Ina Césaire en mars 2021
Ina Césaire, mars 2021, avec l'aimable autorisation de l'Association Martinique Images. Sous droits

Née le 13 octobre 1942 à Fort-de-France, Ina Césaire est la quatrième enfant et la première fille d’Aimé Césaire et Suzanne Roussi-Césaire. Suivant les déplacements de son père entre la France et la Martinique en raison de ses activités de parlementaire, elle est souvent hébergée durant son enfance par l’anthropologue Michel Leiris et son épouse qui sont des amis proches de ses parents. En mai 1955, dans la revue Lettres nouvelles, son père publie le seul poème qu’il n’ait jamais consacré à l’un de ses enfants, connu par sa dédicace Pour Ina et repris en 1960 dans le recueil Ferrements. Après la séparation de ses parents en avril 1963 puis la mort de sa mère en 1966, Ina joue aussi un rôle maternel auprès de sa sœur plus jeune.

Après le bac de philosophie, elle étudie le peul (langue parlée dans une vingtaine d’États de l’Afrique occidentale et centrale) et les civilisations africaines à l’École nationale des langues orientales vivantes. En 1974, elle soutient une thèse de troisième cycle en philosophie sur les Peuls nomades Wodaabe du Niger à l’Université Paris I sous la direction de Bernard Teyssèdre, écrivain et fondateur du département d’Esthétique de l’Université. Elle est ensuite chargée de cours sur la littérature orale comparée à Paris XIII-Villetaneuse, Paris X-Nanterre, Paris VII-Jussieu et à l’Université des Antilles et de la Guyane (Campus de Schœlcher en Martinique) de 1972 à 1984. Attachée au CNRS, elle dirige l’équipe multidisciplinaire de recherche « Société et Culture de l’aire Caraïbe » sous la direction de Michel Leiris d’abord, puis de l’anthropologue Louis-Vincent Thomas.

En 1971, dans le cadre d’une mission de recherche du CNRS, elle collecte un certain nombre de contes lors de veillées mortuaires en Martinique et en Guadeloupe qu’elle transcrit et traduit ensuite avec l’aide de Joëlle Laurent. Elles les publient en 1976 sous le titre Contes de mort et de vie aux Antilles (Paris, Éditions Nubia). Avec cet ouvrage, elles réinscrivent les contes antillais dans leur contexte historique et sociologique, et proposent une transcription scientifique du créole des Petites Antilles, avant que le système du GEREC (Groupe d'Études et de Recherches en Espace Créolophone et Francophone) ne s’impose quelques années plus tard. Dans les années 1980, elle travaille pour le bureau du patrimoine de la Martinique et le CNRS. Ina Césaire collabore ainsi régulièrement aux Cahiers du Patrimoine et réalise plusieurs documentaires sur les marins pêcheurs de Martinique, le carnaval ou les traditions de la période de Noël.

C’est à la même période qu’Ina Césaire inaugure son œuvre théâtrale. En 1983, le Théâtre du Campagnol, dirigé par Jean-Claude Penchenat, un des fondateurs du Théâtre du Soleil, met en scène Mémoires d’isles. Maman N. et Maman F. publiée l’année suivante aux Éditions caribéennes. Cette pièce est inspirée de sa grand-mère maternelle, Maman Flore, qui était venue à Paris pour aider sa fille à s’occuper de ses six enfants et leur racontait les histoires de son enfance. Cette pièce représente des femmes qui se font leur place et résistent dans un monde dominé par les hommes, en effet, pour Ina Césaire : 

« Le monde masculin possède certes la maîtrise du pouvoir, mais c’est le monde féminin qui assume la survie de la société. Je ne pense pas que ce soit du féminisme primaire que de dire que la femme, bien que souvent opprimée, est le poteau-mitan de la société martiniquaise. Elle a toujours assumé la plupart des choses. Ce n’est pas en raison de son essence, de sa générosité ou de sa bonté particulières ; c'est parce que l'histoire l’a obligée à rester avec l’enfant tandis que l’homme souvent était vendu ailleurs, que les couples ne pouvaient pas se former, que le béké appliquait souvent le droit de cuissage et que ces pratiques ont constitué autant d’agressions au système familial traditionnel. » (Bérard, 2009)

