouille
jamais, ne se rougit point, ne se ternit point, ne prend
point le vert et quelque temps qu'il puisse être en terre,
il ne perd point son lustre. Ce n'est pourtant ni or ni
argent ni l'un ni l'autre mêlés (ensemble) encore que
de sa couleur il revienne à celle de l'or et argent mêlé.
Ces karakoulis sont fort rares parmi eux-mêmes ; ils
disent qu'ils les ont des Allouaques qui sont leurs en-
nemis. Car il y en a d'entr'eux quelques-uns qui nonob-
stant leur inimitié commune contractent amitié avec
quelques Allouaques et lorsque leur nation va faire la
guerre contre eux, ils vont visiter ceux avec lesquels ils
ont contracté et leur font des présents en échange des-
quels les Allouaques leur donnent de ces karakoulis.
D'autres disent qu'ils les ont encore de plus loin. Tant
y a c'est leur plus grand trésor ; quand ils en ont, ils
en font de petites lames qu'ils pendent à leurs oreilles
et à leur nez, au lieu de quoi s'ils n'en ont point ils
mettent une liane (1) ou des plumes d'oiseau. A la lèvre
de dessous qu'ils ont aussi percée, ils mettent des épin-
gles ou un fil qui est bien vilain. A leurs pieds, ils por-
tent quelquefois des grillots particulièrement aux vins
et aux danses pour les faire sonner. A tant des accou-
trements des hommes.
(1) Vers. Rom.
: « Un gain (?) ».

56
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
Les femmes accommodent leurs cheveux comme les
hommes excepté qu'elles ne portent point de plumes ni
de bonnets, mais les lient seulement avec des tresses
de coton, avec des dés au bout ou quelque autre petite
houppe. Elles portent des colliers de diverses sortes de
pierre, sans ordre avec du cristal dont elles sont fort
amoureuses. Elles en font aussi des pendants d'oreilles.
Elles portent des bracelets de rassade au poignet de la
main, non au bras comme les hommes. Lorsqu'elles sont
aux vins, elles portent des ceintures de coton et de ras-
sade auxquelles elles font pendiller des houppes de ras-
sade aussi, et quantité de grillots qui font bien du bruit
lorsqu'elles dansent. On ne saurait mieux comparer ces
ceintures qu'à ces bandes qu'on met sur la croupe des
chevaux par parade.
Toutes les femmes et filles, hormis les esclaves por-
tent une sorte de chaussure de coton tissée sur la jambe
même et qui la leur serre bien fort principalement
quand elles sont neuves, depuis le dessus de la cheville
du pied jusqu'au mollet de la jambe, et au-dessus du
mollet, elles la ceignent encore d'une bande de même
étoffe ouvrée aussi dessus la jambe, ce qui fait rebondir
le mollet de deux côtés. Au bas de cette chaussure est
un rebord ou ourlet large de deux ou trois doigts fait
de joncs, ou comme la plupart de feuilles de caret. Lors-
que cette chausse est neuve et mouillée, elle leur fait du
mal ; aussi sont-elles soigneuses de l'enduire par dehors
d'huile et de rocou à ce que l'eau ne pénètre pas. Et
puis elle se mouillent le moins qu'elles peuvent. Lors-
qu'elles s'embarquent dans les pirogues leur maris les
portent. Mais vous ne devineriez jamais la façon dont
elles passent les rivières sans mouiller la jambe. Celle
qui a les chausses plus larges ou moins incommodes ou
bien même un homme qui n'en a point, en prend une
par les pieds et la tire après soi et elle le suit appuyée
sur son derrière et marche avec les mains.

PREMIÈRE PARTIE
CH API TRE
V
DE LEURS VIANDES DONT ILS SE NOURRISSENT
Je ne pense pas qu'il y ait nation au reste du monde
qui fasse plus maigre chère que celle-ci quoi qu'elle ait
moyen de se bien nourrir ; mais qu'importe puisqu'ils
se portent bien, sont gras et robustes sans ces déli-
catesses .
Ils ne nourrissent ni vaches, ni brebis, ni chèvres, ni
pourceaux et ils n'en mangent jamais chez eux, quoi
qu'il y ait quantité de cochons dans la Dominique, non
plus que de volailles, d'œufs de poules, de beurre, de
fromage, lait, huile ni graisse. Ils ne salent rien parmi
eux ; quand ils se trouvent parmi nous, ils mangent
presque de tout, quoique ceux qui ont des enfants
s'abstiennent, comme nous dirons au chapitre suivant.
Chez eux, ils mangent de la tortue et des œufs blancs
de tortue, mais non des jaunes, de certains oiseaux, des
crabes, tourlourets. Ils ne font jamais bien cuire ce qu'ils
mangent particulièrement des crabes. Ils font cuire les
oiseaux tout entiers sur des petits bâtons arrangés, un
peu élevés sur le feu, après avoir fait brûler la plume.
Etant cuits, ils les enveloppent de feuilles et les met-
tent à la fumée ; quand ils les veulent manger ils les
vident et les font bouillir avec de leur eau de manioc
et du piment et ainsi font-ils des autres choses. Ils font
une certaine sauce avec quoi ils mangent tout ce qu'ils
mangent. Ils jettent les arêtes du poisson qu'ils ont
mangé dans un pot avec une poignée de piment, de l'eau
de manioc et de la plus fine farine, mêlent tout ensem-
ble et trempent leur pain et leur viande là dedans. Ils
appellent cela un tomaly. Ce qui est de bon, c'est qu'il
y a toujours quelque poil de ces vieilles et du rocou, car
ils sont extrêmement sales. Leur pain n'est autre que
la cassave tous les jours fraîche ; leur boisson du ouicou
fait de cassave et d'eau. Quelquefois ils pressent des
ananas ou des cannes à sucre et en boivent le suc comme
aussi de l'eau mêlée avec du miel. En mangeant, ils
n'estiment point incivilité de roter.

58
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
Ils n'ont qu'un repas réglé le jour savoir est le
matin sitôt qu'il est jour. Le reste du jour, ils mangent
quand ils veulent et quand ils ont de quoi ; à toute heure
ils sont prêts. Les hommes mangent à part dans le grand
carbet et les femmes dans leurs petites cases avec leurs
enfants.
Ils n'usent guère de petun en fumée, mais ils le font
sécher au feu, puis le mettent en poudre et en mêlent
un peu avec de l'eau de mer et le mettent entre la lèvre
et la gencive, et cela est bien fort.
CHAPITRE VI
DE LEURS MARIAGES ET ÉDUCATION DE LEURS ENFANTS
Comme il n'y a aucune police ni lois parmi nos sau-
vages, ils n'ont point aussi de règle certaine pour leurs
mariages. Il n'y a point de degré prohibé ou pour le
moins s'ils se limitent en quelques-uns comme entre les
parents et leurs enfants et entre les frères et sœurs,
c'est plutôt par le puissant mouvement de la nature
qu'ils sont retenus que par raison de piété ou continence.
Et il y en a quelques-uns qui nonobstant la voix de la
nature se sont joints avec leurs filles et en ont eu des
enfants et des mères qui ont épousé leurs fils. Mais
ceux-là sont très rares pour l'ordinaire. Donc les parents
ne se joignent point avec leurs enfants ni les frères
avec les sœurs. Les cousines germaines issues de sœurs
leur sont toutes acquises ; celles qui sont filles de frères
sont considérées comme sœurs. Plusieurs épousent les
deux sœurs ; quelques-uns la mère et la fille.
Ils ont autant de femmes qu'ils veulent et spéciale-
ment les principaux et leurs enfants. Et même ils en
ont en diverses îles. Elles demeurent en diverses petites
cases et dorment successivement avec leurs maris, l'une
un mois, l'autre un autre. Celle qui couche avec lui le
sert durant ce temps et le suit partout même à la mer.
S'ils surprennent leurs femmes en adultère ou qu'elles
en soient enceintes, ils les tuent ordinairement quoi-
qu'ils les laissent quelquefois un ou deux ans sans les
aller voir. Les hommes ont liberté de laisser leurs fem-

PREMIÈRE PARTIE
59
mes et elles ont liberté de se remarier ; mais les femmes
n'ont point ce droit. Quoi qu'ils aient plusieurs femmes,
elles ne sont guère jalouses si ce n'est rarement.
Le mari ne parle jamais avec le père, la mère et les
frères de sa femme s'ils ne sont ou ivres ou enfants. S'ils
les rencontrent en même chemin, ils s'éloignent et font
un grand circuit. Si la nécessité oblige de leur parler,
comme quand ils sont en mer, ils tournent la face d'un
autre côté et le coupent court. Ils n'usent d'aucune céré-
monie en leur mariage ; si la fille ne leur est pas toute
acquise comme sont les cousines issues des sœurs, ils la
demandent au père ou à la mère. Ils ne savent ce que
c'est que de traiter l'amour. Ils se marient rarement
sans le consentement de leur père et mère. Les hommes
ne couchent point avec leurs femmes qu'elles ne soient
vraiment nubiles et capables d'avoir des enfants. Lors-
que les femmes sont accouchées, les maris se retirent
d'elles et ne couchent point ensemble qu'à cinq ou six
mois de là. Et l'un et l'autre font un jeûne qui est des
plus célèbres, spécialement quand pour premier enfant
ils ont un garçon. L'homme jeûne plus rigoureusement
que la femme de peur que l'enfant n'en pâtisse. Le Père
Raymond étant chez le Baron à la Dominique, alla voir
un de ces jeûneurs et comme le Père lui parlait de ce
jeûne, le sauvage lui dit que plusieurs s'abstenaient en-
tièrement, les cinq premiers jours après l'accouchement
de leurs femmes, de boire et de manger et les autres
jours jusqu'au dixième, ils ne prenaient autre chose
que du ouicou. Après cela ils ne mangent rien que de
la cassave et boivent du ouicou l'espace d'un mois ou
deux. Et remarquez qu'ils ne mangent que le cœur de
la cassave et pendent le reste avec une corde pour le
festin. Il est vrai que depuis qu'ils commencent à man-
ger, ils mangent et boivent quand ils veulent, mais rien
que de la cassave et du ouicou. Le jour du festin venu,
leurs amis assemblés, on leur découpe toute la peau du
corps avec des dents d'agouti comme avec un couteau
jusqu'au sang ; puis on le frotte partout avec de l'eau
pimentée qui leur cause de grandes douleurs et ils sont
quelquefois si abattus de ce jeûne et de cette saignée
qu'il les faut ramener par la main et pendant que les
autres s'enivrent à leurs dépens, ils continuent de jeû-

60
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
ner encore quelques jours. Le jeûne fini, ils ne mangent
pourtant point de poisson ni d'oiseau, tandis que leurs
enfants sont encore faibles et débiles si ce n'est des
crabes et encore les faut-il femelles.
Ce jeûneur là rendait de fort bonnes raisons de cela
au Père Raymond. C'est, disait-il, que les enfants au-
raient mal au ventre ou les membres défectueux comme
ceux des animaux que leurs pères mangeraient. Ils au-
raient par exemple le museau long et rond s'ils man-
geaient de l'anguille, les yeux petits et ronds si des per-
roquets (Et pour cette même raison, ils ne mangent
jamais de lamentins de peur que leurs enfants n'aient
les yeux petits et ronds comme ce grand poisson. Ils
auraient les pieds tortus s'ils mangeaient du cochon et
ainsi des autres.
Nous ajouterons encore ici ce plaisant trait en pas-
sant. Il y a une espèce de carangue qui est un bon
poisson qui a les os de l'épine un peu courbes, quand
ils mangent de ce poisson ils se gardent bien de jeter
fort ses os au loin ; ils les mettent à terre bien douce-
ment de peur qu'ils ne deviennent bossus et s'étonnent
que les français s'en moquent.
Les femmes étant délivrées pressent le front à leurs
enfants avec la main et l'égalent ainsi avec le sommet
de la tête et forcent de l'aplatir. De là vient qu'ils ont
un grand front. Pour les conserver en cette posture,
elles les font dormir de jour sur leurs genoux, la tête
sur un qu'elles pressent avec la main et les pieds sur
l'autre. De nuit, elles les tiennent sur leur côté, d'où
vient qu'étant accoutumés de dormir ainsi chaudement,
ils pleurent effroyabement lorsqu'elles les éloignent tant
soit peu de leurs côtés.
Au bout de quinze jours ou trois semaines ils invi-
tent comme un parrain ou marraine qui perce les
oreilles, le nez et la lèvre de dessous à ces petits enfants
et leur coupe les cheveux de devant et leur donne le
nom. Eux en échange lui frottent d'huile la tête et le
col. Les mères n'enveloppent jamais leurs enfants quand
elles vont quelque part. Elles les portent sous le bras
avec un petit lit de coton qu'elles passent sur l'épaule
en écharpe.
Quand les enfants ont un an ou deux, le père fait

DEUXIÈME PARTIE
61
un festin appelé Elétoaz auquel on leur coupe leurs che-
veux tout à fait et on leur perce le nez, les oreilles et
la lèvre de dessous si leur faiblesse a empêché qu'on ne
les leur perçât tout petits.
Les garçons étant grandelets mangent avec leurs
pères et les filles avec la mère. Ils ne leur apprennent
aucune sorte de civilité ni ils disent bonjour ni bonsoir
ni grand merci. Ils les élèvent dans un tel libertinage
qu'ils ne font que ce qu'ils veulent, n'obéissent à leurs
parents que par fantaisie et les parents ne les en châ-
tient point. Les mères les maltraitent quelquefois, mais
ce n'est que par fureur ou dépit, non par raison de cor-
rection.
Lorsque les filles commencent à avoir leurs fleurs, ils
les font jeûner un ou deux mois comme aussi les garçons
lorsqu'ils atteignent leur adolescence et les font décou-
per avec des dents d'agoutis, comme nous dirons lorsque
nous parlerons de leurs vins.
Lorsque le père meurt ou laisse sa femme, tous les
enfants demeurent avec elle qui en prend la charge et
le mari ne s'en soucie plus.
Il y a parmi les sauvages des femmes qui se prosti-
tuent. Il n'y a point de paroles déshonnêtes parmi eux.
Ils nomment tous, petits et grands, filles et garçons, les
choses par leurs noms, sans aucune honte.
CHAPITRE VII
DES CASES, LITS ET PIROGUES DES SAUVAGES
Nos sauvages comme ils ont quantité d'ennemis qui
les enlèvent souvent, habitent aux Cabesterres à cause
que l'abord en est plus difficile et plus rarement au-
dessous du vent à cause du mouillage des navires dont
ils craignent les surprises.
Ils sont séparés par familes et ces familles sont com-
posées de plusieurs ménages qui demeurent ensemble et
sont comme des hameaux sous le père de famille ; les
fils et filles duquel sont mariés et ont chacun leur case.
Ils en font premièrement une grande commune à tous

62
RELATION DE L' ILE DE LA GUADELOUPE
de soixante, quatre-vingt et cent pieds de long, plus ou
moins, qu'ils appellent carbet. Autour de cette grande,
ils en font de petites pour chaque ménage.
Ces cases sont faites de fourches d'arbres plantées
en terre, jointes avec d'autres pièces de bois qui tien-
nent de l'une à l'autre. Là-dessus ils mettent des che-
vrons qui vont jusqu'à terre et couvrent le tout de
feuilles de latanier ou de roseau. On n'y voit goutte qu'à
la lueur du feu qu'ils y font ou par le trou par lequel
ils entrent qui est haut de deux ou trois coudées. Les
femmes nettoient les cases et les garçons le carbet, et
la place autour. Le jour les hommes mangent et devisent
dans le carbet et la nuit se retirent dans les petites cases
pour coucher.
Leurs lits ne sont que de grandes pièces de coton
retors que les femmes font sur un métier comme de
drapiers, larges de trois ou quatre aunes, longues de
cinq ou six pieds. Elles laissent aux deux bouts de lon-
gueur des petits rubans qu'elles attachent par après
à d'autres plus forts faits de pite puis encore ceux-ci
à une plus grosse corde faite aussi de pite. Ils pendent
ces lits par le moyen de ces cordes au milieu de leurs
cases à deux fourches et ils couchent doucement et com-
modément. Ils en font de petits et de grands. Ils portent
les lits partout où ils doivent coucher une nuit. Les
français s'en servent communément. Ces lits étant aisés
à porter n'embarrassent point les maisons, qui se plient
et se serrent aisément comme on veut. On nous en ap-
porte (outre ceux que nous traitons des sauvages) de
terre ferme ; les Anglais et les Portugais en font aussi.
Les sauvages peignent les leurs par dehors en moresque
avec du noir qui ne se déteint jamais. Ceux des sauva-
ges de terre ferme sont aussi peints de même façon.
Après avoir dit de leurs logements et lits, il faut
dire un mot des bâtiments dont ils se servent pour navi-
guer sur mer. Nous les appelons des pirogues, eux les
nomment kanaoa. Ce sont de grands arbres qu'ils creu-
sent tant avec du feu qu'avec des hâches et ajustent
avec des tilles et puis lui baillent par dehors la. forme
et la façon propre à naviguer ; et parce qu'elles sont
basses, ils les rehunent ou les relèvent avec des planches
qu'ils attachent tout autour avec de la lienne qui leur

DEUXIÈME PARTIE
63
sert de corde et les calfatent avec de l'écorce de mahot
pilée. Ils mettent tout du long des perches et ces perches
attachent des bâtons au travers de la pirogue qui ser-
vent de tostes sur lesquels ils s'assient pour ramer. Ils
en font de toutes sortes de grandeur ; celles qu'ils appel-
lent kanaoa sont celles que nous nommons pirogues et ne
sont jamais moindres de vingt-cinq ou trente pieds et
vont jusqu'à cinquante ou soixante pieds. Les autres que
nous appelons canots et eux kouliala, sont aussi de toutes
grandeurs au-dessous de vingt-cinq pieds, vu qu'ils en
font qui ne sont pas capables de porter plus d'un homme
et c'est pour la pêche. Les kanaoa ne sont point poin-
tues par les bouts comme sont ceux des français, mais
ils coupent le bout et le bouchent d'une planche. Elles
portent jusqu'à quarante et cinquante personnes avec
leur équipage. Ils portent deux voiles sur les grandes et
une sur les petites. Ils rament dans ces bâtiments avec
de petits avirons faits à peu près comme les petites
pelles à four de boulanger et nagent en devant au con-
traire des français qui tournent, le dos où ils vont et eux
y tournent le visage. Ces pirogues n'ont pas plus de
fond qu'un bateau et n'y a point de tillac ni de soute
et n'ont autre couverture pour tenir leurs lits, farines
et autres choses sèches que leur parapluie qu'ils font de
feuilles de latanier et mettent dessus des boises dont ils
se servent à hâler haut leurs pirogues afin que l'eau que
fait la pirogue ne les gagne.
L'entrepreneur du voyage est capitaine dans la piro-
gue, encore qu'elle ne soit pas à lui. C'est celui qui baille
ordre à tout au départ et au retour ; les autres s'en repo-
sant sur lui.
Ils ne se servent point de cadran ou boussole sur la
mer. De jour ils se gouvernent sur le soleil et la nuit sur
les étoiles dont ils ont (connaissance). Quand ils met-
tent à terre quelque part, ils se font quelque abri contre
la pluie où ils pendent leurs lits. Nous appelons cela des
ajoupas qu'ils font avec des feuilles de bananiers ou bali-
siers ou autres à leur commodité. Les gendres rendent
ce service là à leur beau-père. Ils rougissent le derrière
de leur pirogue d'une sorte de terre rouge, qu'ils disent
être la fiente d'une grosse couleuvre qu'ils appellent
Aloubera qui est dans une caverne effroyable.

64
RELATION DE L' ILE DE LA GUADELOUPE
CHAPITRE VIII
DES EXERCICES DE NOS SAUVAGES
ET PREMIEREM ENT DES HOMMES
Ils se lèvent tous de grand matin, devant le point du
jour et se vont baigner à la rivière après ils allument du
feu au grand carbet et en se chauffant, ils devisent ;
les autres jouent de la flûte encore qu'ils n'y entendent
rien. Le jour venu, les femmes leur apportent à manger
de ce qu'elles ont. Ce qu'étant fait, les uns s'en vont
à la pêche, les autres abattent du bois pour faire les
jardins et pour y planter du manioc ou des patates ; les
autres vont travailler à leurs pirogues ; les autres font
de petits ouvrages à leur mode, qui des katouli qui est
une manière de hotte que les femmes portent sur leur
dos avec une sangle de coton, qu'elles mettent contre leur
front, au lieu que nos hottes en ont deux dans lesquels
ont met les bras. Ces katouli ne sont pas fermés par
derrière, car elles lient avec des cordes ce qu'elles met-
tent dedans en les passant deçà et delà par les trous
qu'ils laissent aux deux côtés. Qui des paniers qui sont
longuets desquels le couvercle est de même que le panier
qui s'enchâsse dedans. Ceux qui sont doubles comme ils
sont garnis entre les deux tissures de feuilles de cachi-
man ne sont point pénétrés de la pluie. Qui des hébe-
chets
qui sont les sacs par lesquels ils passent leur fa-
rine de manioc pour en séparer le gros. Qui des couleu-
vres qui est une manière de chausse longue d'une brasse
pour presser la farine. Ils les attachent par en haut à
une cheville et par bas y passent un bâton lequel ils
chargent fort, en s'asseyant dessus ou autrement, et en
moins de rien leur farine est sèche. D'autres font des
matoutous qui sont leurs tables. Ils sont bas, les uns
ronds, les autres carrés de la grandeur un peu plus d'une
cassave. Tous ces petits ouvrages que nous avons dit se
font de certains gros joncs qu'ils appellent oualomam
qu'ils font sécher et puis les fendent bien menus de
long, puis les peignent de noir ou rouge auparavant que
de les employer. Le rouge est du rocou, le noir est de la

Paniers caraïbes
d'après une gravure du commencement du XVIIIe siècle.


DEU XIÈME PARTIE
65
saye de gomme ou de santal qu'ils font brûler sous leurs
platines. Four faire tenir les teintures rocou ou saye,
ils se servent de l'écorce seconde d'un certain arbre qu'ils
détrempent avec de l'eau et est comme de la colle forte
liquide et en mouillent leurs joncs, puis mettent leur
rocou ou noir dessus, puis ils frottent encore leurs joncs
une fois de cette eau gluante et les ayant fait sécher au
soleil jamais la peinture ne s'en va. Les autres font des
ceintures; d'autres des lignes à pêches et ainsi des autres.
Quand ils vont se coucher, ils font toujours du feu des-
sous leurs lits.
DES EXERCICES DES FEM MES
Les femmes sont presque les esclaves des hommes ;
elles les pourvoient à manger et à boire, ont soin des
enfants et les suivent partout pour leur apprêter leur
cuisine.
Si tôt qu'elles sont levées, elles se vont baigner aussi,
puis se mettent à gratter et à grager le manioc et faire
du pain pour déjeuner et préparer ce qu'ils ont à leurs
maris. Le déjeuner fait, elles s'en vont au travail ; les
unes à leurs jardins planter du manioc ou des patates
avec un bâton pointu, car elles ne se servent pas de
houes ; les autres vont sarcler. Les hommes ne se mêlent
point de cela. Celles qui demeurent à la maison font ou
des lits de coton ou bien préparent du rocou ou bien font
de l'huile pour frotter ou graisser les cheveux de leurs
maris. Elles font cette huile d'une graine qu'elles appel-
lent couaheu qu'elles font premièrement pourrir puis
sécher sur la platine, puis la pétrissent entre leurs
mains en crachant souvent dedans, puis la mettent au
soleil quelques temps et après la jettent dans leurs cou-
leuvres et la pressent et en tirent de l'huile. Elles en
font aussi de graines de palmistes épineux. Elles les
pilent dans un mortier, la font bouilir dans de l'eau de
fois à autre et la pressent comme dessus. Les autres
filent du coton, ce qu'elles font encore la nuit au feu.
Elles prennent aussi le soin des malades et pour ce s'ap-
pliquent à connaître les simples qui ont de la vertu con-
tre les maladies. Elles ont d'excellents remèdes et bien

66
RELATION DE L'lLE DE LA GUADELOUPE
efficaces, nous en aurons quelque jour de plus grandes
connaissances, s'il plaît à Dieu. Au reste ni les hommes
ni les femmes ne se tuent point trop de travailler.
CHAPITRE IX
DE LEURS VINS
Nous ne les appelons pas festins parce qu'ils ne font
débauches que de boire et de s'enivrer, hommes et fem-
mes. Eux aussi ne les appellent que ouicou qui est leur
boisson qu'ils font pour ces occasions la plus forte qu'ils
peuvent à force de cassave. Ils en font presque tous les
jours en divers endroits pour diverses causes. La plus
célèbre est pour leur guerre. Ils en font lorsque l'homme
et la femme ont eu leur premier enfant mâle. Ils en
font quand ils tondent la première fois tout à fait les
cheveux à leurs enfants. Quand aussi leurs garçons sont
un peu grands et qu'ils atteignent leur adolescence, ils
les font jeûner et puis font un vin. Ces jeunes gens là
prennent quelques temps auparavant un mausphoenne
ou émérillon ou un autre oiseau de proie et les nourris-
sent quelque temps. Le monde étant assemblé, le père
du jeune homme prend l'oiseau et le tue sur la tête de
son fils, et ayant broyé le corps de l'oiseau le met de-
dans de l'eau ; puis ayant découpé le corps de son fils
avec des dents d'agoutis ou autre jusqu'au sang, le lave
et le frotte de cette eau. Après ils les font coucher dans
un lit qui est pendu au faîte de la case, tout de son long
et faut qu'il demeure en cette posture autrement (rê-
vent-ils) il deviendrait tout contrefait ; s'il se courbait,
il demeurerait courbé, s'il pliait la jambe, la jambe se-
rait toujours pliée, et le font jeûner trop longtemps. Ils
font ensuite sécher le cœur de l'oiseau et les pieds et les
lui pendent au col. A quelques-uns, qui sont plus forts,
ils mêlent parmi cette eau que nous avons dit, beaucoup
de piment et leur font manger le cœur de l'oiseau, et
s'imaginent que cela les fait devenir vaillants. A quel-
ques-uns de ces vins, ils ajoutent cette solennité de prier
quatre des assistants de danser. Ces gens, après s'être

DEUXIÈME PARTIE
67
lavés d'une eau gluante se couvrent tout de duvet qui
tient à leur chair par le moyen de cette gomme. Etant
entrés dans le lieu de débauche, on leur présente à cha-
cun une grande calebasse pleine de ouicou qu'il leur faut
boire. Que s'ils n'en peuvent venir à bout, ils leur ser-
rent si fort le ventre qu'ils leur font jeter par haut ou
par bas ce qu'ils ont pris. Et puis achèvent de boire leur
reste et en après dansent.
Mais ils font une sorte de festin qui sent un peu
l'honnêteté et l'humanité aussi. Quand dans un carbet
ils ont pris une tortue, caret ou autre poisson de remar-
que, ils invitent quelqu'un de leurs parents ou amis d'en
venir manger sa part. Quand l'invité vient celui qui a la
charge de le recevoir lui pend un lit (remarquez qu'ils
ont coutume de donner charge à quelqu'un de la case
de recevoir les survenants) et l'invite de s'y asseoir, ce
qu'il fait sans dire mot. Alors les femmes lui apportent
qui de la cassave sur un matoutou (si elle est étendue
c'est-à-dire qu'il mange et qu'il emporte le reste, si elle
est pliée, cela veut dire qu'ayant mangé à son contente-
ment, il laisse le reste) qui de la viande, qui du ouicou.
Et le mari de celle qui lui présente, lui dit : Voilà de
la cassave ou du ouicou pour toi et l'autre répond : yao,
bien (c'est leur grand merci). Pendant qu'il mange per-
sonne ne l'interrompt et n'y a que celui qui l'a invité ou
qui l'a reçu qui lui parle. Ayant mangé il dit : Voilà ton
matoutou, voilà ton couï, et l'autre l'ayant fait oter s'en
va à tous les hommes là présents : « Allons, dit-il, le
saluer. » Tous y vont, fussent-ils plusieurs l'un après
l'autre. Les femmes n'y vont guère et encore ne disent
que : keléatibou (1), es-tu venu ? Après cela ils devi-
sent et boivent ensemble. Ils se portent le verre en
disant : A toi, et l'autre répond : yao, bien.
Ils font ces cérémonies là à tous les survenants d'en-
tre eux ; excepté qu'ils ne pendent des lits qu'aux plus
notables, auxquels encore les femmes huilent les cheveux
et les recouent tant à l'entrée qu'à la sortie. Ils font
quelque part de ces cérémonies là au Père Raimond
quand il les va voir.
(1) D'après Moreau de Jonnès, qui visita les Caraïbes de
St Vincent, cette expression signifierait : Soyez le bienvenu.

68
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
CHAPITRE X
DE LEUR COMMERCE
Ils traitent avec tous ceux avec qui ils ont paix. Mais
leur traite n'est pas bien précieuse aussi ne demandent-
ils pas grand'chose. Ils nous apportent quand ils nous
viennent voir des tortues, cochons, poules, perroquets,
poissons, ananas, lits de coton et autres de leurs ouvra-
ges et nous leur donnons en échange des haches, des
serpes, des couteaux, des toiles à faire des voiles à leurs
pirogues, de la rassade, cristaux et autres brouilleries.
Quand ils ont de ces ferrements là de trop ils les por-
tent aux autres sauvages des îles ou de terre ferme et
prennent en échange des karakoulis, pierres vertes (qui
sont bonnes contre le haut mal), et autres choses sem-
blables. Voilà tout leur commerce ou trafic.
Autrefois qu'ils n'avaient pas de commerce avec les
Européens, ils se servaient de haches et couteaux de
pierre ; ils faisaient leurs hameçons de la feuille de caret
ou de la bordure, comme il est à croire, qui est plus dure
que les autres feuilles. On en voit encore chez eux, quoi
qu'ils ne s'en servent plus.
CHAPITRE XI
DE LEURS GUERRES, ENNEMIS ET ARMES
Nos caraïbes ne font point de guerres proprement,
mais bien des surprises, car jamais ils ne combattent en
bataille rangée. Ils ne s'attaquent guère aussi à ceux
qui sont sur leurs gardes sans un grandissime avantage.
Ils ont des capitaines qu'ils choisissent comme les plus
vaillants et qui ont tué plus d'ennemis. Ils n'élisent
point de jeunes gens même fils des vieux capitaines,
mais des gens d'âge et de courage qu'ils estiment fort
quand ils sont en force, mais n'en font plus de cas quand
ils sont vieux. Il y en a deux à présent à la Dominique,

DEUXIÈME PARTIE
69
l'un de la Basseterre appelé Oukalé et des français Ha-
michon ; l'autre à la Cabesterre appelé Halannena, de
nous, Le Baron ; c'est l'hôte de notre Père Raimond.
Hors de la guerre ils n'ont rien à commander aux autres.
Lorsqu'ils ont dessein d'aller à la guerre, le capitaine
qui l'a entrepris fait un vin et harangue les conviés
pour les émouvoir. Ou bien il envoie de ses enfants par
tous les carbets donner le jour pour s'assembler et partir.
Ils ne contraignent personne. Ils partent de la Domini-
que huit ou dix pirogues armées en guerre à leur mode ;
ils ne mènent des femmes que pour la cuisine et leur
service et les laissent dans quelque îlot lorsqu'ils vont
au choc. S'ils ont guerre d'importance; comme quand ils
vont à la tere ferme contre les Allouaques, ils prennent
en passant ceux de la Martinique, Saint-Vincent, La
Grenade (et Gallibis) et font un gros assez puissant, s'ils
joignaient le courage et la conduite au nombre.
Ils attaquent rarement de nuit de peur de se tuer
les uns les autres, mais dès la pointe du jour. Ils font
tous un cri horrible qui étonne ceux qui n'y sont pas
préparés. Ils combattent plus volontiers en pleine lune.
Devant le combat ils consultent le Boié qui demande à
son Rioche quelle sera l'aventure de la guerre. S'ils assiè-
gent leurs ennemis, ce n'est pas pour longtemps, car ils
lèvent le siège à midi ou au soir qu'ils avaient planté
au matin. Ils ont une haine implacable contre les Alloua-
ques qui sont de certains peuples de terre ferme, et au-
tres alliés aux Allouaques qui habitent en l'île de la
Trinité ou dans les rivières de la terre ferme où il y a
des nations innombrables. Nos sauvages surprennent
quelquefois des Allouaques et en tuent quelques-uns, en
font d'autres prisonniers dont ils mangent les mâles et
font esclaves les femmes. Les Allouaques leur rendent
bien leur change et les attaquent souvent et ne leur font
pas plus doux traitement.
Ils ont aussi guerre avec les Anglais auxquels pour-
tant ils ont demandé la paix qu'ils n'ont pu obtenir. Et
comme les Anglais ne cessent de les tuer ou faire escla-
ves, aussi font-ils aux Anglais du pis qu'il peuvent. Ils
les vont trouver ès îles habitées par eux et spécialement
à Antigoa qui est assez voisine de ces îles et leur tuent
et leur enlèvent toujours quelques-uns. Nous dirons quel-

70
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
que chose en l'autre partie de la guerre qu'ils ont eue
avec nous.
Devant que les Français et les Anglais vinssent en
ces îles, ils harcelèrent les Espagnols deçà et delà, par-
ticulièrement à l'île de Saint Jean de Portorico qui
n'avait jamais été à nos sauvages. Un de ceux de la Do-
minique contait au Père Raimond qu'étant allés faire
une descente, ils prirent quantité de nègres et massa-
crèrent un de nos Pères qu'ils firent boucaner pour man-
ger, mais qu'il leur avait suscité un tel contre-cœur
qu'ils n'osèrent jamais y toucher. Et celui-ci avait été
de la partie, comme il l'assurait. Depuis quelque temps,
ils s'abstiennent de manger de la chair des chrétiens.
Leurs armes sont le boutou, l'arc et la flèche. Le
boutou est une sorte de massue plate, carrée par les
bouts, épaisse de deux pouces, longue de trois pieds ou
deux pieds et demi de bois vert ou bois de Brésil ou bois
de lettres (?) ou autres bois fort pesant et massif. Ils
gravent quelque figure au bout avec leur couteau et
remplissent la gravure de mouchasse qui est la fine fa-
rine de manioc encore mouillée, ce qui est assez beau.
Quiconque est attrapé de cette massue de la raideur
qu'ils la déchargent en est tout brisé. Leurs arcs sont
de bois de Brésil qui est assez raide. Leurs cordes sont
de pite. Leurs flèches sont faites de certains tuyaux
sans aucun nœud qui croissent à la tête des roseaux et
portent un pennache. Cela est fort léger ; au bout ils
mettent une verge de bois vert ou autre bois bien dur
et y font des haches comme des scies, mais plus grandes
afin qu'on ne puisse retirer la flèche sans couper la
chair autour et accroître la plaie. Ils y mettent aussi
des queues de raies qui sont épineuses, rarement du
fer. Ils y empoisonnent les verges d'un venin si malin
qu'à moins d'un très prompt remède pour petite que
soit la plaie, on en meurt. Ils empennent leurs flèches
avec des plumes d'arras ou autres. Ils jettent aussi du
feu avec leurs flèches pour brûler, y attanchant du
coton allumé.
Après le combat, ils pillent tout. S'il y a des ennemis
morts, ils en mangent les bras et les pieds et font bou-
caner le reste jusq'au retour. S'il y a des prisonniers
ils gardent les mâles pour tuer et les femelles pour être

