Nicolás Quintana, précurseur de l'architecture moderniste dans la Caraïbe
Nicolás Quintana (1925-2011) est l'un des artisans de l'implantation de l'architecture moderniste dans la zone caribéenne. Né à Cuba dans la ville de La Havane, il choisit, à l'issue de sa formation, de poursuivre l’œuvre de son père, architecte renommé et fondateur du cabinet « Moenck & Quintana ». Nicolás Quintana a fait fructifier cet héritage et, par ses réalisations, a marqué durablement le paysage urbain de plusieurs villes des Grandes Antilles et du Venezuela. Son parcours biographique épouse l'histoire architecturale caribéenne contemporaine.
L'architecture moderniste entre élégance et fonctionnalité : brève histoire de l’architecture du XXe siècle
Pour appréhender les créations architecturales de Nicolás Quintana, il est utile de les inscrire dans une histoire schématique de l'architecture du XXe siècle et de décrire brièvement les principales caractéristiques du modernisme architectural qui se distingue des courants dits « moderne » et « contemporain ». L'architecture moderne, souvent adossé à « l'Art déco », a pris son essor au début du XXe siècle dans une volonté de rupture avec le néoclassicisme et l'Art Nouveau en privilégiant la simplicité et la sobriété des formes au profit de la fonctionnalité des espaces et au détriment des ornementations. L'une des grandes figures européennes de l'architecture moderne est sans conteste Walter Gropius, fondateur en 1919 du style (particulièrement novateur) « Bauhaus ».
La pureté et l’élégance des lignes sont au service d'un minimalisme revendiqué qui a donné naissance à une esthétique singulière, et même révolutionnaire, ayant pour objectif de fusionner arts appliqués et beaux-arts. La chaise Wassily de Marcel Breuer est, de ce point de vue, une illustration remarquable de cette intention de faire entrer l'art dans notre quotidien à travers les objets les plus courants. Cette esthétique a rayonné bien au-delà de l'art de la construction, elle est aujourd’hui encore, toujours vivace.
Le béton, le verre et l'acier ont ainsi été les matériaux principaux de ce renouveau architectural ; dans les années 30, ils ont aussi servi le « style international » d’inspiration « bauhausienne ». En France, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce parti pris minimaliste a été bien illustré par les travaux de Le Corbusier qui a été l'un des représentants les plus actifs du mouvement « fonctionnaliste ». La « Cité radieuse » à Marseille est, à cet égard, exemplaire. La prédominance des lignes droites et du béton est caractéristique de cette architecture abritant des espaces intérieurs fonctionnels comprenant services (crèche, centre médical…) et commerces (épicerie, cafés et restaurants).
Qualifiée de « brutalisme », cette déclinaison de l'architecture moderne repose donc sur le rejet des ornements et la recherche de formes géométriques parfois austères. L'architecture « moderniste » est donc une forme accentuée de l'école « moderne » à l'origine, dans les années 60, d'une réaction nommée « postmodernisme » visant à atténuer ce dépouillement décoratif. L'architecture « contemporaine » est également héritière de ces courants « moderne » et « moderniste », elle s'en distingue néanmoins par les avancées technologiques de ces dernières décennies qui lui ont ouvert de nouvelles perspectives créatrices. L'histoire de cet héritage architectural, retracée à grands traits, offre une introduction aux travaux de Nicolás Quintana.
Les réalisations les plus emblématiques de Nicolás Quintana
L'architecture de Nicolás Quintana est en effet imprégnée par les styles de ces illustres prédécesseurs Walter Gropius bien sûr, mais aussi Le Corbusier, qui ont largement inspiré les premières bâtisses du jeune architecte havanais conçues entre 1953 et 1956. Sa créativité s’est révélée à diverses échelles, au bénéfice de maisons individuelles, du secteur hôtelier ou encore d’équipements collectifs.
Ainsi, l'une des toutes premières créations de Nicolás Quintana est-elle empreinte de l'influence de l'architecte et urbaniste français. La maison individuelle « Alicia Blanco House » (1953) située dans le sud de la capitale cubaine, porte la marque d’une construction « domino » peu coûteuse mêlant béton, verre, bois et composée de formes géométriques simples et de pilotis. Cette maison Alicia Blanco lui valut de participer au Congrès International d’Architecture moderne à Aix-en-Provence en 1953 où il représenta Cuba.
Sollicité par le gouvernement de Fulgencio Batista, soucieux de développer de façon méthodique les infrastructures touristiques dans le cadre de la « Junta Nacional de Planificación » (« Conseil national de planification ») et des « Planes Directores de Varadero y Trinidad » (« Plans directeurs de Varadero et Trinidad »), Nicolás Quintana poursuivit le travail initial de son père en rajoutant à l’Hôtel Club Kawama, localisé dans la station balnéaire de Varadero, plusieurs bungalows en ayant grand soin d’insérer ces nouvelles constructions dans l’environnement paysager où les pins avaient une fonction essentielle.
En 1955, son style s’épanouit encore avec la réalisation de la « Eduardo Rivero House » sur le front de mer à Santa María del Mar à La Havane. D'autres commanditaires fortunés, lui donnèrent l'occasion d'exercer ses talents à l’exemple du riche industriel du tabac qui rendit possible la construction de la « Mardonio Santiago House » achevée en 1956.
Le renversement du régime de Fulgencio Batista en 1959 par les révolutionnaires rassemblés autour de Fidel Castro et Che Guevara contraignit Nicolás Quintana à l’exil. Ses rapports conflictuels avec Che Guevara, alors Président de la Banque nationale cubaine, mirent un terme à son projet architectural pour accueillir le révolutionnaire dans ses nouvelles fonctions et scellèrent sa décision de quitter son pays natal. Dès 1960, il s'établit donc au Venezuela puis à Porto Rico où il poursuivit son travail de bâtisseur. En 1986, il s'installa à Miami et se consacra à l'enseignement de l'architecture à la « School of Architecture at Florida International University ».
En dépit du peu de reconnaissance pour son travail marqué par le nouveau pouvoir cubain, son attachement à La Havane et à Cuba ne se démentit pas puisqu'il s'investit dans le projet qu’il nomma « Habana y sus paisajes » (« La Havane et ses paysages ») qui se fixa pour objectif de protéger et de sauvegarder la richesse architecturale de la capitale cubaine, devenue patrimoine de l’humanité sous l’égide de l’UNESCO.