En juillet 1987, le Théâtre de la Soif Nouvelle, créé par Aimé Césaire et dont la première directrice est Annick Justin-Joseph, présente L’enfant des passages ou la Geste de Ti-Jean au festival de Fort-de-France, avec Christiane Énéléda, qui joue Ti-Jean, Elie Pennon et José Dalmat dans la distribution. La pièce est publiée l’année suivante aux Éditions caribéennes. Ina Césaire y reprend Ti-Jean, personnage principal de nombreux contes antillais. Il affronte plusieurs adversaires, souvent symboles des forces qui oppriment le peuple martiniquais et finit par vaincre la Bête qui a volé le soleil, ce qui lui permet de gagner le cœur de la princesse et son royaume. 

Ces deux pièces sont remarquables pour l’usage que fait Ina Césaire du créole, que les personnages emploient à plusieurs reprises dans la pièce, contribuant ainsi à l’édification d’un théâtre national en langue créole. 

En 1994, elle publie son unique roman Zonzon Tête carrée qui reprend, à travers l'itinéraire d'un chauffeur de bus et les récits de ses passagers, les histoires et contes du pays. Selon Sarah Davies Cordova et Antoinette Sol : « Ce roman picaresque de voyage(s) dont la narration émane d’une succession de troisièmes personnes à la voix hétéro-intradiégétique, polyphonique, multifocale et omnisciente, donne voix aux personnages féminins et masculins sans cependant les ranger selon leurs rôles traditionnels de conteurs. ».

En plus du théâtre et du roman, Ina Césaire connaît aussi le succès comme parolière avec le titre Exil chanté par Ralph Tamar en 1987, avec lequel il inaugure sa carrière solo. Cette collaboration permet aussi à Ina Césaire d’écrire d’autres chansons pour Ralph Tamar et le groupe Malavoi, comme par exemple Lapli sur l’album Case à Lucie en 1986.

Rosanie Soleil jouée pour la première fois au Festival de Fort-de-France de juillet 1989, dans une mise en scène de Syto Cavé avec Toto Bissainthe dans la distribution, illustre une autre facette de l’œuvre théâtrale d’Ina Césaire qui s’ancre dans l’histoire de la Martinique. Cette pièce s’inscrit dans le récit de la grande révolte du Sud de la Martinique en 1870 et est conçue, selon la chercheuse Christiane P. Makward, pour : « représenter la réalité quotidienne féminine aussi bien que la résistance anticoloniale ». Cet ancrage dans l’histoire revient dans la seule pièce d’Ina Césaire dont l'action ne se déroule pas en Martinique, Le Général et le prisonnier (2003), qui rejoue les derniers mois de la vie de Toussaint Louverture, prisonnier au Fort de Joux, et par ce biais, la Révolution de Saint-Domingue. Comme l’écrit Axel Arthéron : 

« L’œuvre théâtrale d’Ina Césaire allie une dimension heuristique – relevant de la méthode ethnologique –, une dimension patrimoniale, lisible dans son intention de sauvegarde de la mémoire collective antillaise, et une dimension pédagogique de témoignage. »

En 2009, paraît Moi Cyrilia, gouvernante de Lafcadio Hearn que l’éditeur d’Elytis qualifie de « [v]éritable document ethnographique, ce livre est aussi un moment de pur bonheur oratoire [...] ». À la fin des années 2010, Ina Césaire se retire peu à peu de la vie publique. Elle meurt le 24 juin 2025 à l’EHPAD de Terreville à Schoelcher, où elle résidait depuis plusieurs années à cause de la maladie.