DEUXIÈME PARTIE
71
esclaves. Chaque chose du pillage appartient à qui l'a
pris. Lorsqu'ils veulent tuer un Allouaque celui qui l'a
pris fait un vin et convie ses amis ; il lie le pauvre mal-
heureux dans un hamac et l'y fait jeûner longtemps.
Tout le monde étant assemblé, son maître l'amène en
place et lui baille le premier coup de boutou légèrement
et les autres lui donnent chacun le leur ; étant assommé,
ils le mettent en pièces et en mangent une partie sur
le lieu et chacun en emporte un morceau qu'il mange
avec sa famille en grande solennité.
Quand quelque sauvage en a tué un autre ils n'ont
point d'autre justice que la vengeance que les parents
du tué en tirent si ce n'est que l'autre les apaise à
force de présents.
CHAPITRE XII
DE LEURS MALADIES, MORT, DEUIL, SÉPULTURE
ET RÊVERIES TOUCHANT L'AME
Ils sont presque tous atteints de ce mal qu'on appelle
de Naples, ou comme disent d'autres, des pians qui ne
vaut guère mieux, qui est assez commun parmi les nè-
gres. Et quelques Français en sont aussi attrapés. Cela
ne vient pourtant pas, au moins toujours, de Vénus, vu
qu'ils les ont étant encore petits. Pour s'en guérir ils
ne suent point du tout, mais gragent des lambies qu'ils
avalent avec de l'eau. Ils se frottent de jenipa, ou de
feuilles de roseaux brûlé avec de la liane qu'ils appellent
mouchao ou miby. Ils ne guérissent pas aussi tôt que
ceux que l'on fait suer.
On voit fort peu d'autres maladies parmi eux, et
c'est merveille que menant une vie si chétive, ils sont
si sains et gras et vivent si longtemps. Car c'est chose
certaine qu'ils vivent communément fort longtemps. Il
n'y a que quatre ou cinq mois que le père du Baron
est décédé et sa femme, mère de Baron, vit encore. Le
Baron, qui a encore sa femme vivante, a une fille ; cette
fille en a une autre et cette autre a déjà des enfants.
De sorte que le Baron est bisaïeul et sa mère trisaïeule

RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
et la fille du Baron qui est grand'mère a encore sa
grand'mère. Et ce n'est pas le seul exemple qu'on pour-
rait fournir. Il faut attribuer leur longue vie à leur peu
de soin.
Ils rejettent la cause de leurs maladies sur leur Rio-
che et si la maladie est longue ou forte, ils appellent
le Boïayko pour le consulter là dessus. Ils ont quantité
de remèdes à leur maladie que les femmes leur appli-
quent, mais ils ne les traitent pas plus délicatement que
les sains.
Les parents ne visitent jamais, ou fort rarement
leurs malades ; et généralement les gens mariés n'y vont
point à cause, disent-ils, qu'il sort de leur corps une vertu
qui afflige davantage le malade. C'est pourquoi l'un des
fils du Baron étant malade ni ses frères, ni ses sœurs,
ni son père l'allèrent voir ; il n'y avait que sa mère qui
le traitait et ne communiquait point avec le père.
Quand il meurt des leurs en guerre, ils font ce qu'ils
peuvent pour r'avoir leur corps et les enterrent. Or,
voici comme ils font quand ils ensevelissent leurs morts.
Ils font une fosse ronde de la profondeur de trois
pieds et ce dans une maison afin qu'il soit à couvert.
Ils lavent le corps, le rocouent partout, lui oignent les
cheveux d'huile et les lui troussent aussi proprement
qu'à leurs grands festins. Ils l'enveloppent dans un lit
de coton tout neuf et puis le mettent dans la fosse pres-
que en la même posture que l'enfant est dans le ventre
de sa mère, non à la renverse ni aussi le visage contre
terre, mais droit, les pieds en bas, la tête en haut ap-
puyée sur leurs genoux et couvrent le trou d'une plan-
che. Cela fait les femmes s'assoient autour sur leurs
talons et pleurent leurs maris les embrassent de la main
gauche et passent la main droite sur le bras comme pour
adoucir la douleur. Et toutes entonnent un chant lugu-
bre mêlé de soupirs et de cris. En se lamentant elles
jettent de la terre avec la main sur la fosse et puis font
du feu dessus. Elles brûlent ses vieilles hardes ou les
donnent. S'il avait des esclaves ils les tuent ; mais ceux-
ci gagnent ordinairement au pied et on ne les poursuit
pas.
Les enfants du défunt ou sa femme coupent leurs
cheveux en signe de deuil. Ils jeunent aussi un ou deux

PREMIÈRE PARTIE
73
mois durant. Le Père Raimond leur demandant si leur
jeûne servait de quelque chose au mort, ils dirent que
non ; mais que ceux qui ne jeûnaient pas en vieilliraient
plus tôt ou n'auraient pas les pieds fermes, ne verraient
pas le poisson dans l'eau et leurs ennemis les surpren-
draient. Et ces raisons semblent pertinentes même aux
vieillards.
Si quelqu'un des parents n'a pu assister aux funé-
railles, il vient visiter le tombeau et là, pleure avec les
parents du mort. Quand ils croient que le corps est
pourri, ils se rassemblent encore au tombeau et pleurent
et foulent des pieds la fosse. Et c'est leur anniversaire
au bout duquel ils vont noyer leur mélancolie et la mé-
moire du défunt dans un abîme de ouicou.
Au reste touchant l'âme après le trépas ils ont cette
rêverie que chaque homme a trois âme. L'une à la tête
qu'on sent battre aux tempes, l'autre au bras qui se
manifeste par le pouls, et l'autre au cœur qui fait assez
sentir son mouvement.
L'âme du cœur s'en va droit au ciel pour être bien-
heureuse quoi qu'ils ne puissent dire en quoi consiste
cette félicité. L'âme du bras et de la tête deviennent
mapoya, c'est-à-dire des mauvais esprits qui les tour-
mentent. Ils les craignent extrêmement, car ils leur
attribuent toutes les frayeurs qu'ils ont comme arriva
à un qui étant couché sur le côté gauche, pressait la
rate en dormant ce qui lui causa de mauvais songes.
Le Père Raimond s'en aperçut et le réveilla et le sauvage
lui sut bon gré de l'avoir retiré des griffes de Mapoya,
duquel il dit des merveilles. Cependant il ne peut s'ima-
giner que ce ne fut qu'un songe.
Ils croient qu'il y a encore d'autres mauvais esprits
au bord de la mer qui leur font faire naufrage qu'ils
appellent Oumokou. Ils tiennent aussi quelque sorte de
supplice au fond de la terre où vont les méchants qu'ils
appellent Touvalik.
Nous ne savons rien davantage pour le présent des
façons de faire de nos sauvages qui mérite d'être écrit.
Il est vrai que nous avons mis quantité de leurs sottises
qui peut-être n'étaient pas nécessaires ou même dignes
d'être écrites. Nous l'avons bien vu, c'est pourquoi nous
en avons omis bien d'autres dont on ferait un juste vo-

74
RELATION DE L'lLE DE LA GUADELOUPE
lume. Nous n'avons pas toutefois tout laissé en arrière
quoi que nous l'eussions voulu, car autrement vous n'au-
riez pas pu connaître ni leurs humeurs ni leur barbarie,
si nous n'avions un peu distinctement représenté leurs
façons de faire quoique brutales et vraiment sauvages.
FIN DE LA SECONDE PARTIE

TROISIEME PARTIE
contenant tout ce qui s'est passé
de plus remarquable
sur cette île de Guadeloupe
en ce qui concerne la Mission depuis
qu'elle est habitée des Français
La difficulté que nous avons eu de nous résoudre à
un travail si vain et si inutile comme est d'écrire des
relations est cause que nous ne la voulons agrandir de
choses superflues. Et comme c'est la seule obéissance
qui nous met la plume à la main pour rendre compte
de nos actions et du travail des Religieux de Saint
Dominique, depuis douze ans qu'ils travaillent en cette
îles, nous nous garderons de passer notre mesure. C'est
pourquoi ne vous attendez pas de voir ici ce qui regarde
l'extérieur qu'autant que la connaissance en sera préci-
sément nécessaire pour ne point mutiler notre narré.
Plusieurs croient et non sans raison que les Espa-
gnols, comme ils ont les premiers des Européens décou-
vert notre Guadeloupe, l'ont aussi les premiers habitée.
Premièrement parce qu'on a trouvé des fers de che-
vaux et quelques socs de charrue qui ne sont point à
l'usage de nos sauvages. Secondement parce qu'on a
trouvé, et nous l'avons vu, une pierre grande comme
trois tonneaux en la grande rivière de la Cabesterre
à sept ou huit cents pas de la mer, sur laquelle sont
gravées plusieurs représentations d'hommes, de femmes
et d'enfants. Entre autres, au milieu il y a un visage

76
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
d'homme grec et portant une grande barbe qui a en
tête un bonnet fait à peu près comme cela
Il y a aussi une tête d'un petit garçon qui
porte une guirlande qui est représentée sur
cette pierre à peu près comme une couronne de
comte. Les têtes de femmes sont toutes simples.
Au bout de la pierre
il y a une tête de
mort avec un grand os dessous
de travers, et
au bas une forme d'écusson de cette sorte
Il y a apparence qu'il a eu plus de figures
qu'il n'en paraît maintenant, mais l'eau les a
rongées et même a fait tomber un pan de cette pierre
qui n'a point maintenant de forme certaine. Cela paraît
assez ancien, et fait d'autres mains que des sauvages.
D'autres disent que les Espagnols ne l'ont point
habitée.
(Les sauvages en ont assuré le Père Raymond, seu-
lement les flottes s'y rafraîchissaient et traitaient des
échanges avec les sauvages.) (1).
L'île de Guadeloupe était le rendez-vous de la flotte
pour prendre des eaux à notre rivière de la Basseterre
qui à cause de cela était appelée la rivière de la pointe
des Galions.
Au reste il faut que ce soit à ces sortes de descentes
des Espagnols à la Guadeloupe, qu'arriva ce qu'écrit le
Père Michel Pio en son Histoire de L'ordre et Malpée
duquel l'a tirée le Révérend Père Jean de Sainte Marie,
en son triomphe des Martyrs de l'ordre, titre second,
chap. VI (2). A savoir que six de nos Pères qui étaient
destinés aux Missions du Japon et de la Chine et étaient
dedans la flotte qui allait aux Philippines, mettant pied
à terre en l'île de Guadeloupe furent percés de flèches
par les sauvages et Dieu fit paraître miraculeusement
leur gloire. Nous n'avons pu rien savoir des sauvages
touchant cela, seulement est-il vrai que quelques-uns
portèrent à Monsieur Desnambuc pour lors gouverneur
de Saint-Christophe une pièce d'un habit de quelqu'un
de nos Religieux et il avouent bien en avoir tué quel-
ques-uns à la Dominique. Nous ne savons s'il y aurait
(1) Note du P. Breton sur la Version parisienne.
(2) Chap. 13, Version romaine.

TROISIÈME PARTIE
77
quelque île de l'Amérique du même nom de Guadeloupe
quoique nous n'en ayons connaissance et plusieurs pilotes
enquis de cela. Mais laissons cela, passons à ce qui nous
regarde. Nous suivrons chaque année pour faire nos
remarques.
1635
Après que Monsieur d'Esnambuc eut eu commission
d'établir une résidence de Français dans l'île de Saint
Christophe (en l'an 1626) et qu'on eut vu qu'il en pour-
rait arriver quelque profit à la France par l'établisse-
ment de semblables colonies, il se fit de l'autorité du
Roi une société de personnes signalées en dignité, en
mérites et en richesses, qui feraient les frais nécessaires
pour ce sujet.
Ces Messieurs donc après s'être chargés de la direc-
tion et maniement de l'île de Saint Christophe, résolu-
rent de faire une autre colonie en celle de Guadeloupe
et en donnèrent la commission à Monsieur de L'Olive,
lieutenant de Monsieur d'Esnambuc, gentilhomme cou-
rageux, et à Monsieur Duplessis, avocat d'un bon esprit
et d'une humeur grandement douce, qu'ils chargèrent
d'emmener avec eux des prêtres, de les entretenir avec
leurs chapelles chacun en son quartier. Ayant laissé la
liberté aux Seigneurs de la compagnie de leur en don-
ner, Monsieur le Cardinal de Richelieu en demanda au
Révérend Père Carré prieur du noviciat général de
Paris, lequel l'ayant proposé le soir même à ses reli-
gieux, les trouva tous disposés à porter la croix de Notre
Seigneur, de paroles et d'effet en des pays si éloignés.
Après donc bien de la délibération, le Révérend Père
Carré en destina quatre : le Révérend Père Pélican (1),
(1) Le P. Pierre Pelican naquit à Blois, le 7 juin 1592 et fit
profession, à Chartres, le 2 juillet 1607. Envoyé au Collège de
Saint-Jacques, à Paris, il y conquit ses grades ; excellent prédi-
cateur, parfait religieux, il fut assigné au convent du Noviciat
Général de Paris, sous le gouvernement du P. Jean-Baptiste
Carré. En 1635, il partit comme missionnaire apostolique pour
établir l'Ordre à la Guadeloupe et y travaille pendant huit mois
d'un labeur acharné. A Pâques de l'année suivante, il est de
nouveau au couvent du Noviciat Général où il prêche les diman-

78
RELATION DE L'lLE DE LA GUADELOUPE
docteur en théologie, religieux du couvent de Chartres ;
le Révérend Père Nicolas Breschet de Saint Dominique,
du couvent de Troyes ; le Révérend Père Raimond Bre-
ton, du couvent de Beaunes, et le Révérend Père Griffon
de la Croix, du couvent de Reims qui tous avec plusieurs
autres s'étaient retirés au noviciat pour y embrasser
l'Observance régulière. Le Révérend Père Pélican était
Supérieur, et après lui en cas de mort ou d'absence, le
Père Nicolas. Les Seigneurs de la Compagnie leur don-
nèrent quelques pièces d'argent pour se pourvoir d'orne-
ments, livres et autres choses nécessaires pour le service
divin. Mais tout premièrement on eut soin de faire
approuver notre dessein du Saint Siège et d'obtenir des
facultés et privilèges ; ce qu'on obtint facilement et on
les reçut avec joie de se voir appuyés du Saint Siège en
cette entreprise. Le titre porte ainsi :
Facultates concessas à Sanctissimo Domino nostro,
Domino Urbano divinâ providentiâ papa 8° fratibus
Pelicano et tribus aliis ejus sociis ordinis prœdicatorum
destinatis Missionariis ad Indos, protectos a Christianis-
simo rege Galliae, etc.
Et à la fin : Feria quinta die 12 Julii 1635. In con-
gregatione generali Sancti officii habita in palatio Apos-
tolico Montis Quirinalis Faustissimus D. N. Dom. Urba-
nus Papa 8us prœdictus concessit supra scriptas facul-
tates prœfatis fr. Pelicano et tribus aliis ejus sociis
ordinis Prœdicatorum, missionariis ad Indos, ut suprà
ad decennium proxime futurum. Et signé : Cardinalis
Barberinus.
Ces privilèges ont été les premiers qui ont été donnés
pour les missions de l'Amérique. C'est pourquoi on s'est
justement étonné que quelque Religieux d'un autre
ordre se soit voulu arroger je ne sais quelle seigneurerie
spirituelle sur les îles Martinique et Guadeloupe, n'ayant
obtenu sa mission spéciale, même pour son île, que plus
de cinq ou six ans après nous.
ches et jours de fête. Il se retira à Chartres et y mourut le
26 décembre 1672.

Editeur, en 1656, des Opuscules de Saint Thomas d'Aquin,, il
publia divers ouvrages de piété sur le Rosaire, en 1640, sur la
Morale Evangélique, en 1657. (Cf. Quetif et Echard. Script.
O. P., tome II, p. 650).

TROISIÈME PARTIE
79
Devant que nos Pères s'embarquassent à Dieppe, ils
se retirèrent en attendant à Belleménil où la Dame du
lieu les reçut fort charitablement. Aussi firent-ils bien
du fruit ès environs ; particulièrement le Père' Nicolas
par ses exhortations ferventes et sa sainte importunité
à faire confesser les personnes qui avaient été longtemps
sans confession où il réussit au grand bien de ces pau-
vres âmes. Etant à Dieppe, les Révérends Pères Capu-
cins les reçurent à bras ouverts, les soulagèrent et même
les logèrent jusqu'à tant que nos Pères surent l'incom-
modité où ils étaient. Ces bons Religieux ont toujours
continué là et au Havre à nous secourir dans de pareilles
occasions dont nous leur avons bien de l'obligation. Aussi
avons-nous conservé une parfaite intelligence avec leur
Père de Saint Christophe et espérons y continuer, vu
qu'outre les témoignages d'affection qu'ils nous ont
donnés et l'ancienne alliance des deux ordres, encore de-
vons-nous cela au peuple, au milieu duquel nous vivons,
qui est extrêmement édifié de l'amitié et union des
Religieux.
Comme on fut près de s'embarquer, nos Pères eurent
soin de faire confesser et communier tous leurs passa-
gers, ce qu'ils firent le jour de l'Ascension auquel jour
aussi le Père Péllican parla en l'église Saint Jacques
avec applaudissement. Ils partirent de Dieppe le diman-
che suivant. Dans le vaisseau, ils pratiquèrent tous leurs
exercices, autant que le lieu le pouvait permettre comme
au noviciat, faisant dire le rosaire tout haut aux Catho-
liques et entretenaient un assez bon ordre.
Enfin ils arrivèrent à la Martinique qui est à vingt
ou vingt-cinq lieu de la Guadeloupe et les gouverneurs,
suivant l'ordre que leur en avaient donné Messieurs de
la Compagnie en prirent possession en passant en leur
nom. Le Père Supérieur descendit aussi avec son compa-
gnon et ils y arborèrent la Croix et attachèrent les
armes du Roy et chantèrent le Te Deum, en présence
même des Caraïbes qui ne s'en offensèrent point. Enfin
ils touchèrent la Guadeloupe et on les mit à terre au
lieu qui fut nommé le fort Saint Pierre à cause du jour
dédié aux Bienheureux Apôtres Saint Pierre et Saint
Paul, le 29 juin 1635 (1).
(1) Dans le texte on lit 1645 ; c'est une faute d'inattention.

80
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
Les gouverneurs avec le Père Supérieur et son com-
pagnon allèrent à Saint Christophe et y furent six semai-
nes. Quinze jours environ après leur venue, Monsieur
d'Esnambuc envoya du monde de Saint Cristophe pour
habiter la Martinique et le Révérend Père Hyacinthe
Capucin les y accompagna, mais retourna bientôt à
Saint Christophe. On envoya aussi des gens à la Domi-
nique ; mais ils y furent massacrés (2).
Les Gouverneurs ayant fait deux quartiers, nos Pères
aussi firent deux chapelles et plantèrent la croix solen-
nellement avant la grand'messe. Dieu bénit leur com-
mencement par la conversion de plusieurs hérétiques en
ayant reçu cinq à la fois et cela à la première Messe.
Et cette année ils en amenèrent jusqu'au nombre de
cinquante.
Depuis, on a continué de temps en temps. Ils gagnè-
rent aussi beaucoup contre les jurements. D'autant que
leur monde étant assemblé en un, ils en jouissaient aisé-
ment. Mais à la fin, le monde étant dispersé, nous y
perdons quasi notre latin ; les blasphémateurs n'étant
pas chatiés du tout comme on devrait pourtant faire en
ce pays. Quelques sauvages en ont appris de bons mots
et quoiqu'ils ne sachent pas la signification des paroles
sales et des blasphèmes qu'ils disent, c'est néanmoins un
très pernicieux exemple.
Les soirs le monde étant assemblé, nos Pères faisaient
chanter les Litanies de Notre Dame et ensuite le cha-
pelet tout haut et par ce moyen, les nègres et les sau-
vages l'apprenaient aussi. Outre cela, ils les instruisaient
en particulier. Nous donnerons aussi cette louange à
Mademoiselle de L'Olive qu'elle a eu un soin très parti-
culier de ses esclaves et spécialement des petits, auxquels
elle apprit leur catéchisme en perfection. Entre ceux-là,
il y avait une petite sauvagesse de Sainte Alousie qu'un
Flamand leur avait amenée. Elle la rendit capable du
baptême puis de confession et enfin de la communion
qu'elle reçut avec édification.
Au commencement qu'on eut habité, les sauvages
(2) M. de la Vallée prit possession de la Dominique le 17 no-
vembre 1635 ; mais, craignant d'être massacré par les Caraïbes,
il fit voile pour la Martinique avec ses quarante hommes.

TROISIÈME PARTIE
81
vinrent avec quelques traites, ils furent fort bien ac-
cueillis et s'en retournèrent fort satisfaits. Cette intelli-
gence dura quelque temps. Il y en avait un parmi eux
de catholique qui prenait ses habits quand il venait aux
Français, et entendait la messe les deux genoux en terre,
comme un autre catholique. Il avait été dix ans à Séville.
Il demanda quelques images à nos Pères qui lui en don-
nèrent. Sa femme avait toutes les inclinations au baptê-
me et son mari l'instruisit pour cela. Il faisait la béné-
diction de table et ses prières du soir fort pieusement.
C'est grand dommage qu'ayant été pris des Anglais et
pensant se sauver dans un canot ou bateau qu'il avait
enlevé, il fut noyé en haute mer. Il était presque lui
seul capable d'instruire les autres Caraïbes.
Environ l'Assomption de Notre-Dame, nos Seigneurs
les Gouverneurs retournèrent irrités l'un contre l'autre ;
ce qui a été la ruine de tous deux. Mais c'est un com-
mun malheur dans les îles que les flatteurs par leurs
rapports ont toujours allumé le feu. Il est impossible
d'en purger le pays parce qu'on les écoute. Plût à Dieu
que les exemples du mal que causent ces flatteurs et
ceux qui les croient ne fussent point si fréquents. Ce-
pendant leur retour n'apporta pas grande satisfaction.
On souffrit beaucoup de faim et de misère qui rédui-
sirent la plupart de leurs gens à de grandes extrémités.
En septembre en suivant arriva le capitaine l'Abé
qui apporta encore six vingt hommes et peu de vivres,
ce qui continua d'affamer nos gens. Nos Pères firent
tout devoir d'assister les pauvres gens, spécialement les
malades. Le Père Nicolas de Saint Dominique y fit des
merveilles de sa charité dont tous ceux qui restent de
ce temps rendent encore témoignage. Car nos Pères
n'ayant que leur petite pitance comme les autres, ce
bon religieux s'en privait pour assister les affamés, et
les induire par ses aumônes à se confesser qui bien sou-
vent après avoir mangé son pain ou celui qu'il leur avait
quêté au magasin se moquaient. Il ne se rebutait pas
pour cela. Les autres Religieux faisaient de leur côté à
qui mieux mieux, et Dieu merci, ils les résolvaient au
moins à bien mourir. Pour lors ils étaient séparés. Le
Père Supérieur avec le Père de la Croix étaient chez
Monsieur de L'Olive, où ils avaient fait faire une cha-
6

82
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
pelle en l'honneur de Notre Dame du Rosaire. Le Père
Nicolas de Saint Dominique et le Père Raimond étaient
chez Monsieur Duplessis, où ils firent une Eglise en
l'honneur de Saint Hyacinthe. Ce qui leur donna sujet
de dédier la première à Notre Dame du Rosaire, fut
pour imprimer de prime abord dans les esprits de nos
Français cette excellente dévotion pour laquelle provi-
gner notre ordre a été comme destiné de la Bien Heu-
reuse Sainte Vierge et qui est extrêmement utile à
l'avancement de notre salut. Elle a passé jusqu'à Saint
Christophe où elle a été instituée par le Père Pélican et
le Père Nicolas de Saint Dominique et entretenue soi-
gneusement par les Révérends Pères Capucins en leur
Eglise de Basseterre et ces derniers jours le Révérend
Père Supérieur des Pères Jésuites a demandé pouvoir
de l'établir à la Martinique, ce qui lui a été accordé.
Ils tachèrent aussi de les rendre dévots à Saint
Hyacinthe à cause que ce saint fait des miracles partout
où il est invoqué dévotement. Aussi en avons-nous vu
de bons effets ici. En voici un à propos. Au même mois
de septembre Monsieur Duplessis tomba malade et peu
après Mademoiselle sa femme fut prise d'une violente
fièvre, qui la menaçait de faire une mauvaise couche.
Nos Pères lui persuadèrent de se vouer à Saint Hyacin-
the qui était le patron de leur église et pour ce sujet
commencèrent une neuvaine ; au troisième jour, la fiè-
vre la quitta et se délivra heureusement avec une si
grande joie de son mari, qu'il se leva et assista au
baptême de son fils qu'il voulut être nommé Hyacinthe.
Environ ce temps, le Révérend Père de la Croix étant
travaillé d'un flux de sang et de la fièvre obtint, quoi
qu'avec difficulté son obéissance de retourner en France.
Il partit dans l'Abé pour passer à Saint Christophe et
de là en France sur la fin de novembre.
Le sieur de L'Olive s'en allant avec sa femme à Saint
Christophe et y menant quantité de malades, emmena,
avec la permission du Révérend Père Pelican, le Père
Raymond, pour assister les malades, n'y ayant à Saint
Christophe qu'un capucin à savoir le Révérend Père
Hyacinthe qui reçut le Père Raimond à bras ouverts et
le mena chez Monsieur d'Esnambuc qui le traita fort
charitablement. Il travailla assez longtemps à Saint

TROISIÈME PARTIE
83
Christophe tout seul. Car le Révérend Père Hyacinthe
étant seul, et n'étant venu qu'en qualité, comme ils
appellent, d'explorateur, s'en retournait en France
quérir du secours, si les Supérieurs agréaient cette
mission.
Il ne faut pas oublier une chose qui arriva dans le
petit voyage de la Guadeloupe à Saint Christophe ; car
Mademoiselle de L'Olive étant saisie tout à coup de
grandes douleurs qui faisaient craindre qu'elles n'avan-
çassent ses couches, elle eut recours à Saint Hyacinthe,
en l'honneur duquel elle commença une neuvaine étant
à terre. Le troisième jour elle fut libre de ses douleurs
et de ses craintes.
Cependant le Sieur Duplessis ayant reçu de nouveaux
déplaisir allait de mal en pis et enfin mourut le jour
de Sainte Barbe qu'il avait choisie pour sa patronne,
avec les sentiments d'une âme chrétienne et résignée
aux volontés de son Dieu. Lui-même consolait ses domes-
tiques en son extrémité. Aussi il vivait en homme de
bien, fort pieux et agréable en sa conversation. Il fut
regretté de tous et enseveli avec l'honneur qu'on put
alors.
Ce même jour (1635) le Révérend Père Pelican
voyant la misère qui régnait et qui ne faisait pas mine
de finir bientôt, soit qu'il s'en ennuyât ou qu'il voulut
donner à entendre à Messieurs de la Compagnie comme
tout allait afin d'y mettre ordre, partit de la Guade-
loupe pour Saint Christophe d'où il renvoya le Père Rai-
mond à la Guadeloupe pour tenir sa place au fort de
Monsieur de L'Olive. Néanmoins il ne partit de Saint
Christophe qu'au mois de mars en suivant pour la
France et cependant faisait toutes les fonctions ecclé-
siastiques. Il fréquentait aussi chez Monsieur le Général
des Anglais et autres de cette nation qui l'assistèrent de
ce qu'ils purent.
Lorsqu'il partit il accrocha le Ministre des Anglais
au fait de la Religion ; il le convainquit, mais ne le
persuada pas, étant attaché à sa religion par ses intérêts.
La veuve du sieur Duplessis partit environ la fête
de Noël avec ses enfants pour s'en aller à Saint Christo-
phe et de là en France pour y trouver quelque soula-
gement. Messieurs de' la Compagnie eurent égard à ses

84
RELATION DE L' ILE DE LA GUADELOUPE
pertes et lui accordèrent quelques privilèges dans les
Iles, pour l'y faire subsister plus honorablement.
1636
Au commencement de l'an 1636 Monsieur de L'Olive
retourna de Saint Christophe et se chargea de tout le
monde de Monsieur Duplessis et les rassembla avec les
siens et resta seul gouverneur. Mais voyant que tous
se mourraient, il crut que le quartier n'était pas sain et
prit résolution d'en habiter un autre. Comme il était en
cette résolution, deux de nos gens revinrent des sauva-
ges gros et gras et voyant qu'il ne faisait pas si bon
parmi nous, prirent résolution d'y retourner. On crut
qu'ils nous trahissaient et qu'ils n'étaient revenus que
pour donner avis aux sauvages de ce qui se passait. On
les mit au Conseil et un des deux eut été dépèché si on
n'eut puissamment intercédé pour eux. On soufflait
déjà le feu qui s'embrasa bientôt après contre les Ca-
raïbes. Lorsqu'ils ne venaient pas, on criait qu'il fallait
alors les tuer et prendre leurs vivres. Il en vint trois
pirogues en moins d'une semaine avec quantité de trai-
tes fort propre pour la saison. Les malins crièrent qu'ils
venaient espionner, et qu'il s'en fallait défaire et se
mirent en devoir par deux fois de massacrer ces pauvres
gens qui étaient venus à la bonne foi. Le Père Raimond
les empêcha toutes les deux fois et Monsieur de L'Olive
à la troisième. Cependant comme les sauvages virent
qu'on chargeait dans le bateau un bâtiment de char-
pente, se doutèrent bien de ce qui en était et qu'on les
voulait aller déloger et prendre leurs places, pour avoir
leurs vivres, et se hâtèrent de s'en retourner. Au même
temps d'autres sauvages prirent des hardes au cul de
Sac des Vareurs. Ils laissèrent en la place un cochon,
des figues, des bananes comme pour paiement. On prit
toutefois pied là dessus et on cria qu'il n'en fallait pas
davantage pour les tuer. Monsieur de L'Olive s'y laissait
aller. Le Père Raimond lui remontrait souvent et même
une fois en chaire l'intention du Roi et des Seigneurs
de la Compagnie, qui lui avaient tant recommandé de
maintenir la paix avec les sauvages. Mais les flatteurs

TROISIÈME PARTIE
85
le perdirent enfin et quoi qu'il eut promis de conserver
la paix, il ne tint pas sa promesse. En voici le commen-
cement. Les malades tous moribonds retenant le Père
Raimond auprès d'eux pour les assister, Monsieur de
L'Olive s'embarqua dans sa chaloupe avec les principaux
pour aller chercher une habitation. Ils rangèrent tou-
jours la terre du côté de dessous le vent, et arrivèrent
aux premières habitations des sauvages qu'on appelle
maintenant le fort. Ils trouvèrent qu'ils avaient déjà mis
le feu partout et le capitaine de ce carbet était sur le
bord de la mer avec quelques-uns de ses enfants pour
s'embarquer. On l'arrêta de belles paroles, l'assurant de
ne lui faire aucun tort. Il se rassura et même fit retour-
ner ses enfants qui s'enfuyaient. On le pria d'en envoyer
quelques-uns pour arrester les femmes, ce qu'il fit ; mais
ils ne revinrent pas et outre ce emmenèrent les femmes
qui n'étaient qu'à cinquante pas de nos gens. Cela mit
en furie le Sieur de L'Olive qui fit jeter le vieillard
dans la chaloupe avec un de ses enfants où on les mas-
sacra inhumainement. On lia les deux autres pour servir
de guide à aller chercher les sauvages de la Cabesterre ;
mais l'un d'eux s'échappa qui trouva bien ses jambes
et sauta une épouvantable falaise et courut avertir ceux
du petit Carbet et Cabesterre, qui vidèrent prompte-
ment. Ceux des Français qui devaient les aller chercher
emmenèrent celui qui leur restait. Etant arrivés au
petit Carbet, ils ne trouvèrent que le nid. Ils passèrent
outre, mais la faim et le travail les accablant de som-
meil, ils s'endormirent tous. Le sauvage ne fit pas de
même ; il se détacha tout doucement et se sauva. Nos
gens réveillés se trouvèrent aussi étonnés que Saül quand
David lui eut emporté sa lance et sa coupe. Cependant
les chemins étaient fort dangereux. Il n'y avait que des
routes de sauvages et vraiment sauvages qui menaient
dans des lieux fort affreux, où il fallait grimper des
falaises une à une et donner les armes de main en main.
Si les sauvages avaient eu de l'adresse, il n'en seraient
pas réchappés. Etant passés, ils ne trouvèrent non plus
personne, tous s'étant sauvés et remarquez qu'ils avaient
au petit Carbet deux Français auxquels ils ne firent
point de mal.
Pendant que ceux-là poursuivaient les sauvages, Mon-

86
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
sieur de L'Olive fit tout décharger en cette première
habitation et comme la place était déserte et avanta-
geuse pour un fort, on retourna quérir le reste du monde
et le Père Raimond avec, extrêmement déplaisant de ce
qui s'était passé.
Quand on sut à Saint Christophe ce qui s'était passé
à la Guadeloupe contre les sauvages tout le monde en
était étonné et le trouva mauvais. Et le Père Nicolas
de Saint Dominique qui y était allé peu auparavant
ces brouilleries lui en écrivit de là en gros termes qui
le fâchèrent d'autant plus que le Père Raimond confir-
ma le tout ajoutant qu'il n'était pas permis de faire la
guerre injustement à une nation libre et lui ravir ses
biens et son habitation. C'était chanter alors à des sourds
qui au lieu de regretter cette cruauté l'accumulèrent
d'une haine extrême contre nos Pères. Le Père Raimond
en but toute l'amertume et personne ne lui osait parler
non plus qu'à un Espagnol. Et comme le Père résolut
de s'en aller eut laissé ses coffres au bord de la mer pour
être prêts à la première occasion, le Sieur de L'Olive le
voulant empêcher s'en aller, fit porter les coffres au
milieu de sa place et les laissa là sans les mettre à cou-
vert et y furent longtemps, jusqu'à ce que quelques
Messieurs de la Martinique passant par cette île, lui
firent des reproches de ce mauvais traitement envers le
Père. Il fit donc faire une petite chapelle où le Père se
retira.
Cependant on ne tira pas grands fruits de tous les
maux faits aux sauvages. Ils ne trouvèrent pas de vivres
sinon une pièce de patates qui n'étaient pas encore bon-
nes. Monsieur de L'Olive défendit à tous d'y toucher,
mais quelqu'un y ayant été pris une ou deux fois, on
le mit en état de n'en plus manger d'une façon qui
donna bien de l'amertume aux gens de bien. Aussi Dieu
ne bénissait pas leurs travaux. On n'avait pas si tôt
fait un canot que la mer l'emportait ou les rochers le
brisaient. Les navires passaient de loin, car il n'y avait
rien à gagner pour eux et plusieurs mouraient pourris
dans leur ordure. Nos Pères eurent pourtant ce privi-
lège de faire bouilir des feuilles de patates avec de l'eau
de mer au lieu de sel. Personne n'y osait toucher sous
peine de la vie.

