actualités

L’esclavage sur le divan : une conférence du Professeur Aimé Charles-Nicolas

Camel Boumedjmadjen
19 novembre 2018
 Comprendre les conséquences psychologiques actuelles de l’esclavage sur les individus. Lors d’une conférence qui s’est tenue à l’Hôtel de ville de Cayenne le 8 juin 2018, le docteur en psychiatrie Aimé Charles-Nicolas a abordé la difficile et complexe question des conséquences psychologiques actuelles de l’esclavage sur les individus. 
Plan d'un navire négrier
Plan de la batterie basse d'un navire négrier à 2 batteries, capturé en 1843, se rendant en Amérique

L’identité, une pathologie ?

En abordant cette question délicate, Aimé Charles-Nicolas place nécessairement sa réflexion au niveau individuel qui est le cadre fondamental de sa pratique thérapeutique. La notion d’identité est donc essentielle dans le protocole de soins du médecin ; si le terme est aujourd’hui omniprésent dans les discours publics (il n’en a pas toujours été ainsi), son emploi relève le plus souvent du slogan (politique et publicitaire). Toute autre est l’approche du Professeur. Il nous rappelle en effet l’extrême complexité de cette notion qui tient évidemment à son caractère foncièrement subjectif et à son aspect pluriel, mais également à sa dimension sociale où l’Histoire pèse d’un poids considérable.

L’Histoire et ses traumatismes

La Traite transatlantique esclavagiste a profondément façonné les sociétés du Nouveau Monde et largement diffusé une conception racialiste des rapports humains et sociaux qui a culminé avec l’élaboration des théories raciales du XIXe siècle (de Victor Hugo voulant « rendre l’Afrique à l’Homme » à Arthur de Gobineau définissant les races primitives). Le déni d’humanité constitutif de ces constructions historiques a servi toutes sortes de desseins impériaux qui ont broyé les individus. L’expansionnisme colonial allemand, adepte de ce « racisme scientifique » pour longtemps, a ainsi perpétré le génocide des tribus Herero et Nama en Namibie au début du XXe siècle. Aimé Charles-Nicolas a pris la mesure des conséquences traumatiques encore vivaces de cette violence dans les esprits contemporains, et il s’efforce de défaire l’infériorisation intériorisée par les individus en suggérant des voies vers la restauration d’une estime de soi.

La restauration d’une estime de soi et le piège de l’essentialisation

Aux États-Unis où cet héritage est aujourd’hui encore particulièrement palpable, une initiative collective a permis de lutter avec succès contre l’infériorisation dénoncée par le Professeur Charles-Nicolas. À  la violence institutionnelle a répondu dans les années 60 le mouvement culturel Black is beautiful qui a fait sien l’adage de Jean Cocteau « ce qu’on te reproche, cultive-le, c’est toi » et qui a habilement inversé les préjugés racistes de la société américaine pour valoriser le groupe et à travers lui les individus. Mais du point de vue du thérapeute, la prise de conscience individuelle doit précéder l'émancipation collective. À cet égard, il nous met en garde contre les dérives essentialistes qui loin de libérer les esprits, enferment les individus dans une caricature d'eux-mêmes, dans une narration de soi définie par d’autres.

La littérature est peut-être la mieux à même de dire la complexité des conséquences de l’esclavage, comme l’illustre La fin d’un primitif de Chester Himes, elle peut aussi, espérons-le, faire naître et accompagner l’introspection libératrice qu’appelle de ses vœux Aimé Charles-Nicolas.

Pour aller plus loin

Livres 

  • Mumia Abu-Jamal, We want freedom : une vie dans le Parti des Black Panthers, Pantin : Le temps des cerises, 2006.
  • Steve Biko, Conscience noire : écrits d’Afrique du Sud, 1969-1977, Paris : Éditions Amsterdam, 2014.
  • Black panther party for self defense, All power to the people : textes et déclarations des Black Panthers, Paris : Éditions Syllepse, 2016.  
  • Gilberto Freyre, Maîtres et esclaves la formation de la société brésilienne, [Paris] : Gallimard, impr. 1974, cop. 1952. 
  • Paul Gilroy, L'Atlantique noir modernité et double conscience, [Paris] : Éclat, 2003. 
  • Chester Himes, La fin d’un primitif, [Paris] : Gallimard, 1956. 
  • Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, [Paris] : Denoël : Gonthier, 1961. 
  • Pap Ndiaye, La condition noire : essai sur une minorité française, Paris : Calmann-Lévy, 2008. 
  • Eric Williams, Capitalisme et esclavage, Paris : Présence africaine, 1968.

 

Films 

  • Jean-Daniel Verhaeghe, La controverse de Valladolid, 1992. 
  • Norman Jewison, Dans la chaleur de la nuit (In the Heat of the Night), 1967. 

 

Conférences en ligne sur Manioc

 

Retrouvez également en ligne sur Manioc les vidéos du colloque « L'Esclavage : quel impact sur la psychologie des populations », Colloque scientifique international, le 26-27 octobre 2016.

Mots clés

Laisser un commentaire

champs obligatoires *