Comme l’a écrit la chercheuse Bridget Jones en 1990 : « Ina Césaire a commencé sa carrière au théâtre en étant très au fait des traditions créoles. Elle était idéalement placée pour rapprocher les professionnels du théâtre à Paris et les groupes expérimentaux enracinés dans l’expérience martiniquaise et rechercher de nouvelles plates-formes pour la créativité qui a survécu sans faiblir dans les formes orales populaires. Son travail contribue à ce processus vital que Glissant a défini comme : « le fond folklorique représenté, pensé, devenu poussée culturelle ».

Bibliographie

  • Arthéron, Axel. « Histoire et révolutions dans le théâtre d’Ina Césaire. Les exemples de Rosanie Soleil (1992) et Le Général et le Prisonnier (2003) ». Présence Africaine, vol. 199200, nᵒ 1, 2019, p. 59‑94. shs.cairn.info, https://doi.org/10.3917/presa.199.0059.
  • Bérard, Stéphanie. « Entretien avec Ina Césaire (le 13 janvier 2006 en Martinique) ». Women in French Studies, vol. 15, nᵒ 1, 2007, p. 110‑20.
  • Carrère, Charles. « « Zonzon Tête Carrée » ». Présence Africaine, vol. 153, nᵒ 1, 1996, p. 212‑15. shs.cairn.info, https://doi.org/10.3917/presa.153.0212.
  • Césaire, Ina. « La triade humaine dans le conte antillais ». Présence Africaine, vol. 121-122, nᵒ 1, 1982, p. 142‑53. shs.cairn.info, https://doi.org/10.3917/presa.121.0142.
  • Cordova, Sarah Davies. « Bibliographie : œuvres d’Ina Césaire ». Présence Africaine, vol. 199-200,nᵒ 1, 2019, p. 95‑98. shs.cairn.info, https://doi.org/10.3917/presa.199.0095.
  • Cordova, Sarah Davies. « Ina Césaire revisitée ». Présence Africaine, vol. 199-200, nᵒ 1, 2019, p. 11‑26. shs.cairn.info, https://doi.org/10.3917/presa.199.0011.
  • Cordova, Sarah Davies, et Antoinette Sol. « Le Romanesque : Zonzon Tête Carrée ». Présence Africaine, vol. 199-200, nᵒ 1, 2019, p. 27‑44. shs.cairn.info, https://doi.org/10.3917/presa.199.0027.
  • Fonkoua, Romuald. Aimé Césaire : 1913-2008. Autre tirage : 2016, Perrin, 2013.
  • Haigh, Sam. « Ethnographical Fictions/Fictional Ethnographies: Ina Césaire’s Zonzon Tête Carrée ». Nottingham French Studies, vol. 40, nᵒ 1, mars 2001, p. 75‑85. Edinburgh University Press Journals, https://doi.org/10.3366/nfs.2001.009.
  • Jones, Bridget. « Two Plays by Ina Césaire: Mémoires d’Isles and L’enfant Des Passages ». Theatre Research International, vol. 15, nᵒ 3, octobre 1990, p. 223‑33. Cambridge University Press, https://doi.org/10.1017/S030788330000969X.
  • Makward, Christiane. « Enraciné profond : le théâtre d’Ina Césaire ». Africultures, vol. 80-81, nᵒ 1, 2010, p. 142‑46. shs.cairn.info, https://doi.org/10.3917/afcul.080.0142.
  • Pozzi, Jéssica. « Ina Césaire et la traduction du conte créole vers le français : conservatrice de l’imaginaire antillais ». Francophonies d’Amérique, nᵒ 54, 2022, p. 23‑41. www.erudit.org, https://doi.org/10.7202/1092942ar.
  • Rice-Maximin, Micheline. « Entre femmes : Ina, Cyrilia et Renélise racontent Lafcadio Hearn ». Présence Africaine, vol. 199-200, nᵒ 1, 2019, p. 45‑58. shs.cairn.info, https://doi.org/10.3917/presa.199.0045.
  • Rinne, Suzanne. Elles écrivent des Antilles...: Haïti, Guadeloupe, Martinique. L’Harmattan, 1997.
  • Veron, Kora. Aimé Césaire : configurations. Éditions du Seuil, 2021.

 

 

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