La pêche du lamentin


TROISIÈME PARTIE
87
Quelques sauvages firent une descente au grand
Carbet, mais on les attendait en embuscade et ils eurent
assez de peine de remettre leur pirogue à l'eau pendant
que d'autres s'en allaient l'attendre à un rendez-vous.
Et passant par le Carbet, ils mirent le feu aux cases ce
qui donna nouvelle pratique, car au lieu de planter, il
fallut se mettre à couvert. On leur tua bien du monde
alors.
Le Père Nicolas de Saint Dominique étant de retour
envoya le Père Raimond au Carbet ; ils pâtirent tous
deux beaucoup, chacun de son côté. Le Père Nicolas
n'eut rien en six semaines pour tout potage avec son
compagnon qu'un fromage de Hollande pour lui et son
garçon. Au Carbet, il n'y avait ni pain, ni patate, ni
viande. On faisait cuire du pourpris avec des bananes
et des figues et de l'eau de mer pour sel. Chacun avait
de cela son mets à diner bien petitement.
Monsieur de L'Olive voyant ainsi tout manqué, re-
tourna à Saint Christophe pour apporter des provisions.
Mais il tarda tant à cause du mauvais temps, qu'on fut
contraint de faire un dernier partage, savoir de cinq
quarterons de cassave à chacun et permission à tous de
se pourvoir où bon lui semblerait. Personne n'y manqua
et tous, après s'être déchargés de leur portion de cassave
en la mangeant sur le lieu, s'en allèrent qui deçà, qui
delà, qui avec une bourgninotte pour faire cuire des
crabes ou burgos, qui avec un corcelet pour faire de la
cassave (car je ne sais pour quel dessein on en avait
apporté) et tous vécurent aisément car ils visitaient les
vieux jardins des sauvages et on y trouvait du manioc,
des patates, des bananes et pas un ne mourut.
Monsieur de L'Olive étant de retour rassembla tout
son monde qui endura encore beaucoup. Néanmoins on
attendait un navire chargé de vivres, mais le vaisseau
passant trop au vent des îles, s'en alla par mégarde en
la Floride et n'arriva que bien tard. Dans l'attente des
navires, le jour de Saint Barnabé il en parut un qui de
prime abord donna de grande joie. Mais la suite de plu-
sieurs autres, leur fit connaître que c'était la flotte
(l'Espagne qui chassa encore pour notre plus grand mal-
heur un navire qui nous apportait des pois anglais. La
vue de la flotte fit miracle, car tous les malingres qui

88
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
croupissaient sur leurs cabanes gagnèrent au pied ; une
partie même des sains se cacha dedans les bois ; Mon-
sieur le Gouverneur restant avec le Révérend Père
Nicolas qui portait un crucifix, et fort peu d'hommes.
Les Espagnols ne leur firent point de mal ; mais en
rasant la pointe du fort, ils leur dirent toutes les injures
qu'ils savaient jusqu'à ce qu'ayant vu le Père Nicolas
avec son crucifix, ils ôtèrent leurs chapeaux et firent
la révérence en passant et puis recommencèrent leurs
chansons.
Quelques sauvages les avaient suivis et on envoya des
Mousquetaires pour les empêcher de descendre. Le Père
Nicolas alla encore à Saint Christophe pour assister les
malades que M. de L'Olive y menait et où il n'y avait
point encore de prêtres. On commençait alors à être
mieux. Devers le mois d'août lés patates commencèrent
à être bonnes, et les nègres de Monsieur de L'Olive
allaient à la chasse aux cochons et en apportaient beau-
coup. De plus, ce navire tant attendu vint enfin et ap-
porta quelques rafraîchissements. Dans ce navire arriva
un très honnête et vertueux prêtre, Monsieur de Saint
Gervais bien abattu d'un si long voyage. Le Père Rai-
mond en eut grand soin, et avec l'assistance de Monsieur
de L'Olive le mit sur pied.
Au mois d'octobre les sauvages firent une descente
au grand Carbet le jour de Saint Simon et Saint Jude et
surprirent nos gens. Ils en blessèrent trois ou quatre
dont deux moururent. On en tua un des leurs qui por-
pait un tison pour brûler la chapelle. Ils ont toujours
ainsi usé de surprise, jusqu'à ce qu'on a fait la paix
avec eux, et en ont tué à diverses fois en tout trente
ou quarante et fait quelques captifs dont le sieur Auger
en retira deux après la paix, les autres étant déjà morts.
A la Toussaint, le Père Raimond pria Monsieur de
Saint Gervais de prendre la charge du Carbet ce qu'il
fit, et y pâtit beaucoup tant de la nécessité que de
l'insolence de quelques libertins. Depuis, il a bien servi
à Saint Christophe et y sert encore bien utilement en
l'absence des Révérends Pères Capucins qui en ont été
chassés dès l'année passée bien indignement.
Au mois de novembre (le 13) jour de Saint Brice (?),
Monsieur de L'Olive nous donna la place que nous occu-

TROISIÈME PARTIE
89
pons suivant l'ordre que lui en avait donné Monsieur
le Président Fouquet, principal Directeur de la Compa-
gnie. La donation en fut passée par écrit le vingt-sixième
janvier de l'année suivante. J'en coucherai ici l'acte
dont la minute a été envoyée au noviciat à Paris et en
avons retenu la copie, qui a été faite sur la minute
par Monsieur Volery commis de la Compagnie : L'an
mil six cent trente sept, le 26 janvier, furent présents
en leurs personnes Charles Liénard, écuyer, sieur de
L'Olive, capitaine et gouverneur de l'île de la Guade-
loupe et les Révérends Pères Nicolas Breschet, dit de
Saint Dominique, vicaire de la mission de l'ordre des
frères prêcheurs és îles de l'Amérique et Père Raimond
Breton, procureur de la même mission et sortis du novi-
ciat général du dit ordre de la ville de Paris, ayant
cherché dans la dite île une place et lieu commode pour
y faire leur résidence actuelle et y célébrer le service
divin, ils en auraient rencontré une située à la bande
de l'Ouest dont ils auraient fait demande au dit sieur
de L'Olive, ce qu'il leur a octroyé sous le nom et auto-
rité de Messeigneurs de la Compagnie des Iles de l'Amé-
rique. Ledit lieu et place étant située à la droite bande
d'Ouest, joignant d'un côté à une grande rivière appelée
la rivière de la Pointe des Galions, d'autre à une autre
petite rivière appelée la petite rivière, d'un bout à la
mer et d'autre bout aux montagnes, lesquelles rivières
serviront de limites de deux côtés ainsi qu'il a été fait
et borné icelles par le dit sieur de L'Olive en présence
de Henry Thireuil et Jacques Volery commis et secré-
taire de Nosseigneurs de la Compagnie des Iles de l'Amé-
rique, le dit jour et an que dessus. Et pareillement en
présence de Charles Phillebert escuyer, sieur de la
Grange et l'un des cent gentilhommes de Monsieur et
lieutenant général du dit sieur de L'Olive, La Grange
Nicolas Suillard et Jacques Belin sergents. La minute
est signée frère Nicolas de Saint Dominique, frère Rai-
mond Breton, De L'Olive, La Grange, Phillebert, Nicolas
Suillard, Thireuil et Volery. La copie est signée Volery.
Depuis, les Pères Capucins étant venus en qualité de
Missionnaires en cette île là, voulant avoir cette place
comme ayant été donnée pour l'Eglise et Monsieur de
L'Olive ne la leur voulant donner, fit entendre à Mes-

90
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
sieurs de la Compagnie qu'elle était propre à faire des
fortifications et une ville, de sorte que Messieurs de la
Compagnie auraient commandé qu'on la leur réservât ;
mais les Pères Capucins ayant quitté, nos Supérieurs
firent de grandes instances pour nous la conserver.
(Ici nous nous trouvons en présence de deux versions.
Nous reproduisons tout d'abord la version romaine. La
version parisienne correspondante se lira plus loin, p.

113-127.)
VERSION ROMAINE
Messieurs de la Compagnie prièrent M. de Poincy
qui venait en qualité de lieutenant général de Sa
Majesté de la faire reconnaître ; ce qu'il fit. Il en écri-
vit à ces Messieurs qui, dans leur délibération du 5
octobre 1639, nous confirmèrent la donation en ces ter-
mes : « La Compagnie ayant vu par les lettres de M.
le Général de Poincy que les terres ci-devant accordées
par le sieur de L'Olive sous le bon plaisir de la Compa-
gnie aux Pères Jacobins dans l'île de la Guadeloupe ne
peuvent apporter de préjudice à la Compagnie ni aux
habitants, leur a confirmé la dite donation de terre pour
eux et leurs successeurs religieux du dit ordre tant qu'il
y en aura dans la dite île. »
Et parce que cette restriction (tant qu'il y en aura
dans ladite île) semblait nous préjudicier en tant que
nous ne pouvions proprement garantir nos places à ceux
à qui nous les vendrions ou donnerions à ferme ; vu
qu'il pouvait arriver qu'on nous chassât de l'île, comme
on a fait les Capucins à Saint Christophe, ou que même
nous en sortissions pour quelque raison urgente, ces
Messieurs nous l'on donnée enfin absolument dans leur
délibération du 5 mai 1645, dont M. Berryer de Segrand
nous envoya un extrait. La Compagnie accorda aux dits
religieux qu'en cas qu'on admette d'autres religieux
ou séculiers dans ladite îles ou qu'on les fasse sortir
d'icelle, qu'ils vendent et disposent de leur place et

TROISIÈME PARTIE
91
terre ainsi qu'ils aviseront bon être et que font les
particuliers de ladite île.
Le propre jour que Monsieur le Gouverneur nous
donna cette place, le R. P. Raymond s'y plaça avec trois
hommes qu'il nous avait donnés dont un mourut bien-
tôt, et commença lui-même à abattre du bois et planter
des patates. On leur envoyait toutes les semaines six
cassaves et parfois quelques pièces de lamentin ou tortue.
On bâtit là une chapelle où le peuple qui s'était habitué
dans la basse terre allait entendre la messe les diman-
ches. Il y avait quelque temps déjà que les vieux habi-
tants libres (comme) (?) le sieur de la Ramée, s'étaient
retirés du gros et avaient habité la pointe nommée
de Saint Joseph. Ils y avaient fait une chapelle en
l'honneur de Saint Joseph où le Père allait dire la
messe de 15 en 15 jours. Le P. Nicolas demeura au fort
avec Monsieur le Gouverneur.
1637
Le R. P. Carré, prieur du noviciat général et com-
missaire du Révérendisime P. Général pour la mission,
ayant appris du R. P. Pélican les misères du pays et
ne voulant plus exposer ses religieux à de si longs
voyages et si pénibles travaux sans les voir établis et
pourvus des choses nécessaires à leur subsistance dans
ce pays, et d'ailleurs Messieurs de la Compagnie ne vou-
lant pas lui accorder toutes ses demandes, remanda le
P. Nicolas et le P. Raymond qui se résolurent d'obéir.
Néantmoins, M. de L'Olive fit tant auprès du P. Nicolas
qu'il leur laissa le P. Raymond. Et lui s'embarqua dans-
un canot pour aller à la grande Ance du fort Saint
Pierre pour là se mettre dans un navire dont le capitaine
lui avait promis de le prendre, ce qu'il ne fit pas. C'était
la veille de Saint Marc qu'il partit.
Le jour de Saint Marc qui était un vendredi, arrive
le capitaine Pesl et avec lui deux R. P. Capucins pour
la Guadeloupe, savoir est le P. Daniel de Canonvil et
le P. Prothais de Caen. M. de L'Olive qui avait de l'in-
clination pour eux, en avait demandé à leur Supérieur
spécialement depuis que nos Pères le réprimandaient

92
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
avec zèle de sa trop grande précipitation à la ruine des
sauvages. Il s'imaginait qu'il aurait meilleur marché de
ces bons religieux ; comme si servant un même maître,
ils n'avaient pas aussi le même zèle. Messieurs de la
Compagnie s'y étaient accordés s'étant offerts d'y en
envoyer à meilleur compte que le P. Carré. Sitôt que le
P. Raymond sut leur venue, il courut à bord et les
accueillit avec tout l'amour qu'il put. Mais le P. Daniel
était à l'agonie et l'autre bien abattu. Le P. Raymond
les fit descendre à terre et porter à la petite case où il
les fit coucher. Monsieur le Gouverneur et les commis
eurent par état toutes leurs affaires et les firent serrer
au magasin de Monsieur le Gouverneur. Et le P. Ray-
mond prit le soin de leur personne, les garda jusqu'au
soir du samedi que le R. P. Daniel mourut. C'était un
très bon religieux et très exemplaire, d'une humeur fort
douce. On remarqua dans le navire une chose, c'est que
le P. Prothais le voyant malade,s'en attristait fort et en
témoigna même quelque chose. Le P. Daniel lui répon-
dit : « Bien, bien ; vous voilà bien empêché, nous mour-
rons tous deux ensemble. » Cela ne fut que trop vrai.
Car quoique le P. Prothais ne parut si non abattu du
voyage et n'avoir besoin que de repos, décéda néanmoins
sur le point du jour du dimanche, dix ou douze heures
après son compagnon. Le P. Nicolas qui, n'ayant pas
trouvé son navire, était retourné et le P. Raymond les
ensevelirent dans un même cercueil avec autant d'hon-
neur qu'ils purent. On trouva dans leur manche leur
obéissance et mission qui n'était pas du Saint Père, mais
seulement des définiteurs de leur province au chapitre
général.
Le P. Nicolas s'embarqua dans le vaisseau où ils
étaient venus pour passer à Saint Christophe. Il y avait
là dedans quantité d'agonisants ; pour lesquels assister
il prit une boîte d'argent où étaient les saintes huiles
qui appartenaient aux Pères défunts et il la rendit au
P. Joseph de Caen à Saint Christophe.
En ce temps Mlle du Plessis le pria de se charger de
son fils Charles pour l'instruire. Il l'envoya au P. Ray-
mond à la Guadeloupe qui en eut grand soin. Mais par
malheur le voulant faire divertir et l'envoyer au quartier
de Saint Joseph, il le mit dans un canot qui fut brisé

TROISIÈME PARTIE
93
à l'entrée d'une rivière et celui que le Père avait chargé
de l'enfant fut écrasé sous le canot et le petit noyé, le
21 novembre.
Six semaines ou environ après la mort de ces deux
Pères Capucins, il en vint deux autres le P. Marian et
le P. Polycarpe, la veille du Saint Sacrement qui était
le 11 de juin. Le P. Raymond les plaça en notre case
du fort avec tout leur attirail. Le même jour le Père
leur racontait comme Monsieur le Gouverneur l'avait
retenu lorsqu'il s'en voulait aller avec le P. Nicolas, que
néantmoins puisqu'il était venu (1), il lui laisserait tout
faire, que s'il allait à droite, il prendrait (la gauche)
n'attendant plus rien dans l'île que des nouvelles de son
supérieur. Et même lui fit offre de notre habitation de
la basse terre. Le Père qui, au dire même de tous ses
confrères, était d'une humeur fâcheuse lui dit qu'il ne
voulait pas qu'il reste du tout. M. de L'Olive qui était
présent et qui avait retenu le Père s'offensa un peu de
cette rigueur et lui dit que Saint Dominique et Saint
François avaient été bons amis et s'étaient bien accordés
et qu'au reste l'île était assez grande. Le Père Marian
se fâcha de ce discours et laissa quelque impression dans
l'esprit de M. de L'Olive qui l'aliéna tant soit peu. Le
lendemain qui était la fête du Saint Sacrement le P.
Raymond le pria de porter le Saint Sacrement à la pro-
cession et de faire la prédication. Il accepta le premier
et s'excusa du second. Le P. Raymond le laissa donc au
fort de M. de L'Olive et retourna en notre maison de
la basse terre. Cependant il n'avait pas moins d'occupa-
tion. Le P. Marian était très rigoureux aux habitants
qui pour cela aimèrent davantage le P. Raymond et
avaient plus de confiance en lui. Le P. Polycarpe était
d'une humeur bien plus douce et plus accommodante.
1638
M. de L'Olive retournant de Saint Christophe dans
sa barque, emmena le P. Raymond au fort pour lui
donner des lettres de France qu'il ne lui voulait pas
(1) Le narrateur ne pense plus ici qu'au P. Marian.

94
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
donner là. Il y en avait de ses parents qui l'avertissaient
de la mort de son père, et du R. P. Carré qui le reman-
dait. Cependant qu'il lisait ces lettres on l'appela pour
voir notre case de la basse terre qui brûlait. On ne sait
comme le feu s'y mit. Tout y fut brûlé : case, chapelle,
coffre, ornements, livres, habits ; il ne resta pas une
seule tunique au Père ni ornements pour dire la messe.
Et peu de temps après il fut contraint de vêtir un sca-
pulaire et chaperon de toile de coton jusqu'à ce que
M. de Poincy lui fit le bien de lui envoyer quelques
dépouilles d'un de nos religieux espagnols qu'un hollan-
dais avait dévalisé.
La même année le sieur Philbert, frère de Mlle de
L'Olive, vint en cette île, établi par Messieurs de la Com-
pagnie premier juge de cette île. Il mourut le 9 novem-
bre de la même année.
Le P. Marian se voyant si peu goûté de Monsieur
le Gouverneur et des habitants, et outre cela voyant par
expérience que les Pères Jacobins n'avaient pas de grand
tort de demander en France de quoi vivre à la Guade-
loupe où il en croissait bien peu alors, résolut de s'en
aller sans aucune contrainte, sans mandement de son
supérieur ou celle de Messieurs de la Compagnie. Le
P. Raymond voulut retenir le P. Polycarpe qui était d'un
bon exemple et de très bonne humeur. Mais le P. Marian
ne voulut jamais y consentir. En quoi il fit une faute
assez regrettée des siens, vu qu'il aurait infailliblement
conservé cette mission à son ordre. Car le P. Raymond
ne tenait plus à rien. Mais quand il fut parti, M. de
L'Olive et les habitants le retinrent ; à quoi il consentit
pourvu qu'ils s'obligeassent à le nourrir et entretenir ;
ce qu'ils firent par cet acte.
Le 17 juin l'an 1638, nous soussignés répondant du
seing de tous les habitants étant... etc. (1).
Le P. Raymond écrivit au P. Carré et lui envoya
cette résolution des habitants. Mais comme il est sage
et prévoyant, il vit bien qu'il n'était pas à propos de
s'appuyer sur ces promesses. C'est pourquoi Messieurs
de la Compagnie ne lui voulant donner le contentement
(1) Cfr. Version parisienne.

TROISIÈME PARTIE
95
qu'il souhaitait, contremenda le P. Raymond comme nous
dirons.
Le lendemain de la Nativité de Notre-Dame, M. de
L'Olive tomba dans une grande maladie ; il avait les
convulsions et syncopes si étranges qu'on le crut mort
plusieurs fois. Il échappa pourtant, mais il lui en coûta
la vue qu'il n'a jamais recouvrée. Il fut un peu consolé
par la venue du capitaine Diguart qui lui amena trente
hommes qui entretinrent ses jardins.
1639
Le 4 février, M. le Commandeur de Poincy, lieute-
nant général pour le roi dans les îles de l'Amérique,
arriva à la Guadeloupe, et, après avoir salué M. de
L'Olive et fait enregistrer sa commission, fit l'honneur
au P. Raymond de l'aller voir en notre maison de la
basse terre et manger de ce, que le Père avait alors. Et
cependant fit visiter notre place comme Messieurs de
la Compagnie l'en avaient avaient prié et leur fit le
rapport que nous avons dit.
Le P. Raymond reçut des nouvelles du P. Carré qui
le rappelait de rechef et lui commandait étroitement de
partir. Ce à quoy il se résolut. Mais nos habitants ne
le voulurent pas souffrir. Et parce qu'ils ne pouvaient
l'empêcher autrement, ils firent défense au capitaine
Grégoire, dans qui le Père devait partir, de l'embarquer.
Nous avons l'acte par devers nous signé de M. de L'Olive,
de M. de la Grange, Philbert et autres habitants, du
14 juillet 1639. Trois jours après le capitaine Grégoire
mourut et fut assisté du P. Raymond.
En août arriva une très furieuse tempête qu'on
appelle ici ouragan qui fit bien du dégat ; plusieurs
navires se perdirent ; à terre les cases furent abattues
et les vivres arrachés en plusieurs lieux.
On avait en ce temps coutume de vider les procès
et différents dans l'assemblée des principaux habitants
à la pluralité des voix et M. de L'Olive leur laissait une
telle liberté que bien souvent lui même y perdait son
procès. Cette année, on choisit M. Mauger pour juge
et il fut confirmé par Monsieur le Général en attendant
que les Seigneurs de la Compagnie y eussent pourvu.

96
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
1640
M. le Général de Poincy estimant M. de L'Olive
incapable de gouverner à cause de son aveuglement l'in-
terdit de sa charge et le retint lorsqu'il était aux Nièves
(ilot prochain de Saint Christophe) et, en attendant que
Messieurs de la Compagnie eussent pourvu d'un Gou-
verneur, donna le commandement de cette île à M. de
Saboulies, gentilhomme de mérite et fort capable de
commander et pour lors sergent major des îles, auquel
il adjoignit M. de la Vernade. M. de Saboulies vint le
jour de la Purification avec quantité de monde et se
logea à la Cabesterre. M. de la Vernade vint peu de
temps après et se mit à la basse terre, et y commandait
sous l'autorité pourtant de M. de Saboulies, lequel ré-
prima les courses des sauvages qui s'étaient enhardis
depuis l'aveuglement de M. de L'Olive qui retourna
avec M. de la Vernade, mais n'avait plus de comman-
dement .
Le 4 mars arriva le R. P. Nicolas de la Mare, reli-
gieux du couvent de Sens, docteur en Sorbonne, avec le
R. P. Jean de Saint Paul et le R. P. Jean Baptiste de
Sainte Ursule, Pères, et trois frères converts, le fr. Jac-
ques des Martyrs, le fr. Nicolas de Saint Dominique et
le fr. Etienne de l'Assomption qui n'était pas encore
profès.
Messieurs de la Compagnie ayant vu les RR. PP.
Capucins de retour, le R. P. Carré toujours résolu de
n'en renvoyer des siens qu'à des conditions au moins
passables se déterminèrent de lui accorder une partie
de ce qu'il souhaitait ; ce qu'ils firent dans leur délibé-
lation du 5 octobre 1639. De quoi on se contenta pour
lors. Le R. P. Carré avait destiné le P. Nicolas de Saint
Dominique pour supérieur et deux autres Pères. Le P.
de la Mare voulut être de la partie et en pria le P. Carré
à deux genoux ; il lui accorda bien qu'à regret. Et le
R. P. Nicolas de Saint Dominique se trouvant fort mal
disposé et inhabile à faire le voyage, le chargea de la
charge de supérieur.
Ils furent longtemps à Dieppe à attendre le temps ;
et cependant le P. de la Mare prêchait en diverses égli-

TROISIÈME PARTIE
9 7
ses principalement (celle) des mères Carmélites avec
lesquelles il contracta une sainte amitié et alliance spi-
rituelle par laquelle il leur faisait part de nos sacrifices
et elles réciproquement leurs prières et autres bonnes
œuvres. Nous l'avons conservée avec une très grande
confiance aux mérites de si saintes et si innoncentes
âmes.
Après l'arrivée du R. P. de la Mare, M. de Saboulies
demanda un prêtre pour son quartier. On lui bailla le
R. P. Jean de Saint Paul avec le fr. Jacques des Martyrs.
On lui bâtit une chapelle au lieu appelé Case du Borgne
à cause d'un sauvage borgne qui y avait demeuré, depuis
appelé le fort de Sainte Marie.
Environ ce temps, M. Volery, commis de la Compa-
gnie, nous céda une place de bois debout qu'il avait
après de la grande rivière de la Cabesterre qu'on accepta.
Le P. Jean de Saint Paul et son compagnon y allaient
de fois à autre et y faisaient ce qu'ils pouvaient. On y
bâtit depuis l'église de Saint Hyacinthe et la maison
pour nous loger qui a subsisté jusqu'à l'an passé 1646
que le R. P. Armand de la Paix, supérieur à présent,
l'a échangée contre une autre plus commode à cause
qu'elle est sur le bord d'une belle rivière et plus aérée.
Dès ce temps il y eut cinq églises en l'île, savoir est
celle de Notre Dame du Rosaire à la basse terre et où
est notre couvent, de Saint Joseph au quartier des vieux
habitants, celle de Saint Jean Baptiste à la Grand Case,
celle de Saint Hyacinthe à la grande rivière où est notre
résidence de la Capesterre et celle de Tous les Saints au
quartier de M. de Saboulies et depuis qu'elle est refaite,
de Sainte-Marie ; elles n'ont point changé depuis.
(Nous reprenons ici le texte commun aux deux
versions.)
Aux deux églises de nos couvents, à Saint Joseph et
à celle de Sainte Marie, on y dit la messe tous les diman-
ches et fêtes, on y prêche et on y fait le prône et le reste
des fonctions pastorales ; aux autres, quand on peut.
C'est pitié que pas une de ces chapelles ne se ressent
point de la grandeur du Dieu qu'on y adore, ressemblant
plutôt à des chaumières qu'à des églises. La pauvreté

98
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
de nos habitants en est cause et le peu de zèle de ceux
qui ont le moyen et le pouvoir de le faire.
M. de Saboulies faisait faire souvent le tour de l'île
dans des canots bien équipés pour chasser les sauvages
et les surprendre. Il pensa être surpris une fois lui-
même que plusieurs pirogues qui rôdaient au cul de Sac
l'environnèrent dans un îlet. Mais sa prudence et son
adresse l'en retirèrent ; il en tua quelques-uns des leurs,
ce qui les fit retirer. Trois des nôtres y furent blessés,
un en mourut et l'autre y perdit un bras.
A la Saint Michel au mois de septembre arriva
M. Auber qui avait épousé la veuve de M. Du Plessis
et en sa considération avait obtenu des Messieurs de la
Compagnie la charge de Gouverneur et lieutenant géné-
ral de la Guadeloupe. Il passa à Saint Christophe pour
rendre le serment entre les mains de M. de Poincy, Gé-
néral des îles et retourna au commencement de l'an
suivant. M. de Saboulis se retira aussitôt et peu après
M. de la Vernade.
1641
Le troisième de février plusieurs des plus notables
de l'île s'étant embarqués avec le sieur Auber dans une
barque toute neuve que le Révérend Père De la Mare
avait bénite et l'ayant menée au cul de Sac pour la
charger de tortue et y faire bonne chère, d'un grand
vent la barque sombra sous voiles et coula à fond. Il
y en eut treize de noyés entre autres le sieur Tesson,
commis et Granville, lieutenant d'une compagnie. Le
sieur Auber se sauva et quantité d'autres, qui avec un
aviron, qui avec un carl et un canot passant les accueillit.
Après Pâques le Père Raymond venant du couvent
de Saint Hyacinthe pour visiter le Révérend Père De-
laware, malade, vit venir une pirogue de sauvage à la
grande Anse et en avertit les habitants qui se mirent
sur leur garde. Ils demandèrent de loin le capitaine
Auber avec qui ils voulaient faire la paix d'autant que
M. Auber passant par la Dominique leur avait dit qu'il
venait être capitaine à la Guadeloupe et qu'ils vinssent
en assurance. La paix fut donc faite alors et le sieur
Auber l'a toujours soigneusement entretenue. Le Père

TROISIÈME PARTIE
99
Raymond porta cette bonne nouvelle au Rév. Père Supé-
rieur qui s'en réjouit extrêmement. Il lui représenta
que nous étions ici principalement pour l'instruction des
sauvages et qu'il s'était dédié tout à fait à ce saint em-
ploi. Le Père Delamare le trouva bon, mais il n'était
pas à propos de se fier à une paix si jeune. Mais à 'trois
ou quatre mois de là, comme il était plein de zèle il prit
dessein d'y aller lui-même et sollicita le sieur Auber de
ne le point empêcher, qui le lui promit, ne croyant pas
qu'étant si malade, il pût exécuter cette sainte résolu-
tion. Néanmoins s'etant accommodé avec un capitaine
sauvage pour le porter à la Dominique il partit avec
le Père Jean-Baptiste de Sainte Ursule pour dire adieu
à M. Auber, mais il l'arrêta tout court, parce qu'il
appréhendait que la paix ne fût pas encore bien cer-
taine. Le Père Delamare retourna donc au couvent.
Le 5 octobre veille de la fête de Notre-Dame du
Rosaire arrivèrent deux prêtres : Le Père Vincent
Michel, et le Père Dominique de Saint Gilles et le frère
Charles de Saint Raimond convers. Le Père Vincent avait
été destiné dès le premier voyage pour les Indes et avait
été jusqu'à Dieppe pour s'y embarquer, avec le Père
Pelican, mais le navire éait parti dès la nuit précédente.
Ce Père vingt-deux jours après son arrivée tomba ma-
lade et le 18 novembre mourut avec une grande quiétude
d'esprit. Il avait été religieux de très grand exemple
et d'une parfaite obéissance et mortification. Il avait
été élevé à la vertu premièrement au couvent de la rue
de Saint Honoré et puis au noviciat général et avait très
bien fait son profit des rares pratiques qu'il avait vues
en ces deux célèbres écoles de la vertu.
1642
Le 19 janvier le Révérend Père Delamare laissa à la
fin aller le Révérend Père Raymond à la Dominique avec
sa bénédiction et obéissance avec condition qu'il retour-
nerait dans six semaines pour l'informer de ce qui s'y
pouvait faire à la gloire de Dieu et pour le salut des
pauvres sauvages. Il partit avec le frères Charles de
Saint Raimond dans le navire du capitaine Valéry. Etant

100
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
arrivés ils demandèrent à un des principaux appelé Hen-
ryconte s'il aurait agréable qu'ils allassent chez lui. Il
leur refusa tout plat. Le capitaine Hamichon survenant
là dessus leur offrit son carbet ; ils y allèrent tôt après,
mais ne se souvenant plus de sa promesse, il leur dénia
sa case. Néanmoins à la prière de son neveu Cayermant
qui employa aussi le fils aîné du dit capitaine, il leur
permit de rester jusqu'au retour du navire. Il envoyait
ses enfants au Père pour les instruire. Et comme il se
faisait un vin quelque part, le Père le pria d'avertir les
autres du dessein qui l'amenait. Il le fit et tous témoi-
gnèrent en être contents. Il fallut pourtant déloger de
cette case à cause que le capitaine allait à la guerre à
la terre ferme et envoyait ses femmes à la Cabesterre
de peur des surprises dés Anglais, outre qu'il n'avait
pas de vivres. Le navire donc étant de retour, le Père
s'y embarqua et y trouva le capitaine Baron, grand ami
des Français et celui sur qui on s'appuyait principale-
ment. Celui-ci l'emmena à la Cabesterre dans sa pirogue.
Ils coururent risque de la vie à cause du mauvais temps.
Cette première nuit ils se soûlèrent tous et comme ils
sont dangereux dans leurs vins, il y eut deux vieilles
qui faisaient bien mine de vouloir frapper le Père et
son compagnon. Mais un jeune garçon, fils d'une, prit un
escabau et dauba dessus elles. Cela les mit si bien en
colère qu'elles quittèrent la compagnie, mais n'oubliè-
rent pas de prendre à boire pour s'achever d'enivrer.
Le lendemain le Baron fit assembler pour recevoir
les petits présents du Père Raimond qui (leur donna
ce qu'il avait. Le fr. Charles servit bien au P. Raimond
qui aurait) (1) sans doute bien plus pâti sans la petite
pêche du frère. Il éprouva plus d'humanité dans les
nommes que dans les femmes et reconnut que le Baron
était plus brutal qu'Amichon.
Mais revenons au Révérend Père Delamare. Ce bon
Père tomba dans une maladie fort longue qui l'abattait
toujours de plus en plus. Néanmoins il ne cessa jamais
de prêcher la parole de Dieu avec grand contentement
de tout le monde. Il expliquait le symbole des Apôtres,
les commandements de Dieu, et les autres mystères avec
(1) Omis dans la Version parisienne.

