Cuba et la Guerre de 10 ans [1868-1878] : la première indépendance ?

10 octobre 1868, le Cri de Yara

Dans la première moitié du XIXe siècle, l’Espagne perdit une importante partie de son empire après la proclamation des républiques aux Amériques latines en 1821 ; elle reporta alors d’autant plus son attention sur Cuba tant pour son intérêt économique que pour nourrir la conscience nationale du pays. Mais sur l’île, le renforcement du pouvoir militaire, l’augmentation fiscale et l’échec de réformes politiques en cours contribuèrent à développer un mouvement anticolonialiste. C’est ainsi que le 10 octobre 1868, Carlos Manuel de Céspedes, propriétaire à Bayamo, ayant suivi des études de droit à Barcelone, réunit ses esclaves sur sa propriété, les affranchit, proclama l’indépendance et la lutte pour « Cuba libre » et prit la tête de l’insurrection. L’indépendance était le point principal du programme, mais Céspedes prônait aussi la suppression de l’esclavage. Comme d’autres Cubains de la région de Manzanillo, Céspedes appartenait à un groupe qui s’était mué en une loge maçonnique. La rébellion avait ainsi été préparée discrètement et de longue date. Les troupes composées de paysans pauvres et d'esclaves libérés marchèrent victorieusement sur Yara, Jiguaní et Bayamo dans l’est de l’île, dirigées par des propriétaires terriens comme Céspedes ou Francisco Aguilera. Ce n’est pas étonnant que les hostilités aient démarré dans cette partie de l’île. L’est subissait fortement la crise économique et le durcissement de la politique fiscale. Les esclaves y étaient moins nombreux que dans l’ouest et la population libre de couleur plus importante. Aussi contrairement à l’Ouest cubain, l’esclavage ne constituait pas un pivot aussi central de l’économie et la peur d’une révolte servile à l’image de celle d’Haïti était moins prégnante. La révolte s’étendit ensuite à l’ouest, vers Camagüey, menée notamment par deux hommes issus de riches familles de planteurs, Salvador Cisneros Betancourt et Ignacio Agramonte rejoints par Manuel de Quesada. Dans l’ouest de l’île fortement dépendant du travail servile et qui avait connu un bond économique dans la première moitié du XIXe siècle, le mouvement anticolonialiste et abolitionniste fut moins bien accueilli. Le faible soutien des élites terriennes contribua à la radicalisation du mouvement ; les insurgés libérèrent de force les esclaves pillant et incendiant les plantations sur leurs passages. À partir de novembre 1868, la réaction de l’armée espagnole empêcha une plus grande progression du mouvement anticolonialiste.
10 avril 1869, la Constitution de Guáimaro
Les insurgés se constituèrent en comités locaux, le plus important, Bayamo, devint le siège du gouvernement insurrectionnel. La constitution de Guáimaro faisait de Cuba une république indépendante de l’Espagne et elle était basée sur le principe de division des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Céspedes fut élu en avril 1869 président de la République, tandis que Aguilera, Izaguirre, Mendoz et Agramonte devenaient secrétaires d’états (à la Guerre, à l’économie, de l’intérieur, des relations internationales). La constitution prévoyait en outre que ses habitants étaient tous libres. Cette affirmation de l’égalité de tous les hommes s’accompagna de la nomination de Blancs créoles, d’Espagnols et de personnes de couleur libres à des postes municipaux.
Quelques figures de l'insurrection cubaine
Mais très vite, l’hésitation fut de mise au sujet de la libération des esclaves. La crainte que la rébellion anticoloniale se mût en une guerre « raciale » des Noirs contre les Blancs fut présente tant chez l’ennemi espagnol qu’au sein du mouvement insurrectionnel. De fait, pour lutter contre les insurgés, les forces espagnoles agitèrent le spectre de la révolution haïtienne propageant la peur d’une guerre « de race » et invitèrent la population lassée à choisir plutôt la paix sous l’empire espagnol. Ajoutez à cette peur, la faim, les pénuries et les destructions. Au fil du temps, le moral des troupes révolutionnaires s’en ressentit ; les désertions et les redditions d'insurgés se multiplièrent.
10 février 1878, le pacte de Zanjón

La république perdura 10 ans. Mais la trop grande division des pouvoirs qui entravait son bon fonctionnement, la crainte que la révolution indépendante ne devienne une révolution de couleur, la force tactique du général Campos nommé gouverneur de Cuba par le roi espagnol à partir de 1876 acheva la jeune république. En février 1878, un pacte vint officialiser une paix entre les deux camps, sans indépendance et sans abolition pour les révolutionnaires. Certains des insurgés refusèrent de reconnaître le traité. Ce fut le cas notamment d’Antonio Maceo, homme de couleur né de petits exploitants libres. Promu général de l’armée de libération cubaine pendant la guerre, Maceo refusa catégoriquement la paix sans abolition dans sa Protesta de Baragua le 15 mars 1878. Il lutta quelques mois encore avant de devoir quitter l’île. Même si cette première tentative se solda par la défaite des indépendantistes cubains, la guerre de Dix ans ne fut pas sans conséquence politique et elle transforma profondément les relations sociales. Le maintien de l’esclavage fut vécu comme une injustice sociale contre l’autorité espagnole et cela nourrit les désirs indépendantistes. Dans le même temps, l’émancipation de 16000 esclaves qui avaient participé aux insurrections engagea Cuba vers la voie de l’abolition totale et définitive qui intervient dans les faits en 1887.
Livres anciens sur Manioc.org
- Carbonell (Néstor), Próceres : ensayos biográficos, La Habana : Montalvo y Cardenas,1928.
- Castellanos Garcia (Gerardo), Raices del 10 de octubre de 1868 : Aguilera y Cespedes, La Habana : Imprenta "El siglo XX", 1937.
- Cuba. Ministerio de educacion.Direccion de cultura, Breve antología del 10 de octubre, La Habana : Publicaciones de la Secretaria de Educacion, Dirección de Cultura, 1938.
- Infiesta (Ramón), Máximo Gómez, La Habana : Imprenta "El siglo XX", 1937.
- Márquez Sterling (Manuel), Proceso histórico de la enmienda Platt (1897-1934), La Habana : Imprenta "El siglo XX", 1941.
- Miró Argenter (José), Cuba, crónicas de la guerra. Tomo I, La campaña de invasión,La Habana : Editorial Lex, 1942.
- Piron (Hippolyte), L'Ile de Cuba : Santiago, Puerto-Principe, Matanzas et la Havane, Paris : E. Plon, 1876.
- Trelles (Carlos Manuel), Matanzas en la independencia de Cuba, La Habana : Imprenta "Avisador comercial", 1928.
Pour aller plus loin
- Ferer (Ada), La guerre d'indépendance cubaine, Bécherel, Editions Les Perséides, 2010.