Manioc je me souviens : le cyclone de 1928
Au lendemain du passage du cyclone, la ville de Pointe-à-Pitre et ses alentours sont dévastés : maisons, églises, usines éventrées, des morts ensevelis sous les débris de leurs maisons... La ville n'est plus qu'un champ de ruine (voir photos). L'économie de l'île est également atteinte en son cœur : agriculture, transport, commerce... tout est à reconstruire.
« Les rues de Pointe-à-Pitre étaient un amas de pierres, de briques, de branches d'arbres, de feuilles, de tôle, d'ardoises, de tuiles, de fils télégraphiques, de bois de poutres, etc... Neuf dixièmes des maisons étaient endommagées ou détruites totalement. Les collines environnantes (Feret, Chavel, Massabielle) étaient dénudées, brûlées, roussies, toute végétation ayant disparu. Rappelons que le cyclone s'était accompagné d'un raz de marée et, selon certains d'un tremblement de terre ; les trois éléments conjugués entraînaient à Pointe-à-Pitre 600 morts ou disparus et blessés. »
« Certaines rues étaient complètement barrées par des maisons écroulées, déplacées ou renversées. [...] D'autres étaient fortement inclinées et menaçaient de s'écrouler. Sur les quais, même vision lugubre. [...] Aucune barque, toutes avaient disparu. [...] Les constructions en pierre bordant les quais étaient ravagées. Les hangars des compagnies maritimes étaient dévastés, les charpentes en fer étaient tordues, les marchandises enlevées. Ce qui était resté sur place : farine, riz et sucre, tout cela n'était bon qu'à être jeté. » « [...] on aurait dit une ville qui venait de subir un bombardement. Nous montâmes rapidement dans nos chambres ; tout était trempé. Les cloisons défoncées, les portes, les fenêtres arrachées, le toit enlevé La galerie déchiquetée. [...] Tant pis pour cela ; nous étions vivants, c'est l'essentiel. » (F. Fabre et G. Stehle, « Le cyclone de 1928 à la Pointe-à-Pitre », Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n°91-94, 1992, p. 42 -55.)
On comptabilise près de 1270 victimes ainsi que de nombreux blessés :
« Cinq jours après le cyclone, on comptait 1200 morts tués et noyés et si l'on compte tous ceux qui meurent des suites du cyclones (bronchite, pneumonie, misère) le chiffre atteindra plus de 2000 pour la Guadeloupe.» [...] « Sur une petite colline, avait été bâti un orphelinat ; nous ne voyions plus que des ruines et, un peu plus tard, on apprenait que la directrice et plusieurs enfants étaient morts sous les décombres. [...] Telle famille ensevelie sous sa maison. Un tel a été tué, tel enfant, a été noyé. Des blessés gémissaient, des malades s'étaient réfugiés sous quelques feuilles de tôle. » (F. Fabre et G. Stehle, « Le cyclone de 1928 à la Pointe-à-Pitre », Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n°91-94, 1992, p.57-67.)
La Guadeloupe resta isolée jusqu'au lundi suivant laissant les survivants seuls face au désastre. L'heure était grave, il fallait soigner les blesser, enterrer les morts, se nourrir, trouver un endroit ou dormir, rebâtir et attendre les secours...
« Dès le mardi soir, un bateau entrait dans la rade. Il fut accueilli comme un sauveur, et dès lors, le ravitaillement se fit régulièrement. Nous n'avons pas trop souffert de la faim. Les boulangers purent reprendre leur travail assez rapidement et les commerçants avaient des stocks de biscuits, qui, par bonheur, avaient échappés au désastre. Nous redoutions les épidémies, le bon Dieu nous en a préservé. Les cadavres rejetés par la mer furent brûlés sous le contrôle d'un médecin. Les décombres furent débarrassés de leurs victimes, mais je vous laisse à penser les odeurs qui se dégageaient de là. On fit des fosses communes et les malheureux dorment ensemble leur dernier sommeil. » (F. Fabre et G. Stehle, « Le cyclone de 1928 à la Pointe-à-Pitre », Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n°91-94, 1992, p.66.)
En effet, le docteur Henri Fabre (1891-1944) était chargé de l'organisation du « Service d'hygiène » de l'Institut Pasteur en Guadeloupe. Après le cyclone, il organise un dispensaire des premiers soins et le ramassage des cadavres. Afin d'éviter les épidémies, il fait creuser par les détenus de la prison une fosse commune où seront inhumés entre 800 et 900 corps.
Cet ouragan d’une violence mémorable a laissé des traces dans les esprits des guadeloupéens. Après le ravage du cyclone, la ville de Pointe-à-Pitre va se transformer en introduisant du béton armé. L'architecte Ali Tur (1889-1977) envoyé par le ministère des Colonies pour rebâtir la Guadeloupe, construira le Palais de justice, l'hôpital, la capitainerie et d'autres petits bâtiments. Il sera à l'origine d'un véritable concept moderniste qui sera suivi par d'autres architectes jusque dans les années 1960.
Sur le catalogue collectif des périodiques Caraïbe -Amazonie
- F. Fabre et G. Stehle, Le cyclone de 1928 à la Pointe-à-Pitre, Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n°91-94, 1992, p. 42 - 73. Dans cet article, vous trouverez de nombreuses photographies prises au lendemain du cyclone par le médecin militaire Henri Fabre.
- Roméo Terral, La ville de Pointe-à-Pitre du cyclone de 1928 au départ du Gouverneur Félix Eboué (1938) : Le virage vers la Modernité, Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe, n° 157, 01-09-2010, p. 19-39.
Ouvrage
- Ministère des Colonies, Cyclone du 12 septembre 1928. Livre d'or de la reconnaissance guadeloupéenne, Basse-Terre, Imprimerie officielle, [s.d.].
Bonne lecture !