TROISIÈME PARTIE
101
tant de clarté et d'élégance que les plus capables en
étaient édifiés. Le jour de la Purification, il fit son
adieu et tira les larmes des yeux de tous les assistants.
Enfin, le premier de mars il trépassa. Il ne voulut jamais
user de viande. Il se fit lire plusieurs fois le symbole
de Saint Athanase les sept psaumes pénitenciaires, se
fit vêtir de l'habit de frère convers, et commanda qu'on
l'enterrât avec trois heures après son décès à la porte
de l'église. Il avait toujours été de grande édification.
Il fut élu prieur à Sens, Auxerre, Poitiers et Langres.
Il vécut sept ou huit ans au noviciat plus soumis qu'un
simple novice. Enfin, il a laissé une bonne mémoire après
soi et de ceux qui l'ont vu ici, il n'y a personne qui ne
loue sa piété et sa doctrine. Après sa mort il ne restait
que trois prêtres à la Guadeloupe qui s'étant assemblés
élurent d'entre eux le Père Jean-Baptiste de Sainte
Ursule pour supérieur.
Le douzième de mars le capitaine Baron voulut venir
à la Guadeloupe. Le Père Raimond retourna quant et lui
pour rendre compte au Rév. Père Delamare de son
voyage, mais il le trouva décédé. D'un commun avis des
Religieux il fut résolu qu'il fallait remettre le voyage
des sauvages à une autre fois, et envoyer en France pour
avertir le Père Commissaire de ce qui se passait et de-
mander des Religieux. Le Père Jean-Baptiste prit la
charge d'aller en France et se démit de sa charge entre
les mains du Père Raimond. Il passa dans Valery à
Saint Christophe d'où il partit le jour des Rameaux
pour France dans la frégate de Monsieur le Général.
Mais trouvez bon que nous mettions ici tes raisons
qui nous ont obligés de remettre si longtemps le voyage
à la Dominique pour instruire les ,sauvageéjqgj devait
être le plus grand de tous nos soins puisque la mission
a été principalement établie pour cet effet. Une dévote
qui a fait imprimer ses lettres sous le titre de « Rela-
tion du progrès des orphelines de Saint Joseph » après
avoir calomnié indiscrètement les Révérends Pères Capu-
cins de Saint Christophe a écrit qu''it était bien besoin
qu'il y eût ici de bons ecclésiastiqes bien zéles au salut
des sauvages, comme si les Pères Jacobins qui y sont
depuis douze ans ne l'étaient pas.
C'en est pourtant une marque infaillible que nous

102
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
avons été à la Dominique lorsque la paix n'était pas
encore bien affermie et qu'il y avait plus de danger, et
que nous n'avons mortifié notre inclination pour le bien
de ces infidèles que par une prudence très nécessaire,
qui dans ce rencontre ne nous a point permis de cho-
quer les puissances temporelles, qui prenaient intérêt
à la paix et désiraient empêcher la rupture qui fût
arrivée infailliblement par la mort ou mauvais traite-
ment de quelques-uns de nos Pères. M. le Général de
Poincy, homme fort judicieux, n'eût pas si tôt appris
le voyage du Père Raimond aux sauvages qu'il pria le
Père Delamare de le rappeler par sa lettre du 23 février
1642 où il lui dit beaucoup de raison que le zèle et notre
condition qui nous distrait de ces motifs temporels
n'avaient pas représenté au Père Delamare. Et après
le décès du dit Père Supérieur il écrivit au Père Rai-
mond du 29 mai touchant la même chose et lui dit comme
les sauvages de Saint Vincent avaient massacré un
nommé Louvet et six autres sans sujet et qu'ils lui en
pouvaient faire autant. Messieurs de la Compagnie en
firent le même jugement dont la lettre de M. Berruyer,
directeur de la Compagnie, au Père Raimond, du 10 no-
vembre 1642 rend témoignage et celle du Rév. Père
Carré au Rév. Père Armand de la Paix, Supérieur, du
2 avril 1643 où il l'avertit que Messieurs de la Compa-
gnie ne sont pas d'avis qu'il envoie des religieux à la
Dominique jusqu'à ce que Monsieur le Gouverneur ait
en son pouvoir les sauvages. M. Houel même dont on
loue tant dans cet écrit le zèle pour la conversion des
sauvages et qui est du corps de la compagnie, s'est tou-
jours opposé à ce dessein jusqu'à ce qu'il a cru n'y avoir
plus de danger. Aller contre ce torrent, c'eût été une
imprudence, et si les Supérieurs avaient envoyé à la
Dominique contre le sentiment de tant de gens capables
et qu'il en fut arrivé du malheur, tous lui auraient jeté
la pierre, et il n'y a point de doute que le Rév. Père
Delamare, comme il était fort sage ne s'y fût rendu.
Quand il a été temps, nous ne nous sommes pas oubliés
et avons changé nos souhaits en effets. Mais retournons
à notre route.
Il arriva cette même année une sédition dans l'île
de quelques brouillons qui, à l'occasion d'une chapelle

TROISIÈME PARTIE
103
que M. Mauger, juge, voulait faire bâtir en son quar-
tier, à quoi ils ne voulaient pas travailler, se mutinèrent
et même se retirèrent dans les bois et firent beaucoup
d'insolences : allant demander, le pistolet à la main, de
quoi manger ; éprouvant leurs armes au milieu des habi-
tations. Le sieur Hauber les poursuivit avec du monde
et les surprit en une ravine. Il y eut deux des leurs
tués et un de blessé. Ils tuèrent un soldat auprès de
M. Aubert. Ils se rendirent à la fin et furent envoyés
à Monsieur le Général qui les mit à la raison. Un peu
après Pâques de cette année mourut à Paris au noviciat
général le Rév. Père Nicolas de Saint Dominique à qui
cette mission est grandement obligée pour les grands
travaux et bons exemples. Il avait gagné la maladie dont
il est mort à Saint Christophe au service de ce peuple
durant l'absence des Pères Capucins. Car ce bon Père
courait perpétuellement au secours des malades qui
étaient éloignés l'un de l'autre et cependant observait
l'abstinence « des viandes, tous les jeûnes et autres ri-
gueurs de l'ordre dont il ne démordit jamais ; ce qui
lui causa l'hydropisie dont il est mort. Il a quasi tou-
jours été maître des novices au noviciat avec grand
fruit. Il avait été sur le point de retourner au pays et
était allé jusqu'à Dieppe, mais la maladie s'augmentant,
on fut obligé de le retenir. Il prit pourtant le soin des
affaires de cette mission, et ce fut lui qui fit résoudre
le Rév. Père Carré à la continuer et nous pourvut de
petites aumônes pour l'accommodement de nos chapelles.
On eut cette même année trois ouragans très violents
tànt sur mer que sur terre. Trente-deux vaisseaux péri-
rent à la côte de Saint Christophe, plusieurs cases furent
renversées, les vivre arrachés. La Guadeloupe n'en fut
pas tant affligée à cause qu'elle est moins découverte.
1643
Le Père Jean-Baptiste de Sainte Ursule était arrivé
en France représenta au R. P. Commissaire la nécessité
des religieux de la Guadeloupe. Même Messieurs de la
Compagnie le pressaient d'en envoyer. Néanmoins, il ne
voulut point y entendre qu'après que le chapitre général

104
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
de Gênes serait fait où il souhaitait faire approuver
notre mission, qui n'avait point encore été confirmée
par aucun chapitre général, ne s'en étant point tenu
depuis que la mission était conmmencée. Mais comme il
ne se fit rien dans ce chapitre et que les affaires tiraient
en langueur, il se résolut d'en envoyer quelques-uns,
différant à en envoyer d'autres après que celui qu'il
envoyait à Rome aurait obtenu du Saint Siège la réno-
vation de nos privilèges qui expiraient à l'an 1645. Il
institua Supérieur le Père Armand Jacquinèt, dit de la
Paix, profès du noviciat, et renvoya avec lui le Rév. Père
Jean Baptiste. Ils s'embarquèrent à Dieppe le Jeudi
Saint et arrivèrent en cette île le jeudi d'après la Pen-
tecôte.
Peu de temps après le capitaine Drovant amena
soixante tant nègres que négresses pour l'habitation des
Seigneurs de la Compagnie.
La veille des Apôtres Saint Pierre et Saint Paul, le
Rév. Père Supérieur reçut à profession solennelle le
Estienne de l'Assomption comme le Père Carré lui avait
enjoint.
Le 3 septembre arriva M. Houel gentihomme pari-
sien bien suivi de quantité de monde et fut reçu gou-
verneur le huitième de septembre, jour de la Nativité
de Notre-Dame, avec applaudissements et la joie de tous
les habitants parce qu'étant du corps de la compagnie
riche et de bon esprit on espérait de lui beaucoup de
modération et de conduite. Il a toujours maintenu les
sauvages en bonne intelligence avec un grand soin.
En décembre arriva un navire anglais chargé de
nèges. Monsieur le Gouverneur les acheta tous et en
distribua une partie aux officiers et habitants du pays
au prix de dix sept cents livres de petun la pièce ; il
nous fit le bien de nous en donner deux au même prix
qu'aux autres.
1644
Au mois de février le Père Armand de la Paix fit
un voyage à Saint Christophe à la prière de Monsieur
le Gouverneur pour moyenner quelque paix entre M. le

TROISIÈME PARTIE
105
Général de Poincy et lui et étouffer, s'il y avait moyen,
la désunion qui commençait entre eux à l'occasion du
sieur Auber. Il fut reçu avec beaucoup de charité de,
Monsieur le Général, mais il ne fit rien par la fourbe
de quelques-uns, et puis les flatteurs aigrirent les esprits
de part et d'autre à l'extrémité.
La veille de Pâques le Rév. Père Dominique de Saint
Gilles baptisa cinquante cinq ou soixante nègres chez
Monsieur le Gouverneur, qu'il avait instruits avec bien
de la peine ne sachant pas leur langue ni eux la nôtre.
Et puis y ayant une grande lieue de notre maison à celle
de Messieurs de la Compagnie et une fâcheuse rivière
à passer.
Le 25 juillet mourut notre frère Estienne de l'As-
somption, religieux convers d'une grande obéissance et
humilité ; il avait été envoyé aux Indes avec le Rév.
Père Delamare peu de jours après la vêture. Il persé-
véra constamment parmi les épreuves qu'il souffrit sous
le Rév. Père Delamare qui était assez sévère et les dou-
leurs d'une longue maladie qui au bout de deux ans l'a
consommé. Nous l'enterrâmes le jour de Sainte Anne.
Le 25e jour d'août, jour de Saint Louis, Monsieur
le Gouverneur se résolut d'aller en France lui-même pour
terminer ses différends avec M. de Poincy et partit
dans le capitaine Drovant qui lui avait encore apporté
quelques nègres. Il établit pour commander en son
absence, le sieur Anthoine Marinet pour son lieutenant
général.
Le 24 novembre arriva le Rév. Père Mathias de Saint
Jean (1) profès du noviciat général avec de petits ra-
fraîchissements que Messieurs de la Compagnie nous en-
voyaient. Il nous apporta le décret du Révérendissime
Père Général par lequel il admettait la mission et com-
mandait au Rév. Père Carré de la continuer et entre-
tenir. Du 7 juin 1644.
Le 6 décembre se forma une faction contre le lieute-
(1) P. Mathias du Puis, né en Picardie, entre chez les Domi-
nicains, à Paris, le 23 mars 1641, envoyé à la Guadeloupe où il
débarqua le 24 novembre 1644, rentre en France en 1649, et meurt
à Orléans, vers 1655. Il a écrit une Relation de l'Etablissement
d'une colonie française dans l'île de la Guadeloupe.

106
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
nant de Monsieur le Gouverneur en son absence. Ses
ennemis, sous de légers prétextes, le mirent aux fers et
le tinrent en prison jusqu'au retour de M. Houel et éta-
blirent je ne sais comment un lieutenant à leur poste.
Le Père Supérieur s'étant porté au quartier prêcha
contre cette injustice et se plaignit en même temps de
certaines lettres imprimées qui couraient par les îles
contre notre réputation qu'il défendit. Il avait commis
au Père qu'il allait dire la messe au fort de Sainte Marie
d'en dire autant et on vit ce qui peut-être jamais ne
s'est vu, une femme se souleva dans l'église contre son
pasteur vêtu des sacrés habits et lui dit des choses qui
scandalisèrent tout le monde, et ici et à Saint Christo-
phe et en France, on s'est étonné d'un si extraordinaire
insolence.
1645
Le 29 mai Monsieur le Gouverneur mit pied à terre
à la Cabesterre de retour de France et mit l'ordre qu'il
voulult aux désordre passés. Il amenait quant e soy qua-
tre pères Jésuites qui étaient pour la Martinique et
deux Pères Capucins qui venaient voir le pays.
Le 9 juillet, M. de Leumont, Intendant des affaires
de Messieurs de la Compagnie vint de Saint Christophe
avec d'autres officiers de la Compagnie pour le mauvais
traitement qu'ils craignaient de quelques insolences sous
prétexte des intérêts de M. de Poincy.
Peu de temps après M. de Saboulies s'y retira aussi.
Le propre jour de la fête de Notre Père Saint Domi-
nique, les Rév. Pères Jésuites commencèrent leur mission
dans les sauvages de la Martinique accompagnés de M.
du Parquet, gouverneur de cette île, qui s'est toujours
porté avec zèle à la conversion de ces pauvres sauvages.
Environ la fête de Sainte Croix de Septembre le Père
Supérieur envoya le fr. Charles de Saint Raimond en
France pour tirer quelques assistances de Messieurs de
la Compagnie et il partit dans le navire du capitaine
Desparquets.
Le 15 novembre arriva M. de Toisy, Lieutenant Gé-
néral pour le Roi aux îles de l'Amérique au lieu de
M. de Poincy et n'ayant pas été reçu à Saint Christophe

TROISIÈME PARTIE
107
comme il espérait, il retourna au bout de dix jours et
s'établit ici jusqu'au premier jour de l'an 1647. Avec
lui étaient deux Pères Capucins pour Saint Christophe,
mais qu'on ne voulut pas recevoir. Ils se retirèrent à la
Grande anse où ils firent l'office de Missionnaires (com-
me nous les en avons priés) avec grande édification.
1646
Le seizième janvier M. Duparquet, Gouverneur de
la Martinique, vint trouver Monsieur le Général avec
assurance de l'introduire dans Saint Christophe. Etant
entré de nuit, il fit prisonnier les deux neveux de M. de
Poincy et saisit quelques corps de garde, mais ne s'étant
pu joindre à M. Camot et La Fontaine qui étaient allés
lever leur compagnie et étant allé solliciter Monsieur le
Général des Anglais, il fut livré par ce Général entre
les mains de M. de Poincy. M. Houel y mena lui même
300 hommes choisis ; mais on n'en avait plus besoin. Tout
était rompu par la prise de M. Duparquet.
Le 20 mars le Père Supérieur étant allé visiter M. le
Gouverneur reçut de lui avis que le capitaine Baron lui
avait demandé le Père Raymond pour aller avec lui à la
Dominique et lui apprendre à prier Dieu et que avis
était qu'il le fallait prendre au; mot et y envoyer le Père
Raymond. Le Père Supérieur lui promit de faire venir
le Père Raymond qui était à la Basseterre le mercredi
saint. Le Père Raymond, étant résolu d'aller avec le
Baron, alla prendre congé de Monsieur le Général qui
loua ce dessein. Mais ayant été prié par le Père Paci-
fique de Provins (1), capucin, de l'empêcher, il le voulut
faire de son autorité de Lieutenant Général. Le Père
Supérieur voyant que cet empêchement tendait à ruiner
les immunités de l'Eglise ne laissa pas de passer outre,
de donner son obéissance au Père Raymond et le faire
partir dans la pirogue du Baron le 25 avril (2). Monsieur
(1) Le P. Pacifique de Provins fut tout d'abord missionnaire
en Asie-Mineure ; il vint aux Antilles en 1639, déjà sexagénaire,
et fut probablement massacré sur le continent américain, dix ans
plus tard. Cfr. Revue d'Histoire Franciscaine, tome III. pp. 293-
298.

(2) Le 13 avril, d'après la Version romaine.

108
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
le Général en après fit une ordonnance par laquelle il
défendait aux gouverneurs de laisser sortir aucun même
religieux sans son congé ou le leur, et aux capitaines
des navires de les embarquer. Tous les religieux se sont
opposés à cette ordonnance comme préjudiciante et dé-
truisant les libertés de l'église vu que ce n'est pas la
pratique ni ici ni en France que les religieux prennent
congé d'autres que de leurs supérieurs. Pour ce qui est
du Rév. Père Pacifique, il ne se devait pas alarmer
contre nous pour cela, vu qu'il savait bien que nous
n'aspirions qu'à cela. Nous lui avons découvert notre
dessein dès son arrivée, espérant qu'il nous y servirait
et cependant sans nous communiquer le sien ; il avait
envoyé quérir des religieux. Secondement le Père Ray-
mond n'allait pas là pour lors, pour y établir mission,
mais seulement pour se perfectionner en la langue dont
il avait de bons commencements, et se rendre capable
et ses frères aussi de servir les sauvages en quelqu'une
des îles, quoi que nous ayons plus d'inclination pour la
Dominique tant à cause que ceux de la Guadeloupe s'y
sont réfugiés que pour le voisinage de cette île, nous
étant plus aisé de secourir les religieux qui servent à
la Dominique que ceux qui servent à Saint Vincent ou
à la Grenade. Enfin, parce que nous avons toujours
assuré que nous estimerions heureux d'y travailler avec
les Rév. Pères Capucins avec qui nous avons été toujours
amis, l'île étant assez vaste pour occuper plusieurs
ouvriers.
Le Père Raymond étant à la Dominique baptisa un
petit enfant qu'il nomma Louis. Sa mère le lui apporta
croyant qu'il dut mourir, et le Père le croyait aussi ;
mais Dieu merci, il se porte bien et la mère promet
toujours de le donner aux Français pour l'instruire
lorsqu'il sera grand.
La veille de la Pentecôte le Père Supérieur baptisa
vingt-deux tant nègres que négresses et le lendemain de
la Pentecôte deux petites sauvagesses de la Terre ferme
de la nation qu'ils appellent Symacotte.
Quelques nègres de Saint Vincent des îles étant à
Sainte Alousie (1) massacrèrent par le commandement
(1) Sainte Lucie

TROISIÈME PARTIE
109
d'un sauvage leur maître, quelques Français de la Mar-
tinique ce qui fâcha fort nos sauvages qui craignaient
que M. Houel ne s'en ressentît et ne leur fît la guerre.
Néanmoins le Père les rassura et retourna même avec
le Baron à la Guadeloupe un peu avant la Nativité de
Notre Dame.
Deux ou trois jours après arrivèrent trois Pères
Capucins mandés par le Père Pacifique pour la Domi-
nique. M. Houel leur donna lieu dans sa maison pour
demeurer.
Le vingtième du même mois, le capitaine Baron
retournant, le Père Raymond quoique malade encore
s'embarqua aussi. Et le Rév. Alexis d'Auxerre, un des
trois, de très bonne conversation, s'en alla avec lui et
emporta des ornements pour dire la messe. Ils dressèrent
un autel dans le Carbet et y célébrèrent la sainte messe,
vivant là en très bonne intelligence.
La flotte espagnole passant à la Dominique et ayant
pris de l'eau en assurance, enleva quatre sauvages et
en jeta trois en mer qui y furent perdus.
Le 8 novembre le Rév. Père Alexis partit de la Domi-
nique et s'en alla à la Martinique avec le Baron qui
passait outre à la Grenade eft de là revint à la Guade-
loupe ayant été environ six semaines à la Dominique.
Le Père Raymond y resta jusqu'au 12 de mars de l'an
suivant avec bien de l'ennui, de la peine et de la faim.
Dès le 18 novembre on eut des indices d'une sédition
qui se soufflerait contre Monsieur le Général et qui
éclata le 22. Plusieurs habitants au nombre de 200 ou
250 ayant pris les armes contre lui tant de la Basseterre
que de la Cabesterre par je ne sais quelle menée. Les
Pères qui étaient à la Cabesterre firent ce qu'ils purent
pour empêcher les séditieux d'aller à la Basseterre et
en retirèrent quelques-uns. Le Père Supérieur fit aussi
son possible à la Basseterre à la prière même de Mon-
sieur le Gouverneur qui lui en avait écrit le jour même.
Nous n'avons pas laissé d'avoir bien de la brouillerie pour
tout cela et de la peine. Le plus gros tomba sur le Père
Jean Baptiste la veille de Saint André.
Le trentième jour de décembre arriva le fr. Charles
de Saint Raimond sans avoir rien reçu de ce pourquoi
il avait été envoyé. Il nous apporta des lettres du Révé-

1 10
RELATION DE L'lLE DE LA GUADELOUPE
rendissime Père Général par lesquelles ils nous témoi-
gnait bien de la tendresse et pour nous aider à suppor-
ter les fatigues de ce pays, nous a donné licence d'user
de chair trois jours de la semaine.
Nous avons aussi reçu du Saint Siège de nouveaux
privilèges, plus amples, conférés par Notre Saint Père
le Pape Urbain VIII au; Rév. Père Armand de la Paix
avec pouvoir de les communiquer à ses compagnons pour
quinze années entières. Le bref est du 17 mars 1644 ;
avec le décret de la Sacré Congrégation de Nosseigneurs
les Cardinaux de Propaganda Fide, qui institue le susdit
Père Armand préfet de la Mission du 5 déc. 1645. Le
tout accompagné d'une le titre de l'Eminentissime Car-
dinal Cappronio, de même date que le décret. Du depuis
le même Eminent Cardinal a encore écrit au susdit Père
du 11 sept. 1646 que la Sacrée Congrégation lui donne
pouvoir de communiquer ses facultés à trois prêtres
anglais pour assister ceux de cette nation qui sont dans
cette île. On a amené cette année soixante nègres à
Monsieur le Gouverneur.
1647
Les séditions n'étant pas bien apaisées, Monsieur le
Général sortit de la Guadeloupe, le premier jour de cette
année avec toute sa famille et le Père Jean Baptiste
aussi qui appréhendait de plus grosses tempêtes après
le départ de Monsieur le Général.
Les Rév. Pères Capucins qui demeurent chez M. Houel
et y font sous notre aveu toutes les fonctions et instrui-
sent bien soigneusement ses nègres, baptisèrent au com-
mencement de cette année trente ou trente cinq nègres
des derniers venus.
Environ la mi-carême le Rév. Père Raymond retourna
de la Dominique pour passer avec nous la fête de Pâques.
Il repartit à la Pentecôte avec Bon Pierre qui est un
autre capitaine sauvage et trois mois après, sur le bruit
qui court qu'on doit habiter Marie Galante, le Père Supé-
rieur l'a rappelé d'autant que ces sauvages ne verront
qu'à regret habiter cette île qui leur est extrêmement
chère et dans les premières chaleurs pourraient se ven-

TROISIÈME PARTIE
ger sur ceux qu'ils auraient en leur puissance. Nous
attendons des nouvelles maintenant.
Au reste le Père Raymond est fort avancé en la
langue du pays et a traduit en icelle le symbole, l'Orai-
son Dominicale, l'Ave Maria, les dix commandements de
Dieu et dressé un petit catéchisme. Il fait un petit
dictionnaire qu'il perfectionnera avec le temps.
Nous nous servirons de ses travaux pour l'apprendre
aussi et nous espérons qu'il y en aura d'entre nous,
d'autres capables avec la grâce de Dieu de tirer ces
pauvres sauvages de leur aveuglement. C'est le principal
de nos souhaits, c'est le but de nos prières et la fin de
nos travaux.
Reste à dire maintenant, quelle espérance il y a d'y
réussir et quelle apparence nous voyons d'en venir à
bout. Nous disons qu'il y en a plus qu'on ne saurait dire.
Certes du côté des sauvages, il n'y a pas tant d'obs-
tacles qu'on croirait bien. Car, comme nous avons dit,
ils ne sont pas trop opiniâtres pour se raidir ni trop
stupides pour ne pas comprendre nos mystères. Les lois
de leur pays ni même leurs rêveries (hormis en peu de
points, comme de leurs rioches, multitude de leurs fem-
mes et quelques semblables) ne sont pas contraires au
Christianisme. Avec le temps et l'assistance du ciel, on
pourra les désabuser et si on ne gagne rien sur les vieux,
on instruira au moins les jeunes. Toute la plus grande
peine qu'on a et aura est de leur persuader que nous
n'allons pas parmi eux pour avoir leur terre et les en
chasser, comme on a fait à la Guadeloupe, Saint Chris-
tophe et ailleurs. Néanmoins ils commencent à nous
connaître et voir que nous ne nous attachons pas aux
bien de ce monde.
De la part des religieux qui travailleront à leur ins-
truction, il faut une extrême patience à supporter leur
importunité, incivilité, barbarie et principalement leur
maigre chère. Une grande fidélité à Dieu en tout ce qui
regarde notre profession pour ne se point rendre indi-
gnes d'être les instruments de Dieu. Enfin il est besoin
de personnes robustes et saines.
De la part de Messieurs nos Gouverneurs, il est requis
un grand zèle, pour le salut des sauvages, car les reli-
gieux en réussiront d'autant mieux qu'ils seront ap-

112
RELATION DE L'lLE DE LA GUADELOUPE
puyés des puissances temporelles qui maintiennent ces
barbares dans l'amour et la crainte de notre nation.
Avec cela pour trouver entrée parmi eux et les atti-
rer doucement, il leur faut donner nécessairement des
petits présents ; en quoi la prédication sera d'autant
plus recommandable encore qu'au lieu d'espérer le tem-
porel pour le spirituel, il faut pour s'accommoder à leur
humeur, pour leur pouvoir donner notre spirituel, leur
faire des largesses temporelles. Mais c'est la moindre
chose que cela. Il y a tant de gens de bien en France,
à qui Dieu a fait bonne part des biens de ce monde qui
seront bien aise d'en employer une partie, tant pour
faire subsister les Missionnaires que pour gagner les
sauvages et leur faire goûter notre religion en leur
donnant des preuves de la charité chrétienne.
Les îles esquelles on peut travailler et les habitants
desquelles ont une même langue sont la Dominique où
les Sauvages sont bien quatre ou cinq mille, la Grenade,
Saint Vincent des îles où ils sont sans nombre, et la
Martinique où les Pères de la Compagnie de Jésus ont
déjà commencé de travailler heureusement.
Messis multa, operaii pauci. Orate Dominum messis
ut mittat operarios in messem suam. Mais au fond après
tout cela il faut dire et conclure que neque qui rigat
aliquid est neque qui plantat, sed qui increment um
dat Deus.

A la plus grande gloire de Dieu.

TROISIÈME PARTIE
113
VERSION PARISIENNE
Il faut savoir que le R. P. Pellican étant en France,
le R. P. Carré commissaire de la mission pour la subsis-
tance de la mission fit présenter des articles aux sei-
gneurs qui, n'ayant été reçus, occasionnèrent le P. Carré
de rappeler ses religieux. Les Seigneurs écrivirent aux
Commis indiqués de nous donner ce qui serait expédient
pour le retour et liberté d'emporter ce qui appartenait
aux religieux au réserve du contenu du billet fait par
le P. Carré au P. Raymond Breton. (Ils) firent passer
des Capucins et leur donnèrent 300 livres à deux.
(1637)
Le vendredi 4 mars 1637 (outre les deux autres qui
les avaient devancés comme en sort en la délibération
du 3 décembre 1636) (1) [deux Capucins] arrivèrent
à l'île sur la fin d'avril de la même année dans le capi-
taine Pel ; il était mort en cette traversée force passa-
gers. Le P. Daniel de Canoville avait perdu la parole
quand on mouilla ; le capitaine les avait assez maltraités;
aussi bien qu'il avait fait les pères Jacobins. Le Père
Raymond alla au navire, le fit apporter en sa case et le
soigna le mieux qu'il put et puis après fit descendre
l'autre Protais de Lisieux qu'on ne disait point malade,
mais qui ne l'était pas moins pourtant soit qu'il eût eu
disette d'eau ou qu'il fut en fièvre ; aussitôt qu'il fut
à terre, il se mit à brouter du pourpier et fallut-il lui
en laisser passer son envie ; de là on le mena en la
même case.
C'était le jeudi. M. de L'Olive le vint visiter ; pour
tout compliment il lui dit : Les Pères Jacobins de France
(1) Obscur. Aucun capucin n'avait été envoyé à la Guadeloupe
par décision du 3 décembre 1636.

114
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
ont demandé du pain et on leur en a refusé vous nous
en donnerez si vous voulez, quoi dit, il tira le rideau et
ne voulut plus parle*. Le samedi au soir le P. Daniel
mourut et son compagnon le lendemain à la diane si
paisiblement qu'on ne voyait ni ne croyait-on pas même
qu'il fût malade. Le premier avait été prêtre à Mari-
quaz (2) à ce qu'on disait, si cela n'est pas au moins y
avait-il formé le dessein d'être Capucin. Il rendit de
grandes assistances aux passagers et prit le mal autour
d'eux. Le vieillard son compagnon s'inquiétait de sa
maladie, il lui dit au rapport des passagers : Je tiens,
mon Père, nous mourrons tous deux.
Le Père Raymond les mit tous deux dans une même
caisse le dimanche après la grand'messe. Le capitaine
s'en affligea, soit qu'il craignît les reproches de France,
soit qu'il eût peine à souffrir ceux de sa propre cons-
cience ; quoi qu'il en soit, il demeura quatre mois à Bon
retour sur venir, dénué de vent, entra par malheur pour
lui en la manche de Bristol et après y avoir quasi tout
perdu sa marchandise, fait recoustrer son navire, alla en-
core échouer à Dieppe et mourut la même nuit en son
lit.
Le P. Nicolas de Saint Dominique passa dans son
vaisseau à Saint Christophe et de là en France et laissa
le P. Raymond à l'instante pétition du gouverneur et
officiers.
Les PP. Marian et Policarpe des Pères Capucins arri-
vèrent en l'île devers le Saint Sacrement. Le P. Ray-
mond leur céda le fort et se retira en sa place ce qui
ne contenta pas le Père Marian qui témoigna son dé-
paisir à M. de L'Olive et lui, ayant représenté que l'île
était grande et pouvait contenir les Capucins et Jaco-
bins que Saint François et Dominique ne s'entrechas-
saient point, mais inutilement, M. de L'Olive s'emporta
enfin et lui dit que les Pères Jacobins avaient eu de la
peine quant et eux et qu'il entendait que nous eussions
part au bien qu'il leur arriverait et que s'il n'était con-
tent lui montra par où il était venu, comme lui disant
qu'il était encore libre qu'il s'en pourrait retourner et
( 2) Au Maroc

TROISIÈME PARTIE
quelques autres piques qu'ils eurent encore les aigri-
rent à tel point que depuis ils ne se réconcilièrent.
En juillet le P. Nicolas de Saint Dominique envoya
au P. Raymond le petit Charlot, fils de M. Duplessis qui
en peu de temps profita beaucoup ; toutefois comme il
semblait dépérir et charger maladie, le P. Raymond pria
l'homme du sieur la Ramée Suyllart de l'embarquer pour
passer les fêtes de Noël et se divertir chez lui ; ce qu'il
fit, mais plus tôt qu'on ne lui avait ordonné et en un
temps où la mer était rude. Le P. Raymond qui était
allé voir un malade le sachant et voyant le danger évi-
dent d'aborder à la côte le fit rappeler une et deux fois
au navire d'où étant sorti contre l'ordre qu'on en avait
donné il fut noyé à la rivière de Dufossé et l'homme
qui en avait soin écrasé sous le canot ; on en trouva une
jambe. Le serviteur qui l'apportait pour l'enterrer à la
Chapelle s'amusa à petuner et à parler de ces accidents
avec d'autres habitants devant leur case devant laquelle
il avait posé la jambe qui s'évanouit si bien que jamais
on n'en put avoir nouvelle quelque diligence qu'on y put
apporter.
1638
Cette affliction fut suivie d'une autre. M. de l'Olive
retournant à Saint Christophe plus gai que de coutume
à cause que le P. Jean de Sainte Marie lui faisait com-
pliment par lettre du. bon traitement qu'il faisait au
P. Raymond, mouilla la barque devant sa place et l'ayant
fait venir, l'enleva dans son bâtiment et l'emmena au
fort malgré lui, ce même jour, on aperçut passer devant
la place un canot de sauvages et deux Portugais dedans.
Le P. Raymond était au fort, le sieur de L'Olive lui pré-
senta ses lettres ; la première du; P. Carré qui lui com-
mandait de tout quitter et s'en retourner ; la deuxième
de ses parents qui lui mandaient que son père était
mort de fâcherie sur ce quon lui avait faussement donné
à entendre qu'il était mort ; à peine en avait-il fait la
lecture, qu'on lui montra sa case en feu qu'on voyait
clairement de là quoiqu'on en fût éloigné de deux lieues.
Tout y fut consumé et ne lui resta que le méchant habit

1 1 6
RELATION DE L' ILE DE LA GUADELOUPE
qu'il avait sur ses épaules. On a cru que les sauvages
en passant y avaient mis le feu.
Les Pères Capucins ne voulurent jamais quitter le
fort quoiqu'on les appelât d'ailleurs et ainsi le Père
Raymond était appelé de la côte de la Grande Anse de
l'île à Goyave pour les malades, outre que de jour à
autre il allait dire la messe au quartier des vieux habi-
tants et le peu de temps qui lui restait, il l'employait
à travailler à la terre pour gagner sa vie à la sueur de
son front qui fit qu'en peu de temps son habit fut déchi-
ré et pourri sur son dos et ainsi fut contraint d'avoir
recours à la toile de coton pour se faire un habit. Le mê-
me, peu de temps après, s'étant échauffé pour aller voir
aux habitants, le sieur Isaac le moine dit du Buisson ou
le hasier qui avait été dangereusement blessé d'un coup
d' epée qui le perçait de bande en bande après l'avoir
confessé fut pris de fièvre qui dégénéra en quarte, le
réduisit bien bas, mais le quitta le jour de la translation
de Saint Dominique en mars, jour que le P. Marian et
son compagnon abandonnèrent l'île après quelque grosse
pique avec M. de L'Olive en présence de M. du Parquet ;
ils passèrent dans le Capitaine Abe.
Quoique je remontrasse au sus dits Pères que l'on
continuait à me rappeler et, partant, qu'ils resteraient
seuls, si ne voulurent rien faire probablement parce
qu'il y avait opposition à leur envoi et que celui qu'on
avait trouvé en la manche des premiers défunts n'était
que de quatre de leurs pères définiteurs de la province
de Normandie avec précepte formel
; les
habitants même ne les prièrent pas de rester parce que
le vieillard était fort sévère et peu goûté quoique le
P. Raymond leur remontrasse qu'il serait aussi obligé
de les quitter, et en effet il s'y disposait tant parce que
les seigneurs ne voulaient accepter les articles proposés,
que parce que M. de L'Olive et sa femme avaient secrè-
tement contribué à l'envoi des Capucins, mais en fut
empêché par le Gouverneur et tout le peuple, particu-
lièrement de M. Philbert qui était arrivé en ce temps
en l'île en qualité de juge, à cause qu'on attendait la
flotte de jour à autre, mais voyant que le Père s'était
déjà exposé l'an précédant après les morts des Capucins
nonobstant qu'ils vinssent pour le supplanter et qu'il

TROISIÈME PARTIE
117
avait encore à craindre que les Seigneurs n'en subrogeas-
sent d'autres au retour des Capucins, ils s'assemblèrent
et firent l'acte suivant en reconnaissance de ses services.
Le 17 juillet 1638, nous soussignés, répondant du seing
de tous les habitants, étant assemblés sur ce que R. P.
Raymond Breton, missionnaire de l'ordre des F. Prê-
cheurs aux Iles de l'Amérique, nous a remontré qu'en
vertu de son Obédience datée du 26 mars dernier, il était
obligé vu les vœux de son ordre de quitter l'île de la
Guadeloupe, que même on était en suspens qui de lui ou
du P. Marian Capucin demeurerait pour la direction des
consciences des habitants de la dite île, Nous d'un com-
mun consentement et de celui du Père, vu que nous
fussions demeurés à l'abandon de tous vices et nous
voyant délaissés sans cause légitime des Rds Pères Capu-
cins l'avons retenu protestant et promettant en cas que
nos Seigneurs eussent dessein d'envoyer des religieux
d'un autre ordre en cette île le maintenir et entretenir,
déchargeant nos dits seigneurs de la satisfaction d'icelui
et autres de son ordre tant pour victuailles qu'autres
choses à eux nécessaires. En foi de quoi nous avons signé
le présent acte fait au fort royal de la dite île le jour
et an que dessus. La minute est signée Raymond Breton,
de L'Olive, la Grange Philbert, Philbert. Nicolas Suil-
lard, Nau, Mauger. Etienne, Douffin. Lambert, Roche-
fort, Pradon, le Maistre, et Volery. La copie que nous
avons est signée Volery.
A la Saint Pierre M. de L'Olive se voyait obligé de
laisser aller libres tous ses serviteurs qui étaient en petit
nombre parce que la mort en avait moissonné la meil-
leure partie et tout fâché de ce que les bourgeois de
Dieppe qui s'étaient associés avec lui ne lui en faisaient
pas passer d'autres parce qu'ils ne leur faisait point
passer d'autres marchandises il leur écrivit en colère et
dans les siennes les appelait trembleurs : eux irrités
aussi lui renvoyèrent son change, ce qui l'affligea fort
et l'obligea de retenir ses serviteurs pour n'être obligé
de tout perdre et abandonner tous ses jardins qui étaient
en meilleur ordre que jamais ; il lui arriva encore d'au-
tres fâcheries pour lesquelles divertir il vint voir le P.
Raymond qui le consola, le confessa et communia puis
s'en retourna au fort où les objets de ses déplaisirs lui

118
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
ayant renouvelé ses colères, après une violente colère
étant aux lieux il fit un cri horrible et tomba dans
d'étranges convulsions, ayant été ouï avec frayeur du
monde, on accourut à lui ; il fut trouvé faisant d'étran-
ges contorsions d'yeux, de membres et écumant en sorte
qu'il causait de l'effroi à tous ceux qui le voyaient et
porté en son lit ses violences lui continuèrent longtemps.
demeurant perdu d'esprit réduit aux extrémités jus-
que là que son cercueil fut fait quoiqu'il ne mourût
pas mais seulement en perdit la vue par les soins d'un
opérateur.
L'arrivée du Capitaine Dhigart qui lui amena trente
hommes lui fit un peu revenir ses esprits ; ses serviteurs
ayant eu leur liberté, ceux-ci prirent leur place et par
les soins de M. La Grange, Lieutenant, les jardins fu-
rent conservés et entretenus.
Le R. P. Marian et son compagnon Policarpe arrivés
en France virent M. le Président Foucquet qui se fâcha
fort de leur retour. Sachant que leur dessein n'était pas
de retourner, il vint voir le P. Carré lui fit entendre
le retour des dits Pères, lui fit voir la détention du
P. Raymond et lui demanda des religieux pour Compa-
gnons qui dit qu'il était prêt pourvu qu'on donna pour
faire subsister la mission.
Ceci arriva en France tandis qu'en l'île M. Philibert
juge de l'île de la Guadeloupe, fâché d'être empêché
de se marier à une fille de sa condition par ses parents
menait une vie langoureuse quasi depuis le mois de juin
qu'il était en l'île, tomba enfin subitement en des convul-
sions semblables à celles de M. de L'Olive et qui le saisi-
rent si fortement et si consécutivement que trois jours
après s'étant coupé la langue, il expira savoir le 6 novem-
bre n'ayant reçu que l'Extrême Onction parce qu'il n'eut
en tout temps jamais assez l'usage de raison. Il était
Conseiller au présidial de Chinon, frère aîné de Mme
de L'Olive, homme d'espérance. Il fut enterré au Cou-
vent de la Basseterre. Il n'avait encore point exercé.
On songeait encore pour lors plus à diner qu'à plaider.
M. le Président Foucquet veilla au pourparler du
P. Carré, prieur du Noviciat et ne manqua pas de le
proposer en la première assemblée générale. En voici
la teneur.

TROISIÈME PARTIE
119
Le mercredi 1er jour de décembre mil six cent trente
huit a été tenue assemblée générale au logis de M. Fouc-
quet, Conseiller d'Etat, de laquelle il était avec les sieurs
Martin, l'un des directeurs de la Compagnie, de Fle-
celles, Conseiller d'Etat, et Maître des requêtes ordinai-
res de l'hôtel du roi, l'Avocat, Maître des Comptes et du
Hertelay de la Compagnie. Le sieur Foucquet a représen-
té sommairement ce qui s'est passé de plus considérable
depuis la dernière assemblée générale que les deux pères
capucins qui étaient en l'île de la Guadeloupe étaient
repassés en France, ayant laissé dans l'île le père Jaco-
bin qui seul y était resté avec lesdits pères capucins,
lesquels auraient témoigné audit sieur passant par cette
ville qu'ils ne retourneraient en ladite Ile ni autres de
leurs pères pour n'avoir trouvé l'esprit du Gouverneur
disposé à les recevoir seuls dans ladite Ile et leur ayant
témoigné qu'il avait plus d'affection aux pères Jacobins,
ce qui aurait donné sujet audit de conférer avec le Père
Carré, Supérieur desdits pères Jacobins du novitial pour
y renvoyer des religieux de son ordre, ce qu'il aurait
agréé, leur donnant le moyen de subsister; pour cet effet
aurait fait quelques propositions lesquelles entendues la
Compagnie a accordé au Père Carré pour les Pères Jaco-
bins ce qui en suit :
Que l'année mil six cent trente neuf, on leur fera
passer trois hommes pour travailler à leurs habitations
et s'ils veulent faire passer en l'année 1639 encore trois
religieux la Compagnie payera leur passage et leur don-
nera pareille somme de trois cents livres, la Compagnie
fera encore passer à ses dépens en l'année 1640 trois
hommes ; le tout sans tirer à conséquence pour les an-
nées suivantes.
Tous les religieux de leur ordre qu'ils voudront faire
passer dans ladite Ile outre le nombre ci dessus la Com-
pagnie les fera passer à ses dépens.
Les hommes que les religieux auront domestiquement
à leur service actuel ne paieront aucun droits person-
nels à la Compagnie.
La Compagnie ne prendra aucun droit sur les mar-
chandises que feront les serviteurs domestiques des reli-
gieux pourvu qu'ils n'excèdent le nombre de douze et
s'ils en ont plus grand nombre, la Compagnie prendra

120
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
les mêmes droits sur les marchandises que feront leurs
serviteurs au dessus dudit nombre qu'elle fera sur les
autres habitants de l'Ile.
La Compagnie accorde auxdits religieux la liberté
de la pêche pour leur nourriture et de leurs serviteurs
domestiques.
Leur accorde aussi les terres qui leur ont été données
par le sieur de L'Olive, si ce n'était que lesdites fussent
jugées utiles pour les fortifications de l'Ile ou pour y
faire un bourg auquel cas ce que les religieux ont com-
mencé à cultiver leur demeurera avec une quantité de
terre raisonnable pour leur faire un grand enclos et
leur sera donné d'autres terres dans l'île pour les culti-
ver, leur donner moyen de nourrir et entretenir le nom-
bre de religieux qu'ils voudront envoyer dans l'Ile.
La Compagnie enverra la présente année pour la
Chapelle de la Guadeloupe un calice et un ciboire d'ar-
gent et un calice d'étain et deux chasubles de double
couleur selon et ainsi que contient ledit acte d'assemblée.
Nonobstant cette délibération, le P. Carré n'envoya
point de religieux. Il est croyable qu'il n'était pas satis-
fait de la clause apposée dans la ratification de la place
ou terre accordée par le sieur de L'Olive, et en effet si
on y avait pourvu, le premier envieux n'aurait eu qu'à
alléguer son assiette pour nous inquiéter en la possession
d'icelle, ou. que faisant difficulté sur cela, on lui fit espé-
rer d'en savoir la vérité au plus tôt.
1639
Le 4 février de cette année arriva à la Guadeloupe
M. le Commandant de Poincy qui trouva que par ses
fréquentes rechutes M. de L'Olive n'était encore point
bien remis de son esprit, il se contenta donc de lui rendre
visite puis fit accepter par M. Volery et son compa-
gnon, Commis de la Compagnie, sa commission de Lieu-
tenant Général pour le roi sur les Iles françaises et le
lendemain il alla chez le P. Raymond feignant de lui
rendre visite, c'était pourtant pour, suivant l'ordre de
la Compagnie, faire descente sur la terre qui lui avait
été donnée par le sieur de L'Olive, et en effet, il dispersa

TROISIÈME PARTIE
121
une partie de son monde pour la visiter ; ils y furent
dès les 9 heures du matin jusqu'à 5 du soir, encore
fallut-il sonner de la trompette et tirer force coups
d'armes pour les faire retourner. Pendant la journée
les habitants l'y vinrent saluer et lui demandèrent un
juge parce que depuis la mort de l'autre quand M. de
L'Olive se portait bien, une fois le mois, il prenait quel-
ques-uns de ses officiers et les premiers habitants venus
et vidait incontinent toutes les causes et le tout se pas-
sait sans acceptation de personne en sorte que lui-même
crainte d'être condamné accordait souvent avec ses par-
ties avant que d'entrer au Conseil. M. de Poincy leur
commanda d'élire un juge et leur promit de leur envoyer
commission ce qu'il fit à M. Mauger du depuis de Saint
Christophe où il fit voile au sortir de la place du P. Ray-
mond, et quelques mois de là M. de Saboully venant se
faire recevoir major des Iles, il fit publier une ordon-
nance pour apporter les morts au cimetière commun, le
P. Raymond en avait requis M. de Poincy à cause que
les habitants les enterraient dans les lisières de leurs
places.
Le jour de Sainte Anne il arriva un furieux ouragan;
nos habitants du depuis en ont voulu chomer la fête
et on leur a accordé, il ne fit pourtant pas grand tort
à l'île parce qu'il n'y avait pas encore grand abatis de
bois, le sec avait commencé dès le Noël précédent.
Les sauvages tirant avantage de l'aveuglement de
M. de L'Olive avaient fait quelque massacre de Français
dans le cul de Sac, une descente à la case du Borgne et
jeté l'épouvante dans l'esprit des Français ; cela obligea
les Commis d'en donner avis à M. de Poincy et le prier
de souffrir que ceux qui voudraient passer en la Gua-
deloupe n'en fussent point empêchés au moins ceux qui
sortant de service n'auraient pas le moyen de chercher
des places afin de fortifier l'Ile, ce qu'entendant M. de
Poincy, il assembla bon nombre d'hommes pour ce sujet.
ordonna qu'une partie résiderait à la case du Borgne
pour tenir tête aux sauvages et leur députa pour chef
M. de Saboullis. L'autre à la Basse terre fut commandé
par M. de la Vernade comme cela se faisait. M. de L'Olive
prit résolution d'aller au bain aux Nyèves et quoiqu'on
lui eût donné avis de cela de Saint Christophe se ne

122
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
put-il en être diverti. Il faut marquer que c'était sa pas-
sion qui le conduisait. Le désir de revoir sa femme pen-
sant l'y faire venir, mais M. de Poincy sachant sa venue,
retint la femme et l'envoya quérir aux Nyèves puis l'ar-
rêta à Saint Christophe et lui donna tout loisir de la voir.
Au commencement de juillet arriva en l'Ile le Capi-
taine Grégoire de Dieppe qui portait des Capucins à
Saint Christophe. Le P. Raymond harassé de maladie, de
faim, de nudité, ne recevant aucun ordre de France de
demeurer ou quitter l'Ile, crut que l'intention de son
Supérieur était qu'il retournât ; c'est pourquoi voyant
l'occasion des pères Capucins qui pouvaient faire ce qu'il
faisait, voir s'y offraient-ils, insista auprès du capitaine
de le repasser ; ce qu'il lui promit. Mais M. de L'Olive,
les officiers et habitants en ayant connaissance s'assem-
blèrent et députèrent M. de la Ramée pour lui faire
défense de le passer à peine de confiscation de son navire
quoi nonobstant il lui promit que secrètement lorsque
le navire aurait levé les ancres, il l'enverrait quérir sur
sa place ; mais la mort l'empêcha de rien exécuter ; en
récompense de sa bonne volonté, le P. Raymond l'enterra
honorablement au fort de M. de L'Olive. Son lieutenant
ne voulant exécuter les promesses du Capitaine et passer
le P. Raymond, ledit Père se sentit obligé de faire une
sommation afin d'exécuter son obéissance parce que la
première fois il avait consenti à sa détention tant parce
qu'il n'y aurait eu aucun prêtre en l'Ile que parce qu'on
attendait la flotte espagnole et ç'aurait été un cas
de conscience de quitter la Colonie dans un besoin si
urgent, ce que les Supérieurs sachant n'auraient voulu
souffrir ; mais à ce coup et la flotte était passée et l'oc-
casion de retenir des Capucins était présente qui ne
demandaient pas mieux. Le P. Raymond se sentit obligé
de les sommer ; ce qu'il fit en cette sorte :
Je F. Raymond Breton, religieux de l'Ordre de Saint
Dominique, missionnaire en l'Ile de la Guadeloupe, dé-
clare sommer et interpeller M. le Gouverneur et tous
les habitants de l'Ile qu'ils aient à me laisser sortir de
ladite Ile en vertu de l'obéissance que j'ai reçue de mon
R. P. Supérieur leur déclarant et protestant que je ne
désire faire aucune fonction et que je me pourvoirai à
l'encontre d'eux ainsi que je verrai être à faire par

TROISIÈME PARTIE
123
raison. Fait le 14 juillet 1639. Signé + Raymond Breton.
Pour à quoi répondre, ils s'assemblèrent derechef et
firent l'acte suivant
ayant voulu prendre de capucins dont on en avait be-
soin à Saint Christophe et y étaient envoyés
L'an 1639 nous, Gouverneur, Officiers et habitants
de l'Ile de la Guadeloupe, répondant du seing de tous
les autres habitants sur ce que nous voyant délaissés
et abandonnés de prêtres et religieux et n'ayant à pré-
sent qu'un religieux qui se nomme le R. P. Raymond
Breton qui voulait s'en retourner en vertu de son obéis-
sance ce que voyant et que nous fussions demeurés sans
prêtre et sans espérance d'en avoir en bref, nous tous
d'un commun consentement et accord avons conclu qu'il
le fallait retenir, attendu la grande nécessité que nous
en avons et de faire défense au Capitaine Grégoire de
l'embarquer, nous obligeant comme nous avons fait ci-
devant de le nourrir, l'entretenir, loger, faire bâtir des
Chapelles, lui fournir tout ce qui lui sera nécessaire et
à tout son ordre en cas que son R. P. Supérieur en
veuille envoyer d'autres, en témoin de quoi nous avons
signé le présent écrit le 14 juillet 1639. Volery, de Lolive,
La Grange, Philbert. Jean d'Iarne, Varroy, Nicolas Le
Roy, du Puis, Jean Gendre, P. Guerart, d'Orange, Lau-
rent de la Barre, Granville, La Plante.
Cet acte reçu des seigneurs avec le verbal de la
descente de M. Poincy...
se rassemblèrent enfin. Voici l'acte de leur délibération :
Du mercredi cinquième octobre 1639 en l'assemblée
tenue au logis de M. Foucquet Conseiller d'Etat.
Sur ce qui a été proposé par M. Berrier que le Père
Carré Supérieur du Noviciat des Pères Jacobins lui avait
offert d'envoyer des religieux à la Guadeloupe en leur
accordant ce qui avait été autrefois proposé et qu'on
jugerait raisonnable pour leur entretien dans les Iles.
A été accordé auxdits Pères de faire passer aux frais
de la Compagnie dans l'Ile de la Guadeloupe par la pre-
mière commodité 3 de leurs religieux prêtres, et 3 au-
tres religieux si bon leur semble, et leur donner trois
cents livres pour employer en rafraîchissement ou pour
leurs nécessités et habits, et deux cents pour employer
en l'achat d'un calice et boîte d'argent pour mettre le

124
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
Saint Sacrement, et un calice d' étain et deux chasubles
de camelot de deux différentes couleurs comme suivant
ce qui a été arrêté.
De leur faire passer les années suivantes aux dépens
de la Compagnie tel nombre de leurs religieux que bon
leur semblera pourvu qu'il n'en passe pas plus de quatre
par chacun an dont il y aura toujours du moins la moitié
qui seront prêtres, de payer en l'acquit desdits Pères
Jacobins le passage de trois serviteurs pour travailler
pour eux en l'année 1640 et de 3 autres en i'année 1641
s'ils les veulent faire passer, sans tirer à conséquence
pour les années suivantes.
Les hommes que lesdits Pères Jacobins auront domes-
tiquement à leur service actuel ne paieront aucuns droits
personnels à la Compagnie pourvu qu'ils n'excèdent le
nombre de douze et la Compagnie ne prendra aucun
droit sur les marchandises que feront lesdits hommes,
que s'ils en ont plus grand nombre que douze. Le sur-
plus desdits hommes paiera les droits personnels à la
Compagnie et les droits des marchandises qu'ils feront
ainsi que les autres habitants de la Guadeloupe.
La Compagnie ayant vu par les Lettres (de M. le gé-
néral de Poincy que les terres ci-devant accordées par
le sieur de L'Olive sous le bon plaisir de la Compagnie
aux Pères Jacobins dans l'Ile de la Guadeloupe ne peu-
vent apporter de préjudice à l'Ile ni aux habitants a
confirmé leur donation de la terre pour eux et leurs
successeurs religieux dudit ordre tant qu'il y en aura
dans la dite Ile.
La Compagnie accorde aux Pères Jacobins de la Gua-
deloupe la liberté de la pêche pour leur nourriture et
pour leurs serviteurs domestiques.
Si le Père Raymond Jacobin qui était dans l'Ile de
la Guadeloupe en était sorti et qu'il ait laissé les orne-
ments et meubles qu'il avait à quelque ecclésiastique ou
séculier, lesdits ornements et meubles seront rendus
auxdits religieux à leur première réquisition.
A été arrêté qu'il serait écrit aux Gouverneurs et
Juges des Iles qu'ils ne souffrent que les prêtres sécu-
liers qui sont dans les Iles auxquelles il y aura des reli-
gieux fassent aucune fonction ecclésiastique sans la
permission desdits religieux, si ce n'est de dire la messe

TROISIÈME PARTIE
125
après qu'ils auront fait voir aux religieux leurs Lettres
de prêtrise en original et en cas qu'ils ne voulussent
obéir, qu'ils les fassent sortir des Iles.
Extrait des registres des délibérations de la Compa-
gnie des Iles de l'Amérique.
Signé de Beauvais avec un pa raphe.
1640
En février le jour de la Chandeleur arriva en l'Ile
M. de Sabouilly major des Iles avec tout son monde ; il
se plaça sur la Case du Borgne qui appartenait à M. de
L'Olive pour être comme l'avant garde de l'Ile et pour
arrêter les saillies des Sauvages; tôt après M. de la
Vernade aborda aussi à la Basse terre avec tout son
monde qui se plaça en la case de M. Volery.
Ce dernier prenait ordre du premier, et tous deux
communiquaient les affaires de conséquence avec M. de
L'Olive plus par honneur que pour suivre ses avis. Le-
quel après de grandes instances retourna avec sa femme
en l'Ile, Gouverneur de nom et non d'effets, ne lui ayant
été permis plus tôt crainte de soulèvement.
Le R. P. Nicolas de Saint Dominique retourna jus-
qu'à Dieppe en qualité de vicaire de la Mission en des-
sein de repasser, mais il fut rappelé et le R. P. de La
Mare (1), docteur de Sorbonne du Couvent de Sens,
comblé par le P. Carré de prendre sa charge ce qu'il
fit après beaucoup d'instance.
Il prêcha aux mères carmélites de Dieppe avec les-
quelles il contracta alliance spirituelle qu'on a religieu-
sement confirmée jusqu'ici.
Le 7 mars 1640 arriva en l'Ile le Père nommé P. de
Lamare avec les R. Pères Jean du Jens et Jean-Baptiste
(1) P. Nicolas de la Mare, né à Sens le 14 octobre 1589, y prit
l'habit en 1601, prêtre en 1614, fut prieur des couvents d'Auxerre,
de Poitiers et de Langres, partit à la Guadeloupe le 17 jan-
vier 1640 et y mourut le 1er mars 1642. Célèbre prédicateur.

126
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
du Tertre (1), frère Jacques Le Gendre, fr. Nicolas
Saintal et fr. Estienne Foucquet accompagnés de quatre
séculiers, force livres et ornements dans le navire de
Bongnaz autrement le Flammaz de Dieppe ce qui réjouit
fort le P. Raymond et tout le peuple de la Guadeloupe.
Ceux-ci furent bientôt après suivis des Rds Pères
Vincent Michel et Dominique Piccart, prêtes, du fr.
Charles Pouzet dit de Saint Raymond et d'un certain
frère Michel qui ne persévéra pas ; il mourut à son retour
à la Charité. Le P. Vincent Michel mourut six semaines
après le 1er dimanche d'octobre, jour auquel il arriva
en l'Ile.
On souffrait encore fort alors en l'Ile pour le défaut
de vivres et plusieurs des hommes venus de Saint Chris-
tophe moururent en ce temps.
M. de L'Olive retourna à Saint Christophe céda au-
tant de force que de gré son gouvernement et M. de
Poincy pour tout remboursement lui bailla huit vingt
mille de tabac. Sa veuve a plaidé depuis son retour en
France contre les seigneurs et a gagné son procès et est
remboursée ; elle l'a aussi emporté contre les marchands
de Dieppe qui s'étaient associés avec M. de L'Olive au
premier embarquement.
Le R. P. de la Marre vestit M. V... 1642... Le
carême prenant.. .
M. de Saboullis demanda un prêtre en son quartier
pour lui dire la messe et on lui donna le P. Jean du Jens
qui fut accompagné par le fr. Jacques Le Gendre dit
des Martyrs.
Le R. P. de la Mare fut à Saint Christophe visiter
M. de Poincy. A son retour on fit un jardin à trois
mille pas du bord de la mer vis à vis du premier mari-
got qui a été la prise de possession du haut comme nous
avions fait du bas il y avait ja longtemps.
M. Volery nous donna deux cents pas de terre en
bois de bout qu'il s'était réservé pour faire une habita-
tion. Le Père Jean du Jens et son compagnon la com-
(1) Jean-Baptiste du Tertre, né à Calais en 1610, entre chez
les Dominicains, à Paris, en
1635, part pour la Guadeloupe
en 1640, où il ne séjourna que quelques années. Mort à Paris
en 1687. Auteur de l'Histoire Générale des Antilles.

TROISIÈME PARTIE
127
mencèrent ; quand le long de la semaine ils y venaient
travailler, ils se retiraient chez le Lieutenant Granville
et M. du Puis son matelot était à deux cents pas de la
grande rivière. M. de Saboullis y retint une place pour
M. le Général de Poincy et nous fit retirer pour l'élargir.
Là on dressa la Chapelle et le couvent de Saint Hyacin-
the ; on en empiéta 50 pas. M. Aubert les donna au Capi-
taine Lassise, depuis ils tombèrent entre les mains de
Poirier dit Laborde et Laurens Lerevers qui y est en-
core. Le Père Armand et le P. Jean-Baptiste la changè-
rent avec le nommé la Verdure contre celle qu'il avait
eue par derrière du sieur du Rivaige et Boulanger à
cause de la commodité de l'eau où est à présent le cou-
vent et la paroisse de Saint Hyacinthe, quelque change-
ment qu'on ait fait des Chapelles, Saint Hyacinthe a
toujours été patron et l'est encore.
Celle de la Case du Borgne a commencé par M. de
Saint Gervais et est continuée par le P. Jean de Jens
et parce que celles des vieux habitants avait été dédiée
en honneur de Saint Joseph contre le gré de quelques
particuliers et que cela aurait fait bruit parce que les
serviteurs en voulant chômer la fête, les maîtres y
avaient contredit. Le P. Raymond pour éviter tels acci-
dents et l'ambition des particuliers qui voulaient que les
Chapelles fussent en l'honneur du saint à qui ils avaient
dévotion, il la bénit sous le nom de tous les Saints. M.
Houel du depuis à son arrivée la fit rebâtir, changea le
nom du quartier de la case du Borgne et voulut que
désormais il fût appelé de Sainte Marie. Le P. Armand
la bénit et baptisa aussi à la requête de M. Houel du
même nom et quoi qu'elle ait changé de lieu, en quelque
part qu'elle ait été refaite elle a retenu le nom de Sainte
Marie. »


RELATIONS LATINES


RELATIO A (1)
Brevis Relatio Missionis Fratrum
Praedicatorum
in Insulam Guadalupam
Insulae natura
Foecunditas
Insularum, quas Canibalas vocant in Archipelago
Mexicano, maxima est Guadalupa ab oequatore ad septen-
trionem XVI circiter gradibus distans. Trecentis milllia-
ribus italicis in circuitu patet XXIIII lata, interfuso
maris vado angustissimo in duas partes dividitur. Quae
ad Orientem est major, planiorque ; sed insalubrior et
deserta. Quae ad Occidentem montibus, iisque altissimis
et praeruptis aspera ; sed ejusdem littora amaenissima,
saluberrima, faecundissima; quae quadraginta et amplius,
qua fluminibus, qua rivis aquae dulcis levissimae abluitur.
Hœc pars a Gallis hodie habitatur, expulsis Karaïbis
ob eorum latrocinia et barbariem. Omnium fere rerum
feracissima est insula, nullis venenatis serpentibus, aut
feris infesta. Humus pinguis tenuisque glebae est, quovis
tempore subacta satave uberi statim fructu respondet
colono ; bis terque in anno uvas, legumina cerealia, fruc-
tus maturat ; tabaco, saccharo, zinzibere, cassiâ, indo
bombace, Guajaco dives. Arbores perpetua omnes virent
fronde fructusque suavissimos et copiosissimos bis ferunt.
(1) C'est en somme jusqu'en 1647 le résumé de la Relation pré-
cé dente.

1 3 2
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
Manioci radix pro pane est, panisque aquâ maceratus
pro potu, ilium cassave, hunc Houïcou vocant. Battatae
radices coctae pro cibo quotidiano. Castaneis enim longe
suaviores bonique succi.
AEstas ibi perpetua, nec aestus ingens ; a solis ortu ad
occasum ventis insulam perflantibus. Aer saluberrimus,
maxime hodie, nudatâ arboribus terra, cultâque, ut dili-
genter fit. Illic Karaïbae ad 150 et amplius annos vitam
protrahebant.
De Indorum origine
Eorum lingua
Originarios insulae incolas ut et caeteros Insulanos
Karaïbas vocant, qui vero terram continentem habitant,
Calibitas. Diversa utrisque lingua, licet ill i ab his des-
cendisse in Insulas dicant ; Karaïbumque lingua iterum
duplex, alia vulgaris, alia politior, qua in rebus seriis
utuntur, juvenibus ignota. Vulgaris vero alia virorum
alia mulierum ; ridiculumque inter eos cum mulieribus
mascula lingua loqui et vice versa.
E Guadalupa bello mutuo lacessiti in insulam Domi-
nicam aliasque insulas se recepere Karaïbae ; unde in
Europaeos et Indos sibi inimice (1) ceu ex insidiis quoti-
die excurrunt Pacem cum Gallis iniere, usque in com-
merciis libentius utuntur. Unde spes est ad fidem facile
traducendos maxime cum Missionarii et inter eos Fr.
Raymundus le Breton a 20 annis constantissimus et ze-
lantissimus Missionarius eorum linguam optime calleant,
hicque brevem catechismum vernacula eorum lingua
composuerit et dictionarium.
De natura et moribus eorum
Porro Karaïbae corpulenti et robusti sunt elegantis
formae fusci coloris e rubro pigmento quod rocou vocant
saepe rutili toto corpore nudi nullo pudori relicto velo
aut loco, qui etiam quicquid belluis in usu est nulla
verecundia palam agant. Longa viris mulieribusque
caesaries illis liberalitatis et libertatis nota, quam in
(1) Les deux dernières lettres sont effacées.

RELATIO A
133
humeros rejiciunt, vel vittis albis rubrisque modo ex
occipitio varie suspendunt ; viris depile mentum quod
studiose glabrant, caetera nec Europaeis hirsutiores.
Mores non feri, nisi in hostes et a potu. Melancholici
fere omnes, tristes, timidi, taciturni, ingeniosi, agiles
et ad meliora nati si se doceri patiantur. Satis autem
dociles et libenter audiunt ; inter se liberales, cum aliis
sordidi, rerumque suarum tenaces, pigri et laboris impa-
tientes ; sui, libertatisque amantissimi, inter venationis,
piscationis, bellique studia vitam degentes. Gregatim sub
avo et proavo per familias habitant ita ut singula oppi-
da singulae componant familiae ; filiorum et nepotum
longa serie quae interdiu sub magno tecto in formam atrii
nundinarii (60 et 80 aliquando passus longo simul stent
et vescantur maxime viri ; quem locum Karbet vocant.
Singulae autem minores familiae, singuli scilicet conjuges
cum suis filiis parva in circuitu grandioris illius posita
tecta habent in quibus dormiunt in lectis e stragulis
gossypinis pensilibus ; tenuis illis supellex ; victus fru-
galissimus e radicibus fructibus batatis, cancris, testudi-
num ovis albis, vix carnes comedentes nisi in solemnio-
ribus conviviis, cum vina, ut loquuntur, faciunt ; ab hu-
manis autem hodie abstinent nisi hostium captorum. De
die vivunt nulla provisa annonna praeter paucas batatas
et manioci radices quas parce satis bis per annum
plantant.
Apud eos nullum auro, argento, praetiosisque lapidi-
bus praetium ferri nullas (?) usus Chystallo delectantur
et ignoti cujusdam metalli laminis et figuris ut plurimum
lunatis quas ex auribus, naso, labro inferiori, colloque
suspendunt pro omni ornatu. Commercia commutatione
agunt suae venationis aut tenuium operum quae turn viri
cum mulieres faciunt ut calathorum, vasorum, lectorum
et caetera id genus.
Vitam ut agunt
Matrimonia eorum
Diem sic agunt. Ante solis ortum sub auroram sur-
gunt turn viri cum mulieres, seque statim in fluminibus
toto corpore lavant ; inde domum reversis, mulieres cibos
parant, quos simul summo mane semel tantum in die

134
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
sumunt, sine ordine et régula ; subinde quicquid per
diem occurrit comedentes. Inde viri ad piscationem ve-
nationemque eunt aut caedendas arbores ; mulieres plan-
tandis manioco, aut batatis incumbunt, deportandisque
lignis vel domi laborant. Mulieribus enim ut mancipus
utuntur easque ad ferendas sarcinas parandosque cibos
quocumque ierint ducunt cum iter faciunt. Plures ha-
bent uxores quas quandoque dimittunt tuncque aliis
dimissae nubere possunt. Mulieribus virum relinquere
capitale aut in adulterio deprehendi. A primo et secundo
gradu consanguinitatis abstinent ut plurimum ; etsi ali-
quando mater cum filio et filia cum patre nubat.
De eorum liberis
Mulieres statim a partu ad domestica opera ut ante,
surgunt, et je junant, marito decumbente et per unum
aut alterum mensem je junante et a quibusvis cibis
praeterque pane et vino patrio abstinente, ut robustior
fiat puer, ut aiunt ; cui post 15 dies vocatis amicis no-
men imponunt et, si delicatior, post annum radunt
totum caput ; auresque, labrum inferius, septum medium
narium perforant ad suspendendos lapillos aut laminu-
las aereas et 15° circiter anno cum primum pubescit, seu
mas seu femina sit, per mensem je junare cogunt aliis
additis ceremoniis. Mares cum patre, faeminae cum matre
comedunt. Patri nulla de liberis cura.
Nullis utuntur legibus, nulla politicae aut domina-
tionis inter eos vestigia. Ad bellum quod ex insidiis
agunt et subsultim ituri duces creant cassae statim exacto
bello authoritatis.
Religio
Religio nulla, nullae preces, nullae arae, nulla templa
inter ipsos ; etsi quamdam divinitatis umbram agnos-
cunt, deosque mares et feminas, bonos et malos, quos
Maboias vocant, hosque redimendae vexationis causa,
ritibus quibusdam superstitiosis colunt, oblatis vini et
panis primitiis, eosque consulunt infirmi aut ituri ad
bellum de eventu, per Magos et Sagas, quos Boiakos vel
Boias vocant. Illis autem à Boiis evocatis, elevatis ma-
nibus et exufflato in aera tabaco, is enim evocandi ritus,

RELATIO A
aliquando forma prœstantis Indi apparent, et quando-
que sola pedum et crepitantium articulorum sonitu voce-
que se produnt et ad interrogata respondent. Saepe
autem ab illis malis diis vapulant et aliquando occidun-
tur. Per solis et lunae deliquia continuo saltant plangunt-
que nec ante desinunt quod lux redeat, alias perdendas
fruges fructusque rati a Maboia ea astra tunc ut aiunt
devorante. Annum autem non solis aut lunae sed pleia-
dum decursu metiuntur.
Circa mortuos eorum ritus
Saluberrime degunt, excepta lue venerea quae inter
eos grassatur. vix alios morbos experiuntur. Parentes
et cognati infirmos nunquam visitant maxime conju-
gati. Mortuos sedentes, capite in genua reclinato, pro-
funda satis fossa sepeliunt lotos, capillis unctis oleo et
religatis, lectoque involutes novo fossaeque tabulis impo-
sitis, terram singuli superinjiciunt multo cum planctu,
ignique imposito ejus supellectilem cremant et si habue-
rit mancipia ni aufugerint ut soient super fossa mactant.
Filii autem et uxores defuncti comam abscindunt in
signum luctus et uno aut altero mense jejunant, sibi
in hostes prodesse putantes jejunia non defuncto. Ani-
mae autem immortalitatem credunt, tresque in singulis,
unam in capite, alteram in brachio, tertiam in corde.
Quae in corde felicem in coelos ire ; quae in brachio et
capite in Maboias deformari dicunt ; hoc est malos daemo-
nes a quibus postea multa pati se asserunt. Sed haec de
Karaïbis satis, etsi plura alia dici possent, sed ad mis-
sionem eorum causa institutam transeundum.
Missionis initia et occasio
Missionarii primi quatuor
Anno 1635, Rege Christianissimo in eas insulas Ame-
ricae expeditionem instruente et Colonias distinante, D.
Cardinalis Richeleus obtinuit a P. Joanne Baptista Carre
noviciatus Generalis parisiensis Ordinis Praedicatorum
superiore fratres qui ibi in grandi vivebant observantia
ut fidelium directioni et indorum conversioni iis in par-
tibus attenderent. Missique p. f. Petrus Pelicanus,

1 3 6
RELATION DE L'lLE DE LA GUADELOUPE
doctor sorbonicus et Missionariorum superior, f. P. Ni-
colaus Brucher vicarius, f. P. Raymondus Breton et
P. f. Petrus Griffon 4 sacerdotes qui 29 junii die S. S.
Petri et Pauli ejusdem anni féliciter Guadalupam appu-
lere, erecto dum praeter vehuntur in insula Martinica.
videntibus Karaïbis nihilque commotis, crucis vexillo.
Missionis Romoe approbatio
Interim, Romae approbata confirmataque missio sub
datis 12 julii 1635 additis multis facultatibus ad decern
annos ; quae prima fuit eas in partes missio.
Missionariorum primi fructus
Ut appulere, statim cruces tota insula erectae, divi-
sique in duas habitationes, duo ibidem sacella 36 mil-
liaribus a se distantia in honorem B. V. Mariae de Ro-
sario in loco quae bassaterra vocatur juxta arcem Regiam
Sancti Petri ad septentrionale littus, et S. Hyacinthi ad
Meridionale littus quod caput terrae dicitur juxta Arcem
Gubernatoris e tabulis et cannis excitavere. Turn illico
qua Gallorum solatio, qua Indorum conversioni incum-
bere et per sex menses quibus pax fuit cum Indis multi
catechisati et nonnulli baptisati unica postea muliere in
fide persévérante. Sed moto in Karaïbas bello, quicquid
repugnarent missionarii ejectisque insula ; prohibiti ad
eos transire Fratres haereticorum saluti eo fervore se
impendere ut brevi temporis spatio supra ducentos ad
fidem revocaverint, insulamque fere ab haereticis expur-
gaverint non minori interim fructu inter catholicos
laboran tes.
Morbi et miseriœ missionariorum et reditus in Galliam
Verum morbis tota insula dire grassantibus, ejestate
et ejectorum Indorum taedio oppressis, tribus missiona-
riis 1° f. Petrus Griffon deinde f. Petrus Pellican salutis
causa in Gallias remeare coacti, ipseque etiam f. Nico-
laus Brucher tot inter miserias per duos annos omnes
ministerii vices turn inter infirmos cum inter sanos mira
sollicitudine majori animo (que) viribus implens.

RELATIO A
137
De causis retardatœ missionis
Donatio fundi pro fratribus missionaries
Turn f. Raymundus Breton solus in Insula relictus
ubi per duos annos et medium utre (1) omnia omnibus
factus est, nullis in subsidium se offerentibus, infamata
tot miseriis morbisque insula, territisque omnibus misero
trium Fratrum reducum statu. Ad haec ejectis insula
Indis sublata cum iis agendi spe plane ad missionent
conciderat omnium animus. Interim a Dominis societatis
Americae amplo fundo et faecundo Religioni dato ad
Missionariorum ordinis sustentationen
prope arcem
Sancti Ludovici in quern locum aedificato alio sacello
aedem S. Mariae a Rosario transferre placuit, satis longe
ab alia quae Sto Josepho jam extructa erat.
De adventu Capucinorum
Sub annum 1637 illuc appulere duo ff. Cappucini a
D. L'Olive advocati : qui insulae gubernator erat, offen-
sus fratribus nostris, quod cum pro expulsis Indis libe-
rius increpassent. Sed morte sublatis Cappucinis alii
duo successere egestate loci et taedio recedere pariter
compulsi. Tumque Fr. Raymundi Breton fidem et cons-
tantiam in Missione mirati incolae publicam annonam
publico instrumento illi decrevere eatenus e labore ma-
nuum suarum vixerant missionarii.
Missionarii sex alii
Anno 1640, 4" rnartii, obtentis nonnullis conditioni-
bus a Dominis Societatis Americae ad solatium et auxi-
lium Missionariorum necessariis a P. Carre Missionis
Commissario Parisiis, missi e novitiatu praefato fratres
Nicolaus La Mare, doctor Sorbonicus et superior mis-
sionis, Joannes a Sancto Paulo et Joannes Baptista du
Tertre, sacerdotes, tresque cum iis conversi fratres Ni-
colaus Saintal, Jacobus de Martyribus et Stephanus ab
Assumptione.
(1), ? Le P. Raymond veut parler de la moitié de deux autres
années.

138
RELATION DE L 'ILE DE LA GUADELOUPE
De P. de la Mare ejusque morte
Tentata ad Indos missio
F. Nicolaus la Mare, ut erat potens opere et sermone.
per duos annos, quibus ibi vixit, eximios fructus pro
haereticorum conversione fecit ; quorum plures ab haeresi
absolvit, multos nigritas baptisavit, puerosque indos
inter gallos natos complures. Tandem 1° martii, maximo
omnium dolore, anno 1642 mortuus est observantiae zela-
tor integerrimus. Prius quam moreretur sub fine anni
1641 facta cum Indis pace ; in eorum insulam transire
voluit ; sed a gubernatore impeditus insidiarum timore,
tribusque aliis missionariis eadem authoritate e navibus
descendere jussis, licentiam tandem Patri Raymundo
Breton et fratri converso ad Karaïbas eundi impetravit
fecitque. Sed quod ab bellum egrederentur insula et
Patrem Raymundum egredi et redire coegerunt parvo
fructu.
De Pâtre Jo. Dujano
Interim f. Joannes Dujanus paraechiam S. Mariae
curabat, in charitatis ministeriis frequens tribusque sa-
cellis inserviens, ubi plures pueros Indos, Nigritas adul-
tos baptisavit, hœreticosque multos convertit.
De p. Ja. B. du Tertre
F. Jo. B. du Tertre curabat paraechiam Sancti Joseph
ibique mulierem Indam baptisavit, et domino, qui ea
abutebat, matrimonio junxit quae in fide perstat.
Missionarii alii duo
Mors unius
Anno 1641 mense octobri, missi ex eodem novitiatu
alii, scilicet f. Vincentius Michel, corpore et mente an-
gelus, qui 16 novembris, uno post mense quo appulit,
mortuus est ; f. Dominicus Picart non minoris zeli et
observantiae, ambo sacerdotis; et f. Carolus a Sancto Ray-
mundo in Indias redux ; fr. Dominicus inserviebat ca-
pellae Sancti Hyacinthi ad littus meridionale, ibique 60
circiter nigritas baptisavit. Tandem post 5 ministerii
annos paralyticus decessit.

RELATIO A
139
Reditus unius in Galliam
Anno 1642, cum P. Breton ab Indis rediisset invenit
P. de la Mare mortuum, Patremque Joannem Baptistam
du Tertre electum missionis superiorem. Qui statim in
favorem prœfati patris Breton renuntiavit officio rediit-
que in Galliam missionis negotia procuraturus.
Mors fr. Brucher
Eo tempore parisiis, mortuus est P. Nicolaus Brucher,
dum ite rum indos cogitaret longa infirmitate consump-
tus, quam in Insula Sancti Christophori inter infirmo-
rum ministeria contraxerat, Apostolici plane pectoris,
multi ubique fructus et exempli.
Adventus duorum Missionariorum
Acceptatio domorum in insula a Capitulo Generali
Anno 1643, 28° maii appulere insulam fr. Armandus
a Pace seu Jacquinot cum p. Joanne Baptista du Tertre
secundo Missionarium agente ; secumque attulit postea
decretum Reverendissimi patris Generalis Ordinis fr.
Thomae Turci, quo concessa ordini loca in ea insula
acceptabantur et confirmabantur a capitulo generalissi-
mo Romœ habito, sub datis 7 junii 1644. Fr. Mathias
Dupuis ex eodem novitiatu parisiensi sequenti anno
missus etiam sacerdos in aliorum auxilium.
Confirmatio missionis a Sancta Sede
Circa id tempus venit etiam confirmatio Missionis
a Sancta Sede et Sacra Congregatione de propaganda
fide cum amplioribus facultatibus quam ante ad 15 an-
nos sub datis feria 5a, 17° martii 1644, directa ad prae-
fatum Patrem Armandum a Pace ceu Missionis supe-
riorem aliosque ejus socios.
Mors unius
Anno 1644, 25 julii post quatuor annorum labores.
multa cum patientia et observantia in missione perpessos
mortuus est in insula fr. Stephanus ab Assumptione CON-
versus multae humilitatis.

140
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
Reditus in Gallias unius
Anno 1645, in festo Exaltationis S. Crucis missus
est in Gallias f. Carolus a Sto Raymundo conversus ad
obtinenda aliqua annonae auxilia. Porro P. Raymundus,
anno 1646, 16 januarii, iterum transivit in Insulam Do-
minicain ad Karaïbas, petentibus ipsis fidem nostram
edoceri, frustraque id prohibente gubernatore ex Patris
Pacificis Cappucini consilio dolentis Cappucinos, quos e
Francia ad earn missionem expectabat, a fratribus nos-
tris praeveniri : quasi non omnibus sufficeret messis ;
et longe alieno a nostro spiritu, qui quoslibet coadjuto-
res, nedum Capucinos, quos jam hospitio libenter nostri
exceperant, et ad omnia missionis etiam inter fideles
munia ultro admiserant, ad id opus suscipiebamus et
complectebamur, ut quotidie videre erat.
De adventu Cappucinorum
De profectione and Indos
Interim venere ad Insulam très ff. Cappucini ; e qui-
bus cum unus in Dominicam ire vellet, Pater Raymundus
a Gubernatore revocatus iterum cum eo transivit, dela-
taque secum sacra supellectile, missam inter mapalia
Karaïbum celebrarunt saepius, illis mirantibus. Sed 8°
novembris P. Alexius Capucinus rediit in Guadalupam :
fr. autem Raymundus ad 12 martii cum Indis perstitit
in magna patientia et Indorum aedificatione, eos ad
fidem quotidianis catechesibus instruens, vernacula eo-
rum lingua, quam bene loquitur, eumque libenter au-
diunt ; matresque filios et puellas ut eos edoceat, ultro
illi adducunt. Subinde saepius ad eos profectus est et
per duos aut très annos cum eis mansit, interimque plu-
res pueros baptisavit.
Baptisati nigritœ
In vigilia Pentecostes p. Armandus a Pace 22 nigritas
utriusque sexus baptisavit, et feria 2a post Pentecosten
duas puellas Indas e continente aductas.
Seditio
Mors patri Armandi
Tunc temporis commota in Gubernatore seditio. Sed

RELATIO A
141
Fratrum Missionariorum ope tandem non sine labore et
invidia sedata est.
Anno 1647, 30 decembris, rediit e Gallia f. Carolus a
Sto Raymundo ; rebus ad quas iverat infectis ; sed allatis
secum a Generali Ord. Magr. litteris quae Missionariis
plurimi fuere solatii inter eas, quas averso ab eis Domini
Gubernatoris animo patiebantur augustias. Quibus, mis-
sionisque laboribus et loci miseriis, zeloque praecipue do-
mus Dei tabescens praefatus P. Armandus Missionis
praefectus 4a augusti anno 1648 vita functus est, vix
triginta tres annos natus ; sed virtute et meritis gravis.
Missionarii alii 4
Mors duorum missionariorum in naufragio
Indus baptisatur
Tres alii missionarii
Anno 1649 Magr. Ord. dedit ad Galliae fratres epis-
tolam encyclicam qua eos ad istam Missionem hortaba-
tur ; misitque p. Petrum Coliard in Theologia magis-
trum et provinciae Occitaniae ex provincialem in commis-
sarium et visitatorem praefatorum missionariorum in
partibus, additis tribus sociis fr. Philippo de Beaumont,
Hyacintho Guibert sacerdotibus et fr. Carolo converso,
quibus et quartus f. Vincentius itidem conversus additus
est, omnes e congregatione Sti Ludovici. Facta visita-
tione, institutum in vicarium missionis patrem Raymun-
dum, postea misit ad Indos Karaïbas praefatus commis-
sarius atque in ejus locum praefecit patrem Mathiam
du puis ; qui una cum f. Joanne Dujano, Dni Guberna-
toris malum in se animum non sustinentes, in Galliam
brevi post dicessum praefati p. Colliard, obtenta ab eo
licentia, reversi sunt. Pater autem Colliard commissarius
frustra captata gubernatoris gratia eoque Missionariis
reconciliato, cum enavigaret in Franciam una cum f.
Carolo Raymundo converso, optimae indolis juvene, mise-
rabili naufragio in Anglia ad portum de Surlingue, nave
in saxa delapsa, sepultus est ; quinque solum periculo
ereptis ; inter quos erat juvenis Indus, catechumenus,
quern parisiis, solemni ritu, patrinis Duce aurelianensi
et Duchessa d'Esguillon, patres nostri salutaribus aquis
postea
abluere,
Ludovici
nomine
donatum.
Sed

142
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
fera (?) eum scabie, ob hiemis frigora dudum faede de-
pascente, ad Indos, cum ff. Jo. Bap. Feuillet et Petro
Fonteine missionariis, e novitiatu a commissario p. Jo.
Bapt. Carre, una cum p. Ludovico Plançon sacerdote e
congregatione Sti Ludovici missis, remeavit.
Reditus unius et causa
Reditus duorum et alterius et causa
Appulsis anno 1651 praefatis missionariis revocatus
in Galliam ab Ord. Magistro fr. Hyacinthus Guibert ad
praeces Gubernatoris. Qui ea indulgentia ne quidem mi-
tior factus et moderatior in fratres, ecclesiasticamque im-
munitatem, libertatem et authoritatem sua (?) inde gra-
vius quotidie opprimens non sine publico scandalo, taedio
affectos fratres urget quotidie, ut recedant, adeoque
acriter ut anno 1652, fratres Joannes Baptista Fonteine
et Ludovicus Plançon redierint in Galliam et novissime
fr. Raymundus Breton cedere coactus sit Regis Chris-
titanissimi opem imploraturi, hodieque tota insula non
supersint nisi quatuor ex Ordine nostro missionariii, duo
sacerdotes et duo conversi, advocatis a Gubernatore Car-
melitanis, Augustinianis, Jesuitis, munia ibi parochialia
functionesque ecclesiasticas quascumque nulla nostris
exhibita missione, aut facultate, nulla petita licentia,
authoritate solius D. Gubernatoris obeunt ; ex ejus pla-
cito cuncta administrantes, si pacem habere volunt,
aut in insula morari. Unde alii aliis sacerdotibus quotidie
succedunt, sponte recedentibus, aut recedere jussis prio-
ribus, prout placuere.
Mortuus P. Carré
Institu tio Procura toris
Visitatoris
Spes felicis missionis successus
Ut juvandi essent missionarii
Anno 1653, die 25 januarii, mortuo P. Ja. B. Carre,
viro zelo, prudentia et observantiae laude, suo tempore
nulli secundo, qui primus missionem e novitiatu insti-
tuerat, et eatenus promoverat authoritate commis-
sarii ordinarii ei a Magistro Generali data. In ejus locum

RELATIO A
143
et officium commissarii praefatae missionis suffectus est
Pater Jacobus Goar, Vicarius Generalis Congregationis
Sti Ludovici ; hocque nuper mense septembri, e vivis
sublato, Magister Ordinis fratrem Raymundum le Bre-
ton, qui a 20 annis missionarium egit in illis partibus, de
quo jam saepius facta mentio hodie pro negotiis Parisiis
agentem, sed mox in Insulas rediturum, praefatae Mis-
sionis Procuratorem constituit cum authoritate mittendi
qui se Missioni devoverent, et dum enavigat Patrem f.
Josephum Roussel virum gravem et multae inter Fratres
congregationis Sti Ludovici, ad quam pertinet, autho-
ritatis, et ex priorem Novititatus Generalis Parisiensis
in Missionarium et Visitatorem cum facultate alios
secum Missionarios benevolos assumendi, et in Guadalu-
pam deducendi deputavit ; et fratrem Jo. Bapt. du Ter-
tre tertio jam Missionarium, quarto in insulam Marti-
nicam quo fratres nostri desiderantur, destinavit cum
sociis benevolis, sub praefati tamen fratris Raymundi
Breton, qui missionis in partibus vicarius est. Authori-
tate et directione omnes, praeter alios quos secum frater
Joannes Dujanus jam per 12 annos in Insula Missiona-
rius, hodieque ad pedes Smi D. N. et sacrae Congrega-
tionis pro incremento praefatae Missionis ejusque pace
et solatio supplex propediem authoritate Rmi Magistri
ordinis est deducturus. Ostium enim Evangelio, fratri-
busque Praedicatoribus apertum est magnum et evidens
iis in partibus, nec per Dei gratiam adversarii multi.
Cum e contra turn ab Indis Insularum Dominicae, Anti-
gae, Granatae, Sanctae Luciae, Martinicae humane habean-
tur et in pluribus locis desiderentur. Unde Rmus Pater
Generalis Ordinis grandi Missionariorum in eas partes
accuratoque delectui adeo intentus qui si Sae Sedis au-
thoritate et benedictione confirmentur aliquaque ad
enavigandum naulum et viaticum mereantur subsidia.
et animo et numero crescent. Illic enim rerum fere
omnium penuria, maxime ubi soli habitant Indi, eoque
gratis aut sine munusculis, quibus facile conciliantur
barbarorum animi, ire non licet.
Apparatns ad missionem hoc anno
Spes autem est supra sexdecim fratres illuc eo anno

144
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
ituros, turn ad Guadalupam, cum ad alias Indorum, et
ubi soli sunt Indi, insulas, nota jam eorum lingua, non
sine fructu redituros. Quo autem fratres ad apostolicum
hoc opus amplius accendentur, aliam circularem Episto-
lam ad provincias Franciae dedit his diebus Magister
Ordinis.
Status hodiernus missionis
De Missionariorum ministerio in insula
Sacella acto
Missionariorum vita
Affectus incolarum in missionarios
Nunc in Guadalupa duo supersunt ex Ordine Praedi-
catorum sacerdotes cum duobus conversis, duo in singulis
domibus. Sunt enim Ordini duce tota insula domus seu
vicariatus in adversis positae littoribus et 36 milliaribus
a se invicem distantes, in quibus morantur fratres et
unde sex capellis tota insula per littora sparsis, et novem
a se mutuo circiter milliaribus italicis dissitis inserviunt;
sibi et doctrines, fideliumque solatio, multa in observan-
tia, paupertate, charitate et sollicitudine attendentes, e
laboribus manuum suarum viventes, nec quicquam hac-
tenus incolis graves ; qui gratis omnia suae villicationis
ministeria impleant ; hocque fere Ordine et modo vitam
ut plurimum instituant. Diebus pro festis in Conventu
morantur, qua duplex, ut supra, scilicet a Rosario, qui
major, et a Sto Hyacintho ; ibique tempus divino officio
simul in choro persolvendo, aliisque religionis functio-
nibus, instructioni et solatio advenientium fidelium, visi-
tationi infirmorum, administrationi sacramentorum, et,
si quid superest, studiis laborique manuum, unde vivant,
dividunt. Diebus dominicis et festis diebus, toti in parae-
chiis, parrochialibusque ministeriis immorantur et e sin-
gulis domibus tribus aliis capellis eadem munia ; missis
ad singulas singulis fratribus ; vel uno aliquando, si solus
est, omnibus aut alternis diebus alternatim inserviente,
obeunt. E vicariatu enim Rosarii sacellis Sti Caroli, quod
in gubernatoris habitatione juxta arcem regiam Sti Lu-
dovici est, Sti Josephi, et Sti Ludovici ; E vicariatu Sti
Hyacynthi, sacellis sanctae Mariae juxta aliam arcem,

RELATIO A
145
quae ad meridiem est Stae Mariae Magdalenae et Sti
Joanni Baptistae inserviunt, populo ad viciniora sacella
confluente ; in quibus frequentibus concionibus, cateche-
sibus, exhortationibus eruditur, missaque et officio divino
interest multa cum devotione et assiduitate. Sacella au-
tem, quae totidem sunt paroechiae, parva et e tabulis can-
nisque compacta, ab omni fere sacra supellectile desti-
tuta adeo ut missionarii e conventu vasa vestesque sacras
celebrandae missae deportare secum debeant quae e Fran-
cia novitiatuque detulere, e piorum eleemosynis compa-
rata. A parochianis enim ut in magna adhuc sunt pau-
pertate hactenus nihil ad ecclesiarum necessitates habi-
tum aut petitum. Unde et missionarii praefati in grandi
egestate vixere, nec minori abstinentiae a carnibus, et
jejuniorum, aliarumque ordinis austeritatum observan-
tia, vix habentes ubi dormirent, unde vestirentur quibus
viverent; licet has inter miserias et angustias in eo, qui
eos confortabat spe gaudentes et ceu inter partus dolores
ob quotidiana animarum lucra exultantes qui iis in par-
tibus plus quam bis mille nigritas in fide instruxere et
baptisavere ; Indos adultos etsi paucos ob eorum incons-
tantiam, interdictumque cum eis ob bella commercium
parvos tamen complures salutaribus undis abluere ; hae-
reticos ad ecclesiam 500 et amplius revocavere, pecca-
tores ad meliorem vitam, agonisantes ad aeternam di-
rexere. In universa inde insula, omnibus in fratres Praedi-
catores prae caeteris ordinibus specialis affectus et pro-
pensio, eorumque in aliis insulis ingens desiderium ;
quippe qui sciant, quae ab ipsis tulerint sani et infirmi
solatia, et quanta pro eorum servitio maxime primis mis-
sionis annis quantaque constantia et virtute passi sint
Fratres praefati.
D. Gubernatoris cor, animus et unde
Nec domino Gubernatori minus quam ejus deces-
soribus hodie chari essent, nisi inter eos eadem
causa verteretur, quae olim inter Achab et Naboth, licet
Fratrum haereditas et fundus Domini gubernatoris pa-
latio vicinus non sit, sed amplus satis et pinguis ; unde
praefatus Dominus illius jam partem occupavit, reliqua-
que cedere nos optat, pacem non daturus donec cesseri-
10

146
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
mus. Inde vexatio, inde cautum ne qui terras nostras
locent. aut colant, nobisque fructus annuos persolvant.
Inde usurpata in nos, aliis in ecclesiae ministeriis, autho-
ritas. Inde advocati Capuccini, Augustiniani, Carmelitani.
Jesuitae ; traditaque illis nostroe paraechiae, et parocho-
rum jura, nulla nobis subordinatione; Ecclesiae Gallicanae
privilegiorum specie. Sed Deus erit judex. Spesque est,
ut praefata terra in qua vicariatus Rosarii locatus est
ordini nostro a Dominis insularum dudum donata et
confirmata, Regisque edicto ordini addicta, fore ut
in alio altero edicto a Rege iterum ordini firmetur et
vindicetur non parvo missionis bono ; cum ex eo fundo
bene culto non mediocris proventus conventui sit acces-
surus, unde ad varios missionis sumptus, nullo eorum.
ad quos fiet, onere, satis esse possit.
De statu et numero Gallorum in insula
Caete rum in insula Guadalupa hodie nulli, ut dictum
est, morantur Indi : etsi ad commercia frequentes ve-
niant. Gallorum autem catholicorum supra duodecim mil-
lia numerantur. Nigritarum (qui Africae populi sunt et
mancipiorum more vel potius bestiarum ad omnia ser-
vilia opera emuntur a suis regibus; et 1500 aut 2000
libris tabaci prout sani et robusti sunt et juvenes ab
Anglis aut Hollandis venduntur; gens pia, docilis, fide-
lis, et vere ad serviendum nata, laboriosa, parvo con-
tenta) utriusque sexus ad tria et amplius millia, qui
omnes fere a nostris in fide instructi et baptisati eo
facilius, quo a baptismo daemonibus amplius non vexen-
tur et vapulent ut saepius ante contingebat. Mulieres
ad 400 aut quingentas e Gallia advectae omnesque matri-
monio junctae paucis exceptis artis meretriciae quas in-
sula arcere nondum licuit, authoritate saeculari resis-
tente. Ad summum autem duo millia domorum aedificata
partim e lapide, partim e tabulis et cannis. Pauci super-
sunt haeretici. qui etiam quotidie ad fidem redeunt B.
V. Mariae Rosarii ope cujus devotio in insula fervet. Sed
de missione satis.

RELATIO B
Jesus Maria.
Eminentissimi Domini,
Jamdudum significatum est nobis a domino Albor-
notio, Sacrae Congregationis vestrae quondam praefecto
meritissimo, praescriptam regulam de reddenda ratione
missionis per singulos annos Eminentiis vestris. Fecit (ni
fallor) R. P. Armandus a Pace quern primum ad peti-
tionem nostram eidem praefecit faelicis memoriae Sum-
mus Pontifex Urbanus octavus. Sed et ego, ex quo in
demortui locum fui substitutus, id praestiti quamdiu
per tempus licuit, non separatim quidem, sed con-
junctim cum sociis. Verum si pervenerint nostrae ad
sacrum vestrum tribunal, nescimus. Unum scimus, nobis
non fuisse responsum tempore septennii integri, licet
magnis turbinibus et procellis agitati fuerimus, et adhuc
simus ; aut si fuit, interceptum fuisse. Ut ergo si quid
minus plene satisfactum est suppleatur, fideliter ut testis
occulatus referam qualiter caepit, summatimque pers-
tringam quomodo hucusque processif, ut remoram ejus
profectui injectam detegentes, facilius et faelicius eidem
in poste rum provideatis : si quorumdam res gestas re-
censui, parcite quaeso, et credite quia in simplicitate
cordis mei ob eandem rationem feci, non quasi criticus
censor sed ut fidelis denuntiator.
Anno 1635, Dominus de Lolive unus ex primis qui
insulam San-Christophorinam incoluerant in America sub
zona torrida sitam, et qui regebat earn in absentia Do-
mini de Nambuc primi ejus gubernatoris, cum Domino
du Plessy, remenso mari, potestatem expetiit a Christia-
nissimo Rege, et quibusdam regni proceribus authoritate

148
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
regia in societatem adactis, eisque aliquibus insulis do-
natis, erigendi novam coloniam in ea quam Guadalupam
vocant, insula, et obtinuit. Eminentissimus Cardinalis et
dux de Richelieu hujus societatis caput, utrumque ducis
seu gubernatoris honore donatos remisit, postquam ta-
men instrumente publico eos obstrinxit ut suis sumpti-
bus quator sacerdotes traducerent, qui sibi, suisque
sacramenta ministarent, et conversioni barbarorum se-
dulo invigilarent ; hos autem sacerdotes seligi curavit ex
Novitiatu generali parisiensi, ordinis ff. Praedicatorum.
Ejus quippe munificentiâ, et Reverendissimi Patris
Rodulphii pro tunc Generalis nostri opera a paucis fuerat
aedificatus, et quia ibi vigebat observantia regularis, in
nunc (strictioris vitae intuitu) ex conventu Sti Jacobi
absolute cursu theologico transierunt aliqui, e quorum
numero fuimus.
Cum Eminentissimus Cardinalis de Richelieu men-
tern rescivisset R. P. Carré hujus novitiatus Prior per-
petuus, multum anxiatus est super hoc nuntio, non quod
nollet mittere sed quia intra se supputans praevidebat
suam domum tanto operi non posse sufficere. Adhuc
enim vix duos aut tres novitios admiserat ad professio-
nem. Decrevit nihilominus utcumque satisfacere piis
conatibus tanti, nec non tarn insignis, benefactoris. Hinc
est quod monuit Reverendissimum P. Generalem Rodul-
phium (quia Novitiatus immediatte subjacebat ei), et
R. Pater Generalis commissionem hujus rei gratiâ, expe-
divit R. P. Carré. Qua accepta, de delectu sollicitus, modo
hos, modo istos destinabat. Verum hos omnes suo novi-
tiatui judicans necessarios, non nisi summa vi poterat
avelli ab eis. Tandem die Sti Mathiae venit ei in men-
tem tempore sui sacrificii quibusdam skedis, veluti sor-
tibus promiscue sumptis, sese determinare ; et sors ceci-
dit super RR. PP. Dominicum Gardez, Nicolaum Bruchet,
Vincentium Michel et me ; sed tarn salubri Spiritus Sti
consilio non acquievit R. P. Carré : duobus enim retentis,
alios duos supposuit, scilicet R. P. Petrum Pellican, doc-
torem facultatis parisiensis, R. P. Dominico Gardez, et
R. P. Petrum Griffon, R. P. Vincentio Michel. Reveren-
dum autem P. Pellicanum vicarium instituit, et cum suis
data benedictione dimisit.
Dieppae ergo naves conscendimus numero quasi qua-

RELATIO B
149
dringenti homines et solutis post pascha anchoris, vela
ventis dedimus, Deoque opitulante sani omnes (uno dum-
taxat excepto, qui in mare decidit et periit) appulimus
Guadalupam die Sanctorum Apostolorum Petri et Pauli.
Brevi tamen omnes fere ad unum fuere morbo correpti,
propter ciborum mutationem et climatis diversitatem.
Venit et alia navis mense septembri hominibus onusta,
quae falcultates nobis attulit, quas praefatus Cardinalis
nomine Regis Christianissimi a Summo Pontifice obti-
nuerat (a cujus gratia jam turn exciderat Reverendissi-
mus Generalis noster Rodulphius). Tunc caepimus autho-
ritate apostolicâ donati, non segnem operam dare prae-
dicationi, et hoc non sine fructu, nam multi haeresim
abdicarunt, et multi vitam in melius mutarunt. Interim
Reverendi Patres Petrus Pellicanus vicarius et Petrus
Griffon aliquantulum morbo recreati, sed non valentes
assuefieri torridis torridae zonae nostras caloribus et la-
boribus,
sexto ab appulsu mense redierunt in Gallias,
sepulto prius Domino du Plessy, viro optimo, altero ex
Gubernatoribus nostris.
Anno 1636, ceciderunt multi de populo non tarn aegri-
tudine quam fame necati, quippe qui nulla alia parte
corporis nisi ossibus et pelle constare viderentur, et mor-
tuos non nisi quatuor et quatuor sepeliebamus in tumu-
lo, quod advertens qui superstes erat d. de Lolive guber-
nator transfretavit in insulam quae Sancti Christophori
nomine et patrocinio gloriatur, et secum traduxit omnes
debiles et aegros, quos etiam comitates est R. P. Nicolaus
Bruchet socius meus. Sic ergo solus remansi vix adhuc
morbo levatus. et aqua intercute liber qua jam turgidus
fueram. Rediit D. de Lolive Gubernator ex insula Sti
Christophori et suaserunt ei sui, ut mutaret solum bar-
baros expulsurus : hic consilii inops acquievit eis, quod
ut rescivi, eos omnes et privatim et publice argui (hoc
enim proesentibus Gubernatoribus, mandaverant nobis
domini societatis). Sed experientâ didici, quia re vera
je iunus venter non audit verba libenter, nam non solum
me non audierunt, sed barbaris ejectis in me conspira-
runt. Tunc volui eos dimittere sed me detinuerunt.
M ansi ergo in inferior] parte terrae ; mansit et cum
majori parte populi D. de Lolive Gubernator, reliqui in

150
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
superiori (quam caput terrae vocant) et occupaverunt
domicilia barbarorum quoe erant sejuncta a nobis itinere
unius diei ; haec autem paulo post ipsimet barbari com-
busserunt, et populum infestarunt. Illuc tamen fraequen-
ter me conferebam non sine vitae periculo, aegris et sanis
sacramenta ministraturus. Consumptis in brevi cibis
quos apud barbaros inveneramus. validior fames appre-
hendit nos, in tantum ut mihi soli liceret vesci foliis ra-
dicum (quas patatte vocant) iis enim elixis, et pauxillis
aquae maritimes guttulis solum conditis, utebar, et non
ad satietatem. Accessit et sitis quam etiam sedare ex
pluvia non dabatur, aquam siquidem luteam, calore solu-
tam, foliorum corruptione fœtentem et bestiolis scaten-
tem hauriebamus ex scrobe et per linteum expressam.
compressis naribus et occlusis oculis lambebamus, non
quod non essent flumina, sed quia vagos quosque barbari
irati interficiebant ; hinc est quod non licebat ex propu-
gnaculo egredi nisi turmatim et cum armis usque dum
fuerit pax composita cum eis.
Patres qui redierant ex nostris penuriam nostram
nuntiaverunt R. P. Carré commissario missionis, qui
nedum non providit, sed casulas nostras ex serico et
argento contextas, imo pecunias erogatas et multam su-
pellectilem detinuit, fratres vero qui haec afferebant e
Dieppa revocavit. Ne ergo fame interirem petii nobis
assignari locum et sicut alii de plebe caepi succindere
ligna, colere terram, colligere radices, piza et alia hujus-
modi solatiola, quae largiendo, multo efficacius quam
antea praedicavi.
Anno 1637, locum praeassignatum quem colebam,
procuravi in fundum Missioni donari, donationemque
instrumento publico firmari curavi ; cui instrumento
vocatus ex insula Sanchristophorinâ R. P. Nicolaus Bru-
chet socius meus subscripsit, et cum originali Gallias
repetiit ; hoc autem instrumentum periit incuriâ R. P.
Carré Commissarii. Hinc summa tribulationis nostras
quae usque in hodiernum diem durat. Audivi eumdem
accepisse diploma aspostolicum pro Missione. et obtulisse
dominis societatis, qui judicantes illud esse magni mo-
menti noluerunt reddere, sed in tabulas publicas referri,

RELATIO B
asservarique curarunt, nec tamen copiam authenticam
seu aliud memoriale nobis reliquit.
Praefatus P. Bruchet (quem superiorem potius quam
socium debueram nominasse) in casu mortis aut disces-
sus R. P. Pelicani, primi vicarii, fuerat institutus vica-
rius, et in pari casu eidem me suffecerat R. P. Carré
commissarius, ministraverat per annum fere integrum
solus in insula San-Christophorinâ, qui hocce labore
fractus statim a reditu incidit in hydropizim et mortuus
est cum bono odore virtutum.
D. D. societatis decreverant ab initio non sinere alios
missionarios a nobis, in insulas americanas transvehi,
navigaverant tamen duo P. P. Capucini (etiam iis invi-
tis) in insulam San-Christophorinam exploraturi utram
quidquam illic possent pro gloriâ Dei ; qui etsi non habe-
rent missionem, titulo tamen necessitatis sacramenta
administrarunt, et locum eis obtulit d. de Nambuc pri-
mus insulae Gubernator. Hos invisit R. P. Pellicanus cum
socio, statim ac insulas applicuimus, gratulabundus, et
tantum abest ut eos impedierimus (ut putabant) quin
potius, altero sepulto, superstiti suasimus ut remearet
socios petiturus, quod explevit ; et nos charitative usque
ad reditum munia ejus explevimus, et postmodum seces-
simus. Ipsi autem non rependerunt vicem (ut videbitis
in sequentibus) nam furtim sollicitabant D. de Lolive
Gubernatorem
ut
Capucinos
loco
nostri
expeteret
a
Dominis Societatis.
Hoc
nonobstante D.
D. So-
cietatis
sex
sacerdotes
nostri
ordinis
petierunt
à
R. P. Carré, et et R. P. Carré ut ipsimet providerent
nobis, institit. Hinc est quod dd. societatis sexcentas
libras obtulerunt, et tunc R. P. Carré candide apperuit
eis se non habere religiosos quos mitteret. Habeo penes
me epistolas eorum quibus conquaeruntur hac de re de
praefato patre Carré, et sane non capio quo spiritu duce-
batur. nam si praefatorum dominorum petitionibus satis-
facere non poterat saltern eos ad conventum Sanctiae
Mariae annunciates parisiensem remittere, ex quo procul
dubio R. P. Vicarius Generalis Congregationis Sancti
Ludovici religiosos misisset, missionemque libentissime
suscepisset. Sic ergo non duas demos sed integram habe-
ret Ordo provincial!) in insults, et odore clarae famae
mirum in modum promovissemus in populis et quod

152
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
stupendum est, idemmet adhuc impedimentum viget, et
nihilominus superiores malunt missionem perire quam
ipsam committere alicui corpori quod possit sustinere
earn.
Domini ergo societatis indignati Capucinos, qui se
ultro obtulerant (licet aliquis se eorum missioni oppo-
suisset nomine Regis Catholici) nobis subrogare coacti
sunt. Mittuntur ergo Capucini nullâ obtentâ alia facul-
tate quam a quatuor definitoribus sui capituli provin-
cialis, cum onere redeundi ad primum mandatum Summi
Pontificis, aut sui Generalis. Duos autem qui ex eis prio-
res ad nos appulerunt e navi moribundi descenderant,
et die ab adventu eorum tertiâ in eodem feretro, eodem-
que tumulo recondidi. Iis ergos sepultis me jam ad redi-
tum accingebam (quippe qui avocatus fueram a Rdo
P. Carré Commisario) verum per vim detinuerunt me
D. Gubernator, d. Judex et omnis populus. Idem omnino
fecerunt anno sequenti, cum onere tamen aedificandi
domum Ordini.
Interea classem hispanorum in dies tremebundi ex-
pectabant omnes.
- Quottannis enim insulae adherebat,
ut illic hauriret aquas et refocillaret se. — Insula a classe
libera appulerunt alii Capucini, qui me missionarium
etsi apostolicum, ne tamen ut hominem in domo privatâ
patiebantur commorari. Licet domus ista distaret ab ea
quam eis dimiseram, et in qua manebant, imo et ab omni
alia domo, duabus leucis.
Anno 1638, domus et supellex nostra incendio penitus
absumpta est. Incendiarii fuere barbari. Tunc sponte
recesserunt populis invisi Capucini, qui rogati, ne qui-
dem numerata pecunia voluerunt relinquere casulam,
tametsi hanc, suaque omnia a Societate pro insula acce-
pissent. Solus ergo relictus iterum humeros oneri suppo-
sui, et propter rerum omnium penuriem propter immo-
dicos sudores, et labores, exesis vestibus, coactus sum
tela indui, et nudis plantis incedere.
Anno 1639, Rex christianissimus misit D. de Poincy,
equitem Sti Joannis de Hierusalem Proregem super
omnes insulas. Hic transiens dignatus est invisere me.
monuitque postea per litteras D. D. Societatis me defi-

RELATIO B
153
cere sub onere. Idem quoque retulerunt P. P. Capucini
qui et significarunt eis se non reversuros in insulam,
cum propter missionem nondum impetratam, turn quia
populis gratiores essemus : propterea Dni Societatis
magis ac magis sollicitare caeperunt R. P. Carré Com-
missarium ut ad me mitteret socios, et ut ad hoc effica-
cius permoverent eum, fundum missioni asseruerunt, et
sicut alias, etiam pecunias obtulerunt.
Anno 1640, R. P. Carré Commissarius praecibus fati-
gatus, misit virum sane egregium R. P. Nicolaum de la
Marre, comitatum duobus juvenibus sacerdotibus, qui-
bus nomen erat Joannes du Jean, et Joannes Baptista du
Tertre, et tribus fratribus conversis. Sed et mense octo-
bri alios duos sacerdotes R. R. scilicet Patres Vincentium
Michel, et Dominicum Picart, et duos fratres laïcos misit.
Verum alter sacerdotum nempe R. P. V. Michel praema-
tura morte sublatus est. Hoc eodem anno, D. de Lolive
gubernator insula? 'miseriis et laborious quassatus caecus
factus est, et ideo D. de Poincy Vice rex substituit ei
Dnos de Saboulis et de la Vernade, 'viros nobiles qui
vicem ejus gererent in omnibus.
Anno 1641, incidit in Ethisim R. P. Nicolaus de la
Marre superior noster, et toto anno languit. Hac tempore
D. D. Societatis D. Aubert novum gubernatorem mise-
runt, qui de pace tractavit cum barbaris. Hoc nuntio
accepto R. P. de la Marre superior noster, eticus licet
et languens, ad eos ire gestiebat, sed cum non posset
prae debilitate, misit me ut praessentirem utrum afful-
gere in eis aliqua spes conversionis. Fui ergo cum f.
Carolo Pouzet laïco ad barbaros in insulam quam Domi-
nica m vocant, et certe per eos non stetit quin fuerint
de mysteriis nostris edocti, nam libenter me audiebant,
imo filios suos sinebant instrui, qui etiam nunc homines
facti patrem me vocant, et ut talem venerantur et
colunt, praereptamque conversionis suae occasionem lu-
gere videntur permulti ex barbaris. Redii ergo invitus
1° quia tempus praescripserat R. P. superior, 2° quia
inedia conficiebamur, et nemo nos juvabat, 3° D. de
Poincy Generalis et D. Aubert Gubernator miserat navim
qua? nos ad reditum compelleret. Timebant quippe ne

154
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
nos barbari interficerent, et propterea tenerentur bel-
lum innovare.
Anno 1642, mortuus est R. P. N. de la Marre, supe-
rior noster, doctor facultatis parisiensis, eximiusque
pradicator, et memoria illius in benedictione est apud
omnes. Sed et alter ex comitibus ejus nempe R. P.
Joannes Baptista du Tertre Gallias repetiit, operarios
petiturus, paucas per eum (verius dicam sudores) mise-
ramus, ut vestes et aliqua solatiola transmitteret (adhuc
enim multâ praemebamur penuriâ). Sed per R. P. Carré
Commissarium frustrati sumus, sicut et aliâ eleemosinâ.
Certatim namque dederant omnes R. P. Dominico Gar-
des super quem primitus sors ceciderat (ut dixi supe-
rius), decreverat siquidem postea vocationem suam sequi,
sed et annuebat R. P. Carré, verum eum tandem, cum
collecta suâ detinuit. Mirum sane quod tam parum
adjuti, ingruentibus quotidie miseriis supervixerimus.
Anno 1643, diebus Pentecostes, rediit R. P. du Tertre,
qui anno superiori discesserat, solo R. P. Armando a
Pace sociatus qui in superiorem erat datus ; hunc non
nisi aegre admiserunt alii, quia etsi bonus et doctus, erat
tamen parum expertus, juvenis et in religione omnium
novissimus. Et hic advertendum, nos pluries rogavisse
superiores, ut transmitterent, et in insula, sex mensium
spatio, manere juberent, eos quos idoneos ad regendum
fratres judicarent, antequam regimen susciperent, nus-
quam tamen audivisse. Quid enim mirum si patriae con-
suetum nescientes usum, si populorum rittum ignoran-
tes, et zonae torridae labores non experti, indiscrete (?)
regant, se ipsos et alios confidant. Hocque facilius pera-
gunt quo magis sunt docti quia experientiâ et doctrinâ
se praestare putantes, alios audire contemnunt, et sic
semetipsos decipiunt.
Novus ergo superior omnia per se, et despotice facere
caepit, sicut noverat R. P. Carré facere in suo novitiatu.
Hoc autem non probabant alii religiosi, nam sciebant
facilitates illi non fuisse concessas a Sta Sede, sed qua-
tuor antiquioribus ; praeterea videbant omnes missiona-
rios (demptis Jesuitis) aequali potestate pollere respectu
sacramentorum parrochialium. Ast vitandae divisionis

RELATIO B
155
causa, author fui caeteris ut epistolâ communi, tanquam
libello supplici, peterem totam missionis authoritatem in
uno superiore residere. Hanc detulere Romam R.R. P.P.
Michael Piot et Ludovicus a Sta Maria Magdalena qui
illuc proficiscebantur propter privata novitiatus nego-
tia (ex tunc enim serpebant jurgia pro filiationibus pro-
fessorum, quae eousque crevere, ut nonnisi per parla-
mentum anno domini 1654 potuerint dirimi); praefati
ergo Patres (quia Reverendissimus Pater Rodulphius
fuerat a Generalatu suspensus) libellum nostrum suppli-
cem porrexerunt Summo Pontifici, qui petitioni nostras
benighe annuens, novas facultates expediri praecepit R.
P. Armando a pace, superiori locali, et potestatem com-
municandi eas suis sociis in missione, hunc insuper pri-
mum missionis Praefectum nominavit. Decretum missio-
nis acceptatorium adjunxit Sacra Vestra Congregatio.
et transmisit.
Hoc anno, mense septembri, accessit novus guberna-
tor, hic ille est Dominus noster Houel qui penuriae nos-
tras laborem addidit insolitum ita quod ex tunc usque in
pressens cibat nos pane lachrimarum sine mensura.
Vexarunt quidem alii gubernatores suos sacerdotes, sed
apperto marte, et per se ; iste autem caute et per alios ;
alii ad tempus, hic indesinenter et implacabiliter. Abstu-
lit fundum nostrum et per partes divisit suis, et nunc
tonat ubique se pauperes protegere ; mille probris onerat
nos latenter, et palam fingit nos honorare ; advocavit
religiosos aliorum ordinum ut nos perpetuo dissidio fran-
geret, et (ut ferunt) clavum clavo truderet, et tamen
haec, et alias id generis molestias quibusdam pietatis
involucris tegit. Sicque periculosius premit et opprimit.
Anno 1644, illemet d. Houel praedecessorem suum
nempe d. Aubert abegit ; regi deferendas quaerimonias
per fas et nefas in eum extorsit ; et veritus d. de Poincy
proregem (cujus animum a se abalienaverat) caute gal-
lias repetiit, ejus generalatum aucupaturus. Vix Gallias
attigerat cum ecce seditiosi vices ejus gerentem catena
vinctum compedibusque irretitum custodiunt in carcere,
totamque insulam rumoribus implent. Haec autem mu-
lieris (cui nomen de la Fayolle) hortatu fecere, quae eo
temeritatis et insolentiae processit, ut, sacerdoti actu

156
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
concionanti, etiam non impetita, in facie ecclesiae insul-
tare ausa fuerit.
Anno 1645, die 29a maï, rediit D. Houel re infertâ,
et generalatu non assecuto, solvitque catenâ et compedi-
bus vinctum illum cui suam commiserat authoritatem,
et cum de praefatae mulieris insolentia, et de sequaci-
bus ejus conquaestus fuisset, unâ cum prœfecto missionis
et primoribus insulae, nihil aliud respondit d. Guberna-
tor nisi velle se ut omnes omninô sibi invicem condona-
rent, et jubilaei indulgentiam lucrarentur. Videto homi-
nem pium ! et novum satisfactionis genus ! In navi
multa adinvenit commenta ut aliquatenus in insulam
quatuor Jesuitas, et duos Capucinos attraheret. Finge-
bat nos populis invisos, et idcirco neminem velle apud
nos confiteri ; etsi superior noster sciret eos esse delusos,
consensit tamen ut confessiones omnium exciperent. Sed
non assensit populus, nam ne quidem unus ivit ad eos,
nisi tres adulteri notorii. Advertentes R.R. P.P. Jesui-
tae nolle apud ipsos confiteri habitantes, curarunt cito
se deportari in suam insulam ; Capucini vero manserunt,
nam susdeque erant res eorum in Continenti (loco scili-
cet missionis eorum) in quo D. de Bretigny Gubernator
tamdiu detinuit Capucinos in carcere ferro onustos.
quoad telis confossus male interiit, et colonia cum eo. In
insula Sti Christophori compulsi fuerant Capucini navim
ingredi, et de insula egredi. Alio tamen divertere non
erat eis tutum, quia D. Le Vasseur qui earn insulam
(quam Testudinem vocant) gubernabat, Capucinos ode-
rat (et ut erat haereticus) sacerdotem qui catholicis invi-
gilabat, imo et ministrum suum manu miserat.
Die 19a novembris appulit Guadalupam D. de Toisy
novus Generalis missus a rege in locum D. de Poincy,
quem non est passus populus descendere in suam insu-
lam, Proregum sedem, causatus regem maie informatum;
hinc est quod coactus fuit manere Guadalupae.
Anno 1646, dux barbarorum me denuo sibi dari in
obsidem et praedicatorem petiit ; jam enim advertebant
barbari dominos de Touaisy et Houel dissidere inter se,
et timebant illuc venire. D. Houel gubernator hac de re
anxius, R. P. Armando a Pace, praefecto missionis, ille

RELATIO B
157
mihi, ego vero D. de Touaisy Generali indicavi, qui tan-
dem annuit sed aegre, putabat enim me esse alicujus
momenti in populo, et ideo D. de Touaisy me sibi cons-
tringere quaerebat. Hoc autem timebat D. de Houel qui
semper bonum nomen putavit sibi malum omen. Verum
iis omnibus neglectis, R. P. Armando a Pace praefecto
occurri qui misionem dedit, et sic secundo in insulam
Dominicain navigavi et mansi inter barbaros solus. Quod
ut rescivit alter Capucinorum, Pacificus nomine, obmur-
murare caepit, et conqueri apud D. de Touaisy Proregem
seu generalem, cum quo manebat, quod eo silicet incon-
sulto misisset me praefatus P. Armandus a Pace (Prae-
fectum quippe se missionis jactitabat) (1). Reverendi
ergo P. Pacifici instinctu D. de Touaisy generalis decreto
speciali inhibuit ne missionarii quocumque praetextu ex
insula discederunt, non accepta in scriptis licentia a D.
gubernatore. Ast huic se se opposuere omnes, sicque
brevissimo temporis intervallo sopitum est illud nego-
tium, quia brevi Gallias remeavit praedictus Pater Paci-
ficus, et inde novam adhuc expeditionem suscipiens, in
continenti periit. Simultates autem dominorum, gene-
ralis scilicet et gubernatoris statim in apperta erupere
odia, ita quod multae fuerint utrimque excitatae séditio-
nes quas dum paccare nisi sunt nostri, ut boni pastores,
gravius impegerunt in d. Houel gubernatorem nostrum,
quippe qui author erat earum.
Hoc eodem anno Reverendissimus P. Turco ordinis
nostri generalis magister per Gallias conventus nostros
revisens R. P. Carré a novitiatus prioratu absolu it, nec
non commissione super insulas nostras destituit.
Anno 1647, D. Houel gubernator noster paccavit ani-
mum D. de Poinsy quern prius a se abalienaverat, et
facti amici D. de Touaisy novum proregem in navi com-
pactum Gallias revisere coegerunt. Ilium secutus est R.
P. du Tertre qui populum tumultuantem coercuerat.
D. Houel gubernator hoc successu elatus intollerabilis
factus est viris frugi, quorum bona diripi permisit.
Sed et praefectum et missionaries quos jam fundo
(1) Il était effectivement Préfet de la mission d'Acadie. Revue
d'Histoire Franciscaine, tome II, p. 508.

158
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
spoliarat ejicere cum suo consilio disponebat. Verum
Deus conatum ejus delusit, nec non consilium dissipavit ;
nam e cathedra, velut judex, ut D. Houel apperuit os ad
pronuntiandum sententiam, ipsum interrupit bombarda -
rum strepitus. et clamor hostium aggredientium navim
in quam mox erant conjiciendi missionarii, hanc "in
oculis D. Houel et sui consilii expugnaverunt hostes, et
in ditionem redactam, in Hispanias, cum eo qui dederat
consilium, deportaverunt.
Hoc eodem anno Reverendissimus P. Turcus ordinis
generalis magister per litteras consolatus est nos, et
jussit fieri relationem eorum quae apud nos gerebantur.
Ego quae audieram et videram vel potius qua? tunc au-
diebam apud barbaros scripsi ex mandato R. P. Armandi
a Pace praefecti missionis, qui integram composuit mis-
sionis narrationem, et nomine omnium missionariorum
transmisit ad praefatum Reverendissimum P. Generalem
nostrum. Hanc forsitan exhibuit Eminentiis vestris ;
ideo superfluum puto aliam texere de barbaris ; qui
typis relationis manda runt eadem omnino (paucis demp-
tis) retulerunt sub nomine Caraïbarum.
Anno 1648, R. P. Armandus a Pace, Praefectus mis-
sionis scripsit Romam, scripsit Parisios, et petiit opera-
rios, nam anno praecedenti e vivis excesserat R, P. Domi-
nicus Picart, paralisi diu detentus : alius (ut audistis)
D° Gubernatori nostro invisus recesserat, et ego eram
cum barbaris ; sed nullus respondit ; imo vix toto suo
triennio, epistolas misit R. P. Josephus Roussel prior
novitiatus et commissarius noster, propter rumores et
tumultus parisiis ortos. Intérim apud nos, dicto jam
ante bello, successit quoddam genus epidemiae, aqua, ro-
bustores passim icti, cito extinguebantur. R. P. Arman-
dus a Pace praefectus missionis, qui et vicarius se et
socios videns supra modum fatigari, a barbaris me revo-
cavit, et dum ipsemet boni pastoris officio fungeret
hocce morbo correptus est. Hic frequentibus injuriis
a D. Houel exagitatus, nec non aegritudine consternatus,
praevidit se non evasurum, et ideo missionarios convoca-
vit, authoritatem sibi concreditam a Summo Pontifice
super administratione sacramentorum parrochialium, et
potestatem earn communicandi exposuit. Item vicaria-

RELATIO
11
159
turn super fratres nostri ordinis ad missionem quomodo-
libet spectantes, sibi datum a superioribus, et potestatem
in casu discessus aut mortis sufficiendi alterum ostendit,
et me f. Raymundum Breton nominatim, licet indignum
et absentem, coram omnibus (nemine reluctante) in
praefectum missionis et vicarium super fratres dedit. Id
significaverunt mihi missionarii. Ego autem qui me toto
quinquennio praecedenti ab omni onere, et quaerelis D.
Houel gubernatoris nostri expedieram, quiete allectus,
toto conatu renittebar, nam has dignitates in iisce locis
et initiis sunt de genere Episcopatuum Apostoli Pauli,
mera onera, sine decimis, et ullo prorsus stipendio, nam
deservientes altari non de altari, sed de labore manuum
nostrarum vivebamus adhuc. Induci ergo non poteram
ut humeros supponerem (licet sine suspicione superbiae
id possem) praecipue propter D° Houel gubernatorem
nostrum cujus animum nimis infensum intelligens, me
non paccaturum praevidebam, nec enim id potuerunt
nec adhuc possunt religiosi. Sed ii solum-modo qui au-
thoritatem ecclesiae indigne tractantes, sibi serviliter
submittunt. Monui ergo Superiores, sed nihil profeci,
volens nolens munia tamen ista subii. Eadem die qua
mortuus est R. P. Armandus a Pace superior, incidit in
faebrim D. Houel gubernator, de qua periculose labora-
vit. Hunc invisi, et debaccatus totum in me virus effu-
dit, quia praefectum me esse institutum accepit ; verum
penituit eum, et die sequenti me denuo vocavit, fundum
missionis ablatum, et pacem tamdiu desideratam resti-
tuit. Haec omnia, mortemque R. P. Armandi a Pace prae-
fecti missionis indicavi per litteras R. P. Josepho Rous-
sel nostro commissario ; operarios petii a Reverendissimo
Patre Turco, ordinis nostri Generali magistro, qui epis-
tolam circularem in hunc finem ad Patres Congregatio-
nis Sti Ludovici direxit.
Anno 1649. R. P. Petrus Coulliart exprovincialis, vir
gravis et jam longaevus, hâc epistolâ et fraequentibus
nostris quaerimoniis permotus, facultem petiit veniendi
ad nos ; annuit Reverendissimus et commissarium et vi-
sitatorem fecit eum. Hic interpellato novitiatu pro ope-
rariis ; sed frustra ; R. R. P. P. Philippum de Beau-

160
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
mont (1) et Hyacinthum Guibert socios ex conventu
parisiensi Stae Mariae annuntiatae assumpsit, et cum eis
mare conscendit, faeliciterque ad nos usque navigavit.
Tres tantum eram us tunc sacerdotes, et periculose omnes
praefato epidemiae morbo laborabamus. Convaluimus ta-
men prae gaudio, sed heu brevissimum fuit, quia nos non
audivit praefatus R. P. Coulliart. Suaseramus enim ei ut
commissarii celaret nomen, et reipsâ non differret com-
missionem exequi, propter D. Houel gubernatorem cujus
ira, etsi paululum deferbuisset, nondum tamen plene
quievisset. Erat autem tunc longe potentior factus quam
ante, quia de novo proprietarius et Seneschalus insulae
factus fuerat, judices instituebat et destituebat, et
cuncta ad nutum faciebat, et re vera occasionem nactus,
duos veteranos nempe R. P. Joannem du Jean, et R. P.
Mathiam du Puis redire in Gallias. Item R. P. Coulliart
Commissarium cum f. Carolo Pouset, inter barbaros
quondam socio meo, vetustam navim intrare impulit, in
qua uterque periit. Me vero ad barbaros in insulam Do-
minicam amandavit. Sicque duo juvenes soli qui de novo
venerant in insulam remanserunt.
Hoc anno jurgia jampridem in praefato novitiatu
generali parisino orta ad parlamentum fuere delata, et
toto quinquennio duravit lis. Tunc revocatus est R. P.
Carré Parisios, et factus iterum noster commissarius, sed
non est admissus in praefato nivitiatu quiâ causam con-
tra novitiatus religiosos agebat. Propter haec multa per-
pessi sumus, quia procuratores quos mittebamus, impe-
diebantur ne communicarent cum eo.
Anno 1650, ego in medio barbarorum positus, inveni
gratiam coram Deo, quia aegritudine fui statim releva-
tus, et coram ipsismet barbaris, quia tanto mitius se
gesserunt erga me quanto D. Houel accerbius. Aliquos
pueros aquâ baptismali tinctos misi in caelum, adultos
edocui, sed non baptizavi quia cum nescirem quamdiu
apud eos manerem, parum aut nihili judicavi eos fide-
libus aggregare, siquidem aggregatos non viderem qua-
(1) Philippe de Beaumont fut, après le R, P. Breton, missionnaire
chez les Caraïbes; il est l'auteur d'une Lettre du R. P. de Beaumont à
M. C. A., publiée à Poitiers en 1668.

RELATIO B
161
liter possem in ovili conservare. Penes adeo excoluit et
mansuefecit per me Dominus, ut nihil me inconsulto
susciperent, sed si quid novi, aut rumoris emergebat,
niittebant aliquos ad me et statim levabam eos curis, et
epistolâ donates remittebam ad D. Houel gubernatorem
qui rem intelligens amicabiliter satisfaciebat eis. Sicque
placcatos remittebat ad suos cum muneribus. Quandiu
cum eis fui, aut ipsi me convenire potuerunt, pacifice
conversati sunt cum Gallis : ex quo resedi, et duos
Patres Societatis interfecerunt, et insulas caedibus deso-
larant, et adhuc Europaeos et Europaei eos vicissim con-
fodiunt.
Interim D. Houel parum beneficii memor, videns nos
elongates et Patres qui de novo venerant nondum satis
expertos, quaesivit explere quae toties decreverat facere.
Iterate itaque, fundo missionem spoliat, et nonobstante
patrum appellatione per partes suis distribuit.
Anno 1651, D. Houel addidit et turbare nos in spiri-
tualibus nam quemdam Carmelitam transeuntem (cui
nomen Claudius a Sto Joseph) detinuit, et vocato ejus
superiore ex insula Sti Christophori, instrumente publico
ilium et suos adstrinxit ad administrationem sacramen-
torum parrochialium (vocatur dictus superior Ambro-
sius a Sta Anna) sacellum quod a populo nobis oedificari
praeceperat, eidem dono dedit, hoc ille simul cum ceme-
terio, quod benedixeramus, benedixit iterum, acceptavit,
et post modum in suam insulam insalutatis nobis furtim
se recepit. Prima autem die (quae erat. veneris anni
1645) qua ad insulam Martinicam applicuit, dictus P.
Ambrosius, in caelebri convivio palam comedit carnes
sanus et incolumis, quod magnum scandalum attulit non
solum Martinicae incolis, sed et aliarum insularum habi-
tantibus. In eadem insulâ non ostensâ missione voluit
concionari, sed restiterunt ei Patres Societatis. Sciens
autem Capucinos expulsos ex insula Sti Christophori
illuc occurit, et vires Capucinorum (licet non missus)
in omnibus gessit. Fuit suspectus de mulieribus, merca-
turamque egit, et bona undequaque colligens, multas fe-
runt cumulasse, ut fundum acquireret quo fieri posset
episcopus, intercepit ejus epistolas D. de Poincy Gene-
ral is quibus id se egisse referebat. Dictus Pater Ambro-

162
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
sius ex insula discessit anno praeterito, et illinc scribe-
bant quidam Romam (ut meditatus fuerat) velle ire, ut
aut episcopatum, aut praefecturam saltern acciperet.
Vota habeat secunda nec ne, perinde mihi est, unum
timeo, ne sicuti dicteriis passim diffamatus est, ludibrio
etiam sit in eo aut episcopatus dignitas, aut missionis
honos. Praefatus ergo P. Claudius a Sto Joseph remansit,
sacellum (licet in medio parraeciae nostrae situm) autho-
ritate propria in parraeciam erexit, cui limitem conven-
tum nostrum praefixit. Is R. p. Guibert vicarium a meo
discessu electum, ne quidem visitare dignatus est, imo
ab ipso visitatus et rogatus missionem ostendere, recu-
savit, sed et authoritatem ultro sibi oblatam respuit.
Vicarius hinc juste indignatus, cum propter crebras ejus
confusiones, scandala et ebrietates, turn étiam propter
contemptum, significavit populo irrita esse quae per eum
ministrabantur sacramenta parrochialia, et matrimonia
clandestina, donec ostenderet missionem suam. Rogati
tunc P. P. Jesuitae, de Carmelitarum processu damna-
runt eum, et nihilhominus vocati postmodum a D. Houel,
cum Augustinianis idem omnino fecerunt, nobis invitis.
Nam Patres Societatis duplex sacellum erexerunt, quo-
rum alterum contiguum erat sacello Carmelitae, qui hoc
nonobstante duas missas in eadem ecclesia eodemque
altari caelebrabat singulis ferme diebus (quod novum
visum est omnibus) quamvis has capellas nollent vocari
parraecias, praetextentes nullas esse, eo quod deessent
episcopi qui eas erigerent ; ministrabant tamen passim
omnibus qui sacramenta ab eis expetebant. Sed et Patres
Sti Augustini non contenti unâ parraeciâ, alteram decern
leucis distantem usurparunt, ambas erexeramus trede-
cim annis ante adventum eorum, et de quindena in quin-
denam in iis caelebramus, et concionem habebamus.
Tres hoc anno missi sunt ad nos sacerdotes nostri
ordinis a Reverendissimo P. Joanne Baptista de Marinis
Generali Magistro, qui cum aliis convenientes, et mala
ex mea cessione subsecuta serio examinantes, judicave-
runt eam nullam nec debuisse nec potuisse me inter
tantos rerum turbines onus praefecturae mihi delegatum
a potentiam habente, excultere, ideoque me a barbaris
in Insulam revocatum coegerunt iterum praefecturam
reassumere, et etiam vicariatum (revocatus etenim

RELATIO B
fuerat R. P. Hyacintus Guibert vicarius) quern redeun-
tem secuti sunt alii duo propter aegritudinem et contu-
melias nobis illatas, et sic tres solum remansimus labore
supra modum et vires gravati, quia pauci conscientias
suas religiosis aliorum ordinum credebant.
Anno 1652. imminente paschate dederunt consilium
D. Houel gubernatori nostro RR. PP. Halé, Jacqui-
not Jesuitae, AEgidius Gendron Augustinianus et Clau-
dius a Sto Joseph Carmelita (vitandi tumultus gratia
in Festo) ut convocaret nos secum et ut facultates nos-
tras exhiberi, et in tabulas publicas referri curaret.
Vocatus ergo ivi cum R. P. de Beaumont nesciens quid
vellet D. Gubernator, et inveni secum congregatos, et
qui suas facultates nostro nostras suo examini sub-
jiciebant. Verum ego et socius putabamus fore ut
suas tandem ostenderent (quaerebamus enim tantum
scire utrum haberent authoritatem et tuto possemus eis
credere animas, sicque sine scrupulo levare nos onere)
hoc autem nolebat D. Houel gubernator sed tantum tur-
bare nos in ministerio. Institutionem quam R. Pater
Coulliart attulerat a Reverendissimo Patri Turco ordi-
nis nostri Generali magistro (a se et tota comm unit ate
acceptatam) legerunt. et contempserunt, et respuerunt.
Haec institutio, Reverendissimâ authoritate apostolicâ
et Ordinis, earn in spiritualibus et temporalibus potesta-
tem, quam praedecessor meus praefectus habuit, de jure
vel ex privilegiis mihi dabat ; non enim potuimus pro-
bare hanc authoritatem apostolicam. Addidit D. Houel
gubernator se unicum novisse episcopum suum, nempe
summum Pontificem, ideo se nescire generalem nostrum;
si habet (inquit) authoritatem super me et populum
meum ipsemet ostendat, resideat et exerceat. Obmutue-
rufit autem omnes, ut indicavi facultatibus R. P. Ar-
mando a Pace praefecto missionis datis, potestatem eidem
factam communicandi eas, et ut astendi eis de facto mihi
ab eo in morte communicatas, et dixerunt praefecturam
particulari, et non Ordini attributam ideoque me prae-
fectum fore quousque fuerit provisum, non quidem su-
per alios religiosos sed super nostros tantum. Petie-
runt tamen a me. pro festo tantum et pro bono
pacis facultatem ministrandi sacramentum paschale, qui-

164
RELATION DE L'lLE DE LA GUADELOUPE
bus annui et ultro obtuli parraecias et liberam faculta-
tem administrandi in eis si vellent missionem ostendere.
Sed neutrum eis placuit, ne displicerent D. Houel guber-
natori. Quamvis autem siluerim non valentes occurrere
huie malo, non siluit tamen Dominus, nam alter Augus-
tinianorum primo mense quo sibi vendicavit parraeciam,
morte sublatus est, et alter secundo, et uterque sepultus
est in caemeteriis parraeciarum vendicatarum ; tertius
qui clauserat oculos secundi, territus in faebrim incidit,
et fuga sibi consuluit, nam licet recenter applicuisset,
voluit tamen in navim reportari, et sic rediit. Vocatum
vero P. Claudium a Sto Joseph Carmelitam, licet alieno
obstrictum, e sua insula cum confusione ejecit D. Houel
gubernator propter scandala et ebrietates ; ejus tamen
locum sumpsit P. Cosmas a Visitatione missus ex insula
Sti Christophori et tandem praenominatus P. Ambrosius
a Sta Anna eorum superior quern D. de Poincy non est
passus ultra commorari in eadem insula Sti Christophori,
propter molestiam ab eo nobis illatam, illius locum sump-
sit; qui vero (?) et tandem recedenti successerunt, facul-
tatem petierunt ministrandi quousque super iis omnibus
sit provisum. E tribus Jesuitis qui Guadalupae ministra-
bant, rector stationem seu sacellum suum deseruit, et equi
calce percussus Martinicae interiit. Secundus Guadalupae
placidâ morte decessit. Tertius adhuc superstes est, curam
gerens hybernorum cum sit ipse hybernus. Jam Eminen-
tissimi Domini quae gravant nos audistis, de quibus plu-
ries ad Eminentias vestras scripsimus, sicut et ad Reve-
rendissimos Patres nostros Magistros Générales nec non
ad Commissarios, sed nullam necque ab Eminentiis ves-
tris, neque ab aliis habuimus responsum. Insuper duos
misimus Procuratores qui cum R. P. Carré commissario
non sunt ausi et sic fuere impediti, et de epistolis quas
per eos ad sacram vestram Congregationem mittebamus
ne quidem unum verbum audierunt. Igitur cognoscentes
fratres qui mecum erant, et videntes superbiam D.
Houel gubernatoris nostri in dies ascendentem, et quod
fundum missionis dillapidat, decreverunt missionem de-
sere nisi ipse Gallias peterem et causam apud Regem
Christianissimum Parisiis et apud eos Romae (si opus
est) dicere vellem.
Anno 1653, mortuus est R. P. Carré commissarius

RELATIO B
noster in conventu Sti Jacobi, et comnussio data est R.
P. Goart vicario generali Congregationis Sti Ludovici ;
hoc audito nuntio gavisi sumus quia poterat juvare nos,
et animum habebat ad missiones, ipse quondam mis-
sionnarius in insula Chio ; verum et ipse praemature
mortuus est. Hoc audiens post decern et octo annos inte-
gros et continuos quos illic insumpi demandatam curam
suscipere decrevi et periculosam navigationem hyeme
aggresus sum.
Anno 1654. Dieppam (Deo opitulante) appuli, et
illinc Parisiis in conventum Sanctae Mariae annunciatae
me recepi, quia nondum erant terminata jurgia novi-
tiatus. Statim ut convalui ad vos epistolam communem
ex India delatam, per eum qui negotia Reverendissimi
nostri Generalis gerit, misi ; de qua sicut et de caeteris
responsum non habui (1). Unde doctores sorbonicos con-
sului, qui censuerunt et in scriptis dederunt 1° Gene-
rales Ordinum non posse nisi ex speciali indulto aposto-
(1) Effectivement, le 5 mai 1654 les Dominicains posaient à la
Congrégation de la Propagande diverses questions relativement à leur
mission des Antilles entre autres la suivante :
« An in locis Indiarum ubi non sunt infideles sed tantum christiani
catholici permittatur aliis religiosis pariter missionariis exercitium
parochialium absque licentia eorumdem mssionnariorum ? »
A cette question il fut répondu : « Singulos religiosos et non mis-
sionnarios in locis ubi tantum sunt catholici posse munia parochialia
exercere si tamen sint ab ordinariis locorum ad id approbati, » (Arch.de
Prop. Fide, Acta dal 1654, fol. 43.)
Cette réponse ne tranchait aucune des difficultés pendantes puisqu'il
n'y avait pas d'Evêque aux Antilles, et ce fut sans doute pour cela que
la réponse ne fut pas communiquée au P. Breton.
Le Ier août suivant, la question était posée de la façon suivante :
« An licet singulis sacerdotibus ad il las insulas (les Antilles) confluen-
tibus absque Missionarium licentia sacramenta ecclesiastiqua admini-
strari ? » (Loc. cit. fol. 94.)
On obtint comme réponse : La Propagande « dixit sacerdotibus
ad illas insulas confluentibus haud licet sacramenta ecclesiastica admi
nistrare sine légitima approbatione aut sine facultatibus apostolicis eos-
que obligari hujusmodi facultates et approbationem Praefecto missionis
ostendere »
Cette décision était claire, mais, comme nous le verrons plus loin
elle n'était point encore suffisante pour triompher de la subtilité des
adversaires du P. Breton.

1 66
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
lico mittere suos in insulas in quibus sunt missionnarii
apostolici ; 2° Missos ab eis teneri ostendere missionna-
riis apostolicis tale indultum sine quo irrita forent sa-
cramenta (exceptis dumtaxat confessione in casu neces-
sitatis et matrimonio clandestino, si decretum consilii
tridentini non fuit ibi publicatum) ; 3° Censuerunt an-
tiquiores missionnarios debere arcere hujusmodi missos.
usque dum apparuerit légitima et sufficiens eorum po-
testas. neque illis licere antiquorum parraecias invadere,
et in illis administrare nisi ex spéciali indulto Papae ;
4° Non licere gubernatori nostro etiam praetextu liberta-
tum ecclesiae Gallicanae erigere parraecias in mediis par-
raeciis antiquorum, et instituere novos pastores. Deni-
que antiquos non debere credere regimen animarum illis
nisi hanc habeant facultatem a Summo Pontifice.
Mense Augusto parisios venit D. Houel gubernator
propter privata negotia sua, quern invisit P. P. Prior
novitiatus, qui et commissarius noster, Andreas Versoris
et nomen est ; ego quoque, et alii mecum, hunc humili-
ter rogavimus ut restitueret fundum missionis, et sine-
ret nos secum degere in pace, sed contempsit. Jussit Se-
renissima Regina D. de Lhospital gubernatori urbis pari-
siensis ut quœrelam istam amicabiliter componeret, sed
renuit D. Houel. Rebellem autem ejus animum dignos-
cens D. de Lhospital, et Domini Societatis Insularum.
consilium nobis dederunt ut ageremus in eum via juri-
dica et polliciti sunt se daturos nobis manus. Igitur vadi-
monium indiximus ei, et litem in eum intentavimus.
Mense novembri (1) ejusdem anni ivere quator mo-
niales tertii ordinis nostri in insulam Martinicam; acqui-
sierant fundum. sed mortuae sunt, et nemo suscitat aut
mittit alias ; fuissent tamen valde utiles, et propter
instructionem juventutis, et praecipue propter filias bar-
barbarorum quas si semel educandas accepissent. nus-
quam bella novissent patres eorum. Navigavit et cum
eis sacerdos ex nostris, qui illic erigeret hospitiolum.
quod et fecit. Hoc enim egeram pacifiée cum patribus
Societatis et D. du Parquet Gubernatore hujus insulae.
nam etsi, antequam illic essent Galli trophaeum crucis
et l ilia. Franciae erexissemus in ea coram barbaris, nus-
(i) L'autorisation de Rome était du Ier septembre.

RELATIO B
167
quam tamen in ea commorati fueramus propter defec-
tum operariorum, ad id induxit nos D. Houel guberna-
tor noster, et quia intercipiebat omnia quae mittebantur
ad nos ex Galliâ et quia operarii quantumvis utiles et
assueti tenebantur redire in Gallias si non arridebant
ei. Petiit enixe idem D. du Parquet missionnarios nostri
ordinis pro aliis duabus insulis suis. Granatensi scilicet
et San-Luciana. Haec exposui commissario sed non mo-
vetur iis.
Anno 1655, audaciam D. Houel gubernatoris nostri
ex parte fregit consilium duobus decretis, contradicto-
riis. Ultimum in dies expectamus et quia monueram
Reverendissimum P. ordinis nostri Generalem Magis-
trum de difficultatibus quas suscitaverant nobis reli-
giosi aliorum Ordinum introducti in insulam per D.
Houel Gubernatorem nostrum, ejus opera emanatum est
quidem a vobis decretum quo prohibetur sacerdotibus ad
dictas insulas confluentibus sacramenta ecclesiastica
administrare sine legitima approbatione, aut sine facul-
tatibus apostolicis, eosque dicitur obligari hujus modi
facultates, et approbationem praefecto missionis esten-
dere. Haec quidem sufficere deberent. at nisi expressius
declaretur super hac re voluntas vestra nunquam redi-
bit tranquillitas. Ipsimet etenim significarunt mihi non
admissuros praefectum nisi Summi Pontificis decreto
nominatim specificetur, et nisi distinguatur utrum prae-
fectura superiori apud nos principali sit annexa, ita quod
de jure superioritatem sequatur, et a moto superiore ab
officio amoveatur et praefectura ab eo, et sequenti cedat,
nec ne. R. P. Versoris commissarius actualis vult vice
Reverendissimi sibi licere instituere et destituere prae-
fectum ad libitum, nullumque missionarium posse uti
facultatibus apostolicis nisi ad nutum ejus. Jam dixi
Eminentiis vestris in fore exteriori hanc authoritatem
a D. Houel gubernatore et religiosis aliorum ordinum
fuisse explausam in Reverendissimo P. nostro Generali,
a fortiori esset in commissario explandenda ; et nedum
religiosi aliorum ordinum, sed neque nostri hanc admit-
tent in commissario existente parisiis, qui nec usum
ha bet administrations sacramentorum parrochialium,
nec experientiam locorum. Nec nos praefecturam petii-

1 68
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
mus dari homini localiter a nobis bis mille leucis, qui in
toto triennio vix edoceri potest de iis ; sed R. P. Arman-
do a Pace in insula residenti actu. Facultates enim nomi-
natim fuere R. P. praefato a Pace expeditae, et potestas
eas communicandi suis sociis in missione, fuit eidem
data ad instantiam nostram (eramus enim antea aequa-
les in jurisdictione, et in iis quae ad populum) hocque
ut pax et charitas nos magis unitos in Domino redderet.
Etsi enim ille superior novus esset et juvenis, erat tamen
bonus, doctus et praesens, et ideo brevi erudiendus. Qui
me miserunt, rogaverunt me etiam in scriptis, ut procu-
ratione parisiis expletâ pro recuperando missionis fundo;
Romam etiam pergerem procuraturus apud Eminentias
vestras ut de iis omnibus ordinetis. Si suadere possem
Episcopum insularum fieri, post tempestatem tranquil-
lum fieri procurarem. Sed haec excedunt captum meum.
Unde scripsisse sufficiet ; nam indigentia qua premor
tam longi itineris expensam sustinere non sinit. Et
quamvis censuerint missionnarii me non debere praefec-
turam mihi commissam in-posterum dimittere, licebit
sultem earn inter manus vestras deponere (ne videar
bono communi obsistere) sicut nunc facio cum humili-
tate et gratiarum actione ; veniam petens si non eâ quâ
par erat diligentia et sollicitudine gesserim.
Anno 1656, urgentibus supra modum duobus missio-
nariis quos solos reliqui, tandem missi sunt quatuor sa-
cerdotes. Unus in insulam Granatensem. secundus Gua-
dalupam et alii Martinicam. Ii omnes vix sufficiunt Gua-
dalupae, et cum sint dispersi. visi orationi serio vaccave-
rint, parum populis proficient, et cito religionis spiri-
tum perdent. Petii a Reverendissimo Patre Ordinis nostri
Generali Magistro per epistolam (cui non respondit) et
per f. Bernardum Bosside laïcum gerentem ejus negotia.
qui Romam ivit ad capitulum, ut vel missionem jungeret
alicui provinciae, aut congregationi reformatas, quae vel-
let et posset dare operarios, et efficacius curam gerere
missionis quam antea. vel saltern redeuntibus de India
provideret de domo in qua possent recipi et curari.
Scripsit Reverendissimum P. Generalem noluisse pri-
mum, ad secundum vero respondisse velle ut qui aegri
ex India redeunt, se in suas domos receperent. Nescit

RELATIO B
169
forsan quod multi conventus eorum qui non sunt refor-
mati sunt pauperrimi, et suos curare negligunt qui
eisdem non inservierint. Et qualis haec consolatio iis qui
redeunt hidropisi, ethisi, aut paralisi (ut plerumque
accidit effecti (?) Profitetur novitiatus non posse eis
subvenire, quis ergo subveniet ? Toto anno praecedenti
pulmone langui, et ferme perii quia neglectus. Licet
Reverendissimus P. Turcus promisisset se facturum ut
nobis sanis et infirmis abunde et cum charitate cum
rediremus provideretur, et ut viveremus et moreremur
in novitiatu. Vel nobis quamcumque domum cui velle-
mus affiliari (ubi significaremus) libere concessurum.
Petii affiliari conventui in nemoribus existenti, ut illic
tanquam in cartusia solitarius deflere possem peccata
mea, privatus (voce ?) activa et passivâ ; et scribit
praedictus frater hanc gratiam mihi fuisse denegatam,
licet sim in novitiatu a viginti duobus annis, ex quibus
decern et octo integros transegi in Indiis famelicus et
totus labore et sudoribus exhaustus ; ter fui hidropicus,
totidem ethicus, et adhuc non nisi aegre respiro quia
exsicati sunt pulmones, et hoc nonobstante, a reditu ne
quidem de caligis (vestra pace dixerim) est provisum.
Pudet haec recensere ; sed ad id moneor ut non mihi,
sed missioni et operariis in posterum authoritate vestra
prospiciatis, nam dabit Deus ut licet rediero in conven-
tum non reformatum nativum, non respiciam retro.
Superest ut dicam vobis quare missio etsi per Dei
misericordiam non fecerit labruscas, paucas tamen fece-
rit uvas. Prima ratio est quia labor est supra vires, nam
duas habemus domus Guadalupae octo leucis ab invicem
distantes. Qui manent in eis tenentur, cum non sint nisi
duo aut tres sacerdotes, sibi invicem occurrere ut alte-
rutrum confiteantur peccata saltem de quindena in quin-
denam. Caelebratâ missâ et concione habita conficiunt
duas leucas ut in duabus aliis parreciis ministrare pos-
sint. Sex leucas et amplius occupant in latum habitantes
et tres in longum in una regione, et quatuor in
altera. Sejunctas habent domos ab invicem et habita-
tiones centum aut ducentis passibus, et tamen undequa-
que et quotiescunque vocantur ire coguntur (etiam in
equis a meo discessu ne desent aegris). Singulis diebus
caelebrant. dominicis missam decantant, matutinas horas

170
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
insumunt in audiendis confessionibus, conciones habent
ad populum ; post modum pueros (si qui offerantur)
tingunt aquâ baptismali, mortuos sepeliunt, et iis pe-
ractis, ne quidem redire domum eis saepissime licet, sed
adhuc unam et duas leucas conficiunt in meridie, aegros
inveniunt in stercore volutatos, vermibus scaturientes,
et nihilominus, auribus et ori eorum se admovent, con-
fessiones excipiunt, et exhortationibus moribundos ju-
vant, et sic anhelantes, calore soluti, et sudoribus ex-
hausti, jubentur etiam sub praecepto formali jejuni do-
mum remeare, et quod durius est, libere etiam sub
eodem praecepto interdicitur. Videte onus importabile
sub zona torrida. Reverendissimus P. Turcus parisiis
existens pallorem advertens redeuntium ex India, sciens
praeterea quia panem de tritico illic non comederemus,
et vinum de vite non biberemus, accito consilio dispen-
savit nobiscum in esu carnium ter in hebdomata ; tolli-
tur haec dispensatio novis ordinationibus quibus multis
praescriptis formalibus irretemur et implicamur. Ecce
novum laborem et novam molestiam ; R. P. Versoris
commissarius Reverendissimi, et f. Bernardus Bosside
laïcus ille qui super ordinis negotia ab ipso Reverendis-
simo Patre Magistro Generali constitutus est procurator
Parisiis, ne dum dicunt missionem ad ipsum pertinere
Reverendissimum Patrem Generalem quantum ad sacra-
menta parrochialia, sed etiam missionis bona, non sicut
alia ordinis bona ad eumdem pertinere, sed specialiter
et immediate ipsius esse. Unde de facto me licet praefec-
tum missionis agnoscant et procuratorem specialiter ins-
titutum non dubitent, non sinunt agere, nec pecuniam
habere quâ possim negotia pertractare, imo instrumen-
ta publica, seu contractus, et alia ad missionem pertinen-
tia astute fuerant a me ablata per praefatum R. P.
Commissarium qui ne quidem skedas manu propriâ sub-
scriptas dare volebat, quibus testaretur praedictos con-
tractus et instrumenta publica apud me jam non esse,
redderemque rationem suscepti oneris iis qui me suum
procuratorem fecerunt, hucque ad praedicta pertractan-
da negotia miserunt. Utinam mitterentur illi qui laute
viventes hic. missionnariis tam dura praecipiunt ut tan-
dem digito attingerent quae tam facile alienis humeris
imponunt, propriâque experientiâ discerent quam inuti-

RELATIO B
171
liter ista nobis observanda injungunt. Vereor ne durus
iste in missionnarios superiorum animus sit praeambu-
lum ad desolationem missionis. Usque nunc ne quidem
frustulum panis porrexerunt nobis, et tamen (quod
caput est) quae labore manuum nostrarum acquisivimus
domibus et monasteriis ordinis nolunt esse acquisita, sed
Reverendissimo Patri Magistro Generali, quasi vero
etiamsi id vellemus hoc paterentur Galli ?
Secunda ratio est quia messis magna est nimis. De-
cern enim sunt aut erant saltern quando redii insulae
a Gallis occupatae, et tamen aliorum ordinum religiosi
de novo venientes non eunt ad eas quae sacerdotes non
habent, sed ad nostram, aut Martinicam, aut ad earn
quae est Sancti Christophori quae iis opus non admodum
habent, falcem mittunt in messem alienam, iis utuntur
gubernatores ut (non sine scandalo) clavum clavo tru-
dant, et divisionis semine in ecclesiis nostris supersemi-
nent, dum commissarii dormiunt. Parvuli, id est barbari
et naturales insulani panem petierunt, et non est pro-
visum de operariis qui frangerent et porrigerent eis.
Ego quidem multoties navigavi in insulam dominicam et
diversis temporibus mansi circiter quinque annis cum
eis, solus, in multa penuria, et ne quidem socium potui
impetrare, quern possem edocere idioma. Erat sane tunc
multa spes conversionis, sed quid jam expectari potest
post tot caedes ab iis qui sunt omnino vindictae dediti ?
Certe nihil. Nunc enim desiderant quidem me videre
barbari, et Dominus du Parquet vocat me frequenter,
non occasione religionis, sed pacis procurandae gratiâ ;
nusquam fui missus ad eos quin fuerim renotus et sem-
per illic et alibi neglectus fui. Traducuntur a Guinea et
Angola mauri multi qui venumdantur in servos. Hos
mysteriis nostris imbuimus cum audiunt linguam seu
idioma nostrum, et si haeri permitunt (sunt enim capti-
vi) salutiferis undis abluimus nec tempus perdemus, nam
fiunt optimi christiani et religionis catholicae tenaces
cultores. Habemus Judaeos mercatores sed non immo-
rantes. Item haereticos omnis generis ; multos quidem
antehac ad ovili reduximus. et adhuc per gratiam Dei
reducimus, sed in minori numero, et cum majori diffi-
cultate quia dispersi sunt. Denique habemus Gallos. His-
panos, Belgas, Hollandos. Luzitanos, Danos, Suaevos,

172
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
Graecos, Turcas ; libertinos non paucos, rudes et ignaros
passim ; hos omnes pabulo verbi Dei reficimus, et rite
dispositis, sacramenta omnia administramus prout ne-
cessitas postulat.
Tertia ratio est quia operarii sunt paucissimi, et
tamen mutuo se impediunt, quia ordinem non servant,
quisque authoritatem specialem sibi vindicat, hinc con-
fusio, et haec sola ratio a reditu me deterret, quia contra
hanc nihil est ordinatum quamvis a longo tempore vi-
geat. Tot ex hac narratione colligere potuerunt Emi-
nentiae Vestrae, solus (quinque prioribus mensibus excep-
tis) fui Guadalupae missionarius ex nostris ab anno 1635
usque ad annum 1640. Ab anno 1643 jusque ad 1651, duos
tantum misit commissarius ex novitiatu sacerdotes, nam
R. P. Petrus Coulliart et socii ejus erant ex congrega-
tione Sti Ludovici. A morte R. P. Armandi a Pace quae
fuit anno 1648 usque ad hunc, 1656, non fuerunt plures
ex nostris quam tres, ex quibus fere semper fui inter
barbaros aut in Gallia. Ex iis qui fuerunt missi cito
recesserunt aliqui, quia inquieti et non vocati ; alii multo
tempore languerunt typo quartano aut quotidiano cor-
repti, et tandem alii ethisi, alii paralisi, alii hydropisi
mortui sunt ; duo in mari suffocati sunt. Provinciam
integram sine dubio illic haberemus si religiosi non de-
fuissent nobis. Nolebant etenim Domini insularum alios a
nostro ordine operarios illuc transportari, sed semper
commissionem hanc affectarunt Priores novitiatus et in-
dispensabiliter nos alligarunt huic domui, quae cum nulla
alia communicat, cujus manus contra omnes, et manus
omnium contra earn ; dicunt sic religiosos aliarum pro-
vinciarum faciliorem habere accessum ad missionem ;
quasi vero excludantur, si cura ejus demandetur alicui
provinciali, aut vicario generali congregation is reforma-
tae ? ? (1) Imo sane et missioni et missionnariis efficacius
provideretur, nam et operarii non deessent missioni et
operariis non deesset provincia aut congregatio sicuti
deest novitiatus. Possent enim in conventibus redeuntes
recipi, et aegrotantes juvare. Verum quidem est quod
novitiatus caepit aedificare missionem in lapidibus alienis,
nam ii per quos primum plantavit earn Dominus, erant
(1) Ce point d'interrogation me paraît fautif.

RELATIO B
173
ex provincia Franciae, et maxima pars eorum qui secuti
sunt eos, erant ex eadem, vel ex congregatione Sti. Lu-
dovici.
Sed satis. Superque a tot annis advertemus, ma-
gno incommodo nostro, quia nec in propriis nec in alie-
nis valet consummare, quia a longo tempore filios nec
sibi nec aliis procuravit ; et sane perinde nobis esset pen-
dere a novitiatu si per eum missio stare posset, nec refu-
gium accipere authoritatem a priore novitiatus seu com-
missario immediate, modo satisfaciat religiosis aliorum
ordinum et apparere faciat D. Houel gubernatori, et
populis qualiter obtinuerit a Sta Sede hanc jurisdictio-
nem. Sed neutrum facit, nam nec ipse, nec socius Reve-
rendissimi Patris Generalis nostri, filius hujusce domus,
qui Romae degit, et haec omnia inspirare videtur ; nec
demum praefatus fr. laicus qui ex Urbi redit, mendicare
satagunt earn in scriptis. Ecce triennium jam effluxit
ex quo urgeo rem hanc : ostendo fraequentes circa haec
quaerimonias duorum unicorum quos reliqui gementium
sub onere et pondus totius missionis portantium, expono
messem magnam, paucitatem operariorum, animas pe-
reuntes ast nec audiunt, nec moventur. Ego autem qui
vidi hanc confusionem, scivi rumores, tamdiu portavi
laborem, non possum non moveri, et non commoveri
insuper et conqueri quia missio perit, et tamen nec no-
vitiatus, nec ejus prior seu commissarius possunt earn
salvare et erigere.
Haec sunt, Eminentissimi Domini, quae habebam de-
nuntiare vobis. Si missio in posterum ruit, et salus ani-
marum negligatur, ecce liberavi animam meam. Scit
Deus quia nullum non movi lapidem quin promeverim
missionem. Pro magno munere peto ut de praefectura et
missione sic disponatis quatenus sublatâ omni difficul-
tate et aemulatione, omnes omnino missionnarii saluti
animarum invigilent ; totis viribus nomen Domini Jesu
laudabile et gloriosum portent a solis ortu usque ad oc-
casum et praedicent, ita quod sedentibus in tenebris et
umbra mortis lux oriatur, et pedes eorum dirigantur
in viam pacis. Hoc (inquam) iterum atque iterum hu-
millime petit a vobis,

174
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
Eminentissimi Domini,
Humillimus, obsequentissimus, et ad omnia paratissi-
mus eminentiarum vestrarum servus, et in Domino filius
frater Raymundus Breton ordinis Sti Dominici.
E novitiatu generali parisino ordinis ff. Praedicato-
rum die 28 decembris 1656.

APPENDICE
DOMINICAINS
missionnaires à la Guadeloupe, d'après le R. P. Breton
DATES
DATES
D'ARRIVÉE
DÉCÈS
DE DÉPART
Pierre Pélican
29 juin 1635
mars 1636
Nicolas Bruchet de Saint
id.
1637, après
à Paris,
Dominique
Pâques
1642
Raymond Breton
id.
1654
Pierre Griffon de la
Croix
id.
octobre 1635
Nicolas de la Mare
4 mars 1640
1 mars 1642
Jean de Saint Paul ou
Jean Dujan
id.
en 1649
Jean Baptiste du Tertre
ou de Sainte Ursule
id.
en 1642
Fr. Nicolas Saintal
id.
Fr. Jacques des Martyrs
ou le Gendre
id.
Fr. Stéphane de l'As-
somption ou Fouquet
id.
25 juil. 1644
Vincent Michel
5 oct. 1641
16 nov. 1641
Dominique Picart ou de
Saint Gilles
id.
1647
Fr. Charles de St Ray-
mond ou Pouzet
id.
1645
Fr. Michel (ne persévé-
ra pas)
id.
Armand de la Paix ou
. Jacquinot
28 mars 1643
4 août 1648
P. du Tertre
id. (2e fois)
commen-
cement 1647
Mathias du Puis
24 nov. 1644
1649
Fr. Charles de St Ray- 30 déc. 1646
mond
(2e fois)
en mer. 1650

176
RELATION DE L'ILE DE LA GUADELOUPE
ARRIVÉE
DÉPART
DÉCÈS
Pierre Coliard, visiteur
1649
en mer, 1650
Philippe de Beaumont
id.
Hyacinthe Guibert
id.
1651
Fr. Vincent
id.
Jean Baptiste Feuillet
1651
Pierre Fontaine
id.
1652
Louis Plançon
id.
id.
Joseph Roussel
1654
J. B. du Tertre (devait partir, mais voyage différé).
Eh 1654, quatre moniales partent, pour la Martinique avec
un Père (le P. Boulogne).
En 1656. départ de quatre Pères : un pour la Grenade, un
pour la Guadeloupe et deux pour la Martinique.
MISSION DU R. P. BRETON
chez les Caraïbes de la Dominique
DATES D ARRIVEE
DATES DE DEPART
Le 5 janvier 1642
avec le Fr. Charles de Saint
Raymond
12 mars 1642
16 janvier 1646 (13 ou 25 avr.) Premiers jours de sept. 1646
20 septembre 1646
12 mars 1647
Après la Pentecôte 1647
Part trois mois plus tard
Fin 1647
Après la mort du P. Armand
(août 1648)
1649
1651
Il a écrit lui-même — Relatio B. — Ego quidem...
mansi circiter quinque annis cum eis (Caraïbes) in insulam
Dominicain.
LES CAPUCINS A LA GUADELOUPE
Daniel de Canonville
4 mars 1637
5 mars 1637
Prothais de Caen
id.
6 mars 1637
Marian
11 juin 1637
1638
Polycarpe
id.
1638
Deux Capucins (dont P.
Pacifique)
29 mai 1645
Deux
15 nov. 1645
Trois (dont P. Alexis)
8 sept. 1646

APPENDICE
177
AUTRES RELIGIEUX
ARRIVEE
DÉPART
JESUITES
Ils établissent deux chapelles en 1651 à la Guadeloupe.
P. P. Halé et Jacquinot

1652
Trois Jésuites sont pré-
deux
sents en
1653
vers
1654
CARMES
Claudius de St Joseph
1651
vers 1652
Côme de la Visitation
1652
Ambroise de Ste Anne
1652
AUGUSTINS
AEgidius Gendron
1652
Trois Religieux
1652
deux après
Pâques 1652
le troisième
1652
Note. — Trois dates différentes sont données pour le deu-
xième départ du P. Breton pour la Dominique : le 16 janvier
(Relatio A), le 13 avril (Version Romaine) et le 25 avril
(Version Parisienne).

Le 25 avril est la date la plus probable. La date du 16
janvier parait être une faute d'inattention et celle du 13
avril une faute de copiste.



Table des Matières
et concordance des trois Manuscrits
Notice sur le P. Raymond Breton.
5
Relation de
19
Relation A.
131
Relatio B..
147
PREMIERE PARTIE
CHAPITRE I.
— De la hauteur, grandeur,
beauté.
Montagnes et rivières de la
Guadeloupe .......................................
23
131
Des montagnes
25
Des rivières
25
Des eaux bouillantes
26
CHAP.
II. — Des animaux qui se trouvent
à la Guadeloupe, oiseaux, bêtes à quatre
pieds, reptiles, poissons, mouches
28
Des oiseaux
28
Des bêtes à quatre pieds
30
Des reptiles
30
Des mouches
31
Des poissons
32
CHAP. III. — Des végétaux, arbres et plan
tes de diverses sortes
35
Des arbres
35
Des plantes
40
SECONDE PARTIE
De l'origine, mœurs, religion, etc.. des
Caraïbes
45

180
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE I. — De l'origine et humeurs des
45
132
49
132
CHAP. III. — De leur religion, ou plutôt
50
134
53
CHAP. V. — De leurs viandes dont ils se
57
CHAP. VI. — De leurs mariages et éducation
58
133
CHAP. VII. — Des cases, lits et pirogues
61
133
CHAP.VIII. — Des exercices de nos sauvages
64
133
65
133
66
68
CHAP. XI. — De leurs guerres, ennemis et
68
CHAP. XII. — De leurs maladies, mort, deuil,
sépulture et rêveries touchant l'âme....
71
135
TROISIEME PARTIE
contenant tout ce qui s'est passé de plus
remarquable sur cette île de Guadeloupe en
ce qui concerne la Mission depuis qu'elle est
75
Les Espagnols à la Guadeloupe..
75
1635. — Les Français s'établissent dans l'île
Quatre Dominicains les accompa-
77
135
Les colons forment deux quartiers.
La famine fait des victimes, entre
81
136
1636. De l'Olive seul chef de la colonie,
guerre avec les Caraïbes. On les
84
Donation d'une terre aux Domi-
89
137
1637. Arrivée de deux Capucins ;
113
137
Arrivée de deux autres Capu-|
114
137

TABLE DES MATIÈRES
181
1638. — Incendie de, la case du P.|
Breton.
|
94
115
152
94
Départ des Capucins
116
152
Le P. Raymond est retenu à
ta Guadeloupe par les ha-
94
bitants ...........................................
116
L'Olive gravement malade...
117
1639.
Arrivée du commandeur de
Poincy.................................................
95
120
152
Le P. Raymond est retenu
une seconde fois à la Gua-
deloupe par ses habitants.
122
1640. — L'Olive
est
remplacé
par
Saboulies et la Vernade..
96
125
153
Arrivée de six religieux Do-
minicains..............................................
96
125
137
153
Arrivée d'Auber, nouveau gouver-
neur de la Guadeloupe..............................
98
153
1641 .
On fait la paix avec les Caraïbes
99
153
1642.
Le P. R. Breton fait un premier
séjour à la Dominique..
99
137
153
Mort du P. de la Mare...
101
138
154
1643. — Le P. Armand de la Paix supé-
rieur de la Mission....
104
139
154
Arrivée d'Houel comme gouverneur 104
155
1644 .
Différent entrePoincy et Auber
105
155
1645.
Plusieurs Jésuites et Capucins dé-
barquent à la Guadeloupe
106
156
1646.
Nouveau séjour du P. Breton chez
les Caraïbes ..........................................
107
140
157
Un capucin l'y accompagne
108
140
1647. — Espoir
de
réussir
dans
cette
mission
111
Discorde entre Houel et les Domi-|
nicains..................................
158
1648. — Mort du p. Armand de la Paix..
140
158
1649. — Arrivée de quatre Dominicains...
141
159
1651. — Divers religieux font du ministère
à la Guadeloupe.......................................
161
Arrivée de trois Dominicains........................................
141
162
1 652. — Discorde entre Houel et les Domi-
nicains .............................................................
|
163
Plusieurs d'entre ces derniers re-
gagnent la métropole
142
163
1653. — Mort du P. Carré
142
164

182
TABLE DES MATIÈRES
1654. — Retour du P. R. Breton
Espérances de succès
pour la
mission
Son état
Mentalité du Gouverneur et dé-
saccords ......
Nombre de Français dans l'île...
Pourquoi la mission n'a-t-elle pas
eu plus de succès'
Dominicains missionnaires à la Guadeloupe....
Mission du R. P. Breton chez les Caraïbes....
Les Capucins à la Guadeloupe....................................
Autres religieux : Jésuites, Car mes, Augustins

G
FICKER
Librairie Générale et Internationale
6, Rue de Savoie, PARIS, VIe
Extrait du Catalogue :
ALIX FREDERIC, Un moine bibliophile au xviie siècle..
5
»
ARMAGNAC A., Paroles divines....................................
5
»
AVRAY M. (d'). Le Procès du Chevalier de la Barre.
5
»
BAGA RRY A. La Maison qui pleure...........................................
25
»

Haut les Cœurs..................................................... ..
12
»
BERY A. (Abbé), La Bièvre aujourd'hui et autrefois.
10
»
BREZOL GEORGES, Les Turcs ont passé là..............................
15
»
C A POLEONI L., Sur les Rives du Jourdan..................................
2.50
CHOLIN A., Croquis Algériens et Tunisiens................... 6
»
CONCHON J.-II., Sœur Marthe (1864-1908)........................
3
»
DANGOISE A., La Guyanne Française. Nouvelle édi-
tion. Notes et Etudes. Avec de nombreuses illus-
DANGOISE A. et L. POTTEREAU. Notes, Essais et
Etudes sur la Guyanne Française et le développe-
ment de ses ressources variées et spécialement de

ses richesses aurifères, filoniennes et alluvion-
naires. Avec nombreuses illustrations
25
»
DUGRE A., La Campagne Canadienne..............................
12
»
DUMO'NT L., La Tourai ne à travers les âges. Histoire
des origines à nos jours. Illustrée de 230 gr avures
15
»
EFFENDI M.-E., Civilisation et Humanité........................
20
»
Essai en l'honneur du Martyr Wardani sur les meil-
leurs moyens à employer pour affranchir l'Egypte
de la domination Britanique..........................................

3
»
ESTOURNELLES DE CONSTANT, Benjamin Cons-
tant et la Paix...................................................
10
»
FARNIER J.-E. (Abbé), Une main de 2000 ans.......
6
»
FAZY MAX, Les Origines du Bourbonnais (2 volumes)
75 »
FROGER FRANÇOIS, Relation du Premier Voyage des
Français à la Chine fait en 1698, 1699 et 1670
sur le vaisseau « l'Amphitrite »..............................................
225
»
HANICOTTE, La Vérité sur le Brésil. Rapport de
Mission
12
»


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